Chapter Text
« Aiolia, tu viens avec nous ? On va à la BU, s’avancer sur le devoir à rendre à la fin de la semaine.
- Non merci, les gars, je dois retrouver un pote cet après-midi.
- Oh… Tu ne peux pas remettre à plus tard ? Pour une fois qu’on est tous réunis pour bosser, ce serait bien de s’avancer aussi sur le projet de groupe.
- Je comprends, mais là, je ne peux vraiment pas. Mon pote a besoin de soutien en ce moment.
- De soutien ? Il a des ennuis ?
- Sa copine l’a largué hier soir.
- Ah oui, en effet, je comprends. Pauv’ gars...
- Va le retrouver, on trouvera bien un autre moment.
- Les amis, c’est sacré, mon vieux, t’as bien raison ! Le boulot attendra ! »
Parmi les sourires et les tapes amicales sur l’épaule, Aiolia s’empressa de ranger ses affaires pour quitter l’amphi. Tout à son affaire, il ne s’aperçut pas du regard concerné qu’échangèrent Vitale et Sol, assis derrière lui. Mais quand l’étudiant saisit son sac et gagna la travée centrale pour sortir, il s’aperçut que l’Italien et l’Espagnol l’escortaient, chacun d’un côté.
« Euh… Vous faites quoi, les mecs ?
- A ton avis, idiota ! On vient avec toi, bien sûr ! Tu parlais bien de Milo, non ?
- Shaïna l’a vraiment jeté ? Pour de bon ? C’est fini de fini ?
- Che ragazza intelligente ! Ce mec n’était pas fait pour elle : je n’ai pas arrêté de lui dire. Elle est bien mieux sans lui.
- De quoi tu te mêles, Vitale ! Ca ne te regarde pas ! Et Milo est mon pote, je te rappelle ! Alors si tu veux venir pour ce genre de propos, dégage !
- Mais non, Aiolia, calme-toi. Milo est notre ami aussi, voyons. N’est-ce pas, Vitale ?
- Ouais, ouais, calme le chaton.
- Ne m’appelle pas comme ça ! Ou je te casse la gueule !
- Eh là, calmez-vous tous les deux ! »
Grâce à l’intervention de Sol qui se plaça résolument entre eux, Vitale et Aiolia se contentèrent de se jeter un regard noir avant de sortir sans un mot de l’amphi. Ils marchèrent en silence, dents serrées de part et d’autre de Sol, qui poussa un soupir de lassitude avant de questionner Aiolia.
« Et on doit le retrouver où, Milo ?
- Hmm, il m’a envoyé un texto pour me dire qu’il m’attendait au café sur le parvis de la Sorbonne car il pleut.
- Ca marche, en route alors. Tu lui a parlé depuis hier soir ?
- Non, pas encore.
- Diavolo, comme tu sais que Shaïna l’a plaqué alors ?
- Marine me l’a dit ce matin.
- Marine ?
- Ben fatto Seduttore ! T’as déjà conclu ? Je te pensais pas rapide aussi !
- Mais non ! Je… Je l’ai juste appelée pour lui proposer de prendre un café. Mais c’est là qu’elle m’a dit qu’elle devait tenir compagnie à Shaïna après la rupture avec Milo. Vous imaginez vraiment n’importe quoi ! »
Sous les regards et sourires narquois de ses deux amis, Aiolia se sentit rougir. Aussi pour détourner l’attention de lui et de son crush de la veille, il pointa du doigt la devanture du café et pressa le pas.
« Voilà le café ! Milo doit nous attendre à l’intérieur. Au fait, vous n’attendez pas Lilian ?
- Je lui ai envoyé un message disant de nous rejoindre. »
Aiolia poussa la porte vitrée qui fit entendre un léger tintement. Une bouffée humide et chaude, aux senteurs amères de café et sucrées de pâtisseries, lui parvint au visage lorsqu’il entra dans le café. Il tourna la tête de part et d’autre pour identifier son ami et allait s’exclamer en reconnaissant le beau visage aux yeux bleus étourdissants quand il se figea, éberlué. Sol qui le suivait lui rentra dans le dos avec une exclamation. Vitale s’arrêta juste à temps pour ne pas s’encastrer lui aussi dans le dos de Sol. Il pesta dans la langue de Dante et donna une bourrade à l’Espagnol devant lui. Mais celui-ci ne réagit pas et resta immobile.
« Mais… Mais qu’est-ce que c’est que ça ? J’hallucine ou quoi ?
- Ben si t’hallucines, on est deux, Aiolia…
- Je pige rien, là…
- Ouais… Moi non plus. Rien de rien…
- Puttana ! De quoi vous parlez les gars, je vois rien ! »
D’un geste vigoureux autant que profondément agacé, Vitale poussa Sol sur le côté, le faisant presque s’étaler sur une table. C’est là qu’il vit. Sa bouche s’ouvrit sans qu’il s’en rende compte et ses yeux s’écarquillèrent.
Face à face se trouvait un groupe de trois jeunes gens en grande discussion : Lilian, Milo et… Camus !
oOoOo
« Lilian, quelle surprise ! Tu n’es pas en cours ? »
Camus eut un haut-le-corps sous l’apostrophe inattendue, tandis que Lilian se retournait et lâchait une exclamation de joie. Camus leva les yeux sur le visage du nouvel arrivant et sentit son ventre se creuser et sa gorge s’assécher. Un vertige puissant s’empara de lui, faisant danser le décor qui s’affadissait et se déformait. Une vague de chaleur étourdissante s’empara de son être et un frisson, comme une fièvre, le ravagea, parcourant ses veines, semblable à une onde électrique que rien n’arrête. Son coeur s’affola dans sa poitrine tel un animal pris au piège et sa respiration hachée envahit sa tête, raisonnant dans son crâne comme un tambour.
Il le reconnut aussitôt, en un éclat de lumière, comme si la foudre venait de s’abattre sur lui.
Le gouffre dans son ventre se creusa, se creusa, et sembla aspirer toute sa substance. Il se sentit prêt à tomber en lui-même, dans ce précipice qui venait de s’ouvrir dans son être. Et il l’aurait voulu, d’ailleurs. De toutes ses forces, il aurait souhaité disparaître. Il n’était pas prêt. Pas prêt du tout. Il ne voulait pas, n’avait qu’une envie : fuir ! Fuir cette rencontre ! De tout son être !
« Milo ! Salut ! Comment vas-tu ? Tu te sens bien malgré hier soir… ? »
La voix de Lilian semblait venir de loin, de si loin… Presque d’un autre monde... Camus achevait de se dissoudre et de s’enfoncer en lui-même quand cette voix lointaine se fit subitement plus intelligible.
« Au fait, Milo, je te présente Aloïs de Montclar. Tu risques peut-être d’être surpris mais je pense qu’il sera un nouvel ami. »
Lilian s’adressait à lui, le présentait. Il devait se reprendre, absolument ! Ce qui était fait, était fait, à présent. Mais il ne pouvait pas faire mauvaise impression ! Il ne pouvait pas ! A n’importe quel prix, il devait faire bonne figure !
Au prix d’un immense effort, dont il se serait cru incapable, Camus réussit à raffermir ses esprits en une fraction de seconde, à reprendre pied en lui-même et à esquisser un sourire poli en inclinant la tête. Mais lorsqu’il ouvrit la bouche, tous ses efforts furent implacablement réduits à néant.
« En...chanté… je… m’appelle… Aloïs… mais… on m’appelle… Camus. »
Un frisson glacé terrifiant le parcourut. C’était sa voix, ce croassement pathétique et ridicule ? Une onde de chaleur succéda au froid intense et il sentit le rouge monter à ses joues et à son front comme à chaque fois qu’il était gêné et mal à l’aise. Il ferma les yeux avec désespoir, maudissant sa carnation bien trop blanche et sensible de roux, qui s’embrasait au moindre malaise. Il n’osa relever les yeux pour le regarder quand il parvint à les rouvrir.
« Ravi de te rencontrer, Camus. Je m’appelle Milo. »
Et une main tendue, dorée par le soleil, large et puissante bien que jeune, éminemment masculine, apparut dans son champ de vision. Lentement, comme dans un rêve, le coeur battant à tout rompre et l’esprit blanc, Camus releva les yeux vers le visage de celui qui hantait ses nuits depuis si longtemps et dont il venait de découvrir il y a peu , émerveillé, le vrai visage.
Goldαntarès se tenait à quelques centimètres de lui et lui tendait la main amicalement. Goldαntarès lui souriait, d’un sourire éclatant au charme ravageur, ses éblouissants yeux de ciel d’été ancrés dans les siens.
oOoOo
Milo se dirigea vers la table et apostropha Lilian, qui lui tournait le dos.
« Lilian, quelle surprise ! Tu n’es pas en cours ? »
Le jeune Suédois se retourna vivement et poussa un cri de joie, lâchant la bride à sa nature extravertie.
« Milo ! Salut ! Comment vas-tu ? Tu te sens bien malgré hier soir… ? »
Le ton de la voix, légèrement hésitante sur la fin de la phrase, crispa Milo. Il comprit tout de suite que sa rupture avait fait le tour de leur groupe d’amis et que tout le monde était au courant de son récent célibat. Inspirant profondément et contrôlant l’éclat funeste de son regard d’eau limpide, il parvint à esquisser un sourire qu’il espérait léger et chaleureux.
« Je vais bien. Tu ne me présentes pas ? »
Il n’avait pas pu éteindre toute note métallique et sans appel de sa voix, mais Lilian comprit le message et n’insista pas. Il se retourna vers son vis à vis et Milo s’avança entre eux, toujours debout, à côté de la table.
« Au fait, Milo, je te présente Aloïs de Montclar. Tu risques peut-être d’être surpris mais je pense qu’il sera un nouvel ami. »
Alors, Milo arrêta son regard sur l’étudiant gauche et mal à l’aise, face à Lilian. Il put l’examiner à son aise, car le jeune homme avait baissé les yeux de gêne sous son regard perçant. Un léger sourire carnassier lui vint aux lèvres en constatant la rougeur qui se répandait sur ses traits particuliers. Le stéréotype parfait du gars premier de l’amphi, emprunté, timide, habillé comme un sac – ça devrait être interdit de manquer à ce point de goût -, le nez sans doute toujours dans ses bouquins. Roux en plus… Les cheveux longs, attachés en catogan. Pas moche pourtant, mais vraiment pas avantagé par sa posture ou sa tenue. Le pauvre, ce ne devait pas être simple tous les jours...
L’instagrameur sentit une certaine allégresse s’emparer de lui. Il reconnut la joie qui le gagnait. C’était toujours la même : la joie qu’il ressentait quand il dénichait un sujet en or. Un de ceux qui accompagnait la certitude d’avoir trouvé la formule du succès !
« En...chanté… je… m’appelle… Aloïs… mais… on m’appelle… Camus. »
La voix croassante et ridicule, autant que la courbette de tête façon japonaise en plein Paris, faillirent lui arracher un éclat de rire incontrôlé. Mais heureusement, il réussit à se reprendre immédiatement et se présenta à son tour en tendant la main. Mon dieu ! Il était parfait ! Ridicule, vieille France, maladroit, suranné. Parfait, vraiment. Son sourire séducteur s’élargit et il rendit sa voix onctueuse, presque caressante, pour maîtriser ses réactions. Il avait tellement envie de rire !
« Ravi de te rencontrer, Camus. Je m’appelle Milo. »
La rougeur de l’autre s’accentuant, il serra sa main avec hésitation, un air béat sur le visage, et son propre sourire se renforça tandis que son regard s’émaillait de mille paillettes d’or. Il devait vite parler ou trouver un sujet de conversation, sinon il allait lui pouffer de rire au nez ! Pour reprendre le contrôle de son hilarité, il tira une chaise de la table voisine et s’assit entre les deux étudiants, se tournant résolument vers Camus.
« Oui, vraiment ravi de te rencontrer, Camus. J’ai quitté les bancs de la fac il y a quelques années à présent, mais cela me manque toujours et j’aime vraiment discuter avec d’autres étudiants. Parle-moi donc de toi. J’aimerais mieux te connaître. Sincèrement. »
Et sincère, il l’était. Il étudiait toujours son sujet à fond quand il programmait une vidéo. Il lui fallait à présent tout connaître de Camus ! C’était la clé de son succès : il allait au fond des choses, toujours, et ne laissait jamais rien au hasard.
« Alors Camus, dis-moi tout : pourquoi ce surnom ? Ton vrai nom est tout à fait charmant pourtant... »
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