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Lorsque Muskwa fut à moins de vingt mètres d’eux, ils se
précipitèrent sur lui comme une avalanche.
L’ourson ne se ressaisit suffisamment pour bouger que lorsque le
guide se trouva sur lui.
Il vit et comprit le danger dans le dernier cinquième de la
dernière seconde et, comme Bruce se précipitait en avant, la
chemise étendue comme un filet, Muskwa se précipita de côté.
S’étalant sur la figure, Bruce ramassa une pleine chemise de
neige et la serra contre sa poitrine croyant qu’il avait capturé
l’ourson.
Au même instant, Langdon trébucha sur les longues jambes de
son ami et roula en cabriolant sur la pente de la montagne.
Muskwa, pour sa part, détalait de toute la vitesse de ses petites
jambes dans le direction de la vallée.
L’instant d’après, Bruce s’élançait derrière lui et Langdon suivait à
dix mètres.
Soudain Muskwa fit un brusque crochet et l’élan de Bruce
l’entraîna à cinquante pieds au-dessous.
Le montagnard dégingandé ne réussit à s’arrêter qu’en se
laissant choir en arrière, en se retenant des talons, des mains, des
coudes et des épaules. Langdon avait obliqué et gagnait sur
Muskwa.
Il se jeta en avant, la chemise étendue, à l’instant même où
l’ourson faisait un autre crochet et, lorsqu’il se releva, la figure
égratignée, ce fut pour cracher une bonne bouchée de saletés et de
pierraille.
Malheureusement pour Muskwa, son deuxième crochet le jeta
tout droit dans les jambes de Bruce.
Avant d’avoir pu se reconnaître, il se trouvait dans l’obscurité, mi-
suffoquant, tandis qu’une clameur de triomphe exaltante
l’assourdissait.
— Je le tiens ! avait crié Bruce.
A l’intérieur de le chemise, Muskwa se mit à griffer, à mordre, à
grogner, si bien que Bruce avait fort à faire lorsque Langdon
accourut avec la deuxième chemise.
Peu de temps après, Muskwa était ligoté comme un saucisson.
Ses pattes et son corps étaient tellement serrés qu’il ne pouvait
bouger. Sa tête n’était pas recouverte.
C’était la seule partie de lui qui fût visible, la seule qu’il pût
bouger. Il avait l’air si drôle et si comiquement effaré que, pendant
une minute ou deux, Langdon et Bruce, oublieux de leurs
désappointements et de leurs pertes de l’après-midi, rirent à gorge
déployée.
Puis Langdon s’assit d’un côté de Muskwa et Bruce de l’autre et
ils remplirent et allumèrent leurs pipes.
Muskwa n’avait même pas la ressource de gigoter en guise de
protestation.
— Nous sommes de fameux chasseurs ! dit alors Langdon : partis
pour descendre un grizzly et revenir avec ça !
Il considéra l’ourson.
Muskwa le regardait d’un air si grave que Langdon l’observa
pendant un instant avec un étonnement manifeste, ôta sa pipe de la
bouche et étendit la main.
— Petit, petit, petit, petit ! cajola-t-il doucement.
Les petites oreilles de Muskwa pointèrent en avant. Ses yeux
brillants semblaient de verre tant le regard en était fixe.
Bruce, derrière sa main repliée, riait silencieusement comme
dans l’attente d’une bonne blague.
— Gentil petit, gentil petit ! continuait le romancier… là, là…
petit… pas lui faire mal !
L’instant d’après, un cri aigu réveillait l’écho de la montagne. Les
quenottes de Muskwa s’étaient enfoncées dans un des doigts de
Langdon. Les hurlements de porc de Bruce eussent effarouché le
gibier à un demi-mille.
— Sacré petit bougre ! grogna Langdon, et puis, tout en suçant
son doigt blessé, il se mit à rire avec le guide.
— Il n’a pas la frousse, ajouta-t-il. By George ! Bruce… J’ai envie
d’un ourson comme ça depuis que je cours la montagne et je le
ramènerai chez moi… Regarde-moi ça, cette bonne bille !
Muskwa précisément tournait la tête, la seule partie de son corps
qui fût mobile, et se mettait à étudier Bruce.
Langdon se leva et se tourna vers la crête de la montagne. Il
avait les sourcils froncés et l’air dur en ce faisant.
— Quatre chiens, dit-il comme se parlant à lui-même. Trois là-
dessous et un là-haut.
Il se tut pendant un instant et puis reprit :
— Je n’arrive pas à comprendre ça, Bruce… Cela fait plus de
cinquante ours que la meute nous arrête, et jusqu’ici nous n’avions
pas perdu un chien !
Bruce passait une courroie de cuir autour du milieu du corps de
Muskwa en guise de poignée afin de pouvoir le porter comme il eût
porté un seau d’eau.
Il se leva et Muskwa se balança au bout de la courroie.
— C’est que nous avons affaire, cette fois, à un tueur, dit-il. Et un
grizzly mangeur de viande est l’animal le plus terrible qui soit au
monde quand il est acculé.
Les chiens ne sont pas de taille, Jimmy. Ils ne le retiendront
jamais et, s’il ne fait pas noir bientôt, il n’en reviendra pas un seul de
la meute… Ils abandonneront la poursuite dès qu’il fera noir, s’il en
reste.
Le vieux rossard nous a sentis et tu peux être sûr qu’il sait ce qui
l’a mis knock-out sur la neige… Il se hâte et pas qu’un peu. Il sera à
vingt milles de là lorsque nous le reverrons.
Langdon alla chercher les fusils et, lorsqu’il revint, les deux
hommes se mirent à redescendre la montagne.
Bruce marchait en tête, porteur de Muskwa. Ils s’arrêtèrent sur la
corniche tachée de sang où Tyr avait tenu tête à ses assaillants.
Langdon se pencha sur le chien décapité par le grizzly.
— C’est le pauvre Biscuit, dit-il… et nous qui pensions qu’il était le
seul poltron de la bande… Les deux autres sont Jane et Tader… Cela
fait quatre de nos meilleurs chiens avec le pauvre vieux Fritz, qui gît
éventré là-haut.
Bruce, qui étudiait les profondeurs du précipice, désigna soudain
quelque chose.
— Il y en a un autre là, tu vois, auprès de ce buisson… émit-il la
voix un peu rauque… Jimmy, ça fait le cinquième !
Les poings de Langdon se serrèrent lorsqu’il regarda dans
l’abîme. Un sanglot rauque lui échappa.
Bruce comprenait cette douleur.
Ils apercevaient nettement une tache noire sur le pelage du chien
déjà raidi, à deux cents pieds au-dessous d’eux.
Il n’y en avait qu’un dans la meute de marqué comme cela, le
favori de Langdon.
— C’est ma pauvre Dixie ! souffla-t-il.
Pour la première fois, il se sentit balayé par une vague de colère.
— J’ai plus d’une raison maintenant pour tenir à la peau de ce
grizzly, mon vieux Bruce. Des chevaux sauvages ne m’arracheraient
pas de cette montagne avant que je l’aie tué. Je resterai jusqu’à
l’hiver s’il faut. Je jure que je le tuerai s’il ne se sauve pas !
— Il ne se sauvera pas, sois tranquille ! répartit Bruce un peu
sèchement… Et il se remit en marche toujours porteur de Muskwa.
Jusqu’ici, l’ourson avait été trop abruti pour songer à la révolte et
il s’était d’ailleurs rendu compte de son impuissance.
Il avait tendu tous ses muscles pour essayer de remuer pied ou
patte, mais il était aussi bien ficelé que la momie de Ramsès.
Il lui vint cependant peu à peu à l’esprit qu’il avait encore l’usage
de ses dents. Le balancement imprimé par la marche le mettait
justement souvent en contact avec la jambe de son ennemi.
Il guetta l’occasion.
Elle vint comme Bruce s’asseyait pour descendre d’un rocher. Une
fraction de seconde le corps de Muskwa reposa sur la pierre plate.
Rapide comme l’éclair, il mordit.
Il avait mordu profondément et si, tout à l’heure, la clameur de
Langdon avait troublé le silence à un mille à la ronde, celle de Bruce
l’excéda cette fois en profondeur et en volume.
Jamais Muskwa n’avait entendu de rugissement aussi
épouvantable, l’aboiement des chiens ne l’avait pas terrifié à ce
point-là, et il eut si peur qu’il lâcha prise.
Une fois de plus, il fut stupéfait. Les étrangers bipèdes ne
prenaient même pas la peine de se venger.
Celui qu’il avait mordu sautillait sur un pied d’une manière
extraordinaire en se tenant la fesse.
L’autre, assis sur un rocher, se balançait d’avant en arrière, les
mains appuyées sur le ventre, et, la bouche grande ouverte,
émettait un bruit étrange et strident.
Le premier cessa bientôt de sautiller et se mit à émettre le même
bruit curieux.
Muskwa ne savait pas qu’ils riaient. Mais il se convainquit d’une
vérité.
De deux choses l’une : ou bien ces monstres à l’allure grotesque
n’osaient pas le combattre, ou bien ils étaient d’un naturel paisible et
ne lui voulaient pas de mal.
Bruce et Langdon se montrèrent plus circonspects par la suite et,
dès qu’ils eurent atteint la vallée, ils passèrent un fusil dans la
poignée de cuir et le portèrent entre eux deux.
L’obscurité était presque tombée lorsqu’ils arrivèrent à un
boqueteau de pins.
Un feu rougissait au milieu de la clairière. C’était le premier feu
que voyait Muskwa. Il vit aussi ses premiers chevaux, des monstres
à l’aspect terrifiant encore beaucoup plus grands que Tyr.
Un troisième homme, Metoosin, l’Indien, sortit du sous-bois et
vint à leur rencontre.
Muskwa fut jeté sur le côté et, tandis qu’il était aveuglé par la
réverbération du feu, l’un de ses capteurs le tint par les deux oreilles
tandis que l’autre lui passait autour du cou une sangle en guise de
collier.
A l’anneau de cette sangle fut passée une grosse corde et le bout
de cette corde fut attachée à un arbre.
Pendant ces opérations, Muskwa grogna et grinça des dents tant
qu’il put.
L’instant d’après, il était délivré de l’étreinte des chemises, et
bien qu’il se tînt à grand’peine sur ses pattes engourdies,
complètement impuissant à fuir, il montra ses petits crocs et grogna
aussi férocement que possible.
A son complet ahurissement, cette manifestation combative ne
produisit aucun effet sur l’étrange compagnie, si ce n’est que les
trois hommes, y compris l’Indien, ouvrirent la bouche et émirent ce
bruit incompréhensible qu’il avait déjà entendu émettre par l’un
d’eux lorsqu’il avait mordu la jambe de l’autre.
CHAPITRE XVI
MUSKWA SE CIVILISE

Au grand soulagement de Muskwa, les trois hommes ne


tardèrent pas à s’éloigner de lui pour s’employer autour du feu.
Il pensa que c’était là une occasion unique de leur échapper et il
tira sur la corde au point de s’étrangler à moitié.
Finalement, désespéré, il abandonna la partie et, se
recroquevillant au pied d’un sapin, il se mit à observer le camp.
Il n’était pas à plus de trente pieds du feu.
Bruce se lavait les mains dans une cuvette de toile. Langdon
s’essuyait le visage avec une serviette.
Metoosin était agenouillé auprès du feu et de la large poêle qu’il
tenait au-dessus des tisons montait une odeur de grillade, l’odeur la
plus appétissante qu’eût jamais connue Muskwa.
L’air autour de lui était chargé de l’arome de bonnes choses.
Lorsque Langdon eut fini de s’essuyer la figure, il ouvrit une boîte
de lait condensé sucré.
Il en versa le contenu blanc dans un poêlon et s’approcha avec
de Muskwa.
L’ourson, qui n’avait pas réussi à fuir sur le sol, se mit à grimper
à l’arbre.
Il se déplaça si vite le long du tronc lisse que Langdon en fut
étonné.
Tandis que le romancier déposait le récipient au pied du sapin,
Muskwa ne cessa de gronder et de cracher dans sa direction.
Il demeura cramponné au tronc au bout de sa corde et, pendant
longtemps, les chasseurs ne firent plus attention à lui.
Il les voyait manger et il les entendait parler, élaborer un
nouveau plan de campagne contre Tyr.
— Il s’agit de l’avoir par surprise après ce qui s’est passé
aujourd’hui, déclara Bruce ; plus la peine de le pister dorénavant,
Jimmy. Nous pourrions le pister jusqu’à la Saint-Sylvestre, il nous
éventerait toujours.
Il s’arrêta de parler et écouta un instant.
— Curieux que les chiens ne reviennent pas, dit-il… Je me
demande…
— Impossible ! s’exclama celui-ci en devinant la signification du
coup d’œil de son compagnon.
— Bruce… tu ne prétends pas que l’ours nous les ait tous tués ?
— J’ai chassé pas mal de grizzlys dans ma vie, répliqua
tranquillement le montagnard, mais je n’en ai jamais chassé de plus
malin que celui-ci. Jimmy, c’est dans une embuscade qu’il a fait
tomber nos chiens, sur la corniche… C’est par ruse qu’il a eu celui-ci
sur le pic… Il est parfaitement capable de les acculer dans un coin,
et dans ce cas-là…
Il haussa les épaules significativement.
Langdon écouta de nouveau.
— S’il en restait de vivants à la tombée du jour, ils ne tarderont
pas à paraître, émit-il. Je regrette maintenant… je regrette de n’avoir
pas laissé la meute à la maison.
Bruce éclata d’un rire un peu âpre !
— C’est la fortune de la guerre, Jimmy, dit-il… On ne chasse pas
le grizzly avec des chiens d’appartement. Il faut s’attendre tôt ou
tard à en perdre. Nous nous sommes attaqués à plus fort que nous,
voilà tout ! Il nous a battus.
— Battus !
— Il nous a battus en jouant franc jeu encore ! et nous avons été
idiots de risquer les chiens.
Tiens-tu assez à la peau de cet ours pour tâcher de l’avoir à ma
façon ?
Langdon fit un geste d’assentiment.
— Quel est ton plan ?
— On ne peut pas toujours employer des moyens très propres,
commença Bruce… surtout quand on tombe sur un tueur ! Tu peux
être sûr que, jusqu’à l’hivernage, ton grizzly s’arrangera pour avoir le
vent en sa faveur… Comment ? Il fera des détours ! Je te parie que,
s’il y avait de la neige sur le sol, on découvrirait qu’il revient sur ses
pas… tous les deux ou trois milles pour s’assurer qu’il n’est pas
suivi… Et il ne se déplacera guère que la nuit… De jour, il se tiendra
peinard dans les rochers des cimes.
Si tu tiens à tirer beaucoup… il n’y a plus qu’une chose à faire :
avancer et trouver d’autres ours.
— Je m’y refuse absolument… Dis-moi plutôt comment faire pour
avoir celui-ci.
Bruce se tut pendant quelques instants avant de répondre.
— Nous sommes fixés sur l’étendue de son domaine. Il
commence au premier col que nous avons franchi et se termine à
l’endroit où nous sommes entrés dans cette vallée. Une vingtaine de
milles aller et retour.
Il ne touche pas aux montagnes à l’ouest de cette vallée-ci, ni
aux montagnes à l’est de l’autre. Et il continuera à tourner en cercle
tant que nous serons après lui.
Il se dirige présentement vers le Sud, de l’autre côté de la
montagne. Nous n’avons qu’à rester tranquilles où nous sommes,
sans bouger pendant quelques jours.
Puis nous lancerons Metoosin avec les chiens, s’il en reste, par
l’autre vallée là-bas… et nous remonterons celle-ci vers le Sud en
même temps.
L’un de nous suivra les pentes, l’autre les bas-fonds et nous irons
doucement… T’as compris ?
Ton grizzly ne quittera pas le pays… et Metoosin ne peut guère
faire autrement que de le rabattre sur nous en cercle… Nous le
laisserons pister la bête. Nous, nous l’attendrons au passage… Ce
serait bien rare si l’un de nous ne le voyait pas d’assez près pour lui
envoyer un pruneau.
— Ça colle, accepta Langdon… Je me suis d’ailleurs fait une
entorse que je ne demande qu’à soigner pendant un temps.
A peine avait-il émis ces mots qu’un hennissement effrayé d’un
des chevaux au piquet les fit se lever tous deux.
— Utim ! chuchota Metoosin.
— Tu as raison, les chiens, dit Bruce.
Ils entendirent craquer des branches dans la broussaille autour
d’eux et, l’instant d’après, deux des chiens apparurent dans le
rayonnement du foyer.
Ils s’avancèrent en hésitant, se traînèrent presque sur le ventre,
et, comme ils se prosternaient aux pieds des chasseurs, un troisième
et un quatrième les rejoignirent.
Ils ne ressemblaient en rien à la meute qui était partie ce matin-
là à la poursuite du grizzly. Leurs flancs étaient creux, leur crête
lamentablement plate. Ils étaient à bout de souffle et ils savaient
qu’ils étaient battus.
Leur hardiesse s’était évanouie et ils avaient l’apparence de
chiens fouettés.
Un cinquième sortit des ténèbres. Il boitait et traînait une patte
de devant déchirée.
La tête et la gorge de l’un des autres étaient ensanglantées et il
était aveugle d’un œil.
Ils semblaient s’attendre à un châtiment.
— Nous avons échoué ! proclamait leur attitude. Nous sommes
battus, et voici tout ce qui reste de notre vaillante compagnie.
Muets, Bruce et Langdon les contemplèrent. Ils écoutèrent, ils
attendirent. En vain…
Alors, ils se regardèrent.
— Deux de plus de fichus ! émit Langdon.
Bruce s’en fut chercher les laisses.
En haut de son arbre, Muskwa tremblait de toutes ses forces.
A quelques mètres de lui, il revoyait la horde aux crocs blancs qui
avait pourchassé Tyr et qui l’avait forcé, lui, à se réfugier dans la
crevasse du roc.
Des hommes, il n’avait plus grand’peur.
Ils n’avaient pas cherché à lui faire du mal… Mais les chiens
étaient des monstres. Ils avaient livré bataille à Tyr. Ils devaient
l’avoir battu, car Tyr s’était enfui.
L’ourson s’était réfugié dans une fourche, à cinq pieds du sol,
lorsque Metoosin passa auprès de son sapin en tenant un chien en
laisse.
L’airdale le vit et bondit, arrachant la laisse des mains de l’Indien.
Son saut le porta presque jusqu’à l’ourson.
Il allait recommencer à bondir lorsque, avec un cri féroce,
Langdon se précipita et le saisit par le collier.
L’ayant fouetté d’importance avec le bout de la laisse, il s’en fut
l’attacher plus loin.
Cet acte étonna Muskwa plus que jamais.
L’homme l’avait sauvé. Il avait battu le monstre à la gueule rouge
et aux crocs blancs, et fait attacher tous les autres monstres au bout
d’une corde.
Lorsque Langdon s’en revint, il s’arrêta auprès de l’arbre de
Muskwa et se mit à lui parler.
Muskwa lui permit d’approcher sa main sans tenter de mordre.
Puis une sensation étrange et délicieuse le parcourut.
Tandis qu’il avait la tête un peu tournée, Langdon s’était mis à lui
caresser le dos.
Jamais sa mère ne l’avait touché si doucement, même du plat de
sa patte.
Langdon caressa Muskwa pendant dix bonnes minutes.
L’ourson montra d’abord les dents, puis il se mit à ronronner.
Rapide, l’écrivain le quitta et revint un moment après avec une
tranche de caribou.
Muskwa flaira la chair crue que Langdon lui mit sous le nez et,
chose curieuse, il recula.
Finalement, Langdon déposa la viande à côté du poêlon au pied
de l’arbre et s’en alla rejoindre Bruce, qui fumait sa pipe.
— D’ici deux jours, il me mangera dans la main, déclara-t-il.
Le camp ne tarda pas à devenir très calme.
Langdon, Bruce et l’Indien s’enroulèrent dans leurs couvertures
et s’endormirent presque aussitôt. Le feu passa au rouge sombre, et
bientôt il n’y eut plus qu’une seule bûche rougeoyante.
Un hibou fit entendre son hululement au plus profond de la
futaie.
Le ronron de la vallée et de la montagne emplit la nuit paisible.
Les étoiles étincelèrent, plus brillantes.
Il n’y avait plus rien à craindre maintenant. Tout dormait, sauf
l’ourson à la frimousse brune.
Prudemment, il se mit à descendre en embrassant le tronc.
Il atteignit le pied de l’arbre et lâcha prise.
Du coup il faillit tomber dans le poêlon. Un peu de lait concentré
lui jaillit à la face.
Machinalement, il tira la langue et se mit à lécher ses babines.
Le liquide épais et sucré que sa langue ramena l’emplit d’un
plaisir inattendu.
Pendant un quart d’heure, il se lécha. Et puis, comme si le secret
de cette délicieuse ambroisie venait seulement de lui être révélé, ses
petits yeux brillants se fixèrent avec convoitise sur le poêlon.
Il s’en approcha avec précaution et stratégie, en fit le tour, tantôt
d’un côté, tantôt de l’autre, tous les muscles du corps tendus, prêt à
bondir en arrière si la chose ronde inconnue tentait de lui sauter
dessus.
Finalement son nez toucha le liquide épais et crémeux dans le
poêlon, et il ne releva pas la tête avant d’en avoir lapé la dernière
goutte.
Le lait concentré fut le facteur principal de la civilisation de
Muskwa.
Il savait que la main qui l’avait caressé si doucement avait
également placé ce festin si délicieux au pied de l’arbre et que la
même main lui avait également offert de la viande.
Il ne mangea pas la viande, mais il lécha l’intérieur du poêlon
jusqu’à ce qu’il brillât comme un miroir à la lumière des étoiles.
Malgré le lait, il avait toujours grande envie d’échapper. Cette
fois, ses efforts furent cependant moins frénétiques et plus raisonnés
qu’auparavant. L’expérience lui avait appris qu’il était futile de tirer
sur la corde. Il entreprit de la mâchonner.
S’il l’avait rongée toujours à la même place, il eût probablement
conquis sa liberté avant le matin, mais il se reposait fréquemment,
quand ses mâchoires se lassaient, et lorsqu’il se reprenait à user la
corde, ce n’était plus au même endroit.
Vers minuit, il avait les gencives en sang et renonçait
complètement à la besogne.
Serré tout contre l’arbre, prêt à grimper au premier signe de
danger, il attendit le matin.
Il ne ferma pas l’œil une seconde. Bien qu’il fût un peu rassuré, il
se sentait terriblement seul.
Tyr lui manquait, et il se mit à gémir si doucement que, si l’un
des dormeurs s’était par hasard éveillé, il ne l’eût pas entendu.
Ce qu’il eût joyeusement accueilli Pipoonaskoos si ce dernier
s’était risqué à l’intérieur du camp !
Le matin vint et Metoosin sortit le premier de ses couvertures.
Il alluma le feu, ce qui réveilla Bruce et Langdon.
Ce dernier, après s’être habillé, rendit visite à Muskwa, et lorsqu’il
vit le poêlon vide, il ne cacha pas son plaisir.
Muskwa s’était vivement installé dans la fourche de son arbre, et
il se laissa caresser de nouveau par Langdon.
L’écrivain alla chercher une nouvelle botte de lait condensé et
l’ouvrit devant Muskwa pour que celui-ci fût témoin du
transvasement dans le poêlon.
Il lui mit alors le récipient sous le nez, et Muskwa ne put retenir
sa langue devant le beau liquide crémeux.
En moins de cinq minutes, il lapait le contenu du poêlon tenu par
Langdon. Mais lorsque Bruce s’en vint pour contempler le spectacle,
l’ourson grinça des dents et gronda.
— Les ours s’apprivoisent admirablement, affirma Bruce un peu
plus tard, tandis qu’il savourait son petit déjeuner. Il te suivra
partout comme un chien d’ici quelques jours, Jimmy.
— Je commence à l’aimer déjà, répliqua Langdon.
Qu’est-ce que tu avais commencé à me raconter sur le compte
des ours de Jameson, l’autre fois ?
— Jameson habitait dans le district de Kootency, fit Bruce. Un
véritable ermite, ce type-là. Il ne descendait de sa montagne que
deux fois l’an, pour chercher des vivres.
Il avait apprivoisé des grizzlys.
Je lui en ai connu un de la taille de celui que nous poursuivons. Il
l’avait eu tout petit… et quand je l’ai vu… la bête le suivait comme
un chien, quoiqu’il pesât plus de mille livres. Ils allaient à la chasse
ensemble et ils dormaient l’un à côté de l’autre auprès du même feu
de campement.
Jameson aimait les ours et jamais il n’en eût tué un.
Langdon demeura silencieux.
Au bout d’un moment, il dit :
— Je commence à les aimer aussi, Bruce… Je ne sais pas
pourquoi, mais il y a quelque chose dans les ours qui vous force à
les aimer ! Je n’en tuerai plus beaucoup, peut-être même plus du
tout quand nous aurons eu la peau de ce massacreur de chiens… Ce
sera vraisemblablement mon dernier ours !
Il serra les poings brusquement et ajouta d’un ton furieux :
— Quand je pense que la chasse n’est jamais fermée pour les
ours… dans l’étendue du Canada… C’est une honte, Bruce… on les a
classés parmi les animaux nuisibles et l’on peut les détruire en
toutes saisons…
Il est même permis de les sortir de leur tanière lorsqu’ils
hivernent… de les en sortir avec leurs petits… et j’ai sur la
conscience d’avoir participé à pareille abomination ! Nous sommes
des brutes, Bruce, tant que nous sommes… Je pense parfois que
c’est un crime de porter un fusil… et cependant je continue à tuer…
— Nous avons ça dans le sang, répartit Bruce sans s’émouvoir…
As-tu jamais connu d’homme, Jimmy, qui n’aime pas à voir mourir ?
La foule n’est-elle pas furieusement dense autour d’une
exécution ? Les curieux ne se rassemblent-ils pas comme des chacals
autour d’un cheval qui agonise dans la rue… Ne se bousculent-ils pas
pour voir un type écrasé par une auto ?…
Je suis sûr que, si nous n’avions pas des lois qui nous retiennent,
nous nous tuerions les uns les autres pour le plaisir ! Nous sommes
nés comme ça ! Qu’y peut-on ?… Hallo ! qu’est-ce qui arrive à ton
ourson ?
Muskwa était tombé du mauvais côté de sa fourche et pendait au
bout de sa corde comme la victime du bourreau.
Langdon courut à lui, le saisit hardiment de ses mains nues, le fit
repasser par-dessus la fourche et le déposa doucement sur le sol.
Muskwa ne grogna même pas.
Bruce et Metoosin furent absents du camp toute la journée… et
Langdon demeura seul à soigner son genou qu’il avait fortement
cogné contre un rocher, l’avant-veille.
Il passa presque tout son temps avec Muskwa. Il ouvrit une boîte
de Golden Syrup et, vers midi, l’ourson le suivait autour de l’arbre, il
tirait sur sa corde pour atteindre l’assiette chargée de la précieuse
friandise.
Il s’asseyait alors et Muskwa montait sur ses genoux pour
atteindre le sirop.
Un ourson ressemble fort à un bébé ordinaire ; il aime le lait, les
friandises sucrées et aime à se nicher contre les êtres qui sont bons
pour lui.
C’est l’animal le plus aimable et le plus affectueux qui soit, et il
est si drôle qu’il déchaîne partout la bonne humeur.
Plus d’une fois, ce jour-là, Langdon éclata de rire au point que les
larmes lui vinrent aux yeux, devant les drôleries de Muskwa.
L’ourson était fou de sirop.
Jamais sa mère ne lui avait fait goûter d’aussi bonnes choses.
Cela dépassait même en saveur le poisson procuré par Tyr.
Tard dans l’après-midi, Langdon détacha la corde de Muskwa et
le conduisit en laisse jusqu’au ruisseau.
Il portait l’assiette de sirop et, de temps en temps, il s’arrêtait
pour laisser l’ourson goûter son contenu.
Au bout d’une demi-heure de ce manège, Langdon lâcha le bout
de sa corde et se dirigea vers le camp. Muskwa le suivit.
C’était un triomphe.
Un frisson de plaisir parcourut les veines de Langdon.
Il était tard lorsque Metoosin rentra ; il fut tout étonné
d’apprendre que Bruce n’était pas encore rentré.
L’obscurité tomba et ils allumèrent le feu.
Ils finissaient de dîner une heure plus tard, lorsque Bruce parut
portant quelque chose sur ses épaules.
Il le jeta au pied de l’arbre derrière lequel Muskwa était caché.
— Une peau comme du velours et de la viande pour les chiens,
dit-il ; je l’ai tué avec un pistolet.
Il s’assit et se mit à manger.
Au bout d’un certain temps, Muskwa s’approcha prudemment du
cadavre qui gisait à quelques pas de lui.
Il le flaira et un frisson étrange lui parcourut le corps.
Puis il se mit à gémir doucement, en fourrant son nez dans la
fourrure encore chaude.
Puis, pendant un long moment, il fut silencieux.
La chose que Bruce avait apportée au camp et qu’il avait jetée au
pied de l’arbre n’était autre que le cadavre du petit Pipoonaskoos !
CHAPITRE XVII
FACE A FACE

Cette nuit-là, la grande solitude remit son emprise sur Muskwa.


Bruce et Metoosin étaient tellement fatigués de leur ascension
pénible qu’ils se couchèrent de bonne heure.
Langdon les imita, laissant le cadavre de Pipoonaskoos à l’endroit
où Bruce l’avait jeté.
Muskwa avait à peine bougé depuis la découverte de son ancien
compagnon de jeux.
Il ignorait ce qu’était la mort, ce qu’elle signifiait. Pipoonaskoos
conservait encore sa chaleur vitale… et Muskwa s’imaginait qu’il ne
tarderait pas à s’éveiller.
Il n’avait plus envie du tout de le combattre cette fois.
De nouveau la nuit se fit très calme ; les étoiles emplirent le ciel
et le feu cessa de pétiller.
Mais Pipoonaskoos ne bougeait toujours pas.
Doucement, d’abord, Muskwa se mit à le flairer, à tirer sur ses
poils soyeux et, ce faisant, il semblait dire :
— Je te promets de ne pas te mordre cette fois-ci,
Pipoonaskoos… lève-toi et mettons-nous à jouer.
Pipoonaskoos demeurait insensible, et finalement Muskwa
abandonna l’espoir de le réveiller, se blottit contre lui et s’endormit
au bout d’un certain temps.
Langdon fut le premier à se réveiller le lendemain matin, et
lorsqu’il s’en vint voir comment Muskwa avait passé la nuit, il s’arrêta
brusquement et demeura immobile pendant une minute.
Alors une sorte de sanglot rauque s’échappa de sa gorge.
Dans son sommeil, Muskwa s’était serré tellement contre
Pipoonaskoos, qu’une patte de l’ourson mort lui entourait le cou.
Sans bruit, Langdon alla réveiller Bruce et, l’instant d’après, il
revenait avec le guide qui se frottait toujours les yeux.
Les deux hommes se regardèrent, graves.
— De la viande pour les chiens ! souffla Langdon… Tu voulais en
faire de la viande pour les chiens, Bruce.
Langdon ne dit rien de plus et ni l’un ni l’autre ne parlèrent
beaucoup au cours de l’heure qui suivit.
Pendant cette heure, Metoosin s’en vint chercher Pipoonaskoos,
et, au lieu d’être écorché et jeté aux chiens, l’ourson fut mis dans un
trou creusé au bord du ruisseau, et recouvert de sable et de pierres.
Ce jour-là, Metoosin et Bruce franchirent à nouveau la montagne.
Le guide avait rapporté de sa dernière expédition des morceaux
de quartz contenant des traces d’or manifestes et il emportait, cette
fois, de quoi prospecter sérieusement.
Langdon continua d’éduquer Muskwa.
A plusieurs reprises, il le conduisit près des chiens et, comme ces
derniers grondaient en tirant sur leurs attaches, il les fouetta
congrûment.
Intelligents, ils ne tardèrent pas à comprendre que Muskwa, bien
qu’ours, était à respecter.
Dans l’après-midi de ce second jour, il libéra l’ourson entièrement
de la corde et n’eut aucune difficulté à le rattraper, lorsqu’il voulait le
rattacher.
Le troisième et le quatrième jour, Bruce et l’Indien explorèrent la
vallée à l’ouest de la chaîne et se convainquirent complètement que
les traces d’or découvertes par eux ne les conduiraient pas à la
fortune.
Le quatrième soir, comme il faisait froid et que le temps se gâtait
un peu, Langdon eut l’idée d’emmener Muskwa coucher avec lui.
Il s’attendait à quelque résistance.
Mais Muskwa se laissa faire comme un chat et, une fois qu’il se
fut bien niché, il ne bougea plus de la nuit.
A en croire Bruce, il était temps de reprendre la poursuite de Tyr,
mais ils durent modifier leur plan à cause du genou de Langdon.
L’écrivain était incapable de parcourir plus d’un quart de mille et
encore en boitant bas. Et la position qu’il lui fallait prendre lui
interdisait de suivre la chasse, même à cheval.
— Il ne perdra rien pour attendre quelques jours, consola Bruce.
Si on le laisse tranquille pendant quelque temps, il cessera d’être sur
ses gardes !
Les trois jours qui suivirent apportèrent à Langdon profit et
plaisir.
Muskwa lui apprenait plus qu’il n’en avait jamais su sur le compte
des ours et des oursons ; aussi ne cessait-il pas de prendre des
notes.
Les chiens furent attachés à un bouquet d’arbres écarté et
Muskwa eut la liberté de se promener dans le camp.
Il ne fit aucune tentative pour s’enfuir et s’aperçut bientôt que
Bruce et Metoosin étaient également ses amis.
Langdon, par exemple, était le seul qu’il consentît à suivre.
Le matin du huitième jour qui suivit la poursuite de Tyr, Bruce et
Metoosin s’engagèrent à cheval avec les chiens dans la vallée de
l’Est.
Bruce comptait rentrer au camp dans l’après-midi et remonter
l’autre vallée avec Langdon le lendemain matin.
Il faisait un temps superbe, et, vers neuf heures, Langdon
attacha Muskwa à son arbre, sella un cheval et descendit au pas
vers la vallée.
Il n’avait pas l’intention de chasser.
C’était une joie suffisante de chevaucher face au vent, d’aspirer
l’air à pleine poitrine et de considérer les merveilles de la montagne.
Il parcourut trois ou quatre milles dans la direction du Nord et
arriva à une sorte de col.
L’envie lui prit de gravir cette pente et d’aller voir ce qui se
passait dans l’autre vallée.
Et, comme son genou ne lui faisait pas trop mal, il arriva presque
au sommet en une demi-heure.
A cet endroit, la pente devenait abrupte. Il fut obligé de sauter
de sa selle et de continuer à pied. Le col proprement dit était
constitué par une prairie plate encadrée des deux côtés par les murs
nus de la montagne fendue. Et à un quart de mille devant lui, il
pouvait contempler l’endroit où la prairie redevenait pente, pente
déclive descendant vers la vallée qu’il cherchait.
Au milieu de cette prairie se creusait une combe qu’il n’avait pas
vue tout d’abord. Et lorsqu’il arriva sur les lèvres de cette combe, il
se laissa tomber soudain à plat sur les mains et demeura immobile
comme un roc.
Puis lentement il leva la tête.
A cent mètres de lui, assemblé autour d’un petit trou d’eau, se
trouvait un troupeau de chèvres.
Il y en avait trente au plus, biques et chevreaux pour la plupart.
Pendant une demi-heure, il demeura immobile à les observer.
Puis l’une des chèvres se dirigea vers le flanc de la montagne,
une autre suivit. Et croyant que toute la bande était sur le point de
s’en aller, Langdon se leva rapidement et courut de toutes ses forces
dans la direction du trou d’eau.
Pendant un moment, boucs, chèvres et chevreaux furent comme
paralysés par sa soudaine apparition.
La plupart lui firent face et demeurèrent sur place, privés,
semblait-il, de la force de s’enfuir.
Il avait couvert les trois quarts de la distance lorsque les chèvres
reprirent leurs esprits. Ce fut une furieuse bousculade à qui
gagnerait la première les flancs de la plus proche montagne.
Les sabots ne tardèrent pas à résonner sur les éboulis rocheux
et, pendant une demi-heure, Langdon entendit décroître l’écho de
cette fuite précipitée le long des pentes ardoisées.
Il continua d’avancer et, quelques instants plus tard, il
contemplait l’autre vallée.
Mais la vue était bornée au Sud par un large épaulement
rocheux.
Cet épaulement n’était pas très haut et Jim entreprit de le gravir.
Il était sur le point d’en atteindre le sommet lorsqu’il glissa sur
une ardoise.
En tombant, il heurta sa carabine avec une force formidable sur
un gros bloc de granit.
Il ne se fit pas mal, mais son fusil était en piètre état. La crosse
était brisée près du magasin.
Comme il avait deux autres carabines au camp, cette
mésaventure ne l’affecta pas autant qu’elle l’aurait pu faire, et il
continua de gravir les rochers jusqu’à une sorte d’encorbellement
lisse qui contournait l’éperon de grès du contrefort.
Cent pieds plus loin, l’encorbellement se terminait devant un mur
de rocher perpendiculaire.
De ce point, cependant, le romancier avait une vue splendide sur
la large étendue de pays qui s’étalait entre les deux chaînes.
Il s’assit, tira sa pipe et se mit, tout en soufflant, à jouir du
magnifique panorama qui se déroulait sous lui.
Avec ses jumelles il découvrit des kilomètres de territoire vierge.
A peine à un demi-mille paissait une horde de caribous. Il surprit
la réverbération du soleil sur les ailes de mainte perdrix.
Mentalement, il se demanda combien il y avait de vallées
semblables dans ces vastes étendues des Rocheuses canadiennes
qui s’étendaient sur trois cents milles de la mer à la prairie, et sur
cent milles du Nord au Sud.
Il devait y en avoir des centaines et des milliers de ces vallées,
chacune un monde complet en soi avec sa vie propre, ses lacs, ses
ruisseaux, ses forêts, ses pics et ses tragédies.
Dans cette vallée qu’il contemplait, c’était le même doux
murmure, le même chaud soleil que dans les autres vallées, et,
cependant, la vie y était différente !
D’autres ours hantaient les pentes qu’il voyait vaguement à l’œil
nu là-bas à l’Ouest et au Nord.
C’était un nouveau domaine avec d’autres promesses et un autre
mystère. Et il oubliait le temps et la faim dans sa contemplation
ravie.
Il lui semblait que ces centaines ou milliers de vallées ne
vieilliraient jamais pour lui, qu’il pourrait passer son temps à errer de
l’une à l’autre et que chacune possédait un charme propre, des
secrets à découvrir.
Elles lui seraient toujours aussi énigmatiques que la vie elle-
même, cachant leur trésor, ronronnant du même ronron à travers les
siècles, donnant naissance à des multitudes d’êtres vivants, exigeant
en retour le sacrifice de multitudes de vies.
Que de volumes cette vallée emplirait si elle pouvait conter ses
aventures !
Tout d’abord, elle chuchoterait la création du monde. Elle dirait
l’histoire des océans déchirés et rejetés ; elle parlerait de cette
étrange époque où la nuit n’existait pas, où des monstres bizarres et
formidables erraient à l’endroit où il voyait paître les caribous, où
d’énormes reptiles ailés volaient aussi haut que ces aigles.
Et puis elle parlerait du bouleversement de ces heures terribles
où la terre avait oscillé sur son axe, où la nuit était venue, où un
monde tropical s’était changé en désert glacé, où des espèces
nouvelles étaient nées pour emplir cette solitude.
L’apparition du premier mammouth, du mastodonte et des bêtes
monstrueuses qui leur tenaient compagnie n’avait dû avoir lieu que
beaucoup plus tard. Celle aussi du premier ours des cavernes,
l’ancêtre de ce grizzly que Langdon se remettrait à chasser demain.
L’écrivain était tellement absorbé par ses pensées qu’il n’entendit
point de bruit derrière lui.
Et puis quelque chose le fit tressaillir.
Ce fut comme si l’un des monstres qu’il se représentait par
l’imagination avait soudain bâillé auprès de lui.
Il se tourna lentement, et, l’instant d’après, son cœur cessa de
battre et son sang se gela dans ses veines.
Lui barrant la route, à moins de quinze pieds, la mâchoire
ouverte, la tête agitée du balancement significatif, Tyr, le roi de la
montagne, considérait son ennemi pris au piège.
Langdon étreignit involontairement sa carabine fracassée et
comprit qu’il était perdu.
CHAPITRE XVIII
LA MISÉRICORDE DES FORTS

Un soupir horrifié, un son rauque qui n’était pas même un cri,


c’est tout ce que put émettre la gorge de Langdon quand il vit se
dresser le grizzly monstrueux. En dix secondes, il vécut autant
d’heures ! La première pensée qui lui vint fut celle de son
impuissance, de son impuissance absolue.
Il ne pouvait même pas fuir, acculé qu’il était au mur de roc.
Quant à sauter dans la vallée, c’était une chute de trente mètres. Il
était perdu !
Il s’en rendit nettement compte : il était face à face avec la mort,
une mort aussi terrible que celle qui s’était abattue sur les chiens. Le
temps qu’il lui restait à vivre pouvait désormais se chiffrer par
secondes.
Pourtant, en ces derniers moments, la terreur ne lui fit pas
perdre sa lucidité d’esprit. Il distinguait jusqu’à la rougeur qui
colorait les yeux altérés de vengeance du formidable fauve, et la
cicatrice qu’avait laissée une de ses balles en labourant la peau, et la
place chauve qui montrait par où une autre balle avait pénétré dans
l’épaule.
A cette vue, il songea que Tyr l’avait délibérément suivi à la piste
tout le long de la corniche et qu’il l’avait acculé dans cette impasse
afin de lui rendre mesure pour mesure et sévices pour sévices.
Tyr avança juste d’un pas. Et puis, de ce mouvement lent et
gracieux qui lui était particulier, il se dressa de toute sa hauteur.
Même en ce danger extrême, Langdon dut s’avouer que le grizzly
était un animal magnifique.
L’homme, pour son compte, ne bougea pas. Plutôt que d’être
déchiré il sauterait de la corniche, avec peut-être une chance sur
mille de n’être pas tué dans la chute. Peut-être aurait-il le bonheur
de s’accrocher à une saillie.
Tyr, lui, était désorienté. Voilà que tout à coup, à l’improviste, il
se trouvait en présence d’un homme ! C’était là cette créature qui lui
avait donné la chasse, qui l’avait blessé. Elle était si près de lui qu’il
n’avait qu’à étendre la patte pour la broyer. Comme c’était faible, et
pâle, et recroquevillé, maintenant !
Qu’était donc devenu son singulier tonnerre ? Où étaient ces
éclairs qu’il avait lancés ? Pourquoi n’émettait-il aucun son ? Le
dernier des chiens eût fait tête plus hardiment que ce piteux animal !
Il aurait montré les dents, il aurait grondé, il se serait battu ! Mais
cette chose qui était un homme ne se manifestait d’aucune manière.
Lentement, un grand doute se propagea à travers le cerveau
rudimentaire de Tyr. Était-ce vraiment cette chose recroquevillée,
inoffensive, épouvantée, qui l’avait blessé ? Il sentait bien
l’exhalaison de l’homme, senteur âcre déjà perçue dans son péril.
Cette fois cependant aucun mal ne l’accompagnait.
Alors, toujours gracieusement, Tyr retomba à quatre pattes,
regardant fixement Langdon. Si l’écrivain avait bougé, il était mort
sans aucun doute. Mais Tyr n’était pas, comme l’homme, un vrai
dilettante du meurtre. Une demi-minute encore, il attendit une
agression, une ombre même de menace.
Rien ! Le grizzly fut ahuri. Il flaira le sol, et Langdon vit s’élever
de petits nuages de poussière aux points où dardait le souffle fétide
de la bête. Pendant trente secondes encore, l’ours et l’homme se
dévisagèrent.
Et puis, toujours très lentement, comme avec hésitation, Tyr se
tourna et fit volte-face. Il grogna une dernière fois. Ses babines se
retroussèrent encore un peu, sans conviction. Décidément, il ne
voyait là aucun motif à rencontre, du moment que ce blême
pygmée, tassé, accroupi sur le roc, était incapable d’un défi.
Tyr disparut donc au tournant du contrefort de grès prochain, la
tête basse, ses crocs acérés claquetant au rythme de sa marche
comme des castagnettes d’ivoire.
C’est alors seulement que Langdon sentit qu’il respirait encore et
que son cœur se reprenait à battre. Il eut un grand soupir, comme
un sanglot. Quand il se dressa sur ses pieds, ses jambes le portaient
à peine.
Il attendit une, deux, trois minutes. Et puis il s’avança avec
précaution jusqu’au tournant de la corniche derrière laquelle Tyr
avait disparu. On ne voyait plus que les rocs. Il redescendit donc
jusqu’au col, sans cesser de se tenir sur ses gardes, la main crispée
sur le canon de son fusil fracassé.
Parvenu à la lisière de la plaine, il se jeta derrière un gros rocher.
A quelque trois cents mètres devant, Tyr trottait l’amble sans se
presser et passait la crête de la dépression qui menait à la vallée de
l’Est. L’homme ne bougea pas qu’il n’eût vu l’ours disparaître à
l’autre extrémité de l’entaille.
Quand le chasseur atteignit l’endroit où il avait mis son cheval au
piquet, Tyr était définitivement invisible.
Langdon ne se sentit bien en sûreté qu’une fois en selle. Et alors,
il se mit à rire, à la fois nerveux, joyeux, un peu tremblant. Puis, tout
en examinant la vallée avec soin, il bourra sa pipe de tabac frais.
— Sacré vieux trésor d’ours ! murmura-t-il, toutes les fibres de
son corps frémissant d’exaltation.
Il venait juste de retrouver la voix.
— Cette brute… cette brute a dans le cœur plus de grandeur
qu’un homme !
Et tout bas, il ajouta :
— Car moi, si je t’avais coincé comme tu m’as coincé, mon
bonhomme, je t’aurais proprement fait ton affaire… Et toi, toi, qui
m’as coincé, tu m’as laissé généreusement la vie !
Tout en trottant vers le campement, il sentait bien que l’aventure
de ce jour donnerait le dernier coup de pouce à la transformation qui
s’était opérée en lui. Oui, il avait rencontré le Roi des Montagnes
comme peu d’hommes l’avaient rencontré ; il s’était trouvé face à
face avec la mort et, d’instinct, cette brute à quatre pattes qu’il avait
poursuivie et blessée s’était montrée miséricordieuse.
Certes, Bruce ne comprendrait pas, ne pourrait pas comprendre,
mais en lui, Langdon, ce jour et cette heure avaient si profondément
gravé leur signification qu’il ne saurait l’oublier ; aussi longtemps qu’il
vivrait, il en était certain, jamais plus il n’attenterait à la vie de Tyr, ni
d’aucun de ses congénères.
Arrivé au camp, il se fit à dîner et, tout en mangeant en
compagnie de Muskwa, il arrêta de nouveaux plans pour les jours et
les semaines à venir. Dès le lendemain, il enverrait Bruce retrouver
Metoosin et c’en serait fini de la chasse au grand grizzly.
On pousserait jusqu’à la Skeena et même, si possible, jusqu’aux
bords du Yukon. De là, on gagnerait l’Est ; le pays des caribous,
qu’on pourrait atteindre dans les premiers jours de septembre, et
l’on reviendrait à la civilisation par les prairies qui couvrent les flancs
des Montagnes Rocheuses. On emmènerait Muskwa et, une fois
revenus parmi les hommes et les villes, on deviendrait de grands
amis. Langdon ne se rendait pas compte, alors, de ce que cet exil
pourrait signifier pour l’ourson.
A deux heures, il était encore à rêvasser de randonnées nouvelles
à travers les territoires inexplorés du Nord quand un son s’éleva au
loin. Pendant quelques minutes il n’y fit point attention ; cela devait
faire partie du murmure bourdonnant de la vallée. Mais, peu à peu,
d’une façon continue, le bruit s’éleva au-dessus des autres bruits.
A la fin, Langdon se leva d’où il était étendu, adossé à un arbre,
et sortit du bois pour pouvoir écouter plus nettement. Muskwa le
suivit et, quand Langdon s’arrêta, l’ourson à la frimousse brune fit la
même chose que lui. Agitant ses petites oreilles, il tourna la tête vers
le Nord, d’où venait le son.
Longtemps Langdon demeura perplexe. Ses sens pouvaient
l’abuser. Impossible que ce fût l’aboiement des chiens. Bruce et
Metoosin devaient se trouver encore loin dans le Sud, avec la
meute ; Metoosin, tout au moins, car Bruce pouvait être en train de
revenir au camp.
Très vite, le son se fit plus distinct, et Langdon fut assuré qu’il ne
se trompait pas. Les chiens remontaient la vallée. Pour quelle raison
Bruce et Metoosin étaient-ils revenus vers le Nord au lieu de
poursuivre leur route au Sud ?
La meute donnait de la voix. Les aboiements forcenés, endiablés,
disaient qu’elle était de nouveau sur la piste fraîche. Un
frémissement parcourut Langdon. Bruce n’avait pu lancer les chiens
que sur les traces du grand grizzly.
Langdon prêta encore un instant l’oreille. Puis il courut au camp,
attacha Muskwa à son arbre, prit un fusil et ressella son cheval. Cinq
minutes plus tard, il galopait dans la direction des montagnes où,
peu avant, Tyr lui avait accordé la vie.
CHAPITRE XIX
LE DERNIER COMBAT

Tyr entendit les chiens aboyer à un mille de distance. Deux


raisons faisaient qu’il n’était plus d’humeur à s’enfuir devant eux
comme quelques jours auparavant. Les chiens, il s’en moquait
comme d’autant de blaireaux ou d’une bande de loirs siffleurs qui lui
eût donné la sérénade.
Ces bêtes-là, c’était plus fort de la gueule que des crocs. On les
tuait comme des puces. Il ne se souciait guère davantage du bipède
qui marchait derrière eux. Depuis qu’il s’était trouvé face à face avec
l’un d’eux, il en méprisait la faiblesse.
D’autre part, Tyr était pour le moment à la recherche d’Iskwao,
son ourse, et l’homme n’est pas le seul animal qui risque sa vie par
amour. Après avoir tué son dernier chien au crépuscule de ce jour
fatal où il avait été si rudement poursuivi à travers la montagne, Tyr
avait agi contrairement à toutes les prévisions de Bruce.
Au lieu de continuer sa marche vers le Sud, il avait fait un long
détour vers le Nord et, la troisième nuit après le combat et la perte
de Muskwa, il avait retrouvé Iskwao. C’était à la brune de ce soir-là
que Pipoonaskoos était mort et que Tyr avait entendu tonner le
pistolet automatique du guide. Il avait cependant passé auprès
d’Iskwao toute la nuit et tout le jour suivant, après quoi il s’était de
nouveau séparé de sa compagne.

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