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L'espace public dans la Tunisie post-révolutionnaire : évolution et arrangement

2019

Le mémoire s’intéresse à l’espace public dans la société tunisienne en s’appuyant sur l’histoire des places publiques. Pourquoi les tunisiens ne se sont-ils pas appropriés ces espaces ? Comment la notion d’espace public a-t-elle évolué en Tunisie ? Quelle est la limite entre appropriation et détournement ? Comment la pratique des espaces publics a-t'elle évolué depuis la période coloniale ? Quel avenir pour ces espaces après la révolution

L’espace public dans la Tunisie post-révolutionnaire : évolution et arrangement Sarra Baccouche To cite this version: Sarra Baccouche. L’espace public dans la Tunisie post-révolutionnaire : évolution et arrangement. Architecture, aménagement de l’espace. 2019. ฀dumas-03132390฀ HAL Id: dumas-03132390 https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03132390 Submitted on 5 Feb 2021 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Distributed under a Creative Commons Attribution - NonCommercial - NoDerivatives| 4.0 International License LE EC O N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R L’espace public dans la Tunisie post-révolutionnaire Évolution et aménagement BACCOUCHE Sarra N AN S TE LE EC O N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN S TE TE AN N N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R Évolution et aménagement S L’espace public dans la Tunisie post-révolutionnaire : Mémoire de Master en architecture Séminaire // Nouvelles pratiques urbaines – Regards croisés EC O LE Réalisé par, Sarra Baccouche Encadrante, Marie P. Rolland ENSA NANTES 2019 LE EC O N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN S TE 4 5 TE S Remerciements N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué à l’aboutissement de la rédaction de ce travail. Tout d’abord, je tiens à exprimer ma gratitude pour mon encadrante de mémoire madame Marie P.Rolland pour sa patience, sa disponibilité et ses précieux conseils qui ont enrichie et alimenté ma réflexion. Je tiens à remercier également : L’ensemble de l’équipe pédagogique de ce séminaire de mémoire, Maelle Tessier, Rémy Jacquier et l’ensemble des étudiants pour leur écoute et leurs retours critique. Madame Béatrice Dunoyer pour m’avoir accordé un entretien et m’avoir ouvert la porte de l’association « l’Art rue ». Monsieur Kamel Gomri, directeur de la construction et de la planification urbaine au sein de la municipalité de Tunis, pour m’avoir accordé un entretien et avoir répondu à mes questions. EC O LE Monsieur Fakher Kharrat, directeur de l’école nationale de l’urbanisme et de l’architecture de Tunis (ENAU), pour m’avoir donné l’autorisation de consulter les documents dans la bibliothèque et le centre de recherche de l’ENAU. Enfin un grand merci à ma famille pour son soutien inconditionnel, à mes parents pour leurs conseils et leur précieuse aide pour la relecture et la correction de ce travail. LE EC O N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN S TE 6 N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S 7 EC O LE « L’espace public sous toutes ses formes est crucial pour l’intégration et la cohésion sociales. La démocratie trouve son expression (…) dans la qualité de vie de la rue » R. Rogers 8 SOMMAIRE N AN TE S INTRODUCTION Avant-propos ---------------------------------------------------11 Introduction ------------------------------------------------15 Méthodologie ----------------------------------------------18 N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R PARTIE .1 | L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution ---------------------------------------20 EC O LE A. La mise en tension de deux modèles, l’européen par-dessus le local, le colonisateur importé à côté avec ou … le local vernaculaire 01. Espace public -----------------------------------------------21 02. La place publique ------------------------------------------23 B. L’espace public à l’ère des beys ----------------------------------26 C. L’espace public pendant la période coloniale -----------------27 D. L’espace public sous la dictature 01. Un support de propagande ------------------------------35 02. Les lieux publics dans la médina, un parcours commercial en opposition au parcours résidentiel ----------------------41 03. Les lieux de l’expression publique au temps révolutionnaire -------------------------------------------------45 E. L’espace public sous la révolution 01. L’espace public, comme lieu d’expression--------------47 02. Un réaménagement symbolique de l’espace public -49 03. L’espace public comme témoins du chaos -------------50 PARTIE .2 | Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution --------------55 A. L’aménagement des places publiques de 2011 à 2014 01. Priorité au maintien de la sécurité ---------------------56 02. Des places publiques accessibles mais fortement contrôlées -------------------------------------------------------58 9 a. La place du bardo d’un symbole du pouvoir à un témoin de la révolution … ou un témoin de la situation difficile d’un pays ?----------------------------------60 b. La place de la Kasbah, un lieu de pouvoir … ou de sociabilité -------------------------------------------------- 76 N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S B. L’aménagement des places publiques à partir de 2014 (les élections présidentielles et législatives) 01. La crise des déchets ----------------------------------------- 87 02 Des essais d’amélioration dans le cadre d’une situation économique et sociale fragile a. Interventions ponctuelles et éphémères ---------------90 b. Absence de planification urbaine et de gouvernance territoriale démocratiques------------------92 c. Les élections municipales de 2018 est-ce le début de la solution ? --------------------------------------------------94 PARTIE .3 | La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés ---------------------------------------96 EC O LE A. Le rôle de la société civile dans la réappropriation des espaces publics et la sensibilisation --------------------------------------------97 B. Exemple de l’association « l’art rue » ------------------------------99 01. La réappropriation des espaces publics par le réaménagement territorial - Exemple du projet «El Msab»102 02. La réappropriation des espaces publics par le débat public - Exemple du projet « Al miad »--------------------------110 C. Les associations face aux institutions administratives, … Quelles solutions pour un meilleur espace public 01. Intervention des associations face à l’impuissance de l’administration ----------------------------------------------------114 02. Une collaboration privé-publique, peut-elle être une solution ? ------------------------------------------------------------ 115 CONCLUSION ----------------------------------------------118 BIBLIOGRAPHIE -------------------------------------------122 ANNEXES ---------------------------------------------------124 LE EC O N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN S TE 10 11 AVANT PROPROS N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Tout d’abord, il est important pour moi d’expliquer pourquoi j’ai fait le choix d’étudier ce sujet et d’énoncer les objectifs et le parti pris de ce mémoire. Depuis le protectorat français, la Tunisie a connu deux dictatures, celle du président Habib Bourguiba de 1956 à 1987 et celle du président Zine El Abidine Ben Ali qui a duré 23 ans de 1987 à 2011. Deux dictatures qui ont marqué le pays sur plusieurs niveaux. L’ère de Bourguiba a été, malgré le manque de liberté, marqué par de nombreuses réformes : « ...Quelle image garder de Habib Bourguiba ? Celle du « combattant suprême » qui lutta ardemment pour l’indépendance de son pays ? Celle du chef d’Etat audacieux qui donna aux femmes tunisiennes l’un des statuts les plus avancés du monde arabe et accueillit à Tunis l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en exil ? Ou bien celle de l’autocrate vieillissant, manipulé par son entourage et incapable de diriger un pays moderne ? Ces trois images contradictoires jalonnent l’itinéraire de l’un des hommes marquants du XXe siècle dans l’espace méditerranéen »1 EC O LE « Il a conduit son pays à l’indépendance et l’a ouvert sur le monde moderne. Il croyait à l’éducation de tous et à l’émancipation de la femme musulmane. À peine parvenu au pouvoir en 1956, il interdit la polygamie, la répudiation et les mariages prononcés sans le consentement de l’épouse. Ce « code du statut personnel », imposé à une société imprégnée des valeurs du Coran, est d’une audace folle pour l’époque, et le reste aujourd’hui. Au fil des années cependant, cet élan réformiste a cédé la place à un autoritarisme confus aggravé par la maladie. Telles sont les ombres et les lumières du « siècle de Bourguiba » qui s’étend de 1903, date officielle de sa naissance, à 2000, l’année où il s’éteint »2 (1) Pierre Haski, « Le « combattant suprême » est mort hier à Monastir, à 96 ans », Libération (France), 7 avril 2000, p. 2 (2) Bertrand Legendre, « Bourguiba »., Fevrier 2019 12 Avant-propos L’ère Bourguiba a donc été caractérisée par deux images contradictoires : celle du « père libérateur de la nation » et celle du dictateur vieillissant qui refuse toutes formes d’opposition et met en place une propagande. EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Arrivé en 1987, suite à un coup d’état « médical », Ben Ali a fait un discours promettant l’état de droit, la démocratie, la liberté de la presse, celle des associations... Mais très rapidement son régime s’est révélé le moins équivoque des deux. En effet, il a mis en place une dictature dans tous les sens du terme. Au niveau économique la Tunisie a souffert des aberrations et excès de Ben Ali et sa famille. Ils ont encouragé la corruption et piller le pays. Sur le plan social, il a fait en sorte de dégrader l’enseignement, de rendre les pauvres encore plus pauvres et les riches encore plus riches. Il a restreint les libertés et a opprimé les opinions. Durant plus de 50 ans les espaces publics ont été le support privilégié pour la mise en scène de la propagande des deux dictateurs. Des quartiers les plus aisés jusque dans la plus misérable des échoppes, dans les administrations, dans les écoles, sur les routes, des affiches de Ben Ali ornées de slogans à la gloire de l’«Artisan du changement» : «Ensemble derrière Ben Ali» ou encore «Ben Ali, on t’aime». Outre ces affiches l’espace public a perdu tout son intérêt lui qui, à l’origine dérive de l’agora est devenu un espace contrôlé. Je me rappelle quand j’étais petite j’entendais souvent dire qu’il ne faut pas parler politique parce que « les murs avaient des oreilles ». Cet espace appartient désormais aux dictateurs, il est interdit de s’exprimer, de revendiquer ces droits. Tout le monde a peur et fait profil bas afin de passer inaperçu. « On n’a pas seulement étouffé un peuple en le privant de tout espace de parole et de contestation mais aussi en produisant une novlangue inédite, hybridation monstrueuse de verbiage technocratique, de lexique pompeux, d’un usage délirant de la majuscule : l’«Ère du Renouveau», la «Voie du Développement «, la «Promotion du Changement» ont noirci des milliers de pages des 13 Avant-propos journaux officiels que plus aucun Tunisien ne se donnait la peine de lire depuis de nombreuses années. »3 EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Face à ce contrôle mis en place, le peuple s’est désintéressé et dés-approprié cet espace public. Il faut donc attendre la révolution de 2011 pour voir la reconquête des places publiques et des espaces publics par le peuple tunisien. Des images qui m’ont personnellement marqué. Malheureusement cette effervescence n’a pas durée et a laissé place le lendemain de la révolution à un désordre. Les places les plus importantes ont été entouré par du fil barbelés avec des camions militaires pour contrôler le passage, et les autres places ont été dégradés. Une nonchalance accentuée par l’absence d’intervention de la part de l’état. Un triste constat pour ces espaces dans un pays où le tourisme représente 8 % de son économie. Et où ces espaces représentent la première image qu’un visiteur a d’un pays. C’est mon arrivée en France en 2015 qui m’a fait encore plus prendre conscience de l’importance des places publiques, quand j’ai vu l’importance que les villes comme Paris ou Nantes donnent à l’entretien et à la propreté de ces espaces, et quand je regarde les habitants en prendre soin. Cela m’a fait beaucoup réfléchir : Nous sommes aujourd’hui un pays démocratique, qui se veut être moderne, il est donc important d’accorder de l’importance à ces lieux publics, ces lieux qui ont été la scène de la révolution, ces lieux qui ont vu des gens mourir pour la liberté. Ainsi depuis 4 ans j’ai en tête ce sujet, mais je n’ai jamais pris le temps de me documenter et comprendre l’histoire de ces espaces et l’évolution de leur pratique au cours du temps. Lors du choix du sujet de mémoire j’ai toute suite pensé à ce sujet car il me touche personnellement et c’est une problématique sur laquelle je veux continuer à travailler sur (3) Myriam Marzouki, article « Parler la dictature de Ben Ali », Le Monde 22/01/2011 14 Avant-propos EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S le long terme. Ainsi à travers ce mémoire je voulais connaitre l’histoire des places publiques à Tunis, le rapport des habitants à ces lieux à travers le temps, pourquoi ces espaces se sont dégradés et les raisons de ce manque d’appropriation de la part des tunisiens. Qui sont les responsables ? à travers ce travail je veux essayer d’étudier les sites à travers un travail de terrain et de documentation et de chercher les éventuelles solutions. 15 INTRODUCTION TE S L’espace public, terme apparu dans les travaux du philosophe allemand Jürgen Habermas en 1960, est « l’espace non bâti de la ville, l’espace appartenant au domaine public ou plus particulièrement la partie de la ville affectée à des usages publics »4. EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN Il désigne à la fois l’espace aménagé et l’espace pratiqué. Au sens politique, Habermas défini un « processus au cours duquel le public constitué d’individus faisant usage de leur raison, s’approprie la sphère publique contrôlée par l’autorité et la transforme en une sphère où la critique s’exerce contre le pouvoir de l’État »5, c’est ainsi un espace de médiation et d’expression entre les citoyens et les différents membres de la société civile. Il existe un lien de dépendance réciproque entre l’espace public « discursif » engendré par des individus se réunissant pour former « un public » et les espaces concrets conçus, imaginés, par les architectes et les urbanistes. C’est à la fois au niveau de l’impact visuel mais également au niveau des pratiques. En effet, l’aménagement de ces espaces conditionne voire impose parfois les pratiques. Une relecture d’Habermas (1988, 1992) met en évidence « le rôle que les espaces matériels occupent dans sa théorie de l’opinion publique et soutient que l’aménagement des espaces influence ou même impose les pratiques et qu’à leur tour les pratiques produisent l’espace6 »7. Nous nous intéressons donc à l’espace public « dans le double sens de l’espace physique ouvert conçu par les aménageurs et de l’espace interactif pratiqué par les citoyens où se forme le discours public politique »4 et culturel. Ainsi, outre sa dimension spatiale et architecturale, ce qui nous intéresse dans ce travail c’est aussi la dimension sociale (4) l’espace public dans la ville méditerranéenne, volume 1, ministère de la culture, montpellier, mars 1996 (5) Bauman Z., 2000, Liquid Modernity, Cambridge, Polity Press Sennett R., 1994, Flesh and Stone, Londres-Boston, Mass., Faber & Faber. (6) Arendt H, «Condition de l’homme moderne», 1958, Chicago, The University of Chicago Press. // De Certeau, M., 1990, L’Invention du quotidien, Paris, Gallimard. (7) Chiara Sebastiani et Sami Yassine Turki, « Espace (s) public(s) en Tunisie. De l’évolution des politiques aux mutations des pratiques », Les Cahiers d’EMAM 16 Introduction N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S et politique. La production d’espaces publics a commencé en Occident depuis l’Antiquité avec l’Agora, le forum, la piazza, ces espaces ont été conçu spécialement pour la vie politique et offraient à la population, la possibilité de s’exprimer dans un lieu public. Ces espaces sont propres au modèle d’urbanisation européen qui s’est impulsé dans l’Afrique du Nord par la colonisation au début du XX ème siècle, – et qui a continué à être une référence dans les extensions urbaines postérieures aux Indépendances. Cependant, ce qu’il faut comprendre, c’est que les villes du Maghreb n’ont pas eu le même vécu, ni la même histoire que les villes occidentales. La planification urbaine des villes européennes est différente de celle du monde arabo-musulman, et la notion même d’espace public au sens d’une place publique, ou d’un lieu vide appropriable par différents usages est inexistante. Dans les médinas les seuls espaces publics sont les souks, les rues et ruelles, les cafés, les hammams, les rahbas (espaces vides extra-muros où s’établissaient autrefois le marché aux mouton, aux chevaux, aux grains, …). L’arrivée de la colonisation a amorcé la mise en place d’espaces publics. Par ailleurs ces espaces sont restés peu appropriés par l’ensemble de la population. Ils sont aperçus comme des lieux de passage ou d’arrêt ponctuel. Un air de surveillance règne et la présence de l’image du dictateur sur des grandes affiches ne fait que conforter ce sentiment. EC O LE Ce n’est qu’avec l’avènement de la révolution en Tunisie que ces espaces ont connu leur apogée et ont été largement appropriés par les citoyens ; entre marches, sitin, affrontements, manifestations et luttes populaires, ces espaces ont été les véritables scènes de la révolution. En effet, les pratiques collectives des espaces publics des villes tunisiennes ont changé, témoignant de la naissance d’un nouvel « espace public » discursif et critique. Un vrai témoin de l’effervescence de la liberté, exprimé par les tunisiens sous forme d’œuvre d’art, de prise de paroles, de musique, de performance, etc. Les places publiques tel que La Kasbah, Le 17 Introduction N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Bardo, place Mohamed Ali devant le syndicat tunisien sont devenu de véritables emblèmes du soulèvement populaire. Ainsi, l’appropriation de l’espace public n’a pas cessé de s’élargir depuis la révolution. Et malheureusement s’est transformée souvent en anarchie (arrachement de pavé, vol de bancs publique, construction anarchique, etc). C’est donc ce passage de la non appropriation des lieux publiques à travers l’histoire de Tunis à la reconquête lors de la révolution puis la « sur-appropriation » ou encore la multiplication des incivilités qui ont fait que ses espaces se sont dégradés. C’est cette transformation qui nous m’intéresse dans ce mémoire. Ainsi plusieurs questions se posent est-ce un manque d’appropriation de la part de la population ? Ou un manque d’entretien de la part de l’état ? Comment cette notion d’espace public a-t-elle évoluée ? et qu’en pense le peuple tunisien de ces espaces ? Quelle est la limite entre appropriation et détournement ? Comment faire pour offrir des espaces plus facile à entretenir et surtout comment créer des espaces plus appropriables par la société ? D’où le choix de traiter ce sujet. Ces questions m’amènent donc à poser comme problématique : Comment la pratique des espaces publics a-t-elle évolué depuis la période coloniale ? et quel avenir pour ces espaces après la révolution ? EC O LE Nous étudierons en première partie L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution. Ensuite nous verrons le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places dans le contexte post-révolutionnaire, à travers une étude de cas de certaines places emblématiques. Pour finir nous verrons le rôle de la société civile dans la réappropriation des lieux publiques : rôle et difficultés rencontrés. 18 MÉTHODOLOGIE EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Avant d’analyser les espaces publics et leurs occupations actuelle en Tunisie. Il est important de faire un retour en arrière afin de comprendre comment ces espaces ont vu le jour. Ont-ils toujours exister ? ou est-ce une transposition d’un modèle occidental ? étaient-ils considérés depuis leur création comme des espaces-parvis ou avaient-ils une autre fonction ? Quelle est le rapport privé/ public dans le monde arabo-musulman ? Beaucoup de questions auxquels il faut répondre pour pouvoir comprendre le rapport que la société tunisienne a aujourd’hui vis-à-vis de ces espaces. J’ai alors effectué des recherches bibliographiques concernant l’histoire des places publiques à Tunis. Cependant, si l’histoire politique, institutionnelle et sociale de la ville de Tunis sont bien documentés, très peu d’ouvrages ou d’études ont été consacrées à l’histoire urbaine de la ville de Tunis et à l’évolution de sa forme. J’ai réalisé des recherches dans les bibliothèques en France ainsi qu’au centre de recherche à l’école nationale d’architecture et d’urbanisme de Tunis. J’ai fini par trouver un livre assez complet écrit en 2017 par Saloua Ferjani8, architecte-urbaniste et docteur en sciences du patrimoine. Le livre s’intitule « Les places publiques à Tunis sous le protectorat, naissance, essor et prémisses de disparition ». Elle traite l’histoire et l’évolution des places publiques de 1885 à 1956 tout en mettant en place une réflexion pluridisciplinaire qui associe l’histoire sociale et l’histoire des formes urbaines et architecturales. J’ai croisé ce livre avec des anciens cadastres et plans de la ville de Tunis ainsi qu’avec d’autres travaux dont plusieurs articles traitant de périodes plus récentes. (8) Saloua Ferjani : architecte-urbaniste et docteur en sciences du patrimoine, membre du Laboratoire d’Archéologie et d’Architecture Maghrébines(LAAM) à la faculté des lettres des Arts et des humanités de la Manouba (ville du grand Tunis), membre du comité directeur de l’Association Tunisienne des urbanistes. Elle a assuré le poste de chef de service de l’aménagement urbain à la direction régionale de l’équipement et de l’habitat de Tunis. Actuellement, elle est enseignante chercheur à l’école 19 Concernant cette première partie, j’ai essayé d’expliquer le contexte tunisien en le confrontant au modèle européen afin de comprendre en quoi il s’inspire, copie ou se distingue de celui-ci. EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Les deuxièmes et troisièmes parties ont beaucoup évolué au cours de la rédaction du mémoire et au fil des rencontres que j’ai pu effectuer. Au départ, je voulais réaliser une étude de cas de certaines places qui ont joué un rôle important dans la révolution afin d’essayer de comprendre quelles stratégies adopter au futur pour l’aménagement des places publiques. Cependant, après avoir effectué deux entretiens l’un avec le directeur de la construction et de la planification urbaine au sein de la municipalité de Tunis et l’autre avec madame Béatrice Dunoyer, directrice des programmes de l’association « l’Art rue » et après avoir discuté avec des acteurs de la société civile j’ai décidé d’étudier le rôle de l’état et de l’administration (municipalité de Tunis) à travers l’étude de cas de deux places et de le confronter à celui jouer par les associations. Afin d’effectuer cette analyse et d’étudier les transformations dans le contexte tunisien post-révolutionnaire, je me suis appuyé sur des produits des médias traditionnels et nouveaux (articles, colloques, témoignages sur des réseaux sociaux), je me suis également appuyée sur un ensemble d’observations de terrain que j’ai pu effectuer depuis 2011, des observations participantes, celles-ci ont pris la forme de discussions informelles avec des habitants qui pratiquaient l’espace public et des participants aux manifestations, de parcours commentés et d’échanges avec différents acteurs de la société civile. N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S 20 PARTIE .1 EC O LE L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution 21 A. La mise en tension de deux modèles, l’européen pardessus le local, le colonisateur importé à côté avec ou … le local vernaculaire : 01. Espace public : EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Durant les années 50, la société européenne « […] manifeste un besoin d’interaction et de communication (d’abord pour des raisons essentiellement économiques), qui la porte à s’intéresser au fonctionnement de l’État, au droit, à la fiscalité. Apparaissent alors une série de formes et des lieux de la sociabilité (salons, cafés, journaux) dont l’ensemble va constituer ce que Habermas appelle l’Öffentlichkeit9. Dans l’Öffentlichkeit, ce sont des personnes privées, égales entre elles, qui se rencontrent, discutent, entrent en relation. Dans cet espace et à travers ces pratiques, les opinions sortent de l’espace privé et sont mises en circulation, alimentant un débat collectif. »10 Jürgen Habermas publie alors en 1962 son livre « L’espace public » dans lequel il définit la notion d’espace public « le processus au cours duquel le public constitué par les individus faisant usage de leur raison s’approprie la sphère publique contrôlée par l’autorité et la transforme en une sphère où la critique s’exerce contre le pouvoir de l’État. »11. En ce sens, l’espace public est synonyme de sphère publique, le fondement de la communauté politique, c’est un espace symbolique, qui permet de relier entre eux des individus de différentes origines. Comme le définit Antoine Fleury c’est également un espace qui reflète l’image de la société et l’état du pays. L’espace public désigne à la fois l’espace métaphorique et l’espace matériel. En tant qu’espace métaphorique, il est l’espace civique de l’opinion publique synonyme de civique de l’opinion publique, (9) Öffentlichkeit = Espace public (10) Corinne DORIA, « Espace public et projet européen », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l’Europe [en ligne], 2015, (11)« Jurgen Habermas, L’Espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, titre original : Strukturwandel der Öffentlichkeit, 1962, p61 22 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution il est synonyme de sphère publique ou de débat public. En tant qu’espace matériel c’est un espace de rencontre. N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S D’après les travaux d’Hannah Arendt et de Sennett, c’est un lieu de légitimation du politique, un lieu où la population peut débattre, discuter, et exprimer son avis et sa volonté politique. Un lieu où les citoyens se sentent, dans une démocratie, auteur du droit et pas seulement destinataires du droit. C’est un « espace d’apparence », « « où la liberté peut devenir une réalité tangible ». Il est l’espace de la parole et de l’action, scène sur laquelle des hommes peuvent entre pairs venir échanger, délibérer, débattre avec passion et agir ensemble. Lieu de visibilité, qui offre tout et tous au regard, il est un lieu d’apparition : apparition de la réalité en tant que révélée par les différentes perspectives qu’elle dévoile alors, et apparition de « l’agent » lui-même, en tant que, vu et entendu par d’autres, il « se révèle dans la parole et dans l’action »12. C’est ainsi un lieu de transfiguration, conversion et actualisation au sens où la liberté y perd son caractère de virtualité. Les hommes y font l’expérience de la liberté. ».13 EC O LE C’est un espace qui n’est pas réduit à sa dimension institutionnelle, il est ouvert à tous les acteurs. C’est un espace qui se veut « universel » et où se développent des idées antagonistes.14 Selon les travaux des sociologues E.Goffman et I.Joseph, les espaces publics mettent en relation des gens qui se croisent, s’évitent, se frottent, se saluent, conversent, font connaissance, se quittent, s’ignorent, se heurtent, s’agressent. C’est dans ces espaces que le soi éprouve l’autre et perçoit sa propre différence. (12) Hannah Arendt, «Condition de l’homme moderne», 1958, p197 (13) Leméteil Élisabeth, «Arendt (Hannah)» Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 30 avril 2019. Dernière modification le 30 avril 2019 (14) Plusieurs auteurs, l’espace public, L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Le terme espace public englobe des lieux de proximité : les rues, les places, les espaces verts. Les lieux de commerces. Tous ces espaces n’ont pas forcément été pensés par des architectes, urbanistes ou ingénieurs, plusieurs sont une résultante de plusieurs constructions anarchiques. L’espace qui m’intéresse dans le cadre de ce mémoire c’est l’espace extérieur, appartenant à tous les citoyens et appropriables par l’ensemble de la population et plus particulièrement la place publique. 02. La place publique : EC O LE C’est un espace découvert, fermé et statique caractérisé par les bâtiments qui l’entourent. Son importance et son rôle varient selon les cultures, les époques et l’intensité de la vie publique. La place est reconnue pour son échelle de rayonnement, par exemple dans le cadre de ce mémoire, nous verrons quelles étaient les places choisies par le peuple tunisien pour revendiquer sa liberté? Et en quoi elles sont devenues des symboles? La place publique peut être un espace de proximité (placette, square), reconnu en tant que repère à l’échelle d’un petit quartier. Elle se distingue des autres espaces publiques : rue, voie, etc par une certaine dilatation de l’espace. La place publique est généralement un lieu d’activités communes, celui de l’exercice ou de l’expression d’un pouvoir. Cet espace large auquel aboutissent des rues et ruelles est un vide significatif et signifiant, dont la forme est un élément du paysage urbain. Contrairement aux espaces publics couverts, elle est un vide en soi qui contraste avec le plein que constituent ses parois. Elle peut être un carrefour de circulation, un dégagement devant un édifice (pour mettre en valeur sa façade) ou un vide entouré de bâtiment. Son tracé peut être géométrique, rigoureux ou pittoresquement irrégulier. La forme de la place publique dépend, en outre, de l’origine et du milieu de sa création. Les places de formes organiques se situent généralement dans les tissus médiévaux ou dans 23 24 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S ceux des médinas. A travers l’histoire et comme nous allons le voir à la suite de ce mémoire, la création des places publiques était tributaire de la volonté du pouvoir politique, de la puissance religieuse ou des acteurs sociaux. Dans le premier cas, elles étaient fondées comme lieu de rassemblement, de manifestation, de fête ou encore d’expression du pouvoir politique (mise en place de la propagande dans le cadre d’un régime totalitaire), de manière à impressionner le peuple. Dans le cas où la place était créée suite à une volonté religieuse, elle prend souvent l’aspect d’une place-parvis et sert à mettre en scène la façade d’un édifice religieux ou public. En dehors de son rôle fonctionnel, la place joue un rôle symbolique et social, c’est un lieu de rencontre, de sociabilité. Elle joue un rôle important dans la vie publique. En effet, la population attribue à la place une charge sociale et affective sous forme d’appropriation, d’usages et de pratiques. Sous le protectorat les places publiques ont été marquées par la transition urbaine et architecturale : une trame orthogonale structurée à partir de l’avenue Jules Ferry et l’avenue de Carthage, appelée la ville européenne (figure 1 et 2) est venue prolongée la ville ancienne à travers les remparts de la médina cette trame est parsemée de place publiques et de squares. De 1914 à 1956 nous assistons alors à une phase de transposition de modèle urbain européen pour répondre au mieux aux exigences de la nouvelle population européenne. La culture européenne s’insinue dans le mode de vie tunisien. En effet, traditionnellement la religion rythmait la vie dans la ville arabo musulmane, le mode de vie de la population est fondé sur le repli à une vie ouverte sur l’extérieur. La séparation privé/public est remarquable à travers le traçage même de la médina. En revanche, dans la nouvelle ville, il s’agit d’un brassage éthique sans discrimination apparente ou officielle. TE S L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN La médina La ville européenne Figure 1 : Plan de la ville de Tunis en 1895 EC O LE Source : Bibliothèques municipales de Chambéry, CAR AFR B 000.006 https://bibliotheque-numerique.chambery.fr/idurl/1/24628 Figure 2 : Zoom sur le quartier européen Source : J. Vanney et J. Cabaud, Tunis, Tunis, Imprimerie Ch. Weber & Cie, 1952 25 26 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution B. L’espace public à l’ère des beys EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Dans les villes arabo musulmanes le rapport privé-public pendant le XIXème siècle est particulier. L’espace public est dominé par les hommes. Les ruelles étroites de la médina sont de simples espaces de passages, les murs des maisons sont aveugles, aucune ouverture sur l’espace public n’est possible. Les places publiques existantes se présentaient comme un espace interstitiel ou comme un lieu d’échange purement économique. « C’est typiquement le cas des places au sein de la médina et ses faubourgs où l’aspect architectural est peu affirmé et les dimensions urbaines et sociales restent à définir à l’exception des deux places Kasba et Halfaouin »15 Ce qui différencie le public du privé c’est la forme du contrôle exercé plutôt que la nature juridique des espaces. Le privé serait donc le résidu de l’espace privé. Suite à la visite des Beys de Tunis de la France, et donc l’ouverture de la régence sur le monde extérieur. Une prise de conscience a été opérée et plusieurs réformes ont été adoptées afin d’améliorer les conditions de vie de la population : parmi ces réformes, l’introduction de nouveaux instruments juridiques, institutionnels et réglementaires dont principalement la création de la municipalité de Tunis. Elle est apparue dans un contexte urbain caractérisé par un parc immobilier vétuste et délabré. À cause du manque de moyens financiers, la municipalité n’a pas pu effectuer de grands travaux mais s’est quand même intéressée à la propreté de la ville de Tunis et a joué un rôle capital dans l’aménagement de la ville. Dans ce nouveau contexte, les places ont pris d’autres dimensions et sont devenues génératrices d’un nouveau regard sur l’espace public, elles se présentaient comme (15) Saloua Ferjani, les places publiques à Tunis sous le protectorat, Naissance essor et prémisses de disparition, Tunis, 2017, p76 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S éléments d’embellissement de la ville. Sur le plan urbain, cet aspect se traduit par la création des places-parvis pour mettre en valeur un édifice donné public ou parfois des demeures privées. L’édifice est alors implanté dans l’axe de symétrie de la place. Celle-ci a désormais une forme régulière et est dotée d’un traitement paysagé valorisant. Ainsi, quand c’est un bâtiment public, ses activités se prolongent sur la place et génèrent une animation voire une mixité sociale. Ces changements dans la politique de l’état traduisent les prémisses d’un changement dans la société, étroitement lié à l’arrivée en masse des communautés européennes. Ces nouveaux arrivants ont toujours eu un rapport différent à l’espace public que celui qu’entretenait les communautés autochtones. Les premiers ont hérité de la civilisation grecque le principe de l’Agora urbaine et le forum qui valorisent la citoyenneté, la mixité et la vie communautaire. Ce qui explique la volonté de la régence de rattraper ce retard à travers une nouvelle politique d’aménagement qui va s’amplifier davantage sous le protectorat français. C. L’espace public pendant la période coloniale EC O LE Le changement de régence en Tunisie et son passage au statut de protectorat français a fait que tous les pouvoirs ont été remis progressivement au gouvernement français. L’introduction de nouveaux instruments juridiques, institutionnels et réglementaires ainsi que l’apparition de nouveaux acteurs urbains ont accéléré l’extension de la ville et ont introduit un nouveau regard sur l’espace public, devenu un enjeu de développement de la ville. Un nouveau tracé adapté aux contraintes physiques, foncières et sociales de la ville a été créé par les ingénieurs de l’administration. « Ainsi, un axe fondateur Est-Ouest fut confirmé sur l’emprise de la promenade de la Marine, un deuxième orienté Nord-Sud, 27 28 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S lia les deux collines de Sîdî Belhassen au Bélvédère, les points culminants et les barrières physiques de la première extension de la ville de Tunis jusqu’à la période de l’après-guerre »16. Par la suite la ville moderne s’est développée progressivement suivant une trame orthogonale de rues et de ruelles, dont l’exécution s’est faite selon l’assèchement de la lagune et de l’assainissement foncier des terrains. Des places publiques ont été également créées dans la médina, avec des configurations urbaines qui s’inséraient dans le tissu médiéval en respectant son mode de fonctionnement général, et dans la ville moderne. Certaines de ces places avaient pour rôle d’assurer une transition urbaine entre d’une part la médina et d’autre part le nouveau tissu urbain Particulièrement sur le boulevard de contournement de la médina « traduisant la volonté de l’administration coloniale à tisser des liens avec l’ancien, le local et l’indigène »16. L’intervention de la municipalité dans la médina s’est caractérisée par la prudence, la préservation de l’urbanisme et le respect des anciennes pratiques. Ce qui évitait toute confrontation avec la population et qui pouvait être investie dans le développement touristique et économique. EC O LE Toutes les places traitées n’ont pas suscité le même intérêt. Cette différence s’explique par l’emplacement géographique de celle-ci, son accessibilité, son rôle fonctionnel et ses dimensions sociales et symboliques. Par exemple, le boulevard de la médina n’était pas une simple voie de desserte mais plutôt un axe de transition urbaine et architecturale, il a alors été ponctué par un certain nombre de places dont : Bâb al-Khadrâ, Kartâjanna et le square Al-Jazîra (figure 3). Ces places ont joué un rôle important dans les échanges économiques et l’amélioration de la desserte entre la médina et la ville nouvelle. La place Bâb al-Khadrâ, assure la liaison (16) Saloua Ferjani, les places publiques à Tunis sous le protectorat, Naissance essor et prémisses de disparition, Tunis, 2017, p145 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S entre le faubourg Nord, le bardo et les quartiers de la bourgeoisie juive de Tunis. La place Kartâjanna a été créée dans le cadre de l’alignement du boulevard de la médina et la recherche de nouveaux lieux de stationnement. Le square Al-Jazîra, située sur le tronçon sud du boulevard de la médina, joue un rôle charnière entre l’ancienne et la nouvelle ville. Son aménagement en square planté témoigne de la volonté de la municipalité de Tunis à embellir la ville à l’instar des places de la gare du Sud ou de celle de la résidence. D’autres places telles que : La place Sîdî Abdessalem a connu une intervention plus modeste pour mettre en avant un monument historique et libérer un petit dégagement qui sert de vestibule pour les échanges économiques et commerciaux. Le Square du Collège As-Sâdikî a connu un aménagement qui relève des intentions d’ordre politique et idéologique. Il s’agissait d’aménager le square à la française aux environs du nouveau centre du pouvoir colonial de la Kasbah. EC O LE A : Le Square du Collège As-Sâdikî B : La place Bâb al-Khadrâ C : La place Kartâjanna D : Le square Al-Jazîra E : Bab al Jazira Figure 3 : Plan de la médina Source : Encyclopédie de l’Afrique du Nord https://encyclopedie-afn.org/Plan_Tunis_-_Ville 29 30 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Ainsi, la volonté de préserver la ville ancienne et l’adapter un tracé orthogonal au site ont fait que la ville était réalisée sans transposer parfaitement un modèle métropolitain mais à travers une adaptation au site. Dans cette vision le tracé de la voirie était considéré comme base de la structure urbaine. L’implantation des places a été effectuée selon les exigences fonctionnelles de la ville. Ainsi les places étaient créées selon la nécessité : mettre en œuvre un édifice public, gérer la circulation. Pour cela la municipalité n’hésitait pas à engager des procédures d’acquisition foncière. « Bien que le souci d’embellissement ait été assez contraignant pour l’administration coloniale, celle-ci n’a pas instauré une direction à cet effet. Elle s’est contenté de faire intervenir des experts de la métropole pour la reproduction de certains modèles de parcs ou de squares. Mais, dans un deuxième temps, elle a mis en place un service de promenades publiques, de squares et de plantations, destiné à juxtaposer une trame verte sur une trame urbaine déjà réalisée »17. Un choix de 4000 arbres d’alignement a été effectué et 18 km d’arbres ont été plantés le long des principales avenues : avenue Jules Ferry (actuelle avenue Habib Bourguiba), avenue de Paris, avenue Gambatta. Bien que les espaces publics produits à l’époque n’ont pas été planifiés au préalable, ils sont le fruits d’une démarche assez cohérente de fonctionnalisme de la part des ingénieurs de la municipalité. « L’analyse des documents cartographiques de la ville de Tunis ainsi que des travaux effectués sur le terrain, nous ont permis de déduire que la plupart des places publiques implantées dans la ville moderne se concentraient sur les deux axes principaux de la ville : Jules Ferry, les avenues de Paris et de Carthage ou aux environs des grands équipements structurants : les Gares du Sud et du Nord, la résidence Française, etc. Elles étaient, (17) Saloua Ferjani, les places publiques à Tunis sous le protectorat, Naissance essor et prémisses de disparition, Tunis, 2017, p219 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S soit des places parvis et des squares, soit elles se substituaient à des carrefours de circulation »18. Ainsi l’avenue Jules Ferry (actuelle avenue Habib Bourguiba), théâtre de la révolution tunisienne, regroupe à elle seule trois places qui illustrent l’histoire urbaine de la ville de Tunis. La place de la bourse (actuelle place de la victoire), ancienne plateforme d’échange économique et social et qui constitue un lien entre la médina et la ville moderne. La place de la Résidence (actuelle place Ibn Khaldoun) qui annonçait une nouvelle ère dans l’histoire politique, sociale et urbaine de la ville de Tunis, car elle est marquée par la présence de deux éléments de repère à forte symbolique : la cathédrale, centre religieux et spirituel de la communauté française et l’hôtel consulaire, centre du pouvoir politique. Le square Jules Ferry (marqué par la statue de Jules Ferry et remplacé par la statue de Habib Bourguiba après la fin de la colonisation), implanté à la fin de l’avenue et sert à marquer la perspective de la promenade et renvoie à l’ouverture de la ville. Cependant, la majorité des édifices publics s’effectuait sur des boulevards, voire dans des rues sans soucis de composition avec les places existantes. Ce n’est qu’au cours des années 30 que nous allons voir des habitants s’engager dans le processus de viabilisation des rues et des places adjacentes. La municipalité a joué un rôle important dans le renforcement de l’image et de la fonction de certaines places publiques à travers la construction des édifices publiques autour de celles-ci. De même les acteurs privés ont participé à l’amélioration de quelques places publiques à travers la construction d’immeubles de rapports et de villas. Or les enjeux de la municipalité et des acteurs privés, ainsi que les capacités financières réservés aux bâtiments ont donné plus ou moins d’importance à ces places. Ainsi certains espaces ont eu un rayonnement à l’échelle de la ville, d’autres à (18) Saloua Ferjani, les places publiques à Tunis sous le protectorat, Naissance essor et prémisses de disparition, Tunis, 2017, p220 31 32 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S l’échelle du quartier et certains ont été réduits à de simples dégagements. « A travers le soin accordé à l’édification de leurs immeubles de rapport ou de leurs villas, les promoteurs privés et les propriétaires réussirent à donner un caractère à quelques places sur lesquelles se situaient leurs propriétés. Pour certains, cette recherche esthétique s’est toujours accompagnée d’une volonté de s’affirmer socialement »19 et de montrer sa richesse. Le développement de la spéculation immobilière avec l’arrivée des français venus s’installer en Tunisie a toutefois participé à la construction de la ville et à la définition de son paysage urbain. En effet, le style architectural des constructions autour des places était variable, ce qui engendrait des façades urbaines différentes les unes des autres. Ainsi, dans la zone nord, habitée principalement par la bourgeoisie française ou par des notables, les villas et les immeubles ont des façades valorisantes, riches en élément décoratifs et moulures, caractérisé par une diversité des styles architecturaux (éclectisme, Haussmannien,…). EC O LE Cette diversité fut confirmée à travers la diversité des typologies de constructions et leurs implantations en retrait ou sur l’alignement des parcelles. Ce qui donne une certaine légèreté à la place et un aspect paysagé très riche. L’importance des places est accentuée par la mise en place d’édifices publics à valeur symbolique par exemple l’institut Pasteur, la piscine municipale, les bureaux de postes sur la place Pasteur et l’église sur la place Jeanne d’Arc. Ces édifices sont l’œuvre des architectes et des corps de métier spécialisé. En revanche, le zone centrale, habitée par une population hétérogène composée de français, d’Italiens et de juifs était plus dense et dominée par des immeubles de hauteurs importantes (R+3 à R+5). La plupart des immeubles étaient dotés d’un traitement architectural modeste. Nous (19) Saloua Ferjani, les places publiques à Tunis sous le protectorat, Naissance essor et prémisses de disparition, Tunis, 2017, p290 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S distinguons dans cette zone deux grandes places : places d’Utique et Verdun qui reproduisent le modèle des places fermées par la continuité des immeubles. Ces places étaient par contre animés par les commerces en rez-de-chaussée. En ce qui concerne la zone Sud, ou comme jadis appelée petite Sicile, du point de vue origine foncière, nature géologique (marécage) et position géographique (proximité du port). Elle a bénéficié d’un traitement différent des autres zones. Ainsi dans le cadre de l’aménagement du port de Tunis orchestré par la municipalité, la société du port a obtenu l’autorisation de lotir des terrains riverains, et de les affecter en zone portuaire et en dépôts. Dans cette logique fonctionnaliste, la petite Sicile était appelée à jouer un rôle plutôt économique en tant que zone portuaire, industrielle. Ainsi le tracé de la zone fut déterminé par une trame orthogonale. Deux places publiques ont été aménagées le long de l’axe qui assure le lien entre la zone Sud et la ville. La place Moncef Bey et le square Wiriot (place du phare), qui avaient pour rôle d’organiser la circulation automobile. Ces places avaient un aspect architectural très modeste. En effet, la plupart des bâtiments qui les entourent sont des entrepôts. Pour résumer, l’état français a adopté trois stratégies pour la recherche de conciliation entre le modèle local et le modèle transposé. La première stratégie (années 1920) fut la substitution des éléments locaux par ceux importés. La deuxième stratégie, « fut qualifié par HUET « d’orientaliste » étant donné qu’elle paraissait plus analytique et plus descriptive que productive »20. La troisième cherchaient plutôt un compromis entre les deux cultures où s’exprimait une modernité faite de simplicité, et d’intégration avec l’environnement. Une sorte d’arabisance du modèle européen. (20) Saloua Ferjani, les places publiques à Tunis sous le protectorat, Naissance essor et prémisses de disparition, Tunis, 2017, p219 33 34 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S « Malgré la modestie de leurs superficies, de leurs traitements paysagés et de leurs aspects architecturaux, les places de Tunis témoignent d’une certaine richesse au niveau de l’inspiration et de la création architecturale. Elles révèlent aussi le talent des concepteurs et des réalisateurs qui les ont créées. Les concepteurs ont réalisé des espaces publics conformes aux nouvelles fonctions politiques de la ville. Car il fallait reformuler l’espace public selon les exigences des nouveaux codes de l’architecture française », chose qui a été appliquée dans la ville moderne et les nouveaux quartiers. « Cette nouvelle transformation qui venait s’ajouter au paysage urbain, fit l’objet de nombreux enjeux politiques. »21. Ces places ont également participé à la gestion des flux, à l’embellissement de la ville et à l’amélioration de la qualité de vie. Ainsi ils sont devenus des lieux de rencontre avec une mixité de la population. Ils sont également devenus théâtre de différents événements sociaux et politiques. L’émergence de ces espaces publics a favorisé un certain brassage éthique, la culture européenne s’est mélangée à la culture arabomusulmane, ce qui fut à l’origine d’une transformation progressive des anciens systèmes socio-économiques. Il est à noter cet essor des places a été suivi d’une décadence en fin de la période du protectorat, essentiellement lié à la spéculation foncière. Certaines places ont été réduite en volume (exemple : Utique devenu l’hypermarché Lafayette) d’autres sont disparues. (21) Saloua Ferjani, les places publiques à Tunis sous le protectorat, Naissance essor et prémisses de disparition, Tunis, 2017, p219 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution D. L’espace public sous la dictature 01. Un support de propagande EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Au lendemain de l’indépendance, la ville de Tunis a connu une vague d’exode rural massif et d’étalement urbain. Ainsi les premières initiatives d’aménagement cherchèrent à doter la ville de Tunis de structures urbaines modernes, facilitant son accessibilité et sa desserte et d’embellir la capitale. Ainsi « de grandes opérations de rénovation furent envisagées dans la médina, en plus de la création de nouvelles centralités urbaines dans la zone Nord de Tunis »22. Ensuite, dans cette volonté d’ouvrir la médina et faciliter la circulation, la municipalité fit détruire l’enceinte qui enveloppait la vieille ville et de nombreuses portes, ce qui a permis d’élargir les boulevards. Pour désenclaver la partie Ouest de Tunis et pour une meilleure liaison avec le boulevard périphérique, l’administration centrale envisagea la destruction de la vieille Kasba : le mur d’enceinte, la porte d’entrée ainsi que les bureaux et les casernes précédemment occupées par l’armée française. L’emprise ainsi libérée et s’étendant sur 16 hectares, était transformée en une large place piétonne avec un parking en sous-sol. La volonté politique d’améliorer l’image de la ville a été aperçu à travers la promulgation de nouveaux textes juridiques permettant de débloquer certaines situations foncières compliquées, de créer des espaces verts en transformant les anciens cimetières et de trouver de nouvelles réserves foncières pour la construction des nouveaux quartiers. L’espace public est le reflet de l’état du pays, pour cela une mise en scène de cet espace était nécessaire afin de montrer et valoriser la souveraineté de l’état et son indépendance. Elle se concrétise par l’enlèvement immédiat de toutes les (22) (Saloua Ferjani, les places publiques à Tunis sous le protectorat, Naissance essor et prémisses de disparition, Tunis, 2017, p377 35 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution 36 N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S statues, relatives à la colonisation, érigées sur les places publiques. De nouvelles statues du président Bourguiba ont été mise à la place. Les noms des rues et des places ont été également modifiés. Consciente des enjeux urbains la municipalité de Tunis a mis en place une trame verte sous forme d’alignement, de jardins et de squares. Dans les année 1970, la ville de Tunis connait un étalement urbain et une croissance de ses périphéries. Cependant, le centre-ville concentre toutes les fonctions urbaines, les ministères, les activités tertiaires, les loisirs, la culture, etc. Pendant ce temps, la municipalité a déployé les grands moyens pour réaménager des places existantes et pour en créer d’autres. Nous pouvons citer le réaménagement de : EC O LE • L’ancienne place Jules Ferry (avenue Habib Bourguiba) : Dans le cadre de son aménagement, la municipalité a acquis quelques constructions riveraines : un RDC de bureaux à l’angle de l’Avenue et qui s’étale sur 72 m², elle a acheté un terrain nu de 452 m² situé à l’angle de l’avenue Med V, ainsi que deux autres parcelles à l’angle de l’avenue Jean Jaurès. Après l’acquisition des terrains, la ville procède à l’aménagement de la place, qui prend la forme circulaire, afin d’assurer son rôle de place giratoire, Au centre la statue de Jules Ferry a été installée. (Figure 4 et 7) Plus tard une statue du président Habib Bourguiba victorieux sur son cheval fut placée au centre. A son arrivée au pouvoir, Ben Ali décide d’enlever la statue et à quelques mètres plus loin il a mis en place une horloge géante et une fontaine. (Figures 5 et 7) Après la révolution, suite à une décision du premier ministre de l’époque béji Caid Essebsi et en respect de la volonté du peuple, la statue de Bourguiba a été replacée à proximité de son emplacement d’origine. (Figure 6 et 7) N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution Figure 4 : Vue aérienne Avenue Jules Ferry Source: Tunis Webdo http://www.webdo.tn/2018/09/28/qui-etait-jules-ferry-dont-laplus-grande-avenue-de-tunis-a-porte-le-nom/ Figure 5 : Vue aérienne Avenue Habib Bourguiba EC O LE Source: Anon., “Réaménagement de l฀Avenue Habib Bourguiba, Tunis,” Architecture méditerranéenne: La Tunisie Modèrne (2007),ed. Robert F. C. Khaïat, 97 Figure 6 : Statue Habib Bourguiba Crédit : Zoubeir Souissi / Reuters 37 38 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S • L’ancienne place Anatole France, actuelle place de la république. Le nouvel aménagement de cette place a réduit son rôle à une place de transit, la priorité est donnée aux déplacements, aux flux de véhicules et de transports en communs (tramway). En effet, son aménagement consiste en la mise en place d’une ligne de métro léger et l’implantation de la station de la république. Son emprise a été incorporée à la voie publique au profit du prolongement des avenues de la liberté, de Paris et des lignes de métro léger. Ainsi du point de vue aménager, la place n’existe plus, aucun mobilier urbain n’est mis en place et la circulation piétonne est très difficile. EC O LE Et la création de deux places importantes : Place des droits de l’Homme et place Barcelone, les deux places ont été aménagée en espace vert. L’aménagement de la place des droits de l’Homme a été initié par le ministère de l’environnement en collaboration avec la municipalité de Tunis et l’hôtel Abou Nawess qui donnait sur cette place. Elle a été aménagée selon un modèle de jardin Andalou. « Son centre était occupé par un plan d’eau longitudinale, d’où émergeaient des ramifications perpendiculaires avec des allées principales qui se ramifiaient à leur tour sur des allées de formes courbes. Le jardin était équipé d’un mobilier riche et diversifié dont : quatre kiosques en bois pour le repos, (…), une sculpture, des banquettes en béton couverte de marbre, des poubelles en bois et éclairage au sol »23. La place est également végétalisée. Vers les années 80, la ville de Tunis change de statut et devient région urbaine, ce nouveau contexte implique de nouvelles mesures dont la décentralisation avec le prolongement des lignes de métro ce qui finalement a engendré la disparition (23) Saloua Ferjani, les places publiques à Tunis sous le protectorat, Naissance essor et prémisses de disparition, Tunis, 2017, p377 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution S TE AN N Place de l’indépendance et statue Ibn Khaldoun EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R Figure 7 : Photo aérienne de l’avenue Habib Bourguiba Source : Google earth Place de la victoire N Statue Habib Bourguiba Horloge 39 40 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S et l’enclavement de certaines places (ex : place Barcelone). D’autres atteintes aux espaces publics ont été enregistrées durant cette période. La municipalité a mis en place des partenariats avec des institutions privées à l’issue desquels, ces dernières s’engagèrent à prendre en charge les frais de gestion des places publiques en contrepartie, l’institution partenaire peut profiter de l’espace à sa disposition pour promouvoir son image de marque à travers l’obtention d’un parvis pour son siège. Toutefois, cette stratégie réduit l’usage des places publiques et les soumit à de nouvelles contraintes, de sorte que les usagers furent privés de jouir librement de leurs espaces communs. EC O LE Le 7 Novembre 1987, marque l’arrivée au pouvoir du président Ben Ali suite au coup d’état, l’importance des places dans la démonstration de force du régime politique a été clairement perceptible. En effet, dans tous les espaces publics on retrouve de grands posters et affiches du portrait du dictateur avec des slogans ou des extraits de ses discours. Plusieurs places ont été renommées à travers toute la Tunisie : place du 7 novembre, Des statues et des décors avec le chiffre 7 ont été installés à la place des statues de H.Bourguiba sur les places réaménagées : par exemple sur la place d’Afrique, une horloge du 7 novembre a été édifiée, emblème du nouveau régime. Puis à l’occasion des jeux méditerranéens et dans le cadre du projet d’embellissement de l’avenue Habib Bourguiba la place fit l’objet d’un aménagement plus important. Ainsi une horloge plus grande, une fontaine musicale et un grand plan d’eau occupe désormais son emprise. Et sur des places nouvellement créées (par exemple : la place du Bardo). Pendant les années 2000, et par soucis de sensibilisation de la population vis-à-vis de la pollution, une mascotte : un fennec a été inventé. Il était le protagoniste de plusieurs spots publicitaires à la télévision et des affiches dans les rues. Des statues du fennec ont été posés sur plusieurs espaces. L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Cette initiative a participé à l’embellissement de plusieurs espaces publics. Cette volonté de démonstration du pouvoir politique sous les deux dictateurs, a créé un climat de peur et de méfiance. L’espace public est devenu un espace contrôlé où la population n’est pas libre de ses actions, ni de sa parole. Il est interdit de critiquer le régime en place, cet espace n’appartient plus à la population mais au président. A travers l’embellissement des rues ils cherchent à embellir leurs images. Ils ont aménagé des places et oublié d’autres. Tous les chemins par lesquelles ils passent étaient bien entretenus. 02. Les lieux publics dans la médina, un parcours commercial en opposition au parcours résidentiel EC O LE Le lieu, tel que défini par Alain Rey, est « une portion déterminée d’espace, c’est un espace précis, un endroit concret, matérialisé, propice à l’échange et à la rencontre » (Alain Rey, p1125). D’après la définition du CNRTL le lieu est une portion déterminée de l’espace. L’espace est déterminé par sa situation dans un ensemble, par la chose qui s’y trouve ou l’événement qui s’y produit. Dans le cadre de ce mémoire, les lieux désignent les espaces urbains publics ou communs, aménagés pour être accessibles aux habitants de la ville. Historiquement, les lieux publics dans les pays musulmans sont soit des lieux de passage ou des lieux de commerces. Il n’y a pas de mixité, ces espaces sont réservés aux hommes. Les femmes ne doivent pas sortir et en cas de besoin elles doivent se couvrir et aller d’un point A à un point B. L’idée de déambulation, de promenade était inexistante. En effet, la configuration de la médina avec ses ruelles étroites ne favorise pas forcément l’échange. Le mode de vie de la population est fondé sur le repli identitaire et la séparation public/privé est très visible au niveau architectural avec des maisons fondées autour de patio central, rares sont les fenêtres qui donnent 41 42 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S sur l’espace public. Les lieux publics sont donc les rues (appelés également Nahj, ils servent à desservir les maisons en privatisant au maximum leurs accès), les zankas (les impasses), les souks sont les lieux de sociabilités les plus fréquentés avant le protectorat et même pendant. Ils existent 42 souks situé au cœur de la médina à proximité de la ville européenne et de la mosquée Zitouna24. Ces lieux sont le moteur économique de la médina, c’est là où se déroule les activités de négoce avec l’étranger, la production artisanale et le commerce de produits agricoles provenant des compagnes, les rahbas sont des espaces libres extra-muros, où s’établissent autrefois les marchés aux chevaux, aux moutons, ou aux grains. Ils constituent des lieux d’échange et de rencontre entre les différentes couches sociales. Ce sont des lieux vastes conçus pour le commerce. Ajouter à cela les cafés, ce sont des lieux publics où les hommes se retrouvaient pour discuter, autour d’un café, écouter la radio, fumer, jouer aux cartes ou autre et se reposer. Pendant longtemps la femme n’avait pas sa place dans ces espaces, ce sont les hommes qui avaient le droit de sortir, aller aux marchés, aux souks et ramener ce qu’il faut à la maison. Ces lieux publics sont donc destinés et dominés par les hommes, la mixité de population est quasi inexistante. Ce n’est qu’avec l’arrivée du protectorat français que les femmes européennes vont commencer à investir les lieux publics. Ce qui va pousser les femmes tunisiennes issus du milieu aisé à « se libérer » et à concilier islam et modernité en s’intégrant d’avantage dans le modèle culturel français. Pas seulement pour des raisons fonctionnelles (aller d’un lieu à un autre) mais pour participer à des manifestations, aller à l’école et côtoyer les hommes à pieds d’égalité. Cependant une réticence de la part de la (24) Plus grande et la plus ancienne mosquée de Tunis L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S communauté tunisienne est ressentie vis-à-vis du mode de vie de ses femmes. Le brassage éthique est donc réservé à une élite. La véritable émancipation de la femme tunisienne s’est effectué sous le régime de Bourguiba. Il a créé le code du statut personnel dans lequel il a donné à la femme tunisienne ses droits. Il a rendu obligatoire l’éducation pour tous, le voile (ou comme appelé en Tunisie el sefsari) n’est plus obligatoire, elle est libre de le porter ou de l’enlever. La femme a connu une nouvelle position sociale au fur et à mesure du temps, une transformation des mentalités s’est opéré notamment grâce à l’accès à l’éducation pour tous, devenu obligatoire et gratuite pour tous les tunisien. L’espace public est devenu accessible à tous et la mixité sociale et éthique est devenue l’une des caractéristiques de la société Tunisienne. 43 44 N N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R Figure 8 : Boutiques à l’entrée des souks AN TE S L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution Figure 10 : Souk El Kmach (textile) EC O LE Figure 9 : Souk EN Nhas (cuivre) et café Ellouze Figure 11 : Ruelles de la médina Crédit : Photos prises par moi le 06/08/2019 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution 03. Les lieux de l’expression publique au temps révolutionnaire EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Ces lieux publics qui ont connu les différentes évolutions de la société tunisienne : de la domination masculine, à l’émancipation de la femme et la mixité de la population, à la dictature et la propagande mise en place par les deux régimes dictatoriaux. Ils ont également été le lieu et le théâtre du déclenchement de la révolution. C’est dans un lieu public, que la première étincelle de la révolution a eu lieu. Mohamed Bouazizi, un jeune marchand déambulant s’immolait par le feu à Sidi Bouzid, pour montrer sa colère et le sentiment de répression ressenti sous l’ancien régime. Le soir même de son geste désespéré des incidents éclatent à Sidi Bouzid et très rapidement, via les réseaux sociaux, des comités de soutien se sont créés et la colère gagne tout le pays. Plusieurs appels à la lutte populaire, ont donné lieu à de nombreux affrontements entre la police et la population, formé essentiellement de jeunes : femmes et hommes à pieds d’égalité. Les poches de résistance qui jadis se limitait à une minorité de politiciens qui luttaient à partir de leurs propres domiciles ou dans des lieux à l’abri de la police se sont étendues et ont investi les lieux publics, les cafés, les places publiques, les marchés sont devenus des lieux de discussion, de critique, de lutte. Ils ont culminé avec la démonstration de masse qui s’est déployée sur l’avenue Habib Bourguiba le 14 janvier 2011 et qui a abouti à la chute du régime de Ben Ali. Le tunisien a vécu un moment historique de réconciliation avec son espace public qu’il l’a transformé en une véritable « agora urbaine ». C’est à partir de là que s’est constitué un nouveau type d’espace - l’espace public politique – un type d’espace (25) Jurgen Habermas, «L’Espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise», titre original : Strukturwandel der Öffentlichkeit, 1962 (26) Chiara Sebastiani et Sami Yassine Turki, « Espace (s) public(s) en Tunisie. De l’évolution des politiques aux mutations des pratiques », 45 46 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S inédit dans les pays arabes qui a pris en premier lieu la forme de ce que Habermas appelle « l’espace public occasionnel »25, c’est-à-dire l’espace occasionnel et éphémère. « C’est autour des comités de protection des quartiers que se sont constitués ces premiers noyaux. Ces comités se sont créés spontanément pour protéger maisons et quartiers tant des violences exercées par des milices constituées par des tenants de l’Ancien régime que des risques de pillage et de vandalisme. Réunissant des personnes appartenant à diverses catégories sociales, qui passaient la nuit sur la voie publique, munis de bâtons et autres instruments rudimentaires, ils sont rapidement devenus des occasions pour engager des discussions et échanger informations et opinions : « Je n’ai connu mes voisins et discuté avec eux que ces jours-ci », nous déclare ainsi un universitaire habitant dans le quartier de Sidi Daoud, au nord de Tunis (sur la route menant de Tunis à La Marsa).»26. EC O LE La révolution a donc transformé tous les lieux publics en lieux publics politiques. Partout, dans la rue, dans les cafés, dans le marché, dans les places. Tout le monde parle politique, tout le monde discute et donne son avis, entre joie, enthousiasme, peur de l’avenir, de ce qui peut se passer. Ces lieux sont devenus de véritable espaces de sociabilité. L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution E. L’espace public sous la révolution 01. L’espace public, comme lieu d’expression EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Le 14 janvier 2011 une année qui a marqué l’histoire récente de la Tunisie, sur le plan politique, économique et social. Cette tournure historique a également marqué l’espace public, qui est devenu un témoin d’une démocratie naissante. Le Tunisien s’est réapproprié son espace public et l’a transformé en un lieu d’expression à travers les débats politiques, les sitin, les manifestations. Pendant la révolution, il n’y avait pas de leader mais le peuple lui-même était le chef d’orchestre de son propre soulèvement. Ainsi, chacun a choisi sa manière de s’exprimer entre ceux qui ont préféré écrire sur les pancartes, d’autres qui ont choisi de chanter par exemple : « Bendir Man » qui a composé plusieurs parodies sur Ben Ali, Amel Mathlouthi, qui a chanté « Kelmti Horra » (ma parole est libre) et qui s’est fait connaitre dans le monde entier. D’autres comme Monji Rahoui un avocat, a choisi de sortir le soir du 14 janvier alors que c’était le couvre-feu et de faire un discours spontané sur la liberté ou encore Sghaier Ouled Ahmed, un poète a choisi de s’exprimer en écrivant un poème et le diffuser dans l’espace public. Les espaces et places publics se sont transformés, adaptés ensuite étalés sur une nouvelle forme de pistes créatrices et l’on est passé de la contestation à l’émotion. En effet, de nombreux fresques et Graffitis, autrement appelé « street art » ou art rue, ont transformé certains espaces en une galerie à ciel ouvert, où dominent sujets et symboles liés à la révolution et à la liberté et des appels à la nécessité de continuer et de ne pas baisser les bras. « Depuis janvier 2011, (27) Selima Karoui, « La place de l’art dans l’espace public tunisien », partie 1 mis en ligne le 3 Mars 2014 47 48 EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S il est incontestable que l’art tuniso-tunisien veut se faire « dans la ville », que ce soit dans la cité ou dans les quelques trop rares manifestations et actions artistiques faites dans les régions. Des artistes, des groupes et des collectifs d’artistes, s’affrontent et affrontent l’espace public, l’assaillant littéralement de leurs nouveaux modes d’intervention. La rue est devenue une « scène », où l’artiste se doit d’agir sur le devenir de sa cité, car sa position actuelle ne peut se faire en dehors de la citoyenneté. Alors, son identité d’activiste dépassant l’unique artiste dans son approche minimaliste, voir trop simpliste, a totalement épousé son statut nourricier d’une approche et d’un accès autre à l’œuvre artistique : celle qui vit dans et pour l’espace public. »27 Parmi les œuvres d’art qui ont marqué la révolution, outre les tags qui ont occupé tous les murs de la ville, nous pouvons citer le projet de la galerie à ciel ouvert, lancé par les artistes de l’institut des beaux-arts de Tunis, au niveau du pont de la république (le pont qui traverse l’avenue Habib Bourguiba) et soutenu par le ministère des affaires culturelles, la municipalité ainsi que l’Union des Plasticiens tunisiens. 130 fresques ont été créées par des artistes tunisiens et étrangers, où dominent sujets et symboles liés à la Révolution, sans que pour autant les références à la culture nationale ou à d’autres thèmes soient totalement absents. Plusieurs autres événements ont eu lieu ; entre danse, dessins, performance artistiques, le tunisien exprime son désir à se réapproprier cet espace difficilement accessible avant 2011. Cette volonté est collective, ce qui explique la multiplication des associations à vocation d’améliorer le rapport du tunisien à son espace public. L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution 02. Un réaménagement symbolique de l’espace public EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Outre les forme d’expression vu précédemment, le peuple tunisien s’est également occupé des symboles omniprésents de l’ancien régime, il a donc lancé une opération de réaménagement symbolique : élimination et destruction des portraits et des affiches du dictateur Ben Ali, en les brulants ou les mettant par terre pour que les voitures roulent dessus. Les plaques et les places dont le nom évoquait trop explicitement l’ancien régime ont été détruits ou masqués par les tags : par exemple, le parc Abidine à Carthage ou les multiples places du 7 novembre 1987 présents un peu partout dans le pays. Ce réaménagement ne s’est pas seulement limité à la destruction mais il a abouti à l’aménagement de certains monuments en hommage aux martyrs de la révolution : par exemple dans la cité Zouhour à Kasserine une place a été rebaptisé « martyr », entièrement financée, construite et aménagée par les habitants pour commémorer les victimes tombées en ce lieu (figure 12). Figure 12 : Réaménagement de la place des Martyrs du quartier Zouhour à Kasserine. Crédit : C. Sebastiani & Y. Turki, février 2011. 49 50 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S La généralisation des pratiques interactives spontanées entre discussions publics, discours, débats et réappropriation des lieux publics par les différentes manifestations et la transformation symbolique des espaces à l’initiative des habitants s’est propagée de manière assez rapide dans la population témoignant de la naissance de ce nouvel espace, l’espace politique et témoignant du changement de mentalités. En effet, nous avons pu remarquer des évolutions en matière de participation à la vie locale, et associative. Cependant cette effervescence de liberté n’a pas eu que de bonnes conséquences mais bien au contraire. 03. L’espace public comme témoin du chaos EC O LE Suite à la révolution, l’état s’est fortement affaibli, et a perdu toute autorité. Ce vide au niveau du pouvoir et le laxisme des responsables ajouter à l’excès de liberté ou plus justement aux incivilités d’une grande partie de la population a laissé aller beaucoup d’infractions : Les bancs publics ont été volés et cassés dans les espaces publics, le marbre et la faïence arrachés, les poubelles sont jetées partout, certains espaces publics sont devenus des déchèteries à ciel ouvert. Des constructions anarchiques de petits kiosques, et même parfois d’habitations se sont multipliés sur les espaces publics, sans aucune autorisation de l’état. Sabhi Gorgi un architecte « n’en finit pas de fulminer contre le laisser-aller, le coupable laxisme des autorités face à une urbanité tunisienne défigurée par les empiétements illicites, cette sournoise poussée conquérante d’intérêts privés au détriment du collectif »28. Cette accumulation de comportement illicite a fait fuir les usagers habituels des places et des espaces publics. Plusieurs délinquants ont en fait leur nouveau terrain de (28) Frédéric Bobin (Tunis, correspondant), « En Tunisie, la guerre des trottoirs est déclarée », LE MONDE, publié le 30.06.2017 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S jeu surtout au niveau des espaces situés dans les quartiers populaires. L’inconfort et l’insécurité ont fait que la plupart des tunisiens bien que malheureux de l’état dans lequel se trouve leur pays, ne s’approprient plus l’espace et participent même à sa dégradation. Contrairement à la période de la révolution l’espace publics tunisien n’est plus caractérisé par un brassage de la population. J’ai pu remarquer à travers mes observations que très peu de femmes fréquentent ces espaces en fin d’après-midi et le soir, elles sont présentes le matin. En discutant avec quelques-unes elles m’ont affirmé leur sentiment de peur d’être agresser. De plus les usagers qui fréquentent ces espaces sont essentiellement de classe moyenne et pauvre. Cette détérioration des biens communs est donc en très grande partie la responsabilité des Tunisiens, qui suite à la révolution n’ont pas pris soin de leurs espaces. Cependant aujourd’hui la plupart des personnes avec qui j’ai discuté pensent que le problème n’est pas seulement lié au citoyen mais c’est la faute de l’état qui n’entretient pas ces espaces et ne les nettoie pas. Aujourd’hui, l’état Tunisien essaye de reprendre le dessus en réaménageant des places et en détruisant les constructions anarchiques, mais faute de moyens en plus du manque de coopération de la part de la population, son action reste limitée. Pour cela les actions de certaines associations sont importantes notamment pour la sensibilisation de la population. Outre les associations plusieurs groupes sur les réseaux sociaux (facebook par exemple) ont vu le jour, leur objectif est de rendre public les incivilités et les infractions qui ont lieu tous les jours. L’un de ces groupes s’appelle « WINOU ETROTTOIR???... » (Où est le trottoir ?). « En Tunisie, la guerre des trottoirs est déclarée, Un mouvement 51 52 L’évolution de la notion d’espace public dans la société tunisienne : depuis le protectorat français jusqu’à la révolution EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S citoyen baptisé Winou Etrottoir (« Où est le trottoir ? ») bouscule les autorités en menant la bataille contre l’occupation sauvage des espaces publics.»28. Le groupe quant à lui se décrit ainsi « […] Ce groupe reste spontané citoyen et non partisan Son objectif principal est une ville propre nettoyée de ces appendices qui entravent notre liberté de circuler... ». Ce groupe existe depuis quatre ans sur Facebook avec plus de 100.000 membres, tous de simples citoyens tunisien qui veulent du changement. Chacun de sa place essaye de rendre public les incivilités qu’il voit et essaye de faire réagir la population et l’état mais le changement est très loin d’être fait. LE EC O N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN S TE 53 LE EC O N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN S TE 54 N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S 55 PARTIE .2 EC O LE Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution 56 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution A. L’aménagement des places publiques de 2011 à 2014 01. Priorité au maintien de la sécurité EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Suite à la révolution de janvier 2011, il y a eu une période d’instabilité, plusieurs infractions ont eu lieu au niveau des places comme c’est expliqué dans la première partie. Outre la destruction du mobilier urbain, et les constructions anarchiques au niveau de l’espace public, plusieurs groupes de malfaiteurs se sont formés. Les vols de magasins, d’usines, de commerces petits et grands, les cambriolages des maisons se sont multipliés. Les propriétés de la famille du président laissés à l’abandon après leur fuite et appartenant désormais à l’état en tant que « biens confisquées » ont été entièrement pillé, plongeant encore plus l’état dans une crise économique. Outre ces débordements matériels, les agressions et les vols à mains armées se sont multipliés à n’importe quelle heure et à n’importe quel lieu. Les gens ont peur de sortir dehors, les espaces publics sont de moins en moins fréquentés et deviennent des lieux de passage. L’état quant à lui essaye de protéger au mieux les centres du pouvoir au niveau national et régional. Devant tous les ministères, les mairies et les municipalités il y a des camions militaires, des chars d’assaut et un périmètre de sécurité délimité par les fils barbelés. Durant cette période il y avait le couvre-feu à 18h personne ne pouvait circuler sauf pour urgence. Un climat d’insécurité régnait. Le 23 Octobre 2011, il y a eu les élections qui ont abouti à la formation de la Troïka formée par les trois partis vainqueurs mais la majorité reviens à Ennahdha, le parti islamique. Ce fût le début d’une des périodes les plus sombres de l’histoire de la Tunisie. Le terrorisme s’est proliféré. L’espace public est désormais occupé par les tentes pour plaidoyer et appeler à Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution TE S l’application de la charia29. Plusieurs attentats ont eu lieu, et deux assassinats politiques contre deux leaders de la gauche ont été le tournant de la situation. L’espace public a été donc re-confisqué à la population et la priorité était le maintien de la sécurité, mais l’état était beaucoup trop faible et débordé pour pouvoir lutter contre la montée de l’extrémisme. EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN La population tunisienne non habituée à ce mode de vie a lutté pendant la période de 2011 à 2013 pour garder son style de vie normal mais l’assassinat de Chokri Belaid le 6 février 2013 suivi de celui de Mohamed Brahmi le 25 juillet 2013 ont fait débordé le verre et la rancune populaire a atteint son paroxysme. « La formation du quartet dans le cadre du dialogue national. Les quatre organisations nationales, l’UGTT30, l’Utica31, l’Ordre des avocats et la LTDH32, sont intervenues pour sauver la transition démocratique en Tunisie. Ce dialogue national a abouti à l’achèvement de la rédaction de la Constitution et la tenue des élections de 2014. »33 Ainsi grâce à un second soulèvement populaire le règne de la Troïka a pris fin. Mais l’état est trop fragile, la situation économique est déplorable l’état s’endette auprès de la FMI34 Non pas pour l’investissement ou l’impulsion du développement mais pour la consommation, au niveau social, la pauvreté est en hausse, le taux de chômage en hausse, de nombreuses difficultés sur tous les domaines. De plus le problème sécuritaire reste la priorité numéro un le budget de l’état sert en grande parti pour le maintien de l’ordre et la protection de la population et la lutte contre le terrorisme. Un investissement et une lutte qui ont fini par avoir des résultats assez satisfaisant aujourd’hui la menace terroriste bien que présente comme partout dans le monde (29) Loi islamique selon le point de vue des extrémistes religieux (30) Union générale tunisienne du travail (31) Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (32) Ligue tunisienne des droits de l’homme (33) Ahmed Zorgui, « La révolution qui n’a profité qu’aux lâches », Businessnews, Tunis, le 13/01/2019 (34) Fonds monétaire international 57 58 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution S mais elle est maîtrisée, le peuple tunisien a montré beaucoup d’optimisme et a réussi à dire non à ce mode de vie qui nous ai étranger. Ce n’est donc qu’à partir de 2015 que les autorités ont commencé à s’intéresser à d’autres problèmes autres que ceux de la sécurité notamment la pollution et l’entretien des lieux publics. N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE 02. Des places publiques accessibles mais fortement contrôlés EC O LE La priorité de l’état pendant les 4 ans qui ont suivi la révolution n’étaient clairement pas l’aménagement des espaces publics, ces espaces étaient fortement contrôlé et parfois inaccessible, mais cela n’a pas empêché la population de les approprier comme nous allons le voir et l’étudier à travers l’analyse de deux places : La place Bardo et la place Kasbah (figure 13). N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R Source : Google earth Figure 13 : Photo aérienne situant les deux places étudiées LE EC O N AN S TE N Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution 59 60 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution a. La place du bardo d’un symbole du pouvoir à un témoin de la révolution … ou un témoin de la situation difficile d’un pays ? EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S La place est située devant l’ancienne résidence beylicale fondée au XVème siècle et qui abrite aujourd’hui le siège de l’assemblée constituante, le parlement ainsi que le musée de la mosaïque. Elle a été réaménagée sous le règne du dictateur Zine El Abidine Ben Ali. A son arrivée au pouvoir, il voulait montrer un changement de la politique à travers des projets ambitieux. Le réaménagement de la place Bardo fait partie de cette politique de propagande. La place est composée d’un grand espace parvis comportant une fontaine et deux rangées de palmiers. Les deux figures 14 et 15 montrent l’aménagement et les mesures de la place. L’aménagement de la place était une réussite, elle est restée depuis sa construction (années 90) jusqu’à la révolution le lieu préféré des habitants du Bardo et des quartiers autour. Plusieurs personnes apprécient l’ambiance et aiment se retrouver avec leurs voisins et amener leurs enfants. L’espace était très bien entretenu et régulièrement nettoyer. N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution EC O LE Figure 14 : Schéma de l’aménagement de la place du Bardo Figure 15 : Les mesures de place du Bardo 61 62 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution L’urbanisme autour de la place N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Autour de la place du bardo, le quartier est caractérisé par une diversité du tissu urbain, due à une superposition des strates de l’histoire nouvelle et ancienne de la commune du Bardo. L’ancienne résidence beylicale fait partie d’un grand domaine qui regroupe le musée du bardo35 et le parlement (figure 16 et 17). Dans ce même domaine il y a aussi le palais Al Said. En effet, Le Bardo est à l’origine un palais érigé au XVème siècle sous le règne du sultan hafside Abou Faris Abd el-Aziz el-Mutawakkil. Le site bénéficie ensuite de la faveur des beys mouradites : Hammouda Pacha et des beys husseinites au XVIIe et XVIIIe siècle. Le Bardo subit agrandissements et embellissements des palais, jardins et dépendances. Des salles d’apparat, dont une salle de justice et une salle pour ses audiences ont été aménagé pour devenir le centre du pouvoir. Plus tard des appartements, un pavillon à coupole dans les jardins, un Souk, des casernes, une prison, une école, etc voient le jour. Les fortifications flanquées de tours ont été érigé. Jusqu’à aujourd’hui le site est sous haute protection surtout après l’attentat qui a eu lieu au musée du Bardo. Il est interdit de rentrer, de prendre des photos et tous rassemblement doit être signaler à la commune. EC O LE En dehors du domaine beylical se développe le quartier Bardo (figure 16) centre occupé par les français lors du protectorat, aujourd’hui ces maisons sont restées et donc le quartier est caractérisé par une architecture coloniale. Le quartier est très animé, on y trouve une ancienne école primaire, des cafés, un centre commercial, des HLM (habitations à loyers modérés). (35) C’est l’un des plus importants musées du bassin méditerranéen et le second musée du continent africain après le musée égyptien du Caire par la richesse de ses collections. Il retrace l’histoire de la Tunisie sur plusieurs millénaires. Le musée rassemble l’une des plus belles et des plus grandes collections de mosaïques romaines du monde N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution EC O LE Figure 16 : Les quartiers autour de la place du Bardo Figure 17 : Le palais du Bardo et la place crédit : Geneanet https://www.geneanet.org/cartes-postales/view/5240594#0 Licence : https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/ 63 64 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution TE S Autour de la place il y a également des immeubles d’habitations (figure 18) et des maisons qui se sont développés lors de l’extension de la ville, dont l’architecture est très modeste. Une station métro borde la place du côté sud et prochainement une gare RFR (réseau ferroviaire rapide de Tunis) va voir le jour (figure 21). Cette nouvelle gare s’inscrit dans le cadre d’un grand projet de transport en commun. EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN La façade du parlement (figure 19), borde la place au Nord, est à peine visible. Elle est recouverte par la végétation les hauts grillages. Au sud de la place, on trouve une station service Figure 18 : La façade des immeubles HLM Crédit : Photo prise par moi le 06/08/2019 N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution Figure 19 : La façade du parlement Crédit : Photo prise par moi le 06/08/2019 Figure 20: La façade de la station-service EC O LE Crédit : Photo prise par moi le 06/08/2019 Figure 21: La nouvelle ligne RFR Crédit : Photo prise par moi le 06/08/2019 65 66 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution La circulation N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S La place est desservie par six routes principales à double sens, on peut y accéder en voiture, par bus, par métro, ou à pieds. Il y a souvent des embouteillages car une grande partie de la population habitant dans la périphérie transite par la place pour aller vers le centre-ville de Tunis. (Figure 22) EC O LE Figure 22: Circulation autour de la place du Bardo Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S L’usage de la place pendant l’ère de Ben Ali EC O LE Figure 23 : L’état de la place pendant l’ère Ben Ali Crédit : Babnet.tn, lien : https://www.babnet.net/cadredetail-160046.asp Figure 24 : L’état de la place pendant l’ère de Ben Ali Credit : inel Lien : http://www.inel.tn/eclairage_public_projet_19.html 67 68 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S La place a été bien réfléchie et bien entretenue (figure 23 et 24), elle attirait de nombreuses familles qui l’occupaient tout au long de l’année mais essentiellement l’été et les jours de fête. L’été, ils viennent pour passer leurs soirées au frais, les enfants quant à eux se mettent en maillot de bain pour se baigner dans la fontaine qui est traitée pour l’occasion. La place ne comporte pas de bancs public, c’est donc sur les marches que les gens prennent place mais plusieurs apportent des chaises ou des plaids pour s’asseoir. Pendant les fêtes, essentiellement la fête de l’Aid (fête musulmane), plusieurs animations sont mises à disposition des familles et en destination des enfants. Même les mariés se prennent en photos parfois au niveau de la place. (Figure 25) Homme Femme Enfant Dispositif d’animation Voiture EC O LE Figure 25 : Schéma d’occupation de la place pendant l’ère de Ben Ali Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution L’usage de la place pendant la révolution EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S La révolution du 14 janvier 2011 a eu lieu au niveau de l’Avenue Habib Bourguiba à Tunis, mais l’emplacement stratégique de la place du Bardo a fait d’elle l’un des plus importants lieux de contestations et de sit-in. En effet, suite à l’assassinat de l’homme politique de gauche Chokri Belaid, la place est devenue le lieu de sit-in « Errahil » (le départ en arabe) en 2013. Plusieurs hommes et femmes essentiellement des jeunes ont installé des tentes et ont en fait leur domicile le long du sit-in (figure 26 et 27). Un mouvement soutenu par toute la population qui venait tous les soirs de toutes les régions de la Tunisie pour supporter le mouvement et demander la démission du gouvernement et la formation d’un nouveau gouvernement indépendant et laïque afin de finir la rédaction de la constitution et préparer de nouvelles élections. Un mouvement populaire qui a d’ailleurs abouti au départ du parti islamique du pouvoir de manière pacifique et sans affrontements. Les forces de l’ordre ont tenté de chasser les sit-inneurs36 en remballant les tentes mais la volonté du peuple était plus forte, ils se sentent concerner, la place est leur deuxième domicile. Ils se sont appropriés l’espace et ont créé leur propre organisation : Les sit-inneurs ont posé les tentes au niveau de l’esplanade, une tribune pour les discours est posée à chaque fois qu’il y a un grand rassemblement. La place reste cependant entourée par des barrières pour limiter les déplacements de la foule et le périmètre du parlement est inaccessible pour des questions de sécurité. La place est alors le théâtre de la révolution et le témoin d’un soulèvement populaire. (36) Les sit-inneurs sont ceux qui restent tout le temps sur la place 69 70 N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R Hommes (sittineurs) Femmes (sittineurs) Tentes des manifestants Manifestants Tribunes pour les orateurs Barrières Fil barbelé N AN TE S Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution ... ... ... .. EC O LE Figure 26: Schéma d’occupation de la place pendant les manifestations Figure 27 : Photo d’occupation de la place pendant les manifestations en 2013 Crédit : Huff post Tunisie, lien : https://www.huffpostmaghreb.com/2014/11/27/hamma-elections-2014_n_6210830.html Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution L’usage de la place aujourd’hui N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Aujourd’hui la place est un témoin de la situation globale du pays. Suite à la révolution elle a été dégradée, à cause du laxisme de l’état et de la multiplication des incivilités, Une grande partie du marbre et de la faïence ont été arrachés, les fontaines cassées (Figures 29, 30, 31, 32, 34). De plus à un moment donné les gens avaient peur de sortir le soir ce qui a fait que la place a été désertée par les familles et a été occupée par les délinquants. La crise de la pollution est perceptible, en effet, les ordures sont jetées par terre au niveau des troncs des palmiers et des deux bassins prévus pour les fontaines. (Figure 32 et 33) La place est aujourd’hui très peu fréquentée. Le matin c’est un lieu de passage pour plusieurs personnes, Certains passants s’assoient sur les marches à l’ombre le temps d’une pause pour reprendre leur trajet par la suite. Il faut dire que le cadre n’est pas accueillant. La place n’est plus entretenue. (Figure 28) EC O LE En effet, dans le cadre du nouveau projet de la ligne RFR (réseau ferroviaire rapide de Tunis) la place va être totalement modifiée et reconstruite. Deux tunnels vont être mis en place pour permettre au voiture de traverser la voie ferrée et la place va être décalée vers l’Ouest (Figure 35). Pour cela la commune n’investit pas d’argent pour les réparations. Mais la place du Bardo est un lieu touristique (plusieurs touristes viennent voir le musée), alors quelle image donner de notre pays ? Homme Femme Enfant Ordures Voiture Figure 28 : Schéma d’occupation de la place aujourd’hui 71 72 N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution Figure 29 : La fontaine du rond point EC O LE Crédit : Photo prise par moi le 06/08/2019 Figure 30 : Zoom sur l’état des lieux actuels du rond point Crédit : Photos prise par moi le 06/08/2019 N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution Figure 31 : La place parvis EC O LE Crédit : Photo prise par moi le 06/08/2019 Figure 32 : Zoom sur l’état des lieux de la place Crédit : Photos prise par moi le 06/08/2019 73 74 N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution Figure 33 : Ancien monument en rapport avec le musée et qui symbolisait l’ancien régime Crédit : Photo prise par moi le 06/08/2019 Figure 34 : Zoom sur l’ancien monument EC O LE Crédit : Photos prise par moi le 06/08/2019 Figure 35 : Image 3D du nouvel aménagement de la place du Bardo Crédit : https://www.skyscrapercity.com/showthread.php?t=634881&page=7 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution Lors de mon travail d’observation j’ai pu discuter avec plusieurs habitants, qui ont accepté de me répondre et de passer du temps avec moi malgré la chaleur. Voici certains de leurs avis et témoignages : N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Khira Mansouri, 70 ans elle s’est assise à l’ombre sur une marche, elle habite juste à côté de la place depuis 40 ans, elle exprime son mécontentement et s’emporte « Les tunisiens sont incivilisés, regarde combien c’est sale ! Avant (avant la révolution) on passait la soirée ici jusqu’au matin, c’était agréable, moi je venais avec mes enfants et c’était propre. Il y avait 3 femmes qui venaient faire le ménage tous les matins. Les gens apportaient leurs chaises ou s’asseyaient sur les marches. La place était illuminée, elle était belle. Maintenant je ne viens que très rarement. Malheureusement ! … Mais notre pays est beau ! » Rezgui Othmane, 60 ans, un professeur universitaire « J’ai connu le Bardo il y a très longtemps, ici il n’y avait que le palais et quelques habitations. Ensuite, ils ont fait la place, elle était très bien, mais nous sommes un peuple inconscient et irresponsable on n’a pas su garder et préserver la place regarde maintenant le marbre, la crédence. Ils ont tout enlevé » Monsieur M, 40 ans, ouvrier est juste de passage, il ne vient pas souvent « Avant c’était mieux mais comment veux-tu que ça reste propre s’il n’y a aucune poubelle c’est la faute de la commune aussi ! » EC O LE Mariem, 26 ans « J’habite ici depuis 4 ans, et c’est l’endroit que je déteste le plus au Bardo » Ces nombreux témoignages montrent le regret des habitants quant à la dégradation de la place et leur volonté de changer et d’améliorer, mais aujourd’hui tout le monde est responsable, les habitants autant voire plus que la commune. Cette place témoigne donc de l’état d’un pays postrévolutionnaire, en difficulté. Mais le projet d’aménagement de la place devra voir le jour en 2025. Cette place reste aujourd’hui accessible mais sous contrôle. 75 76 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution b. La place de la Kasbah, un lieu de pouvoir … ou de sociabilité N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S La place de la Kasbah est la première place-parvis de Tunis (figure 36). Elle a toujours revêtu une dimension politique et symbolisé le pouvoir étant donné sa position géographique et ses caractéristiques physiques. Elle se situe sur le point culminant de la médina qui dominait par son altitude le lac de Tunis. De plus sa forme initialement en U contraste avec le mode clos de la médina. Elle a été toujours entourée par des éléments emblématiques du pouvoir. La citadelle construite au Xème siècle, la maison royale, la mosquée, mais elle éveillait aussi des sentiments d’appartenance et constituait de ce fait un lieu de consensus. D’ailleurs elle a marqué l’imaginaire collectif. Plusieurs fêtes religieuses ont été célébré sur la place à l’ère des Beys. Pendant l’ère coloniale, plusieurs édifices de l’administration ont été construits et il y a eu la mise en place de la station de trolleybus qui a attiré les nouveaux usagers des transports en communs. La place est devenue un lieu de sociabilité. La Kasbah a été réaménagée en 1950 suite à la destruction des remparts de la médina, un parking à étages a été construit en sous-sol de la place. Ensuite, l’esplanade pavée a été rénovée en 1988. Et en parallèle, le nouvel hôtel de ville a été inauguré en 1998, elle a été nommée place 7 novembre. La place n’est plus sous forme de U. EC O LE L’urbanisme autour de la place La place est délimitée par le collège Sadiki et de la mausolée Farhat Hached au nord (Figure 41), la mosquée de la Kasbah, l’hôpital Aziza Othmana et le ministère de la culture au sud (figure 39 et 40), l’hôtel de ville de Tunis à l’ouest (figure 38) et le Palais du gouvernement (siège du chef de gouvernement tunisien) et le ministère des finances à l’est. L’architecture des bâtiments autour est de type néo mauresque ou autrement appelée Arabisance. La place est bordée du côté Ouest par le quartier Mellassine N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution Figure 36 : La place de la Kasbah EC O LE Crédit : Photo prise par moi le 06/08/2019 Figure 37 : Les quartiers autour de la place de la Kasbah Crédit : Photo prise par moi le 06/08/2019 77 78 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution (figure 37), c’est un quartier populaire et l’un des lieux où il y a le plus de chômage et de pauvreté. Du côté sud, elle est délimitée par le quartier Bab Mnara (figure 37), un quartier populaire, périphérique de la médina. A l’Est elle est bordée par la médina, ce qui fait qu’elle est très proche des souks. TE S Circulation N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN La place est desservie par quatre rues à double sens, elle est accessible en voiture, en bus et à pieds. Cependant depuis la révolution l’accès devant le palais du gouvernement est très limité, même la place du gouvernement, qui était accessible et très bien entretenue avant la révolution, a été entourée par des barrières et interdite au public. L’usage de la place pendant l’ère de Ben Ali EC O LE La place a été rénovée sous Ben Ali. L’immense place pavée, d’aspect minéral, est ornée en son centre d’un monument commémoratif. Contrairement à la place du Bardo, la place de la Kasbah n’était pas très appropriée par les habitants. En effet son emplacement, à côté des établissements sensibles, fait que la sécurité est très renforcée. Le gouvernement alors en place interdisait tous rassemblement. Le matin elle est occupée par les élèves du collège Sadiki qui viennent s’asseoir sur les quelques bancs mis à disposition. Certains passant se mettent également sur les marches du monument dans le seul endroit à l’ombre pour se reposer. L’usage de la place reste très ponctuel. Une cérémonie pour soulever le drapeau a lieu chaque matin à 8 h par les militaires, qui reviennent l’après-midi à 17h pour le faire redescendre. « C’est une place parvis qui n’est animée qu’occasionnellement et elle est très politisée. A 8h du matin elle est fermée au public parce que les militaires viennent hisser le drapeau et l’après-midi à 17h ils le descendent. Peut-être au niveau des escaliers de la mairie les gens viennent s’asseoir mais tu compares la place Kasbah à d’autres places telle que la place de N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R Crédit : Photo prise par moi le 06/08/2019 N Figure 38 : Façade de l’hôtel de ville AN TE S Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution Figure 39: Façade de la mosquée Kasbah et du ministère de la culture Crédit : Photo prise par moi le 06/08/2019 Figure 40 : (de gauche à droite) Façade du ministère des affaires religieuse, façade du palais du gouvernement et façade de l’hôpital Aziza Othmana EC O LE Crédit : Photo prise par moi le 06/08/2019 Figure 41 : (de gauche à droite) Façade du collège Sadiki et façade du mausolée Farhat Hached Crédit : Photo prise par moi le 06/08/2019 79 80 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution N N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R L’usage de la place pendant la révolution AN TE S la défense à Paris tu ne peux pas dire qu’elle fonctionne bien. A la défense tu trouves les touristes, ceux qui travaillent, les enfants, tu trouves de toutes les catégories sociales. », expliquait monsieur Kamel Gomri36 La place 7 novembre, cette grande place parvis, était très bien entretenue mais son emplacement fait que les habitants ne l’ont pas approprié aussi bien que la place du Bardo pourtant en superficie elle est plus grande. (Figure 42). EC O LE « Le 14 janvier 2011 au soir, le départ de Ben Ali est annoncé. Une heure après, dans une totale confusion, Mohamed Ghannouchi, Abdallah Kallel et Foued Mbazaa apparaissent à la télévision nationale et annoncent le maintien de la continuité du pouvoir. Les jeunes qui viennent de réaliser que c’était la fin du règne d’un dictateur et de sa famille, refusent d’avaler la pilule. Tout commence lorsqu’un jeune de Menzel Bouzaine lance, à ses camarades, cette idée insensée : « Et pourquoi ne pas partir à Tunis à pied ?». La proposition circule sur les réseaux sociaux suscitant un élan de solidarité dans tout le pays. […] Le choix de la place et son occupation n’étaient pas anodins. Investir la Kasbah signifiait la réappropriation de l’espace public confisqué, à l’image des idéaux démocratiques où la représentativité politique n’interdit ni d’interroger le pouvoir ni de prendre en compte les exigences du Peuple. Bien qu’ils n’avaient pas ni des idées claires ni une bonne stratégie, la volonté de confronter le monstre dans sa propre caverne était une source d’énergie extraordinaire qui a réuni les Indignés de la Kasbah »37. La place a été le théâtre de deux sit-in, le premier juste après la révolution, le peuple a repris le pouvoir et a même interdit l’accès au palais du gouvernement pour le premier ministre (36) Directeur de la construction et de la planification urbaine à la ville de Tunis avec qui j’ai réalisé un entretien (voir annexe) (37) Henda Chennaoui, « Kasbah 1 et 2 : Quatre ans après, retour sur une occupation révolutionnaire confisquée », Journal électronique Nawat, Tunis AN N N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R Homme Femme Enfant TE S Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution Figure 42 : Schéma d’occupation de la place pendant l’ère de Ben Ali ... ... ... .. Hommes (sittineurs) Femmes (sittineurs) Tentes des manifestants Manifestants Tribunes pour les orateurs EC O LE Figure 43 : Schéma d’occupation de la place pendant la révolution Figure 44 : La place de la Kasbah pendant la manifestation en 2011 Crédit : Yassine_Bousselmi 81 82 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution N N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R L’usage de la place aujourd’hui AN TE S jusqu’à l’obtention de ce qu’il voulait. Le deuxième sit-in qui a eu lieu à la Kasbah est survenu en 2013, il est contre le sitin « Errahil » au Bardo et dont l’objectif est de soutenir le gouvernement. Les tentes sont à chaque fois mis au niveau de la place du gouvernement qui vient en prolongement car il est interdit de poser des tentes sur la place de la Kasbah (figures 43, 44 et 45). La place a été renommée place 14 janvier. EC O LE Suite à la révolution et telle que tous les espaces publics en Tunisie, la place n’est plus très bien entretenue, une partie du marbre a été arrachée (figure 47) mais son état général n’est pas si mauvais comparant à d’autres espaces. Les tags ont été nettoyés, mais la place est très fortement surveillée des voitures de police sont toujours à côté pour interdire tout rassemblement non autorisé et interroger toute personne ayant un comportement illicite. La place du gouvernement a été quant à elle interdite d’accès au public. L’usage de la place aujourd’hui n’est pas très différent de celui avant la révolution, la majorité des bancs se sont dégradés malheureusement et l’excès de contrôle a limité les usages, mais les gens continuent à venir s’asseoir. L’usage reste ponctuel, certains enfants viennent parfois jouer au ballon. (Figure 46). La vue qu’offre la place reste une attraction et un passage obligé quand on visite la médina. La cérémonie du drapeau est quant à elle toujours célébrée. Lors de ma visite de site j’ai discuté avec certains usagers de la place. Ci-joint certains de leurs avis : Ahmed, 32 ans, il travaille dans le ministère de la culture, comme une majorité des jeunes tunisiens, il est déçu par l’état global du pays et frustré. En effet les jeunes tunisiens ont perdu confiance en leurs dirigeants, il dit « Les gens viennent parfois le soir, (…) Elle est bien comme place, en tous les cas en N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution Figure 45 : Appropriation de l’espace public par la population lors du Sit-in Kasbah 1 en 2011 EC O LE Crédit : Mohamed Ali Mansali et Callum Francis Hugh Homme Femme Enfant Barrières hautes empêchant l’accès Figure 46 : Schéma d’occupation de la place aujourd’hui 83 84 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Tunisie nous ne pouvons pas faire mieux ! » Fares, Seif, Amouna trois enfants de 10, 6 et 3 ans avec qui j’ai eu le plaisir de parler. C’est Fares qui m’a expliqué « Nous, on habite juste à côté, on vient parfois tard le soir pour jouer. Je veux qu’il n’y ait plus de voiture et je veux rendre l’entrée payante ! » Je lui ai alors demandé pourquoi il m’a répondu « Parce que les gens viennent casser et détériorer le mobilier urbain et ils laissent les ordures par terre » « Nous voulons plus de verdure pour pouvoir jouer au foot et une piscine » J’ai également parlé avec 3 jeunes Nassim, Mouhib et Aziz, avec qui j’ai longtemps parlé, ils habitent au quartier Mellassine et m’ont fait part de plusieurs problèmes de leur quotidien. Je tiens à les remercier et à saluer leur courage, leur grande ambition. Par rapport à la place, ils m’ont expliqué qu’elle est occupée par les élèves du collège Sadiki et parfois le soir par quelques familles mais c’est rare. Ils m’ont également informé qu’il y a souvent des pickpockets. EC O LE La place du 14 janvier, n’a donc jamais été réellement appropriée par les habitants, cela est due à son emplacement. C’est donc un lieu de pouvoir, qui a été repris par le peuple lors de la révolution et redonné par la suite au gouvernement élu démocratiquement. La place est donc un symbole d’une continuité du pouvoir assuré par le peuple de manière pacifique. Aujourd’hui, la place n’est pas réellement un lieu de sociabilité mais un lieu de passage. Il est important de mentionner qu’en plus de son emplacement, la place est souvent au soleil, et en été et au printemps il fait chaud, seuls les marches de l’hôtel de ville ou ceux du monument sont à l’ombre l’après-midi. Ce qui peut également expliquer le peu de fréquentation de la place. N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution Figure 47 : Etat de la place de la Kasbah aujourd’hui EC O LE Crédit : Photo prise par moi le 06/08/2019 85 86 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution Conclusion EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S La place du Bardo et la place de la Kasbah, ont largement marqué la révolution et ont été acteurs des plus grandes et des plus importantes manifestations pendant la révolution. Ces deux places, pourtant chacune centre du pouvoir, la première constitutionnel, la deuxième exécutif et législatif, ne sont pas perçues et vécues de la même manière. La place du Bardo a depuis sa construction reflété l’état du pays et la place du 14 janvier est quant à elle plus neutre, elle appartient plus à l’état qu’à la population. L’étude de ces deux places emblématiques nous montre donc que huit ans après la révolution, l’action de l’état au niveau de l’aménagement des places est très peu visible nous allons voir donc pourquoi ? et quels sont les priorités ? Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution B. L’aménagement des places publiques à partir de 2014 (les élections présidentielles et législatives) 01. La crise des déchets EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Depuis la révolution l’élimination des déchets est un véritable problème en Tunisie. Lors de la révolution les manifestants ont endommagé tous ce qui appartient à l’état dont plusieurs camions poubelles. Mounir Madjoub, ancien secrétaire d’État chargé de l’environnement, a déclaré à Inkyfada que « près de 60% des infrastructures municipales ont été brûlées ou détruites pendant la révolution »37. L’état en crise n’a plus les moyens d’acheter de nouveaux équipements. De plus les éboueurs, travaillaient en contractuel pour la plupart, leur situation est fragile. Ils ont alors fait une grève qui a duré longtemps pour demander d’avoir tous un CDI. L’état a fini par accepter parce que la situation écologique est devenue désastreuse. Mais moins d’un mois plus tard, ils ont refait une grève pour demander l’augmentation des salaires. Entre temps les rues, les placettes, les trottoirs sont devenus des déchetteries à ciel ouvert. Les poubelles se sont accumulés partout et les risques de maladies se sont multipliés. Les rues sentent mauvais et le manque de conscience de la population a encore plus aggravé la situation. Une situation qui est déjà mal gérée depuis l’ère de Ben Ali. En effet, en 1999 il a été décidé de centraliser la décharge et créer la décharge de Borj Chakir pour collecter tous les déchets du grand Tunis. La capacité de la décharge va s’avérer insuffisante face à la croissance de la population. On compte entre 2000 et 3000 tonnes de déchets variés par jour. De plus la décharge est mal conçue, les bassins de lixiviat38 se trouvent en pleine nature et à ciel ouvert. Les (37) N.B, « Borj Chakir, localité devenue le symbole de la crise des déchets en Tunisie » article publié par Le diplomate tunisien, le 9 mai 2019 (38) Le lixiviat est le liquide résiduel toxique résultant de la dégradation des déchets organiques et de leur percolation avec l’eau. 87 88 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S odeurs à côté sont nauséabondes et les habitants souffrent des odeurs mais également des maladies (asthmes, cancer des poumons,…) liés au dépôt d’ordures. La banque mondiale a prêté 22 millions de dollars pour le projet d’expansion et de dégazage de la déchetterie. Certaines zones ont été nettoyé mais les multiples grèves et manifestations empêchent le bon déroulement de l’opération et dégradent encore plus l’état du pays. Les camions réservés à la collecte des déchets ne sont pas aux normes. Ils transportent souvent la poubelle sans aucune protection. Sur leur chemin, les ordures s’éparpillent partout s’échappant des bennes et se répandent sur les bords de routes et dans les zones urbaines polluant ainsi l’environnement. L’état n’est cependant pas le seul responsable, car la population participe énormément à la dégradation de la situation. Les gens se plaignent de la situation mais ne font aucun effort pour l’améliorer au contraire, ils pensent bien faire quand ils font brûler les tas de poubelles, ce qui dégage encore plus de CO2. Ils se désintéressent désormais de leurs espaces publics et jettent leurs ordures dans les rues. EC O LE Depuis l’année 2015, la municipalité de Tunis a deux priorités d’abord la sécurité et ensuite la pollution. D’après monsieur Kamel Gomri39, aujourd’hui «la priorité c’est la propreté, priorité absolue ». Il a également précisé « Ça s’est beaucoup amélioré surtout après les élections municipales (2018). Ils ont mis le paquet » En lui demandant s’ils ont consacré plus de moyens : moyens financiers « Oui oui plus de moyens. (…) Un autre problème c’est qu’on a le matériel mais les moyens humains sont en baisse ». La situation globale s’est beaucoup améliorée, les espaces sont beaucoup plus propres qu’avant, la municipalité de Tunis a acheté des aspirateurs électriques (figure 48) pour faciliter (39) Directeur de la construction et de la planification urbaine au sein de la municipalité de Tunis avec qui j’ai réalisé un entretien Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution le travail des éboueurs qui travaillent d’habitude avec le balais et la pelle. Un corps de police a même été déployé par le ministère de l’intérieur pour faire respecter les règles de propreté et de protection de l’environnement sur tout le territoire national. EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Cette démarche a été mise en place en 2014 en collaboration avec les ministères concernés (tourisme, santé, agriculture et industrie), selon le ministère de l’équipement ce plan comporte 50 actions concrètes couvrants tous les aspects de propreté. Mais malgré tous les efforts fournis la pollution est toujours d’actualité et c’est un vrai problème. Comme évoqué précédemment, une grande partie de la population ne respecte pas les règles de propreté et ne prends pas soin des espaces publics. C’est ce que monsieur Kamel Gomri m’a confirmé « Mais je reviens au fait que les gens jettent les ordures n’importe où, n’importe comment, donc quelques soit les moyens qu’on met en place on ne peut pas tout nettoyer c’est une question de mentalités ! ». Mais bien que la priorité est à la propreté, la municipalité de Tunis essaye tant bien que mal d’améliorer et de réparer certaines places et espaces publics dans le cadre de l’embellissement de la ville, surtout avec le retour du tourisme. Figure 49 : Crédit Ahmed mourad Ayachi Figure 48 : Un éboueur utilisant aspirateurs électriques Figure 50: Une des rares poubelles et qui est mal posée dans l’espace public Crédit : Photo prise par moi le 06/08/2019 Crédit : Photo prise par moi le 06/08/2019 sur l’Av Habib Bourguiba 89 90 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution 02 Des essais d’amélioration dans le cadre d’une situation économique et sociale fragile a. Interventions ponctuelles et éphémères EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S La municipalité de Tunis essaye durant ces quatre dernières années d’aménager certains espaces publics mais la situation économique et sociale du pays ne facilite pas la tâche. En effet, après la fin de la période d’effervescence suite à la révolution, le peuple tunisien qui attendait un changement rapide et une amélioration de sa situation économique et sociale a été déçu. Il s’est alors dés-approprié l’espace public et n’en prend plus soin, au contraire, il participe même à sa détérioration. Ce qui n’encourage plus la municipalité à réparer car à chaque fois des malfaiteurs viennent casser, voler et arracher ce qui a été fait. De plus, même après la révolution la corruption est toujours d’actualité et à chaque fois que l’état consacre de l’argent pour des réparations, certains dirigeants et responsables ne veillent pas à ce que le travail soit bien fait et que les fonds investis soient bien utilisés. De plus suite à l’entretien que j’ai effectué avec monsieur Kamel Gomri, il m’a expliqué que l’état a perdu son autorité et qu’aujourd’hui même si les dirigeants ont la volonté de changer une place, la rendre piétonne, etc. Il suffit qu’un gérant de café ou d’une friperie, qui donne sur la place et qui a un peu de popularité, décide autrement pour que le projet soit annulé. « On essaye de faire quelque chose de bien mais notre problème est qu’il y a beaucoup d’intervenants et d’interventions. », « les commerçants décident et font la loi. Notre objectif là est de travailler sur les rues et les places piétonnes pour réduire le nombre de voitures au centre. Par exemple pour la place Bab souika nous voulons la rendre piétonne, comme les places en Europe pour réduire les voitures, mais nous sommes confrontés à une résistance de la part des commerçants qui donnent sur cette place. Cependant on travaille sur ce projet et le travail est en cours. ». En effet, à la médina il n’y a plus d’espace pour créer de nouvelles places, le travail de la municipalité consiste à Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution améliorer l’existant. Le budget donné est limité et ne permet pas de faire de grands travaux. Et parfois les habitants refusent le changement N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S « Après la révolution il n’y a plus personne pour appliquer la loi et imposer des choses. Ce sont les habitants et les commerçants qui décident et non plus l’état. Par exemple les places publiques occupées par la friperie, quand on demande l’avis des habitants ils répondent nous ça ne nous dérange pas et les commerçants eux refusent d’enlever leurs installations. En tant qu’aménageur, tu as la volonté de venir aménager ces places et les embellir et bien les habitants vont dire non, ils refusent le changement. Il faut plus d’autorité et un peu de dictature avec ces gens-là. Il y a une nonchalance de la part de la police municipale ! Maintenant la municipalité a repris le contrôle sur certains espaces notamment par rapport au kiosques de tabacs et journaux, implantés n’importe comment lors de la révolution. On donne des autorisations quand l’implantation ne gêne pas le passage et n’entrave pas la circulation. », Kamel Gomri EC O LE L’action de la municipalité consiste alors à faire des petits aménagements, par exemple le square Zouaoui derrière la municipalité « on l’a entièrement aménagé avec les moyens propres de la municipalité. Avant, il y avait deux arbres centenaires, l’espace en dessous été couvert par les racines et il n’y avait pas du tout d’aménagement, les gens et les marchands ambulants venaient s’assoir à l’ombre maintenant elle a été aménagé. » Certaines places sont réaménagées pour des occasions particulières par exemple l’ancienne place des droits de l’homme a été baptisé place Chokri Belaid, le 6 fevrier 2017, quatre ans après l’assassinat politique de ce militant de gauche, en mémoire de celui-ci, la place a été nettoyée, les bancs cassés ont été remplacés et une plaque en mémoire de Chokri Belaid a été posée, le réaménagement reste timide. De même pour la place jeanne d’arc, elle s’appelle désormais place Mohamed Brahmi, inauguré le 25 juillet 2017, quatre ans après la mort de ce militant politique tunisien de gauche 91 92 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S par les extrémistes religieux, elle a été remise à neuf, les fontaines et le mobilier urbain ont été réparés et la place nettoyée. Mis à part ces événements nationaux et l’initiative propre de la municipalité, il n’y a pas de stratégie d’embellissement au sein de la ville de Tunis. Le budget consacré par l’état est trop faible et la volonté politique d’améliorer est quasiment absente, la corruption avorte de nombreuses initiatives et les dirigeants manquent d’autorités. « Écoute, tout est question de moyens, j’ai eu un différend avec le président de la commune parce qu’il a transformé beaucoup de nos espaces verts en dallage parce que ça nécessite moins d’entretien, et il est profondément convaincu que c’est la solution. Mais pour moi c’est classé comme un espace vert, il faut qu’il reste. Il m’a répondu « je n’ai personne pour faire l’entretien du gazon » ». Certes la situation économique est problématique mais d’autres problèmes sont également à l’origine du manque d’entretien des espaces publics. b. Absence de planification urbaine et de gouvernance territoriale démocratiques EC O LE L’absence de planification urbaine sur le long terme est un des problèmes comme me l’a confirmé monsieur Kamel Gomri « des études approfondies pour dire quel est l’état des places ? Comment elles peuvent être mieux aménager ? Non il n’y a pas eu », et il rajoute « Malheureusement nous n’avons pas comme je disais de feuille de route claire ! c’est un vrai problème. Aucune assemblée municipale en Tunisie ne connait son programme pour l’année prochaine. » Cette absence de visibilité sur le long terme fait que la municipalité ne peut pas gérer son budget de la meilleure manière. Ainsi le budget consacré pour l’aménagement d’une place est constant et est équivalent à 170 000 euros ce qui est insuffisant. Pour cela les interventions restent généralement ponctuelles. Cependant selon monsieur Kamel Gomri, les nouveaux dirigeants de la mairie de Tunis souhaitent réaménager la place Bab Souika Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution et pour cela ils veulent faire un vrai changement. Pour cela ils discutent le fait d’accumuler les budgets sur trois ou quatre années pour avoir des fonds suffisants. N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Outre le manque de planification, jusqu’à l’année 2018, les assemblées municipales étaient désignées et non pas élus. D’où l’absence de gouvernance démocratique. Mais contrairement à l’ère de Ben Ali, depuis la révolution, la société civile intervient désormais dans toutes les réunions et les prises de décisions « oui bien sûr, nous faisant intervenir des associations d’urbanistes, d’architectes, l’association de la préserve de la médina, ou d’autres qui s’intéressent au sujet » de toutes façon aujourd’hui ils n’ont plus le choix me fait comprendre monsieur Kamel Gomri. D’ailleurs se sont ces représentants des habitants qui bloquent parfois les projets et refusent leurs réalisations ou au contraire soutiennent et aident dans la réalisation. EC O LE La participation des habitants reste limiter pour les petits projets de quartier. Mais quand c’est un grand projet l’avis de l’habitant intéressent moins « mais je pense que si on demande au simple habitant il n’est pas sachant et ne saura pas forcément donner son avis. Après tout quand c’est un projet dans un quartier bien particulier on peut demander à l’habitant. Pour ce genre de projet (à petite échelle) on demande forcément leurs avis, (…) mais quand c’est pour des grandes places se sont des décideurs, des aménageurs, des bureaux d’études, des associations qui interviennent » En 2018, les premières élections municipales démocratiques ont été organisé. 93 94 Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution c. Les élections municipales de 2018 est-ce le début de la solution ? EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Le 6 mai 2018 ont eu lieu les élections municipales sous la supervision de l’Instance supérieure indépendante pour les élections. Ce sont les premières élections démocratiques municipales depuis la révolution. Ce qui annonce le début d’une gouvernance démocratique avec décentralisation du pouvoir. Chaque parti et chaque liste indépendante a présenté son programme pour les cinq ans à venir. Les dirigeants ont désormais un programme à respecter avec une échéance et ils sont contrôlés par les citoyens qui les ont élus. Monsieur Kamel explique « après les élections municipales, nous avons 15 arrondissements municipaux à Tunis et dans chaque arrondissement il y a un groupe élu et chacun a ses propres projets sur lesquels il travaillent. Ainsi, maintenant on remarque que chacun a une place qui veut la mettre en évidence et la rendre une place centrale. Avant c’était centralisé au niveau de la mairie, donc tout dépendait du maire et c’est à lui de tous gérer ». Le pouvoir n’est donc plus centralisé et réparti sur les différentes communes, chacune est indépendante et a son propre programme. Pour cela les élections municipales peuvent être une partie de la solution, à condition que les partis respectent leurs promesses et que les habitants soient vigilants et jouent leur rôle de citoyens. Le rôle de la ville de Tunis dans l’aménagement des places publiques après la révolution Conclusion EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S L’aménagement territoriale est aujourd’hui un réel enjeu mais il se trouve face à une réalité sociale, spatiale et économique fragile. L’absence d’autorité public, de prise de décision et le laxisme des responsables face aux multiplications des incivilités et la crise des déchets qui a eu lieu après la révolution ont rendu la situation encore plus délicate. La population qui a d’abord investi et s’est appropriée les places publiques, créant ainsi un rapport réciproque avec ces lieux (place Kasbah et Bardo), s’est désintéressé au fur et à mesure. En effet, le peuple n’a plus confiance en ces dirigeants et renvoient sa colère sur l’espace public. Le gouvernement quant à lui a mis en place plusieurs réformes dont principalement la création de la police de propreté et l’élection municipale avec décentralisation du pouvoir. Mais son action reste jusqu’aujourd’hui insuffisante. Les associations ont un rôle à jouer dans ce problème lequel ? et quelles sont leurs actions ? Comment sont-ils perçus par les habitants et par l’état ? et quels sont les solutions que peut adopter l’état afin de solutionner le problème ? 95 N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S 96 PARTIE .3 EC O LE La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés 97 A. Le rôle de la société civile dans la réappropriation des espaces publics et la sensibilisation 01. Le rôle de la société civile dans la réappropriation des espaces publics et la sensibilisation N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Depuis la révolution de 2011, la société civile tunisienne a joué un rôle très important dans la transition démocratique du pays « Loin de l’idée traditionnelle de société civile comme contre-pouvoir, le cas de la Tunisie a montré que dans des moments critiques de la transition, les organisations de la société civile ont su jouer aussi bien le rôle de collaboration et d’innovation »40. EC O LE En effet, l’année 2013 a été l’une des années les plus difficiles pour la Tunisie suite à la révolution. Le peuple tunisien était divisé en deux entre les manifestants du Bardo qui demandent la démission du gouvernement et les manifestants de la Kasbah 2 qui eux soutiennent la légitimité de celui-ci. Deux sit-in qui auraient pu conduire le pays à une guerre civile. Mais l’intervention de la société civile tunisienne a été décisive et a assuré la transition démocratique jusqu’aux élections libres et démocratiques en Octobre 2014. En effet, suite à la crise politique un quartet de médiateurs, composé du syndicat UGTT, de l’organisation patronale UTICA, de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) et de l’Ordre national des avocats s’est formé et a conduit à la mise en place d’un « dialogue nationale », entre le gouvernement formé en majorité par le parti islamiste et les partis de la pseudo-gauche. Un dialogue qui a abouti à sauver la Tunisie avec le choix d’une figure nationale indépendante qui a pris la tête du gouvernement et a nommé, en l’espace de trois semaines, un nouveau gouvernement de technocrates. (40) Kaouther Bizani, entrée de la conférence-débat 14 décembre 2016 – UNESCO, Salle IX, Paris « de La société civile au cœur de la transition et de la réforme en Tunisie Expériences et perspectives » 98 La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S L’Assemblée nationale constituante (ANC) a quant à elle achevé la rédaction de la nouvelle constitution, et a adopté une loi électorale pour la préparation des élections. Le rôle décisif joué par le quartet de médiateurs lui a valu l’un des prix les plus prestigieux au monde - le prix Nobel de la paix en 2015. La société civile qui a longtemps subi la répression du régime de Ben Ali, et les quelques associations qui existaient n’avaient pas de rôle majeur à jouer. En effet, le principal atout de la révolution est probablement la liberté d’expression, qui s’est en parti révélé à travers la multiplication du nombre d’associations dans tous les domaines. La profusion des associations s’explique également par l’institution d’un nouveau cadre juridique qui facilite la formation des associations. « Suite à la révolution, plusieurs collectifs se sont formés dont l’objectif était d’embellir l’espace public Juste après la révolution, pas les quinze jours où on était sous la police de Ben Ali. Dès que les choses sont rentrées un peu dans l’ordre, les gens, la première chose qu’ils ont fait c’est nettoyer. (…) Ils se sont réappropriés leur espace public. Ils se sont mis à nettoyer, à repeindre des places. Il y avait pleins de collectifs, pleins d’appels et les gens venaient, c’était la fête ! », Béatrice Dunoyer41 EC O LE De même, suite à la crise des déchets et face aux manque de moyens de l’état, plusieurs associations ont été sur le terrain pour sensibiliser les habitants. À travers les réseaux sociaux, plusieurs appels ont été lancés et ont reçu beaucoup de succès vis-à-vis du public. Certains collectifs et associations ont fait le choix de nettoyer les espaces, d’autres ont fait de choix de créer ou de réparer le mobilier urbain détérioré. Nous allons donc voir dans cette partie le rôle des associations dans l’aménagement, l’entretien des espaces publics et la (41) Directrice des programmes au sein de l’association «l’Art rue», avec qui j’ai réalisé un entretien (voir annexe) La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés sensibilisation à travers des exemples de projets fait par l’une des associations active dans l’espace public « l’Art rue » B. Exemple de l’association « l’art rue » EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S « L’Art rue » est une association qui a été créée par Selma et Sofiane Ouissi deux danseurs chorégraphes, ayant fait leurs études en France. En 2006, ils ont décidé de revenir en Tunisie et de démocratiser l’art. Tout a commencé lorsque Selma a été invité sur les ondes de la radio nationale. « Selma a parlé en disant que c’était une dictature, que l’art n’était pas accessible à tous les citoyens, que l’artiste n’avait pas de statut et a appelé les artistes à descendre dans la rue ce qui a valu l’interruption de l’interview. La police a débarqué. Et là ils ont dit il faut qu’on fasse quelque chose pour redonner la parole au peuple et libérer les espaces publics »42 ,« «C’est suite à cet épisode et face à l’urgence que Selma et Sofiane Ouissi pensent à une démarche artistique citoyenne et collective pour se réapproprier un espace public confisqué par le politique. Il s’agira alors de créer une tactique artistique pluridisciplinaire où l’Art se saisit de la Cité »43. L’idée de départ était donc l’appropriation de l’espace public par l’art. De là le collectif « Dream city » formé d’artistes pluridisciplinaires a vu le jour. L’objectif est de faire de l’art contextualisé et de s’appuyer sur des personnes ressources, ça peut être l’habitant, l’ébéniste du quartier, un anthropologue, un journaliste, un philosophe, etc. Le premier festival, biennale « Dream city » a eu lieu le 7 novembre 2007, trente artistes ont participé pour l’occasion. Trois différents parcours pour découvrir les œuvres artistiques à travers les ruelles de la médina ont été créé. Le festival a eu du succès malgré la répression du régime. C’était le premier acte du collectif, le deuxième acte s’appelle « l’aroussa », c’est-à-dire la poupée et avait pour objectif (42) Béatrice Dunoyer (43) Depuis la description sur le site de l’association « l’art rue » https://www.lartrue.com/dream-city/dream-city-2007/ 99 100 La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S l’émancipation de la femme tunisienne rurale, à travers la mise en valeur de son travail manuel (la poterie). En effet, « Le projet est né d’un constat c’est Salma qui est tombée à Paris dans la vitrine d’un antiquaire sur une poupée de Sejnane. C’était vendu à 200 euros alors que les femmes de Sejnane ne les vendaient même pas à 10 dinars c’est-à-dire moins de 5 euros »41. Une coopérative a été mise en place, le travail a été divisé sur toutes les femmes présentes de manière à ce que chacune ait un rôle à jouer. Un projet qui a conduit à la reconnaissance de la poterie de Sejnane dans le patrimoine mondial de l’UNESCO. Ainsi les projets d’art de l’association ne sont pas consacrés à une élite, mais bien au contraire, ils ont une très forte dimension sociale. Suite à la révolution l’association « l’Art rue » a été créée officiellement. Désormais, depuis 2015, l’association, occupe « Dar Bach Hamba », un palais situé en plein cœur de la médina. Leur positionnement géographique, leur permet désormais d’être au plus proche des problèmes de la médina, et de pouvoir réellement faire de l’art contextuel « Les œuvres artistiques se font avec les populations, soit directement soit indirectement. Directement, quand ils sont en plus artistes citoyens plus indirectement c’est quand on est dans un quartier, en recueillant la parole des uns et des autres (…) Parce qu’ils sont souvent des quartiers difficiles, très populaires où les gens ont peur d’aller. Et du coup en jouant sur ces quartiers tu leurs redonnes une vie et ça permet aussi de désenclaver la médina »41 EC O LE L’un des premiers projets qui concerne les places publiques était réalisé par un jeune français résident en Tunisie, qui a fait une proposition de design participatif. L’idée est de créer du mobilier urbain avec les jeunes du quartier. Pour cela, soutenu par l’association, il a loué un local et a nommé son projet « El warcha » c’est-à-dire l’atelier. Ils ont commencé par créer des poubelles avec des objets et des planches de bois de récupération, ensuite ils ont réalisé des bancs. Le projet a été apprécié par les habitants du quartier, plusieurs jeunes ont participé. « Tous les gens du quartier s’y sont mis, beaucoup les enfants mais tous les gens du quartier La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S sont vraiment entrés dans le jeu. (Ils ont commencé) à avoir envie de choses et c’est un projet qui existe toujours, ça a eu du succès. Les gens du quartier souhaitaient que ça reste. », Béatrice Dunoyer. Le projet existe encore aujourd’hui, l’atelier répond désormais à des commandes et répare le mobilier cassé. J’ai fait le choix d’en parler de cette association, non pas pour leurs projets artistiques, mais parce qu’ils traitent la question de l’espace public intérieur et extérieur. J’ai été les voir à leur local et j’ai pu voir de pré leur action. La dimension sociale de leur projet m’a intéressé et j’ai fait le choix de prendre en exemple deux de leurs projets qui sont en cours de réalisation au sein de la médina. A travers ces exemples de projets nous comment les habitant réagissent ? quelles solutions sont apportés ? Quelles difficultés rencontrées ? et quels sont les limites ? 101 102 La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés 01. La réappropriation des espaces publics par le réaménagement territorial S Exemple du projet «El Msab» EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE Le projet « El Msab » qui veut dire décharge a été lancé par Atef Maatallah un peintre tunisien qui a regroupé autour de lui un collectif formé d’une botaniste paysagiste, un architecte et une historienne spécialiste de la Médina. Il a fait le choix de travailler sur un espace situé au niveau de l’impasse El Kachekh. C’est un quartier populaire et très pauvre, comme plusieurs autres quartiers dans la médina. En effet, dans le milieu du XXème siècle, ce quartier était occupé par des tunisiens, Italiens et Maltais. Cependant suite à l’exode rurale plusieurs palais et maisons se sont divisés et les familles venant des compagnes ont pris chacune une chambre. Des années plus tard, ces familles pauvres n’avaient pas les moyens pour entretenir les habitations qui se sont beaucoup dégradés. La municipalité de Tunis a donc été obligé de détruire certains bâtiments qui sont tombés en ruine. Les restes de gravats n’ont jamais été nettoyé et la rue El Kachekh est depuis devenue une déchetterie à ciel ouvert (figure 51). Les habitants déversent leurs poubelles et les services de ramassage d’ordure ne passent pas par cette rue, parce que l’accès est difficile. De plus il n’y a pas d’éclairage public, ce qui a rendu le quartier dangereux surtout le soir. « Les femmes après 5 heure ne passaient plus et les hommes ne peuvent pas passer autrement qu’armés », Béatrice Dunoyer. En effet, des pratiques illégales se sont multipliés : drogues, alcool, prostitution. L’enjeu n’est pas des moindre, car il ne suffit pas simplement de nettoyer et de réaménager mais aussi de sensibiliser et changer les mentalités pour espérer que le projet perdure. N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés EC O LE Figure 51 : «El Msab», rue El Kachekh avant le nettoyage Crédit : Mouna Thomas dit Dupont Figure 52 : «El Msab», rue El Kachekh après le nettoyage Crédit : Mouna Thomas dit Dupont 103 104 La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés Des démarches administratives complexes EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Afin de réaliser le projet et commencer la réflexion, il faut avoir l’accord de la part de la municipalité. Une démarche qui va s’avérer compliquer d’autant plus que depuis la révolution la hiérarchie n’est plus respectée, la corruption s’est multipliée et le temps d’obtention d’une autorisation dépend de l’implication et de la bonne conscience de l’agent administrative. Pour intervenir dans l’espace public il existe deux démarches différentes selon si le terrain est privé ou public. S’il est privé alors la demande d’autorisation se fait par voie contractuelle. S’il est public, la démarche est alors administrative. Elle se fait auprès de la municipalité, de la mairie d’arrondissement ou du ministère de la culture, selon le type d’espace à aménager. La demande se fait par écrit dans laquelle l’association doit expliquer le projet. Si l’association a besoin de dispositif de sécurité, elle doit prévenir la police municipale. Dans le projet « El Msab », il y a eu un problème et la démarche était longue, car la parcelle de la place n’est pas publique. En effet, quand Atef Maatallah et le chargé de production sont allés voir les titres fonciers pour avoir les plans et les titres de propriétés, ils ont trouvé des documents qui datent de 1970 et ne sont pas à jour. Ils ont donc par la suite fait une demande à la mairie d’arrondissement pour savoir à qui appartient le terrain. Après des mois de recherche et même avec l’aide de la présidente de l’arrondissement, qui ellemême est la directrice de l’association de la préserve de la médina, personne n’a su à qui appartient le terrain. Ainsi, un jour le propriétaire de ce terrain peut contester la mise en place du projet. Mais la volonté du collectif de faire ce projet était grande et malgré le flou administratif, ils ont insisté pour avoir l’autorisation et ont contacté une des partenaires de l’association qui connait la secrétaire générale de la municipalité de Tunis, afin d’accélérer les démarches, c’est une pratique courante en Tunisie. Mais même avec cette personne clé, la communication était compliquée à établir. La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Finalement la municipalité de Tunis a accepté. Un contrat entre trois différentes parties qui sont l’association l’Art rue, la municipalité et Slim, un travailleur à son compte qui s’occupe du nettoyage des ordures a été signé. L’intervention va être diviser en deux périodes : la première, comprend le nettoyage, la mise en place des plantations et la réalisation d’une fresque, elle a eu lieu entre le mois de décembre 2018 et le mois d’avril 2019 et la deuxième s’étend du mois de mai 2019 au mois d’octobre 2019 et concerne la réalisation de deux autres fresques et la mise en place du mobilier urbain. 105 106 La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés Le projet EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Au départ, le collectif voulait nettoyer entièrement tout le quartier et faire une sorte de jardin d’Eden. Mais après réflexion. Ils ont décidé de garder en mémoire le passé de la place, en gardant une partie de la poubelle visible, « ils ont sculpté les poubelles. Ils ont nettoyé quand même. Mais la base c’est le socle sur lequel il y a les plantations, les arbres. À chaque fois on laisse voir un peu quelque chose d’archéologique où la couche inférieure se sont toujours les poubelles pour rappeler au gens du quartier comment c’était avant ». Ainsi le déchet prend une place centrale dans le projet, d’une part à travers le choix du nom de la place « El Msab » qui veut dire décharge. D’autre part à travers, la conception du projet. En effet, il a été décidé de nettoyer une partie des déchets et de laisser une autre. La poubelle forme le socle qui reste visible et qui est recouvert par la terre qui forme la deuxième couche. La troisième est formé de la végétation. Le déchet trouvé dans la place devient la matière première de l’aménagement. Face à ces strates et à l’aspect brutal des déchets, les habitants ne peuvent plus oublier le passé et les visiteurs peuvent facilement deviner l’histoire du lieu ainsi que le message du projet. (Figure 54) Les plantes choisies pour le projet sont comestibles et parfumées et ont une certaine symbolique. Ce qui permet d’embellir, de purifier l’air et de rendre la place plus agréable. Les plantes utilisées sont un olivier, de la menthe, du jasmin, des faux poivriers. De plus la municipalité de Tunis a accepté de mettre en place un système d’éclairage public. Trois fresques vont être réalisés sur les grands murs aveugles donnant sur la place, ces fresques seront des sortes de message aux autorités, de la part des jeunes du quartier. Sur la première fresque réalisé figure un jeune qui a cassé des chaines et qui essaye de regarder au-delà du mur, un message qui montre l’ambition des jeunes et leur frustration après la révolution. (Figure 55) N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés Figure 53 : Le projet «El Msab», rue El Kachekh Crédit : Photos prise par moi le 28/06/2019 EC O LE Figure 54 : Les trois strates : poubelles, terre, végétation Crédit : Photos prise par moi le 28/06/2019 Figure 55 : Fresque, strates, l’Olivier Crédit : Photos prise par moi le 28/06/2019 107 108 La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés Le rôle des habitants N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Avant le début du projet, madame Labidi une historienne, a mené une étude pour connaitre les avis des habitants. Ils étaient mitigés, certains étaient totalement pour cette intervention, jugeant qu’elle est indispensable. D’autres ont été plus réticents et avaient peur du changement. Pour eux cette intervention n’est pas nécessaire et qu’il y a d’autres problèmes sociaux plus urgents. Ils auraient préféré un projet visant à améliorer la situation des logements. Ils avaient peur que face à ce projet les prix de l’immobilier flambent. Durant l’élaboration du projet, les habitants ont participé notamment Slim qui était chargé de conduire le tracteur pour le nettoyage de la place. Cet habitant a été le premier à participer à la pollution « Slim a été le premier à jeter ses poubelles là-bas et il n’arrêtait pas de nous dire : c’est mes poubelles, j’enlève tout ce que j’ai mis pendant 20 ans ! », Béatrice Dunoyer EC O LE D’autre part, au fur et à mesure du projet, des habitants de la médina sont venus prêter main forte à la réalisation d’El msab. Une habitante de la rue El Kacheckh a également abrité les plantes dans son jardin, le temps qu’elles soient plantées « Cependant, tous les habitants n’ont pas prêté attention au projet qui se construisait à côté de chez eux. Leur territoire leur est tellement indifférent qu’il n’y prête plus attention. Beaucoup d’habitants et de commerçants continuaient à déverser leurs ordures tout au long des travaux même quand les artistes et les ouvriers étaient présent sur le lieu. La période de nettoyage devenait, donc, quasi quotidienne. Les enfants du quartier n’ont dans un premier temps pas respecté le lieu en venant déstabiliser le travail des artistes et ouvriers. Pour contrer ce problème, Atef Maatallah a proposé aux jeunes de remplir des ronds sur une des fresques entourant la structure La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés de déchets. Par l’approche artistique les enfants se sont intéressés et intégrés au projet et demandaient, à la fin, d’autres tâches »44. Petits à petit les habitants ont accepté le projet et ont commencé à se l’approprier. » N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Aujourd’hui, les habitants entretiennent les quelques plantations en arrosant quotidiennement et en faisant attention « on a inauguré ça fait un mois et demi, l’espace est nickel, il n’y a plus de poubelles. La mairie passe, il y a l’électricité, les gens font attention », Béatrice Dunoyer. Conclusion EC O LE Le projet de réaménagement de la place rue El Kachekh se situe dans l’un des quartiers les plus chauds, les plus pauvres et les plus polluer de la médina de Tunis, Un lieu où les gens avaient peur de passer. Les services de nettoyage et de maintenance de la municipalité ne passaient pas sous prétexte que l’impasse est très petite. Aujourd’hui et grâce à l’association et à l’artiste Atef Maatallah et à son collectif la place a été aménagé avec un travail autour de la mémoire. La population et malgré leurs réticences affichées au début du projet ont finalement apprécié le résultat final et essaye de faire un effort pour entretenir l’espace. Quand je suis passée sur les lieux, l’espace était relativement propre. Ainsi, si ça a fonctionné au niveau de ce quartier, ça pourrait fonctionner ailleurs ! Et si la municipalité coopère plus avec les associations en les encourageant et en facilitant les démarches administratives, cela pourrait être un moyen pour pallier le manque de moyen de la commune. Lors de mon entretien avec monsieur Kamel Gomri, directeur de la construction et de la planification urbaine, il m’a précisé que la municipalité est ouverte à toutes les propositions et si un projet est bien justifié, la municipalité est toujours prête à aider. (44) Mouna Thomas dit Dupont, rapport de stage 109 110 La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés 02. La réappropriation des espaces publics par le débat public : Exemple du projet « Al miad » : EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Le projet « El miad » est un projet qui consiste à réapproprier l’espace public avec la parole. Contrairement au projet précédent. « El miad » n’est pas encore réalisé, il est en cours de réflexion. C’est Nidhal Chamekh et le collectif « sans adresse », composé d’architectes, de citoyens, de penseurs, de gens de la société civile qui ont eu l’idée de ce projet : créer une Agora urbaine. C’est-à-dire créer un dispositif qui permet et pousse à la rencontre et au débat. En effet, l’idée est venue de réinvestir l’espace public, comme pendant la révolution et de redonner place au débat public, libre et démocratique. Il est prévu qu’au départ le collectif propose des sujets pour se retirer après et laisser place au choix et à la parole habitante. La méthodologie de ce projet est intéressante. Il ne s’agit pas de penser le projet et de l’adapter par la suite à une place mais d’avancer selon des enquêtes de terrain, des entretiens avec les habitants, des parcours commentés. Il s’agit de consacrer tout le mois de juillet pour choisir une ou plusieurs places de la médina ou de ses alentours pour poser le mobilier urbain adapté. Une fois l’étape d’analyse de terrain faites, la deuxième étape est la construction du mobilier. Le mobilier dont les caractéristiques sont modularité, facilité de transport, confort et invitation à la discussion, sera construit avec du bois de récupération. « L’idée c’est de créer un objet simple déplaçable, transformable, qu’on puisse déplier dans l’espace public où on veut et le rhabiller selon les thématiques qu’on souhaite et que les citoyens soient attirés et aient envie de venir participer », Béatrice Dunoyer. Dès le mois d’Avril, une exposition au sein du local de l’association l’Art rue a été mise en place et les essais de La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S maquettes présentés au public (photos ci-joint) Figure 56 : Photos de l’exposition des maquettes du projet «Al Maid» Crédit : Photos prise par moi le 28/06/2019 111 112 EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés Figure 57 : Schéma pris depuis la brochure du projet La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés Conclusion EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Le débat public revêt une dimension spatiale et sociale, que le collectif sans adresse souhaite développer. En effet, le projet « El Miad » est un projet innovant et différent qui vise à ce que les habitants se réapproprient l’espace public par l’intermédiaire de la parole. Un objectif ambitieux, peut coûteux et qui peut contribuer à améliorer le rapport des tunisiens à leurs espaces. Aujourd’hui le projet n’est pas encore réalisé, on ne peut pas connaître l’avis des habitants et comment ce projet sera perçu ? Aurait-il du succès ? Le collectif souhaite que le projet perdure dans le temps et que le mobilier sera un prétexte pour s’approprier l’espace public. Va-t-il être bien entretenu? Plusieurs questions qui restent ouvertes en attendant la fin du projet et les retours d’expériences. 113 114 La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés C. Les associations face aux institutions administratives, … Quelles solutions pour un meilleur espace public ? a. Intervention des associations face à l’impuissance de l’administration EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Comme nous l’avons vu à travers les deux exemples de projets précédents, les associations jouent un rôle important dans la société tunisienne depuis la révolution. La population tunisienne a confiance en leurs actions et ils interviennent dans tous les domaines et pallient de nombreuse fois au laxisme de l’état. En effet, comme c’était le cas pour le projet « El Msab », l’intervention de Atef Maatallah et l’association « l’art rue » a été indispensable pour que cet espace soit nettoyé et réapproprié par une partie des habitants mais surtout pour que la municipalité, qui a abandonné la rue El Kachekh depuis des années, fasse enfin son travail et reprend ainsi l’entretien de la rue et assure l’éclairage public. De même, le projet « El Miad » vise à redonner les espaces publics aux habitants à travers le débat public. Ainsi face au manque de budget et au manque d’autorité de l’administration, les associations ont souvent fait des projets intéressants dans tous les domaines et également dans le cadre du nettoyage et de l’embellissement de la ville. Cependant les projets réalisés sont à petite échelle et ne concernent pas les grandes places. Cela est dû à plusieurs facteurs, tout d’abord économique car les associations ont souvent des budgets limités, le mobilier de récupération n’est de très bonne qualité et se détériore rapidement. Il faut donc un entretien et une maintenance régulière, ce qui n’est pas forcément toujours le cas. Car assurer un suivi des projets nécessite une équipe de personnes dédié pour ça et des ateliers de réparation comme c’était le cas avec « El Warcha », mais malheureusement il faut à chaque fois chercher des volontaires et ce n’est pas évident. Le deuxième problème c’est celui de la sécurité, en effet, la municipalité ne donne pas facilement les autorisations pour occuper les grandes La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S places. Elles sont généralement très politisées et nécessitent d’important dispositif de sécurité. Ainsi, si le rôle des associations est important, celui de la municipalité est indispensable. La mairie est une instance publique et son rôle est très important dans l’aménagement et l’embellissement des lieux publics. Et les associations seules ne peuvent pas faire grand-chose. Cependant une coopération entre la municipalité et les associations peut être une solution. La municipalité facilite les démarches administratives et offres le matériel, en contrepartie les associations participent avec la main d’œuvre et la mise en place du projet. Mais dans tous les cas suite aux élections municipales, il est indispensables que l’administration publique reprenne son rôle et soit plus autoritaire. b. Une collaboration privé-publique, peut-elle être une solution ? EC O LE La Tunisie a récemment finalisé son cadre législatif relatif aux partenariats public-privé (PPP). « Le partenariat public-privé (PPP) est un mode de financement par lequel une autorité publique fait appel à des prestataires privés pour financer et gérer un équipement assurant ou contribuant au service public. Le partenaire privé reçoit en contrepartie un paiement du partenaire public et/ou des usagers du service qu’il gère. Ce mode de financement est présent dans de nombreux pays sous des formes variées. Le contrat de partenariat s’inscrit dans le champ de la commande publique. »45 L’objectif de ce partenariat est d’accélérer l’exécution des projets et d’améliorer l’action administrative contractuelle. L’association du secteur privé et du secteur public, peut être (45) Définition prise depuis le site internet de la présidence du gouvernement Lien : http://www.igppp.tn/fr/generalites 115 116 La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S adopter dans le cadre de l’aménagement des places publiques. Ainsi, selon les places, les municipalités peuvent s’associer avec le privé. Par exemple, dans le centre-ville de Tunis, il y a l’hôtel « le Laiko » qui donne sur la place Chokri Belaid, cette place nécessite un entretien et la municipalité n’a pas ni les moyens financiers, ni les moyens humains pour l’entretenir. Elle peut alors faire un contrat avec l’hôtel, il s’occupe de la place et en contrepartie la municipalité lui donne le droit de pouvoir mettre des affiches de publicité ou autres. Ainsi, selon le type et le contexte du lieu public, elle peut s’associer avec le privé pour une période déterminée. En contrepartie le privé assure l’entretien et le nettoyage. Cette loi peut donc être une solution à court terme, ou à longs termes selon les cas. Mais ce partenariat doit contribuer à la construction de l’intérêt général, il ne s’agit en aucun cas de masquer le désinvestissement des collectivités locales. Il faut faire attention à ce que le secteur privé ne prenne pas le dessus. L’idée est d’assurer l’entretien des espaces et non pas de les rendre des espaces privés. Ainsi, les contrats effectués par la municipalité doivent bien préciser les droits et les devoirs de chaque partie. EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S La société civile, un nouvel acteur dans l’aménagement des places et des lieux publics : rôle et difficultés rencontrés 117 LE EC O N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN S TE 118 CONCLUSION 119 EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Depuis le début du protectorat, les espaces publics en Tunisie ont pris différentes formes et furent destinés à des usages divers. Leur production ne peut pas être dissocié du contexte politique, social et économique du pays. En effet, la Tunisie est un pays à majorité musulmane et la séparation entre espace public et espace privé a été pendant très longtemps marquée. En effet, les espaces et lieux publics existants étaient tous soient destinés aux commerces : Souks, cafés, places pour vente de bétails soit des lieux de passages : rues, impasses, carrefour. Ils étaient également destinés et dominés par les hommes. Durant le protectorat ces espaces ont évolué, plusieurs changements ont eu lieu par rapport à la forme, l’usage et la symbolique des places. Au départ, elles étaient un simple résultat du tracé urbain conçu par les ingénieurs de la ville, désormais elles sont l’élément majeur de l’embellissement des villes, des grands boulevards (exemple : avenue Habib Bourguiba – ex Av Jules Ferry) et des grandes places (exemple : place de la Kasbah) ont été aménagées. Une phase de transposition de modèle a marqué la première partie du protectorat mais qui s’est transformée rapidement en une adaptation du modèle au mode de vie tunisien. Les espaces sont alors devenus des véritables supports de vie où la femme a petit à petit occupée l’espace et l’a approprié. Une mixité qui n’était pas appréciée au départ mais l’évolution de la société et le rôle joué par le président Habib Bourguiba ont fait que cette mixité a été acceptée. Les places publiques ont à chaque fois était marquées par le contexte politique : Sous les deux dictatures, les places étaient tributaires des décisions politique. Elles étaient le support de propagande du pouvoir, et un lieu où le pouvoir politique affirme sa domination. La révolution a amené un nouveau type d’espace, la population tunisienne a repris les commandes, et s’est réappropriée cet espace qui lui a été confisqué depuis une centaine d’années. Les lieux publics sont devenus de véritables agoras urbaines, des lieux d’expression, des lieux de performances artistiques et de débats. Le peuple s’est approprié cet espace de deux 120 CONCLUSION TE S façons différentes : Les places qui étaient un symbole du pouvoir du dictateur ont été fortement endommagées et les autres ont été nettoyées, les habitants ont en pris soin. Cependant cette période d’effervescence a vite laissé place à une période d’instabilité et de chaos, l’espace public est devenu le témoin du vide de pouvoir et les incivilités se sont multipliées. N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN Huit ans après la révolution, l’état tunisien est toujours dans une situation économique et sociale fragile, qui est nettement visible dans l’espace public. En effet, les populations déçues et frustrées par les décisions politiques et le laxisme du gouvernement, se sont désintéressées de l’espace public et n’en prennent plus soin. La crise des déchets a probablement été et est encore le meilleur témoin de ce désintérêt. L’état se trouve impuissant et face à un manque de moyens humains et matériels, les quelques efforts fournis sont insuffisants. EC O LE En 2018, il y a eu les premières élections municipales démocratiques, qui ont permis la décentralisation du pouvoir, une solution qui peut résoudre partiellement le problème. Un vrai travail attend les aménageurs qui doivent repenser la méthode d’aménagement des places car il ne suffit pas de mettre un banc, deux arbres et couler une dalle pour dire on a fait un espace, mais il est indispensable de prendre en compte l’avis et les besoins des habitants selon les cas. Il faut penser à la faciliter de l’entretien, et à la pérennité du mobilier. Dans ce cadre, le rôle de la société civile a été très important, et a permis le nettoyage et l’aménagement de plusieurs espaces et squares publics, un partenariat entre l’état et les associations peut être une solution pour l’entretien de certains espaces. D’autres partenariats peuvent être également envisager, dans le cadre de la nouvelle loi PPP (partenariat publicprivé), l’état peut s’associer avec le privé pour l’entretien et l’aménagement des grandes places. Il n’existe certainement pas de solution miracle, c’est une situation globale du pays qui fait que la population ne CONCLUSION N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S s’approprie pas les espaces publics. Cependant, si l’état est responsable de la dégradation des lieux publics et par extension de l’image du pays, les habitants sont encore plus responsables. Les incivilités se multiplient et pour espérer une amélioration, les mentalités doivent changer. Ce n’est certainement pas un travail facile, l’état doit lancer des campagnes de sensibilisation, et une planification urbaine doit être mise en place par les aménageurs de la ville dans le futur. Ce travail de mémoire a commencé à partir d’un constat que j’ai réalisé suite à la révolution, un travail qui m’a permis de connaitre l’histoire des places dans la société tunisienne, et de me rendre compte que contrairement à ce que je pensais l’aménagement des espaces publics ne dépend pas simplement du budget, mais c’est le reflet d’un état global du pays. Il est influencé par les situation sociale, politique et financière. C’est un problème plus profond et pas simple à résoudre. EC O LE Grâce à ce travail de mémoire j’ai eu l’occasion de rencontrer les habitants de discuter avec eux, de connaître leurs avis. J’ai été surprise par leur implication et leur volonté de changer. Cette expérience m’a rapproché encore plus de la réalité du terrain et m’a permis de me rendre compte de la multitude de problèmes auxquels la population est confrontés. Ce travail de mémoire est pour moi le début d’un plus long travail que je souhaite mener au futur et qui concerne l’aménagement et l’embellissement des villes en Tunisie. Mais pour commencer j’ai eu l’occasion de rencontrer des acteurs de la société civile qui étaient très accueillants et m’ont ouvert leur porte et avec qui je souhaite travailler plus tard. J’aurais cependant voulu faire plus de travail de terrain et approfondir plus mon analyse en faisant plus d’entretiens. 121 122 BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES // TE S LEGENDRE Bertrand, « Bourguiba », Paris, Fayard 2019, 452 p N AN JÜRGEN Habermas, «L’espace public», France, 2006, 325 p N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R FERJANI Saloua, «Les Places publiques à Tunis pendant la Période du protectorat (1885-1956) : Naissance, essor et prémisses de disparition» Tunis, 2017, 533 p AMMAR Leila, «Formes urbaines et architectures au Maghreb aux XIXe et XXe siècle», Tunis, 2011, 222 p BOURGOU Monji et HATZENBERGER Antoine, «Des paysages», Tunis, 2013, 205 p DACHEUX Éric, DAHLGREN Peter, FLORIS Bernard, PAQUOT Thierry, TASSIN Étienne,WOLTON Dominique, «L’espace public», France, 2008, 153 p ARENDT Hannah, «Condition de l’homme moderne», Chicago, 1958, 369 p EC O LE SEBAGH Paul, « Tunis histoire d’une ville », France, 1998, 686 p SENNETT Richard, Flesh and Stone, Londre-Boston, 1994 DE CRETEAU Michel, «L’invention du quotidien», France, 1990, 416 p BAUMAN Zigmunt, «Liquid Modernity», Cambridge, 2000 123 THÈSE // MATRI Faiza, «Lecture d’une ville : La médina de Tunis», publié en 1997, Tunis TE S ARTICLES EN LIGNES // N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN SEBASTIANI Chiara et TURKI Sami Yassine, « Espace (s) public(s) en Tunisie. 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LE EC O N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN S TE 127 128 ANNEXES Entretien avec Béatrice Dunoyer directrice des programme au sein de l’association «l’Art rue», L’entretien a été réalisé le 22 mai 2019 par téléphone. N AN TE S Moi: Pouvez-vous vous présentez et présentez le festival Dream city et l’association « l’Art rue » ? EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R Beatrice : Moi je m’appelle Béatrice Dunoyer, je suis directrice des programmes aujourd’hui mais en fait jusqu’à l’an dernier je dirigeais plutôt les productions. Là j’ai basculé sur tous les programmes. L’art rue a été fondée. Il faut peut-être effectivement parler de Dream city et de « l’art rue ». L’art rue est l’association qui porte le festival Dream city, mais Dream city est nait avant « l’art rue » pour la bonne et simple raison que tant que la révolution n’a pas eu lieu on n’a jamais pu être une association parce qu’on n’avait pas la carte du parti, on n’était pas reconnu en tant qu’association. Donc en fait Dream city est née en 2006, je vais vous raconter l’anecdote parce que c’est vraiment né un petit peu suite, à plusieurs choses bien sûr il n’y a jamais qu’une seule chose Salma et Sofiane Ouissi qui sont danseurs, chorégraphes et qui sont les créateurs et de Dream city et de l’art rue. Ils ont fait leurs études en Europe on fait le choix de revenir au pays et lorsqu’il dansait au pays dans des salles ils se sont rendu compte que c’était la bourgeoisie, une élite. Il n’y avait rien à voir avec le peuple, que l’art était complètement confisqué aux citoyens. Et lors d’une passation à la radio nationale. Selma a parlé en disant que c’était une dictature, que l’art n’était pas accessible à tous les citoyens que l’artiste n’avait pas de statut et a appelé les artistes à descendre dans la rue ce qui a valu l’interruption de l’interview. La police a débarqué. Et là ils ont dit il faut qu’on fasse quelque chose pour redonner la parole au peuple et libérer les espaces publics. Il n’y a aucun espace public où on puisse faire des choses. De là ils ont décidé de créer le Collectif Dream city en réunissant autour d’eux dans la totale clandestinité. Dans leur salon des artistes pluridisciplinaires d’art contemporain. Ça peut être 129 EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S aussi bien des gens de la danse du théâtre, installation, arts plastiques, jeux vidéo, musique pour réfléchir à une manière de réensemencer l’espace public d’acte citoyen et d’acte artistique et ils ont pensé le processus Dream city qui est fait une marche citoyenne dans la médina. C’est vraiment écrit comme une chorégraphie, avec des parcours où des gens se croisent et c’est une marche citoyenne qui amène son énergie d’œuvre en œuvre et donc ils ont travaillé pendant un an avec les artistes et avec aussi des penseurs. En fait on travaille toujours avec ce qu’on appelle les personnes ressources qui peut être aussi bien l’habitant d’à côté qu’un journaliste, un anthropologue, un ethnologue, un philosophe, un écrivain, qui sont venus pour aussi approfondir les idées, débattre de l’espace public : Comment ? Qu’est ce qui fait sens ? Comment on peut se faire réapproprier. Et le premier festival a eu lieu le 7 novembre 2007, c’est à dire le jour anniversaire de l’avènement de Ben Ali qui a eu lieu chaque année plutôt en banlieue, effectivement la date était symbolique et en plus la police étant occupait à monter la garde autour de Ben Ali, ils vont arriver à vivre quelques heures sur l’espace public est en fait il y a eu une réaction ! Il y avait juste un blog. Il y a eu cinq mille spectateurs du coup le festival a réussi à tenir malgré la police pendant les trois jours. Et en fait ça avait vraiment été pensé comme une démarche ponctuelle mais à la demande des artistes et du public et des gens de la médina le festival a perduré. Donc en fait ça a été le premier acte du collectif. Le deuxième acte parce qu’on n’avait toujours pas l’association, c’était l’aroussa. Donc je pense que Marie vous en a beaucoup parlé. C’était vraiment une idée aussi d’avoir une action collective artistique dans les régions. Le projet est né d’un constat c’est Salma qui est tombée à Paris dans la vitrine d’un antiquaire sur une poupée de Sejnane. C’était vendu à 200 euros alors que les femmes de Sejnane ne les vendaient même pas à 10 dinars c’est-à-dire moins de 5 euros, elle a dit c’est pas possible, c’est un patrimoine absolument extraordinaire. Il n’y a qu’à Sejnane qu’on trouve les poupées parce que dans l’art et surtout dans l’art Sud il n’y a pas de matérialisation du corps humain. Donc c’est vraiment une exception et c’est une tradition millénaire et cette région est d’une pauvreté incroyable. Donc l’idée c’était 130 ANNEXE EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S qu’est ce qu’on peut faire dans ce contexte pour redonner la visibilité à ces femmes, redonner, revaloriser leur art. Et leur donner des espaces de liberté, de création. Et c’est à partir de là qu’on a commencé à aller sur le territoire pour passer de femmes en femme pour voir un peu leurs attentes, qu’est ce qu’elles souhaiteraient faire parce que l’idée c’est toujours de faire des sociétés rêvés, horizontales. Dream City, c’est la société rêvée urbaine où les gens se croisent, l’Aroussa c’était la société rêvée rurale où l’idée c’est que chaque femme trouve sa place, donc on a fait pleins d’entretiens avec les femmes, donc il y avait celles qui avaient envie de sculpter, celles qui ne savaient pas très bien sculpter mais il n’y avait rien d’autre pour les femmes, donc elles vont plutôt ramasser les terres et il y a celles qui préfèrent s’occuper des enfants. Voilà, à partir de tous ces désirs on a développé une société où il y avait 60 femmes (…) et entre temps il y a eu la révolution et tout le monde a voulu travaillé et du coup l’idée était de réunir des collectifs d’artistes qui allaient travailler autour de ces femmes et que ces femmes soient rémunérées pour expérimenter. De faire un peu ce qu’elles avaient envie, leurs poupées parce qu’effectivement le projet s’appelle « l’Aroussa » ça veut dire la poupée, la mariée aussi, la fiancée (…) l’idée est de développer une société autogérée où chacune a sa place. Donc c’était un projet qui était censé ne durer qu’une seule année. Donc on invité le collectif La luna. Il y avait une céramiste Béninoise, une plasticienne tunisienne Selma et Sofiane aussi qui ont fait une chorégraphie à partir du langage gestuel des femmes surtout les chaises qu’elle utilise pour la poterie. Et on a fait une grande exposition et jardin où on a fait venir les bus des gens de Tunis notamment journalistes, intellectuels pour essayer de mettre le flash sur Sejnane. Ça a très bien marché parce que la poterie de Sejnane ne se trouvait nulle part. Aujourd’hui elle est vendue partout il y a plein d’associations qui se sont formées à Sejnane pour essayer de vendre les produits et aujourd’hui depuis l’an dernier la poterie de Sejnane est reconnu au patrimoine de L’UNESCO. Donc ça c’est une grande avancée. Par contre, on espérait vraiment pouvoir développer une coopérative genre on avait la mairie de Sejnane qui nous a ANNEXE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S donné un terrain. On avait commencé à faire les plans avec les architectes mais nous on est un collectif d’artistes on ne sait pas faire le marcher et on n’a pas trouver de collectif d’économiste social et solidaire pour reprendre le projet. Ça c’est vraiment dommage parce qu’on aurait vraiment aimé rester dans cette dynamique et créer la coopérative de la même manière que les femmes avaient travailler lorsqu’on était là. c’est à dire où chacune a sa place, où dans la coopérative elles aient une garderie, une crèche, quelques moutons et des plantations pour celles qui s’occupent de la cuisine et qui du coup elles puissent être vraiment totalement autonome. Mais là ça veut dire aussi étude de marché parce qu’il faut que tout le monde puisse être rémunérée combien de temps ? Qu’est ce qu’il faut faire ?. Et on n’a pas trouvé de gens qui prennent la relève. En même temps c’est vrai que le travail comme je dis aujourd’hui les gens viennent de partout. Il y a plein d’associations qui ont pris le relais et notre travail n’a pas été vain, loin de là ! Moi: D’accord EC O LE Béatrice: En 2012 juste après la révolution là on a déposé l’association L’Art Rue pour être une association et on s’est mis aussi à détricoter tout ce qu’on avait fait en disant qu’est ce qu’on a envie de faire ? ça va être quoi les grands axes de l’association et là en mettant un petit peu à plat tout ce qui est un peu nouveau bien évidemment toujours travaillé sur l’espace public pour être au plus proche. Ce qu’on appelle espace public, plus dans l’art contextuel. C’est-à-dire pas forcément sur l’espace public mais ça peut être chez l’habitant ça peut être dans un hammam, ça peut être dans un restaurant. C’est des lieux non conventionnels mais qui font sens avec l’œuvre créée Moi : D’accord Béatrice: Quand on a réparti le travail sur plusieurs axes le premier axe étant artistique. (...) un art adapté au contexte tunisien, le seuil intérieur extérieur est beaucoup plus poreux en Tunisie qu’en Europe […] Les œuvres artistiques se font avec les populations, soit directement soit indirectement. Directement, quand ils sont en plus artistes citoyens plus indirectement c’est quand on est dans 131 132 ANNEXE EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S un quartier, en recueillant la parole des uns et des autres. L’idée c’est vraiment de travailler dans les quartiers et après lorsque les pièces se sont créées de travailler sur ces quartiers. Parce qu’ils sont souvent des quartiers difficiles, très populaires où les gens ont peur d’aller. Et du coup en jouant sur ces quartiers tu leurs redonnes une vie et ça permet aussi de désenclaver la médina et de faire rentrer un public dans les zones où il n’oserait par rentré et ça on mène vraiment un énorme travail là-dessus. Tout est cloisonné à la médina et il y a d’énorme rivalité d’un quartier à un autre. Et en travaillant justement sur des mixités de quartiers. Voilà ça c’est un exemple La deuxième personne c’était un jeune Français résident en Tunisie, qui a fait une proposition de design participatif et l’idée, parce qu’en fait la Tunisie n’a aucun mobilier urbain, n’avait mais il y en a toujours pas beaucoup. Sous une dictature le mobilier urbain c’est des lieux où les gens peuvent se rencontrer, se parler. Donc bon ça existait pas, il n’y avait rien mais strictement rien. Dans un quartier populaire, l’idée était de créer du mobilier urbain avec les gens du quartier. Donc on a loué un atelier qui ouvraient sur la place. Les portes étaient grandes ouvertes les enfants et les adultes pouvaient venir créer leur mobilier urbain. Chaque semaine il y avait des thématiques. La première c’était de commencer par faire des poubelles parce que c’est un souci. Après ça a été des bacs à fleurs, des tables d’échecs. Du coup les week-end les vieux venaient apprendre aux enfants à jouer aux échecs. Ils ont fait aussi des sortes de hamacs et voilà. Et tous les gens du quartier s’y sont mis, beaucoup les enfants mais tous les gens du quartier sont vraiment entrés dans le jeu. A avoir envie de choses et c’est un projet qui existe toujours, ça a eu du succès. Les gens du quartier souhaitaient que ça reste. Et du coup on a aidé les artistes à déposer les dossiers pour qu’ils puissent avoir des subventions. C’est un projet qui existe depuis 2015 et il est toujours implanté dans le quartier Moi : Ah donc, ils continuent quand même à créer du mobilier urbain aujourd’hui ? Béatrice : Tout à fait, alors pour la première phase, nous on était ANNEXE TE S en résidence alors tout était gratuit. Là aussi ils répondent à des commandes. Et les commandes c’est à prix contant. Donc c’est les jeunes du quartier. Par exemple, c’est assez drôle parce que, comme quoi ça montre à quel « El Warcha », le projet s’appelle « El Warcha » c’est l’atelier. Le poste de police cette année a commandé à « El Warcha » un bac à fleur pour le mettre devant le commissariat. N AN Moi: C’est très bien ! ça les encourage EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R Béatrice: Oui bah tu vois quand tu arrives à la police. Et l’idée c’est de répondre aux envies des citoyens du quartier en faisant payer le prix coûtant. Quand on a fait les trois mois où on pouvait subventionner, tout était gratuit. Mais là ça permet au même temps au projet de continuer, d’engager. Voilà ! Donc l’idée c’est d’être dans cette réflexion là avec l’espace public. Et comment tu le retravaille. Là actuellement, on a des gros projets qui sont vraiment réflexion, réaménagement, territoire. Je vais t’envoyer de la documentation. On a eu une stagiaire marseillaise qui est venue en stage chez nous qui est en développement territorial. Je l’ai mis sur les deux projets et je lui ai dit, tu écris dessus : « El Miad » c’est un projet de récupération de l’espace public par la parole. C’est Nidhal Chamekh qui a essayé de réunir autour de lui un collectif composé d’architectes, de citoyens, de penseurs, de gens de la société civile et il l’idée c’est comment on peut créer aujourd’hui une Agora urbaine. Mais l’idée c’est de créer un objet simple déplaçable, transformable, qu’on puisse déplier dans l’espace public où on veut et le rhabiller selon les thématiques qu’on souhaite et que les citoyens soient attirés et aient envie de venir participer. Moi : D’accord Béatrice : Mais on est là en plein développement du projet Moi : Oui ça m’intéresse ! ça m’intéresse d’avoir les documents dessus si ça ne vous dérange pas Béatrice : Voilà là on est au début du projet. Et le deuxième 133 134 ANNEXE EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S projet qui est par contre un peu plus avancé, parce que ça fait un an qu’on l’a amorcé, c’est « El Msab », ça veut dire la décharge. C’est un collectif, c’est Atef Maatallah un peintre tunisien qui a organisé autour de lui un collectif avec une botaniste paysagiste, un architecte, lui et une historienne spécialiste de la Médina et ils ont travaillé sur le quartier qui est juste derrière chez nous qui est un quartier très pauvre et qui est devenu, en fait le problème de la médina c’est que tout était des magnifiques palais du coup gigantesque qui ont été abandonné par les familles qui sont partis dans la banlieue notamment la banlieue nord à l’époque mais aussi la banlieue sud qui était plus chic et les gens ont commencé. Et lorsqu’il y a eu l’exode rurale les gens qui venaient des campagnes ont pris un peu d’assaut ces palais et c’est devenu ce qu’on appelle les « Oukala » parce que chaque famille a récupéré une pièce du Palais. Et donc il y a pleins de choses qui n’existent plus, qui sont cachés. Mais ce n’est pas la propriété de l’Etat. Et du coup on a des zones dans la médina de maisons effondrés où tu as encore des gravats et qui sont devenus des poubelles à ciel ouvert. Et l’idée c’est vraiment de travailler sur cet espace qui est un espace assez grand, de le réaménager, de travailler. Au départ c’était de nettoyer complètement, ranger les poubelles pour faire une sorte de jardin d’éden. Et puis finalement le projet, ils ont réfléchi et ils ont gardé des strates. C’est-à-dire qu’en fait ils ont sculptés les poubelles. Ils ont nettoyé quand même. Mais la base c’est le socle sur lequel il y a les plantations, les arbres. A chaque fois on laisse voir un peu quelque chose d’archéologique où la couche inférieure se sont toujours les poubelles pour rappeler au gens du quartier comment c’était avant. Et par la suite la terre a été déposée sculptée et on a réfléchi, quelles plantes mettre ? un olivier au centre. Et donc là on a fini la première phase du travail. Le nettoyage n’est pas une mince affaire. Parce que la mairie avait complètement baissé les bras. Ils n’arrivent pas ! Alors on a fait ça avec des petits tracteurs avec les gens du quartier qui ont participé et qui était payé pour ça. Et c’était très drôle parce que la personne qui a pris en charge ce gros chantier parce que c’était quand même énorme c’était Slim quelqu’un du quartier qui a été le premier à jeter ses poubelles là-bas quoi et il n’arrêtait pas de nous dire ANNEXE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S c’est mes poubelles, j’enlève tout ce que j’ai mis pendant 20 ans ! (rires) Béatrice: Donc les gens se sont aujourd’hui approprié l’espace. On a fait des conventions avec la mairie pour qu’ils nous aident. La mairie a installé l’électricité et ça c’est un quartier où personne ne passait. Les femmes après 5 heure ne passaient plus et les hommes ne peuvent pas passer autrement qu’armés. Parce que c’était vraiment sur les poubelles où les jeunes venaient se droguer et se prostituer. Donc ça a été vraiment rangé et les gens sont en train de se réapproprier, d’arroser les plantes. Là pendant le printemps on va faire des ateliers avec les enfants autour de la permaculture. Et la deuxième phase du travail va commencer pendant l’été avec les parties architecturales. Donc implantation de mobilier urbain qui n’a pas encore été fait. Ce que je vais t’envoyer c’est que la première partie du projet. […]. Oui là on va partir dans la deuxième phase du projet, avec réflexion de quels mobiliers urbains comment continuer les plantations et comment continuer le travail avec les populations avec leurs envies ; jardins partagés et voilà donc voilà on est vraiment dans cette dynamique-là de se battre pour récupérer l’espace public mais l’espace public pour le citoyen. Moi : D’accord. Pouvez-vous juste me répéter le nom de la rue ? Béatrice : Oui, c’était l’impasse « El Kachekh » EC O LE Moi : Est-ce que du coup les gens après il préservent ce qu’ils construisent ? Béatrice : Pour l’instant oui (rires) Moi : (rires) C’est normal ça vient juste de commencer mais pour l’expérience la plus ancienne l’atelier par exemple est-ce que ça continue ? Béatrice : Oui l’atelier continue, il y a pleins de choses qui se font Moi : D’accord ! Est-ce que les gens qui ont eux même créer 135 136 ANNEXE le mobilier urbain, est ce qu’ils en prennent soin derrière ? Parce que je sais qu’en Tunisie c’est toujours ça le problème, l’entretien! N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R Moi : D’accord N AN TE S Béatrice : Je dirai plus ou moins parce qu’après le problème c’est que les matériaux on n’a pas l’argent, ni nous, ni « El warcha » pour faire du super beau mobilier, donc c’est beaucoup de bois de récupération et c’est sur l’espace public. Donc très vite il faut le réparer, le refaire Béatrice : Mais c’est fait parce que « El warcha » est toujours là. En fait, les Tunisiens si tu leur donne un moteur … ça marche ! Mais il faut un moteur Moi : Oui il faut les pousser ça c’est clair ! EC O LE Béatrice : Mais vu que El warcha est toujours là et qu’il y a plein de jeunes qui travaillent avec eux. Ils vont dire aller on va faire ça, on va réparer ça. Mais ça se fait petit à petit tu vois ! Mais le problème après, moi je suis tout à fait d’accord avec. J’ai eu une discussion avec mon chérie algérien Mustapha Ben Fadhil activiste, écrivain alégien qui disait que le problème des espaces publics dans les pays sous dictature ou les pays qui ont perdu tout espoir. C’est que si tu ne crois pas dans ton pays ça devient réellement une poubelle. Les gens ils nettoient chez eux et ils jettent devant chez eux. Du coup quand vous leur donnez du rêve en disant ça vous appartient, vous pouvez vous le réapproprier. Aujourd’hui on a inauguré ça fait un mois et demi, l’espace est nickel, il n’y a plus de poubelles. La mairie passe, il y a l’électricité, les gens font attention. Après il y a des choses qui se passent parce qu’ils se le réapproprient. Et on a vu après la révolution avant qu’il y ait Kasbah 1, Kasbah 2, ça allait encore mais après ça a dégénéré. Les gens ont de nouveau perdu espoir. Juste après la révolution, pas les quinze jours où on était sous la police de Ben Ali. Dès que les choses sont rentrées un peu dans l’ordre, les gens, la première chose qu’ils ont fait c’est nettoyer. ANNEXE Moi : Oui Béatrice : les gens, la première chose qu’ils ont fait c’est qu’ils se sont réapproprié leur espace public. Ils se sont mis à nettoyer, à repeindre des places. Il y avait pleins de collectifs, pleins d’appels et les gens venaient, c’était la fête ! N AN TE S Moi : Il y avait les deux après la révolution, il y a des espaces qui ont été détruit parce qu’ils rappellent le pouvoir et d’autre qui ont été amélioré N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R Béatrice : Oui mais c’est pas les même types d’espaces. Après oui tous les espaces qui étaient liés au pouvoir, c’était des tags, des destructions, mais c’est parce que c’était des lieux symboliques aussi ! Moi : Oui Certes ! EC O LE Béatrice : Oui d’ailleurs, ils étaient fermés depuis. La Kasbah ils ont mis des grilles, c’est plus une très grande place ouverte comme avant. Et pareil devant le ministère de l’intérieur à l’avenue Habib Bourguiba il y a toujours des grillages. Depuis la révolution, la circulation est arrêtée au milieu, du coup c’est le gros bordel pour rentrer et sortir, quand tu sors de la médina ou du centre-ville. Avant il y avait les grands axes maintenant tu peux monter mais tu ne peux pas redescendre. Voilà ! concernant les résidences après on a d’autres axes concernant l’art et l’éducation, où on travaille avec les enfants, mais là on n’est pas sur l’espace public. Mais tout dépend de ce qu’on appelle espace public. Une école devra être considérer comme espace public parce que ça appartient au public. […] Le troisième axe tout ce qu’on appelle formation, sensibilisation, réflexion. C’est toutes les tables rondes, tous les sujets de société qu’on souhaite abordés parce que bon l’art, il est au carrefour de la politique, du social, de l’économie, et de voir ce qu’on fait comme activités dans la résidence artistique ou avec les enfants. Quelles conférences ? Quelle table ronde peut avoir du sens ? Quelle formation ? Et le dernier axe c’est le festival « Dream city ». Qui lui a effectivement évolué d’année en année. La première année 137 138 ANNEXE EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S c’est Salma et Sofiane qui ont appelé des artistes qu’ils connaissaient. Après c’est un appel à projet autour de thématiques de réappropriation de l’espace public. Et en 2012, c’était comment l’artiste peut participer au processus démocratique du pays. Donc c’était des gens qui déposaient des projets et qu’on accompagnait pour les contextualiser dans la médina et on restait toujours sur notre fin. C’était des œuvres relativement courtes pourtant avec un temps de travail assez long. On commençait à travailler avec les artistes un an avant le festival, en les accompagnant tout le long du processus. Mais il y avait quelque chose de faux. Et en fait en 2015, on a renversé la situation. On a dit on met tout à plat. En fait on va inviter des artistes sans projets. On va les immerger dans la médina de Tunis. Notamment les artistes étrangers qui ne connaissent pas. En mettant en place d’autres méthodologies : les visites de la médina thématiques avec des anthropologues, donner des codes de la médina, faire rencontrer les gens de la médina et tout un panel de personnes ressources qui peut être habitant, l’ébéniste du quartier, mais aussi le journaliste, l’historien, l’anthropologue. Et c’est au fur et à mesure des visites et des discussions que l’artiste se dit tiens ce sujet m’intéresse ou de ses ressentis que le projet naisse. Ça a complètement changé. D’abord les œuvres sont beaucoup plus lentes. Tu rentres dans des sujets qui sont tous des sujets de société. Parce que ce qui ressort c’est ce qu’ils entendent. Et donc c’est les problématiques vécus par les gens au quotidien. La jeunesse, il n’y a pas d’espoir pourtant, c’est une jeunesse hyper dynamique, omni présente, parce que c’est un pays excessivement jeune. Du coup même les thématiques sont complètement contextuelles. Moi : D’accord ! Béatrice : C’est que les gens qui viennent travaillent réellement sur le pays au moment où les gens le vivent quoi ! Et après ils ont un an pour développer l’œuvre. Les œuvres n’ont plus des formats qui durent un quart d’heure mais plutôt des formats de 3 quarts d’heure voir 2 heures. […] ANNEXE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Moi : Je trouve que c’est super intéressants les différents axes de l’association l’art rue et les projets sociaux surtout réalisés dans le cadre du Festival Dream City. Mais je veux juste revenir à la question des espaces publics. Je voudrai savoir pourquoi vous vous limiter à la médina ? Pourqoi ne pas sortir de l’enceinte de la médina pour occuper d’autres espaces ? Et si vous souhaitez rester dans la médina pourquoi vous n’occupez pas des espaces plus grands telle que la Kasbah, où typiquement sous 40°C l’été il n’y a rien à faire là-bas. Est-ce que vous réfléchissez à des projets pour occuper ces espaces ? EC O LE Béatrice : On le sait ! Là depuis quelques années on a de grands concerts dans les espaces publics. Cette année on essaye d’avoir la place Barcelone. C’est pas gagnée ! c’est pas gagné !! On a déjà fait des choses sur la grande place de la mairie ou sur la porte de la victoire. Après pour la médina, on est ancré dans la médina et si tu fais de l’art contextuel, il faut que tu connais très bien ton contexte. Mais on n’est pas fermé qu’à la médina. C’est vraiment médina et ses faubourgs. (…) Mais on reste toujours effectivement sur un périmètre. Parce que pour nous la médina de Tunis c’est un peu le micro cosme de la Tunisie. Il y a tous toutes les classes sociales. Il y a le haut de la médina, les rues qui ont été restauré : rue du Pacha où c’est des familles aisées, des tunisiens cultivés qui sont revenus et ont repris leur patrimoine et racheté des lieux. C’est un quartier plutôt chic et plus tu descends, plus tu arrives de l’autre côté, plus tu es sur les quartiers populaires. Donc tu as tous les corps de métiers et on a toutes régions qui sont représentés. Tous les exodes, les gens qui n’ont pas réussi, ont fini dans la médina. La médina est à la fois hyper traditionaliste mais à la fois hyper inclusive. C’est-à-dire dans la médina on a toutes les minorités. Toutes les minorités cherchent refuge dans la médina. C’est-à-dire ce que tu développes dans la médina fonctionne ailleurs. Cela ne veut pas dire qu’on ne va pas investir d’autres espaces dans le futur ! Tu ne débarque pas comme ça pour travailler dans un quartier si tu ne connais pas à minimum les gens. Depuis 2015, on a fait un bond extraordinaire en venant s’installer dans la médina avant c’était chez moi, c’était chez Sofiane. On était pas là tout le temps. Maintenant les gens nous 139 140 ANNEXE connaissent et ont confiance en nous, on partage leur quotidien. C’est quelque chose que tu n’arriveras jamais à avoir si tu te disperse ! Moi : Oui, c’est vrai N AN TE S Béatrice : Mais c’est vrai la médina manque de grands espaces et même nous on en souffrent. Selon ce qu’on souhaite faire, c’est des fois compliqué. (…) N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R Moi : D’accord mais du coup vous vous travaillez beaucoup avec les artistes c’est l’idée aussi de démocratiser l’art. Mais les gens dans la médina, notamment les retours que vous avez, ils ne disent pas que c’est très élite comme choix que vous avez fait, d’inviter des artistes dans la médina ? EC O LE Béatrice : Alors les retours, moi je sais que quand je passe, on m’appelle Dream city, Dream city (rire) ça ne veut pas dire que tout le monde aime Dream city, loin de loin. Mais le festival crée une dynamique dans la médina que les gens de la médina en bénéficient réellement. D’habitude tu n’a que la médina marchande, le reste de la médina n’est absolument pas visité. Et d’un coup toute la médina grouille, ça fait travailler les commerçants, ça fait travailler les petits cafés,ça fait travailler tout le monde. Donc déjà d’un point de vue économique, ils nous attendent comme le messy. Par contre ce qu’on a un peu de mal à avoir, tous ce qui est sur l’espace public les concerts, certains spectacles de danse où là les gens de la médina viennent vraiment. Dès qu’il y a un seuil à franchir, c’est différent on les perd. (…) Depuis 2015 les choses évoluent […] L’art n’est pas une question de culture et on peut changer d’avis et évoluer et être toucher par des œuvres. […] Moi : D’accord, merci beaucoup pour m’avoir consacré votre temps. C’est vraiment super intéressant votre démarche et personnellement je continuerai à suivre de près votre travail. LE EC O N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN S TE ANNEXE 141 142 ANNEXE N AN TE S Entretien avec Kamel Gomri directeur de la construction et de la planification urbaine au sein de la municipalité de Tunis. L’entretien a été réalisé le 28 juin 2019 dans son bureau à la municipalité J’ai réalisé cet entretien en arabe et je l’ai traduit en français N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R KG : Kamel Gomri Moi : Bonjour, comme je vous ai déjà expliqué dans le cadre de mon mémoire je travaille sur les espaces publics à Tunis et leur aménagement … EC O LE KG : Oui, place publique, squares, placettes, des ruelles, des impasses, il y a des choses spéciales dans la médina, par exemple la place 14 janvier située sur l’avenue Habib Bourguiba est une vrai place, connue et visible pour le public par contre dans la médina il y a des petites places connues par les habitants et c’est des lieux de vie surtout auparavant je cite le quartier el Hafsia par exemple et il y en a beaucoup à la médina. Il y a la place devant le palais de kheir eddine, très jolie place pavée, malheureusement à Tunis on manque de grande places mais récemment nous avons commencé à travailler sur l’aménagement de la nouvelle place Beb Souika pour lui redonner vie et lui rendre son rayonnement d’avant. On essaye de faire quelque chose de bien mais notre problème est qu’il y a beaucoup d’intervenant et d’intervention. Moi : De la part de qui ? des responsables ? KG : Non, non, les commerçants décident et font la loi. Notre objectif là est de travailler sur les rue et les places piétonnes pour réduire le nombre de voitures au centre. Par exemple pour la place Bab souika nous voulons la rendre piétonne, comme les places en Europe pour réduire les voitures, mais nous sommes confrontés à une résistance de la part des commerçants qui ANNEXE donnent sur cette place. Cependant on travaille sur ce projet et le travail est en cours. S Moi : Il y a-t-il une politique d’aménagement et de planification ? Et sur quelle échelle de priorité vous placez l’aménagement des places ? N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE KG : A Tunis nous ne pouvons plus créer de places, nous avons travaillé sur une place rue Palestine, je ne sais pas si tu la connais nous l’appelons avant place d’Afrique maintenant elle est devenu place Mohamed Brahmi1. Il y a deux ans il y a eu un projet et elle a été réaménagée et remise à niveau, en plus elle porte désormais le nom de Mohamed Brahmi. La deuxième place qu’on a réaménagée est la place des droits de l’homme, elle se situe devant l’hôtel Laiko, elle s’appelle maintenant « place du Martyr Chokri Belaid2 pour les droits de l’homme ». Moi : Mais son aménagement a été le sujet d’une polémique3 ? KG : Non les polémiques concernant la manière d’écrire, la forme de la plaque, etc tout cela est secondaire, l’essentiel c’est que la place a été réaménagée et qu’elle fonctionne bien aujourd’hui. L’essentiel est de la préserver et nous devons savoir faire son entretien. Le problème c’est que dans cette place il y a beau- EC O LE (1) Mohamed Brahmi est un homme politique tunisien, il a été un opposant du régime politique de Ben Ali (le dictateur). Après la révolution de 2011, il est élu député à l'assemblée constituante comme représentant du gouvernorat de Sidi Bouzid tout au long de son mandat, il critique le mouvement politique de la Nahdha (les islamistes qui étaient au pouvoir). Dans le même temps, il participe à la création du mouvement du peuple (parti de gauche). Le 25 juillet 2013 il a été assassiné au coups de feu devant son domicile par deux hommes de l’extrême droite. (2) Chokri Belaid est un homme politique et avocat tunisien. Il était un opposant de Ben Ali. Après la révolution, il crée le Parti unifié des patriotes démocrates avec d'autres militants patriotes démocrates. Il participe avec celui-ci à la création du Front populaire, une coalition de partis de gauche. Il était l’un des fervents opposants de la Nahdha et des islamistes. Il a été assassiné le 6 février 2013 alors qu’il sortait de son domicile. Son assassinat provoque des manifestations violentes et la plus grave crise gouvernementale depuis la révolution de 2011. (3) La polémique concerne la manière avec laquelle la plaque indiquant le nom de la place est écrite. 143 144 ANNEXE EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S coup de plantation, de gazon donc elle nécessite un budget important alors que nous n’avons pas forcément les moyens. Alors on attend de l’hôtel Laiko, situé à côté de la place de nous aider à l’entretenir. Moi : A part les événements éphémères exemple : Chokri Belaid est mort alors on fait une place, Mohamed brahmi est mort alors on fait une deuxième place … KG : Non, non ces places n’ont pas été créées on les a juste réaménagés, on a fait une mise à niveau et un entretien de l’existant. Par contre la place Zouaoui on l’a entièrement aménagé avec les moyens propres de la municipalité. Avant, il y avait deux arbres centenaires, l’espace en dessous été couvert par les racines et il n’y avait pas du tout d’aménagement, les gens et les marchands ambulants venaient s’assoir à l’ombre maintenant elle a été aménagé. Moi : Pourquoi avez-vous choisi cette place et non pas une autre, quelles sont vos critères de choix ? KG : Cette place est en plein centre-ville, et on choisit les places selon la nécessité des projets en cours et dans le cadre aussi de l’embellissement de la ville. Moi : il y a-t-il une stratégie ? KG : Non mais peut être maintenant, après les élections municipales, nous avons 15 arrondissements municipaux à Tunis et dans chaque arrondissement il y a un groupe élu et chacun a ses propres projets sur lesquels il travaillent. Ainsi, maintenant on remarque que chacun a une place qui veut la mettre en évidence et la rendre une place centrale. Avant c’était centralisé au niveau de la mairie, donc tout dépendait du maire et c’est à lui de tous gérer. Par exemple pour la place Bab Souika c’est la mairie qui travaille dessus et avant la mairie ne consacrait pas beaucoup de budget (faute de moyen) à l’aménagement des places en dehors du centre-ville, maintenant j’espère que ça va changer. Mais pour répondre à ta question, jusqu’à aujourd’hui nous n’avons pas de stratégie urbaine pour l’aménagement des places au centre-ville, par contre dans les nouveaux lotissements. A l’échelle du lac4, tous les nouveaux projets ont des places assez (4) Le lac est une région à proximité de Tunis où vit une communauté très aisée. ANNEXE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S généreuses. C’est le fruit d’un long travail qui a été fait entre le promoteur privé et la municipalité. A hraireya, zone Ouest de Tunis, un très grand lotissement dont le maître d’ouvrage est AFH (agence foncière d’habitation) il comporte un très grand parc urbain, il y aura des installations de collecte d’eau pluviales, plusieurs mesures écologiques. Voilà ça c’est des choses planifiés mais tous ce qu’on planifie est dans les nouveaux lotissements, mais pour venir en tant que municipalité et dire qu’on va prendre un immeuble, le détruire pour agrandir ou pour créer une place, la municipalité n’a pas les fonds nécessaires pour exproprier tout ça. A l’époque de Ben Ali on a fait un projet de réaménagement et d’embellissement de la petite Sicile avec une très grande et belle place au milieu mais le projet était trop ambitieux par rapport au budget et tout est tombé dans l’eau. La seule solution aujourd’hui est de s’associer avec le privée, la mairie facilite l’expropriation et les démarches administratives et l’entrepreneur paye, il faut bien sûr une étude pour que le projet soit rentable. On a rêvé à un moment donné de beaucoup de projets mais aujourd’hui le moindre mètre carré coûte 3000 dinars (équivalent de 1000 euros) à la médina et la mairie n’a pas les moyens. Ça nous ai déjà arrivé de tout préparé même le PIF (périmètre d’intervention foncière) Mais tout est tombé à l’eau. Donc actuellement on se contente d’améliorer et d’aménager l’existant. Moi : Pour intervenir dans l’existant vous faites appel à des associations ? vous discutez avec les habitants ? EC O LE KG : Bien sûr c’est ce que je disais tout à l’heure, nous on est tout le temps en discussion avec le responsable du café qui donne sur telle place, et le primeur qui exploite l’espace pour afficher sa marchandise, souvent sans autorisation. Ce sont les habitants qui bloquent souvent nos projets. Mais depuis la révolution nous sommes obligé de faire participer la société civile à chaque fois, dans les réunions, les discussions, les assemblés municipales. Moi : Vous me dites si j’ai tord mais je pense que c’est mieux 145 146 ANNEXE de faire des projets adaptés aux besoins des habitants que de créer des places ou un mobilier urbain non adapté qui ne va pas être utiliser ? EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S KG : Oui, oui bien sûr, nous faisant intervenir des associations d’urbanistes, d’architectes, l’association de la préserve de la médina, ou d’autres qui s’intéressent au sujet mais je pense que si on demande au simple habitant il n’est pas sachant et ne saura pas forcément donner son avis. Après tout quand c’est un projet dans un quartier bien particulier on peut demander à l’habitant. Pour ce genre de projet (à petite échelle) on demande forcément leurs avis, on met en place le mobilier urbain qu’ils veulent, ce qui est plus intéressant, même le type de végétation qu’ils préfèrent si cela est nécessaire. Imagine si tu veux mettre en place un terrain de foot de quartier et Ils viennent te dire non nous on préfère le basket. Quand c’est pour un quartier on prend l’avis de l’habitant mais quand c’est pour des grandes places se sont des décideurs, des aménageurs, des bureaux d’études, des associations qui interviennent et non pas les habitants. Je ne pense que quand ils ont fait les nouvelles fontaines des champs Elysées, ils ont demandé l’avis des habitants de Paris. L’association de protection du patrimoine est toujours contre le renouvellement de certaines choses, on prend alors souvent l’exemple des fontaines des champs Elysées. On est souvent dans l’obligation de garder des choses qui n’ont pas forcément d’intérêt architectural, on n’a pas de cahier de charge, de références, ou un cahier qui répertorie les bâtiments classés, parfois on se trouve bloquer pour un bâtiment qui ne vaut sincèrement pas le coût. Moi : L’association de la préserve de la médina a été créée par la mairie de Tunis ? Ils n’ont pas répertorié les bâtiments classés ? KG : Si si il y a des bâtiments qui sont classées par arrêté de la part du ministre de la culture. On sait que telle façade ou tel bâtiment est classé patrimoine national. Il y en a certains qui sont en très mauvais état mais qui ont de la valeur, ceux-là je suis parfaitement d’accord, il faut les préserver mais il y en a d’autres qui sont certes anciens mais sans valeur. Je ne vois pas ANNEXE pourquoi ne pas les détruire. Mais revenons aux places Moi : Oui, alors il y a-t-il des études qui ont été faites sur les places ? N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S KG : Non des études approfondis pour dire quel est l’état des places ? Comment elles peuvent être mieux aménager ? Non il n’y a pas eu ! Écoute, tout est question de moyens, j’ai eu un différend avec le président de la commune parce qu’il a transformé beaucoup de nos espaces verts en dallage parce que ça nécessite moins d’entretien, et il est profondément convaincu que c’est la solution. Mais pour moi c’est classé comme un espace vert, il faut qu’il reste. Il m’a répondu « je n’ai personne pour faire l’entretien du gazon». Moi : Ce n’est pas une solution ! KG : Oui effectivement ce n’est pas une solution. Actuellement j’essaye de les convaincre de ne pas tout couvrir avec du béton, si nous n’arrivons pas à entretenir le gazon et bien on peut laisser la terre, le gravier. En France plusieurs espaces même sous la tour Eiffel sont en graviers et il y a la poussière et en plus ils ont les moyens de faire du gazon mais ça fait aussi le charme de la place. Mais malheureusement ici on cherche la facilité. Moi : En Tunisie nous ne savons pas prendre soin de nos espaces! EC O LE KG : Oui ça c’est une culture. C’est comme si tu vas dans un lieu propre, chic, etc tu ne peux pas jeter même une miette par terre parce que tu as honte. Si le tunisien trouve un espace qui est sale, où il y a la poubelle partout, c’est normal qu’il va jeter par terre. Si on lui fournit un espace propre avec un bon entretien, il jette par terre une première fois, une deuxième fois mais il finira par comprendre. Il faut des compagnes de sensibilisation au lieu de mettre des barrières pour l’empêcher d’empiéter sur le gazon ou d’arracher les fleurs il faut le sensibiliser. Il faut changer les mentalités et bâtir une nouvelle culture mais pas les priver 147 148 ANNEXE parce que ce n’est pas une solution. Moi : A un moment donné jusqu’à 2012 il y avait « Lebib »5 Pour sensibiliser pourquoi vous n’avez plus refait de campagne ? S KG : Parce qu’on s’est occupé d’autres choses N AN TE Moi : Et maintenant c’est quoi la priorité au sein de la municipalité de Tunis ? N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R KG : Maintenant la priorité c’est la propreté, priorité absolue. Ça s’est beaucoup amélioré surtout après les élections municipales. Ils ont mis le paquet Moi : Vous avez rajouter des moyens ? KG : Oui oui plus de moyens. Mais je reviens au fait que les gens jettent les ordures n’importe où, n’importe comment, donc quelques soit les moyens qu’on met en place on ne peut pas tout nettoyer c’est une question de mentalités. Un autre problème c’est qu’on a le matériel mais les moyens humains sont en baisse. Moi : Un problème que j’ai pi remarqué c’est qu’il y a un manque de poubelles au niveau des places publiques. Vous reprochez aux gens de jeter par terre mais derrière vous ne mettez pas en places des poubelles EC O LE KG : Normalement dans chaque places ou espace public il doit y avoir des petites poubelles ou des conteneurs. Moi : J’ai parlé à une association qui s’appelle « L’art rue », il organise d’ailleurs le festival Dream city qui aura lieu dans la médina en fin de cette année KG : Oui je connais l’association (5) C’est un fennec la mascotte d’une campagne de sensibilisation qui a duré une dizaine d’année pour sensibiliser les gens pour préserver l’environnement ANNEXE AN TE S Moi : D’accord, je ne sais pas si vous êtes au courant du projet « El Msab », mais c’est un projet porté par l’association et soutenu par certains habitants au niveau de la rue El Kacher. Une petite placette existante et qui servait de déchèterie a été nettoyé et transformé en un espace aménagé et planté. Les strates du passé ont été gardé et finalement c’est un travail en moins pour la municipalité de Tunis. Est-ce que vous comptez vous associez plus avec ces associations ? N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N KG : Nous on n’a jamais dit non à ces associations. Il suffit de venir vers nous, nous on est content et on les aide. Tu me parle de la rue El Kacher, c’est une toute petite place, si c’était une place plus grande personne n’acceptera de venir aider (parlant des habitants). Voilà une preuve que malgré le fait que la propriété des terrains n’était pas claire, la municipalité de Tunis les a laissé faire. Donc si demain vient dire que ce foncier m’appartient, tout le projet tombe dans l’eau. Moi : Donc vous êtes prêt à collaborer avec les associations EC O LE KG : Oui quand c’est un projet intéressant tout le monde collabore et nous en tant que municipalité de Tunis on peut fournir le matériel nécessaire et elle est prête à collaborer. Mais si vous venez me dire que vous avez un projet à 2 millions de dinars à faire, là c’est autre chose. Il faut que le projet soit convainquant, que les procédures soient respectées, que le projet se passe sur un terrain public pour l’intérêt public et non privé si ces conditions sont respectés la municipalité est prête à aider. Par exemple pour le projet « El Msab » que tu viens d’évoquer moi je ne suis pas convaincu de la légitimité d’appeler cet espace un espace public. En fait cet espace était occupé par un bâtiment vétuste et qui menaçait de s’effondrer la municipalité l’a alors détruit. Aujourd’hui le terrain est privé et n’appartient pas à la municipalité. C’est pour ça que je n’étais pas pour, ils m’ont contacté plusieurs fois et je n’ai pas accepté d’intervenir dans un espace qui ne m’appartient pas. Moi : Oui mais avant c’était une déchèterie à ciel ouvert ! 149 150 ANNEXE KG : Oui le rôle de la municipalité est de nettoyer je suis d’accord avec toi mais elle ne peut pas faire des projets sur des terres qui ne l’appartiennent pas. AN TE S Moi : D’accord, par exemple pour la place Kasbah, c’est une place qui a marqué la révolution, aujourd’hui elle est occupée par les enfants, c’est une place qui ne fonctionne plutôt pas mal par rapport à d’autres. N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N KG : Non pour moi non, si on enlève le lycée Sadiki il n’y aura plus personne sur cette place. Ce n’est pas une place qui est très fréquentée avec des enfants qui jouent d’autres avec leurs trottinettes on ne trouve pas l’animation pour dire que c’est une place qui fonctionne bien. C’est une place parvis qui n’est animée qu’occasionnellement et elle est très politisée. A 8h du matin elle est fermée au public parce que les militaires viennent hisser le drapeau et l’après-midi à 17h ils le descendent. Peut-être au niveau des escaliers de la mairie les gens viennent s’assoir mais tu compares la place Kasbah à d’autres places telle que la place de la défense à Paris tu ne peux pas dire qu’elle fonctionne bien. A la défense tu trouves les touristes, ceux qui travaillent, les enfants, tu trouves de toutes les catégories sociales. Moi : Existe-t-il pour vous une place qui est bien aménagée aujourd’hui et qui fonctionne bien ? EC O LE KG : Euh…, la place au tour du stade Menzah, je ne sais pas si on peut l’appeler place public mais elle fonctionne bien. Elle est occupée par toutes les catégories sociales, avec diverses occupations de l’espace et beaucoup d’animation. Il y a un petit manège pour les enfants. Personnellement j’aime bien passer du temps avec mes enfants là-bas. Moi : Un des problèmes aujourd’hui aussi, c’est que toutes les places ne sont pas accessibles, à cause du fil barbelé KG : Oui bah aujourd’hui, la sécurité est avant tout. Dès qu’un petit rassemblement se fait même pacifique mais sans autorisation, la police intervient directement. Il ne faut pas oublier la ANNEXE menace terroriste. Moi : Oui, il y a la place Bardo aussi qui s’est énormément détériorée AN TE S KG : Oui mais avant elle était une des places les plus réussi tous les habitants des quartiers autour venaient s’assoir là-bas et profiter du cadre, il y avait une bonne ambiance. N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N Moi : Selon vous quel aménagement peut être une solution pour qu’une place soit appropriable par le public ? KG : Quand est ce qu’on utilise les places en Tunisie ? au printemps et l’été surtout pour les gens ceux qui n’ont pas les moyens d’aller au bords de la plage souhaitent avoir un espace où ils peuvent s’assoir avec leurs enfants au frais, l’idéale c’est d’avoir un jet d’eau. Il y a aussi le problème sécuritaire. Les gens ne sentent pas à l’aise, à chaque fois qu’il y a une place elle est occupée par une terrasse de café (fréquentée par des hommes), les familles ne viennent plus et petit à petit c’est le dirigeant du café qui fait la loi. C’est le problème de toutes les places. Soient elles sont occupées par la friperie, soit par les cafés. Dernièrement il y avait quelqu’un qui est venu me dire qu’il voulait faire un abri pour la friperie au niveau de la place Halfawin. J’ai complétement refusé. Et c’est un haut responsable. J’ai justifié par le fait qu’il faut la garder comme parking parce qu’on manque de parking à Tunis. EC O LE Moi : En Tunisie j’ai l’impression qu’il n’y a plus d’autorité KG : Oui après la révolution il n’y a plus personne pour appliquer la loi et imposer des choses. Ce sont les habitants et les commerçants qui décident et non plus l’état. Par exemple les places publiques occupées par la friperie, quand on demande l’avis des habitants ils répondent nous ça ne nous dérange pas et les commerçants eux refusent d’enlever leurs installations. En tant qu’aménageur, tu as la volonté de venir aménager ces places et les embellir et bien les habitants vont dire non, ils refusent le changement. Il faut plus d’autorité et un peu de dictature avec 151 152 ANNEXE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S ces gens-là. Il y a une nonchalance de la part de la police municipale ! Maintenant la municipalité a repris le contrôle sur certains espaces notamment par rapport au kiosques de tabacs et journaux, implantés n’importe comment lors de la révolution. On donne maintenant des autorisations quand l’implantation ne gêne pas le passage et n’entrave pas la circulation. L’avenue Habib Bourguiba est devenu 24h sur 24h occupé par des stands moi je ne suis pas pour, je veux que les gens varient un peu les places et fassent connaitre un peu plus les espaces. Moi : Oui je comprends, et pour le projet Bab Souika est ce que vous avez un plan ou une présentation du projet que je peux voir ? KG : Non nous sommes encore au début, d’ailleurs je suis invité le 3 juillet pour une réunion autour du projet. Les bureaux d’études, l’ASM (association de préserve de la médina) des réflexions sont en cours. Chacun a ses idées, au départ ils voulaient intervenir ponctuellement. Ce qu’il faut savoir c’est que la municipalité n’a pas d’argent pour financer un projet global en une seule fois. Par an on a un budget de 500 000 dinars ce n’est pas suffisant pour cela on a décidé de collecter l’argent sur 3 - 4 ans pour avoir un budget plus important et pouvoir intervenir et avancer. Et non pas faire des micros interventions Malheureusement nous n’avons pas comme je disais de feuille de route claire ! c’est un vrai problème. Aucune assemblée municipale en Tunisie ne connait son programme pour l’année prochaine. EC O LE Moi : Malheureusement, je reviens pour la place Bab Souika comment vous comptez l’aménager ? KG : Aujourd’hui elle est occupée par les voitures, l’idée c’est de la rendre piétonne, mais il y a beaucoup de problèmes à gérer : L’accès des pompiers, l’accès des livraisons, … Mais le problème on peut rêver mais derrière parfois un gérant de café peut faire tomber tout un projet dans l’eau. Il n’y a pas d’autorité. En plus toutes les études qui sont faites concernent la taille de la rue, la capacité d’accueil de voiture. Tout tourne autour de la ANNEXE voiture. Mais nous continuons à travailler et nous espérons améliorer, nous essayons de convaincre et ça venir petit à petit. Les gens commencent à comprendre EC O LE N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN TE S Moi : Oui Nous espérons ! merci beaucoup pour le temps que vous m’avez consacré 153 LE EC O N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN S TE LE EC O N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN S TE LE EC O N AT I D ON O A C LE U M S EN UP T ER SO IE U UR M IS E AU D'A D RC R H O IT IT E D CT 'A U U R TE E U DE R N AN S TE