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Ashmawy A., Connor S. & Raue D., "Une reine et un roi : deux ramessides à Héliopolis", in: G. Andreu-Lanoë & T.-L. Bergerot (eds), Une aventure égyptologique: mélanges offerts à Christine Gallois. Égypte, Afrique & Orient 105 (numéro spécial), Montségur: Centre d’égyptologie, p. 13-24.

2022, Égypte, Afrique & Orient

Aiman Ashmawy, Dietrich Raue, Simon Connor 3 Une Reine et Un Roi DeUx RameSSiDeS à HélioPoliS fig. 1 Secteur 234. Buste de la reine in situ. Photo : D. Raue. l e temple d’Héliopolis, situé au nord-est de l’actuelle ville du Caire, était le centre cultuel du dieu soleil. Selon les plus anciennes conceptions de la création du monde, c’est là, à matariya, à la limite sud-est du Delta, qu’eut lieu la "Première Fois", le premier lever de soleil, de même que l’implosion du cosmos entraînant les premières émissions de lumière, chaleur et air, suivies par l’apparition de la terre et du ciel comme éléments structurels, qui donnèrent naissance aux composantes de la topographie égyptienne (fleuve, terres cultivables, désert et marais) 1. 4 Aiman Ashmawy, Dietrich Raue, Simon Connor le site fut cartographié à de nombreuses reprises à la fin du xviiie et au cours du xixe siècle, avant que le développement urbain n’atteignît le mur d’enceinte du temple, dans le faubourg de matariya 2. néanmoins, la structure du téménos resta en grande partie dissimulée sous les sédiments apportés par les crues qui inondaient chaque année l’intérieur des murs. on attendait bien peu du site, après qu’il eut servi de carrière, pendant plus de deux mille ans, pour servir les projets de construction d’alexandrie et du Caire. Depuis 2012, la mission archéologique égypto-allemande du ministère du tourisme et des fig. 2 Plan du site. © Google maps. antiquités, du musée égyptologique Georg Steindorff de l’Université de leipzig et de la Haute école des Sciences appliquées de mayence, dirigée par aiman ashmawy et Dietrich Raue, débuta la documentation et la fouille des vestiges de ce point central de la religion égyptienne 3. le Fonds Khéops pour l’archéologie a généreusement porté son soutien à nos missions. C’est avec plaisir et gratitude que nous dédions à Christine Gallois, qui en a été l’administratrice, ces quelques pages qui nous offrent l’opportunité de présenter deux monuments récemment mis au jour. Une Reine et Un Roi DeUx RameSSiDeS à HélioPoliS en 2015, après le déplacement d’une dépendance des forces armées égyptiennes 4, le programme d’étude des ruines des temples en pierre s’est poursuivi dans le secteur numéroté 232 sur le plan du site. les fouilles de cette zone ont permis de mettre au jour une partie du temple principalement dédiée à des fonctions économiques, à 250 m au sud-est de l’obélisque de Sésostris ier, à l’intérieur du mur d’enceinte enserrant le temple principal et à proximité directe de celui-ci. Ce mur, énorme structure de briques crues, avait été découvert par la mission archéologique italienne du musée égyptologique de turin, sous la direction d’e. Schiaparelli, avant d’être désigné par W.m.F. Petrie comme "fort hyksôs" 5. Plus récemment, une série d’indices ont permis d’identifier ce massif comme une enceinte dont la construction fut ordonnée en l’an 47 du règne de thoutmosis iii. Une porte sur le sommet de ce mur taluté donnait accès à la partie intérieure du temple, à proximité de l’obélisque. le secteur 232 a révélé des installations de boulangerie de l’époque ptolémaïque recouvrant les strates de la Basse époque, dans lesquelles des traces d’abattage de bétail, d’activités de cuisson et des silos de stockage ont été identifiés 6. toutes les strates présentent une tendance à s’incliner légèrement depuis le mur d’enceinte vers le centre. Pour cette raison, à l’intérieur du mur, des couches de la troisième Période intermédiaire ont été découvertes au-dessus du niveau de la nappe phréatique, alors qu’elles se trouvent plus d’un mètre plus bas à seulement 40 m au nord-ouest. en septembre 2019, une fouille de sauvetage réalisée en prévision du creusement d’une tranchée pour l’installation de canalisations nous a donné l’occasion d’investiguer un secteur au nord de la zone 232, auquel fut attribué le numéro 234. Une surface d’environ 6 x 4 m a été fouillée et, à l’aide de pompes, toutes les strates ont pu être fouillées sur une profondeur d’environ 1,5 m, jusqu’à 1 m en dessous de la nappe phréatique. la séquence des couches de la xxvie dynastie recouvrait une rue pavée de pierres datant de la troisième Période intermédiaire. 5 C’est dans l’angle sud-est qu’a été découverte une partie d’une fosse ovale d’environ 3,5 x 2 m, remplie de matériaux sableux, recoupant les strates de la Basse époque. aucun lien entre cette fosse et des vestiges architecturaux n’a pu être mis en évidence. Dans un premier temps, une base de statue de Séthy ii a été mise au jour, suivie d’un certain nombre de plus petits fragments du même monument. les fouilles se sont poursuivies pour cartographier toute la superficie de la fosse. Ce faisant, le buste en granit rose d’une statue féminine un peu plus grande que nature a été découvert tête en bas. Plusieurs autres fragments de granit ont été trouvés, mais leur surface fortement érodée rend ardue l’identification des différentes parties du corps. la fosse ne contenait aucun autre vestige matériel, à l’exception d’un nombre très limité de tessons de poterie, les plus récents consistant en des parties d’amphores lisses en limon du nil, cuites à haute température, datant de la fin de la période hellénistique ou de l’époque romaine. le but de cette fosse n’a pu être déterminé avec certitude. l’intérêt général pour le temple solaire d’Héliopolis semble s’être estompé au cours de la période ptolémaïque 7, qui n’a laissé aucune trace de nouvelles constructions dans l’enceinte. fig. 3 Plan de la porte du nouvel empire (en bas à droite) et emplacement de la zone 234 (en haut à gauche). Plan réalisé par P.J. Collet, Kl. Dietze. 6 Aiman Ashmawy, Dietrich Raue, Simon Connor fig. 4-7 Buste de la statue. Granit. H. 35 ; l. 48 ; P. 73 cm. © Photos : S. Connor. fig. 8 (à droite) Reconstitution de l’apparence originale de la statue. © Dessin : S. Connor au cours des deux cents dernières années d’investigation à Héliopolis, aucune inscription de cette époque n’a été découverte, même sur des structures préexistantes. Cette absence répond à l’impression de désolation que l’on retrouve dans le récit de Strabon, à l’époque augustéenne 8. après trois siècles de négligence de la part des Ptolémées, il n’est pas exclu qu’au début de l’époque romaine, non seulement les obélisques mais aussi d’autres parties du temple et de son aménagement aient été déplacées à Rome, tandis que les vestiges restants auraient été enterrés – y compris, peut-être, des fragments d’anciennes statues. Une Reine et Un Roi DeUx RameSSiDeS à HélioPoliS La reine les fragments de granit appartenaient à une statue de reine plus grande que nature. le fragment principal consiste en un buste. Une profonde balafre verticale défigure la reine au niveau du nez. il ne s’agit pas d’un accident : cette fente a été creusée avec soin au moyen d’outils tubulaires laissant des marques circulaires caractéristiques, semblables à celles que l’on retrouve dans les cavités ou orbites des statues destinées à être ornées d’incrustations. Cette profonde cicatrice n’est donc pas le signe d’une attaque mais bien d’une ancienne restauration du nez, alors que la statue était encore en usage. à une date ultérieure, la statue fut démantelée et taillée à coups de ciseau, dont les traces régulières suggèrent qu’il s’agissait d’outils en alliages métalliques durs, dont l’usage n’est guère attesté avant l’époque romaine. ainsi que nous l’avons mentionné, le rare matériel céramique mis au jour dans le remplissage de la fosse est aussi en faveur d’une datation de l’enfouissement à l’époque romaine. la reine porte une perruque tripartite surmonté d’un modius orné d’une rangée d’uraei. il est possible qu’une double plume ait jadis surmonté ce modius, mais il n’en est resté aucune trace. aucune mortaise n’a été taillée sur la face supérieure, ce qui empêchait l’usage d’un tenon comme système de fixation. 7 la perruque est composée de mèches tubulaires, à l’exception de la partie supérieure du front, sur laquelle est représentée une dépouille de vautour (aujourd’hui peu visible en raison de l’érosion de la surface), dont la tête est sculptée entre deux uraei. les deux cobras sont coiffés de la double couronne, tandis que la tête du vautour porte la couronne atef. Deux larges pendants d’oreille discoïdaux ornent les lobes de la reine. De la main gauche, elle tient le sceptre au manche recourbé propre aux reines. la surface de la pierre est irrégulière : un long séjour dans un milieu humide a eu raison de la cohésion des cristaux du granit. Bien que fortement érodés, certains fragments du corps, notamment le coude et la hanche gauches, permettent de reconstituer la position de la reine comme étant debout. Sans les plumes surmontant le modius, dont la présence reste hypothétique, la statue devait mesurer environ 270 cm de hauteur. fig. 9 (en haut, à gauche) vue sommitale de la statue. © Dessin : P. Collet. fig. 10 (ci-contre) Pilier dorsal de la statue. © Photo : S. Connor 8 Aiman Ashmawy, Dietrich Raue, Simon Connor la reine s’adossait à un panneau dorsal relativement large. les signes encore lisibles (sur les faces latérales et arrière) révèlent le nom de Ramsès ii : ḥr Kȝ-nḫtmry-Mȝʿt […]. Ceci ne permet cependant pas d’identifier quelle femme de la famille royale – mère, épouse ou fille – était représentée, car toutes partagent la même apparence, les mêmes attributs et la même physionomie. la tentation est toujours grande, lorsque l’on traite de statuaire ramesside, de chercher les traces de réutilisation d’une sculpture plus ancienne. le remploi – parfois désigné sous le terme d’"usurpation" de monuments – est en effet une pratique bien courante à l’époque de Ramsès ii 9. néanmoins, dans le cas de cette reine, plusieurs indices sont en faveur d’une datation ramesside originale. la perruque tripartite à mèches tubulaires est un héritage de la fin du règne d’amenhotep iii et de l’époque amarnienne (voir par exemple la tête de tiyi découverte par Petrie à Serabit el-Khadim, le Caire Je 38257). les épaisses boucles d’oreille, en revanche, ne sont pas attestées avant l’époque post-amarnienne. l’exemple en ronde-bosse le plus proche et le plus ancien de cette association entre cette perruque et ces boucles d’oreilles est vraisemblablement la dyade de Horemheb et moutnedjemet au museo egizio de turin (Cat. 1379). Plusieurs exemples de statues de reines de la xixe dynastie, en revanche, présentent ces ornements : la statue colossale de méritamon découverte à akhmîm [fig. 10], le buste de la "reine blanche" de la chapelle nord du Ramesseum (le Caire Je 31413 – CG 600, [fig. 11]), la figure de Bentanat debout contre les jambes d’une figure colossale de Ramsès ii devant le deuxième pylône de Karnak [fig. 12], ou encore une statuette mise au jour dans la Cachette de Karnak, montrant une reine et un jeune prince debout (le Caire Je 37337 – CG 42154). Deux autres exemples proches sont les reines qui se tiennent contre la jambe gauche des colosses calcaires élevés sur le côté nord du xe pylône à Karnak [fig. 13]. il a été proposé de voir dans ces deux colosses des statues de Horemheb réinscrites par Ramsès ii, ainsi que l'indiquent les traces de retouche des cartouches sur la boucle de ceinture du souverain et sur la base des deux statues 10. le buste de matariya présente bien les caractéristiques stylistiques de la période post-amarnienne. il n’y a pas de raison, a priori, de ne pas y voir une statue originale du règne de Ramsès ii, à moins qu’elle n’ait été usurpée de moutnedjemet, ce qui serait difficile à démontrer. Une particularité est la présence de deux cobras encadrant un protomé de vautour. il est vrai que ce triple ornement frontal n’avait pas encore été attesté pour les statues ramessides, alors qu’il apparaissait au front de la reine tiyi sur plusieurs statues : une tête provenant de tanis (le Caire CG 609, fig. 14), une statue debout découverte dans le temple de mout à Karnak en 2006 (le Caire Je 99281), une dyade en stéatite glaçurée du louvre (n 2312 - e 25493), une figure en serpentinite trouvée dans l’île de Sai, ainsi que le célèbre groupe statuaire colossal découvert à thèbes ouest, aujourd’hui dans l’atrium du musée du Caire (m 610). les reines post-amarniennes sont souvent représentées avec deux cobras (voir le buste d’isisnefret à Bruxelles, e. 5924), mais pas – jusqu’à présent – avec une tête de vautour. Cet argument n’est cependant pas suffisant pour attribuer le buste de matariya à tiyi et y voir une statue modifiée sous Ramsès ii. Dans le cas présent, il est important de distinguer les éléments iconographiques des arguments stylistiques : cette iconographie spécifique peut avoir été empruntée au règne d’amenhotep iii (elle peut aussi avoir continué entre les deux règnes, même si le corpus actuellement connu ne la documente pas), tandis que le style du buste de matariya appartient au règne de Ramsès ii. l’état de conservation du buste de matariya rend la comparaison malaisée avec d’autres pièces, mais les caractéristiques stylistiques du style post-amarnien/début ramesside sont présentes : visage ovale, front bas, yeux en amandes dotés de lourdes paupières supérieures, arcades sourcilières proéminentes, joues arrondies, lèvres charnues avec des commissures profondément taillées. il n’est théoriquement pas impossible que nous ayons affaire à une statue de tiyi "ramessisée", mais dans ce cas, elle aurait exigé une transformation profonde de la physionomie du visage et de la perruque. Une Reine et Un Roi DeUx RameSSiDeS à HélioPoliS 9 fig. 11 (en haut) Colosse debout de la reine merytamon, fille de Ramsès ii, à akhmim. © Photo : S. Connor. fig. 12 (en bas) torse d’une reine, découvert dans la chapelle nord du Ramesseum. le Caire Je 31413 – CG 600. © Photo : S. Connor. fig. 13 (ci-contre) Reine Bentanat debout contre les jambes du colosse de Ramsès ii en position jubilaire, devant le iie pylône de Karnak. © Photo : S. Connor. fig. 14 (ci-contre) Reine identifiée comme néfertari, debout contre la jambe gauche d’un colosse de Ramsès ii (face nord du xe pylône de Karnak). © Photo : S. Connor. 10 Aiman Ashmawy, Dietrich Raue, Simon Connor il est plus vraisemblable, à nos yeux, que nous ayons affaire à une statue originale du règne de Ramsès ii, présentant une caractéristique iconographique héritée du règne d’amenhotep iii : les deux uraei encadrant la tête du vautour. au nouvel empire, le double uraeus a peut-être été un moyen d’élever les femmes royales au rang d’épouses principales ou de mères du roi 11. Dans le cas de Ramsès ii, de nombreuses candidates sont possibles pour identifier cette figure royale et rien ne permet de reconnaître laquelle des reines était représentée. fig. 15 tête d’une statue de la reine tiyi (le Caire CG 609). © Photo : S. Connor. fig. 16 (en bas) Secteur 234. Base de la statue de Séthy ii in situ. © Photo : D. Raue. Le roi les fragments de quartzite jaune trouvés dans la même fosse appartenaient à une statue au nom de Séthy ii. l’élément principal en est le socle, retrouvé posé à l’envers, associé à une série de fragments de petit format, appartenant aux jambes, au pagne shendjyt et au pilier dorsal. Peut-être au moment de l’enterrement de ces fragments, la statue a été débitée et littéralement retirée de sa base, la transformant ainsi en un bloc parallélépipédique. les contours préservés du pied gauche permettent cependant de reconstituer la position du roi à genoux. la statue mesurait à l’origine à peu près 150 cm de haut. l’inscription conservée sur les côtés de la base, ainsi que sur certains fragments du pilier dorsal, fournissent l’identité du roi, Séthy ii, suivi de l’épithète "aimé" des principales divinités d’Héliopolis, atoum et RêHorakhty. Sur la partie inférieure du pilier dorsal, les cartouches du souverain sont gravés au-dessus des signes de l’or nbw. Côté gauche : nsw.t bity nb tȝ.wy Wsr-ḫprw-Rʿ stpn-Rʿ sȝ Rʿ nb ḫa.w (Stẖy-mr-n-Ptḥ) mry Jtmw nb Jwnw "le roi de Haute et de Basse égypte, le seigneur des Deux terres, ouserkhépérourê-setepenrê, le fils de Rê, seigneur des apparitions, Séthy-mérenptah, aimé d’atoum, seigneur d’Héliopolis" Pilier dorsal : [… … … (Stẖy-] mr-n-Ptḥ) [Sethy]-mérenptah (double cartouche) Côté droit : […] mry Rʿ-ḥr-ȝḫty […], "aimé de Rê-Horakhty" Ces fragments d’une nouvelle statue agenouillée en quartzite s’intègrent dans le répertoire sculptural de Séthy ii, presque exclusivement composé de figures que l’on peut associer aux activités liées au culte : on le retrouve surtout agenouillé présentant une table d’offrande ou un naos, ou encore debout en porteenseigne 12. même dans le cas de statues assises (londres Bm ea 26) ou de sphinx (alexandrie 20307), Séthy ii est représenté tenant une table d’offrande ou une figure divine. Plusieurs autres statues agenouillées en quartzite ou en calcaire ont été érigées à Karnak et à Héliopolis [fig. 19-21]. le degré de qualité de la sculpture et de l’épigraphie est également représentatif du corpus de Séthy ii qui nous est parvenu. malgré le choix de matériaux prestigieux (notamment le quartzite), sous les successeurs de Ramsès ii, on constate en effet un certain déclin dans le soin apporté à la statuaire, avec des proportions moins harmonieuses, un respect moins strict de la régularité des formes, ainsi qu’un tracé souvent hésitant des lignes encadrant les inscriptions. Une Reine et Un Roi DeUx RameSSiDeS à HélioPoliS 11 fig. 17-19 Base de la statue de Séthy ii. Quartzite. H. 35 ; l. 48 ; P. 73 cm. © Photos et reconstitution : S. Connor. ainsi que nous l’avons indiqué plus haut, la datation de l’enfouissement de la statue est imprécise. le peu de céramique trouvée dans le remplissage de la fosse indique un contexte d’époque gréco-romaine. néanmoins, il faut noter un fait particulier : les hiéroglyphes du dieu Seth, au sein du cartouche du roi, n’ont pas été martelés, contrairement à ce que l’on observe sur la plupart des autres monuments de Séthy ier et ii qui étaient encore visibles au cours du premier millénaire avant J.-C. à Héliopolis, la mutilation de l’hiéroglyphe [seth] est clairement visible, par exemple, sur la statue agenouillée en calcaire découverte il y a une trentaine d’années, aujourd’hui exposée dans le musée en plein air du site 13. Une action de martelage des images et mentions du dieu Seth semble en effet avoir eu lieu pendant la troisième Période intermédiaire et s’être poursuivie pendant tout le premier millénaire avant J.-C. 14. il se peut donc que la statue ait déjà été hors de vue à cette époque. on notera une particularité sur la surface supérieure du bloc, qui présente une patine sur le "négatif" du pied et de la jambe mutilés, comme s’il y avait eu une certaine érosion après la destruction de la statue et comme si le bloc avait été exposé sous cette forme pendant un certain temps avant d’être enterré. la statue semble d’abord avoir été relativement soigneusement séparée de sa base. la cassure sur le côté droit de la statue, en revanche, est beaucoup plus irrégulière et ne montre pas cette patine, comme si elle s’était produite en un second temps, peut-être juste avant que la statue ne soit abandonnée dans cette fosse. néanmoins, les petits fragments des jambes, du pagne et du pilier dorsal, trouvés dans le même contexte archéologique que le socle, indiquent que même si le socle a pu être utilisé comme bloc, peut-être dans une maçonnerie, certaines parties de la statue au moins de la statue sont restés à proximité de la base au cours de son usage secondaire, jusqu’à ce qu’ils soient jetés dans la fosse. 12 fig. 20 (ci-contre) Statue agenouillée en calcaire de Séthy ii découverte à Héliopolis. musée de matariya. © Photo : S. Connor. fig. 21 (en haut) Buste d’une statue agenouillée en calcaire, découvert en 2017 à matariya dans le secteur de Souq el-Khamis. © Reconstitution : S. Connor. fig. 22 (en bas) Une des statues agenouillées en quartzite de Séthy ii à Karnak (KiU 83). © Photo : S. Connor. Aiman Ashmawy, Dietrich Raue, Simon Connor Une Reine et Un Roi DeUx RameSSiDeS à HélioPoliS les statues de la fosse du secteur 234 illustrent l’investissement des souverains ramessides, attesté ailleurs sur le site, dans le temple solaire d’Héliopolis, même dans le cas de règnes éphémères. Pour les rois des xixe et xxe dynasties, Héliopolis semble avoir été le théâtre d’un culte ancestral actif, qui les reliait au dieu-soleil lui-même, ainsi qu’au modèle qu’ils cherchèrent tous à suivre : Ramsès ii. même des souverains mineurs tels que Séthy ii, taousert, Sethnakht ou Ramsès vii sont présents au sein du répertoire du site – ce qui apparaît extraordinaire, étant donné le déplorable état de conservation d’Héliopolis, en comparaison avec d’autres sites cultuels du nouvel empire 15. malgré ses seulement six ans de règne, Séthy ii est bien représenté au sein du matériel mis au jour à matariya. Ce successeur tardif de la famille de Ramsès ier semble s’être principalement manifesté à Karnak et à Héliopolis, se concentrant ainsi sur le culte solaire des dynasties ramessides en Haute et en Basse égypte. Dans ce schéma, la famille royale est également impliquée de manière plus explicite que dans tout autre temple de l’égypte ramesside. le temple d’Héliopolis possède de nombreux exemples de ce phénomène : on y retrouve des mentions de princes agissant en tant que grands prêtres, de sœurs du roi à la tête du clergé féminin, de résidences princières, ainsi que des princesses portant les titres de chanteuses rituelles dans le domaine du dieu solaire héliopolitain 16. la statue de reine du secteur 234 s’inscrit dans ce tableau, qui établit un lien entre le dieu créateur, l’ennéade d’Héliopolis et la famille du roi régnant. noteS 1 D. RaUe, "Religion et politique au cœur de l’ancienne égypte : le temple d’Héliopolis", Annuaire, École Pratique des Hautes Études: Ve section - sciences religieuses 125, 2016-2017, p. 93-96. Pour l’histoire du site, voir aussi D. RaUe, Reise zum Ursprung der Welt : die Ausgrabungen im Tempel von Heliopolis, Darmstadt, 2020. 2 l. GaBolDe, D. laiSney, "l’orientation du temple d’Héliopolis : données géophysiques et implications historiques", MDAIK 73, 2017, p. 105-132. 3 a. aSHmaWy, D. RaUe, "Héliopolis en 2017 : les fouilles égypto-allemandes dans le temple du soleil à matariya/le Caire", BSFE 197, p. 29-45 ; a. aSHmaWy, S. ConnoR, D. RaUe, "a brewery, a cemetery and monumental walls. 3,000 years of occupation at the heart of Heliopolis", Egyptian Archaeology 58, 2021, p. 28-33; a. aSHmaWy, K. Dietze, D. RaUe, "Heliopolis – Kultzentrum unter Kairo", Kleine Schriften des Ägyptischen Museums der Universität Leipzig 13, University Library Heidelberg : Propyläum, https://doi.org/10.11588/propylaeum.755, 25-36 ; voir aussi www.heliopolisproject.org. 4 les fouilles de ce secteur font l’objet du projet doctoral de Klara Dietze (Université de leipzig), financé par la fondation Gerda Henkel depuis 2018. voir K. Dietze, "Das Korpus der mauerstelen thutmosis’ iii. und die innere Umfassungsmauer im tempel von Heliopolis", dans a. aSHmaWy, K. Dietze, D. RaUe, Heliopolis, p. 37-52 ; a. aSHmaWy, K. Dietze, "an archer from Heliopolis : on a recently discovered stele fragment from matariya", MDAIK 75, 2019, p. 15-28 ; pour le secteur 232, voir www.heliopolisproject.org. nous adressons ici notre sincère gratitude au ministre du tourisme et des antiquités de la République arabe d’égypte, Son excellence le Prof. Khaled el-enany, ainsi qu’au Prof. Dr. mostafa Waziri et à l’assemblée générale du Conseil suprême des antiquités, ainsi qu’aux nombreux membres de l’inspectorat des antiquités de matariya et d’ayn Shams, dirigé par Khaled mohammed abu al-ella et au personnel du musée de l’obélisque de matariya, régi par Hoda Kamal ahmed. 5 K. Dietze, F. UGliano, "a dialogue between past and current excavations at Heliopolis : the case study of Schiaparelli’s ‘tempio del Sole’ and area 232", Rivista del Museo Egizio (à paraître en 2021) ; W.m.F. PetRie, e. maCKay, Heliopolis, Kafr Ammar and Shurafa, londres, 1915, p. 3-4, pl. i-iii. 6 K. Dietze, Korpus der Mauerstelen, p. 37-52. 7 D. RaUe, "Heliopolis – ein ‘Reichsheiligtum’ gewinnt Profil", dans i. Gerlach, G. lindström, K. Sporn (éd.), Menschen – Kulturen – Traditionen, Berlin, 2021 (sous presse). 13 Aiman Ashmawy, Dietrich Raue, Simon Connor 14 8 Strabon i.1.27, trad. P. CHaRvet, dans J. yoyotte, P. CHaRvet, St. GomBeRtz, Strabon. Le voyage en Égypte, Paris, 1997, p. 125. 9 à ce sujet, voir Cl. vanDeRSleyen, "Sur quelques statues usurpées par Ramsès ii (British museum 61 et louvre a 20)", dans W.F. Reineke (éd.), Acts: First International Congress of Egyptology, Cairo October 2-10, 1976, Berlin, 1979, p. 665-669 ; Id., "la statue de Ramsès ii du musée d’art et d’histoire de Genève réexaminée", Genava, nouvelle série 31, 1983, p. 17-22 ; H. SoURoUzian, "Standing royal colossi of the middle Kingdom reused by Ramesses ii", MDAIK 44 (1988), p. 229-254 ; ead., "les colosses du iie pylône du temple d’amon-Rê à Karnak, remplois ramessides de la xviiie dynastie", Cahiers de Karnak 10, 1995, p. 505-543 ; B. maGen, Steinerne Palimpseste: zur Wiederverwendung von Statuen durch Ramses II. und seine Nachfolger, Wiesbaden, 2011 ; m. Hill, "later life of middle Kingdom monuments : interrogating tanis", dans a. oppenheim, Do. arnold, Di. arnold, K. yamamoto (éd.), Ancient Egypt transformed: the Middle Kingdom, new Haven, londres, 2015, p. 294-299 ; m. eaton-KRaUSS, "Usurpation", dans R. Jasnow, K.m. Cooney (éd.), Joyful in Thebes : Egyptological studies in honor of Betsy M. Bryan, atlanta, 2015, p. 97-104 ; S. ConnoR, "Quatre colosses du moyen empire ‘ramessisés’ (Paris a 21, le Caire CG 1197, Je 45975 et 45976)", BIFAO 115, p. 85-109 ; B. Gilli, "How to build a capital: the second life of pre-Ramesside materials in Pi-Ramesses", dans H. Franzmeier, t. Rehren, R. Schulz (éd.), Mit archäologischen Schichten Geschichte schreiben : Festschrift für Edgar B. Pusch zum 70. Geburtstag, Hildesheim, 2016, p. 137-175 ; H. SoURoUzian, Catalogue de la statuaire royale de la XIXe dynastie, le Caire, 2019, p. 645-790, cat. R-1 à R-131 ; ead., Recherches sur la statuaire royale de la XIXe dynastie, le Caire, 2020, p. 30-36 ; 37 ; 79 ; 132 ; 176 ; 214 ; 232 ; S. ConnoR, "‘Ramessiser’ des statues", BSFE 202, p. 83-102. 10 H. SoURoUzian, Catalogue, 2019, p. 674-675, cat. R-24 et R-25. 11 S.a. aSHton, "the use of the double and triple uraeus in royal iconography", dans a. Cooke, F. Simpson (éd.), Current research in Egyptology ii : January 2001, oxford, 2005, p. 1-9. 12 Pour une recension récente des statues de Séthy ii, voir H. SoURoUzian, Catalogue, 2019, p. 603-635, cat. 385-404. Seules deux statues fragmentaires en granodiorite, découvertes dans les ruines d’Héraklion, semblent montrer Séthy ii dans la position traditionnelle debout, bras tendus le long du corps, Fr. Goddio (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Paris, 2006, p. 98, cat. 112-113. 13 a. el-SaWi, "a limestone statue of Sety ii from iwn – Heliopolis", MDAIK 46, 1990, p. 337-340 ; H. SoURoUzian, Catalogue, 2019, p. 624-625, n° 396. 14 H. te velDe, Seth, God of Confusion. A Study of his Role in Egyptian Mythology and Religion, leyde, 1967 ; G. SoUKiaSSian, "Une étape de la proscription de Seth", GM 44, 1981, p. 59-68 ; m. SmitH, "the Reign of Seth: egyptian Perspectives from the First millennium BCe", dans l. Bareš, F. Coppens, K. Smoláriková (éd.), Egypt in Transition. Social and Religious Development of Egypt in the First Millennium BCE, Proceedings Conference Prague, September 1-4, 2009, Prague, 2010, p. 396-430 ; J.F. QUaCK, "‘lösche seinen namen aus!’: zur vernichtung von personenreferenzierter Schrift und Bild im alten Ägypten", dans C. Kühne-Wespi, K. oschema, J.F. Quack (éd.), Zerstörung von Geschriebenem: historische und transkulturelle Perspektiven, Berlin, Boston, 2019, p. 43102 ; D. RaUe, "Sethos and Seth in Heliopolis", dans a. ashmawy, K. Dietze, D. Raue (éd.), Heliopolis, p. 57-76. Dans un récent article, Janne arp-neumann suggère l’hypothèse convaincante que les dommages portés aux mentions et images du dieu Seth ne reflètent nullement une proscription du dieu, mais plutôt une action performative, traduisant leur neutralisation tout en les intégrant dans des pratiques cultuelles bien actives, J. aRP-neUmann, "negating Seth : Destruction as vitality", Numen 68, 2021, p. 157-179. 15 D. RaUe, Religion et politique, p. 103-106 ; id., Heliopolis und das Haus des Re. Eine Prosopographie und ein Toponym im Neuen Reich, Berlin, 1999, p. 373-391. 16 D. RaUe, Heliopolis und das Haus des Re, p. 49-56. Ramsès ii lui-même pourrait avoir conçu ce schéma, ainsi que l’indiquerait le nom additionnel de "fils de Rê" Paramessou, découvert dans le temple d’amon d’Héliopolis. Ce nom de Paramessou, qu’il adopte dans le temple du secteur 248, pourrait traduire un lien étroit avec le dieu soleil, tout en faisant référence au grand-père de Ramsès ii, Ramsès ier, qui portait ce nom avant de monter sur le trône. voir a. aSHmaWy, D. RaUe, "matariya 2016 : Ramesside dynasties at Heliopolis", Egyptian Archaeology 50, p. 16-21.