Aiman Ashmawy, Dietrich Raue, Simon Connor
3
Une Reine et Un Roi
DeUx RameSSiDeS
à HélioPoliS
fig. 1 Secteur 234. Buste de la reine in situ. Photo : D. Raue.
l
e temple d’Héliopolis, situé au nord-est de
l’actuelle ville du Caire, était le centre cultuel
du dieu soleil. Selon les plus anciennes
conceptions de la création du monde, c’est là, à
matariya, à la limite sud-est du Delta, qu’eut lieu la
"Première Fois", le premier lever de soleil, de même
que l’implosion du cosmos entraînant les premières
émissions de lumière, chaleur et air, suivies par l’apparition de la terre et du ciel comme éléments structurels, qui donnèrent naissance aux composantes de
la topographie égyptienne (fleuve, terres cultivables,
désert et marais) 1.
4
Aiman Ashmawy, Dietrich Raue, Simon Connor
le site fut cartographié à de nombreuses reprises à la
fin du xviiie et au cours du xixe siècle, avant que le
développement urbain n’atteignît le mur d’enceinte
du temple, dans le faubourg de matariya 2.
néanmoins, la structure du téménos resta en grande
partie dissimulée sous les sédiments apportés par les
crues qui inondaient chaque année l’intérieur des
murs. on attendait bien peu du site, après qu’il eut
servi de carrière, pendant plus de deux mille ans,
pour servir les projets de construction d’alexandrie
et du Caire. Depuis 2012, la mission archéologique
égypto-allemande du ministère du tourisme et des
fig. 2
Plan du site.
© Google maps.
antiquités, du musée égyptologique Georg Steindorff
de l’Université de leipzig et de la Haute école des
Sciences appliquées de mayence, dirigée par
aiman ashmawy et Dietrich Raue, débuta la
documentation et la fouille des vestiges de ce point
central de la religion égyptienne 3. le Fonds Khéops
pour l’archéologie a généreusement porté son soutien
à nos missions. C’est avec plaisir et gratitude que
nous dédions à Christine Gallois, qui en a été
l’administratrice, ces quelques pages qui nous offrent
l’opportunité de présenter deux monuments
récemment mis au jour.
Une Reine et Un Roi
DeUx RameSSiDeS à HélioPoliS
en 2015, après le déplacement d’une dépendance des
forces armées égyptiennes 4, le programme d’étude
des ruines des temples en pierre s’est poursuivi dans
le secteur numéroté 232 sur le plan du site. les
fouilles de cette zone ont permis de mettre au jour
une partie du temple principalement dédiée à
des fonctions économiques, à 250 m au sud-est
de l’obélisque de Sésostris ier, à l’intérieur du
mur d’enceinte enserrant le temple principal et
à proximité directe de celui-ci. Ce mur, énorme
structure de briques crues, avait été découvert
par la mission archéologique italienne du musée
égyptologique de turin, sous la direction
d’e. Schiaparelli, avant d’être désigné par
W.m.F. Petrie comme "fort hyksôs" 5. Plus
récemment, une série d’indices ont permis
d’identifier ce massif comme une enceinte dont la
construction fut ordonnée en l’an 47 du règne de
thoutmosis iii. Une porte sur le sommet de ce
mur taluté donnait accès à la partie intérieure du
temple, à proximité de l’obélisque. le secteur
232 a révélé des installations de boulangerie de
l’époque ptolémaïque recouvrant les strates de la
Basse époque, dans lesquelles des traces d’abattage de bétail, d’activités de cuisson et des silos de
stockage ont été identifiés 6.
toutes les strates présentent une tendance à s’incliner
légèrement depuis le mur d’enceinte vers le centre.
Pour cette raison, à l’intérieur du mur, des couches de
la troisième Période intermédiaire ont été découvertes
au-dessus du niveau de la nappe phréatique, alors
qu’elles se trouvent plus d’un mètre plus bas à seulement
40 m au nord-ouest.
en septembre 2019, une fouille de sauvetage réalisée
en prévision du creusement d’une tranchée pour
l’installation de canalisations nous a donné l’occasion
d’investiguer un secteur au nord de la zone 232,
auquel fut attribué le numéro 234. Une surface d’environ 6 x 4 m a été fouillée et, à l’aide de pompes,
toutes les strates ont pu être fouillées sur une profondeur d’environ 1,5 m, jusqu’à 1 m en dessous de la
nappe phréatique. la séquence des couches de la
xxvie dynastie recouvrait une rue pavée de pierres
datant de la troisième Période intermédiaire.
5
C’est dans l’angle sud-est qu’a été découverte une
partie d’une fosse ovale d’environ 3,5 x 2 m, remplie
de matériaux sableux, recoupant les strates de la
Basse époque. aucun lien entre cette fosse et des
vestiges architecturaux n’a pu être mis en évidence.
Dans un premier temps, une base de statue de Séthy ii
a été mise au jour, suivie d’un certain nombre de plus
petits fragments du même monument. les fouilles se
sont poursuivies pour cartographier toute la superficie de la fosse. Ce faisant, le buste en granit rose
d’une statue féminine un peu plus grande que nature
a été découvert tête en bas. Plusieurs autres fragments
de granit ont été trouvés, mais leur surface fortement
érodée rend ardue l’identification des différentes
parties du corps.
la fosse ne contenait aucun autre vestige matériel, à
l’exception d’un nombre très limité de tessons de
poterie, les plus récents consistant en des parties
d’amphores lisses en limon du nil, cuites à haute
température, datant de la fin de la période hellénistique
ou de l’époque romaine. le but de cette fosse n’a pu être
déterminé avec certitude. l’intérêt général pour le
temple solaire d’Héliopolis semble s’être estompé au
cours de la période ptolémaïque 7, qui n’a laissé aucune
trace de nouvelles constructions dans l’enceinte.
fig. 3
Plan de la
porte du nouvel
empire (en bas
à droite) et
emplacement
de la zone 234
(en haut
à gauche).
Plan réalisé
par P.J. Collet,
Kl. Dietze.
6
Aiman Ashmawy, Dietrich Raue, Simon Connor
fig. 4-7
Buste de la statue.
Granit. H. 35 ;
l. 48 ; P. 73 cm.
© Photos :
S. Connor.
fig. 8 (à droite)
Reconstitution
de l’apparence
originale de
la statue.
© Dessin :
S. Connor
au cours des deux cents dernières années d’investigation à
Héliopolis, aucune inscription de cette époque n’a été découverte,
même sur des structures préexistantes. Cette absence répond à
l’impression de désolation que l’on retrouve dans le récit de
Strabon, à l’époque augustéenne 8. après trois siècles de négligence de la part des Ptolémées, il n’est pas exclu qu’au début de
l’époque romaine, non seulement les obélisques mais aussi
d’autres parties du temple et de son aménagement aient été
déplacées à Rome, tandis que les vestiges restants auraient été
enterrés – y compris, peut-être, des fragments d’anciennes statues.
Une Reine et Un Roi
DeUx RameSSiDeS à HélioPoliS
La reine
les fragments de granit appartenaient à une statue
de reine plus grande que nature. le fragment principal consiste en un buste. Une profonde balafre verticale défigure la reine au niveau du nez. il ne s’agit pas
d’un accident : cette fente a été creusée avec soin au
moyen d’outils tubulaires laissant des marques circulaires caractéristiques, semblables à celles que l’on
retrouve dans les cavités ou orbites des statues destinées à être ornées d’incrustations. Cette profonde
cicatrice n’est donc pas le signe d’une attaque mais
bien d’une ancienne restauration du nez, alors que la
statue était encore en usage.
à une date ultérieure, la statue fut démantelée et
taillée à coups de ciseau, dont les traces régulières
suggèrent qu’il s’agissait d’outils en alliages métalliques durs, dont l’usage n’est guère attesté avant
l’époque romaine. ainsi que nous l’avons mentionné,
le rare matériel céramique mis au jour dans le remplissage de la fosse est aussi en faveur d’une datation
de l’enfouissement à l’époque romaine.
la reine porte une perruque tripartite surmonté d’un
modius orné d’une rangée d’uraei. il est possible
qu’une double plume ait jadis surmonté ce modius,
mais il n’en est resté aucune trace. aucune mortaise
n’a été taillée sur la face supérieure, ce qui empêchait
l’usage d’un tenon comme système de fixation.
7
la perruque est composée de mèches tubulaires, à
l’exception de la partie supérieure du front, sur
laquelle est représentée une dépouille de vautour
(aujourd’hui peu visible en raison de l’érosion de la
surface), dont la tête est sculptée entre deux uraei.
les deux cobras sont coiffés de la double couronne,
tandis que la tête du vautour porte la couronne atef.
Deux larges pendants d’oreille discoïdaux ornent les
lobes de la reine. De la main gauche, elle tient le
sceptre au manche recourbé propre aux reines.
la surface de la pierre est irrégulière : un long séjour
dans un milieu humide a eu raison de la cohésion des
cristaux du granit. Bien que fortement érodés, certains
fragments du corps, notamment le coude et la hanche
gauches, permettent de reconstituer la position de la
reine comme étant debout. Sans les plumes surmontant le modius, dont la présence reste hypothétique,
la statue devait mesurer environ 270 cm de hauteur.
fig. 9
(en haut, à gauche)
vue sommitale
de la statue.
© Dessin :
P. Collet.
fig. 10
(ci-contre)
Pilier dorsal
de la statue.
© Photo :
S. Connor
8
Aiman Ashmawy, Dietrich Raue, Simon Connor
la reine s’adossait à un panneau dorsal relativement
large. les signes encore lisibles (sur les faces latérales
et arrière) révèlent le nom de Ramsès ii : ḥr Kȝ-nḫtmry-Mȝʿt […]. Ceci ne permet cependant pas
d’identifier quelle femme de la famille royale – mère,
épouse ou fille – était représentée, car toutes partagent
la même apparence, les mêmes attributs et la même
physionomie.
la tentation est toujours grande, lorsque l’on traite
de statuaire ramesside, de chercher les traces de
réutilisation d’une sculpture plus ancienne. le remploi – parfois désigné sous le terme d’"usurpation" de
monuments – est en effet une pratique bien courante à
l’époque de Ramsès ii 9. néanmoins, dans le cas de
cette reine, plusieurs indices sont en faveur d’une
datation ramesside originale.
la perruque tripartite à mèches tubulaires est un
héritage de la fin du règne d’amenhotep iii et de
l’époque amarnienne (voir par exemple la tête de tiyi
découverte par Petrie à Serabit el-Khadim, le Caire
Je 38257). les épaisses boucles d’oreille, en revanche,
ne sont pas attestées avant l’époque post-amarnienne.
l’exemple en ronde-bosse le plus proche et le plus
ancien de cette association entre cette perruque et ces
boucles d’oreilles est vraisemblablement la dyade de
Horemheb et moutnedjemet au museo egizio de
turin (Cat. 1379). Plusieurs exemples de statues de
reines de la xixe dynastie, en revanche, présentent ces
ornements : la statue colossale de méritamon
découverte à akhmîm [fig. 10], le buste de la "reine
blanche" de la chapelle nord du Ramesseum (le Caire
Je 31413 – CG 600, [fig. 11]), la figure de Bentanat
debout contre les jambes d’une figure colossale de
Ramsès ii devant le deuxième pylône de Karnak [fig. 12],
ou encore une statuette mise au jour dans la Cachette
de Karnak, montrant une reine et un jeune prince
debout (le Caire Je 37337 – CG 42154). Deux autres
exemples proches sont les reines qui se tiennent contre
la jambe gauche des colosses calcaires élevés sur le côté
nord du xe pylône à Karnak [fig. 13]. il a été proposé de
voir dans ces deux colosses des statues de Horemheb
réinscrites par Ramsès ii, ainsi que l'indiquent les
traces de retouche des cartouches sur la boucle de
ceinture du souverain et sur la base des deux statues 10.
le buste de matariya présente bien les caractéristiques stylistiques de la période post-amarnienne. il
n’y a pas de raison, a priori, de ne pas y voir une
statue originale du règne de Ramsès ii, à moins
qu’elle n’ait été usurpée de moutnedjemet, ce qui
serait difficile à démontrer.
Une particularité est la présence de deux cobras
encadrant un protomé de vautour. il est vrai que ce
triple ornement frontal n’avait pas encore été attesté
pour les statues ramessides, alors qu’il apparaissait
au front de la reine tiyi sur plusieurs statues : une
tête provenant de tanis (le Caire CG 609, fig. 14),
une statue debout découverte dans le temple de mout
à Karnak en 2006 (le Caire Je 99281), une dyade
en stéatite glaçurée du louvre (n 2312 - e 25493),
une figure en serpentinite trouvée dans l’île de Sai,
ainsi que le célèbre groupe statuaire colossal
découvert à thèbes ouest, aujourd’hui dans
l’atrium du musée du Caire (m 610). les reines
post-amarniennes sont souvent représentées avec
deux cobras (voir le buste d’isisnefret à Bruxelles,
e. 5924), mais pas – jusqu’à présent – avec une tête
de vautour. Cet argument n’est cependant pas suffisant pour attribuer le buste de matariya à tiyi et y
voir une statue modifiée sous Ramsès ii. Dans le
cas présent, il est important de distinguer les éléments iconographiques des arguments stylistiques :
cette iconographie spécifique peut avoir été
empruntée au règne d’amenhotep iii (elle peut
aussi avoir continué entre les deux règnes, même si
le corpus actuellement connu ne la documente pas),
tandis que le style du buste de matariya appartient
au règne de Ramsès ii. l’état de conservation du
buste de matariya rend la comparaison malaisée
avec d’autres pièces, mais les caractéristiques stylistiques du style post-amarnien/début ramesside sont
présentes : visage ovale, front bas, yeux en amandes
dotés de lourdes paupières supérieures, arcades
sourcilières proéminentes, joues arrondies, lèvres
charnues avec des commissures profondément
taillées. il n’est théoriquement pas impossible que
nous ayons affaire à une statue de tiyi "ramessisée",
mais dans ce cas, elle aurait exigé une transformation
profonde de la physionomie du visage et de la perruque.
Une Reine et Un Roi
DeUx RameSSiDeS à HélioPoliS
9
fig. 11 (en haut)
Colosse debout
de la reine
merytamon, fille
de Ramsès ii,
à akhmim.
© Photo :
S. Connor.
fig. 12 (en bas)
torse d’une
reine, découvert
dans la chapelle
nord du
Ramesseum.
le Caire Je 31413
– CG 600.
© Photo :
S. Connor.
fig. 13 (ci-contre)
Reine Bentanat
debout contre les
jambes du colosse
de Ramsès ii
en position
jubilaire, devant
le iie pylône
de Karnak.
© Photo :
S. Connor.
fig. 14 (ci-contre)
Reine identifiée
comme
néfertari, debout
contre la jambe
gauche d’un
colosse de
Ramsès ii
(face nord du xe
pylône de Karnak).
© Photo :
S. Connor.
10
Aiman Ashmawy, Dietrich Raue, Simon Connor
il est plus vraisemblable, à nos yeux, que nous ayons
affaire à une statue originale du règne de Ramsès ii,
présentant une caractéristique iconographique héritée
du règne d’amenhotep iii : les deux uraei encadrant
la tête du vautour. au nouvel empire, le double
uraeus a peut-être été un moyen d’élever les femmes
royales au rang d’épouses principales ou de mères du
roi 11. Dans le cas de Ramsès ii, de nombreuses candidates sont possibles pour identifier cette figure
royale et rien ne permet de reconnaître laquelle des
reines était représentée.
fig. 15
tête d’une
statue de la
reine tiyi
(le Caire
CG 609).
© Photo :
S. Connor.
fig. 16 (en bas)
Secteur 234.
Base de la statue
de Séthy ii in situ.
© Photo :
D. Raue.
Le roi
les fragments de quartzite jaune trouvés dans la
même fosse appartenaient à une statue au nom de
Séthy ii. l’élément principal en est le socle, retrouvé
posé à l’envers, associé à une série de fragments de
petit format, appartenant aux jambes, au pagne
shendjyt et au pilier dorsal. Peut-être au moment de
l’enterrement de ces fragments, la statue a été débitée
et littéralement retirée de sa base, la transformant
ainsi en un bloc parallélépipédique. les contours
préservés du pied gauche permettent cependant de
reconstituer la position du roi à genoux. la statue
mesurait à l’origine à peu près 150 cm de haut.
l’inscription conservée sur les côtés de la base, ainsi
que sur certains fragments du pilier dorsal, fournissent
l’identité du roi, Séthy ii, suivi de l’épithète "aimé"
des principales divinités d’Héliopolis, atoum et RêHorakhty. Sur la partie inférieure du pilier dorsal, les
cartouches du souverain sont gravés au-dessus des
signes de l’or nbw.
Côté gauche : nsw.t bity nb tȝ.wy Wsr-ḫprw-Rʿ stpn-Rʿ sȝ Rʿ nb ḫa.w (Stẖy-mr-n-Ptḥ) mry Jtmw nb
Jwnw
"le roi de Haute et de Basse égypte, le seigneur des
Deux terres, ouserkhépérourê-setepenrê, le fils de
Rê, seigneur des apparitions, Séthy-mérenptah, aimé
d’atoum, seigneur d’Héliopolis"
Pilier dorsal : [… … … (Stẖy-] mr-n-Ptḥ)
[Sethy]-mérenptah (double cartouche)
Côté droit : […] mry Rʿ-ḥr-ȝḫty
[…], "aimé de Rê-Horakhty"
Ces fragments d’une nouvelle statue agenouillée en
quartzite s’intègrent dans le répertoire sculptural de
Séthy ii, presque exclusivement composé de figures
que l’on peut associer aux activités liées au culte : on le
retrouve surtout agenouillé présentant une table
d’offrande ou un naos, ou encore debout en porteenseigne 12. même dans le cas de statues assises
(londres Bm ea 26) ou de sphinx (alexandrie
20307), Séthy ii est représenté tenant une table
d’offrande ou une figure divine. Plusieurs autres statues
agenouillées en quartzite ou en calcaire ont été érigées
à Karnak et à Héliopolis [fig. 19-21].
le degré de qualité de la sculpture et de l’épigraphie
est également représentatif du corpus de Séthy ii qui
nous est parvenu. malgré le choix de matériaux prestigieux (notamment le quartzite), sous les successeurs
de Ramsès ii, on constate en effet un certain déclin
dans le soin apporté à la statuaire, avec des proportions moins harmonieuses, un respect moins strict de
la régularité des formes, ainsi qu’un tracé souvent
hésitant des lignes encadrant les inscriptions.
Une Reine et Un Roi
DeUx RameSSiDeS à HélioPoliS
11
fig. 17-19
Base de la statue de Séthy
ii. Quartzite. H. 35 ; l. 48 ;
P. 73 cm.
© Photos et reconstitution : S. Connor.
ainsi que nous l’avons indiqué plus haut, la datation
de l’enfouissement de la statue est imprécise. le peu
de céramique trouvée dans le remplissage de la fosse
indique un contexte d’époque gréco-romaine.
néanmoins, il faut noter un fait particulier : les hiéroglyphes du dieu Seth, au sein du cartouche du roi,
n’ont pas été martelés, contrairement à ce que l’on
observe sur la plupart des autres monuments de
Séthy ier et ii qui étaient encore visibles au cours du
premier millénaire avant J.-C. à Héliopolis, la mutilation de l’hiéroglyphe [seth] est clairement visible,
par exemple, sur la statue agenouillée en calcaire
découverte il y a une trentaine d’années, aujourd’hui
exposée dans le musée en plein air du site 13. Une action
de martelage des images et mentions du dieu Seth
semble en effet avoir eu lieu pendant la troisième
Période intermédiaire et s’être poursuivie pendant
tout le premier millénaire avant J.-C. 14. il se peut donc
que la statue ait déjà été hors de vue à cette époque.
on notera une particularité sur la surface supérieure
du bloc, qui présente une patine sur le "négatif" du
pied et de la jambe mutilés, comme s’il y avait eu une
certaine érosion après la destruction de la statue et
comme si le bloc avait été exposé sous cette forme pendant un certain temps avant d’être enterré. la statue
semble d’abord avoir été relativement soigneusement
séparée de sa base. la cassure sur le côté droit de la statue, en revanche, est beaucoup plus irrégulière et ne
montre pas cette patine, comme si elle s’était produite
en un second temps, peut-être juste avant que la statue
ne soit abandonnée dans cette fosse. néanmoins, les
petits fragments des jambes, du pagne et du pilier dorsal, trouvés dans le même contexte archéologique que
le socle, indiquent que même si le socle a pu être utilisé comme bloc, peut-être dans une maçonnerie, certaines parties de la statue au moins de la statue sont
restés à proximité de la base au cours de son usage
secondaire, jusqu’à ce qu’ils soient jetés dans la fosse.
12
fig. 20 (ci-contre)
Statue
agenouillée
en calcaire
de Séthy ii
découverte
à Héliopolis.
musée
de matariya.
© Photo :
S. Connor.
fig. 21 (en haut)
Buste d’une
statue agenouillée
en calcaire,
découvert en
2017 à matariya
dans le secteur de
Souq el-Khamis.
© Reconstitution :
S. Connor.
fig. 22 (en bas)
Une des statues
agenouillées en
quartzite de
Séthy ii à Karnak
(KiU 83).
© Photo :
S. Connor.
Aiman Ashmawy, Dietrich Raue, Simon Connor
Une Reine et Un Roi
DeUx RameSSiDeS à HélioPoliS
les statues de la fosse du secteur 234 illustrent
l’investissement des souverains ramessides, attesté
ailleurs sur le site, dans le temple solaire d’Héliopolis,
même dans le cas de règnes éphémères. Pour les rois
des xixe et xxe dynasties, Héliopolis semble avoir
été le théâtre d’un culte ancestral actif, qui les reliait
au dieu-soleil lui-même, ainsi qu’au modèle qu’ils
cherchèrent tous à suivre : Ramsès ii. même des
souverains mineurs tels que Séthy ii, taousert,
Sethnakht ou Ramsès vii sont présents au sein du
répertoire du site – ce qui apparaît extraordinaire,
étant donné le déplorable état de conservation
d’Héliopolis, en comparaison avec d’autres sites cultuels du nouvel empire 15. malgré ses seulement six
ans de règne, Séthy ii est bien représenté au sein du
matériel mis au jour à matariya.
Ce successeur tardif de la famille de Ramsès ier
semble s’être principalement manifesté à Karnak et à
Héliopolis, se concentrant ainsi sur le culte solaire des
dynasties ramessides en Haute et en Basse égypte.
Dans ce schéma, la famille royale est également
impliquée de manière plus explicite que dans tout
autre temple de l’égypte ramesside. le temple
d’Héliopolis possède de nombreux exemples de ce
phénomène : on y retrouve des mentions de princes
agissant en tant que grands prêtres, de sœurs du roi à
la tête du clergé féminin, de résidences princières,
ainsi que des princesses portant les titres de chanteuses rituelles dans le domaine du dieu solaire héliopolitain 16. la statue de reine du secteur 234 s’inscrit
dans ce tableau, qui établit un lien entre le dieu créateur,
l’ennéade d’Héliopolis et la famille du roi régnant.
noteS
1
D. RaUe, "Religion et politique au cœur de l’ancienne égypte : le temple d’Héliopolis", Annuaire, École Pratique des
Hautes Études: Ve section - sciences religieuses 125, 2016-2017, p. 93-96. Pour l’histoire du site, voir aussi D. RaUe, Reise zum
Ursprung der Welt : die Ausgrabungen im Tempel von Heliopolis, Darmstadt, 2020.
2
l. GaBolDe, D. laiSney, "l’orientation du temple d’Héliopolis : données géophysiques et implications historiques",
MDAIK 73, 2017, p. 105-132.
3
a. aSHmaWy, D. RaUe, "Héliopolis en 2017 : les fouilles égypto-allemandes dans le temple du soleil à matariya/le
Caire", BSFE 197, p. 29-45 ; a. aSHmaWy, S. ConnoR, D. RaUe, "a brewery, a cemetery and monumental walls. 3,000
years of occupation at the heart of Heliopolis", Egyptian Archaeology 58, 2021, p. 28-33; a. aSHmaWy, K. Dietze,
D. RaUe, "Heliopolis – Kultzentrum unter Kairo", Kleine Schriften des Ägyptischen Museums der Universität Leipzig 13,
University Library Heidelberg : Propyläum, https://doi.org/10.11588/propylaeum.755, 25-36 ; voir aussi www.heliopolisproject.org.
4
les fouilles de ce secteur font l’objet du projet doctoral de Klara Dietze (Université de leipzig), financé par la fondation
Gerda Henkel depuis 2018. voir K. Dietze, "Das Korpus der mauerstelen thutmosis’ iii. und die innere
Umfassungsmauer im tempel von Heliopolis", dans a. aSHmaWy, K. Dietze, D. RaUe, Heliopolis, p. 37-52 ; a. aSHmaWy,
K. Dietze, "an archer from Heliopolis : on a recently discovered stele fragment from matariya", MDAIK 75, 2019,
p. 15-28 ; pour le secteur 232, voir www.heliopolisproject.org.
nous adressons ici notre sincère gratitude au ministre du tourisme et des antiquités de la République arabe d’égypte,
Son excellence le Prof. Khaled el-enany, ainsi qu’au Prof. Dr. mostafa Waziri et à l’assemblée générale du Conseil suprême
des antiquités, ainsi qu’aux nombreux membres de l’inspectorat des antiquités de matariya et d’ayn Shams, dirigé par
Khaled mohammed abu al-ella et au personnel du musée de l’obélisque de matariya, régi par Hoda Kamal ahmed.
5
K. Dietze, F. UGliano, "a dialogue between past and current excavations at Heliopolis : the case study of Schiaparelli’s
‘tempio del Sole’ and area 232", Rivista del Museo Egizio (à paraître en 2021) ; W.m.F. PetRie, e. maCKay, Heliopolis,
Kafr Ammar and Shurafa, londres, 1915, p. 3-4, pl. i-iii.
6
K. Dietze, Korpus der Mauerstelen, p. 37-52.
7
D. RaUe, "Heliopolis – ein ‘Reichsheiligtum’ gewinnt Profil", dans i. Gerlach, G. lindström, K. Sporn (éd.), Menschen
– Kulturen – Traditionen, Berlin, 2021 (sous presse).
13
Aiman Ashmawy, Dietrich Raue, Simon Connor
14
8
Strabon i.1.27, trad. P. CHaRvet, dans J. yoyotte, P. CHaRvet, St. GomBeRtz, Strabon. Le voyage en Égypte, Paris, 1997, p. 125.
9
à ce sujet, voir Cl. vanDeRSleyen, "Sur quelques statues usurpées par Ramsès ii (British museum 61 et louvre a 20)", dans
W.F. Reineke (éd.), Acts: First International Congress of Egyptology, Cairo October 2-10, 1976, Berlin, 1979, p. 665-669 ; Id., "la
statue de Ramsès ii du musée d’art et d’histoire de Genève réexaminée", Genava, nouvelle série 31, 1983, p. 17-22 ;
H. SoURoUzian, "Standing royal colossi of the middle Kingdom reused by Ramesses ii", MDAIK 44 (1988), p. 229-254 ; ead.,
"les colosses du iie pylône du temple d’amon-Rê à Karnak, remplois ramessides de la xviiie dynastie", Cahiers de Karnak 10,
1995, p. 505-543 ; B. maGen, Steinerne Palimpseste: zur Wiederverwendung von Statuen durch Ramses II. und seine Nachfolger,
Wiesbaden, 2011 ; m. Hill, "later life of middle Kingdom monuments : interrogating tanis", dans a. oppenheim, Do. arnold,
Di. arnold, K. yamamoto (éd.), Ancient Egypt transformed: the Middle Kingdom, new Haven, londres, 2015, p. 294-299 ;
m. eaton-KRaUSS, "Usurpation", dans R. Jasnow, K.m. Cooney (éd.), Joyful in Thebes : Egyptological studies in honor of Betsy
M. Bryan, atlanta, 2015, p. 97-104 ; S. ConnoR, "Quatre colosses du moyen empire ‘ramessisés’ (Paris a 21, le Caire CG 1197,
Je 45975 et 45976)", BIFAO 115, p. 85-109 ; B. Gilli, "How to build a capital: the second life of pre-Ramesside materials
in Pi-Ramesses", dans H. Franzmeier, t. Rehren, R. Schulz (éd.), Mit archäologischen Schichten Geschichte schreiben : Festschrift für
Edgar B. Pusch zum 70. Geburtstag, Hildesheim, 2016, p. 137-175 ; H. SoURoUzian, Catalogue de la statuaire royale de la XIXe dynastie,
le Caire, 2019, p. 645-790, cat. R-1 à R-131 ; ead., Recherches sur la statuaire royale de la XIXe dynastie, le Caire, 2020, p. 30-36 ;
37 ; 79 ; 132 ; 176 ; 214 ; 232 ; S. ConnoR, "‘Ramessiser’ des statues", BSFE 202, p. 83-102.
10
H. SoURoUzian, Catalogue, 2019, p. 674-675, cat. R-24 et R-25.
11
S.a. aSHton, "the use of the double and triple uraeus in royal iconography", dans a. Cooke, F. Simpson (éd.), Current research in
Egyptology ii : January 2001, oxford, 2005, p. 1-9.
12
Pour une recension récente des statues de Séthy ii, voir H. SoURoUzian, Catalogue, 2019, p. 603-635, cat. 385-404. Seules
deux statues fragmentaires en granodiorite, découvertes dans les ruines d’Héraklion, semblent montrer Séthy ii dans la position
traditionnelle debout, bras tendus le long du corps, Fr. Goddio (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Paris, 2006, p. 98, cat. 112-113.
13
a. el-SaWi, "a limestone statue of Sety ii from iwn – Heliopolis", MDAIK 46, 1990, p. 337-340 ; H. SoURoUzian, Catalogue,
2019, p. 624-625, n° 396.
14
H. te velDe, Seth, God of Confusion. A Study of his Role in Egyptian Mythology and Religion, leyde, 1967 ; G. SoUKiaSSian, "Une
étape de la proscription de Seth", GM 44, 1981, p. 59-68 ; m. SmitH, "the Reign of Seth: egyptian Perspectives from the First
millennium BCe", dans l. Bareš, F. Coppens, K. Smoláriková (éd.), Egypt in Transition. Social and Religious Development of Egypt
in the First Millennium BCE, Proceedings Conference Prague, September 1-4, 2009, Prague, 2010, p. 396-430 ; J.F. QUaCK, "‘lösche
seinen namen aus!’: zur vernichtung von personenreferenzierter Schrift und Bild im alten Ägypten", dans C. Kühne-Wespi,
K. oschema, J.F. Quack (éd.), Zerstörung von Geschriebenem: historische und transkulturelle Perspektiven, Berlin, Boston, 2019, p. 43102 ; D. RaUe, "Sethos and Seth in Heliopolis", dans a. ashmawy, K. Dietze, D. Raue (éd.), Heliopolis, p. 57-76. Dans un récent
article, Janne arp-neumann suggère l’hypothèse convaincante que les dommages portés aux mentions et images du dieu Seth ne
reflètent nullement une proscription du dieu, mais plutôt une action performative, traduisant leur neutralisation tout en les
intégrant dans des pratiques cultuelles bien actives, J. aRP-neUmann, "negating Seth : Destruction as vitality", Numen 68, 2021,
p. 157-179.
15
D. RaUe, Religion et politique, p. 103-106 ; id., Heliopolis und das Haus des Re. Eine Prosopographie und ein Toponym im Neuen
Reich, Berlin, 1999, p. 373-391.
16
D. RaUe, Heliopolis und das Haus des Re, p. 49-56. Ramsès ii lui-même pourrait avoir conçu ce schéma, ainsi que l’indiquerait le
nom additionnel de "fils de Rê" Paramessou, découvert dans le temple d’amon d’Héliopolis. Ce nom de Paramessou, qu’il adopte dans
le temple du secteur 248, pourrait traduire un lien étroit avec le dieu soleil, tout en faisant référence au grand-père de Ramsès ii,
Ramsès ier, qui portait ce nom avant de monter sur le trône. voir a. aSHmaWy, D. RaUe, "matariya 2016 : Ramesside dynasties
at Heliopolis", Egyptian Archaeology 50, p. 16-21.