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La grande salle basilicale des bains de Tyr

La grande colonnade double qui a été fouillée et restaurée au Sud de Tyr par les équipes de Maurice Chéhab, entre 1946 et 1975, était considérée comme une rue à portiques. Les nouveaux travaux conduits depuis 2008 montrent qu'il s'agit d'une longue salle couverte à trois nefs qui appartient au vaste complexe des bains protobyzantins que l'on reconnaît maintenant dans cette partie de la ville. On peut la définir comme une basilique thermale. Elle desservait les palestres est et ouest et avait les fonctions d'un frigidarium et d'un centre de sociabilité. C'était aussi un hall de présentation des statues et inscriptions anciennes qui conservaient, dans une ville chrétienne, leur caractère d'oeuvres d'art et témoignaient du glorieux passé et de la vie civique de la cité.

BAAL Hors-Série VIII Pp. 375-384 La grande salle basilicale des bains de Tyr Pierre-Louis gatier La grande colonnade double qui a été fouillée et restaurée au Sud de Tyr par les équipes de Maurice Chéhab, entre 1946 et 1975, était considérée comme une rue à portiques. Les nouveaux travaux conduits depuis 2008 montrent qu’il s’agit d’une longue salle couverte à trois nefs qui appartient au vaste complexe des bains protobyzantins que l’on reconnaît maintenant dans cette partie de la ville. On peut la déinir comme une basilique thermale. Elle desservait les palestres est et ouest et avait les fonctions d’un frigidarium et d’un centre de sociabilité. C’était aussi un hall de présentation des statues et inscriptions anciennes qui conservaient, dans une ville chrétienne, leur caractère d’œuvres d’art et témoignaient du glorieux passé et de la vie civique de la cité. Les travaux conduits de 2008 à 2010 dans la partie sud du site de tyr-ville par la Mission archéologique de tyr1, que j’ai l’honneur de diriger, ont porté, entre autres, sur le secteur des bains, de la grande colonnade (Fig. 1) et du bâtiment à gradins. ils ont permis de renouveler les connaissances sur cet ensemble monumental qui avait été fouillé et restauré par la Dga sous l’autorité de l’Émir Maurice Chéhab, entre 1946 et 1975 (gatier et al. 2010, à paraître). Nous l’interprétons maintenant comme un complexe balnéaire unique, réunissant des bains symétriques de type impérial, deux palestres, des latrines monumentales et un bâtiment de spectacle à gradins. Cet ensemble se répartit de part et d’autre d’une grande colonnade à laquelle les anastyloses de l’époque de Maurice Chéhab ont donné un caractère spectaculaire qui contribue fortement à l’image actuelle du site. C’est de la nature, de la date et de la fonction de ce monument qu’il va être question ici. Les fouilles du XXe siècle Dès ses premiers travaux au Sud de la ville de tyr, à partir de 1946, Maurice Chéhab fouille ce qu’il déinit comme une «rue à portiques» où il trouve, sur des terrains qui appartenaient à l’État libanais, des colonnes et des mosaïques (Chéhab 1946-1948; Chéhab 1948). il observe deux types de pavements: un dallage de marbre et, au-dessous, des mosaïques géométriques. Il signale «dans la partie nord-est de la fouille, de nombreuses pièces de sculptures», une statue cuirassée, avec la représentation de rome audessus de la louve qui allaite romulus et rémus, une tête de Septime Sévère, et divers autres fragments de statues cuirassées. De même, ont été trouvées trois inscriptions2, «dont une dédicacée à Odeinath et l’autre mentionnant la Tyché» (Chéhab 1949). Maurice Chéhab précisa plus tard le lieu de découverte des trois inscriptions, «au centre de la partie dégagée de la rue 375 La grande salle basilicale des bains de tyr Pierre-Louis gatier BAAL Hors-Série VIII Fig. 1- La partie sud du complexe thermal, vers l’Ouest: palestre est, bains, palestre ouest, grande salle basilicale à droite (photo J.-B. Yon, Mission archéologique de Tyr). à portiques, autour d’un espace carré que déterminent de grands blocs de marbre» (Chéhab 1962: 17). Ces trois textes grecs ont été publiés par le Père rené Mouterde (dans Chéhab 1962: 18-21): une inscription où des prêtres de la Bonne Fortune honorent un autre prêtre de la même divinité, grand-prêtre également d’Héraclès et de Leucothéa (et peut-être de Mélicerte, cf. Aliquot 2006: 249); la célèbre inscription où «la Colonia Septimia de tyr, métropole, (honore) le clarissime Septimius Odeinath» (Rey-Coquais 2006: 40, n° 32); enin, un texte peu lisible qui est lui aussi une inscription honoriique (et non pas «une dédicace de la ville», comme l’écrit Mouterde: 21), faite par la cité pour un personnage dont le nom n’a pas été lu par Mouterde, mais dont la qualité me semble celle de patron (ton pa[--], l. 4). Les deux premières inscriptions sont conservées actuellement au Musée National; l’autre est rangée sur le site, dans le jardin lapidaire. Maurice Chéhab a donné quelques détails supplémentaires sur les sculptures en marbre «trouvées aussi à l’extrémité nord-est de notre rue» (Chéhab 1962: 21-22, pl. 7-9), qui doivent provenir d’un emplacement différent de celui des trois inscriptions; les statues auraient été trouvées plus au Nord-est, comme semble l’indiquer Chéhab («à 12 m à l’Est du monument rectangulaire, s’étend un dallage de marbre; dans cet espace…», Chéhab 1950: 240). Ce sont: une base de statue fragmentaire de divinité lanquée de deux animaux – dont celui de gauche (plutôt que 2 «de droite») est un félin posant sa patte sur une tête de taureau3 – et en qui Chéhab pense reconnaître Dionysos (Fig. 2); «la partie inférieure d’une statue impériale cuirassée», dont il n’y a ni description ni photo, probablement le morceau de statue loricata découvert entre deux colonnes et signalé auparavant (Chéhab 1948: 183); une autre statue cuirassée, acéphale, qui représente l’empereur Hadrien, avec sur la cuirasse la personniication de Rome debout audessus de la louve et des jumeaux (Fig. 3); un buste de Septime Sévère couronné de lauriers «d’un type amovible» (Fig. 4). D’autres sculptures proviennent du même emplacement, sans qu’on connaisse leur nombre ou leurs types, hormis «un pied chaussé» (Chéhab 1949: 245). Enin, à l’Ouest d’un bâtiment à péristyle qui sera plus tard reconnu comme une palestre (ou un «marché»; notre palestre ouest), les fouilleurs ont «dégagé en 1954 une victoire ailée, la poitrine couverte d’un médaillon décoré d’une tête de gorgone» (Chéhab 1955: 48). Il est précisé ensuite que cette statue acéphale (Fig. 5) a été trouvée «dans l’enceinte de ce monument». Maurice Chéhab la décrit ainsi: «le vent, qui joue dans les plis de la tunique, la colle au corps, révélant ainsi une partie de ses formes. au-dessus, l’himation enveloppe le corps des hanches aux genoux et retombe largement sur l’avant-bras porté en avant. La Nikè est représentée en marche rapide au moment où elle semble se poser sur le sol. Les boucles d’un baudrier se croisent sur sa poitrine, ixées par un médaillon orné d’une tête de Méduse. Des trous sur les épaules semblent être destinés à ixer des ailes». Chéhab la date, sur la base Fig. 2- Base de statue fragmentaire (photo J.-B. Yon, Mission archéologique de Tyr). BAAL Hors-Série VIII Fig. 3- «Panzerstatue» d’Hadrien (photo Musée National, Beyrouth). Fig. 5- Victoire (photo Musée National, Beyrouth). Fig. 4- Tête laurée de Septime Sévère (photo Musée National, Beyrouth). de comparaisons stylistiques et iconographiques, dans la période antonine (Chéhab 1962: 14-15, pl. 4). Maurice Chéhab, après avoir vu d’abord dans la double colonnade une rue à portiques, identiie ensuite «un monument de dimensions immenses et inattendues» (Chéhab 1949: 244) qu’il désigne comme «le portique» (Chéhab 1949-1950: 108), pour inalement revenir à «une rue lanquée de portiques» (Chéhab 1962: 13), ou «une allée» (Chéhab 1968: 51; 1969: 28), ou même «une avenue» (Chéhab 1969: 31). il y voit une chaussée bordée de deux trottoirs. Par comparaison avec des mosaïques de la villa d’Hadrien à tivoli, il date d’abord les pavements de mosaïques géométriques du iie s. apr. J.-C., ou plus précisément de l’époque antonine, et le dallage de carreaux de marbre qui les recouvre de «l’époque probablement sévérienne», ou encore du règne de Septime Sévère (Chéhab 1962: 14; p. 33; p. 37; voir Jidejian 1996: 170). Mais, par la suite, après des fouilles4, conduites vers 1966 «dans la route à mosaïques», les dates changent. Des «monnaies appartenant à la dynastie constantinienne» sont trouvées «immédiatement sous 3 La grande salle basilicale des bains de tyr Pierre-Louis gatier BAAL Hors-Série VIII la mosaïque» (Saidah 1967: 159) et cette dernière est attribuée au iVe s., tandis que le dallage de marbre de Proconnèse aurait été posé «près d’un siècle plus tard» (Chéhab 1968: 51; 1969: 28). Les monnaies sont dites aussi «de Constance» (Chéhab 1975: 373). Les découvertes du XIXe siècle Parmi les récits des voyageurs du XiXe s., quelquesuns avaient signalé des sculptures ou des inscriptions en provenance d’endroits plus ou moins bien localisés du Sud de la presqu’île. Je n’en retiendrai ici que trois, qui me semblent tous concerner le secteur de la double colonnade. Le témoignage, totalement méconnu me semblet-il, du capitaine Newbold, un Britannique, est particulièrement intéressant. après avoir décrit la ville de son époque et les creusements que les tyriens pratiquaient dans sa partie sud pour y récupérer des pierres de construction à destination de Saint-Jean d’Acre, il écrit: «In the vicinity, the remains of baths with tesselated pavements, and the foundations and pillars of a small temple, had been recently dug up, as well as the mutilated torso of a marble statue of Minerva, as large as life; the drapery is exquisitely done, and is conined on the bosom by a Medusa’s head. this piece of statuary is in possession of a native of Tyre, living in the house called Beit Jubbur. i mentioned the circumstances to Colonel rose and to Mr. Moore, our Consul at Beyruth, and hope that this interesting relic of grecian art in tyre may be preserved from still further mutilation» (Newbold 1850: 355). Le lieu de ces découvertes est mal situé, au voisinage de la ville de l’époque, coninée vers le Sud à l’intérieur de son rempart qui s’appuyait sur les ruines de la cathédrale médiévale. il paraît cependant probable qu’il s’agit des bains fouillés plus tard par Maurice Chéhab et il ne peut pas être question des bains byzantins de l’hippodrome, alors profondément enfouis sous les sables. On remarquera l’intérêt de ce texte, le seul à mentionner les bains au Sud de tyr avant leur redécouverte plus d’un siècle plus tard (Saidah 1967: 159). Ce qui est considéré comme un temple par Newbold pourrait éventuellement être une portion d’une des deux palestres, de préférence celle 4 de l’Ouest plus accessible, dont les socles des colonnes du péristyle seraient les «pillars» mentionnés. La statue décrite comme une Minerve ressemble d’une manière étonnante à celle en qui Chéhab a reconnu une Nikè, et, comme il n’est pas possible que son propriétaire tyrien de 1850 l’ait enterrée à nouveau sur son lieu de trouvaille, on peut penser qu’il y avait à l’origine deux statues associées, éléments d’un groupe sculpté complexe. ernest renan, quand il passe à tyr en 1861, observe que toute la zone au Sud de l’île est fouillée depuis un siècle «pour chercher des marbres précieux» (Renan 1864-1874: 530 et 533). Il repère «une belle ligne de colonnes de marbre précieux» qui me semble la double colonnade découverte plus tard par Maurice Chéhab. Dans ce secteur, il fait creuser sa tranchée D, qui igure sur son plan, malheureusement à grande échelle, et trouve en un lieu qu’il ne situe pas plus précisément «plusieurs débris de statues et une inscription grecque» du Ier s. av. J.-C. où la boulè et le peuple de tyr honorent aemilius Scaurus, leur patron (renan 1864-1874: 533-534 = igrr, iii, 1102). Quelques années après renan, William McClure thomson, un pasteur américain de passage à tyr, constate lui aussi que des trous sont pratiqués au Sud de l’île. Nina Jidejian a attiré l’attention sur son récit (Jidejian 1969: 113), que je cite dans une édition plus récente5: «Some years ago, the quarriers who were digging out stone for the government barracks at Beirût uncovered a large loor a few feet below the surface. Breaking it up, and descending through rubbish some ten feet farther, they came upon a marble pavement, and a confused mass of columns of every size and variety. i went down and groped about amidst those prostrate columns, and found the bases of some still in their original positions – parts of what, perhaps was once a temple. One fragment of verd-antique was very beautiful. in an adjoining excavation was found a marble statue of a female, life-size, robed, and in good preservation» (Thomson 1883: 617). Il y a de fortes chances que la surface dallée de marbre dont il est question soit le sol de la colonnade double et que les piédestaux et colonnes différents soient ceux de la palestre ouest et de la colonnade; quant au «verdantique», il s’agit d’une des appellations du cipolin, marbre vert qui, en l’état de nos connaissances, ne se trouve utilisé à tyr que pour les colonnes de la grande BAAL Hors-Série VIII colonnade double et pour certaines autres dans la rue antique sous la cathédrale. avec Nina Jidejian, on peut donc considérer que thomson est la première personne à mentionner le dallage de marbre de la colonnade double. Je retiendrai essentiellement de ces trois témoignages leurs informations sur des statues et sur une inscription que je pense pouvoir situer les unes et l’autre, sans trop d’incertitude, dans ou à proximité immédiate de la colonnade double fouillée par Maurice Chéhab, longtemps après les passages de Newbold, de renan et de thomson. Une salle couverte d’époque protobyzantine Les nouvelles recherches que notre équipe conduit depuis 2008 ont montré que la colonnade double ou les deux colonnades (Fig. 6) ne composaient pas une rue à portiques, mais une salle à trois nefs, et que cette construction devait être entièrement couverte par un toit. Nous reconnaissons l’extrémité nord-est du bâtiment par des traces assez ténues, d’une part du mur pignon et d’autre part de dallages qui composeraient dans la nef centrale une exèdre semi-circulaire de Fig. 6- La basilique thermale, état des lieux (architectes G. Charpentier et C. Duvette, topographe X. Husson). 5 La grande salle basilicale des bains de tyr type absidial. L’autre extrémité, au Sud-Ouest, a disparu et ne se restitue que par symétrie. Sans les absides, le bâtiment aurait 175 m de long, avec elles 190 m; Maurice Chéhab parlait déjà d’une avenue de 175 m (Chéhab 1969: 161). Quelques tronçons des fondations en grand appareil de grès calcaire des murs gouttereaux nord et sud de la grande salle sont encore visibles. Les deux colonnades composent trois nefs, une nef centrale de 13 m de large (entraxe) et deux nefs latérales de 6,50 m. La nef centrale a donc une largeur égale à celle des deux nefs latérales réunies, ce qui est très fréquent dans les bâtiments de type basilical, mais qui se rencontre aussi dans la rue à portiques retrouvée sous la cathédrale avec ses trottoirs d’environ 6 m et sa chaussée de 11 m (entraxe). Par ailleurs, les accès à la grande salle nous sont inconnus. La restitution proposée sur le plan de gérard Charpentier6 montre deux colonnades de 40 colonnes chacune avec un entrecolonnement moyen de 3,20 m (soit 4,20 m en entraxe), mesuré à partir des colonnes qui ont été restaurées et remontées sur des piédestaux, eux-mêmes restaurés7 et écartés les uns des autres de 2,80 m. Dans l’état actuel de nos connaissances, nous ne pouvons pas estimer le degré d’exactitude des restaurations faites par les équipes de Maurice Chéhab, ni discuter de la précision de ces écartements. De même, la correspondance entre les chapiteaux et les colonnes assemblés lors des restaurations reste à vériier précisément. Nous estimons la hauteur de ces chapiteaux, qui appartiennent à au moins deux types différents, entre 0,92 et 0,94 m, mais nous ignorons encore la hauteur de l’entablement des deux colonnades. il y a cependant des dissemblances qui, à ce jour, nous paraissent plutôt liées au monument antique qu’aux restaurations modernes. Nous distinguons par exemple deux gabarits de piédestaux: un grand modèle de 0,85 m de hauteur moyenne et un plus petit situé entre 0,60 m et 0,70 m de hauteur. La surface de leurs lits d’attente forme un carré plus ou moins régulier dont les côtés mesurent entre 1,28 m et 1,40 m. il en est de même pour les bases pour lesquelles il existe deux hauteurs moyennes de 0,45 m et de 0,30 m. Les hauteurs des fûts de colonnes intégralement conservés ont été mesurées; elles varient entre 6,97 m et 7,05 m. Les lits de pose et d’attente mesurent respectivement 0,93 m et 0,80 m 6 Pierre-Louis gatier BAAL Hors-Série VIII BAAL Hors-Série VIII de diamètre. en un mot, nous formons l’hypothèse que tous les éléments des deux colonnades n’étaient pas uniformes au moment de leur construction ou de leur reconstruction antique. Les colonnes se composent de fûts monolithes de cipolin, du marbre veiné des carrières de Karystos dans l’île d’eubée, ainsi que de bases et de chapiteaux de marbre gris de Proconnèse. elles reposent sur des piédestaux du même marbre. Certains de ces piédestaux sont ornés sur l’une de leurs faces ou sur deux faces opposées de reliefs, plus ou moins bien préservés, qui offrent un décor diversiié (rosette, leurs de types différents, couronne, aigle, deux cornes d’abondance encadrant un canthare, tête de bélier, masque de comédie, deux oiseaux de part et d’autre d’un vase…). De même, on rencontre un visage de Méduse (Fig. 7) et une tête martelée qui pourrait être celle d’un Héraclès imberbe coiffé de la peau de lion. Une autre représentation est mieux conservée, celle d’un autre visage d’Héraclès à la léontè, mais barbu, légèrement tourné vers le côté et lanqué d’une massue (Fig. 8). La présence ici du dieu poliade de tyr, dont l’image ou les attributs se retrouvent sur une bonne partie du monnayage antique de la cité, est remarquable. Le style et la représentation même d’une divinité païenne concourent à dater ces piédestaux du iie ou du iiie s. après J.-C. On serait même tenté de rapprocher la igure de l’Héraclès barbu de celle d’un empereur; la ressemblance pourrait se faire avec Commode ou peut-être plutôt avec Caracalla. pourrait s’expliquer par les provenances différentes – avant leur remploi dans la grande salle basilicale – des blocs architectoniques inscrits. Le niveau de circulation des trois nefs était recouvert de pavements de deux types: mosaïques et plaques de marbre. ils ont été restaurés et paraissent avoir été remis en place assez idèlement. Tels qu’ils subsistent actuellement, très fragmentaires, ils présentent des différences selon la nef où ils se trouvent. La nef sud n’a plus que des restes de pavements de marbre de Proconnèse de type opus sectile, assemblages de plaques monocolores composant des motifs géométriques: groupes de carrés, carrés encadrés de rectangles ou hexagones accompagnés de triangles (Fig. 9), etc. Seule la nef centrale a reçu la superposition décrite par Chéhab. Les mosaïques, qui constituent la couche inférieure, sont recouvertes par un pavement de plaques et carreaux de marbre qui leur est immédiatement superposé à l’heure actuelle, en apparence sans couche intermédiaire. Une photo ancienne (Chéhab 1962: pl. Fig. 7- Représentation de Méduse sur un piédestal (photo Mission archéologique de Tyr). Fig. 8- Représentation d’Héraclès sur un piédestal (photo J.-B. Yon, Mission archéologique de Tyr). Quatre des plinthes des bases de colonnes, de même que deux des piédestaux, portent des inscriptions grecques, qui ont été étudiées il y a peu par Jean-Paul rey-Coquais. Ce dernier reconnaît des noms de donateurs, Aurélius Bassilidès, Claudius Bérénicianus et Julius Dôros, dont les deux derniers appartiendraient à des familles de notables qui auraient reçu la citoyenneté «avant l’érection de Tyr en colonie romaine à l’extrême in du IIe siècle» par Septime Sévère, quand le nouveau statut aurait entraîné l’adoption du gentilice Septimius pour tous ses citoyens (rey-Coquais 2005: 214-215; voir reyCoquais 2006, nos 66-71; ae 2005, nos 1576-1581; SEG, 55, 1688-1693). Aurélius Bérénicianus doit peut-être son gentilice à la Constitution antoninienne de 212 apr. J.-C. J.-P. rey-Coquais montre également que les graphies différentes prouvent que les inscriptions n’ont pas été gravées dans une même opération et estime que, si les colonnades ont été bâties en une seule fois, les remboursements par les donateurs se sont faits progressivement. en tout cas, ces inscriptions ont été gravées à l’époque impériale et J.-P. rey-Coquais proposait de dater les colonnades «de l’époque de la reconstruction de Tyr au temps des Sévères» (Rey-Coquais 2005: 214, n. 4), ce qui reste assez proche des premières datations de Maurice Chéhab, mais ne tient pas compte des résultats des fouilles conduites vers 1966 (voir supra). Le disparate des graphies, des emplacements de gravure (plinthe de la base ou piédestal) et des contenus des textes Fig. 9- Nef sud de la salle basilicale, vers l’Ouest (photo J.-B. Yon, Mission archéologique de Tyr). 7 La grande salle basilicale des bains de tyr Pierre-Louis gatier BAAL Hors-Série VIII Fig. 10- Superposition des pavements dans la nef centrale (photo J.-B. Yon, Mission archéologique de Tyr). 8 Fig. 11- Mosaïque dans la nef nord (photo J.-B. Yon, Mission archéologique de Tyr). dieu Dionysos à tyr, dans Les Dionysiaques, la longue épopée de Nonnos de Panopolis, poète de la in du Ve s. apr. J.-C. (Jidejian 1969: 107-108; 1996: 170). Bernadette Simon traduit de la manière suivante les vers 353-355 du Chant 40: «Ayant ainsi parlé, il [Dionysos] parcourt la cité [tyr], l’œil attentif; et à son regard les rues pavées d’éclats de pierre offrent le chatoiement de leurs marbres aux couleurs alternées» (Simon 1999: 176, voir 286). La version plus ancienne de la collection Loeb est moins exacte: «So he spoke, and wandered through the city casting his eyes about. He gazed at the streets paved with mosaics of stones and shining metal» (Rouse, Rose et Lind 1955: 178-179). Cependant, si la notion de tesselles de mosaïque est probablement contenue dans lithoglôchis, la traduction de Bernadette Simon semble trop précise et il vaut mieux comprendre «et à son regard les rues qui ont/comprennent des éclats de pierre offrent le chatoiement, etc.». Quoi qu’il en soit, il n’est pas possible d’appliquer la description poétique de Nonnos à un emplacement précis du site de tyr. Bien plus, la meilleure façon de la comprendre est d’y voir une allusion non pas à la voie de circulation centrale, mais aux portiques latéraux qui composent des promenades couvertes aux sols parfois ornés de mosaïques. Ces aménagements sont bien connus dans beaucoup d’autres villes du Proche-Orient antique, et particulièrement à apamée et antioche. il n’est pas envisageable qu’une voie carrossable ait pu être pavée de mosaïques ou de fragiles tapis de carreaux de marbre. De fait, les quelques chaussées antiques s’il n’a pas la qualité et la variété de certains des dallages polychromes d’autres bâtiments de tyr, est cependant une marqueterie de carreaux géométriques ins disposés avec art – soit exposé aux intempéries, pas plus qu’une mosaïque (si l’on met à part quelques exemples de mosaïques unies servant d’espace de travail). L’absence, sur le niveau de circulation, de tout dispositif d’évacuation des eaux de pluie, de toute déclivité, de toute canalisation liée à ce vaste espace soutient nos propositions. ajoutons que l’emplacement où ont été retrouvées les trois inscriptions signalées par Maurice Chéhab est toujours visible, matérialisé par une sorte de fondation rectangulaire faite de blocs de grès et de marbre au centre de la nef centrale, et que l’on imagine dificilement que ces bases et les statues qu’elles accompagnaient aient pu se trouver en plein air. Deux sondages (S 3-1 et S 3-4) ont été faits dans le bas-côté sud de la basilique thermale en 20098, l’une des zones de la colonnade qui n’avait pas été touchée par les tranchées de l’époque de Maurice Chéhab. Signalons seulement ici le Sondage 1 (S 3-1): une coupe (Fig. 12), au Nord-Ouest de la palestre orientale, sous le pavement de plaques de visibles aujourd’hui sur le site – sous la cathédrale médiévale, dans le quartier d’habitat au Nord-Ouest de la colonnade, dans le quartier à l’est du bâtiment à gradins et dans la nécropole – sont toutes pavées de grosses dalles de pierres à la manière romaine la plus traditionnelle, tandis qu’en quelques endroits des restes minimes de mosaïques, qui mériteraient d’être vériiés, apparaissent sur certains de leurs trottoirs. tout nous pousse à considérer qu’il y a là une salle couverte par une charpente qui s’étendait sur les trois nefs, et non pas sur les deux seules nefs latérales traitées comme des portiques couverts de part et d’autre d’un espace central à ciel ouvert. D’une part, il est clair que tous les pavements, les mosaïques géométriques et les carreaux de marbre, sont au même niveau dans les trois nefs, sans changement notable. On aurait même l’impression (voir supra) qu’au moment de leur découverte, les dallages de marbre de la seule nef centrale étaient à un niveau légèrement supérieur à celui où ils se trouvent actuellement. Il est impossible de considérer les nefs latérales comme des trottoirs. D’autre part, il est peu vraisemblable qu’un pavement de marbre en opus sectile – qui, même 5,11 m NG Remblai contemporain Secteur 3, Sondage 1 N iii/1) semblerait montrer qu’il y avait une couche de terre et de cailloux s’interposant entre les mosaïques et les marbres. La disposition de ces carreaux de marbre est géométrique, du type de celle de la nef sud. La continuité entre les pavements de marbre en opus sectile des deux nefs n’est actuellement nulle part conservée, suite aux tranchées creusées pour la restauration de la colonnade sud. Par endroits, des réparations, que l’on considérera comme antiques, ont incorporé dans les pavements de rares plaques d’autres matériaux que le marbre de Proconnèse. Même si les dessins géométriques de l’ensemble des sols de marbre sont relativement divers, il n’y a pas de différence réelle entre ceux des deux nefs voisines. Les mosaïques du vaisseau central sur lesquelles reposent ces dallages (Fig. 10) n’ont, quant à elles, qu’un seul motif, de cercles blancs sur fond noir. La nef nord n’est plus recouverte, pour sa part, que de lambeaux de mosaïques offrant des décors différents, mais bien peu variés: carrés et rectangles, écailles, octogones associés à des triangles (Fig. 11). Les mosaïques de la nef nord sont bichromes, blanches et brunes; leurs tesselles sont relativement grossières et peu régulières, avec 1,5 cm de côté en moyenne, tandis que celles de la nef centrale sont légèrement plus petites et ressemblent plus à des carrés. La qualité des mosaïques de la nef centrale ne paraît pas très élevée, mais semble supérieure cependant à celle des mosaïques de la nef nord. L’hypothèse d’identiication de la colonnade à une rue bordée de portiques reposait partiellement sur l’interprétation de la description de la visite du BAAL Hors-Série VIII 4,78 m NG A 5,87 m NG 5,75 m NG 3,78 m NG 3,95 m NG 4,68 m NG 5,74 m NGF 5 m NG 4,58 m NG Mur 30003 St 30001 4,26 m NG 4,39 m NG 5,82 m NG St 30002 colonne en granite B Niveau d’occupation contemporain Us 30002 Limite 1ère / 2ème assise Radier de fondation St 30001 Remblai Ve siècle Us 30003 5,39 m NG A B Us 30004 Remblai fin IVe- milieu Ve siècle 5 m NG 0 1/20e St 30002 Sol de travail Us 30005 Remblai IIe- IIIe siècle ? 1m Us 30006 Remblai 1er av.-1er siècle ap. J.-C. Marbre décoré (prélevé) Tyr 2009 Relevés/Photographie Didier Cahu et Maha Masri 8/10/2009 Dao. D. Cahu Fig. 12- Sondage 1, Secteur 3 (relevés et DAO D. Cahu et M. El-Masri Hachem, Mission archéologique de Tyr). 9 La grande salle basilicale des bains de tyr Pierre-Louis gatier BAAL Hors-Série VIII marbre actuellement restauré au niveau 5,87 m, mais dont le radier de fondation en cailloutis disposés sur deux niveaux est en place au-dessus d’une couche de préparation (US 30003) reposant sur un remblai (US 30004). Ces deux strates ont livré du mobilier byzantin de la in du IVe s. /début du Ve s. au-dessous, entre les niveaux 5 m et 4,91 m, un sol de sable jaune damé (St 30002), sans mobilier, recouvrait deux couches de remblais superposés (US 30005 et 30006), dont la première, une couche de nivellement du sol de sable, a fourni une toute petite quantité de matériel d’époque romaine impériale (iie-iiie s.) – lequel est par ailleurs fort mal représenté dans le site de tyr-ville – et la seconde de la céramique du ier s. av. J.-C./ier s. apr. J.-C. Deux monnaies trouvées pratiquement en surface, renforcent ces conclusions, l’une datée de 347-348 (MNB-99722), l’autre de 425-435 (bronze de Théodose II ou de Valentinien III, MNB-99721). Le sondage S 3-1 conirme partiellement les indications fournies par Maurice Chéhab à partir de trouvailles de monnaies et permet de dater du début du Ve s., approximativement, l’état de la basilique thermale que l’on associe aux mosaïques. Les sondages de la palestre occidentale, de la fondation rectangulaire au centre du bâtiment à gradins et du sol à l’Ouest de ce même bâtiment indiquent que ces constructions sont contemporaines de la grande salle basilicale (gatier et al. 2010). au total, l’ensemble thermal auquel appartient la grande salle basilicale est protobyzantin et non pas romain, même si la partie thermale proprement dite a connu plusieurs phases9. On doit donc considérer que les colonnes, depuis le piédestal jusqu’au chapiteau, sont remployées et qu’elles proviennent d’un ou plusieurs monument d’époque impériale. On ne peut savoir pour l’heure s’ils avaient rapport avec des bains – puisque nous n’avons presque pas d’informations sur le premier bâtiment (phase 1) antérieur à la construction des bains de la in du iVe s./début du Ve s. – ou avec une rue, qui aurait éventuellement précédé la construction de la basilique thermale10. Une basilique thermale L’usage en contexte balnéaire du terme de basilique est largement discuté par les savants modernes (Nielsen 1990: 162; gros 1996: 388-417, voir p. 41310 415). ils constatent la rareté du mot basilica dans les textes antiques qui traitent des bains, limité à un assez petit nombre de sources littéraires et juridiques et à quelques inscriptions latines d’Occident. Selon Inge Nielsen, on ne trouve qu’un seul texte, dans le Code Théodosien, 9, 2, où igure expressément l’expression basilica thermarum (voir cependant l’inscription de Lepcis Magna, IRT, 467, où l’on pourrait restituer [basil]icae ther[marum]); cependant le mot basilica, sans qu’il soit déterminé par thermarum, se trouve dans d’autres documents qui parlent de bains. Yvon thébert, dans son étude des bains d’afrique du Nord (englobant les territoires de la tunisie, de l’algérie et du Maroc actuels, sans la Libye), a montré que, si l’on n’y rencontrait pas l’emploi en contexte thermal de basilica, ce mot – qui est utilisé dans les inscriptions du reste de l’Occident romain et qui architecturalement sert à désigner un vaste espace couvert, sans préjuger de son usage – convenait parfaitement dans de nombreux cas au frigidarium (thébert 2003: 393394). L’équivalence basilica-frigidarium paraît établie dans un texte de Sidoine apollinaire, auteur du Ve s. (Lettres, ii, 2, 5-8). thébert note que le mot basilica est toujours au singulier dans ce contexte, à l’exception d’une inscription de Narbonne (CIL, 12, 4342) où il propose d’expliquer l’usage du pluriel, et basilicis, soit par un doublement du frigidarium, soit par un emploi hors norme du terme. inge Nielsen mettait elle aussi en relation de grandes salles couvertes, d’un type apparenté à celui des basiliques civiles, au frigidarium, mais aussi à la palestre, et soulignait leur présence usuelle dans les grands bains-gymnases d’Asie Mineure, où ces basiliques particulièrement longues et étroites fonctionnent comme «social hall, i. e. a social meeting-place» (Nielsen 1990: 162). Pour en revenir aux questions de terminologie, le mot oikos lui paraît utilisé chez Lucien (Hippias, 6) pour désigner cette salle et, plus proche du sens de basilica, aulè chez Procope (Édiices, 1, 11, 1-9) sert à décrire une grande salle décorée de statues, dont celle de l’impératrice théodora, dans les thermes arcadiens à Constantinople. La forme de la grande salle couverte à double colonnade, son rapport direct avec les palestres à ses deux extrémités, comme son rôle de frigidarium dans sa partie centrale paraissent sufisants pour que nous la désignions comme une basilique BAAL Hors-Série VIII thermale, sans nous cacher la part d’arbitraire que recouvre l’emploi de cette expression. Les découvertes de l’équipe de Maurice Chéhab, dans les débuts de la fouille, se composent de trois inscriptions honoriiques (voir supra). Ce type de texte est bien souvent gravé sur une base destinée à recevoir une statue, ce qui paraît le cas pour l’inscription honorant Odeinath, alors que le texte concernant le prêtre de la Bonne Fortune se trouve sur un monument en forme d’autel votif. Quant à l’inscription offerte par la cité à un personnage en qui je reconnais son patron, elle est gravée sur un gros socle dont le revers est creusé sur toute sa hauteur d’une épaisse et profonde rainure verticale, apparemment secondaire, qui a l’allure d’un dispositif de ixation d’une statue lourde. il semble que d’autres inscriptions, parmi celles qui se trouvent aujourd’hui exposées dans le bâtiment, proviennent aussi de la colonnade double, bien que cela ne soit pas précisé dans la publication récente de ces textes (rey-Coquais 2006, voir p. 45 et 48-53, n° 42 et 47-52). De plus, une base de marbre, portant une inscription datée de 43/44 apr. J.-C. et mentionnant un gymnasiarque des quatre éparchies, et une inscription en mémoire d’un boxeur (Fig. 13) auraient été retrouvées dans les fondations de la colonnade, selon leur éditeur récent (rey-Coquais 2006, voir p. 53-55, n° 54 et 57); cependant, ces remplois, qui seraient bien différents de la présence d’inscriptions sur le sol de la colonnade, sont loin d’être assurés11 et ces inscriptions pourraient de préférence provenir du niveau de circulation de la basilique thermale. Fig. 13- Inscription du boxeur tyrien (photo J.-B. Yon, Mission archéologique de Tyr). La base du gymnasiarque comporte sur sa face supérieure un profond creusement destiné à recevoir une statue et manifestement secondaire. Le texte datable le plus récent, dans les années 250-260, est celui qui concerne Odeinath, que Michel Gawlikowski a justement identiié au prince palmyrénien et non pas à un «Odeinath l’Ancien» (Gawlikowski 1985). Si le texte honorant Scaurus provient bien lui aussi de la basilique thermale, il serait, pour sa part, le plus ancien de la série; j’ai dit l’incertitude – moindre cependant – qui pèse également sur la provenance de l’inscription du gymnasiarque datée de 43/44. il me semble donc que plusieurs inscriptions honoriiques, dont certaines bien antérieures à l’époque sévérienne, ont été retrouvées sur le sol de la basilique. trois statues de marbre découvertes par Chéhab sont conservées au Musée National à Beyrouth (voir Doumet-Serhal et al. 1998: 179-181, n° 62 et 67-68; inv. 2009, 2016 et 13204; photos: 103 et 108-109), la Nikè (ht., 157 cm), la statue cuirassée («Panzerstatue») d’Hadrien (ht., 178 cm) et la tête de Septime Sévère (ht., 59 cm). Le fragment considéré comme provenant d’une statue de Dionysos se trouve dans le jardin lapidaire du site. Ont disparu de notre documentation un fragment d’une autre statue cuirassée et le «pied chaussé» qui peut appartenir ou non à l’une des statues cuirassées, sans parler des autres fragments simplement évoqués par Chéhab. Les spécialistes ont attribué la représentation d’Hadrien à un groupe de 17 exemplaires appartenant au «type Hiérapytna», ainsi nommé d’après le site de provenance de l’un d’eux, groupe à l’intérieur duquel la statue tyrienne présente quelques particularités qu’elle partage avec une statue de Cnossos quasi identique et peut-être avec une autre de Prusias-ad-Hypium (Cavalieri et Jusseret 2009: 379 et 392-394; Bergmann 2010: 271-272). Le caractère original le plus marquant des sculptures de tyr et Cnossos est la représentation de Roma, personniication de Rome, debout au centre de la cuirasse, là où igure le Palladion sur les autres exemplaires. toutes ces statues sont issues d’un prototype qui se trouvait dans le Panhellénion d’athènes fondé par Hadrien. Le caractère triomphal de la représentation est parfois souligné et Birgit Bergmann suggère que la présence de barbares vaincus sous le pied de l’empereur, qui se trouve dans quelques cas mais qu’on ne peut vériier dans celui 11 La grande salle basilicale des bains de tyr Pierre-Louis gatier BAAL Hors-Série VIII de tyr, est un écho de l’écrasement de la révolte de Bar-Kochba en Judée (Cavalieri et Jusseret 2009; Bergmann 2010). On observera qu’à Tyr la tête de l’empereur a disparu depuis l’antiquité et qu’à l’emplacement de la base du cou un creusement secondaire a été pratiqué pour effacer les traces de cassure et permettre de placer une autre tête. La tête de marbre de Septime Sévère, ceinte d’une couronne de lauriers avec un médaillon central au-dessus du front, a été récemment étudiée par thomas Weber. Ce dernier s’appuie sur certaines particularités du visage, de la barbe et des cheveux pour dater ce portrait de la dernière décennie du iie s. et le lier à une hypothétique visite de l’empereur à tyr en 199, en montrant également des traits communs avec une représentation de Septime Sévère à Lepcis Magna (Weber 2005: 202-203). Quoi qu’il en soit, la sculpture, avec le bas du cou taillé en forme de tenon, était destinée à être encastrée dans un buste ou dans une statue de personnage debout, qui ne peut pas cependant être la «Panzerstatue» d’Hadrien. On peut raisonnablement considérer que nous sommes ici témoins d’un usage secondaire de cette tête, qui aurait pu être d’abord un élément d’une représentation impériale plus complète, retaillée par la suite pour être adaptée à une corps ou un buste acéphale. Dans l’antiquité tardive comme aux périodes précédentes (Manderscheid 1981), les bains abritent de nombreuses statues, qu’elles soient celles de divinités du paganisme et de personnages de la mythologie ou celles de notables, de gouverneurs et d’empereurs. ils sont même l’un des lieux de prédilection pour regrouper et préserver les statues «païennes» qu’on a bien souvent le souci de conserver (Lepelley 1994). Au Proche-Orient, on connaît, par exemple à Tripolistripoli, d’après un texte de Malalas (XiV, 29, éd. de Bonn, p. 367), un bain d’été nommé l’Icare, qui contenait deux groupes statuaires en bronze, d’icare et Dédale et de Bellérophon et Pégase; ce bain détruit par un séisme fut reconstruit par l’empereur Marcien (450-457 apr. J.-C.), et Malalas, admiratif de ces œuvres, semble dire qu’elles existaient encore de son temps, au Vie s. Les bains de l’est à gérasa et les divers bains de gadara ont livré d’assez nombreuses statues de marbre associées à leurs phases tardives (Friedland 2003; Weber 2002). De même, en Palestine, de nombreux sites, notamment Scythopolis 12 et Césarée, témoignent de la présence dans des thermes, à l’époque protobyzantine, de statues divines et mythologiques, mais aussi d’inscriptions et de statues honoriiques (Tsafrir 2008). C’est pour l’asie Mineure que la question a été particulièrement étudiée et l’exemple d’Éphèse est assez signiicatif (auinger et rathmayr 2007). À aphrodisias de Carie, à l’époque protobyzantine, le phénomène de rassemblement dans les bains d’Hadrien de statues, qui ont été déplacées depuis d’autres monuments, comme le temple d’aphrodite, et qui s’ajoutent aux statues installées dans le bâtiment depuis ses origines, accompagne une réorganisation permanente et un regroupement de la statuaire, avec parfois des têtes installées sur des corps acéphales et des inscriptions placées sous des statues qui n’ont pas de rapport direct avec elles (Smith 2007). Malgré les pertes entraînées par plusieurs siècles de récupération des pierres, on peut constater que la basilique thermale de tyr a servi de hall d’exposition pour des inscriptions et pour des statues, plus ou moins en rapport les unes avec les autres. trois emplacements sont probables: les deux extrémités en bordure des palestres (les deux Nikai à l’Ouest; les statues impériales et le «Dionysos» à l’Est) et la partie centrale (les trois inscriptions publiées par Mouterde). D’autres sont envisageables. On a donc utilisé ce vaste espace en le décorant avec des œuvres d’art et des statues impériales des périodes antérieures et avec des témoignages de la vie civique tyrienne et de la gloire des notables, et probablement de celle des gouverneurs. Je proposerai même une hypothèse concernant l’emplacement d’origine de la colonne de marbre qui porte la fameuse inscription latine en l’honneur d’Ulpien, préfet du prétoire sous alexandre Sévère et jurisconsulte (rey-Coquais 2006, n° 28: 36-37). La colonne a été retrouvée au Nord-est de la basilique thermale, en usage secondaire, dans un endroit où elle se trouve encore de nos jours, un secteur mal déini par Chéhab (Chéhab 1983: 125-129), mais qui est occupé par des aménagements postérieurs aux installations byzantines voisines et probablement d’époque islamique. Ce texte, comme le prouve sa graphie, a manifestement été gravé dans l’antiquité tardive (au Ve ou au Vie s. ?); il reproduit une inscription plus ancienne, probablement de l’époque BAAL Hors-Série VIII d’Ulpien (début du iiie s.). La démarche qui vise à célébrer un illustre enfant de tyr, bien longtemps après sa mort, en regravant sur un nouveau support un texte dont l’original devait être endommagé, me paraît la même que celle qui poussait les autorités civiques de la période byzantine à regrouper des inscriptions et des œuvres d’art anciennes dans la basilique thermale. il me semble vraisemblable que cette colonne honoriique provienne de la basilique thermale, à environ 80 m de l’emplacement de sa découverte. En déinitive, il apparaît que la fonction de la grande basilique thermale protobyzantine, bien qu’elle ne soit pas tout à fait l’avenue ou la promenade que l’on envisageait autrefois, ne s’éloigne pas beaucoup de ce qui a pu en être écrit: ce «n’était pas une voie de circulation, mais une grande place d’apparat et de vie civique» (Rey-Coquais 2005: 214, n. 4). On pourrait ajouter qu’en même temps elle abritait un «musée des statues divines» (voir Lepelley 1994). 13 La grande salle basilicale des bains de tyr Pierre-Louis gatier BAAL Hors-Série VIII Notes 1- La Mission archéologique de tyr, mission francolibanaise du laboratoire HiSoMA de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée à Lyon (CNrS et Université Lyon 2), est soutenue par le Ministère des affaires Étrangères et européennes français. 2- en revanche, c’est ailleurs, à 200 m au Nord-est de cet ensemble, « à quelque distance de la basilique des Croisés », qu’a été découverte une inscription grecque, dédicace d’un autel à Héraclès Hagios aujourd’hui au Musée National de Beyrouth (Chéhab 1949; Mouterde, dans Chéhab 1962, p. 16-17). rappelons que la presque totalité de la documentation sur les fouilles de tyr-ville entre 1946 et 1975 a disparu. 3- On distingue, à droite, une autre tête d’animal, peut-être un taureau. 4- Voir infra, n. 7 et 11. 5- N. Jidejian utilise l’édition de 1870. Le pasteur thomson est resté en Orient de nombreuses années et a réédité de nombreuses fois son ouvrage, en l’enrichissant. J’ai peine à ixer précisément la date des observations qui fondent les remarques citées ici. il n’est pas totalement impossible que la statue dont il parle soit celle que Newbold avait vue. Julien aliquot, que je remercie, me rappelle que thomson fait souvent la compilation des écrits de ses prédécesseurs, sans les citer. 6- Voir la communication de gérard Charpentier, ici-même, Fig. 3. 7- Monsieur Samir Chami, architecte et responsable d’une bonne partie des restaurations du site à l’époque, nous a généreusement transmis des informations précieuses. Deux tranchées Nord-Est/Sud-Ouest le long des fondations des deux colonnades avaient permis de renforcer ces fondations pour permettre les anastyloses. Par ailleurs, il y avait eu également une tranchée Nord/Sud vers le milieu du bâtiment. Ces tranchées étaient destinées à la fouille et à la restauration. 8- Sondages conduits par Didier Cahu et Maha el-Masri Hachem. 9- Voir la communication de gérard Charpentier, ici-même. La phase 1 du monument est encore obscure ; la phase 2, thermale, correspond à l’établissement de la salle basilicale 14 à la in du IVe s. ou au début du Ve ; la phase 3 est marquée par un rétrécissement du fonctionnement des bains, peutêtre au Vie s. 10- Voir la communication de Catherine Duvette, ici-même. 11- Monsieur Samir Chami, voir supra, n. 7, nous indique qu’aucune inscription n’aurait été trouvée dans les fondations ou dans les tranchées attenantes, mais qu’en revanche on aurait découvert dans les tranchées des fragments de sculptures. BAAL Hors-Série VIII Bibliographie Aliquot, J., 2006. «Cultes locaux et traditions hellénisantes du Proche-Orient: à propos de Leucothéa et de Mélicerte», Topoi 14, p. 245-264. 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