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Les contrats miniers : un régime en mutation

2006, Revue Nigérienne de Droit

L’étude a pour objet d’analyser l’évolution du régime juridique des contrats miniers, en examinant la dynamique des relations entre les Etats et les investisseurs miniers à travers leurs relations contractuelles. S’inscrivant dans le cadre d’un programme de recherche collectif portant sur « Les aspects nouveaux du droit des investissements internationaux », l’étude a pour objectif de saisir le développement de ces relations contractuelles, en faisant ressortir leurs aspects novateurs. La méthodologie utilisée dans le cadre de cette étude a consisté à analyser le régime juridique des relations contractuelles entre les Etats et les sociétés minières, à travers les contrats, les législations nationales, les traités internationaux, la jurisprudence arbitrale, ainsi que la doctrine y relatifs. Compte tenu de la particularité du sujet, l’approche adoptée est, d’une part, historique, aux fins de saisir l’évolution des relations contractuelles dans le temps, et, d’autre part, comparative, dans le dessein d’appréhender la diversité des pratiques. L’analyse des contrats miniers, montre qu’ils sont soumis à un régime particulier, qui a évolué avec le temps. Les particularismes du régime juridique tiennent d’abord à la nature des personnes en relation : d’une part, des Etats, personnes publiques dotées de l’attribut de la souveraineté et, d’autre part, des personnes privées, notamment les sociétés minières étrangères qui investissent dans le secteur. Cette mixité fait des contrats miniers des figures juridiques particulières, distinctes, à la fois, des traités interétatiques et des contrats ordinaires entre personnes privées, et qui peuvent être appréhendés à travers la qualification de contrats d’investissement ou de contrats d’Etat. En outre, le particularisme des contrats miniers a trait à leur finalité. A ce niveau, se dénote une divergence d’intérêts entre les Etats, d’une part, et les investisseurs miniers, d’autre part. Les uns sont en quête du développement économique durable, c’est-à-dire, au sens large, le bien-être de leurs populations. Les autres sont, quant à eux, à la recherche d’intérêts financiers. Cette divergence d’intérêts est au centre de la problématique des contrats miniers et a, de tout temps, sous-tendu les rapports entre les Etats riches en ressources naturelles et les investisseurs miniers. Elle est le moteur de la mutation du régime juridique des contrats miniers. A cet égard, il ressort que l’évolution du régime des contrats miniers est marquée par deux tendances principales. La première est la diversification des formes contractuelles, qui a conduit, notamment en matière pétrolière, à l’abandon progressif de la concession classique pour adopter de nouveaux types d’accords (entreprise conjointe, contrat de partage de production, contrat de service ou d’assistance technique). Quant à la seconde, elle est orientée vers le rééquilibrage progressif du régime juridique des investissements miniers à travers, d’une part, l’utilisation de divers mécanismes de régulation, dans le sens de la préservation des droits et des intérêts des parties en présence et, d’autre part, la prise en compte des normes de protection de l’environnement, y compris l’environnement culturel, des normes sociales, des droits de l’homme, etc. La mutation du régime des contrats miniers s’opère ainsi par l’intégration progressive des principes du développement durable.

Les contrats miniers : un régime en mutation* par Dr Boubacar HASSANE Enseignant Chercheur à la Faculté des sciences économiques et juridiques Université Abdou Moumouni de Niamey SOMMAIRE INTRODUCTION I. LES METAMORPHOSES DES RELATIONS CONTRACTUELLES ENTRE LES ENTREPRISES MINIERES ET LES ÉTATS D’ACCUEIL A. L’évolution des formes contractuelles dans le secteur minier 1. La concession classique 2. La diversification des formes contractuelles a) L’entreprise conjointe b) Le contrat de partage de production c) Les contrats de service ou d’assistance technique B. La transformation de la nature juridique des conventions minières 1. Conventions minières et contrats d’État 2. Conventions minières et investissement II. LE REEQUILIBRAGE PROGRESSIF DU REGIME JURIDIQUE DES INVESTISSEMENTS MINIERS A. Le maintien de l’équilibre à long terme des relations contractuelles 1. Les clauses de stabilisation 2. Les clauses de renégociation ou de révision B. La sécurisation contractuelle des investissements miniers * Le présent article est une version révisée de l’étude réalisée dans le cadre des travaux du Centre d’études et de recherche en droit international et relations internationales de l’Académie de droit international de La Haye (Pays-Bas), au cours de la session d’août-septembre 2004 consacrée aux « Aspects nouveaux du droit des investissements internationaux », sous la direction de Monsieur Philippe Kahn. L’auteur tient à exprimer sa profonde gratitude au Curatorium de l’Académie pour le soutien financier dont il a bénéficié. Il reste entendu que l’auteur assume personnellement et entièrement la responsabilité des opinions exprimées. 1. La protection contre les mesures privatives ou restrictives de propriété 2. Le recours à l’arbitrage comme mode de règlement de litiges C. La mutualité de gains 1. La sauvegarde des intérêts financiers des investisseurs étrangers 2. L’intégration des objectifs généraux de développement des États d’accueil CONCLUSION 2 INTRODUCTION « Si l’exploitation d’une richesse naturelle mérite d’être placée sous le symbole de Janus – dieu de la guerre et dieu de la paix – c’est incontestablement celle du pétrole »1. Cette affirmation, fondée sur le rôle singulier des hydrocarbures dans la stratégie de développement des États (pays en développement comme pays développés), peut s’appliquer, dans une certaine mesure, aux ressources minières en général2. En effet, l’histoire de l’exploitation des ressources minières est aussi celle des conflits multiformes qui l’émaillent 3 : conflits de propriété des gisements, disputes sur la répartition des revenus, mesures privatives de propriété, voire guerres entre États pour le contrôle des ressources. Ce contexte particulièrement conflictuel de l’exploitation minière a suscité, pour des besoins évidents de sécurité juridique, l’émergence d’un régime qui, au fil du temps, a connu de multiples mutations. C’est ainsi que le développement de l’industrie minière va voir apparaître de nouvelles figures juridiques, à savoir les contrats miniers. La notion générique de contrats miniers recouvre plusieurs types de conventions servant de cadre juridique aux relations entre les acteurs intervenant dans les opérations d’exploration et d’exploitation de ressources minières. Ces contrats ont pour effet de fixer les droits et les obligations des parties dans le cadre des activités envisagées. D’un point de vue formel, ils apparaissent sous différentes appellations : « contrat de concession »4, « conventions d’établissement 5 », « conventions minières » ou encore « licences »6. 1 Nour-Eddine Terki, « La société mixte de droit algérien en matière de recherche et d’exploitation des hydrocarbures liquides », DPCI 1983, p. 9. 2 Au sens de la présente étude, les ressources minières sont entendues de manière large, en tant qu’elles recouvrent les minéraux solides (tels que l’or, le fer, le cuivre, le manganèse, etc.), liquides (tel que le pétrole) ou gazeux (tel que le gaz naturel). 3 Dans cet ordre d’idée, v. Ernest E. Smith et al., International Petroleum Transactions, Rocky Mountain Mineral Law Foundation, 2nd Ed, 2000, pp. ii-iii. 4 Il convient de distinguer le « contrat de concession » de la « concession ». La concession proprement dite est un titre minier, tandis que le contrat de concession désigne la convention minière qui fixe les droits et obligations des parties dans l’opération minière (sur cette distinction, v. notamment Ch. Leben, « Les investissements miniers dans le Tiers-Monde: Réflexions sur la décennie écoulée », Clunet 1986, pp. 895-957, spéc. p. 934). 5 La « convention d’établissement », que l’on peut assimiler à la « convention de concession », est conclue entre l’investisseur minier et l’État d’accueil et énonce les droits et obligations des parties (Ch. Leben, ibid.). Les conventions d’établissement de ce type doivent être distinguées des conventions d’établissement conclues par des Etats. Ces dernières sont des traités fixant les conditions d’entrée, de séjour et d’exercice du commerce ou d’une industrie des ressortissants de l’une des parties sur le territoire de l’autre (v. P. Daillier et A. Pellet, Droit international public, 8è éd., L.G.D.J., 1998, p. 664). 6 La licence est un instrument juridique par lequel des droits sont conférés à des entreprises intervenant spécifiquement dans le secteur des hydrocarbures et fixant également leurs obligations. Cette technique semble être un système intermédiaire entre la concession (acte unilatéral de la puissance publique conférant un titre minier) et le contrat de concession (une forme de contrat administratif fixant les droits et obligations du titulaire 3 Historiquement, c’est surtout à partir de la Révolution industrielle, au XIX ème siècle, que les activités liées à l’exploitation des matières premières minérales vont connaître un véritable développement à l’échelle internationale. La forte demande suscitée par l’industrialisation en Europe va amener les petites compagnies minières déjà constituées à déployer leurs activités vers différentes régions du monde7. A cette première phase d’expansion internationale des activités minières succèdera une deuxième phase, qui se situe à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, en réponse aux besoins accrus en matières premières liés au programme de reconstruction en Europe. De nouveaux projets miniers furent installés et développés dans des contrées lointaines riches en ressources minérales naturelles. Si les premiers projets pétroliers semblent avoir pris place au Moyen-Orient, une grande partie des activités d’extraction des minerais trouva son terrain d’élection dans les territoires sous domination coloniale. C’est à cette époque que furent octroyées les premières concessions, qui matérialisaient ainsi les relations juridiques entre les territoires d’accueil et les entreprises minières occidentales. Ces relations vont évoluer sous l’influence de certains facteurs politiques et économiques. Un tournant majeur sera atteint au moment de la décolonisation et de l’affirmation du principe de souveraineté permanente des Etats sur leurs ressources naturelles8. Ces changements ont eu des répercussions sur les rapports entre les Etats anciennement colonisés et les entreprises étrangères, celles-ci étant perçues par les premiers comme l’incarnation des anciennes puissances coloniales. L’antagonisme était encore plus perceptible dans un domaine sensible tel que celui de l’industrie minière. Le sentiment, à cette époque, était que la présence des firmes étrangères évoquait la perpétuation de l’ancien ordre colonial, caractérisé par l’exploitation économique, jugé désormais inacceptable et dont il fallait liquider les conséquences néfastes. Aussi, des remises en cause eurent–elles lieu, parfois de façon brutale, à travers notamment les vagues de nationalisations qui se succédèrent dans plusieurs pays du Tiers-Monde, avec, il est vrai, une ampleur variable. C’est dans un tel contexte que les relations entre États producteurs et entreprises minières étrangères étaient appelées à évoluer, dans un climat fortement empreint d’antagonisme. Les préoccupations étaient en effet contradictoires. Pour les nouveaux États, il de la licence). Ce système est surtout utilisé dans des pays développés tels que la Grande Bretagne, la Norvège, le Danemark et les Pays-Bas. Pour une analyse détaillée du système de licence dans le domaine pétrolier, v. E. E. Smith et al., précité, pp. 435 et s. 7 Pour une approche historique sur le développement de l’industrie minière, v. notamment J. Otto et J. Cordes, The Regulation of Mineral Enterprises : A Global Perspective on Economics, Law and Policy, Rocky Mountain Mineral Law Foundation, 2002, spéc. Chapitre I. 4 devenait impératif, au nom de la souveraineté nouvellement acquise, de reprendre le contrôle des ressources nationales dont les retombées devaient servir à promouvoir le développement économique, afin de répondre aux aspirations des peuples. Pour les firmes étrangères, il s’agissait de préserver les droits acquis et de trouver, dans un nouvel environnement manifestement hostile, un cadre garantissant la sécurité des investissements réalisés 9. Leur appréhension reposait sur le fait que les États souverains pourraient user de leurs prérogatives régaliennes pour modifier unilatéralement les arrangements contractuels existants, voire remettre en cause, de manière radicale, les droits conférés à travers des mesures de nationalisation ou d’expropriation. De cette confrontation d’intérêts émergeront progressivement les règles qui donneront corps à un véritable droit des investissements miniers internationaux. Plus récemment, à partir des années 1990, de profondes mutations se sont opérées dans le monde, à la fois sur le plan politique et économique. La fin du communisme a entraîné un changement de régimes politiques aussi bien dans les pays de l’Est, que dans les pays du Tiers-Monde en général, et particulièrement en Afrique. Ce vaste mouvement de démocratisation et de libéralisation a connu d’importantes répercussions. Cela s’est traduit, sur le plan économique, par le désengagement progressif de l’Etat de la sphère économique, accompagné par les programmes de privatisation. Le libéralisme économique, devenu désormais le modèle dominant, a entraîné notamment la levée de certaines barrières économiques ou idéologiques et un accueil plus favorable des investissements étrangers 10. Dans le même temps, les changements d’orientation politique ont été accompagnés par de profondes réformes sur le plan institutionnel et législatif. C’est ainsi que de nouvelles législations sur les investissements, plus libérales, ont été adoptées dans un grand nombre de pays. S’agissant du secteur minier, dans lequel la plupart des pays du Tiers-Monde tirent l’essentiel de leurs ressources d’exportation, les nouvelles législations contiennent d’importantes incitations et garanties destinées à attraire des investissements massifs. Le cadre institutionnel et juridique ainsi mis en place est censé offrir de meilleures perspectives 8 V. notamment Résolution 626 (VII) A. G. ONU du 21 décembre 1952; Résolution 1803 (XVII) de A.G. ONU du 14 décembre 1962, « Déclaration sur la souveraineté permanente sur les ressources naturelles ». 9 Il n’est pas superflu de souligner que les États d’origine des entreprises minières ont eux-mêmes un intérêt direct ou indirect en ce qu’ils trouvent là un moyen de s’aménager des sources d’approvisionnement régulier, s’agissant particulièrement de ressources stratégiques comme le pétrole ou certains métaux indispensables pour l’industrie civile ou militaire locale. 10 Cette tendance est nettement mise en évidence dans les études réalisées par la CNUCED sur les changements opérés dans les législations nationales relatives à l’investissement direct étranger, dans le sens de la libéralisation (v. les éditions successives du Rapport sur l’investissement dans le monde, de 1992 à 2004). 5 de coopération entre pays en développement et entreprises étrangères dans l’exploitation des ressources minières. Il convient de préciser que le cadre juridique des activités minières ne se limite pas exclusivement pas aux seuls arrangements contractuels entre Etats producteurs et investisseurs miniers11. Dans la plupart des pays, en effet, ces activités sont régies par des textes généraux, sous la forme de lois ou codes miniers, ainsi que leurs règlements d’application. Il faut tenir compte en outre du développement d’un faisceau considérable de conventions internationales tendant à la protection des investissements internationaux. A cet égard, les multiples traités bilatéraux d’investissements, dont le nombre ne cesse d’augmenter chaque année et dont le champ matériel s’étend progressivement, jouent un rôle de premier plan12. A cela, il faut ajouter les accords régionaux13 et multilatéraux. Il en résulte un système complexe d’instruments juridiques, dont les objectifs tendent tous vers la protection la plus effective des investissements privés internationaux. Au regard de ces différents instruments juridiques, les contrats miniers apparaissent comme des instruments ad hoc ayant pour objet 11 De nombreuses études ont été consacrées à l’analyse des relations juridiques entre les États producteurs et les entreprises minières, parmi lesquelles l’on peut indiquer : Ch. Leben, « Les modes de coopération entre pays en développement et entreprises multinationales dans le secteur de la production des matières premières minérales », Clunet 1980, pp. 539-604 et du même auteur, « Les investissements miniers internationaux dans les pays en développement », précité; J. Touscoz, « Les nouveaux contrats d’exploration-production pétrolière », J. droit aff. Int. 1985, pp. 151-170 ; P-H. Ganem, Sécurisation contractuelle des investissements internationaux. Grands projets : mines, énergie, métallurgie, infrastructures, Bruylant, 1998 ; X. Leducq, « La coopération Nord-Sud dans le secteur minier », in H. Cassan (éd.), Contrats internationaux et pays en développement, Economica, 1989 ; A. S. El Kosheri, « Le régime juridique créé par les accords de participation dans le domaine pétrolier », R.C.A.D.I., t. 147, 1975-IV, pp. 219 et s. Dans la littérature de langue anglaise, v. notamment: D. Barberis, Negotiating Mining Agreements : Past, Present and Future Trends, Kluwer Law International, 1999 ; A. F. M. Maniruzzaman, « The New Generation of Energy and Natural Resource Development Agreements : Some Reflections », Journal of Energy and Natural Resources Law, 1993, pp. 207-247; A. Z. El Chiati, «Protection of Investment in the Context of Petroleum Agreements», R.C.A.D.I, t. 204, 1987-IV, pp. 9 et s.; E. Schanze et al., Mining Ventures in Developing Countries, Part 2 : Analysis of Project Agreements, Studies in Transnational Law of Natural Resources, Vol. 2, Kluwer & Alfred Metzner Verlag, 1981; S.K.B. Asante, «Restructuring Transnational Mineral Agreements », A.J.I.L. 1979, pp. 335-371; A.O. Adede, « A Profile of Trends in the State Contracts for Natural Resources Development between African Countries and Foreign Companies », N.Y.U.J. Int. L. 1979-1980, pp. 479-568; Th. Walde, « Transnational Investment in the Natural Resources Industries », Law & Policy Int. Bus, 1979, pp. 691-774 et, du même auteur, « Investment Policies and Investment Promotion in the Mineral Industries », in Transnational Corporations and the Exploitation of Natural Resources, United Nations Library on Transnational Corporations, Vol. 10, Routledge, 1993, pp. 340 et s. 12 Les conventions internationales ayant pour objet la protection des investissements privés existent sous la forme ancienne de traités d’amitié, de commerce et de navigation ou de conventions d’établissement. Vers le milieu du XXè siècle sont apparus les traités bilatéraux de promotion et de protection des investissements. Plus récemment l’on notera le développement, sous l’instigation des Etats-Unis, d’accords de libre échange qui ont un domaine large intégrant des dispositions relatives au commerce (marchandises et services) et à l’investissement. 13 Notamment, l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA), signé le 17 septembre 1992 par le Canada, les États-Unis d’Amérique et le Mexique ; la Charte de l’énergie signée le 17 décembre 1994 par un grand nombre de pays de l’Europe de l’Est et de l’Ouest; l’Accord-cadre de l’Association des nations de l’Asie du sud-est (ANASE) relatif à l’établissement d’une zone d’investissement, signé le 7 octobre 1998. 6 de fixer le cadre des relations particulières avec les investisseurs étrangers, et cela, en conformité avec le cadre général de la politique d’investissement poursuivie par les Etats d’accueil. L’étude entreprise se propose de rendre compte de la dynamique qui anime le régime juridique des relations entre États d’accueil et investisseurs miniers14. Une telle démarche devrait permettre de dessiner les contours du processus de formation et de développement du droit des investissements miniers et, plus spécifiquement, d’en faire ressortir les aspects novateurs. Dans cette perspective, il importe de retracer d’abord les métamorphoses des relations contractuelles entre Etats d’accueil et investisseurs miniers (I), avant de mettre en évidence les tentatives de rééquilibrage du régime juridique des investissements miniers (II). I. LES METAMORPHOSES DES RELATIONS CONTRACTUELLES ENTRE LES ENTREPRISES MINIERES ET LES ÉTATS D’ACCUEIL Après avoir retracé l’évolution des formes contractuelles dans les relations entre États d’accueil et investisseurs miniers (A), l’on pourra apprécier la transformation de la nature juridique de ces conventions (B). A. L’évolution des formes contractuelles dans le secteur minier D’un point de vue historique, la concession a été le premier instrument juridique utilisé pour conférer des droits miniers à des entreprises privées. Par la suite, l’évolution du contexte politique et économique va progressivement transformer la nature des relations juridiques entre les Etats producteurs et les entreprises minières. L’abandon progressif de la concession classique (1) va entraîner l’apparition de diverses formes contractuelles dont il conviendra de faire ressortir les caractéristiques (2). 14 Il convient de souligner d’emblée que de nombreuses études savantes ont déjà été consacrées à cette matière et qu’il n’est pas question ici d’un renouvellement de la théorie juridique des contrats miniers. 7 1. La concession classique La concession n’est pas un instrument juridique propre au secteur minier15. Dans ce domaine, la concession peut être définie comme « un contrat conclu entre une autorité publique et une entreprise, le plus souvent étrangère, en accordant à celle-ci le droit d’exploiter le domaine [pétrolier] pour son propre compte et d’acquérir la propriété des gisements qui s’y trouvent moyennant une certaine redevance à payer »16. Dès la fin du XIXème siècle, des entreprises occidentales avaient étendu leurs activités en Orient, en Amérique latine et en Afrique et s’étaient fait octroyer des concessions pour la recherche et l’exploitation du pétrole ou de minerais solides. Ces concessions dites « traditionnelles »17, de la première génération, avaient pour caractéristique générale de s’étendre sur de vastes étendues de terres18 et étaient accordées pour une longue période19. Les obligations fiscales du concessionnaire se limitaient au paiement de redevances modiques20. 15 Les origines de la concession (du latin concessio) remontent à l’ancien droit romain. A l’origine, ce terme désignait des privilèges spécifiques accordés aux individus par les autorités publiques. C’est au Moyen-Age qu’apparaît l’aspect économique de la concessio, à travers son application au pouvoir de disposition du Souverain sur ses droits régaliens (jura regalia). Ainsi, des droits régaliens mineurs (jura regalia minora) tel que le droit d’extraire des minéraux (jus soli) étaient mis à bail aux particuliers, moyennant une certaine somme. La concession sera utilisée plus tard comme un instrument de promotion du commerce international. A partir de la fin du XVème siècle, des concessions étaient octroyées à des aventuriers (tels que Christophe Colomb, Cabot ou Vespucci) qui avaient ainsi l’autorisation de découvrir et de prendre possession de nouveaux territoires au nom de l’autorité concédante. C’est au cours de cette période qu’émergèrent des entreprises de grande taille et économiquement puissantes qui offrirent leurs services aux souverains pour l’exploitation des ressources minières dans les pays étrangers (v. P. Fischer, Encyclopedia of Public International Law, v° “Concessions”). 16 A. S. El-Kosheri, « Stabilité et évolution dans les techniques juridiques utilisées par les pays en voie d’industrialisation » in Le contrat économique international, stabilité et évolution, Travaux des VIIè Journées d’études juridiques Jean Dabin, Louvain-la-Neuve, novembre 1973, Centre Charles de Visscher pour le droit international, Bruylant-Pédone, 1975, pp. 285-309, spéc. pp. 286-287. Adde P. Fischer pour qui, en dépit d’un défaut de consensus sur la notion, la concession peut être définie comme « a synallagmatic act by which a State transfers the exercise of rights or functions proper to itself to a private person, State-owned enterprise or a consortium which, in turn, participates in the performance of public functions and thus gains a privileged position vis-à-vis other private law subjects within the jurisdiction of the State concerned » (in Encyclopedia of Public International Law, v° “Concessions”). 17 Pour l’analyse des concessions “traditionnelles”, v. notamment : A. F. M. Maniruzzaman, précité, pp. 207-208; E. E. Smith et al., op. cit., pp. 412 et s. ; Samuel K.B. Asante, op. cit., pp. 337 et s. 18 Par exemple, la concession accordée en 1901 par le Shah de Perse (Iran) à William D’Arcy portait sur une superficie de 500 000 miles carrés. En 1939, l’Emir d’Abu Dhabi accordait à un consortium composé de cinq grandes compagnies pétrolières une concession couvrant la totalité du territoire de l’Emirat (cf. Smith et al., précité, p. 412). 19 Respectivement une durée de 60 et 75 ans dans le cas des concessions citées dans la note précédente. Le contrat de concession conclu le 15 juillet 1945 entre le Gouvernement Impérial d’Ethiopie et la compagnie américaine Sinclair Oil Corporation prévoyait une durée initiale de 50 ans, avec une possibilité de renouvellement ou d’extension pour 25 ans (in G. Barrows, Basic Oil Laws and Concessions Contracts). 20 Ces redevances (ou royalties) consistaient au paiement d’un taux forfaitaire et n’étaient pas évaluées sur la base d’un pourcentage de la production ou du prix de vente de la production. Il a ainsi été rapporté que les autorités d’Abu Dhabi et des sultanats d’Oman et Qatar, qui avaient octroyé quelques-unes des concessions les plus importantes et les plus anciennes dans le domaine pétrolier, recevaient des royalties de l’équivalent de 8 8 Les concessions minières de cette époque se caractérisaient par le rôle prépondérant des entreprises étrangères concessionnaires. Elles prenaient en charge entièrement le financement du projet, en apportant les capitaux nécessaires, le matériel, l’équipement et le personnel. Elles avaient toute latitude pour planifier et exécuter les opérations d’exploration, de développement et d’exploitation des champs miniers ou pétroliers et se chargeaient de la gestion du projet, ainsi que de la commercialisation et de la distribution des substances minérales extraites. L’autorité concédante n’exerçait pratiquement aucun contrôle sur les activités des entreprises concessionnaires. Fortes des droits miniers exorbitants qui leur étaient conférés, les entreprises concessionnaires se comportaient en véritables propriétaires des terres concédées et des substances minérales qui y étaient extraites21. Ainsi qu’a pu l’affirmer M. Philippe Kahn, c’est dans ce contexte que la théorie juridique des investissements privés a commencé à prendre forme22. De fait, par leurs différentes caractéristiques, les opérations minières, telles qu’elles se déroulaient sous le régime des anciennes concessions, présentent les traits de l’investissement direct étranger23. Progressivement, le sentiment naquit de l’iniquité de ces concessions qui apparaissaient comme déséquilibrées, procurant des avantages considérables aux compagnies minières étrangères, alors que les États d’accueil ne tiraient qu’un faible profit de leurs propres richesses. Les nationalisations soviétiques intervenues dans les années 1920, à la suite de la Révolution bolchevique, et la décision prise en 1938 par le Mexique de nationaliser l’industrie minière (pétrolière) et de transférer l’ensemble de la propriété minière à une compagnie publique contribuèrent, de façon significative, à l’évolution des idées. Désormais, les pays producteurs auront une attitude différente quant à l’exploitation de leurs ressources minières par les entreprises étrangères24. De leur côté, les compagnies minières auront une nouvelle cents par baril de pétrole brut produit (sur ce point, v. notamment Ernest E. Smith, « From Concessions to Service Contrats », Tulsa Law Journal, 1991-1992, n° 27, pp. 493 et s., spéc. p. 497). 21 Les droits accordés aux entreprises minières étaient tellement étendus que l’on a pu dire que les concessions apparaissaient comme des « enclaves étrangères » (dans ce sens, v. notamment P. Kahn, « Problèmes juridiques de l’investissement dans les pays de l’ancienne Afrique française », Clunet 1965, pp. 338 et s., spéc. p. 383). 22 Ph. Kahn, précité, p. 338. 23 Sur la notion d’investissement direct étranger et la difficulté d’en donner une définition synthétique, v. C. Vadcar, « Droit de l’investissement », J-Cl. Droit international, Fasc. 565-50, spéc. n° 70 et s. 24 L’on notera l’impact psychologique de ces nationalisations, notamment dans l’attitude des pays arabes producteurs de pétrole qui avaient ainsi une option entre suivre l’exemple mexicain, maintenir le statu quo en continuant d’honorer les concessions déjà octroyées ou renégocier les contrats existants. La première solution était risquée car le pétrole mexicain avait été mis sous embargo international. Maintenir le statu quo n’était pas non plus acceptable car les concessions avaient été accordées pour une longue période et s’étendaient sur de 9 source de préoccupation : au risque commercial inhérent aux activités minières va s’ajouter désormais un risque politique, lié au pouvoir de nationalisation25 ou d’expropriation26 des entreprises par les Etats. Par ailleurs, faisant suite au mouvement de décolonisation, l’affirmation dans les enceintes de l’ONU de la souveraineté permanente des Etats sur leurs ressources naturelles va contribuer à la modification des relations entre Etats producteurs et entreprises minières étrangères. Ces différents facteurs réunis vont entraîner le dépassement de la concession classique en tant qu’instrument juridique régissant les relations entre Etats et compagnies minières étrangères. Comme préfiguration du nouvel ordre économique international en formation, de nouveaux types d’arrangements contractuels, variés dans leur substance, vont ainsi voir le jour. 2. La diversification des formes contractuelles Parmi les nouvelles techniques contractuelles mises en œuvre, l’on distinguera principalement l’entreprise conjointe (a), le contrat de partage de production (b) et les contrats de service ou d’assistance technique27 (c). vastes superficies. Finalement, les pays pétroliers du Moyen Orient firent le troisième choix, celui d’abandonner l’ancienne forme de concession et de renégocier les accords qui les liaient aux compagnies pétrolières afin d’obtenir de meilleurs avantages qui leur paraissaient légitimes. La création de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) en 1960 par cinq pays, parmi les plus grands pays exportateurs de pétrole (Arabie Saoudite, Irak, Iran, Koweït et Venezuela), va considérablement modifier le rapport des forces, en conférant un grand pouvoir de négociation aux pays membres. Ces derniers useront de leurs nouvelles armes pour obtenir la renégociation, à des conditions plus avantageuses, des anciennes concessions (v. E. E. Smith et al., International Petroleum Transactions, précité, pp. 418 et s.). 25 Selon le Pr Juillard, « la nationalisation se définit comme un transfert forcé de propriété, portant sur des ensembles significatifs, opéré en vertu d’un acte législatif, et effectué dans un but d’intérêt collectif » (P. Juillard, Rep. Dalloz, Droit international, v° Nationalisation, n° 1). 26 L’expropriation est entendue comme « un acte unilatéral, émanant d’une autorité administrative, et transférant d’une personne de droit privé à une personne de droit public la propriété de certains biens individualisés, dans le but de satisfaire l’intérêt public, et moyennant une juste indemnité … » (P. Juillard, ibid. n° 5). 27 Cette énumération n’est pas exhaustive, car il y a une grande variété de contrats qui se rapprochent par certains traits. Pour cette raison, toute tentative de classification de ces contrats serait vaine. V. cependant B. G. Taverne, qui distingue, d’un point de vue économique, les contrats à risque et les contrats sans risque, selon que la compagnie pétrolière est amenée à investir ses propres fonds dans les opérations ou non. Du point de vue juridique, l’auteur fait une distinction entre les contrats qui impliquent l’attribution d’un titre minier (concession traditionnelle, licence, bail ou permis, y compris les joint-ventures contractuelles à travers lesquelles le titre minier est délivré conjointement à l’entreprise étrangère et à la société nationale étatique) et les autres contrats qui ne comportent pas l’attribution de titre minier (contrats de partage de production et divers types de contrats 10 a) L’entreprise conjointe La volonté des Etats producteurs de minéraux de reconquérir la propriété de leurs ressources naturelles, dont l’exploitation avait été concédée à des firmes étrangères, se traduira par la mise en œuvre d’une nouvelle politique dite de « participation »28. Cette politique consiste, pour les pays producteurs, à s’associer aux compagnies étrangères pour créer des sociétés de droit local, au capital desquelles ils prennent une participation majoritaire ou minoritaire. Toutefois, la démarche des pays en développement n’a pas été uniforme à cet égard. Certains pays ont renégocié les concessions existantes en prenant une participation dans les sociétés titulaires de permis miniers29. D’autres ont adopté une approche radicale consistant à nationaliser les entreprises minières, quitte à revenir plus tard sur un mode de coopération avec les sociétés étrangères30. La politique de création d’entreprises conjointes (ou joint-venture dans la terminologie anglaise) poursuivie par certains pays producteurs de matières minérales vise un double objectif : d’une part, reprendre le contrôle de leurs ressources naturelles, jusque-là entièrement laissées entre les mains des firmes étrangères, et, d’autre part, augmenter substantiellement leurs revenus31. L’observation de la pratique dans les différents Etats fait ressortir deux types d’approches quant à la constitution d’entreprises conjointes : la forme sociétaire et la forme contractuelle sans création de société. de service), in Proceedings of the Energy Law Seminar, Topic H : H 1.2., Committee of Energy and Natural Resources, Section on Business Law, International Bar Association, Sept. 29 – Oct. 4 1979, Churchill College, Cambridge, England. 28 Sur ce point, v. A. S. El Kosheri, R.C.A.D.I., t. 147, 1975, vol. IV, pp. 219 et s. 29 Ce fut notamment le cas des pays pétroliers du Moyen Orient. L’idée avait été avancée depuis le début des années 1960 par l’Arabie Saoudite et soutenue plus tard par les autres pays membres de l’OPEP. L’accord de 1972 entre les dirigeants de pays producteurs de pétrole du Golfe et les dirigeants de 23 sociétés multinationales réunis à Téhéran allait entériner l’acceptation de la participation des pays producteurs au capital des sociétés exploitantes. C’est ainsi que le contrat conclu la même année entre Aramco et l’Arabie Saoudite permit à cette dernière d’acquérir 25% du capital de la société et il était stipulé que cette participation allait s’étendre chaque année pour atteindre 51% (E. E. Smith et al. op. cit., p. 421). 30 Le cas de la Libye est représentatif de cette démarche, car après les nationalisations intervenues en 1972, des contrats avaient été négociés avec certaines sociétés étrangères. 31 S’agissant des pays en développement, la formule d’entreprise conjointe semble avoir été utilisée pour la première fois en Egypte dans un contrat conclu entre la société italienne ENI et deux entreprises d’État égyptiennes (v. A. F. M. Maniruzzaman, précité, p. 210, note 10 ; adde H. S. Zakariya, « New Directions in the Search for and Development of Petroleum Resources in the Developing Countries », Vand. J. Trans. L., 1976, pp. 545 et s., spéc. p. 556.) 11 Dans la première approche, l’Etat ou une compagnie publique nationale et l’entreprise étrangère constituent une société par actions de droit local dans laquelle chacune des parties détient 50% du capital. La principale caractéristique de cette forme d’entreprise conjointe est qu’il y a création d’une nouvelle entité, dotée de la personnalité juridique. La société ainsi constituée aura précisément pour rôle de prendre en charge les opérations liées au projet minier, y compris la commercialisation des matières extraites. Bien que l’entreprise soit conjointement détenue par l’État (ou un organisme qui lui est rattaché) et la société étrangère, seule cette dernière supporte les risques de l’opération. Généralement, le conseil d’administration de l’entreprise conjointe comprend un nombre égal de représentants de l’Etat (ou de la société publique nationale) et de la société étrangère partenaire. Les revenus de l’entreprise conjointe sont partagés de façon égale, conformément à leur participation dans le capital de la société. Dans la deuxième approche, l’entreprise conjointe n’a pas la forme sociétaire et n’est pas dotée de la personnalité juridique32. Elle s’apparente à la société en participation du droit français. Une convention définit le cadre juridique des relations entre les parties. L’entreprise conjointe intervient au stade de l’exploitation et de la production comme un mandataire des deux partenaires, à savoir l’entreprise étrangère et l’Etat d’accueil (ou la société nationale agissant en son nom). Le capital est souscrit sur une base égale. Le conseil d’administration est composé sur la base de la parité entre les deux partenaires. L’entreprise conjointe est responsable de la production, de la gestion et de la comptabilité, mais n’étant pas dotée de la personnalité juridique, elle n’a pas la propriété de l’équipement, des machines ou autres biens liés aux activités de production. Elle n’a pas un pouvoir de décision autonome33. La création d’entreprises conjointes, sous la forme de société en participation, semble être animée par un mobile, celui de faire obstacle à l’acquisition d’un titre minier par l’entreprise étrangère et l’accession par cette dernière à la propriété des ressources minières. D’un point de vue juridique, l’organisme public national est le détenteur exclusif des droits miniers et a la propriété des installations, de l’équipement et de la production. L’entreprise 32 Un exemple de cette forme d’entreprise conjointe peut être pris du contrat conclu le 24 avril 1958 entre la société publique iranienne National Iranian Oil Company (N.I.O.C.) et Pan American Oil Company, cité par A. F. M. Maniruzzaman, précité, p. 212, note 12. 33 Pour une analyse détaillée des caractéristiques de l’entreprise conjointe dans le domaine minier, v. A. F. M. Maniruzzaman, précité, pp. 210 et s. 12 étrangère n’a qu’un droit contractuel à une compensation financière pour sa contribution à l’opération34. La différence notable entre les anciennes concessions et la formule de l’entreprise conjointe, c’est que dans ce dernier cas l’Etat d’accueil est impliqué directement dans les opérations relatives à l’exploitation minière, à travers ses propres agents administratifs et techniques, et intervient dans la gestion du projet minier. Il a été soutenu que cette situation constituerait un avantage considérable pour l’Etat d’accueil, car non seulement il est assuré que les intérêts nationaux seraient défendus dans toutes les décisions touchant aux revenus pétroliers, mais, en plus, ses cadres nationaux acquéraient, dans le même temps, savoir-faire et expérience35. b) Le contrat de partage de production Le contrat de partage de production ou production sharing agreement est un type de convention par laquelle l’Etat d’accueil et l’entreprise étrangère intervenant dans l’exploitation minière se partagent la production suivant des proportions pré-définies36. Ce type de contrat a été initié en Indonésie dans les années 196037, puis adopté progressivement, sous différentes variantes, par plusieurs pays en développement (Libye, Égypte, Syrie, Malaisie, Philippines, Pérou, Bangladesh, Inde, Trinidad et Tobago, etc.)38. Dans la formule de partage de production, telle qu’utilisée dans le domaine pétrolier 39, l’entreprise minière étrangère s’engage à fournir toute l’assistance financière et technique nécessaire pour l’exploitation du pétrole et supporte les risques liés aux coûts de l’opération. Ces coûts seront récupérés sur une tranche du pétrole brut produit chaque année (par exemple 40%). Si les coûts excèdent 40%, le surplus 34 récupérable sera reporté sur les années A. F. M. Maniruzzaman, précité, p. 213. Ibid. 36 Les proportions servant de base au partage varient d’un pays à un autre. Par exemple, le contrat de partage de production conclu en 1974 entre la Libye et la société Occidental prévoit un rapport de 81/19 en faveur du Gouvernement (« Exploration and Production Sharing Contract between the National Oil Corp. and Occidental of Libya Inc. », I.L.M. 1974, pp. 645 et s., cité par A. O. Adede, op. cit., pp. 532-533). 37 V. T. N. Machmud, « Production Sharing Contracts in Indonesia : 25 Years History » (Notes and Comments), Journal of Energy and Natural Resources Law, 1993, pp. 179 et s. 38 A. F. M. Maniruzzaman, précité, p. 213, note 16, ainsi que les références citées. 39 Il est à noter que la formule de contrat de partage de production est surtout utilisée dans le domaine de l’exploitation pétrolière et intervient rarement dans le cadre de l’exploitation des minerais solides. 35 13 ultérieures. Les 60% restants seront répartis à raison de 65% pour la société publique nationale (exemple de Pertamina en Indonésie) et 35% pour l’entreprise étrangère. Le partenaire n’acquiert un droit de propriété sur sa part de production qu’au port d’exportation ou à un point de livraison convenu par les parties. Il n’a aucun titre sur le terrain d’exploitation. L’équipement acquis dans le cadre des activités de production devient la propriété de la société publique nationale. En outre, une caractéristique hautement significative de ce type de contrat, est que la société publique nationale se voit confier la responsabilité de la gestion des opérations. Par exemple, dans le cas des contrats indonésiens, il est expressément stipulé que le partenaire sera responsable à l’égard de Pertamina pour l’exécution des opérations d’exploitation du pétrole. Celle-ci est appelée à assister l’opérateur et à avoir des consultations périodiques avec lui, étant entendu qu’il revient à l’opérateur d’exécuter le programme de travail40. La formule du contrat de partage de production se démarque nettement du système ancien des concessions, et cela de plusieurs points de vue. Tout d’abord, bien que dans les deux systèmes l’entreprise minière étrangère se charge d’apporter les capitaux et les équipements nécessaires dans la phase d’exploration et d’exploitation, elle n’a pas, dans le contrat de partage de production, la propriété des terres et de la production, qui demeurent sous l’emprise de l’État d’accueil. Ainsi, la souveraineté nationale est sauve, au moins en apparence41. Ensuite, ce type de contrat permet à l’État d’accueil de négocier et de se réserver une meilleure part des bénéfices, ce qui n’était pas le cas dans le système ancien de concessions. Par ailleurs, l’État d’accueil a la possibilité, à travers le contrat de partage de production, de contrôler les activités de l’entreprise minière et même de s’impliquer dans sa gestion. Au total, le système de partage de production présente de nombreux avantages pour les États d’accueil. En revanche, les firmes étrangères ne se sont accommodées que difficilement à ce nouveau système qui remettait en cause leur prééminence dans l’exploitation des ressources minières. En plus de la diminution graduelle de leurs profits et de leur soumission au respect d’un cahier de charges, elles sont contraintes d’accepter la main- 40 S. K. B. Asante, « Restructuring Transnational Mineral Agreements », op. cit., p. 364 . Il importe de souligner, en effet, que dans le cas de l’Indonésie, régulièrement citée comme pionnière en matière de contrats de partage de production, ce système était censé répondre à une exigence constitutionnelle, le respect de la souveraineté nationale, la constitution de ce pays proclamant la propriété de l’État sur les ressources naturelles (dans ce sens, v. T. N. Machmud, op. cit., p. 180, citant l’art. 33 de la Constitution indonésienne ainsi formulé : « Section 2 : Branches of production important to the state that govern the lives of the majority of the people, have to be controlled by the state. Section 3 : Land, water and the natural riches contained therein are controlled by the state and are used for the greater welfare of the people »). 41 14 mise des instances gouvernementales dans leur gestion et doivent même, dans certains cas, rendre compte de façon régulière de leurs activités. De ce point de vue, les contrats de partage de production marquent une évolution certaine par rapport aux concessions anciennes. Mais d’autres formules contractuelles adoptées plus récemment semblent aller encore plus loin dans le changement de perspective dans les relations entre les pays en développement et les entreprises minières étrangères. c) Les contrats de service ou d’assistance technique Dans le domaine minier, le contrat de service désigne un contrat par lequel une compagnie minière s’engage à fournir des services ou des conseils à un Etat producteur minier ou à une entreprise publique en charge du secteur minier, en contrepartie d’une certaine somme ou d’une partie de la production minière 42. La notion de contrats de service recouvre en réalité une variété de conventions. Ce sont généralement des contrats conclus entre une compagnie nationale en charge de l’exploitation pétrolière et une entreprise privée, et portant sur la gestion, l’assistance technique, le transfert de maîtrise industrielle, etc. M. Leben regroupe ces contrats en deux catégories : les contrats d’opérations pétrolières (contrats d’opérations rémunérés par une vente de pétrole à prix garantis ou par un pourcentage de la production) et les contrats de coopération industrielle (contrats de gestion et d’assistance technique, contrats de transfert de maîtrise industrielle) 43. Bien que n’entrant pas tous dans un schéma général, les contrats de service présentent des caractéristiques propres. Ainsi, dans ce type d’arrangement contractuel appliqué au secteur pétrolier, la compagnie nationale de pétrole est détentrice exclusive des droits miniers sur le site faisant l’objet de la convention et a la propriété du pétrole et du gaz produits à la tête du puits. L’entreprise étrangère, soit directement, soit à travers une filiale, agit comme un simple entrepreneur à l’égard de la compagnie nationale, et en tant que tel, exécute au nom et 42 V. E. E. Smith : « Under this arrangement, a company agrees for a fee or a share of production to provide the host country or its state oil company with services or technical information relating to the development of mineral resources » (op. cit., p. 519). 43 Ch. Leben « Les modes de coopération … », précité, pp. 575 et s. D’autres auteurs distinguent les contrats de service au sens large des contrats de service à risque, cette dernière catégorie comprenant les contrats dans lesquels l’entreprise étrangère assume entièrement les risques financiers de l’opération en avançant les fonds au 15 pour le compte de celle-ci toutes les opérations nécessaires pour l’exploration et l’exploitation des dépôts pétroliers. L’entreprise étrangère fournit, à ses risques, les fonds nécessaires à l’opération pendant la phase d’exploration. Elle ne pourra récupérer les fonds avancés qu’en cas de découverte commerciale, les coûts générés étant considérés comme un prêt à débiter sur le compte de la compagnie nationale de pétrole. Le prêt pourra être remboursé sous la forme de pétrole brut après le début de l’exploitation. A partir du moment où le pétrole est en phase d’exploitation, l’entreprise étrangère s’engage à agir comme un mandataire de la compagnie nationale et peut, si cette dernière le souhaite, commercialiser le pétrole à l’étranger, en échange d’une commission nominale. Elle peut retenir un certain pourcentage du produit de la vente de pétrole en compensation des prêts qu’elle a consentis durant la phase d’exploration44. La pratique des contrats de service semble s’être développée essentiellement dans le domaine pétrolier45. Néanmoins, l’on a pu observer que cette forme contractuelle est couramment utilisée dans certaines opérations en amont ou en aval de l’exploitation des minerais solides, telles que la prospection, l’évaluation des gisements et les études de faisabilité, la transformation des minerais et la commercialisation 46. Dans de telles hypothèses, l’activité minière n’est plus envisagée dans sa globalité comme dans le régime des concessions classiques. L’entreprise publique nationale a la charge de l’exploitation minière, mais comme elle ne dispose pas de toutes les compétences, du point de vue technique et en matière de gestion, il est fait appel à des entreprises étrangères qui vont apporter leur savoir-faire dans telle ou telle étape de l’activité minière. Par ailleurs, il est intéressant d’observer que dans les contrats de service, l’Etat (ou la compagnie nationale agissant en son nom) a la propriété des minéraux produits, des installations, des équipements et autres biens acquis pour les besoins des opérations pétrolières. En tant que propriétaire, l’Etat (ou la compagnie nationale agissant en son nom) conserve le pouvoir de gestion, tandis que l’entreprise étrangère œuvre comme un entrepreneur, sous sa supervision et son contrôle. L’entreprise étrangère est rémunérée pour ses prestations, indépendamment des profits et pertes. stade de la recherche et de l’exploitation, avances qui ne seront remboursées qu’en cas de découverte de réserves commercialement exploitables (sur cette distinction, v. notamment E. E. Smith, op. cit., pp. 519 et s.). 44 H. S. Zakariya, op. cit., p. 564. 45 Ch. Leben, « Les investissements miniers internationaux … », op. cit., p. 940. 46 Ibid., p. 941. 16 Les contrats de service traduisent bien la nouvelle tendance en matière d’investissements miniers, depuis que les pays producteurs ont décidé de mettre fin à la pratique contestée des concessions classiques, dans leur tentative de récupération du contrôle des richesses nationales. L’investissement minier n’est plus perçu comme une opération économique unitaire, mais comme une succession d’opérations qui se matérialisent dans des contrats différents. La remise en cause de l’ordre ancien, voulue par les Etats anciennement sous domination coloniale, aboutit au contrôle des points-clés de l’activité minière, à savoir la propriété des produits miniers et de l’appareil de production, ainsi que la gestion de l’activité minière. Il est fait appel à l’entreprise étrangère uniquement pour effectuer certaines prestations, moyennant rémunération, sans que celle-ci ait une quelconque prétention à la propriété47. Ce bref survol a permis de voir comment ont évolué les relations contractuelles entre Etats d’accueil et entreprises minières étrangères. De même, ont pu être relevées les caractéristiques générales des principaux arrangements contractuels dans le domaine minier. Il convient à présent de s’interroger sur la nature juridique de ces différentes conventions. B. La transformation de la nature juridique des conventions minières L’analyse des conventions minières permettra de cerner leur nature juridique. Il s’agira, d’une part, de faire ressortir leur spécificité en tant que contrats conclus entre une personne publique (l’Etat ou une entité publique) et une personne privée étrangère, à savoir l’entreprise minière (1), et, d’autre part, de vérifier en quoi ces arrangements contractuels répondent à la qualification d’investissement (2). 1. Conventions minières et contrats d’Etat Dès l’origine, les relations entre les Etats d’accueil et les sociétés minières se sont inscrites dans un cadre juridique particulier. La contractualisation de ces relations visait surtout à apporter une certaine sécurité juridique aux entreprises étrangères, en contrepoids au 47 Un exemple topique à cet égard est celui des contracts of works indonésiens. Il s’agit de contrats qui s’apparentent au "contrat d’entreprise" du droit français. Suivant cette formule, la firme étrangère intervient 17 pouvoir souverain de leurs partenaires étatiques. Si pendant un temps la nature juridique des concessions minières était discutée, leur caractère contractuel semble être largement reconnu à présent48. Il s’agit toutefois de se rendre compte que les contrats miniers présentent des spécificités propres, au sens où ils sont conclus entre Etats souverains et entreprises privées, et ces dernières ont généralement une nationalité étrangère 49. Ces contrats soulèvent un certain nombre de questions juridiques particulières : l’Etat contractant est-il fondé à se prévaloir de ses prérogatives de souveraineté pour se dégager de ses engagements contractuels? Le contrat est-il rattaché à l’ordre juridique de l’Etat contractant ou à un autre ordre juridique ? S’agit-il d’un contrat de droit public ou de droit privé ? La construction théorique élaborée autour de cette problématique a contribué à donner naissance à la notion de « contrat d’Etat » ou « state contract » dans la terminologie anglaise50. De façon générale, la doctrine est réticente à donner une définition synthétique des contrats d’Etat, le débat étant surtout focalisé sur leur régime juridique51. Cependant, il est comme un entrepreneur et effectue des prestations moyennant rémunération, l’Etat ou l’organisme public étant le maître de l’ouvrage et fournissant les fonds nécessaires, le matériel et les installations pour l’exécution du projet. 48 Certains États prétendaient, à une certaine époque, que les concessions minières (pétrolières) accordées aux sociétés étrangères étaient des contrats administratifs, ce qui justifiait, de leur point de vue, les mesures de nationalisation prises à l’encontre de celles-ci. Cette question a été discutée dans les affaires Arabie Saoudite c. ARAMCO, TOPCO c. Libye et AMINOIL c. Koweit. Dans le litige qui a opposé le Gouvernement libyen à la British Petroleum Exploration Exploration Company (Libya) Limited (sentence BP du 10 octobre 1973), M. Lagergren, arbitre unique, admet la nature contractuelle de la concession, sans s’engager dans l’analyse touchant à la qualification de contrat administratif. Sur ce point, v. notamment R. Doak Bishop, « International Arbitration of Petroleum Disputes: The Development of a Lex Petrolea », International Energy and Minerals Arbitration, Paper n° 2, Rocky Mountain Minerals Law Foundation, 2002, pp. 2-33. 49 Cet état de fait est particulièrement vrai lorsque les activités minières prennent place dans un pays en développement. Dans cette hypothèse, l’État, qui n’a pas les moyens d’entreprendre tout seul l’exploitation de ses ressources naturelles, se trouve dans l’obligation de faire appel à des entreprises étrangères, le plus souvent des compagnies ayant une certaine capacité opérationnelle, originaires de pays industrialisés, qui pourront apporter les capitaux, les compétences techniques et le savoir-faire nécessaires. 50 On parle aussi de « contrats de développement économique » ou « contrats d’investissement », pour mettre l’accent sur la finalité propre de ces contrats, à savoir la promotion du développement économique des États qui y souscrivent. Sur le concept de contrat de développement économique, v. S. I. Pogany, « Economic Development Agreements », ICSID Review – Foreign Investment Law Journal, 1992, pp. 1-20. 51 Sur ce point, v. les contributions récentes au Colloque sur « Les États dans le contentieux économique international », notamment : Ch. Leben, « L’évolution de la notion de contrat d’Etat », Rev. Arb. 2003, n° 3, pp. 629 et s. ; M. Kamto, « La notion de contrat d’Etat : une contribution au débat », ibid. pp. 719 s. Adde Ch. Leben, « Retour sur la notion de contrat d’Etat et sur le droit applicable à celui-ci », in L’évolution du droit international. Mélanges offerts à Hubert Thierry, Paris, Pédone, 1998, pp. 247-280, et du même auteur, « Quelques réflexions théoriques à propos des contrats d’Etat », in E. Loquin et al. (ss. dir.), Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 20è siècle, Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, Travaux du CREDIMI, Litec, 2000, pp. 119-175; P. Mayer, « La neutralisation du pouvoir normatif de l’Etat en matière de contrats d’Etat », Clunet 1986, pp. 5-78 ; A.F.M. Maniruzzaman, « State Contracts in International Contemporary Law : Monist versus Dualist Controversies », E.J.I.L. 2001, pp. 309-328 ; P. Weil, « Problèmes relatifs aux contrats passés entre un Etat et un particulier », R.C.A.D.I., t. 128, 1969, vol. III, pp. 95-240 ; J. Verhoeven, « Contrats entre Etats et ressortissants d’autres Etats » in Le contrat économique international, stabilité et évolution, Travaux des VIIè Journées d’études juridiques Jean Dabin, Louvain-la-neuve, nov. 1973, Bruylant-Pédone, 1975, pp. 115-150. 18 communément admis que les contrats d’Etat, en tant qu’ils sont conclus entre un Etat ou une personne publique et une personne privée étrangère, constituent une catégorie particulière de contrats poursuivant certains objectifs52. Une telle qualification ne se rapporte d’ailleurs pas exclusivement aux contrats miniers53, bien qu’ils en constituent une catégorie fortement représentative. Des conséquences en résultent sur le plan de leur régime juridique 54. 2. Conventions minières et investissement La notion d’investissement fait partie de ces concepts empruntés à la théorie économique et financière et dont les contours sont mal définis par la doctrine juridique. D’un point de vue économique, et selon une approche simple, l’investissement désigne « l’accroissement de deux évaluations de capital en deux instants donnés »55. Il résulte de cette définition que l’investissement est une opération économique dont la finalité est l’accroissement du capital. Dans la doctrine juridique, il est bien connu qu’il n’existe pas une seule définition, mais une pluralité de définitions, en raison des différences d’approche résultant des différents instruments relatifs aux investissements. Ainsi, des différences significatives peuvent être observées, selon que l’on se réfère aux législations nationales (lois ou codes d’investissement), aux traités bilatéraux de protection des investissements, aux accords et traités plurilatéraux ou multilatéraux, ou encore aux instruments élaborés par certaines organisations internationales telles que la Banque mondiale, l’Agence multilatérale de garantie des investissements (A.M.G.I.), l’Organisation pour la coopération et le développement économique (O.C.D.E.) etc. Selon une définition proposée par M. Bencheneb, « …l’investissement constitue une opération réalisée par un agent économique consistant à 52 Pour une définition « mesurée » des contrats d’Etat, v. notamment J-M. Jacquet : « Il n’est pas déraisonnable d’appeler ‘contrats d’Etat’ tout contrat conclu entre un Etat et une personne privée étrangère », (« Contrat d’Etat », J-Cl. Droit international, Fasc. 565-60, n° 1). 53 Les contrats d’État se retrouvent aussi en matière de prêts internationaux et dans les grands projets industriels ou d’infrastructures. 54 Il convient d’ailleurs de souligner qu’une relation contractuelle entre l’État d’accueil et l’entreprise étrangère n’est pas nécessaire pour que le régime de protection des investissements soit mis en oeuvre. Ainsi, dans un litige opposant les actionnaires belges de la société AFFIMET à l’État burundais, le tribunal arbitral constitué sous l’égide du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a fondé sa compétence sur le fait que la Convention belgo-burundaise d’investissement avait défini comme différends relatifs à un investissement ceux qui concernent « l’interprétation ou l’application de toute autorisation d’investissement accordée par les autorités de l’État hôte régissant les investissements étrangers », ainsi que « l’allégation de la violation de tout droit conféré ou établi par la Convention en matière d’investissement » (Antoine Goetz et consorts c. République du Burundi, 10 février 1999, ICSID Rev.-FILJ 2000, pp. 457 et s., § 83). En l’espèce, la société AFFIMET avait obtenu des autorités burundaises un agrément (certificat d’entreprise franche) pour mener des activités liées à la production, l’affinage et la commercialisation de métaux précieux et autres opérations connexes. 55 V. A. Cotta, Encyclopedia Universalis, v° “Investissement”. 19 obtenir des biens matériels et/ou immatériels et qui doit, en principe, aboutir à une augmentation du capital de cet agent »56. Traditionnellement, trois éléments principaux se dégagent de la notion d’investissement international : un apport en capital, la durée de l’apport et l’existence d’un risque pour l’investisseur57. Transposés dans le domaine des opérations minières, ces éléments se retrouvent assez aisément dans le régime de la concession de type classique. En effet, à travers l’opération que recouvre cette forme contractuelle, se révèlent les caractéristiques typiques de l’investissement direct étranger : la firme étrangère fait un apport en capital en injectant les fonds nécessaires à la conduite des activités d’exploration et d’exploitation (achat de matériel, installations, fonctionnement, etc.) ; elle exerce un contrôle sur toute la chaîne des opérations ; l’apport, dans ce cadre, s’inscrit nécessairement dans la durée du fait même de la nature de l’activité minière ; enfin, l’entreprise minière assume seule les risques liés à l’opération. S’agissant des concessions minières traditionnelles, la qualification d’investissement est d’ailleurs largement corroborée par le droit positif. Ainsi, la plupart des traités bilatéraux de promotion et de protection des investissements intègrent les concessions minières dans la définition de l’investissement international58. Cependant, qu’en est-il des nouvelles formes contractuelles dans le domaine minier ? A ce niveau, la réponse est moins évidente, dans la mesure où les critères classiques de 56 A. Bencheneb, « Sur l’évolution de la notion d’investissement » in E. Loquin et al. (ss. dir.), Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 20è siècle. Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, pp. 177-196, spéc. p. 195. 57 V. P. Juillard et D. Carreau, Droit international économique, 4è éd., LGDJ, 1998, spéc. pp. 394 et s.; C. Vadcar, précité, n° 86 s. Cependant, la jurisprudence arbitrale récente semble prendre en compte un quatrième critère, à savoir la contribution de l’opération en cause au développement économique de l’État d’accueil. V. notamment : Fedax N.V. c/ Venezuela, Clunet 1999, pp. 278 et s., obs. E. Gaillard ; Salini Costrutorri SpA et Italstrade SpA c/ Royaume du Maroc, Clunet 2002, pp. 196 et s., obs. E. Gaillard. 58 V. par exemple, art. 1er (Définitions) de l’Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Zimbabwe sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements du 4 mai 2001 : « Pour l'application du présent accord : 1. Le terme « investissement » désigne tous les avoirs, tels que les biens, droits et intérêts de toutes natures et, plus particulièrement mais non exclusivement : …e) Les concessions accordées par la loi ou en vertu d'un contrat, notamment les concessions relatives à la prospection, la culture, l'extraction ou l'exploitation de richesses naturelles, y compris celles qui se situent dans la zone maritime des Parties contractantes » (c’est nous qui soulignons). Adde : art. 1 (Definitions) Agreement between the Government of Canada and the Government of the Republic of South Africa for the Promotion and the Protection of Investments (27 nov. 1995): « For the purpose of this Agreement, f) “investment” means any kind of asset owned or controlled either directly, or indirectly through an investor of a third state, by an investor of one contracting Party in the territory of the other contracting Party in accordance with the latter’s laws and, in particular, though not exclusively, includes: …(vi) rights, conferred by law or under contracts, to undertake any economic and commercial activity, including any rights to search for, cultivate, extract or exploit natural resources » (c’est nous qui soulignons). 20 l’investissement international ne sont pas toujours réunis59. L’explication se trouve dans le fait que dans certains contrats miniers de la nouvelle génération, l’on assiste à une fragmentation des opérations minières. L’activité minière n’est plus conçue dans sa globalité comme dans les anciennes concessions minières, mais constitue une chaîne d’opérations donnant lieu à des contrats successifs s’intégrant dans l’opération économique d’investissement. A cet égard, l’on a pu parler de « déshabillage » de l’investissement 60. Il a notamment été relevé que ce processus aboutit à un découplage de l’apport et de la propriété, ce qui est le résultat recherché par les pays en développement, désireux de sauvegarder leur souveraineté économique. Sur le plan pratique, cela se traduit par le fait que l’entreprise étrangère fait des apports, notamment des avances de fonds dans les différentes phases de l’opération minière, mais sans avoir la pleine propriété des installations, ni même des produits miniers extraits, et reçoit, en contrepartie, soit un pourcentage de la production brute, soit une commission déterminée à l’avance, suivant le type d’arrangement contractuel. Cette formule permet aux Etats producteurs de conserver la propriété des titres miniers et des ressources minières, alors que les entreprises étrangères, qui avancent les capitaux et assument une grande partie des risques de l’opération, n’en ont plus un contrôle total et sont rémunérées en fonction de leurs prestations. Une telle situation se retrouve dans les contrats de partage de production et dans les contrats de service dits à risque61. Le cas des contrats de service ou d’assistance technique est assez particulier, puisque l’entreprise étrangère ne participe pas au financement des activités minières et apporte uniquement ses compétences techniques ou managériales dans une certaine phase du projet. Ne faisant pas d’apport en capital, elle ne prend donc pas un risque financier dans l’affaire. Dans ces hypothèses, la question se pose de savoir dans quelle mesure les opérations ainsi effectuées peuvent être qualifiées d’investissement ? La question est d’importance, car c’est de cette qualification que découle le régime de protection spécifique aux investissements internationaux. 59 Cette situation se retrouve plus largement en matière de contrats pétroliers, mais beaucoup moins dans les contrats portant sur l’exploitation des minerais solides, en raison sans doute de la spécificité des différentes industries. 60 V. notamment P. Juillard : « On dit de l’investissement qu’il est "habillé" lorsque l’ensemble des opérations qui concourent à sa préparation et à sa réalisation, d’une part, et à son fonctionnement de la constitution à la liquidation, d’autre part, sont envisagées dans leur globalité et dans leur totalité par un seul et même contrat, et sont par conséquent régies par des stipulations de caractère homogène. On dit de l’investissement qu’il est "déshabillé" lorsque chacun de ses éléments est dissocié des autres, et considéré isolément dans sa spécialité par un contrat particulier, les stipulations des contrats particuliers pouvant dès lors présenter un caractère hétérogène » (« Contrats d’Etat et investissement » in Contrats internationaux et pays en développement (ss. dir. H. Cassan), Economica, 1989, pp. 159-174, spéc. pp. 170-171). 61 Dans les contrats de service à risque, l’entreprise étrangère avance les fonds, notamment dans la phase d’exploration, et n’est remboursée pour ses prestations qu’en cas de découverte d’un gisement commercialement 21 Prenant en compte l’évolution des relations contractuelles entre Etats et investisseurs miniers, une partie de la doctrine économique et juridique a admis très tôt l’élargissement de la notion d’investissement aux formes contractuelles qui n’en présentent pas les caractéristiques habituelles62. Ce phénomène d’extension63 du champ de l’investissement international se manifeste assez nettement à travers les traités bilatéraux, dont certaines versions récentes contiennent une formulation large de la notion d’investissement. S’agissant particulièrement du secteur minier, l’on observe une tendance à considérer comme investissement non seulement les contrats de concession classiques, mais également certains droits contractuels64. La tendance à l’extension de la notion d’investissement s’observe également à travers certaines sentences récentes rendues notamment par des tribunaux arbitraux constitués sous l’égide du CIRDI. Ainsi, alors que dans une sentence récente la qualification d’investissement a été rejetée au sujet d’un contrat de fourniture de matériel minier 65, cette qualification a été retenue, s’agissant de contrats de prestation de service, dans deux affaires différentes dans lesquelles était impliquée la même société prestataire de services 66. Ces deux affaires exploitable. Elle sera rémunérée quand la phase d’exploitation aura commencé, soit sur les revenus de la production, soit par l’allocation d’une partie de la production brute. 62 V. notamment : Ch. Oman, Les nouvelles formes d’investissement, Paris, OCDE, 1984 ; Ch. Oman (ss. dir.), Les nouvelles formes d’investissement dans les industries des pays en développement – Industries extractives, pétrochimie, automobile, textile, agro-alimentaire, Etudes du Centre de Développement de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economiques, OCDE, 1989 ; P. Kahn, « L’extension de la notion d’investissement », in J. Bourrinet (ss. dir.), Les investissements français dans le Tiers-Monde, Economica, 1984, pp. 111-117 ; Ch. Leben, « Les investissements miniers internationaux dans les pays en développement … », précité, pp. 942 et s. Contra : P. Juillard, « Chronique de droit international économique », A.F.D.I. 1984, pp. 773 et s. 63 Pour l’utilisation de cette expression, v. P. Kahn, « L’extension de la notion d’investissement », précité. 64 V. notamment la formule large utilisée dans l’art. 1, f), (vi) de l’accord bilatéral de promotion et de protection des investissements entre le Canada et l’Afrique du Sud du 27 novembre 1995 ( précité) : « rights, conferred by law or under contracts, to undertake any economic and commercial activity, including any rights to search for, cultivate, extract or exploit natural resources ». 65 Sentence rendue le 6 août 2004 dans l’affaire Joy Mining Machinery Inc. c/ République Arabe d’Egypte, ICSID Case N° ARB/03/11, Clunet 2005, pp. 163 et s. En l’espèce, le litige est né d’un contrat conclu entre la société Joy Mining Machinery et la société égyptienne Organization for Industrial Projects (I.M.C.) en vertu duquel la première devait fournir du matériel minier destiné au Projet d’exploitation des phosphates d’Abu Tartur, géré par la seconde. L’installation de l’équipement ayant posé quelques problèmes, un litige surgit entre les contractants. Se fondant sur le traité bilatéral de promotion et de protection des investissements liant le Royaume-Uni et la République Arabe d’Egypte, la société Joy Mining introduisit une demande d’arbitrage auprès du CIRDI. Elle alléguait, entre autres, que le contrat qui donne lieu au litige est un investissement, ce qui justifie la compétence du CIRDI. Le tribunal rejeta la qualification d’investissement au sens de l’article 25 de la Convention CIRDI et retint qu’il s’agit d’un simple contrat de vente de marchandises. 66 S.G.S. Société Générale de Surveillance S.A. c/ République islamique du Pakistan, Décision sur la compétence du 6 août 2003, Clunet 2004, pp. 257 et s., obs. E. Gaillard ; S.G.S. Société Générale de Surveillance S.A. c/ République des Philippines, Décision sur la compétence du 29 janvier 2004. 22 concernaient un litige né de contrats conclus par la Société Générale de Surveillance (SGS), société de droit suisse, et la République islamique du Pakistan, d’une part, et la République des Philippines, d’autre part. Aux termes des contrats PSI (Pre-Shipment Inspection Agreement) qui la lient à ses deux cocontractants respectifs, la société SGS devait effectuer une inspection des marchandises importées dans ces pays, consistant à vérifier la conformité des déclarations faites par les importateurs et à délivrer un certificat autorisant l’entrée des marchandises. En outre, la société SGS devait assurer la formation du personnel de l’administration des douanes des deux États, sur le territoire desquels elle devait installer des bureaux de liaison. Dans les deux cas, un litige est né du fait de factures émises par la société SGS qui sont restées impayées. La société SGS ayant formé une demande d’arbitrage, le tribunal arbitral rejeta, dans les deux cas, l’exception d’incompétence soulevée par les défendeurs, en retenant que la société avait bien effectué un investissement au sens de l’article 25 (1) de la Convention de Washington du 18 mars 1965 (Convention CIRDI). La qualification de prestations de services en investissement dans ces deux affaires s’inscrit dans la tendance qui a été décrite d’extension de la notion d’investissement. Il convient toutefois d’observer que, dans les affaires analysées, ce résultat a été atteint par le biais de traités bilatéraux de promotion et de protection des investissements sur lesquels la demanderesse avait fondé ses demandes. Au regard de l’élargissement de la définition de l’investissement dans les traités bilatéraux, l’on peut penser qu’un résultat similaire pourrait être obtenu en matière de contrats de prestation de services conclus dans le domaine minier. La diversification des formes contractuelles et l’évolution constatée dans la substance même de ces conventions n’ont pas manqué d’influer sur le régime des investissements miniers. Il convient à présent d’examiner, à travers l’évolution des relations entre États d’accueil et investisseurs miniers, les tentatives de rééquilibrage du régime des investissements miniers. II. LE REEQUILIBRAGE PROGRESSIF DU REGIME JURIDIQUE DES INVESTISSEMENTS MINIERS Les conventions minières, particulièrement celles dites « de la deuxième génération », qui ont succédé aux concessions classiques, ont eu pour dessein de réconcilier des exigences antagonistes : d’une part, le besoin des pays producteurs de faire prévaloir leur souveraineté économique, à travers la réappropriation de leurs ressources nationales qui, à leurs yeux, 23 doivent contribuer à leur développement économique et, d’autre part, le besoin de sécurité des firmes étrangères, qui prennent des risques considérables en réalisant des investissements importants à l’étranger. Dès ses premières manifestations, le régime des investissements internationaux a tendu vers la protection des investisseurs étrangers 67, parfois au détriment des intérêts des Etats d’accueil qui ne semblent pas avoir toujours été suffisamment pris en compte. Aussi, forts de l’expérience passée liée au système ancien des concessions, qui porte en lui les stigmates du régime colonial, associé par les nouveaux Etats à la domination et à l’exploitation, ceux-ci ont pris l’option d’exercer leur souveraineté sur leurs ressources naturelles. L’analyse des relations entre Etats d’accueil et investisseurs miniers semble marquer une tendance en faveur d’un régime équilibré des investissements miniers. Cela suppose que le régime qui est en train de s’élaborer progressivement arrive à concilier les intérêts des deux parties en présence, à savoir la partie étatique et la partie privée. Aussi, l’instauration d’un tel régime nous semble reposer sur certains points-clés à savoir le maintien de l’équilibre à long terme des relations contractuelles (A), la sécurisation juridique des investissements étrangers (B) et la mutualité des gains pour les parties en présence (C). A. Le maintien de l’équilibre à long terme des relations contractuelles Les contrats miniers ont la particularité de servir de cadre à des opérations complexes, à la fois d’un point de vue technique, financier et juridique. Ces opérations, dont la caractéristique majeure est qu’elles s’inscrivent dans la durée, sont soumises à différents types d’aléas d’ordre technique, commercial, politique ou même naturel. Dès lors, la question se pose de savoir comment aménager les rapports entre les parties, dont l’une, l’investisseur 67 V. sur ce point Ph. Kahn : « … pendant longtemps, la théorie juridique de l’investissement a d’abord été une théorie de l’expropriation, une théorie de la protection de la propriété privée. On cherchait moins à élaborer des techniques qui auraient facilité le jeu des investissements privés à l’étranger qu’à préserver les biens investis (quand on investit) du danger que constitue la nationalisation » (« Problèmes juridiques de l’investissement dans les pays de l’ancienne Afrique française », op. cit., p. 338). De fait, selon un cheminement bien connu pour qu’on s’y étende, il s’est d’abord agi d’assurer la sécurité et la protection des personnes (personnes physiques et morales) et de leurs biens lorsqu’elles se trouvent situées en territoire étranger. Cette protection est évidemment assurée par l’Etat dont ces personnes ont la nationalité, en vertu de sa compétence personnelle, ce qui s’est traduit par l’institution de la protection diplomatique. Progressivement, un standard de protection minimum des étrangers s’est développé dans le droit international coutumier. A mesure que se développaient les relations économiques entre les Etats et que les échanges économiques devenaient importants, à travers notamment les opérations d’investissements privés internationaux, s’est concomitamment élaboré le régime de la protection des biens investis à l’étranger. Ce régime est actuellement considérablement renforcé par la voie conventionnelle, à 24 privé, a intérêt à ce que les stipulations contractuelles, particulièrement les engagements fiscaux, restent à l’abri de modifications intempestives, tandis que l’autre, l’Etat d’accueil, tient à avoir la possibilité de renégocier les termes du contrat en fonction de l’évolution des circonstances. Dans la pratique, l’on tente de satisfaire ces attentes, apparemment contradictoires, à travers les clauses de stabilisation, d’une part (1), et les clauses de renégociation, d’autre part (2). 1. Les clauses de stabilisation Selon une définition large, les clauses de stabilisation désignent « toute disposition d’un contrat signé entre un Etat ou une société nationale d’une part et une personne ne possédant pas en fait la nationalité de cet Etat ou de cette société nationale, d’autre part, par laquelle le partenaire étatique s’engage à l’égard de son contractant étranger à ne pas modifier unilatéralement le contrat lui-même ou certaines règles qui lui sont applicables » 68. Dans les contrats miniers, ces clauses constituent un moyen pour les firmes étrangères de se prémunir contre les mesures unilatérales pouvant être prises par les Etats d’accueil. Cela est d’autant plus important qu’au moment de réaliser l’opération, les parties s’étaient entendues sur les obligations fiscales de l’investisseur étranger. Si une nouvelle législation venait à modifier le dispositif fiscal convenu, cela risquerait de compromettre gravement les prévisions de l’investisseur et de ruiner l’économie de la convention des parties. C’est pour éviter de telles conséquences que sont stipulées des clauses de stabilisation qui permettent « de geler le droit applicable dans la teneur qui était la sienne à la date à laquelle la clause a été convenue entre les parties ».69 Cela n’est pas, à vrai dire, nouveau. Dans la période entre les deux guerres mondiales déjà, des firmes américaines avaient initié cette pratique en Amérique latine en insérant des clauses de ce type dans les contrats de concession, afin de se prémunir contre les mesures de nationalisation70. Dans la jurisprudence arbitrale, la question s’est surtout posée quant à la portée de telles clauses. S’il est admis qu’elles ont pour effet, de façon classique, de maintenir les travers un grand nombre de conventions internationales de protection des investissements (v. sur ce point : M. Salem, « Le développement de la protection conventionnelle des investissements », Clunet 1986, pp. 579-626). 68 N. David, « Les clauses de stabilisation dans les contrats pétroliers : questions d’un praticien », Clunet 1986, pp. 79 et s. ; P. Weil, « Les clauses de stabilisation et d’intangibilité insérées dans les accords de développement économique », Mélanges Rousseau, pp. 301 et s. ; P. Mayer, op. cit., pp. 5 et s.; Ph. Leboulanger, Les contrats entre Etats et entreprises étrangères, Paris, Economica, 1985, spéc. pp. 91 et s. 69 J-M. Jacquet, « Contrat d’Etat », précité, n° 41, p. 9. 25 prévisions des parties en l’état pendant la durée du contrat, peuvent–elles faire obstacle à une éventuelle mesure de nationalisation décidée par l’Etat d’accueil ? A cet égard, les solutions sont pour le moins contrastées. Dans l’affaire Texaco Calisiatic71, l’arbitre unique a retenu qu’en présence d’engagements spécifiques contenus dans des clauses de stabilisation, l’Etat n’est pas habilité à exercer ses prérogatives de souveraineté pour nationaliser ; la nationalisation opérée dans de telles conditions équivaudrait à une violation des stipulations contractuelles et doit donc entraîner une réparation à la mesure du préjudice. Par contre, dans l’affaire Aminoil72, le tribunal arbitral est parvenu à une solution différente, en décidant que les clauses de stabilisation contenues dans le contrat de concession interdisent uniquement les mesures d’expropriation et ne s’appliquent donc pas à une nationalisation. Cependant, selon le tribunal arbitral, ces clauses créent des attentes légitimes de la part de l’investisseur, qui doivent être prises en compte dans le calcul de l’indemnité compensatrice. L’examen de la pratique actuelle révèle que la plupart des conventions minières ou pétrolières contiennent des clauses de stabilisation plus ou moins élaborées, ce qui indique une certaine généralisation73. Mais il ne s’agit pas, loin s’en faut, d’une clause-type, car l’étendue et le domaine de ces clauses varient suivant les contrats. Ainsi, peut-on observer que de manière classique la stabilisation concerne plus spécifiquement les dispositions fiscales. Cependant, la garantie peut couvrir un domaine large74. Par ailleurs, l’on observera que dans certaines législations récentes, la garantie de stabilité est soumise à certaines modalités et est stipulée pour une période limitée, et non plus en fonction de la durée du contrat principal75. 70 V. R. Doak Bishop, op. cit., pp. 2-23. Sentence Texaco-Calisiatic c/ Gouvernement libyen, Clunet 1977, pp. 350 et s., avec commentaire J-F. Lalive. 72 Sentence Aminoil c/ Koweit, Clunet 1982, pp. 844 et s., avec commentaire Ph. Kahn. 73 V. par exemple : art. 12 (Stabilité du régime fiscal minier) de la convention minière modèle de l’Algérie édictée par décret présidentiel du 1er mars 2003 : « Le régime fiscal applicable à l’Investisseur tel qu’établi par la Loi Minière est stabilisé pour toute la période de validité de la Concession Minière à la date d’entrée en vigueur de la Convention Minière. Aucun autre impôt, droit ou taxe que ceux prévus par le régime fiscal minier existant et exigible à la date d’entrée en vigueur de la Convention Minière ne peut s’appliquer ou être exigible de l’Investisseur pendant la période de validité de la Convention Minière ». 74 V. par exemple, art. 7 (Garanties générales) de la convention pétrolière-type du Niger (éd. 1994) : « La République du Niger garantit à la Société, pour une durée de 15 ans renouvelable à compter de l'entrée en vigueur de la présente Convention, la stabilité des conditions générales, juridiques, économiques, financières et fiscales, telles qu'elles ont été fixées par la législation et la réglementation en vigueur à la date de la signature de la présente Convention, ainsi que les dispositions de ladite Convention ». 75 Pour un régime particulier de ce genre, v. loi n° 99-02 portant Code minier de la République de Madagascar. Cette loi prévoit que la garantie de stabilité doit résulter d’une option de l’investisseur (art. 154) ; que la stabilité est subordonnée à la réalisation d’investissements d’un certain montant (art.157) ; et que la durée de la garantie est variable, selon le montant de l’investissement réalisé (art. 159). 71 26 2. Les clauses de renégociation ou de révision Du fait de la particularité liée à leur durée, différents facteurs d’ordre politique, économique ou social peuvent provoquer un changement des circonstances qui ont présidé à la conclusion des conventions minières. Le changement de circonstances peut résulter d’événements divers tels une fluctuation (hausse ou baisse) significative du prix des matières minérales, un changement de régime politique de l’Etat d’accueil, des difficultés économiques importantes ou des difficultés techniques de nature à affecter profondément l’exécution du projet, etc. Dans de telles hypothèses, est-il possible de réviser ou de renégocier les stipulations contractuelles afin de les ajuster à la situation nouvelle ? La plupart des systèmes juridiques connaissent le problème de la renégociation des contrats et y donnent des solutions spécifiques76. Toutefois, le problème de la renégociation des conventions conclues entre Etats et investisseurs miniers ne se pose pas exactement dans les mêmes termes que lorsqu’il s’agit de contrats commerciaux ordinaires entre des parties privées. En effet, les contrats miniers posent des questions particulières liées à l’implication de l’Etat, personne publique souveraine, dans la relation contractuelle. Les clauses de renégociation peuvent être définies comme des stipulations contractuelles, qui en raison de la réalisation d’un ou de plusieurs événements, exigent le retour des parties à la table de négociation afin de renégocier les termes de leurs contrats77. Dès les années 1960 déjà, des clauses de renégociation étaient incluses dans les contrats de concessions pétrolières 78. S’agissant précisément de contrats entre Etats et 76 Sur la question de la renégociation des contrats d’investissement en général, v. particulièrement : Th. Walde et A. Kolo, « Renegotiation and Contract Adaptation in the International Investment Projects: Applicable Legal Principles and Industry Practices”, Oil, Gas and Energy Law Intelligence (OGEL), vol. 1, Issue 2, March 2003; Klaus P. Berger, « Renegociation and Adaptation of International Investment Contracts: The Role of Contracts Drafters and Arbitrators », Vanderbilt Journal of Transnational Law, vol. 36 (2003), pp. 1347-1380; John Y. Gotanda, « Renegotiation and Adaptation Clauses in Investment Contracts Revisited », Vanderbilt Journal of Transnational Law, vol. 36, 2003, pp. 1461 et s. ; Jeswald W. Salacuse, « Renegotiating International Projects Agreements », Fordham International Law Journal (2001), vol. 24, n° 4, pp. 1319-1370 (en ligne sur le site Internet du C.E.P.M.L.P). 77 John Y. Gotanda, précité, p. 1462. 78 V. par exemple, l’art. 9 du contrat de concession conclu entre le Koweit et American Independent Oil Company (AMINOIL) : « If, as a result of changes in the terms of the concessions now in existence or as a result of the terms of concessions granted thereafter, an increase in benefits to Governments in the Middle East should come generally to be received by them, the Company shall consult with the Ruler whether in the light of all relevant circumstances, including the conditions in which operations are carried out, and taking into account all 27 investisseurs miniers, une partie de la doctrine, qui se fonde sur les prescriptions de différentes résolutions de l’ONU relatives au Nouvel Ordre Economique International (N.O.E.I.), soutient que même en l’absence de stipulations expresses, les parties ont l’obligation de renégocier leur contrat de bonne foi, en cas de survenance de circonstances nouvelles79. Ces clauses posent le problème général de la remise en cause des engagements contractuels. En principe, chacune des parties au contrat doit respecter ses engagements tels qu’ils sont prévus dans le contrat, et cela pendant toute la durée de validité du contrat. C’est l’expression du principe traditionnel pacta sunt servanda, connu dans la plupart des systèmes juridiques80. Or la renégociation du contrat suppose la possibilité de modifier les stipulations contractuelles. Dans cette perspective, la renégociation vient en opposition au principe de la stabilité des relations contractuelles. Dans la pratique, l’utilisation des clauses de renégociation permet d’introduire une certaine souplesse ou flexibilité dans les contrats, de façon à les adapter aux conditions nouvelles. Ainsi, les gouvernements impliqués dans la négociation de contrats miniers ont intérêt à obtenir l’inclusion de telles clauses, car elles leur permettraient d’obtenir éventuellement un réajustement de leurs revenus. Par exemple, en cas de changement des conditions économiques, l’Etat d’accueil pourra requérir la révision de la convention minière afin d’obtenir une augmentation de ses rentes81. A cet égard, les techniques employées sont diverses. Certains types de clauses sont relativement simples dans leur formulation, stipulant qu’en cas d’avènement de circonstances nouvelles, les parties pourront modifier leur payments made, any alterations in the terms of the agreements between the Ruler and the Company would be equitable to the parties», I.L.M. 1982, n° 21, p. 976. 79 V. Klaus P. Berger, op. cit., p. 1356 et les références citées à la note 31. V. aussi Draft United Nations Code of Conduct of Transnational Corporations (art. 11 Review and renegotiation of contracts ) : « Contracts between Governments and transnational corporations should be negotiated and implemented in good faith. In such contracts, especially long-term ones, review or renegotiation clauses should normally be included. In the absence of such clauses and where there has been a fundamental change of the circumstances on which the contract or agreement was based, transnational corporations, acting in good faith, shall/should co-operate with Governments for the review or renegotiation of such contract or agreement ». 80 La doctrine anglo-saxonne parle de « sanctity of contract », pour bien marquer l’intangibilité des engagements contractuels. 81 Ce n’est pas à dire, toutefois, que la demande de renégociation des contrats est le seul apanage des gouvernements agissant en tant que parties aux contrats miniers. Dans certains cas, ce sont les sociétés minières elles-mêmes qui sollicitent la révision du contrat, notamment lorsqu’il leur est difficile d’honorer leurs engagements, en raison d’un changement de circonstances (par exemple une baisse importante du prix de vente des substances minérales produites). Dans ce sens, v. A. Kolo et Th. Walde, précité. 28 convention d’un commun accord82, ou exigeant des parties de négocier de bonne foi83. D’autres types de clauses se présentent de manière plus élaborée, spécifiant, par exemple, la procédure de modification du contrat84. De façon générale, les clauses de renégociation ont essentiellement pour effet d’adapter certaines stipulations contractuelles au changement de circonstances et non pas de remettre totalement en cause l’économie du contrat existant. Elles comportent des avantages indéniables pour les parties, du fait notamment qu’elles leur permettent de parvenir à une solution négociée préservant leurs intérêts mutuels, dans une situation qui aurait autrement conduit à mettre purement et simplement fin à la convention85. C’est donc un moyen d’introduire la flexibilité nécessaire dans les rapports contractuels, ce qui permet de maintenir la viabilité d’investissements importants, dans l’intérêt bien compris des parties engagées. B. La sécurisation contractuelle des investissements miniers Le problème de la sécurité des investissements est, pourrait-on dire, consubstantiel au droit des investissements internationaux. En effet, la condition des étrangers et de leurs biens 82 V. Convention d’établissement-type du Niger (art. 3.2): « Elle (la Convention) pourra être modifiée d'un commun accord des parties pour prendre en compte l'évolution économique et financière du marché pétrolier et les circonstances nouvelles, tant au Niger qu'à l'étranger, qui pourraient l'affecter ». 83 V. par exemple, Model Exploration and Production Sharing Agreement of 1994 of Qatar (art. 34.12 Equilibrium of the Agreement): « Whereas the financial position of the contractor has been based, under the Agreement, on the laws and regulations in force at the Effective Date, it is agreed that, if any future law, decree or regulation affects Contractor’s financial position, and in particular if the customs duties exceed … percent during the term of the Agreement, both Parties shall enter into negotiations, in good faith, in order to reach an equitable solution that maintains the economic equilibrium of this Agreement » (cité par Bernardini, ICSID Review-F.I.L.J., 1998, n° 411, p. 416). 84 C’est l’exemple de la Convention d’établissement-type du Mali, dont l’article 30 prévoit : « 30.1.Toute clause qui n'est pas prévue dans le texte de la présente Convention pourra être proposée par l'une ou l'autre des Parties et sera examinée avec soin. Chaque Partie s'efforcera de parvenir à une solution mutuellement acceptable, à la suite de quoi ladite clause fera l'objet d'un avenant qui sera annexé à la présente Convention et signé par les deux parties. 30.2 L’application des dispositions de l’article 102 2è paragraphe de la loi minière, pourra donner lieu à la modification de la présente Convention suivant la procédure définie à l’article 30.1 ci-dessus. 30.3 Il reste entendu que les droits et obligations des Parties résultant de la présente Convention cherchent à établir, au moment de la signature de ladite Convention, l'équilibre économique (fiscal, douanier et financier) entre les Parties, si au cours de l'exécution de la Convention, des variations très importantes dans les conditions économiques imposaient des charges sensiblement plus lourdes à l'une ou l'autre des Parties que celles prévues au moment de la signature de ladite Convention, aboutissant à des conséquences inéquitables pour l'une ou l'autre des Parties, il est convenu que les Parties réexamineront les dispositions de la présente Convention dans un esprit d'objectivité et de loyauté afin de retrouver l'équilibre initial. La présente clause crée pour les Parties une simple obligation de renégociation en vue d'une réadaptation éventuelle de la Convention, sauf accord exprès des Parties, la Convention demeurera en vigueur et continuera à développer tous ses effets pendant la renégociation ». 85 Dans ce sens, v. John Y. Gotanda, op. cit., p. 1469 ; A. Kolo et Th. Walde, op. cit., passim. 29 a de tout temps été au cœur de cette branche du droit international que l’on désigne par « droit des investissements internationaux ». Avec le développement des relations économiques internationales, il est devenu impérieux d’assurer la protection des personnes dont les activités économiques se déroulent en dehors des frontières nationales et qui exposent ainsi leurs biens aux mesures de souveraineté qu’est susceptible de prendre l’Etat d’accueil. La sécurisation contractuelle des investisseurs privés revêt plusieurs dimensions. L’on retiendra principalement la protection contre les mesures privatives ou restrictives de propriété (1) et le recours à l’arbitrage comme mode de règlement de litiges (2). 1. La protection contre les mesures privatives ou restrictives de propriété Les investisseurs étrangers, et cela est particulièrement vrai s’agissant des investisseurs miniers, courent le risque de mesures unilatérales prises par les États d’accueil tendant à les priver, totalement ou partiellement, de leur propriété, ce que l’on désigne couramment par « risque politique ». Ces mesures peuvent prendre différentes formes : nationalisation, expropriation ou mesures purement confiscatoires ou spoliatrices86. De telles pratiques ont eu cours à travers l’histoire, dans plusieurs pays et selon des motivations diverses87. Mais, le phénomène des nationalisations a pris une dimension particulière dans les deux premières décennies qui ont suivi le mouvement de décolonisation, à partir des années 195088. Les questions juridiques posées concernent principalement le droit pour l’État d’accueil de nationaliser les entreprises étrangères et, en cas de nationalisation, le montant de l’indemnité compensatrice à allouer à l’investisseur étranger. Sur le plan théorique, cela a 86 Il convient d’ajouter les formes d’expropriation indirecte ou "nationalisation rampante" (creeping Expropriation) qui sont les plus fréquentes actuellement. L’expropriation indirecte peut être présentée comme «toute mesure adoptée par l’État d’accueil, quel que soit son motif, qui prive l’investisseur étranger de l’usage, des bénéfices ou du contrôle de ses avoirs » (Y. Nouvel, « L’indemnisation d’une expropriation indirecte », International Law FORUM du Droit International, 2003, p. 198). Plus généralement, v. R. Dolzer, « Indirect Expropriation of Alien Property », ICSID Review-FILJ, n° 1, 1986, pp. 41 et s. 87 Dans l’histoire moderne, les premières nationalisations connues semblent être celles opérées à la suite de la Révolution d’octobre par le régime communiste de l’ancienne Union des Républiques Socialistes Soviétiques (U.R.S.S.) et qui sont à l’origine de l’affaire Lena Goldfields (pour un exposé minutieux de la phase contentieuse de cette affaire, v. V. V. Veeder, « The Lena Goldfields Arbitration : the Historical Roots of Three Ideas », Int. and Comp. Law Quartely, vol. 4, 1998, n°4, pp. 747-792). Puis, ont suivi le Mexique, Cuba, la Libye et le Chili, pour ne citer que les cas de nationalisations ayant eu le plus grand impact. 88 Ainsi qu’on peut l’observer, les nationalisations telles qu’on les a connues dans le passé sont devenues très rares. Au demeurant, c’est plutôt le phénomène inverse, à savoir la privatisation d’entreprises publiques qui a pris place. Parmi différentes raisons de ce revirement, l’on peut retenir les difficultés financières auxquelles se sont confrontés les pays en développement pour faire fonctionner les entreprises publiques intervenant dans le secteur minier, ce qui explique que dans certains cas des anciennes entreprises nationalisées se sont retrouvées privatisées. 30 donné lieu à tous les développements autour du régime juridique des contrats d’État. Ces questions conservent encore leur actualité dans la doctrine. D’ailleurs, force est de reconnaître que le contentieux issu des nationalisations d’entreprises minières et pétrolières a considérablement contribué au développement du régime des investissements internationaux89. Le droit pour les Etats de nationaliser est aujourd’hui bien établi dans le droit international positif90, sous la réserve que certaines conditions soient remplies, notamment la non-discrimination, l’existence de motifs d’intérêt public et le paiement d’une indemnité prompte, adéquate et effective91. En raison des divergences entre les pays en développement et les pays développés, le régime des nationalisations s’est construit progressivement dans le droit international général. La jurisprudence internationale, y compris la jurisprudence arbitrale, y a beaucoup contribué, tout comme le droit conventionnel, à travers notamment les conventions bilatérales, sous la forme ancienne des traités de commerce, d’amitié et de navigation, ou des récentes conventions bilatérales de protection des investissements. Il est remarquable d’observer que, dans la pratique actuelle, la protection des investisseurs contre les mesures de nationalisation a pris des formes qui étaient inimaginables quelques décennies plus tôt. Ainsi, l’on peut relever qu’un grand nombre de législations modernes relatives aux investissements en général, ou aux activités minières en particulier 92, contiennent des dispositions instituant une garantie au profit des investisseurs en cas de 89 V. par exemple, concernant les nationalisations libyennes, les sentences arbitrales et les commentaires auxquels elles ont donné lieu : B. Stern, « Trois arbitrages, un même problème juridique, trois solutions », Rev. Arb. 1980, pp. 3 et s. ; Robin C. A. White, « Expropriation of the Libyan Oil Concessions: Two Conflicting International Arbitrations », Int. and Comp. Law Quartely, 1981, vol. 30, pp. 1-19. 90 V. Art. 2, 2. c) de la Charte des droits et devoirs des États : « [ Chaque État] a le droit de nationaliser, d’exproprier ou de transférer la propriété des biens étrangers, auquel cas il devrait verser une indemnité adéquate, compte tenu de ses lois et règlements et de toutes les circonstances qu’il juge pertinentes » (Résolution 3281 (XXIX) adoptée le 12 décembre 1974 par l’Assemblée générale des Nations-Unies). La portée de ce texte est, on le sait, contestée par une partie de la doctrine qui ne lui reconnaît qu’une valeur déclaratoire. V. cependant pour une application du principe, affaire Aminoil c. Koweit, dans laquelle a été reconnue la licéité de la décision prise par le Koweit de nationaliser la compagnie pétrolière. 91 Sur le régime juridique des nationalisations en droit international, v. notamment P. Daillier et A. Pellet, précité, pp. 1039 et s. ; D. Carreau et P. Juillard, précité, pp. 519 et s. ; P. Juillard, Rep. Dalloz, Droit international, v° Nationalisation. 92 V. notamment, art. 13 du Code minier communautaire de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) adopté le 23 décembre 2003 : « Les Etats membres, conformément aux textes en vigueur au sein de l'Union, garantissent aux titulaires de titres miniers, à leurs fournisseurs et à leurs sous-traitants : - le droit (…) de disposer librement de leurs biens mobiliers ou immobiliers, matériels ou immatériels et d'organiser leur entreprise qui est notamment garantie contre toute mesure de nationalisation, d'expropriation ou de réquisition. La propriété privée est protégée dans tous ses aspects juridiques et commerciaux, ses éléments et ses démembrements, sa transmission et les contrats dont elle fait l'objet ». 31 nationalisation. Cette garantie est parfois expressément stipulée dans les conventions minières conclues avec les investisseurs étrangers93. Aussi, la question se pose de la portée de telles stipulations au regard notamment des standards du droit international. 2. Le recours à l’arbitrage comme mode de règlement de litiges L’arbitrage apparaît comme le mode privilégié de règlement de différends relatifs aux contrats d’État, et aux contrats miniers en particulier94. L’engouement pour l’arbitrage s’explique par les avantages propres à ce mode de règlement de litiges, notamment la rapidité de la procédure, le haut niveau d’expertise des arbitres et la confidentialité de la procédure95. Dans les rapports entre Etats et investisseurs étrangers, le recours à l’arbitrage s’explique aussi, pour une grande part, par la méfiance que nourrissent les investisseurs privés à l’égard des juridictions étatiques. Les juridictions de droit commun, qu’elles appartiennent à l’Etat contractant, à l’Etat de nationalité de l’investisseur ou même à un Etat tiers ne présentent pas à leurs yeux toutes les garanties d’impartialité, d’où la préférence pour des juridictions neutres que constituent les tribunaux arbitraux96. Les clauses d’arbitrage insérées dans les conventions 93 V. par exemple, art. 21 de la Convention minière modèle de l’Algérie (Réquisition-Expropriation) : «… L’expropriation d’exploitation minière ou entreprise liée à la convention minière ne peut intervenir que dans le cadre de la loi. Si les circonstances ou une situation critique exigeaient la prise d'une telle mesure, l'État consent, en conformité avec la législation nationale et les engagements internationaux pris par l’Algérie, à indemniser entièrement l’Investisseur en versant une indemnité préalable, juste et équitable couvrant tout préjudice ou dommage qui pourrait lui être causé, de quelque façon que ce soit, et l’Investisseur sera dégagé de toutes ses obligations présentes ou futures en vertu de la Convention Minière » (Décret présidentiel du 1er mars 2003). Dans le même sens, art. 8 de la convention pétrolière-type de la République du Niger (version 1994). Pour une application récente de cette disposition, v. art. 8 de la Convention d’établissement entre la République du Niger et TG World Energy Inc. du 4 mars 1997: « L’Etat assure à la Société et à ses actionnaires qu’il n’a pas l’intention de nationaliser la Société ni de la déposséder d’aucun de ses biens présents ou futurs ni de ses bénéfices. Si des circonstances exceptionnelles ou une situation de crise exigeait le recours à des mesures de nationalisation, 1’Etat s’engage, conformément au droit international, à les compenser par le versement d’une juste et équitable indemnité sans effet ou réduction dû à un avis au public ou une annonce préalable, en devises librement convertibles dans un délai raisonnable. Au cas où le paiement d’une telle compensation serait retardé au delà d’une période raisonnable, celle-ci devra être payée pour un montant qui devrait placer la Société dans une situation qui ne soit pas moins favorable à celle dans laquelle elle se serait trouvée dans l’hypothèse d’un paiement de la compensation dans un délai raisonnable » (Journal Officiel de la République du Niger, Spécial n°6 du 13 juin 1997). 94 Sur l’arbitrage en matière de contrats État (ou arbitrage transnational) en général, v. notamment B. Audit, L’arbitrage transnational et les contrats d’État : bilan et perspectives, Centre d’étude et de recherche de droit international et de relations internationales, Académie de droit international de la Haye, Kluwer, 1987 ; G. R. Delaume, « State Contracts and Transnational Arbitration », A.J.I.L. 1981, vol. 75, pp. 784 et s. ; J-M. Jacquet, « L’Etat, opérateur du commerce international », J.D.I. 1989, pp. 621 et s., spéc. pp. 657 et s. ; D. Berlin, « Les procédures de règlement des différends dans les contrats Nord-Sud », in H. Cassan (ss. dir.), Contrats internationaux et pays en développement, Economica, 1989, pp. 65-113. 95 V. B. Audit, op. cit., p. 26. 96 V. B. Audit, ibid. Adde G. R. Delaume: « The primary purpose of an arbitration clause in an economic development agreement is to remove possible disputes from the jurisdiction of domestic courts, not only those of 32 minières ont pour effet de faire échapper le litige pouvant éventuellement s’élever entre l’Etat d’accueil et l’investisseur minier à la compétence des juridictions étatiques. Cela permet aussi d’éviter la compétence du droit de l’Etat contractant, car les investisseurs étrangers craignent que celui-ci n’use de ses prérogatives de souveraineté pour modifier unilatéralement les dispositions légales dans un sens qui remettrait en cause leurs droits contractuels. Suivant une tendance désormais nettement affirmée, le contentieux des investissements miniers s’est progressivement détaché de la compétence des juridictions étatiques. Ce mouvement a pris place en dépit de la réticence de certains pays, notamment ceux attachés à la doctrine Calvo. En application de cette doctrine, certains pays d’Amérique latine, où la doctrine trouve ses origines, donnent exclusivement compétence à leurs tribunaux nationaux pour trancher les différends résultant de contrats conclus par l’Etat avec des investisseurs étrangers97. En outre, pendant longtemps, l’arbitrage a suscité une certaine méfiance de la part de certains pays du Tiers-Monde qui, à tort ou à raison, avaient le sentiment que les sentences qui étaient rendues étaient de nature à favoriser les firmes transnationales. En dépit de ces réticences, il faut se rendre à l’évidence que l’arbitrage a su s’imposer en tant que mode de règlement des différends économiques impliquant les Etats. De fait, un grand nombre d’Etats, y compris ceux qui jadis y étaient hostiles, consentent aujourd’hui à participer à une procédure arbitrale dans les litiges les opposant à des personnes privées étrangères98. Le rôle joué par les conventions bilatérales de protection des investissements ne doit pas être négligé à cet égard. En effet, les modèles de traités d’investissement qui servent de base aux pays développés lors des négociations bilatérales font généralement référence à l’arbitrage parmi les modes de règlement de litiges retenus, ce qui, d’une certaine façon, a permis de généraliser l’adhésion des pays en développement à l’arbitrage concernant les différends les opposant aux investisseurs privés étrangers99. Un autre facteur déterminant est l’adhésion massive des Etats à la Convention de Washington du 18 mars 1965 instituant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux the host state, but also those of the investor’s country or of some other country, and to afford the parties a neutral forum in which to bring their claims », op. cit., p. 798. 97 Sur ce point, v. P. Daillier et A. Pellet, op. cit., p. 778. 98 C’est ainsi que l’on voit progressivement disparaître l’obstacle constitué par l’interdiction, dans certains droits nationaux, aux États et aux organismes publics de compromettre. Sur cet aspect, v. notamment J-M. Jacquet, « L’Etat opérateur du commerce international », précité, pp. 657 et s. 99 Ainsi, l’examen des traités bilatéraux d’investissement révèle une tendance majoritaire à l’adoption de l’arbitrage comme mode de règlement de différends relatifs aux investissements. 33 investissements (C.I.R.D.I.), placé sous l’égide de la Banque Mondiale100. Les activités de ce Centre sont en pleine expansion et le placent parmi les institutions d’arbitrage les plus importantes, à côté de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (C.C.I.) et la London Court of International Arbitration (L.C.I.A). Le rôle du Règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le Droit du Commerce International (C.N.U.D.C.I.), largement utilisé dans le cadre des arbitrages ad hoc, doit également être souligné. Par ailleurs, il convient de noter que la plupart des pays ont institué le recours à l’arbitrage dans leur législation minière nationale ou dans la législation nationale relative à l’investissement. La place ainsi faite à l’arbitrage dans le règlement des litiges est clairement mise en évidence dans les conventions minières conclues par les Etats. En effet, ces conventions contiennent généralement une clause d’arbitrage destinée à régler un différend éventuel entre l’Etat d’accueil et l’investisseur minier étranger relativement à l’exécution ou à l’interprétation de la convention qui les lie 101. En général, le recours à l’arbitrage est prévu en cas d’échec d’une tentative de règlement amiable ou de conciliation102. Il faut souligner le rôle considérable de la jurisprudence arbitrale dans le développement du droit des investissements miniers internationaux et du droit général des investissements internationaux. 100 Le nombre d’Etats parties à cette convention atteint 140 à la date du 3 novembre 2003, ce qui lui confère un véritable caractère universel. 101 Pour une clause typique de ce genre, v. notamment art. 25.2 de la convention d’établissement-type en matière pétrolière du Mali (précitée) : « Sous réserve des dispositions de l'Article 25.1 ci-dessus, tout litige ou différend relatif à la présente Convention, sera réglé par voie d'arbitrage conformément à la Convention pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements entre Etats et Ressortissants d'autres Etats, entrée en vigueur le 14 Octobre 1966 (ci-après la "Convention d'Arbitrage") ». 102 V. art. 33 (Règlement des litiges) de la Convention pétrolière modèle de la République du Niger : « 33.1 Conformément aux dispositions de l'article 83 du Code Pétrolier, les litiges nés au sujet de l'interprétation et de l'exécution des clauses de la présente Convention sont réglés par une procédure de conciliation et, en cas d'échec, par une procédure d'arbitrage. 33.2 La République du Niger et la société conviennent que l'instance en conciliation se déroule selon la procédure fixée dans la convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d'autres Etats de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (B.I.R.D.). 33.3 La République du Niger et la société conviennent de soumettre tout différend résultant de la présente convention, ses annexes ou contrats à la procédure d'arbitrage fixée par la “convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d'autres Etats” de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (B.I.R.D.) ». 34 C. La mutualité de gains La finalité de l’opération économique d’investissement, sa raison d’être, pourrait-on dire, est la réalisation de profits. En matière d’investissements miniers internationaux, des gains sont attendus non seulement par l’investisseur étranger, mais aussi par l’Etat d’accueil, quoique à des degrés divers. Cette dimension, parce qu’elle est essentielle pour les deux parties, mérite d’être prise en compte dans un régime qui se veut équitable et équilibré des investissements internationaux. Aussi, la sauvegarde des intérêts financiers des investisseurs étrangers (1) doit être conciliée avec la poursuite des objectifs de développement économique des Etats d’accueil (2). 1. La sauvegarde des intérêts financiers des investisseurs étrangers La rentabilité est de l’essence même de l’opération d’investissement. Il va de soi que l’investisseur compte tirer un profit des opérations qu’il entreprend. Mais celles-ci comportent aussi des risques, d’ordre commercial, politique ou technique. Comme cela a été déjà indiqué, des moyens spécifiques permettent de les pallier. Par ailleurs, l’investisseur qui réalise des profits doit avoir la liberté de les transférer librement vers l’étranger. Or, la réglementation des changes dans l’Etat d’accueil (relations financières avec l’étranger) peut imposer des restrictions en ce sens. Afin de contourner cet obstacle, le libre transfert des profits est généralement garanti aux investisseurs étrangers 103. Les législations modernes semblent largement libérales sur ce point, dans la mesure où la liberté de transfert s’étend non seulement aux bénéfices réalisés par les investisseurs étrangers, mais aussi aux économies réalisées par le personnel expatrié104. 103 V. par exemple, art. 20.2 de la Convention minière modèle de l’Algérie : « Les investissements miniers réalisés à partir d’apports en capital et dont l’importation est dûment constatée par la Banque d’Algérie bénéficient de la garantie de transfert du capital investi et des revenus qui en découlent. Cette garantie porte également sur le produit réel net de la cession ou de la liquidation d’actifs ». Adde art. 20.1 de la Convention d’établissement-type pour la prospection, la recherche et l’exploitation des substances minérales du Mali (Décret n° 99-256/PM/RM du 15 septembre 1999), art. 10.2 de la Convention pétrolière-type du Niger (précitée). 104 V. par exemple, art. 15 du Code minier communautaire de l’UEMOA (préc.) : « Les Etats membres, conformément aux dispositions de la Réglementation des changes en vigueur au sein de l'Union, garantissent aux titulaires de titres miniers, à leurs fournisseurs et à leurs sous-traitants : - le libre transfert de devises nécessaires aux activités régies par le présent Code, notamment pour assurer les paiements normaux et courants en faveur de leurs créanciers et fournisseurs, hors de l'Union ; - le libre transfert des bénéfices nets à distribuer aux associés non ressortissants de l'Union et de toutes sommes affectées à l'amortissement des financements obtenus auprès d'institutions non ressortissantes de l'Union et des 35 2. L’intégration des objectifs généraux de développement des Etats d’accueil L’exploitation des ressources minières constitue dans beaucoup de pays un secteur important de l’économie nationale. S’agissant particulièrement des pays en développement, c’est un secteur qui occupe une place de choix dans leurs programmes de développement économique. Autant dire que des intérêts considérables et multiformes y sont attachés. Tout d’abord, l’exploitation de ressources minières constitue une source importante de revenus provenant des redevances (royalties), des différents impôts et taxes auxquels sont soumises les entreprises minières, ainsi que de la commercialisation des produits constituant la part de l’État d’accueil. Selon le type d’industrie et le type d’arrangement contractuel retenu, des revenus plus ou moins importants peuvent être tirés de l’activité d’exploitation minière. Ces revenus peuvent être utilisés dans le financement de projets de développement : infrastructures (routes, aéroports), programmes sociaux (éducation, santé), etc. Il convient d’ailleurs d’observer que la volonté des Etats pétroliers d’augmenter leurs rentes a été l’une des causes de la remise en cause du système ancien des concessions. La nouvelle position des pays producteurs a, de ce point de vue, tenté d’inverser la tendance, en instituant des formules destinées à restaurer l’équité dans le partage des profits générés. En marge des revenus immédiats que les Etats peuvent tirer de l’exploitation de leurs ressources naturelles, d’autres avantages sont liés à ces activités, selon la politique suivie par l’Etat concerné. Ainsi, l’Etat d’accueil peut tirer avantage des emplois créés à la faveur des activités minières. C’est un aspect sur lequel les conventions minières modernes mettent généralement l’accent. Ainsi, il est fréquent de trouver dans ces conventions une clause faisant obligation aux investisseurs miniers étrangers d’observer une certaine politique à l’égard de la main d’œuvre locale. Cela concerne, d’une part, l’obligation d’embauche de nationaux et, d’autre part, des exigences en matière de formation du personnel local105. sociétés affiliées aux titulaires des titres miniers après avoir payé tous les impôts et taxes prévus par les textes en vigueur au sein de l'Union ; - le libre transfert des bénéfices et des fonds provenant de la liquidation d'actifs après le paiement des taxes et droits de douane et des impôts prévus par les textes en vigueur au sein de l'Union ; - le libre transfert par le personnel non ressortissant de l'Union employé par les titulaires de titres miniers, des économies réalisées sur leur traitement ou résultant de la liquidation d'investissements dans un Etat membre de l'Union ou de la vente de leurs effets personnels après paiement des impôts, des taxes et toutes autres cotisations prévus par les textes en vigueur au sein de l'Union ». 105 V. dans ce sens, art. 14 (Emploi du personnel malien) de la Convention d’établissement-type en matière pétrolière du Mali : « Pendant la durée de la présente Convention (…), la Société d’exploitation, leurs Sociétés affiliées et sous traitants sont tenues : a) de respecter les conditions générales d’emploi conformément à la réglementation en vigueur ; 36 L’exigence en matière de formation répond à la nécessité pour le personnel local d’acquérir le savoir-faire lié aux opérations minières, ce qui entre dans le cadre plus général du renforcement des capacités des Etats d’accueil en termes de ressources humaines. D’autres exigences des Etats d’accueil concernent l’utilisation de matériaux locaux106. L’objectif poursuivi par les pays qui adoptent une telle approche est de promouvoir la consommation de produits locaux, de préférence aux produits importés. L’intérêt d’une telle mesure pour les Etats d’accueil est économique et pourrait se justifier par la nécessité d’assurer l’équilibre de la balance commerciale. Il convient toutefois d’observer qu’il y a une tendance dans les instruments modernes relatifs aux investissements à la prohibition de certaines formes de ces obligations de résultat ou performance requirements. C’est le cas dans certains accords qui font un lien entre la politique d’investissement et la politique commerciale107. Par ailleurs, les conventions minières récentes traduisent la préoccupation des Etats pour la protection de l’environnement. Un grand nombre d’Etats sont actuellement parties à une multitude de conventions internationales relatives à la protection de l’environnement 108. Il est par conséquent de la responsabilité de ces Etats de contribuer à la protection de l’environnement, y compris par la réglementation des activités minières qui font partie des activités dont les conséquences sur l’environnement sont les plus néfastes. La politique générale suivie par les Etats consiste, soit à adopter une législation spécifique sur la protection b) d’accorder la préférence, à qualification égale, au personnel malien ; c) de mettre en œuvre un programme de formation et de promotion du personnel malien en vue d’assurer son utilisation dans toutes les phases de l’activité minière ; d) de procéder au fur et à mesure, au remplacement du personnel expatrié par des nationaux ayant acquis la même formation et expérience en cours d'emploi. Dans le même sens, art. 28 de la Convention pétrolière entre la République du Niger et TG World Energy Inc., précitée. 106 V. par exemple, art. 14 de la Convention minière-type de la République algérienne (précitée) : « L’Investisseur utilisera, autant que possible, des services et matières premières de source algérienne et des produits et équipements fabriqués ou disponibles en Algérie dans la mesure où ces services, matières premières, produits et équipements sont disponibles à des conditions compétitives de prix, qualité, garanties et délais de livraison ». 107 V. notamment, l’Accord sur les mesures concernant les investissements et relatives au commerce (MIC) de l’Organisation mondiale du commerce (O.M.C.). Adde Projet d’accord multilatéral sur les investissements de l’O.C.D.E. 108 Il existe un grand nombre de conventions internationales à portée régionale ou multilatérale concernant plusieurs secteurs particuliers de l’environnement, ainsi que de nombreux instruments non-contraignants élaborés par des organisations internationales. Sur cette question, v. notamment : A. Ch. Kiss, Répertoire Dalloz, Droit international, 2è éd., 1998, v° Environnement ; P. Daillier et A. Pellet, op. cit., pp. 1217 et s. 37 de l’environnement109 à laquelle seraient évidemment soumises les entreprises minières opérant dans le pays, soit à inclure des dispositions spécifiques concernant la protection de l’environnement dans les législations minières ou pétrolières 110. Bien plus, l’analyse des conventions minières récentes révèle une tendance à l’insertion de stipulations spécifiques relatives à la protection de l’environnement. Ces stipulations ont une portée plus ou moins grande selon le degré d’engagement et la politique poursuivie par l’Etat concerné en matière de protection de l’environnement. Dans la plupart des cas, les obligations pesant sur l’entreprise minière sont décrites de manière sommaire et se limitent pratiquement à une vague incitation au respect de la réglementation sur l’environnement, à la réalisation d’études d’impact sur l’environnement ou à la mise en place d’un plan de surveillance ou de réhabilitation de l’environnement111. En outre, l’on peut observer une pratique récente tendant à prendre en considération la protection de l’environnement culturel lors de la conception de grands projets miniers. A cet égard, l’on notera que certaines législations nationales contiennent des dispositions relatives notamment au respect de droits culturels ou à la participation des populations locales dans la conception ou l’exécution de projets miniers. En raison de l’impact qu’ils pourraient avoir sur l’environnement humain, les habitudes, voire les valeurs culturelles des populations vivant dans les zones concernées, des études sociologiques approfondies sont parfois nécessaires, préalablement à l’installation des projets miniers. D’un point de vue socio-économique, l’on peut s’attendre aussi à ce que les populations locales tirent directement profit des retombées 109 C’est le cas du Gabon où a été adoptée une loi relative à la protection et à l’amélioration de l’environnement (Loi n° 16/93 du 26 août 1993), à laquelle renvoie la loi 005/2000 portant Code minier. 110 Pour des obligations de ce genre, v. art. 18 du Code minier communautaire de l’UEMOA (précité) : « Tout titulaire de titre minier exécutant des travaux de prospection, de recherche ou d'exploitation de substances minérales est tenu, sur toute l'étendue du territoire de l'Union, au respect de la législation nationale de son lieu d'activités et, en l'absence de textes communautaires, des obligations générales suivantes : … - réaliser des études d'impact sur l'environnement pour la phase d'exploitation ; - respecter les règlements sur l'environnement ; - mettre en place un plan de surveillance ainsi qu'un programme de réhabilitation de l'environnement ; ». Adde Philippine Mining Act of 1995 (sections 69-71) et Administrative Order n° 96 (1996) ; Loi n° 0110 du 3 juillet 2001 portant loi minière de l’Algérie (art. 149 et s.) ; Code pétrolier du Sénégal (art. 51-52) ; Code minier de Côte d’Ivoire, loi n° 95-553 du 17 juillet 1995 (art. 76-79) ; Code minier de Madagascar, loi n° 99-022 (art. 98-104). 111 V. notamment art. 27 de la Convention entre la République du Niger et TG World Inc. (précitée) : « 27.1 Pendant la durée de la Convention, la, Société devra entreprendre les mesures raisonnables en conformité avec les règles de l’art en usage dans l’industrie pétrolière internationale afin de: (a) conserver et protéger l’environnement des dangers pouvant être causés par les opérations pétrolières; (b) assurer la sécurité et la santé de son personnel et des autres personnels concernés par de telles opérations. 38 économiques résultant de l’exploitation des richesses naturelles issues de leur milieu naturel. Cela doit être pris en compte au moment de la négociation des conventions minières afin de mieux intégrer les projets dans le milieu social112. Ces différentes considérations renvoient à une dimension plus large, à savoir le lien à établir entre la conduite des activités minières et le respect de certaines normes fondamentales relatives aux droits humains. En effet, la poursuite des objectifs de développement économique par les Etats d’accueil et la recherche de profits par les investisseurs privés, à travers les activités liées à l’exploitation des ressources minières, ne doivent pas conduire à la négation des droits fondamentaux des populations concernées. Cela pose la problématique si actuelle de la définition, sur le plan du droit international, des obligations générales auxquelles devraient être astreintes les firmes transnationales, au titre desquelles les puissantes sociétés minières et pétrolières 113. Au total, ces différentes considérations, liées soit à la mise en œuvre des objectifs de développement économique des Etats d’accueil, soit au respect de certaines normes (environnementales, sociales ou touchant aux droits fondamentaux) par les entreprises transnationales font appel à la notion de développement durable. De l’avis de certains analystes, l’intégration des objectifs de développement durable dans les arrangements entre Etats en développement et investisseurs miniers est un gage de leur équilibre 114. 27.2 A l’expiration de la Convention, la Société devra effectuer les opérations nécessaires de remise en état des sites relatifs aux opérations de recherche, y compris les déplacements de bâtiments, équipements, installations, sous réserve d’instruction contraire de l’Etat ». 112 Il est ainsi parfaitement concevable que les entreprises minières prennent l’engagement d’apporter une aide sociale (par exemple sous la forme d’installations électriques ou hydrauliques, aménagement de routes, recrutement de personnel local pour résorber le chômage, etc.) aux populations des zones où se déroulent les activités minières, particulièrement lorsqu’il s’agit de zones rurales démunies. Cette approche participative peut prévenir l’éclosion de conflits sociaux comme on a pu l’observer dans certaines pays (exemple du Nigeria) où les sociétés pétrolières sont constamment en butte à des troubles sociaux, allant des actes de vandalisme à des actions plus violentes, autant de situations d’insécurité qui peuvent nuire à l’activité économique ou même compromettre irrémédiablement des projets laborieusement mis en place. 113 V. le texte adopté le 13 août 2003 par la Sous-Commission de la promotion et la protection des droits de l’homme de l’ONU relatif aux « Normes sur la responsabilité en matière de droits de l'homme des sociétés transnationales et autres entreprises », U.N. Doc. E/CN.4/Sub.2/2003/12/Rev.2 (2003). Ce texte, qui fait référence à de nombreux instruments relatifs aux droits de l’homme déjà en vigueur et se rapportant à des domaines divers, formule des obligations générales pour les sociétés transnationales, notamment la garantie de l’égalité des chances et le traitement non-discriminatoire, le respect du droit à la sécurité de la personne et des droits des travailleurs, le respect de la souveraineté nationale et des droits de l’homme, le respect des obligations relatives à l’environnement, etc. 114 De nombreuses études récentes font un lien entre les investissements miniers et la notion de développement durable. V. par exemple les observations de Z. Gao à ce sujet : « International petroleum agreements, as currently drafted and negotiated, are not adequate for energy development in the late twentieth and early twenty-first centuries because they have not taken into consideration the issue of sustainable development. Despite this discouraging finding, it is almost certain that a new element will be added, willingly or reluctantly, to the scenario of international petroleum arrangements in the late 1990s and the twenty-first century – environment protection and sustainable development. The future direction for petroleum agreements is that they must recognize explicitly the inherent interdependence of commercial viability and sustainable 39 CONCLUSION L’analyse des relations contractuelles entre les Etats d’accueil et les investisseurs miniers et de leur régime juridique permet de constater que le cadre juridique des investissements miniers n’est pas figé. La forme et le contenu des arrangements contractuels ont évolué sous l’influence de divers facteurs, économiques, politiques ou sociaux. Cette évolution a suivi différentes phases : d’abord le déséquilibre initial des anciennes concessions, puis l’antagonisme, dans la période qui a suivi la décolonisation et l’affirmation du principe de la souveraineté permanente des Etats sur leurs ressources naturelles, jusqu’à la période actuelle, caractérisée par la coopération, qui s’oriente vers l’équilibre des arrangements contractuels, dans l’intérêt mutuel des parties. Cette évolution a été accompagnée par le développement du régime des investissements miniers et cela suivant deux tendances principales. Tout d’abord, l’on observe, dans le domaine minier, un élargissement de la notion d’investissement, qui n’est plus confinée dans sa forme classique, mais revêt des variantes qui, dans certains cas, semblent difficiles à distinguer des opérations commerciales ordinaires. Dans ces conditions, faut-il s’attendre à un rapprochement du régime des investissements miniers internationaux avec celui du commerce international ? Ensuite, le droit des investissements miniers internationaux apparaît, en ce début de XXIème siècle, comme un droit qui tend à s’éclater. En effet, dépassant le cadre classique des opérations purement économiques, ce droit intègre progressivement, de façon transversale, des aspects aussi disparates que le respect des droits fondamentaux, la protection de l’environnement naturel et culturel, le respect des normes sociales, etc. Ce mouvement semble indiquer que, dans le domaine de l’exploitation des ressources minières, un régime équilibré des investissements internationaux doit nécessairement trouver ses bases dans le cadre global des objectifs du développement durable. Ainsi, « la paix » et la prospérité l’emporteront progressivement sur « la guerre »! development. Only under such a contractual system can energy development be made legally justifiable, politically acceptable, ecologically sustainable, environmentally sound and economically viable » (Z. Gao, «Recent Trends and New Directions in International Petroleum Exploration and Exploitation Agreements », World Competition, Law and Economic Review, vol. 17 (1993-1994), pp. 109-138, spéc. p. 126). Adde N. J. Schrijver, Sovereignty Over Natural Resources: Balancing Rights and Duties in an Interdependent World, Thèse, Université Groningen, 1995, spéc., pp. 113 et s. et pp. 351 et s. Cet auteur invite notamment à concilier l’exercice de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles avec les objectifs de développement durable, en même temps qu’il fait appel à la coopération en vue d’un équilibre des relations juridiques entre Etats d’accueil et firmes transnationales dans le domaine de l’exploitation des ressources naturelles. V. aussi Banque Mondiale, Rapport Final de la Revue des Industries Extractives : Vers un nouvel équilibre, décembre 2003. 40