Intelligence Interculturelle
Intelligence Interculturelle
Intelligence Interculturelle
Michel Sauquet
Martin Vielajus
Lintelligence interculturelle
15 thmes explorer pour travailler
au contact dautres cultures
Les auteurs
Michel Sauquet a travaill pendant 40 ans dans la coopration
internationale avec des ONG, ou agences des Nations unies et avec
la Fondation Charles Lopold Mayer. Il enseigne Sciences Po,
lcole Centrale de Paris, lUniversit Paris-Dauphine et intervient
lENA. Il prside galement la Plate-forme franaise dducation au
dveloppement et la solidarit internationale (Educasol).
Martin Vielajus est consultant indpendant auprs dentreprises,
dONG et de collectivits territoriales, et responsable Recherche et
Dveloppement de lagence Synergence. Il enseigne galement
Sciences Po et intervient lENA depuis plusieurs annes.
Tous deux ont cr en 2005 lInstitut de recherche et dbat sur la
gouvernance (IRG), enseignent conjointement, et sont les auteurs de
Lintelligence de lautre. Prendre en compte les diffrences culturelles
dans un monde grer en commun (ditions Charles Lopold Mayer,
2007), traduit en chinois et en brsilien.
sommaire
l'intelligence interculturelle
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Bibliographie transversale
379
383
Prface
Il est probablement peu ncessaire de rappeler au lecteur abordant cet ouvrage limportance des questions interculturelles dans le
monde contemporain. Cest une vidence, le dbut de ce sicle sest
dj impos, sous les effets conjugus de changements politiques et
technologiques majeurs, comme une priode de flux conomiques,
migratoires et informationnels particulirement denses, porteurs de
changements sociologiques de grande porte dont nous ne saisissons
quimparfaitement les contours et les implications. Lactivit conomique et lemploi, la recherche scientifique, la cration artistique, la
politique, la ville, la famille, aucun secteur de la vie sociale ne semble
vrai dire pargn par ces mouvements o chacun est tout la fois
rcepteur et acteur du changement.
Il nchappe pourtant personne que lexplosion de ces flux
dchanges, sils relativisent ou mettent en cause les formes dorganisation sociale traditionnellement hirarchiques, est accompagne
de redfinitions et de revendications identitaires, parfois virulentes.
Par-del la complexit et la singularit des situations nationales ou
locales, cest une mme tension entre cosmopolitisme et irrdentisme,
entre socit ouverte et socit ferme qui travaille lorganisation
sociale, en polarise les mobilisations pour en constituer les clivages.
La prsence de lautre, quelle soit plus effective ou davantage perue, ne va pas sans questions sur la place de chacun, sur les formes et
les termes de lchange, et suscite ce quon peut appeler des transactions identitaires pour grer et ajuster ces situations.
Naturellement, la violence des fondamentalismes religieux, ou les
grands dbats de socit opposant communautarisme et rpublicanisme relvent de ces perspectives. Mais ces transactions identitaires
sont aussi luvre beaucoup plus quotidiennement, et de manire
heureusement moins dramatique, dans les rues de nos quartiers, dans
les entreprises et les guichets des services publics, et dans les salles de
classe des tablissements scolaires. Sil est un domaine o ces enjeux,
tant les tensions daujourdhui que les espoirs de demain, sexpriment
avec force, cest assurment celui de lducation. Les problmatiques
de la diversit culturelle et de ses incidences sur la russite et lintgration scolaire sont videmment trs actives dans lenseignement primaire et secondaire. Mais elles affectent aussi profondment lenseignement suprieur et la formation des cadres et des dirigeants dans un
monde de plus en plus internationalis. Cest l que se jouent lintgration professionnelle des groupes culturels minoritaires, la formation
l'intelligence interculturelle
Introduction
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introduction
l'intelligence interculturelle
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Intelligence interculturelle
Nous proposons ici un guide facilitant une approche de linvisible
de nos cultures, mais pas un catalogue des cultures du monde. Son
approche bauche dj dans notre prcdent livre2 mais largement
prcise, dveloppe et complte dans ces pages est celle de lintelligence interculturelle. De quoi sagit-il? Dune dmarche de vigilance et de curiosit, dune tentative de comprhension des logiques
de ceux de nos partenaires de travail dont la culture, les modes de
pense, les faons de fonctionner sont diffrents des ntres.
Rien nest plus prilleux que de dcider lavance que chacun,
en fonction de sa nationalit, de son mtier ou de sa classe dge, va
communiquer de manire directe ou non, grer son temps de faon
mono- ou polychrone, accepter ou refuser le conflit, accumuler ou
redistribuer sa richesse, etc. Cependant, nous constatons quil existe
des adhrences culturelles, des rflexes communs dans certaines
aires gographiques ou secteurs professionnels, dont lorigine est
souvent lointaine, cache. Raisonner en termes dadhrences et non
de catgories est une manire dviter les clichs et les simplifications
abusives.
Au cur de cette dmarche se trouve un exercice de questionnement: nous pensons parce que nous le constatons quil est illusoire, lorsquon est engag dans une carrire de mobilit qui conduit
changer de pays tous les deux ou trois ans, ou lorsquon est amen
travailler, en son propre pays, dans des milieux trs pluriculturels,
de prtendre vraiment connatre la culture de lautre. En revanche,
il est ncessaire, dans ces situations, de se poser une srie de questions sur les contextes dans lesquels vivent nos interlocuteurs, sur la
spcificit de leurs pratiques et de leurs manires de fonctionner, et
sur les reprsentations que chacun a de notions trop vite supposes
communes le temps, largent, lautorit, la nature Nos vidences
ne sont pas forcment celles de lautre, nos rfrences, nos conditionnements initiaux et notre ducation encore moins.
Notre livre ne prsente donc pas une srie de bonnes pratiques
appliquer en fonction de tel ou tel espace culturel. Plutt que de proposer un ensemble de recettes sur la manire de se comporter face
son interlocuteur chinois, malgache ou brsilien, nous suggrons une
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Avec une srie dexemples tirs de lexprience dune diversit de praticiens, nous insisterons ainsi sur lenjeu de ce que beaucoup appellent aujourdhui la ngociation socioculturelle, cette
dmarche de passage dune logique du ou (cest votre culture ou
la mienne, vos mthodes ou les miennes) une logique du et
(que nous layons choisi ou non, nous travaillons ensemble et nous
devons trouver un minimum de repres et de mthodes communes).
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introduction
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Les statuts respectifs de lcrit et de loral sont-ils les mmes dun secteur un autre, dune aire culturelle lautre? Quelles diffrences
peut-on observer dans la gestion de laffectif et de lmotionnel, ou
dans la propension mler vie prive et vie publique?
Ce guide nest pas lire dune seule traite, de bout en bout. Nous
supposons lavance que le lecteur ira dun chapitre lautre en fonction des thmes qui le proccupent et quil y fera son tri personnel.
Avis de prudence
Un lment structurant de notre approche dintelligence de lautre
est une vision prudente et critique lgard de la place du culturel
et de la diffrence dans les comportements de chacun. Nous proposons cinq mises en garde, sur lesquelles nous reviendrons tout au
long de ce guide.
4.Edward T.Hall, La Danse de la vie. Temps culturel, temps vcu, Paris, Seuil, 1984 (1redition
en anglais en 1983).
5.Jonathan Xavier Inda et Renato Rosaldo, The Anthropology of Globalization, Malden (tatsunis), Oxford (Royaume-Uni), Victoria (Australie), Blackwell Publishing, 2002.
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En revanche, certaines productions rcentes nous aident actualiser cette rflexion, et il nous faut ici rendre justice aux travaux de nos
collgues de lUniversit Paris-Dauphine, notamment Philippe Pierre
et Jean-Franois Chanlat dont nous nous sommes largement inspirs7
et qui signent la postface de cet ouvrage.
7.Louvrage que ce dernier a dirig avec Eduardo Davel et Jean-Pierre Dupuis (Gestion en
contexte interculturel. Approches, problmatiques, pratiques et plonges, Presses de lUniversit
Laval et Tl-universit, 2008) contient une cinquantaine de chapitres sous forme de DVD dans
lesquels les meilleurs spcialistes dune cinquantaine de pays dcrivent les caractristiques
culturelles de leur aire dexpertise. Nous avons largement utilis ce travail colossal et trop peu
connu qui complte de manire prcieuse tous les autres tmoignages.
8.Lire ce sujet son livre Humanitaire. Sadapter ou renoncer, Marabout, 2008.
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tel type de diffrence culturelle ne concerne pas tel ou tel milieu professionnel.
Lcriture deux plumes de ce livre jouera, nous lesprons, pour
assurer cette diversit dapproche. Associs depuis 2004 dans une
srie dentreprises communes comme la mise sur pied de lInstitut
de recherche et dbat sur la gouvernance (IRG)11 ou la conduite de
sminaires universitaires, nous sommes aujourdhui engags dans
des activits daccompagnement dONG, de collectivits, et dentreprises, enseignement universitaire, formation. Cette complmentarit se double dailleurs de bien dautres: celle de lge (une grande
gnration nous spare), et celle dexpriences passes, plus anglosaxonnes pour lun, plus africaines et latino-amricaines pour lautre.
En revanche nous avons en commun dtre franais, dune origine
sociale et universitaire comparable, et il est possible que notre vision
de linterculturel et de la diffrence soit fortement teinte de cela:
un got pour les typologies, une certaine propension pour les visions
binaires, etc. Autant lassumer, et en appeler la vigilance des lecteurs pour quils nous signalent les points sur lesquels nos propos
leur paraissent trop culturellement marqus.
Prcisons enfin quelle est la posture avec laquelle nous traiterons de ces sujets. Autour de beaucoup des thmes que nous venons
dannoncer comme constitutifs du livre, on retrouve une opposition
sourde entre deux postures extrmes: luniversalisme dun ct, et le
relativisme culturel (li au culturalisme) de lautre.
Luniversalisme postule quil existe des principes indiscutables
et des valeurs absolues, valables pour tous, car inhrents la nature
humaine. La Dclaration universelle des droits de lHomme est la
principale illustration de la dfense du caractre universel de certaines valeurs, devant tre reconnues et acceptes par tous les tats.
Parmi les dtracteurs de cette approche, on trouve notamment le philosophe Tzvetan Todorov, qui lie luniversalisme lethnocentrisme,
quil dfinit comme ce qui consiste riger, de manire indue, les
valeurs propres la socit laquelle [nous appartenons] en valeurs
universelles12. Selon lui, il ne sagit pas forcment dune stratgie,
dune logique de domination consciente; il sagit bien plutt de la
11.www.institut-gouvernance.org
12.Tzvetan Todorov, Nous et les autres. La rflexion franaise sur la diversit humaine, Paris,
Seuil, 1989.
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Premire partie
Visions du monde
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Chapitre 1
religion, tradition,
Histoire
Sources des reprsentations
culturelles
Avant daborder les diffrents thmes de ce guide, nous proposons de nous interroger sur quelques lments transversaux, fondateurs de la plupart des cultures, qui peuvent contribuer expliquer
la pluralit des visions des tres humains: la religion et le sacr; la
tradition; lhistoire et les cultures politiques. Selon les pays, les secteurs professionnels ou les personnes, ces trois lments sont plus ou
moins ancrs, visibles ou homognes, mais partout ils constituent des
sources culturelles profondes, qui dterminent largement les reprsentations et les pratiques. Nous en retrouverons lempreinte dans
presque tous les chapitres du livre, quils concernent le rapport au
temps, la sant, lidentit, au travail, etc.
Diffrentes mtaphores circulent dans la littrature relative aux
questions interculturelles. Elles mettent en vidence lexistence, dans
chaque culture, de zones plus ou moins visibles et dont nous sommes
plus ou moins conscients.
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Le rapport au sacr
Question 1. Sacr, religion, spiritualit, croyances:
de quoi parlons-nous?
De quoi parle-t-on quand on parle de religion? Sagit-il dune institution, dune mythologie, dun discours prophtique, dun corpus
de textes, dun ensemble de rites, dun groupe dappartenance ou
3.Andr Comte-Sponville, LEsprit de lathisme. Introduction une spiritualit sans Dieu, Paris,
Albin Michel, 2006.
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4.Dounia Bouzar, Stop au double discours sur la lacit, Tmoignage Chrtien, novembre
2011.
La religion au quotidien*
Pourcentages de rponses positives la question tes-vous daccord ou
pas daccord avec cette affirmation? La religion est trs importante pour
moi dans ma vie quotidienne:
Arabie saoudite: 96%
gypte: 89%
Afrique du
Sud: 70%
Mexique: 65%
Liban: 65%
tats-Unis:
63%
Inde: 55%
Italie: 51%
Russie: 51%
Turquie: 51%
Core du Sud:
42%
Isral: 41%
Australie: 41%
Canada: 39%
Espagne: 31%
Chine: 26%
Allemagne:
24%
Japon: 24%
Grande Bretagne: 23%
France: 17%
*Rsultats dune enqute ralise en 2006 par linstitut de sondage canadien Angus Reid Strategies auprs de 5800
personnes de 20 pays du monde.
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Une illustration frappante de ce que peut tre la place du religieux dans le quotidien, y compris professionnel, de nos partenaires:
un dirigeant franais dune entreprise de tlphonie raconte la fiert
manifeste par lun de ses collaborateurs marocains lui montrant son
logiciel de messages coraniques. Il sexplique: Trs rgulirement,
toute la journe, je reois ainsi sur mon PC des extraits du Coran. Cela
ne me distrait pas. Cela me stimule
On peut aussi considrer des donnes plus factuelles comme la
place des religions dans les systmes denseignement (voir encadr)
ou le statut des religions face ltat, que nous voquerons dans le
chapitre6.
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Le rapport la tradition
Question 5. Traditions, droit coutumier,
codes rituels: de quoi parle-t-on?
La tradition, pour lhistorien Michel Meslin, est un ensemble
dattitudes et de conduites qui se rfrent un pass pour guider une
10.Cest linitiative du roi AbdallahII de Jordanie qua eu lieu en novembre 2011 Amman
un forum islamo-catholique sur le thme Raison, foi et personne humaine perspectives
chrtiennes et musulmanes.
11.Rassemblements cumniques europens de Ble en 1989 et de Graz en 1998.
12.Sommet du millnaire des chefs spirituels et religieux organis par le Secrtaire gnral des
Nations unies New York en 2000.
13.Etsuo Yoneyama, in E. Davel, J.-P. Dupuis et J.-F. Chanlat (dir.), Gestion en contexte
interculturel, op.cit.
action prsente, grce la prise de conscience dun principe didentit reliant les gnrations14. Partout dans le monde la rfrence
un pass fondateur flotte dans le prsent mme lorsquelle nest pas
explicite et se rattache plutt un inconscient collectif. Elle ne se
rsume pas un simple conservatisme, un rflexe dimitation inerte
du pass. Il y a, estime Ys Tardan-Masquelier, une relation dialectique trs forte entre tradition et actualit, conservatisme et innovation. [] En ralit, si le pass joue un si grand rle, cest que lhomme
actuel y dchiffre mieux que dans son prsent les lments fondateurs et permanents de toute une vie15.
La coutume, faon dagir tablie par lusage, est une notion proche
de la tradition, mais elle est surtout utilise par les juristes, pour
qui elle est dfinie comme un usage juridique oral, consacr par
le temps et accept par la population dun territoire dtermin16.
On se rfre souvent, dans les actions de coopration, au droit coutumier, qui, sil nest rellement prpondrant que dans peu de pays
(Mongolie, Bhoutan, Sri Lanka), tient ct du droit civil ou constitutionnel une place non ngligeable dans bien dautres rgions du
monde (Chine, Afrique de lOuest, etc.).
La notion de rite est troitement lie aux deux dernires, le rite
tant un ensemble dusages dfinis par la tradition et la coutume
(et non par la loi). Les rites se caractrisent par des actes rptitifs, codifis et souvent chargs de symboles. Ils sont trs loin de
ne concerner que la sphre religieuse, mme si le sociologue mile
Durkheim fait observer que le rituel profane suit des rgles analogues celles du rituel religieux (le dfil qui rappelle la procession,
le discours qui rappelle le sermon, le mariage civil qui rappelle le
mariage religieux, etc.) et quil a finalement la mme fonction de
clbration de sentiments collectifs ou dintgration des individus
dans la vie sociale.
Bien des discours sur la tradition sont empreints dexotisme et dun
certain simplisme. Quelques prcautions dobservation simposent
donc, pour vacuer quelques illusions sur cette notion passe-partout.
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Bollywood, reflet de la
prgnance des traditions
en Inde
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www.santabanta.com
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Rien de tel que les films de Bollywood pour avoir un aperu de la force des
traditions en Inde. La plupart de ces films sont profondment imprgns
des valeurs traditionnelles indiennes, soit quils les exaltent soit quils en
dnoncent les impasses avec virulence et visent les bousculer: la famille
en premier lieu, sacralise, patriarcale, multignrationnelle, fonde sur
lautorit du pre, qui choisit les conjoints de ses enfants, la fidlit et la soumission de la mre; lhonneur; lhorreur de ladultre; le systme des castes
(omniprsent mais presque toujours dnonc); la recherche de la paix On
trouve aussi dans beaucoup de ces films, y compris dans leur mode narratif
(plusieurs histoires en parallle) lvocation des anciens rcits mythiques
du Mahabharata et du Ramayana
Bollywood ne fait que reflter linfluence des valeurs traditionnelles dans les reprsentations de lordre social en Inde, influence
que lon retrouve avec force dans le quotidien des Indiens, y compris
sur les lieux de travail.
Un autre exemple saisissant de la rencontre entre extrme attachement la tradition et extrme modernit: les mariages arrangs
soprent de plus en plus, en Inde, travers des sites Internet qui permettent aux parents de trouver pour leurs trs jeunes filles des partis
correspondant leurs souhaits et parfois leur communaut, sans
que le mot de caste soit forcment prononc.
Le rapport lHistoire
Question 8. Hritage historique, mmoire collective,
mythes fondateurs: quelles dfinitions?
Lhritage historique et la culture politique des diffrents territoires dans lesquels nous sommes amens travailler permettent,
comme on le verra plusieurs reprises dans ce livre, dclairer certains comportements, certaines reprsentations, certains rflexes
culturels. Or les hritages historiques sont trs divers, lHistoire est
souvent rcrite, et les cultures politiques sont changeantes. Mais
prcisons dabord le sens des mots.
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lhritage historique et politique renvoie un ensemble dvnements sociopolitiques du pass relatifs un pays, une rgion, un
peuple, et qui influent sur les conceptions actuelles de notre interlocuteur, et sur la relation que nous pouvons tablir avec lui. Lenjeu est
de comprendre quel est lhritage et le capital historique, quels sont
les traumatismes et les squelles (des guerres, des colonisations, etc.)
qui peuvent la fois dterminer des reprsentations et des pratiques
spcifiques, et jouer dans nos relations.
23.Pierre Nora, Mmoire collective, in J. Le Goff (dir.), La Nouvelle Histoire, Paris, Retz, 1978.
24.Michel Wieviorka, La Diffrence, Paris, Balland, 2001.
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Chapitre 2
LHomme et la nature
Entre domination
et connivence
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2.Ibid.
3.Livre de la Gense (1-28).
4.Le Monde, 26 mai 2005.
lHomme et la nature
5.dith Sizoo, Ce que les mots ne disent pas. Quelques pistes pour rduire les malentendus
interculturels: la singulire exprience des traductions de la plate-forme de lAlliance pour un
monde responsable et solidaire, Paris, ditions Charles Lopold Mayer, 2000.
6.Marie-Jose Beaud-Gambier et Joseph Ki-Zerbo, Anthologie, op.cit.
7.In Nadia Tazi (dir.), Keywords. Nature, New York, Other Press, 2005, synthse en franais de
Martine Laffon.
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lHomme et la nature
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Sous la vague au large de Kanagawa - Srie des Trente-six vues du mont Fuji.
1830-1832 (Hokusai Katsushika - 1760-1849)
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recoin de cette terre est sacr pour mon peuple. [] Ainsi, lorsquil
nous demande dacheter notre terre, le Grand Chef de Washington
exige beaucoup de nous. [] La terre est prcieuse [aux] yeux [du Dieu
de lHomme blanc], et qui porte atteinte la terre couvre son crateur
de mpris8.
Un sicle et demi plus tard, en 2002, le chef Orens Lyons de la
Confdration iroquoise actualisait cette vision en dclarant: La biodiversit est un terme clinique, technique pour qualifier lquilibre de
la vie dont nous dpendons. Nous, peuples autochtones, disons que
nous faisons partie de cette vie; ainsi ce que vous appelez des ressources sont pour nous des relations. Tout est dans la faon dont on
les considre. [] Nous vous le disons, tant que vous ferez la guerre
contre Etenoha (la Terre mre), il ne pourra jamais y avoir de paix9.
Dans une logique analogue, les visions confucenne et taoste
considrent que lhomme est en symbiose et en dpendance mutuelle
avec la nature. La montagne, leau de la rivire, limmensit des mers
ne sont pas, dans la tradition chinoise, des choses, mais des ralits
vivantes qui simposent lhomme et lui enseignent le temps, la mort,
linfranchissable.
En Inde, selon Vinay Kumar Srivastava, lide de la domestication
de la nature ne sest dveloppe qu une poque rcente, au moment
de la colonisation, et cette ide demeure encore largement trangre
une partie de la population. Dans la pense traditionnelle indienne,
les cinq lments qui constituent la nature sont divins et vnrables
et tout ce qui est naturel est vivant. Les pierres, les rochers, les montagnes, tous les objets du monde autres que les humains sont eux
aussi vivants. Les choses connaissent donc douleur et plaisir, peine
et bonheur []. Elles communiquent leur faon et tablissent des
relations avec les autres individus. Un arbre, une plante, une pierre
peuvent devenir la demeure dun dieu et possder ainsi en elle, dune
certaine faon, un lment divin. Cest pour cela quil faut respecter
le monde environnant tout entier car, si chaque espce a ses proprits, tout tre peut tre rincarn en une autre. Ainsi, non seulement
les hommes font partie de la nature, mais encore elle est en eux, ils en
sont lincarnation10.
Un dtour par les reprsentations artistiques de lhomme dans la
nature permet de prendre la mesure de limportance des diffrences
culturelles de perspective. Dans le clbre tableau du peintre japonais
Hokusai, face au dchanement de la nature (la tempte), lhomme est
un tout petit lment de lespace reprsent, la nature occupant toute
la place. Dans Le Radeau de la mduse de Gricault, en revanche, les
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lHomme et la nature
11.Frdric Paul Piguet, Approches spirituelles de lcologie, Paris, ditions Charles Lopold
Mayer, 2003.
12.Isabelle Leblic, communication aux iiies journes scientifiques de la Socit dcologie
humaine, Aix-en-Provence, 1991.
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16.Ibid.
17.www.monde-diplomatique.fr/2010/01/BAXTER/18713
18.Voir Mohamed Larbi Bouguerra, Les Batailles de leau. Pour un bien commun de lhumanit,
Paris, ditions de lAtelier, 2003, et Olivier Hoedeman et Sakoto Kishimoto (dir.), LEau, un
bien public. Alternatives la privatisation de leau dans le monde entier, Paris, ditions Charles
Lopold Mayer, 2012.
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Obissants?
Quand le tsunami de 2011 a caus des dgts au Japon, peu de Japonais
ont rcrimin. Il ny avait rien faire contre le tsunami et ils ont d accepter le destin sans mcontentement. Les Japonais ont une certaine position
dans le monde de la nature, les rgles de la socit sy conforment [], ce
qui explique la structure de la peinture de Hokusai, o les gens dessins en
bateau sont petits compars aux tsunamis et au mont Fuji. Dans le monde
occidental, ce sont toujours les hommes qui contrlent la nature et rglent
la socit. Sils font face une chose incomprhensible, ils se demandent
pourquoi? et ils essaient de llucider. Les Japonais sont davantage obissants et cherchent moins dexplications.
Un tudiant japonais, cole des Ponts PariTech, 2012.
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Dans le domaine de la coopration agricole internationale, les diffrences de reprsentation des rapports la terre ont t lorigine,
depuis plusieurs dcennies, de heurts ou dincomprhensions entre
les populations locales et les agronomes ou zootechniciens trangers
engags dans des projets de dveloppement. De lchec ou de linconsistance de ces projets, des organismes de coopration publics ou
associatifs franais comme le Cirad25, le Gret26 ou lIram27 ont tir les
consquences en proposant de nouvelles approches: accent mis sur le
diagnostic social et culturel pralable, dmarche de recherche-dveloppement intgrant une prise en compte des systmes agraires
locaux et des reprsentations culturelles, affirmation du lien entre
agriculture et environnement, etc. Plusieurs ouvrages en rendent
compte aujourdhui28 et ont contribu rorienter les pratiques.
24.Ignacio Ramonet, Les dfis de Rio+20, portail Rio+20, 2 juin 2012, http://rio20.net/fr/
documentos/les-defis-de-rio20
25.Centre de coopration internationale en recherche agronomique pour le dveloppement.
26.Groupe de recherche et dchanges technologiques.
27.Institut de recherches et dapplications des mthodes de dveloppement.
28.Pierre De Zutter, Le Paysan, lexpert et la nature. Sept fables et rcits sur lcologie et le
dveloppement dans les pays andins, Paris, ditions Charles Lopold Mayer, 1992; Franois
Greslou, Le Cooprant, missionnaire ou mdiateur? Rencontre des cultures et dveloppement dans
les Andes: un tmoignage, Paris, ditions Charles Lopold Mayer, 1995.
Chapitre 3
Le temps
Le gagner, le perdre, le matriser
Contextualiser
Avant doprer une plonge dans les reprsentations du temps,
quelques points de vigilance simposent quant au risque de conclusions htives sur la diversit des reprsentations de cette notion.
On prendra garde notamment aux prtextes culturels en matire de
gestion du temps: le quart dheure ou la demi-heure de retard
comme normes culturelles de tel pays ou de telle rgion deviennent,
par exemple, lternel poncif servi aux trangers. Mais dautres lments de contexte doivent, notre sens, tre pris en compte.
1.Jol Van Cauter et Nicolas de Rauglaudre (dir.), Apprivoiser le temps. Approche plurielle sur le
temps et le dveloppement durable, Paris, ditions Charles Lopold Mayer, 2003.
2.Edward T. Hall, La Danse de la vie, op.cit., et Le Langage silencieux, Paris, Seuil, 1984
(1redition en anglais en 1959).
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le temps
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La diffrenciation trs forte quen Occident nous sommes habitus faire entre les trois instances du temps (pass, prsent, futur)
nest pas, loin de l, opre dans toutes les langues du monde. Cette
diffrence a des consquences non seulement sur lattitude de certains de nos interlocuteurs en matire danticipation ou de prvention des risques, mais aussi sur la manire mme dont ils pensent le
temps, opposent les temps.
Franois Jullien observe cette diffrence propos de la Chine,
qui fait partie de ces nombreux pays dont la langue ne connat pas
la conjugaison: [la langue chinoise] ne conjuguant pas, [elle] ne
donne pas opposer des temps futur, prsent ou pass [], penser le temps comme un genre commun n de leur composition. Il
affirme quau contraire, cest parce que nos langues occidentales sont
conjugaison, que, depuis les Grecs et les Latins, nous distinguons systmatiquement et opposons entre eux, les temps du pass,
du futur et du prsent5.
Selon EdwardT. Hall, la diffrence des langues amrindiennes
sans conjugaison elles aussi, le temps de nos langues est trait
comme un flux continu, avec un pass, un prsent et un futur, caractristique grce laquelle nous avons russi, en quelque sorte,
concrtiser ou extrioriser la manire dont nous nous reprsentons le
passage du temps. Nous pouvons avoir ainsi limpression de matriser
le temps, de le contrler, le passer, le gagner6.
Dautres diffrences majeures existent dans les langues sud-asiatiques ou africaines. Lhindi connat un luxe de temps de conjugaison pour le pass et le prsent (frquentatif, duratif, progressif et
irrel), et il conjugue au futur. Pourtant hier et demain se traduisent par le mme mot kal qui veut dire lautre jour, celui que
lon ne vit pas. Cette assimilation du hier et du demain se retrouve
aussi dans la langue principale du Samoa, et dans plusieurs langues
africaines (bamilk, langues bantoues, langues de la rgion des
Grands Lacs ou du Congo, langue igbo du Nigeria). Toutes ces langues
5.Ibid.
6.Edward T.Hall, La Danse de la vie, op.cit.
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80
Les questions voques dans les pages qui suivent ont t regroupes en deux ensembles distincts mais complmentaires: dabord la
diversit des reprsentations culturelles du temps(temps linaire,
naturel, cyclique, temps monochrone ou polychrone, orientation vers
le pass ou lavenir); ensuite limpact de ces reprsentations sur les
pratiques de gestion du temps (dure du travail, organisation des runions, ponctualit, etc.).
8.www.barbier-rd.nom.fr/collAFIRSE93TempsInde.html
9.dith Sizoo, Ce que les mots ne disent pas, op.cit.
10.Edward Evan Evans-Pritchard, The Nuer, Oxford, Clarendon Press, 1940.
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14.Edward T.Hall, La Danse de la vie, op.cit. et du mme auteur, La Dimension cache, Paris,
Seuil, 1984 (1redition en anglais, 1966).
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18.Christoph I. Barmeyer, Communication interculturelle dans le management francoallemand, in F. Baasner (dir.), Grer la diversit culturelle. Thorie et pratique de la
communication interculturelle en contexte franco-allemand, Peter Lang, 2005.
19.Edward T. Hall, La Danse de la vie, op.cit.
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Trois dcennies aprs Hall, Fons Trompenaars a propos une distinction assez proche du mono/polychrone, en parlant de cultures
squentielles et de cultures synchroniques. Sur la mme ligne que
Hall, Trompenaars rappelle quel point cette diffrence a dimportantes implications dans le domaine des affaires. Lheure convenue pour une runion peut tre approximative ou prcise. Le temps
allou pour raliser une tche peut tre dune importance vitale ou
une simple indication20.
ct des rflexes et des reprsentations culturelles, notons que
les contextes socio-conomiques jouent ici un rle non ngligeable: si
lapproche squentielle peut naturellement nous sembler plus matrisable dans un environnement lui-mme relativement stable et
matris, elle peut en revanche amener concevoir des planifications
fragiles et thoriques dans des environnements par nature plus incertains, et requrant une adaptabilit permanente aux imprvus.
Dans ce domaine, le regard de lun de nos tudiants tchtchnes
sur la gestion franaise du temps est rvlateur.
21.Michael H. Bond, The Chinese culture connection Chinese values and the search for
culture-free dimensions of culture, Journal of Cross-Cultural Psychology, juin 1987, et Finding
universal dimensions of individual variation in multicultural studies of values: The Rokeach and
Chinese value Survey, Journal of Personality and Social Psychology, 55 (6), 1988.
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linverse, la culture anglo-saxonne est gnralement perue comme davantage tourne vers le court terme. Ainsi pour
F.Trompenaars, la vision amricaine du futur est court terme,
quelque chose que lon peut contrler partir du prsent. Do laccusation de vouloir favoriser les gains rapides et la grande importance
donne aux rsultats de chaque trimestre []. Il ny a jamais dexcuse
ne pas faire mieux maintenant.
Notons enfin que lorientation vers le court ou le long terme est,
dans de nombreux pays, troitement lie leur histoire sociopolitique, et la manire dont ils ont pu gnrer ou non un sentiment
dincertitude et dinstabilit au sein de la population.
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Cet exemple thiopien illustre la thse de la logique conservatoire dveloppe par Clair Michalon23. Cest, dit-il, un processus
qui pousse les groupes [] dstabiliss par un prsent plein de nouvelles incertitudes, se retourner vers le pass, et tenter de rhabiliter pour lavenir les rfrences du pass, dclares incontournables:
les mouvements intgristes de toutes obdiences en sont une manifestation, au Nord comme au Sud.
24.Christine Geoffroy, in E. Davel, J.-P. Dupuis et J.-F. Chanlat (dir.), Gestion en contexte
interculturel, op.cit.
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25.Terence Brake, Danielle et Thomas Walker, Doing Business Internationally. The Guide To
Cross-Cultural Success, New York, McGraw Hill, 1995.
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Multiples sont les tmoignages dONG, de cooprants ou de volontaires qui pointent la difficult spcifique darticuler les rythmes et
les temporalits dans le travail de coopration au dveloppement.
Comment concilier:
dun ct, les reprsentations et les habitudes des populations
concernes en matire de rythme de travail et de gestion du temps;
leur perception du droulement des projets et leurs perspectives
court ou long terme;
et de lautre, les multiples pressions quexercent sur les personnels expatris les ONG qui les ont missionns (des rsultats rapides
et visibles, un reporting permanent) et les bailleurs de fonds qui
financent ces ONG, sans compter lautopression des cooprants
vis--vis deux-mmes?
Ces diffrentes pressions poussent souvent lexpatri vouloir
aller le plus vite possible et privilgier son propre rythme sur
celui des groupes au service desquels il est suppos travailler. Elle
rend difficile lapplication dune srie de principes dont sentourent
aujourdhui de plus en plus les discours de coopration: participation des populations, concertation sur les objectifs poursuivis,
appropriation des mthodes, etc. Le responsable nigrien dune
association de dveloppement, sensibilis depuis longtemps ces
notions et dsireux de lui donner toute sa place illustrait rcemment pour nous cette impasse: ayant eu connaissance par lintermdiaire dune ONG trangre dune fentre dopportunit de
financement auprs dun important bailleur de fonds international,
il commence organiser des runions avec les villageois et lONG
pour une construction participative du projet, mais trs vite on se
rend compte que le dlai de deux semaines est beaucoup trop court
pour cela, et il finit par confier un cooprant franais la rdaction
du projet Certains bailleurs et certaines ONG prennent dsormais cette dimension en compte, assouplissent leurs calendriers, et
oprent un certain nombre de mutations, notamment travers une
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pas t identifies26. Le temps quelle ncessite est largement compens par lamlioration de la qualit du travail et son impact. On est bien
ici dans des situations de ngociation socioculturelle. Une responsable
de Mdecins du Monde estime ainsi quil est trs risqu dinstaller un
centre de traitement de cholra si on na pas eu un temps de ngociation
de quelques jours avec la population.
96
Chapitre 4
Lespace
Lieux, distances et bulles
Avec le rapport de lHomme son espace, nous abordons nouveau, dans ce chapitre, un champ trs tendu, la croise de lanthropologie, de la psychologie, de la sociologie, de larchitecture, de lamnagement du territoire ou encore de la gographie. Cette question est
relativement peu aborde, cependant, dans la littrature concernant le
management interculturel, comme si elle navait que peu dinfluence
sur les relations professionnelles internationales. Or lespace est un
marqueur culturel trs fort, aussi bien didentit que de pouvoir.
Marqueur didentit culturelle tout dabord, dans la mesure o,
constate Henri Raymond, il ny a pas un espace, comme on le croit
gnralement, mais des milliers, autant que de socits humaines, car
il ny a pas eu de socit sans quelle produise, faonne, dlimite son
espace1. Dans son Anthropologie de lespace, Marion Segaud observe
quil existe dailleurs une analogie entre les manires de nommer lespace et les personnes. Elle donne lexemple de la langue japonaise, o
cest la place dans une hirarchie sociale, dans la parentle, dans ou
hors de la maison qui servent pour dsigner un individu2.
Lespace est galement un marqueur de pouvoir, comme en
tmoignent les conflits territoriaux, les dchirements entre
espace-nation et espace-culture, la relgation de minorits dans des
espaces marginaux, etc.
Ces deux caractristiques lidentit et le pouvoir se retrouvent
chacune dans les manires dapprhender la notion despace que nous
aurons traiter tout au long de ce chapitre.
Sil est un phnomne, quasiment universel, qui rvle clairement
ce double enjeu didentit et de pouvoir dans la manire dont lespace est apprhend, cest bien limaginaire de chaque socit sur la
position de sa ville-capitale. Tout au long de lHistoire et dun continent lautre, elles ne sont pas rares ces villes qui se sont reprsentes comme le centre du monde: Cuzco, capitale de lEmpire inca,
signifie nombril; la Mexico prcolombienne (Tenochtitlan), la
Rome antique, ou encore Beijing, capitale de lEmpire du Milieu
se considraient chacune ainsi; les gyptiens continuent dire que
Le Caire est la mre du monde (Oum al dounia); la Mecque, selon
la religion musulmane, est le lieu o Dieu a implant la matire de la
Kaaba au centre du chaos puis organis tout autour le reste de lunivers Autant de villes qui, un moment donn de lHistoire, se pensaient au centre, non seulement de leur empire mais de la plante
entire. On pourrait donner de nombreux autres exemples de ce phnomne, de Manhattan Jrusalem en passant par le Londres du xixe
sicle, la Sville du Sicle dor (le xvie) ou le Paris du xviie
1.Cit dans Marion Segaud, Anthropologie de lespace. Habiter, fonder, distribuer, transformer,
Paris, Armand Colin, 2008.
2.Marion Segaud, Anthropologie de lespace, op.cit.
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http://en.wikipedia.org/wiki/File:1581_Bunting_clover_leaf_map.jpg
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3.Michel Foucher, La Bataille des cartes. Analyse critique des visions du monde, Paris, Franois
Bourin diteur, 2011.
4.Edward T.Hall, La Dimension cache, op.cit.
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lespace
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que ce quelle est cense reprsenter []. Les espaces publics sont
dfinis par la ngative, leur absence se fait relative, en creux des
proprits prives5. Les mots dsignant lespace intime, la distance
entre soi et les autres sont galement trs spcifiques aux diffrentes
reprsentations culturelles de lespace. On le verra par exemple dans
labondance des mots et des concepts de la langue japonaise sur les
espaces internes ou externes, ouverts ou ferms.
104
Le nomade et linsulaire
Le nomade saharien na pour frontires que les limites de sa raison, sa
sagesse et son savoir ancestral. Lhorizon flottant, la mare de dunes, le
sable crissant sous la dent, irritant, insolent, ne sont que le mirage sduisant mais dangereux dune libert absolue. Ici, le dsert rgne en matre [].
Il avance, rsolument, et fragilise chaque jour un peu plus la vie, plus frle
quune feuille dacacia sous une rafale de vent. Le nomade a su sadapter, se
courber plutt devant limmensit austre et fascinante du Sahara. Il connat
les temptes de sable, les oueds en crue et la gographie des toiles. Le
nomade a gard sa fiert mais perdu toute arrogance. Il est humble, patient,
soumis aux cycles de la vie et du temps. []
Linsulaire cariben, lui, na ncessairement pas le mme rapport lespace.
Il sait que son territoire sachve l o leau commence. La mer qui isole et
marque une frontire ferme, non ngociable. Un isolement qui donne lillusion dtre au cur du monde. Dans ces les, lHomme est roi. Il conquiert
les plaines, peuple les mornes et la cte, laissant chaque gnration un
espace vital plus triqu.
Une tudiante de Sciences Po, de retour du Sahel et dHati, 2010
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Distances infranchissables
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Constats sur la mobilit des personnes accueillies dans les centres daccueil, de soins et dorientation (CASO) de Mdecins du Monde:
Les personnes immigres accueillies dans nos centres ont les plus grandes
difficults face au dplacement et la notion de distance. Facilement dsorientes en rgion parisienne, incapables de lire une carte, de demander
leur chemin pour des problmes de langue, incapables de couvrir le cot
des dplacements, frquemment tenailles par la peur dtre arrtes en
route, elles sont perdues ds lors quil faut se dplacer dans des espaces
inconnus. Les femmes roms viennent toujours trois ou quatre, mme pour
la consultation dune seule dentre elles, parce quelles ont peur de se perdre.
Ce qui nous parat dune simplicit lmentaire est trs compliqu en fait,
pour beaucoup de nos patients. Il y a aussi des distances infranchissables.
[] Un garon malien de 16 ans a dbarqu au CASO de Saint-Denis, aprs
avoir tellement us son nergie qualler de Saint-Denis Paris pour la soupe
populaire, ctait au-dessus de ses forces. [] Le rapport la distance est
galement li lide du connu et de linconnu: on a limpression que des
Roms envisagent parfois plus facilement daller se faire soigner en Roumanie, 3000km dici, qu trois stations de mtro en rgion parisienne.
Tmoignages daccueillantes dans les CASO, 2013.
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13.Francine Levy-Ranvoisy, Manuel de dessin pour communiquer avec une population non
alphabtise: la perspective orthogonale, Karthala-ACCT, 1987.
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Heures de marche
En thiopie, lapprciation du proche et du lointain en termes despace
dpend de la valeur que lon affecte au temps, de ltat des routes et des
chemins, de labsence ou non de vhicules, de la disponibilit en nes et en
dromadaires pour porter les charges Tel campement, dans la valle des
Afars, est-il loin du lieu o je pose la question? Non, trois petites heures
de marche: tout prs! Tel march, dans les montagnes du Wolaita est-il
loin du hameau o je me trouve? Pas du tout, puisquil faut moins dune
demi-journe de marche pour latteindre. En labsence de routes et de vhicules, la journe, de toute manire, est consacre cela, au march hebdomadaire, un repre culturel et social qui se joue des distances. Rien de tel
pour un professionnel de la coopration, mon sens, que de se passer de
temps en temps de vhicule pour prendre le temps de marcher avec les paysans, de parcourir les kilomtres dun sentier qui ondule dans la montagne
avec sa file dnes, denfants, de femmes surcharges, pour prendre mieux
la mesure du rapport temps-espace dans un univers dont les temporalits
sont bien diffrentes des siennes.
Un ancien cooprant en thiopie.
Quels sont les espaces que les hommes crent entre eux pour protger leur intimit? Nous ne sommes plus ici dans le registre de lorganisation consciente dun espace physique, mais dans celui, plus psychologique, de ce qui met nos interlocuteurs laise ou mal laise, en
termes de distance, dans leur contact avec nous.
Comme le prcise Verbunt, chaque personne, pour chaque situation de sa vie, se protge de lintrusion des autres par lexistence imaginaire dune bulle autour de son corps. Lentre dun autre dans cette
bulle est ressentie par elle comme un acte agressif. Elle juge lautre
comme envahissant, encombrant, et sefforce, en reculant, de rtablir
la bonne distance avec son interlocuteur. La bonne distance est une
notion lastique. Dans les socits o les contacts physiques entre
personnes sont frquents (habituellement ds la naissance), cette
distance est plus rduite que chez les peuples o lon ne veut surtout
pas gner les autres15.
14.http://nippongo.free.fr/gaudin.html
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Dans La Dimension cache16, EdwardT. Hall a cherch dfinir diffrents types de distances critiques en fonction du type de relations et dinterlocuteurs impliqus. Il distingue quatre catgories
assorties chacune dune version proche et dune autre loigne
(et dun nombre de centimtres ou de mtres que daucuns pourront
trouver un peu trop prcis).
112
17.Corinne Lesnes in Ccile Boutelet et al., Le Tour du monde de la politesse, Paris, Denol/
Le Monde, 2012.
18.Bruno Philip, in Ccile Boutelet et al., Le Tour du monde de la politesse, op.cit.
19.Yves-Frdric Livian et Hana Machkova in E.Davel, J.-P.Dupuis et J.-F.Chanlat (dir.), Gestion
en contexte interculturel, op.cit.
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25.Une srie dexpriences intressantes dans ce domaine sont prsentes dans une tude
prpare pour le Fonds international de dveloppement agricole (FIDA), Cartographie
participative et bonnes pratiques, 2009.
26.Ibid.
trouver des compromis. Ceux-ci sont dautant plus aiss que lon fait
leffort de sinterroger sur les sources profondes des rgles du jeu, et
de sexpliquer sur le sens des codes: fermer la porte de son bureau,
est-ce forcment un signe de dfiance ou de got du secret? Rentrer
dans le bureau dun autre, est-ce ncessairement un signe dindiscrtion ou de curiosit mal place? Un open space ou des cloisons vitres
sont-ils des moyens de surveillance ou une modalit de travail collectif? La coexistence de plusieurs ttes de pont dans des lieux gographiques divers pour une mme multinationale est aussi un facteur
dharmonisation progressive des modes damnagements despaces
de travail. Cest lexprience qua faite EADS Paris pour ses directions de la stratgie et du marketing, Munich pour les directions
des finances et de la communication, Amsterdam, lieu neutre, pour
le sige social.
Chapitre 5
La maladie et la mort
Enjeux symboliques et sociaux
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la maladie et la mort
l'intelligence interculturelle
vivable lide de la mort4. Pour autant, nous verrons dans ce chapitre que la manire de dfinir la mort, la faon dont on en parle, la
relation que lon garde avec lunivers des morts sont loin dtre les
mmes dune culture lautre, et que ceci nest pas sans consquence
sur nos vies sociales et professionnelles.
Contextualiser
Habitus une certaine conception dite biomdicale de la
mdecine et un systme de protection sociale avantageux, nous
avons parfois du mal comprendre quel point, dune part les politiques et les systmes de sant, et dautre part lorganisation des
savoirs en matire de sant peuvent diffrer des ntres.
122
123
la maladie et la mort
l'intelligence interculturelle
124
de ce modle est lide que lon est dautant plus efficace dans la lutte
contre la maladie que lon est capable de lisoler, pour la dissquer
en lments prcis. Le modle biomdical sintresse avant tout aux
anomalies biologiques et laction des agents pathognes, auquel il
entend remdier soit par la chirurgie soit par lusage de mdicaments
essentiellement chimiques. Beaucoup de soignants dans les pays
occidentaux soulignent les limites de ce systme de savoirs et de pratiques: un manque de lien entre le physique et le mental, un fractionnement du corps en plusieurs terrains distincts de pathologies,
etc. Certains dentre eux plaident notamment pour lvolution vers
un modle biopsychosocial intgr, qui tienne compte des liens
entre les aspects biologiques, psychologiques et sociaux de la maladie. Pierre Micheletti, ancien prsident de Mdecins du Monde, pour
sa part, en appelle, de manire radicale une dsoccidentalisation
de laction humanitaire en dnonant linadaptation frquente des
techniques occidentales dans les pays dintervention5.
la mdecine chinoise traditionnelle procde quant elle dun
ensemble de savoirs (dont certains remontent 5000ans) encore
largement mis en pratique en Chine, Singapour ou dans dautres
rgions du monde. Elle prend en compte lensemble des dterminants
anatomiques, physiologiques et psychologiques de la sant de la personne humaine, en attribuant souvent une priorit lexplication
psychique de la maladie. Recourant en permanence un langage symbolique prcis, elle part de notions profondment enracines dans
le confucianisme et le taosme, notamment la bipolarit (le yin et le
yang) et les flux dnergie interne qui traversent le corps de lindividu (notion du qi). Les thrapies de la mdecine chinoise sont
trs diffrentes de celles de la mdecine occidentale: la phytothrapie (plantes mdicinales), lacuponcture, la dittique et les cures
alimentaires, le massage corporel, la gymnastique chinoise (qi gong),
soit un ensemble de disciplines et de traitements dont on voit bien
lambition prventive et le caractre systmique et global.
la mdecine ayurvdique indienne (du sanskrit ayur longvit et veda la connaissance) issue elle aussi dune tradition de plusieurs milliers dannes, est encore enseigne et pratique dans lInde
contemporaine, et dans quelques autres pays. Elle repose, comme la
mdecine chinoise, sur une conception holistique de la sant et sur
le lien entre le physique et le mental, et elle constitue un corpus de
savoirs prventifs et curatifs extrmement organis. partir de diagnostics bass notamment sur la science des humeurs des patients
(le vent, la bile, le phlegme), elle propose des rgimes dittiques et
spirituels en plusieurs tapes: nettoyer lorganisme, introduire la
mditation, tonifier le corps, diminuer le stress.
6.Yannick Jaffr et Jean-Pierre Olivier de Sardan (dir.), La Construction sociale des maladies.
Les entits nosologiques populaires en Afrique de lOuest, Paris, PUF, 1999.
7.Grard Salem, La Sant dans la ville. Gographie dun petit espace dense: Pikine (Sngal),
Paris, Karthala, 1998.
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la maladie et la mort
l'intelligence interculturelle
126
biomdicaux et savoirs populaires. Ce que lon constate dans de nombreux pays ( linstar des pratiques religieuses) est donc une manire
de syncrtisme mdical qui se refuse senfermer dans lune ou
lautre des catgories thrapeutiques: le savoir biomdical ne saurait
calmer la colre des esprits du monde invisible, mais il rend aussi bien
des services que lexprience a constats.
Les quipes soignantes qui interviennent dans les pays du Sud ont
donc toujours lucider la question des itinraires thrapeutiques
de leurs patients. Dans un grand nombre de cas, elles observent que
ceux-ci ne viennent en consultation la clinique ou au dispensaire
quen dernier recours, aprs avoir puis toutes les possibilits des
mdecines traditionnelles (le gurisseur, le fticheur, le tradipraticien, ne laissant parfois que peu de ressources aux familles pour payer
les soins de la mdecine moderne et les mdicaments). La ralit est
souvent celle dun va-et-vient entre les deux types de mdecine, dans
une sorte de processus dessais-erreurs. Les reprsentations de la
maladie, note Magali Bouchon, anthropologue Mdecins du Monde,
sont au plus haut point mallables, immdiatement modifies par les
individus aprs trois jours de traitement inefficace.
8.Magali Bouchon (dir.), Accs aux soins. Les dterminants socioculturels, guide pratique,
Paris, Mdecins du Monde, 2012, www.medecinsdumonde.org/Publications/Guides-a-l-usagedes-professionnels-de-l-humanitaire/Acces-aux-soins-les-determinants-socioculturels
la maladie et la mort
l'intelligence interculturelle
128
Apprhender une maladie consiste avant tout reprer des symptmes et identifier les causes qui sont responsables de ces symptmes, ceci pour dfinir le type de traitement qui permettra de les soigner. Nommer une maladie, estime Jean-Pierre Olivier de Sardan,
cest effectuer un diagnostic lmentaire, identifier un ou plusieurs
dysfonctionnements comme tant lexpression dune cause ou
dune chose connue, cest--dire leur donner une identit11.
Dsigner cette cause de la maladie, cest dune certaine manire, lui
donner un sens. Or chaque mdecine et chaque corpus de savoirs
organiss en matire de sant va avoir tendance construire ses
propres causes, et revendiquer lexclusivit du sens de la maladie. Si la mdecine occidentale tend approcher cette question de
la cause de la maladie partir de ses caractristiques biomdicales (et lexprimer avec le vocabulaire correspondant), dautres
cultures lieront volontiers cette cause des reprsentations et des
rfrences bien diffrentes: le surnaturel, le social, le psychologique
par exemple.
La cause dune maladie ou dun handicap peut dabord tre perue
comme lie un agent surnaturel (gnie, sorcier mangeur dme,
anctres, etc.). Les conceptions traditionnelles des causes de la maladie, dans de nombreuses cultures, sont, nous lavons dit, bases sur
le principe de la double causalit: naturelle-matrielle dune part,
surnaturelle-spirituelle dautre part. Ces explications surnaturelles
de la maladie sont trs frquentes par exemple dans les savoirs populaires dAfrique de lOuest. Le cancer, note Magali Bouchon, est une
maladie qui nest pas dpouille de son caractre diabolique, poussant les malades vers des traitements inefficaces et gnrateurs daggravation svres, parfois irrversibles. Ce caractre diabolique provient dune interprtation traditionnelle: la tumeur cancreuse serait
en fait un sort jet laide dune flche empoisonne. La forme de
boule que prend la tumeur est alors le signe de linstallation du sort12.
Au Liberia, lpilepsie est assimile un phnomne denvotement;
au Tchad, la fistule obsttricale est considre comme le rsultat
dune maldiction divine.
11.Yannick Jaffr et Jean-Pierre Olivier de Sardan (dir.), La Construction sociale des maladies,
op.cit.
12.Magali Bouchon, Les soignants en souffrance: les difficults motionnelles des soignants
en interaction avec la douleur, la maladie et la mort dans un service de pathologies lourdes et
chroniques lhpital national du point G de Bamako (Mali), Face face, regards sur la sant,
n9, 2006.
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l'intelligence interculturelle
130
Dans les cultures traditionnelles, le handicap est souvent attribu des causes surnaturelles qui rendent la mdicalisation sans
objet. Des les du Pacifique lAfrique occidentale et centrale, il peut
tre peru soit comme un chtiment des dieux ou des anctres, soit
comme leffet dun sort jet par des personnes malveillantes. Calmer
la colre divine, chercher rparer la faute, ou identifier le jeteur de
sort est alors plus urgent que de faire intervenir la mdecine, et ceci
est une source de malentendus frquents entre les soignants extrieurs et la population. Cette dimension surnaturelle du handicap
peut galement lui confrer un caractre plus positif: tre handicap
nest pas toujours considr comme un malheur. Plusieurs catgories
de personnes handicapes bnficient en effet dun statut part: au
Sngal, certaines personnes handicapes sont considres comme
des interfaces entre le monde visible et le monde invisible, entre
lhumain et le divin. Dans certaines rgions de Madagascar, explique
Magali Bouchon, les sorciers sont des personnes qui le deviennent
leur insu, suite une maladie provoque par larrive dun anctre
dans lesprit de la personne. Les Inuits, quant eux, rservaient la
vocation chamanique aux personnes atteintes dune infirmit physique, supposes avoir des facults suprieures aux autres. Le terme
mme de handicap est considr souvent une construction occidentale que lon ne retrouve pas partout.
La cause dune maladie ou dun handicap peut aussi tre perue
comme lie un comportement moral ou un drglement social.
La maladie est en effet souvent attribue un dsordre, au nonrespect des normes sociales (adultre, rupture dun interdit, manque
de dfrence lgard des anciens, etc.) La souffrance physique peut
tre alors comprise comme un rappel lordre social. Ainsi par
exemple, en Afrique, rapporte Magali Bouchon, on impute la lpre
une rupture dinterdit, comme linceste. Mais si cest un chef de village qui la contracte, on dira que cest certainement autre chose, peuttre un sort
la maladie et la mort
131
la maladie et la mort
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132
13.Yannick Jaffr et Jean-Pierre Olivier de Sardan (dir.), La Construction sociale des maladies,
op.cit.
14.Magali Bouchon (dir.), Accs aux soins, op.cit.
15.Yannick Jaffr et Jean-Pierre Olivier de Sardan (dir.), La Construction sociale des maladies,
op.cit.
16.Magali Bouchon (dir.), Accs aux soins, op.cit.
133
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Monde rapportent ainsi que des femmes ayant os dnoncer les violences domestiques et sexuelles (punies par la loi) dont elles avaient
t victimes, ont t accuses de trahir la tradition, menaces de
mort, et finalement victimes dostracisme dans le village.
134
Quelle place fait-on aux morts dans les socits? Quel est leur
degr de prsence dans les penses et la vie quotidienne des vivants?
Peuvent-ils tre considrs, ici ou l, comme des interlocuteurs,
ainsi que les nomme Patrick Baudry17, comme des agissants?
Depuis une quarantaine dannes, de nombreux sociologues18 ont
point le caractre de plus en plus embarrassant de la mort pour
les socits occidentales: phnomne de plus en plus technique et
mdicalis qui, selon Baudry, met distance les proches et qui isole
le malade; la simplification des rites funraires (ou leur escamotage), lie la perte de vitesse des valeurs religieuses [] provoque
une tendance labandon des cimetires et loubli du dfunt []:
une socit qui vacue la mort, le mourant et le mort []19. Selon
lui, la plupart des Occidentaux ne disposent que dun discours assez
pauvre sur la mort, et la ralit dune relation aux dfunts semble
effrite [] Nous savons que les gens dcds ne reviendront jamais,
quils nont plus rien nous dire et que nous ne pouvons plus leur
demander affection, protection ou conseil. Notre deuil nest plus
enchant.
Mais nombreux sont les exemples de peuples qui intgrent et
clbrent la mort et lui donnent une place beaucoup plus explicite,
assignant aux morts un rle central dans la construction de la socit
des vivants.
Au Mexique, la mort et les morts sont largement prsents dans
liconographie et lartisanat populaire; le Da de los Muertos
(2novembre) est une fte joyeuse pendant laquelle les familles
vont dcorer les tombes, y apporter de multiples offrandes et parfois
pique-niquer sur place ou avaler des calaveras, ttes de mort en sucre,
objets de plaisanteries.
17.Patrick Baudry, La Place des morts: enjeux et rites, Paris, LHarmattan, 2006.
18.Notamment Louis-Vincent Thomas, Philippe Aris, Edgar Morin ou encore Jean Baudrillard.
19.Patrick Baudry, La Place des morts, op.cit.
20.En Indonsie, deux momies sorties de leur tombe pour tre rhabilles, Le Huffington Post,
3 septembre 2012, www.huffingtonpost.fr/2012/09/03/indonesie-momie-rituel_n_1852153.
html?utm_hp_ref=france
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la maladie et la mort
l'intelligence interculturelle
21.Anicet Kashamura, Famille, sexualit et culture. Essai sur les murs sexuelles et les cultures
des peuples des Grands Lacs africains, Paris, Payot, 1973.
22.Lamine Ndiaye, Mort et altrit, art.cit.
23.Louis-Vincent Thomas, cit par Lamine Ndiaye, Mort et altrit, art.cit.
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137
la maladie et la mort
l'intelligence interculturelle
26.Djnane Kareh Tager, Vivre la Mort. Voyages travers les traditions, ditions Oxus, 2006.
27.Yannick Jaffr et Jean-Pierre Olivier de Sardan (dir.), La Construction sociale des maladies,
op.cit.
139
l'intelligence interculturelle
140
31.Jean-Pierre Boyer et Adalberto Barreto, LIndien qui est en moi. Itinraire dun psychiatre
brsilien, Paris, Descartes et Cie, 1996.
la maladie et la mort
pas une nouveaut, ladaptation des approches mdicales aux pratiques culturelles des patients fait aujourdhui lobjet dune proccupation croissante. Elle concerne par exemple:
laccompagnement de la grossesse, de laccouchement et de la fin
de vie. Accoucher en dehors de son pays et de sa communaut dorigine
est souvent traumatisant pour les femmes issues de limmigration; la
csarienne et lpisiotomie peuvent provoquer des rpudiations dans
certaines cultures africaines; les soins aux nouveau-ns sont rituellement trs diffrents selon les cultures On a vu par ailleurs que
les rites daccompagnement de la mort le sont galement, et que leur
intgration en milieu hospitalier pose souvent problme. Le recours
la mdiation interculturelle est alors ncessaire pour viter de choquer par des pratiques trop peu respectueuses des cultures dorigine.
lhygine et le corps, qui posent notamment le problme du toucher, de la pudeur (minemment culturelle) et du contact entre des
soignants et des patients de sexe diffrent. Beaucoup de soignants
dcident de prendre acte de ces tensions, et recommandent que les
soins se fassent par une personne du mme sexe, sauf en cas durgence mdicale.
Les formations du personnel soignant ne sauraient prtendre
introduire celui-ci une vritable connaissance de toutes les cultures
avec lesquelles ils sont en contact. La solution pratique, observait
le sociologue de la sant Irving Kenneth Zola, nest pas de connatre
en dtail linfinie varit des cultures, mais dtre au courant de cette
varit et de la manire dont elles peuvent affecter les pratiques de
sant de rendre les praticiens sensibles lhritage culturel des
patients, leur propre hritage, et ce quil devient lorsque ces diffrents hritages se rencontrent32. Cest pourquoi les formateurs
insistent aujourdhui sur plusieurs conditions susceptibles daplanir
les problmes et dviter les malentendus:
le dialogue et la communication avec les patients pour distinguer, dans leurs pratiques, le fondamental de laccessoire, les principes respecter et les pratiques qui peuvent tre vites ou amnages sans choquer.
ladaptation du langage et des mtaphores la sensibilit du
public multiculturel lors des runions de formation (sur des thmes
comme la prvention des maladies sexuellement transmissibles ou
sur la protection maternelle et infantile). Plus largement, la langue
est un facteur essentiel dans les situations de crise. Les quipes des
CASO de Mdecins du Monde tmoignent de limportance cruciale
des interprtes non seulement pour aider les soignants comprendre
32.Irving Kenneth Zola, cit dans Yannick Jaffr et Jean-Pierre Olivier de Sardan (dir.), La
Construction sociale des maladies, op.cit.
141
l'intelligence interculturelle
Il est rare que les institutions sanitaires travaillent dans des conditions faciles. Que ce soit en Afghanistan, en Afrique, en Amrique
andine, elles sont parfois trs mal vues, considres comme porteuses de prconisations et de pratiques portant atteinte aux valeurs
culturelles et sociales des populations auprs desquelles elles interviennent: planning familial, espacement des naissances, diffusion de
prservatifs, prsence auprs des groupes de prostitus et de drogus,
protocoles densevelissement des morts lors des crises de cholra,
etc. La lgitimit des soignants venant de lextrieur, ou de ceux qui
ont t forms par lextrieur, est souvent mise mal au motif quils
encouragent la prostitution et le viol, et mettent en question les
manires de faire des communauts. Les agents de sant locaux, qui
font partie des quipes soignantes pluriculturelles, sont donc souvent pris entre deux feux: marqus par leur sensibilit religieuse et
leur culture familiale, ils peuvent opposer une inertie aux politiques
mettre en uvre pour lesquelles ils sont rmunrs; linverse sils
jouent le jeu de lquipe, ils peuvent tre perus comme tratres aux
valeurs de leur propre socit. On voit bien alors que pour les ONG et
les institutions sanitaires, la ngociation est oprer non seulement
dans les populations mais aussi au sein des quipes dintervention.
33.Anne Margot-Duclot et Serge Bouznah, Regards croiss sur la douleur: impact dune
intervention de mdiation interculturelle dans une consultation spcialis dans le traitement de
la douleur chronique, Journes dtude APF Formation Unesco 21, 22 et 23 janvier 2004,
apfformation.blogs.apf.asso.fr/media/00/02/526706040.pdf
la maladie et la mort
Les missions de Mdecins du Monde exprimentent depuis plusieurs annes des dmarches de ce quelles appellent ngociation
socioculturelle, processus permettant chaque acteur de rentrer en
interaction avec les autres afin de sadapter son milieu et de tenir
compte de ses contraintes. Ce type de ngociation suppose la fois
la prise en compte de la culture de lautre et le respect dune thique
(choix dun comportement dans le respect de la dignit de soi-mme
et dautrui). Ces expriences sont engages pour tenter de rsoudre
les problmes qui se posent dans diffrents domainesdont nous prendrons ici deux exemples:
premier exemple avec les programmes de rductions des risques.
De nombreuses controverses ont lieu actuellement en Europe et dans
le reste du monde sur les mthodes de lutte contre le VIH/sida et les
maladies sexuellement transmissibles dans les groupes jugs les plus
vulnrables, notamment dans les milieux de la prostitution et chez
les usagers de drogues. Lapproche dite de rduction des risques
consiste prfrer la responsabilisation et lchange de savoirs limposition de normes de prvention souvent mal adaptes aux publics
concerns. Cette approche implique de vaincre des rsistances innombrables, mettant en avant le risque dencourager des conduites rprhensibles ou illgales: prostitution, actes sexuels chez les mineurs,
drogue. En Tanzanie, tmoigne un membre de MdM, les acteurs de
la lutte contre le VIH runis par le ministre de la Sant ont tout fait
pour nous convaincre de distribuer des kits de sensibilisation contre
lusage des drogues, au lieu du kit de sensibilisation lchange des
seringues prvu dans le cadre du projet rduction des risques34. La
ngociation consiste alors jouer sur les alliances possibles avec certains leaders religieux, avec les ONG locales, les autorits publiques,
etc. La ngociation passe enfin et peut-tre surtout par la mdiation danciens bnficiaires des projets de rduction des risques(les
ducateurs pairs).
deuxime exemple avec la lutte contre les mutilations gnitales
fminines, qui constituent une violation grave des droits humains, et
dont la pnalisation est incorpore dans de nombreuses lgislations
nationales. Le phnomne est profondment ancr dans de nombreuses cultures (et pas seulement dans les pays du Sud: on estime
30000 le nombre de femmes excises en France), et constitue un
dfi difficile pour les intervenants extrieurs. Au problme de droits
humains que reprsente lablation des organes gnitaux dune femme
sajoute de plus un problme purement sanitaire: lablation est parfois effectue, dans les pays les plus pauvres, avec des lames de rasoir
143
la maladie et la mort
l'intelligence interculturelle
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l'intelligence interculturelle
Deuxime partie
IDENTITS
ET STATUTS
1.Notion mise en avant notamment par Paul Ricur, Soi-mme comme un autre, Paris, Seuil,
1990.
2.Suivant lexpression de Gilles Verbunt dans La Socit interculturelle, op.cit.
3.Article dans le Dictionnaire de sociologie, Armand Colin, 1991.
151
l'intelligence interculturelle
Chapitre 6
Lindividuel
et le collectif
Je, nous, ils
157
l'intelligence interculturelle
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lindividuel et le collectif
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lindividuel et le collectif
l'intelligence interculturelle
sur leur emploi idal et les objectifs professionnels les plus importants leurs yeux. Ainsi, les employs les plus ports sur lindividuel
(que lon trouve dans les filiales des pays anglo-saxons ou dEurope du
Nord) souhaitent avoir du temps pour eux, une forte marge de libert
dans leur travail, des dfis individuels relever. Les employs les plus
ports sur le collectif (dans les filiales africaines, asiatiques ou latino-amricaines) insistent quant eux sur la reconnaissance de leurs
talents par lorganisation dans laquelle ils travaillent.
160
tats-Unis 91
Australie 90
Grande-Bretagne 89
Canada 80
France 71
Allemagne 67
Afrique du Sud 65
Russie 39
Brsil 38
Chine 20
Afrique de lOuest 20
Indonsie 14
Colombie 13
Guatemala 6
13.Etsuo Yoneyama, in E. Davel, J.-P. Dupuis et J.-F. Chanlat (dir.), Gestion en contexte
interculturel, op.cit.
14.Bernard Fernandez et Zheng Lihua, in E.Davel, J.-P.Dupuis et J.-F.Chanlat (dir.), Gestion en
contexte interculturel, op.cit.
161
l'intelligence interculturelle
Une traduction concrte de lorientation individuelle ou collective des socits se retrouve dans la diversit des modles familiaux
et des rapports la communaut. Nous proposons quatre indices pour
aborder cette question:
le premier est celui de la taille de la famille dans les diffrentes
socits (famille nuclaire rduite aux parents et aux enfants versus famille largie aux grands-parents, oncles, tantes, cousins, etc.).
Les pays occidentaux ont, de fait, tendance se retrouver davantage
sur un modle de famille nuclaire, contrairement notamment au
modle familial africain ou asiatique. Un repre non dnu dintrt
pour lobserver est limportance du nombre de maisons de retraite
dans un pays donn.
lindividuel et le collectif
163
lindividuel et le collectif
l'intelligence interculturelle
164
Tmoignages dtudiants tunisiens et franais, cole des ponts et chausses, 2013 et Sciences
Po, 2009.
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l'intelligence interculturelle
166
la personne nose pas scarter, et qui prdomine sur lidentit individuelle? Lindividu est-il sous lemprise dune communaut, estime-til ltre, lassume-t-il? Ou bien, au contraire, cette rfrence dcoulet-elle dun engagement volontaire dans le collectif,dun choix libre
de se rapprocher de lui? Contribue-t-il constituer sa communaut,
la faire voluer?
dans quelle mesure les diffrentes communauts de rfrence dun individu se superposent-elles ou, au contraire, se contredisent-elles? La plus ou moins grande cohrence entre les diffrentes
communauts de rfrence dun individu a tendance, en ralit,
donner un premier indicateur de son niveau douverture la diffrence et laltrit. Comme lont montr les auteurs dun ouvrage
coordonn par Bruno Ollivier20, la conscience forte qua un individu
dtre membre dune communaut et de dfinir ses actions en fonction de cette dernire peut tre accompagne dune ide doppositionet dexclusion vis--vis de la catgorie des non-membres.
Notons que par leur mode de vie, par choix ou par raction, les
individus oprent souvent leur propre combinatoire entre des rfrences identitaires et communautaires diverses et changeantes. Il
est intressant par exemple de voir comment, dans les territoires
de diversit en France nous lavons observ en Seine-Saint-Denis
beaucoup de jeunes ont chez eux, lintrieur de leur famille, une
attitude de soumission la tradition de leurs parents et de la terre
dorigine de leur famille (langage, observance religieuse, tenue, rapport aux anciens), mais changent compltement dattitude lorsquils
sont immergs dans un milieu professionnel ou mme dans leur cit.
20.Bruno Ollivier (dir.), Les Identits collectives lheure de la mondialisation, coll. Les
essentiels dHerms, CNRS ditions, 2009.
167
lindividuel et le collectif
l'intelligence interculturelle
168
gouvernance de chaque pays. Le cas de lAfrique de lOuest est intressant en ce sens. La citoyennet individuelle et la voix individuelle
et autonome du citoyen comme fondement de la prise de dcision
publique peuvent avoir peu de sens dans une rgion o le groupe,
la communaut villageoise et lethnie figurent parmi les fondements majeurs de la socit, comme nous le signale lancien ministre
malien Ousmane Sy22. Selon lui, sil demeure un outil indispensable
de la construction dmocratique, le vote, avec son corollaire un
homme, une voix, reste aussi avant tout centr sur lindividu et peut
de ce fait rencontrer des difficults par rapport la tradition africaine
du consensus et son orientation forte vers le collectif.
Pour autant, dire que lapproche occidentale des lections se
rvle difficile mettre en place dans des socits africaines, andines
ou centre-asiatiques, ne veut pas dire que ces socits sont antidmocratiques. Amartya Sen, rflchissant dans La Dmocratie des autres
aux racines non occidentales de la dmocratie23, met ainsi en lumire
lexistence dune forme de dmocratie dlibrative hors de lOccident, illustre par la tradition de la palabre et de la culture politique
quelle incarne. Cest ce que nous raconte aussi sa manire Nelson
Mandela, dans son autobiographie, lorsquil tmoigne en quoi sa
conception du leadership fut influence par le droulement des runions tribales auxquelles il avait pu assister dans sa jeunesse au sein
de la socit thembu: Tous ceux qui voulaient parler le faisaient.
Ctait la dmocratie sous sa forme la plus pure. Il pouvait y avoir des
diffrences hirarchiques entre ceux qui parlaient, mais chacun tait
cout, chef et sujet, guerrier et sorcier, boutiquier et agriculteur,
propritaire et ouvrier. Les gens parlaient sans tre interrompus et
les runions duraient des heures [] jusqu ce quon soit arriv une
sorte de consensus. Elles ne pouvaient se terminer quavec lunanimit ou pas du tout. [] La rgle de majorit tait une notion trangre.
Une minorit ne devait pas tre crase par une majorit24.
La question qui se pose, bien sr, est la transposition possible de
ce type de culture dmocratique de la dlibration et du consensus en
dehors du niveau local dans lequel chacun se connat et se reconnat.
22.Auteur du livre Reconstruire lAfrique. Vers une nouvelle gouvernance fonde sur les
dynamiques locales, Paris, ditions Charles Lopold Mayer, 2009.
23.Amartya Sen, La Dmocratie des autres, Paris, ditions Payot et Rivages, 2005.
24.Nelson Mandela, Un long chemin vers la libert, Paris, Fayard, 1995.
individuelles et celle de les rcompenser ou de les sanctionner individuellement. valuations et rcompenses individuelles sont largement prsentes dans les pratiques managriales dune diversit de
pays occidentaux, notamment anglo-saxons, mais se heurtent ailleurs
bien des incomprhensions.
Lvaluation individuelle implique en effet que chaque tche
puisse tre prise isolment, et que laction de chacun puisse se distinguer du reste du groupe. Elle implique galement une mise en avant
de laction individuelle par rapport au groupe. Cest cette mise en
avant individuelle qui peut tre mise en cause et mal considre dans
des cultures dorientation plus collective.
linverse, face lide de sanction individuelle en cas de faute,
soppose lide dune prise en charge par le groupe de lerreur de lindividu sans sanctions spcifiques autres que la honte individuelle
de la personne vis--vis du groupe qui la protge. Orientation individuelle ou collective qui change ainsi largement la manire dont la
personne va grer une erreur, une transgression, ou une mauvaise
performance: dans une culture plus individualiste, la personne
sera avant tout marque par une culpabilit personnelle et une perte
de respect de soi-mme; dans une socit plus attache au collectif, le
sentiment dominant serait davantage la honte vis--vis du groupe. La
faute devient alors plus extrieure soi, et elle est comprise avant
tout dans le rapport aux autres.
169
lindividuel et le collectif
l'intelligence interculturelle
170
Lorsque nous avons dcid, avec les centres .Leclerc, dinvestir le march asiatique la recherche de nouveaux fournisseurs [], la principale
difficult [lors des ngociations] a t de comprendre qui tait en face de
nous, le rle et la fonction de nos interlocuteurs. Ceux-ci changeaient assez
souvent, coutaient beaucoup mais parlaient peu. Ils avaient tous des titres
importants, si bien quil tait difficile de connatre rellement leurs liens hirarchiques et leur influence exacte dans lorganisation. On avait nanmoins
limpression que le nombre lev des personnes autour de nous ntait pas
le fruit du hasard, quils communiquaient entre eux, attendaient un signal de
lun ou de lautre. [] Du coup il ntait pas toujours vident de se concentrer, dessayer de savoir qui rellement convaincre, qui tait le vritable dcideur. [] On se rendit compte que le temps ne jouait pas de la mme faon
pour eux et pour nous. Nous tions venus pour contracter, et si possible au
moindre cot et dans des dlais raisonnables. Ils trouvaient normal quon
fasse diffrents allers-retours, avant de cooprer rellement. [] titre de
comparaison, les ngociations que nous avons menes avec ces fabricants
nous ont pris en moyenne deux trois fois plus de temps que celles pratiques avec des partenaires europens
Un cadre impliqu dans les ngociations entre les centres Leclerc et des partenaires chinois.
Extrait dOlivier Meier, Management interculturel. Stratgie, organisation, performance, Paris,
Dunod, 2010.
171
l'intelligence interculturelle
Chapitre 7
Ltrange tranger
Le rapport la diffrence
1.Dominique Wolton, McLuhan ne rpond plus. Communiquer cest cohabiter, Paris, ditions de
lAube, 2009.
2.ric Dupin, LHystrie identitaire, Paris, Le Cherche Midi, 2004.
177
ltrange tranger
l'intelligence interculturelle
Contextualiser
Question 61. Quelles formes et quelle visibilit
du sentiment raciste peut-on rencontrer dans nos
socits respectives?
178
Le racisme la fois comme idologie et posture, sentiment xnophobe ou rpugnance admettre la diversit au sein de son propre
espace territorial est un phnomne assez universel, li trois tendances communes chaque tre humain:la peur, le besoin de catgorisation des autres (les caractristiques physiques apparaissant
comme un outil de catgorisation des plus visibles) et le besoin destime de soi: selon Henri Tajfel3, se dmarquer dun autre groupe et le
discrditer est bien une manire de sautovaloriser.
Cependant, le racisme connat aujourdhui des mutations significatives, qui peuvent diffrer dun pays lautre. Ainsi Michel
Wieviorka met-il en vidence plusieurs formes de racisme que nous
pouvons rencontrer ltranger chez nos interlocuteurs ou au sein
mme de nos socits:
une forme de racisme construite sur un discours affirmant les
ingalits biologiques (postulat de lexistence de races humaines et
du fait que certaines dentre elles seraient intrinsquement suprieures dautres);
des formes plus latentes de racisme telles que le racisme culturel, appel souvent no-racisme ou ethno-diffrencialisme.
Ce type de racisme met en avant la ncessit de ne pas mlanger les
cultures, de protger leur cloisonnement. Il ne faut donc quun pas de
ct pour assumer la supriorit de certaines cultures. Ce racisme
sans races se focalise sur les diffrences culturelles et non sur lhrdit biologique; cest ainsi la notion dimmigr qui se substitue
souvent celle de race. Michel Wieviorka nous donne lexemple du
discours no-raciste luvre dans les tats-Unis des annes1980,
prsentant les Noirs amricains comme incapables de sadapter aux
valeurs de la socit amricaine du fait de leur diffrence culturelle,
qui serait irrductible4. Ce type de racisme na donc plus recours
des arguments biologiques, mais sancre dans des reprsentations
purement culturelles.
Plutt que de racisme, il est en ralit souvent question de formes
de fermeture de lidentit nationale. Au Japon par exemple, le phnomne le plus frquent pour un tranger sera non pas le manque
3.Henri Tajfel, Classification and quantitative judgement, British Journal of Psychology, n53,
1963.
4.Michel Wieviorka, La Diffrence, op.cit.
de respect ou la mise en cause de sa race, mais avant tout limpossibilit dintgrer ou mme dapprocher lidentit collective japonaise.
Notons que dans ce pays certains bars, crmonies, lieux particuliers
sont interdits aux trangers.
179
ltrange tranger
l'intelligence interculturelle
180
Islam sunnite
Islam chiite
Iran
glise luthrienne
Danemark, Finlande
Islande
glise anglicane
Angleterre
glise presbytrienne
cosse
glise orthodoxe
Grce
glise catholique
Bouddhisme
Bhoutan, Thalande
Cambodge
Hindouisme
Lacit, lacits
Sparation glises/
tat
France
1946
Turquie
1937
Inde
1950
Le mot lacit est loin dexister dans toutes les langues. Plusieurs dentre
elles le traduisent par scularisme, ce que prcisment la lacit nest
pas: secularism en anglais, Skularismus en allemand, en russe,
szekularizmus en hongrois Ces traductions trahissent en effet la confusion
frquente entre lacit (un cadre juridique permettant chacun de croire ou
de ne pas croire, interdisant quune religion domine les autres, et garantissant la libert du culte, et donc par nature respectueuse du fait religieux*)
et scularisation, qui, dans la langue franaise, suppose la disparition du religieux de lespace public.
linverse, lexemple des tats-Unis montre quel point les frontires
sont mouvantes dans ce domaine: il sagit dun pays vivant officiellement
sous le rgime de la lacit depuis 1791, mais il sagit dune forme de lacit fonde sur la Bible, suivant lexpression de Pierre-Antoine Bernheim:
les prsidents prtent serment sur la Bible, In God We Trust est inscrit
sur les billets de banque, et le religieux prdomine dans la reprsentation
du pouvoir au plus haut niveau. Une enqute dopinion** rvlait au dbut
des annes2000 que dans une lection prsidentielle seulement 49% des
Amricains seraient prts voter pour un candidat athe contre 59% pour
un candidat homosexuel et 90% pour un juif ou un Afro-Amricain
* Voir ce sujet Jean Baubrot, La Lacit falsifie, Paris, La Dcouverte, 2012.
Mexique
1873
Bolivie
2009
Australie
1901
Isral
1948
Japon
1946
** www.ppkaltenbach.org/news/la-separation-etat-eglises-aux-usa
181
ltrange tranger
l'intelligence interculturelle
182
Jan Berting6 fait le lien entre la nature des sentiments dappartenance et louverture la diffrence:
dans les socits o dominent, selon lui, des identits collectives faibles et ouvertes, les individus ont bien conscience des diffrences entre leur communaut et les autres, mais sans que ces diffrences (relles ou imaginaires) aient un poids dominant dans leurs
rapports avec les autres;
dans les socits o dominent des identits collectives fortes
et fermes, les individus ont tendance estimer que leur communaut entoure et domine (crase, mme) toutes les autres diffrences:
Plus lidentit est forte [], plus elle est ferme aux autres valeurs,
au relativisme et au pluralisme des modes de vie, plus elle est ethnocentrique et charge de prjugs concernant lAutre. Ce dernier type
de comportement renvoie, son extrme, au caractre excluant du
fondamentalisme contemporain, refuge dune identit forte et ferme dans laquelle le monde extrieur est diabolis et indiqu comme
la source de toutes les corruptions et de tous les complots.
Ce lien entre niveau dappartenance et niveau douverture lautre
trouve une illustration intressante dans lunivers japonais7. Le Japon
distingue nettement les types de relations entre celles qui relvent
de lintrieur ou de lextrieur, du dedans ou du dehors,
notions dterminantes dans la conception japonaise de lidentit8.
Ainsi plusieurs espaces de relations sembotent-ils comme des poupes russes: lespace de lindividu, puis celui de la famille, puis celui
de lintrieur (Uchi), et de lextrieur (Soto), et enfin le domaine de
lAutre (Tanin):
6.Jan Berting, Identits collectives et images de lAutre: les piges de la pense collectiviste,
in Bruno Ollivier (dir.), Les Identits collectives, op.cit.
7.Voir Jean Bel, LEspace dans la socit urbaine japonaise, Publications orientalistes de France,
1980, cit par T. Paquot, LEspace public, op.cit.
8.Andrew A. Adams, Kiyoshi Murata, et Yohko Orito, The Japanese sense of information
privacy, Journal AI & Society, vol.24, n9, octobre 2009.
183
ltrange tranger
l'intelligence interculturelle
184
14.Voir ce sujet Bill Cope et Mary Kalantzis, Productive Diversity. A New Australian Model for
Work and Management, Sydney, Pluto Press, 1997.
15.E.Davel, J.-P.Dupuis et J.-F.Chanlat (dir.), Gestion en contexte interculturel, op.cit.
16.Etsuo Yoneyama, in E. Davel, J.-P. Dupuis et J.-F. Chanlat (dir.), Gestion en contexte
interculturel, op.cit.
185
ltrange tranger
l'intelligence interculturelle
186
Enfin, limportance historique des changes culturels (ou linverse du protectionnisme culturel) du pays vers lextrieur est galement prendre en compte pour apprhender le degr douverture la
diversit. Un exemple de questionnement est rvlateur: partir de
quelle poque ont commenc les flux de traduction duvres trangres? Cette question du flux des traductions est particulirement
illustrative de limpact historique des rapports de force internationaux: une cinquantaine de langues seulement (sur plusieurs milliers
dans le monde) font lobjet de traductions; et comme on ne le sait pas
toujours, le dsquilibre est abyssal entre la proportion considrable
de livres traduits de langlais vers dautres langues comme le franais,
lespagnol, lallemand ou le tchque et celle, tonnamment rduite,
de livres traduits vers langlais.
Ces diffrentes sources historiques vont largement contribuer
dterminer dans quelle mesure le pays aura tendance rejeter, intgrer ou assimiler ltranger; cest--dire dterminer les rflexes de
gestion de la diversit. Ainsi selon Thierry Verhelst, dans nombre de
socits traditionnelles, on ne peut durablement rester tranger; ces
socits se mfient de ce qui est diffrent parce que la diffrence est
vcue comme un obstacle la scurit et lharmonie. [Or] le besoin
dharmonie peut conduire une tendance fusionnelle rgressive et
devenir touffant17, notamment lorsquelle gnre la peur. Comme
lexplique Henry Panthuis18 propos du gnocide au Rwanda en 1994,
on a pu assister une projection phobique, crainte panique, obsession schizophrnique dtre pollus, domins par des envahisseurs
trangers ou supposs tels..
Dans la plupart des pays occidentaux, les comportements discriminatoires lis lorigine ethnique des personnes sont punis par la
loi de manire plus ou moins lourde, mais avec des politiques trs
diffrentes dans leur mise en uvre. Comme lobserve Michel
Wieviorka19, tous les pays dmocratiques disposent dun arsenal
permettant un traitement lgislatif, rglementaire et judiciaire du
racisme []. Au-del, laction des pouvoirs publics passe par dventuels (efforts) pour prendre le problme bras-le-corps et en rduire
limpact et la progression, ou bien en jouant sur ses sources, ou bien
en en corrigeant les effets de faon volontariste. Wieviorka observe
que ces politiques diffrent considrablement dun pays lautre. Il
oppose en particulier le modle franais dintgration, hostile la
reconnaissance, dans lespace public, des diffrences culturelles, ethniques ou raciales au systme amricain, quil estime plus ouvert
aux diffrences culturelles et qui met en place des equal opportunity
policies (politiques dgalits des chances) et des mesures daffirmative action (discrimination positive).
La discrimination positive est une politique de traitement diffrenci et prfrentiel destin corriger les ingalits et les discriminations frappant des groupes minoritaires ou brims de la socit, en leur rservant par exemple des places dans les institutions
publiques, dans les instances politiques, dans les mdias, dans les
logements, etc. La gense de cette notion et de cette pratique peut
tre recherche notamment dans les tats-Unis des annes1960 travers la promulgation des lois en faveur de lgalit raciale. Il sagissait
alors damliorer la reprsentation des Hispaniques, des Indiens, et
surtout des Noirs amricains dans les postes de responsabilit, dans
les universits, dans les mdias Lide de discrimination positive est
galement ne en Inde, avec la Constitution de 1949 qui institue le
systme des emplois rservs (reservations), quotas de postes en
faveur de la caste des intouchables (dalits), des autres castes arrires (other backwards castes) et des populations autochtones
qui chappent au systme des castes (scheduled tribes). En Afrique
du Sud, aussitt aboli lapartheid, une politique dembauche quitable a t mise en place, principalement en faveur des Noirs. Au
Brsil enfin, des quotas raciaux ont t ouverts depuis 2002 dans
certaines universits, et o lide a fait son chemin dans dautres secteurs pour rparer les discriminations sociales dont les Noirs brsiliens font lobjet. Ce nest que tout rcemment que la Cour suprme
brsilienne et le Snat ont donn leur accord cette politique.
noter que ces politiques ne font pas lunanimit; certains y
voient la seule manire den finir avec lingalit qui frappe les minorits marginalises. Dautres au contraire leur reprochent de stigmatiser, de fait, certaines populations en leur accordant des droits spciaux et en les donnant voir davantage encore.
Dans cet esprit de vives polmiques ont cours galement au sujet
des statistiques ethniques qui sont dores et dj pratiques en
Grande-Bretagne, aux tats-Unis, au Brsil, aux Pays-Bas Beaucoup
souhaiteraient les voir mises en place en France pour lutter contre
les ingalits et mieux grer la diversit. Dautres, craignant ici
encore un renforcement des stigmatisations, estiment que cette
pratique se heurte dinnombrables problmes philosophiques et
187
ltrange tranger
l'intelligence interculturelle
188
Comment, dans lespace public et professionnel, dans la coopration internationale, dans la sphre confessionnelle elle-mme, gre-ton la revendication et les diffrences religieuses?
189
ltrange tranger
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190
La prise en compte du facteur religieux par les organisations de solidarit internationales et leur adaptation
des contextes religieux particuliers
La prise en compte du facteur religieux par les ONG, quelles
soient ou non confessionnelles, et par les organisations de coopration internationale est juge de plus en plus comme une attitude
raliste et ncessaire. Comme on le note au sein de la coopration
suisse (DDC), carter la religion et la spiritualit du discours et
de la pratique de la coopration cause de leur dangereux potentiel
dinstrumentalisation relverait dun malentendu fatal. [] Ce serait
nourrir le fondamentalisme que de conclure [] quil faudrait bannir
21.Le sociologue Thomas Meyer cit dans Anne-Marie Holenstein, Rle et signification de la
religion et de la spiritualit dans la coopration au dveloppement, Berne, DDC, 2002.
22.Jean-Pierre Boyer et Adalberto Barreto, LIndien qui est en moi, op.cit.
23.IIRO: International Islamic Relief Organization.
191
ltrange tranger
l'intelligence interculturelle
192
24.Philippe Pierre, Mobilit internationale et identits des cadres. Des usages de lethnicit dans
lentreprise mondialise, ditions Sides, 2003.
193
l'intelligence interculturelle
Chapitre 8
Les barreaux
de lchelle
Statuts sociaux, prestige social
199
l'intelligence interculturelle
200
Le premier enjeu permettant de comprendre limportance accorde la stratification sociale dans une socit donne est la perception que lon peut avoir de lgalit entre les statuts. Dans son Homo
hierarchicus1, Louis Dumont oppose la vision dun monde holiste,
caractristique des socits hirarchises, dans lesquelles lindividu
est absorb dans le groupe; et la vision du monde galitaire et individualiste commune aux socits occidentales notamment.
Ainsi la devise franaise Libert, galit, fraternit est-elle souvent
un motif de perplexit dans dautres cultures, particulirement en
Asie.
En Chine, lgalit est souvent considre comme un concept
import, ignor dans une tradition qui nous lavons dj dit, a toujours
t construite sur la base de rgles hirarchiques. Bernard Fernandez
et Zheng Lihua2 estiment que dans la culture de ce pays, la relation
autrui prend la forme dune hirarchie qui impose une ingalit de
fait au profit dun ordre social suprieur pour le bien de tous, et
insistent sur limportance de la notion de guanxi qui claire le sens
donn par les Chinois aux relations sociales. La guanxi (guan fermeture ou porte ferme et xi rseau) part du systme de parent,
fondement de la socit chinoise. Elle reprsente une extension de
la cellule familiale, premier cercle lintrieur duquel se cristallisent
les cinq relations [voques en dtail dans les pages suivantes], acceptant une ingalit naturelle au sens taoste et confucen.
Mme le marxisme, dont on pourrait penser quil a imprgn
la culture chinoise de davantage dgalitarisme, na pas modifi
les reprsentations hirarchiques de la socit. Il suffit pour sen
convaincre de retourner liconographie de la rvolution culturelle,
1.Louis Dumont, Homo hierarchicus. Essai sur le systme des castes, Paris, Gallimard, 1966.
2.Bernard Fernandez et Zheng Lihua, in E.Davel, J.-P.Dupuis et J.-F.Chanlat (dir.), Gestion en
contexte interculturel, op.cit.
201
l'intelligence interculturelle
par lquilibre entre les bonnes et les mauvaises actions faites dans
ses vies antrieures5.
202
Officiellement, le systme des castes a t aboli dans la constitution indienne de 1950 au profit dun systme de discrimination positive. Ces rgles de discrimination positive rservent aux intouchables
un quota non ngligeable de places disponibles dans les grandes
institutions et dans ladministration indienne, et corrigent, de fait,
une partie de cette ingalit culturelle. Elles permettent notamment douvrir aux basses castes les portes des grands tablissements
indiens de management ou de technologie ( lissue desquels 90%
des diplms sinstallent aux tats-Unis ou en Europe). De justes
ingalits viennent alors combler celles qui sont intrinsques la
socit indienne. Mais cette structuration hirarchique des castes
demeure largement prgnante dans la vie sociale et professionnelle,
notamment sur les lieux de travail.
Ne vous tonnez pas que dans le sud de lInde, un catholique aille vrifier
la caste dun prtre avant daccepter de se confesser lui.
Tmoignage recueilli en 2004 dun catholique du Karnataka.
203
l'intelligence interculturelle
204
205
l'intelligence interculturelle
206
Andr Laurent, interview par Alejandro Abbud Torrs-Torija et Stephane Laurent dans le cadre
du sminaire interculturel de Sciences Po, 2007.
12.Evalde Mutabazi, in E. Davel, J.-P. Dupuis et J.-F. Chanlat (dir.), Gestion en contexte
interculturel, op.cit.
13.Claudine Attias-Donfut, Sociologie des gnrations. Lempreinte du temps, Paris, PUF, 1988.
207
l'intelligence interculturelle
208
Vertu
correspondante
Prince/sujet
Jun/chen
La fidlit
Pre/fils
Fu/zi
La pit filiale
Mari/pouse
Fu/fu
Le sens de la
convenance
Frre an/
frre cadet
Xiong/di
Le sentiment
fraternel
Ami/ami
Peng/you
La confiance et la
loyaut
Type de rapport
Sur le registre intergnrationnel, deux de ces rapports cristallisent la soumission des plus jeunes aux plus vieux: du fils au pre,
bien sr (avec la force de la valeur pit filiale), mais aussi du
cadet lan. Au reste, un Chinois ne vous prsentera jamais son
frre ou sa sur, mais son grand frre ou sa petite sur,
les mots en chinois ntant pas les mmes selon que le collatral est
plus ou moins g.
Ce respect de lge est dterminant au Japon ou en Core, et il a
des consquences directes sur les rgles de mobilit en entreprise,
pouvant fonctionner comme une forme dautocensure individuelle:
il est frquent, par exemple, quun jeune Japonais refuse un poste
de responsabilit au motif quil est trop jeune et quune promotion
trop rapide quivaudrait une insulte sa culture, ses parents, ses
anctres.
Le Keigo japonais
Les Japonais pensent toujours leur position dans le groupe dont ils font
partie, et ils sefforcent dy cultiver lharmonie. Le Keigo, un langage destin aux personnes ges, en est un bon exemple. Les Japonais pensent
systmatiquement lge de la personne avec laquelle ils parlent, et ils
changent de type de langage selon son ge, car la relation entre eux nest
pas une relation entre individus gaux.
Un lve-ingnieur japonais, Ponts-PariTech, 2012.
14.Christine Geoffroy, La Msentente cordiale. Voyage au cur de lespace interculturel francoanglais, Paris, Grasset, 2001.
209
l'intelligence interculturelle
210
211
l'intelligence interculturelle
Chapitre 9
Le masculin
et le fminin
Genre et distinction des rles
Contextualiser
Question 73. Genre et diffrenciations sexuelles: quel
sens et quelle influence ont les mots dans ce domaine?
Lintroduction en France du concept de genre, traduction
imparfaite du gender anglais, est relativement rcente, et ne fait pas
que rejoindre une mode anglo-saxonne. Elle porte en elle une manire
diffrente de parler et de traiter des questions de diffrenciation
sexuelle. Parler de sexe ou parler de genre renvoie en effet
des perceptions trs diffrentes de ce qui caractrise le masculin et le
fminin, et des comprhensions distinctes de la place de la culture
et de la nature dans la dtermination des identits sexuelles.
Lapproche en termes de genre plutt que de sexe vise en
particulier dplacer le dbat sur les rapports homme/femme du biologique vers le culturel. Elle tend analyser les rles et les statuts des
sexes partir des logiques sociales et culturelles qui les sous-tendent.
Cette approche nest pas neutre: elle part du postulat que les rles
sexuels sont avant tout le reflet de reprsentations culturelles et non
celui des comptences relles des hommes et des femmes. Elle affirme
aussi que la connotation attache un rle et donc un statut peut
voluer car elle nobit qu une seule logique, celle du systme
social dans lequel elle est dfinie1. Le genre peut donc se dfinir
comme le sexe social, et il permet dinterroger les reprsentations
217
l'intelligence interculturelle
218
2.Li Xiao-Jiang et al., Masculin-Fminin, coll. Les mots du monde, Paris, La Dcouverte, 2004.
3.Ibid.
4.www.un.org/fr/events/statisticsday/docs.shtml
le masculin et le fminin
un chiffre-cl: en 2008, seules 13 des 500plus grandes firmes mondiales taient diriges par des femmes.
lingalit homme-femme se traduit visiblement dans laccs au
travail et les conditions de rmunration: selon les pays, les salaires
des femmes reprsentent 70 90% de ceux des hommes, lAsie tant
le continent des plus forts carts, avec un record pour le secteur
manufacturier de Core du Sud, o les femmes ne gagnent que 57%
de ce que gagnent les hommes.
les femmes reprsentent les deux tiers des analphabtes dans le
monde, et dans de nombreux pays du Sud, la rsistance scolariser les
filles demeure considrable, surtout en Afrique occidentale et centrale (moins de 60% des filles en ge daller lcole sont scolarises).
les violences physiques, sexuelles ou psychologiques sur les
femmes restent trs frquentes: selon le rapport de lONU prcit, le
taux de femmes ayant subi des violences physiques une fois dans leur
vie varie de 12 59% selon les pays. Ces violences sont de diffrentes
natures: intrafamiliales (40% des femmes du Bangladesh subissent
des violences physiques de la part de leurs conjoints); lies des
pratiques traditionnelles prjudiciables5 (lexcision par exemple);
ou encore lies des conflits arms dans lesquelles les femmes sont
souvent les principales victimes (le viol, arme de guerre).
Un regard sur les contextes dans lesquels nous travaillons est donc
ncessaire pour interroger lexistence de lois et de rglements nationaux qui accentuent ou qui au contraire corrigent ces dsquilibres:
dans quelle mesure le cadre et le discours juridiques du pays
visent-t-ils protger les individus contre les pratiques discriminatoires ou ingalitaires vis--vis de lun ou de lautre sexe? Ce cadre
juridique est-il effectivement contraignant? Dans de nombreux cas
en effet, les discriminations, interdites, sont tolres. En Inde par
exemple, le rite du Sati, encore pratiqu malgr son interdiction
depuis prs dun sicle, incite les veuves simmoler afin de demeurer des femmes honorables;
la lgislation du pays agit-elle de manire positive ou ngative sur lgalit homme-femme dans la vie prive comme dans la
vie publique? Suivant les pays, le code de la famille peut contenir ou
non des dispositions discriminatoires, et les lois peuvent poser des
interdits particuliers vis--vis des femmes dans lespace public (par
exemple, en Arabie saoudite, linterdiction pour les femmes de circuler librement ou de conduire). linverse, les lgislations peuvent
chercher corriger les dsquilibres hommes-femmes, par la mise en
place dune politique de parit dans le domaine politique, dans ladministration, dans les entreprises, etc.
5.Mdecins du Monde, Prvention et rponses aux violences lies au genre, guide mthodologique,
Paris, MdM, 2011.
219
le masculin et le fminin
l'intelligence interculturelle
6.Geert Hofstede, Gert Jan Hofstede et Michael Minkov, Cultures et organisations, op.cit.
221
le masculin et le fminin
l'intelligence interculturelle
[] Entre pays, les valeurs des femmes diffrent moins que celles des
hommes, et la fminit dun pays se reflte plus nettement dans les
valeurs des hommes que dans celles des femmes.
En reprenant la distinction opre par Hofstede, on retrouve par
ailleurs lenjeu dune plus ou moins forte diffrenciation des rles
dans lorientation dun grand nombre de comportements et de pratiques. Hofstede met en avant plusieurs dimensions sur lesquelles
cette influence est particulirement forte:
dans la reprsentation du couple et de la famille: enjeu de la
stricte rpartition des rles des parents (la mre soccupant de la maison, grant les relations et les sentiments, etc.); ou du type de socialisation de lenfant en fonction de son sexe (dans le type de jeux quil
adopte, etc.);
dans limportance du tabou port sur la sexualit, en apparence
plus forte dans les socits masculines, et dans les attitudes envers
lhomosexualit qui tend tre davantage rejete dans les cultures
masculines;
dans les comportements dachats: reprenant les donnes dune
tude de marketing mene par M.deMoodj, Hofstede souligne la
plus grande distinction des rles en fonction des achats dans les socits masculines (achat alimentaire par les femmes, achat de la voiture et achats de prestige par les hommes, etc.).
222
lentre massive des femmes dans le monde du travail, leur progressive indpendance conomique et leurs revendications dune galit
de condition7. Pour autant, cette assignation de lespace domestique
aux femmes na pas totalement disparu. Ainsi, les enqutes concernant les choix de rsidence des Franais, mettent gnralement en
avant le fait que pour un couple dont les deux membres travaillent,
on privilgie la plupart du temps le lieu dhabitation qui est le plus
proche du travail de la femme.
La question se pose bien plus nettement dans de nombreux pays,
au sein desquels les normes culturelles associent traditionnellement
femme et intrieur, homme et extrieur. Ces normes conditionnent
largement pour chaque genre les activits raliser et les espaces
frquentables. Elles se traduisent dabord par des situations dabsence de sortie du domicile plus frquentes chez les femmes8. Dans
lInde rurale du Sud par exemple, note Seemanthini Niranjana, les
termes utiliss pour dsigner lintrieur et lextrieur nindiquent
pas seulement un espace physique []. Appliques une femme, les
expressions devenir extrieure ou rester dehors signifient quelle
a ses rgles, ce qui lexclut des espaces intrieurs du foyer9. En
Arabie saoudite, lvolution vers un accs croissant des Saoudiennes
des espaces publicsnest gnralement possible que lorsquelles
sont visibles mais non reconnaissables. Les femmes peuvent en
revanche tre reconnaissables dans des espaces qui leur sont rservs
et au sein desquels elles ne portent pas le niqb.
223
le masculin et le fminin
l'intelligence interculturelle
224
10.Ariane Buisset, Les Religions face aux femmes. Souvrir une vision nouvelle de lhumain et du
spirituel, Accarias, 2008 et La Rconciliation. Essai sur lunit cache des religions, Adyar, 1996.
11.Il nest pas bon que lhomme soit seul; je lui ferai une aide semblable lui (Gense 2, 18).
12.http://judaisme.sdv.fr/histoire/rabbins/gugenh/gugenhe2.htm
225
le masculin et le fminin
l'intelligence interculturelle
226
leur contexte, condamnent avec vigueur la pratique de lhomosexualit: labomination voque dans le Livre du Lvitique ou le rcit
de Sodome et Gomorrhe dans la Gense par exemple. Quant la loi
islamique, elle est, elle aussi, souvent invoque pour proscrire cette
pratique.
Ce serait une erreur cependant dassimiler les prises de positions
officielles des autorits religieuses (le magistre de lglise catholique, la position de certains grands rabbins, le discours des tenants
de la charia, etc.) un reflet fidle du point de vue des croyants des
diffrentes religions. Il faut rappeler ce sujet que 40% des catholiques franais se sont dclars favorables au mariage pour tous,
que beaucoup rcusent linstrumentalisation de certains passages des
textes fondateurs, et que certaines glises protestantes europennes
souvrent de manire acclre la ralit homosexuelle.
Les religions et spiritualits orientales, surtout le shintosme, sont
moins formelles sur ce point mais gardent leurs distances: dans le
bouddhisme, le prcepte de la matrise des sens incite ne pas rechercher le plaisir pour le plaisir et donc, comme dans les conceptions les
plus traditionnelles du catholicisme, nenvisager la relation sexuelle
quen vue de la procration. Dans lhindouisme, le plaisir charnel
est accept et acceptable uniquement dans la mesure o il est htrosexuel et consomm dans les liens du mariage14.
Au-del de la rfrence la religion, la diversit des positions
culturelles vis--vis de lhomosexualit est largement lie lenjeu de
la sparation des genres et des rles sexuels voqus plus haut.
La prise en compte de tous ces lments la lgislation en vigueur
susmentionne et les reprsentations de lhomosexualit est
aujourdhui une ncessit ressentie comme de plus en plus imprieuse par les DRH des institutions employant du personnel expatri.
Il sagit dviter aux membres de ce personnel dtre mis en danger
ou victimes de discriminations ou de rejet lorsquils tiennent trs
lgitimement ne pas cacher leurs options sexuelles. Lorientation
sexuelle sort alors du domaine priv dans la mesure o elle entre en
jeu dans les dcisions dacceptation ou daffectation dans un poste
ltranger.
Elle concerne galement les ONG, non seulement les organisations sanitaires ayant traiter par exemple des questions de sida,
mais aussi les institutions de dfense des droits humains et les organismes de coopration en gnral. Elle place souvent les intervenants
trangers dans une position dlicate, ainsi quen tmoigne ce cooprant franais successivement en poste en Tanzanie puis en Afrique du
Sud:Jai mont des projets dappui des groupes gays, lesbiens en
Afrique dans des pays o lhomosexualit est interdite, o lon risque
14.http://fr.wikipedia.org/wiki/Homosexualit%C3%A9_dans_les_religions#cite_note-9
227
le masculin et le fminin
l'intelligence interculturelle
sa peau et o lon dit que lhomosexualit cest quelque chose doccidental alors quon se retrouve avec des gens en souffrance, qui sont
viols, dchirs, pas reconnus, qui lon arrache mme leurs racines
africaines alors que lorientation sexuelle na rien voir avec la couleur de la peau: quel moment doit-on choisir entre ne pas bouger (ce
ne sont pas mes affaires) ou dnoncer une discrimination15?
228
Troisime partie
CULTURES
proFESSIONNELLES
ET orgANISATIONNELLES
Nous proposons ici un focus sur ce qui concerne le plus directement notre vie professionnelle et notre vision de lorganisation
sociale. Pour cela, nous aborderons quatre enjeux-cls:
quelles sont les reprsentations du travail, du mtier, de
lefficacit, du risque, de la responsabilit?
comment conoit-on et gre-t-on le dsaccord ici et l, quelles
sont les attitudes observables face aux conflits professionnels (affrontement, contournement, vitement, etc.)?
quest-ce qutre riche ou pauvre dans nos cultures respectives? Quelles postures lgard de la possession, de la proprit, du
bien commun? Sommes-nous dans une culture de laccumulation ou
de la redistribution?
quelles visions du pouvoir, de lautorit? Quel rapport la
norme et la rgle? Quelles sont nos conceptions des hirarchies
et nos comportements lgard de nos patrons ou de ceux que nous
encadrons? Quels sont les principaux modes dorganisation des structures dans lesquelles nous travaillons selon les aires gographiques
ou les sphres professionnelles?
Cest probablement sur les thmes de cette troisime partie que la
littrature existante est la plus abondante, concentre cependant sur
les milieux de lentreprise. Ici encore, en rapportant les expriences
les plus diverses possible, nous essayerons de croiser les regards en
montrant notamment comment des problmatiques interculturelles
communes peuvent se retrouver entre des entreprises, des ONG, des
organisations sociales, etc.
233
Chapitre 10
Le travail
Entre vocation, mtier et devoir
Contextualiser
237
le travail
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238
239
le travail
l'intelligence interculturelle
241
le travail
l'intelligence interculturelle
242
4.Hajime Nakamura, tude sur lesprit critique dans le Japon moderne, Shinshusha, 1950, cit par
Etsuo Yoneyama, in E.Davel, J.-P.Dupuis et J.-F.Chanlat (dir.), Gestion en contexte interculturel,
op.cit.
Historiquement, on retrouve cette glorification de la valeur travail dans beaucoup de rgimes autoritaires, et notamment au cur
du discours du rgime sovitique, pour lequel, comme lobserve
Valery Krylov, [ds la fin des annes1920] la valeur travail, sans
rapport au rsultat, a t propose comme force cratrice. [] Cette
idologie, selon laquelle un salari devait se livrer corps et me son
travail, exigeait la mobilisation totale des travailleurs, et induisait
une logique dobissance appelant lexemplarit vertueuse5. On
pourrait dduire que cette ide de la valeur-travail est exclusivement
celle dune idologie politique, mais Krylov estime que si elle a t si
bien assimile en Russie, cest que, proche des valeurs orthodoxes qui
prnent le travailler sans compter pour le bien de tous, elle trouve
ses sources dans des racines culturelles plus profondes.
Pourquoi travailler?
Dune zone culturelle lautre, dune profession lautre mais
aussi bien entendu dun individu lautre, la part respective des
diffrentes motivations possibles du travail varie: entre gagner
sa vie, russir, progresser socialement ou rechercher des relations humaines et un cadre social dans lequel sintgrer, le curseur
peut tre plac de manire diffrente. Dans plusieurs cultures, la
priorit est mise, tant du ct des dirigeants que de celui des salaris, dans le caractre intgrateur, et familial des relations de
travail. Au Mexique, au Liban, au Brsil, en Colombie par exemple,
voir les rsultats de son travail et bien gagner sa vie est important,
mais souvent moins que de travailler dans une bonne ambiance. Le
lien lemporte sur le rglement, la productivit, le contrat, tout ceci
dans le cadre dentreprises o la soumission et le paternalisme sont
monnaie courante. Mais dans dautres cultures, cet aspect relationnel
est une motivation plus marginale. En Grande-Bretagne par exemple,
nous rappelle Christine Geoffroy, on placerait plutt la tche avant
la relation: Pour des peuples latins ou mditerranens, il est trs
surprenant de constater que la tche, pour un Anglais, passe avant
les relations interpersonnelles. Les tmoignages de partenaires de
travail franais et anglais seront particulirement rvlateurs de ces
attitudes contrastes. Telle Franaise dira: Jai toujours limpression
quils ne sintressent pas savoir qui sont rellement leurs interlocuteurs, mme si jai pris la peine denvoyer un fax avec mon prnom et mon nom de famille. Tandis quun collgue de travail anglais
affirmera: En Angleterre, quand on est au travail, cest pour travailler. Ce nest pas une chose sociale, on est l pour faire une tche.
243
le travail
l'intelligence interculturelle
244
surtout utilis pour le marketing et lanalyse des besoins des consommateurs: la pyramide de Maslow.
Son inventeur, Abraham Maslow8, distingue 5niveaux successifs
de besoins: les besoins de base dabord, de scurit ensuite, dappartenance, destime puis de ralisation. Les individus rechercheraient
la satisfaction de chaque besoin avant de penser au besoin du niveau
suprieur. Cette approche a certes t fortement conteste: il nest
pas vident que les besoins du haut de la pyramide (estime, reconnaissance, ralisation) soient perus par tous comme moins essentiels que
les besoins de base. Cette modlisation peut cependant nous aider
interroger la gradation des motivations du travail dans nos socits.
245
Source: EVS, 1990 et 1999 (reproduit dans ltude de Lucie Davoine et Dominique Mda, voir
ci-dessous)
()
le travail
l'intelligence interculturelle
246
247
le travail
l'intelligence interculturelle
France, ne pas prciser ce quon attend de ceux qui travaillent pour soi
est largement vu comme le signe du fait que lon ne sait pas ce que lon
veut. Il prcise galement que les rapports de travail ne mettent pas
seulement en jeu les intrts des salaris, mais la manire dont ils se
situent dans une hirarchie qui oppose ce qui est grand et noble ce qui
est bas. Les sentiments associs aux situations de travail, les ractions
quelles suscitent, en sont fortement affects. On est dans un registre
qui nest pas seulement celui des intrts, et lhumiliation menace11.
248
11.Philippe dIribarne, Lhonneur du mtier, in E. Davel, J.-P. Dupuis et J.-F. Chanlat (dir.),
Gestion en contexte interculturel, op.cit.
12.Cit par Etsuo Yoneyama, in E.Davel, J.-P.Dupuis et J.-F.Chanlat (dir.), Gestion en contexte
interculturel, op.cit.
13.A. Karkun, N. Belhoste et B. Fernandez, in E.Davel, J.-P.Dupuis et J.-F.Chanlat (dir.), Gestion
en contexte interculturel, op.cit.
Les carts culturels vis--vis de cette approche occidentale de lefficacit se peroivent notamment dans certains pays asiatiques, et
concernent la manire dapprhender lobjectif de laction mene.
Dans son Trait de lefficacit14, Franois Jullien montre qu la
249
le travail
l'intelligence interculturelle
diffrence de la conception que nous avons de cette dernire (rsultant de la mise en uvre des moyens appropris en vue dune fin prcise, et visant imposer notre volont la ralit), la pense classique
chinoise engage plutt apprendre, se laisser porter, laisser advenir leffet: non pas le viser (directement), mais limpliquer (comme
consquence). Ds lors, il ne sagit pas dune logique de matrise des
objectifs cote que cote, mais au contraire de la non-bataille, du
non-affrontement. On ne saurait compltement ignorer cet hritage de la tradition chinoise, notamment taoste, dans nos relations
commerciales et internationales actuelles. Le wu-wei, laisser venir
incite matriser les vnements non pas en sopposant eux mais en
se laissant porter par eux: on pense spontanment aux techniques du
judoka qui, loin de contrer son adversaire, utilise la pousse de celui-ci
son propre avantage.
DR
Le jeu de go
et lefficacit lorientale
250
15.dith Sizoo (dir.), Responsabilit et cultures du monde. Dialogue autour dun dfi collectif,
Paris, ditions Charles Lopold Mayer, 2008.
16.Ibid.
17.Ibid.
251
le travail
l'intelligence interculturelle
252
18.Michel Moral, Le Manager global. Comment piloter une quipe multiculturelle, Paris, Dunod,
2004.
19.Notamment Terence Brake, Danielle et Thomas Walker, Doing Business Internationally,
op.cit.; Michel Moral, Le Manager global, op.cit.; etc.
253
le travail
l'intelligence interculturelle
254
Nous avons mentionn, dans le chapitre sur lespace, le phnomne, trs frquent dans certains pays occidentaux de la bulle personnelle dcrite par EdwardT. Hall, source de problmes ventuels
lors de la rencontre de personnes de cultures diffrentes: sintroduire
brutalement dans cette bulle, ne pas la prendre en considration peut
provoquer chez lautre des ractions de peur ou dagressivit. Cette
volont de sparer vie professionnelle et vie prive se manifeste
notamment dans de nombreux pays occidentaux, mais aussi ailleurs:
en Inde, on parle parfois de compartementalisation de la vie quotidienne22. Dans ce pays, les choses voluent certes rapidement, mais
le lieu de travail et la maison sont deux espaces qui ont longtemps
t strictement spars, avec des modes de vie et de comportement
radicalement diffrents. Le lieu de travail est un lieu adapt aux
contingences modernes, nous disent A. Karkun et al., lieu o langlais est, gnralement, la langue de travail. Les vtements loccidentale sont de mise, la cantine regroupe tout le monde [] et les
conversations sont principalement professionnelles. Mais une fois au
dehors et de retour dans la sphre familiale, les Indiens dlaissent
langlais et changent gnralement pour le dialecte local. Les rituels
religieux sont pratiqus en famille, lalcool et le tabac sont proscrits
et les conversations sont tournes vers les problmes familiaux [].
Lharmonie est ainsi prserve grce cette dichotomie23.
Il nen est pas partout de mme. Les Franais en sjour professionnel au Japon sont souvent gns par le fait que les salaris japonais
sortent frquemment aprs le travail avec leurs collgues pour boire
ou manger ensemble ou quils ont des activits communes pendant
les week-ends.
Evalde Mutabazi note de son ct quen Afrique, ce qui gne
les cadres europens rside dans les visites parfois incessantes des
membres de la famille ou du clan sur le lieu de travail. Pour bnficier pleinement et durablement de lassistance rciproque communautaire, en plus de ces visites, chaque membre doit participer tous
les vnements heureux ou malheureux (par exemple, les mariages,
les naissances ou les dcs) qui touchent les membres de son clan et
ses allis. Ce sont autant de raisons pour lesquelles labsentisme est
souvent mal apprhend par la rationalit managriale occidentale
et ses procdures labores dans des cultures ayant une conception
gnralement diffrente de la famille et de ses rapports avec lentreprise24. La communication, en Afrique subsaharienne, entre sphre
professionnelle et sphre prive est particulirement visible dans le
cas de mouvements sociaux. E. Mutabazi la observ par exemple lors
dune grve opposant en RDC la direction de la filiale locale dune
multinationale occidentale la majorit des ouvriers: Dans les ateliers en grve, [] les complicits et les relations tisses dans linformel amenaient chaque membre rester trs solidaire des autres en
cas de difficult familiale ou professionnelle. La grve pouvait dautant plus durer que leurs maigres salaires taient complts par le
revenu de leurs activits parallles. [] Lassistance rciproque fonctionnait merveille dans une ambiance chaleureuse et amicale. Pour
tout dire, une espce de tontine des nergies et des comptences
fonctionnait sous forme dchange de services mutuels et de complmentarits oprationnelles lusine, mais aussi au village, et servait
rgler les problmes des uns et des autres25.
Peu dtanchit galement en Russie, o, nous dit Valery
Krylov, une recherche constante de liens profitables et de partenaires potentiels efface la frontire entre la vie prive et le monde
des affaires. [] Ce mlange introduit largement la vie prive dans le
fonctionnement des organisations. Le pouvoir dun acteur sapplique,
dans une mesure gale, laccomplissement des tches personnelles
et professionnelles qui ne sont dailleurs pas toujours clairement distingues. Des salaris peuvent partager leurs temps de travail entre
une communication personnelle, une consultation sur Internet et des
pauses26.
24.Culture et gestion en Afrique noire: le modle circulatoire, in E.Davel, J.-P.Dupuis et J.F.Chanlat (dir.), Gestion en contexte interculturel, op.cit.
25.Ibid.
26.Valery Krylov, in E.Davel, J.-P.Dupuis et J.-F.Chanlat (dir.), Gestion en contexte interculturel,
op.cit.
255
le travail
l'intelligence interculturelle
256
Chapitre 11
Le dsaccord
et le conflit
Entre affrontement
et vitement
Contextualiser
Question 89. Confrontation, dsaccord, conflit,
violence: quel est le sens des mots?
Le conflit, si souvent rencontr dans les relations professionnelles, est-il ncessairement une confrontation agressive, gnratrice de violence? Ltymologie latine (conflictus, driv de confligere, con- ensemble et fligere heurter, frapper), qui commande
le franais conflit, lallemand Konflikt, langlais conflict ou le russe
plaide pour cette acception, qui suppose un degr de violence explicite. On retrouve cette interprtation du mot dans de nombreuses analyses, comme celle de Diane Drory: Ds que quelquun
est en prsence de quelquun dautre, il y a possibilit de conflit. ()
Le conflit est un affrontement intentionnel entre deux tres ou deux
groupes dtres de mmes espces anims dune volont agressive,
comportant une intention hostile qui peut, le cas chant, tendre la
suppression physique de lautre. La guerre est un mode de rsolution
des conflits1.
Mais le conflit peut galement tre peru diffremment: comme
une simple situation dopposition de sentiments, dopinions ou dintrts, qui prsente un caractre la fois rcurrent et invitable.
ses origines, estime Johan Galtung, se trouve toujours une incompatibilit, une contradiction entre des objectifs: je veux X, tu veux X,
or nous ne pouvons lavoir tous les deux. Le conflit est quelque chose
daussi naturel que lair que nous respirons.2 Il ne sagirait plus
261
le dsaccord et le conflit
l'intelligence interculturelle
262
3.Miguel Benasayag et Anglique del Rey, loge du conflit, Paris, La Dcouverte, 2007.
4.Paul Ricur, crits et confrences 2. Hermneutique, Paris, Seuil, 2010.
5.Hannah Arendt, Condition de lhomme moderne, Paris, ditions Pocket, 1997.
Dans quelle mesure existe-t-il dans les pays avec lesquels nous
sommes en contact une diversit de systme de rgulation des
conflits? Comment sont-ils articuls entre eux? Fonctionnent-ils en
parallle (et potentiellement en concurrence), ou en complmentarit? Ces enjeux se posent notamment deux niveaux:
au sein du monde professionnel:en quoi le droit du travail et
les habitudes de concertation luvre dans les organisations anticipent-ils la gestion du conflit? En Allemagne par exemple, prdomine depuis des dcennies un systme de relations professionnelles
au sein duquel les partenaires sociaux ont la possibilit de construire,
sans lintervention de ltat, un dialogue et un consensus vitant le
plus souvent que les conflits ne senveniment;
au sein de la socit, plus largement: en dehors des systmes
judiciaires peuvent coexister des systmes de rgulation traditionnelle (que lon retrouve par exemple en Afrique subsaharienne) o
des diffrends peuvent se rgler autrement (et parfois en parallle)
que par la procdure formelle moderne de la justice. Lintervention
des autorits traditionnelles, et le recours des dispositifs trs
anciens comme la parent plaisanterie, que nous voquerons en
fin de chapitre, y sont encore monnaie courante.
263
La position des religions sur les conflits est une question complexe et controverse. Si on laisse de ct les pratiques, dviations,
fanatismes et alibis religieux pour sinterroger sur les fondements
l'intelligence interculturelle
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Lalliance plaisanterie (appele aussi parent plaisanterie ou cousinage plaisanterie) est une tradition trs vivace dans les pays dAfrique
sahlienne, particulirement au Mali et au Burkina Faso. Elle unit plusieurs
ethnies, clans, ou familles, dans une relation o manier la raillerie, lironie,
linsulte et mme linjure est un moyen de dsamorcer les conflits. Il sagit
dune sorte dimpolitesse rituelle, que lethnologue Marcel Griaule qualifiait
de cathartique. Les peuples peuls et bobos, par exemple, ou les Samos et
les Mossis sont allis dans ce type de systme et nhsitent pas se traiter
de voleurs, ou divrognes pour exorciser un conflit, sans que les uns ou les
autres naient le droit de se vexer. On dit souvent que beaucoup de conflits
ethniques ont ainsi t vits au Burkina Faso et au Mali au cours des prcdentes dcennies.
le dsaccord et le conflit
l'intelligence interculturelle
270
Honneur et dshonneur:
incomprhension et humiliation au Japon et
en Arabie saoudite
ValrieX est responsable du field marketing dans une multinationale. Forme
travailler lamricaine, elle se voit confier une responsabilit dans le suivi
de la filiale japonaise, et rencontre Y-San, son interlocuteur Tokyo. Elle lui
demande de dtailler les activits de son quipe. La rponse de lhomme
est trs vague. Il linforme cependant dun problme de budget marketing.
Prte rgler ce problme immdiatement, Valrie veut en savoir plus, mais
Y-San lui rpond quil lui en parlera plus prcisment par mail, un peu plus
tard. De retour en France, Valrie constate quau tlphone, Y-San est extrmement discret, timide, et ne prcise toujours pas le problme de budget
auquel il fait face. Elle finit par proposer au DRH de mettre pied cette
personne quelle juge incomptente et inefficace, et sapprte le lui faire
savoir lors dun sminaire o elle le retrouve. Mais Y-San prend les devants,
demande lui parler en priv, et lui avoue que depuis le dbut, son quipe
ne peut rien faire puisquelle na tout simplement pas de budget marketing:
celui-ci a t dtourn par le responsable communication, pour dautres
oprations.
Y-San explique Valrie pourquoi il na pas pu lui en parler avant: dune part
cela aurait t de la dlation, ce qui est extrmement mal vu au Japon. Il
aurait pu perdre son emploi pour avoir dnonc son collgue. Pire il se serait
dshonor en le dshonorant. Dautre part, ne connaissant pas Valrie avant
de travailler avec elle, il navait pas la relation de confiance ncessaire pour
lui parler dun tel problme.
Tmoignage recueilli lors dun sminaire Sciences Po, mars 2010.
La question de la face nest donc pas un monopole chinois ou japonais. Elle se prsente de manire diffrente suivant les cultures, limportance de la religion, la conception de la famille, de la hirarchie, du
271
l'intelligence interculturelle
prestige, etc. Mais dans la plupart des cas, ce que rvle la crainte de
perdre la face, cest lattachement la communaut ou la collectivit
dappartenance.
272
21.R.R.Blake et J.S.Mouton, The Managerial Grid. The Key to Leadership Excellence, Houston,
Gulf Publishing Co, 1964.
22.D.G. Pruitt et J. Z. Rubin, Social Conflict. Escalation, Stalemate, and Settlement, New York,
McGraw-Hill, 1986.
le dsaccord et le conflit
les ressources entre les deux parties, acceptant que les problmes ne
soient que partiellement rsolus;
enfin la stratgie de lvitement (avoiding), qui trahit selon
les auteurs du modle une faible proccupation pour ses intrts et
pour ceux de lautre. On refuse tout simplement le conflit, ou on le
contourne, estimant quil napporte rien.
273
le dsaccord et le conflit
l'intelligence interculturelle
275
l'intelligence interculturelle
Chapitre 12
Largent
Visions croises de la richesse
et de la pauvret
Contextualiser
Question 98. conomies montarises, conomies
de subsistance: quelle est la place de largent
dans nos socits?
Largent, dans son acception franaise classique, est loin dtre
partout ltalon vident de toute mesure de la production et le seul
instrument de tout change. Ce constat tient deux raisons majeures:
dans des socits o prvalent des conomies de subsistance se situant en partie lcart des flux conomiques formels, le
rle de largent est souvent limit, les changes soprant en partie
sous forme non marchande;
dans nos socits ultra-montarises elles-mmes, de nouvelles
formes doutils dchange mergent de plus en plus. Depuis plusieurs
annes, on voit apparatre par exemple des monnaies sociales, ou
monnaies rgionales1 du type des systmes dchange locaux
(SEL) qui, sans concurrencer la monnaie nationale, la compltent
sur un plan local et permettent dchanger des biens ou des services
autrement. Un autre exemple, et sur un tout autre registre, est celui
des monnaies virtuelles qui font actuellement une perce significative, avec les e-devises, ou bitcoins permettant de contourner
1.Margrit Kennedy et Bernard Lietaer, Monnaies rgionales. De nouvelles voies vers une
prosprit durable, Paris, ditions Charles Lopold Mayer, 2008, www.eclm.fr/ouvrage-329.
html
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largent
l'intelligence interculturelle
les dispositifs bancaires2. Ici encore, mme sil reste trs largement
prvalent, le rapport largent commence connatre quelques mutations.
282
2.Le bitcoin, une monnaie virtuelle qui sarrache, Le Monde, 9 avril 2013, www.
lemonde.fr/technologies/article/2013/04/09/le-bitcoin-une-monnaie-virtuelle-qu-on-sarrache_3156495_651865.html
3.www.transparency-france.org/e_upload/pdf/cpi2012_mapandcountryresults.pdf
4.Philippe Montigny, LEntreprise face la corruption internationale, Paris, Ellipses, 2006.
5.Code pnal franais, art. 432-11
6.Revue Politique africaine, www.politique-africaine.com/numeros/pdf/083008.pdf
283
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284
Les religions ont, propos de largent, de la richesse et de la pauvret des influences contrastes. On peut rappeler tout dabord lexaltation du dpouillement que lon retrouve dans certaines religions: au
cur de lvangile dans la tradition catholique tout dabord (Vends
tout ce que tu as, distribue-le aux pauvres et tu auras un trsor dans
les cieux. Puis viens, suis-moi. Luc 18,22); mais aussi chez les saddhus en Inde, dans le janisme, ou encore dans le bouddhisme: on se
souvient du dpouillement total du prince riche devenant Bouddha;
rappelons aussi que les moines bouddhistes sont tenus de mendier.
Une vision diffrente de largent saffirme dans le protestantisme:
si lenrichissement contribue au dveloppement de la collectivit,
il est lgitime et mme il peut constituer une responsabilit dans la
mesure o il augmente une richesse qui peut profiter chacun. Max
Weber (Lthique protestante et lesprit du capitalisme) tient ainsi
le dveloppement du capitalisme au xviiiesicle pour le rsultat de
lthique puritaine (accumuler la richesse sans en jouir directement)
et de cette ide que le succs financier nest autre que le signe de la
prdestination de Dieu.
Une thique de largent assez comparable se retrouve dans le
judasme. Comme le rappelle Claude Riveline8, la saintet y est compatible avec la richesse car le travail productif est une obligation religieuse. Mais le devoir du riche est bien de donner une partie de sa
richesse aux pauvres et de ne pas abuser, en affaires, de la faiblesse de
lautre. Sil est riche, cest parce que Dieu lui a confi la gestion du
monde pour une part plus grande que les autres et il na pas le droit
de se drober cette mission.
7.http://base.d-p-h.info/fr/fiches/premierdph/fiche-premierdph-5167.html
8.Claude Riveline, membre du bureau du Chabbat, professeur dconomie lcole des mines
de Paris (confrence sur le thme de la spiritualit et du management Dauphine).
Pour lislam, largent est loin dtre mpris mais il doit galement
servir au bien de la socit. Le Coran rappelle en effet que largent,
comme toutes les ressources de la terre, appartient Dieu, et que
le devoir des hommes est de le faire fructifier pour la communaut.
Lenrichissement est licite, et mme encourag, condition de correspondre une cration de richesse (do linterdiction de la spculation et des jeux de hasard). Consquences de ces reprsentations
religieuses dans la vie conomique: des rgles bancaires bien particulires (interdiction du prt intrt mais autorisation des revenus du
capital). Une autre condition la cration de richesse est que celle-ci
ne soit pas strictement personnelle, mais galement en partie collective. Pour garantir cela, le Coran fait de laumne aux plus dmunis,
la zakat, lun des piliers de lislam: elle invite les musulmans donner
aux pauvres 2,5% de leur pargne annuelle et 10% pour les produits
de la terre. Affecte au financement dinfrastructures sociales de
proximit et aux organisations locales de solidarit, la zakat est, dans
certains pays, une source majeure de financement de la solidarit.
Dernier exemple, celui de lhindouisme, qui lie pit, rites religieux et russite financire. Dans le monde de lindustrie en Inde,
comme lexpliquent A. Karkun et al., la desse la plus vnre est
Lakshmi (desse de la fortune). Elle est clbre la fin de lanne
rituelle qui correspond galement la fin de lanne fiscale. Ce qui
explique pourquoi lInde se base sur cette date pour publier ses
comptes. Autre dtail, une punja (prire) peut tre organise dans
les entreprises afin de clbrer la desse, lors de la fte du Printemps
(holi); on profite alors de cette occasion pour bnir le coffre de lentreprise9.
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enfin les
cadeaux
incessants, et lostentation
:
Lom
niprsence, chaque instant de la vie sociale, des situations o il
convient de mettre la main la poche, et la montarisation de plus
en plus grande de ces petits cadeaux [] incitent chacun considrer que les petites sommes verses aux agents de ltat dans lexercice de leurs fonctions ne sont quune forme supplmentaire de ces
cadeaux usuels.
Et les auteurs de conclure que lintgrit est un luxe ou une vertu, hors de porte, dans les circonstances actuelles, de la plupart des
citoyens bninois, nigriens ou sngalais. En caricaturant quelque
peu, seuls des riches ou des saints peuvent se la permettre. La pression du milieu environnant [] pousse banaliser les pratiques corruptives, les dissoudre dans les comportements normaux.
En dehors des seules considrations de corruption, lobligation
du don et du contre-don (en argent ou en nature) se retrouve sous
dautres formes dans dautres aires culturelles, notamment en Asie,
On tend le considrer non comme un signe de grandeur dme
(comme cela peut tre le cas dans nos propres cultures) mais comme
une obligation rituelle lors dvnements de la vie sociale tels que les
mariages, les naissances ou les funrailles. Elise Bijon note que ceci
nest pas sans contrepartie: Dans le cas de socits rgies par le principe du contre-don social loccasion de mariages ou de naissances
dans la famille dun des membres du mme rseau social, recevoir
un cadeau est une invitation en faire un retour [], constituant en
mme temps un cadeau empoisonn Il ne faut donc pas sattendre
en retour de larges effusions de joie et de gratitude16
Dans son essai sur le don17, Marcel Mauss donne en effet voir
lensemble des rgles et des codes sociaux qui, dans certaines socits,
sous-tendent des pratiques trop vite assimiles de la gratuit ou de
la gnrosit. Ces rgles font du don, de lacceptation du don et de la
rciprocit (contre-don) une vritable obligation sociale: Refuser
de donner, dit-il, ngliger dinviter, comme refuser de prendre, quivaut dclarer la guerre; cest refuser lalliance et la communion. []
La sanction de lobligation de rendre est lesclavage pour dette. Le
don, ajoute-t-il, est la fois ce quil faut recevoir et ce qui est cependant dangereux prendre, car il y va de son rang et de son prestige.
Ce que Marcel Mauss crivait propos des socits dites primitives, nous le retrouvons avec force dans le rite du cadeau, y compris
professionnel, dans la Chine contemporaine.
Lenveloppe rouge
Je me souviens du regard perplexe et embarrass de Guillaume, mon
conjoint franais face ma grand-mre qui lui a tendu deux mains une
enveloppe rouge avec 400yuans (environ 50euros) ds quil a mis les
pieds chez moi, lors de son premier voyage en Chine. Ne sachant comment
ragir, il est rest clou sur place lentre de la maison. Ma grand-mre a
commenc pleurer, tout en essayant de glisser lenveloppe dans la poche
de son manteau. Gn, Guillaume ma lanc un regard dsespr. Jai repris
lenveloppe pour la mettre dans sa main, nous avons remerci ma grandmre, et nous avons pu entrer dans la maison. Guillaume dcrit souvent
cette exprience comme le plus grand choc culturel quil ait reu. Pourtant,
aux yeux dun Chinois, rien de plus normal que de recevoir dun an une
enveloppe rouge porte-bonheur. Il ne faut jamais la refuser, surtout de la
part dune personne ge, le refus pouvant tre peru comme un manque
de respect []. Le montant du don peut tre important, car cest en fonction
de ce montant que le destinataire distingue limportance quon lui attache et
la force potentielle de leur lien. Cest avant tout une forme de rapport social,
ancre dans la culture traditionnelle chinoise.
Une tudiante chinoise, Sciences Po, 2013.
289
largent
l'intelligence interculturelle
Ouvrages
Centre tricontinental, Comment se construit la pauvret, Paris, LHarmattan,
2000
Dommel (Daniel), Face la corruption. Peut-on laccepter? Peut-on la prvenir? Peut-on la combattre?, Paris, Karthala, 2003
Drach (Marcel) (dir.) LArgent, croyance, mesure, spculation, Paris, La
Dcouverte, 2004
Fosu-Amaah (W.P.), Soopra Manien (Raj) et Uprty (Kishor), Combattre la
corruption, Banque mondiale, ditions Eska, 2001
Mauss (Marcel), Essai sur le don: Forme et raison de lchange dans les socits
archaques, Paris, PUF, 1973
Montigny (Philippe), LEntreprise face la corruption internationale, Paris,
Ellipses, 2006
Rodinson (Maxime), Islam et capitalisme, Paris, Seuil, 1966
Wieviorka (Michel) (dir.) LArgent, Les entretiens dAuxerre, Ed. Sciences
humaines, 2010
Liens
Transparency International: www.transparency.org et www.transparencyfrance.org
Pour les professionnels de la coopration internationale, la question de la transparence financire est, par ailleurs, un sujet difficile.
Partout lon slve aujourdhui contre les dangers dun talage de
moyens personnels ou institutionnels dans le quotidien du travail:
vhicules 4x4, bureaux et logements au-dessus des standards locaux,
etc. Beaucoup de cooprants ou de volontaires ont tent, pour chapper cette image, de se fondre autant que possible dans les conditions de vie locales. Quil le veuille ou non, et quels que soient les
efforts quil fait pour imiter les conditions de vie de lautre, le cooprant ou le volontaire sera toujours celui qui a pu se payer (ou qui on
a pay) un billet davion, qui peut tre rapatri immdiatement en cas
de problme, et dont la famille, peut-tre, a des moyens substantiels.
290
Chapitre 13
Les modes
dorganisation
Hirarchie, rgles, autorit
qui acceptons-nous dobir? Daprs quels critres reconnaissons-nous la lgitimit dun pouvoir? Suivant quelles rgles sorganisent les institutions et les entreprises? Quels sont, dans nos
cultures respectives, les systmes hirarchiques luvre?
Au cur de ces questions se trouvent plusieurs enjeux importants: limplication des acteurs dans llaboration des rgulations qui
les concernent, lorganisation du systme de hirarchie, ou encore la
rpartition et la collaboration entre les pouvoirs.
Les ONG, grandes entreprises ou administrations ayant des
antennes dans diffrents pays, et employant dans ces antennes une
part importante de personnel tranger, se trouvent bien souvent
face un mme constat: si ces antennes salignent dans leurs activits, dans leurs structures formelles ou encore dans leurs modes de
reporting, elles diffrent trs largement dans la manire de penser
les objectifs de lorganisation, la place de ses membres, la manire de
construire la dcision, etc.
Face ce constat de diversit, on voit cependant se multiplier les
normes internationales visant encadrer (pour des motifs bien comprhensibles dailleurs) les normes de gestion des organisations; un
phnomne qui pousse bien des organisations adopter un double
discours, entre la ralit de leurs pratiques et les cadres auxquels
elles sont censes se conformer. Lexemple chinois est loquent cet
gard (voir encadr page suivante).
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300
2.Cits par Olivier Irrmann, in E.Davel, J.-P.Dupuis et J.-F.Chanlat (dir.), Gestion en contexte
interculturel, op.cit.
3.Philippe dIribarne, La Logique de lhonneur, op.cit.
4.Ibid.
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Samoa, le systme hirarchique traditionnel faamatai confre aux dtenteurs de certains attributs ayant fait la preuve de leurs capacits le titre du
chef: matai. Les matai ont des responsabilits importantes, familiales,
civiques et politiques. Ce systme, peru comme le fondement de lorganisation sociale, est trs respect. Cependant, deux exemples montrent
quil peut entrer en conflit avec le systme impos au bureau, dans la vie
professionnelle. Une matai dge mr, qui possde un statut trs haut dans
son village et plus largement dans la socit, travaille comme secrtaire juridique au bureau du ministre de la Justice. Elle refuse daccepter des tches
de la part des jeunes avocates qui, selon elle, manquent dautorit pour lui
donner des instructions. Elle est force de trouver du travail ailleurs parce
que le ministre exige un systme de travail efficace et structur, et ne peut
pas saccommoder de cette sensibilit culturelle. linverse, un jeune matai
dun village trs traditionnel, qui matrise trs bien la langue des chefs, est
employ administratif, dans lun des postes les plus subalternes. Et pourtant, quand il sagit des vnements traditionnels, il se transforme rapidement en un des plus importants membres du bureau car il est capable de
soccuper des aspects crmonieux. Dans certaines circonstances, le savoir
culturel et oral (dans la langue des chefs) peut ainsi prendre le pas sur la
hirarchie professionnelle.
*www.institut-gouvernance.org/fr/ouvrage/fiche-ouvrage-32.html
** Assane Mbaye et Ousmane Sy, Diversit et gouvernance lgitime en Afrique: loge du pluralisme, in
Chroniques de la gouvernance 2009-2010, Paris, ditions Charles Lopold Mayer, 2009.
***Juan Carlos Ruiz Molleda, Le pluralisme juridique en Amrique latine: de la reconnaissance lgale la
dmarche interculturelle, in Chroniques de la gouvernance 2009-2010, op. cit.
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304
5.Geert Hofstede, Gert Jan Hofstede et Michael Minkov, Cultures et organisations, op.cit.
6.Pascal Baudry, Franais et Amricains, lautre rive, ditions Village mondial/Pearson, 2004.
305
l'intelligence interculturelle
Mercedes ou bicyclettes?
son arrive en Thalande, un directeur gnral britannique refusa la
voiture de son prdcesseur. Le directeur financier lui demanda alors quel
modle de Mercedes il souhaitait. Le DG demanda alors une Suzuki ou une
mini, quelque chose que lon pouvait conduire facilement dans les embouteillages de Bangkok. Trois semaines plus tard, le DG appelle son directeur
financier et lui demande quand la voiture serait livre. Le Tha se dpartit
un moment de sa rserve et sexclama: Vous pourriez avoir demain une
Mercedes, mais pour une Suzuki, a prend beaucoup, beaucoup plus de
temps. Le DG lui demanda de voir comment il pourrait acclrer le processus. Au bout de quatre semaines, il voulut voir lordre dachat du vhicule.
Le [responsable du] dpartement des achats rpondit que, pour obtenir une
petite voiture, le dlai tait trs long. Dans ces conditions, il [avait] rsolu de
commander une Mercedes. Le DG perdit patience. Au comit de direction
qui suivit, il mit la question sur le tapis et demanda une explication. Avec
une certaine timidit, les directeurs, thas pour la plupart, expliqurent quils
pouvaient difficilement venir au travail bicyclette.
Dans ce cas, les statuts de chacun sinterpntrent. Si le DG britannique
avait command une voiture encore plus chre, tous les autres managers
auraient mont dun cran.
Fons Trompenaars et Charles Hampden-Turner, LEntreprise multiculturelle, op. cit.
306
certains vont plutt avoir tendance faire appel leur suprieur hirarchique pour trancher, sinscrivant ainsi dans un modle
pyramidal, li des traditions de distance hirarchique leve;
dautres, voyant le conflit non comme un problme de pouvoir
mais comme un problme de structure, vont chercher renforcer les
procdures et revoir les responsabilits pour limiter lintervention de
la direction et trouver les rgles les plus mme de rsoudre les conflits.
Philippe dIribarne11 illustre cette distinction en donnant
lexemple dun conflit au sein dun projet franco-sudois: lorsque
les experts saffrontent, dit-il, lquipe franaise attend quun chef
se situant au-dessus de la mle, garant dune rationalit globale,
tranche. Pour lquipe sudoise, la qualit de la dcision dpend du
consensus quelle a suscit. Quand le chef tranche, lquipe sudoise
se sent trahie par la remise en cause dune dcision collective.
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Dans un registre bien diffrent, une partie de la culture dentreprise africaine se retrouve galement dans ce modle familial,
comme le confirme notamment OlivierMeier.
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Modle import
310
Dveloppement individuel.
Dveloppement du clan ou de la
communaut.
311
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Quatrime partie
LANGUES ET MODES
DE COMMUNICATION
319
Chapitre 14
La langue
Au-del des mots,
traduire lintraduisible
323
la langue
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Langue
Langue
maternelle
(en millions
de locuteurs)
2e langue de
communication
Total
Mandarin
800
200
1000
Anglais
350
250
600
Hindi/ourdou
350
100
450
Espagnol
315
15
330
Russe
165
120
285
Indonsien/
malais
50
140
190
Portugais
160
20
180
Dans le monde, les langues sont infiniment diverses. Selon les estimations, leur nombre varierait entre 4000 et 6000 (la plus parle tant
le chinois). Selon J.-F.Dortier, on compte 410langues au Nigeria, 380
Arabe
140
30
170
4.Nicolas Journet, in Le Langage. nature, histoire et usage, ditions Sciences humaines, 2001.
5.Edward T.Hall, La Dimension cache, op.cit.
6.Citation de P. Bourdieu in La Communication interculturelle, Paris, Armand Colin, 1989.
7.J.-R. Ladmiral, E.-M. Lipianski, La Communication interculturelle, Paris, Armand Colin, 1989.
325
la langue
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(Tableau suite)
Langue
Langue
maternelle
(en millions de
locuteurs)
Bengali
170
Franais
75
Japonais
125
Allemand
90
2e langue de
communication
Total
170
60
135
125
10
100
La diversit des langues est-elle avant tout un obstacle la communication, ou est-elle surtout, comme le suggre le vieux mythe de
Babel, une chance, une source denrichissement mutuel? Sur ce point,
Heinz Wismann est catgorique: Leffet Babel, estime-t-il, est ce
quil y a de plus productif dans lhistoire humaine11.
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11.Heinz Wismann, Penser entre les langues, Paris, Albin Michel, 1992.
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la langue
l'intelligence interculturelle
Contextualiser
Question 111. De quoi une langue est-elle faite?
Smantique, morphologie, syntaxe
Une langue nest pas une simple juxtaposition de mots, venant les
uns aprs les autres et indpendants les uns des autres. La plupart des
langues sont en effet construites suivant un style, une architecture et
un systme grammatical plus ou moins sophistiqus et souvent trs
diffrents.
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la langue
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la langue
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Rindfleischetikettierungsberwachungsaufga
benbertragungsgesetz
Isoler ou agglutiner les mots?
Les linguistes distinguent traditionnellement plusieurs types morphologiques de langues (en reprenant la classification bauche ds le dbut du
xixesicle par Friedrich von Schlegel):
-- les langues isolantes (ou analytiques) comme le chinois ou le vietnamien sont des langues dans lesquelles les mots sont courts et invariables.
Cest lordre des mots (par exemple pour linterrogation) ou lintroduction
de mots supplmentaires (par exemple pour le pluriel) qui dfinit les catgories grammaticales.
-- les langues flexionnelles sont celles dans lesquelles on part de racines,
auxquelles sont accols des lments complmentaires (affixes comme
les suffixes, prfixes, interfixes) qui permettent de prciser le temps (pass, futur) le possessif, le pluriel, etc.:
--ces langues peuvent tre agglutinantes, lorsque les affixes sont clairement identifiables, sparables les uns des autres. Cest le cas du turc, du
finnois ou du swahili: ce quon dit ou crit en 5mots en franais celui
qui te les lisaient (les livres) donne seul mot en swahili aliyekuvisoma.
--ou bien elles peuvent tre fusionnelles, lorsque les lments qui composent le mot ne sont pas facilement identifiables, parce, par exemple,
des affixes ont pu fusionner. Cest le cas de la plupart de nos langues
indo-europennes (germaniques, slaves, grec, latines, indiennes du
Nord, etc.)
-- les langues polysynthtiques qui ont des mots composs de trs nombreux
lments, souvent qualifis de mots-phases. Linuit en est un exemple:
la maison est iglu, dans la maison devient iglumi; une maison de neige
est igluvigaq; nous sommes dans une jolie petite maison de neige: igluvigaqtsirulungmiittgut (iglu-vigaq-tsi-rulung-mi-it-tu-gut).
Cette classification est loin de rendre parfaitement compte des caractristiques de toutes les langues. Le franais est la fois une langue fusionnelle
et agglutinante. Lallemand est une langue flexionnelle, mais dans laquelle
la longueur des mots fait penser aux langues polysynthtiques. Un exemple
amusant de cela est ce projet de loi sur le transfert des obligations de
surveillance de ltiquetage de la viande bovine dont le parlement du land
de Mecklembourg-Pomranie occidentale dbattit en 1999, et dont lintitul
en allemand tait:
Rindfleischetikettierungsberwachungsaufgabenbertragungsgesetz!
Troisime enjeu, celui de la syntaxedont Heinz Wismann17 soutient quelle distingue bien plus radicalement les langues que leur
lexique: Comment ordonnons-nous les diffrents types de mots dans
une phrase?
15.Alex Taylor, Bouche be tout oue ou comment tomber amoureux des langues, Paris, JC
Latts, 2010.
16.Jol Bellassen, in Encres de chine, op. cit.
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Lattente du verbe
Si, au dbut du xixesicle, Wilhelm von Humbolt finit par renoncer expliquer Kant aux Franais, le vocabulaire ny est pour rien. Cest lorganisation
mme de cette pense, lie la structure de lallemand, qui passe mal dans
des ttes construites sur la langue de Molire. De mme, comme le constate
Madame de Stal, lart franais de la conversation, o chacun peut terminer
son gr la phrase entame par lautre, semble impraticable en allemand.
Ce nest pas une affaire de murs, cest parce quen allemand, pour savoir
ce qui est dit on doit attendre le verbe, qui vient en fin de phrase.
Roger-Pol Droit, Naviguer dune langue une autre, Le Monde, 16 novembre 2012.
Notons que cet ordre des mots est lui-mme plus ou moins dterminant dans la comprhension dune phrase selon les langues: il est
essentiel dans la trs grande majorit des langues (dans toutes les
langues flexionnelles), il lest moins dans les langues isolantes (le
chinois) o la lecture est moins squentielle et plus globale.
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Espagne ou en Allemagne? Cest ce quvoque avec humour le journaliste britannique Alex Taylor.
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La carte mondiale montre la rpartition gographique des systmes dcriture toujours en usage aujourdhui.
Comme ces systmes ne sarrtent pour la plupart pas aux frontires
politiques, la carte ci-dessus sloigne des reprsentations politiques habituelles.
La mention Wikipedia a t transcrite dans les diffrents groupes dcriture afin de les visualiser.
339
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Maximilian Drrbecker, juillet 2005, Image sous licence Creative Commons.
Source: http://commons.wikimedia.org/wiki/File:WritingSystemsOfTheWorld.png
Source: J. Poirier (dir.), Histoire des murs, vol.1, Paris, Gallimard, 1991.
20.Jin Siyan et Jol Bellassen, Empreintes Chinoises. De Chine et de France, regards croiss,
ditions Nicolas Philippe, 2005.
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340
Dans les audiences dune juridiction franaise dappel statuant sur les
cas de demande dasile se produisent de graves incomprhensions cause
dune raison en apparence toute simple: certains demandeurs racontent les
horreurs quils ont eu subir sur un ton tellement rserv que cela passe, aux
oreilles des juges, pour une forme dinexpressivit et dinsouciance. Cest
notamment le cas de beaucoup de Tamouls du Sri Lanka, de Npalais, de
Tibtains, ou encore de Corens du Nord. Les interprtes, qui connaissent
videmment les intonations et la manire de parler dans les langues de ces
ressortissants, nen sont pas tonns, mais ce nest pas toujours le cas de
certains magistrats qui peuvent ragir avec humeur. La sentence dpend
ds lors en partie de la propension des magistrats tenter den savoir plus
et tenir compte dusages, de modes dexpression, de narration, de sens
des convenances, trs diffrents des leurs, pour ne pas laisser ces carts
culturels faire cran entre eux-mmes et les requrants.
Tmoignage dun ancien rapporteur la Cour nationale du droit dasile.
Au-del de ce que peut nous voquer le rythme et la musique gnrale de la langue de notre interlocuteur, des diffrences importantes
rsident dans lusage dune plus ou moins grande diversit de tonalits, pour un son en apparence semblable. En effet, la plupart des langues ont bien plus recours une diversit de tonalits que la langue
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342
Proches lointains:
mots chinois, mots franais
La collection douvrages Proches lointains* a mis en
lumire les similitudes et les diffrences que lon peut
observer entre la France et la Chine dans le sens de certains mots supposs traduits, une fois quils sont traduits: larchitecture, la beaut, la mort, la
nature, la nuit, le rve, le voyage, le dialogue, la science, le got, la famille, la
sagesse, la passion Il sagissait de demander un crivain chinois et un
crivain franais de se positionner par rapport lun de ces mots, de dire ce
que pour eux il voque, et comment, dans leurs cultures respectives, des
philosophes, des politiques, des romanciers ou des potes en ont parl. Les
livres sont ensuite dits dans les deux langues par une maison ddition
chinoise et une maison franaise.
Le proche de lintitul de la collection nest pas usurp. Autour des
mmes mots se rvlent des lieux de rencontre aussi troublants que lexistence, dans les deux civilisations, de ces immacules conceptions des
anciennes lgendes chinoises, ou ces morts qui, en Chine comme en Europe,
sont rputs monter au ciel, ou encore cette fascination pour le trinaire:
tout va par trois en Chine, y compris le yin et le yang qui ne sauraient se
complter sans le Taiji, principe suprme qui les unit. Tout par trois: le
Ciel, la Terre et les Hommes, tout par trois mais trois-en-un, cette cl de
la recherche de lharmonie qui rejoint ici clairement la tradition chrtienne
de la Trinit.
Dun autre ct, le lointain saute aux yeux du lecteur. Alors que pour la
plupart des auteurs franais les mots ont une signification bien prcise, les
Chinois se rfrent plus souvent une multitude de sens dans leur interprtation. Ils donnent lexemple de la famille qui, en Chine, peut signifier
la socit entire, voire la patrie, mais aussi la maison (comme foyer, toit,
nourriture, btiment, forteresse, abri de lme); lexemple de la nature, non
point, comme la voient la plupart des Franais, srie dlments expliqus et
ordonns par la science, mais ensemble dont le corps et lme de lHomme
font partie intgrante; lexemple de la nuit, qui pour un Chinois excde largement la priode entre le coucher et le lever du soleil
Martine Laffon nous le rappelle: Si pour un esprit occidental, le mot a le
devoir dtre prcis, de rpondre une dfinition qui lenferme dans un sens
bien dlimit, pour beaucoup dExtrme-Orientaux plus un mot est riche
dinterprtations possibles plus il est ouvert et beau**.
*Collection dirige par Jin Syian, Yue Dai Yun et Catherine Guernier publie en franais aux ditions Descle
de Brouwer (Paris) et en chinois aux Presses littraires et artistiques de Shanghai.
**Martine Laffon, introduction son travail sur les Mots du monde document interne.
22.Alex Taylor, Bouche be tout oue ou comment tomber amoureux des langues, op.cit.
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rejoint lantique manire dont les Sumriens qualifiaient le traducteur: le tourneur de langage
Les conceptions du rle de la traduction et du traducteur
varient donc assez largement, dune culture lautre.
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Tir dedith Sizoo, Ce que les mots ne disent pas, op. cit.
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Chapitre 15
La communication
Entre entendus et malentendus
Les incomprhensions culturelles ont souvent pour origine certains dcalages dans les manires de sexprimer. Ceux-ci vont au-del
de la seule question de la langue et touchent aux rflexes discursifs
et aux stratgies de communication. Ils peuvent notamment trouver
leur origine:
dans des diffrences de structure de largumentation, dans les
codes de construction du dialogue, et dans les diffrences dapprciation de ce qui peut et ne peut pas tre communiqu;
dans des diffrences de conception du rle mme du dialogue que
nous menons: pourquoi prendre la parole? quelle est la fonction
dune runion?;
dans des conceptions et des pratiques diffrentes du verbal et du
non verbal, de lcrit et de loral;
dans limportance plus ou moins grande de limplicite dans les
modes de communication de lautre;
dans des diffrences de conceptions de lhumour et de la courtoisie.
Notons dores et dj quau cours des dernires annes, le paysage des outils de communication a connu de trs rapides mutations.
Lapparition de ce qui est communment appel nouvelles techniques de linformation et de la communication (NTIC), consquence et lment constitutif de la mondialisation, a en effet uniformis les moyens de communiquer, tout en faisant natre de nouveaux
rapports au temps et lespace, parfois assez loigns des rflexes
culturels existants. Ces nouveaux outils rebattent en partie les cartes
des diffrences interculturelles, et crent de nouvelles lignes de dcalage, en creusant lcart, dans chaque pays, entre ceux qui disposent
et matrisent ces outils et ceux qui en restent loigns.
Contextualiser
Question 123. Qui parle qui? Pourquoi et dans quel
contexte?
La sociolinguistique, nous aide comprendre que les quivoques
qui interviennent autour de la communication entre les personnes
sont loin de ntre que dordre culturel. Pour comprendre ces quivoques, quelques questions-cls:
o et quand parle-t-on? (lieu et contexte socioculturel; probablement ne parle-t-on pas de la mme faon sur le terrain et dans
son bureau);
pourquoi parle-t-on? Dans quel but le langage est-il utilis?;
qui parle qui? (est-ce bien moi que sadresse un discours, ou
mes semblables? Est-ce bien untel que je parle, ou, travers lui,
son patron, ses compatriotes, sa profession?).
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Au-del des diffrences de conception de lacte mme de communiquer, on constate souvent des carts culturels importants dans la
manire dexposer une argumentation et de formaliser une rflexion. Ces
carts affectent largement la capacit de se comprendre, et le type daccord qui peut tre recherch dans le dialogue avec nos interlocuteurs.
Beaucoup de typologies et de modles ont t labors pour rendre
compte des diffrentes manires de drouler, dune culture lautre,
une rflexion et une argumentation. Nous proposons de revenir ici
sur la plus simple et la plus parlante de ces distinctions; lopposition
entre les modes de raisonnement dductifs et inductifs:
lapproche dductive part de postulats thoriques, de principes souvent abstraits, pour en dduire une srie de rgles et de
principes dactions. Elle tend prfrer la construction de cadres de
rflexion gnraux, applicables diffrents types de problmes. Cette
approche est gnralement privilgie par ceux que E.Glenn appelle
les idologistes7 (pays latins et asiatiques notamment). Ceux-ci
auront naturellement tendance rechercher avec leur interlocuteur
un premier accord sur ces grands principes, et donc orienter la dis-
5.Ibid.
6.Ibid.
7.Edmund Glenn, Man and Mankind. Conflict and Communication Between Cultures, Ablex, 1981.
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23.http://handai.ifrance.com/interculturel/prise-decision-azra.htm
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Dans Ce que les mots ne disent pas24, dith Sizoo signale propos
de lexprience de la Plate-formepour un monde responsable et solidaire (mentionne dans le chapitre prcdent) les difficults que lon
peut rencontrer dans le travail international, lorsquon demande des
personnes ou des groupes dapposer leur signature au bas dun texte
suppos mondialement fdrateur. Ce nest pas partout dans le monde,
dit-elle le moyen le plus vident pour les faire bouger. Elle en veut
pour preuve les propos de plusieurs des traducteurs du document. Le
traducteur sngalais estime que dans la socit peule, un texte peut
tre sign sans quil ait une valeur reconnue, par exemple le code de
la famille, alors quune dclaration verbale dun chef traditionnel ou
dun leader dopinion peut tre applique par tous les membres de la
socit. Le traducteur malais indique pour sa part quen Malaisie, la
loi reconnat [les] mariages mme sils ne sont pas ratifis par un texte
sign. [Mme sans crit], lpouse peut [] rclamer des biens ou une
pension alimentaire son mari. Et si une jeune fille peut apporter suffisamment de preuves un jury quun homme a promis de lpouser,
puis sest ddit, elle peut demander tre ddommage.
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Postface
Enjeux du management
interculturel, enjeux de
lhumain
Jean-Franois Chanlat1 et Philippe Pierre2 -
Codirecteurs du Master
Les choix dorganisation, la vie au travail et les prfrences culturelles prennent sens dans les univers mentaux, symboliques et imaginaires de ceux qui les produisent sans que lon puisse les rduire des
invariants quil sagirait dexpliquer. En matire culturelle, il sagit
bien de comprendre et non de pouvoir prtendre prdire.
Michel Sauquet et Martin Vielajus partagent cette vigilance et
savent que vivre une exprience du point de vue de la diffrence
culturelle revient davantage savoir de quoi lon parle plutt que
ncessairement se mettre daccord sur ce qui est dit ou ce qui se fait.
Pour celui qui veut analyser la dynamique de la rencontre des
cultures au travail, une grille qui aide faonner un diagnostic sera
toujours plus puissante quune collection doutils isols et le prsent
livre en fait une dmonstration loquente et rare. Diagnostiquer,
cest littralement voir travers (dia-gnosis), tablir une connaissance qui dpasse celle du sens commun, crer une lucidit nouvelle
sur la ralit quotidienne3, crivaient Franoise Piotet et Renaud
Sainsaulieu.
Si comme aiment lcrire les auteurs de ce livre, en sappuyant
sur lapport de lanthropologie, nos vidences ne sont pas ncessairement celles de lautre, les professionnels du tiers secteur, du
secteur public ou du secteur priv auront plaisir partager la vise
371
postface
l'intelligence interculturelle
372
Le pari de cet ouvrage important pour la discipline du management interculturel nous apparat double.
Cest dabord celui dune posture rflexive: est-ce que ce qui est
dit est vrai? Est-ce que je dis est vrai? Mon propre comportement
peut-il sanalyser et pourquoi? Quest-ce qui a pu clocherdans la
rencontre avec lautre?
Cest ensuite celui dune posture projective: comment faire autrement? Les autres vont-ils me suivre? Comment dvelopper de nouvelles capacits cognitives et relationnelles pour dployer, auprs
dacteurs relais dans lorganisation, la diffusion des innovations?
Lintelligence interculturelle 15 thmes explorer pour travailler
au contact dautres cultures nous met, plus largement, lpreuve de
lintelligibilit du monde social. Un monde dans lequel on apprend
toujours seul mais jamais sans les autres5.
Cet ouvrage, vritable tour de force anthropologique, enrichit,
notre sens, le domaine du management parce quil fournit chacun dentre nous les moyens dune autonomie daction plus forte
face un monde davantage pluriculturel quautrefois. De plus en
plus de personnes travaillent, en effet, dans une langue, vivent en
famille dans une autre et cultivent des amitis dans une troisime
373
postface
l'intelligence interculturelle
Un livre qui se situe dans la continuit dun hritage intellectuelattentif au contexte culturel
374
La ralit est trop riche pour en appeler une seule cole de pense
et le prsent ouvrage articule apports de lanthropologie culturelle,
375
9.M. Weber, Lthique protestante, op. cit.
10.M. Crozier, Le Phnomne bureaucratique, Paris, Seuil, 1964.
11.D. Martin, Lanalyse stratgique en perspective. Retour sur les sociologies des organisations
de M. Crozier, Revue europenne des sciences sociales, n50-2, 2012.
12.R. Sainsaulieu, Sociologie de lorganisation et de lentreprise, PFNSP-Dalloz, 1987.
postface
l'intelligence interculturelle
376
13.A. Bensa, Aprs Lvi-Strauss. Pour une anthropologie taille humaine, Paris, Textuel, 2010.
14.A. Giddens, Central Problems in Social Theory, McMillan, 1979.
Un livre qui sera trs utile pour penser les enjeux venir
en matire de management interculturel
Nous partageons avec les auteurs de ce livre une tradition de
recherche-intervention, une tradition partie prenante de la vie
des organisations, attentive la subjectivit des acteurs et dsireuse
daider la prise de dcision aprs un processus de clarification des
fins donnes laction (par la pratique de lentretien de face--face,
de groupes dexpression, par celle aussi, temporaire, de tiers intervenants comme le consultant en organisation ou encore le coach). Dans
cette perspective, ce livre aidera renforcer les comptences de praticiens soucieux de ne pas trop sympathiser avec les groupes quils
animent et de ne pas partager, faute de distance, les croyances de ceux
quils tudient (et en mme temps souvent grent). Cest la
question de professionnels forms aux sciences humaines et sociales
mais exerant, temps plein, partir dun autre mtier constitu
(dirigeant, RRH, manager, syndicaliste...) qui se pose ici16. Le prsent
ouvrage permet douvrir des horizons pour les recherches en management interculturel qui privilgient encore, pour des raisons daccs
au terrain, de timidit sociale du chercheur et tout simplement de
commandes, ltude du capitalisme industriel, risquant de laisser de
ct ltude de la rvision des modes habituels de production et aussi de nombreux autres champs professionnels (secteurs de la sant,
secteurs pnitentiaires et de la dfense, secteurs de lducation)
lre du numrique. Quand les auteurs se demandent, en introduction de leur livre, si les aides-soignantes trangres dune maison de
retraite bretonne ont ou pas le mme rapport au corps, la maladie
et au grand ge que les patientes et patients dont elles soccupent,
on peut y voir une question qui ne va cesser de se poser avec acuit
compte tenu des enjeux dmographiques des pays dits dvelopps.
Lhorizon intellectuel du management interculturel est bien de
traiter dobjets peu tudis par les disciplines tablies et ce livre y
aidera: importance du corps physique et du corps virtualis dans la
communication, vie psychique et effets de stigmatisation des populations minoritaires, exprience du trauma et du handicap en contexte
multiculturel, diversit religieuse et modalits de laction mesure
que se renforcent des quipes de travail diversifies du point de vue
15.J. A. Bitsi et G. Masset, Difficults mthodologiques de la rencontre des sujets exils: enjeux et
perspectives, Universit Lumire Lyon 2.
16.G. Dahan-Seltzer et P. Pierre, De nouveaux professionnels de la sociologie en entreprise?
Pour la dfense dune sociologie dans laction, Revue conomique et sociale, 2010.
377
postface
l'intelligence interculturelle
378
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23.www.etudiantsetdeveloppement.org/idees/il-n-est-pas-de-barrieres-culturelles-que-lhumilite-ne-permette-de-franchir
379
l'intelligence interculturelle
24.R. Debray, Un mythe contemporain: le dialogue des civilisations, CNRS ditions, 2007.
25.Entretien avec E. Enriquez, Lintervention pour imaginer autrement, ducation
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26.E. Glissant, Philosophie de la relation, Paris, Gallimard, 2009.
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381
l'intelligence interculturelle
382
biographie transversale
383
l'intelligence interculturelle
Loutil Culturoscope:
Grille danalyse
des contextes,
des reprsentations
et des pratiques
socioculturelles
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l'outil culturoscope
l'intelligence interculturelle
SOURCES CULTURELLES
Chapitre 1 - Religion, tradition, Histoire
Sources des reprsentations culturelles
37
p.
59
Quels sont les rapports socioculturels la nature et lenvironnementdans nos socits respectives?
Le rapport au sacr
p. 40
p. 40
p. 42
p. 43
Le rapport la tradition
p. 47
p. 48
p. 61
p. 61
p. 66
p. 68
p. 70
p. 48
p. 49
p. 71
p. 51
p. 72
Le rapport lHistoire
388
p.
VISIONS DU MONDE
p. 71
p. 53
p. 53
p. 55
389
l'outil culturoscope
l'intelligence interculturelle
Chapitre 3- Le temps
p.
75
Contextualiser
16. Le contexte conomique et professionnel: avonsnous tous les mmes contraintes et les mmes repres
temporels?
p. 77
p. 78
p. 79
390
p. 77
p. 94
p. 94
p. 95
p. 96
p. 80
p. 80
p. 82
p. 87
p. 89
p. 90
p. 91
p. 92
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l'outil culturoscope
l'intelligence interculturelle
Chapitre 4- Lespace
p.
99
392
p.
119
p. 104
p. 104
p. 106
p. 107
p. 108
p. 110
p. 111
p. 114
p. 115
Contextualiser
p. 122
p. 122
p.123
p.125
p. 126
p.127
p. 127
p. 129
p. 132
p. 115
p. 133
p. 116
p. 134
p. 137
p. 138
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l'outil culturoscope
l'intelligence interculturelle
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p. 139
p. 140
p. 142
p. 145
IDENTITS et statuts
Chapitre 6- Lindividuel et le collectif
Je, nous, ils
155
p. 157
p. 157
p. 160
p. 162
p. 165
p. 166
p. 168
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Contextualiser
p. 178
p. 178
p. 179
p. 181
p. 182
p. 183
p. 184
396
p.
197
p. 200
p. 200
p. 205
p. 207
p. 209
p. 186
p. 186
p. 188
p. 192
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l'outil culturoscope
l'intelligence interculturelle
p.
215
Contextualiser
73. Genre et diffrenciations sexuelles: quel sens et
quelle influence ont les mots dans ce domaine?
p. 217
p. 218
398
p. 217
CULTURES
PROFESSIONNELLES et
organisationnelles
Chapitre 10- Le travail
235
Contextualiser
p. 220
p.
p. 237
p. 237
p. 220
p. 238
p. 220
p. 239
p. 222
p. 225
p. 226
p. 240
p. 240
p. 247
p. 249
p. 251
p. 252
p. 254
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l'outil culturoscope
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259
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Contextualiser
Contextualiser
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p. 272
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p. 284
401
l'outil culturoscope
l'intelligence interculturelle
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p. 297
p. 297
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p. 300
p. 304
402
LANGUES ET MODES
DE COMMUNICATION
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321
Contextualiser
p. 328
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p. 330
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p. 332
115. La langue et lidentit: quelle place la langue donnet-elle soi et aux autres?
p. 334
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l'outil culturoscope
l'intelligence interculturelle
p. 344
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Chapitre 15 - La communication
Entre entendus et malentendus
Contextualiser
p. 355
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123. Qui parle qui? Pourquoi et dans quel contexte?
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