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Ophélie 1G

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Nous retrouvons le début d’un blason anatomique puisque différentes parties du corps de la jeune femme

sont évoquées : « ses seins » (v. 9), « son épaule » (v. 11), « son grand front » (v. 12). De la sorte, Rimbaud
se sert d’un cliché poétique de la Renaissance qui vise à louer la beauté de l’être aimé et à faire de la
femme un objet d’art, thématique du culte de la beauté que l’on retrouve aussi chez les poètes parnassiens.
L’image créée au v. 12 avec le « grand front rêveur [où] s’inclinent les roseaux » peut faire référence à la
poésie. Le front représentant le monde des idées et du rêve, les roseaux la fragilité et l’agilité mais aussi
la musique (la flûte de Pan). Ainsi, ce personnage deviendrait le double du poète.
Ophélie, sans bruit, déambule au milieu de la nature bienveillante et compatissante ainsi qu’en témoignent
les verbes « pleurent », « s’inclinent » et « soupirent », tel le fantôme évoqué dans la strophe précédente.
On remarque que les êtres vivants convoqués sont ceux que l’on retrouve dans le tableau de Millais qui a
cherché à reproduire cette scène racontée par la Reine Gertrude dans l’acte IV, scène 7 d’ Hamlet. Même
le rossignol est évoqué au v. 15 par la métonymie « un petit frisson d’aile ».
En outre, certains éléments ont un lien avec la mort par leur symbolique : le saule pleureur et l’aune mais
aussi le rouge-gorge qui accompagne les morts puisqu’il entretient un lien avec le Christ.
Au v. 16, le tiret met en évidence « le chant mystérieux », dont la diérèse sur l’adjectif marque
l’insistance, renvoyant le lecteur au registre fantastique du poème à travers la figure d’une éternelle
Ophélie. Enfin, la périphrase « astres d’or » ne va pas sans faire écho aux « étoiles » du premier vers. La
boucle de cette première partie du poème est bouclée. Ophélie est protégée à jamais par la nature qui
semble la garder précieusement en son sein, veiller sur elle et la protéger.
La présence des quatre éléments l’eau, l’air, la terre (avec les arbres) et le feu (avec les astres) ainsi que
l’ambiance sonore crée à travers les assonances en [an] et la récurrence des consonnes liquides[l/ll] dans
la première partie font d’Ophélie un personnage mystique.
 Les quatre premiers quatrains donnent naissance à une image poétique de la mort et de la nature entourant
le personnage. L’énonciation s’effectue à la troisième personne, elle se veut neutre pour mieux sublimer
Ophéli
Second mouvement → Partie II (v. 17 à 32) : Le parallèle entre la quête de liberté du
poète et la folie d’Ophélie.

Dans cette deuxième partie du poème, l’énonciation change. Le poète s’adresse directement à Ophélie et la
tutoie.

➔ La première strophe débute par une apostrophe du poète qui s’adresse directement à elle en l’invoquant
ainsi que l’indique l’interjection « ô ». Sous les paroles du poète elle est divinisée. L’effet de la mort est
toujours présent à travers la comparaison « belle comme la neige » qui témoigne, certes de la pureté du
personnage, mais surtout du caractère éphémère de la vie.
Au v. 2, le poète semble comme instaurer un dialogue avec elle comme le suggère l’emploi de l’adverbe
« oui », sorte de fonction phatique du langage, cherchant à établir ou maintenir un lien avec l’interlocuteur.
Nous pouvons remarquer également le changement de temps : le présent de la première partie fait place
aux temps du récit (imparfait/PS) qui renvoient la fable à un passé lointain. D’ailleurs le passé simple
« mourus » suggère le caractère soudain et irréversible de l’action. Le substantif « enfant » suscite la pitié
et conduit à la recherche du pathétique par l’image que produit la figure de la jeunesse brisée. Nous
pourrions, par-là, voir l’évocation du renouveau poétique si l’on considère que la mort marque la fin mais
aussi le début de quelque chose d’autre. Par ailleurs, les circonstances de la mort sont enfin révélées : le
courant s’est emparé d’elle. Dans ce début de seconde partie, la nature entourant la jeune femme est décrite
de manière plus hostile. L’on remarquera d’ailleurs que le poète semble plus agité ainsi que l’atteste la
présence de la modalité exclamative dans ces deux premiers vers puis dans les strophes qui vont suivre.
Le v. 19 ouvre une série de reprises anaphoriques du présentatif « C’est que » conférant au discours du
poète une marque d’implication personnelle, cherchant ainsi à trouver les raisons qui ont conduit Ophélie
à la mort. Du vent de la première partie on passe aux « vents » au pluriel ce qui le rend moins doux et
moins agréable. L’enjambement v. 19-20 figure d’ailleurs la puissance de ce vent qui apparaît personnifié
par le verbe « T’avait parlé ». Enfin, le GN « âpre liberté » associe au substantif un adjectif négatif
dénotant des difficultés. C’est ici que l’on peut établir un parallèle entre le personnage mythique d’Ophélie
et le poète. La recherche de la liberté ne va pas sans rappeler la volonté de Rimbaud de se détacher des
codes, de se distinguer des autres même s’il cherche à séduire Banville à travers cette composition. Il n’en
oublie pas son identité et son envie d’émancipation.
➔ A la strophe suivante, le vent devient encore plus fort, mais le pluriel fait à nouveau place au singulier
« un souffle, tordant ta grande chevelure » (v. 21). Les « étranges bruits » au v. 22 deviennent un « chant »
au vers suivant comme si tout poussait Ophélie vers la mort caractérisée, elle, par la métaphore « soupirs
des nuits » au v. 24. Le jeu des sonorités dans cette strophe concoure à rendre sensible ce déchaînement
de la nature et le renforce : les consonnes sont plus rugueuses [r], explosives [p], [b], dures [k], [t]. Enfin
la « Nature » est également personnifiée par la majuscule, ainsi le poète évoque cette liberté qui dépasse
l’homme.
➔ Le thème de la folie est à nouveau présent au v. 25 qui débute la troisième strophe. Mais de la « douce
folie » au v. 7 on passe aux « mers folles », métaphore qui figure le déchaînement des éléments, donc la
folie qui s’empare de l’esprit d’Ophélie. En outre, l’expression hyperbolique « immense râle » fait
référence à la mort, thème renforcé par l’emploi du verbe « brisait » en début de vers qui connote
également la violence contre laquelle l’innocence, suggérée par l’expression « sein d’enfant » ne fait pas
le poids. Les deux hyperboles « trop humain et trop doux » renforcent cette idée de faiblesse : Ophélie
ne peut pas lutter contre les forces qui s’imposent à elle. Dans la tragédie de Shakespeare elle est victime
collatérale de l’opposition entre Hamlet et son oncle, il s’agit d’un jeu de pouvoir qui la dépasse et cause
sa perte.
Ensuite, le responsable de la mort de la jeune femme n’est pas directement cité mais deux périphrases
aux v. 27 et 28 désignent Hamlet : « un beau cavalier pâle » qui fait référence au tempérament taciturne
du jeune homme après avoir vu le spectre et « un pauvre fou », attitude que le jeune homme adopte pour
ne pas dévoiler ses intentions de vengeance à la cour du Danemark. La position d’Hamlet « à tes genoux »
symbolise la déclaration amoureuse (amour courtois), l’élément qui a bouleversé la vie d’Ophélie. Sans
ces promesses faites puis rompues elle n’aurait peut-être pas perdu la raison et trouvé la mort. Alors que
la nature parle à la jeune femme, lui reste « muet » comme s’il n’avait pas les mots.
➔ Dans la dernière strophe de cette partie, le rythme devient de plus en plus saccadé. Le v. 29, alexandrin,
est constitué de quatre phrases averbales. Les trois premières constituent une gradation représentant les
illusions de la jeune femme qui s’est fourvoyée. Cette fois-ci le poète la désigne directement à travers
l’apostrophe « ô pauvre folle » ce qui témoigne d’une mise à distance mais aussi d’une certaine
compassion. C’est là que le parallèle entre le poète et cette figure mythique s’arrête. Ophélie s’est brûlé
les ailes à croire en un amour qui l’a conduite à sa perte ainsi que le traduit la comparaison au v. 30
« comme neige sur le feu », la passion l’a consumée totalement. D’ailleurs cette comparaison rapproche
le personnage de l’élément eau qui ne va pas s’en rappeler la noyade et le fleuve dans lequel elle erre.
Mais cette figure peut aussi être mise en relation avec le « rêve » au vers précédent qui a anéanti Ophélie.
La double interprétation reste possible.
Les v. 31 et 32 abordent encore la folie avec le terme « visions » mais aussi la liberté avec le substantif
« infini », Ophélie est présentée comme pétrifiée par ce qu’elle voit, incapable de parler ainsi que l’atteste
l’expression « étranglaient ta parole ». Ici le poète évoque à travers le personnage mythique sa propre
quête de liberté.
 Cette seconde partie rompt stylistiquement avec la première. L’énonciation diffère et le ton aussi. Le
poète paraît plus exalté car à travers Ophélie il parle de lui et de sa conception de la poésie.

Troisième mouvement → Partie III (v. 33 à 36) : Le poète comme témoin

Cette dernière partie est brève par rapport aux deux précédentes, probablement pour marquer une rupture qui
retient l’attention sur le rôle et la fonction du poète.

➔ On remarque la répétition de la conjonction de coordination « Et » en début de vers (32 et 33) qui établit
un lien entre la deuxième et la troisième partie. Les paroles du poète sont rapportées indirectement
comme si Rimbaud mettait de la distance entre lui et cette fonction. Qui plus est, la majuscule à « Poète »
renforce cette distanciation. Ensuite, le motif du revenant (« fantôme ») est à nouveau présent dans cette
ultime strophe puisqu’à la faveur de « la nuit » Ophélie prend vie par la cueillette des fleurs. D’ailleurs,
dans cette dernière strophe les temps verbaux sont plus diversifiés : le présent est employé pour renvoyer
à la temporalité du locuteur (« le Poète dit ») et vient s’opposer à la temporalité d’Ophélie qui appartient
à un passé révolu (passé simple « tu cueillis »), néanmoins le fantôme d’Ophélie plane toujours comme
semble l’indiquer l’emploi du présent « tu viens » au v.34. Par l’usage du passé composé (action passée
qui a encore des conséquences sur le présent de celui qui s’exprime) « a vu » (v. 35), le poète montre qu’il
en est le témoin privilégié. Ainsi, il se fait témoin mais aussi gardien de cette fable.
Les deux derniers vers reprennent ceux de la première strophe du poème, formant une construction
circulaire, Ophélie est condamnée à errer pour l’éternité.

Eléments de conclusion :

A travers le récit de la mort d’Ophélie bercée et protégée par la nature, le jeune Arthur Rimbaud exprime déjà
sa conception de la poésie. En effet, Ophélie mythe littéraire appartenant à l’univers shakespearien, semble
être le double du poète épris de liberté, rêvant d’émancipations créatrices. Par sa construction le poème évoque
tout d’abord la jeune Ophélie qui repose dans la nature et que le lecteur est invité à contempler comme un
tableau, puis les la seconde partie évoque les causes de sa mort, son tourment et sa quête de liberté, enfin
Rimbaud laisse la parole au poète celui qui observe, voit et transmet.
Dans son « Ophélie », Rimbaud élève la jeune femme au rang de divinité alors que dans « Vénus Anadyomène
» il fait de la déesse une prostituée. Ces poèmes, tous deux envoyés à Banville témoignent déjàdu génie précoce
du jeune artiste.

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