II. Le Dolar Comme ...
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II. Le Dolar Comme ...
La peur du flottement
De nombreux pays émergents tentent d'éviter les fortes
fluctuations de leur monnaie par rapport au dollar. C'est ce que
l'on appelle la « peur du flottement » [Calvo et Reinhart, 20021.
Ce phénomène tient à ce que l'appréciation des monnaies est
considérée comme préjudiciable mais, étonnamment, il en est de
même pour la dépréciation. D'une part, l'appréciation du taux de
change dégrade la compétitivité des producteurs nationaux, ce qui
détériore la balance des paiements. La volonté d'éviter
l'appréciation est donc bien compréhensible, surtout dans le
contexte d'un pays émergent où la croissance est tirée par les
exportations. Une appréciation trop forte peut aussi conduire à
une surévaluation de la monnaie, qui est une des causes bien
connues des crises de change. D'autre part, la dépréciation est
également redoutée, surtout si elle est brutale, car, malgré son
impact positif sur le commerce extérieur, les effets financiers en
sont désastreux pour les agents locaux dont la dette est libellée en
dollar. Les entreprises et les banques des pays émergents étant
souvent endettés en dollar, la dépréciation renchérit la valeur de
leur emprunt, alors que leur actif libellé en monnaie locale
n'augmente pas parallèlement. Ce déséquilibre en devises des
bilans (currency mismatch) produit des effets dévastateurs au
moment des dépréciations, conduisant à des faillites en chaîne,
comme pendant la crise asiatique de 1997. Pour éviter cette
situation, les gouvernements des pays émergents préfèrent éviter
de brusques dépréciations de leurs monnaies, un autre remède
étant d'inciter les entreprises ressortissantes à s'endetter davantage
en monnaie locale. Mais malgré le développement de la dette en
monnaie locale depuis le début des années 2000, les entreprises
des pays émergents continuent à s'endetter en dollar pour
répondre à la demande de titres des investisseurs internationaux et
bénéficier de taux d'intérêt plus faibles.
Bien qu'un grand nombre de pays émergents souhaitent stabiliser la
valeur de leur devise par rapport au dollar, peu d'entre eux maintiennent
un taux de change complètement fixe. La libéralisation des mouvements
de capitaux a rendu difficile la défense d'une parité annoncée à l'avance,
les flux de capitaux privés excédant de loin les réserves des banques
centrales. Souvent, l'abandon du change fixe s'est fait sous le coup d'une
crise majeure, comme au Mexique en 1994, au Brésil en 1998, en
Turquie en 2001 et en Argentine en 2001-2002. Dans d'autres cas, le
LE DOLLAR COMME MONNAIE INTERNATIONALE 41
8,5
7,5
6,5
6
2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014
Des changes flottants pour les pays avancés, fixes pour les autres
LE DOLLAR COMME MONNAIE INTERNATIONALE 43
fixe par rapport au dollar : son cycle économique est lié avant tout
aux mouvements des prix du pétrole. Lorsque le pétrole est cher,
les revenus d'exportation affluent, entraînant à la hausse les
salaires, les rentes, mais aussi les prix et l'activité économique,
notamment dans les services. Inversement, l'activité et les prix
refluent lorsque le marché du pétrole se retourne. Dans ces
conditions, le cycle économique a peu de raisons d'être en phase
avec celui des États-Unis.
Or si les cycles économiques sont déphasés, des mécanismes
déstabilisateurs peuvent se mettre en place. Supposons par
exemple qu'un pays soit en surchauffe, donc en proie à l'inflation,
alors que les États-Unis sont en récession et maintiennent des
taux d'intérêt faibles pour tenter de relancer leur activité. Si ce
pays relève ses taux d'intérêt pour lutter contre l'inflation, il verra
affluer des capitaux en quête de rendements. Pour maintenir les
taux de change fixes malgré ces afflux de capitaux, il devra créer
de la monnaie pour acheter des dollars, et cette création monétaire
viendra encore alimenter la hausse des prix. Pour éviter ces effets
indésirables, la hausse des taux d'intérêt sera vraisemblablement
beaucoup plus modérée que nécessaire, ce qui rendra difficile la
lutte contre l'inflation initiale. C'est ainsi que la politique
monétaire d'un pays en change fixe est contrainte par le
déphasage de cycle économique avec les États-Unis.
La portée de ces arguments est amoindrie si l'on considère non
plus des pays individuels mais des zones géographiques à
l'intérieur desquelles le commerce entre les pays est très intense.
Si tous les pays d'une zone de ce type ancrent leur monnaie sur le
dollar, il est rationnel pour chacun d'eux pris individuellement
d'en faire de même. S'écarter de cette stratégie présenterait le
risque de s'exposer à des variations de la compétitivité-prix par
rapport aux partenaires commerciaux, susceptibles de déstabiliser
le commerce extérieur. C'est cette logique qui est à l'œuvre en
Asie de l'Est, où un grand ensemble de pays, Chine en tête,
stabilisent leur parité par rapport au dollar, alors que cet ancrage
n'est guère optimal pour les pays individuels. Nous sommes ici en
présence d'un « dilemme du prisonnier » classique, où chaque
participant adopte une mauvaise solution, car celle-ci se trouve
être la meilleure réponse en l'absence de coopération. Le
développement d'accords monétaires régionaux et la libéra.
48 LE DOLLAR ET LE SYSTÈME MONÉTAIRE INTERNATIONAL
La monnaie intematlonale
Une monnaie est internationale si elle permet le règlement des
échanges commerciaux entre les pays, ainsi que la circulation des
capitaux. Elle peut être vue comme un bien public international
puisque son existence même autorise le commerce international et
son financement. L'or jouait ce rôle dans le système de l'étalon-or,
même s'il n'était pas le médium direct du commerce international,
mais le moyen de règlement ultime de la variation des positions
monétaires extérieures des pays. Il partageait ce rôle avec les
devises convertibles en or dans le système d'étalon de change-or
des années 1920, dont on a vu dans le chapitre 1 qu'il n'a pas été
satisfaisant. Sous Bretton Woods, le statut privilégié du dollar est
venu du fait que les alliés politiques des États-Unis, dans le
contexte de la guerre froide, se sont abstenus de recourir à la
conversion en or. Dans notre système actuel, toutes les monnaies
convertibles sur le marché des changes peuvent théoriquement
remplir ce rôle. En réalité, le rôle international d'une monnaie
dépend de plusieurs facteurs, dont les principaux sont la
convertibilité, la taille de l'économie sous-jacente et le
développement des marchés financiers du pays émetteur. Mais
l'histoire joue aussi un rôle déterrninant, car les situations
dominantes sont difficiles à renverser.
Les conditions pour qu'une monnaie soit internationale
(4) Obligations
internationales
o % 20 % 40 % 60 % 80 % 100 %
Dollarisation et dédollarisation
15 % Monde
10
%
60 %
Chine
50 %
40 %
30 %
20 %
1096
La position extérieure nette désigne l'écart entre les actifs que les
résidents d'un pays détiennent à l'étranger et ceux que possèdent les
étrangers dans le pays. Si elle est négative, on peut considérer qu'il s'agit
d'une dette du pays vis-à-vis de l'étranger. En toute rigueur, la position
extérieure nette compte aussi des investissements directs et des actions
qui ne sont pas à proprement parler une dette, mais il n'en reste pas moins
que leur montant est dû aux non-résidents, ce qui rend légitime
d'assimiler les deux termes.
La position extérieure américaine était positive dans l'immédiat après-
guerre, notamment vis-à-vis de l'Europe à la suite du plan Marshall,
auquel s'ajoutaient les créances de guerre. Elle s'est ensuite
considérablement développée au cours des deux décennies suivantes en
raison de la puissance des multinationales américaines qui ont investi sur
tous les continents. Cependant, depuis le début des années 1970, les
déficits extérieurs persistants ont commencé à ronger les avoirs du pays ;
les États-Unis sont ainsi devenus débiteurs vers le milieu des années
1980. La position extérieure nette du pays, désormais négative, s'élevait à
4 166 milliards de dollars en 2013 (tableau 3), soit 25 % du PIB environ.
Les avoirs extérieurs nets représentent les soldes courants passés
accumulés, compte tenu des effets de valorisation. Un pays déficitaire
doit nécessairement financer son déficit par des entrées nettes de capitaux
de même montant. Il y a seulement deux moyens pour ce faire : soit les
résidents du pays vendent une partie de leurs actifs à l'étranger, soit les
étrangers achètent des actifs dans le pays. Dans les deux cas, la position
extérieure du pays se dégrade. Dans la réalité, les actifs des Américains à
l'étranger ont continué de croître à un rythme soutenu, les multinationales
américaines poursuivant leur politique d'investissements à l'étranger.
Mais les étrangers ont investi bien davantage aux États-Unis, si bien que
le solde entre les deux est devenu négatif.
Le statut de monnaie internationale du dollar a permis de
financer sans douleur la dette américaine. La contrainte extérieure
s'est fait beaucoup moins sentir aux États-Unis que dans les autres
pays, puisque la dette extérieure a augmenté continûment sans
crise de financement. L'attrait exercé par le dollar sur les
investisseurs internationaux ne s'est jamais démenti, même
pendant la crise de 2008. Plus précisément, il convient de se
demander dans quelle mesure le statut international du dollar
contribue au financement de la dette américaine. Pour répondre à
64 LE DOLLAR ET LE SYSTÈME MONÉTAIRE INTERNATIONAL