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Texte, Quotidien de Nana
Texte, Quotidien de Nana
Texte, Quotidien de Nana
un « cocotte »,
une prostituée mondaine très en vue. Cependant, elle quitte tout pour emménager avec un homme, Fontan, qui la bat et lui soutire
l’argent qu’elle gagne en se prostituant désormais dans les bas-fonds. Forcée d’arpenter les boulevards en quête de clients, elle craint
de se faire arrêter par la police.
Nana écoutait ces choses1, prise de frayeurs croissantes. Elle avait toujours tremblé devant la loi, cette
puissance inconnue, cette vengeance des hommes qui pouvaient la supprimer, sans que personne au monde
la défendît. Saint-Lazare2 lui apparaissait comme une fosse, un trou noir où l’on enterrait les femmes vivantes,
après leur avoir coupé les cheveux. Elle se disait bien qu’il lui aurait suffi de lâcher Fontan pour trouver des
5 protections ; Satin avait beau lui parler de certaines listes de femmes3, accompagnées de photographies, que
les agents devaient consulter, avec défense de jamais toucher à celles-là : elle n’en gardait pas moins un
tremblement, elle se voyait toujours bousculée, traînée, jetée le lendemain à la visite4 ; et ce fauteuil de la
visite l’emplissait d’angoisse et de honte, elle qui avait lancé vingt fois sa chemise par-dessus les moulins.
Justement, vers la fin de septembre, un soir qu’elle se promenait avec Satin sur le boulevard
10 Poissonnière, celle-ci tout d’un coup se mit à galoper. Et, comme elle l’interrogeait :
— Les agents, souffla-t-elle. Hue donc ! hue donc !
Ce fut, au milieu de la cohue, une course folle. Des jupes fuyaient, se déchiraient. Il y eut des coups et
des cris. Une femme tomba. La foule regardait avec des rires la brutale agression des agents, qui, rapidement,
resserraient leur cercle. Cependant, Nana avait perdu Satin. Les jambes mortes, elle allait sûrement être
15 arrêtée, lorsqu’un homme, l’ayant prise à son bras, l’emmena devant les agents furieux. C’était Prullière5, qui
venait de la reconnaître. Sans parler, il tourna avec elle dans la rue Rougemont, alors déserte, où elle put
souffler, si défaillante, qu’il dut la soutenir. Elle ne le remerciait seulement pas.
— Voyons, dit-il enfin, il faut te remettre… Monte chez moi.
Il logeait à côté, rue Bergère. Mais elle se redressa aussitôt.
20 — Non, je ne veux pas.
Alors, il devint grossier, reprenant :
— Puisque tout le monde y passe… Hein ? pourquoi ne veux-tu pas ?
— Parce que.
Cela disait tout, dans son idée. Elle aimait trop Fontan pour le trahir avec un ami. Les autres ne
25 comptaient pas, du moment qu’il n’y avait pas de plaisir et que c’était par nécessité. Devant cet entêtement
stupide, Prullière commit une lâcheté de joli homme vexé dans son amour-propre.
— Eh bien ! à ton aise, déclara-t-il. Seulement, je ne vais pas de ton côté, ma chère… Tire-toi d’affaire toute
seule.
Et il l’abandonna. Son épouvante la reprit, elle fit un détour énorme pour rentrer à Montmartre, filant
30 raide le long des boutiques, pâlissant dès qu’un homme s’approchait d’elle.
1
Les histoires que lui raconte Satin, une amie prostituée, sur les rafles policières visant les « insoumises ».
2
Hôpital-prison parisien destiné à l’internement des prostituées depuis la fin du XVIIIème siècle.
3
Les prostituées « en carte » ou « à numéro » étaient inscrites officiellement sur les registres de police, alors que les autres, les
« insoumises » comme Nana et Satin, risquaient la prison.
4
Les prostituées incarcérées à Saint Lazare devaient subir une visite médicale qui consistait essentiellement à inspecter leurs
parties génitales pour voir si elles étaient atteintes de maladies vénériennes.
5
Un acteur, ami de Fontan.