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L Influence de La France Dans L UE 1576960098

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L’ INFLUENCE FRANÇAISE

DANS L’UNION EUROPÉENNE


VUE PAR LES DIRIGEANTS
ÉCONOMIQUES

Synthèse de l’étude
Laurent Mazille, Président de l’APAP – laurent.mazille@transdev.com

Fondée en 1985, l’ARPP, renommée APAP (Association des Professionnels en Affaires Publiques) au printemps 2019, est
l’association professionnelle réunissant les lobbyistes en entreprises (publiques ou privées), fédérations ou organismes publics.
Sous l’égide de son président Laurent Mazille, Directeur des Relations institutionnelles de Transdev, ses 110 membres concentrent
leurs réflexions sur l’engagement de la profession pour la transparence et l’éthique, valeurs phares de l’association depuis sa
création (code déontologie intégrant la loi Sapin 2). L’APAP œuvre ainsi à améliorer la reconnaissance et la structuration du
métier, mettre en œuvre à tous les niveaux de décision ses principes d’éthique professionnelle, ou encore favoriser les réflexions
et échanges sur les questions liées à la représentation d’intérêts et son rôle dans la vie démocratique. Elle le fait notamment par
le biais de rencontres institutionnelles, d’échanges réguliers avec la HATVP ou d’organisation de conférences.

Natacha Clarac, Directrice Générale – natacha.clarac@athenora.com

Fondé en 2003, Athenora Consulting est un cabinet de conseil en stratégie d’influence opérant exclusivement sur la sphère
européenne. Ses associés, Stéphane Desselas et Natacha Clarac, co-auteurs de l’ouvrage Les règles d’or du Lobbying (2012), ont
conçu une méthodologie complète de l’influence au sein de l’arène européenne. Athenora Consulting accompagne ses clients de
la veille des enjeux les impactant à l’analyse des rapports de force et des postures de négociation. L’agence met également en
œuvre des actions de lobbying proactives et participe à la rédaction de plaidoyers au service de visions à porter aux décideurs
européens. Athenora anime plusieurs cercles pour croiser les regards entre des entités diverses de par leur nature, taille et enjeux
et les décideurs européens. Athenora est membre depuis 2007 du réseau PRGN (Public Relation Global Network), qui regroupe une
quarantaine d’agences dans le monde. Athenora a été le premier cabinet de lobbying à s’inscrire sur le registre de transparence
des institutions européennes.

Alexia Goloubtzoff, Directrice Générale – agoloubtzoff@spin-strategy.net

Créé début 2019 par Joshua Adel et Alexia Goloubtzoff, Spin & Strategy est le 1er cabinet alliant les métiers du politique et de
l’influence avec le conseil en stratégie et les sciences sociales, au service du « leadership de pensée » (Thought Leadership) des
entreprises et des institutions.
Spin & Strategy se donne pour mission de « rendre le pouvoir aux idées » en conseillant ses clients dans l’élaboration de leur
vision stratégique jusqu’à la mise à l’agenda de leurs intérêts et de leurs positions dans le champ politique, dans la vie économique
comme dans la société.
La rencontre des deux univers se traduit par un enrichissement mutuel : le conseil en stratégie fournit au lobbying une expertise
de solutions viables sur le plan technique et économique, tandis que le conseil en lobbying, poussé jusqu’au ralliement de l’opinion
publique (spin), vient construire des majorités d’idées favorables aux stratégies business conçues avec ses clients.
Le cabinet est inscrit au registre de représentants d’intérêts de la HATVP.
prÉface
Les décideurs le savent, le concept qu’ils étaient prêts à de nouvelles approches
d’influence ne se laisse pas appréhender afin de gagner en efficacité et d’instaurer
aisément. Qu’ils évoluent dans la sphère des synergies avec la puissance publique, sur
politico-administrative, économique ou la les mêmes principes que ceux en vigueur
société civile, cette notion polysémique résiste dans d’autres pays, portés peut-être par des
à l’analyse et, parfois, dérange. Pourtant, cultures et des pratiques moins clivantes et
alors que l’Union Européenne renouvelle plus attachées aux résultats.
ses institutions, ses priorités politiques et
Disons ici simplement ce dont tout le
budgétaires pour les cinq prochaines années
monde désormais, dans les ministères, les
et que les défis économiques et commerciaux,
services déconcentrés, les ambassades, les
de même que les crises géopolitiques en
fédérations professionnelles, les entreprises,
gestation, se propagent, nous sommes
les ONG, le monde associatif et syndical, est
incontestablement dans un momentum, où
parfaitement conscient : la prochaine étape
les cartes doivent être rebattues et l’influence
du développement de l’influence de la France
repensée, de façon plus holistique.
en Europe passera par une convergence
En ouverture du colloque organisé par l’APAP, organisée, transparente et inclusive entre
Athenora Consulting et Spin & Strategy le 27 l’ensemble des acteurs publics et privés.
novembre au MEDEF, nous sommes convenus
L’État lui-même y trouverait un intérêt évident,
de ne pas nous livrer à une énième séance
sans que son autonomie de négociation dans
d’autoflagellation collective sur la perte
les enceintes européennes en soit le moins
d’influence de la France en Europe ! Bien
du monde amoindrie. C’est une nouvelle
que les données disponibles dessinent une
philosophie de l’action collective gagnante-
cartographie des acteurs assez inquiétante
gagnante, et c’est aussi le sens de l’évolution
et qu’il demeure indispensable d’en faire
historique du fonctionnement des institutions,
un diagnostic objectif, ce qui nous incombe
encore confirmé ces dernières années par la
aujourd’hui est de sortir collectivement
doctrine « mieux légiférer » et la montée en
d’une obsession mortifère de la présence
puissance des instruments de gouvernance
pour lui substituer une stratégie positive de
de la société civile : les études d’impact,
l’influence, pensée comme une imbrication
les livres verts et blancs, les consultations
performative de la diplomatie d’État, de la
publiques, les groupes consultatifs, les
diplomatie économique et du soft power.
auditions parlementaires, sans parler des
Les circonstances sont mûres pour cette actes délégués… sont autant d’étapes
révolution copernicienne : ce que les 50 essentielles dans le processus décisionnel au
dirigeants économiques qui ont pris part cours desquelles - nous le savons exemples à
à cette étude ont clairement affirmé, c’est l’appui - les États qui se sont concertés avec

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leurs « parties prenantes » pour construire paradigme de l’influence. Plus complexe,
ce qu’on peut qualifier de communauté de moins institutionnelle, la décision européenne
défenseurs d’intérêts convergents, plutôt que suppose de la part des décideurs des
de partir en ordre dispersé, ont optimisé leurs adaptations stratégiques constantes. Le jeu est
potentiels d’influence. désormais très ouvert et il faut accompagner
ce mouvement qui relève également d’une
La France mérite mieux que de petits
forte attente des opinions publiques.
rapprochements occasionnels et aléatoires,
Encourageons la diversité des compétences
en fonction de la culture d’ouverture plus ou
et des expériences à co-construire la voix et
moins large des différents corps de l’État. Il
l’expertise de la France en Europe.
faut harmoniser ces pratiques de concertation
encore insuffisamment organisées et leur Décloisonnons.
trouver un cadre officiel et transparent dans
l’espace public, en s’inspirant par exemple de Arnaud MAGNIER
l’AmCham, Chambre de commerce américaine, Ancien Secrétaire général
lieu de toutes les synergies et de négociations des Consultations Citoyennes sur l’Europe
croisées fécondes. auprès du Ministère de l’Europe
et des Affaires étrangères
L’étude particulièrement approfondie qui vous
est ici proposée apporte une remarquable
contribution à l’émergence de ce nouveau

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INTRODUCTION
Le « déclin de l’influence de la France » La présence institutionnelle et politique
à Bruxelles s’est imposé comme un lieu de l’Allemagne, qui n’investit pas
commun dans le débat sur la question le Parlement européen par intermittence
européenne depuis l’élargissement de ou dépit, n’explique pas tout. Le lobbying
2004 et le référendum sur la Constitution est consubstantiel au système politique
européenne de 2005. Omniprésent dans allemand comme au fonctionnement
le bruit de fond médiatique et politique, de l’UE. L’article 9 de la Loi
il est également sérieusement documenté fondamentale confère au lobbying
depuis une dizaine d’années par des (Interressenvertretung) une valeur
productions de think tanks, des travaux constitutionnelle.
universitaires et des commissions De son côté, la Commission européenne
d’enquête parlementaires. reconnaît dans son Livre vert sur la
Le Conseil d’État en convient lui-même transparence (2006) que « la repré-
dans un rapport de 2007, constatant sentation d’intérêts fait légitimement
le recul de l’administration française partie du système démocratique ».
au sein des institutions de l’Union À l’inverse, en France, si le lobbying
européenne (UE) et une absence connaît une institutionnalisation depuis la
préjudiciable de « stratégie d’influence ». loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, son rôle
En février 2016, deux ans après la de profession politique, officiant comme
victoire du FN aux élections européennes, partenaire de la diplomatie d’État dans
les députés Christophe Caresche (PS) les grandes négociations internationales,
et Pierre Lequiller (UMP) consacrent un demeure largement tabou.
rapport parlementaire à mesurer cet
L’essentiel des productions sur
affaiblissement de la France au sein
l’influence de la France au sein de l’UE ne
de l’UE. Ils proposent une véritable
considère que la présence française dans
stratégie de soft power, combinée à une
les institutions européennes (perte de
repolitisation de notre investissement
postes clés à la Commission, recul
dans la question européenne.
de l’usage de la langue française, faible
En matière d’influence européenne, implication des eurodéputés…) pour
il est d’usage de vanter, comme dans évaluer l’efficacité de sa diplomatie
bien des domaines, le modèle alle- d’État et de sa diplomatie économique.
mand réputé plus efficace, solide et La présente étude est née de la volonté
performant dans les batailles poli- de sortir de cet impensé, en considérant
tiques et économiques au sein de l’UE. comme allant de soi la complémentarité

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et la coordination active entre la entreprises, rebond de la France dans les
diplomatie d’État d’un côté, et le lobbying palmarès du soft power (The Guardian)
des milieux économiques et des acteurs et de l’attractivité (Ernst&Young),
du soft power (think tanks, cabinets de engouement du MEDEF lors de son
conseil, leaders d’opinion…) de l’autre. Université d’été 2017, appel des country
Les premiers acteurs de la managers de multinationales étrangères
professionnalisation du lobbying implantées en France à une union sacrée
« bruxellois » ont été les Britanniques pour l’attractivité, réception des CEO
– bien avant leur adhésion à la CEE – comme des chefs d’État au sommet
suivis par les Américains. Dorénavant, Choose France à Versailles en 2018
la Chine comme la Russie se sont dotées et 2019…
de stratégies offensives d’influence au La présence de gouvernements d’extrême
sein de l’UE souvent plus puissantes que droite au sein du Conseil européen,
celles d’États fondateurs. la difficulté à établir un gouvernement
Notre diplomatie d’État souffrirait en allemand de coalition, de même que
miroir d’un « déni de lobbying » en se l’imbroglio du Brexit, sont venus obstruer
privant de ce moyen dans sa stratégie l’ambition européenne d’Emmanuel
d’influence à Bruxelles. Or, le lobbying Macron, consacrée dans le discours de la
est un fondement de puissance pour les Sorbonne de septembre 2017.
États-membres ; il l’est a fortiori pour De plus, le mouvement des Gilets
des grands ensembles géopolitiques Jaunes cristallise la colère des perdants
concurrents de l’UE. de la mondialisation et souligne
la persistance d’une conviction, dans
L’élection d’Emmanuel Macron
les classes moyennes et les milieux
à l’Élysée en 2017 aurait dû rompre
populaires, selon laquelle l’UE fissure le
cette morosité sur le déclin de
modèle social français et la compétitivité.
la France à Bruxelles. L’avènement d’une
Cette crise met un frein à l’assertivité
présidence ouvertement libérale,
européenne de la France. En parallèle,
pro-européenne, pro-business, portée
l’euphorie des milieux économiques pour
par une coalition de centristes de gauche
cette présidence « pro-européenne et
et de droite dans l’esprit de compromis
pro-business » semble retomber, et les
à l’allemande et à la bruxelloise, sonnait
limites de l’influence française dans l’UE
comme un « France is back ».
restent tangibles.
La volonté réformatrice d’Emmanuel
Macron se traduisait en actes et produisait Il nous fallait donc confronter ce
des résultats : indicateurs économiques et storytelling du « France is back » à la
sociaux au vert, réformes structurelles Realpolitik européenne pour mesurer
du monde du travail et de la fiscalité des l’effectivité de l’influence française dans

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l’UE, par la combinaison de sa présence à être évitées si notre diplomatie d’État
des postes d’influence dans les institutions avait été plus intrinsèquement liée au
et de l’intégration de ses lobbyistes lobbying de ses milieux économiques et
dans le champ du pouvoir à Bruxelles. stratégiques ? Quels leviers institution-
Le retour d’expériences et les aspirations nels et pratiques de l’influence mettre en
des milieux économiques, représentés œuvre dans le prochain agenda européen
dans cette étude par les Directions 2019-2024 pour reconquérir les positions
générales, les directions d’Affaires de la France sur la scène européenne
publiques France et/ou d’Affaires et internationale ?
européennes, se révèlent ainsi majeurs Et si la France reculait à Bruxelles parce
pour dresser un examen lucide et identifier que ses milieux économiques et ses
les voies de la reconquête de l’influence de acteurs du soft power n’investissaient
la France dans l’UE et à l’international. pas assez le lobbying européen ?
Et si l’Europe-puissance passait finalement
Certaines grandes défaites politiques,
par un lobbying intégré à la stratégie
diplomatiques et économiques de la
économique des États-membres ?
France comme de l’UE auraient-elles pu

L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE


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MÉTHODOLOGIE DE L’ÉTUDE
Cette étude politique se propose de proposition de modélisation des stratégies
compléter l’évaluation traditionnelle de d’influence selon les cultures politiques
l’influence de la France au sein de l’UE via sa des États-membres ou des puissances
présence institutionnelle, politique et géopolitiques extracommunautaires :
diplomatique, et par le passage au crible de le « modèle américain-allemand », où la
l’influence de ses lobbyistes et des acteurs puissance publique - jusqu’aux agences de
de son soft power. La situation politique lobbying - coexiste ainsi avec un « modèle
considérée est celle du lendemain des britannique » reposant davantage sur le rôle
élections européennes de mai 2019, bien que d’agents d’influence comme les cabinets
l’analyse s’attache à établir des comparaisons d’avocats et d’études, les think tanks…
avec la précédente législature 2014-2019.
Le registre de transparence des représen- Le second temps de l’étude politique confronte
tants d’intérêts à Bruxelles fournit le principal cette objectivation de l’influence de la France
matériau pour objectiver et questionner de par sa diplomatie d’État et son lobbying au
manière critique la présence des lobbyistes retour du terrain, constitué par un panel de
français au sein de l’UE, tout en intégrant les près de 50 dirigeants économiques en France
limites intrinsèques d’un « registre » pour et à Bruxelles, dont certains sont adhérents à
rendre compte de l’effectivité de l’activité l’Association des Professionnels des
d’influence, du fait notamment des libertés Affaires Publiques (APAP) : Présidents
prises avec les obligations déclaratives. et DG, directeurs des Affaires publiques
et/ou des Affaires européennes, directeurs
Cette analyse de la structuration du lobbying de la Régulation, directeurs de la Stratégie…
des Français à Bruxelles s’inscrit dans une

pANEL d’entretien : fonctions exercées


61%
Directeur des Affaires publiques

29% Directeur des Affaires européennes


Président, DG, VP
Directeur des Affaires publiques
et européennes
6% 4%

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Cette population étudiée de dirigeants offre énergies…) et de degrés d’européanisation
un large éventail de secteurs économiques de leur lobbying, tant du fait de leur propre
(agroalimentaire, santé et biotechs, mutuelles carrière que de l’exposition de leur secteur à la
de santé, défense, culture, médias, transports, régulation de l’UE.

secteurs économiques représentés

assurance, mutuelle,
environnement

technologiques
énergies &

médias, culture,

santé, biotechs,
industries

numérique &

agroalimentaire
prévoyance
audiovisuel

& entertainment
LOISIRS, tourisme
AUTReS

medtechs

immobilier
13% 11% % % % %

services publics

consommation
it

btp &
9 9 9 9 7% % %
6 6 4% % %
2 2

Pendant six mois, les consultants de Spin & Strategy et d’Athenora Consulting ont
recueilli les appréciations, analyses et retours d’expériences de ces acteurs de l’influence
française à Bruxelles, dans la perspective du prochain agenda européen. Cette phase d’entretiens
qualitatifs a révélé l’acuité de la conscience européenne des dirigeants économiques français,
tout en mettant en évidence la difficulté à passer à l’échelle d’un lobbying stratège, établissant
un réel continuum entre Paris et Bruxelles. Ils expriment leur aspiration à une coopération
plus systématique et organisée avec la diplomatie d’État et avec le personnel politique français
à Bruxelles, au service de notre compétitivité et de notre vision de la question européenne.

Une série d’entretiens latéraux1 avec des hauts-fonctionnaires (Secrétariat Général aux
Affaires Européennes, Représentation permanente de la France à l’UE, Assemblée nationale),
des acteurs du soft power (think tanks franco-européens, organisations professionnelles…),
des élus et collaborateurs politiques, a servi à établir une plateforme de propositions pour
les voies de la reconquête de l’influence de la France par sa diplomatie d’État et son lobbying.
Elles se déploient sur deux axes complémentaires : institutionnaliser le lobbying dans
l’arsenal de la diplomatie d’État de la France à Bruxelles, et intégrer un continuum de
lobbying franco-européen dans les entreprises et les fédérations professionnelles.
Portées par Athenora Consulting et Spin & Strategy avec le soutien de l’APAP, qui affirme
ainsi son engagement européen, ces propositions sont une première contribution au débat
comme à l’action, pour faire du « lobbying de la Maison France » un fondement de notre
puissance et de notre leadership dans l’Union, instrument de relance du projet européen.

1 - Ces entretiens ont été réalisés auprès des personnalités suivantes que nous tenons à chaleureusement remercier pour leurs contributions à notre étude :
Fabrice Dubreuil, Représentant Permanent adjoint de la France à l’UE ; Clara Augereau, responsable de la cellule Influence au SGAE ; Michel Guilbaud, Directeur
général du MEDEF ; Sébastien Maillard, Directeur de l’Institut Jacques-Delors Notre Europe ; Damien Cesselin, ancien directeur adjoint de la commission Affaires
européennes de l’Assemblée nationale ; et Louis Degos, Vice-président de la commission Prospective du Coneil National des Barreaux (CNB).

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PARTIE I : Radiographie
de l’influence française à Bruxelles

1. L’influence par la présence politique dans l’UE :


un déclin confirmé en 2019
La Commission européenne, DG Santé & Sécurité alimentaire (Anne Buchet)
un « bastion » français et DG Protection civile (Monique Pariat).
La présence institutionnelle et politique La France perd toutefois la DG Énergie, cruciale
au sein des institutions européennes est le pour les actifs stratégiques de notre économie
premier terrain d’évaluation de l’influence industrielle, au profit du Danemark. Après le
d’un État-membre. Troisième puissance éco- recul éprouvé sur la nomination de Sylvie
nomique de l’UE après l’Allemagne et le Goulard, celle de Thierry Breton comme
Royaume-Uni, deuxième économie de la zone Commissaire européen au Marché intérieur
euro, la France continue de peser dans la couvrant un champ étendu à plusieurs DG
technocratie de Bruxelles, en occupant la 3ème constitue toutefois une véritable victoire
position des nationalités les plus représentées politique dans la stratégie européenne
parmi les hauts-fonctionnaires (6.500 Français d’Emmanuel Macron.
dont 3.174 administrateurs, soit près de 10 %
de l’ensemble des fonctionnaires européens). Le Parlement européen,
une fragilisation
Cette permanence dans la haute-administration de la position française
se perçoit également par le poids des L’affaiblissement de la France est davantage
Français dans les cabinets des Commissaires perceptible au Parlement européen, du fait de
européens : sous la commission Juncker, ils la poussée de l’extrême droite depuis 2014.
sont présents auprès de 20 Commissaires Sur son contingent de 74 sièges, 23 sièges
sur 28, parmi lesquels un chef de cabinet sont pour ainsi dire « neutralisés » sous la 8ème
opérant auprès de Pierre Moscovici et 5 chefs législature (2014-2019) car occupés par le RN,
de cabinet adjoints. Sous la commission autant que sous la 9ème, et dont le parti refuse
Von der Leyen, la France devrait se maintenir de prendre part aux logiques de coalition et
dans le top 5. de compromis. La France se voit entravée dans
sa capacité de négociation au sein des groupes
Sur les fonctions stratégiques au sein de la politiques et avec les autres forces politiques,
Commission, les hauts-fonctionnaires français dans une configuration où le condominium
se maintiennent à la tête de directions géné- PPE-PSE s’est étiolé après les élections de
rales dans des secteurs stratégiques, en occu- 2019. De fait, les deux groupes politiques où
pant 4 postes au début du mandat d’Ursula les eurodéputés français fournissent la princi-
Von der Leyen : DG Finance (Olivier Guersent), pale délégation en 2019 sont les centristes de
DG Recherche & Innovation (Jean-Éric Paquet), Renew Europe ex-ALDE (19,4%) et l’extrême
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droite d’Identité et Démocratie (40,3%). la 9ème législature. L’influence des eurodéputés
À l’inverse, la gauche et la droite françaises français progresse de manière qualitative
subissent des pertes spectaculaires : LR ne par le choix de commissions parlementaires
pèse plus que 8 sièges sur 182 au PPE (contre utiles au développement des territoires et au
20 sur 221 en 2014 et 29 sur 274 en 2009) et marché intérieur.
le PS 5 sur 154 au PSE (contre 12 sur 185 en
2014 et 14 sur 196 en 2009). La France perd en Un policy paper de la Fondation
outre la présidence du groupe parlementaire Robert-Schuman (mars 2015) établissait que
PPE qu’elle tenait depuis 2007, au profit de la France occupe 8,4% des postes d’influence
l’Allemand (CDU) Manfred Weber. du Parlement européen (bureau, présidence
et vice-présidence de commission, présidence
Sur les autres postes clés, le déclin politique et vice-présidence de groupe politique,
de la France est loin d’être enrayé. Au bureau coordinateur de groupe politique) alors qu’elle
du Parlement, les eurodéputés français n’ont dispose de la deuxième délégation nationale,
plus de vice-présidence (contre 1 sous la 8ème contre 9,5% pour l’Italie (3ème délégation),
législature) et qu’une seule présidence de 9,1% pour le Royaume-Uni (4ème délégation) et
groupe politique depuis 2014 (contre 2 sous 18% pour l’Allemagne (1ère délégation). Selon
la 7ème législature, Joseph Daul au PPE et Daniel cette même méthodologie, en ce début de
Cohn-Bendit pour les Verts). Ils récupèrent 9ème législature, la France détient 38 des 362
deux postes de questeur (Gilles Boyer pour postes clés (10%, soit 51% de sa délégation),
Renew Europe et Anne Sander pour le PPE). De l’Allemagne en recueille 66 (18% et 69% de
son côté, depuis 2009, l’Allemagne a toujours sa délégation), la Pologne 31 (9% et 61% de
maintenu 2 à 3 vice-présidences du Parlement sa délégation) et l’Italie 25 (7% et 34% de
européen, tandis que l’Italie, l’Autriche, sa délégation). Rapportée à son contingent
la Hongrie, la Pologne et la Roumanie ont d’eurodéputés, la France se situe au même
chacun une vice-présidence dans le bureau élu niveau que la Pologne qui compte pourtant un
en 2019. La présence de l’extrême droite au tiers d’élus en moins au Parlement européen
gouvernement de ces États-membres, seule ou – et un gouvernement de coalition de bloc
en coalition avec la droite conservatrice, ne les réactionnaire. On pourrait considérer que
empêche pas de détenir des postes clés : cet l’arithmétique importe peu tant que la
argument est pourtant régulièrement avancé France tiendrait les « bons postes » : il n’en
pour expliquer le recul de l’influence des est rien. En tentant de restreindre l’analyse
eurodéputés français depuis 2014. aux « seuls » groupes politiques faiseurs de
Dans les commissions parlementaires, les majorités, à savoir le PPE, S&D, Renew Europe
eurodéputés français maintiennent leurs et les Écologistes, la situation n’est guère
positions, avec une prime aux sortants. En plus arrangeante pour l’influence de la France
2014-2019, la France assurait 3 présidences au Parlement européen : si l’on retranche
de commissions (BUDG, PECH, TRAN) et 9 de ses 38 postes clés l’extrême droite et la
vice-présidences (DEVE, INTA, AGRI, ENVI, gauche radicale, les eurodéputés français
JURI, REGI, TRANS, IMCO, TAX). Elle se n’ont plus que 24 postes, l’Allemagne 60 et
maintient à 3 présidences de commission la Pologne 21. En dernier lieu, la tentation
(ENVI, TRAN, REGI), 1 présidence de sous- serait grande de ne considérer « que » les
commission (SEDE) et 6 vice-présidences postes de coordinateurs (whips) désignés par
(IMCO, ECON, FEMM, DEVE, INTA, DROI) pour les groupes politiques – voire uniquement
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les postes de coordinateurs des 4 groupes Là encore, le modèle allemand pourrait nous
intégrés au jeu politique européen. Nouvelle inspirer davantage. L’adage veut en effet que
désillusion : sur leurs 20 coordinateurs ce modèle mette en place un « système de tui-
respectifs, la France n’en aurait que 10 lage » entre trois générations d’eurodéputés
« stratégiques » contre 12 pour la Pologne. allemands qui cohabitent : une qui transmet,
Paradoxalement, la France progresse de 2 une qui influence, une qui apprend. Par ail-
points sous la 9ème législature, précisément du leurs, la France reste un acteur relativement
fait de l’important contingent d’eurodéputés dilettante en termes de présence de ses euro-
d’extrême droite et de libéraux de LREM. députés au sein de l’hémicycle.
L’effondrement du PS et de l’UMP depuis Lors des séances plénières de la 8ème
2014 affaiblit au contraire la part des législature, la France arrive dans le dernier tiers
eurodéputés dans les postes les plus influents, en termes de présence, à la 19ème place
à savoir les coordinateurs. d’après MEPranking, alors que le podium
est trusté par l’Autriche (1er), le Portugal
La détermination et la longévité des eurodé- (2ème) et la Slovénie (3ème). Heureusement
putés français pour occuper leur mandat fait si l’on s’attarde à la production de travaux
débat. En effet, la moitié d’entre eux cumulent parlementaires, la France passe à la 3ème place
des mandats nationaux, pouvant les amener des pays à l’origine de rapports (977), derrière
à ne pas se représenter voire à abandonner l’Italie (1er avec un record de 1 552 rapports)
leur mandat en cours de législature. Cette et l’Allemagne (2ème avec 1 247 rapports) ;
situation est préjudiciable à l’influence de la et occupe la 1ère en termes de discours
délégation française et à l’empreinte qu’elle (28 033 prononcés), devant l’Italie (26 548
laisse, la longévité étant essentielle pour peser et l’Espagne (19 522).
dans les délibérations et les décisions intra
ou transpartisanes, et surtout pour obtenir
l’un des deux vrais postes les plus influents :
celui de rapporteur et celui de coordinateur.

2. L’influence par les lobbyistes français au sein de l’UE :


y être plus qu’y peser ?

Les lobbyistes in-house, européennes, les cabinets européens et les


les filières et les entreprises en tête ONG engagées sur la transparence ou encore
La France compenserait-elle ses faiblesses l’examen critique du Registre de transparence
politiques dans les institutions européennes des groupes d’intérêts géré par la Commission
depuis 2014 par une meilleure insertion de européenne. Il importe néanmoins de considé-
ses lobbyistes in house dans le champ du rer ces sources officielles ou produites par des
pouvoir à Bruxelles ? tiers de confiance ou des ONG avec les biais
méthodologiques et idéologiques qu’elles
Plusieurs mesures de l’activité de lobbying au sous-tendent. Selon la Commission euro-
sein de l’UE permettent de fournir une objec- péenne, la France représente 9,4% des entités
tivation de la présence des lobbyistes des in- (entreprises privées et publiques, fédérations
térêts économiques et stratégiques français : professionnelles, organisations de la société
les baromètres établis par les institutions civile, professions réglementées, groupes

L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE


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de réflexion, acteurs publics et collectivités des grandes entreprises françaises de rang
territoriales, cabinets de conseil) inscrites mondial du top 10 des entreprises les plus
au Registre européen de transparence au 1er investies dans le lobbying européen en
janvier 2018, contre 12,2% pour l’Allemagne 2018-2019. On y dénombre en revanche
et 10,4% pour le Royaume-Uni. Analyser 5 entreprises américaines dont 3 GAFAM
ce Registre de transparence aide dans une (Google, Facebook, Microsoft, ExxonMobil,
certaine mesure à répondre aux questions Dow Chemical) et 4 fleurons industriels
« qui sont les lobbyistes des intérêts fran- allemands sur les secteurs les plus compétitifs
çais à Bruxelles ? » et « combien sont-ils ? », de la chimie, de l’électronique et de la finance
mais cette base de données déclarative ne (BASF, Bayer, Siemens, Deutsche Bank).
rend absolument pas compte de l’effectivité La population étudiée pour analyser la repré-
des stratégies d’influence engagées ni de leur sentation politique des intérêts économiques
orchestration par des coalitions ad hoc ou par français est composée de 649 entités inscrites
le truchement d’organisations satellites (socié- (hors cabinets de conseil en lobbying) décla-
tés savantes, clubs de réflexion, think tanks…) rant une domiciliation de leur entité en France
de ces intérêts économiques. Seul le question- sur le Registre européen de transparence
nement critique des consultants politiques en juillet 2019. Autrement dit, ces représen-
et des chercheurs en science politique peut tants d’intérêts exercent aussi bien pour des
révéler les stratégies de lobbying et les jeux entreprises françaises que des multinatio-
de pouvoirs sous-jacents derrière un registre nales ayant installé leur hub européen à Paris
normatif, étant lui-même l’objet de sous-dé- et pilotant leur lobbying européen depuis la
clarations, d’euphémisations ou de contourne- France. La terminologie des acteurs utilisée
ments. De même, les baromètres établis par dans le Registre européen de transparence
des ONG fournissent des données pertinentes est toutefois plus floue que celle conçue par
sur le classement des « investissements » la HATVP dans son registre des représentants
des entreprises dans le lobbying européen, d’intérêts en France. Les catégories « fédé-
tout en partant d’un présupposé idéologique rations professionnelles » et « associations,
considérant l’exercice de leur influence dans le syndicats professionnels » se chevauchent
champ politique comme une confiscation du ainsi singulièrement alors qu’elles désignent
débat démocratique (« corporate capture »). les mêmes entités, des lobbies de filières. De
La dernière étude de l’ONG allemande Lobby- même, la catégorie « Collectivités territo-
Control sur les dépenses de lobbying européen riales » englobe d’un même tenant les col-
(avril 2019) s’appuie précisément sur le coût lectivités locales françaises agissant comme
déclaré par les entreprises elles-mêmes dans lobbyistes à Bruxelles et des opérateurs et
le Registre européen de transparence, en s’en agences d’État : deux échelons différents
tenant à la définition restrictive d’une action d’action publique, deux formes juridiques
de « représentation d’intérêts », sans y inclure différentes, deux gouvernances politiques
une acception extensive allant jusqu’aux différentes. Un travail de requalification
opérations de soft power (relations médias, sur la base d’une typologie plus conforme à
relations publiques, colloques avec les inter- la réalité des entités – et plus proche de la
groupes au Parlement européen, campagnes catégorisation retenue par la HATVP – s’avère
de communication, astroturfing, études donc indispensable pour avoir une lecture
scientifiques et expertises techniques, études lucide de cette radiographie des lobbyistes
d’opinion…). Ce palmarès révèle l’absence in house des intérêts français à Bruxelles.
L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE
VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 13
POPULATION DES LOBBYISTES IN HOUSE français à bruxelles
(selon la catégorie déclarée au Registre)

35%
10%
11%
34%
10%
Associations, Fédérations professionnelles
syndicats professionnels
Groupes de réflexion
Entreprises et organismes de recherche
Collectivités territoriales

Plusieurs enseignements émergent de l’examen critique de cette présence « déclarée »


des lobbyistes in house, selon la terminologie employée par le Registre européen :

1. Les lobbies de filières sont prépondérants 3. La taille critique se confirme comme un


dans la population étudiée (45% en critère discriminant de « ticket d’entrée »
additionnant « fédérations professionnelles » pour le lobbying européen, puisque les ETI et
et « syndicats professionnels ») devant les PME françaises y sont minoritaires. À l’inverse,
entreprises (34%). La part des organisations 29 multinationales du CAC 40 sont déclarées
adhérentes du MEDEF y est hégémonique. et 45% du SBF 120.
2. Les 223 entreprises françaises déclarées 4. Au regard du référent principal déclaré
sont privées à 95% et alignent un effectif par les 649 entités françaises au Registre, le
moyen en équivalent temps plein (ETP) lobbying européen n’apparaît pas comme une
d’1,6 poste pour un total cumulé 382,75. fonction exercée par la direction générale.
Fait remarquable, la plus forte concentration Seuls 3% de la population déclarée occupe
de postes de lobbyistes à Bruxelles se retrouve les fonctions de PDG, DG/DGA ou Secrétaire
dans les entreprises publiques partiellement général, contre 44% l’exerçant à titre
privatisées pour affronter l’ouverture à la fonctionnel de Vice-président ou Directeur
concurrence et la dérégulation européenne des Affaires européennes. Les directeurs des
depuis 2002 (11,5 ETP pour Engie, 10 pour EDF, Affaires publiques France sont seulement 4%
5,25 pour Naval Group). à être déclarés comme référent principal de
La seule multinationale privée à se hisser au leur organisation.
niveau de ces entreprises stratégiques où
l’État conserve une participation majoritaire
est Sanofi avec 11 ETP.

L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE


VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 14
FONCTIONS EXCERCées par lES LOBBYISTES IN HOUSE déclarés à bruxelles

Responsable des Affaires européennes


45%
Directeur des Affaires européennes
34% VP des Affaires européennes
Directeur des Affaires publiques
10%
4% 3% Autres
4% 4% PDG / DG / DGA

L’analyse du lobbying européen des clarifier l’entrée consacrée au secteur public.


intérêts français est d’autant plus riche après Cette analyse critique révèle en outre des
« requalification » de la terminologie des stratégies déclaratives de contournement
organisations proposée par le Registre ou d’euphémisation de l’activité de lobbying
européen de transparence. Ce retraitement observée régulièrement lors de la mise
permet ainsi de regrouper les fédérations en place d’une législation d’encadrement
professionnelles exerçant un lobbying du lobbying fondée sur les obligations
sectoriel ou catégoriel, d’en dissocier les déclaratives : des lobbies de filières
professions réglementées et autres autorités apparaissent ainsi sous la dénomination
consulaires, de faire apparaître les associations « association loi 1901 », ce qui est
sans but lucratif qui se trouvaient mélangées vrai juridiquement, alors que leur
dans la catégorie improprement dénommée fonction dans le champ politique est bien de
« associations, syndicats professionnels », de défendre des intérêts économiques.

POPULATION DES LOBBYISTES IN HOUSE français à bruxelles


(après « requalification » des déclarations au Registre)

43 % fédérations professionnelles,
corporations, filières

36 % entreprises
& groupes de réflexion
de recherche publique

think tanks, clubs


collectivités

opérateurs d’état
territoriales

À but non-lucratif

organisations
patronnales
réglementées
organismes

associations
agences &

professions

7%
3% 3% 3% 2% 2% 1%
Nombre d’entités 267 222 42 22 19 17 14 11 4

L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE


VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 15
Il ressort de cette requalification que la part législatives européennes et définissent un
des entreprises parmi les 649 entités compromis qui sera la position défendue par
françaises déclarées au Registre européen est Business Europe tout au long du processus
identique à sa proportion dans la base de don- décisionnel.
nées initiale (34%) : seul l’INSERM Transfert, Néanmoins, structurer une équipe
filiale de droit privé d’un grand organisme de d’influence du côté bruxellois du Thalys
recherche publique, ne figurait pas à sa place et la doter en ressources adéquates ne
dans la catégorie « Sociétés et groupes » du sonnent pas encore comme une évidence.
Registre européen. Les lobbies de filières A titre d’illustration, le MEDEF déclare
demeurent toujours prépondérants avec une équipe à Bruxelles de 3,5 personnes
43% des agents du lobbying des intérêts (équivalent temps plein) et un budget
français, tandis que cette lecture affinée fait pour 2018 entre 500 000 et 599 999 euros.
émerger deux acteurs singuliers : Le Bundesverband der Deutschen Industrie
4 organisations patronales (MEDEF, CPME, (BDI) allemand quant à lui emploie
AFEP et Croissance Plus) et des professions 20 ETP pour un budget déclaré entre
réglementées (médecins, dentistes, avocats, 2 750 000 et 2 999 999 euros.
vétérinaires, notaires, experts-comptables…). La Confederazione generale del l’industria
Les associations à but non lucratif ne italiana déclare de son côté 8,5 ETP pour un
représentent qu’1% des entités françaises budget entre 900 000 et 999 999 euros.
déclarées pour le lobbying européen, les think
tanks et autres groupes de réflexion satel- De leur côté, les entreprises françaises sont
lites de fédérations professionnelles à peine principalement représentées à Bruxelles via
3%. Au sein du secteur public, les grands leur fédération nationale, ou bien en étant
directement membre de la fédération
organismes de recherche publique, qu’ils
européenne, parfois les deux. Ainsi, 50
soient EPST ou EPIC, font figure d’un investis-
fédérations nationales françaises sont
sement exemplaire dans le lobbying européen
présentes à Bruxelles, soit moitié moins que
(3% des entités déclarées), comme en
leurs homologues allemandes (110) mais
témoigne également leurs positions
mieux que les fédérations britanniques (39)
stratégiques à la présidence de consortiums
ou italiennes (43).
européens de recherche scientifique.
L’influence des fédérations nationales
Les fédérations, françaises s’est également sensiblement
avant-postes des forces économiques améliorée avec une meilleure compréhen-
La prise de conscience de l’importance d’agir sion des structures d’influence institution-
collectivement se traduit par exemple dans la nalisées au sein du processus décisionnel
présence des Français à des postes d’influence européen. Ainsi, si l’on prend les entités
au sein de Business Europe, l’association des sous-rubriques « Groupements
patronale européenne qui défend les professionnels commerciaux ou industriels »
intérêts des employeurs d’entreprises privées et « Associations syndicales et profession-
auprès de l’Union européenne. Ainsi, sur une nelles », 53 entités françaises sont membres
cinquantaine de groupes de travail, six sont de groupes d’experts de la Commission
présidés par des Français, dont les groupes européenne, pour 59 allemandes. La logique
« affaires financières », « énergie et climat », de placer ses atouts dans les lieux d’influence
« brevets ». Ces groupes de travail sont a donc creusé son sillon dans les stratégies
stratégiques car ils discutent des propositions d’influence des fédérations, en tout cas
L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE
VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 16
lorsqu’il s’agit d’apporter une expertise. Français sont plus actifs dans les groupes de
La situation est plus complexe dans les jeux travail qui pilotent la définition des arbitrages,
d’influence politique du Parlement européen même si l’on note encore une tendance à
ou dans la définition et la mise en œuvre placer à ce rôle des VIE ou des juniors, qui sont
de stratégies de lobbying tout au long du davantage présents pour préparer des notes
processus décisionnel. que pour porter une position définie
La présence des Français dans les fédérations au niveau national.
sectorielles européennes est également
satisfaisante, avec une dizaine de fédérations
présidées par un Français. Par ailleurs, les

3. L’influence par les relais dU soft power :


la france encore immature

Les think tanks, de l’activité des think tanks.


organisateurs de rencontres En la matière, une différence significative
plus que relais d’influence apparait avec les think tanks allemands ou
Une fois dépassée la critique au regard du britanniques qui produisent des plaidoyers
registre de transparence, qui intègre sous la engagés au service d’idées, et les think tanks
même rubrique les think tanks et les instituts français dont l’approche est davantage
de recherche alors que leur objet d’influence orientée sur l’analyse ou la pédagogie sur
mérite d’être distingué, nous pouvons l’Europe, comme la Fondation Delors ou la
faire le constat suivant : sur les 576 entités Fondation Robert-Schuman. Or, les think
enregistrées, 65 sont françaises, dont 14 tanks contribuent de plus en plus par leurs
sont dotées d’un bureau de représentation à productions à alimenter l’agenda européen à
Bruxelles. travers des enjeux nationaux.
De leur côté, les instituts de recherche français
sont particulièrement présents à Bruxelles. A Cette recherche nous a également conduit à
titre de comparaison, l’Allemagne compte 77 questionner le continuum franco-européen
think tanks et instituts de recherche dont seu- des think tanks français, pour identifier si ceux
lement 19 ont un bureau de représentation à qui pèsent sur l’agenda politique national
Bruxelles. De leur côté, les Etats-Unis comptent projetaient également leur action au-delà
21 think tanks et instituts de recherche dont des frontières hexagonales. A ce titre, il est
6 dotés d’un bureau à Bruxelles, mais surtout intéressant de noter que ni la Fondation
un nombre de collaborateurs qui dépasse pour la recherche sur les administrations et
souvent 10 employés. Par ailleurs, 8 entités les politiques publiques (Fondation iFRAP),
françaises de cette rubrique sont membres ni la Fabrique de l’industrie, Terra Nova, ou la
d’un groupe d’experts de la Commission eu- Fondation Concorde ne sont inscrits sur
ropéenne, principalement les organismes de le registre de transparence de l’Union
recherche (INRIA, CEA, INERIS, ONERA), quand européenne. Ceci montre que les think tanks
l’Allemagne en compte 13. Mais l’approche français ne pensent pas assez leur activité
quantitative n’est que partiellement révélatrice dans une logique d’influence auprès des
de l’influence de la France. La véritable donnée décideurs européens, et souligne la rupture
opérative intègre une réflexion sur la portée dans les stratégies d’influence entre le niveau
L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE
VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 17
national et le niveau européen. Si l’Institut Uni, qui en compte 23. Côté américain, pas
Montaigne est bien inscrit sur le registre de moins de 6 cabinets ont décidé d’implanter un
transparence, il n’a pas de bureau à Bruxelles bureau à Bruxelles.
et ne déclare qu’une seule personne en charge Toutefois, ce qui étonne le plus est la rareté
de l’activité d’influence auprès des décideurs des approches combinées opérant une réelle
européens. continuité entre les dossiers traités en France
et à Bruxelles par les cabinets, comme si les
Au-delà du registre, il est également équipes à Bruxelles ne devaient gérer que
intéressant de noter l’absence de structures des dossiers européens, sans connaître les
françaises dans les acteurs qui répondent aux dossiers traités par leurs collègues dans leur
appels de la Commission dans l’élaboration des lobbying national.
études sectorielles ou des études d’impact, qui
nourrissent en amont des règles européennes Par ailleurs, de nombreux cabinets de lobbying
les réflexions de la Commission. Cette réalité enregistrés en tant qu’entités de droit belge
est le reflet de la difficulté de l’administration ont été créés par des Français. Ainsi sur les 251
française à externaliser les études et donc à cabinets basés en Belgique, 29 sont pilotés
générer des acteurs structurés, d’envergure par des Français. Pour compléter ce tableau,
et capables de répondre aux appels de la de nombreux Français composent les équipes
Commission. de cabinets de lobbying d’autres nationalités,
reconnus pour leur méthode et leur aptitude à
appréhender les enjeux. Cette rapide analyse
Des cabinets français de lobbying démontre l’existence d’un écosystème français
« antennes » à Bruxelles solide, mais souligne aussi la réalité d’une
sans vrai continuum franco-européen sorte de frontière intangible inconsciente
Si peu de cabinets français sont exclusivement entre Paris et Bruxelles.
dédiés aux affaires européennes, de nombreux
cabinets parisiens ont ouvert un bureau à
Bruxelles. On recense ainsi sur le registre
14 cabinets basés en France avec un bureau
à Bruxelles, une proportion similaire à
l’Allemagne mais moindre que le Royaume-

L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE


VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 18
PARTIE II : regards croisés
sur la pratique de l’influence
par les milieux économiques français

1. La diplomatie économique de la france


perçue comme paradoxale
L’ambition européenne la mondialisation. Le renforcement de
d’Emmanuel Macron : la diplomatie d’État et économique du
de l’engouement à la lucidité Quai d’Orsay laissait entrevoir un regain
des milieux d’affaires d’efficacité de la France dans les grandes
La population étudiée de dirigeants négociations à Bruxelles, de même que
économiques, quel que soit le secteur ou la coalition des libéraux et des centristes
l’entité représenté, sa pratique ou sa culture sous la houlette de LREM et du MoDem
du lobbying, ses succès ou ses revers permettait d’espérer une nouvelle génération
politiques, dresse un constat en demi-teinte d’eurodéputés français pour lesquels le
quant au storytelling du « France is Back » Parlement de Strasbourg ne serait pas un
d’Emmanuel Macron. choix par dépit.

L’élection d’un Président de la République Deux ans plus tard, l’enthousiasme pour
énergique, pro-business et européen « Macron l’Européen » est teinté de déceptions :
convaincu, a suscité beaucoup d’attentes difficultés structurelles de la France à porter
dans les milieux économiques et parmi les le message européen et à s’imposer face à
maisons-mères des multinationales étrangères la concurrence d’autres États-membres et
implantées en France. Cet enthousiasme non-membres de l’UE, fragilité à sécuriser la
s’est notamment concrétisé par un regain nomination de Français ou d’alliés de l’Élysée
d’investissements sur le territoire et le succès aux postes clés des institutions européennes,
des sommets Choose France en 2018 et délitement des alliances historiques aussi bien
2019. Après deux quinquennats contrastés, avec l’Allemagne qu’avec l’arc méditerranéen,
voire décevants pour la France sur la scène difficulté à rebâtir des jeux d’alliances pérennes
européenne, l’emblématique discours de la et à assimiler les spécificités de la culture
Sorbonne a positionné la France dans une bruxelloise, incapacité à retrouver un souffle
approche nouvelle, porteur d’une vision commun avec l’Allemagne ou l’Italie, sous-
stratégique pour l’Europe. L’engouement investissement des partis politiques français
procède, pour les dirigeants économiques et sur la question européenne et reconduite des
lobbyistes interrogés, d’une satisfaction à voir vieilles habitudes dans la composition des
que la France s’engage à porter le leadership listes aux Européennes... L’ensemble du panel
européen pour rendre l’UE plus forte dans pointe le risque d’un « syndrome Obama »,

L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE


VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 19
car derrière le discours volontariste, les instances patronales, fédérations nationales…)
traductions concrètes tardent. fragilise l’influence française.
Sans nier la sincérité de l’engagement européen Il estime cette diplomatie paradoxale en
d’Emmanuel Macron, la rupture revendiquée raison de plusieurs facteurs, dont le premier
semble en réalité perpétuer cette perception est le retard qu’elle accuse par rapport à
erronée de l’Union comme « la France en la diplomatie économique française extra-
plus grand ». Le panel déplore ainsi l’absence européenne. Le constat largement partagé,
de dimension « conquête du leadership et qui questionne, est que l’excellence de
européen » dans les feuilles de route des la diplomatie économique française dans le
ministères, le fait que l’échelle communautaire monde, à travers les réseaux d’ambassades
ne soit pas l’étalon-or du Gouvernement, tout ou les visites officielles, trouve rarement
en reconnaissant sur le terrain une meilleure son équivalent au sein de l’Union. Le soutien
écoute à l’égard des milieux économiques politique, logistique et économique apporté
s’agissant de leurs enjeux de lobbying dans par le Gouvernement aux acteurs économiques
un continuum Paris-Bruxelles. Les limites de la français pour leur développement à
culture de négociation d’accords multilatéraux l’international ne se retrouve pas assez pour la
au sein de l’UE et le manque de lisibilité des promotion des intérêts économiques français
thématiques sur laquelle la France pourrait lors de l’élaboration des textes européens.
assumer un leadership stratégique (IA, lutte En la matière, c’est davantage la culture de
contre les pandémies, « Green New Deal » la méfiance envers les milieux économiques
européen...) constituent des traits saillants de qui s’applique qu’un climat de concertation
la déception de nos milieux économiques. pour défendre les intérêts stratégiques des
entreprises françaises.
Diplomatie économique :
l’aspiration à une vraie coopération Cette diplomatie paradoxale s’enracine
sur le modèle américain-allemand dans la complexité du rapport historique
L’ensemble du panel appelle de ses vœux qu’entretient l’État avec le monde économique,
au renforcement de notre diplomatie dans les ambiguïtés de la notion d’« intérêt
économique au sein de la zone national » : qui concourt à sa définition et qui
communautaire, pour adopter une posture le défend au sein des institutions européennes
de conquête et se montrer plus agile face et internationales ? Face à la concurrence, le
aux velléités des États concurrents sur les panel estime que la France est en difficulté
marchés et dans les batailles de normalisation. pour défendre efficacement ses intérêts
économiques dans l’Union. Contrairement
Si la capacité de la France à défendre ses à des pays de culture anglo-saxonne, qui
intérêts publics est haute, dotée d’un appareil mettent à disposition leur appareil d’États
d’État redoutable, le panel souligne un travers pour défendre les intérêts économiques des
– l’arrogance française, qui prend trop souvent actifs implantés dans leur pays, en France,
le pas sur le travail de conviction qui est les décideurs publics maintiennent leur
essentiel – et souhaiterait pouvoir échanger distance avec les représentants d’intérêts
avec ses ministères de tutelle sur le cadrage et engagent plus difficilement une approche
budgétaire pluriannuel. Il reconnaît également de construction concertée des positions
que le paysage éclaté de la représentation défendues au sein de l’UE tout au long du
économique française (chambres consulaires, processus décisionnel. Si leur posture d’écoute
L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE
VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 20
s’est affirmée pour le recueil d’informations sur les réformes clés de l’agenda européen
préalable, elle débouche rarement sur un et ayant clarifié ses priorités, plutôt que
cadre de dialogue pérennisé, voire d’action « subissant » l’agenda européen. Il aimerait
concertée, sauf cas de force majeure sur une pouvoir systématiquement connaître la
réforme décisive. La composition de notre position française établie en amont et en aval
panel d’entreprises publiques et privées de la tenue des réunions au Conseil, à l’égal
et de fédérations professionnelles fait du de ses homologues. Sans ligne stratégique
reste apparaître une pluralité de modalités et politique clairement établie et partagée,
d’interactions avec les pouvoirs publics quand impossible de mobiliser selon eux « l’équipe
il s’agit de défendre leurs intérêts à Bruxelles : France à Bruxelles ». La difficulté constatée de
plus les intérêts sectoriels se confondent avec la France à investir les postes européens les
les fondements de la souveraineté nationale, plus influents, tout comme le désengagement
plus la mobilisation de la diplomatie d’État caractéristique des eurodéputés français
pour endosser leurs positions est naturelle. - pour beaucoup plus investis sur le plan
Comment la France peut-elle s’améliorer national qu’européen - viennent fragiliser
sur la défense de la Team France en étant cette ligne.
davantage à l’écoute de ses fleurons industriels
et technologiques actuels et en devenir ? Toutefois, notre série d’entretiens a mis en
Pourquoi l’attitude de concertation naturelle lumière un contre-exemple inspirant sur le
et systématique du gouvernement français talent de l’administration française dans le
avec les entreprises porteuses d’intérêts pilotage stratégique du Brexit, par un dialogue
stratégiques n’est-elle pas généralisée dans continu entre puissance publique et acteurs
l’approche systémique de l’influence politique économiques. Aujourd’hui, les entreprises
et économique de la France au sein de l’UE ? françaises sont mieux préparées que leurs
homologues européennes aux répercussions
Le recul de l’influence de la France dans l’UE, du Brexit. Cette réalité est le fruit d’une
confirmé par notre terrain d’étude, réside mobilisation suffisamment en amont de
également dans des manquements plus l’administration française pour questionner
structurels autour de la ligne stratégique les entreprises sur leurs enjeux, les sensibiliser
et politique du pays. Ainsi, l’ensemble du aux risques et les accompagner dans cette
panel déplore les manques dans l’agenda phase de transition. Cet exemple amène à
européen de la France et la faiblesse de s’étonner de l’absence d’une logique intégrée
la coordination interministérielle sur les entre la diplomatie d’État et les acteurs
chantiers de régulation et de dérégulation économiques lorsqu’il s’agit des enjeux de
se jouant au sein de l’UE. Il pointe également compétitivité en Europe et dans le monde.
la non-coordination des agendas français
par rapport à l’agenda communautaire qui
– au lieu de le minimiser – vient amplifier
le décalage constitutionnel de facto entre
les élections présidentielles et législatives
françaises d’une part, et le renouvellement
des institutions européennes d’autre part. Il
souhaiterait pouvoir s’appuyer sur une France
dans une posture d’intervention pro-active

L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE


VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 21
auprès des décideurs. Cette contraction
2. un lobbying européen des ressources rend quasiment impossible
encore complexe mais créatif l’engagement de campagnes de lobbying
d’envergure incluant par exemple une approche
coordonnée dans plusieurs États-membres.
Lobbyiste européen, Toutes les structures, quelle que soit leur
un poste encore peu implanté taille, leur secteur ou leur philosophie,
dans les entreprises françaises sont conscientes de la valeur ajoutée de
Depuis une quinzaine d’années, l’importance disposer d’une permanence bruxelloise
stratégique du lobbying s’est diffusée pour faciliter la remontée d’informations et
au sein des entreprises et fédérations. son analyse, multiplier les contacts, activer
Mais cette lente prise de conscience une intervention directe et identifier des
est souvent la résultante d’une réaction opportunités politiques permettant de
à des initiatives réglementaires à Bruxelles pratiquer un lobbying dépassant la seule
plutôt que la structuration consciente approche technique et normative.
d’une logique d’influence prospective. Les prémices d’une transformation d’un
La fonction « lobbying » au sein des lobbying de réaction à un lobbying
entités doit toujours apporter la charge d’anticipation sont perceptibles. Ainsi, les
de la preuve de son utilité et se battre pour stratégies d’influence mises en place par les
obtenir un budget à la hauteur des enjeux. acteurs les plus implantés historiquement
De plus, la présence du responsable des à Bruxelles montrent le dépassement d’un
Affaires européennes aux COMEX n’est pas lobbying centré essentiellement sur les relais
encore la norme, questionnant la nationaux vers une action auprès de toutes
reconnaissance du lobbying comme un axe les nationalités et une réelle acculturation aux
de défense « stratégique » des intérêts. logiques de compromis européen. Toutefois,
la majorité des acteurs fonctionnent avec
Notre série d’entretiens, couplée à l’analyse des bureaux de représentation exerçant
du registre, a permis de confirmer que davantage une présence institutionnelle et
le dimensionnement de l’équipe Affaires une cellule de veille qu’une action permanente
publiques en entreprises et fédérations est très d’influence dans le jeu européen.
restreint, comptant d’une à trois personnes Les fédérations
basées souvent en région parisienne. Leurs professionnelles européennes,
ressources humaines et financières sont poids-lourds incontournables
limitées, proportionnellement à l’étendue des mais discutés
impacts des réformes et textes sur lesquels En raison de ce manque de ressources, les
elles sont censées pouvoir intervenir. fédérations professionnelles nationales
Rares sont les équipes disposant de lobbyistes comme européennes établies à Bruxelles
dédiés aux Affaires européennes opérant constituent pour 90% des lobbyistes français
un relais essentiel, sinon unique pour la
à Paris et/ou Bruxelles avec lesquels se
défense de leurs intérêts. Ils sont cependant
coordonner. La plupart désignent un référent très partagés quant à l’efficacité, la pertinence
Europe au sein de l’équipe Affaires publiques et l’influence réelle de ce lobbying indirect.
France, qui est amené à faire la navette Dans l’absolu, les fédérations constituent un
entre Paris et Bruxelles lors d’examen de relais déterminant d’information mais surtout
textes clés, et qui se trouve très limité dans pour l’expression de leurs besoins auprès
sa capacité d’influence en intervention directe des décideurs européens et des instances de
L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE
VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 22
représentation nationale. L’union faisant la Une pratique du lobbying à Bruxelles
force, leur capacité d’influence théorique est inhérente à la culture de l’influence
majeure pour peser face aux géants sectoriels de chaque lobbyiste
ou aux relais d’influence d’États-membres Les acteurs économiques français ont bien
engagés dans la défense de leurs intérêts. intégré en théorie la nécessité de travailler
Leur mécanisme d’action consiste ainsi à faire avec toutes les institutions européennes, au
converger leurs adhérents vers une position moment opportun et à tous les échelons.
commune sans tomber dans le travers du plus Notre étude a toutefois montré un paradoxe,
petit dénominateur commun. Réussir dans à savoir une plus grande appétence à travailler
cet exercice périlleux suppose cependant une avec la Commission et le Parlement qu’avec
volonté politique forte et assumée passant par l’État français au Conseil, sauf pour les enjeux
la désignation de représentants engagés sur économiques d’intérêt stratégique national.
cette ligne « offensive », l’adaptation de leur
gouvernance et de leur structuration interne Comme à Paris, le Parlement européen est
aux enjeux sectoriels, la professionnalisation encore largement plébiscité en première
de leur lobbying, la priorisation des enjeux instance par les lobbyistes français, malgré
et le développement du « sens politique » de des résultats qu’ils jugent mitigés sur cette
leurs équipes. dernière mandature. Un constat qui invite la
Dans la pratique, le panel se scinde en deux moitié du panel à s’interroger sur le primat
contingents : celui qui peut compter sur accordé au Parlement européen dans le
des fédérations professionnelles nationales triangle institutionnel et les possibilités
et européennes fortes à Bruxelles comme d’adaptation à leur portée. Les lobbyistes les
un tremplin efficace, et briguer des postes plus expérimentés privilégient les interactions
avec les eurodéputés chefs de file sur leurs
influents en son sein – c’est le cas des
sujets (quelle que soit leur nationalité), ceux
secteurs directement régulés par le droit
ayant de hautes capacités de négociation
communautaire comme l’agro-alimentaire et
intergroupes, et ceux dont les marchés
les mobilités par exemple – versus celui qui
nationaux sont les plus importants sur leur
maintient sa position en son sein avant tout
secteur. Ils délaissent ainsi ce qui fut pendant
pour des raisons d’occupation du terrain,
longtemps le réflexe naturel de solliciter
d’affichage et de pacification sectorielle – tout
le contingent d’eurodéputés français. Cela
à fait légitimes et essentielles – plus que dans entérine de leur propre constat l’insuffisance
une logique d’influence. La difficulté à établir des postes clé occupés par des Français, le
une position commune et la « réunionnite » sous-investissement du travail parlementaire
demeurent ici un frein au renouvellement à fournir d’amont en aval, la méconnaissance
de l’engouement des forces économiques des rouages institutionnels bruxellois pour les
françaises, au-delà du caractère obligatoire nouveaux arrivants et les limites de la culture
de l’assiduité et des montants des cotisations. française de la négociation transpartisane.
Enfin les règles internes – parfois tacites –
de certaines fédérations peuvent limiter la L’attention des lobbyistes français s’est
capacité d’action des lobbyistes, voyant d’un recentrée depuis vingt ans sur la Commission
mauvais œil les actions « autonomes » d’un européenne, reflet d’une culture française de
de leurs adhérents dans un État-membre autre l’administration. A l’instar du lobbying pratiqué
que le sien. à Paris, les lobbyistes engagent de plus en plus
L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE
VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 23
en amont du processus décisionnel avec les dialogue, et plébiscite les réunions de débrief
cabinets des Commissaires et leurs différentes post tenue du Conseil par l’attaché de la RP. Il
directions. La normalisation du lobbying à regrette néanmoins la difficulté à obtenir les
Bruxelles étant beaucoup plus avancée qu’à drafts en cours d’examen au Conseil, et estime
Paris, les interactions s’en voient facilitées que la logique d’influence combinée avec les
et de facto de haute qualité. Néanmoins, acteurs économiques dépend très largement
la connaissance de la culture interne de la de l’appétence du conseiller à se rendre
Commission européenne où les fonctionnaires disponible. Le panel souhaite la mise en place
des directions générales ont un pouvoir décisif d’un dialogue plus régulier et structuré par
sur les textes, plus qu’in fine les Commissaires, filière afin de gagner en fluidité et réactivité.
fait encore défaut. Les lobbyistes les plus expérimentés et ceux
En revanche, comme à Paris, où finalement disposant d’une expérience à Bruxelles se
peu de lobbyistes travaillent avec le pouvoir tournent aussi vers les Représentations
exécutif, les lobbyistes français à Bruxelles ont Permanentes d’autres Etats-membres pour
peu recours à la troisième instance du triangle, activer d’autres leviers d’influence.
le Conseil européen. Seuls les secteurs les plus Le recours au SGAE est quant à lui plus
« exposés » au niveau européen – comme sporadique, en fonction de dossiers précis
l’agroalimentaire ou les télécommunications
ou propres à certains secteurs. Les lobbyistes
– et/ou ayant exercé à Bruxelles, ont instauré
aujourd’hui le réflexe d’agenda setting et se tournent alors vers cette administration,
de pratique d’influence très en amont des perçue comme une courroie de transmission
textes, alors que cet organe impulse le de positions déjà arrêtées par l’exécutif. Cette
système décisionnel européen et modère bien relative désaffection de la part des lobbyistes
souvent la feuille de route de la Commission. s’explique par leur souhait d’une meilleure
Les lobbyistes y ayant recours regrettent coordination avec l’exécutif en amont de
parfois des avancées à plusieurs vitesses, en chaque étape de la procédure décisionnelle,
fonction de l’administration référente saisie d’une meilleure transparence sur la circulation
à Paris et du niveau d’engagement personnel des positions françaises de l’amont à l’aval et
du Ministre concerné sur le dossier – rien ne du renforcement des ressources qui lui sont
vaut l’incarnation du Ministre pour défendre allouées pour rééquilibrer son influence par
les positions françaises et négocier lors des rapport à l’Elysée, à Matignon, au Quai d’Orsay
réunions afin de peser. Ils pointent aussi une et à Bercy.
prise de position moindre du Gouvernement
si le sujet abordé n’est pas encore à Seulement quelques lobbyistes, souvent les
l’agenda politique national. Les lobbyistes plus aguerris et les plus internationalisés,
du panel qui n’interviennent pas au niveau triangulent leur pratique de l’influence, soit
du Conseil interagissent beaucoup avec par une activation d’instances internationales
leurs ministères de tutelle et le réseau des telles que le MEDEF international, l’OCDE
ambassades françaises établies dans l’Union. ou des fédérations internationales, soit au
L’activation de relais institutionnels parallèles contraire par des bureaux de représentation
et les échanges avec la Représentation des régions à Bruxelles très peu sollicités. Ces
Permanente de la France à Bruxelles semblent pratiques dissonantes (3 ou 4 interviewés sur
en revanche un réflexe acquis pour la plupart près de 50) peuvent également se justifier,
des lobbyistes. Le panel souligne la qualité au-delà de l’expérience et de la sensibilité
des équipes de la RP et leur ouverture au du lobbyiste en question, par le statut de

L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE


VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 24
leur entreprise. Certaines jouissent d’un ricochant ensuite au plan national par
statut public ou de leaders de leur secteur, l’intermédiaire d’équipes dédiées y intégrant
leur permettant d’accéder sans difficulté aux les spécificités de chaque cadre d’influence.
décideurs politiques, et vont davantage se Ce lobbying intégré permet ainsi aux forces
placer dans le sillage de leurs ministères de européennes mobilisées de coordonner les
tutelle nationaux pour exercer une influence positions nationales vers une ligne de front
à Bruxelles, tandis que les autres vont peiner commune – quand cela est possible – mais
à accéder au niveau national et européen également de vérifier les impacts des réformes
aux décideurs pertinents pour échanger pour chaque pays, et d’adapter au mieux sa
stratégiquement, et vont donc chercher à riposte et/ou son agenda setting.
établir des contacts avec des interlocuteurs
périphériques pour faire émerger leur position. Face aux recompositions récentes du
Parlement européen, et à la relative inertie
Enfin, le panel déplore la méconnaissance des eurodéputés français sur certains sujets
et le manque de considération accordée clés, la plupart des lobbyistes ont également
aux commissions Affaires européennes de intégré à leur pratique de l’influence un
l’Assemblée nationale et du Sénat par les paramètre indispensable : la construction
décideurs politiques, alors qu’elles dialoguent de coalitions à géométrie variable, sans se
en direct avec les institutions européennes reposer sur les eurodéputés ou les
et les autres Parlements nationaux, qu’elles délégations historiquement les plus
contrôlent les activités européennes du influentes ou numériquement les plus
Gouvernement, qu’elles sensibilisent les importantes. Bâtir un front commun uni et
parlementaires français aux enjeux européens multinational est désormais un prérequis
et promeuvent les intérêts de la France dans incontournable pour renforcer l’influence
l’Union. d’une entreprise ou d’un secteur, mais
aussi défendre des intérêts nationaux.
Des pratiques différenciées
et des équipes limitées Certains lobbyistes, bloqués par une équipe
créent l’impératif restreinte, optent pour des stratégies
d’un lobbying ingénieux innovantes et agiles : le positionnement
Si les précédents constats mettent sur les appels d’offres ou appels à projets
en lumière un manque de ressources et de la Commission européenne ou des
une certaine transposition de pratiques institutions régionales pour bénéficier d’un
d’influence françaises à l’échelon européen, meilleur référencement, l’organisation de
force est de constater que les approches clusters transfrontaliers pilotes, la création
et méthodes employées s’avèrent ingénieuses, de groupes de travail dédiés à un dossier
eu égard au cadre contraint. spécifique, l’élargissement du dialogue avec
des parties-prenantes tierces ou rattachées à
Ainsi, de plus en plus d’entreprises, d’autres secteurs, l’activation de dynamiques
inspirées par les grands groupes de culture de lobbying simultanés en amont dans les
internationale, mettent progressivement en capitales et à Bruxelles, l’orchestration de
place un lobbying en cascade, reposant sur la fédération professionnelle européenne
une exposition du PDG lors des temps forts de pour créer une harmonisation sectorielle, la
l’agenda bruxellois, et une coordination entre création de coalitions paneuropéennes agiles
les différentes équipes Affaires publiques et souples… sont autant de bonnes pratiques
réparties dans les États-membres, permettant inspirantes à poursuivre et explorer.
l’élaboration d’un lobbying communautaire,
L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE
VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 25
3. un lobbying intégré,
entre diplomatie et tissu économique
La culture du secret et la prudence des autorités publiques envers les acteurs économiques
sur les sujets d’influence est un facteur de perte de puissance, sur une scène politique
où d’autres nationalités jouent ouvertement la carte de la transparence et de la fluidité
des informations pour renforcer leur lobbying européen.
Une clarification Trois épisodes qui questionnent l’influence
du positionnement stratégique de la France dans l’Union et l’influence de
et du cadre de négociation politique l’Union dans le monde ont particulièrement
à atteindre marqué les lobbyistes comme révélateurs de
En filigrane de nos entretiens s’est la vulnérabilité de nos actifs stratégiques,
ainsi dessiné un appel unanime des faute d’une imbrication forte entre diplomatie
acteurs économiques français à clarifier le d’État et lobbying :
positionnement stratégique que souhaite - la menace systémique du Cloud Act conçu
par l’Administration américaine comme une
atteindre le Gouvernement français, et à une
riposte au RGPD pour affaiblir nos entreprises
communication le plus en amont possible du
et nos administrations par la possibilité de
cadre de négociation défini par la diplomatie
saisir leurs données ;
politique. Il faut que la France puisse fixer son
- le rachat par General Electric des activités
corpus d’ambitions stratégiques en termes énergie d’Alstom, dans lequel le département
de business, de la même manière qu’elle l’a de la Justice et les agences américaines
fait pour le corpus des droits individuels et de renseignement ont été le bras armé
collectifs. d’une prise de contrôle d’un actif stratégique
Il est indispensable de préciser deux préalables européen ;
à ce sujet : concerter les milieux économiques - l’éviction des entreprises européennes de
sur la définition de la position de la France l’Iran, après la rupture unilatérale de l’accord
au sein de l’UE concernant des enjeux sur le nucléaire par l’Administration Trump.
stratégiques pour l’intérêt national ne signifie De nouveaux combats sont aujourd’hui à mener
pas une « confiscation » de la décision que pour gagner cette bataille de la compétitivité
les ONG qualifient de « corporate capture ». des acteurs économiques européens, tels que
Dans les systèmes politiques où le lobbying l’encadrement de l’activité des GAFAM, la
a une valeur constitutionnelle (États-Unis, régulation des véhicules autonomes et de l’IA,
Allemagne, mais aussi l’Union européenne), cet la 5G, le « Green New Deal ».
alignement sur ce qui fonde l’intérêt supérieur
de la Nation est jugé légitime, de sorte que les Un besoin
« pratiques » de concertation ne servent qu’à d’intelligence collective française
normaliser ce principe. Adopter cette culture sur les questions stratégiques
Parfois envieux de la relation que leurs
amènerait la France à rattraper le standard
homologues ou concurrents peuvent tisser
des pays les plus performants en matière de
avec leur administration nationale en amont
défense de leurs intérêts géostratégiques par
et tout au long du processus décisionnel
la négociation internationale et par le lobbying
européen, les acteurs économiques de
de leurs acteurs économiques et les agents de
l’influence française appellent à davantage de
leur soft power.
concertation préalablement à « la définition »

L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE


VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 26
des positions françaises. D’aucun s’étonne nouveau Parlement, d’une nouvelle présidence
de l’absence d’un réflexe d’identification du Conseil et d’une nouvelle Commission,
des acteurs économiques et des Ministères permettent d’impulser le cadre de travail et
impactés par l’agenda européen pour co- d’ajuster le timing. A ce sujet, l’expérience
organiser des groupes de travail sur les sujets allemande peut nous inspirer, la RP
et partager les analyses, expertises et retours Allemagne définissant un planning de travail
d’expérience. Et si toutefois des dynamiques systématisant les réunions entre conseillers ou
fructueuses se mettent en place, elles sont chefs de secteur de la RP et les lobbyistes des
le plus souvent le fruit de relations intuitu secteurs concernés pour faire le point sur les
personae et ne sont pas pérennisées au-delà enjeux, les risques et les positions à défendre.
de l’échéance de la réforme. La RP peut ainsi faire remonter à Berlin un état
Rien d’impossible à l’horizon. L’idée est de des lieux des analyses et besoins formulés par
systématiser l’approche de diagnostic et les lobbyistes, pour piloter depuis la capitale la
de remontée d’informations des secteurs stratégie d’influence allemande et décider de
économiques mise en place pour le Brexit, la pertinence de « faire bloc » avec les forces
avec une logique d’interaction dynamique économiques sur un dossier.
et de concertation en groupes de travail. Là Par ailleurs, la diffusion des documents de
encore, faire tomber les digues séparant public travail du Conseil pourrait être fluidifiée,
et privé permet de mieux établir le tracé entre à l’instar de la pratique déjà établie dans
ce qui fait ou ne fait pas consensus entre les d’autres Représentations permanentes.
acteurs, de situer l’écosystème d’influence Avec une sorte d’acceptation résignée de
français et à chacun ensuite de définir sa cet état de fait, plusieurs acteurs interrogés
partition en propre. ont partagé avoir souvent plus de facilité à
Pour dépasser une approche au cas par cas, obtenir les compromis du Conseil via d’autres
avec ses réussites et ses revers, il ressort de Représentations permanentes ou via la
notre terrain que, pour changer d’échelle et fédération européenne que par leur propre
être à la hauteur des enjeux de compétitivité Représentation permanente.
pour la France, une approche plus systémique
de l’animation des intérêts économiques L’influence de la France doit se réinventer. Si la
français par les autorités politiques est Représentation permanente est plus ouverte
nécessaire. Cette approche pourrait d’abord à des réunions bilatérales sur des enjeux
se créer en France en amont des arbitrages spécifiques, avec notamment des contacts
politiques via le SGAE, et se prolonger à fréquents avec les conseillers sectoriels, elle
Bruxelles avec l’animation par la RP de groupes ne joue pas pleinement son rôle d’animation
de travail thématiques. Les débuts de cycles d’une communauté d’influence au service des
politiques, autour de la mise en place d’un intérêts français.

4. agenda 2019 - 2024,


des priorités stratégiques
De façon unanime, les acteurs économiques appellent à bâtir l’Europe puissance pour
répondre à une concurrence internationale accrue d’acteurs qui s’affranchissent largement des
contraintes européennes et cherchent à fragiliser ses actifs stratégiques ou bien à s’en emparer.

L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE


VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 27
Si les acteurs économiques assument que • Engager le chemin de la convergence fiscale
la compétitivité relève d’abord de leur et sociale entre États membres
responsabilité, en agissant sur leurs processus • Revoir les critères d’attribution et le
internes et en innovant, l’équité concurrentielle fléchage des financements européens
qui leur permet d’agir avec les mêmes règles pour qu’ils bénéficient aux entités les plus
du jeu que leurs concurrents étrangers est un responsables
périmètre majeur dans l’équation complexe de
Sur les enjeux sectoriels, les acteurs
leur compétitivité. L’action assertive de
économiques ont le souci d’allier
l’Union doit devenir un axe majeur de la
investissements, durabilité et avantages
politique européenne comme des politiques
concurrentiels. Ils reconnaissent que certains
publiques nationales. Il s’agit là de dépasser les
« combats » ont été perdus et qu’il faut
clivages et concurrences intra-communautaires
adopter une posture pragmatique pour se
pour se positionner sur le spectre mondialisé.
positionner sur ceux qui vont façonner notre
Cette nouvelle ambition peut se structurer monde à venir et permettre à l’Union de se
autour des demandes transverses suivantes différencier dans la concurrence mondiale.
portées par l’ensemble des acteurs Les priorités pour le leadership européen,
économiques représentés dans notre panel : afin qu’il vise la normalisation mondiale sur
• Renforcer l’arsenal économique et la base du mieux-disant européen, sont de :
diplomatique pour faire contrepoids aux • Mettre en œuvre un marché unique du
influences extracommunautaires des numérique à dimension éthique, cyber et
grandes puissances mondiales protectrice
• Promouvoir à l’international le modèle • Maintenir un cadre protecteur des
européen de régulation et de normes en consommateurs et des données personnelles
matière environnementale, sociale, sanitaire
• Investir dans les infrastructures pour la
et de protection des données
mobilité durable et connectée en assurant
• Etablir une économie neutre en carbone un égal accès à tous les acteurs
d’ici 2050 avec une approche internationale • Conduire une stratégie européenne sur
• Repenser les règles de la concurrence pour les grands sujets d’innovation et de
appréhender dans une approche dynamique souveraineté technologique de type 5G,
et stratégique la concurrence à l’échelle IA, véhicules autonomes, santé, agro-
internationale alimentaire
• Revoir les critères d’investissement et les • Approfondir la coopération de défense post
critères d’éligibilité aux marchés européens Brexit
pour lutter contre les effets de dumping • Accélérer la constitution de consortiums
• Construire une politique industrielle européens de recherche scientifique et
décarbonée, digital-centric/native et technologique
décomplexée avec de nouveaux modèles • Prévenir la création d’un paradis fiscal au
de régulation pour générer des fleurons Royaume-Uni résultant du Brexit
européens
• Mettre fin à la pratique française de
surtransposition

L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE


VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 28
conclusion
De l’enthousiasmant storytelling du « France is back » à la Realpolitik européenne, qui
se montre à la fois surprenante et exigeante, les dirigeants économiques de France perçoivent les
Affaires européennes comme une dimension essentielle à la conduite de leur corporate strategy.
S’ils peuvent s’appuyer sur les points forts de l’appareil d’État et sa diplomatie économique, ils
souhaitent aller plus loin dans la (re)naissance d’une « Team France » plus ambitieuse, mieux
structurée et intervenant plus en amont du processus décisionnel.
L’étude critique du Registre de transparence tenu par la Commission européenne a
révélé la prépondérance des lobbies de filière (45%) devant celui des entreprises (34%) pour
incarner les forces économiques françaises. La taille critique des entités et leur statut de droit
privé semblant favoriser l’exercice des Affaires européennes, la question de l’accès au lobbying
se pose de nouveau. Toute entité ne devrait-elle pas pouvoir défendre ses intérêts auprès des
institutions ? Enfin, le décalage entre la nécessité d’une action de lobbying européen à des fins
de sécurisation de la stratégie d’entreprise et sa sous-représentation au sein des comités de
direction des entreprises révèle la distance entre l’ambition européenne et sa mise en œuvre. Le
fait que les entreprises publiques, anciennement monopolistiques, soient celles qui consacrent le
plus d’ETP de lobbyistes à Bruxelles par rapport au secteur privé, plus « naturellement » exposé
à la concurrence, n’est pas le moindre des paradoxes relevés par notre étude politique.
Pour protéger les intérêts français et la compétitivité de la France, pour que la France puisse porter
haut le leadership européen dans un monde de plus en plus inégal, fragilisé et multipolaire, les
Directions générales prônent une meilleure circulation de l’information avec leurs interlocuteurs
français et la mise au point d’une stratégie concertée. Elles proposent de s’inspirer des modèles
et des retours d’expérience les plus éclairants, pour élaborer avec leurs ministères de tutelle et
la diplomatie économique des visions convergentes sur les priorités stratégiques à défendre.
De leur côté, le cycle d’entretiens a permis de souligner la nécessité pour elles de continuer à
investir dans les ressources humaines et financières pour sécuriser leur présence à Bruxelles, et
surtout mettre au point une approche combinée des dossiers franco-européens, au lieu de mener
des stratégies de lobbying compartimentées. Si depuis vingt ans, elles ont professionnalisé leur
lobbying et assimilé les fondamentaux des spécificités bruxelloises (logiques de coalition, de
compromis, de négociation multinationales…), il leur faut désormais parfaire leur influence au sein
des groupes de travail et s’émanciper des logiques de représentation pour vraiment pouvoir peser.
Bâtir un modèle français de l’influence européenne suppose de partir des approches
d’autres « modèles » et de prendre la mesure des pratiques et des attentes du terrain, à savoir
les lobbyistes des intérêts stratégiques de la France. Notre profession politique a le devoir d’aller
au-delà du diagnostic et d’être force de propositions pour emprunter les voies de la reconquête
de l’influence de la France dans l’UE, de manière lucide et décomplexée face aux défis
géopolitiques qui se jouent dans l’arène bruxelloise. C’est pourquoi, afin d’engager le débat sur
les solutions pouvant faciliter ce renouveau, les équipes d’Athenora Consulting et de
Spin & Strategy, avec le soutien de l’APAP, ont souhaité présenter des leviers pragmatiques pour
une praxis de l’influence concertée pleinement assumée par les autorités publiques et par les
acteurs économiques.

L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE


VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 29
plateforme de propositions :
influence de la france dans l’uE,
les voies de la reconquête
Institutionnaliser le lobbying dans la diplomatie d’État à l’UE
1. Pérenniser un ministère de plein exercice chargé des Affaires européennes, s’appuyant sur un
SGAE renforcé et disposant dans ses attributions des administrations centrales de Bercy pour
mener l’influence économique en amont des réunions du Conseil
2. Sanctuariser la fonction de conseiller Affaires européennes en cabinet ministériel (nomination
au JORF) pour « européaniser » les politiques publiques et assurer une coordination
interministérielle en amont des sommets européens (« RIM Europe »)
3. Doter Matignon d’une cellule de prospective européenne et d’intelligence économique pour
définir les priorités stratégiques et anticiper les batailles sur les régulations
4. Généraliser le fonctionnement en task force ministérielle pour organiser la collaboration active
avec les représentants d’intérêts (inscrits à la HATVP) concernés par les dossiers européens,
afin de travailler sur la position française et sa stratégie d’influence
5. Encourager les hauts-fonctionnaires français à « européaniser » leur carrière par une garantie
statutaire de promotion après un passage significatif à Bruxelles
6. Renforcer la formation des candidats aux concours de la fonction publique française et
européenne par un cycle consacré au lobbying et à l’intelligence économique
7. Exploiter pleinement les moyens et les compétences des commissions Affaires européennes de
l’Assemblée nationale et du Sénat pour coopérer avec les eurodéputés français
8. Animer la communauté des experts nationaux détachés (END) de la France, pilotée par le
SGAE et la RP France à Bruxelles
Intégrer un continuum de lobbying « franco-européen » dans les entreprises
1. Engager l’évolution des directions des Affaires publiques vers la prospective stratégique
permettant d’anticiper l’environnement européen et d’agir à Bruxelles
2. Développer un programme de formation professionnelle des lobbyistes français aux codes
de l’influence à Bruxelles et aux techniques de négociation au sein de l’UE
3. Généraliser l’organisation de commissions « Europe » au sein des fédérations professionnelles
afin d’anticiper les enjeux politiques et réglementaires européens
4. Progresser dans le lobbying direct à Bruxelles des entreprises et des fédérations
professionnelles françaises pour sortir d’une logique de « représentation » ou de
« délégation » de mandat à leur fédération européenne
5. Mutualiser les investissements dans le lobbying européen par l’essor d’alliances
trans-sectorielles (« coalitions ») pour peser sur des grandes politiques de la Commission
6. Structurer le réseau des lobbyistes in house des intérêts économiques et stratégiques
de la France à Bruxelles en « American Chamber à la française » pour l’UE
7. Systématiser un point Europe à chaque réunion COMEX pour un arbitrage à haut niveau
des batailles d’influence à mener
L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE
VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 30
POSTFACE
Bruxelles, lieu de la régulation et où À cela, des raisons historiques et culturelles
s’élaboreront les grandes options de politique qui réservent la détention de l’intérêt
économique pour demain face au reste du général à l’Etat, au détriment des acteurs
Monde ? Ceci semble évident pour tout de la société civile qui sont vus comme
décideur public ou économique. défendant des intérêts particuliers. Il en
résulte une connotation négative du terme de
Hier, les 4 libertés de circulation des biens, « lobbying », qui à l’inverse constitue un socle
services, personnes et capitaux et la du fonctionnement démocratique chez nos
construction du marché intérieur par voisins. Face aux défis de l’Europe, il est temps
l’élaboration de normes communes dans de ré-inventer la relation entre les entreprises
tous les secteurs de l’économie. Aujourd’hui, et les décideurs publics pour aller vers une
la défense d’une Europe des valeurs et de véritable co-construction de la régulation de
règles communes après la crise financière. demain au bénéfice du bien commun.
Mais Demain ? L’Europe devra répondre
aux immenses défis globaux de l’évolution L’ampleur des sujets portés par la nouvelle
démographique, de la digitalisation de Commission justifie par ailleurs que les
l’économie, de la transition écologique, dans entreprises les intègrent à leur agenda
un contexte de tensions géopolitiques qui stratégique. Économie, social, environnement,
amènent à repenser la globalisation. Ces défis technologie, diplomatie et société
sont aussi ceux des entreprises, qui elles- s’entremêlent, conduisant à envisager de
mêmes doivent repenser leurs relations à leur nouvelles formes de régulation, et obligent
écosystème et les inscrire dans leurs stratégies à intégrer les points de vue de multiples
de développement. « stakeholders » comme condition à un
développement harmonieux des activités
L’étude politique réalisée par les cabinets économiques. Les entreprises vivent la même
Athenora Consulting et Spin & Strategy, avec évolution, et savent qu’elles doivent intégrer
le soutien de l’APAP, en évaluant le « soft les exigences de régulation et le point de
power » de la France au sein de l’Union vue de leurs parties prenantes à leur feuille
Européenne, nous donne des clés pour de route stratégique. Cela conduit à revoir le
réfléchir aux politiques d’influence de demain. positionnement des activités de lobbying ou
d’affaires publiques pour une véritable prise
Il n’est pas nouveau de parler d’une supposée en compte par les dirigeants de l’entreprise.
faiblesse du lobbying français à Bruxelles,
liée notamment à un lien insuffisant entre Entreprises et pouvoirs publics doivent plus
les entreprises et la diplomatie de notre que jamais se rencontrer pour construire des
pays. Cette situation trouve ses racines visions partagées et élaborer des solutions
dans une réalité plus profonde, à savoir porteuses d’un modèle économique européen.
la défiance qui malheureusement marque
depuis des années la relation entre le monde Michel GUILBAUD
économique et la sphère publique en France. Directeur Général du MEDEF
L’ INFLUENCE FRANÇAISE DANS L’UNION EUROPÉENNE
VUE PAR LES DIRIGEANTS ÉCONOMIQUES 31
L’INFLUENCE DE LA FRANCE DANS L’UE
vuE par les dirigeants économiques
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