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Evolution de La Recharge de La Nappe Phréatique de Kairouan

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Évolution de la recharge de la nappe phréatique de la plaine de Kairouan


(Tunisie centrale) déduite de l’analyse géochimique

Article in Science et Changements Planetaires - Secheresse · January 2009


DOI: 10.1684/sec.2009.0160

CITATIONS READS

12 529

8 authors, including:

Safouan Ben Ammar Guillaume Favreau


Higher Institute of Technologies of the Environment, Urbanism and Building. Cart… L’Institut de recherche pour le développement (IRD)
20 PUBLICATIONS 168 CITATIONS 123 PUBLICATIONS 4,637 CITATIONS

SEE PROFILE SEE PROFILE

Kamel Zouari Christian Leduc


Ecole Nationale d'Ingénieurs de Sfax Institute of Research for Development
172 PUBLICATIONS 4,051 CITATIONS 163 PUBLICATIONS 3,740 CITATIONS

SEE PROFILE SEE PROFILE

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Article de recherche
Sécheresse 2009 ; 20 (1) : 87-95

Évolution de la recharge
de la nappe phréatique de la plaine
de Kairouan (Tunisie centrale)
déduite de l’analyse géochimique
Safouan Ben Ammar1,3 Résumé
Leila Jeribi1 La nappe phréatique de la plaine de Kairouan (Tunisie centrale semi-aride,
Guillaume Favreau2 3 000 km2) est comprise dans les formations détritiques alluviales du Plio-
Kamel Zouari1 quaternaire. Cet aquifère d’une grande importance régionale pour l’agriculture irri-
Christian Leduc2 guée (céréales, cucurbitacées) subit, depuis plusieurs décennies, une forte pression
anthropique due à une surexploitation locale des ressources, et à la construction de
Monique Oi2 barrages de protection contre les crues à son amont dans les années 1980. Les ana-
Jemaiel M’barek4 lyses chimiques et isotopiques indiquent que la recharge naturelle de cet aquifère
Ridha Beji5 était tributaire des anciennes crues des oueds Zeroud et Merguellil en période anté-
barrages. Les eaux souterraines montrent une bonne homogénéité de faciès chi-
1 mique, généralement explicable par des processus d’interaction eau-roches sédi-
Laboratoire de radio-analyses
et environnement
mentaires. Une approche isotopique basée sur des analyses des isotopes de la
ENI Sfax molécule d’eau (18O, 2H, 3H) et ceux du CITD (14C, 13C) a permis d’identifier des
BP W 38 processus de recharge localisés de l’aquifère à partir des fuites non maîtrisées du
Sfax barrage El Haouareb et des lâchers occasionnels du barrage de Sidi Saad.
Tunisie
<jeribi_leila@yahoo.fr> Mots clés : barrage, hydrogéochimie, isotopes, recharge naturelle, Tunisie.
<kamel.zouari@enis.rnu.tn>
2
IRD, UMR HSM et UMR G-EAU
Université Montpellier-II
Abstract
CC MSE Past and present groundwater recharge processes in the Kairouan plain aquifer (Central
34095 Montpellier cedex Tunisia) inferred from geochemical analyses
France
<favreau@msem.univ-montp2.fr>
<christian.leduc@ird.fr>
The phreatic aquifer of the Kairouan plain (semiarid, central Tunisia, 3000 km2) is
<monique.oi@ird.fr> made up of thick alluvial sedimentary formations of Plio-Quaternary origin. This
3
Centre national des sciences aquifer represents a key resource for regional development and irrigated agriculture
et technologies nucléaires, (e.g., watermelon, cereals). For the past few decades, over-exploitation of ground-
2020 Sidi-Thabet, water resources and building of dams located in the upstream part of the plain to
Tunisie prevent flash floods have led to dramatic changes in recharge processes and the
<safouan_ammar@yahoo.fr> water balance of the aquifer. Water chemistry and isotopic data (18O, 2H, 3H,
4
Société nationale d’exploitation 14
et de distribution des eaux
C, 13C) confirm that groundwater recharge previously depended mainly on wadi
Montfleury floods. Chemical data suggests that water-rock interaction is the main process contri-
1008 Tunis buting to groundwater salinity. The isotopic approach reveals that a significant part
Tunisie of recent recharge comes from uncontrolled dam leakage (El Haouareb dam) or
doi: 10.1684/sec.2009.0160

<mbarek_jmaiel@yahoo.fr>
5
from surface water stored in dams and released during high stages (Sidi Saad dam).
Direction générale des ressources en eau
Rue de la Manoubia Key words: dam, hydrogeochemistry, isotopes, natural recharge, Tunisia.
Tunis
Tunisie
<ridhabeji@hotmail.com>

Tirés à part : S. Ben Ammar

Sécheresse vol. 20, n° 1, janvier-février-mars 2009 87


L’ Aperçu géologique
Afrique du Nord est une région typi- alors que les alluvions moyennes et fines
quement semi-aride où les ressour- ont souvent été entraînées plus à l’aval.
ces en eau sont susceptibles d’évo- et hydrogéologique La plaine est limitée à l’ouest et au nord
luer spectaculairement sous l’influence de par une série de jebels où affleurent diver-
fluctuations climatiques ou d’actions humai- La plaine de Kairouan est une vaste et pro- ses formations sédimentaires du secon-
nes [1]. Ces changements peuvent affecter fonde cuvette d’effondrement remplie de daire et du tertiaire (figure 1). La profon-
les stocks d’eau souterraine, rarement en plus de 700 m de sédiments détritiques deur du niveau de la nappe phréatique
augmentation [2], souvent en diminution plio-quaternaires apportés depuis la dor- était, avant surexploitation, de l’ordre de
importante [3], mais aussi leur qualité [3, sale tunisienne par de nombreux oueds, 15 à 65 m mais atteint désormais locale-
4]. En dehors des flux passant d’un système ment plus de 80 m. Vers l’aval, la nappe
les oueds Zeroud et Merguellil étant les
aquifère à un autre, la recharge naturelle phréatique est subaffleurante (< 1 m) sous
plus importants. Ces dépôts s’organisent
des nappes phréatiques provient essentielle- les sebkhas à proximité de Kairouan.
en couches lenticulaires plus au moins éten-
ment de l’infiltration des eaux des oueds,
dues ; les alluvions grossières (sables et Des aquifères limitrophes peuvent alimen-
lors de leurs crues les plus fortes. En région
graviers) sont plus fréquentes aux ter, dans une faible mesure, la nappe de la
méditerranéenne, un tel phénomène est sou-
vent très variable dans le temps et dans débouchés des oueds dans la plaine, plaine de Kairouan. La contribution de ce
l’espace [5]. Au cours des dernières décen-
nies, de multiples aménagements (par exem- 9° 50 10°
ple les barrages, grands et petits) ont été Tunis
S. El Kalbia
réalisés au Maghreb, avec comme objectif 36°

MÉD
Kairouan
premier une plus forte mobilisation des res-

ITER
sources en eau. Tous ces travaux, tendant à
Algér

domestiquer une ressource très irrégulière,

RA
modifient parfois très profondément le
ie

NÉE
1.5
cycle de l’eau, tant dans les flux que dans 32°

n
teu
les processus. La nappe phréatique de la
ye
Kairouan
Lib

Ba
plaine de Kairouan étudiée ici illustre une 9°
3.5

J.
telle évolution. 2.5

Par son extension (3 000 km2) et l’impor-


tance de ses réserves (épaisseur saturée par- J. Gountass llil
rgue
fois supérieure à 600 m), cet aquifère est le Me
plus important de la Tunisie centrale, une Chebika O.
région où le développement rural est totale- h ira 35° 35’

ment tributaire de l’eau. Il est soumis depuis ic


er
plus de 40 ans à une forte anthropisation. Ch
J. 4.5
Celle-ci est d’abord une exploitation toujours
accrue pour satisfaire l’irrigation et l’alimen-
B.

FK8
tation en eau potable. L’intervention de
El

a
eb

ur
l’homme s’est manifestée aussi par la créa- erou
Ha

so
O. Z
aouar

tion de très nombreux lacs et retenues colli-

an
ou

.M
35° 30’
are

naires, et la construction de grands barra-

O
J. El H
A. El B

ges sur les deux principaux oueds de la


région (en 1982, sur le Zeroud et, en ne
Affe 1.5
1989, sur le Merguellil ; figure 1). Le bilan Draa
eidha

hydrique largement déficitaire de la nappe


de la plaine de Kairouan se manifeste par
u ila

une forte baisse de la piézométrie depuis les Z21 2.5


To
S. El B

années 1980 (0,25 à 1 m/an) [6].


J.

35° 25’
J. Sio

Du fait de son importance à l’échelle natio-


nale, l’aquifère de la plaine de Kairouan a
ehira

fait l’objet de multiples études, souvent


f

focalisées sur l’aspect hydrodynamique 3.5

[7-9]. La géochimie des eaux souterraines


de la plaine n’a été abordée que plus
récemment [10-12]. Le croisement de ces
J. Nara

B. Sidi Saad
deux approches permet un saut important
dans la connaissance, en contraignant
mutuellement les hypothèses tirées des ana- Point d’eau
lyses géochimiques et les propositions de 4.5
J. Che

bilan basées sur l’analyse hydrodyna- 3.5


CE (mS.cm-1)
mique. Des résultats nouveaux ont ainsi 3.5

été obtenus, en particulier dans l’étude de


r

Anomalie de CE
ahil

0 2 4 km
l’évolution des processus de la recharge Écoulement global
de l’aquifère phréatique de la plaine de
Kairouan depuis la construction des Figure 1. Carte de situation des points d’eau échantillonnés et de conductivité des eaux souterrai-
barrages. nes de la plaine de Kairouan.

88 Sécheresse vol. 20, n° 1, janvier-février-mars 2009


type la mieux identifiée provient de la Résultats qualité des eaux de surface des deux
nappe de Ain El Beidha au travers du oueds. En effet, la conductivité moyenne
seuil karstique d’El Haouareb (figure 1). des eaux de la retenue d’El Haouareb est
Cependant, en régime naturel, l’essentiel Caractérisation physico-chimique de 2,1 mS/cm (gamme mesurée : 1,5-
de la recharge de la nappe phréatique des eaux 2,65 mS/cm), celle des émergences d’El
provenait des crues des deux grands Haouareb est de 2,4 mS/cm (mélange
oueds Merguellil et Zeroud. La dernière Les températures des eaux souterraines de
la plaine de Kairouan sont comprises entre d’eau du barrage et d’eau de la nappe
crue catastrophique, en 1969, est à l’ori- de Ain El Beidha) et celle de Sidi Saad est
gine de la création des barrages El Haoua- 19 et 28 °C (21 °C en médiane). Les tempé-
ratures les plus basses (19 à 23 °C) carac- largement supérieure (4,6 mS/cm, mesurée
reb, sur le Merguellil (stockage moyen en septembre 1998). Les eaux des retenues
annuel de 19,6 Mm3 sur la période térisent les puits de surface et les forages
peu profonds (0 à –100 m). Les plus élevées subissent une reprise évaporatoire de
1989-2007) et Sidi Saad, sur le Zeroud l’ordre de 30 % du volume arrivant aux bar-
(stockage moyen annuel de 100 Mm3 sur (26 à 28 °C) sont mesurées au niveau des
forages profonds qui dépassent générale- rages mais d’intensité plus ou moins forte
la période 1982-2007), qui ont privé la selon la saison et la durée du stockage
nappe de la plaine d’une grande part de ment 200 m. La majorité des échantillons
présentent un pH variant entre 7 et 8. dans le lac [13] ; ces eaux sont donc pro-
son alimentation naturelle, la quasi-totalité portionnellement plus minéralisées que les
dans le cas du Merguellil [6]. Les conductivités électriques varient de
1,5 mS/cm à plus de 5 mS/cm. Les plus eaux des oueds s’écoulant librement.
faibles valeurs (~1,5 mS/cm) sont mesurées Les concentrations relatives en éléments
au pied du jebel Bateun et du bombement majeurs sont reportées sur le diagramme
Prélèvements et analyses anticlinal du Draa Affene (figure 1), où de Piper (figure 2). Le faciès dominant est
affleurent des formations sablo-gréseuses de type Na-Ca-SO4 évoluant par endroits
d’âge miocène et pliocène. De relativement à Na-Ca-Cl-SO4. Le bicarbonate domine
Depuis une dizaine d’années (1997-2007), dans les faibles minéralisations des forma-
environ 140 points ont été échantillonnés faibles conductivités, inférieures à 2,5 mS/
cm, sont mesurées à proximité des lits des tions miopliocènes du jebel Bateun et du
par le laboratoire de radio-analyses et envi-
oueds. De plus fortes valeurs, parfois supé- Draa Affene. Un faciès particulier
ronnement (LRAE) de l’École nationale
rieures à 4,5 mS/cm, caractérisent la partie Na-Mg-SO4 caractérise les points d’eau
d’ingénieurs de Sfax et l’Institut de recher-
aval de la plaine. D’une manière générale, situés au nord du Draa Affene. Les teneurs
che pour le développement (IRD), avec le
soutien actif des différents services régio- les eaux souterraines de la plaine du Mer- en SO4 varient entre 2 et 45 méq/L, les
naux du ministère tunisien de l’Agriculture guellil sont moins chargées que celles de la teneurs en Cl entre 2,5 et 40 méq/L.
(figure 1). Ce sont des eaux souterraines plaine du Zeroud, reflétant la différence de Les teneurs en Ca et Mg varient respective-
(puits, forages) et des eaux de surface (rete-
nues des deux barrages, émergences kars-
tiques au pied du barrage El Haouareb).
Les paramètres physicochimiques (pH,
conductivité électrique et température) ont
été mesurés in situ. Les éléments majeurs
80

Ca
80
)
(Cl

lciu
ont été analysés après filtration in situ à
ide

m
0,45 μm par chromatographie ionique
lor

(Ca
60
60
Ch

)+
(Na, Ca, Mg, K, Cl, SO4) et titration
)+

(HCO3) par les laboratoires de la Société Ma


4
(SO

gn
40
40

nationale d’exploitation et de distribution es


te

ium
lfa

des eaux (SONEDE) à Tunis et de la Mai-


Su

(M

son des sciences de l’eau à Montpellier


g)
20
20

pour les échantillons du Merguellil et par


le LRAE pour les échantillons du Zeroud.
Les analyses isotopiques (18O, 2H, 3H et
13
C) ont été réalisées par l’Agence interna-
Mg SO4
tionale de l’énergie atomique (AIEA) à
20

O3 0
(HC 2

Vienne et le laboratoire d’hydrologie et


)

géochimie isotopique de l’université Paris-


So
20

80
80

20

XI-Orsay. Les activités 14C ont été mesu-


40

te
rbo 40
diu

na
g)

rées par scintillation liquide au LRAE sur


(M

(Na

Su
ica
60

40
um

40

60

des précipités de carbonate de baryum.


)+

lfa
+B
60 tassi

C O 60
40 nesi

t
Po

Les teneurs en isotopes stables de la molé-


e(
3)

SO
g

cule d’eau (18O et 2H) ont été déterminées


Ma

4)
60
60

40
e(
um
80

rb 80

par spectrométrie de masse et sont expri-


80 onat
(K)

mées en pour mille par rapport au stan-


Ca

+
20

80

20

dard international V-SMOW. Les incertitu-


des analytiques sur les mesures isotopiques
sont de 0,2 ‰ pour δ18O, de 2 ‰ pour δ
2
H et de 0,1 ‰ pour δ13C. Les teneurs en Ca 80 60 40
Calcium (Ca)
20 Na + K HCO3 + CO3 20 40 60
Chloride (Cl)
80 Cl

tritium sont exprimées en unités tritium (UT), CATIONS %meq/L ANIONS


avec une incertitude de l’ordre de 0,8 UT.
L’incertitude estimée sur les activités 14C Figure 2. Diagramme de Piper des eaux de la plaine de Kairouan.
est de l’ordre de 0,2 à 1,7 pCm. • : Merguellil ; o : Zeroud ; Δ : Mio-Pliocène ; □ : émergences El Haouareb ; ■ : retenue El Haouareb ; + : Sidi Saad.

Sécheresse vol. 20, n° 1, janvier-février-mars 2009 89


ment entre 1 et 18 méq/L et entre 1 et majeurs ne tracent donc pas une rupture l’écoulement est supposée due principale-
21 méq/L. dans les processus de recharge de la ment au changement de faciès lithologique
nappe. Les différents rapports ioniques, clas- de l’aquifère, de sables grossiers et gra-
Caractérisation isotopique siquement utilisés pour identifier l’origine de viers en amont à des argiles sableuses en
la minéralisation des eaux souterraines, aval, induisant un temps de transit et de
Les teneurs en isotopes stables des eaux n’apportent pas d’information déterminante contact eau-matrice croissants vers l’aval.
souterraines sont comprises entre –6,4 et dans le cas de la plaine de Kairouan. En Dans la zone saturée, la dissolution de cer-
–1,2 ‰ pour δ18O et entre –43,9 et effet, les eaux des oueds dont dépend la tains minéraux carbonatés ou gypseux,
–10,6 ‰ pour δ2H, avec des moyennes recharge de la nappe présentent le même généralement rencontrés dans les sédi-
respectives de –5,3 et –33,7 ‰. Les faciès chimique, et ce, malgré qu’ils drai- ments d’origine fluviatile, pourrait égale-
valeurs les plus enrichies proviennent de nent des bassins assez différents par leur ment être à l’origine d’augmentation locale
l’amont de la plaine ; ailleurs, la compo- extension (8 650 km2 pour le Zeroud, de la salinité. L’échange cationique avec
sition isotopique des eaux de la nappe 1 200 km2 pour le Merguellil), par leur cou- les minéraux argileux est un autre proces-
est plus homogène (δ18O généralement verture végétale et par la nature des forma- sus probable, notamment pour Na, Ca et
compris entre –6 et –5 ‰). Comme la tions géologiques qu’ils traversent (le bassin Mg (figure 3). Cet échange implique une
minéralisation totale, la composition du Merguellil est montagneux et assez augmentation des Na dans la solution
isotopique des eaux des barrages varie boisé, nettement marqué par des affleure- contre une diminution du Ca et du Mg
fortement en fonction du remplissage des ments carbonatés de l’Éocène et gréseux [15], cela devant affecter la saturation
retenues et de l’intensité de l’évaporation de l’Oligocène ; celui du Zeroud est plus vis-à-vis du gypse, d’une part, et vis-à-vis
[10, 12]. homogène, avec dans la majeure partie des carbonates, d’autre part [16]. L’hypo-
Les teneurs en tritium de la nappe présen- des reliefs de plus faible pente). Les varia- thèse d’un échange de base avec les miné-
tent une grande variabilité spatiale. tions des concentrations en éléments raux argileux dans les eaux de la plaine de
Les valeurs les plus fortes (5 à 32 UT) chimiques et de salinité entre les eaux de Kairouan est accréditée par la relation
sont mesurées près des lits des oueds, indi- ruissellement des deux oueds seraient pro-
quant une recharge relativement récente bablement les seuls facteurs responsables ð½Na þ K  ClÞ=ð½Ca þ Mg  ½SO4
(1950-1970). Ailleurs, les teneurs en tri- de la différence de salinité des eaux souter- þ HCO3 Þ
tium sont généralement inférieures au raines entre les deux moitiés nord et sud de
seuil de détection, indiquant une recharge la plaine (figure 1). Les valeurs élevées de
plus ancienne (< 1950). Les teneurs en tri- salinité qui caractérisent les eaux du Zeroud qui montre une bonne corrélation entre
tium des eaux de barrages (5,3 UT en sep- sont en relation avec la nature des terrains l’excès en sodium et le déficit en calcium
tembre 998 et 5,5 UT en octobre 1999 qu’il traverse avant de se jeter dans la et magnésium (figure 3).
pour El Haouareb et 5,6 UT en novembre plaine de Kairouan, notamment les affleure- En zone semi-aride, comme la Tunisie cen-
1997 pour Sidi Saad) sont proches des ments évaporitiques du Trias et les sols de trale, le phénomène d’évaporation affecte
valeurs actuelles des précipitations mesu- sebkha situés plus à l’ouest. les eaux de ruissellement, les eaux de
rées à Kairouan (6,9 UT en septembre L’augmentation des valeurs de conducti- pluies tombant directement sur les sols et
1998). vité, d’amont en aval, dans le sens de encore les eaux d’irrigation bien avant
Les activités 14C des eaux souterraines et
des émergences d’El Haouareb varient
d’environ 72 pcm à l’amont du bassin à
des valeurs inférieures au seuil de détec- 2- -
(Ca2+ + Mg2+)-(SO4 + HCO3) (méq/L)
tion dans la zone aval, au nord-est de Kai-
rouan. Les valeurs les plus élevées se trou- 15
vent à proximité des oueds dans les zones
Zeroud
amont et médiane du bassin. Dans cette
partie de la plaine, les activités 14C sont 10
R2 = 0,73 Merguellil
supérieures à 30 pcm. En corrigeant les
valeurs brutes grâce aux teneurs en 13C
du CITD (entre –13,4 et –4,6 ‰ vs PDB), 5
les âges corrigés des eaux selon plusieurs
modèles (Pearson, Fontes et Garnier,
Evans et Eichinger [14]), et qui prennent 0
en considération les mélanges chimique
et isotopique avec échange isotopique
entre le CO2 du sol et les carbonates, -5
sont inférieurs à 1 000 ans BP.

-10

Discussion
-15
Origine de la minéralisation -15 -10 -5 0 5 10 15
Les eaux souterraines de la plaine de Kai-
rouan ont généralement un faciès chimique (Na+ + K+) - Cl- (méq/L)
semblable à celui des eaux des oueds
échantillonnées dans les retenues des barra- Figure 3. Relation ([Na + K] – Cl)/([Ca + Mg] – [SO4 + HCO3]) pour les eaux de la nappe phréa-
ges. Considérés individuellement, les ions tique de la plaine de Kairouan.

90 Sécheresse vol. 20, n° 1, janvier-février-mars 2009


qu’elles atteignent l’aquifère, et par consé- Saad ; années 1991, 1993, 1996 et l’oued Zeroud à son débouché dans la
quent, favorise le dépôt de sels ou d’accu- 2006 pour El Haouareb). plaine. Cet enrichissement en isotopes sta-
mulation de solutés en surface ou sub- Le recours aux méthodes isotopiques (iso- bles est interprété comme le reflet d’une
surface [17]. À l’aval de la plaine, le recy- topes de la molécule d’eau et du CITD) infiltration récente d’eaux à partir de
clage des sels sous les sebkhas, exutoire permet une meilleure compréhension des lâchers du barrage de Sidi Saad durant
naturel de la nappe par évaporation mécanismes de la recharge naturelle de les campagnes de recharge artificielle.
(périodes sèches) mais aussi périodique- la nappe et permet d’en préciser de Les points d’eau situés dans l’extrême
ment inondées par les crues des oueds manière indépendante à l’hydrodyna- amont de la plaine, et dont le cachet isoto-
(période de lessivage vers la zone satu- mique les différents flux. pique est à caractère évaporé, présentent
rée), pourrait en partie être responsable des teneurs en tritium proches des celles
d’une partie de l’augmentation de la sali- • Recharge actuelle des eaux de surface et des précipitations
nité des eaux de l’aquifère (figure 1). induite par les barrages actuelles à Kairouan, c’est-à-dire 5 à 6 UT
Dans la zone amont de la plaine en aval (en 1998). C’est le cas du piézomètre Z21
des barrages, de fortes variabilités isotopi- dans le bassin du Zeroud et du forage FK8
Recharge naturelle de la nappe ques caractérisent les eaux souterraines à situé à environ 3 km en aval du barrage El
et influence des barrages cause de la recharge récente induite par Haouareb (groupe G2 de la figure 5).
des eaux à faciès isotopique plus enrichi Cela confirme encore l’effet de la recharge
Les études hydrogéologiques antérieures de en période postérieure à la construction actuelle à partir des eaux des barrages : à
la plaine de Kairouan [7-9, 18] ont consi- des barrages (figure 4) : partir des fuites de la retenue d’El Haoua-
déré qu’en période antébarrages, les crues – dans la moitié nord de la plaine, domi- reb au nord de la plaine et l’infiltration des
du Zeroud et du Merguellil représentaient née par le Merguellil, ces eaux provien- eaux lâchées lors des essais de recharge
l’essentiel de la recharge de la nappe ; nent des fuites à partir du barrage El artificielle dans le bassin du Zeroud.
l’infiltration des eaux pluviales tombant sur Haouareb et leur mélange avec le flux en
la plaine et les apports des reliefs bordiers provenance du bassin amont de Ain El • Recharge naturelle par les oueds
étant considérés comme faibles ou nuls. Beidha par déversement latéral à travers Les teneurs moyennes en isotopes stables
Depuis la construction des barrages Sidi le seuil d’El Haouareb. À l’aval du bar- (δ 18O = –5,3 ‰ et δ 2H = –33,7 ‰)
Saad et El Haouareb, les eaux des crues rage, la tendance à l’enrichissement en iso- diffèrent de celles des précipitations à
de ces deux oueds n’atteignent plus la topes lourds décroît vers l’intérieur du bas- Kairouan (–4,2/–24,1 ‰) [10, 12] mais
plaine, et la nappe se trouve privée de sin en fonction de la distance au barrage, rappellent les précipitations des bassins
ces apports. Les apports à la nappe se limi- et les points d’eau situés jusqu’à ~7 km à amont du Zeroud et du Merguellil, dont
tent actuellement aux débits des fuites du l’aval se distinguent par un cachet isoto- la valeur calculée pour l’oxygène-18 se
barrage El Haouareb, au transfert souter- pique plus enrichi, suggérant une alimenta- situe entre –5,5 et –5 ‰ [11]. Cette diffé-
rain à partir de la nappe de Ain El Beidha tion induite par les eaux de fuites du bar- rence est due à l’effet d’altitude (dénivelé
à travers la formation karstique sur laquelle rage [11] ; amont-aval : 1 100 m) qui caractérise les
est construit le barrage et aux très faibles – dans la partie sud de la plaine, le faciès eaux des pluies formées à l’amont monta-
débits lâchés pendant les années à pluvio- le plus évaporé caractérise les eaux du pié- gneux des bassins des oueds. Les caracté-
métrie excédentaire (années 1993, 1994, zomètre Z21 (–1,2 et –10,6 ‰ en δ 18O ristiques physiques des bassins du Zeroud
1996, 1997, 2003 et 2005 pour Sidi et δ 2H respectivement), en rive droite de et Merguellil favorisent le transfert rapide
(temps de montée de 1 à 2 heures) des
eaux précipitées à l’amont vers la plaine.
Les eaux de ruissellement s’infiltrent aux
d2H (‰) débouchés des oueds sur la plaine.
20 Les eaux de surface (retenues des deux
Zeroud Merguellil RH barrages et émergence El Haouareb) mon-
10 trent des faciès isotopiques plus enrichis en
EH Z SS
DML (d = 11)
isotopes stables dont la grande variabilité,
selon les périodes d’échantillonnage, tra-
0
duit l’état de remplissage des retenues de
Z21 barrages et l’effet de l’évaporation
-10 (figure 4). La droite d’évaporation des
eaux de surface (DEES) intersecte la droite
FK8 météorique locale (DML) [19] en un point
-20
de coordonnées (–5,4/–32,4). Ces valeurs
-30
sont proches des valeurs moyennes des
DEES : d2H = 4,79 * d18O - 6,4 eaux souterraines, en accord avec l’hypo-
thèse d’une importance prépondérante des
-40 crues historiques des oueds pour la
recharge de l’aquifère.
-50 Les teneurs en tritium mesurées au niveau
-7 -6 -5 -4 -3 -2 -1 0 des points d’eau échantillonnés indiquent
la présence d’une composante récente (5 à
18
d O (‰) 32 UT) traduisant une recharge datant de
la période postnucléaire des années 1950
Figure 4. Diagramme δ2H/δ18O des eaux de la plaine de Kairouan. et antébarrages (groupe G1 de la
RH : retenue El Haouareb ; EH : émergences El Haouareb ; SS : retenue Sidi Saad ; Z : Oued Zeroud ; DML : droite figure 5). Ces eaux tritiées et qui présen-
météorique locale [18] ; DEES : droite d’evaporation des eaux de surface. tent de faibles teneurs en isotopes lourds

Sécheresse vol. 20, n° 1, janvier-février-mars 2009 91


ancienne provenant d’une paléorecharge
3
H (UT) (figure 6). Cela indique l’existence dans
la plaine de Kairouan d’une stratification
18 d’eaux d’âges différents provenant de dif-
férentes phases de recharge.
16 G1 Zeroud Merguellil SS RH EH En s’éloignant des lits du Merguellil et du
14 Zeroud dans le sens de l’écoulement, les
eaux souterraines sont de plus en plus
12 anciennes. Ce vieillissement serait dû à
une circulation plus lente des eaux souter-
10 raines à cause d’un changement latéral de
faciès lithologique de l’aquifère, d’une
8
part, et à un effet de plus en plus faible
6 G2 des crues des oueds sur la recharge de la
nappe, d’autre part.
FK8 Z21
4 Dans l’extrême aval du bassin, aux environs
de la ville de Kairouan, les eaux issues des
2 G3 forages profonds se distinguent par leur
0 caractère très ancien (entre 10 000 et
30 000 ans BP), alors que les eaux issues
-7 -6 -5 -4 -3 -2 -1 0 des puits de surface très peu profonds sont
18
d O (‰ V-SMOW) plus jeunes (0 à 4 500 ans BP). Ce rajeunis-
sement peut être la conséquence soit d’une
influence de la recharge récente à partir
Figure 5. Diagramme 3H/δ18O. des eaux pluviales tombant directement
RH : retenue El Haouareb ; EH : émergences El Haouareb ; SS : retenue Sidi Saad ; G1 : recharge récente postnu-
sur la plaine et/ou à partir des eaux des
cléaire et antébarrages ; G2 : recharge actuelle par les eaux des barrages ; G3 : paléorecharge.
crues du Merguellil et du Zeroud lors des
grands événements durant lesquels les
(18O et 2H) sont prélevées à proximité des des points d’eau les plus proches des lits eaux de ruissellement des oueds peuvent
lits des oueds Zeroud et Merguellil dans la des oueds dans la zone amont et médiane atteindre les environs de la ville de Kai-
partie amont et médiane de la plaine. À de la plaine. Ces activités témoignent rouan, voire même se déverser dans la
l’intérieur de la plaine, les eaux échantil- d’une contribution d’eau récente à la Sebkha El Kalbia située plus au nord-est,
lonnées à distance des lits des oueds sont recharge de l’aquifère, et la répartition soit à un phénomène de mélange entre
faiblement tritiées et présentent des valeurs spatiale des âges corrigés selon le modèle ces eaux de surface récemment infiltrées
appauvries en 18O (groupe G3). Il s’agit de Pearson indique des âges inférieurs à avec d’autres plus anciennes logées dans
d’eaux à forte composante ancienne pro- 1 000 ans. Cette recharge serait due prin- les niveaux profonds et percolant vers la
venant de paléorecharge de la nappe. cipalement à l’infiltration des anciennes surface (drainance ascendante). Cela se
Entre ces différents groupes, des situations crues des oueds. Cependant, des forages justifie par le caractère artésien des forages
intermédiaires de mélange sont identifiées plus profonds dont les niveaux crépinés implantés au nord-est de Kairouan [12].
(figure 5). avoisinent les 200 m de profondeur pré- Les vitesses apparentes d’écoulement cal-
Les plus fortes valeurs des activités 14C sentent des activités comprises entre 13,5 culées à partir des âges 14C corrigés sem-
(> 30 pcm) caractérisent les eaux issues et 23 pcm, témoignant d’une eau plus blent être en bonne concordance avec le
modèle conceptuel de sédimentation et les
caractéristiques hydrodynamiques de
Activité 14C (%)
l’aquifère : le ralentissement progressif
dans la vitesse de transit des eaux souter-
0 10 20 30 40 50 60 70 80 raines est la conséquence d’un change-
ment progressif de lithologie de la forma-
140
tion aquifère.
120 Dans la moitié nord de la plaine (bassin du
Merguellil) et suivant la direction
100 d’ensemble de l’écoulement, la vitesse
apparente d’écoulement (calculée tout en
NP (m)

80 supposant un écoulement de type piston-


flow) est de l’ordre de 3,3 m/an dans la
60 zone amont et médiane de la plaine, c’est-
à-dire jusqu’à la région de Chebika. Au-
40
delà, la vitesse diminue brusquement
20 pour passer à 0,8 m/an dans la partie
Zeroud Merguellil centrale et puis à 0,4 m/an aux environs
0 de Kairouan. Cette diminution s’accom-
pagne d’une augmentation du gradient
Figure 6. Activité 14C en fonction du niveau piézométrique (NP) de la nappe dans la partie hydraulique et doit correspondre à un
amont et médiane de la plaine de Kairouan. changement latéral de lithologie induisant
Pour la commodité de l’interprétation, les points d’eau représentant l’aval de la plaine ont été supprimés : activités des caractéristiques hydrodynamiques
inférieures à 30 pcm et NP inférieur à 20 m. plus médiocres.

92 Sécheresse vol. 20, n° 1, janvier-février-mars 2009


Implications pour la gestion
Cté (mS/cm)
Dans les dernières années, le développe-
ment des cultures irriguées consommatrices 1500 2500 3500 4500 5500
d’eau a engendré une forte pression sur la 140
ressource dans la plaine de Kairouan :
environ 80 % des eaux pompées de la 120
nappe phréatique sont utilisées pour l’irri-
gation. L’extension des terres cultivées et 100
l’intensification de l’irrigation ont eu pour
conséquence une surexploitation des res-

NP (m)
80
sources, amenant à une baisse généralisée
de la piézométrie atteignant localement 60
1 m/an. Actuellement, cette baisse de la
piézométrie ne semble pas affecter la qua- 40
lité des eaux, et de rares et faibles augmen- Merguellil
tations de la salinité ont été observées 20
Zeroud
[12]. Cela peut s’expliquer par l’impor-
tance des réserves de la nappe et par 0
l’absence de stratification verticale de la
salinité (figure 7), testée par des profils Figure 7. Relation conductivité/niveau piézométrique.
de conductivités sur plusieurs piézomètres
[20]. Théoriquement, en l’absence du
risque de pomper des eaux de plus en négatives non seulement sur les sols et Le retour des eaux d’irrigation et l’infiltra-
plus salées, il serait possible de continuer leur productivité, mais aussi sur la qualité tion des eaux de pluie tombant directement
à exploiter l’aquifère. Cependant, cette de l’eau de la nappe suite au recyclage sur la plaine, même avec de faibles quan-
option est confrontée au coût croissant de des sels accumulés aux sols sous l’effet de tités, peuvent aussi entraîner jusqu’à la
pompage dû à l’augmentation de la pro- forte évaporation par les eaux d’irrigation nappe les intrants agricoles épandus par-
fondeur du niveau de la nappe. et par les eaux pluviales s’infiltrant pen- fois en excès. Cela pourrait expliquer,
La qualité des eaux d’irrigation est un dant les grands événements pluvieux. pour certains sites, des teneurs élevées en
paramètre important à considérer, non
seulement dans l’étude de l’impact direct
sur les produits agricoles, mais aussi
dans celle de l’impact indirect sur les sols
par modification de leurs propriétés physi- 32
ques et chimiques [21]. Dans le cas des
30
nappes phréatiques, ces modifications
sont généralement attribuées aux échan-
Fort 3

28
ges de bases dans la zone non saturée
26
[22]. Ces processus sont principalement
contrôlés par le rapport entre l’adsorption 24
du sodium (sodium adsorption ratio, SAR)
Pouvoir alcalinisant [SAR]

de l’eau d’irrigation et sa minéralisation 22


totale. En effet, l’échange ionique entre le 20
sodium de l’eau et le calcium et magné-
Moyen 2

sium des argiles implique un appauvrisse- 18


ment de l’eau d’irrigation en Na, contre un 16
enrichissement en Ca et Mg. L’enrichisse-
ment des sols en Na peut avoir une inci- 14
dence négative sur leur stabilité et leur pro-
ductivité. La méthode la plus utilisée pour 12
qualifier les eaux d’irrigation est une repré- 10
sentation graphique de la conductivité
électrique en fonction du SAR (figure 8). 8
Faible 1

Les eaux de la plaine de Kairouan présen- 6


tent des valeurs de SAR faibles à fortes,
évoluant d’amont en aval avec la conduc- 4
tivité. Seuls les points d’eau de la zone 2
amont, notamment du côté du Merguellil,
présentent des valeurs de SAR et des 0
20 100 250 750 2250 5000 10000
conductivités faibles. Des valeurs de SAR
moyennes à fortes caractérisent le reste
0 1 2 3 4 5
des points d’eau échantillonnés (environ
85 %), ce qui doit limiter leur utilisation
dans le domaine agricole. L’utilisation de Conductivité en µS/cm
ces eaux pour l’irrigation sur de longues
périodes peut avoir des conséquences Figure 8. Évolution du SAR en fonction de la conductivité des eaux souterraines.

Sécheresse vol. 20, n° 1, janvier-février-mars 2009 93


nitrates, pouvant parfois dépasser nord et sud de la plaine se caractérisent férents reliefs bordiers (jebels) aux limites
100 mg/L. par des faciès géochimiques semblables, de l’aquifère reste possible ; toutefois,
Depuis la construction des barrages, la généralement de type Na-Ca-Cl-SO4. celle-ci, pour être démontrée, nécessiterait
nappe se trouve privée de sa principale Les différences de caractéristiques (physi- des études spécifiques à pas d’échantillon-
source d’alimentation, et la recharge est ques et lithologiques) des bassins des nage plus fin. En termes de gestion de
actuellement localisée dans l’extrême deux oueds ne semblent pas affecter le l’aquifère, la qualité des eaux pompées
amont de la plaine. Contrairement à type de la minéralisation des eaux souter- ne semble pas devoir se dégrader signifi-
l’état naturel, cette recharge est actuelle- raines qui serait liée aux interactions eau- cativement en parallèle à l’abaissement de
ment induite par les fuites du barrage El sédiments au sein de la formation réser- la nappe phréatique. ■
Haouareb dans la partie nord-ouest de la voir. Les différences de conductivité élec-
plaine et par les lâchers du Sidi Saad dans trique dans l’aquifère entre les parties
sa moitié méridionale. Cette situation est nord (Merguellil) et sud (Zeroud) sont
problématique pour la gestion de la res- liées aux différences de CE des eaux de Remerciements
source, du fait que la recharge est locali- surface alimentant la plaine. Cette étude a bénéficié du soutien financier
sée dans la partie en amont et que, plus à L’étude isotopique a permis de conclure et analytique de l’AIEA, du projet européen
l’est, là où se situe l’essentiel des cultures, que la nappe garde encore des traces de AQUASTRESS et du projet Mergusie (Mer-
les pompages concernent des eaux plus son ancien mode de recharge par les guellil : ressources, gestion et usages inté-
grés de l’eau) financé par l’IRD. Les auteurs
profondes et plus anciennes (figure 6). oueds. Après la construction des deux bar- remercient le laboratoire d’hydrologie et
La pratique de la recharge artificielle à rages Sidi Saad (1982) et El Haouareb géochimie isotopique d’Orsay (J-L. Michelot)
partir des eaux des barrages pour com- (1989), une contribution significative des pour les analyses isotopiques, ainsi que les
penser le déficit hydrique dans la plaine lâchers et des fuites à partir des retenues réviseurs anonymes de la revue pour leur
et assurer la pérennité de la ressource des deux barrages a été mise en évidence. contribution à l’amélioration du manuscrit.
pourrait être envisagée mais reste dépen- En aval des deux barrages, aux environs
dante des fuites non maîtrisées dans le cas immédiats des lits des oueds, le cachet iso-
d’El Haouareb, de la variabilité interan- topique (isotopes stables de la molécule
nuelle très importante du remplissage d’eau) des eaux souterraines démontre Références
(figure 9), et pour le cas du barrage Sidi une alimentation à partir des eaux évapo-
Saad, de la salinité importante de l’eau de rées des retenues des barrages. 1. Cudennec C, Leduc C, Koutsoyannis D. Dry-
la retenue. Les datations au moyen du 14C ont permis land hydrology in Mediterranean regions-a
de confirmer les aires de recharge et d’esti- review. Hydrol Sci J Sci Hydrol 2007 ; 52 :
mer le temps de résidences des eaux sou- 1077-87.
terraines. Les activités 14C et les âges cor- 2. Idder T. Le problème des excédents hydriques à
Conclusion et perspectives rigés des eaux indiquent la présence Ouargla : situation actuelle et perspectives
d’eaux plus anciennes datant d’environ d’amélioration. Sécheresse 2007 ; 18 : 161-7.
L’approche géochimique et isotopique des 30 000 ans dans la partie aval de la 3. Karaouli F, Zammouri M, Tarhouni J, Hamed Y.
eaux de la nappe phréatique de la plaine plaine du bassin, témoignant du faible Étude hydrogéologique et impact de l’intensifica-
de Kairouan a montré l’étroite relation taux de renouvellement de l’aquifère. tion de l’exploitation sur la qualité des eaux sou-
nappe-oueds : les anciennes crues du Mer- La distribution spatiale des âges 14C a per- terraine du bassin de Moulares-Redeyef (sud-
guellil et du Zeroud constituaient la princi- mis de présenter un modèle de variation ouest tunisien). Sécheresse 2008 ; 19 : 61-5.
pale source d’alimentation de la nappe. de la vitesse d’écoulement des eaux souter- 4. Bouhlassa S, Alechcheikh C, Kabiri L. Origine
La construction des barrages Sidi Saad et raines en fonction du changement progres- de la minéralisation et détérioration de la qualité
El Haouareb sur le Zeroud et le Merguellil sif de la lithologie de la formation aquifère des eaux souterraines de la nappe phréatique du
au niveau de leurs embouchures sur la d’amont en aval. quaternaire du bassin-versant de Rheris (Errachi-
plaine a stoppé le processus de recharge Cette étude réalisée à l’échelle de dia, Maroc). Sécheresse 2008 ; 19 : 67-75.
naturelle de la nappe. l’ensemble de l’aquifère confirme l’alimen- 5. Lange J, Leibundgut C. A non-calibrated
Les analyses chimiques ont montré que les tation préférentielle de l’aquifère par les rainfall-runoff model for large, arid catchment.
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94 Sécheresse vol. 20, n° 1, janvier-février-mars 2009


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