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Contrats D'état - Dominique BERLIN - Septembre 2014
Contrats D'état - Dominique BERLIN - Septembre 2014
Contrats D'état - Dominique BERLIN - Septembre 2014
Contrats d'État
Dominique BERLIN
Professeur à l'Université Panthéon-Assas
septembre 2014
Généralités 1 - 72
Bibliographie
3. En premier lieu, les contrats d'État, conclus aujourd'hui, ne présentent que peu
de points communs avec ceux qui ont donné lieu à l'essentiel du contentieux
arbitral (LEBEN, La théorie du contrat d'État et l'évolution du droit international
des investissements, Rec. cours La Haye, t. 302, 2003, p. 241 s., § 73 s.). Il
n'existe ainsi pas grand-chose de commun entre les contrats de concession
pétrolière dont l'origine se situe entre les années 1930 et 1970 (pour ne remonter
qu'à la sentence arbitrale du 23 août 1958, gouvernement de l'Arabie Saoudite c/
Aramco, Rev. crit. DIP 1963. 272 s., il est possible de remarquer que les arbitres
avaient à se prononcer sur un contrat de concession de 1933) et les State
contracts d'aujourd'hui relatifs à la construction d'usines clés en main ou de
construction de barrages avec constitution de sociétés locales et aux contrats de
services. Or, il n’est pas sans intérêt de noter que les anciens arbitrages, qui ont
dégagé les solutions sur lesquelles la doctrine a longtemps débattu, avaient à
traiter de rapports contractuels qui n'étaient pas postérieurs aux années 1970.
Même parmi les sentences émanant du Centre international pour le règlement des
différends relatifs à l'investissement (ci-après CIRDI), deux des premières
o
sentences (CIRDI du 21 avr. 1986, dans l'aff. n ARB/84/1, Atlantic Triton
Company Limited c/ People's Revolutionary Republic of Guinea, ci-après
« sentence Atlantic Triton », JDI 1988. 181. – 16 févr. 1994, Vacuum Salt
Products Ltd. c/ gouvernement de la république du Ghana, ARB/92/1, ci-après
« sentence Vacuum Salt Products », JDI 1995. 162) ont eu à envisager des
contrats remontant au début des années quatre-vingts. Ce n'est plus le cas
aujourd'hui où leur rythme s'accroissant, l'essentiel des deux cent cinquante
sentences du CIRDI (dans les lignes qui suivent et sauf à ce qu'il soit indiqué une
autre source, toutes les sentences arbitrales citées sont disponibles sur le site
internet du CIRDI, à l'adresse suivante https ://icsid.worldbank.org/) a eu à
traiter de contrats d'État récents bénéficiant de surcroît d'un environnement
totalement modifié.
7. Pour ceux qui ont recherché une solution aux problèmes contractuels par
recours au droit international, il s'agissait, encore une fois, de trouver une voie
pour poser des limites juridiques au pouvoir de l'État, de remettre en cause les
contrats qu'il avait conclus avec des personnes privées étrangères, la plupart du
temps des investisseurs. C'est que l'État n'est pas un contractant comme les
autres. Même si le contrat est international en ce qu'il met en présence l'État
donc et une personne privée étrangère, voire parce qu'il implique des
mouvements de fonds ou de matériels ou encore de services par-dessus les
frontières, il n'en reste pas moins un contrat, et c'est une évidence qu'il faut
o
néanmoins rappeler, auquel un État est partie (V. infra, n 10 sur les émanations
de l'État). Or il a été montré par exemple que le droit administratif français
connaît parfaitement des contrats de droit administratif français liant une
personne publique française et une personne privée étrangère. Pourquoi donc ne
pas s'en tenir à cette évidence ? D'abord parce que tous les États ne connaissent
pas le droit administratif. Ensuite parce que précisément les attributs de l'État
dans le cadre d'un contrat administratif – c’est-à-dire le pouvoir de modification
et/ou de résiliation unilatéral – sont précisément ceux que l'investisseur étranger
veut éviter. D'où l'idée d'impliquer un ordre juridique supérieur au droit interne
pour empêcher l'État contractant de faire usage de pouvoirs dont il est
normalement investi. C'est l'idée de l'internationalisation du contrat d'État. Par
internationalisation, il faut comprendre le désir d'inscrire totalement la relation
contractuelle dans l'ordre juridique international : en d'autres termes, de
transformer le contrat d'État en un accord de droit international, source de droits
et d'obligations sanctionnés par le droit international. Au simple énoncé d'une
telle ambition, il est facile de se rendre compte qu'un grand nombre de difficultés
théoriques ou pratiques ont surgi pour s'opposer à une telle tentative.
Néanmoins, une telle internationalisation relèverait pour ses tenants, soit
d'éléments objectifs, soit d'éléments subjectifs.
9. Il est certain que les contrats d'État s'inscrivent à mi-chemin entre un contrat
entre personnes privées et un traité entre États. Certes, la Cour permanente de
justice internationale (CPJI), s'attachant à ce critère organique, a semblé, dès
1929, trancher définitivement le problème (CPJI 12 juill. 1929, paiement de
os
divers emprunts serbes émis en France, Rec. CPJI, série A, n 20-21, p. 41) :
« Tout contrat, qui n'est pas un contrat des États en tant que sujets du droit
international, a son fondement dans une loi nationale. La question de savoir
quelle est cette loi fait l'objet du droit qu'aujourd'hui on désigne sous le nom de
droit international privé, en théorie, des conflits de loi ». En d'autres termes, la
catégorie intermédiaire entre le contrat entre personnes privées et le traité entre
États – c'est-à-dire le contrat d'État – est à rattacher à la première, faute de
pouvoir appartenir à la seconde. C'est précisément contre une telle affirmation
que les tenants de l'internationalisation se sont élevés.
10. Ils ont tout d'abord mis l'accent sur la présence de l'État au sein de la relation
contractuelle. De manière assez paradoxale, le caractère souverain de l'État était
souligné de manière à obtenir un rattachement à l'ordre juridique international,
alors que ce rattachement n'avait d'autres buts que de faire échec à l'exercice de
cette même souveraineté lorsqu'il conduisait à remettre en cause le contrat. Quoi
qu'il en soit, la présence d'un État partie à la relation contractuelle a souvent été
relevée pour mettre en évidence les particularités de l'accord. Encore convient-il
de s'entendre sur le terme « État ». Si, incontestablement, la signature d'un
contrat avec les autorités gouvernementales ou ministérielles d'un État fait entrer
cet accord dans la catégorie des contrats d'État, la conclusion d'un même accord
avec une agence, un établissement public ou plus généralement une entreprise
publique de l'État suscite une interrogation. Il est admis que de tels
cocontractants n'empêchent pas le contrat qu'ils ont signé avec un investisseur
étranger d'être qualifié de State contract. Il est en revanche plus douteux que l'on
puisse s'appuyer sur la seule qualité « publique » du cocontractant pour
prétendre faire accéder cette catégorie de contrat au rang d'accord de droit
international. Il n'est en effet guère besoin d'insister sur le fait que ces
« émanations » de l'État ne sont pas compétentes pour engager celui-ci dans
l'ordre juridique international, et qu'il est donc pour le moins hasardeux de tirer
des présomptions (sur le caractère internationalisé du contrat) du seul fait de leur
participation au contrat.
11. En réalité, la présence d'une personne publique dans une relation
contractuelle a été utilisée indirectement par la démarche internationalisante. Il a
été remarqué, en effet, que ce type de schéma contractuel était connu dans
certains ordres juridiques nationaux, et particulièrement le droit français, comme
constituant une catégorie particulière : celle des contrats administratifs. Faisant
abstraction, au passage, de l'absence d'automaticité entre la présence d'une
personne publique comme partie au contrat et la qualification administrative de
ce dernier, il a parfois été soutenu que si, en droit interne, cette catégorie de
contrat avait été soumise à un corps de règles particulières – le droit
administratif – dérogatoires au droit commun des contrats, il devrait en aller de
même, mutatis mutandis, dès lors que ce schéma contractuel se situe dans la
sphère internationale. De là l'idée que le droit administratif français pourrait
servir de ferment à un droit « administratif » international destiné à régir les
contrats d'État (WEIL, Un nouveau champ d'influence pour le droit administratif
français : le droit international des contrats, EDCE 1970. 13). Si l'idée de la
réception, par l'ordre juridique applicable à ces accords, de certaines solutions
dégagées par le droit français en matière de contrat administratif n'est pas en soi
absurde, il faut bien reconnaître que l'internationalisation du contrat d'État par le
caractère « administratif » de celui-ci paraît reposer sur un argument assez ténu
et sur une ambiguïté fondamentale. En réalité, les caractéristiques, qui font en
droit interne le caractère administratif du contrat, n'ont qu'un très vague rapport
avec les critères de l'accord international. De surcroît, la soumission, en droit
interne, des contrats de l'État à un corps de règles spécifiques n'a pas eu pour
objet de protéger le cocontractant de l'administration (qui l'aurait été
suffisamment par l'application des règles du code civil), mais, tout au contraire,
de conférer à la puissance publique des prérogatives particulières au nom de
l'intérêt général.
12. D'un autre côté, la personnalité du cocontractant de l'État (au moins telle que
cette notion vient d'être explicitée) a également été invoquée pour revendiquer
un droit objectif à l'internationalisation. Ainsi, le fait que ces contrats d'État lient
souvent un État et un important investisseur étranger a parfois été présenté
comme un élément militant en faveur de l'internationalisation. Il n'est certes pas
toujours facile de savoir si une telle revendication s'appuyait sur l'importance du
cocontractant privé ou sur son caractère étranger (par rapport à l'État), voire sur
les deux. En réalité, ni l'une ni l'autre des qualités du cocontractant de l'État ne
permet de justifier, au niveau du contrat, l'internationalisation des règles
applicables. S'il est vrai que la qualité d'investisseur étranger entraîne souvent
l'intervention protectrice du droit international particulier que constituent les
conventions bilatérales de protection des investissements (JUILLARD, Les
conventions bilatérales d'investissement conclues par la France : à la recherche
d'un droit perdu, Dr. prat. com. int. 1987/1, p. 9), il n'est guère possible d'en
tirer une implication sur l'internationalisation du contrat lui-même (ainsi le
o
passage de la sentence Aramco du 23 août 1958, préc. supra, n 3, selon lequel
« le contrat de concession d'Aramco signé par le gouvernement d'Arabie Saoudite
et une société américaine a, en raison de ses parties et de ses prolongements, un
caractère international », ne doit pas être mal interprété : il signifie simplement
que l'accord présente des caractéristiques internationales, mais non qu'il est un
accord de droit international).
13. En conclusion, la personnalité des cocontractants en tant que telle n'est pas
de nature à se forger une conviction définitive quant à l'internationalisation. Il est
certain qu'existe une présomption de soumission de ces contrats au droit
commun des contrats du commerce international (sur la base du dictum de la
CPJI). Mais il est non moins certain que la présence d'un État, en tant que partie
à l'accord, est un facteur perturbant une assimilation totale. À cet égard, la suite
de l'arrêt de la CPJI, selon laquelle « un État souverain […] ne peut être présumé
avoir soumis la substance de sa dette et la validité de ses engagements pris par
lui, à ce sujet, à une loi autre que sa loi propre », doit être bien comprise. Il ne
s'agit que d'une présomption. Et si la seule présence de l'État dans une relation
contractuelle ne permet pas, à elle seule, de fonder l'idée d'internationalisation, il
est, d'un autre côté, assez évident que cette même présence ne milite pas en
faveur d'une assimilation au droit commun des contrats internationaux. C'est la
raison pour laquelle la doctrine a tenté de fonder le rattachement à l'ordre
juridique international, non seulement sur la qualité des cocontractants, mais plus
généralement sur l'objet et le contenu des contrats d'État.
14. Cette tendance, assez proche de la précédente, s'appuie sur l'ensemble des
caractéristiques des accords et non seulement sur la qualité des parties au
contrat. Cette conception objectiviste a été particulièrement systématisée par les
écrits du professeur WEIL (V. égal. BÖCKSTIEGEL, Der Staat als Vertragspartner
Ausländicher Privatunternehmen, 1971, Francfort Athenäum Verlag. – PAZARCI,
La responsabilité internationale des États à raison des contrats conclus entre
États et personnes privées étrangères, RGDIP 1975. 354). Pour cet auteur,
certains contrats d'État appartiendraient objectivement à l'ordre juridique
international en raison de leur caractère, de leur contenu (« Seulement ceux
d'entre eux qui s'intègrent effectivement, par des liens objectifs d'ordre juridique
ou politico-économique, aux relations entre États, c'est-à-dire essentiellement
– mais non exclusivement – les accords de développement économique ou
contrats d'investissements » : WEIL, Droit international et contrats d'État, in Le
droit international : unité et diversité, Mélanges Reuter, 1981, Pedone, p. 545,
o
spéc. p. 580, n 29). Pour lui, les contrats d'État les plus importants, ceux qui
« impliquent » les relations interétatiques, seraient objectivement enracinés dans
l'ordre juridique international.
15. Cette thèse intuitive – avec ses variantes – pèche toutefois par son caractère
artificiel et imprécis (pour une critique encore plus radicale de cette thèse :
VERHOEVEN, Droit international des contrats et droit des gens, RBDI, vol. XIV,
1978-1979, 1, p. 209. – RIGAUX, Des dieux et des héros. Réflexions sur une
sentence arbitrale, Rev. crit. DIP 1978. 435. – MAYER, Le mythe de l'ordre
juridique de base [ou Grundlegung], in Le droit des relations économiques
internationales, Études offertes à Goldman, 1982, Litec, p. 199 s.). On ne voit
pas, tout d'abord, par quel phénomène juridique les simples caractéristiques d'un
accord suffiraient à le faire accéder au rang d'accord de droit international, sans
que la volonté des États joue le moindre rôle. Certes, les clauses par lesquelles
les parties – dont l'État – manifestent leur volonté ne sont pas absentes des
éléments retenus par les auteurs comme facteurs d'internationalisation. Mais de
deux choses l'une : soit l'ordre juridique international repose sur le consentement
des États à se lier et le reste des caractéristiques des contrats est inutile à
l'apparition d'obligations internationales, soit les manifestations de la volonté des
parties ne sont pas prises en tant que telles mais comme l'un des éléments
objectifs de la prétendue internationalisation du contrat et, sauf à changer la
nature de l'ordre juridique international lui-même, l'on ne voit pas comment des
obligations internationales de caractère contractuel pourraient naître à l'encontre
de l'État sans que ce dernier ait manifesté la moindre volonté en ce sens.
16. Mais la théorie objectiviste pèche également par son imprécision car, même
si l'on accepte, un instant de raison, l'idée qu'un contrat puisse s'internationaliser
tout seul, il n'est pas si facile que cela de déterminer à quel moment il en est
ainsi. En effet, tous les auteurs qui peuvent se rattacher à ce courant insistent sur
certains caractères des contrats d'État internationaux par nature, mais tous ne
font pas appel exactement aux mêmes critères, même s'il y a quelques
recoupements : ainsi trouve-t-on mention, bien entendu, de la présence d'une
autorité publique centrale comme partie au contrat, celle d'une clause d'arbitrage
international, d'un objet impliquant aussi bien le plan de développement
économique de l'État que l'octroi à l'investisseur étranger de droits et obligations
exorbitants du droit commun de l'État cocontractant, etc. Toutefois, ces mêmes
o
auteurs (préc. supra, n 15) admettent qu'il s'agit plus de critères à retenir selon
une méthode que l'on pourrait qualifier de faisceau d'indices, que de critères dont
la présence cumulative ou alternative déclencherait automatiquement
l'internationalisation du contrat. De sorte que, même avec cette méthode
« objective », il serait difficile d'échapper à un certain subjectivisme – du juge et
de l'arbitre – pour décider à partir de quel moment tel accord est international
(ou mieux de droit international).
20. La volonté des parties est certes un élément nécessaire, mais est-elle
suffisante pour internationaliser le contrat ? Une réponse négative paraît
s'imposer dès lors que l'on entend faire référence à l'ordre juridique international.
Comme le remarquait, il y a déjà longtemps, le doyen VEDEL, « le particulier
n'est pas directement sujet de droit international et ne peut invoquer ni subir la
règle pacta sunt servanda en tant que norme internationale » (VEDEL, Le
problème de l'arbitrage entre gouvernements ou personnes de droit public et
personnes de droit privé, Rev. arb. 1961. 116). Reprenant la même idée,
quelques années plus tard, le professeur W. WENGLER énonçait de manière
encore plus radicale que « tout accord qui s'est formé entre des parties, dont
l'une au moins ne remplit pas toutes les conditions exigées en droit international
général pour être sujet de droit international avec capacité contractuelle
internationale et n'a pas été habilitée par un traité international véritable à
participer à la création d'un droit international secondaire, ne peut être intégré
dans l'ordre juridique international par le biais d'une déclaration par les parties
contractantes suivant laquelle le droit international s'applique à cet accord »
(WENGLER, Les accords entre États et entreprises étrangères sont-ils des traités
de droit international ?, RGDIP 1972. 313 s., spéc. p. 319). Il existe donc de
fortes oppositions théoriques à l'idée que la volonté des parties à un contrat
suffise pour transformer ce dernier en une source de droits et d'obligations
réciproques s'inscrivant au sein de l'ordre juridique international. Cela n'a pas
empêché que soit avancée l'idée d'une internationalisation du contrat à raison de
os
la volonté des parties (V. infra, n 21 s.), voire de la volonté d'une seule partie
os
(V. infra, n 24 s.).
22. Pour les uns, principalement pour un auteur comme F.A. MANN, le choix par
les parties du droit international exprime en réalité l'idée d'une
« contractualisation » des principes du droit international ou, si l'on préfère, d'une
incorporation des solutions du droit international à la loi des parties constituée
par le contrat lui-même. Sans que cela soit toujours très clair, il semble possible
de rattacher à ce courant au moins une partie des tenants de la distinction entre
Grundlegung qui serait nationale et loi applicable qui pourrait être le droit
international « choisi » par les parties. Cependant, il est facile de voir, d'une part,
que cette internationalisation n'en est pas une, car les solutions de droit
international n'apparaissent pas comme un ordre juridique extérieur au contrat
lui-même et, d'autre part, que cette prétendue internationalisation crée un
nouveau problème : celui de la détermination de l'ordre juridique qui pourrait
valider un tel choix de droit international. Au bout du compte, cette solution crée
plus de questions qu'elle n'en résout.
23. Pour d'autres, dont le professeur WEIL s'est fait le meilleur porte-parole
(V. en particulier article préc., Rec. cours La Haye, 1969), il s'agirait d'un
véritable choix du droit international en tant que droit applicable, externe au
contrat (SEIDL HOHENVELDERN, The Theory of Quasi International and Partly
International Agreements, in Contrats entre États et personnes privées
étrangères, RBDI 1975. 567 s., spéc. p. 570. – Adde : les travaux de
BÖCKSTIEGEL. – Cette théorie a été particulièrement illustrée par la sentence
Texaco-Calasiatic, préc., JDI 1977. 361). Toutefois, une telle internationalisation
volontariste se heurte à un problème fondamental : la partie privée n'étant pas
un sujet de droit international, elle ne peut pas être à la source de la création de
droits et obligations en droit international, ce qui est la conséquence logique de la
soumission du contrat à cet ordre juridique. Et il n'est pas possible de contourner
cet obstacle, sauf à opter pour la définition du sujet de droit international comme
celui qui est titulaire de droits et d'obligations internationaux (LEBEN, article
os
préc., Rec. cours La Haye, 2003, spéc. n 202 s.) en limitant la portée de la
clause à la reconnaissance d'une simple capacité internationale circonscrite aux
droits et obligations contenus dans le contrat. Cependant, limitée ou pas, la
qualité de sujet du droit international ou la capacité internationale d'une
entreprise apparaît comme totalement étrangère à l'idée même de droit
international. De sorte que ce type d'internationalisation a suscité les plus vives
réserves et critiques de la doctrine (V. WENGLER, article préc., RGDIP 1972.
313 ; Les principes généraux du droit en tant que loi du contrat, Rev. crit. DIP
1982. 467, spéc. p. 493. – RIGAUX, article préc., Rev. crit. DIP 1978. 435.
– STERN, Trois arbitrages, un même problème, trois solutions. Les
nationalisations pétrolières libyennes devant l'arbitrage international, Rev. arb.
1980. 3 s. – VERHOEVEN, article préc., RBDI 1978-1979, 1, p. 209).
b. - Volonté d'une partie
24. Ce que les deux parties à l'accord ne peuvent faire, faute pour celui-ci d'être
passé entre deux sujets de droit international, l'État, qui lui en est un, peut-il le
faire seul ? En d'autres termes, si les parties à un contrat ne peuvent en tant que
telles internationaliser leur accord – non pas qu'elles ne puissent pas insérer une
clause renvoyant au droit international, mais plus simplement, on le rappelle,
parce que le droit international lui-même refuse de mettre son système de
normes et de contraintes au service du contrat, du seul fait de la volonté de ces
parties – l'État partie peut-il faire en sorte que cette internationalisation soit
possible ?
25. Il a été suggéré, par exemple, qu'il serait loisible à l'État de reconnaître
l'entreprise cocontractante comme sujet de droit international et que, dès lors, le
contrat d'État, en tant qu'accord conclu entre deux sujets de l'ordre juridique
international, appartiendrait bien à ce dernier (V., à cet égard, le passage de la
sentence Texaco-Calasiatic, préc., JDI 1977. 361 s., spéc. § 48). Cette idée
séduisante se heurte, elle aussi, à un certain nombre d'obstacles. Outre l'aspect
indubitablement constitutif d'une telle reconnaissance, il est possible de douter
que le droit international – car c'est lui qui doit dire si cela est possible – accepte
la constitution de nouveaux sujets dans de telles conditions. De surcroît, l'idée
d'une telle reconnaissance fait surgir la question de l'acte créateur de cette
personnalité internationale, fut-elle limitée. « On s'interroge toutefois sur l'origine
de cette capacité exceptionnelle et volatile (limitée à un seul contrat) : naît-elle
du contrat lui-même, c'est-à-dire des volontés concordantes des deux parties ou
bien est-ce l'État qui, par une espèce d'adoubement, introduit son partenaire
dans le cercle enchanté des sujets de droit des gens ? » (V. RIGAUX, article préc.,
Rev. crit. DIP 1978. 444).
26. De fait, si l'on se place dans l'idée que la seule volonté de l'État suffit pour
internationaliser le contrat, grâce à la reconnaissance du cocontractant en tant
que sujet de droit international, on est conduit à l'idée que le contrat possède
alors une double nature : il est (ou contient) l'acte unilatéral par lequel l'État
reconnaît le cocontractant comme son égal, mais il est également l'acte
consensuel par lequel deux sujets du droit international définissent leurs droits et
obligations réciproques. Or, il n'est certes pas facile, au sein du même
instrumentum, de distinguer ce qui relève de l'un et ce qui appartient à l'autre.
Par ailleurs, il n'est pas certain que le sort du cocontractant de l'État se soit ainsi
beaucoup amélioré à partir du moment où la protection du droit international est
en réalité dans les seules mains de l'État cocontractant qui peut à tout moment
revenir sur son « adoubement ». Enfin, on peut douter que l'État de la nationalité
de l'investisseur accepte simplement que son ressortissant puisse être élevé, sans
qu'il soit consulté, au rang de sujet de droit international par un autre État, fût-il
le partenaire contractuel de celui-ci.
27. Au bout du compte, il est facile de s’apercevoir que toutes les constructions
théoriques permettant de faire entrer les contrats d'État dans la sphère du droit
international, en l'absence de convention en la matière, non seulement se
heurtent à des problèmes eux aussi théoriques, et non des moindres, mais
débouchent sur une sorte d’aporie. Et il ne sert à rien d'évoquer l'évolution de la
société internationale, la porosité plus grande entre droit interne et droit
international pour essayer de justifier (plus que d'en résoudre la difficulté
d'ailleurs) l'internationalisation du contrat d'État. Il ne s'agit pas de dire qu'il
existe des obstacles absolus à l'application du droit international (non pas au sens
du droit international privé mais bien à celui du droit international public) à ce
type de contrat, loin de là. Il s'agit simplement de dire que s'il doit en être ainsi,
c'est finalement au droit international lui-même, qu'il convient de le dire et non
au contrat d'État (V., en ce sens, ALLAND, Manuel de droit international public,
2014, coll. Droit fondamental, PUF, p. 93). Et de fait, ce sont les (véritables)
sujets de droit international qui ont décidé de rétablir l'ordre des choses et de
décider, à leur niveau, des solutions susceptibles d'être apportées aux contrats
d'État. Ce mouvement, comme tout mouvement en droit international, fut long,
mais aujourd'hui l'investissement international en recueille les fruits.
30. C'est la solution retenue par le droit international. Entendons bien. Les
parties au contrat peuvent fort bien continuer à choisir le droit applicable à leur
contrat, au sens du droit international privé, y compris d'ailleurs des principes
généraux du droit des gens ou même de droit international (LEBEN, article préc.,
Rec. cours La Haye, 2003, a montré que la pratique en la matière était
extrêmement variée), l'État ne sera engagé vis-à-vis de son cocontractant que
par un lien contractuel, et non par un accord de droit international. Cette
confusion entre choix du droit international et internationalisation du contrat a été
mise en lumière de manière particulièrement nette par les arbitres. Comme
l'exprime assez bien ce passage d'une sentence arbitrale, « Il n'est pas sans
intérêt à cet égard de noter que la référence assez fréquente, dans des clauses de
choice of law insérées dans des conventions de protection des investissements,
aux dispositions de la convention [CIRDI] elle-même – et, plus largement, aux
principes et règles du droit international – provoque, après un certain reflux dans
la pratique et la jurisprudence, un retour remarquable du droit international dans
les relations juridiques entre les États d'accueil et les investisseurs étrangers.
Cette internationalisation des rapports d'investissement – qu'ils soient
contractuels ou non – ne conduit certes pas à une “dénationalisation” radicale des
relations juridiques nées de l'investissement étranger, au point que le droit
national de l'État hôte serait privé de toute pertinence ou application au profit
d'un rôle exclusif du droit international. Elle signifie seulement que ces relations
relèvent simultanément – en parallèle, pourrait-on dire – de la maîtrise
souveraine de l'État d'accueil sur son droit national et des engagements
internationaux auxquels il a souscrit » (V. § 69 de la sentence CIRDI du 10 févr.
o
1999, aff. n ARB/95/3, Antoine Goetz et consorts c/ République du Burundi, ci-
après « sentence Goetz »). De sorte que si l'État partie au contrat peut voir sa
responsabilité contractuelle éventuellement engagée, sa responsabilité
internationale ne le sera pas, du moins au regard du contrat. De surcroît, si l'État
contractant a pu valablement s'engager à ne pas modifier ou résilier le contrat
unilatéralement (et encore on sait qu'en droit adminisratif français de telles
clauses seraient réputées non écrites), le cocontractant ne pourra cerainement
pas invoquer le droit international et en particulier le principe pacta sunt
servanda, pour engager la responsabilité internationale de l'État (V. par ex. § 92
o
de la sentence CIRDI du 23 juill. 2009, aff. n ARB/07/21, Pantechniki
SA Contractors & Engineers [GREECE] c/ The Republic of Albania, ci-après
« sentence Pantechniki ». – Comp. avec HOBÉR, State Responsibility and
Investment Arbitration, Journ. of International Arbitration 2008/5, p. 545).
31. Qui plus est, l'État souverain ne serait pas lié par les engagements pris par la
puissance publique contractante dans le sens où l'État ne serait pas empêché de
légiférer y compris pour remettre en cause toutes les relations contractuelles. Si
le cocontractant de l'investisseur étranger était une émanation de l'État mais non
l'État lui-même, il pourrait se retrancher derrière le fait du prince, alors que l'État
législateur, n'étant pas partie au contrat n'encourrait évidemment aucune
responsabilité contractuelle. Si, en revanche, l'investisseur avait conclu avec l'État
lui-même, il encourrait peut-être (dans le cas où il aurait accepté de souscrire des
engagements à cet égard) une responsabilité vis-à-vis de son cocontractant en
vertu même des principes de droit international, si ceux-ci avaient été choisis
comme droit applicable, mais en aucun cas une responsabilité de droit
international. De sorte que l'État serait encore légitime en droit international,
os
toutes proportions gardées et sous réserve des modalités (V. infra, n 118 s.), à
modifier sa législation y compris en remettant en cause les contrats
antérieurement conclus par lui.
32. S'il en va ainsi c'est que, comme le disent certaines sentences « In any case,
as a general rule, a violation of a contract is not a violation of international law »
o
(V. § 177 de la sentence CIRDI du 21 juin 2011, aff. n ARB/07/17, Impregilo
S.p.A. c/ Argentine Republic, ci-après « sentence Impregilo II ». – Adde : GILL,
GEARING et al., Contractual Claims and Bilateral Investment Treaties, Journ. of
International Arbitration 2004/5, p. 397, et § 328 de la sentence du 18 juin 2010,
o
aff. n ARB/07/24, Gustav F W Hamester GmbH & Co KG c/ Republic of Ghana, ci-
après « sentence Hamester » ; § 260 de la sentence CIRDI sur la compétence du
o
23 déc. 2003, aff. n ARB/03/3, Impregilo S.p.A c/ Islamic Republic of Pakistan,
ci-après « sentence Impregilo I » ; § 53 de la sentence du 12 oct. 2005, aff.
o
n ARB/01/11, Noble Ventures, Inc. c/ Romania, ci-après « sentence Noble »,
« The Tribunal recalls the well established rule of general international law that in
normal circumstances per se a breach of a contract by the State does not give
rise to direct international responsibility on the part of the State. This derives
from the clear distinction between municipal law on the one hand and
international law on the other, two separate legal systems »).
33. De sorte qu'il serait particulièrement inutile, par rapport au but fixé, de
vouloir conférer une nature de droit international au contrat d'État, pour autant
bien entendu que l'on soit d'accord avec le contenu de ce droit international. En
réalité, si l'on cherche à limiter le pouvoir souverain de l'État, en tant que tel,
c'est le droit international qui doit intervenir à cette fin. Lui seul dispose des
moyens pour y arriver. Et de surcroît cette limitation des pouvoirs souverains de
l'État ne pourra intervenir a priori qu'avec son consentement et non a posteriori
par le biais d'un arbitrage.
34. La solution que les États ont trouvée est celle de la passation de traités
bilatéraux entre eux, par lesquels ils acceptent certaines obligations en matière
de contrats d'État passés avec les ressortissants de l'autre État. La formule
mérite explications (V., sur la problématique en l'absence de traité bilatéral,
AUDIT et FORTEAU, Investment Arbitration without BIT : Toward a Foreign
Investment Customary Based Arbitration ?, Journ. of International Arbitration
2012/5, p. 581). En premier lieu, ces traités sont pour la plupart des traités
bilatéraux. Mais ils peuvent aussi bien être multilatéraux. Ainsi par exemple la
Charte de l'énergie de 1994 ou l'ALENA et son chapitre 11. Ce sont ensuite, pour
l'essentiel, des traités portant sur la protection des investissements. On aura
oso
l'occasion de revenir sur la notion d'investissement (V. infra, n 80 s.), mais il
est possible d'avancer l'idée que, même si tous les contrats d'État ne sont pas des
contrats d'investissement, et bien entendu si tous les contrats d'investissement
ne sont pas des contrats d'État, l'écrasante majorité des contrats d'État porte sur
des investissements. Ce simple fait autorise à baser les développements qui
suivent sur le contentieux des contrats d'État porteurs d'investissements.
37. Ce n'est toutefois pas le seul effet de telles clauses. Si l'on veut aller plus
os
loin, et pour les accords qui contiendraient (V. infra, n 53 s.) une clause
d'arbitrage international, l'effet de ces clauses serait de conférer des droits
directement invocables par l'investisseur à l'encontre de l'État cocontractant. Mais
attention, non pas dans le cadre d'un contentieux contractuel, mais dans celui
d'un contentieux conventionnel. En d'autres termes, ces clauses attribuent
directement au particulier des droits protégés par le droit international et
invocables à l'encontre de l'État contractant. Mais elles ne transforment pas les
contrats d'État en accord de droit international. Pas plus d'ailleurs qu'une
directive de droit de l'Union européenne ne transforme le marché public en acte
de droit de l'Union, alors même que certaines de ses dispositions peuvent
conférer directement à l'entreprise cocontractante de l'État des droits qu'elle
pourra faire valoir à l'encontre de celui-ci en tant que pouvoir adjudicateur. C'est
d'ailleurs bien ce qui ressort de la pratique arbitrale.
38. Ainsi, au bout du compte, la véritable question est celle de savoir si le traité
bilatéral (ou multilatéral) a entendu créer de tels droits internationaux au profit
de l'investisseur. « It is now clear that States are not the only entities which can
hold rights under international law ; individuals and corporations may also
possess rights under international law. In the case of rights said to be derived
from a treaty, the question will be whether the text of the treaty reveals an
intention to confer rights not only upon the Parties thereto but also upon
individuals and/or corporations » (V. § 168 de la sentence CIRDI/ALENA du
o
15 janv. 2008, aff. n ARB(AF)/04/1, Corn Products International, Inc c/ United
Mexican States, ci-après sentence « Corn Products »). Pour y arriver les arbitres
vont interpréter la convention interétatique au moyen des principes énoncés à
l'article 31 de la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités
er
(dont le paragraphe 1 dispose : « Un traité doit être interprété de bonne foi
suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à
la lumière de son objet et de son but »). Toutefois, et à supposer que tel soit le
cas, ce que fera valoir la personne physique ou morale sera la violation de ses
propres droits (certes internationaux) et non ceux de son État de nationalité
(partie au traité) (V. § 174 de la même sentence pour des conséquences quant à
l'éventuel effet sur les droits de l'investisseur de l'attitude de son propre État
contraire au droit international). Mais on le voit bien ici ces droits ne sont
nullement contractuels. En d'autres termes, le traité n'a pas haussé le State
contract au statut d'accord de droit international (V. § 128 de la sentence CIRDI
o
sur la compétence du 29 janv. 2004, aff. n ARB/02/6, SGS Société générale de
surveillance SA c/ Philippines, ci-après « sentence SGS I »), selon lequel
« although the umbrella clause in Article X(2) of the Switzerland-Philippines BIT
made it a breach of the BIT for the host State “to fail to observe binding
commitments, including contractual commitments, which it had assumed with
regard to specific investments”, the umbrella clause did not have the effect of
converting the extent or content of such obligations into an issue of international
law » (traduction libre, « la clause parapluie n’a pas pour effet de transformer la
portée ou le contenu des obligations contractuelles en une question de droit
international ». – Adde : § 242 s. de la sentence CIRDI du 25 oct. 2012, aff.
o
n ARB/08/11, Bosh International, Inc and B&P Ltd. Foreign Investments
Enterprise c/ Ukraine, ci-après « sentence Bosch »). Il a simplement conféré au
cocontractant privé un droit international à ce que ce contrat soit respecté. Et
cela est bien suffisant comme le montre la jurisprudence du CIRDI qui,
précisément, s'efforce de manière itérative de distinguer le contentieux
contractuel qui relève de la loi applicable au contrat (et qui peut bien être au
moins pour partie le droit international sans que cela fasse du contrat un traité)
et le contentieux de la responsabilité de l'État cocontractant pour manquement à
ses obligations internationales vis-à-vis de l'investisseur.
39. L'une des illustrations de cette dualité est que si le State contract est conclu
par la filiale locale de l'investisseur (et dans l'hypothèse où les parties au traité
bilatéral d'investissement ne sont pas convenues de traiter de telles filiales
os
comme des « investisseurs » aux fins de l'arbitrage CIRDI, V. infra, n 53 s.), il
est vraisemblable que les droits contractuels de la filiale locale opposables à son
cocontractant (l'État hôte de l'investissement ou un de ses démembrements ou
une de ses entreprises) seront inéligibles à la protection du traité : seule la
participation de l'investisseur dans la filiale locale sera considérée comme
l'investissement protégé qui évidemment ne concernera pas un State contract
(V. par ex. § 245 de la sentence du 21 juin 2011, Impregilo II).
40. Pour finir sur ce point, on admettra que cette construction qui constitue
incontestablement une amélioration du sort de l'investisseur n'est pas parfaite et
laisse subsister un certain nombre de problèmes que les arbitres hésitent à
résoudre. Ainsi ce passage d'une sentence : « It remains a difficult question
under international law, on which much ink and paper has been consumed, to
what extent a claimant pleading a treaty breach in an investor-state arbitration
under a BIT can rely on a contractual breach as “a fact”. It is clear that a
contractual breach cannot simply be converted juridically into a treaty breach, but
equally it is clearly necessary for a claimant to recite the factual basis for a treaty
breach which may, in appropriate cases, include allegations of fact amounting
also to a contractual breach, even if no contractual claim is pursued in the
particular BIT arbitration. However, it is not clear whether a treaty breach under
international law can exist against the host state when the same factual conduct
is permitted by the relevant contract between the state and the investor or a third
person (such as, here, the Concessionaire). In the present case, the Tribunal,
whilst noting the Parties'different submissions, does not think it necessary to
address this particular difficulty for the purpose of its later decisions in this
Award » (traduction libre, « il est clair qu’un différend contractuel ne peut pas
être purement et simplement transformé en rupture de traité par la voie
juridictionnelle. Cependant, savoir si la violation d’un traité en droit international
peut être opposée à l’État hôte de l’investissement lorsque son comportement est
autorisé en vertu du contrat est une chose beaucoup moins claire », § 6-25 de la
sentence CIRDI du 16 juin 2010 dans les aff. jointes ARB (AF)/04/3 & ARB
(AF)/04/4), Gemplus SA c/ The United Mexican States et Talsud SA c/ The United
Mexican States, ci-après « sentence Gemplus »).
42. On serait tenté d'écrire que, comme tous les contrats internationaux, les
contrats d'État ont depuis longtemps eu recours à l'arbitrage. Souvent mal
rédigées – du moins dans le passé, objets de compromis que chaque partie ne
souhaitait pas éclaircir – les clauses d'arbitrage ont souvent été perçues par
l'investisseur comme le seul moyen d'échapper aux risques d'une trop grande
soumission au droit de l'État cocontractant. L'investissement ayant
nécessairement une assise territoriale dans l'État contractant, et celle-ci
représentant, quel que soit le droit applicable au contrat, la mesure du risque par
l'investisseur, ce dernier a vu dans la clause d'arbitrage international le seul
moyen de faire reconnaître en droit ses prétentions, qu'au besoin il pourrait,
ensuite, faire valoir ailleurs. Cependant, à raison de ces enjeux, les clauses
compromissoires ont été chargées d'une force symbolique qui dépassait de loin
leur portée juridique réelle déjà non exempte de difficultés.
43. On rappellera, en effet, que les clauses d'arbitrage international ont parfois
été analysées comme une désignation implicite par les parties du droit
international comme droit applicable à leur contrat. Ainsi l'arbitre, dans la
sentence Texaco-Calasiatic, a-t-il relevé que, « en ce qui concerne le droit
applicable au fond du différend lui-même, l'insertion de clauses arbitrales a pour
effet de conduire à faire appel aux règles du droit international » (V. sentence
arbitrale 19 janv. 1977, préc., JDI 1977. 359. – Adde déjà, quoique plus
nuancée : sentence arbitrale du 15 mars 1963, NIOC c/ Sapphire Petroleum Co.
Ltd., Annuaire suisse dr. int. 1964. 279, ou sentence arbitrale du 23 août 1958,
Arabie Saoudite c/ Aramco, préc., Rev. crit. DIP 1963. 303).
44. Or il faut insister sur le fait qu'une clause d'arbitrage international peut avoir
un sens, sans pour cela être interprétée comme internationalisant l'accord (au
demeurant les sentences arbitrales, 10 oct. 1973, British Petroleum Exploration
o
Co. [Libya] Ltd. c/ Gouverneur de la République arabe libyenne [V. infra, n 82]
et 12 avr. 1977, Libyan American Oil Company [LIAMCO] c/ Gouvernement libyen
o
[V. infra, n 85], statuant sur des accords et des clauses très similaires n'ont pas
tiré les mêmes conclusions). Dans ces conditions, la clause d'arbitrage doit être
prise pour ce qu'elle est : une clause de règlement des différends.
45. En tant que telles, elles ont déjà suscité un nombre de questions qui
montrent que le contentieux des contrats d'État ne peut faire abstraction du
consentement de l'État partie. En premier lieu, l'arbitrage qui n'est pas le mode
naturel, pour un État, de règlement des différends qui peuvent l'opposer à des
particuliers, fussent-ils étrangers, est un mode contentieux qui d'une certaine
manière soustrait la partie étatique à son juge naturel : lui-même, ou du moins
ses tribunaux. Admis au moment de la conclusion, souvent accordé dans le cadre
de négociations globales, le recours à l'arbitrage a souvent été contesté par la
suite (R. et A. MEZGHANI, Souveraineté de l'État et participation à l'arbitrage,
Rev. arb. 1985, respectivement p. 518 et p. 544).
46. Ainsi certains États n'ont-ils pas hésité à opposer leur immunité de juridiction
à toute tentative de mise en œuvre d'une clause d'arbitrage pourtant acceptée
par eux par contrat, n'hésitant pas à prétendre nul ledit contrat qui contrevenait à
cette immunité. Cet argument, qui réapparaît de temps en temps, paraît avoir été
définitivement repoussé par les sentences arbitrales dans les années 1980, tant
au nom de la bonne foi que du principe d'autonomie de la clause compromissoire.
« Ce principe général, aujourd'hui universellement reconnu […], interdirait de
toute façon à l'État […] de renier l'engagement d'arbitrage qu'il aurait souscrit lui-
même […] » (V. Sent. arb. 30 avr. 1982, sur la compétence, Framatome et a. c/
Atomic Energy Organization of Iran [AEOI], JDI 1984. 58, spéc. p. 72. – Adde :
Sent. arb. 14 janv. 1982, Elf Aquitaine Iran c/ NIOC, Rev. arb. 1984. 401). Au
demeurant cette solution, acquise au nom de l'autonomie de la clause
compromissoire, repose sur un bien meilleur fondement que la renonciation à une
immunité de juridiction qui n'a pas grand sens devant des arbitres.
47. Mais s'il est clair que, une fois acceptée, la clause compromissoire ne peut se
voir opposer l'immunité de juridiction de l'État, cette même clause ne permet pas
toujours de faire face à toutes les situations et pose des questions quant à sa
portée « horizontale » et « verticale ». Sur le plan « horizontal », on est en droit
de se demander si une clause d'arbitrage acceptée non par l'État lui-même, mais
par une de ses émanations ou une entreprise publique, suffit pour attraire l'État
devant l'arbitre. La question mérite d'être posée, car les contrats d'État prennent
souvent la forme de plusieurs instruments, les uns liant la puissance publique, les
autres une entité du secteur public. L'affaire du plateau des Pyramides illustre
parfaitement les dangers d'un tel écheveau de contrats et d'une incertitude quant
à la portée de l'arbitrage. En cette affaire, la société investisseuse SPP était partie
à deux accords ; l'un, l'accord-cadre, la liant à l'État égyptien et l'entreprise
publique EGOTH, l'autre n'étant conclu qu'avec cette dernière. À la suite d'un
problème d'exécution du projet d'investissement, la société SPP enclencha la
procédure d'arbitrage en essayant d'attraire l'État égyptien devant les arbitres.
Ceux-ci, par une sentence du 11 mars 1983 (ILM 1983. 776), déclarèrent que le
projet formait un ensemble contractuel, même s'il était divisé en plusieurs
instruments : dès lors l'État égyptien était bien partie au « projet », qui contenait
dans l'un des contrats une clause d'arbitrage CCI qui devait donc être considérée
comme acceptée par ledit État. Ce dernier ayant fait appel de cette sentence
devant la cour d'appel de Paris, celle-ci, par un arrêt du 12 juin 1984, a annulé la
sentence arbitrale au motif que l'arbitre avait statué sans convention d'arbitrage
(Paris, 12 juill. 1984, JDI 1985. 129, note Goldman. – Comp. avec la décision de
la Cour de district d'Amsterdam, 12 juill. 1984, dans la même affaire, ILM
1984. 2040).
49. Au demeurant, les problèmes liés à la portée rationae personae des clauses
d'arbitrage ne sont pas uniquement centrés sur la personne publique
cocontractante. En effet, du point de vue de l'investisseur, la question est à
nouveau double : les filiales de celui-ci, dont l'institution est souvent imposée par
l'État hôte de l'investisseur, peuvent-elles intenter une action contre l'État alors
qu'elles ne sont pas formellement parties à l'accord contenant la clause
compromissoire ? (de manière symétrique sur l'extension à la société mère de la
portée de la clause d'arbitrage contenue dans la convention d'investissement
conclue entre la filiale locale et l'État hôte, V. sentence préliminaire CIRDI,
er o
1 juill. 1973, Holiday Inn et Occidental Petroleum c/ Maroc [préc. supra, n 48]
et la sentence du 20 nov. 1984, aff. Amco Asia Corporation and Others c/
Republic of Indonesia, ci-après « sentence Amco », de même que les § 192 s. de
o
la sentence CIRDI du 15 juill. 2013, aff. n ARB/11/11, AHS Niger and Menzies
Middle East and Africa SA c/ Republic of Niger, citant à l'appui de la solution non
seulement un ensemble de sentences CCI, mais également la jurisprudence de la
cour d'appel de Paris). Et, réciproquement, ce dernier peut-il à son tour agir
contre celles-ci ? Même à supposer résolue la question de la compétence
arbitrale, les State contracts posaient également celle de l'exécution des
sentences rendues.
50. Exécuter une sentence arbitrale, c'est tout d'abord en obtenir l'exécution par
le juge national (certains investisseurs ont préféré la transaction avec l'État afin
d'obtenir immédiatement une compensation souvent moindre, mais certaine ;
V. note introductive, VON MEHREN, ILM 1978. 2). Or l'acceptation de l'arbitrage
par l'État vaut-elle acceptation de l'exécution de celle-ci par le juge national ? La
re
jurisprudence française a été un temps hésitante (V. par ex. Civ. 1 , 2 mars
e
1966, 2 esp., JCP 1966. II. 14831), mais la Cour de cassation semble avoir
tranché définitivement dans le sens où, par une clause d'arbitrage, « l'État
étranger qui s'est soumis à la juridiction des arbitres a, par là même, accepté que
re
leur sentence puisse être revêtue de l'exequatur » (Civ. 1 , 18 nov. 1986, État
français c/ SEEE, Rev. crit. DIP 1987. 786). Si la solution paraît claire, elle
n'empêche malheureusement pas l'invocation itérative de son immunité par l'État
devant les tribunaux nationaux, et parfois ceux-ci de faire droit à ses prétentions
(V. par ex. Paris, 5 déc. 1989, SOABI c/ Sénégal, Rev. arb. 1990. 164,
re o
heureusement infirmée par Civ. 1 , 11 juin 1991, n 90-11.282 , JDI 1991.
1005, note Gaillard).
51. Mais, en dépit d'une solution a peu près acquise quant à l'impossibilité pour
un État d'invoquer son immunité de juridiction devant le juge national de
l'exequatur, à la condition, bien entendu, que la clause compromissoire ait bien
été valablement souscrite, les difficultés n'ont pas disparu, tant s'en faut, dès lors
que le cocontractant désire passer au stade suivant et faire adopter des mesures
d'exécution. Or ce domaine est demeuré pendant longtemps, et reste encore, le
re
bastion de l'immunité étatique. Certes la Cour de cassation a admis (Civ. 1 ,
er
14 mars 1984, Eurodif, JCP 1984. II. 20205, note Synvet, et 1 oct. 1985,
Sonatrach c/ Migeon, JCP E 1986. II. 14701, note Synvet) que l'immunité
d'exécution de l'État étranger n'est pas absolue, et qu'il est possible d'écarter
celle-ci lorsque les biens sur lesquels le créancier cherche à se dédommager, et
qui donnent lieu à la demande en justice, ont été affectés à une activité
économique ou commerciale relevant du droit privé. Mais cette limitation doit être
bien comprise : pour que l'immunité d'exécution soit écartée, il faut qu'il y ait eu
effectivement affectation des biens (si cela n'est pas prévu dans le contrat), faute
re
de quoi ces derniers seront considérés comme couverts par l'immunité (Civ. 1 ,
20 mars 1989, République islamique d'Iran et a. c/ Sté Framatome et autres,
AEOI et a. c/ Eurodif et a., Rev. crit. DIP 1990. 346 . – Adde : SCHREUER,
Sovereign Immunity as a Barrier to the Enforcement of Investor-State Arbitral
Awards : the Repolitization of International Investment Disputes, The American
os
Review of International Arbitration, 2010, vol. 21, n 1-4, p. 21, 1.
– V. Immunités [Internat.]).
52. Tant en ce qui concerne l'insertion des clauses d'arbitrage (sans parler de la
mise en place de l'arbitrage lui-même) qu'en ce qui concerne l'exécution des
sentences, il y avait besoin que le droit international intervienne, en particulier
pour que le cocontractant de l'État, l'investisseur, puisse valablement faire valoir
ses droits tirés du traité à l'encontre de l'État cocontractant, ou plutôt de l'État
hôte de l'investissement. Cela a été l'objet de la création, en 1965, du Centre
international pour le règlement des différends relatifs aux investissements
(CIRDI).
53. Les difficultés des modes traditionnels de règlement des différends ayant été
rappelées, il ne restait donc pour le droit international qu'à mettre sur pied un
forum approprié au sein duquel les différends opposant l'État et le ressortissant
d'un autre État membre se verraient fournir des solutions concrètes et adaptées.
Ce fut l'objet de la Convention de Washington pour le règlement des différends
relatifs aux investissements entre États et ressortissants d'autres États du
18 mars 1965 (JO 31 déc. 1967) conclue sous les auspices de la Banque
mondiale, et qui créa le Centre international pour le règlement des différends
relatifs aux investissements (CIRDI ou ICSID). Le succès de cette organisation,
qui s'est fait attendre dans les premières années, est aujourd'hui incontestable. Il
peut se mesurer non à l'aspect pathologique que constitue le nombre des
instances arbitrales passées ou présentes, mais par l'aspect prophylactique que
constitue l'importance des signatures (158 États) et plus encore des ratifications
er
de la Convention (150 États au 1 sept. 2014).
55. Il faut ensuite, c'est le deuxième étage, que l'État ait donné son
consentement pour soumettre tout ou partie des différends liés à un
investissement sur son territoire à l'arbitrage du CIRDI. Ce consentement, qui est
la pierre angulaire de tout le système, peut fort bien être donné en avance,
notamment dans le cadre des conventions bilatérales d'investissement, voire
dans le cadre d'un acte unilatéral de l'État (comme par exemple dans un code
d'investissement où l'État s'engagerait par avance à aller à l'arbitrage en cas de
différend avec un investisseur). Il suffira alors que l'investisseur cocontractant de
l'État saisisse le Centre lorsque le différend surgira pour que l'accord des deux
parties soit matérialisé. Afin d'éviter des problèmes facilement soupçonnables, il a
été jugé que la question de savoir si les parties ont efficacement exprimé leur
consentement à la compétence du CIRDI ne doit pas être résolue par référence
au droit national. Cette question est régie par le droit international, ainsi que cela
résulte de l'article 25(1) de la Convention du CIRDI (V. § 35 de la sentence sur la
o
compétence du 24 mai 1999, aff. n ARB/97/4, Ceskoslovenksa Obchodni Banka,
AS c/ République Slovaque, ci-après « sentence COB » et § 147 de la sentence du
o
12 mai 2011, dans l'aff. n ARB/07/10, M. Meerapfel Söhne AG c/ Central African
Republic, ci-après « sentence Meerapfel »). Toutefois, dans la mesure où les
arbitres sont juges de leur propre compétence, ils peuvent également rechercher
le consentement des parties et surtout celui préalable de l'État dans un acte
unilatéral de celui-ci, comme un code des investissements qui serait
ultérieurement accepté par l'investisseur (V. égal., sentence sur la compétence
o
du 14 avr. 1988, aff. n ARB/84/3, Southern Pacific Properties [Middle East] Ltd.
v. Arab Republic of Egypt, § 60, ci-après « sentence SPP » ; sentence du 2 août
o
2006, aff. n ARB/03/26, Inceysa Vallisoletana S.L. v. Republic of El Salvador,
§ 212-213, ci-après « sentence Inceysa » ; sentence du 24 janv. 2003, aff.
o
n ARB/00/1, Zhinvali Development Ltd. v. Republic of Georgia § 339, ci-après
« sentence Zhinvali »). Bien entendu, l'interprétation que l'État donne de sa
propre loi est inopposable au tribunal arbitral qui portera sa propre appréciation
quant à l'existence et à la portée de ce consentement (V. par ex. § 70 s. de la
o
sentence du 30 déc. 2010, aff. n ARB/08/15, Cemex Caracas Investments
B.V. and Cemex Caracas II Investments B.V. c/ Bolivarian Republic of Venezuela,
ci-après « sentence Cemex »), conformément d'ailleurs au droit international
(V. CPJI 4 avr. 1939, Compagnie d'électricité de Sofia et Bulgarie, Exceptions
o
préliminaires, série A/B, n 77, 1939. – CIJ, 19 déc. 1978, aff. du plateau
continental de la mer Egée [Grèce c/ Turquie], Rec. CIJ, p. 3. – 4 déc. 1998, aff.
de la compétence en matière de pêcheries [Espagne c/ Canada], Rec. CIJ, p. 432.
– 11 juin 1998, Exceptions préliminaires, aff. de la frontière terrestre et maritime
entre le Cameroun et le Nigéria, Rec. CIJ, p. 291).
61. Par ailleurs, les traités bilatéraux qui contiennent une clause CIRDI prévoient
fréquemment qu'avant de saisir le Centre, les parties devront négocier de bonne
foi pour résoudre leur différend (période que l'on qualifie de « cool off period »,
selon le terme anglais). La question de savoir quelle portée donner à cette clause
a parfois été considérée comme un problème de procédure auquel il serait
o
possible de rémédier (V. sentence du 16 mars 2006, aff. n ARB/04/2, Western
NIS Entreprise Fund c/ Ukraine, ci-après « sentence Western NIS »), parfois
comme un problème de compétence du CIRDI (V. § 107 de la sentence du
o
29 juill. 2008, aff. n ARB/05/21, African Holding Company of America, Inc. et
Société africaine de construction au Congo SARL c/ La République démocratique
du Congo, ci-après « sentence African Holding »), parfois enfin comme un
problème de recevabilité des requêtes (V. sentence Goetz). Dans les deux
dernières hypothèses, le tribunal arbitral vérifie scrupuleusement la satisfaction
de cette obligation de bonne foi, lorsqu'il en est saisi (V. § 91 de la sentence
Goetz, § 104 s. de la sentence Murphy, § 32 de la sentence CIRDI du 10 janv.
o
2005, aff. n ARB/03/08, Consorzio Groupement LESI-DIPENTA c/ République
algérienne démocratique et populaire, ci-après « sentence LESI-DIPENTA ».
– V. toutefois, la longue analyse § 133 s. de la sentence CIRDI du 8 déc. 2008,
o
aff. n ARB/04/14, Wintershall Aktiengesellschaft c/ République d'Argentine, ci-
après « sentence Wintershall », avec la jurisprudence citée pour finalement
décider que le non-respect d'une clause de négociation n'est pas un obstacle à la
compétence du tribunal arbitral du CIRDI. – Adde : § 99-100 de la sentence sur
o
la compétence du 14 nov. 2005, aff. n ARB/03/29, Bayindir Insaat Turizm Ticaret
e
V Sanayi A.S. c/ Pakistan, ci-après « sentence Bayindir » et § 184 de la sentence
o
CIRDI sur la compétence du 6 août 2003, aff. n ARB/01/13, SGS [Société
générale de surveillance SA] c/ Islamic Republic of Pakistan, ci-après « sentence
SGS I »). Au demeurant les négociations peuvent aussi bien déboucher sur une
transaction postérieure à la saisine du tribunal arbitral qui pourra alors à la
demande des parties inclure la transaction dans sa sentence (V. par ex. sentence
o
du 26 sept. 2000, aff. n ARB(AF)/98/1 Joseph C. Lemire c/ Ukraine, ci-après
« sentence Lemire »). Par ailleurs, le fait que l'investisseur ait introduit de
nombreuses actions devant les juridictions nationales peut légitimement autoriser
l'État à ne pas donner suite à l'obligation de rechercher un règlement amiable
avant que l'arbitre soit saisi, sans encourir l'accusation d'avoir violé l'obligation de
traitement juste et équitable de l'investisseur contenue dans le traité de
protection des investissements (V. § 335-337 de la sentence CIRDI du 7 déc.
o
2011 dans l'aff. n ARB/06/1, Spyridon Roussalis c/ Roumanie, ci-après
« sentence Roussalis »).
62. Un problème connexe est celui de l'épuisement des voies de recours internes.
En principe, en cas de recours au CIRDI, les parties devront toutefois prendre
garde à la rédaction de la clause CIRDI (ou NAFTA par exemple) figurant dans le
traité bilatéral car, pour peu que cette clause exige que, préalablement à
l'arbitrage, l'investisseur ait épuisé les voies de recours internes (clause autorisée
par l'article 26 de la Convention CIRDI), le tribunal arbitral vérifiera que celui-ci
ait bien, au moins, saisi le juge national, faute de quoi il se déclarera incompétent
(V. par ex. sentence CIRDI ARB/10/22 du 5 sept. 2013, Ömer Sede and Serdar
Elhüseni c/ Roumanie, ci-après « sentence Elhüseni », § 185-197 et § 71-78 de la
sentence Feldman). Cette conclusion vaut même lorsque la rédaction de la clause
du traité peut paraître ambiguë (V. § 94 de la sentence Impregilo II. – Adde :
§ 118 de la sentence Wintershall pour une longue analyse très motivée en droit
international d'une telle obligation et la jurisrudence citée, à distinguer des
o
clauses de négociation préalable, V. supra, n 61, § 35 de la sentence CIRDI sur
o
la compétence sur ce point, du 25 janv. 2000, aff. n ARB/97/7, Emilio Augustin
Maffezini c/ Royaume d'Espagne, ci-après « sentence Maffezini »). Cette exigence
ne vaut pas à l'encontre de l'État qui, bien entendu, n'a pas à épuiser ses voies
de recours internes avant d'aller à l'arbitrage, sauf pour lui d’avoir inclus cette
exigence dans le traité de protection des investissements (V. § 783 de la
sentence Roussalis). Si la clause CIRDI ne contient aucune obligation préalable de
recours aux tribunaux locaux, ce recours ne sera nullement considéré comme un
obstacle à la reconnaissance de la compétence du tribunal arbitral CIRDI
(V. annulant la sentence du 3 juill. 2008 pour avoir statué en sens inverse,
o
décision du Comité ad hoc du 14 juin 2010, dans l'aff. n ARB/05/19, Helnan
International hotels A/S c/ Arab Republic of Egypt, spéc. § 55, ci-après « décision
Helnan II »). Tout au plus la passivité de l'investisseur pourra être prise en
compte au moment de l'appréciation de la violation par l'État de l'obligation du
os
traitement juste et équitable (V. infra, n 141 s. et par ex. § 25-30 de la sentence
o
CIRDI du 16 sept. 2003, aff. n ARB/00/9, Generation Ukraine c/ Ukraine, ci-
après « sentence Génération Ukraine »).
63. Bien entendu, rien n'interdit aux parties d'inscrire l'épuisement des voies de
recours internes comme une exigence préalable à la saisine du CIRDI. Même si en
général les exigences d'ordre procédural ne sont pas considérées comme des
obstacles à la compétence du Centre, tout dépend de la manière dont l'obligation
du recours préalable aux tribunaux nationaux est formulée (V. § 88 de la
o
sentence arbitrale sur la compétence du 14 janv. 2006, dans l'aff. n ARB/01/3,
Enron Corporation and Ponderosa Assets, L.P. c/ Argentine Republic, ci-après
« sentence Enron II »). En revanche, le fait que l'investisseur ait invoqué devant
les tribunaux nationaux leur incompétence en raison de la clause d'arbitrage
CIRDI figurant dans le State contract ne l'empêche pas d'invoquer
automatiquement l'incompétence du CIRDI si les conditions de l'estoppel ne sont
pas réunies (V. § 203 s. de la sentence arbitrale CIRDI sur la compétence du
o
28 déc. 2009, aff. n ARB/07/3, Government of the Province of East Kalimantan
c/ PT Kaltim Prima Coal, Rio Tinto plc, BP plc et a., ci-après « sentence
Kalimantan »). S'agissant de l'estoppel on remarquera qu'à supposer ses
conditions réunies, elle sera opposable non seulement à la société locale
investisseuse, mais également à ses actionnaires contrôlants si ce sont eux qui
portent la réclamation devant le CIRDI (V. § 7.1.7 de la sentence CIRDI du
o
10 déc. 2010, aff. n ARB/10/6, Rachel S. Grynberg, Stephen M. Grynberg,
Miriam Z. Grynberg, and RSM Production Corporation c/ Grenada, ci-après
« sentence Grynberg »). Elle sera également examinée pour savoir si l'État peut
légitimement invoquer l'incompétence du CIRDI pour juger du différend opposant
l'investisseur à une entité publique que l'État n'a pas désigné au CIRDI, au sens
er
de l'article 25, paragraphe 1 , comme le représentant (V. § 260 s. de la sentence
o
du 23 mars 2011 sur la compétence dans l'aff. n ARB/09/18, Cambodia Power
Company c/ Kingdom of Cambodia and Électricité du Cambodge, ci-après
« sentence CPC »). Toutefois, la violation par l'arbitre de la règle de l'estoppel ne
re
porte pas atteinte à l'ordre public international (PINNA, note sous Civ. 1 , 19 déc.
o
2012, n 11-13.269 , Rev. arb. 2013. 149).
64. Notons enfin que, dans la mesure où le différend entre les parties a fait
l'objet d'un règlement definitif, en faveur de l'investisseur, devant les tribunaux
nationaux dont les décisions sont revêtues de la res judicata, l'investisseur, sauf à
démontrer qu'il a un autre différend avec l'État hôte, ne peut tenter de faire
rejuger le même différend par le CIRDI (y compris lorsque le traité bilatéral,
postérieur aux décisions des tribunaux locaux, exclut de la compétence du CIRDI
les différends nés antérieurement à son entrée en vigueur ; V. sentence CIRDI
o
n ARB/03/4 du 7 févr. 2005, sur la compétence, Empresas LUCCHETTI, SA et
LUCCHETTI Peru, SA c/ Republic of Peru, ci-après « sentence Lucchetti »,
confirmé par § 103 s. de la décision du comité ad hoc du 5 sept. 2007, dans l'aff.
o
n ARB/03/4, Industria Nacional de Alimentos, SA and Indalsa Perú, SA c/ The
Republic of Peru, ci-après « décision INA »). L'impossibilité de faire juger deux
fois par le CIRDI le même différend est encore plus absolue lorsque les premiers
juges étaient des juges arbitraux du CIRDI lui-même (V. la sentence du 13 mars
o
2009, aff. n ARB/05/14, RSM Production Corporation c/ Grenada, ci-après
« sentence RSM » et le § 7.1.8 de la sentence Grynberg, listant les points
définitivement tranchés par le premier arbitrage et liant définitivement les
parties).
65. Un tel système, on le voit, est en dépit de ses imperfections de nature à
protéger l'investisseur tout en garantissant à l'État que son consentement sera
toujours requis. Cependant, ce mille-feuille juridique est également de nature à
entraîner certains problèmes (sur l'absence de contrôle au fond des sentences, et
la simple existence d'un recours en annulation qui se rapproche du pourvoi en
cassation en ce sens que le comité ad hoc ne rejuge pas l'affaire et ne reçoit que
des arguments de pur droit, ce qui peut poser problème et nuit pour certains à
l'élaboration d'une jurisprudence cohérente V. NILSSON et ENGLESSON,
Inconsistent Awards in Investment Treaty Arbitration : Is an Appeals Court
Needed ?, Journ. of International Arbitration 2013/5, p. 561). Au demeurant du
fait de l'augmentation du nombre de traités en matière d'investissement en
vigueur, les cocontractants de l'État qui veulent engager des actions en
dommages-intérêts ont souvent le choix entre plusieurs fors, c'est-à-dire peuvent
recourir à différents régimes d'arbitrage ou à un tribunal national. Sans doute
plus inquiétant, il semble que les entreprises commencent à monter leurs
opérations de manière à pouvoir bénéficier des dispositions de plusieurs traités
bilatéraux de manière à pouvoir invoquer la violation de plusieurs de ces traités et
chercher ainsi à obtenir réparation en utilisant différentes procédures d'arbitrage
en vertu de chacun de ces traités même s'il s'agit d'un seul et même
investissement et pour les mêmes faits. Sans compter l'existence de procédures
privées (recours aux tribunaux nationaux, arbitrage commercial…) qui peuvent
également interférer avec la procédure CIRDI.
68. Mais c'est avec l'affaire Vivendi que la position a été définitivement fixée
o
(V. sentence CIRDI du 21 nov. 2000, aff. n ARB/97/3, Compania de Aguas des
Aconquija SA et Vivendi Universal c/ la République argentine, « sentence Vivendi
I », 40 ILM 426 [2001] et décision du Comité ad hoc sur l'annulation du 3 juill.
o
2002, aff. n ARB/97/3, Compania de Aguas des Aconquija SA et Vivendi
Universal c/ République argentine, 41 ILM 1135. 1156, § 102, 103, ci-après
« décision Vivendi II »). Le Comité, qui était face à une clause attributive de
compétence exclusive et à un traité, a opéré une distinction entre les requêtes
fondées sur une violation du contrat et celles fondées sur une violation du traité
o
(V. égal. sentence du 31 mars 2003, aff. ASEAN n ARB/01/1, Yaung Chi Oo
Trading Pte. Ltd. c/ Gouvernement de l'Union du Myanmar, 42 ILM [mai 2003],
commentée par GAILLARD, The First Association of Southeast Asian Nations
Agreement Award, New York Law Journal, 7 août 2003. – Adde égal. : WEI SHEN,
Is This a Great Leap Forward ? A Comparative Review of the Investor-State
Arbitration Clause in the ASEAN-China Investment Treaty : From BIT
Jurisprudential and Practical Perspectives, Journ. of International Arbitration
2010/4, p. 379 et SINGH, The Impact of the Central American Free Trade
Agreement on Investment Treaty Arbitrations : A Mouse that Roars ?, Journ. of
International Arbitration 2004/4, p. 329). Cette distinction entre les actions
fondées sur le contrat et celles fondées sur le traité afin d'admettre la
compétence arbitrale du CIRDI pour ces dernières (toutes autres conditions étant
os
réservées, V. infra, n 79 s.) semble désormais fixée (V. LEMAIRE, Treaty Claims
and Contract Claims : la compétence du CIRDI à l'épreuve de la dualité de l'État,
Rev. arb. 2006. 353 ; et sentence sur la compétence du 4 juin 2004, aff.
o
n ARB/02/5, PSEG Global Inc, The North American Coal Corporation, et Konya
Ilgin Elektric Yterim ve Ticaret Limited Sirketi c/ République de Turquie, ci-après
« sentence PSEG » ; sentence sur la compétence du 26 avr. 2005, aff.
o
n ARB/02/17, AES Corporation c/ République argentine, aff. CIRDI, aff.
o
n ARB/02/17, § 90-99, ci-après « sentence AES I » ; sentence sur la compétence
o
du 11 mai 2005, aff n ARB/02/16, Sempra Energy International c/ République
d'Argentine, § 101, ci-après « sentence Sempra » ; sentence partielle d'un
tribunal ad hoc, du 19 août 2005, dans l'aff. Eureko B.V. c/ République de
Pologne).
er
Chapitre 1 - Encadrement du contrat d'État par le droit
international
os
73. En premier lieu, si comme on le verra (V. infra, n 118 s.) les règles du droit
international applicables aux State contracts ne sont pas différentes de celles
applicables à toutes les relations d'investissement, encore faut-il préciser à titre
liminaire que toute relation d'investissement n'entraîne pas automatiquement de
relations contractuelles stricto sensu. Ainsi peut-il exister des situations où est né
un différend relatif à un investissement mais sans qu'il y ait véritablement
contrat, donc contrat d'État (V. par ex. sentence CIRDI/ALENA Corn Products,
§ 74, et sentence CIRDI, Goetz et sentence Amco, § 189 : « … the relationship
established between foreign enterprise and a State by an investment application
on the one hand and the approval of the same on the second… should not be
characterized as a contract as such, but rather as a sui generis legal relationship,
comparable to a contract. Indeed, in the Tribunal's view, such a relationship does
not draw its source from a unilateral act of the State, but from a bilateral
agreement between the State and the foreign applicant whose application is
approved by the State »). Il va de soi qu'ici les développements se focaliseront
sur les relations contractuelles.
75. Au demeurant la question peut se poser de savoir si, compte tenu de leur
importance à tout le moins quantitative, ces sentences arbitrales ont dégagé une
véritable jurisprudence alors que les instances arbitrales siégeant sous les
auspices du CIRDI ne sont pas une juridiction permanente, mais une série de
tribunaux arbitraux distincts constitués sous les auspices du CIRDI (V. toutefois,
COMMISSION, Precedent in Investment Treaty Arbitration, Journ. of International
Arbitration 2007/2, p. 129). La réponse à cette question est constante et peut
être résumée par ce passage d'une sentence : “The Tribunal considers that it is
not bound by previous decisions. At the same time, in its judgement it must pay
due consideration to earlier decisions of international tribunals. Specifically, it
believes that, subject to compelling contrary grounds, it has a duty to adopt
principles established in a series of consistent cases. It further believes that,
subject always to the specific text of the Treaty and to the Convention, and with
due regard to the circumstances of each particular case, it has a duty to
contribute to the harmonious development of investment law, with a view to
meeting the legitimate expectations of the community of States and investors
towards the certainty of the rule of law” (V. § 83 de la sentence KT Asia). Il
ressort de ce passage, qui reflète la pratique générale (V. par ex. § 77 de la
o
sentence Corn Products ou sentence du 21 mars 2007, aff. n ARB/05/7, Saipem
SpA c/ Bangladesh, ci-après « sentence Saipem », ou encore § 293 de la
o
sentence CIRDI du 2 oct. 2006, aff. n ARB/03/16, ADC Affiliate Limited – and –
ADC & ADMC Management Limited c/ République de Hongrie, ci-après « sentence
ADC »), d'une part que l'arbitre, sans être juridiquement lié par les précédents, a
le sentiment d'inscrire sa sentence dans le respect et la continuité des principes
dégagés antérieurement, et d'autre part qu'il a le sentiment et la volonté
d'inscrire sa propre sentence dans le mouvement d'élaboration d'un corpus de
règles applicables aux State contracts relatifs aux investissements garantissant
une prévisibilité et une sécurité juridique aux cocontractants.
re
Section 1 - Délimitation de l'encadrement par rapport au contrat d'État
er
Art. 1 - Contrat d'État vecteur d'un investissement
er
§1 - Critères nécessaires de l'investissement
er
80. L'article 25, paragraphe 1 , de la convention de Washington lie la
compétence du CIRDI aux différends qui « sont en relation directe avec un
investissement », mais ne définit pas ces termes. Les arbitres ont donc dû tracer
les limites (ainsi un litige fiscal a par exemple été examiné pour savoir s'il pouvait
être considéré comme lié à un investissement et donc comme relevant de la
compétence du CIRDI, V. § 486-490 de la sentence Roussalis et spéc. § 489, où,
bien que le tribunal commence par reconnaître, « It follows that general
measures of tax or economic policy not directly related to the investment, as
opposed to measures specifically addressed to the operations of the business
concerned, will normally fall outside the jurisdiction of the Centre », il n'en
rappelle pas moins [ibid., § 490] que « arbitral awards have considered that :
“[i]t may well be, however, that in the context of the commitments assumed by
the host State, “general” measures have a “specific” effect in that they violate
specific commitments. The expression “a dispute arising directly out of an
investment” [Article 25 (1) of the ICSID Convention] cannot, therefore, be
interpreted as meaning that the dispute can only result from a measure “directed
to” the investment. The adverb “directly” is not related to the link between the
measure and the investment but to that between the dispute and the
investment » [italique ajouté. Traduction libre : « L’adverbe “directement” ne fait
pas référence au lien entre la mesure incriminée et l’investissement, mais à celui
entre le différend et l’investissement »]. – Adde : § 97 de la sentence sur la
o
compétence du 27 avr. 2006 dans l'aff. n ARB/03/15, El Paso Energy
International Company v. Argentine Republic, ci-après « sentence El Paso ».
– V. égal. sentence CNUDCI, 15 nov. 2004, dans l'aff. GAMI Investments Inc.
v. United Mexican States, ILM, vol. 44, 2005, p. 545, ci-après « sentence GAMI »,
et § 33 de la sentence CMS I. – ROSELL, The CMS Case : A Lesson for the
Future ?, Journ. of International Arbitration 2008/4, p. 493). Ces questions
fiscales conduisent à une autre précision.
83. Le premier cas, pratiquement, qui a abordé cette question est la « sentence
Salini I » (V. § 53 s. ; à l'exception peut être d'une décision du secrétaire général
du CIRDI refusant d'enregistrer une requête en arbitrage relative à un différend
portant sur un contrat de vente, V. SHIHATA et PARRA, The Experience of the
International Centre for Settlement of Investment Disputes, ICSID Rev., Foreign
o
Investment Law Journal, vol. 14, n 2, 1999. 308). Cette affaire a depuis servi de
référence dans plusieurs autres cas ultérieurs, même pour s'en départir à
l'occasion, mais le plus souvent pour en tenir compte tout en se défendant d'être
lié par la définition fournie (V. sentence Joy Mining § 53 ; sentence du 8 mai
o
2008, aff. n ARB/98/2, Victor Pey Casado and President Allende Foundation
v. Republic of Chile, § 232, ci-après « sentence Victor Pey Casado » ; décision du
er o
comité ad hoc sur la demande d'annulation du 1 nov. 2006, aff. n ARB/99/7,
Patrick Mitchell c/ Democratic Republic of the Congo, § 29-33, ci-après « décision
Patrick Mitchell », et sentence de la CIRDI du 8 nov. 2010 dans l'aff.
o
n ARB/07/16, Alpha Projektholding GmbH c/ Ukraine § 311 s., ci-après
« sentence Alpha » ; § 80 s. de la sentence sur la compétence du 16 juill. 2010,
o
dans l'aff. n ARB/08/20, Millicom International Operations B.V. et SENTEL
GSMSA c/ République du Sénégal, ci-après « sentence Millicom ». – Pour le rappel
du caractère non liant des critères dégagés dans l'affaire Salini, V. par ex.
o
sentence du 24 juill. 2008, dans l'aff. n ARB/05/22, Biwater Gauff [Tanzania]
Ltd. c/ United Republic of Tanzania, § 312-318, ci-après « sentence Biwater » ;
décision du comité ad hoc sur l'annulation du 16 avr. 2009, dans l'aff.
o
n ARB/05/10, Malaysian Historical Salvors, SDN, BHD v. Malaysia, § 75-79, ci-
après « décision Malaysian Historical Salvors » ; sentence du 31 juill. 2007, dans
o
l'aff. n ARB/03/6, MCI Power Group, LC and New Turbine, Inc. c/ Republic of
Ecuador, § 165, ci-après « sentence MCI » ; sentence RSM, § 236-238. – Enfin,
l'honnêteté oblige à mentionner une autre affaire où les arbitres ont privilégié une
approche matérielle – « substance based approach » – plus que juridique, c’est-
à-dire basée sur le traité, pour apprécier la présence d'un investissement
V. § 325 de la sentence ADC).
84. Dans cette affaire « Salini », le tribunal arbitral a énuméré les critères devant
être retenus pour vérifier qu'il existe bien un « investissement » (ci-après le test
« Salini »). Le premier critère est celui de l'existence d'apports, en argent, en
actifs ou en industrie (« contributions in money, in kind, and in industry »). Cette
première exigence a conduit les arbitres à exiger qu'il y ait un véritable transfert
d'actifs ou d'argent. Tel n'est pas le cas d'une cession, par une société, de titres
acquis d'une autre société pour leur simple valeur nominale, sans qu'il soit
possible pour autant de caractériser un groupe entre le cédant et le cessionnaire
(V. § 195 s. de la sentence CIRDI ARB/09/8 du 17 oct. 2013, KT Asia
International Group c/ Kazakhstan, ci-après « sentence KT Asia »), ou d’une
cession de créances entre sociétés d'un même groupe (V. § 71 de la sentence du
o
29 juill. 2008, aff. n ARB/05/21, African Holding Company of America, Inc et
société africaine de construction au Congo SARL c/ République démocratique du
Congo, ci-après « sentence African Holding »). Dans ce cas, en effet, « Une fois
que la cession a été exécutée, seule African Holding a qualité de cessionnaire des
droits juridiquement liés à la RDC aux fins de l'investissement effectué et du
consentement donné à l'arbitrage concernant ledit investissement. Ce contrat
particulier ne peut pas être considéré comme un contrat d'investissement avec la
RDC, c'est un contrat commercial privé entre les deux sociétés » (Adde :
SAMMARTANO, Are All Transfers of an Investment Protected by the Treaty Which
Deals with the Original Investment ?, Journ. of International Arbitration 2014/1,
p. 97).
86. En revanche, les participations dans une société de droit local ont toujours
été considérées comme des investissements surtout lorsqu'elles étaient
majoritaires ou contrôlantes (sur la question des participations minoritaires, le
principe est qu'elles constituent également un investissement, mais il existe
apparemment une limite inférieure dont le niveau n'est pas fixé, V. décision
Vivendi II, § 50. – Adde, égal. : la sentence finale du 27 juin 1990, aff.
o
n ARB/87/3, Asian Agricultural Products, Ltd. c/ Republic of Sri Lanka, ci-après
« sentence AAP », spéc. § 3, où les arbitres relevant que le requérant était
seulement « participating in the equity capital » d'une entreprise locale. – Adde :
sentence Goetz, § 89, ou sentence Lanco, § 10, qualifiant d'investissement une
participation de 18,3 % dans le capital de la société locale, et sentence CMS I,
§ 55, où les arbitres admettent que les tribunaux arbitraux n'ont pas été
« concerned […] with the question of majority or control » d'une entreprise locale.
– Pour le principe d'une limite V. sentence Enron I, § 54).
87. Sur la base de ce premier critère, un prêt a pu, dans certaines circonstances,
être considéré comme un investissement (V. sentence sur les objections à la
o
compétence du 24 mai 1999, dans l'aff. n ARB/97/4, Ceskoslovenska Obchodni
Banka, a.s. v. Slovak Republic, ci-après « sentence COB ». – Adde : § 23-27 de la
sentence Alpha et § 29 de la sentence Fedax). De même, ont été considérés
comme un investissement la conversion de l'équipement de bateaux de pêche
(V. sentence Atlantic Triton), la construction de routes (V. sentence Salini et
o
sentence CIRDI du 6 févr. 2008, dans l'aff. n ARB/05/17, Desert Line Projects
LLC c/ République du Yémen, ci-après « sentence Desert Line »), de barrages
o
(§ 14 de la sentence CIRDI du 10 janv. 2005, aff. n ARB/03/08, Consorzio
Groupement LESI-DIPENTA c/ République algérienne démocratique et populaire,
ci-après « sentence Lesi-Dipenta »), voire des contrats de services dans certains
cas (V. sentence sur les objections à la compétence du 29 janv. 2004 dans l'aff.
o
n ARB/02/6, SGS Société générale de surveillance SA c/ Republic of the
Philippines, ci-après « sentence SGS II »), mais non certains aspects de know-
how dans des contrats de conseil (V. § 306 de la sentence Alpha) ou les éléments
d'un cabinet d'avocats, y compris le know-how et le goodwill au regard du traité
bilatéral d'investissement américano-congolais, mais non au regard du droit
congolais (V. § 48-57 de la décision Patrick Mitchell).
89. Le deuxième critère du test Salini réside dans l'exigence que ces apports
soient effectués pour une certaine durée : on s'accorde sur une durée minimale
de deux à cinq ans ; (V. § 317-318 de la sentence Alpha. – V. le passage
significatif § 14 (ii) de la sentence Lesi-Dipenta : « Pour que l'on puisse en effet
parler d'un investissement au sens de la Convention, il faut que l'on se trouve en
présence d'engagements économiques ayant une valeur importante, suffisante en
tout cas pour que l'on puisse admettre qu'il s'agit d'une opération de nature à
promouvoir l'économie et le développement du pays concerné. La Convention ne
fournit aucun critère objectif. Pour les contrats de construction, la jurisprudence
publiée se fonde en plus sur la durée du contrat, qui paraît en effet une bonne
mesure pour autant qu'elle concerne un projet d'une véritable importance
o
nationale ». – Adde : 22 déc. 2003, dans l'aff. n ARB/00/6, Consortium RFCC
v. Morocco, § 62, ci-après « sentence RFCC » ; sentence Salini, § 54 ; et
o
sentence sur la compétence du 27 sept. 2001, aff. n ARB/00/5, Autopista
Concesionada de Venezuela c/ Venezuela, ci-après « sentence Autopista »). Par
ailleurs, l'investissement, à supposer qu'il réunisse les critères ci-dessus, doit être
possédé par le requérant à la date du recours, faute de quoi, à défaut
d'investissement, il ne saurait y avoir d'investisseur (V. § 537-538 de la sentence
o
CIRDI du 2 sept. 2011, dans l'aff. n ARB/06/8, Libananco Holdings Co Lts c/
République de Turquie, ci-après « sentence Libananco »).
90. Enfin, le troisième critère du test Salini semble être celui du risque pris par
l'investisseur et qui justifierait ainsi le profit escompté (V. § 319-324 de la
sentence Alpha qui relève au passage que « The fact that Claimant was to receive
a fixed minimum monthly payment does not undermine the finding that Claimant
assumed substantial risk »). Certains auteurs ajoutent parfois le critère du retour
ou de l'existence de profits. Mais il semble que ce ne soit pas un critère séparé
mais une composante des apports (V. § 170 de KT Asia, § 315 de la sentence
Alpha et § 139 de la sentence CIRDI sur la compétence du 4 août 2011, aff.
o
n ARB/07/5, Abaclat et autres c/ Argentine, ci-après « sentence Abaclat »). En
toute hypothèse, l'existence d'un risque doit être comprise à la lumière de
l'objectif de la Convention CIRDI qui commande d'en retenir une acception plutôt
large (V. § 14 (iii) de la sentence Lesi-Dipenta, « Il serait donc trop restrictif d'en
limiter l'application à des contrats comportant un élément aléatoire, comme ce
serait le cas de contrats d'assurance, voire de manière plus large pour certains
contrats de prêts. Le risque considéré peut toucher en réalité n'importe quel
contrat impliquant, pour celui qui s'engage, des risques accrus »).
91. Aux trois premiers critères que l'on vient d'évoquer, certains États, suivis par
une partie de la doctrine, ajoutent le critère de la contribution de ces apports au
développement économique de l'État hôte. Toutefois, et c'est là que la théorie des
contrats d'État (du moins pour ceux qui en ont fait un critère des contrats d'État,
V. WEIL, op.cit.) se dissocie de celle des contrats d'investissements, même
conclus avec un État, car ce dernier critère ne semble pas être considéré par les
arbitres comme un critère séparé mais plutôt, et au mieux (MONEBHURRUN, The
Political Use of the Economic Development Criterion in Defining Investments in
International Investment Arbitration, Journ. of International Arbitration 2012/5,
p. 567), comme un facteur inhérent à l'investissement qui doit par ailleurs
répondre aux trois autres critères (V. § 13 dernière phrase de la sentence Lesi-
o
Dipenta ; § 85 de la sentence CIRDI du 15 avr. 2009, aff. n ARB/06/5, Phoenix
Action Ltd. v. Czech Republic, ci-après « sentence Phoenix » et surtout § 223-224
o
de la sentence CIRDI du 27 sept. 2012, aff. n ARB/06/2, Quiborax SA and Non-
Metallic Minerals SA v. Plurinational State of Bolivia, ci-après « sentence
Quiborax » et § 171-173 de la sentence KT Asia. – Comp. toutefois, avec les
§ 328-331 de la sentence Alpha pour la vérification par les arbitres d'une réelle
contribution d'un hôtel au développement économique de l'Ukraine). Certains
arbitres se sont appuyés sur ce critère pour émettre des doutes quant à la
satisfaction de cette condition par un investissement spéculatif (§ 80 de la
sentence African Holding). Connexe à cette question est celle de savoir à partir de
quand l'investissement est réputé situé sur le territoire de l'État hôte, notamment
si les flux financiers impliquent d'autres États. Les arbitres ont ici réintroduit, en
quelque sorte, la notion de contribution à l'économie du pays puisqu'ils jugent
que « it is the “activity” that must take place “in the territory” of Ukraine and not
necessarily the flow of funds that allows that “activity” to take place » (V. § 279
de la sentence Alpha ; adde : § 101-12 de la sentence SGS II. – Comp. avec
§ 14 (i) de la sentence Lesi-Dipenta selon lequel « De même est-il fréquent que
ces investissements soient effectués dans le pays concerné, mais il ne s'agit pas
non plus d'une condition absolue. Rien n'empêche en effet que des
investissements soient en partie du moins engagés depuis le pays de résidence
du contractant mais en vue et dans le cadre du projet à réaliser à l'étranger »).
92. Aux critères évoqués ci-dessus, certaines sentences ont ajouté (autant
semble-t-il pour contourner le problème d'une nationalité acquise abusivement
par le prétendu investisseur et qui ne semblait pas pouvoir être remise en cause
sur la base du traité bilatéral) celui de la nécessaire légalité de l'investissement
o
au regard du droit de l'État hôte (sentence du 27 août 2008, aff. n ARB/03/24 ;
Plama Consortium Limited c/ Bulgaria, § 138-139, ci-après « sentence Plama » ;
§ 106-107 de la sentence Phoenix ; § 127 de la sentence du 18 juin 2010, aff.
o
n ARB/06/5, in Gustav F W Hamester GmbH & Co KG c/ Republic of Ghana, ci-
après « sentence Hamester »), problème d'ailleurs parfois abordé au fond et non
au moment de la compétence (V. sentence CIRDI sur la compétence, 4 oct. 2006,
o
aff. n ARB/00/7, World Duty Free Company Limited c/ The Republic of Kenya, ci-
après sentence « World duty free » ; sentence CIRDI sur la compétence du
o
16 août 2007, aff. n ARB/03/25 Fraport AG Frankfurt Airport Services Worldwide
c/ Republic of the Philippines, § 306 et 323, ci-après « sentence Fraport »).
Parfois les sentences abordent le problème sous l'angle de la bonne foi dont doit
o
avoir fait preuve l'investisseur (V. sentence du 2 août 2006, aff. n ARB/03/26,
Inceysa Vallisoletana, S.L. c/ Republic of El Salvador, § 230 et 243, ci-après
« sentence Vallisoletana » et § 148 et 157 de la sentence World Duty Free, et
surtout § 140 s. de la sentence Phoenix, qui trouve dans cet argument le moyen
de refuser l'accès au CIRDI non pas à la société requérante israélienne mais à son
actionnaire unique qui avait apparemment organisé toute l'opération pour faire
échapper ses avoirs à ses obligations fiscales tchèques. – Adde : § 126 s. de la
o
sentence CIRDI du 16 janv. 2013, aff. n ARB(AF)/04/6, Vannessa Ventures Ltd.
c/ The Bolivarian Republic of Venezuela, spéc. §135, ci-après « sentence
Vannessa » où le tribunal distingue, au regard du traité bilatéral, entre la
nécessaire conformité de l'investissement aux lois de l'État hôte et celle de ce
même investissement aux dispositions du State contract [sur la cessibilité des
droits], mais qui émet des doutes sur la condition de la bonne foi comme critère
de l'investissement [adde également sentence du 14 juill. 2010, aff.
o
n ARB/07/20, Fakes c/ Turquie, § 112, ci-après « sentence Fakes »], un membre
du tribunal ayant une opinion dissidente sur ce point [V. § 169 de la sentence].
o
– Adde encore : § 126 de la sentence CIRDI du 6 juill. 2012, aff. n ARB/09/16,
Swisslion Doo Skopje c/ The Former Yugoslav Republic of Macedonia, ci-après
« sentence « Swisslion » où les arbites se contentent d'observer que « illegality
and bad faith are not a priori established » pour se déclarer compétents et rejeter
au fond l'examen des faits. Mais pour l'affirmation de la bonne foi comme
condition de la constitution valable d'un investissement et donc de sa protection,
V. § 116 de la sentence Malicorp selon lequel : « Lorsque la protection est
demandée pour un investissement dont il est prétendu qu’il a été fait dans des
conditions contraires aux règles de la bonne foi » ou « lorsque “l'investissement”
est le résultat d'un acte de corruption, qu'il a été obtenu par des tromperies ou
des fraudes. Dans ces cas, le vice affecte non le droit d'invoquer la protection
d'un Accord, mais l'investissement que prétend avoir fait celui qui demande
protection »). Un problème connexe est celui de l'éventuelle nullité de
l'investissement en vertu du droit de l'État hôte. Cette nullité n'empêcherait-elle
pas de considérer que le litige né de celui-ci ne concerne pas un investissement
au sens de la convention et se situe de ce fait en dehors de la catégorie de ceux
que l'État a accepté de soumettre à la compétence du Centre ? Il semble que la
réponse doit être négative. Autant la question de cette nullité aura une
importance au fond, autant elle ne saurait priver l'investisseur du bénéfice d'une
clause d'arbitrage précédemment acceptée par l'État (pour une tentative de
distinguer entre une cession nulle de plein droit et une cession annulable,
o
V. § 187 et § 193 de la sentence CIRDI du 22 juin 2010 dans l'aff. n ARB/07/14,
Liman Caspian Oil BV and NCL Dutch Investment BV c/ Republic of Kazakhstan,
ci-après « sentence Liman Caspian »).
93. Enfin, on notera que, dans une affaire, les arbitres ont estimé que la notion
d'investissement, au sens de la Convention, devait couvrir l'ensemble des
éléments constitutifs de l'investissement, comme en l'espèce une première
sentence arbitrale CCI rendue sur un différend relatif au premier investissement
(V. section 4.5.2. de la sentence Saipem. – Comp. avec la décision Amco). En
revanche, il semble acquis qu'une sentence arbitrale, seule, ne peut pas être
considérée comme constituant un investissement (V. § 110-115 de la sentence
o
CIRDI du 18 mai 2010, aff. n ARB/ 08/2, ATA Construction, Industrial and
Trading Company c/ The Hashemite Kingdom of Jordan, ci-après « sentence
ATA »).
er
§1 - Identité de nationalité entre l'État et son cocontractant
96. La question abordée sous l'angle d'une personne physique, investisseur dans
l'État hôte, posera moins de problème. En effet, la plupart du temps cette
personne physique aura la nationalité d'un État tiers et, en ce cas, l'État hôte ne
pourra remettre en cause cette nationalité (même si celle qui est revendiquée est
celle d'un État ayant conclu un traité d'investissement avec l'État hôte, alors que
la nationalité contestée est celle d'un État tiers sans convention avec l'État hôte).
La règle étant qu'en ce cas, c'est à l'État dont la nationalité est revendiquée par la
personne physique de dire si cette nationalité a été régulièrement acquise. Ce
n'est finalement que dans le cas où la personne physique aurait une double
nationalité dont celle de l'État hôte que pourrait se poser le problème réglé en
jurisprudence par l'arrêt Nottebohm de la Cour internationale de justice (V. § 60-
o
62 de la sentence CIRDI du 26 juill. 2001, aff. n ARB/98/5, Mr. Eudoro Armando
Olguín c/ Republic of Paraguay, ci-après « sentence Olguin »). En réalité la
nationalité des personnes physiques ne suscite des difficultés qu'indirectement
lorsque ces personnes sont les actionnaires d'une société investisseuse.
97. En effet, les questions d'identité de nationalité se posent plutôt à l’égard des
personnes morales. Très souvent, l'État d'accueil de l'investissement exige la
constitution d'une société – conjointe ou non – sur son territoire (V., sur la
question des entreprises conjointes, PIRONON, L'arbitrage des différends entre
une joint venture et l'État d'accueil de l'investissement : à la recherche de la
nationalité de l'investisseur, Rev. arb. 2010. 235). Dès lors cette entité peut-elle
être considérée comme « étrangère » et être partie à l'arbitrage ? Certes
l'article 25, 2. de la Convention de 1965 permet aux deux parties de considérer
que cette société locale sera qualifiée d'« étrangère » aux fins de l'arbitrage, « à
raison du contrôle exercé sur elle par des intérêts étrangers ». Mais la plupart du
temps, cet accord des deux parties, s'il ne préexiste pas au différend, s'avérera
impossible ultérieurement. La pratique arbitrale du CIRDI a semblé un temps
hésitante sur cette question délicate. C'est que la situation se dédouble.
98. Se pose d'abord la question de savoir si une société contractante établie sur
le territoire de l'État hôte mais contrôlée par des actionnaires ayant la nationalité
d'États tiers peut être considérée comme l'investisseur au sens de l'article 25 de
la convention de Washington (mais bien entendu abstraction faite de la possibilité
ouverte par l'art. 25, § 2, lettre b, V. § 147 de la sentence du 12 août 2008, aff.
o
n ARB/04/19, Duke Energy Électroquil Partners et Électroquil SA c/ Republic of
Ecuador, ci-après « sentence Duke Energy ». – V. toutefois sentence du 19 déc.
o
2008, aff. n ARB/05/5, TSA Spectrum de Argentina, SA v. Argentine Republic, ci-
après « sentence TSA ») ou si l'État peut refuser la compétence du Centre au
motif que l'investisseur ne serait pas « étranger », mais de la même nationalité
que lui (la plupart du temps cette société sera considérée comme l'investissement
et non pas forcément comme l'investisseur, V. § 195 de la sentence du 12 mai
o
2011, dans l'aff. n ARB/07/10, M. Meerapfel Söhne AG c/ Central African
Republic, ci-après « sentence Meerapfel »). Il faut alors distinguer deux
hypothèses : soit il existe un accord bilatéral d'investissement qui prévoit une
telle hypothèse et qui permet de percer le voile social pour conférer à la société
contractante la nationalité de ses actionnaires, soit il n'en existe pas ou s'il existe,
le traité est muet sur ce point (ou peu déterminant, V. § 250-253 de la sentence
o
du 11 sept. 2007, aff. n ARB/05/8, Parckering-Compagniet AS c/ République de
Lituanie, ci-après « sentence Parckering »). Dans le premier cas, et si le contrat
d'État est muet sur ce point, la question devra être résolue en fonction de ce que
dit éventuellement le traité bilatéral d'investissement et il semble possible pour le
traité de s'écarter des règles du droit international général et d'opter pour le
critère de nationalité qu'il souhaite (V. sentence CIRDI sur la compétence dans
o
l'aff. n ARB/02/18, du 29 avr. 2004, Tokios Tokeles c/ Ukraine, ci-après
« sentence Tokios Tokeles », opinion dissidente contraire de P. WEIL attachée à la
décision, où les arbitres sans exclure, dans le principe, la possibilité de percer le
voile social ont en l'espèce refuser de le faire dans la mesure où le traité
n'exigeait qu'un critère d'incorporation, et alors même qu'il n'était pas contesté
que tous les actionnaires de la société étaient de la nationalité de l'État
contractant. – Dans le même sens, V. sentence UNCITRAL/PCA sur la compétence
o
du 30 nov. 2009, aff. n AA 227, Yukos Universal Limited [Isle of Man] v. The
o
Russian Federation, ci-après « sentence Yukos », sentence CIRDI n ARB/06/3 du
18 avr. 2008, The Rompetrol Group N.V. v. Romania, ci-après « sentence
Rompetrol », et sentence KT Asia, § 128 et 139, alors même qu'existait en
l'espèce une forte présomption d'usage frauduleux de la société néerlandaise par
son actionnaire unique M. Alyazov de nationalité kasakhe, idem et en dépit des
mêmes raisons, V. la sentence Phoenix). Si l'investisseur est en réalité une joint
venture entre deux sociétés de nationalités différentes, il se peut que seul l'un
des actionnaires de cette joint venture satisfasse la condition de nationalité, ce
qui ne l'empêchera pas de présenter sa requête, mais à la condition qu'elle soit
limitée à la défense de ses seuls intérêts, c’est-à-dire à hauteur de sa
participation dans la joint venture (V. § 24-26 de la sentence Mihaly). Le traité
peut également accepter de prendre en compte le contrôle indirect de la société
locale par des investisseurs étrangers (V. § 99 de la sentence, African Holding.
o
– Adde : sentence sur la compétence du 21 oct. 2005, aff. n ARB/02/3, Aguas
del Tunari SA c/ République de Bolivie, ci-après « sentence Aguas del Tunari »).
Toutefois, ce contrôle indirect paraît avoir une limite (V. sentence Enron I). Si le
traité n'existe pas ou s'il existe mais qu'il est muet, l'arbitre s'en tiendra au droit
coutumier selon lequel le principe demeure que la nationalité est déterminée par
l'État au regard du droit duquel la société a été constituée (V. sentence 31 mars
1986, LETCO c/ Gouvernement de la République de Liberia, ci-après « sentence
Letco », JDI 1988. 166 ; pour une décision d'incompétence, V. sentence Vacuum
Salt Products). Cette solution peut toutefois être écartée (V. § 220 s. de la
o
sentence CIRDI du 26 juin 2003, aff. n ARB(AF)/98/3, The Loewen Group, Inc.
and Raymond L. Loewen v. United States of America, ci-après « sentence
Loewen »), et permettre de dépasser le voile social pour autant qu'il s'agisse
d'éviter un abus de formalisme et de la personnalité juridique (au sens de : CIJ
5 févr. 1970, Barcelona Traction, Light and Power Company Limited, Rec. CIJ
1970, obiter dictum, § 56, et les sentences précitées dans les affaires ADC,
§ 360, Rumeli, § 206, et Tokios Tokelės, Majorité, § 54-56, § 222-232 de la
sentence Meerapfel). A contrario, l'arbitre écartera le droit coutumier si le traité
contient une disposition pertinente (V. sentence Waste Management, § 85 ;
o
sentence finale du 12 sept. 2010, aff. n Arb. V079/2005, RosInvestCo UK Ltd.
v. The Russian Federation, ci-après « sentence RosInvest » ; sentence Rompetrol,
§ 83 ; sentence ADC, § 357-359 ; sentence Saluka, § 240-241 ; sentence Tokios
o
Tokeles, § 77, 81-82 et 86 ; sentence CIRDI du 29 juill. 2008, aff. n ARB/05/16,
Rumeli Telekom A.S. and Telsim Mobil Telekomunikasyon Hizmetleri A.S.
v. Republic of Kazakhstan, § 326, ci-après « sentence Rumeli » ; sentence COB,
§ 32 ; sentence Fakes, § 69).
101. Il ne fait pas de doute que ces demandeurs sont bien étrangers par rapport
à l'État cocontractant, donc le problème est bien distinct du précédent. Le
contenu de l'acceptation de la juridiction du Centre pose donc, entre autres, la
question de savoir si la compétence du tribunal arbitral peut découler du jeu
d'une clause de la nation la plus favorisée, figurant dans un traité, appliquée à
une clause de juridiction CIRDI insérée dans un autre (V. sur l'interprétation en
général des clauses du traitement le plus favorable, FAYA RODRIGUEZ, The Most-
Favored-Nation Clause in International Investment Agreements – A Tool for
Treaty Shopping ?, Journ. of International Arbitration 2008/1, p. 89 et § 92-107
et, sur leur non-application en l'espèce, § 160 s. de la sentence CIRDI du 8 déc.
o
2008, aff. n ARB/04/14, Wintershall Aktiengesellschaft c/ République
d'Argentine, ci-après « sentence Wintershall ». – Comp. avec le § 56 de la
sentence Maffezini qui admet pourtant cette possibilité, mais qui se trouve
considérablement limitée quelques paragraphes plus loin, § 62-63. – Comp. égal.
avec les § 185-208 de la sentence du 21 avr. 2006, de la chambre de commerce
o
de Stockholm, aff. n 080/2004, Vladimir Berschader and Moìse Berschader c/
Russian Federation, ci-après « sentence Bershader », et toujours pour une
opinion réservée, § 116-119 de la sentence Salini, § 183-227 de la sentence
o
Plama, et § 83-101 de la sentence du 13 sept. 2006, aff. n ARB/04/15, Telenor
Mobile Communications AS c/ Republic of Hungary, ci-après « sentence
Telenor »). On peut considérer que l'état du droit (bien que le droit positif soit
souvent nuancé, “It is true that, as stated above, the jurisprudence regarding the
application of MFN clauses to settlement of disputes provisions is not fully
consistent”) est résumé au § 108 de la sentence Impregilo II “in cases where the
MFN clause has referred to “all matters” or “any matter” regulated in the BIT,
there has been near-unanimity in finding that the clause covered the dispute
settlement rules” (Adde : la sentence Maffezini § 38-64. – V. TEITELBAUM, Who's
Afraid of Maffezini ? Recent Developments in the Interpretation of Most Favored
Nation Clauses, Journ. of International Arbitration 2005/3, p. 225, et § 41-49 de
la sentence sur les questions préliminaires de compétence du 17 juin 2005, aff.
o
n ARB/03/10, Gas Natural SDG, SA c/ Argentina, ci-après « sentence Gas
o
Natural » ; § 52-66 de la sentence du 16 mai 2006, aff. n ARB/03/17, Suez,
Sociedad General de Aguas de Barcelona SA and InterAguas Servicios Integrales
del Agua SA c/ Argentine Republic, ci-après « sentence Suez » ; § 52-68 de la
sentence Vivendi ; § 120-121 de la sentence sur les objections à la compétence
o
du 11 mai 2005, aff. n ARB/03/2, Camuzzi International SA c/ Argentine
Republic, ci-après « sentence Camuzzi »). De surcroît, une telle portée a parfois
été reconnue à des clauses de la nation la plus favorisée qui pourtant semblaient
limitées au traitement de l'investissement et/ou de l'investisseur (V. § 87-90 de
o
la sentence sur la compétence du 3 août 2004, aff. n ARB/02/8, Siemens AG c/
Argentina, ci-après « sentence Siemens » ; § 79-94 de la sentence CNUDCI sur la
compétence du 20 juin 2006, aff. National Grid Plc v. Argentina, ci-après
« sentence National Grid » ; et § 124-139 de la sentence RosInvest).
o
102. On l'a déjà évoqué (V. supra, n 27), c'est au droit international de dire la
mesure de son implication dans le régime du contrat d'État et non l'inverse. C'est
donc le droit international qui va définir les limites de cette implication, tant en ce
os
qui concerne le droit applicable au contrat d'État (V. infra, n 103 s.) qu'en ce qui
os
concerne les droits conférés au cocontractant de l'État (V. infra, n 112 s.).
er
Art. 1 - Choix du droit international et nature du contrat
er
§1 - Choix du droit international et contrat international
104. Précisons immédiatement, à la suite de Ch. LEBEN (article préc., Rec. cours
o
La Haye, 2003, spéc. n 128, p. 266) qu’« au plan mondial […] une majorité de
contrats prévoient que le droit applicable est le droit de l'État contractant,
purement et simplement ». Cette constatation résulte pour une large part du fait
que sont pris en compte, au titre des State contracts, non seulement les contrats
e
Nord/Sud comme dans le milieu du XX siècle, mais également les contrats
Nord/Nord ou Sud/Sud. Or les États impliqués sont souvent dans un rapport de
force qui leur permet d'imposer leur loi à leur cocontractant privé, même s'ils
concèdent l'arbitrage international comme mode de règlement des différends. On
ajoutera à ce premier constat que les droits nationaux en matière
d'investissements internationaux sont non seulement devenus plus sophistiqués,
mais également plus homogènes ou moins hétérogènes qu'ils ont pu l'être,
l'investisseur étant moins en terra incognita que par le passé. Au demeurant, la
os
présence de clauses dites de stabilisation (V. infra, n 140 s.), du moins dans
o
leur forme la plus récente (relevée par Ch. LEBEN, article préc., n 133, « Dans
une grande majorité des cas, les clauses récentes intitulées “stabilisation”
[stability] prévoient non pas que l'État ne pourra pas appliquer des dispositions
nouvelles au contrat d'investissement mais que, si des dispositions nouvelles
édictées affectent le contrat, les parties négocieront pour rétablir les avantages
que l'investisseur tirait initialement de son contrat »), vient renforcer encore cette
tendance. Pour l'ensemble de ces contrats, le droit international n'est pas le droit
applicable choisi par les parties (il faut sans doute ajouter à cela que certains
contrats conclus avec une personne publique ne peuvent pas faire l'objet d'un
choix de droit applicable. Ainsi en va-t-il des contrats administratifs, comme en
France, où l'application du droit de l'État contractant, en l'occurrence
administratif, ne résulte pas d'un choix mais de l'ordre juridique de l'État
contractant lui-même).
o
105. Pour Ch. LEBEN (article préc., p. 270, n 135), seule une minorité
substantielle des contrats d'État (en tout cas des contrats pétroliers examinés)
ferait référence au droit international, ce qui est déjà beaucoup. Encore faut-il
préciser, avec lui, que rares (un seul pour l'auteur) sont les contrats faisant
référence uniquement au droit international. On est donc loin d'un phénomène
incontestable et d'un véritable raz de marée internationalisant. De surcroît, la
plupart font référence au droit international en conjonction avec le droit national
de l'État contractant. Il serait donc plus juste de dire que la très grande majorité
des contrats d'État choisissent comme droit applicable le droit de l'État
contractant et la moitié d'entre eux (au mieux) complète ce choix par une
référence au droit international. Encore convient-il de préciser que ce choix est
souvent formulé de manière très hétérogène « the general principles of law as
internationally recognised », « generally accepted principles of international
law », « rules and principles as have been applied by international tribunals » ou
« principles of law generally recognised by the nations of the world ».
106. Quoi qu'il en soit, quel sens donner à ce choix du droit international ? La
plupart du temps la référence faite au droit international (si l'on accepte que
toutes les formulations soient équivalentes) dans ces clauses a pour but de
s'assurer que la solution acquise sur la base du droit national sera bien
compatible avec le, sinon conforme au, droit international. Il semble donc qu'il
s'agisse moins d'une application pure et simple du droit international que d'un
étalon de compatibilité de la solution acquise sur la base de l'application du droit
national. Quand bien même on accepterait que la référence au droit international,
même en présence d'une référence conjointe au droit national, signifie que les
parties ont entendu soumettre leur relation contractuelle au droit international, il
n'en découlerait pas un changement de nature du contrat. Il s'agit simplement
d'un contrat international, dont le droit applicable est en tout ou partie le droit
international, mais non d'un accord de droit international. La situation s'éclaire si
l'on transpose la problématique dans un cadre régional bien plus intégré que le
cadre international et au sein d'un ordre juridique dont le moins que l'on puisse
dire est qu'il accorde bien plus de droits directement aux particuliers que le droit
international : à savoir le cadre de l'Union européenne. Or, à supposer que des
parties à un contrat d'État – c’est-à-dire une entreprise italienne par exemple et
l'État français – choisissent comme droit applicable à leur contrat, au moins pour
partie, le droit de l'Union (on peut par exemple penser à une clause qui
soumettrait le contrat « au droit français et au droit de l'Union », ce qui, on le
remarquera au passage serait superfétatoire puisque le droit français devrait être
par hypothèse conforme au droit de l'Union), ni cette clause, ni son application,
que ce soit par le juge français ou par un tribunal arbitral, ne ferait de ce contrat
un acte de droit de l'Union européenne, quand bien même cet ordre juridique
conférerait des droits directement invocables par l'entreprise italienne. Il est facile
de voir avec cet exemple qu'appliquer des règles ou principes, empruntés à un
ordre juridique, à un contrat ne fait pas de ce contrat un acte appartenant à cet
ordre juridique. Ni en droit de l'Union, ni encore moins en droit international. Au
os
demeurant on a déjà expliqué (V. supra, n 1 s.) que la recherche d'une telle
transmutation, sinon impossible, du moins inexistante sans l'accord du droit
international lui-même, serait inutile au regard de l'objectif pour lequel elle a un
temps été recherchée. Cette différence entre la référence au droit international
pour trancher le différend contractuel et l'application du droit international pour
rechercher la responsabilité internationale reflète d'ailleurs la pratique arbitrale.
108. À supposer le tribunal arbitral du CIRDI valablement saisi, quel est le droit
applicable, ou plutôt appliqué par les arbitres ? L'article 42 § 1 de la Convention
de Washington dispose en effet « Le Tribunal statue sur le différend
conformément aux règles de droit adoptées par les parties. Faute d'accord entre
les parties, le Tribunal applique le droit de l'État contractant partie au différend
– y compris les règles relatives aux conflits de lois – ainsi que les principes de
droit international en la matière ». De sorte que le droit appliqué n'est pas
forcément le droit international du moins pas immédiatement. Il semble que les
arbitres ont plus ou moins dédramatisé la question sur la base d'une
er
interprétation conciliante de l'article 42, paragraphe 1 (V. décision du 2 févr.
o
2002 relative à l'annulation, dans l'aff. n ARB/98/4, Wena Hotels v. Égypte, ci-
après « sentence Wena Hotels », où le tribunal disposa “What is clear is that the
sense and meaning of the negotiations leading to the second sentence of
Article 42(1) allowed for both legal orders to have a role. The law of the host
State can indeed be applied in conjunction with international law if this is
justified. So too international law can be applied by itself if the appropriate rule is
found in this other ambit”. – Adde : sentence Enron I, § 205, et § 223 de la
os
sentence du 3 mars 2010, dans les aff. n ARB/05/18 et ARB/07/15, Ioannis
Kardassopoulos and Ron Fuchs c/ République de Georgie, ci-après « sentence
Kardassopoulos »). Ainsi il se peut que le tribunal applique, en tant que droit
applicable au contrat, parce que choisi par les parties (ou par le renvoi du traité),
le droit interne de l'État hôte (pour la qualification du contrat en tant que contrat
administratif de droit togolais et l'application de ce dernier pour juger (i) de la
régularité de la résiliation pour déséquilibre financier, par l'investisseur, du
contrat de concession à raison du caractère dégradé des installations concédées,
et (ii) du refus d'indemnisation du lucrum cessans, V. sentence CIRDI du 10 août
o
2010, aff. n ARB/06/07, Togo électricité et GDF Suez Energie Services c/ Togo,
ci-après « sentence Togo Électricité », confirmée par décision du comité ad hoc
du 6 sept. 2011 dans cette même affaire ; pour l'examen de la licéité en droit
burundais de l'abrogation d'un agrément et de l'éventuelle responsabilité sans
faute de l'État, V. §100-119 de la sentence Goetz).
109. Toutefois, le fait que le tribunal puisse et même doive (au regard de l'art.
42 § 1 de la Convention CIRDI), en l'absence de choix par les parties, appliquer le
droit de l'État hôte ne signifie pas pour autant que le différend qui oppose ce
dernier à son cocontractant, investisseur au sens de la même convention, soit un
pur problème d'interprétation du droit interne de l'État hôte qui échapperait, pour
cela, à la compétence du tribunal arbitral CIRDI (V. par ex. § 466-470 de la
o
sentence arbitrale du 9 déc. 2013, aff. n ARB/10/17, TECO Guatemala Holdings
LLC c/ The Republic of Guatemala, ci-après « sentence TECO »). Il est même des
sentences où le choix exprès par les parties de textes du droit de l'État
contractant comme droit applicable a été interprété strictement, et ne signifiant
pas un choix général du droit de l'État contractant comme droit applicable à leur
contrat, laissant ainsi la possibilité pour le tribunal arbitral d'appliquer les
principes « du droit international en la matière » (en l'absence de choix par les
er
parties au sens de l'article 42, paragraphe 1 , deuxième phrase, de la Convention
CIRDI) si les textes choisis étaient insuffisants pour fournir une solution au
problème juridique (V. § 105 de la sentence du 23 sept. 2003, dans l'aff.
o
n ARB/00/5, Autopista Concesionada de Venezuela C.A. [Aucoven] c/ Bolivarian
Republic of Venezuela, ci-après « sentence Aucoven »).
111. Cependant, il faut bien comprendre ces décisions. Il semble qu'en fonction
de la distinction entre les rapports contractuels et la responsabilité de l'État, les
arbitres auront tendance à réserver l'application du droit international à ce
dernier problème en laissant au droit choisi par les parties, le soin de régler les
points contractuels (V. par ex. § 347 de la sentence Alpha « the Tribunal shall in
the first instance apply the substantive provisions of the [traité bilateral]. Where
necessary to resolve factual questions, including the scope of Claimant’s rights
and interests in the [State contracts], the Tribunal shall apply the domestic law of
Ukraine ». – Adde : § 117 et § 122 de la sentence CMS, sur le rôle du traité
bilatéral. – V. par ex. sentence Itera. – Adde : § 288-292 de la sentence ADC, et
la solution originale imaginée par les parties dans la sentence Roussalis, § 306 :
« At the first session of the Arbitral Tribunal held on May 4, 2007, the Parties
agreed that Romanian law would govern the substantive merits of the dispute and
that the BIT would be treated as part of Romanian law » et § 787 à propos de
l'inopposabilité d'un délai de forclusion national pour l'action intentée sur la base
du traité de protection des investissements). Plus rare est la position du
gouvernement défendeur préférant l'application du traité de protection des
investissements à sa propre loi (car, en l'espèce, le traité renvoyait au droit
national si celui-ci assurait une protection supérieure à celle qu'il prévoyait,
V. § 231-232 de la sentence Alpha). En toute hypothèse, l'application du traité de
protection des investissements n'est pas une garantie absolue de protection pour
os
l'investisseur. Il a ses limites comme on le verra plus loin (V. infra, n 118 s.).
Et, comme les arbitres l'ont clairement exprimé dans la sentence Maffezini, « …
the Tribunal must emphasize that Bilateral Investment Treaties are not insurance
policies against bad business judgments ».
112. Ces droits, quels sont-ils ? Il a déjà été signalé que c'est évidemment le
droit international la source de ces droits et non le contrat d'État. Ensuite, ces
droits ne sont pas des droits contractuels mais des droits extra-contractuels à
faire valoir directement à l'encontre de l'État contractant. Ce sont évidemment les
traités de protection des investissements qui sont la source de ces droits
os
(V. infra, n 113 s.). Mais la question se pose de savoir s'il ne pourrait pas y
os
avoir des droits émanant d'une autre source internationale (V. infra, n 116 s.).
er
§1 - Source conventionnelle des droits
114. Mais c'est l'affaire Vivendi qui avait posé les fondements de cette position.
Cette affaire avait pour origine une concession de longue durée pour la fourniture
de services d'eau et d'assainissement dans la province argentine de Tucumán.
Les services concédés devaient être fournis par la société Compania de Aguas des
Alconquija SA (« CAA »), société affiliée argentine de la Compagnie générale des
eaux (future Vivendi). CAA et Vivendi ont allégué que le Traité conclu en 1991
entre l'Argentine et la France avait été violé, à la fois par les autorités de
Tucumán et par les autorités fédérales argentines. Le tribunal, lors de la phase de
détermination de la compétence, a considéré que les dispositions du contrat de
concession relatives au règlement des différends ne remettaient pas en cause sa
compétence « ne serait-ce que parce que, en toute hypothèse, ces requêtes ne
sont pas fondées sur le contrat de concession mais sur une présomption de
violation du Traité ». Sur ce point, le tribunal s'est directement fondé sur la
décision préliminaire sur la compétence rendue dans l'affaire Lanco. Toutefois,
bien que le tribunal ait estimé être compétent pour connaître de l'ensemble des
requêtes de Vivendi, il a décidé de ne pas statuer sur le fond desdites requêtes,
considérant que les demandes formées sur le fondement du traité étaient liées si
étroitement à celles formées sur le fondement du contrat et à des questions
propres au droit argentin que le litige devait être tranché par les tribunaux de la
province de Tucumán. Vivendi a demandé l'annulation de cette décision. Le
Comité ad hoc (V. décision du Comité ad hoc « Vivendi II ») a examiné
indirectement la question du choix du for. Le Comité, qui était face à une clause
attributive de compétence exclusive et à un Traité, a opéré une distinction entre
les requêtes fondées sur une violation du contrat et celles fondées sur une
violation du traité. Il a estimé que les traités « fixaient une norme indépendante »
de celle contenue dans les contrats et qu'il était possible qu'un État viole un traité
sans pour autant violer un contrat et vice versa. Le Comité a conclu que, lorsque
« le fondement essentiel » d'une demande était de nature contractuelle, la clause
attributive de compétence exclusive trouvait à s'appliquer et que lorsque la
requête était fondée sur la violation d'une disposition d'un traité, il y avait lieu
d'invoquer les dispositions du Traité relatives à la compétence : « […] il
n'appartient pas à un tribunal arbitral compétent en vertu d'un [traité] pour
connaître d'une requête fondée sur une disposition matérielle dudit [Traité], de
rejeter la demande au motif qu'elle aurait pu ou aurait dû être examinée par un
tribunal national […] ». De surcroît, « […] un État ne peut pas s'abriter derrière
une clause attributive de compétence exclusive insérée dans un contrat pour que
son comportement ne soit pas qualifié d'acte internationalement illicite aux
termes d'un traité ».
115. Ce qui ressort donc est que le droit international, et en particulier le traité
de protection des investissements, donne au cocontractant de l'État des droits
directement invocables contre ce dernier, pour faire vérifier que les mesures qu'il
a pu adopter et qui ont porté atteinte aux droits contractuels de l'investisseur
sont compatibles, non pas avec le contrat, quand bien même celui-ci serait à
interpréter conformément au droit international, mais avec les dispositions du
traité lui-même. C'est là évidemment une différence majeure (bien que cette
distinction puisse prendre un caractère plus flou dans le cadre de demandes
reconventionnelles devant les arbitres, V. par ex. § 782 de la sentence Roussalis)
qu'il convient de garder présent à l'esprit si l'on ne veut pas confondre les deux
niveaux d'analyse. L'une des conséquences est que, lorsque le contrat d'État
prévoit une clause d'arbitrage (autre que le CIRDI), les arbitres du CIRDI
renverront le différend, pour peu qu'il soit essentiellement contractuel, devant
l'arbitrage contractuel (dans l'hypothèse où l'investisseur n'a pas contracté avec
l'État mais avec l'une de ses émanations et que l'arbitrage nécessite le
consentement de l'État, comme l'arbitrage CNUDCI, l'existence d'un tel
consentement sera vérifié, comp. sentence CIRDI du 20 mai 1992 dans l'aff.
o
n ARB/84/3, Southern Pacific Properties [Middle East] Limited v. Arab Republic of
Egypt, ci-après « sentence SPP » et § 95-96 de la sentence Joy Mining qui
s'appuie sur la jurisprudence de la Cour internationale de justice en matière
d'engagement unilatéral de l'État).
116. Peut-on admettre que le droit international coutumier ait d'ores et déjà
admis de tels droits en faveur du cocontractant de l'État ? Certaines sentences
arbitrales pourraient le laisser penser du moins celles intervenues dans les
années soixante-dix pour l'essentiel. Au vu de la jurisprudence arbitrale plus
récente, il est toutefois possible d'en douter. Non pas que le contenu du droit
coutumier soit en quelque sorte voué à ne jamais pouvoir évoluer dans ce sens.
Cependant, il est permis de douter que tel soit le cas aujourd’hui pour une raison
assez simple tirée de la définition de la coutume internationale (on pourrait
également objecter que la nature même, éphémère, contingente et bilatérale, des
arbitrages entre État et investisseur soit un obstacle supplémentaire à l'apparition
ou la reconnaissance de principes coutumiers en la matière. Cependant le
développement de ce type d'arbitrage, notamment dans un cadre comme le
CIRDI, ajouté au fait que ces arbitrages peuvent dépasser le caractère bilatéral
dans certaines circonstances, est peut-être de nature à faire bouger les lignes ;
V. sur le phénomène d'amicus curiae, STERN, L'entrée de la société civile dans
l'arbitrage entre État et investisseur, Rev. arb. 2002. 329, et du même auteur, Un
petit pas de plus : l'Installation de la société civile dans l'Arbitage CIRDI entre
État et investisseur, Rev. arb. 2007. 45). En effet, la coutume suppose une
pratique constante acceptée par les États comme juridiquement obligatoire. Or, à
supposer même que, dans certaines sentences, les arbitres aient pu imposer à
l'État cocontractant une prétendue règle coutumière internationale, et cette
sentence prétendant à son tour s'inscrire dans une continuité, source de pratiques
répétées, il est douteux que les États, selon qu'ils se trouvent dans la position du
cocontractant de l'investisseur ou dans celui de l'État de nationalité de celui-ci,
aient opté pour une pratique uniforme et sans faille en matière de régime du
contrat d'État. De surcroît, la pratique en question doit avoir la conviction de droit
ou de nécessité (opinio jure sive necessitatis). Un sentiment d'obligation juridique
doit accompagner intrinsèquement la répétition de cette pratique. La
reconnaissance de cette pratique comme obligatoire est un critère inhérent à son
existence. Or, le moins que l'on puisse dire, c'est que cette « opinion » ne semble
pas ressortir, avec la force de l'évidence, des arguments présentés en défense
dans toutes les sentences arbitrales recensées. Ceux-ci montrent, s'il en était
besoin, qu'à supposer l'existence d'une pratique constante en matière de
résiliation unilatérale des contrats ou en matière d'indemnisation, il n'est pas
toujours facile de déceler si les États défendeurs ont eu l'intime conviction d'obéir
à une norme coutumière obligatoire ou ont simplement fait application, nolens
volens, de la norme conventionnelle.
re
Section 1 - Violation du contrat d'État et illicite international
119. Conclure un contrat avec l'État, l'une de ses émanations ou une entité du
secteur public, expose inévitablement l'investisseur étranger à un double risque :
le premier est propre aux pouvoirs reconnus à, ou que se reconnaît, la puissance
publique contractante. Il se peut d'ailleurs que le cocontractant public de
l'investisseur ne soit pas accusé d'avoir utilisé ses pouvoirs de puissance publique
en contractant, mais plutôt de ne pas avoir respecté les procédures et le contenu
des modalités fixées par la loi de l'État hôte elle-même, pour son intervention
(auquel cas, c'est d'abord au regard de cette loi – et des éventuelles
jurisprudences nationales – que sera examinée l'attitude du contractant public :
pour la fixation des tarifs d'électricité V. § 491 et § 520-610 de la sentence
TECO). Ainsi, dans ce cadre, se posera-t-on la question de savoir – comme en
droit administratif français – si le principe de la force obligatoire des contrats
(sanctity of contracts) souffre des exceptions, notamment celle, en faveur du
pouvoir de l'État, de remettre en cause une relation contractuelle au nom de
l'intérêt général. Toutefois, deux remarques sont nécessaires. En premier lieu, il
n'est pas toujours facile de distinguer parmi les faits si le contractant public a
entendu agir en tant que contractant ou en tant que puissance publique (V. § 79
de la sentence Vivendi I, “it is not possible for this Tribunal to determine which
actions of the Province were taken in exercise of its sovereign authority and which
in the exercise of its rights as a party to the Concession Contract considering, in
particular, that much of the evidence presented in this case has involved detailed
issues of performance and rates under the Concession Contract”).
120. En second lieu, tous les droits nationaux ne reconnaissent pas un tel pouvoir
à la puissance publique contractante (V. § 134 de la sentence Mondev où les
arbitres relèvent que, dans le droit du Massachussets applicable au contrat, il
existe “the general proposition (accepted as part of Massachusetts law) that
governments are subject to the same rules of contractual liability as are private
parties”, citant à l'appui Minton Construction Corp. v. Commonwealth, 397 Mass
879 (1986) ; Space Master International, Inc. v. City of Worcester, 940 F 2d 16
(1991). De surcroît “Indeed a governmental prerogative to violate investment
contracts would appear to be inconsistent with the principles embodied in
Article 1105 (NAFTA) and with contemporary standards of national and
international law concerning governmental liability for contractual performance”,
ibid.).
121. Le second risque, sans doute plus radical, est celui touchant au cadre
juridique dans lequel s'inscrit la relation contractuelle, c'est-à-dire à la loi
applicable, pour autant bien entendu que celle-ci soit, au moins pour partie, la loi
de l'État contractant.
122. Dans le cadre du système CIRDI, cette dualité de risque répond également
à une dualité de juridiction et de compétences. En effet, si les arbitres sont
compétents pour examiner si l'action unilatérale du cocontractant public ou de
l'État constitue une violation du droit international et au premier chef du traité de
protection des investissements, ils ne sont pas compétents pour décider s'il y a eu
rupture illégale du contrat selon le droit applicable à celui-ci, problème qui relève
des tribunaux de l'État hôte de l'investissement (voire d'un arbitrage s'il est prévu
au contrat). Cette distinction est éminemment importante et comporte d'ailleurs
des conséquences pour l'investisseur qui n'aurait pas saisi les tribunaux de l'État
hôte de l'investissement. Comme l'énoncent les arbitres, “The failure to complain
of the violation of the Agreement before the Lithuanian Court leads to two
consequences. First, the Claimant failed to show that the Municipality of Vilnius
[cocontractant public] terminated the Agreement wrongfully and therefore
breached the Agreement. Second, even supposing that the Agreement has been
wrongfully terminated, the Claimant failed to show that the right of BP to
complain of the breach of the Agreement has been denied by the Republic of
Lithuania and thus that its own investment was actually not accorded, by the
Respondent, an equitable and reasonable treatment in such circumstances”
(V. § 319 de la sentence Parckering : « Le fait de ne pas avoir saisi les cours
lituaniennes de la violation du contrat comporte deux conséquences. La première
est que le plaignant a manqué à son obligation de montrer que la municipalité de
Vilnius avait commis une faute en mettant un terme au contrat et avait ainsi violé
ce dernier. La seconde consiste à ce que, même si le contrat a été terminé de
manière fautive, le requérant a omis de démontrer que la république de Lituanie
avait dénié à BP le droit de chercher réparation devant les tribunaux et qu’en
conséquence elle avait ainsi porté atteinte à son droit à un traitement juste et
équitable », traduction libre).
123. On aura compris que, pour que la violation du contrat soit qualifiée d'illicite
international, la première condition à remplir sera celle de l'imputation du
comportement du cocontractant public de l'investisseur à l'État partie au traité.
Cette question se dédouble. En premier lieu, problème par ailleurs lié à la
responsabilité au regard du droit international, il s’agit de déterminer qui a
souscrit les engagements contractuels. Ainsi, dans la mesure où ces engagements
ont été passés avec une personne publique distincte de l'État, l'éventuelle clause
parapluie dans les traités bilatéraux d'investissement ne sera pas appelée à jouer.
La mauvaise exécution de l'accord (ou sa non-exécution) incombera à cette
personne publique au titre de sa responsabilité contractuelle qui sera examinée
au regard du droit applicable au contrat (qui pourra être le droit national de l'État
hôte de l'investissement). Ce n'est que si l'attitude de cette personne publique
trouve sa raison d'être dans un acte ou un fait de l'État lui-même que la
responsabilité de ce dernier pourra être recherchée en droit international (V. par
ex. § 102-114 de la sentence LLC AMTO).
126. Mais cette imputation n'est pas toujours facile. En effet, dans la mesure où
le cocontractant public est engagé dans une opération complexe avec un
investisseur étranger, comme par exemple dans le cas d'entreprises conjointes, il
n'est pas toujours facile de tisser un lien de causalité directe entre l'atteinte à ses
droits dont se plaint l'investisseur et les mesures de réorganisation sociétale
parfois intervenues (V. pour une vérification minutieuse en vertu de la loi de l'État
hôte, § 357 s. de sentence Alpha). Ainsi, le fait que le partenaire public ne se soit
pas acquitté des sommes prévues aux contrats ne signifie pas forcément qu'il a
été porté atteinte aux droits contractuels de l'investisseur qui existent toujours et
qu'il pourrait faire valoir devant les tribunaux nationaux (et spéc. § 365 s. ibid. où
le tribunal évite de se prononcer sur l'impossibilité pour le partenaire d'aliéner la
propriété publique sans autorisation afin de dénier à l'investisseur privé
l'acquisition d'un intérêt dans la propriété d'un bâtiment [hôtel] appartenant à
l'État).
127. Une autre difficulté tient au droit de la preuve (V. § 373 s. de la sentence
Alpha pour les difficultés de recueillir des preuves directes de l'intervention de
l'État et la nécessité de passer par des preuves indirectes. V. ibid. spéc. § 377 et
surtout § 424. – Adde : § 13 et 14 de la sentence Tokios Tokéles).
128. Enfin, une autre manière d'aborder le problème consiste à savoir si on est
en présence d'une mesure « de l'État » ou d'une mesure du cocontractant public.
Il n'est pas toujours facile de distinguer d'abord, parmi la production normative
de l'État, de véritables mesures susceptibles d'être examinées par les arbitres
(V. bien que statuant sur un problème de compétence, la distinction opérée par le
tribunal arbitral entre une « mesure » – le retrait d'un permis d'exploitation – et
une « politique » – l'interdiction de mener une activité minière aurifère –,
V. § 111-112 de la sentence CGC) entre les mesures adoptées par l'État
législateur et celles qui relèvent de la puissance publique cocontractante (V. pour
l'imputabilité des mesures à la collectivité locale cocontractante ou à l'État fédéral
qui aurait « obligé » la première à adopter un comportement lésant les intérêts
de l'investisseur et surtout contraire au traité, § 172-174 de la sentence
o
CIRDI/NAFTA n ARB/00/1 du 9 mai 2003, aff. AFD Group Inc. c/ USA, ci-après
« sentence AFD »). Cette distinction recoupe en partie la différence, importante
pour la détermination de la compétence du tribunal arbitral sous les auspices du
CIRDI, entre les mesures « directement liées » à l'investissement et celles qui
relèvent de la politique économique. « It follows that, in this context, questions of
general economic policy not directly related to the investment, as opposed to
measures specifically addressed to the operations of the business concerned, will
normally fall outside the jurisdiction of the Centre. A direct relationship can,
however, be established if those general measures are adopted in violation of
specific commitments given to the investor in treaties, legislations or contracts.
What is brought under the jurisdiction of the Centre is not the general measures
in themselves but the extent to which they may violate those specific
commitments » (italique ajouté : « Une relation directe peut néanmoins être
établie si ces mesures générales ont été adoptées en violation d’engagements
spécifiques pris en faveur de l’investisseur par traité, au moyen d’une loi ou dans
un contrat. Ce qui est soumis à la compétence du Centre ce ne sont pas les
mesures générales en elles-mêmes, mais plutôt la question de savoir dans quelle
mesure elles peuvent violer ces engagements spécifiques », traduction libre.
– V. § 27 de la sentence CMS. – Adde : § 60 de la sentence Enron). Ainsi, les
mesures adoptées par le cocontractant public mais sur mandat de l'État souverain
(ce qui d'ailleurs conduit à imputer ces mesures à ce dernier) peuvent être
examinées au regard de l'obligation (du traité) de l'État d'assurer un traitement
juste et équitable, mais également au regard de leurs obligations contractuelles
qui, elles, relèvent du droit national applicable (V. § 240 et § 247 de la sentence
EDF [Services] Ltd.).
129. En règle générale, les arbitres vérifieront que l'action de l'État (ou du
cocontractant public mais imputable à l'État) à l'égard de son partenaire
contractuel n'a pas conduit à une violation des dispositions de l'accord bilatéral de
protection des investissements. Pour l'essentiel, ces dispositions interdisent
os
l'expropriation (V. infra, n 130 s.). Mais si la mesure de l'État ne peut pas être
qualifiée de telle, les arbitres vérifieront si cette même action (ou inaction) a
présenté les caractères d'une violation de l'obligation de traitement juste et
os
équitable (V. infra, n 140 s.), ou de celle de protection de l'investissement
os
(V. infra, n 159 s.), avant d'examiner si l'État n'avait pas une excuse pour agir
os
comme il l'a fait (V. infra, n 162 s.).
er
Art. 1 - Action de l'État en tant qu'expropriation illicite
130. L'égalité juridique des contractants est ici contestée par l'existence d'un
déséquilibre en faveur du partenaire public qui disposerait de pouvoirs exorbitants
par rapport à son partenaire privé (notons au passage que l'argument symétrique
a parfois été avancé et repoussé, à savoir que le cocontractant public était dans
une position de faiblesse par rapport à l'investisseur ce qui permettrait de
contester a posteriori les gains accordés à l'investisseur, considérés en quelque
sorte comme le résultat d'un abus de faiblesse, pour remettre en cause le contrat
lui-même, V. § 471 de la sentence ADC où de surcroît les arbitres remarquent “no
challenge to any of the Project Agreements was ever made until well into these
proceedings. These arguments are far removed from the thinking of the parties at
the relevant time. It is also noted that ATAA [cocontractant public] has never
challenged these agreements. It is only Hungary now that seeks to do so as a
shield to fend off this claim under the BIT”). Constitueront un illicite international
les mesures que l'État adoptera qui présenteront les caractères d'une
os
expropriation (V. infra, n 139 s.) et qui revêteront une certaine intensité
os
(V. infra, n 131 s.).
er
§1 - Nature de l'expropriation
132. Il est acquis que l'expropriation au sens du droit international est soit une
mesure privative ou restrictive de propriété, soit une mesure ayant un effet
similaire. À ce titre, le terme mesure doit recevoir une acception large. Il peut
s'agir d'un ensemble de mesures dont aucune ne présente ce caractère mais dont
la somme conduit à cet effet (V. § 329 de la sentence Roussalis ; sentence
CNUDCI du tribunal arbitral ad hoc du 27 oct. 1989, aff. Biloune and Marine Drive
Complex Ltd. c/ Ghana Investments Centre and the Government of Ghana, 95
ILR 183, 209, ci-après « la sentence Biloune » ; § 318 s. de la sentence
Meerapfel). On ajoutera qu'il a été jugé qu'il pouvait y avoir mesure équivalente à
une expropriation dans une mesure unilatérale qui, en l'absence de contrat, a un
effet similaire à une mesure privative ou restrictive de propriété. Ainsi, « la
révocation du certificat d'entreprise franche [qui] les a contraints à arrêter toute
activité à partir du 13 août 1996, date de la dernière exportation, ce qui a privé
de toute utilité les investissements réalisés et dépouillé les investisseurs
requérants du bénéfice qu'ils pouvaient attendre de leurs investissements, […]
peut être regardée comme une “mesure ayant un effet similaire” à une mesure
privative ou restrictive de propriété » (V. § 124 de la sentence Goetz) ou la
suspension/abrogation d'une licence d'importation (V. § 107 de la sentence CIRDI
o
du 12 avr. 2002, aff. n ARB/99/6, Middle East Cement Shipping and Handling Co.
SA c/ Arab Republic of Egypt, ci-après sentence « Middle East Cement »), voire
comme le non-respect des procédures pour la saisie/vente d'un navire (V. § 144,
ibid. – Pour un cas particulier de refus de voir dans les mesures nationales une
expropriation même indirecte, V. § 252-264 de la sentence CMS). En revanche,
l'omission d'agir ne peut semble-t-il pas s'apparenter à une expropriation (V. § 84
de la sentence Olguín selon lequel « Expropriation therefore requires a
teleologically driven action for it to occur ; omissions, however egregious they
may be, are not sufficient for it to take place »).
137. Nonobstant les exemples déjà cités, il faut distinguer entre l'atteinte aux
droits contractuels et l'atteinte au traité. En effet, comme le dit l'arbitre, « It is
well established that the mere exercise by government of regulatory powers that
create impediments to business or entail the payment of taxes or other levies
does not of itself constitute expropriation » (V. sentence Feldman). Bien plus,
« Any investor entering into a concession agreement must be aware that
investment involves risks and that in some degree the investor's activities are
likely to be regulated and payments made for which the investor will not receive
compensating advantages […]. Similarly, unreasonable behaviour on the part of
officials and breaches of contract, even if serious, do not by themselves constitute
acts of expropriation » (« De la même manière, une conduite déraisonnable de la
part des autorités comme toute violation contractuelle, même sérieuse, ne
constitue pas forcément des actes d’expropriation », traduction libre, sentence du
o
17 févr. 2000, aff. n ARB/96/1, Compañia del Desarrollo de Santa Elena SA c/
Republic of Costa Rica, ci-après « sentence Santa Elena », § 77 ; sentence
Generation Ukraine, § 20.26 ; sentence Waste Management, § 145 ; sentence
Tecmed, § 115).
138. Certes, il est tout d'abord acquis que les droits contractuels peuvent faire
l'objet d'une expropriation et que celle-ci ouvre en principe droit à indemnisation
(V. sentence SPP § 164, 165 ; et sentence Impreglio I, § 274). Toutefois, si les
droits contractuels de l'investisseur ont pu être atteints par des mesures
étatiques, celles-ci peuvent fort bien ne pas tomber sous le coup du traité
lorsque, par exemple, elles ne peuvent être qualifiées de mesures d'expropriation
(pour une vérification, précisément, que la législation en cause était bien une
mesure d'expropriation indirecte et qu'elle constituait bien une violation du traité,
du moins des droits que le traité conférait à l'investisseur, V. § 304 s. de la
sentence ADC. – Adde : dans le même sens : la sentence Waste Management,
§ 171-174 ; la sentence Azinian, § 87 ; la sentence Telenor, § 64 ; et la sentence
Biwater, § 457, et le rappel très clair au § 339 de la sentence Meerapfel, « Il est
évident, à la lumière de la jurisprudence citée précédemment, que la simple
violation ou la dénonciation d'un contrat ne constitue pas, par elle-même, une
expropriation »). De la même manière, ce n'est pas parce que l'État a décidé qu'il
mettait un terme au contrat pour des raisons politiques (renationalisation du
secteur par exemple) que la mesure équivaudra automatiquement à une
expropriation (V. § 277 de la sentence Impregilo I et dans cette ligne § 10.3.23
o
de la sentence du 23 sept. 2010, aff. n ARB/07/22, AES Summit Generation
Limited and AES-Tisza Erömü Kft v. The Republic of Hungary, ci-après « sentence
AES II »).
§ 2 - Caractères de l'expropriation illicite
139. L'expropriation sera illicite si elle ne donne pas lieu à compensation juste et
os
préalable (V. infra, n 177 s.). Ainsi le caractère préalable de l'indemnisation est
une condition de la licéité internationale d'une mesure d'expropriation. Alors que
son caractère juste est à la fois une telle condition, mais également la sanction de
o
la responsabilité de l'État expropriant de manière illicite (V. infra, n 177). D'une
manière générale, pour déterminer si une mesure étatique équivaut à une
expropriation le test applicable consiste à vérifier si l'atteinte est suffisamment
contraignante pour conclure que le propriétaire a été privé du bien, étant entendu
qu'en droit international, l'expropriation requiert une « privation substantielle »
(« The conduct complained of must be such as to have a major adverse impact on
the economic value of the investment ») (V. sentence intérimaire du 26 juin 2000
dans l'aff. ALENA Pope & Talbot, Inc. c/ Gouvernement du Canada, CNUDCI,
Affaire Pope & Talbot Inc. c/ Gouvernement du Canada, sentence partielle du
o
26 juin 2000, Hasting international and comparative Law Review, 2000, n 3-4,
p. 431 s., § 102. – V. égal. sentence Tecmed, § 115 ; sentence CMS, § 262 ; et
§ 87 de la sentence Corn Products citant une affaire du 17 juill. 2006,
o
n ARB(AF)/02/01, Fireman's Fund Insurance Company v. Mexico, qui aurait
posé, comme suit, les critères de qualification d'une mesure expropriatrice selon
l'accord NAFTA « (a) Expropriation requires a taking (which may include
destruction) by a government-type authority of an investment by an investor
covered by the NAFTA. (b) The covered investment may include intangible as well
as tangible property. (c) The taking must be a substantially complete deprivation
of the economic use and enjoyment of the rights to the property, or of identifiable
distinct parts thereof (i.e., it approaches total impairment). (d) The taking must
be permanent, and not ephemeral or temporary. (e) The taking usually involves a
transfer of ownership to another person (frequently the government authority
concerned), but that need not necessarily be so in certain cases (e.g., total
destruction of an investment due to measures by a government authority without
transfer of rights). (f) The effects of the host State's measures are dispositive,
not the underlying intent, for determining whether there is expropriation. (g) The
taking may be de jure or de facto. (h) The taking may be “direct” or “indirect”. (i)
The taking may have the form of a single measure or a series of related or
unrelated measures over a period of time (the so-called “creeping”
expropriation). (j) To distinguish between a compensable expropriation and a
noncompensable regulation by a host State the following factors (usually in
combination) may be taken into account : whether the measure is within the
recognized police powers of the host State ; the (public) purpose and effect of the
measure ; whether the measure is discriminatory ; the proportionality between
the means employed and the aim sought to be realized : and the bona fide nature
of the measure. (k) The investor's reasonable “investment-backed expectations”
may be a relevant factor whether (indirect) expropriation has occurred »). À ce
titre, il semble que les facteurs déterminants incluent notamment l'intensité et la
durée de la privation économique subie par l'investisseur (V. la sentence Telenor,
§ 69 et sentence Meerapfel, § 355).
140. Bien entendu, toutes les mesures que l'État cocontractant est susceptible
d'adopter ne sont pas constitutives d'expropriation, qui demeure l'hypothèse
extrême. D'autres clauses du traité de protection des investissements peuvent
être invoquées pour tenter de contester lesdites mesures. Notamment les clauses
qui prévoient que l'État hôte garantit à l'investisseur un traitement juste et
équitable (« fair and equitable treatment », parfois mentionné par l’acronyme
FET. Il a été jugé que l'expression « equitable and reasonable » que l'on trouve
dans certains traités, était équivalente, V. § 277 de la la sentence Parckering). Il
a même été jugé que le standard qui ne figurait pas dans le traité pouvait
néanmoins trouver à s'appliquer grâce à une clause de la nation la plus favorisée,
contenue dans ce même traité, qui renvoyait ainsi à un tel standard inclus dans
d'autres traités passés par le même État (V. § 150 s. de la sentence Lesi-Astaldi).
Une question connexe est celle de savoir si l'expression contenue dans un traité
renvoie à un standard de protection équivalent, ou pas, à celui appartenant au
droit international coutumier. En général, et sauf précisions contraires du traité,
la réponse est affirmative (V. sentence Duke, § 337, et la jurisprudence citée.
– Contra, pour la Charte européenne de l'énergie, V. § 263 de la sentence Liman
Caspian). De manière générale cette obligation recouvre plusieurs exigences
os
(V. infra, n 141 s.), y compris une obligation de non-discrimination (V. infra,
os
n 155 s.).
er
§1 - Atteinte au contrat et traitement juste et équitable
143. La question des clauses de stabilisation qui est donc au cœur du contentieux
des State contracts mérite que l'on s'y attarde un instant (dans certaines
circonstances, la modification législative atteint le contrat en vidant de sa
substance la clause de stabilisation. Ainsi d'une dévaluation de la monnaie, V. par
ex. § 162 de la sentence CMS). À supposer que l'on se place bien sur le terrain de
l'État législateur, il ne fait pas de doute, du moins au regard de la loi applicable
au contrat lorsqu'il s'agit du droit de l'État contractant, que le contrat, quand bien
même il contiendrait un engagement de ne pas légiférer de manière à porter
atteinte aux droits contractuels de l'investisseur, ne pourrait valablement
s'opposer à une loi postérieure qui viendrait le remettre en cause. Au reste, en
droit français un tel engagement serait nul, un législateur ne pouvant pas lier un
autre législateur. En droit international, il a été prétendu que l'aléa législatif
faisait partie intégrante du risque que l'investisseur assume de prendre en
contrepartie de la rémunération attendue. Outre le fait que le risque de
l'investissement est d'abord un risque économique plus que juridique, il a été
répondu, d’une part, que, si les investisseurs sont capables d'intégrer un certain
degré d'évolution de la législation qui leur est applicable, ils ne peuvent guère
intégrer dans le risque normal de l'investissement l'éventualité d'une
expropriation et, d'autre part, qu'à supposer qu'ils le puissent « they took that
risk with the legitimate and reasonable expectation that they would receive fair
treatment and just compensation and not otherwise. » (V. § 424 de la sentence
ADC. – Comp. avec § 442-443 de la sentence Saluka. – Adde la sentence Azurix).
En revanche, et pour autant que le contrat contienne une clause d'arbitrage et
une clause de droit applicable mêlant droit national et droit international (ou
principes généraux au sens de l'article 38 du statut de la CIJ), il sera possible de
tempérer les effets d'une telle législation sur les droits contractuels de
l'investisseur (le droit international ne pouvant interdire à un État souverain de
faire usage de son pouvoir législatif, mais seulement en limiter les effets). On
s'en rendra compte à travers l'hypothèse où le contrat se situe dans l'orbite d'un
traité bilatéral de couverture par lequel l'État cocontractant a pu précisément
limiter son pouvoir législatif souverain (V. § 423 de la sentence ADC).
145. La référence à de telles clauses doit donc être doublement bien comprise :
en premier lieu, leur opposabilité à l'État n'a pas pour conséquence de
matérialiser une impossibilité de légiférer, mais plutôt de rendre ces légitimes
modifications législatives inopposables à l'investisseur en faveur duquel ces
clauses ont été souscrites ou du moins à lui ouvrir droit à compensation pour le
dommage que lui causeraient ces modifications législatives. En second lieu, la
reconnaissance de l'inaliénabilité du pouvoir législatif de l'État ne vaut pas brevet
de licéité internationale de toute modification législative. Celles-ci restent
soumises à leur compatibilité avec le droit international coutumier et
os
conventionnel (V. supra, n 119 s.). Les clauses de stabilisation du moins leur
respect vis-à-vis de l'investisseur venant rajouter une condition (obligation ?)
supplémentaire aux standards que l'État est tenu de respecter de manière
générale (traitement juste et équitable, entière protection… ; V. en l'absence de
clause de stabilisation, § 620-621 de la sentence TECO et, dans le même sens,
o
sentence El Paso, § 364 ; sentence au fond du 22 mai 2012, aff. n ARB
(AF)/07/14, Mobil Investments Canada Inc. and Murphy Oil Corporation c/
Canada, § 153, ci-après « sentence Mobil »).
149. Dans la mesure où l'étalon du comportement licite paraît être celui résultant
des légitimes attentes de l'investisseur, il convient de préciser quel sens donner à
cette expression tant elle semble autoriser une approche subjective et très
extensive de l'obligation miroir (V. FIETTA, Expropriation and the “Fair and
Equitable” Standard : The Developing Role of Investors' “Expectations” in
International Investment Arbitration, Journ. of International Arbitration 2006/5,
p. 375. – CAMPBELL, House of Cards : The Relevance of Legitimate Expectations
under Fair and Equitable Treatment Provisions in Investment Treaty Law, Journ.
of International Arbitration 2013/4, p. 361. – DUMBERRY, The Protection of
Investors' Legitimate Expectations and the Fair and Equitable Treatment Standard
under NAFTA Article 1105, Journ. of International Arbitration 2014/1, p. 47).
150. À cet égard, il faut bien comprendre que ces attentes ne sont pas seulement
une vision subjective, mais celles résultant d’une vision plus objective qu'un
investisseur placé dans les mêmes circonstances pourrait entretenir. Or, bien
entendu, elles seront différentes d'un cas à l'autre en fonction du cadre factuel et
réglementaire de chaque affaire. En premier lieu, l'obligation de traitement juste
et équitable résultera davantage de l'engagement de l'État pris dans le traité
bilatéral applicable que de l'attente subjective des investisseurs (V. décision du
o
Comité ad hoc du 21 mars 2007, aff. n ARB/01/7, MTD Équity Sdn. Bhd. et MTD
Chile SA c/ Chili, ci-après « décision MTD Équity », et § 344 de la sentence
Parkerings qui montre bien que les attentes légitimes ne se confondent pas avec
les dispositions contractuelles : « It is evident that not every hope amounts to an
expectation under international law. The expectation a party to an agreement
may have of the regular fulfilment of the obligation by the other party is not
necessarily an expectation protected by international law. In other words,
contracts involve intrinsic expectations from each party that do not amount to
expectations as understood in international law »). Ensuite, et la jurisprudence en
donnne une idée, il convient de distinguer deux cas : « The expectation is
legitimate if the investor received an explicit promise or guarantee from the host-
State, or if implicitly, the host-State made assurances or representation that the
investor took into account in making the investment ». De sorte que, dans le
premier cas où l'État s'est formellement engagé à ne pas modifier le cadre
législatif ou du moins à ne pas appliquer au contrat les éventuelles modifications
de celui-ci, c’est-à-dire au moyen par exemple d'une clause de stabilisation si
l'État est partie au contrat, il est en principe normal de considérer que cet
engagement a fait naître une attente légitime concernant la sécurité juridique du
cadre contractuel sous réserve de plus amples précisions (V. plus
particulièrement § 330 s. de la sentence Parckering).
157. C'est pourquoi la principale difficulté est bien entendu de qualifier une autre
situation de comparable. Certes, nombreuses sont les sentences qui ont dû
aborder ce problème (V. par ex. § 173-176 de la sentence finale CNUDCI du
er o
1 juill. 2004, aff. n UN 3467, Occidental Exploration and Production Company
v. Republic of Ecuador, ci-après « sentence Occidental » ; § 170 s. de la sentence
Feldman ; § 248-250 de la première sentence partielle NAFTA/CNUDCI du 13 nov.
2000, aff. S.D. Myers, Inc v. The Government of Canada, ci-après « sentence
Myers »). Cependant l'analyse n'est pas sans risque. En premier lieu, la référence
diffère selon que le traité contient une clause de traitement national ou une
clause de la nation la plus favorisée : dans le premier cas, c'est évidemment par
rapport à un investisseur comparable domestique que portera la comparaison
(V. § 78 de la sentence phase 2 NAFTA du 10 avr. 2001, aff. Pope & Talbot Inc.
v. The Government of Canada). Parfois l'établissement de la comparaison n'est
pas si évident et doit être effectué au regard de la mesure étatique en cause,
même si celle-ci est apparemment générale (V. § 132 de la sentence Corn
Products au regard d'une mesure fiscale apparemment générale). Dans le second
cas, c'est par rapport à un investisseur de nationalité différente du requérant
mais dans le même État hôte de l'investissement (V. § 370 s. de la sentence
Parkerings). Toutefois, dans les deux hypothèses, la comparaison peut exiger
d'entrer dans le détail des projets et de scinder l'investissement en parties
comparables. On en mesurera les difficultés aux § 377-430 de la sentence
Parkerings (sur le point de savoir dans quelle mesure la « jurisprudence » des
panels du GATT ou de l'OMC peut être utile, V. § 120 s. de la sentence Corn
Products et la jurisprudence citée, notamment sur la distinction entre produits
similaires et situations similaires, et l'analyse du tribunal proche du droit de la
concurrence § 126 et surtout § 138).
159. Dans un grand nombre de conventions les États se sont engagés à apporter
(entière) protection et sécurité aux investissements des ressortissants de l'autre
État partie. Cette obligation a également été invoquée par le cocontractant de
l'État pour faire juger illicite la violation du contrat. Que recouvre une telle
obligation ?
160. Certaines sentences ont estimé que « in international law, the full protection
and security obligation is one of “due diligence” and no more » (Adde : l'arrêt
o
précité de la CIJ dans l'affaire Elettronica Sicula Spa [ELSI], cité infra, n 161 ; et
les sentences AAPL, Tecmed et Noble Ventures). Cependant, d'autres ont estimé
que l'obligation d'accorder à l'investissement protection et sécurité exige de la
part de l'État une action positive (V. § 6.05 de la sentence AMT). Lorsque
l'engagement dans le traité va jusqu'à exiger de l'État hôte qu'il accorde une
« totale » protection et sécurité (full protection and security), certains arbitres en
ont tiré les conséquences en interprétant l'obligation comme allant « beyond
mere physical security and includes affording a commercial and legal and secure
investment environment » (V. § 408 de la sentence Azurix et § 729 de la
sentence Biwater ; adde les sentences précitées dans les aff. Siemens et
Vivendi I). D'autres en revanche ont considéré qu'il n'existait aucune différence
en dépit d'une rédaction légèrement différente (V. § 354 de la sentence
Parkerings : « It is generally accepted that the variation of language between the
formulation “protection” and “full protection and security” does not make a
significant difference in the level of protection a host State is to provide »).
161. Quant au contenu de l'obligation, il est nécessaire d'indiquer que, selon le
sens qu'on lui donne, le degré de protection pourra varier d'un État à l'autre. En
effet, si l'on se situe dans une hypothèse où l'État n'est pas responsable de l'acte
qui a causé un dommage à l'investisseur (comme un acte de vandalisme ou un
vol par un tiers), il semble que le degré de protection exigé de l'État sera
susceptible de varier selon les moyens à sa disposition et bien entendu l'ampleur
de l'événement qu'il était supposé prévenir (V. par ex. § 82 de la sentence
Pantechniki). Si l'État est responsable de l'événement en question, on retombe
sur les problématiques examinées aux deux paragraphes précédents. Une
question particulière est celle de l'hypothèse où l'investisseur reproche à l'État
son indifférence au sort qui lui a été fait par son cocontractant public. Cette
abstention sera plus difficile à mettre en cause mais devra également être
prouvée, c'est-à-dire appuyée par des éléments matériels (or l'absence de preuve
suffisante peut conduire l'arbitre à prononcer un « non-lieu » et à « relaxer »
o
l'État, V. par ex. § 92 de la sentence CIRDI du 21 nov. 2000, aff. n ARB/97/3,
Compañía de Aguas del Aconquija, SA & Compagnie générale des eaux c/
Argentine Republic, ci-après « sentence CGE »). Il est ainsi des décisions qui en
tempèrent la portée à commencer d'ailleurs par la Cour internationale de justice
elle-même (dans l'affaire Elettronica Sicula SpA [ELSI], United States of America
c/ Italie, arrêt du 20 juill. 1989, Rec. CIJ, p. 15, § 108) qui indique qu'« il n'est
pas possible de voir dans l'octroi “de la protection et de la sécurité […]
constantes” prévu à l'article V la garantie qu'un bien ne sera jamais, en quelque
circonstance que ce soit, l'objet d'une occupation ou de troubles de jouissance ».
Dans la sentence Noble Ventures (§155-166), le tribunal arbitral considéra qu'une
grève, même avec occupation d'usine, n'était pas une menace pour
l'investissement dont l'État devait protéger l'investisseur. Dans l'affaire déjà citée
Saluka (§ 483-484), un autre tribunal arbitral a jugé que « the obligation to grant
full security does not address all kinds of impairment, but only those which affect
the physical integrity of the investment against the use of force » (Adde : § 203
de la sentence Rumeli ; § 84-95 de la sentence Wena Hotels ; sentence AAPL et,
toujours dans le même sens, § 289 de la sentence Liman Caspian). Mais, même
si le comportement de l'État est passé au filtre des obligations figurant dans le
traité de protection des investissements, et en dépit même de la rédaction assez
large des clauses de ces traités, tout comportement de l'État n'est pas susceptible
d'être appréhendé par ces dernières. Ainsi par exemple, s'agissant de la
négligence de l'État pris dans son pouvoir de surveillance ou de régulateur, la
sentence Olguín (V. § 73) estime que « Nonetheless, this hypothesis must be
discarded, since there is no rule in the BIT relating to “gross omissions” that
would serve as a basis for the Claimant's cause of action ».
er
§1 - Excuses inadmissibles
165. Dans d'autres décisions, les arbitres ont refusé de trancher la question
estimant que même si des irrégularités formelles avaient été commises
(notamment lors de l'enregistrement des sociétés ou de l'investissement), le
tribunal préférait s'en tenir à la réalité substantielle de l'investissement (V. § 86
de la sentence Tokios Tokéles, et § 297 de la sentence Alpha). On ajoutera que,
parfois, point n'est besoin de recourir au droit international, il suffit, lorsqu'elles
existent, d'opposer à l'État les « déclarations et les garanties » (« representations
and warranties ») qu'il a souscrites contractuellement, notamment celles par
lesquelles il certifie que tous les engagements pris sont « valables, légaux,
opposables et exécutables » (V. par ex. §141 de la sentence Liman Caspian),
quand bien même le cocontractant privé aurait été au courant du risque
d'illégalité de la clause.
166. On ajoutera ici, bien qu'il semble qu'elle puisse glisser sous la catégorie
envisagée au paragraphe suivant, l'hypothèse où ce n'est pas l'État lui-même qui
est partie au contrat (dans l'hypothèse déjà entrevue où il n'existe pas de
(State-)contrat à proprement parler, cette circonstance sera de nature à influer
sur la question de la responsabilité de l'État, V. par ex. § 128 de la sentence
Goetz), mais un établissement ou une entreprise publique. En ce cas, la question
qui se pose est celle de savoir si l'intervention de l'État législateur peut être
considérée comme un « fait du prince » exonérant le cocontractant public de
toute responsabilité pour l'inexécution du contrat (V. sentence CCI, 25 avr. 1985,
Sofidif, citée par KAHN, Souveraineté de l'État et règlement du litige. Régime
juridique du contrat d'État, Rev. arb. 1985. 641 s., spéc. p. 653, note 19). À cet
égard, on note une évolution jurisprudentielle dans le contentieux contractuel, car
la distinction n'a pas de sens dans le cadre d'un arbitrage CIRDI pour les raisons
maintes fois évoquées. Il fut un temps, en effet, où l'entreprise publique n'était
jamais considérée comme une entité distincte de l'État et, par voie de
conséquence, l'intervention de la loi nouvelle n'était jamais considérée comme un
événement « extérieur » pour elle (V. sentence arbitrale 1958, Jordan Investment
Ltd. c/ Sojnznefrexport, ILR, vol. 27, p. 631 et l'arrêt de la Chambre des Lords,
6 juill. 1978, Czarnikow Ltd. c/ Rolimpex, ILM 1978. 1978). Désormais et depuis
la sentence SPP, il semble que l'arbitre examine avec soin si les circonstances
permettent d'établir que le cocontractant de l'investisseur, fût-il proche de l'État,
est plus sujet qu'auteur de l'obligation législative nouvelle (V. sentence CCI
o
n 3742, 1983, JDI 1984. 910).
§ 2 - Excuses admissibles
167. Il est des motifs avancés par les États pour justifier leur comportement
portant atteinte au contrat qui ont été acceptés par les tribunaux arbitraux.
Toutefois ces excuses ont une portée limitée (à ce titre il suffit de citer pour le
moment le projet d'article 27 de la CDI sur la responsabilité des États s'agissant
des causes légitimant ce qui serait autrement un fait internationalement illicite,
qui indique que « L'invocation d'une circonstance excluant l'illicéité conformément
au présent chapitre est sans préjudice : […] b) De la question de l'indemnisation
de toute perte effective causée par le fait en question ») et surtout leur
acceptation est subordonnée à des conditions strictes.
168. La poursuite d'un intérêt public par l'État qui porte atteinte au contrat, est-
elle un facteur susceptible de légitimer son action au point de faire disparaître
l'illicéité de son action au regard du droit international normalement applicable ?
On sait bien entendu qu'un État ne peut se retrancher derrière les exigences,
fussent-elles constitutionnelles, de son ordre juridique pour échapper à la
constatation de l'illicéité internationale de son action. Néanmoins il est loisible au
traité bilatéral de prévoir (la question de la clause contractuelle équivalente est
différente), et celui-ci prévoit d'ailleurs souvent, la possibilité (licite) pour l'État
de revenir sur les droits contractuels par une mesure législative, à la condition
que cette législation poursuive un intérêt public (citons pour exemple l'art. 1 § 6
du traité bilatéral de protection des investissements du 15 nov. 2002,
France/Mozambique, aux termes duquel « Nulle disposition du présent accord
n'est interprétée comme interdisant à l'une des Partis contractantes de prendre
une mesure quelconque pour réguler l'investissement des sociétés étrangères et
les conditions d'activité de ces sociétés dans le cadre de politiques conçues pour
préserver et promouvoir la diversité culturelle et linguistique »). Parfois, les
clauses sont rédigées en des termes plus généraux (« This Treaty shall not
preclude the application by either Party of measures necessary for the
maintenance of public order, the fulfillment of its obligations with respect to the
maintenance or restoration of international peace or security or the protection of
its own essential security interests », article XI du modèle de traité passé par les
États-Unis). Toutefois, cet intérêt public doit être réel et démontré comme
l'explique les arbitres « a treaty requirement for “public interest” requires some
genuine interest of the public. If mere reference to “public interest” can magically
put such interest into existence and therefore satisfy this requirement, then this
requirement would be rendered meaningless since the tribunal can imagine no
situation where this requirement would not have been met » (V. § 432 de la
sentence ADC).
170. En effet, et pour autant que l'intervention législative de l'État soit bien de
nature à porter atteinte à l'investissement (en supprimant par exemple telle
activité du domaine des investissements étrangers ou en modifiant
considérablement le statut fiscal et/ou douanier d'une activité), l'État peut-il
trouver une justification à cette mesure ? (pour une tentative de l'État de
Roumanie de justifier l'activité duty free dans les aéroports par un souci de se
conformer à la législation de l'Union européenne en la matière et en matière de
lutte contre le blanchiment des capitaux, V. § 289 de la sentence EDF [Services]
Ltd. La sentence n'aborde pas véritablement le problème, se contentant de
vérifier que la mesure a été prise dans l'intérêt général et n'est pas
discriminatoire, V. § 292, ibid., « Thus, [the legislative measure], although
possibly aiming as well toward a gradual alignment with the EU system, was
certainly prompted by the need to fight corruption, as indicated by the
Substantiation Note and as confirmed by the foregoing circumstances. [It]was
therefore a measure falling within the police power of the State, taken in the
public interest »). L'argument relatif aux contraintes européennes a également
été invoqué du fait de l'adhésion ou de l'appartenance de l'État à l'Union
européenne (et qui l'aurait obligé à réguler les prix ou à adopter certaines règles
portant atteinte à l'intégrité de l'investissement), V. § 7.6.10, 10.3.18 et 16.1. de
la sentence AES, qui semble admettre que si la Hongrie avait entendu se
conformer à une décision de la Commission quod non cela aurait constitué une
mesure raisonnable, sous-entendu lui aurait permis d'échapper à la mise en
lumière de la violation de ses obligations donc de sa responsabilité. Il conviendrait
de nuancer. Il n'est pas certain que l'obligation en droit de l'Union européenne
puisse constituer, au regard du droit international, une excuse permettant
d'effacer la violation d'une obligation valablement souscrite par traité (la question
est peut-être différente si l'obligation a été dès le départ souscrite en violation
des obligations du droit de l'Union). En droit de l'Union le symétrique ne serait
pas possible. Un État ne pourrait se retrancher derrière ses obligations
internationales pour ne pas respecter la norme du droit de l'Union. Si l'obligation
internationale résultait d'un traité entre États membres, le principe de primauté
du droit de l'Union s'y opposerait ; si celle-ci émanait d'un traité avec les États
tiers, c'est soit l'article 351 du TFUE qui s'appliquerait pour le traité antérieur à
leur appartenance à l'Union, soit à nouveau le principe de primauté pour les
traités postérieurs. Mais en droit international les situations seraient inversées, et
on ne voit pas pourquoi le respect du droit de l'Union constituerait, pour le droit
international, une excuse absolutoire de la violation d'un traité valablement
souscrit (Adde, à propos de la fiscalité du tabac : sentence CIRDI du 16 décembre
2002, Feldman, § 101. Sur les conséquences de la sentence sur les contentieux
fiscaux nationaux, V. § 88 de la même sentence. Sur les clauses de sauvegarde
o
du traité bilatéral, à distinguer du cas de force majeure, V. infra, n 173 ;
V. § 332-374 de la sentence CMS et la discussion sur le rattachement d'une
situation de crise économique à une question de maintien de la paix ou de la
sécurité de l'État non seulement, de l'avis de l'État partie, mais également
objectivement).
171. Un sort particulier doit être fait aux excuses fondées sur l'existence d'un
« état de nécessité » (économique), nécessairement temporaire, susceptible de
justifier les mesures remettant en cause le contrat, car elles ont fait l'objet d'un
certain nombre de sentences récentes concernant principalement les contentieux
opposant les investisseurs à l'État argentin. C'est que l'état de nécessité fait
partie des articles du projet de la CDI concernant la responsabilité internationale
de l'État. On lit en effet à son article 25, « État de nécessité : 1. L'État ne peut
invoquer l'état de nécessité comme cause d'exclusion de l'illicéité d'un fait non
conforme à l'une de ses obligations internationales que si ce fait : a) Constitue
pour l'État le seul moyen de protéger un intérêt essentiel contre un péril grave et
imminent ; et b) Ne porte pas gravement atteinte à un intérêt essentiel de l'État
ou des États à l'égard desquels l'obligation existe ou de la communauté
internationale dans son ensemble. 2. En tout cas, l'état de nécessité ne peut être
invoqué par l'État comme cause d'exclusion de l'illicéité : a) Si l'obligation
internationale en question exclut la possibilité d'invoquer l'état de nécessité ; ou
b) Si l'État a contribué à la survenance de cette situation ». On notera la
formulation négative de la règle qui, considérant que cette possibilité est une
dérogation, induit une interprétation sinon restrictive du moins stricte d'une telle
possibilité et des conditions posées à son invocabilité.
172. Il semble que la Cour internationale ait d'ores et déjà reconnu le caractère
coutumier de cette excuse (V. CIJ 25 sept. 1997, aff. du projet Gabcikovo-
Nagymaros [Hongrie c/ Slovaquie], Rec. CIJ, p. 7, § 51, « La Cour considère tout
d'abord que l'état de nécessité constitue une cause, reconnue par le droit
international coutumier, d'exclusion de l'illicéité d'un fait non conforme à une
obligation internationale. Elle observe en outre que cette cause d'exclusion de
l'illicéité ne saurait être admise qu'à titre exceptionnel »). Cependant, les
conditions posées pour sa réception ont rarement été réunies (V. § 331 de la
sentence CMS). En revanche, plus floue est la prétendue distinction entre le droit
coutumier relatif à l'état de nécessité susceptible de légitimer une violation du
droit qui, autrement, aurait existé et les clauses des conventions bilatérales de
protection des investissements relatives aux mesures de sauvegarde
« nécessaires » qui, si les conditions sont réunies, rendent le traité inapplicable
(V. SCHILL, International Investment Law and the Host State's Power to Handle
Economic Crises, Journ. of International Arbitration 2007/3, p. 265, et § 129-134
de la décision du Comité ad hoc CMS II et § 119 s. de la décision du Comité ad
hoc CCC. – V. égal. MARTIN, Investment Disputes after Argentina's Économic
Crisis : Interpreting BIT Non-precluded Measures and the Doctrine of Necessity
under Customary International Law, Journ. of International Arbitration 2012/1,
p. 49 ; et ALVAREZ-JIMENEZ, Foreign Investment Protection and Regulatory
Failures as States'Contribution to the State of Necessity under Customary
International Law, Journ. of International Arbitration 2010/2, p. 141). Si on lit
correctement l'article 25 du projet CDI, une chose est claire, les traités peuvent
empêcher dans certains cas les États d'invoquer cet état de nécessité alors que le
droit coutumier le leur aurait permis. Dans ces conditions on ne voit pas pourquoi
l'inverse ne pourrait pas être admis, à savoir une ouverture plus grande d'une
telle possibilité par le traité.
174. Enfin, la dernière excuse invocable a priori est celle de la force majeure,
conçue, on le sait, comme un événement irrésistible, imprévisible et extérieur à
celui qui l'invoque. Pour une longue analyse des conditions de la force majeure et
de leur réunion (ou pas en l'espèce), à propos de la violation unilatérale d'une
obligation du contrat de concession, V. § 107-129 de la sentence Liman Caspian.
De manière plus générale que symétrique, voir l'affirmation selon laquelle la
clause contractuelle de la force majeure ne peut jouer – son rôle exonératoire –
que si le contrat est en vigueur, et non lorsque l'investisseur n'a pas procédé,
comme il le devait, à la demande de prolongation de son permis d'exploiter, in
§ 231 de la sentence RSM confirmée par les § 103 et s. de la décision du comité
ad hoc du 20 février 2013 dans la même affaire. Si, comme on l'a vu (V. supra,
o
n 166), il semble qu'une modification législative empêchant le cocontractant
public d'honorer ses engagements ne peut que rarement être considérée comme
un fait du prince exonératoire de la responsabilité contractuelle du partenaire
public, la même modification législative peut parfois être justifiée, en tout cas
être présentée comme justifiée, par une force majeure exonérant le cocontractant
public (mais ouvrant droit à compensation pour l'investisseur), V. § 310-313 de la
sentence CIRDI Parkerings.
175. Pour conclure sur le point des excuses, un mot est nécessaire concernant
l'attitude des parties au contrat d'État. Et en premier lieu, celle de l'investisseur.
Celle-ci peut-elle justifier l'atteinte portée au contrat par l'État cocontractant ? Il a
été jugé que l'opposabilité de la clause d'intangibilité à l'État pourra varier selon
l'attitude initiale de l'investisseur, principalement au regard de l'obligation de
bonne foi. C'est en effet sur ce fondement qu'a parfois été mise à la charge de
l'investisseur une obligation d'informer l'État cocontractant, avec loyauté, sur le
projet industriel et les risques de celui-ci. Ainsi, la sentence Klöckner bien qu'elle
ait été ensuite annulée (décision du Comité ad hoc du 3 mai 1985, dans la même
affaire) avait posé comme principe que, dans des projets complexes, le
fournisseur principal des prestations en nature est soumis à une obligation
spécifique d'information permanente, même si son partenaire est un État. Cette
obligation a parfois été reprise (V. sentence Atlantic Triton et sentence CCI
o
n 5030 de 1992, JDI 1993. 1004), bien que le plus souvent en liaison avec
l'obligation de l'État d'informer son partenaire sur les particularités du système
local. En toute hypothèse, il parait certain, sinon acquis, qu'un manquement à
l'obligation de conseil ou d'information, de la part de l'investisseur, sera de nature
à influer sur le partage des responsabilités en cas de violation de cette clause. La
situation est plus incertaine en cas d'absence de clause en la matière.
os
178. Avant d'aborder la question du préjudice indemnisable (V. infra, n 184 s.)
os
et celle du calcul de l'indemnisation (V. infra, n 195 s.), quelques précisions
liminaires sont indispensables. En premier lieu, l'illicite international que
représente la violation par l'État de ses engagements contractuels, non pas, on le
rappelle, au regard du contrat d'État mais au regard du traité, entraîne, si aucune
excuse n'est admise, la responsabilité internationale de l'État (c'est d'autant plus
évident lorsque la responsabilité de l'État est mise en évidence par rapport à des
obligations qui n'existaient pas dans le contrat mais dont la source est le traité,
V. § 451 et 452, et surtout § 480 de la sentence Kardassopoulos, et encore plus
lorsqu'il n'y a pas de contrat du tout, V. § 76 s. de la sentence Mitchell). Certes,
on le répète également, une responsabilité contractuelle peut exister ou non
parallèlement, mais en toute hypothèse elle sera jugée elle, conformément au
droit applicable au contrat, et ne sera pas, même si ce droit est en tout ou partie
les principes du droit international, une responsabilité internationale (V. par ex.
sur les liens entre les deux responsabilités, § 228 s. de la sentence CMS). Seule
la violation du traité (ou du droit coutumier, voire des principes généraux avec
os
toutes les réserves émises, V. supra, n 116 s.) donnera naissance à une
responsabilité internationale et c'est conformément au droit international et à la
jurisprudence internationale que l'État sera tenu pour responsable (par ex.
sentence AAPL, sentence AMT, § 391 s. de la sentence Kardassopoulos. – V. le
projet d'article 1 de la CDI « Tout fait internationalement illicite de l'État engage
sa responsabilité internationale »). Il faut ajouter que cette application du droit
international n'exclut pas toute référence au droit national et pas forcément à
celui de l'État cocontractant (V. la référence à la jurisprudence administrative
française – notamment celle du Conseil d'État – pour vérifier que l'action de l'État
n'a pas entraîné une responsabilité de ce dernier et que la mesure étatique
prévoyant une dévaluation du peso argentin répondait – en l'espèce la réponse a
été négative – aux critères posés par la jurisprudence du Conseil d'État en
matière d'imprévision, V. § 224 s. de la sentence CMS « The approach taken by
the French Conseil d'État, however, as will be explained, is most pertinent for the
attribution of liability in the present case »).
180. En troisième lieu, cette responsabilité n'est pas fautive au sens où l'entend
parfois le droit interne (rares sont les sentences qui parlent explicitement d'une
responsabilité pour faute, V. par ex. § 290 de la sentence Desert Line qui utilise
l'expression pour la contrainte exercée par l'État sur l'investisseur [et son
personnel] pour l'amener à conclure une transaction). En réalité, la violation des
standards de comportement prescrits par les traités de protection des
investissements n'est pas une responsabilité pour faute. Comme le relève le
commentaire du projet d’article 2 de la CDI, le droit international a depuis
longtemps pris soin de présenter la responsabilité de l'État de la manière la plus
objective possible : « Une question connexe est de savoir si la faute constitue un
élément nécessaire du fait internationalement illicite de l'État. Il n'en va
certainement pas ainsi si, par “faute”, on vise par exemple l'existence d'une
intention malveillante. En l'absence de toute exigence spécifique d'un élément
psychologique aux termes de l'obligation primaire, seul importe le fait de l'État,
indépendamment de toute intention » (CRAWFORD, Les articles de la CDI sur la
responsabilité de l'État, 2003, Pédone, p. 102, et § 393 de la sentence
Kardassopoulos). En revanche, l'attitude de l'État, donc le caractère de la
violation (lourde ou pas), pourra jouer un rôle dans la prise en compte nuancée
os
des excuses (V. supra, n 161 s.).
er
Art. 1 - Préjudice indemnisable
184. Plus que la vaine quête d'une stabilité contractuelle, dont on ne peut guère
concevoir l'existence ou le maintien sans la volonté du partenaire étatique – on
o
laisse ici à part l'étrange décision Texaco-Calasiatic (préc. supra, n 17),
condamnant l'État libyen à revenir sur une mesure de nationalisation (restitutio in
integrum, V. toutefois § 132 de la sentence Goetz envisageant cette solution
comme une alternative). Pour être honnête cette solution peut revendiquer une
légitimité internationale puisqu'elle est celle préconisée par la Cour permanente
de justice internationale en cas de fait illicite (V. CPJI 13 sept. 1928, aff. Usine de
o
Chorzów [Allemagne c/ Pologne], Rec. CPIJ, série A, n 17 –, la pratique arbitrale
s'est de plus en plus attachée à définir un régime de responsabilité pour toute
inexécution contractuelle). Bien entendu cette recherche de responsabilité n'est
pas complètement désintéressée puisqu'elle débouche sur la définition d'une
compensation adéquate (restitutio in pristinium). Précisons ici que toute
inexécution contractuelle n'est pas constitutive d'un illicite international. On a vu
qu'il existait des excuses possibles à certaines inexécutions. Le droit en tire les
conséquences en termes d'indemnisation. Par exemple en matière de
nationalisation, le droit international distingue entre l'acte illicite, qui donne au
ressortissant étranger un droit à réparation intégrale, et l'acte licite qui ne
confère qu'un droit à compensation (Comp., à cet égard, sentence Texaco-
Calasiatic, préc., avec sentence British Petroleum Exploration Co. Ltd. c/
Gouverneur de la République arabe libyenne, 10 oct. 1973, ILR, vol. 53, spéc.
p. 356, et § 481 de la sentence ADC). Au demeurant, la sentence SPP dans
l'affaire du plateau des Pyramides exprime bien cette idée : « Au regard du droit
international, la défenderesse avait clairement le droit d'annuler un projet de
développement touristique situé sur son propre territoire, dans le but de protéger
des antiquités. Cette prérogative est un attribut incontestable de la souveraineté
[…] Ce droit a été exercé dans un but d'intérêt public » (Adde : § 131-132 de la
sentence Goetz). Souvent la licéité de l'inexécution contractuelle est subordonnée
à l'existence d'une indemnisation, le raisonnement donnant ainsi l'impression de
tourner en rond. Il faut cependant distinguer entre le principe de l'indemnisation
souvent préalable qui conditionne la licéité de la mesure et le quantum de
l'indemnisation qui lui est conditionné par la licéité de la mesure. Il n'empêche
que si l'indemnisation n'est finalement pas « juste » ou « équitable », elle pourra
rétroagir sur la licéité de la mesure.
185. Bien entendu cette éventuelle indemnisation, quelle qu'elle soit, n'existera
que s'il existe un lien de causalité entre le dommage dont se plaint l'investisseur
et les actes illicites de l'État (V. § 11-9 s. de la sentence Gemplus et la
jurisprudence citée). Ainsi tout le préjudice subi par le cocontractant ne sera pas
indemnisable : seul celui trouvant sa source dans la mesure étatique le sera
(V. s'agissant des mesures prises par l'État argentin à la suite de la crise
économique du début des années 2000, la part du dommage imputable à la crise
économique quand bien même la mesure étatique ne serait pas intervenue ;
§ 248 de la sentence CMS).
er
§1 - Valeur de l'investissement
188. Ce sont ces principes qui ont été appliqués dans de nombreuses sentences
(V. sentence Myers, § 311 ; sentence Metalclad, § 122 ; sentence CMS, § 400 ;
sentence de la CCI de Stockholm du 29 mars 2005 [à propos de la Charte
o
européenne de l'environnement], dans l'aff. n 126/2003, Petrobart Limited c/
République kirghize, § 77-78, ci-après « sentence Petrobart » ; sentence Équity,
§ 238 ; ainsi que la sentence du tribunal irano-américain dans l'affaire Amoco
International Finance Corporation v. Iran, 15 IRAN–U.S. C.T.R., p. 189, spéc.
p. 246 [§191-194] ; sentence Kardassopoulos, § 503 s.), pour arriver à la
conclusion que la somme versée à ce titre sera, en principe, celle égale à la
valeur de l'investissement au moment de son expropriation. Le raisonnement qui
conduit à cette règle s'appuie sur la prémisse que la valeur des investissements a
considérablement chuté depuis la mesure étatique spoliatrice. Dès lors, il s'agit
d'éviter que l'investisseur ne perde totalement son investissement. La plupart de
ces sentences ayant été bâties sur des principes qui ont eux-mêmes été établis à
partir de cas d'expropriation, peut se poser la question de la pertinence de ces
principes pour l'indemnisation des autres dommages (V. par ex. TSCHANZ et
VIÑUALES, Compensation for Non-expropriatory Breaches of International
Investment Law, Journ. of International Arbitration 2009/5, p. 729).
190. Quoi qu'il en soit les hypothèses de responsabilité de l'État ont conduit les
arbitres à admettre que le dommage subi par l'investisseur et devant être
indemnisé couvrait à la fois le damnum emergens et le lucrum cessans (pour un
exemple de calcul du lucrum cessans, V. § 116 s. de la sentence CIRDI Middle
East Cement). Toutefois, « Les profits qu'un investisseur entend réaliser dans les
années futures doivent être assurément pris en compte lorsqu'il s'agit de
l'indemniser de la perte de l'entreprise. Encore faut-il que ce qui est
nécessairement un préjudice futur soit réparable et il ne l'est qu'à la condition
d'être certain, c'est-à-dire plus exactement que la chance perdue de réaliser les
gains futurs soit certaine » (V. sentence Meerapfel, § 392, et sentence SPP, § 188
et 189 ; sentence Metalclad, § 120 et 121 ; sentence Wena Hotels, § 122-125 ;
et Décision du Comité ad hoc, 5 févr. 2002, § 92). Plus particulièrement,
« l'absence d'antécédents de profitabilité rend nécessairement spéculative et
incertaine toute évaluation fondée sur la méthode DCF [Discount Cash Flow] ou
toute autre prise en considération de futurs gains dont l'existence et l'ampleur
sont douteuses. D'après les règles profondément établies dans les divers
systèmes juridiques nationaux et reflétées en droit international, la prise en
considération des profits prospectifs exige la preuve qu'ils soient raisonnablement
anticipés » (V. § 181 de la sentence Togo Électricité). De surcroît, à partir du
moment où le contrat de concession ne prévoyait pas d'indemniser le lucrum
cessans dans l'hypothèse où le concessionnaire résilierait le contrat (même
valablement), l'arbitre ne s'est pas cru autoriser à inclure les espérances de gains
dans l'indemnité allouée (V. § 219-220 de la même sentence qui paraît faire ici
une confusion entre la réclamation contractuelle et l'action conventionnelle).
195. Ayant opté pour les principes devant guider la nature de l'indemnisation, il
reste bien évidemment à calculer le quantum de celle-ci. De ce point de vue, si la
valeur de l'investissement a pu faire l'objet de quelques hésitations (V. infra,
os o
n 196 s.), l'attribution d'intérêts n'a elle posé aucun problème (V. infra, n 200).
er
§1 - Calcul du préjudice
197. Il n'est guère étonnant que les États hôtes de l'investissement soient parmi
les partisans les plus acharnés de la première méthode. Elle présente
évidemment l'intérêt de conduire à une valeur moindre (dont il n'est pas
inintéressant de remarquer qu'elle s'appuie parfois sur la sous-évaluation
comptable de son apport par l'investisseur pour des raisons d'ordre fiscal), donc à
une indemnité réduite. En revanche, les investisseurs et leurs États de nationalité
sont attachés au principe de la valeur réelle, seule méthode pour eux permettant
de refléter la valeur marchande de l'investissement perdu.
199. Quant à la date à laquelle calculer les dommages ainsi que celle limite
jusqu'où estimer le dommage, elles supposent que soient datés, d'une part, le
point de départ du différend et, d'autre part, la limite temporelle des droits de
l'investisseur auxquels il a été porté atteinte. Par exemple, s'agissant d'un contrat
de concession conclu pour une période de 20 ans mais interrompu au bout de la
cinquième année, il semble logique de calculer les profits escomptés et perdus à
compter de la sixième année et jusqu'à la vingtième année (en revanche,
l'extension possible de la concession pour une durée supplémentaire ne sera prise
en compte que si cette extension était un droit inconditionnel à la discrétion de
l'investisseur. – V. a contrario par ex. § 199 de la sentence CMS).
§ 2 - Allocation d'intérêts
200. L'attribution d'intérêts sur les sommes allouées n'a jamais semblé poser de
problème (V. par ex. § 298 de la sentence Desert Line Projects qui opte pour un
taux de 5 % applicable jusqu'au paiement complet des sommes allouées à titre
de dommages et intérêts. Pour un taux Euribor [2 % sur douze mois] plus 2
points, V. § 406 de la sentence Meerapfel). Toutefois, le montant de ces intérêts
est lié au marché qui ne peut rester indifférent aux fluctuations nées de crises
financières.
Index alphabétique
■Accord international 8 s.
⚪
cocontractant 9 s., 95 s.
■Arbitrage
⚪
clause 47 s.
⚪
des différends contractuels 42 s.
⚪
de droit international 16 s., 41 s., 53 s., 107 s.
⚪
exécution 50, 71
⚪
jurisprudence 118 s.
■Compétence exclusive
⚪
clause attributive 68, 114
■Contentieux conventionnel 37
■Contrat administratif 1, 7, 11
■Contrats
⚪
de commerce international 13
⚪
nature 14 s.
■Coutume internationale 76, 98, 116 s., 140, 145, 172, 187
⚪
principes généraux du droit international 110, 143
■Développement économique 91
■Directive 37
■Estoppel 63
■État 10, 95 s.
⚪
inaction 159 s.
■Exequatur 51
■Forclusion 164
■Garanties internationales 4
■Immunité d'exécution 51
■Internationalisation 30 s.
■Investissement 79 s.
⚪
critères 80 s.
⚪
transfert d'actifs ou d'argent 84
⚪
international 1 s.
⚪
territorialité 35
⚪
traité de protection 113 s., 122 s., 144, 191
⚪
valeur 186 s.
■Investissement étranger 94 s.
⚪
investisseur 12, 30 s., 41, 100 s., 175
■Irrecevabilité 164
■Nationalisation 2 s.
■Nature juridique 5 s.
■OCDE 35
■Ordre juridique
⚪
international 1, 10, 13 s.
⚪
national 11
■Pays en développement 4
■Principes 30
■Régime juridique 5, 73 s.
■Règlement des différends 42 s., 53 s., 71, 95, 100, 104, 113 s.
■Renvoi 18
■Responsabilité de l'État 29, 113 s., 123 s., 139 s., 144 s., 163 s., 174, 190
⚪
compensation juste et équitable 117
⚪
contractuelle 30 s.
⚪
internationale 30 s., 106, 178 s.
⚪
réparation des dommages 117
■Traité
⚪
interétatique 1, 9, 20
⚪
de protection de l'investissement 113 s., 122 s., 144, 191
⚪
treaty shopping 66
■Transaction 61
■Violation 119 s.
⚪
contrat 68
⚪
état de nécessité 171 s.
⚪
traité 40, 68, 114, 176 s.