Antibioprophylaxie
Antibioprophylaxie
Antibioprophylaxie
EN QUESTION
A. SALVANET-BOUCCARA
INTRODUCTION :
Rien n’est pire que l’infection post-opératoire après chirurgie réglée de la cataracte expliquant
les efforts permanents déployés pour la prévention.
Bien que l’incidence de l’endophtalmie post-opératoire ait considérablement diminué comme l’a
confirmé l’étude prospective multicentrique française (étude G.E.E.P. incidence 0,3 %) du fait
des précautions d’asepsie, et des nouvelles techniques de chirurgie à pression positive, la conta-
mination per-opératoire n’a pas pu être totalement éliminée et l’endophtalmie reste une compli-
cation imprévisible, risque infectieux hypothétique mais précis.
DEFINITION :
L’antibioprophylaxie (ABP) est l’administration d’antibiotiques avant la contamination potentielle
du fait d’une situation à risque au cours d’un geste chirurgical.
Dans ces conditions l’antibioprophylaxie est une mesure complémentaire de l’asepsie pour lut-
ter contre cette imprévisibilité de l’infection post-opératoire.
Historiquement les épidémiologistes et les chirurgiens ont classé la chirurgie en propre, propre
contaminée, et contaminée, sale et leur ont attribué une valeur prédictive d’infections opératoires
avec ou sans antibioprophylaxie (classification dite d’ALTEMEIER).
d’infection post-opératoire
Type de chirurgie Type d’intervention Taux
d’infection
Sans Avec
antiibiotique Antibioti-
que
Cette espèce a pour origine la flore endogène du patient. Speaker le premier a montré l’analo-
gie des germes retrouvés au cours de l’endophtalmie avec les germes du cul de sac conjoncti-
val et des narines du patients. De même l’étude Bannerman Dwayne and C° au cours de
l’E.V.S. a montré l’analogie entre les germes Staphylococcus epidermidis responsables d’en-
dophtalmie avec ceux du cul-de-sacs des patients dans 105 cas d’endophtalmies à SNCO
(67,7 %), indiquant ainsi une forte probabilité pour que la source de contamination soit la flore
conjonctivale du patient.
Or, l’on sait grâce aux travaux de J. Haut et Liotet que le nettoyage antiseptique à la polyvidone
iodée diminue significativement le nombre de frottis positif mais ne les négative pas tous (20 %
de frottis positifs après Bétadine). En effet, les bactéries contenues dans les glandes sébacées
et muqueuses des paupières situées plus profondément sont difficile à atteindre et non élimi-
nées par les antiseptiques.
Par ailleurs, comme pour toute antibioprophylaxie, il est impossible d’être actif simultanément
sur la totalité des bactéries en cause.
Dans ces conditions, l’antibioprophylaxie devra s’adresser à une cible bactérienne définie
comme étant la plus fréquemment identifiée ce qui, pour notre spécialité, reste donc Staphy-
loccus epidermidis...
Cette espèce incluant également les germes responsables des infections torpides tardives pour
lesquelles les problèmes pathogéniques sont complexes, soulevant deux problèmes impor-
tants, la taille de l’inoculum et l’adhérence des germes au biomatériaux.
* logique pré-opératoire :
- hospitalisation pré-opératoire réduite
- éliminer les colonies de staphylocoques nasales, enlever les lentilles ( cils, germes à la ra-
cine)
- mesure générale d’hygiène corporelle (douche)
- une antibiothérapie préalable accroîterait le risque infectieux en sélectionnant des germes ré-
sistants aux antibiotiques
* logique per-opératoire
- l’antisepsie du champ opératoire : désinfection polyvidone iodée, grand champ non tissé,
technique chirurgicale aseptique, éviter les lésions tissulaires, les saignements, les débris de
biomatériaux
- le bloc opératoire et le personnel : contrôle de l’air stérile en salle d’opération, contrôle de
l’eau
- respect des règles d’asepsie du personnel en salle d’opération
- surveillance régulière de l’incidence des infections
La dose unitaire adéquate ne doit jamais être inférieure à la dose thérapeutique standard, vo-
lontiers au niveau des doses unitaires curatives les plus fortes
L’antibioprophylaxie doit être d’administration facile.
L’antibioprophylaxie doit avoir le moins d’effet secondaire possible (allergique, hypotension,
émergence de résistance bactérienne, modification de l’écologie microbienne)
La recherche du meilleur coût-efficacité conduit en corollaire à s’interroger sur la pratique
d’une antibioprophylaxie systématique ou une antibioprophylaxie à la carte dans les situations
à risques. Aux USA, on a estimé qu’une réduction de 6 % du taux d’infections égalise les coûts
de prévention et les coûts d’infections évitées.
Par ailleurs, la recherche des effets non anti-infectieux des antibiotiques est encore mal
évaluée, mais sans doute non négligeable : adhérences des bactéries à la prothèse, produc-
tion de cytokines...
L’antibiotique ne devrait pas être le même produit que celui utiliser pour traiter l’infection décla-
rée.
Il est donc souhaitable que l’antibioprophylaxie soit gérée par une logique de comportement
d’équipe :
- protocole d’antibioprophylaxie accepté par tous
- protocole affiché
- protocole évalué régulièrement : efficacité, coût, surveillance microbiologique.
Un tiers des infections peut être évité par des programmes de prévention.
La chimioprophylaxie péri-oculaire
* l’administration d’antibiotiques topiques en pré-opératoire ne répond pas aux critères d’une
chimioprophylaxie chirurgicale. Elle ne prétend qu’à une décontamination du cul de sac. Dans
ces conditions, l’administration d’un collyre antiseptique et/ou le badigeonnage à la polyvidone
iodée lui est préférable.
* l’administration péri-oculaire en sous-conjonctivale d’antibiotique
Son administration tardive en fin d’intervention, la pénétration intra-oculaire médiocre de cer-
tains antibiotiques utilisés par cette voie, tels les aminosides, et le risque de toxicité maculaire
de ces derniers n’apporte pas de réel avantage.
DOSES D’ANTIBIOTIQUES POUR INJECTIONS SOUS CONJONCTIVALES
ANTIBIOTIQUES Dose/jour
AMIKACINE 125 mg
CEFAZOLINE 100 mg
GENTAMICINE 20 mg
TOBRAMYCINE 20 mg
VANCOMYCINE 20 mg
Reproche le plus important dans ce mode de prophylaxie, l’antibiotique n’est présent sur le site
opératoire qu’après l’ouverture du globe oculaire.
AMIKACINE 8 à 10
ANTIBIOTIQUES ADMINISTRES PAR VOIE INTRA-OCULAIRE
L’antibioprophylaxie par voie générale à visée antistaphylococcique semble une bonne voie
pour la prévention de l’endophtalmie aiguë à condition de répondre aux critères habituels de la
prophylaxie antibiotique communes à toutes les chirurgies, et de surcroît à des critères économi-
ques acceptables. Dans ces conditions, une monothérapie antistaphylococcique, à bonne péné-
tration intra-oculaire et à bonne biodisponibilité par voie orale en monoprise, compte-tenu de la
brièveté des hospitalisations actuelles, voire en deux prises répétées sur 24 heures du fait de la
présence d’un implant intra-oculaire, est justifiée. Ainsi, l’administration d’une fluoroquinolone,
deux heures avant l’intervention avec ou sans deuxième prise 12 et 24 heures plus tard, comp-
te-tenu de la pose d’un implant intra-oculaire, pratiquée par de nombreux ophtalmologistes est
logiquement acceptable dans l’état actuel de nos connaissances et ce d’autant plus qu’il s’agit
de patient « à risques » (diabète, immunodéprimé, foyer infectieux, implant secondaire, monoph-
talme ou premier oeil ayant présenté une endophtalmie).
ANTIBIOTIQUES ADMINISTRES PAR VOIE SYSTEMIQUE
Les critères de choix d’une fluoroquinolone tiendront compte de la demi-vie du produit, du pic de
concentration dans l’humeur aqueuse et de la durée de persistance dans le milieu oculaire. Ain-
si, l’ofloxacineÒ après une prise de 400 mg a une demi-vie plasmatique de 5 heures, le pic de
concentration oculaire est atteint entre la deuxième et la quatrième heure après la prise et per-
siste jusqu’à la quarante huitième heure.
La pefloxacineÒ a la plus longue demi-vie intra-oculaire (27 heures) et un pic de concentration
dans l’humeur auqueuse dès la deuxième heure.
La ciprofloxacineÒ a une pénétration plus faible et surtout plus variable avec une moins biodispo-
nibilité. Cependant, la possibilité de survenue de tendinopathies communes à toutes les fluoro-
quinolones bien que rare, nécessite de bien connaître les facteurs de risque. Les tendinopathies
dûes à la pefloxacine ne sont pas plus graves que celles induites par les autres spécialités mais
seraient plus fréquentes. Une corticothérapie prolongée, des antécédents de tendinite idiopathi-
que ou iatrogénique doivent faire surseoir à l’administration de quinolones et orienter le choix sur
un autre antistaphylococcique à bonne diffusion oculaire comme par exemple la fucidine.
Dans le cadre de la traumatologie oculaire une bithérapie comprenant des antibiotiques actifs
sur les bactéries à Gram + et à Gram - sera choisi en fonction de l’agent vulnérant, de la pré-
sence et de la nature d’un corps étranger et du délai écoulé entre l’accident et le traitement. En
fait, dans ce cadre on sort du domaine de la prophylaxie, puisque l’on est dans une classe III chi-
rurgie contaminée.
Responsabilités médico-légales :
Comme toute infection survenant après une intervention, l’endophtalmie post-opératoire entre
dans le cadre des infections nosocomiales.
Or, depuis le 6 mai 1988 les comités de lutte contre les infections nosocomiales (C.L.I.N.) ont été
institués. Leur but premier est d’organiser et coordonner une surveillance continue des infections
dans les cadre des hôpitaux publics et privés.
La responsabilité du praticien se trouve directement impliquée, ainsi que celle du service hospi-
talier où il exerce, dans l’organisation du secteur opératoire, dans « les procédures et modalités
de nettoyage, de décontamination, de désinfection et de stérilisation » (nouveau code de déonto-
logie article 71).
Le praticien se trouve face à deux régimes de responsabilité :
- la responsabilité de l’établissement public pour faute présumée dans l’organisation et le fonc-
tionnement du service sans responsabilité personnelle du praticien sauf exception. Dans cette
circonstance, la victime d’une infection nosocomiale pourra engager une procédure à l’encontre
de l’hôpital public même s’il n’existe pas de faute médicale lourde prouvée, la présomption de
faute est suffisante et entraîne le dédommagement du patient.
- la responsabilité de l’établissement privé pour faute contractuelle prouvée en présence d’une
seule obligation de moyen pour le praticien et la clinique. Dans cette circonstance, la victime
d’une infection nosocomiale doit fournir la triple preuve d’un dommage, d’une faute et du lien de
causalité entre la faute et le dommage.
La responsabilité individuelle du médecin peut être engagée par délit de mise en danger du
malade par les soins prodigués : article 223 - 1 du code pénal « Le fait d’exposer directement
autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou
une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière
de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements est puni d’un an d’emprison-
nement et de 100 000 francs d’amende ».
Ce délit de risque permettra aux patient de porter plainte alors même qu’il n’y a pas eu de dom-
mage. Cela permet de rappeler le principe selon lequel le médecin est bien tenu à une obliga-
tion de moyen et non de résultats.
La non sécurité se paie cher, un praticien avertit en vaut deux.
CONCLUSION :
Le chirurgien prescripteur doit garder à l’esprit que l’utilisation de ces molécules peut être géné-
ratrice d’inconvénients retentissant sur l’écosystème bactérien, ou entraîner des effets toxiques
locaux ou généraux. Enfin, il doit s’interroger sur l’efficacité de cette pratique qui n’a pu être vali-
dée par des études cliniques randomisées du fait de la nécessité d’inclure de très grandes co-
hortes de patients. Il faut espérer la venue d’autres molécules, ayant une meilleure antibiodyna-
mie mieux adaptée à notre spécialité moins onéreuses, et, il faut s’orienter vers d’autres voies
de recherches comme le traitement de l’implant par matériaux bioréfractaires à la colonisa-
tion bactérienne et/ou capable de relarguer des antibiotiques après leur implantation, et ce parti-
culièrement dans la lutte des infections torpides par bactéries résistantes productrices de biofilm.
De nombreuses voies de recherches restent donc à explorer dans notre spécialité et nous ap-
porterons sans doute des sécurités supplémentaires. Le risque zéro n’existe pas, d’où l’impor-
tance de l’évaluation bénéfice/risque. L’antibioprophylaxie est-elle un complément de l’antisepsie
? Faut-il traiter tous les patients ou patients à risque ? Quel antibiotique utiliser, une voie ou plu-
sieurs voies ? Quel but poursuivi : baisse de la fréquence et/ou de la gravité de l’endophtalmie ?
REFERENCES :
7- A.N.D.E.M.
L’antibioprophylaxie en chirurgie.
La lettre de l’Infectiologue - Tome XII, n° 3, mars 1997.
10 - CARSENTI-ETESSE H. DELLAMONICA P.
Prophylaxie des infections sur cathéter par matériel recouvert d’antibiotique :
une voie de recherche.
La lettre de l’Infectiologue, numéro hors-série, septembre 1995.
15 - FISCELLA R.G.
Vancomycin Use in Ophthalmology
Arch. Ophthalmol., vol. 113, Nov. 1995.
16 - GARRAFFO R.
La pharmacodynamie des antibiotiques : définition et applications cliniques
potentielles.
La lettre de l’Infectiologue - Tome X, n° 3, février 1995.
20 - JAANUS S.D.
Prevention of postoperative infection : limits and possibilities
British Journal of Ophthalmology 1996 ; 80 : 681-682.
26 - MEREDITH T.A.
Prevention of Postoperative Infection
Arch. Ophthalmol, vol. 109, July 1991.
33 - SHERWOOD D.R. RICH W.J. JACOB J.S. HART R.J. FAIRCHILD Y.L.
Bacterial Contamination of Intraocular and Extraocular Fluids During
Extracapsular Cataract Extraction.
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35 - THABAUT A.
Biofilms et infections bactériennes chroniques
La lettre de l’Infectiologue - Tome X, n° 3, février 1995.