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Louison Bobet- champion cycliste des premières Trente Glorieuses

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Louison Bobet (1925-1983), champion cycliste des

premières Trente Glorieuses


Dominique Lejeune

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Dominique Lejeune. Louison Bobet (1925-1983), champion cycliste des premières Trente Glorieuses.
2017. �hal-01472975v1�

HAL Id: hal-01472975


https://hal.science/hal-01472975v1
Preprint submitted on 2 Mar 2017 (v1), last revised 8 Apr 2020 (v3)

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D.LEJEUNE, LOUISON BOBET… 1

Louison Bobet (1925-1983),


champion cycliste des premières Trente Glorieuses

par Dominique Lejeune, Prof Dr Dr

Louis, dit Louison, Bobet (1925-1983) a été coureur cycliste professionnel de


1947 à 1961. Son palmarès est extrêmement riche, avec notamment 122 victoires en
professionnel. Dans la France de la fin des années d’après-guerre et du début des
Trente Glorieuses, il a joui d’une très grande popularité. Bobet est le champion breton
d’une France centralisée qui s’essaie à la régionalisation et d’une province qui se
modernise. Ses origines familiales sont typiques de cette époque de l’histoire du sport
et elles jouèrent un rôle non négligeable dans la construction de son image et de sa
popularité. Ses parents sont tous deux nés dans de petits bourgs d’Ille-et-Vilaine en
lent déclin démographique, Pacé et Gévezé. Ils se sont installés, juste après leur
mariage, dans un troisième bourg d’Ille-et-Vilaine, d’alors 2 500 habitants, Saint-Méen-
le-Grand, le 1er juillet 1923. Le patronyme de la mère est Le Métayer, mais ces ruraux
ne sont plus paysans, à la différence des parents du Normand Jacques Anquetil : c’est
en tant que boulangers qu’ils s’installent, dans une commune qui compte sept autres
boulangeries. Cela fait une clientèle moyenne de 312 personnes : ce qui attire le père,
qui s’appelle Louis Bobet, ne sera jamais attiré par le poujadisme et pratique plusieurs
sports (athlétisme, football et aviation), c’est le bon équipement sportif, matériel et
humain, de la commune, très au-dessus de la moyenne bretonne et française. Louis,
dit Louison pour ne pas confondre avec le père, naît à Saint-Méen-le-Grand le 12 mars
1925 ; la famille s’agrandit d’une fille, Madeleine, le 5 décembre 1926, et elle dépasse
la moyenne française, mais pas bretonne, de l’entre-deux-guerres, avec un deuxième
fils, Jean, né le 22 février 1930.

« Des débuts prometteurs » (Louison Bobet lui-même !) 1 dans la vie

1
L.Bobet, Mes vélos et moi, Éditions du Lys, 1951, 211 p., titre du premier chapitre.
D.LEJEUNE, LOUISON BOBET… 2

La légende ( ?) familiale dit que Louison roule pour la première fois en vélo à
l’âge de deux ans, dans la rue de la boulangerie familiale, mais la photo
complaisamment publiée dans L’Ouest-Éclair le représente à l’arrêt, le vélo maintenu
par des stabilisateurs ! Louis senior modernise sa boulangerie avec un pétrin
électrique et Louison aide ses parents avant ou après l’école, livrant le pain à bicyclette
à partir de ses dix ans et rangeant les sacs de farine à partir de quatorze ans.
Cependant le sport est d’abord pour lui le football et le tennis de table, dans un club
de ping-pong que son père, très en avance sur son temps, avait fondé en 1933. Il
décroche son certificat d’études primaires à treize ans et est récompensé par un vélo
de course Stella, fabriqué à Nantes et avec lequel il dispute immédiatement sa
première course, le Premier Pas Dunlop, qui en est à sa quinzième édition. Il fait
quelques autres courses cyclistes régionales, s’intéresse, en tant que lecteur, auditeur
et supporter, au Tour de France, mais il préfère toujours pratiquer le ping-pong, sport
dans lequel il brille au niveau national.

La guerre et l’occupation allemande vont ouvrir à Louison Bobet une « fenêtre »


chronologique : né en 1925, il est trop jeune pour être soldat ou requis au titre du
S.T.O., le Service du Travail obligatoire, adolescent musclé il va pouvoir participer à
des courses cyclistes ne réclamant pas de licence sportive et s’entraîner alors que
d’autres, plus âgés, sont prisonniers ou enrôlés dans les Chantiers de Jeunesse.
« Mon premier manager : mon père », écrira-t-il au tout début des années
cinquante 1 : aidé par son père, Louison Bobet participe à plusieurs courses. L’une
d’elle, en 1943, lui fait croiser « un grand escogriffe au visage en lame de couteau :
Géminiani ! » 2, futur équipier, du même âge que lui, qui gagne ce jour-là. Péché de
jeunesse, Bobet se fait souvent battre au sprint, mais il gagne à Lamballe (Côtes-du-
Nord) et à Romillé (Ille-et-Vilaine).

Le père de Louison est résistant, Louison l’aide un peu 3 puis est en 1944
conscrit dans un régiment d’infanterie breton ; il combat de décembre 1944 jusqu’à la
capitulation de mai 1945 contre la poche allemande de Lorient depuis un bourg du
Morbihan, où il rencontre sa future épouse, Christiane Tardiff (1922-2016), dont les

1
Louison Bobet, Mes vélos et moi, Éditions du Lys, 1951, 211 p., p. 33.
2
Louison Bobet, Ibid., p. 41.
3
Louison Bobet, Ibid., p. 46-47.
D.LEJEUNE, LOUISON BOBET… 3

parents tiennent l’épicerie : toujours le petit commerce breton ! À sa démobilisation,


Bobet reprend le tennis de table et participe au championnat de France ; ce n’est qu’au
printemps 1946 qu’il se remet au cyclisme, avec d’abord beaucoup de déboires
(crevaisons multiples, etc.) ; le déclic salvateur semble être la rencontre avec le
soigneur du Stade rennais, Raymond Le Bert, masseur-kinésithérapeute de formation
(né en 1909), qui le prend en mains. Louison Bobet devient champion de France
amateur le 11 août 1946 et il se classe honorablement au Tour de l’Ouest quelques
jours après. Le 24 septembre il se marie avec Christiane Tardiff à Saint-Méen, il ouvre
avec elle une épicerie (décidément…) à Rennes, mais à la fin de 1946 il devient
coureur professionnel, dans l’équipe Stella, de Nantes comme l’usine.
D.LEJEUNE, LOUISON BOBET… 4

Les débuts pour Bobet du « métier de forçat » 1 (1947-1952) : heurs et


malheurs…

En 1947, Bobet abandonne dans le Paris-Roubaix mais gagne dans les Boucles
de la Seine, après une échappée d’anthologie, performance qui lui vaut d’être
sélectionné parmi les dix coureurs de l’équipe de France qui sera engagée dans le
Tour de France renaissant (les équipes sont nationales, en effet, pendant les années
50). Le Tour renaît, chargé de l’immense espoir de l’après-guerre, en 1947. Le 13
juillet c’est le départ de Paris du 37e Tour de France et le public populaire renoue avec
l’habitude d’assister au passage de la Grande Boucle, la radio retransmet les étapes,
les journaux dissertent, mais Bobet, qui vient d’abandonner dans le championnat de
France, n’a que 22 ans et il n’est que le coéquipier de René Vietto, le champion
d’avant-guerre (1914-1988) : « domestique du Tour, quel travail ! », écrira Bobet
quatre ans plus tard 2. Pour lui ce premier Tour est « un dur apprentissage » 3, car
une grave chute dans les Gorges du Guil le contraint à l’abandon. Toutefois, deux
succès et une place honorable remportés après une courte convalescence le rendent
sûr de sa vocation de cycliste professionnel et le couple Bobet vend l’épicerie rennaise
fin 1947. Mais les premiers résultats de 1948 sont médiocres.

C’est le Tour de France 1948 qui va révéler définitivement Louison Bobet, il


endosse le maillot jaune dès la troisième étape, mais le perd pour le retrouver ;
podiums intermittents dans la douleur : furoncles, attaques incessantes des rivaux
étrangers, manque de soutien de la part des coéquipiers… Bobet finit 4e mais il a
gagné le cœur des Français, prenant la place de Jean Robic (1921-1980), autre
Breton : il est le champion qui s’entraîne avec rigueur, qui est poursuivi par la
malchance et l’impéritie de la direction d’équipe, qui souffre mais surmonte la douleur,
comme beaucoup de Français de ces temps de pénurie ; Bobet est battu par un Italien,
Gino Bartali, finalement sympathique car il avoue son admiration pour Bobet et sa
certitude qu’il deviendra un grand champion ! En attendant Bobet a gagné 435 280 F,
l’équivalent de 15 234 €, ce qui lui permet d’acheter sa première voiture, une Simca 8

1
« Je ne suis pas fait pour ce métier de forçat » écrit Louison Bobet dans Mes vélos et moi, op. cit., p. 143.
2
Louison Bobet, Mes vélos et moi, op. cit., p. 76.
3
L.Bobet, Champion cycliste, Hachette, Bibliothèque verte, 1959, 190 p., titre du chap. VIII.
D.LEJEUNE, LOUISON BOBET… 5

(330 000 F), et à l’automne il participe honorablement à de grandes courses. Sa fille


Maryse naît le 2 décembre 1948.

L’année 1949 est difficile : abandon dans le Critérium du Dauphiné libéré et la


Grande Boucle. Mais il gagne le Tour de l’Ouest et le Critérium des As, pour ce dernier
devant Fausto Coppi (1919-1960), dont il devient l’ami et va suivre les méthodes
d’entraînement. Louison Bobet confie, on l’a vu, son corps de sportif à un
kinésithérapeute, Raymond Le Bert, et s’entraîne avec rigueur. Il s’applique désormais
à suivre des règles diététiques, imitant en cela l’Italien Fausto Coppi.

Hauts et bas en 1950 : Grand Prix de L’Écho d’Alger, Champion de France,


Critérium des As, mais des places d’honneur et abandon dans les Boucles de la Seine
et le Tour de Suisse. Au Tour de France, il signe à nouveau des étapes d’anthologie,
et finit troisième.

L’année 1951 débute par… la naissance de son deuxième enfant, Philippe, le


5 janvier. Bobet remporte sa première grande classique, le Milan-San Remo, et il
gagne le Critérium national. Deuxième de Paris-Roubaix, il est quatrième de la Flèche
wallonne, septième de Liège-Bastogne-Liège et aussi du Tour d’Italie, qu’il court pour
la première fois. À nouveau champion de France, Bobet devient très populaire dans
une France où les coureurs des Tours des années 50 sont fréquemment issus de
milieux populaires : Bobet avait été boulanger puis épicier, Jacques Anquetil ajusteur,
comme Bernard Hinault plus tard, Roger Walkowiak (1927-2017) tourneur. Le vélo
permet l’aisance matérielle : Bobet conduit et/ou possède un cabriolet Vedette en
1951. La France devient la nation de Louison Bobet, un Breton d’une modernité qui
s’esquisse dans le pays et la province, un champion qui n’a jamais l’air sûr de sa pleine
forme, mais qui est capable de surmonter les aléas et que L’Équipe présente comme
le favori du Tour de France 1951. Il y est pourtant dominé par le « pédaleur de
charme », le Suisse Hugo Koblet, son exact contemporain (à 9 jours près…), fils de
boulanger lui aussi. Toutefois Bobet gagne le Tour de Lombardie.

La saison 1952 est en demi-teinte : victoires en début d’année (Paris-Nice


surtout), ennuis mécaniques qui privent de la victoire (au Tour des Flandres par
exemple), bonnes places comme à Paris-Roubaix, abandon au Critérium du Dauphiné,
D.LEJEUNE, LOUISON BOBET… 6

angine qui le pousse à renoncer au Tour de France. Mais à l’automne, Bobet se venge
sur le sort en remportant le Grand Prix des Nations.
D.LEJEUNE, LOUISON BOBET… 7

Pour la première fois dans l’histoire du cyclisme, un coureur gagne trois


Tours de France consécutifs (1953, 1954 et 1955)

Toujours membre de la formation régionale Stella jusqu’en 1954 (après il sera


dans l’équipe Mercier), Louison Bobet remporte le Tour de France successivement en
1953, 1954 et 1955. Le Tour de France ? Les équipes sont nationales pendant les
années 50 et l’équipe de France s’illustre ; quatre Français gagnent le Tour : Robic en
1947, Bobet trois fois de suite (1953, 1954 et 1955, il est le premier coureur français à
le faire), Roger Walkowiak (1956, il est le Je me souviens numéro 127 de Georges
Perec), Jacques Anquetil (1957, il sera encore vainqueur en 1961, 1962, 1963 et
1964). Les sports connaissent en France une professionnalisation définitive, une voie
ouverte par le football en 1932, ils entrent dans l’ère de la médiatisation et de la
sponsorisation. Le sport cycliste devient un véritable métier, les sports ont une presse
à eux ; à certains titres d’avant-guerre s’ajoute en 1946 L’Équipe, fondé par Jacques
Goddet (1905-2000), fils de Victor Goddet, fondateur du journal L’Auto. Jacques
Goddet est également directeur du Tour de France (le directeur adjoint étant Félix
Lévitan, 1911-2006). La radio joue un rôle très important en matière de sport, mais la
télévision n’occupe encore qu’une place minime.

Troisième ou quatrième dans cinq courses du début de la saison 1953, Louison


Bobet souffre considérablement dans le Tour d’Italie et abandonne lors de la dernière
étape. Au Championnat de France, son frère cadet Jean, deux fois champion
universitaire sur route (1949 et 1950), 4e du Grand Prix des Nations 1952, l’a rejoint
et s’échappe avec lui. Au Tour de France du Cinquantenaire, Bobet souffre à nouveau
lors des premières étapes, mais profite de l’abandon de Robic. Des tensions au sein
de l’équipe de France apaisées par le directeur, Marcel Bidot (1902-1995), Louison
Bobet remporte l’étape Vars-Briançon grâce à une échappée solitaire dans la Casse
déserte du Col d’Izoard. Ainsi revêtu du maillot jaune, Bobet assure sa victoire finale
grâce à un contre-la-montre à deux jours de l’arrivée : il est le premier vainqueur
français depuis Roger Lapébie (1911-1996) en 1937. Cette victoire non seulement
augmente sa popularité mais elle lui apporte une grande sérénité : « je sentais qu’une
nouvelle vie allait commencer pour moi ».
D.LEJEUNE, LOUISON BOBET… 8

Cette confiance en soi lui permet de surmonter les résultats du début de saison
1954, moins bons qu’en 1953, et de s’économiser raisonnablement dans le Dauphiné
libéré. Le Tour de France 1954 présente quatre caractéristiques quant à la carrière de
Bobet : la rivalité avec une très bonne équipe suisse, le bon travail d’équipe des
Français, au profit de Louison Bobet, qui une nouvelle fois domine dans l’étape qui
passe à l’Izoard et gagne son deuxième Tour avec plus de quinze minutes d’avance
sur le second, le suisse Ferdi Kübler (1919-2016). Trois semaines plus tard, Bobet
triomphe au Championnat du Monde, à Solingen, en Allemagne. À l’automne 1954,
Bobet quitte Stella pour Mercier, société avec laquelle il crée sa propre marque,
s’attaque en vain au record de l’heure à Milan et fait en course la connaissance d’un
champion cycliste prometteur, professionnel depuis l’année précédente, Jacques
Anquetil, plus jeune de neuf ans que Bobet.

Au contraire de la précédente, la saison 1955 commence bien pour Bobet : il


assure la victoire de son frère Jean dans Paris-Nice et sa place de troisième dans
Milan-San Remo, gagne le Tour des Flandres, le Tour du Luxembourg et le Dauphiné
libéré, fait troisième dans Paris-Roubaix, deuxième dans le championnat de France,
derrière André Darrigade, plus jeune de quatre ans. Dans la Grande Boucle, Bobet est
constamment handicapé par une douloureuse blessure à la selle 1, se heurte aux
qualités sportives du Luxembourgeois Charly Gaul (1932-2005), lui aussi plus jeune,
remporte une belle victoire au Mont Ventoux et gagne son troisième Tour de France.
Louison Bobet a donc fait le grand triplé des années 50 en gagnant le Tour de France
en 1953, 1954 et 1955. Le Belge Philippe Thys (1889-1971) avait déjà gagné trois
Tours, mais de part et d’autre de la Première Guerre mondiale : les guerres
d’Indochine et d’Algérie n’empêchent pas le Tour de France et les victoires de Bobet
sont consécutives… Thys d’ailleurs est présent au Parc des Princes et fait un tour
d’honneur avec Bobet. La fin de l’année civile 1955, c’est l’hôpital, l’opération de la
selle et la convalescence, que Bobet occupe en passant… son brevet de pilote d’avion.
C’est aussi la publication par Louison Bobet et Raymond Le Bert, du petit volume En
selle 2, composé entièrement de conseils de santé physique, d’équilibre moral,
d’alimentation et d’entraînement cycliste. Il y a un chapitre sur le « doping », pratique

1
Bien mystérieuse (ambigüe si l’on veut…) pour le gamin de sept ans que j’étais (suivi du Tour à la radio…) !
2
Points & Contrepoints, 1955, 120 p.
D.LEJEUNE, LOUISON BOBET… 9

que Bobet évitera toujours. Ce chapitre vise implicitement un scandale de dopage qui
vient de se produire. La première dénonciation du dopage se produit lors du Tour de
France 1955, c'est l'affaire Malléjac. Jean Malléjac (1929-2000), deuxième du Tour
1953 derrière Bobet, est, pendant l'édition de 1955, victime en faisant l’ascension du
Ventoux d’un malaise dû à un abus d’amphétamines, ce qui le force à abandonner.
Cet « incident » entraîne l’exclusion de son soigneur, qui est aussi celui du champion
luxembourgeois Charly Gaul. C'est le premier cas d’exclusion pour dopage sur le Tour
de France, mais Malléjac continue sa carrière jusqu’en 1958…
D.LEJEUNE, LOUISON BOBET… 10

La fin de la carrière de cycliste professionnel (1956-1961)

Sur les conseils de son médecin et de Le Bert, Louison Bobet commence


doucement la saison 1956 et c’est Jean qui gagne Gênes-Nice, mais Louison signe
un authentique exploit, sportif et médical, en remportant pour la première fois de sa
carrière et avec panache Paris-Roubaix. La suite est inégale, grippe et abandon dans
le Tour d’Espagne, 2e dans les Boucles de la Seine, 3e au championnat de France, et
Louison Bobet, s’estimant en méforme, déclare forfait pour la Grande Boucle 1956 : il
ne gagnera pas quatre Tours de France, c’est Anquetil qui le fera, et il en gagnera
même cinq, le premier en 1957 d’ailleurs.

Cette année 1957, Bobet ressent à nouveau des douleurs à la selle, elles
s’apaisent et il a l’envie de remporter le doublé Grande Boucle-Giro mais il se heurte
à l’ambition d’Anquetil : ni l’un ni l’autre ne veulent courir dans la même équipe, de
France, ils le déclarent en début de saison ! Bobet se bat comme un lion dans le Tour
d’Italie, contre Charly Gaul et Gastone Nencini (1930-1980), qui devance Bobet de…
19 secondes seulement, et dans des circonstances de course très discutables et
discutées. Bobet décide alors de ne pas courir le Tour de France. Quelques places
d’honneur et le départ Le Bert marquent la fin de 1957.

Deux soigneurs pour 1958, Armand Poupard et Jean-Paul Séréni, Bobet 4e


seulement au Tour d’Italie, la même place aux Boucles de la Seine, 6e au championnat
de France, la blessure qui se rouvre constamment, 7e au Tour de France, gagné par
Gaul 1, 2e aux championnats du monde. L’année 1959 est marquée par le curieux et
fragile « accord des quatre grands », non pas diplomatique mais cycliste car liant
Géminiani (dont le soigneur est maintenant… Le Bert), Roger Rivière (1936-1976),
Anquetil et Bobet. Louison Bobet remporte courageusement Bordeaux-Paris, mais
c’est la dernière grande victoire de sa carrière et il abandonne dans le Tour de France,
qui est son dernier, peu après avoir franchi le col de l’Iseran. Comme écrira 45 ans
plus tard son frère Jean : « […] il sait qu’il est devenu incapable. Il ne prend plus les
roues, il ne saute plus dans les roues. C’est fini, il ne gagnera plus. Il est fini, à même
pas trente-cinq ans. » Il est très affecté par la mort de son ami Fausto Coppi (2 janvier
1960), ne brille plus que dans quelques étapes d’une course ou l’autre, quitte Mercier

1
et qui voit apparaître Federico Bahamontes, né en 1928.
D.LEJEUNE, LOUISON BOBET… 11

(associé au pétrolier BP depuis 1956) pour la formation italienne Ignis, mais il est 2e
du Bordeaux-Paris 1961.

Il ne le sait pas, ne le veut pas, mais sa carrière de « champion exemplaire »


est terminée. Louison Bobet a joui d’une immense popularité au cours de cette
carrière : courage du coureur souvent « à la peine », accidenté plusieurs fois, parfois
malade, blessé, opéré, volontaire et plein de panache. L’image et la leçon qu’il donne :
ne jamais vivre sur son acquis et triompher des épreuves envoyées par les dieux du
sport. Méticuleux sans être besogneux, Bobet, incarnation de la génération de la
guerre mondiale, est plein de conscience professionnelle. Mais, très en avance sur
son époque, il contrôle, avec beaucoup de courtoisie, sa communication et son image,
ce que montrent bien les photos et sa coiffure soignée. Accessoirement, le couple est
modèle, tout au moins pendant la période de cycliste professionnel, mais il n’a que
deux enfants seulement. Roland Barthes consacre dans Mythologies un long
passage 1, oserais-je le dire très décevant et assez creux, au « Tour de France
comme épopée ». Émergent de justes et belles formules à propos de Louison Bobet,
jamais citées en entier, en dehors de l’expression de « héros prométhéen », qui, sortie
du contexte, perd beaucoup de sa signification :

« Bobet incarne le Juste, l’Humain, Bobet nie les dieux, Bobet illustre une
morale de l’homme seul. Gaul est un archange, Bobet est prométhéen, c’est un
Sisyphe qui réussirait à faire basculer la pierre sur ces mêmes dieux qui l’ont
condamné à n’être magnifiquement qu’un homme. […] Bobet est un héros
prométhéen : il a un magnifique tempérament de lutteur, un sens aigu de
l’organisation, c’est un calculateur, il vise réalistement à gagner. »

1
Roland Barthes, Mythologies, Seuil, 1957, 270 p., pp. 115 et 119.
D.LEJEUNE, LOUISON BOBET… 12

Retraite et reconversion

Le 15 décembre 1961, Louison Bobet est victime d’un très grave accident de la
route dans une Peugeot 404 conduite par son frère Jean, près de Montry (Seine-et-
Marne) : fractures du fémur et de la cheville, opération, soutien massif par le public qui
envoie 150 000 cartes postales en trois jours au siège de Radio-Luxembourg,
rééducation, notamment à l’Institut de thalassothérapie de Roscoff (Finistère). Après
avoir tenté de reprendre l’entraînement au top niveau, Bobet se résout à mettre un
terme à sa carrière (20 août 1962). Après avoir été approché pour participer à la
création de la station de sports d’hiver d’Avoriaz, près de Morzine (Haute-Savoie), il
choisit de créer un centre de thalassothérapie à Quiberon, en vendant les forêts
jurassiennes, dans lesquelles il avait investi (c’était dans l’air du temps), et en faisant
des emprunts bancaires. Les travaux commencent fin 1962 et le centre ouvre en mai
1964, inauguré par deux ministres, celui de la Santé (Raymond Marcellin) et le
secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports, Maurice Herzog 1, le vainqueur de
l’Annapurna. Bobet est directeur à Quiberon mais de surcroît actionnaire de six autres
centres de soins et cures.

Les affaires marchent, une claire sélection sociale s’opère à Quiberon et Bobet,
retrouvant une tendance manifestée dès les années 50, s’oriente vers une certaine
peopolisation : entrée à l’UDR, le parti gaulliste, et au conseil municipal de Quiberon,
achat d’un avion, avec lequel il traverse l’Atlantique, en compagnie de son fils Philippe,
pilote professionnel, remariage 2 le 27 juillet 1967, avec Marie-Josette Laroche (MJB),
actionnariat dans l’hôtellerie… Évincé de celui de Quiberon, Bobet ouvre un nouveau
centre de thalassothérapie, à Biarritz, en 1979. Avec l’homme d’affaires self-made
man, périgourdin et haut en couleurs, fondateur d’Europe n° 1, Sylvain Floirat (1899-
1993), il crée un autre centre de thalassothérapie, dans l’hôtel Byblos de Saint-Tropez,
propriété de Floirat ; Bobet en épouse ensuite (21 avril 1982) la belle-fille et filleule,
Françoise Jaquillard, qui devient donc sa troisième femme. Avec Floirat Bobet
entreprend la construction d’un nouveau centre de thalassothérapie, près de Marbella
en Espagne. Très affaibli par une affection rénale puis un kyste au cerveau, Louison

1
Cf. D.Lejeune, « Les vainqueurs de l'Annapurna », L'Histoire, n° 105 (nov. 1987), pp. 18-26.
2
Bobet avait divorcé de sa première femme l’année précédente.
D.LEJEUNE, LOUISON BOBET… 13

Bobet meurt le 13 mars 1983 à 58 ans, à Biarritz, d’un cancer, il est enterré à Saint-
Méen-le-Grand. Son père mourra quelques mois plus tard, le 9 novembre 1983.

Coureur complet archétypique, champion de la persévérance, monstre sacré


impulsif voire hypernerveux et souffrant, perclus de furoncles, grippé, saignant que
Louison Bobet. Champion populaire auprès du public, mais goûtant l’aisance
matérielle, comme un Jacques Anquetil beaucoup moins fragile, au moins en
apparence, et le beau langage, il n’a jamais été populaire dans le peloton, qui lui
reprochait son goût de la gloire, des voitures américaines, des avions et des « gens
bien ». Tout cela est typique des premières Trente Glorieuses 1. Quand il se
reconvertit, et pas dans le bon vieux bar-tabac, et qu’il se peopolise franchement, on
est en 1962, année charnière s’il en est 2 à l’intérieur comme à l’extérieur de
l’hexagone. Au fond, Louison Bobet a été le premier « champion bling-bling », comme
on ne disait pas encore quand il prit sa retraite de cycliste. Mais il ne s’est jamais
dopé…

1
Cf. D.Lejeune, La France des Trente Glorieuses, 1945-1974, Armand Colin, 2015, collection « Cursus », 192 p.
2
Cf. Bertrand Le Gendre, 1962, l’année prodigieuse, Denoël, 2012, 297 p.
D.LEJEUNE, LOUISON BOBET… 14

Bibliographie :
- presse, sportive et nationale
- Louison Bobet, Mes vélos et moi, Éditions du Lys, 1951, 211 p.
- Louison Bobet, Champion cycliste, Hachette, Bibliothèque verte, 1959, 190 p.
- Louison Bobet & Raymond Le Bert, En selle, Points & Contrepoints, 1955, 120 p.
- Jean Bobet, Louison Bobet. Une vélobiographie, Gallimard, 1958, réédition, La
Table ronde, 2003, 223 p., réédition, 2016, 229 p.
- Jean Bobet, Demain, on roule…, La Table ronde, 2004, 239 p.
- R.Ichah, Louison Bobet, Éditions PAC, 1981, 173 p.
- Jean-Paul Ollivier, La Légende de Louison Bobet, Flammarion, 1984, 275 p.,
réédition, Les Éditions de l’Aurore, 1992, 280 p., réédition, Glénat, 1998, 280 p.
- Jean-Paul Ollivier, Louison Bobet, Palantines, 2009, 255 p. Texte avec une
iconographie abondante

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