Nothing Special   »   [go: up one dir, main page]

Recension Sur Le Temps Des Peurs Par JM Seca 19 Juillet 2023

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 7

Recension : Maffesoli Michel, Le Temps des peurs, Paris,

Les éditions du Cerf


Jean-Marie Seca

To cite this version:


Jean-Marie Seca. Recension : Maffesoli Michel, Le Temps des peurs, Paris, Les éditions du Cerf. 2023.
�hal-04271378�

HAL Id: hal-04271378


https://hal.univ-lorraine.fr/hal-04271378
Preprint submitted on 6 Nov 2023

HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est


archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents
entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non,
lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de
teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires
abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.

Distributed under a Creative Commons Attribution - NonCommercial - NoDerivatives 4.0


International License
Recension :
Maffesoli Michel, Le Temps des peurs, Paris, Les éditions du Cerf
Jean-Marie Seca (Université de Lorraine)

L’ouvrage, Le Temps des peurs, de Michel Maffesoli comprend sept chapitres subtilement et
efficacement ciselés : La peur archétypale ; La société du spectacle ; Du complotisme ; Du wokisme ; La
rébellion du peuple ; Tradition ; Renaissance. Il s’agit d’autant de mots-clés, condensant une réflexion
continue sur l’impact de la politique de la peur, du catastrophisme contemporain et de l’apeurement
comme stratégie de division des masses. La période de privation de libertés publiques et sanitaire
des trois dernières années a évidemment servi de terrain d’enquête attentive à Michel Maffesoli. Et
il faut bien dire qu’ainsi, il réussit à combiner sa subtile vision philosophico-anthropologique et une
approche pragmatique des faits sociaux contemporains. Dans la politique (mondiale et surtout
occidentale et chinoise) de confinement et de contention des citoyens (masques et passes en tout
genre), Maffesoli perçoit un « totalitarisme doux ». « La logique est identique : imposer un bien-être réducteur
au détriment d’un mieux-être holistique, et ce par le biais d’une soumission généralisée » (p. 15). Mais au-delà
l’instrumentalisation assez médiocre mais efficace de la peur par des gouvernants animés par une
logique d’imposer le « bien » à tous, l’auteur propose aussi une formulation existentielle de son
analyse qu’il axe, en parallèle, sur la réhabilitation de formes cardinales de comportements sociaux
et culturels : anthropologie de la tradition, résurgence de la sacralité, essentialité de l’imaginaire, de
la mémoire, des inscriptions locales des comportements, retour à la granularité terrienne, à une
communauté confraternelle, accueillante et de l’exigence de spiritualisation condensée dans un idéal
communautaire. À rebours des slogans incantatoires sur le progressisme et la mise en avant du
rationalisme, l’auteur propose une mise à distance, sans rejet, de la philosophie des Lumières
(Aufklärung) et de l’économicisme dont le marxisme et la marxisation des esprits et des conduites.
Dans le chapitre premier, consacré à la peur archétypale, l’auteur prend notamment appui sur les
travaux de Jean Delumeau qui avait déjà retracé le lien entre l’intervention étatique, l’institution
ecclésiale et la gestion heureuse et malheureuse des grandes angoisses à la fin du Moyen-Âge.
Dans le défilé incessant de scientifiques de « plateau » et de journalistes sans distance critique, il
détecte l’emprise d’un « nouveau cléricalisme », structuré autour d’un « conformisme logique », notion
proposée par Émile Durkheim. Cette tendance approbatrice est portée par une caste d’experts, de
technocrates, de médias dominants, de communicants de télévision et personnels politiques, tous
focalisés autour de connaissances scientifiques approximées et d’alertes « objectives » dramatisée,
d’urgences sanitaires, de menaces catastrophistes scénarisées, « sloganisées », allant du climat,
schématisé par des cartographies terribles, à la multiplication des « sobriétés » ou à la guerre bien
réelle sur le sol européen. Mais au-delà, de la manipulation obsédante par la peur, brandissant les
sempiternelles images de la décrépitude et de la mort, savamment instillées durant la période
d’épidémie de 2020-2022, émergerait un lent basculement d’une époque moderne vers une autre
postmoderne dionysienne, plus proche des esprits communautaires : « Ainsi, on y reviendra plus loin,
en ne la réduisant pas à sa dimension sanitaire, la crise civilisationnelle en cours est le début d’un vaste processus de
résistance, s’exprimant dans le désaccord vis-à-vis des élites. Cette résistance révèle peu à peu un scepticisme, voire

1
Recension : Le Temps des peurs (2023) par Jean-Marie Seca

une rébellion envers les diverses stratégies de la peur » (p. 26). Maffesoli décrit alors par le menu une
ascension irrémédiable des mécontentements, en dépit des blessures (répression des Gilets jaunes,
privations des confinements ou de l’appauvrissement lié à l’inflation, larges effets secondaires des
produits expérimentaux pharmaceutiques, violences diverses subies par des catégories en marge,
stigmatisations diverses notamment médicosociales).
Mais il établit aussi un diagnostic spirituel et philosophique sur l’une des causes de l’impact
démesurée de la politique de la peur : la pauvreté d’esprit de nombreux télécitoyens et acteurs du
pouvoir, au sens profondément religieux et philosophique du terme, et la dépendance face à
l’idéologie du bien-être et à la consommation. À cette Terreur d’État, vaguement légitimée par des
institutions défaillantes, insistantes, il oppose l’alternative, plus ancienne et civilisée, de la distillation
homéopathique des peurs archétypales. « Les sociétés équilibrées ne nient pas la peur. Elles savent lui donner
sa juste place dans la vie sociale et, ainsi, en éviter les effets pervers. Les vierges noires, les figures de Salomé à la
chevelure de jais et autres “Dame fortune” où domine le noir, sont là pour rappeler une constante humaine : nigra
sed pulchra, “noire mais belle” » (p. 31). La mention de cette suite d’aphorismes et de notations
anthropologiques et philosophiques n’empêche pas l’auteur de détailler les aberrations de la
politique sanitaire, depuis une dizaine d’années. On en connaît un effet persévérant : celui de
culpabiliser les malades, souvent confondus avec les « cas testés positifs », durant la période 2020-
2022, ou de gêneurs des urgences et à l’hôpital dont on a réduit les moyens années après années.
Inutile de redire ce que de nombreuses publications ont déjà mis en évidence. Notons qu’aucune
critique n’est épargnée, par le sociologue parisien, aux gouvernants, depuis 2020 : usage réitéré du
mensonge, manipulation de masse, « totalitarisme doux », « réelle cruauté », « attitude prédatrice ». « Il s’agit
là d’une conséquence loin d’être négligeable et qui constitue l’aboutissement logique de la tendance générale au mensonge
généralisé. Les tenants du pouvoir sont, de ce point de vue, de véritables “ignorantins” se revendiquant des Lumières
quand ils en sont les éteignoirs. Les homélies patelines de l’oligarchie se repaissent de “démocratie”, de “valeurs
républicaines” alors qu’elles confortent tout simplement la technocratie » (p. 40).
Dans le chapitre 2, La société du spectacle, la verve et les formules de Maffesoli font mouche. L’objectif
est alors de rappeler comment quelques notions issues du situationnisme (Guy Debord) et de la
sociologie de la consommation (Jean Baudrillard) sont illustrées lors des défilés et tours de passe-
passe médiatiques. Ainsi, l’auteur adapte ces grilles de lectures, déjà anciennes, à la sociographie de
la propagande sanitaire, où est généralisé l’usage de procédés rhétoriques et de sophismes les plus
éculés par les acteurs de cette théâtralisation : « Le ministre de la Santé ne parle pas au nom d’Hippocrate
ou d’Esculape, dont il a d’ailleurs oublié les serments, mais comme le médecin-chef d’Urgences ou autres Grey’s
Anatomy. C’est un spectacle qui devient obscène à force de vouloir mimer la réalité » (p. 49). Plus généralement,
le discours télévisuel contemporain expose globalement les foules à des simulacres qui finissent par
être perçus tels qu’ils sont et par décourager le chaland, par la répétition de leur ineptie. Les
engagements citoyens s’éparpillent, par un abstentionnisme croissant ou un désinscription des listes
électorales, au profit de logiques participatives de ré-information et de protestations
communautaires sur les réseaux sociaux. « Les théâtrocrates protègent la population du danger fictif qu’ils
mettent eux-mêmes en scène. C’est ainsi aussi qu’opèrent aussi les publicistes, les plus malhonnêtes intellectuellement,
en s’appuyant sur ce qu’ils nomment “la science” des experts. Ils rejouent ainsi ce que fut, en son temps, le “despotisme
éclairé”, fondé sur la dictature d’une raison érigée en valeur exclusive. Un tel despotisme, renaissant régulièrement,
pense représenter l’humanité en son ensemble, alors que, la plupart du temps, il est le fruit d’un “entre-soi” des plus
restreints » (pp. 57-58). Ainsi, il faut obéir à des protocoles et appliquer des consignes au lieu de
2
Recension : Le Temps des peurs (2023) par Jean-Marie Seca

réfléchir. Les processus de conformisme médiatique sont décrits avec une précision chirurgicale et
une distance critique peu commune. « Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que le terme “plateau” est utilisé pour
résumer le lieu et la forme des débats concernés. Plateaux de théâtre où c’est moins la forme de la disputatio qui
prévaut que les affirmations assénées d’une manière à la fois niaiseuse et prétentieuse, ce qui toujours va de pair » (p.
62). À ces ensembles médiatico-politiques, se contentant de répéter les injonctions du pouvoir,
Maffesoli oppose le « discours représentatif » des réseaux sociaux et les communautés émergentes se
soulevant contre l’institué.
Quand on réfléchit à la question de l’information soi-disant « objective » et « désintéressée », on oublie
toujours de mentionner que les dispositifs actuels des mass-médias sont profondément biaisés
lorsqu’ils capitalisent l’attention des masses. Chaque participant aux débats est soigneusement
choisi, même quand il est un opposant au régime ou à la doxa. L’accidentologie discursive (couac,
disputes, dissonances) est aussi très bien managée et avec stratégie. On parle désormais de storytelling
et de narrativité politique. Dans une telle atmosphère conformiste et unidimensionnelle, le
chapitre 3, Du complotisme, ne fait alors que s’imposer logiquement. Bien évidemment, pendant la
diffusion de la doxa, une version scientiste et approximative des faits dits scientifiques est combinée
à des affirmations rapides et à l’emporte-pièce. L’élision et l’approximation concourent alors à la
fabrication de la « pensée par image », apte à magnétiser les foules1. Maffesoli plante alors le décor de
cette série de transformations sociocognitives de l’opinion. « Le scientisme affiché dans la théâtralité
médiatique n’est, somme toute, qu’une vulgarisation mal digérée, et de surcroit indigeste. Et c’est pour masquer tout
cela qu’est mis en avant le danger complotiste qui régulièrement, surgit quand une théorie dogmatique se sent menacée
par la vie réelle en son développement. Il faut d’ailleurs noter que c’est cette stratégie de la peur qui, non moins
théoriquement et à terme, engendre la révolte » (p. 69). Deux versions de l’accusation en complotisme sont
alors discutées : l’une est ancienne, virulente, manichéenne, et plonge ses racines dans le Complot
des Lepreux, un antisémitisme structural, le protocole des Sage de Sion et la suspicion contre les
Illuminati et les extraterrestres ; la seconde est bien moins délirante ; elle cherche à contrer la doxa
médiatique ou les options politiques dominantes, sûres de soi. Le terme « complotiste », comme le
mot « fasciste » auparavant, durant l’époque post-soixante-huitarde, devient, de nos jours et dans le
jargon ambiant, une façon d’invalider et de psychiatriser toute opposition. Et bien évidemment,
cette imputation est liée à une profonde crainte émanant de la caste administrative et politique au
pouvoir : celle de voir sa légitimité remise en cause. L’auteur décrit une stigmatisation de
« complotisme », bien mis entre guillemets pour faire sentir qu’il s’agit d’une stéréotypie de la
controverse, analogue à un « viol psychique et à un étouffoir de l’esprit » (p. 90).
L’idée, tant négligemment appliquée, de prétendre savoir mieux que le peuple ce qu’il lui faut a été
à l’origine de nombreuses dérives issues de la philosophie des Lumières et des objectifs
émancipatoires révolutionnaires, notamment des mouvements politiques issus du marxisme. Selon
Maffesoli et probablement, on peut le suivre sans conteste sur ce sujet, dans son quatrième chapitre,
le fait de s’ériger en « woke » cristallise l’actualisation de ce vieux tropisme, ayant environ deux siècles
d’existence, consistant à se vouloir à l’avant-garde dans l’objectif de conscientisation des endormis.
« “Woke”, ils prétendent être éveillés, parfois même éveilleurs. Mais c’est un éveil bien limité très précisément en ce
qu’ils se limitent à une identité de race, de sexe, de genre, alors que le propre de la condition humaine est de mettre
en œuvre des identités multiples […]. De ce fait, peut-être à son corps défendant, le “wokisme” est un élément de

1 Voir à ce sujet : Moscovici Serge, L’Âge des foules. Traité historique de psychologie des masses. Paris, Fayard, 1981.

3
Recension : Le Temps des peurs (2023) par Jean-Marie Seca

la stratégie de la peur, en focalisant l’attention sur des contestataires qui n’en sont pas vraiment, ce qui conforte le
mécanisme de soumission généralisée que le système promeut » (p. 99). Cette tendance à la fois bien-pensante,
éducative et idéologique, prolongerait ainsi une forme rationaliste d’administration catégorielle et
classificatoire des esprits et des corps qui s’amplifie et se sophistique de plus en plus, soit par le
marketing, soit par l’action édifiante des institutions publiques, de l’aide sociale à la santé ou à la
fiscalité. Au fond, par son objectif constructionniste et prothétique, s’appuyant sur le pouvoir de
l’État, le « wokisme » permettrait d’améliorer une soumission généralisée des individus à des formes
administratives nouvelles, en brisant les liens spontanément structurés par la forme interactionnelle
du social, les traditions, les communautés. Et donc, ces mouvements rejoueraient la terreur
catastrophiste de l’an mil, par divers messages répétés à l’envi sur la justice sociale, la lutte contre
un racisme systématisé et systémique et l’impact néfaste des maléfices de dominants binairement
intolérants ou l’ombre de surgissements monstrueux menaçants. L’auteur voit donc dans le
« wokisme » le paroxysme d’une reductio ad unum (réduction à l’un) se développant durant la modernité
individualiste renforçant l’emprise de diverses entités surpuissantes : États-nation, grands
dispositifs unificateurs, emprise de la technobureaucratie. À ce mouvement faussement rebelle et
réellement fonctionnaliste, Maffesoli oppose une philosophie progressive, plutôt que progressiste,
cette dernière étant basée sur d’innombrables tabous et interdictions favorisant une république des
droits et une judiciarisation des comportements privés.
Mais que faire, sinon espérer une rébellion des peuples (chapitre 5) ? Celle-ci aurait comme ferment
une poussée irrésistible du vouloir-vivre collectif, de l’idéal communautaire et le refus de
l’étouffement technostructurel lié aux mesures de confinement et de contention climatiste de
prétendue sobriété. Un terme clé cristallise les mécanismes de déclenchement : le « processus de
saturation », moment où tout bascule, par l’addition incrémentale d’événements apparemment
mineurs faisant grossir inexorablement ces mouvements oppositionnels jusqu’à leur basculement
vers la révolte. « C’est cela, la montée des profondeurs de la puissance populaire, puissance instituante, contre le
pouvoir institué. À certains moments, prévaut le recours aux élites, mais lorsque celles-ci ne sont plus en phase avec
les attentes quotidiennes, c’est l’appel au peuple qui prime. C’est la logique même du processus de saturation : ce qui
a été élaboré dans le secret de la société officieuse éclate au grand jour. Le grouillement intérieur, dès lors, éclate au
grand jour. La dernière goutte fait déborder le vase, et un autre état des choses s’impose ensuite » (p. 125). Que ce
soit du fait de la verticalité décisionnelle et philosophique des castes au pouvoir ou de l’aveuglement
structural des médias, on observe une obstination à ignorer la « centralité souterraine », « l’émergence
tribaliste » ou « communautaire » et « l’homme caché, gardien de l’immémoriale tradition et de la puissance
populaire ». Et derrière cette inéluctable évolution, on perçoit celle d’une philosophie progressive,
comme retour aux fondamentaux de la tradition.
Dans son sixième chapitre, Tradition, un « enracinement dynamique » est détaillé, impliquant un
appariement des contraires, et la théorie philosophique de la coincidentia oppositorum. L’hypothèse est
alors proposée qu’il se déroulerait une « catharsis éthique », depuis des années, provoquant ce profond
basculement d’une époque à une autre en gestation. Cette catharsis renverrait alors à une « unification
de la mystique et de la rationalité » (p. 144). À contre-courant du processus d’apeurement et de la
destruction du passé et de ses formes imaginaires, en opposition à l’hégémonie financière, mass-
médiatique (les variétés et simagrées dialogiques), politique et économiciste des castes au pouvoir,
on observe la rémanente et rituelle réémergence des tribus, inscrites dans les traditions tant
populaires qu’immémoriales des sociétés. L’idée est alors de lutter contre le déracinement par la
4
Recension : Le Temps des peurs (2023) par Jean-Marie Seca

pratique d’une herméneutique et la primauté accordée à l’ésotérisme. Maffesoli explore, par divers
exemples et commentaires, l’encastrement culturel et philosophique des tribus, groupes et individus
dans un « pacte communautaire » où les sentiments, les affects ou les émotions sont primordiaux.
Finalement, l’ironique et provocateur titre « Renaissance » du chapitre suivant va à l’encontre de ce
que prône le parti, récent, du même nom. Il s’agit là d’une nouvelle temporalité, succédant à une
précédente de type apocalyptique et faisant émerger les forces telluriques qui couvent sous
l’apparence lisse des discours convenus. Le diagnostic posé par Maffesoli est à la fois simple et
cruel : « La culpabilisation de soi et la haine du monde sont la suite logique de l’exacerbation de la peur.
L’Inquisition, de nos jours, traque le “complotisme” en se servant des expressions “wokisme”, le prétendu “éveil”
permettant de légitimer les formes de répression caractérisant l’hygiénisme ambiant, et ce, bien entendu, dans la
théâtralisation propre à une société du spectacle généralisé » (p. 178). La rébellion populaire s’oppose ainsi
aux valeurs simulacres qui sont érigées dans un tel monde. Et elle devrait conduire à cette renaissance
reliant nature, écosophie, tradition, valeurs centrales des communautés en interaction et un certain
rapport au sacré. De plus, et essentiellement, la renaissance envisagée implique une vraie prise en
compte d’une « multipolarisation » de la société, tenant compte des liens organiques entre divers
niveaux existentiels, tant spirituels, culturels, religieux que sociaux. De cette manière, émergeant
des foules et des dialogues basés sur un engagement profond, la complexité, l’intégration des
formes contraires et l’antinomie sont de plus en plus effectivement considérées pour leurs apports.
L’intérêt de ce livre-événement est que l’œuvre de ce sociologue, bien connu dans le champ
académique hexagonal, y est intelligemment résumée et développée dans toute sa quintessence et
dans ses diverses ramifications théoriques et thématiques. De plus, on discerne, dans les écrits
maffesoliens récents (notamment L’Ère des soulèvements, édité en 2021) une brise légère mais
constante de prophétisme insouciant, plutôt rassérénant et tonifiant. Cependant, on doit
s’interroger, sans rien asserter à ce sujet, sur les liens entre l’approche de cet auteur majeur et les
idéologies multiculturalistes nord-américaines (dont celle de Charles Taylor : op. cit.), fondées sur
un patchwork de communautés ethnico-religieuses, requis par l’organisation ultralibérale des sociétés
contemporaines. Est-ce que finalement, la finalité intrinsèque de ce tribalisme, décrit par Maffesoli
avec brio, n’est pas de faire avaler la pilule de la complète soumission à l’ordre capitaliste ultralibéral
qui se met en place depuis une trentaine d’années dans le monde, tant en Chine, qu’en Russie qu’en
Occident ? Certes, il faut surtout considérer l’approche maffésolienne comme une observation de
ce qui est et des faits sociétaux. Le regard anthropologique de cet auteur est structuraliste et « éloigné »,
au sens que lui donne Claude Lévi-Strauss2. Cette distance méthodologique et théorique face à des
phénomènes contemporains s’inscrit dans une perspective de réflexion de longue durée. La
constatation de l’émergence inéluctable d’autres façons de faire et de vivre peut aussi déplaire à
certains militants verticalement engagés dans un combat et des schémas d’organisation alternative
des sociétés, lutte qu’ils jugent légitimes pour contrer une domination ou une injustice. Néanmoins,
notre principale critique de l’idéal communautaire est dans le fait qu’il s’agit finalement d’une utopie
dont les manifestations concrètes (communautés fragmentées, telles que les familles recomposées
ou monoparentales, ou, au contraire, communautarismes agressifs, conquérants) sont souvent
décevantes. La métaphore du petit village de Provence ou du Sud de la France qu’aime reprendre
Maffesoli quand il explique son point de vue sur la sagesse populaire est touchante. Mais elle n’a

2 Lévi-Strauss Claude, Le Regard éloigné. Paris, Plon, 1983.

5
Recension : Le Temps des peurs (2023) par Jean-Marie Seca

que peu de choses à voir avec les vraies communes françaises d’aujourd’hui qui ressemblent bien
plus aux descriptions de Michel Houellebecq, dans La Carte et le territoire ou Sérotonine3 qu’aux
évocations pittoresques et nostalgiques de Marcel Pagnol4. Cependant, l’intention de Maffesoli est
avant tout de décrire un vrai basculement sociétal pour les prochains siècles, mutation qui ne
dépend ni des bonnes volontés individuelles ni des programmations partisanes. Mais ce que l’auteur
de cette recension voudrait surtout souligner est la grande modestie scientifique et philosophique,
une ouverture réelle à la controverse et à la disputatio de Maffesoli qui insiste régulièrement sur le
fait qu’il ne fait qu’émettre des hypothèses, concernant les lignes d’horizon et la diffusion de l’idéal
communautaire.
Jean-Marie Seca, Université de Lorraine, 2L2S

3 Houellebecq Michel, La Carte et le territoire. Paris, Flammarion, 2010.


Houellebecq Michel, Sérotonine. Paris, Flammarion, 2022.
4 Pagnol Marcel, La Gloire de mon père : souvenirs d’enfance I. Montecarlo, Pastorelli, 1957.

Vous aimerez peut-être aussi