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Renforcer la gestion budgétaire pluriannuelle des

communes et intercommunalités pour faire face aux


enjeux du XXIe siècle
Anthony Poulin
Dans Gestion & Finances Publiques 2023/2 (N° 2), pages 57 à 65
Éditions Lavoisier
ISSN 1969-1009
© Lavoisier | Téléchargé le 01/06/2023 sur www.cairn.info par Emile Noah via Institut Français du Cameroun (IP: 102.244.43.117)

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Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-gestion-et-finances-publiques-2023-2-page-57.htm

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La pluriannualité en finances locales

Colloque de Besançon, 1er décembre 2022

Anthony POULIN
Adjoint à la maire de Besançon en charge des finances, de la commande
publique, du développement durable et de la coordination des actions
de résilience

Renforcer la gestion budgétaire pluriannuelle


des communes et intercommunalités pour faire
face aux enjeux du XXIe siècle
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Mots-clés : budget vert - plan pluriannuel d’investissement (PPI) - transition
écologique - investissement - collectivités - budget local - climat,
éco-conditionnalité - loi de programmation - dette, emprunt - critères
extra-financiers - résilience territoriale - achat public - SPASER - bonne
gestion financière

Dans un monde en pleine mutation, les collectivités locales ont un rôle


majeur à jouer pour amplifier la transition écologique et sociale. Pour cela, les
communes et intercommunalités doivent consacrer des moyens budgétaires
importants et ciblés dans un contexte tendu, marqué par la raréfaction des
deniers publics. Pour façonner efficacement l’avenir, l’approche pluriannuelle
s’impose. La construction de PPI « pro-climat » sécurise les moyens publics
alloués à la transition écologique. Elle permet de changer en profondeur
la construction de l’ensemble des politiques publiques et d’entraîner les
habitants et le secteur économique dans cette voie. Le succès des plans
pluriannuels dépend de la capacité à garantir des ressources durables aux
collectivités et d’asseoir un partenariat pluriannuel de confiance entre l’État
et les collectivités. Cela pourrait par exemple prendre la forme d’une loi
de programmation spécifique pour le climat qui comprendrait un volet
territorial, mais, pour aller plus loin, il est aussi nécessaire de repenser les
critères de bonne gestion des budgets locaux.
doi:10.3166/gfp.2023.2.007
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La pluriannualité en finances locales

Colloque de Besançon, 1er décembre 2022

A
près 2030, il sera trop tard. C’est l’alerte leurs budgets chaque année dans un cadre très
que lancent les scientifiques du GIEC, précis. Néanmoins le code général des collectivi-
rapport après rapport, depuis une dizaine tés territoriales inscrit différentes règles relatives
d’années. À l’occasion des élections municipales à la gestion budgétaire pluriannuelle. Dans les
de 2020, Fabrice Boissier, directeur général dé- communes de plus de 3 500 habitants, le débat
légué de l’Ademe, reprenait cette conclusion en d’orientation budgétaire3 permet annuellement
indiquant que « Le mandat des maires qui vont de faire le point sur l’ensemble des engage-
arriver en fonction, 2020-2026, est un des der- ments pluriannuels pris par la collectivité. Les
niers mandats vraiment utiles pour faire la tran- communes et intercommunalités ont également
sition. »1. la possibilité pour financer leurs investissements
d’utiliser les mécanismes des autorisations de
programmes et crédits de paiement (AP/CP)4. Ce
Chaque ville à travers le monde a ses propres vul-
procédé est facultatif mais efficace pour donner
nérabilités environnementales, sociales, écono-
de la lisibilité aux engagements pris par la collec-
miques, démocratiques. Interdépendantes, ces
tivité et permettre la mise en œuvre des projets
vulnérabilités ont la caractéristique commune
d’investissements. Cela permet d’ajuster l’équi-
d’être amplifiées par l’accélération du change-
libre budgétaire à la réalité « psycho-financière »
ment climatique.
des opérations d’investissement. Séduisante,
cette technique initialement aux mains des dé-
Le vieillissement de la population, les mutations
partements et des régions tend à se généraliser
du monde du travail et de l’économie, l’érosion
dans les grandes collectivités et intéresse de plus
de la biodiversité, la raréfaction des ressources
en plus celles de taille plus modeste.
naturelles et énergétiques, l’augmentation des
températures, l’artificialisation des sols, les mi-
grations… sont autant de défis qui marquent La gestion budgétaire pluriannuelle se traduit
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notre siècle, qui impactent les territoires et souvent dans les communes et intercommunali-
qui peuvent perturber le quotidien de leurs tés par la mise en œuvre d’un plan pluriannuel
habitants. Nos territoires, comme la planète, d’investissement (PPI). Il s’agit d’un document
changent sous nos yeux. prévoyant les investissements d’une collectivité
sur le moyen ou long terme. La loi NOTRé du
Du local au global, il n’y a qu’un pas. La situation 7 août 2015 est venu renforcer son rôle. Ce do-
climatique mondiale continue de se dégrader et cument de programmation, émanation du pro-
les actions entreprises jusqu’à maintenant sont gramme politique, est un document opérationnel
insuffisantes. Ce constat, de par sa globalité, in- indispensable. Il s’agit d’un outil de pilotage des
cite à l’appropriation de l’enjeu climatique par collectivités et un instrument de prospective fi-
l’ensemble des acteurs publics, chacun à son nancière utile pour les élus, les forces vives des
échelon. Dans un monde en pleine mutation, les territoires et les habitants.
collectivités locales ont un rôle majeur à jouer à
la fois en tant qu’organisation publique prescrip-
trice, coordinatrice et animatrice sur un territoire Bâtir un plan pluriannuel d’investissement, c’est
donnée. Atténuer, prévenir, adapter, tout en projeter sa collectivité dans un dessein d’ave-
restant solidaires apparaît comme l’orientation nir. Cette construction permet de répondre à
prise par de nombreuses collectivités locales, en une question fondamentale que doit se poser
particulier les communes, véritables chevilles ou- chaque maire : quels projets, pour quelle so-
vrières de la transition écologique. ciété aujourd’hui et demain ? Trop souvent per-
çus comme un simple outil de bonne gestion,
La Stratégie nationale bas carbone2 indique que les plans pluriannuels d’investissement et de
75 % des leviers de la transition énergétiques fonctionnement revêtent une dimension poli-
sont territoriaux. Il apparaît décisif de les activer, tique majeure. Situé en aval de la planification
1
« Réchauffement climatique : de les mettre en musique et de les coordonner. stratégique et en amont de la programmation,
la bataille des 2 °C est
presque perdue », Pierre Le Pour cela, les communes et intercommunalités le PPI contribue à la clarification de la stratégie
Hir, Le Monde, 31 octobre doivent consacrer des moyens budgétaires im- d’investissement et prépare l’avenir du territoire.
2017.
portants et ciblés dans un contexte tendu de Les collectivités locales doivent pleinement
2
Stratégie nationale bas
carbone, ministère de raréfaction des deniers publics. L’approche plu- s’emparer de la possibilité de programmer plu-
l’Écologie, novembre 2015 ri-annuellement leurs investissements à travers
revisité par décret le 21 avril
ri-annuelle s’impose.
2020. ce document, pour apporter des réponses quoti-
3
Article L2312-1 du CGCT. Les communes et intercommunalités, en applica- diennes à leurs administrés tout en intégrant des
4
Article L2311-3 du CGCT. tion du principe d’annualité budgétaire, votent réponses pour faire face aux défis de notre siècle.

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La pluriannualité en finances locales

Colloque de Besançon, 1er décembre 2022

1 L’émergence de plans pluriannuels d’investissements « verts » :


un levier politique et de pilotage au service de l’accélération
de la transition écologique dans les territoires

Un Français sur deux fait confiance aux élus lo- tiques publiques locales. Inscrire dans le temps,
caux pour « engager les changements imposés plus ou moins long, ces projets doit permettre de
par le réchauffement climatique » selon un son- donner un cap. Un fil conducteur qui permet de
dage Odoxa-Le Cercle des élus locaux réalisé en donner vie aux engagements programmatiques
octobre 20225 mais une proportion quasi iden- pris devant les électeurs durant la campagne
tique d’entre eux (54 %) estiment que leurs élus électorale. La mandature actuelle (2020-2026)
locaux « sous-estiment les risques climatiques » s’est ouverte dans une période extrêmement sin-
ou encore que ceux-ci « n’ont pas les moyens gulière, en pleine crise sanitaire mondiale, per-
d’agir » pour faire face à de tels risques (52 %). turbant profondément les équilibres budgétaires.
Le coût total net cumulé pour les collectivités lo-
Cette étude d’opinion illustre qu’il est nécessaire
cales de la crise COVID est de -7,1 milliards d’eu-
de crédibiliser et de massifier l’action publique
ros pour les années 2020 et 2021 soit l’équivalent
locale pour le climat. La construction de plans
de 16 % de leur épargne brute d’avant crise7.
pluriannuels d’investissement « pro-climat » per-
Nous pouvons également souligner une baisse
mettrait de changer en profondeur la construc-
importante de 2,1 milliards d’euros des recettes
tion de l’ensemble des politiques publiques (A)
réelles de fonctionnement des communes en
tout en sécurisant les moyens publics alloués à
20208. Dans ce contexte, l’élan de transformation
la transition écologique permettant d’entrainer
souhaité par de nombreux nouveaux exécutifs
l’ensemble des habitants (B) et du secteur éco-
municipaux fraîchement élus s’est vu stoppé,
nomique (C) dans cette voie (B).
nécessitant une réévaluation des promesses
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électorales au regard d’une réalité budgétaire
A. Faire de la gestion budgétaire plu- contrainte.
riannuelle un outil de transformation
Prioriser, choisir entre différents projets est intrin-
des politiques publiques sèque à la fonction des élus locaux. Ces derniers
Trop longtemps, trop souvent, les politiques se trouvent au carrefour des nombreuses attentes
de transition écologique ont été cantonnées à et besoins exprimés et doivent arbitrer dans le
des chapitres budgétaires dédiés et déconnec- souci de satisfaire l’intérêt général de leurs habi-
tés des autres. Cela reste encore le cas dans de tants. Ainsi, face aux enjeux climatiques, sociaux
nombreuses communes et intercommunalités. et économiques, les élus locaux ne peuvent pas
Même si l’obligation de construire des « plans cli- se contenter d’une gestion au jour le jour mais
mat-air-énergie » (PCAET) à l’échelle de chaque doivent inscrire la réalisation de leurs engage-
EPCI, en application de la loi relative à la transi- ments dans une vision à moyen et long terme.
tion énergétique pour la croissance verte6, vise Plusieurs initiatives ont été prises par des com-
une « approche territoriale intégrée », le « silo- munes et intercommunalités pour systématiser
tage » des politiques publiques locales reste un une approche intégratrice des enjeux écolo-
frein à l’amplification et à la mise en cohérence giques dans la construction des budgets locaux.
des politiques environnementales, énergétiques, Le marquage environnemental, ou « budgétisa- 5
« Lutte contre le changement
de mobilité, de gestion des ressources et d’amé- tion verte », regroupe plusieurs méthodologies climatique : un Français sur
deux fait confiance aux élus
nagement du territoire. De plus, cette approche plus ou moins opérationnelles comme l’illustre locaux », Thomas Beurey /
reste limitée à une vision réductrice de la transi- un rapport de l’Agence France Locale élaboré Projets publics pour Localtis,
8 novembre 2022.
tion écologique. Il est temps d’intégrer pleine- en collaboration avec l’INET en avril 20229. Les 6
Article 188 de la LTECV,
ment les dimensions sociales et sociétales de la principales initiatives recensées sont les suivantes 18 août 2015.
transition. L’objectif global n’étant plus simple- et s’inscrivent toutes dans une logique plurian- 7
« Les impacts de la crise
ment de préserver la planète mais de bâtir une Covid sur les finances locales
nuelle : en 2020 et 2021 », OFGPL,
société protectrice des habitants et du vivant juin 2022.
– le budget carbone développé par la ville d’Oslo
compatible avec les enjeux climatiques. 8
« Les finances des collectivités
en s’engageant à respecter la neutralité carbone locales en 2020 », Bulletin
Cette approche systémique doit se traduire dans de leur territoire d’ici 2030. Les élus osloïtes ont d’informations statistiques de
la DGCL n° 153, juillet 2020.
la façon de construire les budgets locaux. Aux observé que les principales émissions de CO2 9
« Le budget vert : un outil pour
regards des urgences climatiques et sociales, il dans leur ville provenaient à 60 % des trans- les collectivités au service de
semble nécessaire de faire évoluer les modalités ports, à 25 % de la construction et à 15 % des la transition écologique ? »,
Étude de l’INET publié par
de construction et de programmation des poli- traitements de nos déchets. L’ensemble de leurs l’AFL, 7 avril 2022.

GFP N° 2-2023 / Mars-Avril 2023 59


La pluriannualité en finances locales

Colloque de Besançon, 1er décembre 2022


budgets et de leurs projets ont été program- tra-financiers complémentaires pour justifier ses
més jusqu’en 2030 en fonction de ces domaines choix et s’assurer de la compatibilité écologique
prioritaires tout en fixant des limites maximales de ses projets sur le court, moyen et long terme.
d’émissions de gaz à effet de serre (GES) à ne L’ensemble de ces approches permettent
pas dépasser. En fixant un terme à l’horizon 2030, d’intégrer la dimension écologique, au sens
l’initiative de la ville d’Oslo est d’autant plus sin- large, toutefois comme l’indique le rapport de
gulière que dans ce cas l’ambition de la program- l’agence France Locale « en dépit d’une multipli-
mation budgétaire va plus loin que le simple cité d’avantages, le lancement d’une démarche
mandat électoral. de budgétisation verte peut aussi être source
– « budget vert » selon la méthodologie d’évalua- de complications » et nécessite de « trouver un
tion d’I4CE testée dans plusieurs grandes métro- équilibre en exhaustivité et faisabilité ». Le point
poles françaises (villes de Paris et de Lille, métro- commun entre toutes ces démarches réside dans
pole du Grand Lyon) permettant de classifier les le fait qu’elles s’inscrivent dans une logique de
dépenses et recettes favorables au climat selon construction pluriannuelle des budgets locaux.
un code couleur ; Le fait d’inscrire sur plusieurs années la réalisa-
– budget « pondéré » élaboré par la ville de Mé- tion de ses investissements apparaît comme une
rignac visant à calculer les sommes favorables à condition minimale pour parvenir à amplifier la
l’environnement ; transition écologique. S’il ne sait pas où il va et
– méthode de comptabilité socio-environnemen- pourquoi il le fait, l’élu n’est qu’un gestionnaire
tale inspirée de plusieurs travaux de chercheurs ; et oublie sa fonction politique première : celle de
façonner la société et le vivre ensemble.
– méthode permettant de cartographier le bud-
get au regard des objectifs de développement Certaines communes ont décidé de franchir
durable (ODD) pratiquée à l’Eurométropole de le pas en construisant un PPI « vert » 12. A titre
Strasbourg ; d’exemple, la municipalité de Pessac a souhaité
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élaborer un Plan pluriannuel d’investissement
– la méthodologie du « Budget Vert » 10, por- 2020-2026 dont le montant total s’élève à 100 M€.
tée par la CDC Biodiversité et les régions Véritable outil de pilotage budgétaire, il permet
Bourgogne-Franche-Comté, Grand-Est, Nou- à la collectivité de planifier, sur la durée du man-
velle-Aquitaine et Occitanie permet aux collec- dat, l’ensemble de ses investissements. Dans le
tivités territoriales de mener une évaluation envi- cadre de son engagement en faveur de la transi-
ronnementale de leurs budgets qui couvre aussi tion écologique, la municipalité s’inscrit dans une
bien les enjeux d’atténuation et d’adaptation logique budgétaire qui intègre les conséquences
aux effets du changement climatique que ceux environnementales de ses actions.
de préservation et de restauration de la biodiver-
sité ;
B. La pluri-annualité budgétaire
– normalisation via les normes ISO 14000 déve- comme une occasion d’appropriation
loppées par l’AFNOR permettant d’intégrer au
pour les habitants
sein de son organisation un système d’évaluation
environnementale et d’aider les organisations à La construction d’une programmation plurian-
gérer leurs responsabilités environnementales… nuelle des investissements représente une occa-
De son côté, la ville de Besançon travaille ac- sion de rendre public les projets et orientations
tuellement à une autre approche en lien avec le de l’action publique et ne doit pas être perçue
CEREMA et le cabinet d’études Auxilia. L’enjeu simplement comme un outil de gestion interne
est d’élaborer de la méthodologie fondée sur les efficace pour piloter et orienter l’action d’une
conditions de mise en œuvre de l’Agenda 2030 collectivité.
et d’une stratégie de résilience pour le territoire. A l’échelle d’une commune, ou d’une intercom-
10
« Comment évaluer les En croisant les approches existantes (ODD et la munalité, la priorisation d’un plan d’investisse-
politiques publiques
engagées pour préserver
Boussole de la résilience imaginée par le CE- ment peut permettre de faire de la pédagogie
la biodiversité ? », Antoine REMA11), la ville se dotera d’un outil d’aide à la budgétaire et de partager les enjeux auxquels les
Cadi, Atelier des assises
nationales de la biodiversité, décision budgétaire qui ne se situera pas dans collectivités locales sont confrontées. Le débat
7 septembre 2022, Besançon. le champ de l’évaluation mais dans celui de la d’orientation budgétaire en conseil municipal,
11
« La boussole de la construction même des projets à inscrire au bud- prévu par la loi pour les communes et intercom-
résilience », Les Cahiers du
CEREMA, 14 octobre 2020. get. En éco-conditionnant l’ensemble des nou- munalités de plus de 3 500 habitants, constitue
12
« Un référentiel maison veaux projets et des nouvelles lignes budgétaires une étape décisive pour que l’ensemble des élus
d’investissement durable », et en anticipant les impacts de ses réalisations, la s’approprient le budget et puissent donner leurs
Gaëlle Ginibrière, La Gazette
des communes, 8 août 2022. ville de Besançon s’appuiera sur des critères ex- avis. A ce titre, le code général des collectivités

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La pluriannualité en finances locales

Colloque de Besançon, 1er décembre 2022


impose que ce débat porte sur l’exercice en lors d’une consultation publique ; l’organisation
cours et sur les engagements pluriannuels envi- municipale gardera seule la responsabilité de la
sagés par la collectivité. Aussi important soit-il, décision finale. Peu de communes françaises sont
au regard des enjeux d’acceptabilité des mesures allées jusqu’à ce stade de participation mais de-
à prendre en matière de transition écologique, ce puis les années 2000, au Canada, plusieurs gou-
débat n’apparaît pas suffisant. vernements provinciaux ont systématisé cette
Ainsi, plusieurs collectivités ont renforcé l’in- possibilité.
formation publique au service du budget. Par Une forme plus aboutie de participation consis-
exemple, à Besançon, nous avons réalisé l’en- terait à co-construire le budget entre la munici-
semble de nos documents budgétaires et la palité et les habitants. La plan d’action, sorte de
publication de notre PPI en Facile à lire et à programmation pluriannuelle, est alors construit
comprendre (FALC) grâce au concours d’une as- et évalué par et avec les habitants. Aucune col-
sociation de personnes en situation de handicap lectivité française ne semble avoir fait ce choix.
psychique afin de permettre à toutes et tous de Il n’en reste pas moins que l’expérience du bud-
comprendre le budget communal et d’identifier get participatif de Porto Alegre15 reste inspirant.
les grands projets sur lesquels la ville s’est enga- Des conférences plénières étaient organisées au
gée. cours de la phase de la construction budgétaire
Certaines collectivités sont allées plus loin en ac- et les citoyens pouvaient voter pour définir et
tivant des processus de participation citoyenne classer les priorités de l’action publique. Ils pou-
et en faisant trancher directement l’inscription vaient même choisir les projets qu’ils souhaitaient
de projets dans leur PPI par leurs habitants. La que l’administration mette en œuvre.
participation des citoyens dans le processus bud- Dans une moindre mesure, il est intéressant d’ob-
gétaire doit s’envisager différemment selon le server que la publication des plans pluriannuels
« moment » où elle intervient (avant : « phase de d’investissement des principales communes
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budgétisation »/pendant : « phase d’exécution »/ françaises a souvent été accompagnée de temps
après : « phase d’évaluation »). de présentation et de débat plus ou moins déve-
Le budget participatif semble la forme la plus loppés permettant aux habitants de s’approprier
plébiscitée par les collectivités locales. On re- les enjeux budgétaires. L’absence de publication
cense, aujourd’hui, des budgets participatifs d’un PPI par une collectivité fait parfois l’objet de
dans 140 communes en France. S’il est à noter nombreuses critiques de la part des oppositions
que 40 % des projets choisis concernent l’envi- qui pointent du doigt un manque de transpa-
ronnement, il convient de souligner que ces der- rence et de vision. A l’heure où la mobilisation
niers restent dans des volumes annuels limités13. pour le climat impose le concours de toutes et
Il ne s’agit donc pas, le plus souvent, de consulter tous, les plans pluriannuels d’investissement ap-
les citoyens sur de grandes orientations ou bien paraissent comme l’un des moyens d’emmener
sur les grands équilibres budgétaires. l’ensemble de la société vers la transition écolo-
gique.
Nous pourrions également imaginer au cours de
la phase de budgétisation, d’ouvrir la possibilité
de consulter les citoyens pour recueillir leurs avis C. « L’écologisation » des plans plu-
en matière d’exécution budgétaire. Cela permet- riannuels d’investissement comme
trait d’ajuster les documents de préparation bud- levier de transformation pour l’éco-
gétaire aux préférences en matière de politiques nomie locale
publiques et sur les services qui devraient, selon 13
https://
eux, bénéficier de davantage de moyens. Ainsi à Les collectivités représentent le premier inves- lesbudgetsparticipatifs.fr/
la suite de son élection, la maire de Millau initie tisseur public. Elles réalisent 70 % de l’investis- 14
« Permettre aux citoyens de
réinventer leur ville », étude
une démarche participative inédite : la réalisa- sement public civil dont plus de 27,2 milliards de cas, Cap collectif.
tion d’un audit financier citoyen14. Quinze habi- d’euros pour les seules communes et intercom- 15
« A Porto Alegre, c’est la
tants sont ainsi tirés au sort afin de se pencher munalités soit autant de marchés publics dont les population qui trace les
destinées de la ville via le
sur les finances de la commune lors de différents entreprises peuvent être bénéficiaires. Etablir et budget participatif ou par
ateliers. L’audit citoyen révèle (entre autres) que rendre public des programmations pluriannuelles une co-élaboration du
budget de la ville », Pascale
5 millions d’euros peuvent faire l’objet de dé- d’investissements représente un enjeu décisif Thys, septembre 2001,
penses d’investissement. Un montant insuffisant pour le secteur économique16. Les collectivités CITEGO.

pour financer l’ensemble des projets envisagés ont un rôle majeur à jouer pour assurer un hori-
16
« L’investissement public
local face au resserrement de
par la commune. La mairie a donc laissé le soin zon économique viable et la fixation d’emplois la contrainte budgétaire »,
aux habitants de voter pour les projets d’investis- durables sur les territoires. Définir une planifica- rapport final remis à la Caisse
des dépôts et consignations,
sements qu’ils souhaitent voir réalisés en priorité tion écologique ambitieuse, permet aux pouvoirs mai 2021.

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La pluriannualité en finances locales

Colloque de Besançon, 1er décembre 2022


publics locaux d’apporter de la visibilité et de sé- déterminent les objectifs des politiques d’achat
curiser les moyens publics dédiés aux investisse- public écologiques et sociales. Ils permettent de
ments à fortes conséquences écologiques. Cela systématiser les clauses écologiques (sociales
constitue un levier d’entraînement pour l’en- et/ou environnementales) dans l’ensemble des
semble des acteurs économiques d’un territoire. marchés publics d’une collectivité tout en facili-
tant l’accès aux marchés publics des entreprises
En réduisant les incertitudes sur les politiques pu-
locales. En deux ans, le SPASER de Besançon
bliques et en assumant un cap résolument tourné
adopté de manière volontariste en 2021 a ainsi
vers la bifurcation écologique, les collectivités
permis de passer de 15 % de marchés publics «
poussent les investisseurs à se détourner défini-
clausés » en 2020 à 81 %. Dans le même temps,
tivement des actifs les plus carbonés et les plus
plus d’entreprises locales ont eu accès à la com-
destructeurs pour l’environnement. La crainte
mande publique puisqu’un marché public sur
de miser sur des investissements et crédits qui
deux de la ville de Besançon est attribué à une
pourraient connaître une forte dépréciation est
entreprise du Grand Besançon et plus de 75 %
au cœur des réflexions de plus en plus d’indus-
à une entreprise de Bourgogne Franche-Comté.
triels et d’acteurs de la finance (concept des ac-
Eco-conditionner les opérations inscrites au plan
tifs « échoués »). En inscrivant de fortes capacités
pluriannuel d’investissement permet ainsi de ren-
d’investissements pour la transition sur le moyen
forcer l’emploi et les savoir-faire locaux.
et long terme, les collectivités peuvent assurer
des débouchés économiques aux entreprises Pour aller plus loin, dans une approche globale,
que l’économie de marché n’est plus en mesure il convient de se questionner sur les modalités
d’assurer à elle seule. de financements des opérations inscrites dans le
Programmer, c’est anticiper les aléas et mieux sé- PPI. En matière d’investissement, les collectivités
curiser les ressources nécessaires dans la durée ont la possibilité d’avoir recours à l’emprunt qu’il
pour atteindre les objectifs climatiques. Cette est également possible de questionner. En effet,
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programmation dans la durée permet de dé- pour parvenir à une neutralité carbone en 2050, il
dier des enveloppes, de fixer des orientations à convient de ne plus investir dans les énergies fos-
atteindre dans la durée, de tenir un cap. Nous siles. Conscients et informés, des établissements
pouvons prendre l’exemple du développement bancaires et d’assurance s’engagent dans cette
des énergies renouvelables au cœur de la loi sur direction mais dans un rythme insuffisant à ce
« l’accélération des énergies renouvelables » jour. Les collectivités ont un rôle à jouer. En éta-
adoptée le 31 janvier 2022 par l’Assemblée na- blissant des critères extra-financiers climatiques
tionale qui place l’élu local au cœur de la transi- et sociaux, comme cela a été fait à Besançon et
tion. Les élus locaux, au premier rang desquels comme le souhaitent les maires des plus grandes
les maires, auront le pouvoir de définir les zones villes de France18, les communes engagées dans
prioritaires propices à l’implantation des ENR et cette démarche imposent un changement de
disposent d’un droit de contrôle renforcé de ces pratique au milieu bancaire. Un changement de
installations. Ainsi, c’est bien de l’ambition locale pratique et de paradigme d’autant plus néces-
que dépend l’atteinte des objectifs nationaux et saire au regard de l’accélération du changement
européens en la matière. Les pouvoirs publics climatique.
en inscrivant des sommes importantes pour dé-
Nous le voyons, fixer une trajectoire financière
velopper les énergies renouvelables dans une
pluriannuelle dédiée au climat permet de four-
programmation pluriannuelle contribueraient à
nir un fil conducteur pour coordonner en interne
atteindre l’objectif national de neutralité carbone
les actions de la collectivité et pour impulser
à l’horizon 2050 tel que défini dans la stratégie
une dynamique globale de transformation de
nationale bas carbone (SNBC). Cela constituerait
la société impliquant les habitants et les acteurs
un signal clair et fort aux industries et aux cher-
économiques. Au-delà de l’investissement, ces
cheurs permettant de stimuler l’innovation tech-
PPI « verts » doivent pouvoir s’accompagner
nologique nécessaire à la transition de l’ère des
d’une réflexion pluriannuelle sur le fonctionne-
énergies fossiles à celles des énergies renouve-
ment sous forme de PPIF ou de PPF. Il convient
lables.
de mieux connecter les dépenses de fonction-
17
Article L2111-3 du Code de la Cet effet est encore plus efficace si la collectivité nement et d’investissement et de valoriser da-
commande publique. conditionne sa commande publique. Les SPASER vantage les investissements qui permettent de
18
« Quatorze maires de gauche, (schéma de promotion des achats socialement réduire la facture énergétique et ainsi de mieux
dont Anne Hidalgo, appellent
les banques à cesser de et écologiquement responsables) désormais distribuer ces sommes pour renforcer les ser-
financer les énergies fossiles », obligatoires dans les collectivités réalisant plus vices publics locaux de proximité. Nous pour-
Tribune, Journal du Dimanche,
5 novembre 2022. de 50 millions d’euros d’achat public par an17, rions même aller plus loin en imaginant que les

62 GFP N°2-2023 / Mars-Avril 2023


La pluriannualité en finances locales

Colloque de Besançon, 1er décembre 2022


sommes dédiées aux investissements superflus De plus, pour pouvoir jouer pleinement leur rôle
abandonnés (p. ex : doublement d’une infrastruc- en effectuant les choix nécessaires, les collec-
ture routière) soient valorisés financièrement tivités locales doivent pouvoir compter sur des
pour supporter des coûts de fonctionnement ren- ressources budgétaires stables et durables. La
dus nécessaires par la transition écologique (ex : programmation budgétaire pluriannuelle néces-
aides aux petits propriétaires pour rénover leur site un environnement favorable et conditionné
logement). C’est cette créativité qu’il convient au respect de certaines dispositions.
d’activer dans cette période aux multiples défis.

2 L’exigence de respecter des conditions pour permettre


une programmation budgétaire pluriannuelle ambitieuse

Quatre élus sur dix affirment qu’ils n’accélèreront raisonnement : celle de la réduction coûte que
pas les investissements pour la transition énergé- coûte des dépenses publiques. Tantôt en contrai-
tique au motif qu’ils « n’en ont pas les moyens ». gnant les recettes locales pour réduire la capacité
C’est la conclusion d’une enquête réalisée par le des collectivités à dépenser (réduction de la DGF
Centre de recherches politiques de Sciences Po puis non indexation de la DGF sur l’inflation),
pour l’Association des Maires de France19. L’am- tantôt en contraignant l’évolution des dépenses
bition des plans pluriannuels dépend de la capa- via des « contractualisations » dont l’irrespect
cité à garantir des ressources durables aux collec- est sanctionné par le préfet (contrat de Cahors,
© Lavoisier | Téléchargé le 01/06/2023 sur www.cairn.info par Emile Noah via Institut Français du Cameroun (IP: 102.244.43.117)

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tivités et d’assurer un partenariat pluriannuel de « contrat de confiance »). Ces deux techniques
confiance entre l’État et les collectivités (A). Pour ciblent injustement les dépenses de fonctionne-
aller plus loin, il est nécessaire de repenser les ment qui sont pourtant le cœur battant des col-
critères évaluatifs de la gestion raisonnable des lectivités.
budgets locaux (B). Autant de conditions pour Le projet de loi de programmation des finances
amplifier la mobilisation des collectivités pour publiques pour les années 2023 à 2026 présenté
faire face aux enjeux du XXIe siècle. par le gouvernement a connu un parcours légis-
latif tortueux et n’est à ce jour pas adopté. Il vient
A. La nécessité d’une lisibilité finan- fixer un objectif d’évolution des dépenses locales
cière pluriannuelle et d’un dialogue (ODEDEL) assorti d’un pacte renommé très jus-
budgétaire de confiance sur la durée tement de « défiance » par plusieurs élus locaux
avec l’État et qui imposerait aux 500 collectivités ayant un
budget de plus de 40 millions d’euros par an des
Revisiter les fondements du dialogue budgétaire sanctions en cas de non-respect des objectifs
pluriannuel entre l’État et les collectivités pour de réduction des dépenses de fonctionnement.
construire apparait comme l’une des conditions Or, imposer aux collectivités de contribuer au
minimales pour réellement permettre aux collec- redressement des comptes publics à hauteur
tivités de voir plus loin que la gestion annuelle de de 10 milliards d’euros, alors que la dette locale
leurs budgets. Pour pouvoir programmer dans le représente moins de 10 % de la dette publique
temps leurs actions, les collectivités ont besoin nationale, n’est pas tenable.
de confiance et de visibilité.
Un autre raisonnement devrait s’imposer : celle
Or, actuellement, il ne semble y avoir ni d’augmenter les recettes publiques pour assurer
confiance, ni visibilité entre l’Etat et les collecti- sur le long terme des recettes durables aux col-
vités. On peut remarquer que depuis 2008 et l’af- lectivités locales. C’est la seule façon pour pou-
firmation par les gouvernements successifs d’ob- voir inscrire réellement l’action des collectivités 19
« Enquête 2022 sur les maires
jectifs d’équilibre des comptes publics incluant locales dans la durée. La réduction de la fiscalité
de France », CEVIPOF,
21 novembre 2022
des objectifs de réduction massive de la dépense pour les particuliers et les entreprises est problé- 20
Les finances publiques locales
publique locale, sans concertation préalable, il matique. La Cour des comptes dans son dernier 2022 – Fascicule 2 », Cour des
n’existe plus de dialogue budgétaire constructif rapport20 s’inquiète de cette situation amenant
Comptes, 26 octobre 2022.

entre les collectivités et l’État. même le gouverneur de la Banque de France


21
« Arrêtons la course à la
baisse d’impôts dans ce
Les relations financières entre l’État et les collec- à sortir de sa réserve et à appeler à « arrêter la pays ! », François Villeroy
de Galhau sur France 2, Les
tivités territoriales semblent répondre à un seul course à la baisse d’impôt dans notre pays »21. 4 vérités, 13 février 2022.

GFP N° 2-2023 / Mars-Avril 2023 63


La pluriannualité en finances locales

Colloque de Besançon, 1er décembre 2022


Les montants nécessaires pour faire face aux B. Une occasion de redéfinir
défis climatiques et sociaux actuels contraignent les critères de « bonne gestion
d’activer le levier de la fiscalité et de le repenser
budgétaire »
en profondeur pour le rendre compatible avec
les enjeux climatiques (taxe sur les superprofits, Les effets visibles et réels du changement clima-
ISF climatique…). En effet, à partir des scénarios tique ainsi que les dernières publications scien-
« Transition(s) 2050 » de l’ADEME, le cabinet I4CE tifiques à l’instar de celle du GIEC, imposent
a estimé les investissements climat supplémen- de repenser les critères permettant d’évaluer
taires qu’il faudrait réaliser dans les bâtiments, les la bonne gestion des finances publiques. Gérer
transports et la production d’énergie pour s’en- un budget local « raisonnablement » (pour re-
gager sur le chemin de la neutralité carbone. Ils prendre l’adverbe qui a remplacé la notion de
se situent entre 14 milliards d’euros par an pour « bon père de famille » en droit civil) impose de
une transition frugale, jusqu’à 30 milliards d’eu- bâtir une conception moderne des finances pu-
ros par an dans un scénario où les progrès tech- bliques locales articulée autour de la notion de
niques préservent les modes de vie22. « soutenabilité ».
Ainsi, plusieurs économistes et associations se L’importance de programmer sur plusieurs an-
prononcent en faveur d’une loi de programma- nées les réalisations d’une municipalité doit être
tion spécifique pour le climat comprenant un l’occasion d’évaluer et d’anticiper les impacts des
volet territorial et des dispositifs de soutien aux futurs investissements. D’une certaine manière,
finances publiques, via la fiscalité ou des aides cela consisterait à passer de la soutenabilité bud-
budgétaires. L’enjeu n’est pas simplement de gétaire traditionnelle qui s’appuie sur les indica-
fixer des montants d’enveloppe budgétaire mais teurs budgétaires actuels à la définition d’appré-
bien de se doter d’indicateurs pour permettre cier la « soutenabilité écologique » de chaque
d’analyser la cohérence des budgets locaux par projet, de chaque ligne budgétaire.
rapport aux objectifs climatiques fixés. Il s’agit
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Dans cette logique de soutenabilité écologique,
également d’un enjeu pour redonner confiance
il est nécessaire de repenser notre rapport à la
dans l’action publique en crédibilisant les actions
dette des collectivités. Pour faire face aux défis
des collectivités locales en matière de transition
actuels, il convient de réhabiliter la dette afin de
écologique.
lutter réellement contre la « dette écologique » et
L’existence d’une loi de programmation spé- la « dette sociale ». Éric Lombard, directeur géné-
cifique permettrait de rendre cohérents les en- ral de la Caisse des dépôts et des consignations,
gagements des collectivités et de mettre en ne dit pas autre chose lorsqu’il déclare qu’il faut
musique les différentes feuilles de route que « augmenter la dette financière pour réduire la
l’Etat s’est fixées telles que la Stratégie nationale dette écologique »23. La dette longue des collec-
bas-carbone, la Programmation pluriannuelle tivités territoriales doit être mobilisée pour espé-
de l’énergie, et le Plan national d’adaptation au rer franchir le mur d’investissements nécessaires
changement climatique. La construction d’une loi à la transition écologique car si nous n’agissons
de programmation dédiée au climat permettrait pas aujourd’hui, la facture sera très lourde dans
d’ancrer l’action publique dans une approche quelques années pour toute la population. Ainsi
systémique nécessaire à l’amplification des ac- dès le début de ce mandat, plusieurs collectivités
tions pour la transition écologique. L’enjeu n’est ont très massivement augmenté leurs capacités
alors pas simplement d’envisager des investisse- d’investissement, dans une logique de relance et
ments les uns à côté des autres mais de réaliser d’accélération de la transition écologique. Ainsi
des investissements les uns avec les autres dans la ville de Besançon a inscrit 10 millions d’euros
une cohérence d’ensemble. Des investissements d’investissements supplémentaires par an sur la
qui concourent à inscrire la totalité des territoires durée du mandat de manière pluriannuelle soit
dans une trajectoire compatible avec les enjeux 60 millions d’euros entièrement dédiés au plan
22
« Panorama des financements climatiques et sociaux. climat-solidarité de rénovation des écoles et des
climat », édition 2022, I4CE. crèches.
23
Entretien avec Eric Lombard, Le contexte de crise énergétique et d’inflation
publié le 26 janvier 2023, rend l’exercice de programmation très périlleux Programmer des investissements sur plusieurs
dans La Gazette des
Communes. pour les collectivités. Cette énième crise dé- années en interrogeant la « durabilité » des
24
« Budgets locaux : les enjeux montre la résilience mais également les vulné- projets permet également de faire face à la pro-
de la gestion patrimoniale rabilités des budgets locaux. Or, pour construire blématique de « dette grise »24 qui qualifie le
pour optimiser la dépense
– focus sur la dette grise une approche pluriannuelle, il est nécessaire de sous-entretien chronique du patrimoine public.
dans le domaine de la voirie consolider les budgets locaux et ainsi de repen- Dès la construction d’un édifice public (école,
», Assises de l’AFIGESE,
6-8 octobre 2021. ser en profondeur les fondements. musée, stade, etc.), la collectivité en plus d’adap-

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La pluriannualité en finances locales

Colloque de Besançon, 1er décembre 2022


ter la durée d’amortissement doit anticiper et « sobriété » et ainsi revoir en profondeur certains
prévoir l’entretien, la fin ou le renouvellement fonctionnements. Des mesures ponctuelles aux
de l’équipement. Des enveloppes exclusivement impacts budgétaires réels (extinction de l’éclai-
dédiées à l’entretien du patrimoine et aux travaux rage public, réduction des températures dans les
de proximité sont souvent inscrites dans les bud- équipements publics, etc.) ont été adoptées mais
gets locaux. A Besançon, 11 M€ par an dits de nous ne devons pas oublier pour autant que la
« tranches annuelles » sont inscrits au budget soit sobriété doit s’envisager de manière globale et
un quart de la capacité d’investissement total de pluriannuelle. La sobriété ne doit pas être l’oc-
la collectivité jusqu’en 2028. Cela n’est pas suffi- casion de réaffirmer un nouveau tournant « aus-
sant et souvent ce type d’enveloppes est une va- téritaire ».
riable d’ajustements lorsque la capacité d’inves-
tissement baisse et qu’il est nécessaire d’inscrire
des opérations nouvelles. Le patrimoine scolaire, Et si l’enjeu principal n’était pas in fine de s’ex-
le réseau routier, les ouvrages d’art, les édifices traire d’une vision gestionnaire des documents
culturels et cultuels… restent trop souvent né- budgétaires en s’autorisant d’utiliser le budget
gligés. Leur entretien en urgence nécessite le comme un instrument politique au service de la
moment venu des sommes très importantes qui transition ? En finir avec un dialogue descendant
auraient pu être réduites si elles avaient été an- entre l’Etat et les collectivités et envisager des
ticipées. S’inscrire dans une vision pluriannuelle conditions de partenariats dont les termes se-
doit permettre de prévoir un entretien constant raient partagés, sécurisés et adaptés aux vulnéra-
de ces bâtiments publics, et ainsi en limiter les bilités des territoires ? Manon Loisel, consultante,
coûts même si ce type de dépenses reste peu et Nicolas Rio, chercheur en sciences politiques à
valorisable auprès de la population. Il est plus Science Po Paris, osent imaginer en complément
évident d’inscrire des crédits pour de nouvelles d’une programmation pluriannuelle des investis-
opérations que pour entretenir. sements publics « un plan des renoncements »
© Lavoisier | Téléchargé le 01/06/2023 sur www.cairn.info par Emile Noah via Institut Français du Cameroun (IP: 102.244.43.117)

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porté par les élus, partagé avec les citoyens et
Naturellement, inscrire pluriannuellement des déployé par les services municipaux. L’enjeu se-
crédits ne signifie pas que tout est cadenassé. rait de se mettre d’accord non plus simplement
L’innovation technologique, le coût des matières sur ce qu’on doit faire mais sur ce qu’on ne peut
premières, les évolutions règlementaires devront plus faire en se donnant des objectifs de réduc-
être prises en compte dans le cadre des objectifs tion de consommation des ressources avec une
fixés initialement. Le contexte budgétaire actuel dimension de justice sociale. « A l’heure où les
l’illustre. Il est possible d’intégrer des aléas nou- citoyens-usagers se retrouvent submergés par
veaux tout en gardant les grandes orientations à les injonctions aux éco-gestions et à la sobriété
moyen et long terme. L’inflation que connaît la volontaire, pas sûr qu’ils voient d’un si mauvais
France a ainsi perturbé les équilibres budgétaires œil la collectivité qui commencerait par s’appli-
de nombreux investissements et amené les com- quer à elle-même la sobriété volontaire. »25 Pour
munes et intercommunalités à décaler certaines aujourd’hui, et pour demain, il est urgent d’ ins-
opérations au-delà du mandat. crire nos territoires dans cet horizon de sobriété
De plus, la crise énergétique a poussé de nom- permettant de garantir un avenir soutenable pour
breuses collectivités à envisager des plans de toutes et tous. ■

25
« Saurez-vous faire la
différence entre sobriété et
austérité ? », Nicolas Rio et
Manon Loisel, 1er décembre
2022.

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