Menace Sur Nos Neurones - Alzhei - Roger Lenglet
Menace Sur Nos Neurones - Alzhei - Roger Lenglet
Menace Sur Nos Neurones - Alzhei - Roger Lenglet
MENACE
SUR
NOS NEURONES
ALZHEIMER, PARKINSON…
ET CEUX QUI EN PROFITENT
ACTES SUD
Nous remercions Anne et Jack pour leur présence bienveillante et leur patience
infinie.
Nous remercions aussi Charlie Brown, André Cicolella, Malou Legrand,
André Picot, Annie Thebaud-Mony, Françoise, Philippe et Marie B.
INTRODUCTION
Ces maladies font peur, à juste titre : elles s’attaquent à notre cerveau, et elles
ont pris la dimension d’un immense raz-de-marée. Après avoir tardé à
reconnaître l’ampleur de leur propagation, notre société reste comme pétrifiée.
Désemparée.
La maladie d’Alzheimer, qui efface les souvenirs un à un et gomme la
personnalité, conduit irréversiblement à la mort en moins de dix ans en
moyenne. Entre 800 000 et 1 million de Français vivent aujourd’hui avec cette
affection dégénérative qui les détruit inexorablement1. Sa progression est
impressionnante : dans notre pays, 225 000 d’entre nous rejoignent chaque
année le cortège des nouveaux malades2. Entre 2000 et 2011, ce
sont 2 à 3 millions de personnes qui ont suivi le même chemin. La maladie
d’Alzheimer représente aujourd’hui la première cause de dépendance. Nos
structures de prise en charge sont complètement débordées.
La France n’est pas une exception : à l’échelle mondiale, cette maladie a
frappé au cours de la dernière décennie 80 à 90 millions de personnes.
L’équivalent de la population de l’Allemagne, le pays le plus peuplé de
l’Union européenne3. Mais la maladie d’Alzheimer n’est qu’une partie du
problème…
Derrière elle, la deuxième affection neurodégénérative la plus répandue est
la maladie de Parkinson. On dénombre 100 000 cas dans l’Hexagone, avec une
progression de 8 000 à 10 000 malades par an. Dans le monde, 4 millions de
malades sont recensés. Un chiffre objectivement énorme. Les symptômes
physiques sont désormais connus de tous : tremblement, raideur des muscles
et ralentissement des mouvements… Mais ils s’accompagnent souvent aussi
de troubles psychiques qui s’aggravent au fil des ans4. Ces complications
réduisent sévèrement l’espérance de vie des patients5. Certains syndromes
parkinsoniens débordent la maladie de Parkinson proprement dite et présentent
des symptômes neurologiques similaires à ceux de la paralysie supranucléaire
progressive associant démence, perturbation de l’équilibre et ophtalmoplégie
verticale6. Ou les symptômes de l’atrophie multisystématisée (AMS) réunissant
des troubles de l’équilibre, de la coordination des mouvements…
Très alarmante aussi, la sclérose en plaques a pris une ampleur inédite : on
compte 80 000 cas en France et 2 000 nouveaux malades chaque année parmi
les adultes jeunes. La maladie mêle des symptômes variables selon les
personnes tels qu’altération de la mémoire, difficultés de l’élocution, fatigue
extrême, paralysie partielle ou complète, raideur musculaire, troubles de
l’équilibre et de la coordination, troubles urinaires et intestinaux… Elle
commence souvent par une forme qui fait alterner les poussées et les
rémissions et évolue vers un stade plus permanent.
Nous verrons que beaucoup d’autres affections du système nerveux
s’attaquant à nos facultés mentales et à notre autonomie physique ont
également pris des proportions stupéfiantes. Les enfants eux-mêmes n’y
échappent pas7. Le phénomène est mondial et, fait remarquable, les pays
développés sont de loin les plus touchés.
D’où vient donc ce mal neurologique qui prolifère sous de multiples
formes ? Devant sa progression affolante, il serait urgent de regarder ses
causes pour les endiguer au plus vite. Mais notre société tarde curieusement à
s’en donner les moyens et semble refuser d’affronter cette nécessité
élémentaire…
Troublés par la confusion régnant dans la communauté médicale et par les
réponses décevantes du ministère de la Santé peu enclin à aborder les causes
de ces pathologies alors qu’il affiche officiellement l’ambition de développer
la prévention, nous avons décidé de mener l’enquête. Notre trouble a fait place
à l’effarement en constatant que la plupart des chercheurs eux-mêmes,
partenaires scientifiques des autorités sanitaires et politiques, se focalisent sur
des paramètres très éloignés des causes. Ainsi ils retardent l’action préventive
et contribuent à sa paralysie. A les entendre, l’augmentation de l’espérance de
vie, à l’origine d’une proportion grandissante de personnes âgées, expliquerait
l’essentiel de cette épidémie neurodégénérative. Pour le reste, ils renvoient à
des “dispositions génétiques”, lesquelles interviennent pourtant rarement,
comme nous le verrons.
Plus grave encore, il nous est apparu que cette orientation engloutissait la
quasi-totalité des efforts de la recherche, écartant des solutions qui seraient
pourtant moins coûteuses et plus utiles à l’intérêt général. Nous découvrirons
que ce choix, entretenant l’espérance insensée que l’ensemble du problème
sera un jour résolu par de nouveaux médicaments, ne profite qu’à la santé des
cours boursiers de l’industrie pharmaceutique et des entreprises
biotechnologiques.
LA “NOUVELLE HANTISE”
Au milieu des années 1980, on regardait encore ces affections avec une
certaine indifférence, sans imaginer qu’elles étaient en train de devenir l’un
des plus importants fléaux que l’humanité ait jamais affrontés. Même la
maladie d’Alzheimer apparaissait encore peu préoccupante. L’association
France Alzheimer, créée par des familles de malades et des professionnels de
santé en 1985, le rappelle elle-même : “A cette époque, la maladie est encore
inconnue dans la société française, et peu de données fiables existent sur le
nombre de malades.”
Curieusement, c’est l’opinion publique qui, la première, a nourri
l’inquiétude qui allait alerter les médias. En 1994, le quotidien Le Monde
publiait un article sous le titre : “La maladie d’Alzheimer, nouvelle peur des
Françaises”. L’auteur, Franck Nouchi, s’étonnait : “Les temps changent, les
peurs aussi. Interrogées par l’Ipsos sur leurs préoccupations en matière de
santé, les femmes françaises montrent à quel point peut varier, à vingt, voire
dix ans d’intervalle, la manière dont une société appréhende certains sujets
aussi essentiels que ceux liés à l’accroissement de la durée de la vie8.” Le
sondage révélait en effet que la maladie d’Alzheimer était dorénavant celle qui
faisait le plus peur aux Françaises.
Le journaliste concluait à ce sujet que “la maladie d’Alzheimer – pourtant
quasi inconnue, il n’y a pas si longtemps, du plus grand nombre – est devenue
une hantise”. Le ton de l’article laissait transparaître une relative insouciance
de l’auteur montrant que le temps n’était pas encore à l’alarme, bien qu’on
dénombrât 300 000 malades dans l’Hexagone. Il était conforme en cela au
discours des responsables politiques et des leaders du milieu médical qui
avaient déjà pris l’habitude de présenter cette maladie comme le simple revers
du privilège d’une société où l’on meurt de plus en plus vieux. En un mot, le
sondage sur les peurs des Françaises rangeait l’affolante maladie d’Alzheimer
au rayon des fantasmes de l’époque. A ce propos, l’article évoquait aussi que
“la peur d’une maladie liée au vieillissement s’accompagne d’un manque
d’enthousiasme à l’idée de vivre centenaire (56 % ne le souhaitent pas)” et que
“ce sont les 25-34 ans qui souhaitent le plus le recours à l’euthanasie (81 %
d’entre elles y sont favorables) et les plus de 60 ans qui y sont le plus opposées
(22 % d’entre elles y sont hostiles)”. On y apprenait au passage que les
Françaises voyaient l’industrie pharmaceutique comme la source des solutions
à la plupart des questions : “70 % des femmes estiment que l’on aura trouvé
un vaccin contre le cancer dans vingt ans, et 78 % sont du même avis en ce qui
concerne le vaccin anti-sida.”
LES REPÈRES DE LA SENSIBILITÉ COLLECTIVE
Au même moment, Fabienne Piel, une malade alors inconnue, ouvrait un blog
sur Internet et mettait les pieds dans le plat en rappelant humblement que le
grand âge n’avait pas le monopole de la pandémie puisque ses symptômes
s’étaient déclarés alors qu’elle venait de fêter ses 38 ans. Elle soulignait au
passage avec ironie qu’“Aloïs Alzheimer avait évoqué cette pathologie
en 1906 avec une patiente alors âgée de 51 ans…” Quelques mois plus tard, la
jeune femme publiait un livre pour mieux diffuser son témoignage17.
L’animateur de télévision Thierry Ardisson la recevant sur Canal+ martela le
message : “Alzheimer n’est pas un truc qui n’arrive qu’aux vieux18.” Fabienne
Piel put s’indigner publiquement de la relégation complète des jeunes
malades, oubliés des plans officiels et de l’association France Alzheimer. Les
chaînes France 2 et France 5 la recevaient plus tard, et elle saisit l’occasion de
répéter que les jeunes adultes étaient aussi concernés.
Notre interrogation sur les causes des maladies neurologiques nous avait
préparés à réfléchir sur les conséquences de l’interprétation “vieilliste”
entretenue par les autorités. L’une d’elles devait logiquement conduire à
négliger la présence des signes avant-coureurs de la maladie d’Alzheimer chez
les jeunes patients. De fait, les médecins les ignoraient systématiquement.
Par conséquent, il n’était pas difficile de deviner que les signalements
transmis par les cabinets médicaux aux centres régionaux chargés de regrouper
les informations devaient entraîner une large sous-estimation du nombre de
nouveaux cas, même si l’Inserm estimait que plusieurs dizaines de milliers de
personnes de moins de 60 ans en souffraient déjà19. Une autre partie se
trouvait reportée dans les tranches d’âge supérieures simplement parce que le
diagnostic avait été réalisé avec retard. Le Centre national de référence pour
les maladies d’Alzheimer jeunes (CNRMA), créé en 2009, allait confirmer notre
appréhension : “Une caractéristique des patients jeunes est le diagnostic tardif
et l’errance diagnostique, la maladie d’Alzheimer étant souvent considérée
comme une maladie du sujet âgé par le public et le corps médical20.”
En effet, il devenait évident que l’âge n’était pas le facteur déterminant de
la maladie. En 2000, l’“Alzheimer’s Disease Society” (l’équivalent
britannique de France Alzheimer) l’avait déjà noté sans trouver d’écho en
France : “Les chiffres indiquent que de plus en plus de jeunes sont
diagnostiqués malades d’Alzheimer.” En l’état, l’association relevait
que 17 000 adultes de moins de 65 ans étaient touchés en Grande-Bretagne,
dont certains avaient moins de 30 ans21.
LE CERVEAU ASSIÉGÉ
L’excessive réserve des autorités françaises s’explique d’autant plus mal que
les études de nos voisins européens auraient dû les alarmer. En 2009, une
estimation sans ambiguïté révélait une prévalence de 1,57 % au Royaume-
Uni53, soit 1 enfant sur 63. Trois ans plus tôt, une vaste étude norvégienne
portant sur plus de 9 000 enfants avait identifié des troubles autistiques
chez 2,7 % d’entre eux54. Ces chiffres britanniques et norvégiens paraissent
d’ailleurs plus fiables que ceux résultant de l’évaluation française, car ils
tiennent compte des cas non dépistés jusque-là et des évolutions de la
définition des troubles55. Si la France avait adopté la même rigueur, son
résultat serait au moins le double de celui qu’elle a annoncé, soit 1,5 % au lieu
de 0,6 à 0,7 %. On compterait alors 200 000 enfants et adolescents souffrant
aujourd’hui de troubles autistiques dans notre pays.
Pour l’Union européenne, ces affections constituent bien un “problème
émergent de santé publique mettant notre société à l’épreuve, qui réclame une
urgente réponse en santé publique nécessitant détermination, courage et
ressources56”. Les experts européens admettent l’augmentation très
importante des troubles autistiques sur le continent européen au cours des
trente à quarante dernières années, mais ils déplorent la rareté des données et
la disparité des études qui empêchent d’analyser de près cette évolution.
L’Alliance européenne sur l’autisme57, comité d’experts préparant un plan de
santé publique sur ce problème, considère que le poids de l’autisme est devenu
considérable, et ne permet plus de le considérer comme une “maladie rare58”.
Mais, là encore, les pouvoirs politiques semblent paralysés : au-delà du
constat de la flambée de l’autisme, la recherche des causes ne fait étrangement
pas partie de leurs priorités.
Aux Etats-Unis, le suivi épidémiologique des troubles autistiques a
longtemps tardé aussi du fait d’atermoiements difficilement explicables, mais
il a fini par être mis en place, et il est aujourd’hui l’un des plus avancés au
monde. Les chercheurs des Centres de contrôle et de prévention des maladies
(Centers for Disease Control and Prevention) chargés de ce suivi ont
récemment révélé une élévation de la prévalence des troubles de 57 %
entre 2002 et 2006, et estiment qu’environ 730 000 jeunes Américains de
moins de 21 ans en souffrent59. Les experts concluent que cette augmentation
importante et rapide nécessite une urgente mobilisation. Ils recommandent de
se pencher sur les facteurs de risque environnementaux (et leur interaction
avec la susceptibilité génétique) qui contribuent probablement à cette
progression.
La journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, organisée
le 2 avril 2010, n’a pas suffi à susciter l’intérêt du gouvernement français pour
les causes, même si, à cette occasion, il évoquait le lancement d’une étude
épidémiologique. C’était le moins qu’il puisse envisager alors que les
hypothèses les plus basses faisaient état de 300 000 à 500 000 personnes
touchées par l’autisme en France.
Tout en nous demandant ce qui pourrait enfin obliger les autorités politiques
à adopter une attitude à la hauteur des enjeux, il nous paraissait impossible de
ne pas songer à la progression d’autres affections touchant le système
nerveux : les tumeurs cérébrales…
TUMEURS DU SYSTÈME NERVEUX
S’invitant à la fête des premiers mois de la vie, non seulement par le biais des
poissons que mange la maman mais aussi par ses “plombages” dentaires et
diverses autres sources, le mercure pose l’un des problèmes les plus aigus pour
l’embryon, notamment pour son cerveau. C’est l’un des neurotoxiques les plus
puissants et les plus répandus. En 2005, reconnaissant que “des doses
relativement faibles suffisent à endommager le système nerveux”, l’Union
européenne a élaboré une “Stratégie communautaire sur le mercure” visant à
“diminuer son impact et ses risques pour l’environnement et la santé
humaine8”. Cette stratégie prévoit de restreindre les utilisations industrielles
et médicales du mercure et de limiter les émissions de cette substance dans
l’environnement. La Commission européenne a entrepris la révision de cette
stratégie en 2010, mais elle s’est finalement résolue à attendre l’adoption d’un
traité international sur le mercure, prévue pour 20139. Cependant, elle a décidé
de se pencher sur le problème du mercure dentaire en entreprenant “une
analyse exhaustive du cycle de vie de cette utilisation” avant fin 2011.
Nous avons la chance d’y participer et d’y représenter la France au titre de
la vice-présidence de l’Alliance mondiale pour une dentisterie sans mercure10.
Mais les lobbies industriels et corporatifs ne baissent pas les bras. Ils
s’activent vivement en coulisse, tout particulièrement les représentants des
dentistes et des laboratoires produisant les amalgames dentaires. Sous leur
pression, les autorités françaises seront les seules à s’opposer à leur
bannissement, arguant qu’une telle interdiction se traduirait par “une
dégradation de la santé de la population11”.
La principale source d’exposition au mercure dans les pays développés est
celle qui s’échappe des “plombages” sous forme de vapeurs inodores. Les
mères transmettent une partie de ce mercure à leur embryon via le placenta et
le cordon ombilical. Il est admis que les plombages maternels représentent la
principale source de l’imprégnation du fœtus et du jeune enfant dans les pays
développés12. Durant la grossesse, c’est surtout le foie du fœtus qui stocke le
mercure, mais il va le relarguer après la naissance. Remis en circulation dans
l’organisme, le neurotoxique atteindra alors le cerveau du nouveau-né où il
s’accumulera. Dès le milieu des années 1990, des autopsies ont montré que
plus la mère porte d’amalgames dentaires, plus le taux de mercure dans le
cerveau du bébé est élevé13. La quantité de mercure présente dans le sang du
cordon ombilical est elle aussi proportionnelle au nombre d’amalgames de la
mère, et l’on retrouve cette relation avec son lait14. Des chercheurs ont même
mis en évidence que la limite recommandée par l’OMS, la “dose hebdomadaire
tolérable provisoire”, était dépassée chez plus de la moitié des nourrissons
allaités par des mères portant en moyenne sept surfaces d’amalgames15.
Or la présence de mercure même en faible quantité perturbe le
développement cérébral de l’enfant et affaiblit ses capacités cognitives : on
observe une association inverse entre la quantité de mercure dans le cordon
ombilical et le quotient intellectuel (QI) des enfants. En 2006, une étude a
comparé deux groupes de mères et mis en évidence que le groupe dont le sang
contenait davantage de mercure avait 3,6 fois plus de risques d’avoir des
enfants souffrant d’un déficit cognitif par rapport au groupe des mères les
moins exposées16. Dans une autre étude portant sur 329 couples mère-enfant
new-yorkais, le QI moyen des enfants se révélait un peu inférieur à 100 pour
une concentration de 7,7 μg/l de mercure dans le cordon. En revanche, les
enfants qui avaient peu de mercure dans le sang ombilical (moins de 0,1 μg/l)
bénéficiaient en moyenne de 15 points de QI supplémentaires17.
Le lien entre une exposition précoce au mercure et le développement d’un
Trouble du déficit de l’attention et hyperactivité (TDAH) ou d’un syndrome
autistique est aussi très documenté depuis quelques années18. Tous les enfants
exposés in utero au mercure ne sont pas atteints de la même manière. Ce sont
les enfants possédant de plus faibles capacités à se débarrasser des métaux
“lourds”, mécanisme influencé par l’alimentation et divers facteurs
environnementaux et génétiques, qui ont le plus de risques de devenir
autistes19. Des études prenant en compte l’impact des différentes sources de
contamination font ressortir que les mères d’enfants autistes ont été en
moyenne davantage exposées au mercure dentaire pendant leur grossesse, et
que la sévérité de l’autisme est d’autant plus importante qu’elles ont
davantage de plombages20.
Les dents de lait constituent de bons indicateurs de l’imprégnation
mercurielle. Celles des petits autistes contiennent en moyenne deux fois plus
de mercure que celles des enfants en bonne santé21, et la même observation a
été faite pour leur sang22. Selon les chercheurs, la différence d’incidence de
l’autisme dans les deux sexes (les garçons sont quatre fois plus touchés que les
filles) s’expliquerait par la synergie entre mercure et testostérone (l’hormone
mâle), alors que les œstrogènes atténueraient au contraire la toxicité du
mercure23. Enfin, un traitement chélateur24 du mercure permet, en éliminant
une partie du mercure corporel, d’atténuer les symptômes de l’autisme25.
Le poisson et les fruits de mer sont aussi à l’origine d’un apport non
négligeable de méthylmercure que notre corps accumule. Sa grande toxicité
pour le fœtus a été amplement démontrée depuis la catastrophe sanitaire de
Minamata (voir encadré page suivante). Son processus de stockage dans les
chairs des poissons carnivores est également bien compris. Une fois déposé au
fond de la mer, le mercure est transformé par des bactéries en méthylmercure,
lequel possède de fantastiques capacités d’accumulation dans les organismes
vivants tout au long de la chaîne alimentaire : c’est le phénomène de
bioamplification. Le neurotoxique polluant le plancton et les petits poissons
finit dans les chairs des gros poissons prédateurs (thons, espadons, requins
mais aussi raie et daurade sauvage…), des coquillages et des crustacés. Ses
concentrations atteignent ainsi des records.
Le drame de Minamata fut à l’origine de nombreux travaux scientifiques sur
les conséquences de l’exposition prénatale au méthylmercure. Une importante
étude épidémiologique, plus récemment, a mis en évidence des perturbations
neurocomportementales (mémoire, attention, langage) à des expositions du
fœtus considérées comme sans danger jusque-là30. Ces résultats ont poussé les
experts de l’OMS à diviser par deux, en juin 2003, la dose hebdomadaire
tolérable provisoire (DHTP) pour le méthylmercure (cette valeur est passée
de 3,3 à 1,6 μg par kg de poids corporel).
Minamata : les enfants d’abord
Le nom de cette petite ville côtière japonaise est à jamais associé aux
conséquences dramatiques d’une industrialisation incontrôlée et
criminelle, responsable de plus de 2 000 décès et de dizaines de milliers de
maladies neurologiques. Au début des années 1950, la tranquille bourgade
semblait prise de folie. Les trajectoires des mouettes devenaient folles, et
les chats se mettaient à “danser” avant de se jeter à la mer devant les
villageois médusés. Une mystérieuse épidémie commençait à se répandre
parmi les familles de pêcheurs. Des mères indemnes donnaient naissance à
des enfants lourdement handicapés, souffrant de paralysies et d’importants
troubles neuropsychiques. Des enfants et des adultes présentaient de graves
troubles sensoriels et des atteintes cérébrales invalidantes, pouvant mener
au coma et à la mort. Très vite, les ingénieurs de la firme Chisso, fabricant
de plastique qui rejetait du mercure inorganique dans les eaux de la baie
depuis les années 1930, allaient découvrir la cause de la mystérieuse
épidémie : la consommation de poissons contaminés par les rejets de
mercure de l’industriel. Mais celui-ci exigea le silence, et la contamination
perdura jusqu’à ce que des chercheurs de l’université découvrent à leur
tour le coupable, trois ans plus tard.
Des recommandations plus ou moins sérieuses ont été peu à peu édictées de
par le monde pour protéger les femmes enceintes et les enfants. Les
recommandations européennes passent pour rigoureuses : les femmes ayant
l’intention d’avoir un enfant, les femmes enceintes et celles qui allaitent, de
même que les enfants, ne doivent pas consommer plus de 100 grammes de
gros poissons prédateurs par semaine, et en ce cas ne pas consommer d’autre
plat de poisson31. En France, l’Afssa et l’Inra se sont montrés plus souples en
rédigeant une recommandation conseillant aux femmes enceintes de ne pas
manger plus de 150 grammes par semaine de poissons prédateurs
sauvages32 et d’éviter tout simplement l’espadon, le marlin, la lamproie et le
requin33. Pour une raison inexpliquée, le thon ne fait pas partie de cette liste
d’exclusion bien qu’il atteigne souvent les mêmes taux supérieurs à la valeur
limite. Quant aux enfants de moins de 30 mois, l’Afssa a recommandé de ne
pas dépasser 60 grammes de poissons carnivores par semaine34.
Faut-il supposer que les intérêts défendus par les syndicats professionnels
de la pêche ont été pris en compte ? Malgré un lobby aussi puissant, l’agence
Santé Canada s’est montrée plus avisée en fixant ce seuil pour les femmes
enceintes à 150 grammes par… mois, soit quatre fois moins ! Le consensus
scientifique est encore plus prudent que les instances sanitaires : en 2006, plus
de 1 000 spécialistes du mercure ont recommandé aux femmes enceintes,
allaitantes, et aux enfants, de bannir complètement les poissons prédateurs35.
En revanche, les mêmes observateurs rappellent que les femmes enceintes
devraient manger régulièrement des petits poissons riches en oméga 3 :
sardines, maquereaux, anchois, harengs, etc. L’apport de ces acides gras à
longue chaîne est en effet indispensable au bon développement cérébral et à
celui de la rétine chez le fœtus.
Toutes ces recommandations montrent que la prise de conscience du danger
est en cours, mais elles se traduisent mal dans les pratiques. En 1995, sous
l’injonction de la Commission européenne, le ministère de la Santé a voulu
inviter les médecins généralistes à y sensibiliser les patients, tout
particulièrement les femmes enceintes, en leur destinant une évaluation des
produits contaminés qui mettait en exergue le problème des poissons et des
fruits de mer36. Mais le document, officiellement envoyé aux DDASS37 pour
qu’elles le relayent auprès des cabinets médicaux, semble s’être perdu en
cours de route. Aujourd’hui encore, le corps médical ne paraît pas mieux
informé du problème si l’on en juge par la rareté de ses conseils en la matière.
Faut-il attendre que les poissonniers fassent eux-mêmes ce travail de
sensibilisation, par exemple en dissuadant les clientes enceintes de leur
acheter leurs plus beaux poissons ?
PLOMB STOCKÉ DANS LE SQUELETTE MATERNEL
Le plomb traverse le placenta et peut donc exercer ses effets dès les premiers
stades du développement. Même si la femme enceinte n’est plus exposée au
plomb, elle peut quand même contaminer son fœtus : celui qu’elle a absorbé
auparavant, y compris durant sa propre enfance, est en effet stocké dans ses os
et peut y rester pendant des décennies, jusqu’à sa remobilisation au cours de la
grossesse et de l’allaitement, périodes pendant lesquelles elle puise dans le
calcium osseux38. Les répercussions sur sa progéniture sont parfois sévères et
irréversibles. Une étude américaine sur des enfants de 2 ans a démontré que
plus le squelette de la mère contient de plomb, plus leurs facultés cognitives
sont altérées39.
Depuis l’heureuse interdiction de l’essence au plomb au 1er
janvier 2000 dans les pays de l’Union européenne, la principale source
d’exposition à ce neurotoxique provient des aliments. Fait notable, la
population française y est très exposée par rapport à ses voisins européens,
comme le reconnaissent discrètement le ministère de l’Agriculture et sa
Direction générale de l’alimentation40. Les principaux contributeurs à l’apport
alimentaire en plomb sont les fruits de mer, le pain et les biscottes, les fruits et
légumes, l’eau du robinet, le thé, les boissons alcoolisées ou non alcoolisées,
les sucres et leurs dérivés, chacun apportant entre 5 à 10 % de l’apport total41.
L’un des paradoxes est que ces produits ne viennent pas tous de l’Hexagone,
loin s’en faut. Certains aliments peuvent présenter des teneurs
particulièrement élevées de plomb, comme les moules, les rognons, les
champignons dits “de Paris”… Nos vignerons ont longtemps contribué à cette
exposition en intégrant du plomb à leur vin pour activer sa fermentation et
obtenir une plus grande limpidité, auquel s’ajoutait celui qui provenait des
capsules en feuilles de plomb (interdites en 1993). Aujourd’hui encore, le vin
peut contenir du plomb via la robinetterie en bronze ou en laiton des pompes,
du revêtement des cuves et des tuyaux présents dans les caves de vinification
(chaque pompage “enrichit” le vin de 10 μg/l en moyenne42). Certes, les
femmes enceintes sont aujourd’hui incitées à suspendre leur consommation
d’alcool, mais cela ne réduit pas le plomb déjà fixé dans les os et les graisses.
L’usage intensif du plomb entre la seconde moitié du XIXe siècle et la fin du
XXe siècle a entraîné une importante contamination de l’environnement. Ce
plomb déposé peu à peu sur le sol ne se décompose pas, mais s’accumule. En
plus de ce “bruit de fond”, certaines situations exposent à des quantités
importantes. Des mères subissent des expositions intenses en milieu
professionnel43. Même la vie à la maison est souvent une source de
contamination. Les riverains d’incinérateurs ou d’usines de retraitement de
batteries sont exposés à une atmosphère chargée d’un cocktail de métaux
lourds, dont le plomb, ainsi qu’à des aliments davantage contaminés par le
dépôt de particules de plomb sur les terres agricoles et les jardins (fruits et
légumes feuilles, lait…).
Une étude française sur 1 000 mères de 3 maternités de la banlieue
parisienne montre leur forte imprégnation par le khôl (crayon pour les yeux) et
par des plats à tagine venant du Maghreb. De même, l’inhalation des
poussières provenant des peintures murales au plomb augmente la plombémie
dans le sang des mères exposées44. Signalons aussi que les verres et les carafes
en cristal contiennent environ 25 % de ce métal et en relarguent dans le vin du
fait de son acidité. Les couverts argentés cachent souvent des alliages mêlant
le plomb à d’autres métaux pour les alourdir et s’usent au fil des années. Si
l’on considère le fait que l’argent est aussi un neurotoxique, les couples qui
n’ont pas reçu de ménagères et de cristallerie pour fêter leur mariage ont évité
des “cadeaux empoisonnés”. Ceux qui sont nés avec une cuillère en argent
dans la bouche, en revanche, ont tout gagné.
BIOCIDES ET PESTICIDES
La liste des polluants qui ne se laissent pas arrêter par la barrière hémato-
encéphalique est loin d’être close. Biocides et pesticides font désormais partie
de l’univers familier de l’enfant.
Les biocides servent à éliminer toutes les formes de vie qu’on juge
indésirables (insectes, rongeurs, bactéries, mousses, moisissures…) dans les
jardins, les automobiles, les appartements et sur la peau. Autrement dit, ils
visent à tuer tout ce qui n’est pas humain, à l’exception de l’animal
domestique, pour lequel on a toutefois prévu des répulsifs parfois
neurotoxiques (pour le repousser de certaines zones ou pour éloigner ses
“parasites”). Les biocides entrent dans la composition de nombreux
désinfectants ménagers, produits cosmétiques, pommades, lotions, savons,
shampoings, dentifrices, déodorants… Certains sont diffusés à l’aide de
bombes aérosols ou de diffuseurs permanents, voire sont directement intégrés
dans les vêtements et les cuirs, dans les matériaux de construction, les
meubles, les colles, les caoutchoucs et les peintures. Au total, près
de 300 substances biocides entrent dans la composition de plusieurs dizaines
de milliers de produits. On en trouve jusque dans les emballages alimentaires
au contact de la nourriture, et dans les aliments eux-mêmes notamment sous la
forme de résidus de traitements. L’exposition a lieu aussi au contact des
animaux domestiques portant des colliers répulsifs anti-puces : plusieurs
études ont mis en évidence une élévation du risque de tumeur du cerveau chez
l’enfant en relation avec cette source d’exposition45. Chiens et chats sont
également de très efficaces vecteurs des biocides utilisés au jardin : deux jours
après la pulvérisation d’un herbicide, on retrouve celui-ci dans la maison46.
Devenus omniprésents, ce sont en outre de gros cumulards toxicologiques :
ils entraînent l’apparition de bactéries résistantes et agressent l’organisme en
profondeur car beaucoup sont neurotoxiques, perturbateurs endocriniens,
mutagènes et cancérogènes. Pour commencer à poser des limites, le Parlement
puis le Conseil de l’Union européenne ont voté, en 2010, un projet de
réglementation censé renforcer la sécurité des biocides, applicable à partir
de 2013. Mais ils ont oublié un point clé : la protection des groupes
vulnérables que sont les enfants et les femmes enceintes. Reconnaissant
d’abord que ces substances peuvent gravement endommager le système
nerveux des enfants et perturber le développement de leur cerveau, la
Commission européenne a suggéré, dans une première version de ce projet, de
remplacer les produits biocides par des alternatives plus sûres quand elles
existent. Mais après l’intervention des lobbies industriels, cette exigence a
finalement été écartée.
Les pesticides (insecticides, rondenticides, fongicides, herbicides…) sont
les biocides destinés à l’agriculture intensive, y compris dans sa variante dite
“agriculture raisonnée”. Egalement au nombre de plusieurs centaines de
substances distinctes, les ingénieurs de l’agrochimie les combinent en
d’innombrables produits différents. Pour les désigner de façon plus rassurante,
l’industrie s’efforce d’imposer l’expression “produits phytosanitaires”, voire
“phytopharmaceutiques”, laquelle est rentrée dans le langage réglementaire.
Mais ce traitement sémantique n’enlève rien à leurs propriétés
toxicologiques47. Même l’agriculture biologique a utilisé un insecticide
neurotoxique : la roténone, qui a été complètement interdite en 2011 au niveau
européen.
Les pesticides organophosphorés (tels que chlorpyriphos, malathion,
parathion…) ont été souvent utilisés à dose massive à partir des
années 1970 sur les fruits et légumes, la vigne, dans des lotions anti-poux et
des cosmétiques, puis à partir des années 1980 sur les grandes cultures
(céréales, colza…). Leur première utilité, pour l’industrie de la chimie, est
surtout d’avoir remplacé ceux de la génération précédente – les pesticides
organochlorés (DDT, lindane…) – qui étaient tombés dans le domaine public et
n’offraient donc plus la possibilité d’être exploités en exclusivité avec des
marges aussi confortables48. Ces nouveaux produits présentent d’autres
avantages pour leurs fabricants : alors que les précédents avaient une longue
durée d’action et un fort pouvoir de s’accumuler dans l’organisme, les
organophosphorés ont un effet immédiat plus puissant, mais ils se
décomposent plus rapidement, appelant des traitements fréquents. Ainsi, les
industriels vantent leur plus haute efficacité aux agriculteurs, ils évoquent leur
moindre persistance comme un argument de protection de l’environnement, et
ils augmentent leurs bénéfices par la fréquence des pulvérisations.
LES PESTICIDES NUISENT AU QI DES ENFANTS
Les enfants n’ont donc pas fini de subir les conséquences de la contamination
massive de notre environnement par les PCB. “On a fait des conneries pendant
cinquante ans, maintenant il faut gérer. C’est la facture à payer des
années 1970”, conclut le toxicologue Jean-François Narbonne63. On aimerait
que cette facture ait servi de leçon. Mais l’exemple des retardateurs de flamme
bromés, c’est-à-dire des produits permettant de retarder l’inflammation des
matériaux traités64, qui sont utilisés de plus en plus massivement depuis une
trentaine d’années dans les équipements électroniques, le mobilier, le textile et
la construction, montre que les erreurs du passé n’instruisent pas toujours les
décideurs. Tout comme les PCB, les PBDE forment une famille de plus
de 200 membres, mais la ressemblance ne s’arrête pas là : ils sont persistants
dans l’environnement, bioaccumulables dans l’organisme, et leur structure
présente des analogies avec celle des hormones thyroïdiennes. En quelques
décennies, ces molécules ont contaminé tous les milieux : les sols, l’air, le
milieu marin, les aliments… Alors que les niveaux d’imprégnation des
humains par les PCB diminuent peu à peu, ceux des PBDE ne cessent
d’augmenter, en particulier chez les jeunes enfants contaminés via le placenta,
le lait maternel et l’air intérieur65, les nourrissons allaités absorbant davantage
de PBDE que les adultes via leur alimentation66 !
La neurotoxicité d’une exposition pré-et post-natale aux PBDE est bien
démontrée. Elle s’exerce à travers la perturbation de la thyroïde, mais aussi
par agression oxydante et en déréglant la sécrétion des neuromédiateurs67. Des
épidémiologistes ont montré que l’exposition aux PBDE de la mère pendant la
grossesse est associée à des perturbations neurocognitives chez les enfants, se
traduisant par une diminution de l’attention et du QI68. On sait aussi que les
femmes enceintes exposées aux PBDE ont des niveaux plus bas de
thyréostimuline, hormone stimulant le développement et la sécrétion de la
glande thyroïde69. Certains mécanismes de l’altération du développement
cérébral sont désormais connus : de faibles doses de PBDE réduisent les
capacités de migration et de différenciation des futurs neurones70.
Comment a-t-on pu laisser des industriels introduire dans notre
environnement quotidien ces tombereaux de molécules dont les scientifiques
soupçonnaient fortement dès le départ les effets délétères sur le cerveau en
développement ? Des mesures bien tardives commencent à être prises pour
limiter peu à peu les usages des PBDE : la Commission européenne a interdit en
2006 leur utilisation dans les nouveaux équipements électriques et
électroniques. Par ailleurs, elle a décidé d’obliger les industriels à remplacer
des PBDE classés dans la catégorie très préoccupante des substances PBT
(persistantes, bio-accumulables et toxiques) à partir de 201571.
UNE FOLLE BACCHANALE
Les polluants se stockant surtout dans les graisses, le lait peut présenter des
taux de contamination élevés. Le problème est si aigu que les plus éminents
toxicologues en viennent à s’interroger sur l’intérêt de l’allaitement dans nos
sociétés industrialisées. Aussi incroyable que cela paraisse, la question se pose
en effet, tant qu’on n’a pas réussi à baisser les taux de contamination du lait en
réduisant les expositions des mères. Expert toxicologue à l’Agence française
de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), Jean-François Narbonne trouve
légitime de s’interroger à ce sujet, notamment au regard des concentrations en
bisphénol A provenant par exemple des revêtements intérieurs des boîtes de
conserve. Une concentration dans le lait maternel parfois beaucoup plus élevée
que celle du lait contaminé par les biberons en plastique ! Le bisphénol A a,
lui aussi, des effets neurotoxiques. En perturbant le fonctionnement de la
thyroïde, il abaisse le taux d’hormones thyroïdiennes, ce qui peut altérer non
seulement le développement du système nerveux du fœtus mais également
celui du jeune enfant à des doses inférieures à la dose journalière
admissible107. Le toxicologue reste encore favorable à l’allaitement maternel,
mais il montre que même un expert habitué à affronter le problème avec la
froide pondération requise par son institution est désormais obligé d’évaluer
son rapport bénéfice-risque, comme s’il s’agissait d’un médicament à mettre
sur le marché ou d’un nouveau produit chimique. Sa réponse révèle un certain
embarras puisque après s’être alarmé des taux effarants de toxiques accumulés
par l’enfant, il s’adoucit devant le sein : “Faut-il conseiller l’allaitement
maternel sachant qu’une partie des substances toxiques de la mère se trouvent
dans le lait ? Si les graisses de la mère sont contaminées, les graisses du lait
seront aussi contaminées. Et l’enfant sera exposé. Pour les contaminants
persistants, l’enfant constitue un stock qui peut représenter 10 % de son stock
à l’âge adulte. Mais l’allaitement maternel présente beaucoup d’avantages, et
les effets toxiques éventuels de ces substances ne constituent pas un risque
important par rapport aux bénéfices. Si l’imprégnation de la mère doit avoir
une répercussion chez l’enfant, ce n’est pas tant au moment de l’allaitement
qu’au cours de la gestation, lorsque le fœtus se développe108.”
De fait, notre société s’est si peu prémunie contre l’invasion des substances
toxiques d’origine industrielle qu’elle a fini par créer une situation
complètement paradoxale : elle a inversé la qualité du naturel en le polluant à
outrance. Comme il est aujourd’hui dangereux de manger trop de poissons
sauvages, du fait de leur teneur en mercure et en PCB (nous avons vu que la
situation est tellement folle qu’il est préférable de consommer du poisson
d’élevage nourri avec des aliments non contaminés109), le lait maternel est en
passe de devenir plus pollué que le lait industriel ! Mais on ne peut pas
promouvoir ce dernier qui, sans présenter les avantages du lait maternel, a un
niveau de contamination comparable à bien des égards, notamment en ce qui
concerne le mercure110. Une étude suédoise soulignant le passage
d’importantes quantités de mercure des amalgames dentaires de la mère vers
son lait concluait fort justement : “Le lait maternel est un aliment unique et
complet pour le nouveau-né. Par conséquent, tous les efforts devraient être
fournis pour empêcher sa contamination par des polluants111.” La même étude
insistait tout particulièrement sur la nécessité d’éliminer l’exposition au
mercure dentaire des femmes en âge de procréer.
Le Réseau environnement santé (RES), rassemblant de nombreuses ONG, des
médecins, des scientifiques et de simples citoyens, a effectué une veille
scientifique (que n’avait pas menée l’Afssa112) et a alerté l’opinion sur les
risques liés à l’exposition précoce au bisphénol A. Un projet d’interdiction de
cette substance dans les biberons par la Commission européenne a été lancé
pour juillet 2011113. Mais le RES demande à la Commission européenne d’aller
plus loin et de protéger l’ensemble des nourrissons (y compris ceux qui sont
allaités) et des fœtus, en abaissant l’exposition maternelle. Les femmes les
plus exposées sont, selon une récente étude américaine, les caissières (qui se
contaminent en manipulant les tickets de caisse) et celles qui consomment au
moins une boîte de conserve par jour (le bisphénol A migre à partir du film
plastique recouvrant l’intérieur des conserves et des canettes114).
L’enfant peut être exposé au plomb contenu dans certaines eaux du robinet, les
vieilles peintures à la céruse, les aliments (notamment ceux conservés dans
des céramiques artisanales), et même les jouets malgré la loi interdisant cet
usage. Chaque année, le père Noël continue d’apporter au pied du sapin des
petites voitures dont la peinture détient des taux très élevés de plomb, comme
l’a révélé la base Rapex de la Commission européenne en 2010.
Le 25 février 2010, prenant le mors aux dents, la Fédération nationale des
accidentés du travail et des handicapés (Fnath) lançait un appel public pour
que le saturnisme soit reconnu comme “grande cause nationale” par les
pouvoirs publics et le Parlement. Encore souvent présent en France,
notamment dans d’innombrables tuyaux de canalisation et dans des peintures
couvrant des murs de logement, le plomb est connu pour ses effets sur le
cerveau depuis… l’Antiquité. “L’Inserm avance le chiffre de 85 000 enfants
qui auraient contracté le saturnisme en raison d’un logement insalubre avec
des peintures au plomb. Les pouvoirs publics connaissent cette situation…”
rappelle la Fnath. Il s’agit pourtant d’une affection grave. Quand ils n’en
meurent pas, les enfants atteints souffrent en effet de séquelles souvent
irréversibles liées aux altérations du système nerveux central. Les capacités
intellectuelles peuvent être sérieusement entamées. Ces enfants voient leurs
chances à l’école et dans la vie “fondre en raison d’une indifférence des
pouvoirs publics et d’une méconnaissance de nombreux acteurs”, accuse la
Fédération qui a rejoint le combat de l’Association des familles victimes du
saturnisme (AVS) mobilisée sur le problème à la fin des années 1990 pour faire
bouger les responsables politiques et sanitaires. Devant leur passivité
inexplicable, ces organisations ont décidé de prendre l’opinion publique à
témoin et de décrire la situation, quitte à se fâcher avec les autorités, en
particulier avec les ministères directement concernés : la Santé, le Logement,
l’Environnement… Sur la présence de plomb dans les peintures murales, par
exemple, elles revenaient sur des incohérences qui semblent nous ramener des
siècles en arrière, avant même le premier ministère de l’Hygiène publique :
“Des enfants subissent des traitements de chélation à l’hôpital pour leur
enlever le plomb de leur sang. Mais le plomb s’est déjà stocké dans leurs os.
Ils sont en général ensuite remis dans leur logement où ils continueront à
s’intoxiquer. Les autorités de santé savent tout cela… Pourquoi ne font-elles
rien ou si peu ? Les ouvriers travaillant dans un environnement fortement
plombé s’intoxiquent et intoxiquent leurs enfants à leur retour du travail.
D’autres enfants respirent les poussières de plomb lorsque des travaux sont
menés dans leur logement. Pour éviter ces intoxications, il faut absolument
mettre sur pied un protocole de travaux contraignant pour éviter une mise en
danger quotidienne. Les pouvoirs publics savent que c’est nécessaire…
Pourquoi ne le font-ils pas ? Certains responsables de départements français
adoptent la politique de l’autruche : ils ne mènent pas de campagne de
dépistage du saturnisme. Les enfants s’intoxiquent sans doute aussi sans que
les autorités sanitaires départementales ne veuillent le voir ou le savoir.
Jusqu’à quand ?” Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, ne leur a pas
répondu. Pas plus que les autres ministres, les préfets, les directions de
l’action sanitaire et sociale…
Il est bon de savoir que le seuil d’alerte pour l’enfant est
de 100 microgrammes par litre de sang. A ce niveau, les autorités sanitaires
doivent obligatoirement intervenir pour soustraire l’enfant à son
environnement. Par contre, si la plombémie se situe juste en dessous de ce
seuil, personne n’intervient et l’enfant n’est même pas suivi médicalement,
alors qu’on sait avec certitude qu’entre 10 et 100 microgrammes, il existe des
risques avérés de troubles psychomoteurs et de diminution des facultés
intellectuelles. Cette attitude est proprement scandaleuse. D’autant que la
communauté scientifique s’accorde pour affirmer qu’il n’existe pas de seuil en
dessous duquel une exposition au plomb est sans danger122. Le retard apparaît
encore plus révoltant quand on songe aux innombrables alertes répétées depuis
le XIXe siècle, en France et dans le monde. Georges Clemenceau exprimait déjà
sa colère en 1904 devant l’Assemblée nationale et dans le journal L’Aurore
pour demander l’interdiction de certains usages du plomb en en déplorant
l’impact sur les enfants.
En fait, on s’est contenté d’ignorer durant plus d’un siècle toutes les
observations concernant les expositions infantiles, pourtant publiées dans
d’importantes revues anglo-saxonnes. A commencer par celles du pédiatre J.
Lockhart Gibson qui, dès les années 1890, signalait une épidémie de troubles
neurologiques graves (convulsions, coma…) touchant des enfants australiens
se plaisant à boire l’eau sucrée qui coulait des vérandas peintes au blanc de
plomb123. C’est précisément ce goût sucré qui pousse encore aujourd’hui les
enfants à sucer les écailles des vieilles peintures au plomb. Aux Etats-Unis,
en 1917, Kenneth Blackfan, un médecin hospitalier de Baltimore, relatait
l’empoisonnement au plomb chez des enfants dont le comportement devenait
grognon, agité, convulsif, puis révélait une encéphalopathie124. Il tirait la
sonnette d’alarme : “Il faut d’urgence prendre des mesures de prévention
énergiques avec les jeunes enfants qui prennent l’habitude de mordiller la
peinture blanche au plomb qui recouvre leurs lits.” La ville de Baltimore
prendra le problème au sérieux et mettra en place… un programme
d’éducation des parents. Le reste du pays continuera de l’ignorer pendant
quarante ans.
Malgré l’existence des centres de Protection maternelle et infantile (PMI) et
un maillage national de médecins pédiatres, les observateurs français ne
découvriront l’existence d’une épidémie de saturnisme infantile qu’à partir de
l’hospitalisation d’un énième enfant intoxiqué en… 1985. Découverte
qualifiée d’“accidentelle”, la pédiatre ayant soupçonné de façon fort
inhabituelle le plomb d’être à l’origine de l’anémie de l’enfant, car elle avait
longtemps exercé en Afrique et avait été confrontée à des empoisonnements au
plomb. Le diagnostic souleva à l’époque la surprise de tous les professionnels
de santé, qui pensaient la maladie tombée depuis longtemps dans les oubliettes
de l’histoire de la médecine. Ce fut ce cas, suivi de nombreux autres, qui
déclencha la mobilisation contre la maladie liée aux logements insalubres,
d’abord à Paris puis dans les autres villes125. Mais vingt-cinq ans plus tard,
notre riche pays compte toujours de nombreux logements aux peintures et aux
canalisations contaminantes. Et il arrive encore qu’on replace les enfants,
après leur hospitalisation, dans le milieu où ils seront à nouveau exposés, faute
de travaux. Quant à l’eau du robinet, les firmes opulentes qui gèrent sa
distribution dans les villes et les villages de France prennent tout leur temps :
sous la pression des instances européennes, elles ne changent que très
progressivement les canalisations en plomb situées dans leur périmètre de
responsabilité, c’est-à-dire de la rue jusqu’aux propriétés. Le reste est laissé au
bon soin des propriétaires, lesquels sont rarement conscients des problèmes
sanitaires tant que la loi ne leur impose pas des obligations.
VACCINS À L’ALUMINIUM ET AU MERCURE POUR LES
BÉBÉS
Les lobbies industriels ont promu le fluor à partir des années 1950 en
exploitant le thème de la lutte contre la carie dentaire. L’argument faisant
valoir qu’il contribue à renforcer l’émail des dents a connu un énorme succès
sous la houlette de Procter & Gamble, la première multinationale à s’être
lancée dans la production de dentifrice au fluor. Les industries de la chimie et
du médicament, appuyées par l’Association dentaire américaine (ADA)
représentant les dentistes, ont surfé sur la vague et persuadé les autorités
sanitaires des Etats-Unis et du Canada d’en faire ajouter dans l’eau du robinet,
alors que celle-ci en contient déjà des quantités variables, issues de la
pollution industrielle et de certaines couches géologiques138. Les aliments
peuvent également en être chargés. Même les producteurs de sel les ont imités,
suivis par des marques de chewing-gum. Ensemble, les lobbies dentaire et
pharmaceutique sont parvenus à convaincre l’OMS, les médecins et les
dentistes, qu’il était souhaitable de prescrire des comprimés de fluor aux bébés
avant la poussée de leurs dents, puis même avant leur naissance en le
recommandant aux femmes enceintes avec l’argument qu’il était “bon d’agir
le plus en amont possible”. Mais c’était occulter le fait que le fluor n’a
d’intérêt que s’il ne dépasse pas un seuil extrêmement restreint, seuil au-delà
duquel il exerce ses effets toxiques et entraîne notamment des risques de
fluorose, dont le premier symptôme se manifeste par des taches opaques ou
brunâtres sur l’émail des dents. A un stade plus sévère, l’intoxication
provoque une hypothyroïdie. Par ailleurs, les fluorures (sels du fluor) ont
souvent un impact neurologique direct, à commencer par le fluorure de
sodium, celui que l’on trouve le plus communément dans l’eau de distribution
de nombreux pays, les produits fluorés comme le sel, le dentifrice, les
solutions pour bain de bouche et divers médicaments139. Des pesticides en
contiennent140. L’air peut atteindre des concentrations élevées de fluor dans
les régions industrialisées, comme le souligne l’OMS qui, par ailleurs, signale
que la production et l’utilisation d’engrais phosphatés contribuent de façon
significative à cette pollution141. La combustion de charbon contenant des
fluorures peut aussi l’aggraver.
Des centaines d’études confirment que les intoxications chroniques sont
responsables de troubles neurologiques, malgré les démentis systématiques du
syndicat professionnel des dentistes, l’Association dentaire américaine
exerçant un puissant lobbying en faveur de la supplémentation en fluor.
En 1955, le Dr George L. Waldbott a mis en évidence le rôle des fluorures
dans la fluorose dentaire et osseuse puis, dès 1957, leur neurotoxicité142, ce
qui lui a valu une adversité systématique des producteurs de fluor et des
autorités. En 1979, il publiait une étude143 qui est devenue une référence pour
les toxicologues, établissant l’existence d’une phase de préfluorose, survenant
en lien avec les apports fluorés, caractérisée notamment par des troubles
neurologiques (paresthésie, céphalées, vertiges et troubles de la vision). Même
le prudent toxicologue Robert Lauweris rend honneur à son travail dans son
monumental ouvrage dressant l’état des lieux de la toxicologie industrielle144.
L’action néfaste du fluor sur le cerveau est aujourd’hui établie pour une
grande partie de la communauté scientifique145.
Aux Etats-Unis, les cas de fluorose dentaire sont passés de 23 % à 32 % de
la population des 6-19 ans entre 1986 et 2002146. Ces pourcentages énormes
montrent l’ampleur de la faute commise par les firmes et les autorités qui ont
omis de se soucier de l’addition des multiples sources de fluor. En découvrant
ces résultats, les Américains ont décidé de ne plus prescrire de fluor chez la
femme enceinte et chez les bébés avant l’âge de 6 mois.
En France, les chiffres officiels font état de 2,7 % à 8,8 %, sur la base
d’études publiées en 1998147. Les centres de Protection maternelle et infantile
(PMI) du département de Seine-Saint-Denis ont signalé des cas de fluorose à la
fin des années 1990. Cela a permis de mesurer le cynisme des firmes vendant
les comprimés : les alertes lancées par le département n’ont pas infléchi leur
marketing auprès des médecins, et elles ont continué à les inciter à prolonger
leur prescription sans les mettre en garde148.
En 2002, l’Afssaps a remis un avis instructif au ministère de la Santé où
l’on pouvait lire : “Un certain nombre d’études épidémiologiques ont été
entreprises afin d’évaluer l’efficacité d’une fluoration prénatale. Mais à
l’heure actuelle, aucune étude n’a montré une efficacité statistiquement
significative de la prévention de la carie sur les dents de lait avec une
supplémentation pré- et post-natale, comparée à une supplémentation post-
natale seule.” Cela revenait à dire que l’autorisation donnée aux laboratoires
de faire avaler du fluor aux femmes enceintes et d’y exposer leur embryon ne
reposait que sur du vent, donc sur une inexplicable mansuétude des experts.
En mai 2006, le ministère de la Santé a fait interdire l’incorporation de fluor
dans les compléments alimentaires, suite à un avis de l’Afssaps rendu en 2004.
Cette dernière s’est enhardie à nouveau en octobre 2008, en cessant de
recommander la supplémentation de fluor chez les bébés de 0 à 6 mois, et en
commençant à relativiser le rôle du fluor dans la prévention de la carie
dentaire au regard des autres moyens d’action que sont, entre autres, le
brossage bi-quotidien des dents et un bon équilibre alimentaire. Elle a souligné
par ailleurs que “compte tenu de la diversité des apports en fluor (eau, sel,
dentifrice ingéré par les enfants qui ne savent pas encore bien recracher…),
toute prescription de fluor médicamenteux (gouttes ou comprimés) doit être
précédée d’un bilan personnalisé des apports journaliers en fluor149”. Mieux
vaut tard que jamais. Mais est-ce que les médecins font vraiment ce bilan
personnalisé ?
Notre enquête nous conduit à conclure que les médecins s’en soucient
comme d’une guigne. “Le temps qu’un médecin consacre à chaque patient ne
l’incite pas à faire ce bilan, qui est compliqué et demande des démarches, nous
explique Bernard Topuz, médecin de santé publique. L’absence de formation
sur le sujet et le conformisme des médecins ne les incitent pas à s’en
préoccuper. En fait, le fluor est le cadet de leurs soucis, en dehors sans doute
des lecteurs de la revue Prescrire qui, elle, rappelle régulièrement cette
nécessité…”
Pendant plus d’un siècle, les laboratoires pharmaceutiques ont réussi à faire
croire qu’ils se souciaient sincèrement de la santé publique, et ils ont pris une
place prééminente dans la politique de prévention sanitaire. Les campagnes de
vaccination ont renforcé ce sentiment dans l’opinion publique et chez un grand
nombre de médecins, de même que des opérations de grande envergure comme
la supplémentation en calcium pour “assurer un meilleur développement du
squelette”, ou celle du fluor pour “protéger les dents contre les caries”. Ce
genre de campagne présente pour l’industrie l’intérêt économique de s’inscrire
très durablement dans les pratiques de consommation et d’être rentable à la
fois pour le secteur pharmaco-chimique et pour celui de l’agro-alimentaire. Le
dossier du fluor est l’un des plus exemplaires de cette stratégie.
Les paradoxes des campagnes sanitaires, quand elles sont lancées pour des
raisons purement commerciales, se multiplient. Rappelons, à titre d’exemple,
que la supplémentation en calcium est censée renforcer la solidité des os, alors
même que le fluor diminue leur résistance et favorise ainsi les fractures, en
particulier celles du col du fémur et du poignet. Mais il est vrai que le
fabuleux marché des médicaments contre l’ostéoporose et les ruptures
osseuses n’en a pas souffert.
Le gavage de médicaments dès la naissance illustre la tendance de
l’industrie pharmaceutique à multiplier indéfiniment les occasions d’étendre
ses marchés, en se gardant de s’interroger sur les conséquences globales de
cette surmédication. Le phénomène ne concerne d’ailleurs pas que les bébés.
Comme nous allons le voir, les produits pharmaceutiques destinés à soigner
les troubles neuropsychiques contribuent eux-mêmes à créer des situations
paradoxales, car ce ne sont pas toujours ceux qui font le moins de dégâts sur le
cerveau. Penchons-nous sur les médicaments les plus prescrits aux enfants et
aux adolescents malgré leurs méfaits neurotoxiques…
ENFANTS SOUS MÉTHYLPHÉNIDATE
“Nous sommes des gêneurs, car nous mettons en exergue des problèmes que
les industriels et les politiques qui les soutiennent trop aveuglément
préféreraient ne pas voir”, nous expliquait le toxicologue Henri Pézerat en
janvier 2009, peu avant de disparaître1. Il nous rappelait que les pouvoirs
publics, en France, venaient de fermer la dernière filière de formation en
toxicologie, celle qui subsistait encore au Cnam. Un comble aux yeux de celui
qui avait lancé l’alerte contre l’amiante et qui travaillait sur la neurotoxicité
de l’aluminium et sur son rôle de cofacteur dans le développement de la
maladie d’Alzheimer2. Plus que tout autre, il était conscient de l’importance
vitale de la toxicologie pour repérer les substances nocives et intervenir le plus
tôt possible. C’était lui également qui, avec André Cicolella3 et un autre grand
toxicochimiste, André Picot, avait dénoncé au début des années 1980 le
laxisme français devant le saturnisme lié à l’eau distribuée par les
canalisations en plomb4. Des gêneurs, donc, non seulement sur le plan
financier pour les industries jamais très promptes à se soucier des dégâts que
peuvent causer leurs produits, mais aussi sur le plan des responsabilités. Henri
Pézerat, directeur de recherche au CNRS et d’une intégrité à toute épreuve, était
capable de s’opposer fermement aux positions officielles rassurantes quand
ces dernières niaient l’état des connaissances scientifiques. C’était aussi l’un
de ceux qui avaient repéré très tôt les failles du programme Reach mis en
place en Europe à partir de 2006 pour évaluer une partie des substances
chimiques et les autoriser ou non. Des failles géantes, obtenues grâce au
lobbying incessant de l’Union des industries chimiques (UIC), des fédérations
des grands groupes de l’agroalimentaire, du pétrole, du médicament et de
l’informatique : les pesticides allaient y échapper, de même que les
nanomatériaux et toutes les substances produites en faible tonnage.
A la fin des années 1990, l’Académie des sciences elle-même s’était émue
de voir la toxicologie ainsi réduite à néant. La vieille institution,
traditionnellement peu réactive, en a fait état dans un rapport qui aurait dû
alerter l’opinion. Il est vrai, son émotion n’était pas dictée par le souci de
protéger la population, mais par celui de “maintenir la France à un niveau de
compétition international” sur ce terrain où le champ libre était laissé aux
“experts étrangers”, c’est-à-dire aux mises en cause de certains produits
nationaux5. Cette analyse n’a pas non plus suscité de réaction officielle des
autorités. “Le résultat, c’est que les industries françaises viennent nous
chercher à présent quand leurs produits sont attaqués par les toxicologues qui
travaillent pour leurs concurrents internationaux”, nous explique Maurice
Rabache, toxicologue à la retraite à qui des industriels ont dernièrement
“demandé de leur former quelques gars à la toxicologie car ils n’en ont plus
pour contre-expertiser des critiques de plus en plus vives6 !” Cela ressemble à
un remake de Space Cowboys, le film de Clint Eastwood où la NASA, face à un
danger imminent, revient piteusement chercher d’anciens astronautes, trop
vite écartés, pour les convaincre de revenir les aider7.
UN TRAIN NOMMÉ ALZHEIMER
“Ben, mon vieux, ils ont mis le paquet sur ce coup-là !” s’exclame un usager
qui découvre le TTM à Paris. Cela fait justement partie de nos interrogations.
Les médias n’évoquent pas le budget, aucun chiffre ne leur a été diffusé, ce qui
nous rend curieux. Le sujet serait-il tabou au regard de la cause défendue ? De
fait, Trains Expos n’a rien communiqué sur cet aspect. Personne ne s’y arrête,
et nos questions sur le financement paraissent fort déplacées alors que tout le
monde s’engage dans le “grand combat collectif contre la maladie”. On nous
regarde comme des casseurs d’ambiance, de tristes sires. Il semble incongru
de vouloir parler d’argent et d’examiner les coulisses quand chacun salue cet
“élan de générosité”, cette “chaîne de solidarité nationale”.
Pourtant, nos yeux tombent sans cesse sur les logos colorés des sponsors,
qui ornent les flancs des wagons, les prospectus et les affiches. Notre regard ne
peut se poser quelque part sans que l’aspect financier revienne nous troubler.
Nous remarquons d’abord le logo de Pfizer, la firme pharmaceutique qui vend
des médicaments contre la maladie depuis 1994, et celui d’Eisai, un autre
laboratoire qui occupe le même marché. Leur envahissante sponsorisation,
nous dit-on, témoigne de leur solidarité. Quant aux conditions qu’ils ont
posées, elles sont gardées secrètes. Ce voile pudique ne nous paraît pas de bon
augure, nous en aurons le cœur net.
En attendant de lever un coin de ce voile, nous espérons que les
organisateurs ont su se garder des dérives habituelles à ce genre de
participation, les laboratoires n’ayant pas coutume de rester indifférents au
contenu des manifestations qu’ils sponsorisent. Ces derniers sont
ordinairement habiles à décrire les mécanismes des pathologies sous un angle
favorable à leur marché. Ainsi orientent-ils les politiques sanitaires mises en
place, en particulier dans le but d’obtenir des investissements publics se
portant préférentiellement sur la recherche de médicaments plutôt que sur la
prévention. Notre inquiétude grandit en découvrant que Nestlé, le géant de
l’agroalimentaire, a également apporté son soutien à travers sa tête de pont,
Nestlé Nutrition, structure qu’il a créée en 2005 pour promouvoir de nouvelles
palettes commerciales dans le domaine des compléments alimentaires,
notamment des “produits performance pour les sportifs” et des “programmes
d’accompagnement de perte de poids”. Les messages de la multinationale sur
les prospectus que nous recueillons soulignent sa nouvelle vocation : “lutter
contre la dénutrition des malades d’Alzheimer”. Alors que nous approchons du
premier wagon, notre crainte s’accentue à leur lecture : “30 à 40 % des
patients Alzheimer perdent involontairement du poids ce qui entraîne une
dénutrition, facteur aggravant majeur de la maladie d’Alzheimer” et “Nestlé
Nutrition, acteur engagé depuis des années dans la recherche en nutrition
clinique, vous donne rendez-vous à bord du Train Alzheimer pour vous
informer et vous donner des conseils pratiques de prévention afin de veiller à
la bonne alimentation de votre proche”. Les organisateurs les ont donc laissés
s’installer à bord ! Ce n’est plus seulement de la sponsorisation mais une
autopromotion dans le cadre d’une campagne de santé publique organisée par
un service également public. Un beau mélange des genres.
La lecture des prospectus nous informe que divers assureurs sponsorisent
également le train, dont AG2R La Mondiale. On trouve aussi Bluelinea, la
société qui vend des bracelets à puce pour les malades qui risquent de perdre
leur chemin, et quelques autres entreprises “philanthropes”… Allons-nous les
retrouver aussi parmi les experts du train ? Décidément, nous sommes de plus
en plus impatients d’apprendre “tout ce qu’il faut savoir” sur la maladie qui
touche près d’un million de personnes en France et qui fait chaque année
entre 100 000 et 225 000 victimes supplémentaires10. Un panneau sur le quai
nous rappelle, au cas où nous l’aurions déjà oublié : “Obtenez toutes les
réponses aux questions que vous vous posez.” Nous grimpons donc dans le
train…
A bord, nous découvrons en grosses lettres que “le train Alzheimer est
équipé par Philips”. Ce message-là non plus, on ne risque pas de l’oublier, il
reviendra dans chaque wagon. Une voix familière nous interpelle aussitôt,
celle de Nicolas Sarkozy : “C’est un engagement personnel auquel je
veillerai…” Elle vient d’un écran de télé qui délivre en boucle une allocution
du président de la République. Il explique que “ce plan s’étendant
de 2008 à 2012 représente un effort cumulé de 1,6 milliard d’euros
(1,2 milliard d’euros pour le médico-social, 200 millions d’euros pour la santé
et 200 millions d’euros pour la recherche)”. Autour de nous, des panneaux
répètent que “la maladie d’Alzheimer est une priorité de santé publique” et
que “le président a décidé de lancer un plan Alzheimer réellement ambitieux
afin de mieux prendre en charge la maladie”. Enfin, voilà un président qui
prend le taureau par les cornes, pourraient penser les visiteurs ignorant que le
plan Alzheimer a été lancé en réalité dès 2001, par le gouvernement de Lionel
Jospin, puis relancé en 2004 sous la houlette de Jacques Chirac, par le ministre
de la Santé et de la Protection sociale, Philippe Douste-Blazy…
D’innombrables photos de personnes âgées couvrent les parois. Des
légendes affichent la définition de la maladie et soulignent l’ampleur de la
pandémie. Les perspectives épidémiologiques font frissonner une dame qui
s’est arrêtée pour les commenter : “800 000 malades, ça fait du monde, et ils
disent que 165 000 nouveaux cas apparaissent chaque année, c’est ça qui est
vraiment effrayant…” Pourtant quelque chose la chiffonne : “Je ne comprends
pas pourquoi ils nous disent depuis des années qu’il y a 800 000 malades alors
que s’il y a 165 000 nouveaux cas par an, ça devrait augmenter. Ils ne savent
pas faire d’addition ou quoi ?” Nous lui expliquons que beaucoup meurent de
l’aggravation de la maladie, certains au bout d’un an, d’autres au-delà de dix
ans, sans compter les malades qui décèdent pour d’autres raisons11. Il est vrai
que le ministère de la Santé lors du premier Plan Alzheimer, en 2001,
annonçait déjà le chiffre de 800 000 malades. Cependant, comme nous l’avons
démontré plus haut, la pandémie avance vraiment et fait de plus en plus de
morts. Les épidémiologistes savent que sa courbe gagne en vitesse, notamment
par l’extension des cas dans les franges de population plus jeunes. Les
panneaux annoncent à ce sujet que 1,3 million de personnes seront touchées
en 2020, et près du double en 2040. En progressant dans le wagon, un malaise
nous gagne : ces informations sont assénées comme s’il fallait déjà se résigner
à l’idée que cette progression est inévitable. Ce fatalisme nous frappe, car il ne
correspond pas à l’état des connaissances scientifiques sur les causes de la
maladie, comme nous le verrons. Et les communiqués ne nous avaient-ils pas
dit que le Train Alzheimer aborderait le volet prévention ?
Les wagons suivants répètent à nouveau que le président de la République a
lancé “un plan réellement ambitieux” et que “ce plan est un effort sans
précédent en faveur de la maladie d’Alzheimer” (sic !). Ils rappellent les
moyens alloués aux jeunes chercheurs et aux médecins. Une recherche
entièrement consacrée à l’amélioration des soins et du diagnostic, comme si
l’on avait définitivement écarté toute idée d’investir sur l’éclaircissement des
causes et les moyens de s’y attaquer. Troublant.
On nous décrit le développement de la maladie : l’apparition des
symptômes, le diagnostic, le traitement qui retarde un peu la perte
d’autonomie, la prise en charge et l’accompagnement par les proches, le
placement en centre, puis la mort du patient.
L’exposition souligne avec force que “l’âge est un facteur de risque”.
L’allongement moyen de l’espérance de vie expliquerait la multiplication des
cas, bien qu’un panneau signale plus loin que l’on compte des victimes de plus
en plus jeunes et que les moins de 60 ans sont d’ores et déjà 30 000 à 50 000.
Il est curieux que les concepteurs de l’exposition n’aient tiré aucune
conséquence de cette extension ni la moindre interrogation, mais il est vrai
qu’ils ne se distinguent pas en cela des autorités, lesquelles ne s’y attardent
jamais. Ils évoquent par ailleurs qu’“être une femme est un facteur de risque”
car “à partir de 85 ans, une femme sur quatre et un homme sur cinq sont
touchés”. Cette manière de présenter les choses incite à confondre les
différences de vulnérabilité de la population et les causes elles-mêmes. En
outre, concentrer l’attention sur une situation qu’on ne peut modifier (être une
femme, être âgé…) en utilisant la même expression de “facteur de risque” que
lorsqu’on parle de facteurs de risques évitables tend à faire passer pour
impossible la prévention qui agirait sur les causes. Pour prendre un exemple
expressif, songerait-on à dire qu’être une femme est un facteur de risque face
au danger du viol et que, dans l’impossibilité d’envisager de faire disparaître
le genre féminin, la prévention doit se concentrer sur le traitement des
victimes pour que leur corps et leur cerveau résistent mieux aux conséquences
de l’agression ? De la même manière, accepterait-on que la prévention des
intoxications chimiques, dont les enfants sont les principales victimes dans
l’environnement domestique, se réduise à investir sur les médicaments
limitant les dégâts ? On pourrait ainsi multiplier les exemples rappelant que la
plus grande vulnérabilité de catégories de population à un risque ne saurait
être évoquée comme “facteur de risque” pour justifier qu’on ne s’attaque pas à
ses causes évitables.
Mais notre visite ne fait que commencer. Sur une modeste borne télévisée,
un professeur de médecine évoque rapidement le rôle du surpoids, du
cholestérol et du diabète parmi les facteurs. Il s’arrête sur “les facteurs
génétiques et familiaux” tout en précisant que ces facteurs ne concernent
qu’un “faible pourcentage de cas”. Faible ? Quel est exactement ce
pourcentage ? Est-il si faible qu’on néglige de l’indiquer ? Pourtant,
l’information est de taille puisqu’elle renverse les fondements mêmes des
orientations prises par les autorités et les institutions qui martèlent depuis des
années que les causes de la maladie sont surtout génétiques ou, ce qui revient
au même, qui mettent systématiquement en avant les découvertes biologiques
brevetables quelle que soit leur importance objective12. A-t-on voulu adoucir
le caractère explosif du message en le rendant imprécis ? Nous ne tardons
d’ailleurs pas à retrouver cette inclination dominante pour les facteurs
génétiques, malgré le “faible pourcentage de cas”, avec un texte en gros
caractères qui nous attend un peu plus loin, en parfaite contradiction avec le
précédent : “La Fondation Plan Alzheimer a déjà réalisé une percée majeure en
septembre 2009, avec la découverte de deux nouveaux gènes (CLU et CR1)
prédisposant à la maladie, élue parmi les plus grandes découvertes
scientifiques de 2009 par la revue La Recherche et Time Magazine.” Hélas ! là
encore, personne ne peut nous dire quel “faible pourcentage” de malades est
concerné par cette “percée majeure”.
Aucune recherche n’est évoquée sur les causes environnementales, comme
si rien de majeur n’avait été découvert en ce domaine. L’oubli est d’autant
plus étonnant qu’une petite liste, parmi les textes initiaux de l’exposition,
signale sommairement ces facteurs : le tabac, les pesticides et “la
consommation d’une eau trop riche en aluminium”. Inutile non plus de
chercher des détails sur ces informations, le train est mutique. On aimerait
pourtant que cette ligne précise ce que signifie “trop riche en aluminium”.
Comment pouvons-nous contrôler les doses et faire en sorte qu’on les
réduise ? Et, en l’absence de précision sur la quantité considérée comme “trop
riche”, que faire de ce message ? Pourquoi les sources de l’information ne
sont-elles pas données pour ceux qui voudraient en savoir plus ? Quant aux
pesticides responsables, quels sont-ils parmi les centaines de substances dites
“phytosanitaires” ? Sont-ils toujours en vente et pouvons-nous les éviter ?
Aucun des interlocuteurs présents dans l’exposition ne sera capable de nous
répondre, ni même de nous orienter vers une personne informée. Curieuse
prévention. Tout au contraire, les nombreux acteurs du Train Alzheimer
présents nieront l’intérêt de ces facteurs et s’empresseront de ramener vers les
facteurs génétiques. Nous ne l’oublierons pas, nous n’avons pas l’intention de
laisser les organisateurs se défiler.
DES EXPERTS DE LA COMMUNICATION
COMMERCIALE !
Mais à quoi servira vraiment tout cet argent, et quelles recherches financera-t-
il ? Nous voulons en savoir plus sur les ambitions de la Fondation. Le projet
prioritaire de l’Ifrad est d’associer des responsables des principaux
laboratoires de recherche sur la maladie d’Alzheimer afin de “centraliser en un
même lieu, le Centre national d’information et de recherche sur la maladie
d’Alzheimer (Cnir-Ma), l’ensemble de leurs résultats”, ce qui constitue “une
première en France”.
Une association privée pourrait-elle ainsi gérer un jour le registre national
d’une pathologie représentant un problème majeur de santé publique ? Bigre,
ce serait vraiment une première ! Les registres français de morbidité (registres
des cancers, des malformations congénitales, des cardiopathies
ischémiques…) sont en effet agréés par le Comité national des registres,
organisme public placé sous la double tutelle des ministères chargés de la
Santé et de la Recherche et co-présidé par le directeur de l’Institut de veille
sanitaire (InVS) et le directeur général de l’Institut national de la santé et de la
recherche médicale (Inserm). Le rôle des registres est primordial : il s’agit de
recueillir de façon continue et exhaustive des données à des fins de recherche
épidémiologique et de santé publique. Les registres sont particulièrement
importants pour la surveillance épidémiologique assurée par l’Institut national
de veille sanitaire. Il nous paraîtrait extrêmement choquant qu’une association
privée devienne responsable d’une structure d’utilité publique aussi sensible.
Le projet de “création d’un registre national de patients” figure bien dans
les objectifs de l’Ifrad. Les données proviendraient des études PREAL27 et
Paquid, ainsi que du “Programme hospitalier de recherche clinique réseau de
soins” et de l’étude 3C, alors que leur financement est public. Une chose est
claire : notre cerveau intéresse beaucoup les entreprises d’ingénierie génétique
et pharmaceutique ! Compte tenu de leur vocation commerciale, il est peu
probable qu’elles se serviront de ces données pour développer une politique de
prévention qui aurait pour effet de faire disparaître leur marché. Il est même
prévisible que le système de représentation qu’elles feront prévaloir pour
développer leurs produits aggravera encore la tendance à oublier les causes
environnementales évitables. Mais il se pourrait même qu’en devenant la
prérogative du secteur privé, la mise à disposition des données
épidémiologiques ne permette plus du tout de retrouver la trace de ces
facteurs.
La porosité entre le pouvoir politique et l’affairisme qui s’est développé
autour des maladies neurodégénératives nous semble d’un cynisme sans borne.
Le monde des décideurs politiques et économiques n’a-t-il tiré aucune leçon
des scandales sanitaires qui ont éclaté au cours des dernières décennies ? En
creusant la manière dont les autorités gèrent le dossier des maladies
neurodégénératives, nous allons découvrir que les relations de l’Elysée avec le
monde des laboratoires pharmaceutiques conditionnent littéralement la
politique de santé publique mise en œuvre en France mais aussi en partie au
niveau international. Notre enquête va nous conduire à retrouver quelques
“spin doctors” soucieux de favoriser le lobbying des groupes financiers qui les
soutiennent…
Après les expositions précoces, notre cerveau continue à subir toutes sortes
d’agressions. Il est certes parvenu à son développement adulte et sa résistance
est plus grande, mais la diversité des risques et le nombre des expositions
augmentent. Certaines provoquent des affections rapidement visibles,
notamment quand il s’agit d’intoxications aiguës, d’autres induisent des
dégradations plus insidieuses préparant à des pathologies tardives. La
manipulation directe des produits chimiques, notamment au travail ou dans le
cadre du bricolage et des activités d’entretien, amplifie considérablement
l’intensité des contaminations et leur répétition. En outre, ce sont désormais
des décennies d’exposition qui vont se succéder sans laisser de répit à
l’organisme, le soumettant à une agression continue et multiple. Décennies
durant lesquelles les substances bio-persistantes, à l’instar du plomb et du
mercure, continuent de s’accumuler et de produire leurs effets. Des effets que
les valeurs limites réglementaires censées nous protéger ignorent le plus
souvent, car elles sont fixées en fonction de tests toxicologiques ne prenant
pas en compte les affections survenant à long terme et n’incluant pas les
“faibles” doses en synergie complexe.
Plus de 100 000 substances différentes figurent sur les listes de l’Union
européenne, dont 10 000 sont produites en quantités supérieures à 10 tonnes
par an et 20 000 en quantités comprises entre 1 et 10 tonnes. L’industrie
chimique de l’Union européenne est longtemps restée la première du monde,
suivie par celle des Etats-Unis avec 28 % de la valeur de la production. C’était
encore le cas au début des années 2000, où l’Union européenne représentait un
tiers de la production mondiale estimée à 1 244 milliards d’euros. Le lobby de
la chimie en a tiré un poids considérable et s’est doté de structures de pression
aux niveaux national et européen pour peser contre les décisions de santé
publique susceptibles de réduire ses marchés. Pour peser plus efficacement
encore, il s’est allié avec tous les grands secteurs. D’autant que les industries
transformant ces substances chimiques en produits manufacturés ou les
utilisant dans le cadre de leur fonctionnement ordinaire couvrent un champ
infiniment plus vaste (agriculture, plasturgie, médicaments, électronique,
produits ménagers, construction…) et contribuent à introduire dans notre
environnement quotidien ces substances en les associant selon des millions de
compositions différentes1.
Pour ne prendre que les substances provenant directement de l’industrie
chimique avant transformation, on estime que leur production annuelle est
passée de 1 million de tonnes dans les années 1930 à 400 millions
aujourd’hui2. Ces quelques données permettent de prendre conscience que
l’industrialisation n’a pas fait que soumettre notre environnement à des
pollutions plus ou moins occasionnelles, mais l’a abondamment imprégné, y
compris dans les zones rurales où le nombre de pesticides utilisés n’a cessé de
croître.
Une part importante de ces substances est neurotoxique et dûment
répertoriée comme telle. En 2006, l’Agence de sécurité sanitaire
environnementale et du travail (Afsset) proposait de considérer en priorité “les
principaux agents neurotoxiques” qu’elle regroupait en une liste qui donne le
vertige : “Aluminium, arsenic inorganique, bismuth, bromures, dérivés
organiques de l’étain, lithium, manganèse, mercure inorganique et organique,
plomb, thallium, des pesticides organochlorés (chlordane, DDT…), des
pesticides organophosphorés, les pesticides carbamates et
anticholinestérasiques, tous les solvants organiques (hydrocarbures,
hydrocarbures halogénés, alcools, cétones, glycols, éthers de glycols, amides,
éthers, esters, etc.), des gaz (acide cyanhydrique, monoxyde de carbone,
phosphine, sulfure d’hydrogène, etc.), des monomères (acrylamide,
méthacrylate de méthyle, styrène, etc.)3.”
Qu’une autorité sanitaire française établisse un tel tableau accessible au
public était un progrès, même s’il y manquait de nombreuses substances que
n’importe quel toxicologue rangerait immédiatement parmi les neurotoxiques
envahissants : les fluorures, les PBDE, les perchlorates, le camphre, des
édulcorants et quelques drogues, dont le tabac et l’alcool4… Sans parler des
neurotoxines bactériennes qui intéressent notamment l’industrie des armes
biochimiques et les firmes pharmaceutiques5. Il y manquait aussi les
nombreuses catégories de médicaments ayant des effets secondaires très
pernicieux sur le système nerveux central, comme nous venons de le voir dans
le chapitre précédent. Conformément aux domaines de compétence auxquels le
législateur l’avait cantonnée, l’Afsset laissait aux experts de l’Afssaps la
responsabilité d’en pointer l’impact, même si ces experts étaient, pour la
plupart, liés aux firmes pharmaceutiques.
ALUMINIUM AU ROBINET, EN PÂTISSERIE OU EN
SAUCE ?
Les EPI utilisés par les agriculteurs ont en fait été mis au point pour
l’industrie et n’ont jamais été testés vis-à-vis des matières actives contenues
dans les pesticides. Or, “lors des phases de traitement et de nettoyage, les
personnes ayant porté des combinaisons sont globalement plus contaminées
que celles qui n’en portaient pas”. La sueur générée par les efforts physiques
ne pouvant s’évaporer, elle favoriserait la pénétration des produits
phytosanitaires à l’intérieur de la combinaison.
Il faut imaginer l’inconfort de cette “protection” dans laquelle l’agriculteur
sue à grosses gouttes. Mais c’était pour lui, croyait-il, le prix à payer pour
protéger sa santé. “Le pire en termes de prévention comme de protection est
alors d’être exposé à des dangers avérés, et se protéger donc se croire protégé
alors qu’il n’en est rien”, concluent indignés les lanceurs d’alerte.
Si les employés agricoles sont en première ligne, les jardiniers amateurs
sont aussi concernés par le risque neurologique lié à la pulvérisation des
pesticides. Nous faisons tous les frais du tabou qui a longtemps pesé sur ces
produits qu’on nous présentait comme parfaitement inoffensifs pour
l’homme : en réalité, les personnes qui traitent leurs plantes d’appartement ont
un risque de gliome deux fois plus élevé que les autres52. Et, au-delà des
utilisateurs, compte tenu de l’imprégnation corporelle de toute la population,
il ne fait plus guère de doute que les pesticides apportés par l’alimentation
représentent un facteur de risque supplémentaire dans la soupe chimique que
nous absorbons.
Le 19 mars 2011, le petit bourg tranquille de Ruffec au cœur du vignoble de
Cognac était au centre d’un événement sans précédent. Des paysans et leurs
familles s’y sont donné rendez-vous pour lancer officiellement l’association
Phytovictimes, regroupant des agriculteurs intoxiqués aux pesticides. Paul
François, l’enfant du pays initiateur de cette “Jaquerie” contre les
multinationales, en précise les principaux objectifs : faire toute la transparence
sur les “produits phytosanitaires”, aider les paysans dans leurs démarches
auprès de la Mutualité Sociale Agricole (MSA) pour faire reconnaître leurs
maladies professionnelles et réclamer aux pouvoirs publics une étude
épidémiologique indépendante pour éclaircir le lien de cause à effet entre
certaines maladies et l’exposition aux pesticides. Ce paisible agriculteur
de 47 ans a osé s’attaquer publiquement au géant Monsanto dont il est
désormais la bête noire…
Paul François est bien décidé, avec l’aide de son association, à dévoiler le
scandale de la contamination silencieuse de milliers de paysans. Il fut lui-
même victime en 2004 d’une intoxication aiguë au Lasso, un herbicide53 de
Monsanto (interdit en 2007), à l’origine de symptômes neurologiques :
malaises, vertiges, moments d’absence, pertes de connaissance, difficultés
d’élocution… Les Centres antipoison, sollicités par l’agriculteur, lui ont
étrangement déconseillé d’effectuer des analyses de sang et d’urine. Paul
François, après avoir subi de longues périodes d’hospitalisation ponctuées de
nombreux et coûteux examens, voyant que l’hypothèse de l’intoxication au
Lasso était toujours laissée de côté, a fini par se tourner vers l’association
Toxicologie Chimie d’André Picot. Pour ce toxicochimiste, expert honoraire
auprès de l’Union européenne pour les produits chimiques en milieu de travail,
l’intoxication était l’hypothèse la plus probable. Il n’a pas manqué d’être
étonné par l’attitude incompréhensible des Centres antipoison (CAP).
Paul François, à qui Monsanto a proposé entre-temps un arrangement
financier, a dû aller en justice pour faire reconnaître son atteinte
professionnelle (décision de la cour d’appel de Bordeaux, janvier 2010). Au
cours de la procédure, les experts des Centres antipoison ont carrément accusé
l’agriculteur d’inhaler volontairement du Lasso, comme le rappelle la
journaliste Marie-Monique Robin54. Le toxicologue Jean-François Narbonne,
sollicité pour une contre-expertise, a confirmé l’intoxication de Paul François,
et n’a pas mâché ses mots envers les CAP : “Ils ont au mieux fait preuve d’une
incompétence difficilement croyable, au pire d’une volonté délibérée de ne pas
fournir les preuves de l’implication du produit industriel55.”
Une fois l’intoxication reconnue, l’agriculteur a engagé une action pour
“faute” contre la multinationale devant le tribunal de grande instance de Lyon.
Il veut ainsi démontrer que “Monsanto savait que son produit, interdit
dès 1992 en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, était bien plus dangereux
qu’il ne le laissait entendre56”.
Il en faut, du courage, pour s’attaquer au tabou des expositions
professionnelles des agriculteurs français. Soutenu par François
Veillerette57 et par Marie-Monique Robin58, Paul François est aujourd’hui
sorti de son isolement et poursuit son combat. Il a contribué à lever un coin du
voile qui recouvrait pudiquement les origines des maladies que les
agriculteurs n’osaient s’avouer, sous la pression de leurs fournisseurs et les
pudibonderies de la FNSEA.
LE COIN GOURMAND : BOUES TOXIQUES AU MENU
Les additifs que les industriels ajoutent dans les aliments qu’ils préparent sont
des ingrédients que l’humanité n’a pas l’habitude de consommer. Pour la
plupart, il s’agit de substances artificielles provenant de l’industrie chimique
et n’ayant à l’origine aucun rapport avec les aliments. Ces additifs sont trop
nombreux pour être détaillés ici. Pour ne prendre que ceux dont la
neurotoxicité est établie et qui peuvent susciter à ce titre des inquiétudes, leur
liste est si impressionnante que nous devons les rassembler par familles pour
pouvoir les évoquer : acidifiants, affermissants, agents de texture, anti-
agglomérants, antibiotiques, antioxydants, cires, colorants, conservateurs,
édulcorants, émulsifiants, enrobants, épaississants, exhausteurs de goût, gaz…
En fait, pour synthétiser notre propos, nous pouvons dire que, dans leur
immense majorité, les additifs alimentaires contiennent à la fois du plomb, du
mercure, du cadmium, de l’arsenic, de l’aluminium… On y trouve aussi assez
régulièrement des fluorures, des solvants et des hydrocarbures.
Il est naturel de penser que les normes limitant les quantités de ces toxiques
dans les différents aliments industrialisés nous protègent tant il est difficile
d’imaginer que la santé publique puisse être hypothéquée pour profiter à des
intérêts particuliers. Mais ce sentiment est trompeur, car le système de
fixation des valeurs limites, à partir de tests sur des mammifères, ne prend pas
en compte l’accumulation des additifs au fil des décennies. C’est exactement
le même principe que celui que nous avons décrit pour les médicaments.
Comme le rappelle la pharmacologue Lama Soubra dans la thèse de doctorat
sur les additifs alimentaires qu’elle a soutenue en 2008, les tests
toxicologiques réalisés en expérimentation animale pour l’identification des
dangers neurotoxiques consistent essentiellement en “tests de toxicité à court
terme et subchroniques (administration de doses journalières réitérées pour
une durée de 90 jours76)”. Alors que la preuve est aujourd’hui apportée que les
maladies neurologiques dont la progression est la plus inquiétante résultent
d’expositions à très long terme, ces tests sont encore plus sommaires que ceux
qu’on réalise pour évaluer la cancérogénicité des substances dont les délais
sont déjà scandaleusement courts puisqu’ils ne dépassent pas deux ans !
Ce système fait la part belle aux arguments économiques et aux expertises
produites par l’industrie. Par ailleurs, la connaissance des effets synergiques
des additifs est encore moins avancée que celle des médicaments77. On trouve
ainsi, dans les directives européennes qui encadrent le droit agroalimentaire,
des normes habituelles demandant aux producteurs de respecter le tableau
suivant pour chacune de ces substances neurotoxiques : “Arsenic : pas plus de
3 mg/kg. Plomb : pas plus de 10 mg/kg. Mercure : pas plus de 1 mg/kg.
Cadmium : pas plus de 1 mg/kg. Acétone : pas plus de 50 mg/kg.
Dichlorométhane : pas plus de 10 mg/kg78”, etc. Sachant que chaque additif
(par exemple des colorants comme la tartrazine ou l’azorubine carmoisine) les
contient presque tous et que chaque aliment comporte de nombreux additifs, il
devient assez clair que notre système nerveux n’est pas la priorité de
l’industrie alimentaire. D’autant plus que la substance active de l’additif peut
se révéler elle-même neurotoxique indépendamment de ses contaminants,
comme on l’a découvert pour la tartrazine (E102), colorant jaune très
largement utilisé. Celui-ci peut en effet entraîner des troubles de la vue, de
l’insomnie, des effets mutagènes, tératogènes et cancérigènes… En 2007,
l’Agence alimentaire britannique Food Standards Agency a commandé une
expérimentation épidémiologique à des chercheurs de l’université de
Southampton, avec 200 enfants, sur la tartrazine. Les chercheurs ont identifié
que le colorant était à l’origine de troubles déficitaires de l’attention et
d’hyperactivité, en pointant une synergie avec une autre substance, le benzoate
de sodium, un conservateur qui entre souvent dans la composition des boissons
gazeuses, des confiseries et des crèmes glacées79. Les autorités britanniques
ont alerté les instances européennes qui ont pris la décision d’imposer aux
aliments contenant de la tartrazine, notamment des chips, des corn-flakes, des
moutardes, du muesli, des soupes instantanées, des pickles, des bonbons et des
biscuits, de mentionner sur leur étiquetage la formule : “Peut avoir des effets
indésirables sur l’activité et l’attention chez les enfants.” Le règlement
européen impose cette obligation depuis le 20 juillet 2010 pour les produits
alimentaires qui contiennent ce colorant et d’autres qui s’avèrent avoir le
même effet : l’azorubine (E122, colorant rouge), le Sunset yellow (E110), le
Quinoline yellow (E104), l’Allura red (E129) et le Ponceau 4R (E124)80.
D’abord sceptique, l’Académie américaine de pédiatrie (AAP) a finalement
fait procéder à une étude de synthèse des recherches menées à ce sujet.
Convaincue, elle a recommandé en 2008 une alimentation excluant
conservateurs et colorants pour les enfants, tout particulièrement pour ceux
qui souffrent d’hyperactivité avec déficit d’attention81.
LES OISEAUX SENTINELLES
Nous avons tous en tête l’image tragique d’oiseaux de mer englués par le
mazout des marées noires. Mais au-delà de cette illustration frappante de la
pollution aux hydrocarbures, les oiseaux nous apportent aussi la démonstration
d’une pollution plus insidieuse et plus vaste encore : l’élévation des taux de
neurotoxiques dans la nature. On sait depuis les années 1960 qu’ils peuvent
être imprégnés par des quantités importantes de DDT et de PCB, ce qui a
contribué à faire disparaître certaines espèces. Des observateurs ont ainsi attiré
l’attention sur le fait que les oiseaux sont des “sentinelles” nous avertissant à
leur corps défendant des dangers qui nous menacent82. En mars 2011, l’école
de santé publique d’Harvard l’a confirmé avec la publication d’une étude
montrant que de nombreuses espèces sont aussi gravement contaminées par le
mercure, notamment les albatros à pattes noires du Pacifique. Ces oiseaux leur
ont permis d’apporter la preuve que le niveau de pollution mercurielle s’est
considérablement élevé entre 1880 et les années 2000 : l’analyse de leur
plumage révèle en effet que la concentration en mercure a été multipliée en
moyenne par quatre en cent vingt ans83. Du fait du transfert de la mère vers les
œufs, l’espèce pourrait disparaître.
Grâce aux spécimens conservés dans des musées, les chercheurs ont pu
comparer les liaisons chimiques stables induites dans les plumes des oiseaux
par le mercure accumulé dans leur organisme de l’époque pré-industrielle
jusqu’à aujourd’hui. Cette contamination de l’eau de mer, mais aussi des eaux
douces et des terres, reflète l’importance croissante des rejets de mercure par
l’homme et inquiète les auteurs de l’étude, car le métal continue de
s’accumuler, les pays d’Asie ayant désormais rejoint le cortège des gros
pollueurs.
Nous avons vainement cherché une étude similaire portant sur l’homme.
Nos teneurs en mercure et celles de nos ancêtres seraient-elles moins
instructives que celles des oiseaux ? Certes, l’humain ne possède pas de
plumage, mais sa pilosité et ses os permettraient des analyses collectives
remontant sur plusieurs générations. La possibilité existe, comme l’ont
démontré des mesures sur des restes de cheveux et sur le squelette de
personnalités des siècles passés. En 2005, une équipe de chercheurs dirigée par
le médecin légiste et paléopathologiste Philippe Charlier a mesuré les taux de
mercure contenus dans les cheveux, les poils et les os d’Agnès Sorel, la
maîtresse officielle du roi de France Charles VII, enterrée en 1449 à Loches. Il
a montré qu’elle est morte d’une intoxication au mercure84. “A cette époque,
les sels de mercure servaient comme traitement vermifuge et étaient utilisés
pour faciliter l’accouchement”, explique Philippe Charlier. “Or on sait que la
dame souffrait d’une infection parasitaire intestinale, d’après nos examens, et
était enceinte. Mais là, il y a vraiment une dose excessive donnée par accident
ou volontairement”, ajoute le professeur qui n’exclut pas un empoisonnement
criminel. Comme nous l’avons vu, le mercure sera aussi utilisé dans divers
remèdes comme antiseptique et contre la syphilis, et depuis la moitié du XIXe
siècle dans les “plombages” dentaires au mercure. Autant d’usages
spécifiquement médicaux qui compliqueraient une investigation
épidémiologique historique sur l’homme retraçant ses expositions.
DES AMPOULES “LONGUE DURÉE” À BANNIR AU PLUS
VITE
Pour en avoir le cœur net, nous contactons une entreprise spécialisée dans la
fourniture d’instruments de mesure des produits dangereux dans l’air que nous
respirons. Elle nous procure un appareil permettant d’évaluer avec une grande
précision la quantité de vapeurs de mercure par mètre cube d’air : l’analyseur
Jerome J405, le plus performant du domaine100. Nous procédons, durant
plusieurs jours, à une série de mesures pour évaluer celles que dégagent les
amalgames dentaires dans la bouche d’une cinquantaine de personnes. Les
taux relevés tournent en moyenne autour de 2 à 3 microgrammes/m3 chez les
porteurs d’amalgames ! Les limites fixées par les organismes de santé
publique sont explosées. Or, les émissions mercurielles grimpent encore
beaucoup plus haut quand les personnes mâchent un aliment, par exemple du
chewing-gum. Après cinq minutes de mastication, les taux sont souvent
multipliés par trois, parfois par dix ! Nous relevons des teneurs qui dépassent
les 15 microgrammes/m3 chez plusieurs personnes qui possèdent une dizaine
d’amalgames101. Ces valeurs sont 15 à 16 fois plus élevées que la valeur
limite de l’OMS, 75 fois supérieures à celle de l’ATSDR et 500 fois supérieures à
celle préconisée par le Pr Richardson tenant compte des connaissances
récentes sur la neurotoxicité des vapeurs de mercure.
En revanche, le détecteur de vapeurs de mercure indique zéro chez les
personnes qui ne portent pas d’amalgames mais des obturations en céramique
ou des composites à base de résines. Il repère des traces de mercure de l’ordre
de 0,50 microgramme/m3 chez quelques-unes qui ont fait retirer récemment
leurs amalgames et dont les glandes salivaires ou les composites peuvent
retenir encore du mercure pendant quelques mois, voire quelques années.
Il faut rappeler que, depuis 1998, le dentiste qui enlève des amalgames doit
respecter des précautions scrupuleuses, contrairement aux mauvaises pratiques
que l’on constate encore trop souvent. Cette année-là, le Conseil supérieur
d’hygiène publique de France (CSHPF), placé sous l’autorité du gouvernement,
a édicté une liste de recommandations à ce sujet. On peut y lire notamment :
“Il ne faut pas placer des amalgames dentaires au voisinage d’autres
restaurations métalliques, afin d’éviter tout risque de corrosion. Le fraisage et
le polissage de l’amalgame, entraînant une volatilisation du mercure, doivent
toujours être réalisés sous refroidissement, aspiration et champ opératoire. La
pose et la dépose d’amalgame augmentant sensiblement la libération de
mercure, il est prudent de les éviter pendant la grossesse et l’allaitement. La
mastication de gomme à mâcher augmente transitoirement la libération de
mercure par les amalgames ; leur consommation fréquente doit être évitée par
les porteurs de nombreux amalgames102.” Ces précautions que des dentistes
oublient, voire repoussent âprement quand on les leur rappelle, ont
manifestement indisposé une partie de la profession. Le patient doit parfois
faire preuve de courage et de diplomatie pour les convaincre de les appliquer.
Elles restent indispensables, même si le lobby dentaire s’est ensuite activé
auprès des autorités politiques pour leur faire accomplir d’étonnantes
contorsions, comme nous le verrons au chapitre sur le lobbying.
Dans l’avis qu’il a rendu en 1998, le CSHPF a aussi demandé aux dentistes de
se protéger eux-mêmes. La lecture des mesures qu’il énonce à ce sujet est
instructive : “Afin de limiter au maximum la concentration de mercure dans
l’atmosphère des cabinets dentaires, il faut :
1. Informer les professionnels et leurs employés de la toxicité du mercure et
de la nécessité de respecter les règles d’hygiène et les bonnes pratiques.
2. Utiliser les nouveaux amalgames (dits non γ2) en capsules prédosées, afin
de limiter tout risque de contamination. Les capsules d’amalgame doivent être
stockées dans un endroit frais et ventilé.
3. Travailler dans des locaux ventilés ; le cabinet doit être aéré plusieurs
fois dans la journée. S’il y a un dispositif de climatisation avec filtrage d’air,
il faut respecter les consignes du fabricant pour l’entretien régulier des filtres.
4. Proscrire tapis, moquettes, rideaux et tissus muraux dont la
décontamination est impossible.
5. Condenser l’amalgame par les moyens classiques (fouloir), et ne pas
utiliser de condensateur à ultrasons afin d’éviter la formation d’aérosols.
Il est vivement conseillé aux professionnels de s’équiper rapidement d’un
séparateur d’amalgame, l’arrêté du 30 mars 1998, relatif à l’élimination des
déchets d’amalgame issus des cabinets dentaires, rendant obligatoire la
récupération de l’ensemble des déchets d’amalgame dans un délai de trois
ans103.”
On peut évidemment s’étonner que ces recommandations pour la protection
des cabinets dentaires ne s’appliquent pas aux poumons des patients qui, eux,
respirent 24 heures sur 24 les vapeurs qu’émettent les amalgames placés dans
leur bouche. Toutefois, le CSHPF conclut en soulignant qu’“il est nécessaire
d’étudier l’opportunité de soumettre les matériaux d’obturation à un régime
d’autorisation préalable à leur mise sur le marché”. Cette procédure qui aurait
permis de soumettre l’amalgame aux mêmes tests d’évaluation que les
médicaments n’aurait pas été du luxe, mais elle ne sera jamais mise en place.
Le lobby dentaire, bien organisé et tenant en respect le législateur, est parvenu
à maintenir le “plombage” dans un no man’s land toxicologique104. En 2011,
les amalgames sont toujours mis sur le marché sans tests de toxicité cellulaire.
La demande de bon sens du CSHPF est restée ignorée par l’Afssaps dont les
recommandations, en 2005, sont en net recul. Il faut dire que les amalgames
seraient recalés dès la première évaluation, le mercure étant cytotoxique à très
faible dose, génotoxique, immunotoxique et neurotoxique. Les “plombages”
sont donc commercialisés avec un simple “marquage CE” : cela signifie qu’on
leur fait subir un test rudimentaire de corrosion en salive artificielle, sans
même les mettre en présence d’autres restaurations métalliques, ce qui
accroîtrait la corrosion comme c’est le cas dans la bouche de nombreuses
personnes. Pas non plus de choc thermique, de grincements ou de brossage de
dents, ni de plaque dentaire qui in vivo élèvent substantiellement la corrosion
donc la libération de mercure, ou sa transformation en méthylmercure.
Comment expliquer qu’un matériau contenant des éléments aussi toxiques
puisse continuer à être implanté chez des millions de personnes sans avoir
jamais passé le moindre test de toxicité avant sa mise sur le marché ? Notre
enquête permettra d’y répondre en nous penchant sur les pratiques de lobbying
de la corporation105. Mais auparavant, regardons comment la communauté
scientifique appréhende le rôle du mercure dans l’augmentation du risque de
maladies neurodégénératives. Nous examinerons ensuite à la loupe les dégâts
du mercure et des autres toxiques parmi nos neurones…
DES ÉTUDES ÉPIDÉMIOLOGIQUES QU’ON PRÉFÈRE
IGNORER
Nous avons vu que les études montrant une relation entre le nombre
d’amalgames et la quantité de mercure présente dans le cerveau sont
nombreuses, de même que celles établissant un lien entre cette exposition et
divers troubles neurologiques. Signalons aussi qu’une importante enquête
épidémiologique portant sur 20 000 personnes a montré qu’en moyenne,
chaque amalgame supplémentaire augmentait le risque de sclérose en plaques
(SEP) de 24 %106. Ce lien entre SEP et amalgames est suspecté depuis les années
1970107, quand la grande similitude entre la répartition géographique de la
carie et celle de la SEP avait été remarquée. Dans les années 2000, plusieurs
études cas-témoins sont venues confirmer cette association108.
Le mercure est également un des principaux métaux suspectés dans le
déclenchement de la sclérose latérale amyotrophique (SLA). La littérature
scientifique concernant cette maladie du motoneurone au très sombre
pronostic est cependant nettement moins abondante. Dans une revue récente de
la littérature, une exposition au mercure est le premier facteur de risque
rapporté pour cette neurodégénérescence, suivi du plomb, des solvants et des
pesticides organophosphorés109.
C’est sans doute pour la relation entre exposition à faibles doses de mercure
et maladie d’Alzheimer que le corpus scientifique est le plus impressionnant.
Le cerveau et le sang des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer
contiennent plus de mercure inorganique que ceux des personnes non
atteintes110. L’exposition à de faibles doses de mercure élémentaire entraîne
dans le cerveau un ensemble de perturbations cellulaires caractéristiques du
syndrome Alzheimer : les trois marqueurs de cette pathologie (accumulation
de protéine β – amyloïde, hyperphosphorylation de la protéine Tau et
formation d’amas de neurofibrilles111) ont été clairement associés à une
exposition au mercure lors d’expérimentations112.
Tous les porteurs d’amalgames sont exposés aux vapeurs de mercure, mais
seules les personnes possédant des mécanismes de détoxication peu efficaces
ont un risque élevé de développer la pathologie113. Ces mécanismes de
détoxication sont en partie sous la dépendance des gènes de l’apolipoprotéine
E, molécule impliquée dans l’élimination du mercure stocké dans le
cerveau114. Mais il est important de souligner que, même si l’on ne possède
pas de gènes protecteurs, la maladie a peu de chance de se développer si les
expositions toxiques sont réduites : c’est par exemple le cas des populations
d’Afrique noire qui possèdent une forte susceptibilité à la maladie
d’Alzheimer et qui ont pourtant moins de risques de la développer (même à
des âges vénérables115). Il existe donc une forte probabilité pour que le
mercure des amalgames soit l’un des cofacteurs étiologiques majeurs de la
maladie d’Alzheimer (et des autres pathologies neurodégénératives).
CHAMP DE BATAILLE AU CŒUR DU CERVEAU
La folie des dentistes a-t-elle remplacé celle des chapeliers qui autrefois
travaillaient le chapeau avec du mercure163 ? Les dentistes et leurs assistantes
sont aujourd’hui parmi les professions les plus exposées à ce toxique.
Environ 35 000 dentistes français et presque autant d’assistantes sont
concernés. Près de 80 % d’entre eux continuent à poser des amalgames164, ce
qui représente le plus grand nombre de travailleurs exposés à cette substance.
Ils l’ignorent souvent eux-mêmes, bien que leur contamination soit plus élevée
que celle de la population générale, notamment au niveau du cortex cérébral et
de l’hypophyse, comme l’ont démontré des études d’autopsie dès 1989165.
Ils inhalent les vapeurs de mercure qui s’échappent lors des actes de pose,
de retrait et de polissage des amalgames. Divers “points chauds” en émettent
aussi dans le cabinet dentaire, comme le rappelle un rapport destiné aux
médecins du travail qui suivent la profession : “Des déchets d’amalgames
restent dans les différents dispositifs du fauteuil, les tuyaux d’aspiration, le
crachoir, les filtres, et continuent d’émettre des vapeurs de mercure en grandes
quantités.” Le document a été établi par l’Institut national de recherche et de
sécurité (INRS) en 2003, un organisme qui n’est pas du genre à exagérer les
risques166. L’INRS souligne par ailleurs que la mise en place de séparateurs
d’amalgames (obligatoires depuis 2001), destinés à limiter les rejets de
mercure dans l’environnement, est finalement à l’origine d’une “importante
pollution des cabinets en raison de leur manque d’étanchéité”.
Plusieurs études ont, depuis les années 1990, mis en évidence l’excès de
troubles et de pathologies notamment neurologiques chez les professionnels
dentaires. Ils souffrent davantage d’éréthisme mercuriel : instabilité
émotionnelle, fatigue excessive, état dépressif, pertes de mémoire, dépression,
troubles de la concentration167. D’autres symptômes neurologiques
complètent ce tableau : tremblements, troubles visuels, neuropathie
périphérique… Une étude britannique a révélé que la profession compte même
un des taux de suicide les plus élevés du Royaume-Uni, surtout chez les
hommes168.
On observe aussi chez les dentistes une diminution significative des
performances psychomotrices et de la dextérité manuelle les obligeant parfois
à arrêter d’exercer leur métier169. Une étude vient de comparer les symptômes
observés chez une centaine de dentistes et autant de praticiens non exposés au
mercure : les dentistes souffrent 15 fois plus de pertes de mémoire que leurs
confrères (31,1 versus 2,1 %), 4 fois plus de dépression, de troubles de
l’humeur et d’insomnie, et 3 fois plus d’anxiété170. L’importance des
symptômes neurologiques dépend de la quantité d’amalgames posés par les
dentistes171.
Les dentistes et assistantes ont aussi deux fois plus de cancers cérébraux
(glioblastomes et gliomes) que la population générale, alors que le risque
d’autres cancers n’est pas plus élevé172. Enfin, le mercure est la substance qui
accroît le plus le risque de neurinome acoustique (tumeur bénigne du nerf
auditif) des dentistes et des assistantes173.
Le gouvernement norvégien, alerté par les publications scientifiques
internationales des quinze dernières années mettant en évidence les
perturbations neuropsychologiques chez le personnel dentaire, a publié
en 2007 un rapport officiel sur ce sujet174. Il insiste sur les perturbations
cognitives observées chez les assistantes dentaires : elles ont plus de
problèmes de mémoire, de concentration, de sommeil et de fatigue
inexpliquée, ainsi que de symptômes neurologiques. Le gouvernement
norvégien a déclaré publiquement que le personnel des cabinets dentaires a
souffert pendant des années de troubles cognitifs dus à leur exposition
professionnelle au mercure, reconnaissant ainsi officiellement une carence de
la veille sanitaire. La Norvège est le premier pays à avoir interdit, en
janvier 2008, les amalgames.
On imagine mal qu’en France, les assistantes dentaires et les dentistes, le
plus souvent ignorants des risques encourus, ne soient pas victimes des mêmes
problèmes de santé. On peut craindre aussi que bien peu de dentistes
respectent la circulaire interdisant aux femmes enceintes la manipulation du
mercure (circulaire du ministère chargé du Travail du 02/05/1985), ou encore
la directive 92/85/CEE demandant à l’employeur d’aménager le poste de travail
afin d’éviter l’exposition au mercure de la travailleuse. Le rapport de l’INRS
n’a pas fait l’objet d’une grande diffusion parmi les dentistes.
On peut d’ailleurs noter une bizarrerie : l’équipe qui a rédigé ce rapport
pour le moins alarmant comporte deux des experts du groupe de travail sur
l’amalgame constitué par l’Afssaps, dont le rapport est, lui, extrêmement
rassurant. Contrairement à celui de l’INRS, il est constamment mis en avant par
l’ordre et les syndicats pour affirmer que les amalgames ne sont pas
dangereux. Du coup, dentistes et assistantes ne pensent pas à se protéger du
mercure émis par les amalgames, malgré la teneur affolante des fiches de
sécurité envoyées par les fabricants. Celles de Septalloy et Securalloy, deux
amalgames de la firme française Septodont, leader mondial de la pharmacie
dentaire, sont pourtant riches d’enseignement. Elles alertent sur un “risque
d’effets létaux aigus toxiques avec des symptômes d’intoxication par
inhalation” et sur un “danger d’effets cumulatifs”. On y lit en effet : “Cette
préparation est susceptible de s’accumuler dans le corps humain en cas
d’absorption répétée.” Il est donc recommandé d’“éviter l’inhalation des
vapeurs”, de “prévoir une aspiration des vapeurs à la source d’émission”,
d’“éliminer le produit et son récipient comme un déchet dangereux”, de
“conserver le récipient bien fermé et dans un endroit bien ventilé” et “En cas
d’inhalation, transporter le patient à l’air libre et le garder au chaud et au
repos.” Ouf !
Deux pictogrammes illustrent sa toxicité : une tête de mort pour prévenir les
hommes et un poisson échoué au bord d’un cours d’eau pour illustrer le risque
pour l’environnement. La notice d’un autre fabricant, Dentsply, qui produit les
amalgames Dispersalloy®, précise que “le mercure est reconnu comme causant
des malformations du fœtus ou des troubles de la reproduction” et que “les
personnes souffrant de maladie rénale, de maladie respiratoire chronique, de
maladie de foie ou de peau peuvent avoir un risque élevé d’exposition à cette
substance175”.
La firme Septodont est familière à certains experts176. En effet, au moins
trois dentistes membres du groupe de travail de l’Afssaps sur l’amalgame,
auteurs, en 2005, de ce fameux rapport rassurant, ont ou ont eu des
collaborations rémunérées par ce fabricant. Ces liens d’intérêt ne sont pas
exactement ce que l’on attend pour assurer la sérénité d’une expertise sur un
sujet aussi lourd de contentieux. Combien d’affaires comme celles du
Mediator dorment-elles encore dans les placards de cette agence ? On peut
espérer que sa nouvelle direction aura à cœur de ressortir ce dossier pour le
réévaluer selon les nouvelles règles.
De son côté, l’INRS insiste sur la mise en place de techniques de prévention
collective (mise sous hotte aspirante des principales sources de mercure),
apparaissant davantage comme un pis-aller que comme une véritable
possibilité de protection des travailleurs. Il paraît pourtant évident que la seule
solution permettant d’abaisser l’exposition au mercure des dentistes et des
assistantes est le remplacement de l’amalgame par des matériaux non
toxiques, la mise en place de protocoles rigoureux pour tout travail sur des
amalgames anciens (retrait, pose de couronne…) protégeant les praticiens et le
patient, et le contrôle des émissions de vapeurs de mercure issues des déchets
stockés au cabinet.
Malgré le grand nombre de publications scientifiques soulignant les
affections des dentistes et des assistantes liées au neurotoxique, le rapport
officiel du SCENIHR (Scientific Committee on Emerging and Newly Identified
Health Risks177), publié en 2008, fait toujours autorité dans l’Union
européenne, alors qu’il affirme que “l’incidence d’effets secondaires rapportés
[dans cette profession] est très faible” et que les amalgames ne semblent pas
présenter de risques, même pas chez les femmes enceintes et leur fœtus178…
Le fait que cette expertise ait été rédigée par quatre dentistes pro-amalgames
(dont le Français Michel Goldberg) aurait-il pu influencer dans le « bon sens »
ses conclusions ? On est médusé de constater que les publications de dentistes
représentent la moitié des références citées et que les études les plus gênantes
ont été ignorées.
Concernant les traitements des personnes contaminées, le rapport de l’INRS
indique que des traitements chélateurs (DMSA) peuvent faire régresser les
symptômes, même s’il n’est pas rare que des séquelles neurologiques
persistent. Cependant, les dentistes français (et a fortiori les assistantes)
victimes de leur exposition professionnelle au mercure ont de grandes
difficultés à faire reconnaître leur maladie professionnelle. C’est le cas par
exemple d’un dentiste très handicapé par une neuropathie périphérique (donc
ne pouvant plus exercer), maladie pourtant bien recensée dans les
conséquences d’une exposition mercurielle en cabinet dentaire. Ce dentiste a
témoigné auprès des experts de l’Afssaps et a accompli de multiples
démarches pour faire reconnaître son affection, en vain. Les neurologues n’ont
pas voulu effectuer un “test de mobilisation” avec un chélateur qui aurait mis
en évidence l’imprégnation des organes. En effet, le sang des personnes
exposées de façon chronique contient peu de mercure : celui-ci s’est accumulé
dans les organes, et seul un chélateur peut le déloger. Ce dentiste a dû faire, de
sa propre initiative, ce test dans un laboratoire allemand agréé, lequel a révélé
l’intoxication, mais les médecins français ont refusé cette analyse.
Les déchets d’amalgames retirés de la bouche des patients sont classés par
l’Union européenne parmi les déchets dangereux179 et comme substance
dangereuse prioritaire180. La loi impose désormais aux dentistes de ne plus les
jeter à la poubelle, mais de les stocker dans des contenants hermétiques qu’une
société agréée prend en charge. Les amalgames sont donc interdits de poubelle
mais pas de bouche.
Les dentistes sont-ils assez sensibilisés ? Au cours de notre enquête, nous
avons constaté qu’ils sont encore souvent persifleurs quand on aborde le sujet.
Quant au soin qu’ils apportent à la récupération des déchets d’amalgames, des
progrès restent à accomplir. Une dentiste du Pas-de-Calais nous confie que des
confrères plus soucieux de leur porte-monnaie que de l’environnement jettent
les surplus de mercure dans la nature pour diminuer leur coût de recyclage…
“Certains balancent les déchets d’amalgames dans les toilettes”, nous souffle-
t-elle.
USINES, CRÉMATORIUMS ET INCINÉRATEURS
Abordons maintenant un des chapitres les plus macabres. L’air porte des
particules et des gaz qui ont un rôle important dans l’empoisonnement des
neurones, en passant notamment par les nerfs olfactifs qui conduisent au
cerveau181. On a vu que l’air de nos maisons n’est pas très recommandable.
La pollution venue de l’extérieur complète le tableau : vapeurs de benzène
venant du garage ou des stations d’essence proches, effluves de
perchloréthylène émis par les pressings, solvants issus des peintures,
antifongiques projetés sur les façades ravalées et les toitures, émanations de
centaines de milliers de sites pollués qui régurgitent quotidiennement les gaz
délétères confessant un siècle d’enfouissement incontrôlé de déchets
industriels182… A elles seules, les milliers d’usines à gaz qui ont alimenté les
entreprises et les foyers français jusque dans les années 1970 ont laissé
d’invraisemblables quantités de polluants neurotoxiques et cancérogènes dans
les sols, souvent en plein centre-ville, y compris à Paris183. Benzène, toluène
et xylène ont gorgé ces terrains qui, depuis la fermeture des usines, ont vu
pousser des logements, quand ce ne sont pas des écoles, des stades ou des
squares. Le Stade de France à Saint-Denis a été construit sur l’un de ces sites
sans qu’on s’en préoccupe assez tôt. “En 1993, lors des travaux de
terrassement, la pollution s’est révélée si grave que le préfet a dû exiger le
traitement de plusieurs dizaines de milliers de tonnes de terre qui contenaient
trop de cyanure et d’hydrocarbures volatils”, explique Frédéric Ogé, le
chercheur au CNRS qui a conçu la méthode d’inventaire des sites
potentiellement pollués pour le ministère de l’Environnement184. Il note que
cette coûteuse décontamination “n’a pas empêché une nouvelle contamination
du site quand la nappe phréatique polluée s’étendant sous le stade est remontée
et a imprégné une nouvelle fois la pelouse après des pluies abondantes” !
On a longtemps cru qu’avec le temps, les produits retournaient à l’état de
poussière neutre en se dispersant dans les sols. En fait, cette idée se révèle
naïve, souligne le chercheur : “Certains polluants, se dégradant, donnent lieu à
des dérivés chimiques plus toxiques et plus résistants. Des produits enfouis
sous terre peuvent migrer perfidement durant des décennies, voire un siècle et
plus, pour ressurgir des dizaines de kilomètres plus loin. Ils peuvent aussi
prendre une forme gazeuse et se frayer un chemin vers la surface jusqu’à l’air
libre. Les pluies contribuent à les faire voyager et les font partiellement
remonter185.” On ne sort pas indemne d’un échange avec Frédéric Ogé. Même
le ministère de l’Environnement qui lui a demandé de l’aider à faire
l’inventaire des sites concernés, dans les années 1990, s’est affolé devant les
cartes qu’il dressait, et s’est longtemps refusé à les rendre officielles186. Il en
comptait entre 350 000 et 400 000, pendant que le ministère diffusait
en 1998 un rapport faisant état de 900 sites pollués. De son côté, l’Allemagne
reconnaissait déjà pour son compte un chiffre comparable à ceux du chercheur.
Nous avons tenté avec lui de faire figurer sur une carte de France standard
(type Michelin) ces sites douteux. Mais on s’est vite aperçu
que 400 000 points la noircissent complètement. Il en va de même de la carte
d’Allemagne. Seules les cartes à l’échelle locale peuvent en rendre compte,
comme celles que le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) a
réalisées pour concrétiser cet inventaire187. A l’est du Rhin comme à l’ouest,
nous payons tous l’inconscience de générations de politiques habitués à
déléguer aux acteurs économiques les problèmes de santé publique.
Les riverains d’installations polluantes toujours en activité cumulent les
peines. Au-delà des incinérateurs qui, malgré le renforcement récent des
normes, restent des sources de pollution atmosphérique, les fonderies, les
usines chimiques et les sites de retraitement des déchets toxiques (batteries,
ordinateurs, ampoules, piles…) ont recraché durant cinquante ans et plus des
fumées saturées de métaux lourds, et certaines le font encore en dépit des lois.
Leur direction a pris l’habitude de menacer de fermer les industries en cas de
sanctions. Menaces qu’elles mettent d’ailleurs à exécution quand on veut les
contraindre à dépolluer leur site ou à assumer les réparations dues aux
victimes, comme la multinationale Metaleurop et son usine de Noyelles-
Godault (Pas-de-Calais) qui, sans préavis ni indemnité, a laissé sur le
carreau 830 salariés un matin de janvier 2003, indifférente aux rodomontades
des élus et aux accusations de “patron voyou”. La firme Métal Blanc à Bourg-
Fidèle (Ardennes), condamnée en septembre 2010 pour mise en danger de la
vie d’autrui188 après avoir gravement contaminé la population aux métaux
lourds et au manganèse, en offre un autre exemple. Cette usine rejetait à elle
seule des dizaines de tonnes de plomb par an dans l’atmosphère189, auxquelles
s’ajoutaient des quantités de mercure et de cadmium transportées aux quatre
vents, imprégnant la chaîne alimentaire190. Comme d’innombrables industries
polluantes, les usines de Métal Blanc ont essaimé aussi dans la banlieue des
grandes villes191. L’affaire est emblématique de la gigantesque contamination
neurotoxique de l’air due à leurs rejets. La condamnation de Métal Blanc
obtenue après une longue procédure judiciaire n’a été possible que grâce à
l’exceptionnelle opiniâtreté de quelques habitants regroupés en association192.
Rares sont les gens qui ont le courage d’affronter les agressions et les
quolibets incessants que la présidente de l’association, Denise Schneider, a dû
essuyer193. La mobilisation d’experts indépendants a également été
déterminante pour révéler le niveau ahurissant des intoxications des habitants,
mais les tabous administratifs et politiques auxquels ils se sont longtemps
heurtés montrent a contrario combien il est difficile de faire le bilan de cette
vaste contamination à l’échelle nationale194.
L’usine Citron, à Rogerville près du Havre, a pris un chemin similaire. Cette
entreprise dont la maison mère est basée en Suisse était censée traiter les
déchets dangereux (boues toxiques, piles, solvants, ampoules au mercure,
catalyseurs…). Elle en a brûlé beaucoup dans des conditions très suspectes,
tout en amassant à l’air libre des dizaines de milliers de tonnes de déchets
chargés en métaux lourds, benzène, hydrocarbures, manganèse et lithium.
Autant de substances qui aiment chahuter nos neurones. Le soleil et les
intempéries se chargeront de les dégrader, à moins que l’Etat ne verse lui-
même les 10 à 22 millions d’euros pour faire le nettoyage, ce qu’il fera
probablement en partie. Après avoir recraché pendant des années des panaches
de particules et des nuages toxiques sur les riverains et au-delà, l’entreprise
s’est aussi délestée de ses 110 salariés. Il lui a suffi de cesser de payer ses
cotisations Urssaf pour être mise en liquidation judiciaire en décembre 2010,
énième épisode d’une longue série de condamnations pour des expositions
dangereuses aux produits chimiques. Malgré les multiples procès-verbaux
dressés contre Citron (dont certains pour “défaut de contrôle des rejets en
mercure” et “absence de traçabilité des déchets”), la préfecture de Seine-
Maritime lui a paradoxalement accordé, en avril 2007, l’autorisation de tripler
ses capacités. Sans la mobilisation de l’association Ecologie pour Le Havre
(EPH) et une procédure lancée par France Nature Environnement auprès de la
cour administrative d’appel, elle aurait ainsi pu stocker jusqu’à 490 000 tonnes
de résidus toxiques.
Il faut dire que les collectivités territoriales et le gouvernement ont toujours
soutenu l’usine : le conseil régional lui accordant des subventions, le maire du
Havre (alors Antoine Ruffenacht) assurant l’opinion de la qualité de ses
prestations et le préfet se dressant contre les opposants en intervenant même
directement auprès du Coderst195 pour obtenir cette extension196… Ce préfet,
Jean-François Carenco, est d’ailleurs très apprécié pour son efficacité
puisqu’il est ensuite devenu le directeur de cabinet de Jean-Louis Borloo, au
ministère de la Ville, avant d’être nommé préfet de la région Rhône-Alpes.
Annie Leroy, l’énergique présidente de l’association EPH, nous montre que
les analyses sur les émissions de métaux lourds de l’usine indiquent qu’elles
n’ont pas contaminé seulement le site197. Elle nous rappelle que “les
dépassements de normes ont été fréquents ; et les accidents aussi : en 2000,
par exemple, un incendie sur le site a dégagé un gros nuage qui est allé jusqu’à
Honfleur, que les gens ont vu arriver sans savoir que faire”. Ils n’en savent pas
beaucoup plus depuis son passage. “On a découvert fin 2010 que l’entreprise
donnait n’importe quoi en termes de résultats d’analyses. Cela a été acté par la
Drire”, note-t-elle198. “On s’est aperçu notamment qu’ils n’ont pas de
mâchefers ordinaires199 mais du mâchefer difficilement recyclable à cause de
ses métaux lourds. 90 000 tonnes sont entreposées sur le site. En urgence,
l’Ademe a dégagé 1,6 million d’euros pour sécuriser ces mâchefers, mais les
rejets de mercure restent très préoccupants.”
Mieux vaut aussi ne pas habiter près d’un crématorium. Ces installations où
l’on incinère les morts connaissent une activité sans précédent avec la
demande croissante de crémations200. Aussi surréaliste que cela paraisse, cette
mode est devenue aujourd’hui assez importante pour entraîner la
multiplication des crématoriums et susciter l’inquiétude des pouvoirs publics :
leurs fumées transportent en effet des quantités étonnantes de dioxines et de…
mercure ! Ainsi en janvier 2010, Sophie Delaporte, directrice générale adjointe
du ministère de la Santé, a signé un arrêté pour réduire ces polluants que
rejettent leurs cheminées201. Si l’on sait que les tissus organiques produisent
des dioxines en se carbonisant, d’où provient donc le mercure présent dans les
fumées ? Des amalgames dentaires carbonisés… L’arrêté a fixé l’échéance
de 2018 pour procéder à la mise en place des filtres qui permettront aux
exploitants de respecter la limite prévue de 0,2 mg/m3 de mercure. Le délai est
d’une grande souplesse, et l’on reste très loin de la limite de 0,001 mg/m3 dont
l’OMS recommande l’application immédiate, sans parler de la valeur-cible de
0,00005 mg/m3 qu’elle préconise de viser à l’avenir…
“Pour le moment, seuls sept crématoriums fonctionnent avec un filtre sur
les 143 qui couvrent la France, ce qui est scandaleux”, nous confie Michel
Kawnik, président de l’Afif (Association française d’information funéraire),
une organisation soutenue par des professionnels des pompes funèbres qui
aimeraient insuffler de l’éthique dans leur secteur202. “Tous ces crématoriums
se contentent de recueillir les particules les plus grosses qui retombent dans un
bac à poussière”, précise-t-il. “En libérant le mercure issu des alliages
dentaires des personnes incinérées, les crématoriums empoisonnent
littéralement les habitants, sans oublier les dioxines et les fumées des produits
de traitement des cercueils”, déplore Michel Kawnik sans craindre de déplaire
au lobby confortablement assis sur le marché des crémations et de nos ultimes
demeures destinées au feu.
Il n’est pas le seul à s’en alarmer, comme le montre le livre blanc que des
professionnels ont remis à la Commission européenne en juin 2008203.
Relevant des cas d’intoxication au mercure chez le personnel des
crématoriums et soulignant le coût de l’installation de filtres à mercure
(lesquels exigent une technique sophistiquée qui multiplie par trois le prix
d’un four), ces derniers préconisent de rémunérer des dentistes pour retirer les
amalgames avant l’incinération.
L’idée semble tout droit sortie d’un film d’épouvante. Et pourquoi ne pas,
pendant qu’on y est, créer une nouvelle profession qui pourrait attirer les
jeunes gothiques désœuvrés : dentistes croque-morts ? Il nous semble moins
dément d’interdire tout simplement les plombages.
En février 2010, Airparif, la structure chargée de surveiller la qualité de
l’air en Ile-de-France pour le compte des collectivités publiques, a procédé à
des analyses du mercure à proximité du crématorium du Père-Lachaise dans
le 20e arrondissement de Paris. On apprenait à cette occasion que “le mercure
n’avait jamais été mesuré dans l’air francilien204”. Airparif estimait
finalement qu’au Père-Lachaise, les taux relevés étaient négligeables205. Mais
il ne disait pas pourquoi il avait choisi de faire ses prélèvements sur ce
crématorium qui, depuis 2008, est précisément l’un des sept à être équipé d’un
filtre !
LES PARTIES FINES DES PARTICULES
Préoccupantes particules
Composition chimique
Références
Depuis des années, nous assistons ainsi à un rituel immuable : nous sommes
appelés à un comportement “responsable” lors de pics de pollution toujours
plus nombreux et, si possible, à nous terrer chez nous. Les pouvoirs publics ne
se donnent même pas les moyens d’imposer la réglementation en vigueur. Les
bilans de la qualité de l’air en Ile-de-France nous en apportent la
démonstration. La qualité de l’air quotidienne y reste insatisfaisante pour
certains polluants, plus particulièrement au cœur de l’agglomération
parisienne et à proximité du périphérique. On estime qu’environ 3 millions de
Franciliens sont potentiellement exposés à des niveaux de pollution qui ne
respectent pas la réglementation et qui de plus marquent une certaine stabilité,
indiquait le bilan d’Airparif en février 2010. Quant au seuil de l’OMS, de trois
jours de dépassement par an, il était déjà enfoncé pour toutes les stations
franciliennes dès le début du mois de février219 !
On semble n’avoir pas encore pris conscience que près de 12 millions de
Franciliens sont concernés par un dépassement du seuil de l’objectif de qualité
pour les particules fines (30 μg/m3)220. Face à cette situation, l’association
“Respire le périph’ !” tente de mobiliser les habitants. Elle a recensé tous les
établissements publics situés dans une des zones les plus polluées de la
capitale, entre les boulevards des Maréchaux et le périphérique (la
concentration journalière en particules fines peut y atteindre 76 μg/m3 !221).
Elle y a dénombré 20 crèches, 10 écoles maternelles, 22 écoles élémentaires,
11 collèges, 13 lycées, 2 hôpitaux et 27 stades, mais aussi de nombreux
logements HLM.
La France, en infraction avec la réglementation européenne depuis 2005 du
fait de son laxisme vis-à-vis des Pufs, a plusieurs fois été mise en demeure par
la Commission européenne de respecter ses obligations en matière de qualité
de l’air. Après un avertissement de Bruxelles (juin 2010), la France a présenté
son “plan particules” en juillet 2010. Mais on était loin du compte. Estimant
que “la France n’a pas pris à ce jour de mesures efficaces pour remédier au
problème”, la Commission européenne a décidé, en mai 2011, de la poursuivre
devant la Cour européenne de justice.
Comment en est-on arrivés là ? Près des grands axes, près de 70 % de la
pollution particulaire est imputable aux moteurs Diesel. Les véhicules neufs
ne sont équipés de filtres à particules que depuis 2005, et compte tenu de la
lenteur de renouvellement du parc automobile, il faudra attendre quinze à
vingt ans pour voir disparaître les véhicules les plus polluants : combien de
maladies d’Alzheimer et de Parkinson seront finalement imputables à la
politique de promotion des véhicules Diesel ?
NANOFOLIES
Les substances chimiques ne sont pas les seules à assiéger notre cerveau.
Depuis les années 1960, celui-ci baigne dans un brouillard électromagnétique
de plus en plus dense que les spécialistes ont surnommé l’“électrosmog”. Ce
brouillard invisible est en effet devenu plus “épais” au cours des quarante
dernières années avec la prolifération des rayonnements électriques et
magnétiques apportés par les émetteurs, les postes de radio, les téléviseurs232,
les antennes sur nos toits captant les ondes envoyées tous azimuts par les
antennes-relais et les satellites… La multiplication des lignes électriques
(surtout des lignes à haute tension) et des appareils électroménagers a aussi
intensifié ces champs car, contrairement à ce que l’on croit d’ordinaire,
l’électricité participe elle aussi à cette profusion d’ondes (aspirateur,
réfrigérateur, machine à laver, cafetière électrique, chaîne hi-fi, lampes,
ampoules fluocompactes et spots halogènes, perceuse, ponceuse…). Plus
récemment, les télécommandes, les écrans de jeux vidéo, les fours à micro-
ondes, les ordinateurs et les téléphones sans fil ont encore augmenté la
quantité d’ondes qui nous traversent.
Brouillard électromagnétique
Nous avons vu dans les chapitres précédents que les enfants, dès leur
conception, sont massivement soumis à des médicaments contenant des
molécules peu recommandables, comme le méthylphénidate, les fluorures, le
mercure ou l’aluminium (pour ne citer que celles-là), mais il ne s’agit hélas !
que d’un début. D’autres produits pharmaceutiques nous exposent en effet tout
au long de notre vie à des substances capables d’endommager les neurones.
Le comble est que peu d’observateurs se posent sérieusement la question de
l’impact sur notre cerveau des quantités importantes de médicaments que nous
consommons, alors que ceux qui provoquent des effets neurologiques
indésirables ne se comptent plus. Ils envahissent en effet les pharmacies, car
les experts de la commission d’AMM (Autorisation de mise sur le marché),
chargés d’évaluer les dossiers des laboratoires avant la commercialisation de
chaque médicament, n’ont jamais été d’une grande sévérité au sujet de leur
neurotoxicité, comme en témoigne la liste de ceux que nous allons aborder.
Les effets secondaires neurotoxiques des médicaments comptent parmi les
plus fréquents. C’est l’étonnante découverte que nous avons faite en calculant
la prévalence des différents effets indésirables répertoriés dans les résumés
officiels des caractéristiques des produits pharmaceutiques (RCP1). De fait,
environ un quart des notices des médicaments signale des effets indésirables
comportant un ou plusieurs des troubles neurologiques suivants : céphalées,
vertiges, troubles sensoriels, somnolence, irritabilité, troubles de l’orientation
et de la concentration, confusion, dépression, tremblements… De façon
également significative, bien que moins fréquente, elles signalent très
régulièrement des effets tels que l’hyperactivité, l’envie suicidaire, les
hallucinations, le délire, le syndrome parkinsonien…
On peut s’inquiéter que les autorités sanitaires n’aient pas pris la mesure du
problème et qu’elles n’en aient pas examiné les conséquences au regard de la
consommation globale des produits pharmaceutiques. Tout se passe comme si
leurs effets profonds sur l’organisme, cumulés durant toute l’existence,
n’existaient pas. Les centres de pharmacovigilance régionaux qui recueillent
des données sur les effets secondaires des médicaments se concentrent
exclusivement sur les effets à court terme des produits pris isolément ou dans
le cadre d’interactions simples. Ils ne se préoccupent jamais des effets de
l’ensemble des médicaments consommés depuis la naissance et des épidémies
iatrogènes2 qui pourraient en découler discrètement.
DES NEUROLOGUES AVISENT LES… NEUROLOGUES
Alors que nous écrivons ces lignes, le journal Le Monde nous ramène
cruellement au problème des adjuvants vaccinaux. Il fait écho à une enquête
finlandaise officielle sur les enfants et adolescents de 4 à 19 ans vaccinés
contre la grippe A-HINI. L’étude conclut que le Pandemrix® (du laboratoire
GSK) multiplie par neuf le risque de faire une narcolepsie29 . Le principal
symptôme de cette maladie neurologique est de sombrer dans le sommeil à
n’importe quel moment de la journée sans pouvoir y résister. L’institut
national de la santé et du bien-être finlandais a commenté cette étude en
expliquant que sur 60 enfants et ados chez qui la maladie avait été
diagnostiquée en 2009-10, 52 avaient été vaccinés avec ce produit dans les
deux mois précédant les premiers symptômes. Le même phénomène a eu lieu
en Suède. L’Afssaps a reconnu, en avril 2011, que 25 cas de narcolepsie se
sont déclarés en France après vaccination contre la grippe A-HINI : 23 après
injection de Pandemrix® et 2 après Panenza®30.
Quels ingrédients du vaccin pourraient être responsables de cette maladie
neurologique ? Le Pandemrix® contient plusieurs ingrédients neurotoxiques :
de l’éthylmercure sous forme de thimérosal, de l’hydroxyde d’aluminium
mais aussi l’adjuvant ASO3 (composé de vitamine E et de squalène31). Le rôle
de l’ASO3 est d’amplifier considérablement la réponse immunitaire, ce qui
permet de diviser par dix la quantité d’antigènes à mettre dans le vaccin, dans
une optique de production massive, rapide et surtout plus économique. La
plupart des cas survenus en Europe ou au Canada sont consécutifs à un vaccin
contenant cet adjuvant32. L’ASO3 induirait une réponse auto-immune chez des
patients prédisposés génétiquement : les 20 000 neurones fabriquant un
neuromédiateur (orexine) impliqué dans la régulation de la veille et du
sommeil sont alors détruits33. L’atteinte est donc irréversible.
Outre-Atlantique, avant d’autoriser le Pandemrix®, la FDA avait pris soin, en
février 2009, d’auditionner longuement le représentant de la firme GSK, le Dr
Vaughn. Celui-ci brandissait alors le spectre d’une pandémie de grippe
“cataclysmique” pour caser son vaccin. Poussé dans ses retranchements, il
reconnaissait toutefois que GSK ne possédait qu’une “expérience très limitée
sur le profil de sécurité de l’ASO3”, ne l’ayant testé que sur 300 enfants34. On
peut regretter que l’Agence européenne n’ait pas fait preuve de la même
vigilance. En France, les autorités ont été jusqu’à dégager l’industrie
pharmaceutique de toute responsabilité en cas d’effets indésirables. Les
familles dont les enfants souffriront à vie de cette pathologie invalidante ne
pourront pas les attaquer.
Parmi les effets secondaires neurologiques des vaccinations figurent au
premier rang ceux liés au vaccin contre l’hépatite B, comme nous l’a rappelé,
en 2011, la liste-surprise de l’Afssaps, après des années de grande discrétion.
Les dernières données de pharmacovigilance établies par l’Agence française
couvrent la période de 1980 (début de la commercialisation des vaccins anti-
hépatite B) à 2006. Elles ont été citées par le Revhab35 lors de son audition
auprès de la Mission d’information sur le Mediator et la pharmacovigilance,
le 7 avril 2011, afin de faire comprendre aux parlementaires que d’autres cas
d’inertie de l’agence sont aussi “inexplicables”, vu le nombre attesté des
victimes. Bien que l’Inserm ait démontré une sous-déclaration importante36, le
nombre d’affections neurologiques notifiées, documentées et retenues par
l’Afssaps en lien avec le vaccin en France, reste impressionnant : 1 396 cas
d’affections démyélinisantes centrales, dont 1 174 scléroses en plaques
(53 chez des enfants de moins de 15 ans) ; 108 cas d’atteintes démyélinisantes
périphériques ; 57 cas de sclérose latérale amyotrophique, tous mortels ; et
entre 500 à 800 cas de myofasciite à macrophages (voir ci-dessous). Toutes
ces atteintes neurologiques sont pour le moins troublantes. On aimerait que les
autorités nous éclairent sur leurs causes exactes avant que l’opinion ne regarde
toutes les campagnes de vaccination avec angoisse.
Les nombreux cas de myofasciite à macrophages renforcent
considérablement le soupçon sur le rôle des adjuvants. Cette maladie peut être
qualifiée d’“émergente” puisque le premier cas a été découvert en 1993 et
qu’elle a été décrite pour la première fois en 1998 dans un article du Lancet37,
par une équipe de médecins français38. Pathologie invalidante, se déclenchant
après une vaccination, elle est une forme nouvelle de myopathie
inflammatoire caractérisée par des douleurs musculaires et articulaires, une
fatigue chronique, des céphalées, des douleurs abdominales, et même des
déficits cognitifs39. En 1999, des études du Groupe de recherche sur les
maladies musculaires acquises et dysimmunitaires (Germmad) ont mis en
évidence la présence d’inclusions de sels d’aluminium dans les macrophages,
dans la zone d’injection. Adjuvant de nombreux vaccins40, ce neurotoxique est
suspecté depuis lors d’être à l’origine de la maladie.
En 2010, l’équipe Inserm du Pr Romain Gherardi a démontré chez des
rongeurs qu’une partie des microparticules d’aluminium injectées migre
jusque dans le cerveau41. Cette migration a toujours été niée par certains
défenseurs de l’adjuvant qui interviennent dans les médias, tels que le Pr
Pierre Bégué : “L’aluminium, quand il est injecté, reste là où il est injecté42.”
Pour lui, “la polémique n’existe pas” et les “dangers annoncés ne sont ni
connus ni reconnus43”. Cet honorable académicien serait tout de même plus
convaincant s’il développait ses arguments et les publiait dans des journaux
scientifiques à comité de lecture. Tout comme Anne Castot, chef du
département de la surveillance du risque à l’Afssaps, qui considère
qu’“aujourd’hui, nous n’avons pas de preuve et d’argument solide”, tout en
rappelant que “l’Afssaps reste vigilante sur le sujet44”.
Le rôle des adjuvants dans les vaccins pose assurément un sérieux
problème, comme dans l’ensemble des médicaments d’une manière générale.
Une soixantaine de médicaments contient de l’aluminium à des doses
significatives, principalement les vaccins et les anti-acides. Plus
de 300 médicaments contiennent des fluorures. Et beaucoup contenaient du
mercure jusque dans les années 1980. Il est urgent que l’épidémiologie se
penche en toute indépendance sur leur responsabilité dans l’explosion des
affections neurologiques.
L’“EFFET COCKTAIL” DES POTIONS
Peu de gens ont conscience de la fréquence des usages du mercure dans les
médicaments, les ustensiles médicaux et l’ensemble des produits de soin.
Nous avons déjà vu que l’amalgame dentaire comporte 50 % de mercure61,
mais on est surpris d’en découvrir aussi dans des collyres, gélules, comprimés,
sérums, poudres, pommades, herbes médicinales… On en trouve tout autant
dans les cosmétiques, comme conservateurs de fards et de crèmes
démaquillantes pour les yeux, de crèmes éclaircissantes pour la peau et de
produits de maquillage courants comme les crayons noirs pour les yeux,
certains hennés pour tatouages… Même nos amis les animaux ne sont pas
épargnés, comme le rappelait en 2011 le rapport du Programme des Nations
unies pour l’Environnement constatant la présence du mercure dans de
nombreux produits vétérinaires62.
Comme nous l’avons signalé plus haut, de nombreux vaccins contiennent
également du mercure ou des dérivés. Bien que la responsabilité de la
substance ait été évoquée dans certains accidents dus au vaccin contre
l’hépatite B et dans diverses réactions post-vaccinales, l’Afssaps n’a pas émis
d’interdiction. Toutefois, en 1999, elle a invité les laboratoires
pharmaceutiques à “remplacer le plus rapidement possible ce conservateur63”.
Le serial-killer de nos neurones se trouve même dans des ustensiles et des
appareils médicaux comme les électrodes, les tensiomètres, les sondes
gastriques… La moindre fissure de l’ustensile permet aux vapeurs
mercurielles de contaminer l’air ambiant, a fortiori s’il se casse. Dans un
“document d’orientation stratégique”, en 2005, l’OMS relève qu’“il existe
diverses études qui montrent que le matériel médical contenant du mercure
finit tôt ou tard par se briser. S’il est répandu en petites quantités sur une
surface lisse et non poreuse, le mercure métallique peut être éliminé sans
risque et sans difficulté moyennant l’utilisation d’une technique appropriée.
Toutefois, il peut arriver que des billes de mercure se logent dans des fissures
ou adhèrent aux matériaux poreux comme les tapis, les étoffes ou le bois et
soient alors extrêmement difficiles à éliminer. Lorsque du mercure a été
répandu, des traces peuvent rester sous les chaussures. Si ces souillures sont
mal nettoyées et éliminées, les patients qui sont déjà affaiblis et le personnel
soignant risquent une exposition dangereuse”. L’OMS souligne ce danger
insidieux : “Faute d’un nettoyage convenable, du mercure répandu même en
très petite quantité, par suite notamment de la rupture d’un thermomètre, peut
provoquer une contamination de l’air intérieur qui dépasse la limite
recommandée et avoir de sérieuses conséquences sur le plan sanitaire64.”
L’emploi de ces appareils est d’autant plus regrettable que les mêmes
existent sans mercure et qu’ils ne sont pas plus chers malgré leur égale
précision, notent par ailleurs les auteurs du document. Les thermomètres
traditionnels, dont il reste des millions d’exemplaires dans nos armoires à
pharmacie, ont été interdits à la vente en France en 199965. Jusqu’à cette
interdiction, on comptait en moyenne quatre à cinq millions de thermomètres
cassés chaque année dans les services hospitaliers et les maternités. Souvent,
les infirmières stockaient les débris dans des bols à l’air libre au lieu de les
jeter, afin de les comptabiliser et de grouper les commandes à renouveler, et
elles ne se souciaient pas de ramasser les gouttes de mercure glissant sous les
lits ou dans les draps.
De graves intoxications et même des décès sont liés au bris d’un
thermomètre, d’un tensiomètre ou d’un baromètre. La littérature médicale
recense des situations catastrophiques66… Hélas ! l’intoxication mercurielle
ne se présente pas souvent à l’esprit des médecins. Les symptômes peuvent les
induire en erreur en suggérant des problèmes passagers ou, dans des cas plus
graves, une “régression autistique” (perte des réflexes, prostration, irritabilité,
mauvais accès au langage…) qui débouche sur une psychiatrisation. Il est
probable que de nombreux cas sont passés ainsi par des soins complètement
inadaptés alors qu’une simple chélation aurait pu sauver le malade. Le
problème ne date pas d’hier et aurait dû conduire les autorités à imposer des
ustensiles médicaux sans mercure depuis longtemps. Il est assez significatif
qu’il ait fallu attendre 1999, en France, pour qu’on demande aux
professionnels du soin de stopper l’usage des thermomètres au mercure,
malgré des alertes très claires des années auparavant, notamment dans la
prestigieuse revue scientifique The Lancet67.
Le problème continuera à se poser tant que la population restera cantonnée
dans l’ignorance des dangers des ustensiles qui restent dans ses tiroirs et tant
que le mercure ne sera pas banni de tous les appareils susceptibles de traîner
dans des services. “On en retrouve même dans les établissements scolaires,
notamment pour les travaux pratiques de physique ou de chimie, sans que les
enseignants et les élèves aient pris conscience des précautions à prendre”,
comme nous l’explique le toxicologue André Picot qui a tenté d’alerter les
autorités à ce sujet68. Le problème se pose d’ailleurs dans tous les pays.
En 2010, une revue médicale turque signalait le drame survenu dans une
famille où une lycéenne avait rapporté un peu de mercure de l’école. Son
évaporation dans l’habitation a trouvé sa sanction dès le lendemain : sa sœur
de 14 mois en est morte, et sa mère de 36 ans a été hospitalisée en urgence69.
Les médecins qui signent l’article concluent : “L’éducation publique sur les
dangers d’empoisonnement par le mercure est d’une importance vitale pour la
santé de la communauté.”
Combien de contaminations donnant lieu à des symptômes insidieux restent
non diagnostiquées et sont traitées comme de vulgaires migraines ou des
fatigues appelant des petits remontants, voire interprétées comme des troubles
psychiatriques sans cause connue ? En effet, la recherche d’une intoxication
mercurielle, à l’instar des intoxications par des produits industriels, ne fait pas
partie des réflexes les mieux intégrés par les médecins, surtout quand le
patient ne présente que des signes cliniques atypiques, ceux qui tels la fatigue,
le mal de tête, l’irritabilité ou la dépression, peuvent être attribués à diverses
causes bien qu’ils forment précisément les symptômes de la plupart des
contaminations neurotoxiques. Il reste étonnant que la toxicologie industrielle
ne soit pas encore enseignée durant les études de médecine. Même les
médecins du travail, qui devraient être logiquement plus prompts à rechercher
les expositions aux produits toxiques manipulés dans les entreprises, les sous-
estiment souvent.
Les autorités sanitaires ne se sont toutefois jamais souciées de mettre en
garde le public, même après l’interdiction de la vente des thermomètres, alors
que d’innombrables familles en ont conservé. Dès cette époque, nous avons
demandé à plusieurs reprises au ministère de la Santé de diffuser un
avertissement pour informer le public contre ce risque et recommander les
bons gestes, mais rien n’a été fait malgré les promesses que nous avons alors
reçues70. Les autorités n’ont même pas cherché à sensibiliser les médecins à
ce problème et à la nécessité de procéder à des analyses mercurielles dans ce
type de cas. La communication officielle pour justifier l’interdiction des
thermomètres à mercure s’est même appuyée sur l’unique argument d’éviter
“la pollution de l’environnement”, évitant ainsi de créer un scandale et faisant
passer cette mesure pour une initiative purement écologique.
Stockholm, 5 juin 2010. Nous arrivons dans la capitale suédoise pour
participer aux négociations internationales du traité sur le mercure, sous
l’égide du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Nous
représentons la branche européenne de l’Alliance mondiale pour une
dentisterie sans mercure. L’enjeu est immense. Prenant enfin conscience de
l’extrême dangerosité du mercure, plus de 120 pays se sont engagés à en
interdire la plupart des usages. La source majeure d’exposition dans les pays
développés provient des amalgames dentaires. Mais l’augmentation rapide de
l’incidence des caries dans les pays en développement fait craindre que ceux-
ci ne constituent le prochain marché des plombages. Le PNUE va devoir prendre
position sur ce problème.
De nombreux lobbies industriels s’agitent pour éviter une réglementation
contraignante qui les obligerait à utiliser des techniques meilleures mais qui
rognerait leurs profits. Leurs délégations sont impressionnantes : le Conseil
international des mines et métaux, le Conservatoire international des
industries pétrolières, l’Association internationale des industries des engrais,
le Groupe international des associations nationales de fabricants de produits
agrochimiques… Présents aussi, le Conseil international des industries
chimiques et sa branche européenne sont venus pour peser de tout leur poids
en faveur des fabricants de produits vinyliques, les cimentiers Calcia et
Lafarge qui en rejettent lors de la production de ciment, et toute la filière de la
chimie… A l’œuvre aussi, des officines de lobbying comme Entreprises pour
l’environnement qui représente des multinationales concernées par le
problème du mercure : les géants de l’informatique qui en mettent dans les
lampes d’écrans plats d’ordinateurs, Veolia Environnement qui, à l’instar des
autres compagnies des eaux, n’a pas envie qu’on remette en cause les boues
d’épuration contaminées livrées aux agriculteurs… En revanche, les firmes
pharmaceutiques n’ont pas eu besoin de se déplacer : étonnamment, les
médicaments et les désinfectants encore utilisés par l’industrie
pharmaceutique ne sont pas à l’ordre du jour de ces négociations alors qu’ils
comptent pour beaucoup dans les apports de mercure. La Fédération dentaire
internationale (FDI) a sorti ses ergots. Elle ne représente pas seulement la
corporation des dentistes, contrairement à ce que croient beaucoup de
professionnels : la FDI tire des profits financiers de l’amalgame, à travers des
contrats de partenariats avec les fabricants et les vendeurs. Cette fois, elle est
vraiment inquiète : la Norvège, le Danemark et la Suède l’ont déjà banni, et
d’autres pays s’apprêtent à les imiter. Devant l’enjeu, la FDI a monté un petit
“lobby-maison”, le DATT (Dental Amalgam Task Team), composé de membres
de la FDI de tous les pays. La plupart des publications que cite le DATT sont
signées par des dentistes rémunérés par les fabricants d’amalgames. Elles
paraissent dans des revues dentaires, elles-mêmes financées par ces fabricants.
Le plus troublant est de les retrouver en priorité dans les expertises officielles,
comme celle de la Commission européenne et de son Comité scientifique des
risques sanitaires émergents et nouveaux (CSRSEN) ou celle de l’Afssaps.
La FDI sait se jouer des institutions. En mars 1997, elle a organisé une
sidérante opération de lobbying qui porte encore ses fruits aujourd’hui : elle a
mis en scène une “conférence de consensus” dans les locaux de l’OMS, à
Genève. Il s’agissait en fait de onze dentistes nommés par différents pays,
dont la France, habitués à défendre les amalgames, affiliés à la FDI ou
membres de l’Association dentaire américaine. La France était représentée par
deux leaders d’opinion de la corporation, Germain Zeilig et Michel Goldberg.
Alors qu’il ne s’agissait aucunement de scientifiques ni d’ailleurs de
spécialistes de la toxicité du mercure, leur rapport concluait sans surprise que
“les amalgames ne sont pas plus dangereux que les autres matériaux dentaires,
sont sans danger et efficaces71”. En France, Germain Zeilig a aussitôt présenté
le texte comme “le rapport de l’OMS”, y compris devant les caméras de
télévision, sous le titre de “Consensus Statement on Dental Amalgam”. Le
ministre de la santé, Bernard Kouchner, l’a lui-même cité à plusieurs reprises
comme “le dernier rapport de l’OMS” pour calmer les patients. La presse
professionnelle, elle aussi, a répété l’“information rassurante” aux praticiens.
Il fallait oser. En fait, l’OMS n’a jamais validé ces conclusions ni même songé
à le faire. C’eût été comme entériner l’avis des représentants de Pernod-Ricard
pour évaluer les risques liés à l’alcool.
Nous avons découvert cette supercherie en mai 1998, en reconstituant la
manière dont le rapport avait été réalisé. Le responsable de la section bucco-
dentaire de l’OMS, le Dr G. Pakhomov, nous a confirmé dans un entretien qu’il
s’agissait d’un pur trucage : “L’OMS n’a jamais dit qu’il n’y a pas de risque
avec l’amalgame. Le Pr Zeilig semble faire la pluie et le beau temps en
France, mais il n’est absolument pas autorisé à brandir publiquement ce texte
au nom de l’OMS, alors qu’il a été rédigé par des auteurs extérieurs nommés
par leur gouvernement respectif.” Malgré cette ferme mise au point, que nous
avons rappelée sur des plateaux de télévision et dans la presse écrite, le
document a eu un glorieux avenir. En France, des ministres de la Santé
successifs et des parlementaires y ont souvent fait référence dans leur réponse
aux questions d’élus alarmés. On peut encore en trouver des extraits dans le
rapport de l’Afssaps sur le sujet, en 2005. En revanche, le véritable rapport de
l’OMS, Le mercure inorganique, qui a établi en 1991 que les amalgames
représentaient la source majeure d’exposition au mercure, est resté dans les
tiroirs. Finalement, quelques mois après la rencontre de Stockholm, où nous
avons pu défendre notre analyse auprès des instances onusiennes, nous
apprenons que le PNUE a placé l’amalgame sur la liste C, celle des produits
dont l’usage doit être arrêté. En mai 2011 le Conseil de l’Europe,
représentant 47 Etats européens, a pris clairement position de son côté contre
l’usage de l’amalgame dans une résolution adoptée à l’unanimité.
Le 18 mai 2011, la foudre tombe sur le paisible petit monde des prescripteurs
de médicaments anti-Alzheimer : la Haute Autorité de santé (HAS) crée la
surprise en annonçant le retrait de sa recommandation qui incitait les
médecins à prescrire ces médicaments. Les conséquences attendues sont
colossales : c’est la Haute Autorité qui, depuis sa création en 2004, fixe les
bonnes pratiques de prescription et qui demande leur remboursement par
l’assurance maladie. Que s’est-il donc passé ?
Si la puissante HAS a décidé de retirer sa recommandation sur les
traitements Alzheimer, c’est parce qu’elle était dans le collimateur du Conseil
d’Etat, suite à une procédure menée par la modeste association de médecins
Formindep1. Cette dernière a assorti son action judiciaire d’une demande
d’astreinte de 15 000 euros par jour de retard. Du jamais vu pour une
institution de ce niveau.
Dans le communiqué de presse qui accompagne sa décision, la HAS rappelle
non sans embarras que “l’affaire Mediator a marqué un tournant dans le
paysage sanitaire français et impose à tous de renforcer les efforts de
transparence et de gestion des conflits d’intérêts”. C’est précisément parce que
la HAS a été mise en cause sur ce point qu’elle est revenue sur sa
recommandation. Elle ne respectait pas les principes qu’elle avait elle-même
édictés, explique le Formindep. Ce dernier n’hésite pas à parler de
“recommandations sous haute influence industrielle”. Il révèle qu’on prescrit
dans notre pays jusqu’à six fois plus de médicaments anti-Alzheimer qu’à
l’étranger. Ceci s’explique d’autant plus mal que leur efficacité est très
contestée.
Après avoir rappelé que seule “l’impartialité des experts constitue une
garantie du caractère scientifique des recommandations”, l’association
dénonce les conflits d’intérêts des experts qui les ont formulées : “Certains de
ces experts entretenaient des liens d’intérêts majeurs avec les laboratoires qui
commercialisent les produits faisant l’objet de cette recommandation2.” Ainsi,
le médecin qui a présidé le groupe de travail de la HAS sur la maladie
d’Alzheimer, le Dr Florence Pasquier, a reconnu des liens financiers avec
plusieurs fabricants de médicaments anti-Alzheimer. La HAS n’a donc pas
respecté ses propres règles qui stipulent de ne pas confier la présidence des
groupes de travail à “une personne ayant un conflit majeur d’intérêt3”.
Ces relations incestueuses ne seraient pas rares au sein de la Haute Autorité.
Le Formindep a décidé de focaliser ses attaques sur deux recommandations :
outre celle relative à la maladie d’Alzheimer, il dénonce ses recommandations
portant sur le traitement du diabète de type 2. Mais il semble que beaucoup
d’autres pourraient être révisées. En attendant, la HAS a annoncé la mise en
chantier de nouvelles recommandations après l’été, une fois la réévaluation
des médicaments anti-Alzheimer effectuée par la Commission de la
transparence en juillet 2011.
“Le droit de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé est reconnu à chacun”
depuis 1996 par le Code de l’environnement (article L. 220-1). Ce droit
reconnu est rarement appliqué. Cependant, on peut tenter de limiter les dégâts
en attendant que les autorités fassent leur travail et permettent à la population
de respirer un air sain.
Il faut éviter le voisinage des grandes voies de circulation (périphérique,
carrefours, boulevards…), d’un incinérateur, d’un crématorium ou de toute
installation industrielle polluante, de décharges ou de déchetteries. Il est
souhaitable de choisir son habitation à distance des sols potentiellement
pollués par d’anciennes entreprises, ce qui est désormais possible en
consultant la banque de données Basias, créée par le BRGM et accessible au
public par le Net1.
De manière générale, l’air de la campagne est meilleur à condition d’éviter
la proximité d’usines, des zones d’agriculture intensive et d’épandages
d’engrais, de boues d’épuration ou de pesticides (donc les champs des grands
cultivateurs). Ceux qui habitent près de ce type d’exploitation ont tout intérêt à
ne pas s’exposer au vent quand il rabat les gaz ou les aérosols. Lors de
l’épandage des pesticides, il convient de rester chez soi et de fermer les
fenêtres, a fortiori quand il est réalisé par hélicoptère ou par avion.
Il faut bien sûr éviter toute activité physique intense comme le jogging dans
une atmosphère polluée, car la quantité d’air inhalée est alors multipliée
par 10 ou 15 (cette recommandation est régulièrement faite lors des pics de
pollution atmosphérique).
L’air domestique est en général très pollué. Mais il est plus facile
d’influencer la qualité de cet air que celle de l’atmosphère extérieure. Il peut
être pollué par des neurotoxiques émis par les matériaux de construction
(produits de traitement du bois, vieilles peintures au plomb…), le mobilier
(PBDE, composés organiques volatils…) et par les biocides, pesticides, solvants
et produits d’entretien utilisés. Il peut contenir de grandes quantités de
particules fines générées par diverses combustions : cigarette, encens, bougies,
chauffage au bois, chauffe-eau, cuisinière et chauffage au gaz, cuisson à feu
vif des aliments, ou par l’utilisation intensive d’une imprimante. Des
particules fines présentes dans l’air extérieur peuvent aussi s’inviter dans la
maison.
Pour abaisser la concentration en particules fines de son habitation, il est
important de limiter les combustions, d’avoir une puissante hotte aspirante au-
dessus de la cuisinière et d’aérer après la préparation du repas. Les feux de
cheminée ont bien sûr un charme irremplaçable et sont une source
d’apaisement efficace, mais il faut savoir que leur fumée contient beaucoup de
particules fines, ce qui implique d’avoir un bon tirage et d’aérer efficacement
en cas d’enfumage. Si vous possédez un poêle, mieux vaut l’équiper d’un filtre
à particules (FAP) et, là aussi, aérer souvent les pièces. S’équiper d’un système
de ventilation pourvu d’un FAP n’est pas une mauvaise idée. Pour dépoussiérer
les meubles, le plumeau traditionnel n’est pas judicieux : utilisez de
préférence un chiffon humide. Quant à l’aspirateur, il faut savoir qu’il
recrache les particules les plus fines, celles qu’il faut précisément éviter… La
quantité de poussières relarguée est néanmoins très variable selon le type
d’appareil. Ce paramètre est aujourd’hui indiqué au consommateur sur
l’emballage ou la notice. Les plus performants de ce point de vue ne sont pas
nécessairement les plus chers… La revue Que Choisir ? en a fait l’un de ses
critères de comparaison.
Soyez vigilant sur le mobilier acheté, fuyez les bois agglomérés et les
contreplaqués. Evitez tout emploi de biocides et de pesticides, à commencer
par les colliers anti-puces, qui peuvent entraîner des atteintes neurologiques
chez l’animal domestique et les humains qui les prennent souvent dans leurs
bras. L’usage de solvants, y compris la pose de vernis à ongles, est à bannir à
l’intérieur. L’application de peintures appelle une aération non seulement
pendant les travaux mais régulièrement durant les semaines et les mois qui
suivent. Des produits “écologiques” permettent de réduire ces expositions. En
cas de vieilles peintures au plomb, il convient de les recouvrir ou, mieux, de
les faire enlever par une entreprise agréée.
L’air du métro est de loin le plus pollué aux particules fines. Les transports
en bus sont vraiment préférables, surtout pour des trajets que l’on fait tous les
jours. L’atmosphère des véhicules Diesel contient aussi une quantité non
négligeable de particules fines.
L’atmosphère professionnelle, bien que réglementée, dépasse souvent les
taux autorisés. Les normes d’exposition sont encore trop laxistes. Il est utile
de rappeler que tout salarié peut exercer son droit de retrait face à des
situations à risque, en l’occurrence en cas d’exposition chimique suspectée de
dépasser les normes. Pour les en protéger, les femmes enceintes doivent être
changées de poste aussitôt la grossesse connue (l’idéal serait de pouvoir
anticiper, car les premières semaines constituent une période à haut risque).
Dans l’agriculture, on a vu que les équipements individuels de protection
pouvaient être déficients. Il est important d’utiliser un tracteur équipé d’une
cabine filtrante. Songez aussi que passer au bio est encore la meilleure
solution.
Les situations les plus risquées se trouvent fréquemment dans les “petits
métiers” qui passent de nombreuses heures dans les vapeurs neurotoxiques et
sont bien peu suivis par la médecine du travail : restaurateurs de tableaux,
artisans émailleurs, plombiers (soudures), employés de pressings (exposés au
perchloréthylène), les dentistes et assistantes exposés au mercure, les
techniciens de laboratoire inhalant des substances ou des médicaments
neurotoxiques…
RÉDUIRE L’INGESTION DES SUBSTANCES
NEUROTOXIQUES
Pour limiter la contamination des aliments par le bis phénol A (BPA) et les
phtalates, évitez le contact alimentaire avec les plastiques (récipients et films
étirables), et limitez la consommation de conserves et de cannettes
(recouvertes d’un film de BPA). Ne jamais faire réchauffer ses repas dans des
récipients en plastique ou son eau dans une bouilloire composée de ce
matériau. Jetez vos casseroles en aluminium. N’utilisez pas de papillotes
d’aluminium pour faire cuire des aliments acides (tomates, citrons, vin
blanc…), car l’acidité augmente la dissolution de l’aluminium.
Les poêles et casseroles antiadhésives revêtues de perfluorés (téflon) sont à
éviter, de même que l’utilisation de vaisselle colorée (notamment la vaisselle
décorée du Maghreb, qui contient souvent du plomb), surtout si les aliments
sont acides.
Il faut apprendre à ne pas prendre pour parole sacrée tout ce que dit le
praticien. Refuser la pose d’amalgames (ou “plombages”) est un droit et,
compte tenu des nombreuses études scientifiques existantes, une précaution
très sage. Pensez à limiter votre exposition au mercure lors d’une dépose ou de
tout travail sur un amalgame (par exemple pour la pose d’une couronne).
Veillez au respect des recommandations de l’Afssaps (hélas ! en retrait par
rapport aux recommandations antérieures du CSHPF) : utilisation d’une digue
(un rectangle en caoutchouc qui évite la projection de particules d’amalgames
dans la bouche), d’un aspirateur chirurgical et d’un refroidissement à eau ; pas
de couronne métallique à proximité d’un “plombage” ; pas de dépose
d’amalgame pendant la grossesse et l’allaitement. Si possible, réclamez des
précautions supplémentaires : utilisation d’un masque au charbon pour limiter
l’inhalation des vapeurs de mercure (à placer sur le nez et les yeux), pas de
fraisage dans l’amalgame, mais un détourage pour diminuer la vaporisation du
mercure. Il ne faut pas hésiter à changer de dentiste, même plusieurs fois, pour
trouver un de ceux qui sont sensibilisés au problème (ils existent !).
Les composites contiennent du bisphénol A, toxique aussi, mais sa toxicité
est sans comparaison avec celle du mercure métallique. Pour l’instant, le
matériau idéal est la céramique (zircone), mais il est onéreux.
Concernant les vaccins, il faut regarder leur composition et éviter ceux qui
contiennent de l’éthylmercure (thiomersal ou thimérosal). Il est souhaitable
bien que plus difficile d’éviter les sels d’aluminium, encore présents dans de
nombreux vaccins. La prise répétée d’anti-acides contenant des sels
d’aluminium pose également un problème et doit vous inciter à approfondir
l’origine de votre acidité pour le traiter à la racine.
Ne vous habituez pas à consommer un médicament pour résoudre tous les
troubles naturels que vous traversez et qui passent spontanément. Il convient
aussi de ne pas imposer ou transmettre une telle habitude aux proches,
notamment aux bébés et aux enfants.
RECHERCHER LES CAUSES DE SA MALADIE
La détoxification des métaux repose le plus souvent sur des chélations : les
chélateurs chimiques sont des molécules munies de “pinces” (chélateur vient
du grec khêlê, “pince”), capables de se fixer fortement au métal, puis de
l’éliminer par l’urine ou les fèces. Cependant, peu d’entre eux sont capables de
traverser la barrière hémato-encéphalique, et par ailleurs, leur usage n’est pas
anodin. Ainsi, les métaux peuvent se déposer dans les reins et y faire des
dégâts. Il s’agit donc d’être très prudent. Des traitements associent
d’éventuelles chélations, des programmes nutritionnels adaptés aux
intolérances liées aux intoxications, etc. Il est grand temps que les médecins
exigent d’être formés en toxicologie. Des scientifiques ont mis en place des
formations qui leur sont destinées (Association Toxicologie Chimie, Réseau
Environnement & Santé, etc.), ce qui devrait au passage mettre de l’ordre dans
le marché délirant de la “détoxification” et de ses charlataneries en tous
genres…
LES ACTIONS COLLECTIVES
1 http://basias.brgm.fr
2 Par exemple en s’inscrivant dans une Amap (Association pour le maintien d’une
agriculture paysanne) qui distribue des paniers de fruits et légumes locaux.
3 Nicolas Buckenmeier, et al., Projet d’évaluation des risques sanitaires : les
PolyBromo Diphenyl Ethers, Ecole des hautes études en santé publique, avril 2010.
4 Jean-Charles Leblanc, Etude Calipso, Afssa Inra, 2006.
5 http://lesondesmobiles.fr/
6 http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/
7 C’est ce qu’ont fait avec succès des associations comme la Criirad ou le Criirem par
exemple, et bien sûr le Réseau environnement santé.
8 http://reseau-environnement-sante.fr/ Par exemple, grâce à son travail de fond et
d’alerte sur le bisphénol, le RES a permis de faire rapidement avancer ce dossier.
9 O. Wassermann et alii, Weitz M. Alsen-Hinrichs C. Kieler Amalgamgutachten 1997.
Institut für Toxikologie, Christian Albrechts-Universität Kiel. 2 Aufl. 1997.
CONCLUSION
Au milieu des années 1990, les gouvernements n’imaginaient pas encore que
les maladies neurodégénératives pourraient devenir un jour une priorité de
santé publique. Le scandale du sang contaminé était encore présent dans tous
les esprits. Des observateurs attentifs à cette affaire et aux procès qui
l’entouraient ont parlé de “défaite de la santé publique1”. La formule résonnait
fort : en mettant en cause le système sanitaire lui-même au lieu de s’en tenir
aux responsables directs, elle semblait même provocatrice. Puis, lorsque le
scandale de l’amiante lui a succédé, on a commencé à manquer de mots pour
qualifier le décalage entre les éléments de preuve de sa toxicité et l’attitude
docile des gouvernements envers les exploitants. Aujourd’hui, devant les
nouvelles pandémies qui touchent le cerveau, alors que le scandale n’a pas
encore explosé, l’anomie est si grande qu’elle a presque privé chacun de sa
capacité à penser autrement qu’en répétant les formules attribuant le mal au
vieillissement de la population. Il suffit pourtant, pour avancer, de regarder de
près la littérature scientifique accumulée sur le sujet sans se laisser
impressionner par son abondance. Elle permet par ailleurs de comprendre une
partie du puzzle infernal qui s’est mis en place.
Nous en avons réuni les pièces essentielles au cours de cette longue enquête
menée sur des années. Enquête qui nous a conduits à identifier les raisons qui
ont provoqué cette situation dans les pays industrialisés. Les molécules
neurotoxiques ont envahi notre vie. Omniprésentes, elles concurrencent
largement les microbes. Les aliments industrialisés, les médicaments, l’eau, la
terre et l’air en sont saturés. Mais, à la différence des bactéries, nous avons vu
qu’elles sont beaucoup plus habiles à pénétrer sous notre crâne où elles
prennent leurs aises parmi nos neurones. Les mères elles-mêmes
empoisonnent involontairement le cerveau de leur enfant pendant qu’il se
forme dans leur ventre, préparant les maladies neuronales dont il souffrira des
années ou des décennies plus tard. De sorte que les nouvelles maladies
chroniques du cerveau progressent à pas de géant. Elles ressemblent en cela
aux cancers qui ont longtemps avancé de façon insidieuse avant que le raz-de-
marée ne devienne visible2.
Des acteurs importants de notre société sont apparus comme les
protagonistes déterminants du fléau. Des responsables publics et des dirigeants
de grands groupes ayant refusé de voir objectivement les vérités qui risquaient
de bouleverser les habitudes politiques les plus confortables et de mettre en
péril les représentations biomédicales fondant les principaux investissements
économiques des multinationales, de l’Etat et d’une grande partie de la
recherche.
Une hécatombe sur fond de spéculation, telle est la formule qui peut
résumer la situation dans laquelle les autorités se sont laissées enfermer. Nos
responsables sont tombés dans le double piège de la marchandisation des
maladies du cerveau et de la paralysie de la prévention pour satisfaire à la
bonne santé des grandes entreprises. L’hypocrisie, les bas calculs et
l’ignorance ont fait le reste. Notre société moderne est ainsi devenue une
société neurotoxique.
Nul besoin d’une théorie du complot pour montrer la manière effarante dont
les complaisances et les aveuglements ont laissé la pandémie se développer
jusqu’ici, et comprendre comment ces attitudes se sont articulées les unes aux
autres pour se structurer en un système redoutable. Ce processus s’est étalé sur
un demi-siècle de prolifération de substances chimiques, de lobbying
industriel, d’indulgences calculatrices et de refoulement des questions de santé
publique embarrassantes. Nous avons pointé le rôle joué par les décideurs
politiques et des autorités sanitaires qui, pour l’essentiel, ont abandonné la
prévention à des cercles d’experts trop souvent liés aux entreprises à l’origine
des risques et à celles qui en tirent profit. Le secteur de la chimie et celui du
médicament qui sont aux deux bouts de la chaîne ont une lourde responsabilité
dans cet engrenage. En imposant encore leur logique qui paralyse la
prévention contre le risque chimique et qui réduit la pharmacovigilance à une
veille partielle, pour ne pas dire sommaire, ils se destinent à des sanctions
douloureuses. Des sanctions judiciaires et économiques qui, suite à des
procédures d’associations de victimes ou lancées par des services publics,
pourraient bien être beaucoup plus sévères que celles qui ont fini par frapper
les industries du tabac en 1994 aux Etats-Unis. Et, parallèlement, se préparent
des sanctions plus souterraines, d’ordre culturel : l’opinion publique n’est
versatile qu’en surface, l’imaginaire collectif se structure sur la mémoire
profonde qui accumule les indignations jusqu’à se détourner complètement de
ce qui est associé à des malfaisances. Les laboratoires pharmaceutiques,
l’industrie chimique et les entreprises d’innovation biomédicales qui
incarnaient autrefois les idées de progrès scientifique et d’humanité achèvent
de se discréditer aujourd’hui avec leurs dérives sans limite. En témoignent
simplement les paroles échangées au quotidien entre gens ordinaires.
Les représentants des grands groupes ont beau exploiter jusqu’à la corde la
promesse de vaccins miraculeux et de médicaments du futur censés
“révolutionner la médecine”, les abus finiront de détourner les foules vers
d’autres repères.
La création, à la fin des années 1990, des agences de sécurité sanitaire3,
officiellement chargées de produire une expertise indépendante, a eu au moins
le mérite de rappeler que les industriels ne s’y résignent pas facilement.
“Quand on les chasse par la porte, leurs lobbyistes jouant les experts
reviennent par les fenêtres”, résume André Aschieri, le père de l’Afsset4. Les
politiques n’ont pas donné à ces agences (dont c’était pourtant la vocation) les
moyens d’une réelle indépendance : ils se sont gardés de leur offrir un corps
d’expertise propre qui aurait pu éviter tout lien d’intérêt avec les secteurs
concernés, en tête desquels les lobbies de la chimie, du médicament et de
l’agro-alimentaire.
Le mélange des genres entre l’affairisme, l’expertise et la recherche a
littéralement endigué la prise en compte des données scientifiques qui
échappent aux injonctions lucratives et aux perspectives de brevets.
L’identification des causes, bien qu’elle soit abondamment documentée et
qu’elle impose sans retard des décisions majeures pour réduire les expositions
aux produits neurotoxiques, est littéralement refoulée par les grands décideurs.
Des inspecteurs généraux de l’Igas (Inspection des affaires sociales), dans
un rapport sur l’expertise sanitaire qu’ils ont remis aux autorités politiques en
mai 2011, préconisent d’ouvrir cette expertise aux structures associatives et,
surtout, de mieux encadrer la place des industriels5. Dans la foulée, l’Igas a
mis en ligne sur son site six rapports consacrés à l’expertise sanitaire. La
volonté de transparence est à l’honneur ! Elle suggère même d’écarter
purement et simplement les représentants industriels des collectifs d’experts
et de ne plus les consulter qu’en tant que sujets externes. De même, “les
représentants des industries de santé à l’Afssaps et à la HAS” qui y siègent en
tant que membres ou invités lui paraissent devoir être évités. Ce serait là, en
effet, l’occasion de limiter un peu l’instrumentalisation des structures
d’évaluation des risques liés aux produits industriels et des politiques de santé.
La Sécurité sociale et les mutuelles n’auraient plus, in fine, à supporter la
charge indue du système aveugle dans lequel elles aussi se sont laissées
enfermer en dédaignant trop longtemps les vertus préventives d’une
toxicologie et d’une épidémiologie indépendantes.
Nous avons maintenant les éléments en main pour sortir notre société
neurotoxique de l’impasse terrifiante où elle s’est engagée. Mais il faudra pour
cela que des forces citoyennes se mobilisent et contraignent les politiques à
accepter la démocratie sanitaire qu’il faut bâtir ensemble. Cela passera
forcément par une remise en question d’un système de santé exclusivement
centré sur l’approche thérapeutique. Comme nous le notions avec André
Aschieri, en 2000 : “Nous avons hérité d’un système de santé entièrement
tourné vers la médecine curative et n’accordant qu’une part ridicule à la
prévention ; au point qu’on a pu qualifier le ministère de la Santé de ministère
de la Maladie6.” C’est un énorme défi. Nous savons aujourd’hui qu’il sera plus
difficile à relever que celui de la révolution pasteurienne. Contre ceux qui le
traitaient de paranoïaque et se refusaient à croire que des microbes invisibles
étaient une menace omniprésente, Louis Pasteur a redéfini la médecine
moderne et la prévention autour des notions de bactéries et de virus. Peu
d’esprits étaient alors capables d’en évaluer les enjeux. C’est l’un des grands
paradoxes de l’histoire de la santé publique que de devoir maintenant affronter
les monstres économiques qui sont nés de cette révolution et s’en sont nourris.
1 La formule était sous toutes les plumes, suite à la publication de l’ouvrage apprécié
d’Aquilino Morelle, La Défaite de la santé publique, Flammarion, 1996.
2 Sur ce phénomène et ses enjeux : André Cicolella, Le Défi des épidémies modernes –
Comment sauver la Sécu en changeant le système de santé, La Découverte, 2007.
3 Elles ont été mises en place sous la poussée des lanceurs d’alerte, des associations de
victimes et de l’opinion bouleversée par les catastrophes sanitaires à répétition. Voir à
ce sujet le livre d’André Aschieri, Mon combat contre les empoisonneurs, avec la
collaboration de R. Lenglet, La Découverte, 2010.
4 Entretien avec les auteurs, janvier 2011.
5 Igas, Expertise sanitaire – Rapport de synthèse, avril 2011.
6 A. Aschieri, La France toxique, avec la collaboration de R. Lenglet, La Découverte,
2000.
MOTS CLÉS THÉMATIQUES
(utiles pour une recherche spécifique)
acétylcholine
additifs alimentaires
agent orange
alcool
aliments
allergies
aluminium
amalgame
amiante
ampoules fluocompactes
anticholinestérasiques
antidépresseurs
antioxydant
anxiolytique
arsenic
assistante dentaire
asthme
atropine
autisme
autopsie
cabinet dentaire
cadmium
cancer
cancérigène
carbamates
carie
cellules gliales
chlordécone
chlore
chlorpyriphos
cholinestérase
colles
colorants
composés perfluorés (PFOA)
composites
conflits d’intérêt
conservateurs
crématorium
DDT
dentiste
dents
dépression
détoxication
diesel
dioxine
distilbène (DES)
donepezil
dose journalière admissible (DJA)
eau
effet cocktail
effets indésirables
effets secondaires
engrais
épandage
épilepsie
éréthisme mercuriel
éthers de glycol
éthylmercure
exposition précoce
expositions domestiques
expositions professionnelles
fluorures
fongicides
fours à micro-ondes
fruits
fruits de mer
Galantamine
glioblastomes
gliomes
glutathion
grossesse
herbicides
hormones
hydrocarbures aromatiques polycycliques
hyperphosphorylation
immunotoxique
imprégnation
incinérateurs
insecticides
intoxication
irradiations
lait
lait maternel
laitues
lampe
lasso
légumes
Liens d’intérêt
lignes à haute tension
lindane
lobbies
lobbying
maladie d’Alzheimer
maladie de Parkinson
maladies cardiovasculaires
maladies neurodégénératives
maladies professionnelles
malathion
malformations congénitales
manganèse
mediator
médicaments
médicaments anticholinergiques
mémantine
mémorisation
mercure
métaux lourds
méthylmercure
méthylphénidate
mutagène
nanomatériaux
nanoparticules
neurinomes
neurodégénérescence
neurofibrilles
neuroleptiques
neuromédiateurs
neurones
neurotoxiques
nucléaire
ondes électromagnétiques
organochlorés
organophosphorés
ozone
paralysie
paraquat
parathion
Particules ultrafines (Pufs)
peintures
perfluorocarbures (PFC)
persistance
perturbateurs endocriniens
pesticides
pharmacovigilance
phtalates
phytopharmaceutiques
placenta
Plan National Santé Environnement (PNSE)
plomb
plombages
poisson
poissons
polluants organiques persistants (POP)
polybromodiphényles éthers ou retardateurs de flamme bromés (PBDE)
Polychlorobiphényls (PCB)
Prévenar
prévention
prion
produits phytosanitaires
protéine Tau
psychose
quotient intellectuel (QI)
reprotoxique
Réseau Environnement Santé (RES)
ritaline
rivagstigmine
roténone
saturnisme
sclérose en plaques
sclérose latérale amyotrophique (SLA)
scopolamine
solvants
stations d’épuration
stress oxydant
synergie
tabac
tabagisme passif
tacrine
Tchernobyl
téléphones mobiles
thermomètre
thon
thyroïde
traitement antipuces
traitement chélateur
travail
triazines
troubles de l’hyperactivité avec déficit de l’attention (TDHA)
troubles psychiatriques
tumeurs cérébrales
vaccin
vache folle
vagues de chaleur
vapeurs de mercure
viande
xénobiotique
DES MÊMES AUTEURS
MARIE GROSMAN ET ROBERT LENGLET
MARIE GROSMAN
ROGER LENGLET
Couverture
Présentation
Remerciements
INTRODUCTION
LA “NOUVELLE HANTISE”
LE CERVEAU ASSIÉGÉ
MAMANS TOXIQUES
BIOCIDES ET PESTICIDES
DISTILBÈNE, LE RETOUR
UN GOÛT SUCRÉ
SPACE COWBOYS
NANOFOLIES
MÉDICAMENTS CÉRÉBROTOXIQUES
USTENSILES AU MERCURE
SE DÉTOXIFIER