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CHRISTOPHE
HONDELATTE
ae iit?THIERRY BAULIN
(RIPOLINEES EN ROUGE)
LE MONSTRE DE MONTMARTRE
Dans le 18° arrondissement de Paris, on se souvient encore de la série
de meurtres de vieilles dames qui avait ébranlé tout le quartier et toute la
ville, entre 1984 et 1987. On ne peut pas oublier ga, huit meurtres en six
semaines dans un seul quartier, une épouvantable hécatombe.
Le 5 octobre 1984, Anne Ponthus, quatre-vingt-trois ans, rentre du
marché. On la suit, on la pousse dans son appartement, on la baillonne et
on la ligote avec le cordon des rideaux. On la frappe au visage et sur tout
le corps, avant de l’étouffer avec un oreiller. Ensuite, on retourne son
appartement. Le butin ? 300 francs, 30 euros, trois fois rien. Ses voisins,
sous le choc, décrivent une toute petite dame, toute menue, qui marchait
trés difficilement avec une canne et qui parlait souvent avec les gens, tant
elle se sentait seule.
Le méme jour, Germaine Petitot, quatre-vingt-onze ans, est agressée
tue Lepic. Ligotée, baillonnée, battue elle aussi... Elle survit a
l’agression, mais le choc est tel qu'elle ne peut rien raconter.
Quatre jours aprés, le 9 octobre, les pompiers interviennent dans le
quartier pour éteindre un incendie. Ils retrouvent dans les décombres le
corps de Suzanne Foucault, quatre-vingt-neuf ans, pieds et poings liés, la
téte enserrée dans un sac plastique. On lui a volé sa montre et 500 francs
en liquide, l’équivalent de 75 euros.
Un mois plus tard, le 5 novembre, Ioana Seicaresco, soixante et onze
ans, est retrouvée morte étranglée a son domicile. Son nez a été fracturé,ses c6tes et sa machoire brisées. On I’a torturée pour qu’elle dise od se
trouvait son argent, 10 000 francs en bons du trésor, envolés.
Deux jours plus tard, Alice Benaim, quatre-vingt-quatre ans, est
retrouvée étranglée, pieds et poings liés avec du fil électrique. On I’a
torturée en ui faisant boire du détergent pour un butin misérable, moins
de 500 francs.
Cette litanie de meurtres est insupportable, hélas, elle n’est pas
terminée.
Le lendemain, a vingt metres de Ia, Marie Choy, quatre-vingts ans, est
trouvée torturée et étouffée, pour rien de plus que 300 francs. Et le jour
d’aprés, Maria Mico-Diaz, soixante-quinze ans, meurt étouffée par un
torchon. Son corps est couvert de coups de couteau et on lui a coupé le
petit doigt. Tout ¢a pour 200 francs.
Le 12 novembre, on retrouve deux corps dans la méme journée, dont la
mort remonte & plusieurs jours. Jeanne Laurent, quatre-vingt-deux ans, et
Paule Victor, soixante-dix-sept ans, sont retrouvées étouffées, la téte dans
un sac plastique.
Tout le quartier est en émoi. Trés vite, les soupgons se portent sur des
drogués, des trafiquants. Les gens se plaignent de l’insécurité, de troubles
grandissants dans le quartier. Huit morts en six semaines, et pas la
moindre piste... A part des empreintes digitales. On en a retrouvé
partout, dans tous les appartements, mais, quand on les compare avec
celles répertoriées dans les fichiers, ¢a ne donne rien. Trés vite, le
quartier est gagné par la psychose. Le 13 novembre 1984, une centaine
de policiers sont déployés dans un rayon de 1 500 métres autour du
Sacré-Cceur. Mais la police n’a toujours pas la moindre piste. Le maire
du 18° décide d’organiser une réunion d’ information. Ce jour-la, prés de
deux mille personnes se réunissent A la mairie. Les gens ont peur, les
vieilles dames surtout. Les politiques s’emparent du sujet, d’autant que
Vopinion publique voit d’un ceil tres défavorable ce qu’elle considére
comme un probléme de sécurité.
Puis les meurtres cessent brusquement et, pendant un an, il ne se passe
plus rien. Jusqu’en décembre 1985, ot I’on retrouve Estelle Donjou,
quatre-vingt-onze ans, étranglée chez elle, dans le 14° arrondissementcette fois-ci. Quinze jours plus tard, 4 deux patés de maisons, Andrée
Ladam, soixante-dix-sept ans, est retrouvée morte. Et encore cing jours
plus tard, Yvonne Couronne, quatre-vingt-trois ans... En tout, jusqu’au
mois de juin 1985, on recense huit nouveaux meurtres.
A vrai dire, 2 ce moment-la, les policiers du 36, quai des Orfévres, qui
s’occupent de l’affaire, ne sont pas certains que I’on puisse relier cette
nouvelle vague de meurtres de vieilles dames a celle de l'année
précédente. Bien sfir, dans les deux cas, le ou les assassins cherchent de
I’argent et se contentent de petites sommes. Mais dans les derniers
crimes, le mode opératoire est différent. Les femmes n’ont pas été
ligotées, ni méme torturées. Si, au début, le doute demeure, on se rend
rapidement compte que les empreintes digitales retrouvées sur les scénes
de crime correspondent & celles que I’on avait retrouvées un an
auparavant. Désormais, les policiers en sont certains, on recherche un
homme qui a agi seul. Sa derniére victime sera Genevitve Germont,
soixante-treize ans, retrouvée morte en novembre 1987. Quelques jours
plus tt, une femme a survécu A l’attaque du tueur. Elle s’appelle Berthe
Finalteri. Elle s’est évanouie mais, dés qu’elle a ouvert les yeux, elle s’est
souvenue de tout et est en mesure de livrer une description détaillée de
son agresseur. Il s’agit un métis d’environ 1,80 métre, cheveux blonds
crépus, « coiffés a la Carl Lewis », nez épaté, pommettes saillantes et
anneau a Voreille gauche. C’est trés précis. Des hommes qui
correspondent & cette description, il ne doit pas y en avoir des milliers. Le
portrait-robot du tueur est immédiatement distribué dans tous les
commissariats de Paris. C’est ainsi que l’homme va tomber.
Le 1* décembre 1987, le commissaire Francis Jacob, patron du
commissariat du 10° arrondissement, discute avec des commergants dans
la rue quand soudain il apergoit au loin, venant tout droit vers lui, un
homme qui, hormis la couleur des cheveux, correspond trait pour trait au
portrait-robot. Il n’hésite pas une seconde et interpelle homme, lui
demandant ses papiers. Bingo ! Sur la photo de la carte d’identité,
l'homme est coiffé 4 la Carl Lewis. On l’emméne au commissariat pour
relever ses empreintes. En les comparant avec celles du tueur, plus de
doute possible : c’est bel et bien I’assassin ! Aprés des années d’errance,
on a enfin retrouvé le tueur de vicilles dames. L’homme s’appelle ThierryPaulin, et il est immédiatement conduit au 36, quai des Orfévres, od
commence une longue garde & vue. Thierry avoue tout de suite et
reconnait avoir commis vingt et un meurtres. Pourtant, les policiers n’en
ont compté que dix-huit ! Quand on lui demande de raconter, il raconte.
Comment il repérait les vieilles dames, comment il les approchait, pour
leur parler. Si elles étaient trop virulentes, trop sur la défensive, trop
méfiantes, il laissait tomber. Mais si elles étaient faibles, fragiles,
fatiguées, il les suivait chez elles, les dépouillait et les tuait. Ce qui est
incroyable, c’est qu’il se souvient de chacune d’entre elles. La tapisserie
d'un appartement, la couleur des rideaux et méme la couleur des
portefeuilles, il n’a rien oublié. C’est A ce moment que les policiers se
rendent compte d’une erreur trés génante qu’ils ont commise. Depuis un
moment, ils se demandent pourquoi Thierry Paulin a arrété de tuer
pendant un an. Eh bien figurez-vous que c’était parce qu’il était en
prison ! Eh oui ! A la suite d’un différend avec son dealer, qu’il a menacé
avec un pistolet et frappé avec une batte de baseball. Le dealer a porté
plainte et Paulin a écopé d’une peine de seize mois d’emprisonnement &
Fresnes. Il est sorti au bout de douze mois, ce qui explique la longue
pause dans les crimes.
Mais s’il a été condamné, comment se fait-il que l’on n’ait pas
retrouvé la trace de ses empreintes digitales, pourtant nombreuses, dans
le fichier ? Tout simplement parce que l’agression du dealer a eu lieu
Alfortville, dans le Val-de-Marne, et qu’d l’époque, les fichiers
d’empreintes centraux n’existent pas encore. Quand on pense que,
pendant trois ans, les policiers ont procédé a des milliers de
comparaisons d’empreintes, 4 la main, pour rien ! On I’interroge sur les
différents sévices qu’ont subis les victimes, les tortures. On se demande
aussi pourquoi les meurtres étaient beaucoup plus violents dans le
18* arrondissement que dans le 14°. « Monsieur Paulin, vous vous
souvenez d’Alice Benaim ? Vous lui avez fait boire du détergent
Pourquoi ?
— Ahnon, ¢a ce n’est pas moi, c’est Jean-Thierry ! »
C’est ainsi que les policiers découvrent que, dans la premiére série de
meurtres, Paulin n’était pas seul. Il était accompagné par un certain Jean-
Thierry Mathurin, un complice donc, qu’ils vont immédiatementinterpeller dans le 14° arrondissement. La suite va se jouer dans le cabinet
du juge d’instruction
En interrogeant Thierry Paulin, le juge va découvrir un tueur en série
qui n’entre dans aucune catégorie, une personnalité troublante, étonnante,
un grand pervers.
Thierry Paulin est martiniquais. Il a vécu une enfance compliquée,
instable. Tl a été élevé par sa grand-mére jusqu’a ses dix ans, aprés quoi il
est parti en Métropole rejoindre son pére A Toulouse, dans le quartier du
Mirail. A l’école, il a tout laissé tomber. A dix-sept ans, il devance
Vappel du service militaire et est affecté au salon de coiffure du régiment
parachutiste. La, c’est compliqué. Thierry Paulin est noir et homosexuel,
ce qui ne l’aide pas beaucoup 4 la caserne. C'est d’ailleurs pendant son
service militaire qu’il va signer son premier coup. Pendant une
permission, il braque une vieille épiciére avec un couteau et repart avec
1 400 francs. Mais |’épiciére |’a reconnu, et il s’en tire avec deux ans
avec sursis et un renvoi de l’armée.
Ensuite, il part s’installer a P: ot il va découvrir la liberté. Il trouve
un boulot au Paradis Latin, un cabaret particuligrement connu pour ses
spectacles de travestis. C’est la qu’il va rencontrer Jean-Thierry
Mathurin, un jeune serveur guyanais de dix-neuf ans, dont il va
s’enticher. Mathurin aussi en a bavé, et il est 4 Paris pour les mémes
raisons... Mais il a une longueur d’avance sur Thierry : il consomme de
Vhéroine et se prostitue de temps A autre. Le couple enchaine les soirées
branchées en boite et les nuits extravagantes, habillés en drag-queen. Ils
vivent 4 I’hétel, dans le 9° arrondissement. Tout ga cofite de l’argent,
beaucoup d’argent, et il faut en trouver. Thierry commence a dealer de la
coke et de I’héroine. Tl en consomme aussi, mais moins que Mathurin,
qui est défoncé du matin au soir. Et puis leur vient l’idée des vieilles
dames. C’est facile a attaquer, une vieille dame, ca ne risque rien. C’est
ainsi que commence l’effroyable massacre d’octobre 1984. Juste pour
payer de la drogue et des soirées interlopes. Rien d’autre. Ils partent
passer quelque temps A Toulouse, chez le pére de Thierry, od ils
continuent d’entretenir le train de vie effréné. Mais, rapidement, le pére
de Thierry en a marre des extravagances de son fils. Et le couple
commence 4 battre de |’aile. Mathurin rentre a Paris. Thierry essaie de selancer dans un spectacle de travestis 4 Toulouse, mais c’est un échec. I]
rentre aussi 4 Paris, en décembre 1985, sans le sou. Il recommence
suivre des vieilles dames, pour financer des soirées mondaines oii il se
produit en costume noir et neud papillon. Un peu de détente et de gloire
entre deux victimes. Aprés chaque meurtre, il va flamber son butin dans
les bars gays des Halles ou au Palace, la boite mythique de la rue du
Faubourg-Montmartre. Il paie des bouteilles de champagne avec I’argent
liquide sorti tout droit du porte-monnaie de ses victimes. C’est a cette
période qu’il se décolore les cheveux et commence 4 se coiffer la Carl
Lewis. Partout, il raconte qu’il va monter une agence de mannequins.
Avec l’argent qu’il a récolté chez Geneviéve Germont, sa derniére
victime, il féte son anniversaire. Il a réservé trois salles dans un
restaurant du quartier des Halles et invité cinquante personnes, dont son
avocat (il a été bien inspiré, il ne va pas tarder & en avoir besoin),
quelques étudiants encanaillés et tout une faune d’oiseaux de nuit qui
forment sa petite troupe. Le champagne coule a flots et Thierry Paulin, en
spencer noir, chemise blanche et cravate, est au sommet de sa gloire. Il a
payé I’addition & I’avance, en espdces, avec l’argent de la pauvre
Genevieve. Comme il lui en reste encore, il remet le couvert dés le
Jendemain dans un restaurant de Pigalle, od il invite vingt personnes, et le
surlendemain, od, vétu d’un grand manteau gris, il va faire la féte avec
des diplomates africains. C’est sa derniére soirée d’homme libre. Tous
ceux qui I’ont connu a l’époque disent qu’il était tr8s sympathique, plein
de projets, ils n’ont rien vu venir. Quand la photo de Thierry Paulin est
sortie en une de tous les journaux, ils sont tombés de haut.
A la maison d’arrét de Fleury-Mérogis, od il est incarcéré et inculpé
pour assassinats et vols aggravés, il est & l'isolement. Dans sa cellule,
plus narcissique que jamais, il découpe tous les articles qui parlent de lui
Lui qui voulait étre célabre, il a enfin réalisé son réve ! Et, en prison, hors
de question de passer pour un taulard. Il a pu se faire apporter deux sacs
de vétements. Des costumes, des chemises blanches, des naeuds
papillon... Tl tient A garder sa dignité. Il flambe parce qu’il sait qu’il n’y
aura pas de suite, pas de procs. Thierry Paulin est déja condamné, il a le
sida. Son état se détériore trés rapidement. Dépression, tuberculose,
méningite... Le 16 avril 1989, A I’ge de vingt-six ans, Thierry Paulins’éteint 4 Fresnes. On avait encore quelques questions & lui poser, c’est
désormais trop tard. Jean-Thierry Mathurin, quant lui, est reconnu
coupable en 1991 du meurtre de neuf femmes. Il est condamné a la
réclusion & perpétuité, avec une peine de sfireté de dix-huit ans. Il a été
libéré en janvier 2009.