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Guerre Et Eau (Franck GALLAND)

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« LE MONDE COMME IL VA »

Collection dirigée par Michel Wieviorka


« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage
privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit
ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue
une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la
Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à
ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »

© Éditions Robert Laffont, S.A.S., Paris, 2021

Conception graphique : Joël Renaudat / Éditions Robert Laffont

En couverture : © Alexander Kovalenko et Olga Chirkova/123rf.com

EAN 978-2-221-25420-2

Éditions Robert Laffont – 92, avenue de France 75013 Paris

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


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www.laffont.fr
SOMMAIRE

Titre

Collection

Copyright

Préface

Introduction

L'eau sur les champs de bataille de 1914 à 1918

Expérimentations et matériels de potabilisation durant la Grande Guerre


Le combat pour l'eau sur le front d'Orient

L'eau dans la manœuvre militaire de 1939 à 1945

La préparation de la campagne de France


L'eau dans la guerre éclair allemande
L'eau dans la préparation et l'exécution du D-day

De 1945 à nos jours, la guerre contre l'eau, ou comment l'eau est devenue cible militaire et terroriste
L'inondation comme arme de destruction

Les barrages : instruments de puissance et cible militaire


Menaces sur les ouvrages de dessalement
Vulnérabilités des conduites de transfert et des systèmes de commande-contrôle
Le ciblage des interdépendances électriques
Réactifs et technologies duales dans les conflits modernes
Atteintes à l'eau brute et à l'eau traitée

Demain, la guerre pour l'eau

Sécurité hydrique et environnementale


Initiatives diplomatiques et religieuses
Renforcer les capacités de dialogue hydrodiplomatique

Réduire la dépendance stratégique à l'eau


Des « Casques bleus » de l'eau pour protéger les infrastructures

Renforcer la coopération public-privé en matière de sécurité

Remerciements
Préface

Au cœur des grands déséquilibres mondiaux, l’eau occupe une place


singulière, son absence provoquant catastrophes naturelles, famines et
affrontements armés. À ce titre, sous toutes ses dimensions, géopolitique,
sécuritaire, économique ou juridique, l’eau devrait faire l’objet d’une
réflexion collective à même d’organiser une gouvernance pérenne de ce
patrimoine commun de l’humanité. Or, étrangement, il n’existe pas de
régulation mondiale de ce secteur essentiel.
Les armées se trouvent au premier rang des acteurs concernés.
L’anticipation des crises, l’intervention pour le règlement des conflits, la
conduite des opérations et la reconstruction post-conflit sont autant de
responsabilités qui les mobilisent et qu’elles assument pleinement. Les
déploiements les plus récents de l’armée française le confirment, la question
de l’eau est bien au cœur de la manœuvre militaire. Et ce, doublement :
facteur déstabilisant, le « stress hydrique » que subissent certaines régions
du monde aggrave les tensions et favorise l’éclatement de conflits armés
requérant l’intervention de forces ; enjeu tactique, cette même question de
l’approvisionnement en eau complique la conduite des opérations militaires.
C’est ici notre sujet.
On estime le besoin minimum en eau destinée à la consommation
humaine (EDCH) à 10 litres par soldat et par jour en climat tempéré,
30 litres en climat chaud. Ce simple différentiel exprime clairement la façon
dont l’eau conditionne la faisabilité même d’une opération. À cela viennent
s’ajouter les besoins spécifiques des hôpitaux militaires et ceux en eau dite
technique, qui sert à l’entretien des matériels notamment. Les forces armées
doivent donc être capables de maîtriser, sur tous les terrains, l’intégralité du
cycle de l’eau, depuis la reconnaissance et la sécurisation de la ressource en
eau brute, la production, la distribution et le stockage d’une eau propre,
jusqu’à la gestion des eaux usées.
L’eau s’impose comme une ressource stratégique dont le contrôle
détermine la capacité d’action, dans la durée, des forces sur le terrain, au
même titre que les moyens de transport et les munitions. En amont, sa
maîtrise détermine aussi la capacité des forces à entrer en premier, et seules
si nécessaires, sur un théâtre.
Conscient de la complexité des exigences logistiques commandées par
ces impératifs, j’avais confié en 2014, en tant que directeur du cabinet civil
et militaire du ministre de la Défense, et alors même que nous étions au
cœur de l’opération « Serval » au Mali, un mandat au lieutenant-colonel de
réserve Franck Galland pour une étude sur la gestion de l’eau en OPEX.
Spécialiste reconnu de cette question, son rapport a permis d’identifier la
nécessité de compétences toujours plus expertes et de financements de
moyens toujours plus importants pour assurer la maîtrise continue de
l’approvisionnement.
Fort de ce travail exhaustif et particulièrement documenté, le général
Castres, à l’époque sous-chef opérations de l’état-major des armées, a pu
engager un exercice de mutualisation des savoir-faire développés
auparavant par chacune des trois armées (de terre, de l’air et de la marine),
et des services de soutien interarmées (SCA et SID). Ses conclusions ont
également été intégrées aux actions permanentes visant à renforcer
l’interopérabilité avec les armées de nos alliés, susceptibles de nous
rejoindre dans une opération en cours. La gestion de l’eau en opérations se
révèle bien être un sujet tactique, de dimension rapidement stratégique et
aux enjeux indéniablement politiques que les armées ont intégré dans leurs
manœuvres militaires.
Le travail remarquable qu’a mené le lieutenant-colonel (R) 1 Galland
s’inscrit dans une dynamique permettant à la France d’être en pointe dans le
domaine hydrostratégique, dynamique qu’il convient de poursuivre. Au
passage, l’expertise qu’il a apportée au ministère de la Défense prouve
combien la réserve est un atout pour les armées. Elles peuvent en effet
trouver chez leurs réservistes experts des compétences rares susceptibles
d’offrir un avantage stratégique incontestable à nos forces.
La richesse de l’ouvrage du lieutenant-colonel (R) Galland ne s’épuise
évidemment pas dans ces aspects techniques, à visée opérationnelle. L’un
de ses grands mérites est en effet d’inscrire ces dimensions au sein d’une
enquête historique. L’auteur développe ainsi une réflexion plus ample, qui
interroge l’histoire militaire des cent dernières années pour éclairer au
mieux le caractère stratégique de la ressource hydrique. De la bataille de
Verdun aux conflits les plus récents, en France, en Afrique, au Proche-
Orient ou en Asie, qu’ils soient le fait d’acteurs étatiques ou non, l’analyse
de chaque opération militaire rappelle combien l’eau a été – et doit être –
envisagée comme essentielle à la victoire.
Riche et précis, l’ouvrage s’adresse autant aux spécialistes de la défense
qu’au grand public. Les premiers goûteront les études tactiques, l’analyse
historique et les questionnements stratégiques ; les seconds bénéficieront
d’une meilleure compréhension des enjeux géopolitiques que portent en
elles les ressources naturelles.
En inscrivant dans une perspective historique la question relativement
technique de l’eau dans la manœuvre militaire, Franck Galland met en
lumière les différents enjeux du sujet en offrant une synthèse très complète.
Il propose ainsi un récit nouveau et passionnant des différents conflits qui
ont traversé notre monde et rappelle opportunément au lecteur le rôle,
souvent laissé dans l’ombre, du soutien dans les opérations, plus que jamais
nécessaire et stratégique.

Cédric Lewandowski,
ex-directeur du cabinet civil et militaire du ministre de la Défense ;
directeur exécutif du groupe EDF,
directeur du parc nucléaire et thermique

1. Lieutenant-colonel en réserve opérationnelle.


Introduction

Dans un article paru au lendemain de la Première Guerre mondiale 1, le


capitaine Charles H. Lee, officier du génie américain, soulignait
l’importance prise par les ressources en eau dans la conduite de la guerre.
Mais le capitaine Lee était formel. Dans le conflit où il venait d’être
engagé de novembre 1917 à novembre 1918, au sein de la 26e division de
l’American Expeditionary Force, jamais l’accès à l’eau n’avait été un
facteur aussi décisif pour le succès de la manœuvre militaire ; tant en milieu
aride, avec l’intervention britannique à Gallipoli ou en Palestine, que pour
subvenir aux besoins des masses d’hommes engagés sur le front français.
Officier en réserve opérationnelle depuis la fin de mon service national
et professionnel de l’eau depuis une vingtaine d’années d’activité
professionnelle, cette évidence m’apparaissait pourtant « couler de source »,
pour utiliser cette expression qui remonte au XVIIe siècle afin de signifier
qu’une action quelconque est le résultat normal et logique d’un fait.
Cependant, à y regarder de plus près, le rapport de cause à effet entre
l’eau et les opérations militaires est loin d’être aussi limpide et évident. Les
premiers mois du premier conflit mondial en attestent. L’été 1914 aura en
particulier montré que la recherche et la mobilisation des ressources en eau
au profit des forces n’ont absolument pas été anticipées par les armées
françaises.
Il n’y aura pas que le feu allemand qui fera d’innombrables victimes,
comme en ce 22 août 1914, jour le plus sanglant de l’histoire de France, où
27 000 soldats français seront tués sur 400 kilomètres de front, allant de la
Belgique à la Lorraine. Les causes de décès et de mise hors de combat
seront également le manque d’eau potable occasionnant fièvres typhoïdes,
dysenterie bacillaire, gastro-entérite et choléra, provoqués par la
consommation de sources d’eau souillées.
Pourtant, le haut-commandement français aurait dû avoir à l’esprit les
écrits prophétiques du médecin-général inspecteur Michel Lévy datant de
1869 et soulignant qu’il est erroné « d’attribuer aux accidents de guerre la
plus grande partie de la mortalité des armées en campagne. Avant que le
premier coup de feu ait été tiré, les épidémies se préparent 2 ».
Cette période, qui a vu un désastre humain sans précédent, pourrait se
résumer en quelques mots : « la guerre sans eau », tant ont été négligées la
détection, la caractérisation et la mobilisation d’eaux de surface et
souterraines, pourtant essentielles à satisfaire la soif des troupes engagées
ou encore la prise en compte de besoins spécifiques, comme l’alimentation
en eau des hôpitaux de campagne.
Fort heureusement avec la montée en puissance du Service des eaux aux
armées, et grâce à l’action féconde de deux officiers, ingénieurs
polytechniciens, Alphonse Colmet-Daâge et Philippe Bunau-Varilla, bien
des progrès seront accomplis jusqu’à la signature de l’armistice du
11 novembre 1918.
La progression des Britanniques de l’Egyptian Expeditionary Force sur
le front d’Orient montrera également que l’alimentation en eau doit être
pensée comme un facteur déterminant de conquête militaire. Mieux, le
général Allenby, le commandant du corps expéditionnaire anglais, mettra
habilement sur pied un schéma où les infrastructures hydrauliques
deviennent facteurs de paix et de stabilité afin de « gagner les cœurs et les
âmes », comme l’exprimait déjà le général Lyautey durant la pacification du
Maroc.
Près d’un siècle plus tard, deux ans après les célébrations du centenaire
de la fin du premier conflit mondial, la France continue d’être engagée sur
des terrains où l’eau est plus que jamais d’une importance stratégique pour
la manœuvre militaire.
Depuis le 11-Septembre 2001, combattre le djihadisme impose en effet
d’intervenir en milieu aride et de revoir les doctrines d’emploi des forces en
y incorporant l’accès à l’eau comme sujet primordial. De l’Afghanistan au
Mali, comment en effet bien prendre en compte cet élément vital qui peut
conduire à modifier une opération ou à rendre très compliquée la vie d’un
commandant de théâtre si son camp de base est confronté à une ressource
peu abondante, dégradée car polluée, qu’il doit par ailleurs sécuriser contre
tout acte malveillant à caractère terroriste ?
L’intervention en Afghanistan, où la France a été présente militairement
durant 13 ans, de 2001 à 2014, comptant jusqu’à 4 000 hommes au plus fort
de son engagement, a révélé de ce point de vue les immenses difficultés
techniques et logistiques pour délivrer une eau saine aux soldats des FOB
(Forward Operating Base), obligeant notamment à acheter à des prix
prohibitifs de l’eau brute extraite de forages détenus par des opérateurs
privés, et à la transporter quotidiennement par camions-citernes pour
alimenter ces bases vie ; ce en plus des tonnes de bouteilles d’eau livrées
par air ou par voie terrestre spécifiquement pour étancher la soif des soldats.
En octobre 2009, lors du Naval Energy Forum, le commandant de l’US
Marine Corps, le général James Jones, soulignait que le transport d’eau en
bouteilles a représenté, à lui seul, 51 % de la charge logistique du corps des
Marines engagés en Afghanistan 3. Cette constatation s’accompagnait d’un
appel à la mise en place rapide de solutions technologiques nouvelles,
destinées à limiter la charge logistique et les coûts humains et financiers liés
au transport de cette source de vie qu’est l’eau, pour tout un chacun et pour
le soldat en particulier quand il combat.
Cette stratégie vise à renforcer l’autonomie des troupes en eau, via la
recherche d’eau souterraine, le déploiement de capacités de forage, puis de
traitement mobile pour rendre cette eau consommable localement et la
transporter par bâches souples ou camions-citernes jusqu’aux avant-postes.
Mieux, il s’agit également de mettre en bouteille cette eau produite
grâce à des unités mobiles d’embouteillage. L’armée britannique les
expérimenta en Afghanistan dans la province du Helmand à partir de
janvier 2009, et en confirma la manœuvre en Irak.
Les compagnies de l’armée allemande engagées en Afghanistan firent
de même, fêtant, en novembre 2010, les trois millions de bouteilles d’un
litre produites sur le camp de Mazâr-e Charîf à partir d’unités de traitement
mobiles, rendant potable de l’eau brute issue de forages.
Plus proche de nous, alors que les armées françaises et leurs alliés
continuent d’évoluer dans la bande saharo-sahélienne (BSS), qui représente
une zone où 150 millions de Sahéliens sont déjà confrontés à d’immenses
défis sur la question de l’accès à l’eau, avec une disponibilité par habitant
qui a diminué de plus de 40 % au cours des vingt dernières années 4, la
gestion de l’eau en opérations extérieures (OPEX) est ici plus que vitale
pour la satisfaction des besoins du combattant.
Celui-ci est de 10 litres par homme et par jour en climat tempéré, et de
30 litres par homme et par jour en climat chaud 5. À ces besoins de base
s’ajoutent naturellement les besoins spécifiques comme ceux des hôpitaux
allant jusqu’à 100 litres par malade et par jour en climat chaud.
Avec près de quatre-vingts ans de distance, l’estimation de ces besoins
était bien moindre durant la guerre du désert avec 12 à 15 litres (seulement)
estimés pour les trois hommes d’équipage d’un Panzer de Rommel, comme
on l’apprend dans un livre de 1952 qui servira de référence à l’armée
américaine pour l’opération « Tempête du désert » lancée en Irak en 1991 6.
Les besoins physiologiques des hommes étaient pourtant les mêmes que
ceux d’aujourd’hui et les conditions climatiques identiques pour mener des
combats en milieu désertique.
Même s’ils étaient ainsi sans doute sous-estimés, nous montrerons
cependant, dans la deuxième partie de cet ouvrage, que la Seconde Guerre
mondiale, contrairement à la Première, intègre très tôt l’eau comme facteur
clé de succès dans l’art militaire.
C’est « la guerre avec l’eau », pour faire écho au chapitre qui traite de la
« guerre sans eau ».
Ce fut le cas de Rommel, surnommé le Renard du désert, mais
également d’Eisenhower, commandant suprême des forces alliées et habile
planificateur du débarquement en Normandie. L’un comme l’autre
considéraient l’eau comme stratégique pour les opérations militaires.
Ceci n’est que peu connu, mais la préparation du D-Day sera fortement
influencée par la nécessité de disposer de ressources en eau fiables et
pérennes. La Résistance française apportera une très forte contribution dans
ce domaine, tout comme les services de renseignement britanniques,
permettant la réalisation d’une vingtaine de captages dans les semaines qui
suivront « Overlord », la plus grande opération militaire de tous les temps.
Certains continuent d’assumer encore aujourd’hui leur œuvre.
Mais, de 1939 à 1945, l’eau sera également utilisée comme une arme de
destruction.
Même si la Première Guerre mondiale en avait lancé l’usage, avec
l’inondation de la plaine de l’Yser par les armées belges, le 21 octobre
1914, pour freiner, en désespoir de cause, l’avance allemande vers
Nieuport, ce sont les pilotes britanniques de la Royal Air Force qui
deviendront les premiers « briseurs de barrages » (dambusters) lors de
l’opération « Chastise » qui cibla, le 17 mai 1943, les retenues de Möhne et
d’Eder, déversant près de 330 millions de mètres cubes d’eau dans la région
occidentale de la Ruhr et faisant des dégâts considérables.
Ces techniques non conventionnelles de la guerre à outrance, inspirèrent
ensuite les conflits asymétriques qui se multiplièrent dans le monde à partir
de 1945, sous forme d’affrontements Est-Ouest, de guerres civiles et
religieuses, et ce jusqu’à l’occupation récente par Daech des barrages sur le
Tigre et l’Euphrate en Syrie et en Irak.
Les techniques employées par la guerre subversive ont su en effet
progressivement élargir leur champ des possibles à l’eau : inondation par
destruction d’ouvrages hydrauliques, empoisonnement des puits,
occupation des barrages, chantages à la coupure d’eau, ou encore
destructions ciblées d’infrastructures électriques, sans lesquelles il ne peut
plus y avoir ni d’eau ni d’assainissement.
Ces modes opératoires ont été mis en œuvre durant les guerres
révolutionnaires d’Indochine, puis du Vietnam, dans la lutte entre forces
kurdes et turques, au Liban, en ex-Yougoslavie, puis dans les conflits nés
des Printemps arabes, en Syrie, en Irak, en Libye ou encore au Yémen.
Ces conflits armés prennent ainsi l’eau en otage. Ressource essentielle à
la vie, celle-ci est devenue cible voire arme de destruction, et ce en
violation complète des conventions de Genève et du droit édifié par le
Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) en ce
qui concerne l’accès à l’eau et à l’assainissement 7.
Depuis 1945, nous sommes ainsi progressivement entrés dans l’ère de
« la guerre contre l’eau », avec, qui plus est, une somme de vulnérabilités
actuelles que nous devons prendre en considération à l’heure de
l’hyperterrorisme et des cybermenaces criminelles ou étatiques.
Des malveillances intentionnelles, physiques ou logiques, qu’elles
soient d’origine criminelle ou terroriste, visent en effet désormais
clairement des ouvrages essentiels à la vie comme des stations de
dessalement, des conduites d’adduction stratégiques, des centres de pilotage
et de contrôle, ainsi que les ouvrages électriques qui permettent de les
alimenter en énergie.
C’est une réalité cruelle qui s’impose à nous dans un monde
ultraconnecté aux infrastructures interdépendantes. Nous l’aborderons dans
le troisième chapitre de ce livre.
Malgré cette nouvelle donne peu réjouissante, il nous faut cependant
garder espoir.
Il est en effet heureux que le Conseil de sécurité des Nations unies, des
instances de dialogue sécuritaire et stratégique comme l’Organisation de
coopération de Shanghai, ainsi que des initiatives diplomatiques venant de
la Confédération helvétique, du Vatican ou encore de la République du
Sénégal se mobilisent – enfin – pour mener un combat si légitime sur le
thème de l’eau et de la paix.
Car demain, si nous n’y prenons pas garde et ne préparons pas les outils
politiques, diplomatiques et militaires pour les anticiper, nous assisterons à
des « guerres pour l’eau ».
C’est ce que le pape François signifiait clairement, lors d’un séminaire
organisé en février 2017 par l’Académie pontificale des sciences dans les
jardins du Vatican, en se demandant « si au milieu de cette Troisième
Guerre mondiale par morceaux que nous vivons, nous ne sommes pas en
chemin vers la grande guerre mondiale pour l’eau ».
Puisse ainsi ce livre éclairer ses lecteurs sur les enjeux stratégiques et
sécuritaires liés à l’eau – ceux d’hier, d’aujourd’hui et de demain – et
rappeler la permanence de cette devise grecque, « ariston men udor », que
l’on trouve toujours gravée, soixante-quinze ans après que les Royal
Engineers britanniques l’aient inscrite en 1944 sur le fronton d’une station
de pompage qu’ils ont construite en Normandie, et qui traduite signifie « le
principe de tout, c’est l’eau ».
La Roche-Guyon, novembre 2020.
1. Capitaine Charles H. Lee, « Water resources in relation to military operations », The Military
Engineer, vol. 12, no 63, mai-juin 1920, pages 285-289.
2. Michel Lévy, « Causes des maladies en campagne », in Traité d’hygiène publique et privée,
1869, cité dans Patrice Binder et Olivier Lepick, « Les armes biologiques : aspects historiques »,
in Menace terroriste, approche médicale, ouvrage collectif sous la direction de Thierry de
Revel, John Libbey Eurotext, 2006.
3. Will Rogers, « Afghanistan U.S. Marine Corps Energy Water », CNAS,
http://www.cnas.org/blogs/naturalsecurity/2010/03/fully-burdened-cost-water.html
4. Caroline Courtois, « L’eau dans le Sahel : entre conflit, sécheresse et démographie
galopante », Solidarités International, 26 avril 2017.
5. « Gestion de l’eau en opérations extérieures », Publication interarmées PIA-4.0.9.1 GEOPEX
(2010), version amendée du 8 mars 2012, Centre interarmées de concepts, doctrines et
expérimentations, page 19.
6. Major general Alfred Toppe, Desert Warfare. German Experience in World War II, Combat
Studies Institute 1991, rééd. University Press of the Pacific, 2004, page 76.
7. Le droit à l’eau, publié en 2003 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Haut-
Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), le Centre on Housing Rights
and Evictions (COHRE), WaterAid et le Centre pour les droits économiques et sociaux.
L’eau sur les champs de bataille de 1914
à 1918

« Ô flots, que vous savez de lugubres histoires ! »


Victor Hugo, « Oceano Nox »,
Les Rayons et les Ombres, 1840.

Durant la Grande Guerre, l’eau, tant en quantité qu’en qualité, a


représenté un enjeu crucial destiné à subvenir aux besoins vitaux des
masses d’hommes engagés sur les fronts de l’ouest et de l’est.
De la maîtrise du cycle de l’eau en opération a dépendu le sort de plus
d’une bataille, et notamment celle qui a durablement marqué les
générations : Verdun.
Avant l’année 1916, les armées françaises ont cependant eu à
expérimenter, à leurs dépens, l’adage chinois qui dit que « quand le puits est
asséché, c’est là que l’on découvre la valeur de l’eau ».
Août 1914 a été chaud et sec. Le mois a débuté par une journée
caniculaire. Après un épisode pluvieux jusqu’au 9, des conditions
anticycloniques se sont installées sur la zone des combats et les journées
des 13 et 14 août seront enregistrées comme les plus chaudes du mois, avec
plus de 30 °C relevés sur la majeure partie du pays.
Dans leurs écrits, les soldats évoqueront un « soleil intenable », une
« chaleur accablante », un « soleil brûlant », une « chaleur torride et un ciel
bleu » mais aussi « la soif ».
À la problématique de la disponibilité de l’eau pour les troupes
s’ajouteront très vite les questions de qualité liée à cette précieuse
ressource. Le sous-lieutenant Maurice Genevoix, jeune normalien et futur
académicien, relatera l’arrivée d’un médecin auxiliaire survolté inspectant
sa section le 26 août 1914 : « Qu’est-ce que c’est que cette eau ?… Elle
n’est pas bonne cette eau ! Thyphoïde, typhoïde 1 ! »
La fièvre typhoïde, maladie contractée par ingestion d’eau contaminée
suite à des souillures, progressa sous forme d’épidémie et causa une
morbidité importante au sein des forces engagées, du fait de la défaillance
des mesures de protection des eaux brutes, mais aussi en raison de l’absence
de vaccination préventive au début du conflit, et de l’impossibilité de
vacciner les troupes en campagne.
La conséquence de l’entrée en guerre d’une armée non vaccinée fut que,
dans la période de septembre 1914 à mai 1915, 65 748 cas de fièvre
typhoïde furent recensés 2.
En 1914, la France entend encore utiliser le filtre Lapeyre destiné à
purifier l’eau de consommation de ses soldats.
Celui-ci a certes fait ses preuves outre-mer, en Chine sous le Second
Empire, mais s’avère bien trop complexe pour une guerre de mouvement où
les unités sont perpétuellement sous le feu de l’ennemi.
Si bien qu’en quelques semaines de combat, les armées françaises sont
confrontées à un nombre très élevé de malades atteints de fièvre typhoïde,
mais également de dysenterie bacillaire, de gastro-entérite et de choléra
provoqués par la consommation d’eaux impropres.
À ces conditions de combat des premières semaines de l’été 1914
s’ajoute la puissance dévastatrice du feu allemand.
Le 22 août 1914, 27 000 morts et disparus seront comptabilisés en un
seul jour, soit sept fois plus que tous les morts alliés du jour J, celui du
débarquement en Normandie le 6 juin 1944. Ce 22 août reste le jour le plus
sanglant de l’histoire militaire de notre pays.
Avant le miracle de la Marne, du 5 au 12 septembre 1914, ce sont des
dizaines de milliers de soldats qui succomberont ainsi dans une guerre de
mouvement destinée à repousser coûte que coûte l’offensive allemande en
Belgique, dans le nord et l’est de la France, dans un contexte où l’on souffre
de la chaleur et de la soif, des effets de maladies hydriques, où l’on se bat
dans des champs, des bois et des villages ; une guerre qui sera aussi
meurtrière que la guerre des tranchées.
L’historien britannique Anthony Clayton mettra en avant « les faiblesses
de l’organisation française » comme cause du désastre des premières
semaines de guerre, avec au premier rang le manque d’anticipation en
matière de soutien en eau potable des troupes ; sujet d’importance qui aura
pourtant été négligé par le haut-commandement au même titre que le soin
aux blessés, dont beaucoup succomberont faute de prise en charge médicale
appropriée.
Face à l’urgence, le médecin-général inspecteur Chavasse, directeur du
service de santé des armées en opération, ordonne, dans une instruction du
27 octobre 1914, que les eaux livrées aux troupes soient traitées selon les
procédés de stérilisation appliqués au profit des populations civiles, comme
le font du reste déjà les forces britanniques engagées sur le front depuis
l’été 1914.
Devant le bilan peu louable occasionné par l’impréparation de la santé
militaire sur les premiers mois de conflit, il est créé, en avril 1915, un sous-
secrétariat d’État du service de santé au ministère de la Guerre.
Il est confié à Justin Godart 3, avocat de profession et député de Lyon,
qui est secondé par un médecin inspecteur. On doit notamment à ce sous-
secrétaire d’État le rétablissement du grade de pharmacien auxiliaire, donné
à des civils mobilisés à qui l’on confère un statut d’officier et une
affectation en rapport avec leurs aptitudes techniques pendant la durée de la
guerre.
Ces pharmaciens auxiliaires furent rapidement placés sous l’autorité des
chefs de corps et des médecins, chefs de service. Ils suppléèrent ces
derniers dans les opérations relevant de l’hygiène alimentaire, les
prélèvements chimiques et bactériologiques des eaux de boisson, ainsi que
leur purification.
Mais c’est à un polytechnicien, Alphonse Colmet-Daâge, lui-même
mobilisé à 55 ans le 2 août 1914 avec le grade de lieutenant-colonel, que va
également échoir la responsabilité de corriger les errements des premières
semaines du conflit et de gérer techniquement l’alimentation en eau des
forces françaises.
Avant guerre, en 1908, lorsqu’il effectuait des périodes de réserve, le
colonel, directeur du génie de la place de Verdun, écrivait de lui dans son
bulletin de notation d’officier : « Ingénieur des Ponts et Chaussées, attaché
au service des eaux et de l’hygiène de la Ville de Paris, officier
supérieurement actif et zélé, ayant l’habitude du commandement dans la vie
civile 4. »
En octobre 1913, un de ses successeurs ajoutait : « Savant hygiéniste.
Très apte à faire campagne et susceptible de rendre les meilleurs services en
temps de guerre 5. »
La suite des événements allait donner raison aux signataires de ces
bulletins de notation.
Alphonse Colmet-Daâge rejoint le 4 août 1914 l’état-major particulier
du génie à Verdun et y reste dans ses fonctions jusqu’au 1er juin 1915, date à
laquelle il est appelé en mission spéciale au Grand Quartier général 6.
Il sera nommé trois jours plus tard, le 4 juin 1915, inspecteur général du
service des eaux des armées du Nord et du Nord-Est 7, car il y a urgence à
organiser – enfin – l’alimentation en eau des forces.
Malgré les consignes données par le Service de santé à compter de fin
octobre 1914, comme porter l’eau à ébullition ou la traiter avec de
l’hypochlorite de sodium (eau de javel concentrée) ou du permanganate
(poudre Lambert), les infections d’origine hydrique persistent et atteignent
un nombre très élevé.
Qui plus est, la question de l’eau potable devient une équation de plus
en plus difficile à résoudre avec les nombreux morts sans sépulture qui
restent sur le terrain : de 200 à 300 cadavres d’hommes et autant d’animaux
recensés par kilomètre carré sur les champs de bataille 8, qui rendent
impossible la consommation d’eau souterraine que le génie essaye d’utiliser
en creusant des puits chaque fois que cela est possible.
À la lecture de la promotion d’Alphonse Colmet-Daâge au rang
d’officier de la Légion d’honneur, par décret spécial du 12 janvier 1916, on
devine l’ampleur de la tâche qui aura été la sienne : « A organisé le Service
des eaux avec une grande compétence. Par son activité et ses initiatives
intelligentes, a fait réaliser de très grands progrès et a contribué largement à
résoudre les très grosses difficultés que présentait l’alimentation en eau
potable de masses des troupes réunies dans des contrées naturellement
dépourvues ou aux ressources insuffisantes 9. »
En d’autres termes, il y aura eu un avant et un après à la nomination du
lieutenant-colonel Colmet-Daâge.
Les capacités d’anticipation et d’organisation, combinées au haut niveau
de compétence technique de l’ingénieur Colmet-Daâge, nommé au grade de
colonel le 28 décembre 1917, seront confirmées dans la citation à l’ordre du
corps d’armée qu’il reçoit un mois avant l’armistice du 11 novembre :
« Inspecteur général du Service des eaux attaché au Grand Quartier général,
a, au cours des quatre années de guerre, rendu des services exceptionnels en
créant le Service des eaux aux armées et en développant sans cesse
l’organisation de ce service, de manière à donner satisfaction à tous les
besoins des troupes. Chef de service dont l’activité égale la compétence,
s’est assuré personnellement au cours de toutes les opérations du
fonctionnement et du ravitaillement en eau des troupes jusqu’aux points les
plus avancés de la ligne de bataille, notamment le 26 septembre 1915
(Champagne), le 2 octobre 1916 (Somme) et le 14 août 1917 (Flandres) 10. »
L’ingénieur Colmet-Daâge sera démobilisé le 12 décembre 1918.
Les armées françaises lui doivent beaucoup, tout comme à un autre
personnage hors du commun : Philippe Bunau-Varilla.
Né le 26 juillet 1858, le commandant Bunau-Varilla va également
marquer de son empreinte l’alimentation en eau des forces durant le premier
conflit mondial.
Polytechnicien d’une promotion inférieure à Colmet-Daâge (X 1878),
cet ingénieur, lui aussi issu du prestigieux corps des Ponts et Chaussées, est
réintégré à sa demande dans l’armée pour la défense de Paris, alors qu’il
était rayé des cadres pour limite d’âge.
Une lettre dactylographiée envoyée le 24 août 1914 au ministre de la
Guerre Messimy en dit long sur les sentiments patriotiques qui animent
celui qui n’est même plus capitaine de réserve : « Monsieur le Ministre.
Surpris par la déclaration de guerre à Panama, où j’étais allé assister à
l’inauguration du Canal interocéanique, je suis rentré en France par les
voies les plus rapides pour reprendre du service. Arrivé hier dans la nuit, je
m’empresse de me mettre à votre disposition 11. »
Sur la première partie de sa carrière, son histoire personnelle se confond
en effet avec celle du canal de Panama et du pays éponyme – Philippe
Bunau-Varilla ayant même aidé le mouvement insurrectionnel qui aboutira
à la création de la République de Panama, le 3 novembre 1903.
À la suite de sa lettre au ministre Messimy, il est affecté le 13 septembre
1914 avec le rang de chef de bataillon à l’état-major particulier du génie de
la place de Paris 12.
Il est alors employé à la reconstruction des ponts de la région parisienne
détruits lors de la bataille de la Marne 13.
Après un passage comme adjoint au commandant du génie du 14e corps
d’armée, il fait une première fois des miracles et approvisionne la cavalerie
française en eau de la Suippes, grâce à des pompes centrifuges actionnées
par des locomotives.
Le 8 septembre 1915, il est nommé chef du Service des eaux de la
2e armée, juste avant l’offensive de Champagne. Il lui sera donné seulement
deux semaines pour alimenter en eau les troupes, placées sous le
commandement de Philippe Pétain.
Des autorisations exceptionnelles lui permettent alors d’acheter à Paris
les équipements et consommables nécessaires. Il obtient également des
bons de transport, rares à l’époque.
Résultat : quinze jours après sa nomination, le 25 septembre 1915, deux
millions de litres d’eau traitée sont prêts à couler journellement et à suivre
l’armée française.
Ce fait d’armes et ceux qui suivront jusqu’à la fin de l’année 1915 lui
vaudront le 31 décembre 1915 une citation à l’ordre du général
commandant de la direction du génie des étapes de la 2e armée en ces
termes : « Officier supérieur remarquable par son intelligence et ses facultés
d’organisation. Chargé du Service des eaux dans des circonstances rendues
très difficiles par l’aridité du terrain et, sous le feu de l’ennemi, a fait face à
sa tâche avec une énergie et une compétence technique dignes d’éloges,
communiquant à tous son inlassable activité et faisant preuve des plus
sérieuses qualités d’ingénieur et de militaire 14. »
Lors de la bataille de Verdun commencée le 21 février 1916, Philippe
Bunau-Varilla s’illustrera à nouveau en apportant des solutions à un besoin
impérieux : celui de la désinfection de l’eau.
Le début d’année 1916 voit en effet l’apparition de dysenteries
amibiennes et de dysenteries bacillaires qui font des ravages parmi les
hommes. Un nouveau procédé de stérilisation devient alors fondamental
pour garantir l’approvisionnement en eau de la ligne de front.
L’ingénieur Bunau-Varilla va s’y employer et réussir à développer une
nouvelle formule de stérilisation de l’eau en campagne, les procédés
traditionnels dits de javellisation (1 à 4 milligrammes de chlore par litre
d’eau, puis ajout d’hypochlorite de sodium pour éliminer le chlore en excès
et rendre l’eau traitée buvable) étant difficilement applicables, notamment
pendant la défense de Verdun.
L’expérimentation d’un nouveau type de traitement va permettre
l’émergence d’un procédé qui fera ses preuves. Il vise à réduire le volume
de chlore ajouté à un niveau indécelable au goût, tout en garantissant une
stérilisation efficace de l’eau consommée.
Pour cela, au laboratoire de la 2e armée situé à Bar-le-Duc, Bunau-
Varilla expérimente une technique diminuant les proportions d’ajout de
chlore de 90 %, tout en détruisant intégralement les germes nocifs dont
l’eau est le vecteur. Le procédé est testé à partir d’eau brute issue de la
Meuse, mais également d’eau stagnante venant de trous d’obus.
Devant l’excellence des résultats, cette méthode va très vite être
appliquée à l’ensemble du front de Verdun.
Qui plus est, le commandant Bunau-Varilla développera ensuite
l’automatisation de son système au niveau des réservoirs, de manière à ce
que sa solution ne soit déversée dans l’eau que lorsque les robinets sont
activés. Ce sera « l’autojavellisation imperceptible », qui prendra par la
suite le nom de « verdunisation ».
À compter de septembre 1916, cette technique permettra de protéger
contre toute épidémie ou épizootie les 300 000 hommes et les 140 000
chevaux qui continueront de combattre pour sauver Verdun, assaillie par les
armées allemandes depuis le 21 février.
Mais ce qui vaudra au commandant Bunau-Varilla de terminer la guerre
avec une palme sur sa croix de guerre, c’est une citation pour blessure et
acte de courage.
Le 3 septembre 1917, à Souilly, il est sérieusement blessé à la jambe
gauche par des éclats de bombes larguées par avion, alors qu’il inspectait
les dégâts occasionnés par les bombardements sur des canalisations 15.
Évacué vers un hôpital au nord de Paris, le commandant Philippe
Bunau-Varilla terminera la guerre le 5 juillet 1918 par décision du ministre
des Armées qui lui octroie un congé sans solde, afin qu’il parte remplir une
mission aux États-Unis, une fois remis 16.
Au lendemain de la guerre, l’ingénieur Bunau-Varilla travaillera à
l’application dans le domaine civil de son procédé d’autojavellisation
imperceptible.
Au-delà de ces hommes qu’étaient Justin Godart, Alphonse Colmet-
Daâge et Philippe Bunau-Varilla, c’est également au corps des pharmaciens
auxiliaires dans son ensemble qu’il faut rendre un hommage appuyé,
compte tenu du rôle crucial que ces professionnels de la santé ont joué en
matière d’alimentation en eau durant la Grande Guerre.
La purification et la protection des points d’eau, comme le
développement des laboratoires de toxicologie, furent confiés à ces
pharmaciens. Leur fonction devait déterminer si les eaux puisées par les
troupes étaient saines au point de vue bactériologique.
L’étiquette « eau potable » ou « eau mauvaise » ensuite apposée sur les
points d’eau devenait un renseignement de grande importance pour le
soldat.
Entre mai 1915 et le début de l’année 1916, plus de 200 laboratoires de
toxicologie, rattachés aux groupes divisionnaires de brancardiers afin d’être
au plus près des troupes, furent ainsi créés pour veiller à la qualité de l’eau
prélevée et de l’eau distribuée aux soldats 17.

Expérimentations et matériels
de potabilisation durant la Grande Guerre
Malgré l’immense chagrin occasionné par les pertes humaines et les
destructions de masse, les guerres ont ceci de particulier qu’elles font
régulièrement naître des innovations, dont le monde civil sait tirer profit
une fois la paix revenue.
Le modèle de javellisation automatique type 2e armée, dit modèle
Bunau-Varilla, survivra à la guerre.
Il permettra notamment à la ville de Reims d’éviter en 1924 une
épidémie de fièvre tiphoïde dans une cité qui porte encore les séquelles des
destructions infligées par la guerre.
Ce procédé équipera également d’autres grandes villes de métropole
comme Lyon ou Paris, ainsi que d’outre-mer comme Saïgon ou Dakar.
Il s’imposera progressivement au cours des batailles de 1916 à 1918.
Dans un rapport daté du 18 décembre 1917, adressé par le chef du
Service des eaux de la 4e armée au lieutenant-colonel Colmet-Daâge,
inspecteur du Service des eaux, il est alors fait état de 105 postes d’eau,
camps ou hôpitaux alimentés avec de l’eau javellisée 18 sur les emprises
occupées par la 4e armée.
Chaque poste nécessitait un personnel du Service de santé pour son
fonctionnement. Plusieurs d’entre eux constituaient un « secteur de
javellisation », placé sous le commandement d’un pharmacien des armées.
Grâce à cette technologie, ce sont de véritables complexes dédiés à la
fourniture d’eau potable qui voient le jour ; et ce au plus près du front. Ils
furent dès le départ entourés du plus grand secret, car le risque était élevé
qu’ils fassent l’objet de bombardements ennemis s’ils étaient découverts.
En témoigne la citation obtenue par le pharmacien aide-major Legay à
l’ordre de la 5e division d’infanterie, « atteint par un éclat d’obus au cours
de l’une de ses opérations de stérilisation des eaux 19 ».
Parmi les expérimentations qui auront marqué cette guerre, il y eut
également les bateaux épurateurs avec filtres, déployés dès juillet 1915 au
profit des armées françaises par le lieutenant-colonel Colmet-Daâge.
Le principe en était simple : une pompe aspirante amenant l’eau brute
sur un bateau doté d’un clarificateur où l’eau est d’abord filtrée 20, puis
ensuite dirigée vers deux réservoirs où elle est mélangée à de l’hypochlorite
grâce à un opérateur qui respecte scrupuleusement un dosage de 3 à 4
gouttes pour 10 litres d’eau.
L’eau est alors stockée dans deux réservoirs en tôle d’une contenance de
13 mètres cubes. Le volume contenu dans chaque réservoir peut être
consommé une demi-heure seulement après traitement par hypochlorite 21 et
est refoulée par une pompe aspirante vers des barriques transportables.
Ainsi, par ce procédé, ce sont 10 mètres cubes/heure qui pouvaient être
fournis à partir de bateaux dits « flûtes de l’Ourcq 22 ».
Mais ce sont surtout les appareils de traitement commandés pour le
soutien de la troupe par le Touring Club de France qui marqueront
l’alimentation en eau des forces françaises durant la Première Guerre
mondiale.
Par lettre du 23 août 1915 23 au ministre des Armées, le président de
l’association Touring Club de France annonce que le Comité de l’œuvre du
soldat au front a voté un don de 480 000 francs pour l’acquisition de 100
voitures à eau potable, dont les premières livraisons sont prévues pour le
10 septembre 1915.
Ce projet avait été lancé à la demande expresse du général Joffre, à la
lecture des enseignements des premiers mois de conflits sur l’incapacité à
soutenir les troupes en eau. Une étude de faisabilité a alors été réalisée par
le Service des eaux du Grand Quartier général, placée sous la direction du
lieutenant-colonel Colmet-Daâge, et un cahier des charges établi.
Dès le 1er juin 1915, dans l’attente de l’arrivée de ces équipements, on
apprend que chaque voiture est destinée à équiper une division d’infanterie
ou unité de même importance 24. Conçue avec l’aval de la direction générale
du Service de santé des armées, ces voitures servies par deux brancardiers
ont précédé de quelques semaines les bateaux épurateurs précédemment
décrits.
Ces voitures fonctionnaient sur le même principe que les bateaux
épurateurs : une pompe d’aspiration, un filtre à éponge fourni par
l’entreprise Buron, deux cuves de stérilisation dans lesquelles est ajouté de
l’hypochlorite de sodium 25, une pompe de refoulement destinée à remplir
tonneaux et autres récipients avec de l’eau traitée.
Ce système de pompage et de filtration était conçu sur une capacité de
production de 3 mètres cubes/heure.
Les premières de ces 100 voitures seront officiellement livrées aux
Invalides lors d’une cérémonie le 10 septembre 1915.
Ce procédé de stérilisation de l’eau par hypochlorite de sodium sera mis
en œuvre avec succès jusqu’à la fin de la guerre par les armées françaises,
soit de manière manuelle, soit par un processus automatisé.
Le Service des eaux rattaché au Grand Quartier général sera également
conduit à s’intéresser à une nouvelle technique introduite sur le champ de
bataille, en provenance des États-Unis : une stérilisation fonctionnant à
partir de chlore liquide. Une première, non encore utilisée tant par le milieu
civil que par les armées françaises, comme le souligne une note du 30 juin
1917 26.
Le lieutenant-colonel Colmet-Daâge, accompagné du médécin principal
Dopter, attaché du GQG, se rendra le 20 octobre 1917 à Roesbrugge sur
l’Yser pour étudier le procédé d’outre-Atlantique, déjà adopté par l’armée
britannique 27. Dans un rapport de visite, l’inspecteur du Service des eaux
décrira une méthode très efficiente pour traiter des eaux particulièrement
chargées en contaminants, permettant de fournir 50 mètres cubes/jour d’une
eau claire et épurée ; mais nécessitant la présence d’un chimiste averti en
soutien aux opérations 28.
L’inspecteur du Service des eaux recommandera que trois machines de
ce type soit achetées et qu’elles soient gardées en réserve au GQG pour un
déploiement dans des zones de combat où les conditions d’eau brute sont
très dégradées.

Le combat pour l’eau sur le front d’Orient


À la suite des enseignements tirés des premiers mois d’engagement sur
le front de l’Ouest, et d’une prise de conscience du danger d’un engagement
opérationnel dans un pays aride, une étude de reconnaissance sera
entreprise par le génie du corps expéditionnaire d’Orient (CEO), commandé
par le général Gouraud 29.
Elle vise à reconnaître les puits, les fontaines et les sources de la zone
occupée par l’armée française à la suite de la bataille de Sedd-Ul-Bahr, qui
se déroule du 25 avril au 4 mai 1915 pendant l’expédition des Dardanelles.
Au cours de celle-ci, les forces franco-britanniques débarquent dans la
péninsule de Gallipoli, située dans l’Empire ottoman. La bataille de Sedd-
Ul-Bahr, en territoire turc, qui se solde par une victoire inscrite dans le pli
des drapeaux de régiments français qui y ont été engagés, va conduire à une
implantation franco-britannique durable sur un territoire faiblement pourvu
en eaux souterraine et de surface, même si el bahr signifie en arabe « le
fleuve ».
Compte tenu des faibles ressources en eau souterraine avec de
nombreux puisards à sec, un rapport d’expertise 30 prévoit la réparation
d’une conduite en fonte posée par les Turcs et l’aménagement de piquages
sur celle-ci, de même que la réalisation d’une adduction jusqu’à la ville
principale de Sedd-Ul-Bahr pour amener par pompage de l’eau de surface
issue d’un cours d’eau voisin.
Plus à l’est de l’expédition des Dardanelles, l’intervention militaire des
armées britanniques en Arabie, qui aboutit à la libération de Jérusalem du
joug ottoman, allait également être l’illustration de l’importance prise par
l’eau dans la manœuvre militaire au cours de l’année 1917.
La question de l’approvisionnement hydraulique aura en effet été une
obsession pour sir Archibald Murray, puis pour son successeur sir Edmund
Allenby, commandant les opérations de l’Egyptian Expeditionary Force
(EEF), partie reconquérir le désert du Sinaï envahi en janvier 1915 par les
troupes ottomanes désireuses de s’emparer du Caire.
Chaque pas gagné dans les sables s’accompagne alors
systématiquement de la pose d’une voie de chemin de fer, doublée d’une
canalisation hydraulique permettant d’acheminer aux troupes de l’eau du
Nil traitée par filtration.
El-Arisch, actuelle capitale du gouvernorat égyptien du Sinaï Nord, est
atteinte en juin 1917. Y sont regroupées dix divisions destinées à se lancer à
la conquête de Jérusalem, avec pour objectif de capturer la Ville sainte pour
Noël de la même année 31.
Sur la route de Jérusalem, en rejoignant en octobre 1917 l’implantation
stratégique de Beer-Sheva, « les sept puits » en langue arabe, 400 km
d’adduction 32 seront ainsi créés de toutes pièces par l’Egyptian
Expeditionary Force.
Le 11 décembre, à leur arrivée à Jérusalem, quelques jours avant
l’objectif de Noël 1917, les troupes de l’EEF comprennent également tout
l’intérêt d’apporter à la ville – qui venait de rompre avec quatre siècles de
domination ottomane – une ressource en eau nouvelle et sécurisée.
Comme l’écrit Vincent Lemire dans son remarquable ouvrage La Soif
de Jérusalem, les ingénieurs anglais, « soucieux de démontrer avec éclat la
supériorité et l’altruisme des nouveaux occupants », s’engagèrent
immédiatement dans la rénovation de l’adduction hydraulique.
Il s’agissait en effet de montrer que l’occupation britannique était « une
rupture absolue, une véritable renaissance en Terre sainte, dont l’ambition
démiurgique devait refermer la trop longue parenthèse de l’incurie
ottomane 33 ».
Dès le mois de février 1918, dans le cadre d’une loi d’exception, l’eau
de Jérusalem est ainsi placée sous contrôle militaire. Elle ne sera rendue que
le 15 février 1922 au Public Work Department, une administration civile,
puis transférée un an plus tard à la municipalité de Jérusalem.
Entre-temps, les hommes du génie militaire anglais auront accompli des
prouesses techniques.
Les ingénieurs militaires se mettent d’abord dans les pas du capitaine
Charles Wilson, fondateur du Palestine Exploration Fund, qui avait mené en
1864 la première mission de reconnaissance des Royal Engineers pour
étudier les moyens de résoudre la problématique de l’alimentation en eau de
la Ville sainte.
À la suite des travaux initiés en 1918, le Palestine Exploration Fund ne
manquera du reste pas d’évoquer cette filiation ni de mettre en perspective
les travaux entrepris sous le commandement du général sir Edmund
Allenby 34.
Les troupes britanniques doivent ainsi beaucoup aux travaux de cette
société archéologique londonienne, où les représentants des armées de Sa
Majesté étaient fort nombreux, afin notamment de collecter de précieux
renseignements de terrain, nécessaires entre autres à l’établissement des
premières cartes géographiques militaires de la région.
Mais, comme le souligne à juste titre Vincent Lemire dans son ouvrage,
l’apport de l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées Georges Franghia,
alors conseiller du ministre ottoman des Travaux publics, sera
intentionnellement passé sous silence.
Hydro-diplomatie oblige, dans un contexte où le général Allenby
s’affronte sur le partage des territoires avec le haut-commissaire français en
Palestine François Georges-Picot, et compte tenu de son besoin d’utiliser
politiquement les travaux hydrauliques qui allaient être entrepris, rien ne
sera dit des réflexions antérieures élaborées dès 1889 par cet ingénieur
ottoman, synthétisées en 1912 dans un traité de 27 pages 35.
À la faveur de ces réflexions antérieures, qu’elles émanent du Palestine
Exploration Fund ou de Georges Franghia, les ingénieurs de Sa Majesté se
mettent à l’œuvre le 12 avril 1918.
Un peu plus de deux mois plus tard, le 18 juin, après la mobilisation
d’importants moyens matériels et humains, l’eau arrive enfin à Jérusalem
depuis le bassin d’Arroub au travers d’une infrastructure qui permet de
délivrer 1 600 mètres cubes/jour en capacité maximale.
La réussite de ce chantier sera alors très largement exploitée par la
presse de l’époque, tant locale qu’internationale, contribuant à la renommée
hydraulique de l’armée d’Allenby qui dépassera le strict cadre diplomatico-
militaire ; des millions de lecteurs saluant l’œuvre britannique en Terre
sainte.
Le journaliste W. T. Massey, travaillant pour le très conservateur Daily
Telegraph, n’hésitera pas à qualifier de « triomphe » l’installation de
l’approvisionnement hydraulique, jugeant « qu’il est peu probable que la
population d’aucune ville située en zone de guerre n’ait jamais autant
profité d’une conquête que la population de Jérusalem 36 ».
Au-delà de ce discours dithyrambique qui contribue au rayonnement de
la Couronne britannique, il est manifeste que la stratégie de conquête
hydraulique du général Allenby fut un plein succès, qui bénéficia tant à ses
troupes qu’aux populations locales.
Elle rappelle en cela la politique pensée et mise en œuvre au Maroc par
un autre général de renom : Hubert Lyautey.
La réhabilitation des réseaux d’adduction et de distribution d’eau
potable, ainsi que leur construction ou leur extension, tant en milieu urbain
qu’en milieu rural, ont été jugées comme des étapes décisives par Lyautey
dans la pacification et la stabilisation du Maroc, lorsqu’il s’agissait pour lui
de « gagner les cœurs et les âmes », selon sa formule devenue célèbre.
Devenu maréchal de France, Lyautey est celui qui osa proclamer
qu’« un chantier vaut un bataillon ». Avec un arrière-grand-père
ordonnateur en chef des armées impériales, un grand-père général
d’artillerie, un père ingénieur de l’École des ponts et chaussées, Lyautey a
grandi dans une maison attenante à l’École nationale forestière de Nancy
(ancêtre de l’École des eaux et forêts). Sans doute un clin d’œil du destin.
Élève de Gallieni au Tonkin puis à Madagascar, qui accordait lui-même
une grande importance aux projets de développement et de santé publique,
Lyautey a compris mieux que quiconque ce que devait être « la stratégie de
la tache d’huile ».
Celle-ci visait à donner à la pacification d’un territoire comme le Maroc
un caractère attractif, notamment à travers de nouvelles infrastructures
d’alimentation en eau, des projets forestiers ou d’hydraulique agricole, que
mirent en œuvre des ingénieurs et techniciens du génie rural venus de
France dans le royaume chérifien à sa demande expresse.
On doit également à Lyautey la création du corps des officiers des
affaires indigènes dont la mission commandait de faire tout leur possible
pour le développement du pays où ces militaires étaient déployés :
construire des routes et des ponts, créer de nouvelles zones agricoles, ériger
des barrages et de petits canaux d’irrigation, arrêter la déforestation et
reboiser, mais également créer des écoles, des centres de soins pour les
populations et leurs animaux, ou encore siéger au tribunal coutumier.
Venant de toutes les armes et de tous les horizons professionnels, ces
officiers étaient recrutés et placés « hors cadre » avant de recevoir une
solide formation linguistique leur permettant d’acquérir les langues berbère
et arabe ; culturelle sur l’histoire et la géographie du Maroc, comme sur
l’islam et son droit coutumier ; et enfin technique, comportant des notions
de génie rural, d’agriculture, de gestion des eaux et forêts et d’exploitation
minière.
Au nombre de 194 en 1913, ils seront 600 en 1939, à la veille du second
conflit mondial 37.
Ainsi, à la lecture des enseignements de la Première Guerre mondiale,
partir en guerre sans avoir pensé à la stratégie d’approvisionnement en eau,
tant pour la troupe que pour les populations locales, sera une approche à
proscrire définitivement lors des conflits à venir.
L’entre-deux-guerres et le second conflit mondial bénéficieront des
acquis nés de ce constat, pourtant de bon sens, mais qui a beaucoup coûté
aux armées françaises durant la guerre de 14-18.

1. Maurice Genevoix, Ceux de 14, Garnier-Flammarion, 2018, page 38.


2. D’après la thèse de doctorat de pharmacie de Christophe Lévy, Les Pharmaciens et la
Première Guerre mondiale : participation aux travaux et prophylaxie, université de Clermont I,
1998.
3. Justin Godart (1871-1956) est député de Lyon et vice-président de l’Assemblée à l’entrée en
guerre. Sous-secrétaire d’État à la Guerre durant le premier conflit mondial, il sera responsable
du Service de santé militaire de 1915 à 1918. Le 14 mars 1918, il fondera la Ligue franco-anglo-
américaine contre le cancer, qui deviendra au fil des années la Ligue nationale contre le cancer.
En 1929, il participera à la création de l’hôpital Foch à Suresnes.
4. Feuillet individuel de campagne du colonel Alphonse Colmet-Daâge, résumé des notes
antérieures à l’année 1908.
5. Feuillet individuel de campagne du colonel Alphonse Colmet-Daâge, appréciation de l’année
1913.
6. Ministère de la Guerre, Service du personnel et du matériel de l’administration centrale.
Constatation de services militaires pour pension civile concernant M. Alphonse Colmet-Daâge,
né le 7 mai 1859 à Paris. Archive du 18 juillet 1925, extrait des mutations d’Alphonse Colmet-
Daâge, issues du Feuillet individuel de campagne du colonel Alphonse Colmet-Daâge.
7. Note du GQG du 4 juin 1915, citée dans le livret militaire du colonel Colmet-Daâge.
8. D’après le Bulletin des sciences pharmacologiques, mars-avril 1915. Cité par Frédéric
Médard, docteur en histoire, dans « La voirie au front », in 14-18, magazine de la Grande
Guerre, no 75, novembre 2017.
9. Inscription au tableau spécial pour officier de la Légion d’honneur. Citation du Feuillet
individuel de campagne du colonel Alphonse Colmet-Daâge. Parution au Journal officiel le
14 janvier 1916, page 399, 3e colonne.
10. Citation à l’ordre du corps d’armée, no 12.287 du 12 octobre 1918, signée pour le général
commandant en chef, par le major général, général Buat.
11. Lettre de Philippe Bunau-Varilla au ministre de la Guerre Messimy, 24 août 1914.
12. Livret matricule officier du commandant Philippe Bunau-Varilla, né le 26 juillet 1859.
13. F. Hensel, Buneau-Varilla Philippe Jean, biographie réalisée par la Société des amis de la
bibliothèque et de l’histoire de l’École polytechnique, projet « 50 fiches 1914-1918 »,
décembre 2014.
14. Relevé de note du commandant Bunau-Varilla pour l’année 1915. Citation signée du
lieutenant-colonel Dattin, directeur du génie des étapes de la 2e armée, 17 février 1916.
15. Certificat d’origine de blessure de guerre concernant le commandant Bunau-Varilla,
2e armée, état-major du QG, secteur 8, no 23, signé le 3 septembre 1917 par trois témoins de la
blessure comme il est d’usage.
16. Lettre du 19 décembre 1918 du chef de bataillon Bunau-Varilla au ministre de la Guerre,
demandant prolongation du congé sans solde octroyé le 5 juillet 1918 pour une mission aux
États-Unis.
17. D’après la thèse de doctorat de pharmacie de Christophe Lévy. « Les pharmaciens et la
Première Guerre mondiale : participation aux travaux et prophylaxie », université de Clermont I,
1998.
18. Rapport du lieutenant-colonel de génie Boisnier à l’inspecteur du Service des eaux du GQG
sur la liste des points d’eau fonctionnant avec le procédé de javellisation automatique,
18 décembre 2017.
19. Bulletin des sciences pharmacologiques, janvier-février 2016, page 21, cité dans « La voirie
au front », art. cit.
20. Les filtres étaient des produits Buron, de la société éponyme domiciliée 8, rue de l’Hôpital-
Saint-Louis à Paris, et le marché fut passé le 3 juillet 1915. Cette société existe toujours plus de
cent ans après et est un acteur de l’eau reconnu. D’après l’attestation du lieutenant-colonel
Colmet-Daâge du 28 septembre 2015, portant réception et constat de bon fonctionnement des
appareils Buron.
21. Grand Quartier général, direction de l’arrière, inspection du Service des eaux, note sur les
bateaux filtres épurateurs, 25 juillet 1915.
22. Les « flûtes de l’Ourcq » (entre 28,5 et 29,1 mètres de long, de 3,08 et 3,15 mètres de large,
pour une hauteur de 1,28 mètre étaient produites par les ateliers Rancelant & Ollivaud, basés
avenue Morillon à Choisy-le-Roi). Note du général commandant en chef au général
commandant la direction du génie des étapes de la 4e armée, GQG, direction de l’arrière, 25 août
2015.
23. Lettre du président de l’association Touring Club de France à l’attention du ministre des
Armées, 23 août 1915.
24. Grand Quartier général, division de l’arrière, note no 5593/DA du major général Pelle au
général commandant en chef, 1er juin 1915.
25. Au terme de la note no 9109/03 du 26 juin 1915 de la direction générale du Service de santé,
l’ajout d’hypochlorite est de 3 à 4 gouttes pour 10 litres contenus dans les réservoirs après
passage du filtre.
26. Grand Quartier général, division de l’arrière, note du Service des eaux, no 264/DA du
30 juin 1917.
27. Grand Quartier général, division de l’arrière, lettre du 15 octobre 1917, no 958/DA du
lieutenant-colonel Colmet-Daâge au directeur des Services de la mission militaire française
attachée auprès de l’armée britannique.
28. Grand Quartier général, division de l’arrière, note du 28 novembre 1917 du lieutenant-
colonel Colmet-Daâge en réponse à la proposition de l’entreprise Philipps & Pain.
29. Rapport du chef de bataillon Silie, commandant provisoirement le génie du corps
expéditionnaire d’Orient, concernant l’aménagement de sources, puits, abreuvoirs et lavoirs,
note du génie du CEO no 357, Sedd-Ul-Bahr, 25 mai 1915.
30. Ce type de rapport est, en beaucoup de points, identique à ceux rédigés, à un siècle
d’intervalle, par les experts hydrogéologues du Centre d’expertises des techniques de
l’infrastructure de la défense (CETID), l’ex-Service technique des bâtiments, fortifications et
travaux (STBFT), qui a notamment la responsabilité de la reconnaissance de la ressource en eau
au profit des forces déployées en opérations extérieures. Ces analyses sont régulièrement
réalisées sur le terrain par des réservistes opérationnels, issus du monde civil, qui viennent en
appui de leurs camarades d’active.
31. Ian Barnes, Crossroads of War : a Historical Atlas of the Middle East, « Palestine front
1914-1917 », page 158.
32. Jules Chancel « Avec les armées alliées à Jérusalem », L’Illustration no 3936, 10 août 1918,
cité en page 445 de Vincent Lemire, La Soif de Jérusalem : essai d’hydrohistoire (1840-1948),
Publications de la Sorbonne, 2011.
33. D’après le chapitre 8, « La mission hydraulique du général Allenby (1917-1922) de La Soif
de Jérusalem…, op. cit., page 441.
34. Voir Notes on the Jerusalem Water Supply, Palestine Exploration Fund, janvier 1919,
pages 15-27, cité page 451 de Vincent Lemire, La Soif de Jérusalem…, op. cit.
35. Distribution d’eau de la ville de Jérusalem. Projet de l’adduction des eaux d’Arroub,
Constantinople, imprimerie Gérard Frères, 1912, cité par Vincent Lemire in La Soif de
Jérusalem…, op. cit., page 455.
36. Voir « The Jerusalem Water Supply », W. T. Massey, The Daily Telegraph, 13 août 1918,
cité par Vincent Lemire, La Soif de Jérusalem…, op. cit., page 463.
37. Henry-Jean Fournier, « Le Service des affaires indigènes au Maroc », article cité page 21 du
hors-série Mémoire et vérité consacré à Lyautey, Association de soutien à l’armée française
(ASAF), 2014.
L’eau dans la manœuvre militaire de 1939
à 1945

« Sans eau, le désert n’est qu’une tombe »,


Mildred Cable,
Le Désert de Gobi, 1943

La préparation de la campagne de France


À la veille du second conflit mondial, les enseignements de 14-18
semblent avoir été retenus au sein des armées françaises.
Lors de la mobilisation générale, le 2 septembre 1939, le Grand
Quartier général met sur pied les premières Compagnies du Service des
eaux, au Centre de mobilisation du génie (CMG) no 6 d’Angers – ville qui
est toujours, quatre-vingts ans plus tard, la maison mère du génie. Elles
portent les numéros 1 à 4.
De son côté, le Centre de mobilisation du génie no 9 de Rochefort crée
les Compagnies du Service des eaux no 5, 7 et 8, tandis que le Centre de
mobilisation du génie no 4 de Grenoble, correspondant à l’armée des Alpes,
met en mouvement la Compagnie du Service des eaux no 6.
En Afrique du Nord, une même logique opérationnelle est suivie. En
Algérie sont ainsi créées les 1re et 2e Compagnies au dépôt du 19e régiment
du génie, tandis que la 3e Compagnie prend naissance en Tunisie, dépôt des
19e et 34e régiments du génie.
Si l’on s’en tient aux données disponibles pour la seule Compagnie du
Service des eaux no 6 de Grenoble, celle-ci comprendra jusqu’à
165 hommes répartis en sections de commandement et d’exploitation. Ces
sections font elles-mêmes la différence entre les groupes de purification en
charge du traitement de l’eau proprement dit, et les groupes d’installation
qui ont en charge la mise en place des réseaux de distribution.
De même, une compagnie comprend une section de transport destinée à
amener l’eau traitée au plus près des zones de combat.
Le Service des eaux, héritier de la période 14-18 et qui dépend de la
direction du Service du génie, émet également de nombreuses directives.
Celles-ci concernent par exemple l’alimentation en eau dans les zones de
cantonnement pour les troupes qui s’installent dans la « drôle de guerre 1 » ;
période du début de la Seconde Guerre mondiale se situant entre la
déclaration de guerre par le Royaume-Uni et la France à l’Allemagne nazie,
le 3 septembre 1939, et l’offensive allemande du 10 mai 1940.
On y apprend que, sauf exception, les unités doivent se raccorder au
réseau d’eau potable des villes où elles sont cantonnées, et qu’elles ne
doivent pas créer de nouveaux points d’eau par forage ou captage.
Une des préoccupations du Grand Quartier général est également de
protéger les ouvrages destinés à l’alimentation en eau des forces face aux
effets des bombardements de l’aviation ennemie.
Les gaz sont eux aussi source d’inquiétude pour les puits et les forages,
les bassins d’eau brute, les réservoirs d’eau traitée, dont il est recommandé
de munir leurs orifices d’aération de « filtres à air convenables 2 ».
On peut se demander ce que le GQG entend par là, car les technologies
de l’époque, comme la diversité des menaces provenant d’une utilisation
des gaz, permettent difficilement de mettre en place des solutions
« convenables ».
Les mêmes interrogations portent sur le besoin de protéger les
infrastructures contre les pollutions d’ordre bactériologique et de les
secourir en cas de rupture d’alimentation électrique consécutive à des
destructions.
Un autre enseignement de la Première Guerre mondiale a également été
tiré par le Grand Quartier général : celui de l’emploi de la géologie à des
fins militaires.
Dans une note signée par l’aide-major général du commandant en chef
des forces terrestres, destinée pour application à la direction du Service du
génie du GQG 3, un véritable plaidoyer est fait concernant le recours aux
géologues dans le but de préparer l’affrontement qui s’annonce.
Il est ainsi reconnu à ces experts en matière de nature des sols et des
sous-sols des qualités d’analyse qui peuvent faciliter la manœuvre
d’infanterie en favorisant notamment une implantation en terrain sec où
l’eau peut être facilement évacuée et ainsi éviter les zones boueuses, et celle
de l’artillerie pour le choix d’implantation de canons lourds qui demandent
une garantie de stabilité des sols.
Le géologue militaire est également jugé pertinent en ce qui concerne la
manœuvre de l’eau. Elle concerne à la fois l’utilisation de ses connaissances
de laboratoire et de son expertise terrain en hydrogéologie afin de
déterminer de nouveaux points de forage, mais également pour créer des
obstacles militaires par inondation.
Ceci requiert en effet une connaissance assez précise des sous-sols afin
de définir la profondeur et l’extension de barrages depuis lesquels des
masses d’eau seraient lâchées sur l’ennemi.
Il est étonnant que cette note datant de 1939 n’ait pas été écrite avant,
car la géologie militaire était devenue depuis longtemps déjà une spécialité
de pays alliés de la France, combattant à ses côtés durant le premier conflit
mondial.
Impréparation des armées françaises en 1939 ou redécouverte hâtive de
principes qui semblent pourtant être une des bases de l’art militaire ?
Les Britanniques avaient ainsi été pendant le premier conflit mondial
précurseurs dans ce besoin de connaissance des sols et sous-sols.
Le premier hydrogéologue a avoir été envoyé sur le front de l’Ouest en
avril 1915 fut le lieutenant (puis capitaine) William Bernard Robinson
(W. B. R.) King, diplômé en géologie de l’université de Cambridge en 1912
et passé par le British Geological Survey.
Il servit pendant toute la durée de la guerre sous le commandement de
l’ingénieur en chef de la British Expeditionary Force (BEF) 4 et jouera un
rôle déterminant dans la supervision de travaux de plus de quatre cents
forages réalisés pour l’alimentation en eau des troupes britanniques dans le
nord de la France et en Belgique. Il travaillera de même à l’établissement de
cartes hydrogéologiques détaillées des zones de combat alors qu’elles
n’existaient pas au sein de l’administration civile et militaire française.
À l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne en 1939, on le retrouve
professeur de géologie à l’université de Londres, après avoir enseigné à
Cambridge de 1920 à 1931 5. Il reprend alors du service à la suite de ses
fonctions passées en tant que conseiller de l’ingénieur en chef de l’armée
britannique et du 21e corps d’armée 6.
Il jouera dès lors un rôle très important durant la Seconde Guerre
mondiale, sur lequel nous serons amenés à revenir.
Avant l’offensive de mai-juin 1940, c’est donc au tour des armées
françaises d’intégrer dans leurs rangs des officiers géologues dont la
mission est au premier chef d’assumer un rôle de conseiller technique
auprès du commandement et des unités réalisant des travaux pour tout ce
qui touche à la nature des sols et sous-sols.
En hydrogéologie notamment, ces experts sont les personnes référentes
désignées pour renseigner leurs unités d’appartenance sur les conditions de
gisement d’eau potable, les possibilités de création de barrages pour générer
des inondations, et à l’inverse étudier les conditions d’assèchement d’une
zone humide 7.
Ces officiers-géologues, directement rattachés au Service des eaux de la
direction des Services du génie, sont mis à la disposition des généraux
d’armée. Ils ont dans ce cadre également vocation à assurer une
collaboration étroite avec les laboratoires de géologie civils, dont ils sont du
reste eux-mêmes la plupart du temps directement issus 8.
À ce titre, on apprend qu’à l’entrée de la France en guerre, en
septembre 1939, le Centre national de la recherche scientifique appliquée
(CNRSA), ancêtre du CNRS. a mis à la disposition des armées les
laboratoires de géologie des universités de Lille, Nancy, Besançon et
Grenoble. Chaque laboratoire a compétence sur une zone de cantonnement
des forces.
Un autre laboratoire est constitué dans la hâte à Épinal pour y regrouper
la documentation géologique de la zone de front qui était jusqu’ici
rassemblée à l’université de Strasbourg. La direction du CNRSA se tient
également à la disposition des armées pour dépêcher un géologue expert qui
a déjà travaillé avant guerre pour l’autorité militaire dans le cadre d’études
menées en Alsace et en Lorraine 9.
Malgré cette organisation bien pensée, la défaite de 1940 emportera
dans sa tempête le Service des eaux de l’armée française, pourtant
reconstitué et enrichi des apports venus de bonnes pratiques héritées du
premier conflit mondial et en particulier d’alliés, comme les Britanniques.

L’eau dans la guerre éclair allemande


Le succès de la guerre éclair des troupes allemandes en Pologne, en
France, puis plus tard en Afrique du Nord, s’explique en partie par
l’intégration de la composante eau en soutien des forces engagées.
Dès 1937, sous l’impulsion d’Ernst Kraus, professeur à l’université de
Munich, un groupe technique de géologie militaire est créé, et aboutit à la
constitution d’un service spécialisé 10.
Durant la bataille de France en mai-juin 1940, une demi-douzaine de
spécialistes en géosciences sont ainsi regroupés au sein de Wehrgeologen-
Gruppen (groupes de géologues militaires) et apportent leur concours aux
unités déployées par la réalisation de cartes stratégiques et tactiques sur la
nature des sols et des sous-sols.
Ces experts fournissent également un appui technique visant à la
sécurisation de l’approvisionnement en eau dans la phase de déploiement
des troupes, avec un objectif immédiat de mise à disposition d’eau potable,
mais aussi, dans une logique plus long terme, de cantonnement.
Le savoir-faire allemand en la matière allait ensuite parfaitement
s’illustrer lors des combats de l’Afrika Korps dans les déserts d’Afrique du
Nord.
En février 1941, quand le Grand Quartier général allemand décide
l’envoi d’une force pour aider les troupes italiennes dans leur confrontation
avec les armées britanniques, une unité de géologie militaire est également
déployée.
La Wehrgeologenstelle 12 sera ainsi de tous les combats qui seront
menés par l’Afrika Korps, allant de ses avancées en Égypte depuis la Libye
à la retraite des armées germano-italiennes après la bataille d’El Alamein le
3 novembre 1942 et jusqu’à leur reddition finale en Tunisie en mai 1943 11.
Cette unité de géologie militaire dépendait directement de Rommel, tant
le Renard du désert était convaincu de l’importance stratégique de l’eau
dans les combats qu’il devait mener. Très vite, dans la conduite de la guerre
en Afrique du Nord, le général commandant l’Afrika Korps se rendit
également compte qu’il ne pouvait compter sur les troupes italiennes pour
l’alimentation en eau de ses propres unités.
Dans un livre écrit en 1952 pour dresser un bilan des enseignements de
la guerre dans le désert – ouvrage qui servira quarante ans plus tard de
référence à l’armée américaine pour l’opération « Tempête du désert » de
1991 –, on apprend par son auteur le major général Alfred Toppe, assisté de
six officiers supérieurs et généraux ayant tous servi dans l’Afrika Korps,
qu’un Panzer avait besoin de 50 litres d’essence pour parcourir son objectif
quotidien de 100 kilomètres en milieu désertique et que 22 litres d’eau
potable étaient nécessaires à son équipage de trois personnes 12.
Pour répondre à ce défi journalier, l’Afrika Korps assignait à chaque
division des moyens d’ingénierie et de production d’eau (Divisions-
Wasserbau-Kompanie). Elles se devaient de fournir quotidiennement un
minimum de 120 mètres cubes d’eau : 100 mètres cubes pour l’eau potable
et 20 mètres cubes pour l’eau nécessaire au refroidissement des moteurs.
Cette demande en eau de 120 mètres cubes/jour était augmentée de
20 mètres cubes/jour en fonction des pics de température. Sur la base d’une
température de 30 °C à 12 h 00, les calculs d’alimentation en eau visaient
alors à attribuer à chaque soldat d’une division 5 litres/jour, plus 1 litre pour
le refroidissement des moteurs de camions et 2 litres pour le refroidissement
de ceux des véhicules blindés 13.
Pour y parvenir, au niveau d’un échelon divisionnaire deux compagnies
d’eau, ainsi qu’une compagnie spécialisée en électricité, étaient
opérationnelles.
La compagnie d’eau comprenait une section de renseignement destinée
à évoluer sur le terrain en même temps que les forces combattantes et à
déterminer les points potentiels de ravitaillement en eau, ainsi que l’état des
puits existants.
Une section de forage faisait également partie intégrante de la
compagnie spécialisée en eau ; de même qu’une section de traitement et de
transport d’eau. Pas moins de 75 camions, comprenant 85 jerricans de
20 litres chacun, étaient par exemple indispensables pour transporter les 120
à 140 mètres cubes nécessaires à l’approvisionnement quotidien en eau
d’une division.
Pour leur apporter du renfort, une unité lourde de traitement d’eau a
même été créée, comprenant notamment une compagnie de dessalement par
distillation (Kompanie für Wasserdestillation). Une première pour l’époque.
Cette unité a pu notamment produire de l’eau potable à partir d’eau
salée dès la fin de l’été 1942, afin de répondre au manque d’eau occasionné
par l’empoisonnement des puits par hydrocarbures, acte de sabotage destiné
à ralentir l’avancée allemande vers l’Égypte 14.
L’eau était donc partie intégrante de la manœuvre militaire durant la
guerre du désert.
Elle allait le devenir également pour la plus importante opération
militaire de tous les temps : « Overlord », entraînant la libération de la
France puis de l’Europe du joug hitlérien.

L’eau dans la préparation et l’exécution


du D-day
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le général Eisenhower a
pu écrire que « la Jeep, le Dakota et les péniches de débarquement sont les
trois matériels qui ont gagné la guerre ». Mais ce spécialiste de la logistique
qu’était Eisenhower aurait pu ajouter qu’il est une denrée essentielle qui a
également contribué à faire basculer le destin de l’Europe et du monde libre
au cours de l’année 1944, c’est l’alimentation en eau potable, à laquelle le
commandant suprême a apporté une attention toute particulière.
Avant que les Alliés ne débarquent sur les côtes normandes le 6 juin
1944, les ressources en eau ont fait l’objet d’un souci constant. Cette
préoccupation s’est exprimée dès la conférence de Québec d’août 1943 qui
valide le Cotentin comme zone de débarquement pour le jour J. Sans doute
les expériences des débarquements en Afrique du Nord et en Sicile ont-elles
permis de tirer les enseignements nécessaires visant à conforter la
manœuvre de l’eau dans la stratégie militaire envisagée pour la
Normandie…
Parmi les très nombreuses équations qui se posèrent aux planificateurs
de ce débarquement hors norme prévu sur 80 kilomètres de rivage, deux
concernaient l’eau potable nécessaire à une arrivée en masse des troupes
alliées sur les côtes normandes : il s’agissait d’abord de rendre les hommes
autonomes en eau sur les premières 48 heures, et d’assurer leur
ravitaillement dans les jours et semaines qui allaient suivre.
Pour ce faire, de longues et minutieuses études préparatoires allaient
être entreprises. Parmi les documents étudiés, on trouve une somme de
rapports et d’analyses récupérés en France sur la géologie et la topographie
des plages envisagées pour le débarquement, l’état des rivières quant à leur
débit et leurs variations en fonction des saisons, la profondeur des nappes
phréatiques, etc.
Deux hommes sont à l’origine de ce travail remarquable d’évaluation et
de synthèse qui a notamment permis d’aboutir à la constitution de 25 cartes
au 1:50 000e sur les ressources en eau, de Calais à Cherbourg 15.
Il s’agit du major (devenu lieutenant-colonel) W. B. R. King, vétéran
des géologues militaires de la Première Guerre mondiale, dont nous avons
déjà parlé, et du capitaine (puis major) Frederick William Shotton.
Ce dernier, engagé volontaire alors qu’il était encore étudiant en
géologie à l’université de Cambridge, a accompagné la British
Expeditionary Force en mai 1940 dans ses combats en France, puis a été
nommé comme géologue militaire en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
Il s’occupait alors de cartographier les ressources souterraines susceptibles
d’alimenter en eau les forces britanniques et supervisait les travaux de
forage des Royal Engineers pour la guerre dans le désert 16.
Son travail aux côtés du lieutenant-colonel King fut ensuite des plus
précieux pour arriver à débarquer les troupes en Normandie avec la
certitude qu’elles pourraient compter sur des ressources en eau fiables et
suffisantes.
Afin de mettre en pratique cette manœuvre de l’eau, il fut
immédiatement détaché en Normandie en tant que géologue militaire du
21e corps – comme son mentor William King l’avait été sur le front de
l’Ouest durant le premier conflit mondial.
Durant les semaines qui suivirent le jour J, les travaux de King et de
Shotton, ainsi que de leurs subordonnés, permirent la réalisation d’une
trentaine de forages sur la côte normande.
Sur la seule fin du mois de juillet, la section no 8 de forage des Royal
Engineers, qui avait été débarquée quelques jours plus tôt, le 8 juillet à
Bernières-sur-Mer, avait déjà pu rendre opérationnels quatre forages 17.
Le repérage des hydrogéologues anglais permit également une bonne
exploitation de forages communaux comme celui de la Mare Saint-Pierre à
Hermanville. Chose particulièrement rare, ce puits fut ensuite cité à l’ordre
de l’armée britannique pour avoir fourni plus de 7 millions de litres d’eau.
Ce travail de cartographie des sols et sous-sols normands fut idéalement
complété par celui d’une autre organisation, qui joua un rôle capital dans la
préparation du débarquement : l’Inter-Services Topographic Department
(ISTD).
Voulu dès 1940 par Churchill, ce service a eu très tôt la responsabilité
de cartographier les côtes et les plages de France, grâce à l’apport de
géologues experts et à une collaboration étroite avec la Résistance.
Des enseignants de l’université de Rennes furent ainsi directement, ou à
leur insu, utilisés pour fournir des données précieuses en matière de
topographie ou de constitution des sols 18.
Localisé dans la ville d’Oxford, l’ISTD avait élu domicile au sein de
l’Ashmolean Museum, un paisible musée d’antiquités, où à la veille du jour
J une maquette précise des lieux de débarquement avait été reconstituée
dans ses sous-sols 19.
Organisme de renseignement clandestin et d’analyse, l’ISTD a eu une
trajectoire parallèle et liée à celle du Special Operation Executive (SOE), le
fameux service de renseignement et d’action clandestine de Churchill, qui
avait eu lui-même comme premier domicile le musée d’Histoire naturelle
de Londres à sa création en 1940.
Il est ainsi manifeste que l’une des principales craintes de l’état-major
allié en charge de la planification du débarquement aura été la disponibilité
et l’intégrité des ressources en eau, tant les hommes en charge de la
planification attachèrent le plus grand soin à fournir de l’eau aux
combattants.
Pour les premières 48 heures suivant le jour J, une autonomie complète
en eau était recherchée, il s’agissait donc de permettre l’acheminement
d’eau potable pour les premières troupes débarquées ; soit 72 515
Britanniques, Français et Canadiens, et 57 000 Américains.
Les expériences précédentes de débarquement ont-elles fait craindre des
pollutions systématiques des puits et des réseaux urbains par les troupes
allemandes, ou leur destruction par explosifs ou bombardements ?
C’est sans doute la raison pour laquelle des bateaux dédiés au transport
d’eau, convoyant les Water Transport Companies, permirent d’acheminer
des réservoirs mobiles de plusieurs millions de mètres cubes au milieu des
7 000 navires et péniches qui participèrent au jour J.
Ces réservoirs étaient montés sur rails pour faciliter leur débarquement
dans les ports artificiels, les fameux Mulberry, dont celui d’Arromanches,
qui en quelques semaines atteindra une taille deux fois plus importante que
le port britannique de Douvres.
À ces quantités astronomiques d’eau potable en vrac s’ajoutèrent des
milliers de jerricans de 20 litres débarqués sur les plages. Ils étaient destinés
à l’alimentation opérationnelle des troupes, sur la base d’un gallon par
homme (soit 4,546 litres) et par jour, avec un supplément conventionnel
d’un gallon par homme pour prévenir tout risque.
Néanmoins, il fallut très vite trouver d’autres sources fiables
d’alimentation en eau potable sur les côtes et dans l’arrière-pays normand
pour satisfaire les besoins en eau de cette armée de libération, comprenant
cinq divisions terrestres.
C’est là que les reconnaissances et les travaux menés par les
hydrogéologues militaires anglais montrèrent toute leur pertinence.
À la fin du mois de juin, 850 000 hommes avaient été débarqués, mais
également 150 000 véhicules.
Au besoin d’eau de consommation humaine, il fallut également de l’eau
pour répondre aux besoins d’hygiène (douches, blanchisserie…), et
satisfaire à des problématiques bien spécifiques comme celles posées par
les hôpitaux de campagne vers lesquels étaient acheminés des blessés
toujours plus nombreux. Il était alors estimé que 10 gallons étaient
nécessaires par lit, soit 45 litres, dont l’alimentation était assurée par une
noria de camions-citernes.
Autre problématique que les Alliés découvrirent à leurs dépens, celle du
besoin en eau pour les pistes des aérodromes construites en un temps
record.
Dans la chaleur de l’été, les limons des sols des plateaux calcaires
normands, émiettés par les engins de terrassement, se transformèrent en
effet en redoutables poussières minérales. Ces poussières créèrent maints
ennuis pour les pilotes lors de leurs atterrissages et décollages, de même
qu’aux mécaniciens qui constatèrent de très nombreux encrassements de
moteurs et durent procéder à de nombreuses réparations imprévues.
Pour répondre à ce problème non anticipé et d’un genre nouveau, il
fallut acheminer en urgence par avion les balayeuses municipales utilisées
pour la propreté des rues de Londres, afin d’être en mesure d’humidifier en
permanence les pistes pour limiter les effets des poussières calcaires, sans
quoi la chasse et les avions de transport alliés auraient été cloués au sol 20.
Mais très vite ces équipements ne suffirent plus et il fallut créer des
stations de pompage pour acheminer l’eau depuis des forages pratiqués par
les Royal Engineers ou provenant de rivières comme la Seulles, sur laquelle
deux stations de pompage furent construites de toutes pièces par les
Britanniques à l’été 1944.
L’une de ces stations, située à Saint-Gabriel-Brécy, reste encore, plus de
soixante-dix ans après, porteuse d’une inscription grecque – ariston men
udor – qui subsiste sur son fronton. Ces mots du poète Pindare (521-441 av.
J.-C.), tirés de la Première Olympique, avaient inspiré le commandant du
groupe de sapeurs construisant la station, appartenant au 13e Airfield
Construction Group des Royal Engineers. Ils reprennent une devise qui
figurait dans les salles des bains romains de la ville de Bath en Angleterre,
non loin de laquelle cet officier avait fait ses études 21. Sa traduction signifie
que « le premier élément c’est l’eau » ou, selon une autre version, que « le
principe de tout c’est l’eau ».
Cette devise vient parfaitement conclure ce chapitre sur l’importance
prise par l’eau dans la manœuvre militaire durant la Seconde Guerre
mondiale.

1. « Note sur l’alimentation en eau des zones de cantonnement », GQG, direction du Service du
génie, Service des eaux, note no 609/C du 14 octobre 1939.
2. Annexe 1 de la note sur l’alimentation en eau des zones de cantonnement, Protection des
installations d’eau, GQG, direction du Service du génie, Service des eaux, note no 609/C du
14 octobre 1939.
3. « Instruction générale sommaire sur les applications militaires de la géologie », Grand
Quartier général, direction du Service du génie, 1939.
4. Walter E. Pittman, « American geologists at war : World War One », article cité dans
« Military Geology in War and Peace », Review of Engineering Geology, vol. XIII, 1998,
page 41.
5. Edward P. Rose, « Groundwater as a military resource : pioneering British military well
boring and hydrogeology in World War One », article cité dans Military Aspects of
Hydrogeology. E.P.F. Rose et J.D. Mather, Royal Geological Society, 2012, page 53.
6. Edward P. Rose et Claude Pareyn, « British applications of military geology for operation
Overlord and the battle of Normandy, France 1944 », cité dans « Military Geology in War and
Peace », Review of Engineering Geology, vol. XIII, 1998, page 56.
7. « Instruction pratique pour les officiers géologues », Grand Quartier général, direction du
Service du génie, note no 2639/O du 2 mars 1940.
8. Lettre du général commandant les forces terrestres au général commandant les armées,
Grand Quartier général, direction du Service du génie, 7 mars 1940.
9. Ibid.
10. D. Willig et H. Häusler, « Aspects of German military geology and groundwater
development in World War II », article cité dans « Military aspects of hydrogeology ». E.P.F.
Rose et J.D. Mather, Royal Geological Society, 2012, page 188.
11. D. Willig et H. Häusler, « Aspects of German military geology and groundwater
development in World War II », article cité dans Military Aspects of Hydrogeology, E.P.F. Rose
et J.D. Mather, Royal Geological Society, 2012, page 195.
12. Major général Alfred Toppe, Desert Warfare. German Experience in World War II, Combat
Studies Institute, 1991, rééd. University Press of the Pacific, 2004.
13. D. Willig et H. Häusler, « Aspects of German military geology and groundwater
development in World War II », article cité dans Military Aspects of Hydrogeology, E.P.F.
Rose et J.D. Mather, Royal Geological Society, 2012, page 197.
14. Major général Alfred Toppe, « Desert Warfare. German Experience in World War II »,
Combat Studies Institute, 1991, rééd. University Press of the Pacific, 2004.
15. Edward P. F. Rose, « Groundwater as a military resource : development of Royal Engineers
Boring Sections and British military hydrogeology in World War II », article cité dans Military
Aspects of Hydrogeology, E.P.F. Rose et J.D. Mather, Royal Geological Society, 2012, page 129.
16. Ibid., page 117.
17. Ibid., page 128.
18. Edward P.F. Rose et Claude Pareyn, « British applications of military geology for Operation
Overlord and the battle of Normandy, France, 1944 », article cité dans « Military Geology in
War and Peace », Review of Engineering Geology, vol XIII, 1998, page 56.
19. « L’eau : à la source de la victoire. 1944 », Agence de l’eau Seine-Normandie/National
River Authority, Thames Region, 1994.
20. L’eau : à la source de la victoire. 1944, ouvrage publié par l’Agence de l’eau Seine-
Normandie et la National Rivers Authority britannique, mai 1994, page 63.
21. Cité page 72 de L’eau : à la source de la victoire. 1944, ouvrage publié par l’Agence de
l’eau Seine-Normandie et la National Rivers Authority britannique, mai 1994.
De 1945 à nos jours, la guerre contre l’eau,
ou comment l’eau est devenue cible militaire
et terroriste

« Il doit en être des troupes à peu près comme d’une eau courante. De
même que l’eau qui coule évite les hauteurs et se hâte vers le pays plat,
de même une armée évite la force et frappe la faiblesse. »
Sun Tzu, L’Art de la guerre, « Article 6 :
Du plein et du vide », Ve siècle av. J.-C.

Dans les conflits modernes, l’eau a rapidement été perçue comme ayant
une valeur tactique, s’imposant progressivement comme une arme.
Elle fut utilisée comme telle durant les deux conflits mondiaux, puis
l’est devenue régulièrement ensuite, durant les guerres révolutionnaires
post-1945 et ce jusqu’aux violents conflits qui ont lieu, dans ce premier
quart du XXIe siècle, en Syrie, en Irak, au Yémen ou en Libye.
De nombreux exemples empruntés à l’histoire ont très certainement
influencé les concepteurs et les acteurs de ces atteintes à l’eau désormais
fréquentes.
Sans vouloir trop s’attarder sur l’Antiquité, car les exemples y sont
nombreux, cette période de l’histoire montre que l’eau et les ouvrages
hydrauliques ont été très tôt les cibles privilégiées d’actions militaires 1.
Le détournement des eaux est déjà recommandé par le stratège chinois
Sun Tzu dans L’Art de la guerre. La Chine reste en effet un empire contesté
sur l’eau, par les grandes batailles navales qui se déroulèrent sur ses
fleuves ; avec l’eau, par l’arme inondationnelle ; et pour l’eau, car si l’on
veut contrôler la Chine, il faut contrôler ses ressources hydrauliques qui
sont d’une importance stratégique et économique majeure.
D’après l’historien Jean-Nicolas Corvisier, il existe par ailleurs dans la
Grèce antique « une certaine conscience de ce qui se fait et de ce qui ne se
fait pas durant les conflits (…) : ne pas utiliser des armes interdites ; ne pas
empoisonner les eaux ; ne pas priver d’eau une Cité. (…) Toutefois, si ces
pratiques sont réprouvées, elles sont loin d’être inconnues 2 ».
Pour preuve, en 430 av. J-C, durant la deuxième année de la guerre du
Péloponnèse, Sparte fut accusée d’avoir intentionnellement pollué les
réservoirs de la ville d’Athènes ; vraie raison ou simple cause d’accélération
de l’épidémie de peste qui sévissait alors en ville. L’historien Thucydide le
rappelle en décrivant cet épisode qu’il nomme la « peste d’Athènes ». Dans
la Rome et la Perse antiques, il était également d’une pratique courante de
souiller les points d’approvisionnement en eau de l’ennemi au moyen
d’animaux morts. Cette tactique mortifère s’est poursuivie au long des
siècles.
En 1155, à la bataille de Tortona dans le Piémont, Frédéric Barberousse,
empereur germanique, empoisonnait les puits avec des cadavres 3.
Au temps des croisades, en 1187, Saladin eut également raison des
chevaliers chrétiens en polluant systématiquement les puits sur leur chemin
et en détruisant les villages maronites qui auraient pu ravitailler les croisés
en eau.
Plus proche de nous, lors de leur avancée en Russie en 1812, les troupes
napoléoniennes durent affronter la politique de la terre brûlée ordonnée par
le tsar Alexandre Ier. Sur ordre de son gouverneur, Moscou avait été mis à
feu. Pas une pompe à eau n’était disponible pour éteindre une série
d’incendies volontaires. Seule une pluie providentielle permettra de mettre
un terme provisoire à cette initiative d’autodestruction. Sur ordre du tsar, les
puits et les réservoirs avaient également été sabotés et volontairement
pollués par les partisans russes.
Rien d’étonnant donc à ce que les armées allemandes, dans leur retraite
d’Afrique australe en 1917, polluent à leur tour l’ensemble des sources
d’alimentation en eau de la ville de Windhoek en Namibie, alors colonie
allemande.
Même logique sur le front occidental avec des pollutions et des
destructions systématiques quand les armées allemandes se retirèrent
derrière la ligne Siegfried en 1917. L’opération « Alberich » allait ainsi
conduire sur plus de 30 kilomètres à une politique de destructions et
pollutions massives qui rappelait en cela celle menée par les Russes contre
les troupes de l’Empereur un siècle plus tôt.
Mais les deux guerres mondiales susciteront bien d’autres utilisations de
l’eau comme arme de guerre. Il s’agira par exemple de lutter contre
l’ennemi par l’inondation.

L’inondation comme arme de destruction


Durant la bataille des Flandres à l’automne 1914, les forces allemandes,
sur le point de submerger les défenses franco-anglo-belges, furent arrêtées
in extremis après que les écluses de Furnes et les vannes du Noordvaart
eurent été ouvertes, provoquant une inondation générale 4.
À la veille du second conflit mondial, la ligne Maginot, comprenant une
succession d’ouvrages enterrés conçus pour empêcher une invasion du
territoire national, se doublait d’une barrière aquatique dans le secteur
défensif de la Sarre.
Par des aménagements opérés de 1935 à 1940 (construction de
barrages-réservoirs, de digues de retenue…), cette stratégie visait à utiliser
les cours d’eau et les rivières naturelles en les transformant en zones
inondables afin de combler un vide entre deux régions fortifiées – celle de
Metz et celle de la Lauter – et de limiter ainsi le coût et l’ampleur de
travaux d’infrastructures.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les bombardements de masse
montreront à leur tour leur efficacité mortelle, mais également leur capacité
à cibler des infrastructures vitales que sont les ouvrages hydrauliques. Le
but était ici de noyer le potentiel économique de l’adversaire en provoquant
le maximum de dommages matériels et humains.
Ce fut la stratégie des Dambusters (littéralement « briseurs de
barrages ») du 617 Squadron de la Royal Air Force, dont la devise est restée
depuis en français, « Après moi le déluge », avec comme emblème la
destruction d’un ouvrage hydraulique.
Les bombardiers du 617 Squadron étaient alors équipés de bombes
spécialement conçues pour détruire des barrages. Celles-ci étaient en forme
de tonneaux, et tournoyaient sur elles-mêmes à plus de 500 tours/minute.
Lâchées à basse altitude et à la bonne vitesse, elles rebondissaient alors à la
surface de l’eau avant de couler au niveau du tablier du barrage et
d’exploser.
La plus célèbre des opérations du 617 Squadron fut l’opération
« Chastise » où les équipages atteignirent leur objectif : les retenues des
barrages de Möhne et d’Eder déversèrent près de 330 millions de mètres
cubes d’eau dans la région occidentale de la Ruhr. Jusqu’à environ
80 kilomètres en aval des plans d’eau, des habitations, des mines, des
usines, des chemins de fer et des ponts furent emportés et détruits.
En matière de distribution d’eau potable et de génération électrique, de
très fortes perturbations s’ensuivirent également. Au 17 mai 1943, date du
raid, la production d’eau potable de cette région était de un million de
mètres cubes. Elle diminua de 75 % après l’attaque.
Les conséquences en matière de génération hydroélectrique furent
également très importantes avec la perte totale de deux stations, et de cinq
autres sévèrement touchées qui affectèrent en particulier les capacités de
production d’armement de la Ruhr 5.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, l’inondation fut également utilisée
comme un moyen de défense. Les forces armées allemandes défendirent
ainsi très chèrement leurs positions en Italie en inondant les marais pontins
ou en libérant les eaux du barrage Isoletta sur la rivière Liri, alors que
l’infanterie britannique cherchait précisément à traverser le fleuve
Garigliano situé en contrebas 6.
Durant les prémices du second conflit mondial, en Extrême-Orient, le
nationaliste chinois Chang Kaï-chek avait également fait dynamiter des
digues sur le fleuve Jaune pour arrêter la progression de l’armée japonaise,
provoquant une inondation massive de 50 000 km2 et des dizaines de
milliers de morts 7.
Plus près de nous, durant la guerre du Vietnam, les États-Unis eurent à
leur tour pour stratégie de cibler digues et barrages dans le but de venir à
bout des forces du Vietminh et de leur logistique de fer 8.
À la fin des années 70, durant une conférence diplomatique sur le
besoin de réaffirmer et de développer les lois internationales humanitaires
applicables en cas de conflit 9, ces pratiques furent dénoncées par le délégué
de la République populaire du Vietnam. Selon lui, les bombardements
systématiques opérés par les forces américaines sur les barrages et les
digues du Nord-Vietnam avaient eu le même impact sur les populations que
l’effet d’une bombe à hydrogène.
Mais c’est une autre tactique, plus confidentielle cette fois, qui sera
initiée par l’armée américaine. Elle visera à faire pleuvoir sur l’adversaire.
Né à la fin des années 40 et prénommé CIRRUS, ce programme visait à
expérimenter les premières techniques d’ensemencement de nuages (cloud
seeding) avec des produits chimiques.
Durant la guerre du Vietnam, l’état-major américain appliquera ces
technologies avec pour objectif d’inonder la piste Ho Chi Minh par de
fortes pluies et ainsi ralentir la progression des colonnes logistiques des
soldats nord-vietnamiens. De l’iodure d’argent fut dispersée par voie
aérienne dans les basses couches nuageuses. Les résultats furent jugés
suffisamment satisfaisants par le Pentagone pour que l’opération soit
poursuivie de 1967 à 1972.
Aujourd’hui, c’est l’armée chinoise qui semble être passée maître dans
ces techniques. L’ensemencement de nuages remonte à 1958 en Chine, où il
avait alors pour seul objectif de faire pleuvoir pour approvisionner en eau.
Puis, l’éventail des missions possibles n’a cessé de s’agrandir : lutte contre
les incendies de forêts, remplissage de retenues naturelles, ou encore
prévention des orages de grêle.
Mais ces dernières années, le recours à cette technologie a surtout visé à
éviter que la pluie ne vienne gâcher les cérémonies officielles. Avec le
recul, il apparaît en effet que, durant les JO de Pékin en 2008, vingt zones
furent établies autour de la capitale chinoise pour lancer des fusées
contenant de l’iodure d’argent afin qu’elles détonent dans les nuages, et
qu’elles permettent ainsi d’éviter que la cérémonie d’ouverture des jeux ne
soit perturbée par la pluie.
En 2009, lors du 60e anniversaire de la création du Parti communiste
chinois, 1 100 roquettes auraient également été tirées pour que la pluie ne
vienne gâcher les festivités et la parade militaire 10.
Si les effets à court terme (éviter la pluie ou faire pleuvoir) sont
manifestes, les effets à long terme de ces technologies modifiant le climat à
un instant T devraient à l’évidence faire l’objet d’études approfondies sur
les conséquences locales ou régionales à attendre de telles pratiques. Il n’est
en effet pas bon pour l’homme de chercher ainsi à modifier la nature et à
dominer le climat pour satisfaire son désir individuel ou quelques ambitions
collectives.
Mais dans ce monde, d’autres objets attisent également la convoitise des
puissants.

Les barrages : instruments de puissance


et cible militaire
L’historien et géopolitologue allemand Karl Wittfogel écrivait que l’eau
avait toujours été un outil privilégié de contrôle des sociétés dans le monde
arabe. Il qualifiait ainsi de « despotisme oriental », titre de l’ouvrage qu’il
publia en 1957, la forme de pouvoir central, déterminée par les nécessités
imposées à un pouvoir bureaucratique, lui-même confronté à la rareté des
ressources en eau 11.
L’analyse de Wittfogel délaisse progressivement le terme de « société
orientale » au profit d’expressions qu’il juge plus appropriées comme
« société hydraulique » et « civilisation hydraulique », constatant que les
pouvoirs orientaux tirent leur puissance absolue de la maîtrise et du partage
de la ressource en eau dans des régions en situation de déficit hydrique.
Il définit alors le despotisme oriental, ou despotisme hydraulique,
comme une forme de pouvoir directorial qui exerce, par le biais d’une
bureaucratie puissante associée à la religion dominante, un contrôle total sur
la société.
Du Proche-Orient à la Chine, les despotes orientaux imposent ainsi leur
pouvoir et leur domination en devenant de grands bâtisseurs d’ouvrages
hydrauliques 12.
En combinant beauté, utilité et massivité architecturale, les
infrastructures hydrauliques, associées à des jardins, temples, palais,
tombeaux, routes et autres fortifications, participent au rayonnement du
despote tout en servant officiellement la population.
Dans la seconde partie du XXe siècle, fidèles à ces principes, de
nombreux dirigeants d’États arabes se sont lancés dans la construction de
périmètres irrigués et de grands barrages suivant une « stratégie politique
visant à contrôler l’espace, l’eau et les personnes 13 ».
La famille el-Assad en Syrie – à la fois Havez puis son fils Bachar –
s’inscrit pleinement dans cet esprit. Le système répressif de leur pays s’est
en effet accompagné d’un ensemble d’aménagements hydroagricoles de
plusieurs centaines de milliers d’hectares qui a été voulu comme une vitrine
de la politique de développement du régime baasiste.
Avec l’aide soviétique, le pays lança ainsi en 1968 la construction du
barrage de Tabqa sur l’Euphrate, qui fut achevée en 1973. Elle allait
permettre de stocker 12 milliards de mètres cubes sur un lac, recevant tout
naturellement le nom d’Assad, afin de créer un périmètre irrigué d’une
importance inégalée jusque-là dans ce pays.
Mais ce qui se voulait à l’époque un moyen pour la Syrie d’atteindre
l’autosuffisance alimentaire était également vu comme une réponse
stratégique au péril que présentait pour Havez el-Assad la construction du
GAP côté turc. Dans la logique d’une grande tradition hydraulique
kémaliste, le programme GAP (Güneydogu Anadolu Projesi – littéralement
projet de l’Anatolie du Sud-Est), lancé en 1976, visait quant à lui à utiliser
les eaux du Tigre et de l’Euphrate pour créer de multiples surfaces irriguées
dans le sud-est de la Turquie et générer d’importantes capacités
hydroélectriques 14.
Havez el-Assad considérait le programme turc comme une menace
grave pour la sécurité et la souveraineté du peuple syrien, allié des
soviétiques, et une preuve supplémentaire de l’hostilité anti-arabe de la part
d’une Turquie alors pays partenaire des Occidentaux et membre de
l’OTAN.
Pour le tout-puissant dirigeant syrien, le programme GAP s’inscrivait
également dans le prolongement de la vieille rivalité syro-turque qui tirait
son origine de l’annexion, en 1516, de la Syrie par les Ottomans, après la
prise de Constantinople ; ce jusqu’au lendemain de la Première Guerre
mondiale.
Le régime syrien n’eut, depuis lors, de cesse de dénoncer les visées
turques sur le cours supérieur de l’Euphrate, tout en aménageant lui-même
son cours inférieur au grand dam de son voisin irakien, situé en aval du
fleuve. L’aménagement syrien du cours de l’Euphrate a en effet rendu très
compliquées les relations entre la Syrie et l’Irak.
À de nombreuses reprises, dès la fin de la construction du barrage de
Tabqa en 1973, des accusations de Bagdad visèrent Damas, réveillant
également une vieille rivalité syro-irakienne, qui remonte elle au VIIIe siècle
quand la cité abbasside de Bagdad voulait effacer le rayonnement de
Damas, l’omeyyade.
Durant le siècle dernier, jusqu’au cœur du conflit Iran-Irak des
années 80, la Syrie jouera ainsi contre le régime irakien, et n’hésitera pas à
utiliser à son tour l’eau comme moyen de pression. Elle invoquera
régulièrement des problèmes techniques pour justifier un débit de
l’Euphrate moins important s’écoulant vers l’Irak, alors même que la Syrie
était tenue de garantir à son voisin aval un débit minimum.
En réponse, Saddam Hussein, le raïs irakien, n’hésitera pas à menacer la
Syrie des pires représailles, tout en incarnant également de son côté à
merveille le concept de despotisme oriental. Sur le même modèle qu’Havez
el-Assad, il appuya en effet sa stratégie de domination des masses en se
référant à une longue tradition d’aménagements hydrauliques en
Mésopotamie.
Au XXe siècle, par exemple, l’Irak entrera dans la modernité grâce à une
politique de grands barrages. Dès 1911, un expert britannique, sir William
Willcocks, apportait son savoir-faire à ce pays, alors sous domination
ottomane.
Ancien du service des Indes, précédemment directeur des réservoirs
d’Égypte, cet ingénieur était devenu le directeur du département d’irrigation
du gouvernement ottoman. Dans le cadre de ses fonctions, il construisit
notamment le barrage d’Hindiya sur le fleuve Euphrate, près de l’antique
cité de Babylone, qui permit d’irriguer 14,2 km2 de terres.
L’Irak moderne, qui accède à l’indépendance en octobre 1932,
confirmera la tendance initiée au lendemain de la Première Guerre
mondiale quand le pays fut placé sous mandat britannique.
De nombreux aménagements vont permettre de poursuivre deux
objectifs. D’abord, celui de disposer de terres irriguées en abondance. En
1939, le barrage de Kut est ainsi achevé sur le Tigre, permettant à des
réseaux partant de l’ouvrage d’irriguer un ensemble de terres jusque-là
improductives.
Ensuite, le second objectif recherché est de dompter les eaux de
l’Euphrate et du Tigre, reconnues pour leur capacité de débordement. Le
barrage de Ramadi achevé en 1956 permet ainsi de détourner les eaux de
l’Euphrate vers les dépressions naturelles d’Abu Dibis et d’Habaniya,
situées au sud de la ville, autorisant une capacité de stockage
supplémentaire 15.
Mais, depuis ces programmes d’aménagement, menés au XXe siècle, il
semble que le siècle suivant ait permis une autre utilisation que civile et
politique des barrages. Elle fut cette fois de nature militaire et terroriste.
Dès février 2013, la stratégie de Daech en Syrie visera ainsi à
systématiquement cibler les ouvrages hydrauliques.
Sur l’Euphrate, le barrage de Baath sera d’abord occupé par Daech. Il
dessert Raqqa et représente 60 % de l’alimentation en eau de la Syrie. Puis
ce sera le tour de celui de Tabqa, le plus grand de Syrie qui retient le lac
Assad, fournissant en eau et en électricité Alep.
Situé sur le Tigre en territoire irakien, le barrage Saddam fut ensuite
ciblé en août 2014. Son occupation par l’État islamique devint
immédiatement source de préoccupation majeure pour le Pentagone et la
communauté internationale, compte tenu de son état de vétusté avancé et de
sa conception initiale contestée.
Daech le contrôlant, il représentait une menace particulièrement grave
pour la ville de Mossoul et ses 1,7 million d’habitants, situés en aval. En cas
de rupture accidentelle ou intentionnelle, on aurait assisté à un véritable
tsunami, détruisant tout sur son passage et provoquant des pertes humaines
incalculables. Par ailleurs, son contrôle par Daech revêtait une importance
stratégique indéniable ; le barrage Saddam étant le plus important d’Irak et
fournissant 45 % de l’électricité du pays.
Ces ouvrages essentiels à la vie vont ainsi devenir progressivement
otages de l’armée islamique, offrant un moyen de pression supplémentaire
contre les populations déjà soumises par les armes ou contre celles qui ne
l’étaient pas encore.
Comme au Moyen Âge où il était question d’assiéger les villes fortifiées
en leur coupant toute alimentation en vivres, occuper un barrage a
notamment donné à Daech la capacité d’interrompre l’alimentation en eau
et la fourniture d’électricité destinée aux populations jugées hostiles ou
mécréantes.
À l’inverse, cette stratégie a permis à l’armée islamique de soutenir son
effort de guerre en fournissant une alimentation continue en eau et
électricité aux villes soumises, et de régner ainsi sur les esprits. Ce fut en
particulier le cas à Raqqa, fief de l’État islamique.
En fournissant ce service essentiel, Daech se faisait également
rémunérer. L’eau et l’électricité sont devenues sources de revenus non
négligeables pour le budget de l’État islamique, au même titre que le trafic
de pétrole brut ou celui d’êtres humains 16.
Mais la stratégie de prise en otage systématique d’ouvrages critiques par
Daech était également à n’en pas douter dictée par la possibilité de les
utiliser à terme comme arme de destruction massive.
En cas de politique de la terre brûlée, il était en effet à craindre que les
ouvrages hydrauliques soient détruits, pour retarder toute avancée terrestre
des forces de la coalition et des armées loyalistes, qu’elles soient irakiennes
ou syriennes, et punir les populations d’un jugement divin, rappelant sans
doute en cela le fameux épisode du déluge qu’on trouve dans le Coran 17.
Mais les barrages ne sont pas les seuls ouvrages à être désormais otages
ou cibles de conflits de forte intensité.

Menaces sur les ouvrages de dessalement


Le dessalement est un mythe qui est devenu réalité en l’espace de
cinquante ans.
Si, depuis toujours, les hommes ont intégré dans leur imaginaire
collectif l’idée d’utiliser l’eau de mer pour étancher leur soif, la technologie
a permis ce miracle à un coût devenu aujourd’hui acceptable.
Selon les zones d’implantation, la nature de l’eau de mer et le coût de
l’énergie, le mètre cube produit coûte de 0,30 euro à 0,91 euro/mètre cube
par osmose inverse et 0,46 euro à 1,83 euro/mètre cube par voie de
distillation 18.
La technologie de l’osmose inverse, qui constituait 20 % des unités de
production au début des années 80, s’impose aujourd’hui largement devant
les procédés de distillation, avec 60 % des unités de production.
L’eau salée pénètre ainsi à une extrémité de la membrane sous une
pression de 80 bars, et après passage membranaire, l’eau ressort débarrassée
de 99 % de son sel. Le processus par distillation utilise quant à lui
l’évaporation, via chauffage thermique, pour séparer l’eau des impuretés du
sel.
Grâce à la progression du procédé d’osmose inverse et à ses
développements successifs, la consommation énergétique rapportée au
mètre cube d’eau produit est passée respectivement d’une valeur de
7 kWh/mètre cube dans les années 70 à des valeurs de 3 à 6 kWh/mètre
cube dans les années 90, jusqu’à atteindre 2 kWh/mètre cube
actuellement 19.
Ceci explique que bien qu’un peu moins de 1,5 % de l’eau potable
consommée dans le monde soit produite à partir du dessalement, les
perspectives offertes par cette technologie soient exponentielles.
Le dessalement est devenu stratégique dans certaines parties du monde,
et en particulier dans les États du Golfe. C’est dans cette région que se
trouvent en effet 60 % des capacités installées dans le monde.
À lui seul le royaume d’Arabie saoudite assure environ la moitié de la
production mondiale.
Représentant déjà les deux tiers de la capacité nationale de production
d’eau potable, la part du dessalement dans le mixt d’approvisionnement en
eau de l’Arabie est encore amenée à croître dans les années à venir en
raison d’une raréfaction grandissante des eaux souterraines.
Des projets ont été annoncés en ce sens par la Saline Water Conversion
Corporation (SWCC), agence publique saoudienne à qui revient la
responsabilité de cette production essentielle au royaume. La SWCC
prévoit ainsi de dépasser une production d’eau dessalée de 7,3 millions de
mètres cubes/jour en 2020.
Cet essor du dessalement en Arabie comme dans d’autres pays du Golfe
s’accompagne cependant d’un bémol que la situation sécuritaire régionale
incite à prendre très sérieusement en considération. Depuis la première
guerre du Golfe, l’Arabie saoudite est en effet très consciente que le
dessalement qui est devenu sa force est également sa faiblesse.
En 1991, le royaume a ainsi envisagé de fermer certaines de ses stations
de dessalement comme Ras al-Khafji, al-Jubail et al-Khobar devant la
propagation d’une marée noire délibérément provoquée par les forces
irakiennes en mer d’Arabie.
Le 20 janvier 1991, cinq tankers avaient déchargé près de trois millions
de barils de pétrole brut dans le port koweïtien de Mina al-Ahmadi. Dans le
même temps, une conduite sous-marine avait été sabotée et avait déversé
son contenu en mer, à quelques kilomètres des côtes du Koweït 20.
Cette mer d’Arabie, quasi fermée, également appelée golfe Persique,
représente ainsi une vraie vulnérabilité pour le maintien de
l’approvisionnement en eau du royaume, à la lecture des tensions régionales
entre l’Arabie saoudite et son voisin sunnite le Qatar d’une part, mais
surtout entre le royaume saoudien et l’Iran chiite voisin.
Ceci explique en partie les annonces faites au début de l’année 2018 par
le prince héritier Mohammed ben Salmane au sujet de la construction de
neuf nouvelles stations de dessalement d’ici 2020, venant s’ajouter au 27
installations déjà existantes 21.
Celles-ci seront cette fois situées sur la mer Rouge à proximité de
Djeddah pour soutenir le développement du grand ouest saoudien, mais
également pour s’éloigner de la mer d’Arabie qui concentre actuellement la
majeure partie des capacités saoudiennes de production d’eau dessalée.
La même inquiétude et le même souci de prévoyance sont perceptibles
chez les voisins de l’Arabie, également membres du Conseil de coopération
du Golfe 22.
Le Qatar, dont l’alimentation en eau dépend à 99 % de deux stations de
dessalement, a décidé la construction de méga réservoirs destinés à doter
l’Émirat d’un stock stratégique d’eau potable en cas d’incapacité à faire
tourner ses stations de dessalement suite à un problème technique, une
pollution chimique accidentelle ou intentionnelle de l’eau de mer, un
sabotage incapacitant ou même un acte de cybermalveillance.
Ce sont 10 millions de mètres cubes d’eau douce qui sont ainsi prévus
pour être emprisonnés à travers un ensemble de vingt-quatre constructions
hors norme. Une fois construits, ces réservoirs seront les plus importants au
monde et viendront supplanter l’actuel record mondial, inscrit au Guinness
Book, avec les Briman Strategic Water Reservoir saoudiens ; ouvrages
situés dans la province de Djeddah, faisant 120 mètres de diamètre pour
18 mètres de haut. Ils ont une contenance inégalée à ce jour avec un peu
plus de 2 millions de mètres cubes d’eau dessalée stockée.
Pour répondre à toute problématique d’urgence en matière de
dessalement, les Émirats arabes unis ont de leur côté fait un choix quelque
peu différent à travers le Liwa Strategic Water Storage and Recovery
Project (SWSR).
Les Émiratis entendent ici profiter de la géologie de leur sous-sol pour
injecter et garder prisonnière une quantité d’eau estimée à 23 millions de
mètres cubes 23. Elle servira à répondre à des situations de crise nées de
l’interruption des stations de dessalement ; ce afin d’être en mesure de
fournir à Abu Dhabi 181 800 mètres cubes/jour en alimentation de secours
pendant trois mois.
Si l’essor du dessalement ne fait aucun doute, avec 50 % de la
population mondiale vivant à moins de 100 kilomètres de la mer (soit plus
de 3,7 milliards d’individus) et 42 villes de plus de un million d’habitants
sans accès direct à des ressources supplémentaires en eau douce situées à
cette distance, il paraît en revanche écrit que le recours à cette technologie
devra dorénavant s’accompagner d’une démarche structurée visant à
renforcer la résilience et la robustesse des installations contre toute crise
accidentelle ou acte délibéré d’origine terroriste ou criminelle.

Vulnérabilités des conduites de transfert


et des systèmes de commande-contrôle
Si le dessalement est pour un pays comme l’Arabie une source
exponentielle d’approvisionnement en eau, les conduites de transfert
représentent in fine le moyen stratégique de transporter l’eau dessalée
jusqu’au point de consommation final.
Une ville comme Riyadh, située en plein désert et à 900 mètres
d’altitude, est ainsi alimentée par trois conduites vitales, les water
transmission lines, qui permettent d’acheminer l’eau dessalée depuis la côte
est de l’Arabie sur plus de quatre cents kilomètres, et ce à grand renfort
d’énergie pour en assurer le pompage.
Les lignes A et B sont entrées en opération en 1983 et connues sous le
nom de Riyadh Water Transmission System et transportent environ
830 000 mètres cubes d’eau dessalée par jour en provenance de la station de
dessalement de Jubail, à travers 466 kilomètres et six stations de pompage.
La ligne C est entrée en opération en 1995, et transporte à elle seule
380 000 mètres cubes d’eau dessalée par jour, également en provenance de
Jubail, sur une distance de 390 kilomètres à travers quatre stations de
pompage.
Mais afin de sécuriser encore plus l’alimentation en eau de la capitale
saoudienne et de ses 8 millions d’habitants attendus en 2020, et de répondre
à toute éventualité ou contingence sur le site de dessalement de Jubail
(pollution marine accidentelle ou provoquée, casse technique ou acte de
sabotage), il a été décidé d’adjoindre à ces transferts – qui sont déjà parmi
les plus longs au monde – une quatrième conduite.
Celle-ci relie désormais la capitale saoudienne à la nouvelle station de
dessalement de Ras al-Khair (également appelée Ras Azzour) qui a permis
de doubler la capacité d’alimentation en eau de Riyadh en la portant de 1,6
million à 2,4 millions de mètres cubes/jour, et de transporter 950 000 mètres
cubes/jour à travers trois stations de pompage sur une distance de
460 kilomètres.
Ces conduites de transfert sont ainsi devenues des infrastructures
critiques ayant pour objectif crucial de répondre aux impératifs de sécurité
hydraulique du centre de décision politique et économique du royaume
d’Arabie saoudite, face à toute éventualité sécuritaire.
Parmi ces éventualités, il y a celle de la menace de tirs de missiles ou
des drones piégés visant des complexes pétrochimiques saoudiens, comme
ce fut le cas en septembre 2019.
Il s’agit également d’actes de cybermalveillance qui viendraient par
exemple paralyser les transferts en agissant sur les systèmes de commande
et de contrôle régissant les pompages, via un déni de service, une prise en
main à distance, ou un malware.
Un certain nombre de risques pesant sur les systèmes d’informatique
industrielle s’avèrent en effet dorénavant bien réels. Ainsi, début août 2012,
la société saoudienne Aramco fut victime d’une attaque informatique de
grande ampleur, rendant indisponibles 30 000 postes de travail. Le logiciel
malveillant utilisé, Shamoon, avait été conçu pour effacer des données,
jusqu’au master boot record (MBR), interdisant le démarrage des machines
concernées. Le même virus atteignit également l’opérateur qatari RasGas, le
deuxième plus important producteur de gaz naturel liquéfié au monde, à la
fin du mois d’août 2012.
Ces attaques faisaient écho à la découverte en juillet 2010 du ver
Stuxnet, spécialement conçu pour infecter des systèmes SCADA
(Supervisory Control And Data Acquisition) régissant des réseaux
d’informatique industrielle iraniens. Stuxnet exploitait une faille de
Windows et se propageait via des clefs USB préalablement contaminées dès
lors qu’elles étaient connectées au PC, même si celui-ci était à jour en
termes d’antivirus et de correctifs de sécurité.
Dans une autre zone de tension, le 23 décembre 2015, en plein conflit
militaire entre la Russie et l’Ukraine à propos du Donbass, les habitants de
la région d’Ivano-Frankivsk, dans l’ouest de l’Ukraine, se sont retrouvés
sans électricité, à la suite d’un acte de piratage informatique qui a fait
tomber les réseaux de plusieurs compagnies énergétiques.
Les techniciens de la compagnie régionale de distribution d’électricité
ont vu soudainement sur leurs écrans des hackeurs prendre le contrôle de
plusieurs coupe-circuits dans un transformateur.
Le même procédé s’est répété dans deux autres sociétés locales, puis un
an plus tard, également en plein froid hivernal, au sein même de la ville de
Kiev, où, pendant une demi-heure, des quartiers entiers ont été privés
d’électricité suite à une cyberattaque. L’origine de ces piratages
informatiques n’a fait aucun doute pour les experts américains envoyés en
soutien de l’Ukraine, comme pour leurs collègues d’organisations
internationales telles que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en
Europe (OSCE) et l’OTAN.
Depuis l’élection présidentielle anticipée de 2014, qui devait désigner
un successeur au prorusse Viktor Ianoukovitch, après la répression de
Maïdan, il semble que, dans le conflit hydride entre la Russie et l’Ukraine,
la cyberguerre contre les infrastructures critiques délivrant des services
essentiels à la vie soit devenue une stratégie militaire bien établie.
Conjuguée à des techniques de désinformation et de propagande que la
guerre froide ne renierait pas, elle vise à démontrer que le pays cible est
incapable de gérer efficacement des infrastructures qui sont vitales aux
populations et aux clients sensibles que sont les hôpitaux.
Dans le même ordre d’idée, l’affrontement diffus et permanent entre
Iran et Israël a eu pour la première fois comme cible le système de contrôle-
commande d’une infrastructure en eau, celui du National Water Carrier.
Les 24 et 25 avril 2020, en pleine crise Covid-19, le système
informatique régissant ce canal à ciel ouvert, commencé en 1953 et achevé
en 1964 pour alimenter tout le pays en eau brute depuis le lac de Tibériade
jusqu’au nord du désert du Néguev, faisait l’objet d’une attaque
informatique visant à contrôler le flux d’eau transporté par cette
infrastructure. Les systèmes informatiques de stations de traitement d’eaux
usées étaient également ciblés par cette cyberattaque d’envergure menée à
partir de serveurs européens et américains, mais attribuée à l’Iran.
Les cybermenaces sur les systèmes d’information industriels du Moyen-
Orient, comme ailleurs dans le monde, se doivent ainsi d’être
impérativement mieux prises en compte.
C’est ce à quoi la France prépare ses opérateurs d’importance vitale à
travers la loi de programmation militaire (LPM) 24.
Dans le domaine de l’eau potable, un arrêté fixant les règles de sécurité
et les modalités de déclaration des incidents de sécurité relatives au secteur
d’activité d’importance vitale, « Gestion de l’eau », est paru le 17 juin
2016.
Il impose à l’opérateur d’eau potable désigné opérateur d’importance
vitale (OIV) de déclarer à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes
d’information (ANSSI) les systèmes d’information dits d’importance vitale
(SIIV) qu’il opère, et de mettre en œuvre un plan d’action afin que ceux-ci
soient en conformité avec les vingt règles de sécurité imposées par l’arrêté
d’application.
La directive NIS, votée le 5 juillet 2017 par le Parlement européen,
prévoit quant à elle des obligations en matière de sécurité logique des
systèmes régissant les opérateurs de services essentiels (OSE) européens
dans des secteurs tels que ceux de l’énergie, des transports, de la santé, des
services bancaires et de l’approvisionnement en eau potable. Elle est
transposable en droit français depuis avril 2018 et vient en renfort de la
LPM votée en 2013.
Mais au-delà des problématiques de sûreté logique pouvant affecter les
conduites de transfert et l’électricité qui est nécessaire à leurs moyens de
pompage, ces infrastructures critiques sont également à la merci d’actes
malveillants susceptibles de porter atteinte à l’intégrité physique des
systèmes.
Deux systèmes de transfert apparaissent de ce point de vue plus
vulnérables que d’autres dans le contexte de pression qu’exerce la demande
locale en eau : le transfert de Disi à Amman en Jordanie et celui de la
grande rivière artificielle en Libye.
La Jordanie fait face à un déficit hydrique annuel de l’ordre de 500
millions de mètres cubes, ce qui a poussé les autorités à développer le
gigantesque projet d’exploitation de l’aquifère Disi situé dans le sud du
pays. Dans le royaume hachémite, membre du Conseil de coopération du
Golfe, 50 % de l’alimentation en eau d’Amman et 25 % de toute la Jordanie
dépendent dorénavant de la conduite amenant l’eau souterraine pompée
dans la nappe de Disi à la frontière jordano-saoudienne.
Ce sont ainsi 100 millions de mètres cubes/an qui sont devenus
essentiels à l’alimentation en eau de la capitale jordanienne, comptant plus
d’un million d’habitants, dont 25 % sont des réfugiés issus de pays
frontaliers de la Jordanie, en provenance notamment de Syrie.
Pour faire face aux impacts sociaux et humanitaires de la crise syrienne,
et aux tensions qui s’expriment régulièrement au nord entre réfugiés et
résidents locaux (ces derniers accusant les premiers de gaspiller l’eau issue
des nappes dans les camps où les populations sont abritées), un impératif est
également pour le gouvernement jordanien de prolonger le réseau Disi-
Amman vers le nord.
Ce projet vise à alimenter la partie septentrionale du royaume avec 30
millions de mètres cubes/an supplémentaires venant de la nappe de Disi qui
serviront ainsi à distribuer Khaw et Zaatari depuis notamment le réservoir
d’Abu Alanda d’une contenance de 150 000 mètres cubes.
Construit par le groupe turc de génie civil Gama, le transfert Disi-
Amman s’impose ainsi jour après jour comme une infrastructure vitale,
essentielle à la sécurité hydrique de la capitale jordanienne et demain au
nord du pays.
Il est donc impératif de protéger cette installation critique, véritable
artère fémorale du royaume hachémite, contre tout sabotage physique. C’est
ce à quoi s’emploient le ministère de l’Intérieur jordanien et son exploitant,
le français Suez, qui gère l’ouvrage depuis son inauguration le 18 juillet
2013.
En Libye, il est une autre infrastructure vitale, qui nécessite une
protection renforcée. Celle de la grande rivière artificielle ou Great
Manmade River, dont la construction a duré 25 ans, de 1985 à 2010.
En 1953, en cherchant du pétrole dans le désert au sud de la Libye,
étaient mises au jour de vastes étendues d’eau souterraine. Ainsi fut connu
le potentiel du Système aquifère du Sahara septentrional (SASS) dont la
surface sous le territoire libyen est estimée à 250 000 km².
Cette manne d’eau fossile, dont le volume exploitable entre trois pays
(Algérie, Tunisie, Libye) serait de 1 280 km3, n’allait pas tarder à être
exploitée par la Libye.
Le projet de la grande rivière artificielle, élaboré dès 1960, allait dans
les faits entrer en chantier à partir de 1984. Le 28 août 1991, l’eau du SASS
arrivait à Benghazi. Première étape d’un long chemin qui allait permettre,
en 1997, de relier les conduites de la grande rivière artificielle à Tripoli, la
capitale libyenne.
Au cours des années 2000, le projet connut d’autres avancées notables
avec la mise en service d’autres moyens de pompage, la construction de
1 200 kilomètres de conduites supplémentaires, permettant d’ajouter la
fourniture de 138 000 mètres cubes d’eau par jour. La phase 3 du projet
s’acheva à la fin de l’année 2009.
À cette date, le système dans sa globalité permettait d’acheminer vers
les côtes libyennes 6,5 millions de mètres cubes d’eau par jour, à travers des
tronçons de canalisations larges de 4 mètres et pesant chacune 73 tonnes, le
tout sur une distance de 3 500 kilomètres ! Une véritable prouesse
d’ingénierie technique.
Le pari fou de Mouammar Kadhafi était réussi, mais pour un coût
astronomique estimé entre 25 et 30 milliards de dollars.
Selon le Conseil arabe de l’eau/CEDARE 25, la part de la population
libyenne qui avait accès à l’eau était passée de 45 % en 1990 à 84 % en
2005. Pour les données statistiques nationales libyennes citées dans un
rapport de l’AFD, en 2010 254 communautés urbaines étaient desservies
par un réseau municipal, ce qui représentait 90 % de la population totale
libyenne 26.
Mais, depuis la chute du Guide libyen, qu’est devenue cette
infrastructure vitale au fonctionnement du pays et comment se passe
l’alimentation en eau des grandes villes côtières libyennes ?
Avant la guerre civile et les affrontements claniques qui font rage depuis
la chute de Mouammar Kadhafi, le taux de pertes en eau dans les réseaux
urbains des villes côtières était déjà estimé à 35 %.
Celui-ci n’a fait qu’empirer depuis, faute de maintenance des réseaux de
distribution, de leur non-renouvellement, des destructions occasionnées par
les conflits et de l’exil ou la mort des rares techniciens et ingénieurs
compétents issus de l’administration précédente.
L’eau précieuse de la nappe septentrionale du Sahara est ainsi
aujourd’hui perdue pour plus d’un tiers, faute de stabilité d’investissement
et de maintenance préventive dans l’exploitation des installations.
La grande rivière artificielle fait par ailleurs l’objet de chantages et de
sabotages réguliers. Ces derniers commencèrent par les forces loyales à
Kadhafi qui n’hésitèrent pas à s’en prendre aux réseaux d’adduction menant
à Tripoli dès l’été 2011 27.
Autre exemple significatif : la réponse de la tribu Megraha à laquelle
appartenait Anoud Senoussi, fille d’Abdallah Senoussi, beau-frère de
Mouammar Kadhafi et ancien chef des services de renseignement. Cette
dernière enlevée, sa famille coupa l’alimentation électrique des pompages
de la branche ouest de la grande rivière artificielle, au nord de la ville de
Sebha, en donnant 72 heures aux autorités centrales pour retrouver la
kidnappée ; faute de quoi l’alimentation en eau serait définitivement arrêtée
par les milices chargées de la garde de ces ouvrages 28.
Finalement, Anoud Senoussi fut libérée, le chantage prit fin, mais ce
procédé est désormais monnaie courante en Libye.
L’offensive du maréchal Khalifa Haftar sur Tripoli, lancée en avril 2019
contre les forces du Premier ministre Fayez al-Sarraj, eut également
d’importantes répercussions sur le fonctionnement d’ouvrages essentiels de
la grande rivière artificielle.
De part et d’autre, les infrastructures en eau furent prises pour cibles par
les belligérants, comme ce fut le cas le 10 mai 2020, avec la prise de
contrôle par un groupe armé d’une station de production de la General
Electricity Company of Libya, obligeant le management à couper
l’alimentation en eau de quartiers entiers de Tripoli 29.
Un mois plus tôt, en avril, après avoir pris le contrôle d’une station de
pompage, les troupes du maréchal Haftar étaient nommément désignées
comme responsables des coupures d’eau dont Tripoli eut à souffrir pendant
deux semaines en pleine crise du Covid-19 30.
L’utilisation de l’eau comme arme de guerre semble donc
malheureusement être devenue une pratique courante dans une Libye où les
crises sécuritaires se succèdent 31.

Le ciblage des interdépendances


électriques
L’alimentation en eau nécessite de l’énergie, beaucoup d’énergie, pour
rendre possibles les adductions comme celles de la grande rivière
artificielle, faire tourner les forages, produire de l’eau potable à partir de
l’eau brute, qu’elle soit de surface ou souterraine, ou encore assurer la
distribution vers l’usager via des stations de reprise.
Ceci concerne la consommation énergétique pour l’eau à usage
domestique, à laquelle il faut adjoindre l’eau à vocation industrielle, et
surtout l’eau à vocation agricole qui nécessite encore plus d’énergie pour
l’extraire des profondeurs et la transporter jusqu’au lieu d’utilisation où
poussent les cultures, se nourrit le bétail, etc.
On estime ainsi qu’environ 20 % de la production mondiale d’électricité
sert à l’alimentation de pompes utilisées pour le relevage et le transport de
l’eau 32.
L’énergie nécessaire pour le transport et les différentes opérations de
pompage associées peut cependant grandement varier : de moins de
0,1 kWh/mètre cube d’eau transportée dans les zones naturellement
approvisionnées à plusieurs kilowattheures par mètre cube dans les zones
arides et peu pourvues en eau douce.
L’exemple du transfert de Disi à Amman en Jordanie est à ce titre
édifiant. Extraite à plus de 600 mètres de profondeur, cette eau est amenée
sur 325 kilomètres vers la capitale jordanienne à grand renfort d’énergie,
estimée à 2,8 kWh/mètre cube transporté.
Cinq réservoirs (3 × 10 km³, 12 km³ et 15 km³) et deux stations de
pompage (chacune nécessitant 18 MW de puissance électrique) sont
présents sur ce parcours. Ces transferts ont alors un coût énergétique trois
fois supérieur à celui estimé pour couvrir une distance d’une soixantaine de
kilomètres que l’on estime en moyenne entre 0,7 et 1 kWh/mètre cube.
Les pompages sur de longues distances qui ont lieu en Jordanie
viennent ainsi alourdir un peu plus la facture énergétique du royaume,
sachant que la Water Authority of Jordan était déjà, en 2013, avant
l’inauguration du tronçon Disi-Amman, le premier client énergétique du
pays avec 18 % de la consommation nationale 33.
L’importance de l’eau dans la consommation d’électricité de la Jordanie
est d’autant plus problématique que le royaume jordanien importe 96 % du
fioul et du gaz nécessaires au fonctionnement de ses centrales électriques, et
que le pays est particulièrement vulnérable aux variations de prix à la
hausse.
D’où un deuxième motif sérieux d’inquiétude pour le royaume
hachémite, énergétique celui-ci et non plus seulement hydraulique, qui s’est
également renforcé depuis les Printemps arabes avec la pression
démographique et migratoire née en Jordanie des crises syro-irakiennes.
Dans les pays du Golfe, la consommation énergétique pour l’eau est
également grandissante. Elle diffère totalement du ratio occidental que l’on
situe en règle générale à 0,5 kWh/mètre cube pour produire et acheminer
l’eau potable au robinet du consommateur telle que nous le connaissons en
France.
La raison tient au processus même du dessalement, même si l’empreinte
en énergie de celui-ci baisse régulièrement, année après année, grâce aux
progrès technologiques de la filtration membranaire. En quarante ans, la
consommation énergétique liée au dessalement est ainsi passée de
12 kWh/mètre cube, en se basant sur des procédés de distillation, à
2 kWh/mètre cube pour les dernières technologies d’osmose inverse 34.
Mais à ces chiffres nécessaires à l’alimentation en eau potable des zones
urbaines des pays du Golfe s’ajoute la forte demande énergétique,
indispensable au processus de climatisation. Les besoins en énergie pour
ces usages de confort sont ainsi souvent supérieurs à 50 kWh par mètre
cube d’eau consommée 35.
Le traitement des eaux usées représente également une source de
consommation non négligeable d’électricité. Il est de l’ordre de 1 à 10 kWh
pour 1 mètre cube d’eaux usées traité, en fonction des qualités initiales
d’eaux sales rejetées et des objectifs finaux : soit rendre l’eau épurée propre
à la nature, soit la réinjecter dans un circuit de distribution public suite à un
processus de réutilisation.
Au global, en mettant bout à bout l’alimentation en eau potable, l’eau de
confort froide ou chaude, comme l’eau usée traitée, il est estimé qu’en zone
urbaine, les usages domestiques de l’eau peuvent représenter jusqu’à 20 %
de la consommation électrique.
À cela s’ajoute le coût grandissant de l’empreinte énergétique de l’eau à
vocation « industrielle ». L’eau est en effet de plus en plus essentielle aux
processus de production industrielle avec les eaux de lavage, les eaux de
fabrication, de réfrigération, ou encore celles nécessaires à la climatisation
pour le refroidissement des centres-serveurs informatiques.
Le refroidissement des centres-serveurs est en lui-même un sujet
stratégique et nécessite beaucoup d’eau, sachant qu’en moyenne le
dégagement calorifique des ordinateurs se situe entre 100 et 700 watts/m2.
Dans les conflits modernes, ces faits ne sont pas passés inaperçus, car
force est de constater que ceux-ci prennent de manière croissante les
infrastructures énergétiques comme cibles, afin de paralyser la distribution
électrique mais également les capacités d’alimentation en eau ou de
traitement d’eaux usées des villes en guerre.
Au Yémen, dans un conflit devenu guerre par procuration entre l’Arabie
saoudite et les Émirats arabes unis, à la tête d’une coalition de pays
sunnites, et l’Iran chiite soutenant les houthis, la génération et la
distribution électriques ont ainsi été victimes de ciblages intentionnels
provoquant d’importantes conséquences sur la disponibilité en eau et des
dégâts environnementaux majeurs, faute de processus épuratoire des eaux
usées.
Ce fut par exemple le cas d’une station vitale au traitement des eaux
usées de Sanaa et de sa périphérie. Dès le 26 mars 2015, cette usine
d’épuration faisait l’objet d’importants dégâts causés par des
bombardements. Le 17 avril 2015, elle dut également supporter les
conséquences du ciblage d’une installation électrique essentielle à son
fonctionnement.
Or, comme l’a montré la stratégie de Daech en Irak et en Syrie avec
l’occupation systématique des barrages hydrauliques pour mieux asservir
des populations, sans électricité il ne peut y avoir de production ni de
distribution d’eau, et pas plus de collecte ni de traitement des eaux usées 36.
Le ciblage des infrastructures en eau et en énergie au Yémen n’a fait
que renforcer une situation déjà critique, et jusque-là jamais rencontrée dans
ce pays ; l’UNICEF estimant que le Yémen comptait, en 2018, 19,3
millions de personnes qui n’avaient pas accès à de l’eau propre 37.
Ces chiffres expliquent également la propagation d’une épidémie de
choléra dans certaines régions yéménites avec un million de personnes
contaminées fin 2017 et 300 000 supplémentaires fin 2018 38, faisant déjà du
Yémen une des plus importantes catastrophes humanitaires du début du
e
XXI siècle suite à un conflit, qui ne voit venir aucune solution de sortie de
crise dans l’affrontement entre les forces fidèles au gouvernement
d’Abdrabbo Mansour Hadi, soutenu par la coalition saoudo-émiratie, et
celles d’Ansar Allah, soutenues par l’Iran.
La situation du Yémen, ainsi que les atteintes aux réseaux électriques
vitaux et leurs conséquences sur les populations, rappelle étrangement un
autre drame ; celui qui a frappé une ville devenue martyre, et pourtant
située à deux heures d’avion de Paris : Sarajevo.
Durant la guerre de Bosnie, les réseaux d’adduction et de distribution
d’eau furent systématiquement l’objet d’actions armées visant à affaiblir un
peu plus l’adversaire et les populations lors du siège de Sarajevo qui a duré
du 5 avril 1992 jusqu’au 29 février 1996, opposant les forces de Bosnie-
Herzégovine et les paramilitaires serbes.
Les Bosno-Serbes coupaient les lignes d’alimentation électrique de la
capitale bosniaque. Les snipers s’acharnaient également sur les isolateurs et
les transformateurs. Les belligérants des deux bords minaient enfin toutes
les approches aux pylônes haute tension.
Sans électricité, l’alimentation en eau de Sarajevo fut constamment
perturbée, d’autant plus que la guerre avait déjà occasionné un taux de perte
dans les réseaux d’adduction et de distribution d’eau estimé entre 50 à
80 % 39.

Réactifs et technologies duales dans


les conflits modernes
Une enquête indépendante d’une équipe de chercheurs de l’Université
de Harvard 40 a montré que l’opération « Tempête du désert » en 1991, qui
initia la première guerre du Golfe, eut des conséquences désastreuses en
termes de santé publique sur la population irakienne.
Nombreuses furent les victimes civiles du conflit, estimées à
110 000 personnes. Majoritairement, elles ne sont pas décédées directement
des suites des bombardements, mais des suites des maladies hydriques
provoquées par les destructions de stations de production d’eau potable et
de traitement d’eaux usées.
Les années de sanctions économiques qui suivirent affaiblirent
également considérablement les capacités d’alimentation en eau potable des
populations, car l’embargo contre l’Irak empêchait notamment la livraison
de chlore et de pièces détachées destinées à réhabiliter les stations de
production et de traitement détruites par la première guerre du Golfe.
Ces matériels et fournitures étaient en effet considérés comme pouvant
être utilisés en tant que technologies duales et donc possiblement destinés à
l’arsenal militaire de Saddam Hussein. Par exemple, du matériel, tel que des
cuves de stockage pour eau traitée ou des hydrocureurs, ne put entrer en
Irak pendant les années d’embargo 41.
Le chlore gazeux, pourtant essentiel à la purification de l’eau, est en
effet considéré, et ce malheureusement de plus en plus souvent, comme une
arme.
Solution répandue et efficace pour assurer la qualité sanitaire de l’eau
potable et de l’eau des piscines en éliminant les organismes pathogènes, le
chlore gazeux se présente sous la forme d’un gaz liquéfié conditionné en
bouteille en acier étiré, forgé, et sans soudure, conformément aux
réglementations. Les bonbonnes de 30 kg et 49 kg sont les plus répandues
pour le traitement des eaux.
Or, la production, le stockage et le transport de ces bonbonnes
représentent désormais un enjeu sécuritaire significatif dans le contexte
d’une menace terroriste élevée.
Encadrer sa production, restreindre voire interdire sa livraison aux
techniciens en charge des services des eaux est donc devenu la réponse
opérationnelle la plus courante dans les guerres asymétriques en Syrie ou en
Irak.
Cette posture vient encore un peu plus pénaliser les populations déjà
victimes des conflits armés, et impacter le fonctionnement des hôpitaux et
des centres de santé qui ont besoin d’une eau saine pour soigner les malades
et les blessés.
Il est vrai qu’entre 2006 et 2007, lors de la deuxième guerre d’Irak
commencée en 2003, l’utilisation du chlore a clairement été l’une des
stratégies déployées par al-Qaïda dans sa guerre contre les forces de la
coalition conduite par les États-Unis.
D’après les sources de presse de l’époque, de janvier à début
juillet 2007, une vingtaine d’attentats au chlore ont été perpétrés. Ils
auraient fait plus d’une centaine de morts et environ 800 blessés et/ou
intoxiqués à des degrés divers 42.
Ce fut par exemple le cas le 3 juin 2007, avec l’explosion d’une voiture
contenant du chlore gazeux, provoquant l’intoxication de 62 militaires
américains. Auparavant, dans la journée du 16 mars 2007, trois attentats au
chlore avaient eu lieu, dont le plus grave occasionné par l’explosion d’un
camion, qui fit 6 tués et 250 intoxiqués.
Onze victimes, les plus fortement touchées, furent évacuées vers
l’American military medical center le plus proche du lieu de l’attentat.
Avant l’entrée en zone protégée d’une ville comme Bagdad, le plus
souvent au contrôle des checkpoints, ces attentats-suicides couplaient des
bonbonnes de chlore gazeux, gaz plus lourd que l’air, à un explosif puissant,
de façon à libérer le toxique en tenant compte du sens du vent, comme
durant la Première Guerre mondiale.
Le 22 avril 1915 se déroulait en effet la première attaque chimique de
l’histoire. Elle eut lieu dans le secteur d’Ypres en Belgique et employa le
chlore, prenant par surprise 15 000 soldats des troupes alliées.
Elle provoqua 800 morts, ainsi que de très nombreux intoxiqués à vie
souffrant de graves lésions et pathologies respiratoires. Ypres fut également
le point de départ de la première guerre chimique de l’humanité avec la
mise au point d’autres gaz suffocants plus toxiques comme le phosgène,
puis de vésicants comme l’ypérite.
Depuis le déclenchement de la guerre civile en Syrie, force est de
constater que le chlore gazeux est redevenu un outil de combat.
L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) a ainsi
dénoncé à plusieurs reprises l’utilisation de ce gaz.
En 2014, les enquêteurs de l’OIAC ont réuni un grand nombre de
preuves indiquant que le chlore avait été utilisé de manière régulière au
nord de la Syrie. Le régime syrien, qui avait livré une grande partie de son
arsenal chimique à l’OIAC, se serait en effet tourné vers ces stocks de
produits chimiques industriels, utilisés notamment dans le domaine de
l’eau.
Parallèlement, des groupes rebelles ont eu recours à cette arme. En
2018, une attaque au chlore à Alep fut ainsi attribuée à des factions
opposées au régime de Bachar el-Assad.
Dans un registre différent, ce sont maintenant les stocks de fioul qui
font l’objet de ciblage, de captation, voire de détournement en vue de
provoquer des atteintes environnementales graves dans les pays en guerre.
Faute d’électricité, ce sont les groupes électrogènes fonctionnant au
diesel qui servent à faire tourner les installations nécessaires à la production
et à la distribution d’eau potable, mais également à maintenir un minimum
de traitement des eaux usées quand cela est encore possible.
Or ils deviennent de manière grandissante la cible d’actions délibérées
dans les conflits modernes.
Comme rappelé dans un rapport du Comité international de la Croix-
Rouge 43, citant en cela les conclusions d’un rapport du Programme des
Nations unies pour l’environnement de 2007 44, la destruction des capacités
de stockage de fioul eut par exemple de graves impacts sur la génération
électrique du Liban lors du violent conflit qui s’est déroulé entre Israël et le
Hezbollah à l’été 2007.
La rareté du fioul a également parfois pour cause la destruction des
capacités de raffinage, de stockage ou l’organisation de la pénurie, comme
le montre le conflit qui sévit encore au Yémen.
Le blocus imposé par la coalition en novembre 2017, et levé au bout de
30 jours, a ainsi eu des conséquences lourdes sur le fonctionnement,
pourtant essentiel, des groupes électrogènes nécessaires aux systèmes
d’alimentation en eau potable et d’assainissement, comme le souligne le
Strategic Foresight Group, think tank proche du ministère de la Défense
indien, dans son Blue Peace Bulletin consacré à la situation désastreuse de
l’eau au Yémen 45.
Dans les conflits modernes, le manque de fuel conduit également
logiquement à une envolée des prix de l’eau. En 2011, avant que le conflit
n’embrase tout le pays, les habitants de Sanaa, capitale du Yémen, allaient
l’expérimenter.
À la suite des protestations nées des Printemps arabes, les militants du
changement s’étaient confrontés aux troupes loyales au président Saleh et à
la garde républicaine, commandée par son fils, Ahmed Ali, ainsi qu’aux
milices tribales. Ces dernières eurent alors la très fâcheuse idée de faire
sauter un pipeline stratégique pour l’alimentation en fuel de Sanaa.
En conséquence, les habitants de la capitale yéménite furent dans
l’impossibilité de faire tourner les pompes de leur forage, alimentées à
partir des groupes électrogènes. S’ensuivit une pénurie massive d’eau et les
prix s’envolèrent.
Là où un camion-citerne coûtait normalement 5 000 riyals yéménites
(YR) pour remplir le réservoir d’une habitation (seules 60 % des habitations
urbaines étaient en effet connectées à un réseau de distribution avant le
conflit), celui-ci avait très vite atteint 12 000 YR, provoquant
confrontations verbales et affrontements physiques entre voisins et quartiers
entiers de Sanaa ; venant ajouter encore un peu plus de tension à un climat
déjà particulièrement sensible qui déboucha ensuite sur le conflit qui
perdure dans ce pays 46.

Atteintes à l’eau brute et à l’eau traitée


Quand ils ne manquent pas, les hydrocarbures peuvent également être
détournés et devenir des armes de pollution massive visant les eaux de
surface et les réserves d’eau brute, issues des nappes comme des fleuves.
Le conflit syrien illustre malheureusement cette nouvelle capacité de
nuire. Le 22 décembre 2016, l’alimentation en eau de quatre millions
d’habitants de Damas et de ses environs était coupée, comme le constatait le
bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha).
Parallèlement à des malveillances commises sur une station de
pompage, deux ressources d’eau potable, le Wadi Barada et la source Aïn
el-Figé, qui fournissent de l’eau brute à 70 % de la population de Damas et
de sa région, étaient polluées par des hydrocarbures 47.
Le Barada est un cours d’eau auquel Damas et la Ghouta doivent leur
existence. Il est alimenté par une source située à 1 100 mètres d’altitude,
dont le débit moyen est de 3 mètres cubes/seconde. Le débit du Barada, à
l’origine faible, est renforcé par l’apport de la source Aïn el-Figé, dont le
débit se situe entre 3 et 25 mètres cubes/seconde, et qui est captée depuis
1932 pour alimenter Damas 48.
Mais bien loin du conflit syrien, un acte délibéré visant une réserve
d’eau brute est susceptible également de se produire en Europe. C’est ce
qu’a connu en 2005 l’exploitant allemand Bodensee-Wasserversorgung,
après qu’un acte malveillant avait pollué en utilisant un herbicide la prise
d’eau d’une usine d’eau potable sur le lac de Constance, impactant ses
capacités de production essentielles à la desserte en eau de 4 millions
d’habitants du Land de Bade-Wurtemberg.
En avril 2019, il a également été révélé qu’une tentative d’attentat
venant de Daech avait visé les réservoirs pétroliers du port de Bâle dans le
but de provoquer d’importantes pertes humaines et une pollution massive
de l’environnement et du Rhin.
Des éléments de doctrine visibles dans les revues djihadistes (Inspire et
Dabiq) appellent de ce point de vue à cibler des sites industriels vitaux.
Leurs auteurs jugent opportun de frapper des cibles dites molles (à savoir
sans protection) sur des sites dangereux à fort impact environnemental ; ce
afin de provoquer des pollutions massives et de toucher fortement les
consciences occidentales.
Ces revues appellent également à s’en prendre aux réserves d’eau
traitée. L’aquaterrorisme 49 est un concept malheureusement en vogue qui
pourrait bien un jour occasionner des victimes. Il désigne les atteintes
terroristes aux réseaux d’eau. Ces actes malveillants, hautement
symboliques, peuvent notamment résulter de la contamination de réservoirs
d’eau potable par des agents chimiques ou biologiques.
Comme pour le terrorisme radiologique, le spectre d’une telle menace
aurait un impact très fort sur l’opinion publique, tant l’eau est considérée, à
juste titre, comme essentielle à la vie.
Selon une étude dirigée par le cabinet d’ingénierie-conseil Hach
Homeland Security Technologies (HST), la Colorado State University et
l’US Army Corps of Engineers, une contamination des réseaux d’eau
potable est un type d’attaque techniquement simple à mener, financièrement
peu coûteuse et capable de provoquer des pertes importantes en touchant
plusieurs dizaines d’individus en seulement quelques heures 50.
En janvier 2017, le journal allemand Bild rendait du reste publiques
certaines conclusions du rapport de l’Office fédéral de police criminelle
allemand, intitulé Une analyse des risques pour la population civile.
D’après ce document, des groupes terroristes pourraient se préparer à
frapper l’Allemagne en déversant des produits chimiques dans l’eau potable
ou en contaminant des biens alimentaires.
Quelques mois auparavant, c’était au tour du ministère russe de
l’Intérieur d’indiquer que les djihadistes de Daech envisageaient de lancer
une attaque chimique d’envergure contre des grandes villes du Proche-
Orient, de l’Union européenne et de la Communauté des États indépendants
(CEI). Les terroristes semblaient vouloir cibler le système central
d’approvisionnement en eau potable par dilution de puissants médicaments
dans des conduites alimentant des immeubles.
Les organisations terroristes ont dans les faits bien compris le pouvoir
de l’eau. Détournée de sa vocation, cette ressource peut en effet devenir un
redoutable outil stratégique de manipulation, de pression et de domination
visant n’importe quel adversaire.
Pour preuve, en août 2017, le ministère de l’Intérieur italien arrêtait,
puis expulsait, un individu de 37 ans considéré comme dangereux pour la
sécurité de l’Italie. Il menaçait d’empoisonner le réseau d’eau potable de la
ville de Rome et de la cité-État du Vatican.
En novembre 2018, la police italienne arrêtait également un homme de
38 ans qui préparait une attaque chimique en Sardaigne. Le terroriste
présumé, apparemment associé à l’État islamique, prévoyait d’empoisonner
l’eau potable du réseau public sarde.
Ainsi, plusieurs tentatives d’origine terroriste d’empoisonnement de
l’eau traitée ou de la filière alimentaire ont pu à ce jour être fort
heureusement déjouées.
Elles ont fait naître en réponse des concepts nouveaux comme celui de
water and food defense, au sein des pays membres de l’OTAN, ainsi que
des guides nationaux pour la protection de la chaîne alimentaire contre les
risques d’actions malveillantes, criminelles ou terroristes 51.
Dans ce contexte, il est plus que jamais essentiel de sanctuariser les
infrastructures en eau qui sont si essentielles aux populations et à tous les
établissements sensibles : hôpitaux, centres de dialyse, mais également les
entreprises industrielles pour lesquelles l’alimentation en eau est la clé de
leur fonctionnement, de leur sécurité et de la continuité de leur activité.
Il est également fondamental de renforcer les capacités de détection en
temps réel des agents pathogènes de la menace terroriste en matière de
risques chimiques et biologiques. Cela passe par la généralisation de
capteurs multiparamètres qui continueront à l’évidence à progresser en
termes de spectre de détection et de rapidité de réponse.
Ces outils d’alerte sont destinés à protéger des bâtiments
particulièrement sensibles ou des zones accueillant temporairement un large
public comme des stades, des fan zones ou des villages d’athlètes, lors de
grandes compétitions sportives telles que les Jeux olympiques ou les
Coupes du monde de football. Nul doute que le CIO et la FIFA vont être
amenés à intégrer cette nouvelle donne en matière de risque sécuritaire
utilisant potentiellement l’eau potable comme arme létale.
Mais, au final, la réponse passera – encore et toujours – par le savoir-
faire humain des ingénieurs et des techniciens, et leur faculté à rapidement
diagnostiquer une pollution-réseau intentionnelle, à en visualiser l’étendue
par des outils de modélisation hydraulique, à isoler les conduites touchées
et à les dépolluer par des techniques appropriées.
De ce point de vue, par la mise en place de plans de continuité et de
secours en réponse à ces risques d’un genre nouveau, par la pratique
d’exercices de crise et de retours d’incident formalisés afin de capitaliser
sur l’expérience, les opérateurs d’eau – publics et privés – progressent,
comme le font les douaniers qui arrivent toujours à rattraper leur retard par
rapport aux techniques de contrebandiers.

1. Voir à ce sujet l’article de l’auteur sur les « Violences faites à l’eau » dans Michaela
Marzano, Dictionnaire des violences, Presses universitaires de France.
2. Jean-Nicolas Corvisier, « La guerre irrégulière dans le monde grec antique », Stratégique
2009/1-2-3-4 (no 93, 94, 95, 96), pages 73-87.
3. « Les armes biologiques : aspects historiques ». Patrice Binder et Olivier Lepick, dans
« Menace terroriste, approche médicale », ouvrage collectif sous la direction de Thierry de
Revel, 2005.
4. Colonel Rémi Porte, « L’eau dans l’art de la guerre. Une approche tactique », dossier spécial
« Géopolitique de l’eau », Revue diplomatie, juin-juillet 2013.
5. Colonel Douglas C. Dildy, Dambusters. Opération « Chastise » 1943, Osprey Publishing,
2010.
6. Applications of Hydrology in Military Planning and Operations and Subject Classification
Index for Military Hydrology Data, Military Hydrology R&D branch, Engineering Division,
Corps of Engineers, Dpt. of the Army, 1953.
7. Cité dans Dr Peter GH. Gleick, Water Conflict Chronology, Pacific Institute for Studies in
Development, Environment and Security, février 2008.
8. International War Crimes Tribunal, Some Facts of Bombing Dikes, 1967, cité par le Dr Peter
GH. Gleick, Water Conflict Chronology, Pacific Institute for Studies in Development,
Environment and Security, février 2008.
9. ICRC, Official Records of the Diplomatic Conference on the Reaffirmation and Development
of International Humanitarian Law Applicable in Armed Conflicts, vol. XIV, CCDD/III/SR.19,
page 161.
10. Jonathan Watts, « China’s largest cloud seeding assault aims to stop rain on the national
parade », The Guardian, 23 septembre 2009.
11. D’après « Deux analyses historico-sociologiques : Karl Wittfogel et Barrington Moore Jr. »,
Juan J. Linz, Régimes totalitaires et autoritaires, 2007.
12. Karl Wittfogel, Le Despotisme oriental, traduit par Micheline Pouteau, Éditions de Minuit,
1964.
13. François Molle, Peter P. Mollinga, Philippus Wester, « Hydraulic Bureaucracies and the
Hydraulic Mission : Flows of Power, Flow of Water », Water Alternatives, vol. 2, no 3, 2009,
p. 328-349.
14. Terminé en 2010, le GAP a permis de réaliser la construction de 22 barrages : 9 sur le Tigre,
14 sur l’Euphrate, dont la pièce maîtresse est le barrage Atatürk. Entré en service en 1992, cet
ouvrage dispose d’une profondeur de 140 mètres et d’une étendue de 800 km2. Il permet de
contenir 48 milliards de m3 d’eau.
15. Georges Mutin, L’Eau dans le monde arabe. Enjeux et conflits, Éditions Ellipses, 2000.
16. Tobias von Lossow, Water as Weapon : IS on the Euphrates and Tigris. The Systematic
Instrumentalisation of Water Entails Conflicting IS Objectives, German Institute for
International and Security Affairs, janvier 2016, page 6.
17. Le Coran a repris l’épisode du déluge et de Noé dans la sourate XI. Il est aussi présent dans
la sourate XXI –, versets 76 et 77. Voir la traduction de référence établie par le professeur
Jacques Berque, qui était titulaire de la chaire d’histoire sociale de l’islam contemporain au
Collège de France et membre de l’Académie de langue arabe du Caire.
18. Aurélia Saint-Just, Dessalement de l’eau de mer et crise de l’eau, Centre d’études
supérieures de la marine (CESM), 2011.
19. Jacques Blein et Philippe Gislette, « Le dessalement, une alternative prometteuse », La
Jaune et la Rouge, revue de l’Ecole polytechnique, no 683, mars 2013.
20. Major James E. Lovell, The Threat of Intentional Oil Spills to Desalination Plants in the
Middle East : a US Security Threat, US Air Command and Staff College, avril 1998.
21. « Saudi water desalination capacity sets global record at 5 million cubic meters a day »,
Business Wire, 25 janvier 2018.
22. Franck Galland, « Une réponse aux crises majeures d’alimentation en eau dans les pays du
Golfe », Revue défense nationale, février 2017.
23. Voir article de l’auteur : « Une réponse aux crises majeures d’alimentation en eau dans les
pays du Golfe », Revue Défense Nationale.
24. Loi no 2013-1168, votée le 18 décembre 2013, et son décret d’application publié en
mars 2015.
25. « Water Supply and Sanitation Coverage in the Arab States », Arab Water
Council/CEDARE, 2008.
26. « Preliminary diagnosis of the General Company for Water and Waste Water (GCWWW),
LIBYA », Aspa Utilities pour l’AFD, octobre 2012, page 16.
27. Michael Peel, « Tripoli water shortage blamed on sabotage », Financial Times, 31 août
2011.
28. Seraj Essul et Elabed Elraqubi, « Man-Made River “cut” ; western Libya could face water
shortage », Libya Herald, 3 septembre 2013.
29. « Assaults against power plants lead to cutting off water supplies », The Libya Observer,
10 mai 2020.
30. « Libya’s Interior Ministry accuses Haftar’s forces of cutting off water supplies to Tripoli »,
The Libya Observer, 8 avril 2020.
31. « Weaponising water in Libya despite coronavirus pandemic », Middle East Monitor,
30 avril 2020.
32. Jean-François Astolfi et Xavier Ursat, « Eau et énergie : un couple indissociable », La
Jaune et la Rouge, revue de l’École polytechnique, mars 2013.
33. Franck Galland, « Sécurité de la Jordanie : l’équation énergie nucléaire et dessalement »,
Revue Défense Nationale, décembre 2012.
34. Intervention de Jean-Luc Trancart, professeur à l’École nationale des ponts et chaussées,
lors du séminaire « L’eau pour l’énergie. L’énergie pour l’eau. Quelles synergies pour
demain ? » organisé par le Cercle français de l’eau, Paris, 23 novembre 2010.
35. Jean-François Astolfi et Xavier Ursat, « Eau et énergie : un couple indissociable », La
Jaune et la Rouge, revue de l’École polytechnique, mars 2013.
36. Alia Allana, « From bombs to cholera in Yemen’s war », The New York Times, 19 novembre
2017, cité dans « Le Yémen, menacé de disparaître à cause d’un manque d’eau », note de
l’auteur pour le think tank Resources, 22 janvier 2018.
37. « Drinking water systems under repeated attack in Yemen UNICEF », 1er août 2018,
https://www.unicef.org/pressreleases/drinking-water-systems-under-repeated-attackyemen-
38. « Yémen : water and violence », Blue Peace Bulletin, vol. 1, Strategic Foresight Group,
2019, page 4.
39. « Stratégies économiques en Bosnie-Herzégovine », Fondation pour les études de la
défense, Cahier no 9, octobre 1997, pages 26-29.
40. Harvard Study Team, « Special Report : The Effect of the Gulf Crisis on the Children of
Iraq », New England Journal of Medecine 325, 1991.
41. J. Gordon, « Invisible war : the United States and the Iraq sanctions », Harvard University
Press, 2010, cité dans « Urban Services during protracted armed conflicts : a call for a better
approach to assisting affected people », ICRC, 2015, page 30.
42. P. Burnat, C. Renard, F. Dorandeu, C. Lefevre, C. Bodelot, F. Ceppa, F. Fontaine,
« Attentats au chlore en Irak : utilisation d’un toxique chimique en combat asymétrique », article
cité dans Médecine & Armées. Revue du Service de santé des armées, t. 38, no 1, février 2010,
page 92.
43. « Urban Services during protracted armed conflicts : a call for a better approach to assisting
affected people », ICRC, 2015, page 27.
44. « Lebanon : post-conflict environmental assessment », UNEP, 2007.
45. Strategic Foresight Group, « Water and violence : Yemen », Blue Peace Bulletin,
janvier 2019.
46. Peter Salisbury, « Yemen’s water woes », Foreign Policy, 5 septembre 2012.
47. « À Damas, le calvaire des Syriens privés d’eau depuis une semaine », L’Orient-Le Jour,
31 décembre 2016.
48. Anne-Marie Bianquis, « Le problème de l’eau à Damas et dans sa Ghouta », Revue de
géographie de Lyon, no 1, vol 52, 1977, pages 36-37.
49. Alain Bauer et Jean-Louis Bruguière, Les 100 Mots du terrorisme, « Que sais-je ? »,
no 3897, PUF, 2000.
50. Dan Kroll, Karl King, Terry Engelhardt, Mark Gibson et Katy Craig, « Terrorism
vulnerabilities to the water supply and the role of the consumer : a water security white paper »,
Water World, dernière mise à jour en mars 2010,
http://www.waterworld.com/articles/2010/03/terrorism-vulnerabilities-to-the-water-supply-and-
the-role-of-the-consumer.html
51. Direction générale de l’alimentation, Guide des recommandations pour la protection de la
chaîne alimentaire contre les risques d’actions malveillantes, criminelles ou terroristes,
janvier 2017.
Demain, la guerre pour l’eau

« L’eau est le miroir de notre avenir »,


Gaston Bachelard,
L’Eau et les Rêves. Essai sur l’imagination de la matière, 1942.

Étendre et conforter les infrastructures hydrauliques dans leur


développement, les protéger durant les conflits et contre les malveillances
de toutes sortes font partie des enjeux de la décennie qui s’est ouverte en
2020.
Les installations qui concourent à l’alimentation en eau sont en effet
devenues stratégiques pour répondre aux défis posés par la demande
hydrique, la sécurité alimentaire, la pression démographique et les besoins
énergétiques.
La crise sanitaire mondiale née du Covid-19 nous a également rappelé
que le maintien de la fourniture d’une eau de qualité potable est
fondamentale durant toute situation pandémique.
Comme le souligne l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un
accès à une eau salubre, tout au long de l’épidémie de Covid-19, est
essentiel. L’eau est en effet une alliée face au virus ; la première mesure
sanitaire de prévention étant de se laver régulièrement les mains.
Pour toutes ces raisons, les infrastructures hydrauliques relèveront
dorénavant de plus en plus de questions de sécurité et de ministères
régaliens qui exercent leur tutelle sur ces sujets.
Déjà, dans certains pays confrontés au stress hydrique, un ministère des
Ressources en eau existe et dispose de moyens et de leviers puissants. Là où
l’eau est devenue une question de sécurité, comme à Singapour, le ministère
est celui de l’Eau et de l’Environnement, et non l’inverse en termes de
priorités.
En Australie, nation confrontée à un stress hydrique permanent, l’eau
relève d’un ministère des Ressources et de l’Eau. Ailleurs, la tutelle de
l’eau relève de ministères puissants liés à la sécurité comme l’Intérieur ou
l’Énergie.
Il en est ainsi de l’État d’Israël ou du Maroc dont la direction des régies
et services concernés est rattachée au ministère de l’Intérieur.
Un mouvement de fond donnant à l’eau son caractère sécuritaire est
enclenché.

Sécurité hydrique et environnementale


Les premiers à avoir donné à l’eau cette dimension stratégique sont des
chercheurs américains. Thomas Homer-Dixon est l’un d’eux.
À la fin des années 1990, cet expert de l’université de Princeton avait
anticipé la vocation sécuritaire de l’eau lorsqu’il écrivait que la compétition
pour le contrôle des ressources naturelles déclinantes – à savoir les terres
arables, l’eau ou encore la pêche – était maintenant susceptible d’alimenter
des conflits armés en étant facteur d’exacerbation de tensions déjà
existantes entre États et territoires sur d’autres problématiques, qu’elles
soient ethniques, religieuses, ou sociales 1.
En 2003, Peter Schwartz, ancien responsable de la prospective de la
Royal Dutch Shell et consultant régulier de la CIA, reprenait une thèse
similaire en soulignant, avec Doug Randall, dans un rapport écrit pour le
Pentagone, que des confrontations militaires étaient maintenant plus
susceptibles d’être déclenchées par un besoin désespéré de ressources
naturelles comme l’énergie, la nourriture et l’eau, que par des conflits
autour de l’idéologie, de la religion ou de l’honneur national 2.
En 2006, un groupe de conseillers américains, tous anciens généraux ou
amiraux, piloté par le secrétaire d’État adjoint à la défense, Sherri
Goodman, exprimait également ses inquiétudes sur le changement
climatique, et l’une de ses conséquences consistant en la rareté grandissante
des ressources en eau comme facteurs multiplicateurs de conflits, avec des
implications sécuritaires fortes à attendre 3.
Enfin, le 2 février 2012, un rapport de la communauté américaine du
renseignement intitulé Global Water Security 4, abordait les risques que le
stress hydrique fait courir en termes de sécurité et de stabilité dans un
certain nombre de pays.
Hillary Clinton, alors secrétaire d’État de Barack Obama, avait
commandité ce rapport à l’Office of the Director of National Intelligence
(DNI), et l’avait rendu public le 22 mars 2012 à l’occasion de la Journée
mondiale de l’eau qui se déroule chaque année à cette date. Dans une
conférence de presse, elle y dévoilait les scénarios de crise que le manque
d’eau, ou, à l’inverse, le trop d’eau causé par des inondations majeures,
allaient induire pour des pays alliés des États-Unis, impliquant
potentiellement une réponse américaine, qu’elle soit d’ordre humanitaire,
diplomatique ou militaire.
Cette étude du DNI s’est notamment appuyée sur les chiffres de
l’OCDE selon lesquels, en 2050, 40 % de la population mondiale, soit 3,9
milliards de personnes, allaient se trouver dans des régions confrontées au
stress hydrique. À cette date, la demande en eau est estimée comme devant
augmenter de 55 % par rapport à l’année 2000.
Selon les estimations formulées, le nombre de personnes affectées par le
stress hydrique aura ainsi crû de 2,3 milliards par rapport au début du
e 5
XXI siècle .
Le 22 septembre 2015, le DNI publiait un second rapport de teneur
identique, mais cette fois intitulé Global Food Security.
Disposant de la même architecture que le précédent et poursuivant les
mêmes buts, il montrait cette fois les implications diplomatiques et
sécuritaires pouvant être induites par l’insécurité alimentaire attendue dans
certaines régions du monde, à plus ou moins brève échéance.
Deux rapports se succédant à trois ans d’intervalle sur les causes et les
effets du manque d’eau et du manque de nourriture ne sont aucunement dus
au hasard. Ils relèvent au contraire d’une même logique tendant à prouver
que l’insécurité hydrique et l’insécurité alimentaire sont en partie liées et
sont toutes deux causes d’instabilité politique et sociale, susceptible de
provoquer d’importants troubles sécuritaires.
Ce caractère sécuritaire, désormais inhérent à la rareté des terres
cultivables et des ressources en eau disponibles, fait que ces sujets vont de
plus en plus être traités dans des instances internationales de sécurité.
Membre du Conseil de sécurité des Nations unies pendant deux ans, à
compter du 1er janvier 2016, la République du Sénégal a parfaitement
intégré cette nouvelle donne. Son président, Macky Sall, lui-même
ingénieur de formation et ancien ministre de l’Hydraulique, a ainsi souhaité
porter au Conseil une résolution sur le thème eau et sécurité.
Celle-ci avait pour ambition de mettre en perspective les enjeux
sécuritaires et stratégiques liés aux ressources en eau, mais également leur
vocation diplomatique et collaborative dans des pays en crise.
L’UN Security Council Meeting no 7818 du 22 novembre 2016 allait
concrétiser l’ambition sénégalaise. Sous la présidence de Mankeur Ndiaye,
ministre sénégalais des Affaires étrangères, furent réunis les représentants
de 69 gouvernements, incluant 15 pays membres du Conseil de sécurité.
Une des conclusions de cette journée d’échanges aura été, pour la
première fois de l’histoire de cette instance, que le Conseil de sécurité
devait continuer à l’avenir à se saisir de la problématique « eau, paix et
stabilité », question qui devait se poser de plus en plus fréquemment.
Une année plus tard, le Conseil de sécurité tenait une seconde session
sur le thème de la diplomatie préventive et des eaux transfrontières, lors de
laquelle le rôle de l’hydrodiplomatie et de la coopération a été mis en avant
comme facteur de prévention des conflits.
Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, affirmait à
cette occasion le caractère inextricablement lié de l’eau, de la paix et de la
sécurité. Cette prise de conscience du monde onusien fait écho aux
déclarations des prédécesseurs de M. Gutteres. À l’aube du XXIe siècle, Kofi
Annan avait notamment déclaré que si l’on n’y prenait garde, les prochaines
guerres seraient occasionnées par l’eau et non par le pétrole 6.
Son successeur Ban Ki-moon avait quant à lui souligné que la rareté des
ressources en eau dans certaines parties du monde serait catalyseur de
violences, et que, trop souvent, là où il y avait pénurie d’eau, parlaient déjà
les armes 7.
Lors de la réunion organisée au Conseil de sécurité, sous l’égide de la
présidence sénégalaise, le 22 novembre 2016, Ban Ki-moon avait
également dénoncé le ciblage des infrastructures en eau et en énergie dans
les conflits endeuillant la Syrie ou encore Gaza, ainsi que l’occupation
systématique des ouvrages hydrauliques par Daech au Levant 8.
Dans ce contexte, rien d’étonnant donc à ce que le monde de la défense
soit de plus en plus attentif à la dégradation des ressources en eau
disponibles dans un certain nombre d’États où la stabilité politico-
sécuritaire est déjà problématique.
Selon un rapport du Sénat américain 9, il existerait même un lien avéré
entre le manque chronique d’eau et la montée des extrémismes politiques et
religieux, comme en Iraq, en Syrie, en Libye, au Yémen, à Gaza, en
Somalie et dans l’ensemble afghano-pakistanais.
Lors du troisième Forum mondial de l’eau de Kyoto, Mona El Kody,
qui dirigeait alors la National Water Research Unit en Égypte, ne disait pas
autre chose en soulignant l’existence d’une corrélation entre le manque
d’accès à l’eau, l’insalubrité des villes, les quartiers détruits par les guerres
et le développement de foyers de radicalisme et de terrorisme 10.
Au-delà du Conseil de sécurité des Nations unies, il est également
intéressant de voir des instances de dialogue stratégiques et des
organisations militaires régionales commencer à se positionner sur la
question de la rareté des ressources en eau. Le Comité scientifique de
l’OTAN avait manifesté ce choix dès le début des années 2000 à travers un
programme pour la sécurité via la science et son Comité sur les défis de la
société moderne, où l’eau était clairement perçue comme un enjeu de
sécurité 11.
À travers son assemblée parlementaire regroupant 250 représentants de
pays membres, l’OTAN s’est également penchée sur les conséquences en
termes de sécurité de la rareté des ressources en eau et de l’insécurité
alimentaire dans les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient 12.
Ces travaux précédaient les déclarations du secrétaire général de
l’OTAN Jens Stoltenberg sur le changement climatique ; décrivant le
phénomène comme un sujet stratégique pour son organisation et un
challenge en termes de sécurité pour les pays de l’Alliance 13.
De son côté, l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) ne
devait pas rester inactive. Conçue comme une réponse à l’OTAN depuis la
chute du mur de Berlin, cette instance de dialogue d’origine sino-russe
incarne la volonté de ses deux pays fondateurs de coopérer sur des
questions géostratégiques, en vue de favoriser une intégration économique
régionale.
Né en 1996, sous le nom de « Shanghai 5 », en regroupant en plus de la
Chine et de la Russie le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan, cette
organisation a connu à partir de 2001 une très forte impulsion politique avec
l’établissement d’un quartier général à Pékin et a pu compter sur l’arrivée
d’un pays supplémentaire, l’Ouzbékistan.
Entre 2004 et 2005, l’OCS admit ensuite la Mongolie, l’Iran, l’Inde et le
Pakistan comme pays observateurs et non-votants.
En juin 2017, deux derniers arrivants, l’Inde et le Pakistan, rejoignirent
à part entière l’OCS, ce qui permit à l’organisation de regrouper quatre
puissances nucléaires et d’avoir un poids politique et économique
considérable : 20 % du PIB mondial et 42 % de la population de la
planète 14.
Les questions de la rareté des ressources en eau, des conflits d’usage
entre pays, de la dégradation de leur qualité avec des cas de pollutions
transfrontières tout comme la politique d’expansion de barrages sont d’ores
et déjà posées au sein de l’OCS et s’expriment avec une acuité particulière,
faisant naître de nombreuses sources d’inquiétudes hydropolitiques entre
pays membres.
C’est cette ambition qui se retrouve dans la déclaration de Bichkek de
juillet 2019 venant conclure l’assemblée de l’OCS qui était accueillie dans
la capitale du Kirghizistan.
Elle porte sur l’engagement des pays membres à coopérer face à l’une
des menaces sécuritaires les plus significatives du moment : la dégradation
de l’environnement et en premier lieu celle des ressources en eau.
Dans cette déclaration commune 15, il est dit que la disponibilité de la
ressource en eau par habitant a diminué en 20 ans de 14,4 % au Kazakhstan,
de 22,1 % au Kirghizistan, de 33,4 % au Tadjikistan, de 24,3 % au
Turkménistan et de 25,7 % Ouzbékistan.
L’aridité progresse ainsi fortement en Asie centrale, déjà couverte à
60 % de désert. L’exemple le plus critique est celui de la mer d’Aral, qui a
pratiquement disparu malgré les efforts, mis en œuvre depuis 2005, de la
Banque mondiale et des pays riverains pour travailler à sa restauration.
En 1960, ce lac alimenté par les fleuves Amou-Daria et Syr-Daria était
le quatrième plus grand au monde. Sa surface s’étendait alors sur
67 300 km2, soit l’équivalent de deux fois la Belgique.
En 1970, il avait déjà perdu les 9/10e de sa surface en raison du mauvais
choix soviétique de détourner une partie des fleuves pour irriguer les
cultures de coton et de blé, destinées à transformer les vastes steppes du
Kazakhstan et de l’Ouzbékistan en zones agricoles.
Ensuite, le changement climatique a fait son œuvre, amenant des
sécheresses plus longues, une baisse de la pluviométrie hivernale et le recul
des glaciers.
L’Asie centrale est également particulièrement concernée par un partage
inégal des ressources en eau. Les deux tiers des habitants de cet ensemble
dépendent à 90 % de l’Amou-Daria et du Syr-Daria, fleuves dont les
sources proviennent des pays hydrodominants de la région que sont le
Kirghizistan et le Tadjikistan.
Or ces artères fémorales sont victimes de surconsommation,
d’aménagements hydrauliques conflictuels, d’une mauvaise gestion
quantitative et d’un manque de coopération, sans compter les conséquences
perceptibles du changement climatique avec baisse de la pluviométrie,
augmentation de l’évaporation, etc.
Une potentielle guerre de l’eau eurasienne peut ainsi survenir dans l’ex-
Turkestan, notamment en raison de la construction d’un ouvrage contesté au
sud du Tadjikistan, le barrage de Rogoun sur le Vakhch, un affluent de
l’Amou-Daria qui concourt à 25 % du débit du fleuve.
Une fois terminée et avec ses 335 mètres de hauteur, cette installation
sera ni plus ni moins le plus haut barrage du monde devant le barrage de
Jinping I en Chine.
Les pays voisins en aval du Tadjikistan s’en inquiètent. Le ton monte
régulièrement et les menaces se multiplient.
Ce qui ne manquera pas de donner du contenu et d’animer les
prochaines réunions de l’Organisation de coopération de Shanghai, ou
encore de l’UN Regional Center for Preventive Diplomacy for Central Asia
(UNRCCA) ; une instance de coopération et de dialogue sous mandat
onusien, qui travaille sur les sujets de prévention des conflits liés à l’eau.

Initiatives diplomatiques et religieuses


Des initiatives diplomatiques nouvelles sont également à l’origine d’une
prise de conscience collective sur le fait que l’eau s’impose comme un
enjeu de sécurité.
Le 15 novembre 2015, la Confédération helvétique a ainsi lancé un
projet ambitieux, le Global High-Level Panel on Water and Peace.
Un groupe d’experts désignés par chacun des quinze pays soutenant
cette initiative a eu deux ans pour remettre au ministre suisse des Affaires
étrangères, Didier Burkhalter, des propositions concrètes visant notamment
à protéger les infrastructures en eau durant les conflits, stabiliser les zones
en crise et favoriser le retour de la paix par des projets hydrauliques, ou
encore prévenir les conflits hydriques, qu’ils soient transfrontaliers ou
internes aux pays soumis à la rareté des ressources.
Le Global High-Level Panel on Water and Peace est lui-même présidé
par Danilo Türk, ex-président de la république de Slovénie, premier
représentant permanent de son pays auprès des Nations unies et président
du Conseil de sécurité entre août 1998 et novembre 1999.
Deux mois avant la date limite fixée à ce panel pour la remise de ses
travaux (ce qui est assez rare pour des réflexions de cette nature), des
propositions concrètes étaient rendues dans un rapport 16 d’une centaine de
pages, fruit du travail commun des experts issus des pays suivants :
Slovénie, Suisse, Colombie, Espagne, Hongrie, Jordanie, Kazakhstan,
Sénégal, Ghana, Estonie, Cambodge, Costa Rica, France et Maroc 17.
Le 14 septembre 2017, parallèlement à la présentation officielle du
rapport du Global High-Level Panel on Water and Peace, un autre
événement hydrodiplomatique se tenait au palais des Nations, à Genève,
mais cette fois sous l’égide du Vatican et plus précisément de la mission
permanente du Saint-Siège auprès des Nations unies, de la mission
permanente de l’ordre de Malte et de la fondation catholique Caritas in
Veritate.
Cette conférence de haut niveau portait moins sur les sujets de sécurité
hydrique que d’accès à l’eau, mais s’inscrivait pleinement dans la
reconnaissance par l’Église de l’eau comme facteur de stabilité politique et
de justice sociale.
Elle faisait suite aux déclarations du pape François, le 22 mars 2017,
lors de la Journée mondiale de l’eau instituée par les Nations unies vingt-
cinq ans plus tôt, dans lesquelles Sa Sainteté appelait à protéger cette
ressource « comme bien de tous » et encourageait vivement toutes les
initiatives éducatives allant en ce sens.
Dans le cadre du lancement d’un programme à cinq ans visant à la
protection des ressources hydriques, responsables politiques, philosophes,
hommes d’Église, poètes et artistes furent ensuite réunis à l’Institut de
patristique Augustinianum du Vatican pour partager idées et valeurs sur la
protection de ce bien vital qu’est l’eau 18.
En propos introductif, Mgr Paul Richard Gallagher, secrétaire pour les
relations avec les États du Saint-Siège, avait souligné l’importance qui
devait être accordée à l’eau et souligné le fait qu’une hydrodiplomatie
vaticane se déployait progressivement.
Depuis son élection le 13 mars 2013, le 266e pape s’est particulièrement
distingué pour la défense active de l’environnement et dans la lutte contre le
changement climatique.
En juin 2015, le Saint-Père présentait ainsi son encyclique « Laudato
si » sur l’écologie, dans laquelle la question de l’eau tient une place
centrale : « l’eau potable, et pure, représente une question de première
importance, parce qu’elle est indispensable pour la vie humaine comme
pour soutenir les écosystèmes terrestres et aquatiques », peut-on lire au
paragraphe 28 de cette encyclique.
Dans cet ouvrage, le pape François s’inquiète en particulier du
gaspillage des ressources en eau, de la dégradation de leur qualité et de leur
partage inégal à travers le monde 19. Nul doute qu’un de ses auteurs favoris,
le théologien Romano Guardini et son livre La Fin des temps modernes, qui
ont fait l’objet de sa thèse de doctorat, ont inspiré les écrits de son
encyclique, tout comme l’ensemble des contributions et déclarations venues
d’épiscopats locaux.
Mais d’autres églises ont su également enrichir la réflexion du
souverain pontife. C’est le cas en particulier des prises de position du
patriarche Bartholomée, primat de l’Église orthodoxe de Constantinople,
connu pour s’être élevé par le passé contre la pollution subie par la mer
Noire et le Bosphore.
Invité, le 5 novembre 2019, à clôturer la semaine internationale de l’eau
d’Amsterdam, il prononça un discours remarqué soulignant l’importance
que science et Églises puissent cheminer de concert sur les sujets d’écologie
et de protection de l’environnement, tout en mettant en évidence le rôle
crucial de l’eau dans la vie de l’homme et du monde, rendant à ses yeux
indispensable le renforcement des efforts de préservation et d’élaboration
de nouvelles méthodes de gestion de cette ressource.
Il déclara notamment que « tous les efforts pour une meilleure gestion
de l’eau sont le cri d’une âme humaine qui reconnaît l’eau comme un
cadeau, qui doit intéresser toute la Création. Notre croyance profonde est
que l’eau est le droit inviolable et inaliénable de chaque être humain et de
toute créature. L’eau nous berce depuis notre naissance, nous maintient en
vie et nous guérit de nos maladies. Elle vivifie notre esprit, nettoie notre
corps et fortifie notre pensée. Nous partageons le miracle de l’eau avec
toute la Création. Chaque être humain ici, chaque être humain au monde,
est concrètement un océan en miniature. C’est la raison pour laquelle, il y a
deux décennies, nous avons déclaré que polluer les eaux de la terre pour les
êtres humains… cela équivaut à commettre un péché ».
Dans la même lignée que les déclarations du patriarche œcuménique
Bartholomée, le pape François allait lui jusqu’à se demander lors d’un
séminaire organisé en février 2017 par l’Académie pontificale des sciences
dans les jardins du Vatican, « si au milieu de cette Troisième Guerre
mondiale par morceaux que nous vivons, nous ne sommes pas en chemin
vers la grande guerre mondiale pour l’eau ».
Pour l’évêque de Rome, éduquer les prochaines générations à la gravité
de cette réalité relève ainsi d’une véritable urgence 20.
Du côté du monde islamique, force est de constater une mobilisation
grandissante pour faire de l’eau et de la paix un thème central du 9e Forum
mondial de l’eau qui doit se réunir à Dakar en 2022.
En coopération avec l’Office national de l’électricité et de l’eau potable
(ONEE) du royaume du Maroc, l’Organisation du monde islamique pour
l’éducation, les sciences et la culture (ICESCO), dont le siège est à Rabat, a
ainsi souhaité traiter du thème de la sécurité de l’eau, de la paix et du
développement dans le monde islamique.
L’Organisation de coopération islamique (OCI) s’est également
développée au fil des années en faisant de l’eau un sujet de coopération
stratégique entre États membres.
La quatrième Conférence islamique des ministres responsables de l’eau
(ICMW) s’est ainsi tenue au Caire du 14 au 16 octobre 2018, réaffirmant le
besoin d’une coopération entre membres pour partager et rendre effective
« la vision de l’eau » de l’Organisation de coopération islamique, adoptée
en mars 2012. Celle-ci identifie l’échange des meilleures pratiques, le
renforcement des capacités et le partage des connaissances sur tous les
aspects de l’eau comme axes prioritaires de travail.
À cette occasion, une intervention vidéo du recteur de la mosquée Al-
Azhar a pu souligner l’importance de l’eau dans l’enseignement de la
religion, dans la philosophie et les principes de vie de l’islam vis-à-vis de la
ressource en eau, notamment en matière de partage de cette précieuse
ressource et de lutte antigaspillage.
Les 57 membres de l’OCI sont en effet confrontés à des degrés divers à
la rareté de la ressource en eau. Elle est notamment une cruelle réalité dans
les régions arides d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Dans cet ensemble géographique, les pays membres de l’OCI ont des
ressources en eau renouvelables moyennes annuelles de 858 mètres cubes
par habitant, ce qui est inférieur au seuil de 1 000 mètres cubes, les plaçant
parmi les pays confrontés à une situation de stress hydrique 21.
Mais ce qui caractérise de manière grandissante certains pays membres
de l’Organisation de coopération islamique est la multiplication de conflits
liés à l’eau, comme l’a démontré le think tank américain Pacific Institute en
développant une chronologie inédite sur les conflits liés à l’eau douce dans
le monde.
Sur la base de ces travaux, l’OCI démontre dans son rapport de 2018
que les conflits hydriques sont fortement présents au niveau de ses pays
membres, où pendant la période observée (1960-mai 2018), 56 % des
conflits mondiaux liés à l’eau se sont déroulés 22, en particulier en Afrique
du Nord et au Moyen-Orient.
Cette tendance va même en s’accélérant avec 176 conflits de nature
hydrique se produisant au sein d’États membres de l’OCI, sur les 263
recensés par le Pacific Institute pour la période allant de 2010 à mai 2018 ;
soit plus des deux tiers.

Renforcer les capacités de dialogue


hydrodiplomatique
Une fois ces différents contextes connus, quels peuvent alors être les
axes de travail et les pistes d’action à poursuivre par ces instances
diplomatiques, qu’elles soient vaticanes ou onusiennes ?
Au premier chef, il semble qu’il faille d’abord renforcer les
compétences et prérogatives d’organisations de coopération et de dialogue
existantes à l’échelle de bassins.
Celles-ci permettent en effet de réellement favoriser une coopération
transfrontalière sur les usages de l’eau et de rapprocher les peuples.
Il leur faut cependant pour cela une plus forte envergure politique et un
modèle économique autonome, permettant en particulier de financer des
infrastructures hydrauliques communes entre plusieurs pays ou entre
plusieurs régions d’un même pays ; cela en se basant sur un principe
fondateur : que l’eau puisse contribuer à payer l’eau.
En d’autres termes, que les taxes et redevances prélevées permettent de
constituer un budget dédié au financement des infrastructures nouvelles et
d’assurer la maintenance préventive et corrective des ouvrages actuels.
Le meilleur exemple à retenir en la matière est né d’une vision et de la
volonté politique d’un homme éclairé, Léopold Sédar Senghor, premier
président de la République du Sénégal de 1960 à 1980, qui a œuvré pour la
création de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal
(OMVS).
Fondée en 1972, cette institution est devenue « la pierre angulaire de la
stabilité et de la paix régionales », comme a pu l’exprimer l’ex-secrétaire
général des Nations unies, Ban Ki-moon. Elle incarne un partage des eaux
raisonné entre le Sénégal, le Mali, la Mauritanie et la Guinée.
L’OMVS est ainsi un exemple réussi d’hydrodiplomatie, qui a su
notamment inspirer le traité israélo-jordanien sur les eaux du Jourdain ;
l’une des rares survivances des accords israélo-palestiniens d’Oslo qui
valurent à leurs signataires, Shimon Peres, Yitzhak Rabin et Yasser Arafat,
le prix Nobel de la paix en 1994.
C’est avec un esprit similaire que, le 23 mars 2015, un accord qualifié
d’historique était venu provisoirement clore un chapitre de tensions entre
l’Égypte et le Soudan d’une part, et l’Éthiopie d’autre part. Quelle
magnifique image que ces trois chefs d’État, le président soudanais Omar
el-Bechir, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le Premier ministre
éthiopien Haile Mariam Dessalegn, main dans la main, à l’issue d’une
cérémonie de signature qui s’est déroulée à Karthoum !
Le problème est que l’esprit de cet accord a depuis disparu à la faveur
de la finalisation et de la mise en eau du grand barrage Renaissance, dont la
première pierre a été posée le 2 avril 2011 par feu le Premier ministre
éthiopien Meles Zenawi, au moment même où la rue égyptienne réclamait
le départ du président Hosni Moubarak dans la continuité des Printemps
arabes.
Ce barrage éthiopien est destiné à être la plus grande réserve d’eau
douce d’Afrique avec un volume de 74 milliards de mètres cubes, ainsi que
la plus importante puissance hydroélectrique du continent avec 6 000
mégawatts, ce qui en fera également la 13e ou 14e au monde. Il est en
revanche perçu par Le Caire comme une menace grandissante pour la
souveraineté de l’Égypte, telle une épée de Damoclès posée au-dessus de sa
tête. C’est la raison pour laquelle l’Égypte a souhaité saisir le Conseil de
sécurité des Nations unies le 29 juin 2020.
Hérodote écrivait que l’Égypte est un don du Nil. Cette phrase n’a
jamais été autant d’actualité, quand on sait que 98 % de l’alimentation en
eau de ce pays dépend du Nil et que 95 % de sa population vit sur ses rives.
Celle-ci vient, le 11 février 2020, de dépasser la barre symbolique des 100
millions d’individus.
Pays arabe le plus peuplé, se situant au troisième rang du continent
africain derrière l’Éthiopie et le Nigeria, l’Égypte a vu littéralement
exploser le nombre de ses habitants au cours des trente dernières années. Ils
n’étaient que 57 millions en 1990. Un presque doublement est intervenu en
l’espace de trente ans, et il n’est pas près de se terminer, puisque 60 % des
Égyptiens ont aujourd’hui moins de 30 ans et le taux de fécondité est de 3,6
par femme. Les Nations unies prévoient ainsi que le cap des 120 millions de
personnes sera franchi à horizon 2030.
Pour le président al-Sissi, la bombe démographique présente ainsi un
risque sécuritaire aussi grave que l’insécurité alimentaire déjà existante et
que le terrorisme qui vient régulièrement frapper le sol égyptien.
Dans ce contexte, ce barrage en territoire éthiopien, qui devrait induire
une réduction du débit du Nil à son entrée en Égypte, est vu comme une
menace existentielle. Avec une contenance de 74 milliards de mètres cubes,
Le Caire estime que le remplissage de ce barrage, s’il n’est pas étalé dans le
temps et concerté, aura des incidences critiques provoquant en Égypte un
déficit annuel en eau estimé entre 128 et 143 milliards de mètres cubes 23.
C’est la raison pour laquelle le président al-Sissi a demandé à son
homologue américain Donald Trump, en marge de l’assemblée générale des
Nations unies de 2019, de s’impliquer sur ce dossier. Ceci fut fait dans les
semaines qui suivirent lors d’une réunion destinée à lancer un processus de
négociation.
Les ministres des Affaires étrangères égyptien, soudanais et éthiopien
ont ainsi été réunis une premier fois à la Maison-Blanche en
novembre 2019, sous l’égide du président américain et en présence du
président de la Banque mondiale, David Malpass, et du secrétaire d’État au
Trésor américain, Steven Mnuchin.
Par cette posture à la fois symbolique et stratégique, les États-Unis
grillaient quelque peu la politesse à la Russie qui avait elle-même proposé
une médiation en marge du sommet Russie-Afrique de Sotchi des 23 et
24 octobre 2019, mais également à la Chine, dont les liens économiques et
politiques avec l’Égypte et surtout avec l’Éthiopie sont profonds. Côté
éthiopien, les Chinois ont en effet participé à la construction de ce barrage,
tout comme aux réseaux de transmission électrique qui vont permettre de
transporter l’énergie hydroélectrique générée.
Washington renouait également avec un passé glorieux qui lui avait
permis de présider à la conclusion du traité sur l’Indus entre Inde et
Pakistan, signé en 1960. Son concepteur, David Lilienthal, avait été
auparavant directeur de la Tennessee Valley Authority et de la Commission
de l’énergie atomique des États-Unis, avant de favoriser un accord entre les
deux pays ennemis sur le partage des fleuves qui traversent l’État indien du
Jammu-et-Cachemire.

Réduire la dépendance stratégique à l’eau


Il n’est pas foncièrement étonnant que les États-Unis aient placé ces
discussions diplomatiques sous l’égide de leur ministre des Finances et de
la Banque mondiale, tant il sera question d’argent pour parvenir à une sortie
de crise par le haut sur le dossier du Nil.
Pour que l’Égypte accepte en effet une baisse programmée du débit du
Nil menaçant sa souveraineté, il va lui falloir augmenter la disponibilité en
eau pour réduire sa dépendance stratégique vis-à-vis de ses grands voisins
de l’amont le Soudan et l’Éthiopie ; ce qui aura un coût très élevé.
C’est ainsi un véritable plan Marshall, du nom de celui qui a permis la
reconstruction de l’ouest de l’Europe au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale, dont a besoin l’Égypte pour augmenter son offre en eau, tout en
limitant sa consommation dans les années à venir.
Ce plan doit d’abord permettre de reformer les pratiques hydrauliques
de l’agriculture en introduisant des techniques et des technologies
économes pour la ressource en eau : amélioration de l’efficience
énergétique des pompages, programme de réduction des fuites sur les
adductions, déploiement de systèmes d’arrosage en goutte-à-goutte,
introduction de nouvelles formes de cultures ayant une empreinte en eau
plus limitée, ou encore bannissement de certaines autres.
La loi 53/196 votée en août 2019 au Caire, visant à restreindre les
cultures du riz, de la canne à sucre et de la banane, toutes très
consommatrices d’eau, va clairement dans ce sens.
Il s’agit également pour l’Égypte de renforcer ses capacités de
traitement des eaux usées et de les orienter vers des systèmes intégrés de
réutilisation, comme le pratique admirablement son voisin israélien. En
Israël, 87 % des eaux usées sont en effet traitées pour être réutilisées à des
fins d’irrigation, d’arrosage d’espaces verts, de remplissage de piscines…
La station de Shafdan, la plus importante du Moyen-Orient, traite par
exemple les eaux usées d’environ 2 millions d’Israéliens, soit 130 millions
de mètres cubes/an. Une fois traitées, celles-ci sont réutilisées de façon à
permettre de répondre à 70 % des besoins en eau du Néguev, une région
désertique qui est pourtant devenue, en l’espace de trente ans, un centre
d’excellence en matière de production et d’innovation agricole.
Enfin, l’Égypte doit pouvoir accélérer ses capacités d’offre en eau
alternative que rend possible de dessalement.
C’est le choix affiché de la présidence égyptienne si l’on en croit les
annonces faites en 2019. L’Egyptian Armed Forces Engineering Authority
s’est en effet vu confier la réalisation d’une station de 160 000 mètres
cubes/jour pour la partie nord-ouest du canal de Suez, en complément de
trois autres stations annoncées pour un total capacitaire de 150 000 mètres
cubes/jour.
Afin d’augmenter les capacités de dessalement dont l’empreinte
énergétique, quoique ayant fortement diminué ces dernières années, est
encore de 2 kWh/mètre cube, il va sans doute falloir permettre à l’Égypte
d’accéder à l’atome civil, comme l’ont fait les Émirats arabes unis qui sont
devenus, le 1er août 2020, le premier pays arabe à disposer de l’énergie
nucléaire, après la mise en service du réacteur numéro 1 de la centrale de
Barakah.
Celle-ci est destinée à produire un quart de l’électricité consommée
dans l’émirat avec quatre réacteurs d’une puissance totale de 5 600 MW, qui
sont notamment destinés à répondre aux besoins grandissants des stations
de dessalement. Soixante-dix des plus importantes stations de dessalement
des Émirats arabes unis couvrent à elles seules 42 % des besoins en eau du
pays, et représentent déjà 14 % de la production mondiale d’eau dessalée.
Pour des raisons de sécurité hydraulique, l’Égypte entend
potentiellement suivre la même voie que son allié émirati afin de répondre
aux besoins en énergie du dessalement et envisage de lancer la construction
de quatre réacteurs russes Rosatom de troisième génération à el-Daba, sur
les bords de la Méditerranée. Mais l’Égypte mise également sur son atout
majeur, le gaz, avec la découverte du gisement de gaz naturel Zohr en
août 2015, qui est le plus important de Méditerranée orientale avec des
réserves de 850 km3. Mis en production en 2017, il offre désormais à
l’Égypte une autonomie stratégique en gaz naturel et lui permet d’exporter à
nouveau.
La voie qui s’ouvre à l’Égypte concernant le couple eau-énergie
pourrait demain être empruntée par d’autres pays actuellement confrontés à
une raréfaction de leurs ressources en eau et à des besoins grandissants en
matière de dessalement.
Ce chemin montre que là où volonté politique et ressources financières
se combinent, un combat honorable contre la pénurie hydrique peut être
mené. C’est ce qu’avait fort bien réalisé l’Algérie entre 2002 et 2012, dans
sa décennie d’investissement hydraulique. Au Forum mondial de l’eau de
2012, qui se déroulait à Marseille, il sera ainsi souligné qu’aucun pays au
monde, si ce n’est la Chine, n’aura autant investi dans ses infrastructures en
eau que l’Algérie.
Avant elle, c’est le roi du Maroc Hassan II qui avait fait preuve d’une
politique visionnaire et volontariste. Le 18 septembre 1967, lors d’un
discours à Tanger, le roi Hassan II annonçait aux Marocains un projet
d’envergure visant à irriguer 1 million d’hectares avant la fin du XXe siècle.
À l’époque, au lendemain de l’indépendance, le Maroc ne disposait que de
13 barrages et seulement 150 000 hectares de terre étaient irrigués.
L’objectif sera atteint dès 1997 et le royaume disposera d’une centaine
de barrages construits avec une capacité totale de stockage de 15 milliards
de mètres cubes.
Ces ambitions méditerranéennes de l’Algérie et du Maroc ne sont pas
sans rappeler celles d’une cité-État passée au rang de modèle en matière de
développement d’infrastructures hydrauliques : Singapour. Ce pays entend
atteindre l’autosuffisance stratégique en matière d’eau, en particulier pour
répondre à des risques d’ordre sécuritaire.
En 2002, Mas Selamat Kastari, un des chefs de la Jemaah Islamiyah,
avait en effet projeté d’attaquer les réseaux d’eau potable de Singapour, au
même titre que son aéroport international, le ministère de la Défense, ainsi
que les bureaux de forces navales américaines.
L’action de ce groupe terroriste visait entre autres cibles les pipelines
d’alimentation en eau singapouriens, un réseau névralgique puisque
Singapour dépendait encore stratégiquement au début des années 2000 de
l’eau brute que lui fournit la Malaisie 24.
C’est à ce type de menace sécuritaire et de réduction de dépendance
qu’entendait répondre le programme NEWater lancé en 1990 par le Public
Utilities Board en matière de réutilisation des eaux usées.
En 2020, trente ans après le lancement de ce programme par le
charismatique et visionnaire Premier ministre Lee Kuan Yew, la
réutilisation des eaux usées permet déjà de répondre à 30 % de la demande
en eau de l’État singapourien et ira même jusqu’à fournir 50 % de l’eau
consommée à Singapour en 2060, ce qui permettra à l’évidence d’atténuer
les effets d’une renégociation des accords de fourniture d’eau brute signés
avec la Malaisie lors de l’indépendance de Singapour en 1960.
En 2060, le dessalement fournira en effet 25 % des besoins en eau de
Singapour. Ce seront ainsi 75 % de la consommation d’eau du pays qui
seront couverts par des technologies alternatives, et non plus par une
conduite stratégique de transfert d’eau venue de la Malaisie voisine,
vulnérable en termes de sûreté physique et logique, et présentant pour
Singapour un risque certain en termes de continuité du service de l’eau en
cas de crise.
Les conséquences d’un arrêt de la distribution d’eau impacteraient en
effet tant la sécurité sanitaire et physique des personnes et des biens que,
également, l’activité économique et l’attractivité touristique du territoire.
En cela, le modèle singapourien, favorisant les ressources en eau
alternatives tout en agissant sur la demande pour la rendre la plus économe
possible, et plaçant la politique hydraulique au cœur d’une stratégie de
défense et de sécurité collective, est sans aucune doute celui qui permettra
d’atténuer les tensions liées à l’eau dans les années à venir.
Cette stratégie rappelle ce que la Grande-Bretagne a mis en place à
petite échelle pour sa place forte de Gibraltar. Cédée en 1713 à la Grande-
Bretagne, cette péninsule, la plus densément peuplée au monde avec 4 290
habitants au kilomètre carré, constitue un verrou stratégique entre
l’Atlantique et la Méditerranée, entre l’Europe et l’Afrique. À moins de
contourner le cap de Bonne-Espérance en Afrique du Sud, Gibraltar
surveille un détroit qui est un passage obligé pour la grande route maritime
est-ouest. S’y croisent environ 100 000 navires chaque année.
Objet de rivalités géopolitiques majeures, y compris en cette période de
Brexit, Gibraltar n’a jamais eu d’accord avec l’Espagne pour que les
conduites espagnoles des villes voisines, notamment d’Algésiras, viennent
approvisionner en eau ses habitants, ce qui explique en grande partie
sa stratégie sécuritaire d’investissement dans un système
d’approvisionnement autonome et innovant.
Dès 1956, une première station de dessalement par distillation était ainsi
construite. Elle portait l’eau à 120 °C, permettant d’évaporer le sel, ce qui
en fit une des premières unités de dessalement au monde. Elle fut suivie par
deux usines en 1969 et 1979 ; toutes deux remplacées en 1983.
En 2001, une unité de dessalement par osmose inverse était enfin
installée pour diminuer l’empreinte énergétique et le coût du procédé par
voie de distillation.
Par ailleurs, depuis la Première Guerre mondiale, d’immenses plages de
béton apposées à même la falaise constituent des zones de captage pour
l’alimentation du roc Gibraltar en eau de pluie. Celles-ci sont recueillies
dans d’importants réservoirs d’eau brute creusés à même le rocher.
Ainsi, Gibraltar apparaît, à son échelle, un modèle d’emploi efficace de
gestion des eaux de pluie et du dessalement d’eau de mer. Il rappelle en cela
celui, plus moderne, de Singapour, cumulant dessalement et réutilisation
des eaux usées.
Tous deux doivent pouvoir inspirer nombre de gouvernants recherchant
l’autonomie stratégique en eau en cette première partie du XXIe siècle.

Des « Casques bleus » de l’eau pour


protéger les infrastructures
Comme nous l’avons montré, l’eau étant devenue un enjeu de sécurité
collective dans certaines parties du monde, il devient également nécessaire
de mieux protéger les infrastructures hydrauliques contre toute atteinte à
leur intégrité.
Les ouvrages essentiels à l’alimentation en eau des populations et des
établissements hospitaliers ont en effet une valeur bien trop stratégique pour
les laisser devenir otages de groupes armés ou cibles de destructions ciblées
ou collatérales.
De ce point de vue, la Convention de Genève du 12 août 1949, relative
à la protection des populations en temps de guerre, est très stricte sur
l’interdiction de destruction d’installations civiles (article 53), sur la
nécessité de permettre aux populations de continuer à se nourrir et à se
soigner durant les conflits (article 55), sur le devoir de laisser les hôpitaux
et les centres de soins fonctionner, ainsi que de tout mettre en œuvre pour
empêcher le développement d’épidémies (article 56).
L’International Law Association 25 a également édicté en 1976 des
règles strictes en vue de protéger les infrastructures hydrauliques, avec
notamment l’interdiction de cibler et de détruire les ouvrages, de détourner
les fleuves ou encore de provoquer des inondations à des fins militaires.
Dans le cas de conflits armés non internationaux, les protocoles
additionnels aux Conventions de Genève de 1977 stipulent enfin un besoin
de protection absolu de ces ouvrages, selon l’article 54 concernant la
protection des installations indispensables à la survie des populations, et
l’article 56 concernant l’interdiction de cibler des installations qui
présentent un risque pour les populations comme les barrages, les digues ou
les centrales nucléaires.
Une signalétique bien spécifique a même été pensée afin de signifier
l’importance de ces ouvrages pour la survie des populations et le besoin
qu’ils soient absolument épargnés par les bombardements.
Dans l’annexe 1 du premier Protocole additionnel des Conventions de
Genève (« regulations concerning identification », amendé le 30 novembre
1993 en pleine guerre de Bosnie), est ainsi spécifiée, dans le paragraphe 7
de l’article 56, l’existence d’un signe distinctif censé rendre les lieux qui
l’arborent inviolables et protégés des bombes.
Il s’agit de trois cercles orange horizontaux, comme un feu tricolore,
mais à l’envers. Toutefois, qui exactement en a connaissance sur les théâtres
de guerre ? Combien de fois, quand il était apposé, ce signe a-t-il été
concrètement respecté ?
Cet état de fait inacceptable doit absolument changer afin d’assurer aux
ouvrages qui arborent ce signe distinctif la neutralité et la protection
complètes que requiert ce statut. Le cas échéant, le mandat donné à une
force d’interposition doit prévoir que ces installations seront en priorité
occupées militairement pour être protégées, en permettant à des Casques
bleus (couleur symbolique de l’eau) d’y stationner pour empêcher les
belligérants de les prendre pour cible ou de les occuper.
Cette stratégie d’occupation préventive est valable dans des zones en
conflits, mais doit également pouvoir s’appliquer pour des ouvrages
hydrauliques de pays en paix, qui sont cependant désormais sous la menace
diffuse et permanente du terrorisme.
Avant l’attaque de Pearl Harbour, en 1941, J. Edgar Hoover, écrivait
qu’« il a longtemps été reconnu que l’alimentation en eau représente un
point de vulnérabilité particulier, offrant des opportunités d’attaque à un
agent étranger 26 ». Le directeur du FBI parlait à l’époque des menaces
japonaises ou allemandes.
Cependant, la situation n’a guère changé depuis.Comme le soulignait en
2010 un rapport du Congressional Research Service dépendant du Congrès
des États-Unis 27, les ouvrages hydrauliques sont vulnérables et le resteront
tant que des mesures spécifiques n’auront pas été mises en place pour leur
protection.
Les forces de police et de gendarmerie, ainsi que les forces armées, ne
pouvant veiller physiquement en permanence à la sûreté d’ouvrages
hydrauliques, il apparaît aujourd’hui nécessaire de penser à la création
d’unités de protection dédiées.
C’est ce que font les États-Unis depuis 1931 avec le Bureau of
Reclamation Police, également appelé Hoover Dam Police, mis sur pied
pour la protection de ce barrage stratégique situé dans le Nevada, à
37 kilomètres de Las Vegas.
Depuis les années 1930, les fonctions de cette unité de surveillance et
d’intervention n’ont guère varié, mais se sont vues renforcées au lendemain
du 11-Septembre 2001.
Le barrage Hoover, ainsi que d’autres ouvrages hydrauliques essentiels
à l’Arizona et au Nevada, sont ainsi protégés par des agents assermentés,
dotés d’outils à même de contrôler en temps réel véhicules et individus qui
s’y rendent. Avant d’entrer en fonction, les personnels du Bureau of
Reclamation Police passent douze mois en formation spécialisée sur les
ouvrages qu’ils ont à protéger, ce qui leur permet de savoir précisément ce
qu’ils ont à surveiller et à sécuriser en priorité.
Car c’est bien là le sujet.
Un ouvrage hydraulique, ou un site classé Seveso, ne doit pas être
protégé comme un simple site industriel ou un vulgaire entrepôt. La
sécurisation de ces ouvrages critiques, potentiellement dangereux pour les
populations si un acte malveillant était commis à leur encontre, réclame
fiabilité, compétence et rigueur sur le « quoi protéger ? » et le
« comment ? ».
D’où la nécessité de créer, là où cela apparaît nécessaire, un corps de
sécurité spécialisé sur le modèle du Bureau of Reclamation Police
américain, ou d’adapter aux ouvrages hydrauliques et à d’autres sites
critiques français l’exemple du fonctionnement de la Civil Nuclear
Constabulary britannique.
Cette entité créée en avril 2005 a pour fonction d’assurer la sécurité des
sites nucléaires civils britanniques, au sein de leur périmètre immédiat, mais
également dans un rayon de 5 kilomètres autour d’eux. Les membres de
cette unité spécialisée ont, comme la police des transports du Royaume-
Uni, les mêmes pouvoirs d’anticipation (capacité de renseignement) et de
réponse (usage des armes) pour neutraliser tout adversaire déclaré.
Une force de protection et d’intervention pourrait ainsi en France
comme ailleurs en Europe concourir spécifiquement à la sûreté des
infrastructures vitales, dont font partie les ouvrages hydrauliques qu’ils
soient barrages, stations de production d’eau potable, réservoirs de
distribution ou usines de traitement des eaux usées de grande capacité.
En France, la réserve opérationnelle des armées et de la gendarmerie
pourrait de ce point de vue être utile, permettant à des réservistes civils
entraînés, qui sont du reste pour certains des professionnels du secteur de
l’eau, d’assurer des fonctions de surveillance et d’intervention sur les
ouvrages, en liaison avec leurs exploitants et les structures de gardiennage
que ceux-ci peuvent déjà utiliser.

Renforcer la coopération public-privé


en matière de sécurité
La protection des infrastructures hydrauliques passe ainsi par de
nouvelles formes de partenariats. Si, comme évoqué plus haut, les
réservistes peuvent être mieux utilisés pour dissuader, détecter ou retarder
une menace, il en est de même des exploitants et des sociétés de
gardiennage auxquels il est fait appel en matière de protection et de contrôle
de la sûreté sur les ouvrages hydrauliques.
En France, la personne responsable de la production ou de la
distribution d’eau (PRPDE), qui est la responsable directe de la qualité de
l’eau produite et/ou distribuée (dite également « maître d’ouvrage du
réseau »), est qualifiée pour mettre en œuvre les mesures du plan Vigipirate,
à savoir des mesures-socles et des mesures renforcées.
Au titre des mesures-socles, il s’agit par exemple d’assurer de façon
permanente la surveillance et la protection des réseaux d’eau, leur
autonomie de fonctionnement ; de disposer d’un plan d’intervention ou
encore d’évaluer les besoins en eau en situation dégradée et en particulier
auprès des clients prioritaires pour raisons sanitaires.
Ces mesures-socles seront durcies par des mesures additionnelles sous
l’autorité du préfet en cas de menaces particulières. Elles doivent alors
passer par le renforcement de la surveillance des installations et de leur
fonctionnement, ou la mise en œuvre de programmes additionnels d’analyse
et de contrôle de l’eau et des réactifs.
D’une portée nationale, ces postures de protection issues de Vigipirate
vont se voir renforcées par la législation européenne, suite aux directives de
qualité pour l’eau de boisson et pour la sécurité sanitaire de l’eau
d’alimentation issues de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Dans le cadre de la révision de la Directive eau potable 98/83/CE, des
Plans de gestion et de sécurité sanitaire des eaux (PGSSE) vont ainsi
devenir obligatoires en droit français à compter de mars 2022.
À l’échelle du système de production et de distribution d’eau, ces plans
comprendront une évaluation des risques, y compris malveillants,
susceptibles d’affecter celui-ci, comme le code de la santé publique le
prévoyait déjà en 2007 par son article R.1321-23 stipulant que : « Les
installations de production et les unités de distribution d’eau desservant une
population de plus de 10 000 habitants, la personne responsable de la
production ou de la distribution d’eau (PRPDE) réalise régulièrement une
étude caractérisant la vulnérabilité de ses installations de production et de
distribution vis-à-vis des actes de malveillance et la transmet au préfet,
selon les modalités fixées par un arrêté des ministres chargés de l’Intérieur
et de la Santé. »
Les PGSSE entendent ainsi offrir une approche proactive fondée sur la
maîtrise des risques visant à prévenir et à agir face à toute difficulté, sans
attendre qu’elle survienne, en permettant des améliorations progressives et
une fiabilité accrue des systèmes d’alimentation en eau potable.
Dans ce contexte, ainsi que dans le cadre strict de l’application des
mesures-socles ou renforcées du plan Vigipirate, il est plus que probable
que les exploitants et leurs autorités organisatrices auront à l’avenir de plus
en plus recours à des prestations de sociétés de surveillance privées, dont il
faudra sans aucun doute qualifier la capacité à surveiller et à intervenir
spécifiquement en matière de protection d’infrastructures critiques
hydrauliques.
Un réservoir stratégique réclame en effet de la rigueur pour y effectuer
des levées de doute avec science et conscience, bref avec
professionnalisme ; de même qu’une usine de production ou un barrage
hydroélectrique doivent être scrupuleusement surveillés en fonction de
chemins de ronde pertinents et prévalidés. Il en est de même en ce qui
concerne les procédures de réaction sur incident ou en cas de malveillances
constatées.
En zone de crise, le même esprit de coopération public-privé doit
prévaloir avec l’objectif de veiller, autant que faire se peut, à la protection et
à la continuité d’activité des infrastructures hydrauliques.
Une approche peut en particulier viser à renforcer les liens entre
exploitants restés sur le terrain de pays en conflit et des structures civilo-
militaires.
Les techniciens et les ingénieurs de l’eau sont comme les infirmiers et
les médecins. Dans les villes assiégées, ils représentent souvent le seul
capital humain resté sur place pour tenter d’atténuer le malheur des
populations.
Depuis vingt-cinq ans, de Sarajevo à Alep, grâce soit ainsi rendue à ces
professionnels de l’eau qui s’acharnent à maintenir un minimum de
continuité du service ; ce malgré les tirs, les bombardements, les explosions
et les incendies. Ils ont souvent payé un tribut immense, celui du sacrifice
suprême de leur vie ou de leur famille, pour permettre aux habitants de
disposer d’un minimum d’électricité ou d’eau, dans un contexte de
déchaînement de violence.
Dans les conflits d’hier comme dans ceux de demain, ce sont eux qui
doivent être aidés en priorité dans les zones urbaines détruites.
Pour ce faire, il est fondamental de pouvoir suivre, en liaison avec ces
exploitants locaux, l’état des destructions dont sont victimes les
infrastructures hydrauliques au fil du conflit.
Il est ainsi plus que nécessaire de collationner du renseignement sur les
besoins techniques qui s’expriment ; de connaître précisément ce qui a été
détruit et ce qui peut encore continuer à fonctionner malgré les dégâts ;
d’évaluer de quels équipements, de quels consommables (les réactifs
chimiques en particulier), la continuité de service recherchée va dépendre.
Dans cette logique, les services de renseignement militaire, qui
s’occupent de l’évolution des situations opérationnelles dans les zones de
conflits, doivent pouvoir renforcer leurs capacités d’évaluation et d’analyse
sur l’état d’infrastructures essentielles à la vie, telles que l’eau,
l’assainissement ou l’électricité.
Ce sont de véritables cellules de recueil d’informations spécialisées en
infra intelligence qui doivent (re)naître au sein des services de
renseignement. Renaître, car elles existaient dans un passé pas si lointain,
remontant à la guerre froide, quand les deux camps Est-Ouest épiaient leurs
capacités respectives en matière d’infrastructures critiques.
Cela impose de pouvoir s’appuyer sur des profils spécialisés en génie
d’infrastructures, qu’ils soient ingénieurs militaires ou encore techniciens et
ingénieurs civils, versés ou non dans la réserve.
Lors des conflits en ex-Yougoslavie, le Commandement des opérations
spéciales (COS) avait expérimenté cette doctrine avec les EIT (Expertises
initiales de théâtres) permettant au commandant des forces françaises
(COMFOR) de disposer d’un diagnostic rapide sur l’état des infrastructures
et des réseaux de vie à rétablir de manière urgente dans un pays en guerre ;
en faisant notamment en sorte que des factions ennemies réapprennent à
travailler ensemble au profit de l’intérêt général, comme ce fut tenté pour
rapprocher ingénieurs et techniciens kosovars d’origine serbe avec leurs
homologues d’origine albanaise.
Plus proche de nous, il est fort intéressant de constater que l’État-Major
des armées a pris en compte le besoin d’associer emploi des forces et
stratégie de développement afin d’aider à la stabilisation de zones en crise,
comme l’ex-chef d’État-Major des armées, le général Pierre de Villiers, et
Rémy Rioux, le directeur général de l’Agence française de développement,
en avaient souligné le besoin alors que se tenait l’édition 2016 du Forum
international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique.
Ceci se traduit par la présence d’un officier de liaison du CPCO (Centre
de planification et de conduite des opérations) à l’AFD et réciproquement.
Dans un deuxième temps, une fois réalisé un état des lieux remontant du
terrain quant aux besoins d’équipements d’infrastructures, il faut pouvoir
acheminer pièces de rechange et matériels de production/distribution aux
exploitants restés en zones de crise, afin de leur permettre de mettre en
œuvre ces équipements en mode dégradé et de restaurer un minimum de
continuité de service au profit des populations et des bâtiments sensibles
que sont les hôpitaux.
C’est là que réside l’apport précieux des associations humanitaires
actives dans le domaine de l’eau : le Comité international de la Croix-
Rouge, Solidarités, ou la Waterforce de la Fondation Veolia.
Leurs personnels disposent en effet de connaissances approfondies en
termes de logistique opérationnelle, d’assistance technique et de supervision
de travaux, pouvant aider les techniciens et ingénieurs locaux à réhabiliter
les stations de pompage ou les conduites touchées.
Cette approche doit pouvoir venir compléter le panel des actions déjà
nombreuses et admirables qui sont celles des humanitaires en matière
d’alimentation en eau d’urgence. À titre d’exemple, en octobre 2019, dans
le nord-est de la Syrie, le CICR, conjointement avec le Croissant-Rouge
syrien, tentaient, dans des conditions sécuritaires particulièrement difficiles,
d’alimenter en eau Hassadek (400 000 habitants), car les ouvrages de la
ville avaient été ciblés par les belligérants.
En novembre 2015, en plein siège d’Alep qui occasionnait des
privations d’eau régulières pour ses 2 millions d’habitants, la Croix-Rouge
et le Croissant-Rouge organisaient et mettaient également en ligne sur une
application pour smartphone des points de distribution d’eau grâce à des
réparations de fortune effectuées sur des sites de production 28.
Qu’ils soient humanitaires, militaires, techniciens ou ingénieurs civils
versés dans la réserve, ce sont de véritables « Casques bleus de l’eau 29 » qui
doivent maintenant rassembler leurs moyens et mobiliser leur intelligence
pour permettre aux populations touchées par les conflits armés de disposer
d’un minimum de ces services essentiels à la vie que sont l’eau,
l’assainissement et l’électricité.
Ce besoin de coopération pour la protection des infrastructures en eau
durant les conflits s’inscrit pleinement dans ce que Peter Brabeck-Letmathe,
alors P-DG de Nestlé, a appelé de ses vœux lors de l’édition 2008 du World
Economic Forum en souhaitant la création d’une « coalition public-privé
inédite et puissante », afin de répondre, de manière coordonnée et
structurée, aux crises de l’eau qui s’annoncent dans le monde.

1. Thomas Homer-Dixon, « On the threshold : environmental changes as causes of acute


conflict », International Security 16, (1991) et « Environmental scarcities and violent conflict »,
International Security 19, 1994.
2. Peter Schwartz et Tony Randall, « An abrupt climate change scenario and its implications for
United States National Security », 2003.
3. National Security and Threat of Climate Change, CNA Corporation, 2007.
4. Global Water Security, Intelligence Community Assessment, Office of the Director of
National Intelligence, 2012.
5. Xavier Leflaive, Water Outlook to 2050 : the OECD Calls for Early and Strategic Action,
OECD Environment Directorate Paris, mai 2012.
6. Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, Q&A session after statement at the
Federation of Indian Chambers of Commerce and Industry in New Delhi, 15 mars 2001, UN,
New York, SG/SM/7742.
7. Water in a Changing World, UN World Water Development Report, mars 2009.
8. UN Security Council Meeting no 7818. Maintenance of International Peace and Security.
Water Peace and Security, page 1.
9. Avoiding Water Wars : Water Scarcity and Central Asia’s Growing Importance for Stability
in Afghanistan and Pakistan, US Senate, majority staff report, prepared for the use of the
Committee on Foreign Relations, 22 février 2011.
10. Ben Sutherland, Water Shortages Foster Terrorism, BBC News Online in Kyoto, 18 mars
2003.
11. L’eau : enjeu de sécurité, document de la Division diplomatie publique de l’OTAN, 2006.
12. Food and Water Security in the Middle East and North Africa, NATO Parliamentary
Assembly, Science and Technology Committee, mai 2017.
13. Lawmakers from NATO Allies Warn on Risks from Middle East Water Shortages, Climate
Change, OTAN, 22 mai 2017.
14. À ce jour, au-delà de ses États membres à part entière, l’OCS peut également compter sur
quatre autres pays ayant le statut d’observateurs (l’Afghanistan, la Biélorussie, l’Iran et la
Mongolie), et sur six partenaires de l’initiative de dialogue (la Turquie, membre de l’OTAN,
l’Azerbaïdjan, l’Arménie, le Cambodge, le Népal et le Sri Lanka).
15. Anubhav Agarwal, Water Woes in Central Asia : Can SCO Offer a Solution ?, Observer
Research Foundation, 20 juillet 2019.
16. A Matter of Survival, rapport du Global High-Level Panel on Water and Peace, 2017.
17. Par lettre du 24 juin 2016, signée du ministre français des Affaires étrangères et du
Développement international, Jean-Marc Ayrault, l’auteur était désigné officiellement pour
représenter la France dans ces débats qui ont duré près de deux ans, de novembre 2015 à
septembre 2017.
18. Isabelle Cousturié, « Le pape lance Watershed, parce que l’eau est un droit et non une
marchandise », Aleteia, 23 mars 2017.
19. Dominique Greiner, « Les clés pour comprendre l’encyclique sur l’écologie du pape
François », La Croix, 18 juin 2015.
20. « Le pape François met en garde contre une guerre mondiale pour l’eau », Sputnik,
26 février 2017.
21. Transformer le risque en dialogue et coopération, rapport 2018 de l’Organisation de
coopération islamique sur l’eau, page 3.
22. Ibid., page 68.
23. Overview of GERD Negociation From Technical Perspective, D. Alaa el-Zawahry,
professeur d’ingénierie, département d’irrigation et d’hydraulique du Génie, Université
du Caire, 21 octobre 2020.
24. Voir article de l’auteur, « Singapour et l’eau », Revue Défense Nationale, octobre 2008.
25. International Law Association, Resolution on the Protection of Water Resources and Water
Installations in Times of Armed Conflict, 1976.
26. « Water Supply Facilities and National Defense » J. E. Hoover, Journal of the American
Water Works Association, vol. 33, no 11. 1941.
27. « Terrorism and Security Issues Facing the Water Infrastructure Sector », Claudia Copeland,
Specialist in Resources and Environmental Policy, 16 mars 2010.
28. « Syria : ICRC works to avoid massive water crisis in Aleppo », article publié pour la
première fois sur Syria Deeply et repris par le CICR, 10 novembre 2015,
https://www.icrc.org/en/document/syria-icrc-water-crisis-aleppo
29. Franck Galland, « Les Casques bleus de l’eau », Bulletin d’études de la marine, no 38,
juin 2007.
Remerciements

Merci aux Éditions Robert Laffont et en particulier à Françoise Delivet,


directrice littéraire, de m’avoir donné l’opportunité de publier une nouvelle
contribution sur les ressources en eau, qui sont devenues, comme je ne
cesse de l’écrire depuis 2004, un enjeu géopolitique et un sujet de sécurité
internationale.

Ce livre n’aurait pas été possible sans les conseils et la bienveillance de


Michel Wieviorka, directeur de la collection Le monde comme il va. Nos
rencontres donnent toujours lieu à des échanges intellectuels passionnants.

Merci à Cédric Lewandowski, qui a accepté de préfacer cet ouvrage. Je


suis particulièrement sensible à cette nouvelle marque de confiance de sa
part après les missions qu’il m’a confiées quand il était directeur du cabinet
civil et militaire du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian.

Merci à la grande famille du service d’infrastructure de la Défense,


commandé par le général de corps d’armée Bernard Fontan, et plus
particulièrement à son centre d’expertises, le CETID, dirigé par l’ingénieur
en chef de première classe Serge Régnier. La compétence et le dévouement
des ingénieurs militaires d’infrastructure place très haut le sens donné au
verbe « servir ». Ils sont les dignes héritiers des personnages qui figurent
dans ce livre et ont donné naissance en 1915 au Service des eaux des
Armées.

Depuis mon grade d’aspirant obtenu à la sortie de mon peloton d’élève


officier de réserve jusqu’à celui de Lieutenant-Colonel, soit une vingtaine
d’années passées en réserve opérationnelle dans diverses affectations, j’ai
profondément été marqué par l’exemplarité des personnels engagés au
service des Armes de la France.
Ce livre leur est dédié.
Leur savoir-être en toute circonstance, même les plus périlleuses, est
venu enrichir l’apport également très précieux qu’est pour moi celui des
ingénieurs et des techniciens de l’eau et de l’assainissement que je
fréquente professionnellement depuis plus de vingt ans.
Leur métier est essentiel à la vie. La manière dont ils l’exercent est en
tous points remarquable.
Qu’ils soient de Suez ou de Veolia, ils sont à mes yeux les membres
d’une même famille et doivent maintenant unir leur force pour répondre aux
enjeux environnementaux mondiaux de demain.

Le même talent et le même sens de l’engagement au service de l’intérêt


général se retrouvent chez les opérateurs publics de l’eau qui desservent
leurs territoires locaux.
Aussi, que toutes celles et ceux de la profession que j’ai rencontrés et
pour lesquels j’ai travaillé à travers mes activités d’ingénieur-conseil – et ils
sont nombreux – soient remerciés de ce qu’ils font pour distribuer, sans
discontinuité, une eau de qualité et rendre les eaux usées propres à la nature.
Ce livre, bien que traitant principalement de questions de défense et de
sécurité, leur appartient.

Enfin, mais j’aurais dû commencer par eux, mes plus vifs


remerciements vont à mon épouse et à mes trois fils. Depuis une quinzaine
d’années, ils supportent avec une constante patience, soirs, vacances et
week-ends, mes travaux d’écriture qui viennent s’ajouter à un emploi du
temps déjà surchargé, m’empêchant à mon regret de passer plus de temps
avec eux.

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