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Relations Patrimoniales Au Sein Du Couple. Les Régimes Matrimoniaux en Droit International Privé - Patrick Wautelet

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Relations patrimoniales au sein du couple : les régimes matrimoniaux en droit

international privé
Patrick Wautelet
Université de Liège

Section 1 – Quelles règles ? De l’importance du droit transitoire


§ 1. Une évolution de la règle de conflit de lois en quatre étapes
§ 2. Les éléments déclencheurs : le mariage et le choix de loi
A. La date du mariage
B. Le choix de loi comme élément décisif du droit transitoire

Section 2 – La situation d’époux en l’absence de choix de loi


§ 1. Les époux mariés avant le 1er octobre 2004 : le règne de la loi nationale
A. Le principe : soumission du régime légal à la loi nationale des époux
B. La règle subsidiaire
C. Les correctifs

§ 2. Les époux mariés après le 1er octobre 2004 : le triomphe de la résidence habituelle
A. Le principe : soumission du régime légal à la loi de la résidence habituelle des
époux
B. La nuance : l’application de la loi de la nationalité commune
C. Les correctifs

Section 3 – Les époux et le contrat de mariage

§ 1. Contrat de mariage et détermination de la loi applicable aux relations entre époux


§ 2. Intérêt et portée du choix de loi dans un contrat de mariage
§ 3. Le choix de la loi dans le contrat de mariage : principe et limitation
A. Le principe : une large autonomie reconnue aux époux
B. Les limites à l’autonomie de volonté des époux
C. Le choix de loi dans la pratique notariale

Section 4– Questions de pratique notariale

§ 1. Le contrat de mariage : quelles exigences formelles ?


§ 2. La modification du régime matrimonial
§ 3. Les donations entre époux
L’Union européenne a récemment adopté deux règlements qui visent spécifiquement les
relations patrimoniales au sein des couples1. Ces règlements sont pleinement applicables
depuis le 29 janvier 2019. Les nouveaux textes ne bouleversent pas les habitudes, les
règles européennes se situent au contraire dans la continuité. Pour autant, l’entrée en
vigueur des deux instruments offre l’occasion de faire le point sur des questions qui
peuvent être d’une redoutable complexité. La matière des régimes matrimoniaux et plus
généralement des relations patrimoniales de couples suscite en effet de nombreuses
questions en droit international privé. L’ambition de la présente contribution n’est pas de
proposer une synthèse définitive qui pourrait remplacer les très nombreux
commentaires déjà existants2. Elle est plutôt de donner au notariat belge un guide
pratique permettant de répondre aux questions les plus courantes.

Il ne sera pas question dans les lignes qui suivent de la compétence internationale des
juridictions belges. Des règles particulières existent qui visent à préciser dans quelles
circonstances il est permis de saisir une juridiction belge. Ces règles n’ont néanmoins
qu’un intérêt limité pour la pratique notariale. Le principe demeure en effet qu’un
notaire belge peut intervenir et prêter son concours dès lors que les parties intéressées
le sollicitent. Lorsqu’un notaire belge est sollicité pour accompagner la rédaction d’un
contrat ou pour conseiller des (futurs) époux, la question de la compétence
internationale n’a aucun impact direct.

Il ne sera pas non plus question des relations entre partenaires. Certes, le nombre de
partenariats est en augmentation constante, de même que le nombre de pays qui
permettent à deux personnes de se lier durablement autrement que par le mariage.
Règlementation est néanmoins particulière3.

Dans une première section, il conviendra de s’attarder sur les difficultés de droit
transitoire, qui sont décisives dans ce domaine. L’on examinera ensuite successivement
la situation d’époux mariés sans convention de mariage (section 2) pour évoquer le rôle

1
Règlement (UE) 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforce dans
le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions
en matière de régimes matrimoniaux, J.O., 8 juillet 2016, L-183/1 et Règlement (UE) 2016/1104 du
Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la
compétence, de la lo applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière
d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés, J.O., 8 juillet 2016, L-183/30.
2
Pour s’en tenir aux ouvrages en langue française, on peut mentionner les publications suivantes : I.
BARRIÈRE-BROUSSE et G. LARDEUX (dir.), Le patrimoine des couples internationaux saisi par le droit de
l’Union européenne : les règlements européens du 24 juin 2016, Presses Universitaires d’Aix-Marseille,
2018, 158 p. ; U. BERGQUIST, R. FRIMSTON, B. REINHARTZ, D. DAMASCELI et P. LAGARDE, Commentaire des
règlements européens sur les régimes matrimoniaux et les partenariats enregistrés, Dalloz, 2018, 348
p. ; S. CORNELOUP, V. EGÉA, E. GALLANT et F. JAULT-SESEKE (éds.), Le droit européen des régimes patrimoniaux
des couples. Commentaire des règlements 2016/1103 et 2016/1104, Société de législation comparée,
2018, 491 p.
3
Pour un éclairage récent, cons. L. BARNICH, « Les partenariats – questions de droit international privé »,
Rec. gén. not. enr., 2018/18, n° 27.148, pp. 475-484.
de l’autonomie de la volonté (section 3). Dans une dernière section, des questions plus
ponctuelles liées à la pratique notariale seront abordées (section 4).

Section 1 – Quelles règles ? De l’importance du droit transitoire

Le droit international privé des relations patrimoniales de couples est devenu, au fil des
années, un droit riche et complexe. Plusieurs instruments se sont succédé, qui ont
chacun mis en place des règles appelées à régir les relations patrimoniales
internationales. L’adoption de nouvelles règles n’a pas emporté la disparition des
anciennes, provoquant une accumulation de règles. Cette accumulation nécessite que
l’on s’interroge sur le régime de droit transitoire. L’interrogation est d’autant plus
pertinente que les relations matrimoniales sont en règle appelées à s’étendre sur des
longues périodes. L’on peut dès lors rencontrer des époux dont la relation a commencé
sous un instrument donné pour se terminer alors qu’un autre régime de droit
international privé a été mis en place.

§ 1. Une évolution de la règle de conflit de lois en quatre étapes

On retiendra en schématisant que quatre étapes doivent être distinguées. Les deux plus
anciennes sont également les plus difficiles à appréhender. Elles concernent une période
pendant laquelle le droit international privé belge des régimes matrimoniaux reposait sur
une base légale très générale à savoir l’article 3, al. 3 du Code civil. Cette disposition,
aujourd’hui abrogée, faisait référence à la loi nationale des parties intéressées. Sur base
de cette disposition, les cours et tribunaux ont développé un ensemble de règles visant
les différentes hypothèses qui pouvaient leur être soumises. Cette jurisprudence a connu
une évolution importante au cours du temps, qui a concerné principalement
l’identification du rattachement pertinent en présence d’époux ne possédant pas, au jour
du mariage, la même nationalité. Pour rendre compte de cette évolution, il convient de
distinguer entre deux périodes successives. La première s’est ouverte avec l’adhésion de
la Belgique à la Convention de La Haye de 19054. Elle a pris fin lorsque la jurisprudence a,
à partir des années 1960, remis en question la soumission d’époux possédant des
nationalités différentes à la nationalité du mari. Cette évolution a conduit à retenir un
rattachement différent pour les époux qui ne possèdent pas la même nationalité.

Le règne de l’article 3, al. 3 et des développements qu’y avait consacré une jurisprudence
importante a pris fin avec l’entrée en vigueur du Code de droit international privé le 1er
octobre 2004. Ce Code bien connu a modifié de manière substantielle la règlementation
applicable aux questions patrimoniales du couple. Le Code a notamment consacré de
manière expresse la possibilité pour les (futurs) époux de sélectionner la loi applicable à
leurs relations patrimoniales, alors qu’un flou certain régnait sur cette possibilité dans la

4
Convention du 17 juillet 1905 concernant les conflits de lois relatifs aux effets du mariage sur les droits et
les devoirs des époux dans leurs rapports personnels et sur les biens des époux. Cette convention a été
en vigueur en Belgique entre février 1913 et août 1922.
période qui a précédé l’adoption du Code. Le Code a également inversé l’ordre des
rattachements, en accordant la première place à un rattachement fondé non plus sur la
nationalité des époux mais bien sur leur résidence habituelle.

La dernière étape s’est ouverte le 29 janvier 2019 : à cette date, les deux règlements
européens sont pleinement entrés en vigueur.

Période Instrument pertinent


< 1960 ( ?) Jurisprudence art. 3 al. 3 C. civ. (phase 1)
> 1960 (?) - < 01.10.2004 Jurisprudence art. 3 al. 3 C. civ. (phase 2)
> 01.10.2004 - < 29.1.2019 CODIP
≥ 29.1.2019 Règl. régimes matrimoniaux/partenariats

§ 2. Les éléments déclencheurs : le mariage et le choix de loi

Le praticien peut être amené à utiliser une règle de conflit de lois appartenant à l’une de
ces quatre périodes différentes. Pour déterminer quelle époque est pertinente dans un
cas donné, il importe de tenir compte de deux repères importants. Le premier est
pertinent pour l’ensemble des couples. Il concerne la date du mariage. Celle-ci est
déterminante pour orienter le couple vers l’une ou l’autre règlementation. Le second est
la date d’un éventuel choix de loi effectué par les membres du couple.

Ces deux éléments sont à mettre en rapport avec les différentes réglementations qui se
sont succédées dans le temps.

A. La date du mariage

Le rôle déterminant de la date du mariage concerne tant la période qui a précédé


l’adoption du Code de droit international privé que celle qui a suivi. S’agissant des règles
qui ont précédé la codification en 2004, il est revenu à la Cour de cassation de consacrer
l’importance de la date du mariage.

Avant l'entrée en vigueur du Code, un problème de droit transitoire s'était en effet déjà
posé dans la mesure où, comme déjà évoqué, la règle de rattachement applicable aux
époux de nationalités différentes a évolué avec le temps. Fondée sur l’article 3, al. 3 du
Code civil, elle soumettait les époux à la loi de leur nationalité commune. Après la
seconde guerre mondiale, ce rattachement a progressivement conduit à des difficultés
de plus en plus importantes au fur et à mesure qu’était remis en question le principe
selon lequel l’épouse acquiert la nationalité du mari. Le nombre de couples qui ne
partageait pas une seule et même nationalité a considérablement augmenté. Or la règle
subsidiaire prévue pour ces couples se heurtait à une difficulté. Conformément à l’article
2 de la Convention de La Haye de 1905, les cours et tribunaux retenaient en effet
l’application de la loi nationale du mari. Pour d’évidentes raisons liées à l’égalité entre
membres du couple, ce rattachement a progressivement rencontré des réticences de
plus en plus fortes. La jurisprudence a progressivement écarté ce rattachement au profit
de l'application de la loi de la première résidence conjugale. Cette évolution s'est faite
sur plusieurs décennies (infra), pour culminer dans les années 1990 avec l'arrêt Banque
Sud belge. L'évolution de la règle de rattachement impose de s'interroger sur le régime
de droit transitoire applicable.

La Cour de cassation a eu l’occasion se prononcer en 1993 sur l'application dans le temps


de la nouvelle règle de rattachement5. En l’espèce, un ressortissant italien avait épousé
une belge à Lodelinsart le 26 avril 1952. Les époux avaient vécu en Belgique tout au long
du mariage, sans arrêter de convention matrimoniale. Lors de la liquidation du régime à
l’occasion du divorce, des immeubles acquis par les époux avaient été attribués à
l’épouse. Après le décès de monsieur, un litige a opposé la veuve au trésor belge à
propos du recouvrement d’une importante dette d’impôts dont le défunt était
redevable. Pour garantir le recouvrement de cette dette, le fisc avait pris une inscription
hypothécaire sur les immeubles conformément à l’article 1440 C. civ., selon lequel
chacun des époux répond sur l’ensemble de ses biens des dettes qui subsistent après le
partage. L’ex-épouse contestait cette inscription au motif que le régime applicable aux
relations patrimoniales était dictée par la loi nationale du mari, à savoir la loi italienne.
Or celle-ci prévoyait à l’époque un régime de séparation de biens.

Il n’était pas contesté que lorsque les époux s’étaient mariés, la règle de conflit de lois
imposait l’application de la loi nationale du mari, en l’occurrence la loi italienne. Il n’était
pas non plus contesté que lors de la dissolution du mariage, la règle de conflit de lois
avait évolué, le principe d’égalité ayant condamné l’ancienne règle pour la remplacer par
un rattachement à la loi de la première résidence conjugale. La Cour d’appel avait, au vu
de ces circonstances, estimé que la situation des époux devait continuer à être examinée
à la lumière de la loi italienne. Cette décision était critiquée par l’Etat belge qui avançait
en cassation qu’il n’était plus envisageable, depuis la grande réforme des régimes
matrimoniaux en 1976, de continuer à soumettre des époux à un rattachement
inégalitaire. La Cour de cassation a refusé de censurer l’arrêt entrepris, tout en
substituant aux motifs retenus par le juge d’appel un raisonnement qui lui paraissait plus
solide.

Pour contrer la critique de l’Etat belge et refuser de soumettre les époux à la règle de
conflit de loi telle qu’elle avait été modifiée par la pratique jurisprudentielle, la Cour de
cassation a mis en avant le lien intime qui unit, à ses yeux, le mariage et le régime
matrimonial. Ce lien doit conduire, selon la Cour, à admettre que la loi applicable aux
relations patrimoniales entre époux est « définitivement acquise au moment où est
consommé le fait générateur », à savoir la célébration du mariage6. La modification
ultérieure de la règle de rattachement ne peut dès lors, selon la Cour, avoir d’effet sur la
détermination de la loi applicable. Cette justification permet à la Cour de cassation de

5
Cass., 9 septembre 1993, Pas., 1993, I, p. 665.
6
Cass., 9 septembre 1993, Pas., 1993, I, p. 678.
répudier le raisonnement retenu par la Cour d’appel tout justifiant la décision que celle-ci
avait adoptée. Le juge d’appel avait en effet considéré que la modification de la règle de
conflit de lois devait connaître le même sort que la règle de droit civil interne. En d’autres
termes, selon le juge d’appel, il convenait de s’inspirer des règles de droit transitoire
adoptée par le législateur de 1976 pour déterminer si un couple marié en 1952 devait
être soumis à la nouvelle règle de rattachement. A la suite de l’avis de Mme Liekendael,
alors avocat général, qui avait écarté toute transposition du régime de droit transitoire
adopté par le législateur de 19767, la Cour décide que les

« dispositions transitoires de la loi du 14 juillet 1976 sont étrangères à l’application


dans le temps d’une nouvelle règle de conflit de lois »8.

Au contraire, pour déterminer l’application dans le temps de la règle de conflit, la Cour


fait confiance aux règles générales de droit transitoire, dont elle déduit qu’en principe
une règle nouvelle s’applique non seulement aux « situations qui naissent à partir de son
entrée en vigueur, mas aussi aux effets futurs des situations nées sous le régime de la loi
antérieure, qui se produisent ou se prolongent sous l’empire de la loi nouvelle »9. A ce
principe classique, la Cour a ajouté, conformément à la suggestion faite par Mme
Liekendael10, une nuance décisive. Selon la Cour, en effet, le régime matrimonial fait
partie de ces situations définitivement acquises, que ne peuvent modifier des évolutions
ultérieures du cadre légal.

La solution retenue par la Cour confère un poids important au mariage qui est considéré
être le « fait générateur » pertinent. Une modification de la règle de conflit de lois
intervenant après le mariage des époux n’aura dès lors en règle aucun effet à l’égard de
ces époux. Cette règle fort respectueuse des situations acquises empêche à la nouvelle
règle de conflit de lois de modifier le contenu de la relation entre époux.

Le rôle déterminant de la célébration du mariage comme élément charnière du régime


transitoire des conflits de lois en matière de régime matrimonial a été confirmé par la
suite. On ne retrouve certes pas de consécration expresse de cette approche dans le
Code de droit international privé. Celui-ci pose un cadre général de droit transitoire (art.
127), sans se prononcer de manière expresse sur la situation particulière des régimes
matrimoniaux. Une hésitation était dès lors possible.

Pour autant, un consensus s’est fait pour retenir que la date du mariage est la seule
pertinente à cet égard. A l’appui d’un bref passage figurant dans l’exposé des motifs qui
accompagnait la proposition de Code, selon lequel « pour la catégorie du régime
matrimonial, le code s’applique aux mariages célébrés après son entrée en vigueur »11,

7
Conclusions de Mme Liekendael, Pas., 1993, I, pp. 669-671, n°18-23.
8
Pas., 1993, I, p. 678.
9
Pas., 1993, I, p. 678.
10
Conclusions de Mme Liekendael, Pas., 1993, I, pp. 670-671, n° 21-22.
11
Doc. Parl., Sénat, 2-1225/1, p. 142.
les commentateurs ont considéré que le législateur avait entendu consacrer l’approche
retenue par la Cour de cassation en 199312. Cette approche a été confirmée par la
jurisprudence, les cours et tribunaux adhérant à l’idée que les mariages célébrés avant le
1er octobre 2004 comme des situations juridiquement acquises, et insusceptibles de
modification par l’effet du changement de législation13.

Sans doute cette unanimité tient-elle tant à une manière de fidélité à la position adoptée
par la Cour de cassation en 1993 qu’au constat qu’une approche différente, qui
permettrait l’application des règles nouvelles à des mariages célébrés antérieurement au
1er octobre 2004, conduirait à d’inextricables difficultés.

Si l’on considère en effet que le mariage n’épuise pas les effets du régime matrimonial,
ceci aurait des conséquences peu opportunes. Il faudrait en effet distinguer, pour les
mariages célébrés avant le 1er octobre 2004, les effets produits par le mariage avant
l’entrée en vigueur du Code, qui demeureraient soumis à l’ancienne législation, et ceux
que ces ‘vieux’ mariages continuent de produire après la date d’entrée en vigueur du
Code. Ces derniers effets pourraient bénéficier des règles nouvelles. Soit deux
ressortissants belges s'installent à New York après leur mariage qui a eu lieu en 2002. Ils
n'ont pas conclu de contrat de mariage. Selon les règles en vigueur avant l'entrée en
vigueur du Code, leur régime est celui du droit belge, droit de leur nationalité commune
(infra). Si l'on considère que les règles du Code sont d'application immédiate, même aux
époux mariés avant l'entrée en vigueur du Code, il faudrait accepter que les époux sont
en réalité soumis au droit de l'Etat de New York, droit de leur première résidence
conjugale, et ce au moins à partir du 1er octobre 2004.

Il faudrait en outre résoudre une question épineuse : l’application de la loi désignée par
la nouvelle règle de conflit de lois serait-elle limitée à la période qui suite l’entrée en
vigueur de la règle ou devrait-on considérer que l’ensemble de la relation matrimoniale
est soumis à la loi nouvellement désignée ?

L’approche retenue tant par les commentateurs que par les cours et tribunaux permet
d’éviter ces difficultés. Le revers de la médaille est évident : les praticiens du droit

12
J.-L. VAN BOXSTAEL, « Le régime matrimonial dans l’espace-temps. Brève excursion à travers les planètes »,
Rev. not., 2006, (310), 312, n° 2 ; PH. DE PAGE, « Les règles de conflit de lois du nouveau Code de droit
international privé relatives aux régimes matrimoniaux et aux successions », Rev. trim. dr. fam., 2005,
(647-690), p. 678 ; V. DE BACKER et H. JACOBS, “Het huwelijksvermogensrecht in het Wetboek van
internationaal privaatrecht”, Not. Fisc.M., 2005, (227), p. 246, n° 92; A. VERBEKE, « IPR –
Huwelijksvermogensrecht – Nederlandse stelselwijziging in België – Quid rechterlijke homologatie? », in
Comité d'études et de législation, Travaux 2005, Bruylant, 2006, (192), pp. 194-195.
13
Voy. Liège (1è ch.), 22 octobre 2014, Rev. trim. dr. fam., 2015, p. 557 (à propos d’époux mariés en 1987) ;
Mons, 20 novembre 2007, Rev. not. b., 2008, 71 (deux époux mariés en 1943 sans contrat de mariage.
La Cour retient l'application des règles en vigueur avant l'adoption du Code de droit international privé
au motif que « Le Code de droit international privé ne s'applique pas en l'espèce dès lors qu'il ne
concerne que les mariages célébrés après le 1er octobre 2004 ». La Cour s'appuie sur l'exposé des
motifs qui accompagnait la proposition de Code) ; Anvers, 17 décembre 2014, R.A.B.G., 2017, p. 1400
(pas d’application des dispositions du Code à des époux mariés en 1997).
doivent continuer à travailler avec les anciennes règles pendant de longues années.

Enfin, le rôle essentiel du mariage a été également consacré par l’article 69 par. 3 du
règlement européen. Cette disposition précise que les règles de conflit de lois que le
règlement met en place ne s’appliquent « qu’aux époux qui se sont mariés […] » à
compter du 29 janvier 201914. Aucun doute n’est dès lors possible : les règles
européennes n’ont vocation à s’appliquer qu’aux seuls époux mariés à compter de la
date charnière. L’histoire se répète puisque l’entrée en vigueur des règles européennes
n’amène nullement la fin du règne du Code de droit international privé. Celui-ci demeure
pertinent à l’égard des couples dont le mariage a été célébré entre le 1er octobre 2004 et
le 29 janvier 2019.

Cette dernière évolution de la règle de rattachement ne suscite guère de difficultés sous


l’angle du droit transitoire : d’une part le législateur européen a clairement indiqué quel
était l’élément déclencheur de l’application de la nouvelle loi – en l’occurrence la
célébration du mariage ; d’autre part, ce même législateur a précisé quelle était la date
pertinente pour apprécier l’élément déclencheur.

On ne peut en dire de même de l’évolution qui a eu lieu à partir des années 1960. On l’a
dit, cette évolution a été le fait de la jurisprudence, encouragée pour ce faire par certains
commentateurs. Comment dès lors déterminer à quel moment exact le changement s’est
produit et la loi de la nationalité du mari a cédé la place, pour les couples ne possédant
pas la même nationalité, à la loi de la première résidence conjugale ? Plusieurs solutions
peuvent être envisagées. Selon une première opinion, il faudrait remonter à 1955, date
de l'entrée en vigueur en Belgique de la Convention européenne des droits de l'homme
(le 13 mai 1955). Cette opinion, défendue par Mme Liekendael15, s'appuie sur le fait que
la Belgique ne pouvait, après cette date, maintenir une règle favorisant un époux au
détriment de l'autre, au risque de violer l'interdiction de discrimination prévue à l'article
14 de la Convention16. La solution est quelque peu artificielle dans la mesure où la règle
de rattachement traditionnelle qui soumettait le régime matrimonial à la loi nationale du
mari n’était pas encore remise en question dans les années 1950. Il a fallu attendre les
années 1970 pour que cette règle soit remise en question.

14
A l’origine, le texte visait les seuls époux mariés « après le 29 janvier 2019 ». Un rectificatif a été publié
qui précise que l’article 69, par. 3 doit se lire comme suit : « Le chapitre III n'est applicable qu'aux époux
qui se sont mariés ou qui ont désigné la loi applicable à leur régime matrimonial à partir du 29 janvier
2019 » (Rectificatif au règlement (UE) 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en oeuvre une
coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et
de l'exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux, J.O., L-113/62 du 29 avril 2017).
15
Conclusions de Mme Liekendael, Pas., 1993, I, pp. 668-669, n° 14-16.
16
Voy. dans le même sens, M. LIÉNARD-LIGNY, « Effets patrimoniaux du mariage et conflits de lois dans le
temps en droit international privé », J.L.M.B., 1994, p. 403 et C. DE BUSSCHERE, « De zoektocht naar een
scharnierdatum : een jurisprudentiële oplossing weldra in zicht? », T. Not., 1997, pp. 169-177. Une
partie de la jurisprudence semble adopter cette thèse (Civ. Malines, 20 novembre 1995, T. Not., 1997,
167).
D’autres ont au contraire suggéré de retenir les années 1970 comme date charnière et
plus précisément l'arrêt Beddini de la Cour d'Appel de Mons17. Cet arrêt est l'un des
premiers à avoir abandonné le rattachement à la lex patriae, la loi nationale du mari.
C'est en effet à partir de la seconde moitié des années 1970 que la jurisprudence a remis
en question ce rattachement18. Après avoir écarté la loi du mari, les cours et tribunaux
ont à compter des années 1970 retenu l'application du droit du domicile ou de
l'intégration prépondérante des époux. Ce rattachement semblait plus conforme à la
situation, dans la mesure où dans les hypothèses concernées, le mariage unissait
généralement un ou une ressortissante belge à un étranger qui s'était établi de longue
date, animo non revertendi, en Belgique. Les époux s'étaient mariés en Belgique. Bref, le
rattachement à la loi nationale du mari aurait paru incongru sous l'angle de l'objectif de
proximité.

La difficulté est que l’évolution de la règle de rattachement ayant été le fait de la


jurisprudence, il était difficile de déterminer avec précision la date à retenir pour
marquer le passage d’un rattachement à un autre. Aussi certains ont proposé de retenir
la date d'entrée en vigueur de la loi de 1976 qui a réformé en profondeur les régimes
matrimoniaux, à savoir le 28 septembre 1978. C'est l'option retenue notamment par M
Meeusen et Mme Berx19, au motif principalement qu'il serait artificiel de prétendre
vouloir faire remonter la modification de la règle de rattachement à une date antérieure
aux années 1970. Cette solution présente néanmoins un défaut : comme l’a fait
remarquer Mme Liekendael20, la loi de 1976 n’a en aucune manière modifié les règles de
rattachement, qu'elle n'a en réalité pas abordé.

D'autres enfin ont proposé de retenir la date d'entrée en vigueur de la loi du 30 avril
1958 qui a mis fin à l'incapacité de la femme mariée. Selon M. Graulich21, il ne serait plus
possible après l'entrée en vigueur de cette loi de retenir l'application de la loi nationale
du mari.

Cette incertitude ne semble pas avoir suscité de grands inconvénients dans la pratique
notariale. Sans doute ceci tient-il à la possibilité pour les parties de s’accorder sur la
solution qu’elles jugent préférable dans le cadre d’une procédure de liquidation-partage.
Partant, les parties peuvent déterminer elles-mêmes si elles souhaitent se soumettre à
l’ancienne version de la règle de rattachement ou au contraire faire régir leurs relations
par la loi de leur première résidence habituelle.

B. Le choix de loi comme élément décisif du droit transitoire

17
Mons, 22 octobre 1975, Rev. not. b., 1976, 520, note R. VANDER ELST.
18
Voy. aussi Gand, 23 mars 1979, T.Not., 1979, 140 et les commentaires de F. BOUCKAERT, « De lex domicilii
en de lex patriae t.a.v. het internationaal huwelijksvermogensrecht » T. Not., 1979, 193-199.
19
Note sous Civ. Malines, 20 novembre 1995, R.W., 1996-97, 751.
20
Conclusions de Mme Liekendael, Pas., 1993, I, p. 670, n° 19.
21
P. GRAULICH, Principes de droit international privé, Paris, Dalloz, 1961, pp. 118-119, n° 167.
A côté du rôle essentiel joué par la date du mariage, il est un autre point d’attention
important pour la pratique notariale. Il concerne l’existence éventuelle d’un choix par les
époux de la loi applicable. Un tel choix peut en effet conduire à retenir l’application
d’autres règles de conflit de lois que celles en vigueur au moment du mariage. Pour bien
comprendre le mécanisme, il faut avoir à l’esprit que la reconnaissance de l’autonomie
de la volonté est une conquête relativement récente du droit international privé des
relations familiales. Si en France, le choix par les époux de la loi applicable a été consacré
il y a longtemps déjà, le droit international privé belge a longtemps hésité (infra). Lorsque
le législateur est intervenu en 2004 et qu’il a expressément reconnu aux (futurs) époux la
possibilité de sélectionner la loi applicable, il a souhaité donner à cette innovation un
champ d’application étendu. L’article 127 par. 2 du Code de droit international privé
précise à cet égard qu’un choix du droit applicable par les parties « antérieur à l’entrée
en vigueur » du Code, « est valide s’il satisfait aux conditions » posées par le Code. Ce
faisant, le législateur a permis l’application des dispositions du Code, et singulièrement
de son article 49, aux stipulations relatives à la loi applicable intervenues avant le 1er
octobre 2004.

Partant dès lors que des (futurs) époux ont choisi de se soumettre à une loi donnée, la
date de leur mariage importe peu. Qu’ils se soient mariés avant ou après le 1er octobre
2004, leur choix de loi bénéficie des dispositions du Code de droit international privé.
Pour ce faire, il faut vérifier que le choix de loi exprimé par les époux satisfait bien aux
exigences posées par le Code (infra).

Le mécanisme adopté par le législateur européen est quelque peu différent. L’article 69
du règlement 2016/1103 ne permet pas l’application des dispositions européennes aux
choix de loi conclus par des époux avant le 29 janvier 2019. Si deux époux ont conclu en
janvier 2017 un choix de loi, celui-ci ne peut être apprécié à l’aune des dispositions
européennes. Par contre, l’article 69 par. 3 du règlement 2016/1103 permet aux époux
mariés avant le 29 janvier 2019 de bénéficier du régime européen. Pour ce faire, il leur
suffit de s’accorder, à compter de cette date, sur un choix de loi. Dès lors que le choix de
loi a été conclu à compter du 29 janvier 2019, il emporte application des dispositions
européennes. Ceci ouvre des perspectives intéressantes pour certains couples.

Dans les deux hypothèses, une difficulté peut survenir lorsque les relations entre époux
ne sont pas fondées sur une clause de choix de loi en bonne et due forme, mais qu’il peut
être possible de déduire de certains éléments et notamment de dispositions figurant
dans une convention matrimoniale, que les époux ont entendu se soumettre à une loi
nationale. Le droit international privé accueille de longue date ce qu’il est convenu
d’appeler un choix de loi implicite ou tacite, qui se déduit d’indications figurant
principalement dans une convention matrimoniale. Le statut du choix de loi implicite
n’est pas des plus clair, dans la mesure où ni le Code de droit international privé, ni le
règlement 2016/1103 ne lui réserve un traitement particulier. La pratique est néanmoins
largement favorable à l’accueil d’un tel choix.
Lorsqu’une liquidation concerne des époux mariés avant le 1er octobre 2004, le notaire
devra dès lors tout d’abord s’interroger sur l’existence d’un tel choix de loi implicite. S’il
apparaît effectivement que les époux ont entendu se soumettre à une loi donnée, sans
pour autant l’exprimer clairement, l’existence d’un tel choix pourrait faire basculer les
relations entre époux sous l’empire du Code. Une décision intéressante de la Cour
d’appel de Liège illustre bien le raisonnement : deux époux s’étaient mariés au Sénégal
en 1987. Le certificat de mariage dressé à cette occasion indiquait que les époux avaient
déclaré opter « pour le régime : séparation de biens ». Lors des opérations de liquidation-
partage, les ex-époux s’opposaient sur le régime qui leur était applicable. Après avoir
constaté que les dispositions du Code ne pouvaient en principe s’appliquer, dans la
mesure où le mariage avait été célébré bien avant l’adoption du Code, la Cour d’appel a
néanmoins vérifié si les époux n’avaient pas choisi de soumettre leurs relations à une loi
donnée. La Cour a fort justement rappelé qu’un éventuel choix de loi, s’il était conforme
aux exigences du Code, permettrait conformément à l’article 127, par. 2, de soumettre
les époux aux dispositions du Code. En l’espèce, la Cour estima qu’il n’y avait pas
suffisamment d’éléments pour conclure à l’existence d’un choix de loi. La Cour épingla en
particulier le fait que l’option exercée par les époux au moment du mariage en faveur
d’un régime de séparation de biens ne pouvait à elle seule être considérée « comme un
choix du droit applicable à leur régime matrimonial »22.

Le tableau suivant synthétise les enseignements principaux du droit transitoire des règles
de conflit relative aux régimes matrimoniaux. Pour le lire, il convient d’identifier
l’événement pertinent (énuméré dans la colonne de gauche) en le liant à la date à
laquelle il a eu lieu (trois phases qui représentent les 3 colonnes), tout en tenant compte
de la date du mariage.

22
Liège, 22 octobre 2014, Rev. trim. dr. fam., 2015, (557), p. 561.
< 1.10.2004 ≥ 1.10.2004 ≥ 29.1.2019

Mariage (le mariage a Jurisprudence (fondée CODIP Règl. 2016/1103


eu lieu…) sur art. 3, al. 3 C. civ.) (règles de conflit de
lois)
Choix de loi (exprès ou CODIP - si choix de loi CODIP - si choix de loi Règl. 2016/1103
implicite) (le choix de répond aux exigences effectué dans un (règles de conflit de
loi est effectué le…) CODIP (art. 127 § 2)23 ‘acte’ (art. 127 § 1)24 lois) 25
Modification régime Jurisprudence (fondée CODIP (art. 127 § 1)27 Si accompagnée d’un
matrimonial (la sur art. 3, al. 3 C. choix de loi ≥
modification du civ.) 26 29.1.2019 → Règl.
régime matrimonial a 2016/1103 28
lieu …
Introduction d’une ≥ 1.10.2014 → règles ≥ 29.1.2019 → règles
procédure judiciaire de compétence du de compétence du
(la procédure est CODIP s’appliquent 29 Règl. 2016/1103
engagée le…) s’appliquent 30

Section 2 – La situation d’époux en l’absence de choix de loi

La pratique révèle que de très nombreux époux sont mariés sans avoir choisi la loi
applicable à leurs relations patrimoniales. Le plus souvent, ces époux n’auront pas conclu
de convention matrimoniale. En l’absence d’une telle convention, il est pour le moins
hasardeux d’envisager l’existence d’un choix de loi. L’existence d’une convention
matrimoniale n’entraîne pas nécessairement celle d’un choix de loi. Nombreuses sont les
conventions dont il apparaît qu’elles ne comportent pas de choix de loi.

En l’absence d’un choix par les parties de la loi qui leur est applicable, la règle de conflit
de loi est toute puissante : elle détermine la nature du régime qui gouverne les relations
entre les membres du couple. Plus précisément, la règle de conflit de lois déterminer à
quelle loi ce régime doit être emprunté. Une fois cette loi déterminée, le praticien doit se

23
Mariage < 1.10.2004.
24
Mariage < 1.10.2004.
25
Mariage < 29.1.2019.
26
Mariage < 1.10.2004.
27
Mariage < 1.10.2004.
28
Mariage < 29.1.2019.
29
Mariage < 1.10.2004.
30
Mariage < 29.1.2019.
laisser guider par ses dispositions : en l’absence d’une convention matrimoniale, il
empruntera à la loi applicable le régime légal par défaut que celle-ci met en place31. Si les
époux ont conclu une convention, la loi applicable servira de repère pour en analyser la
validité et la solidité de cette convention.

S'agissant d'époux mariés sans avoir effectué de choix de loi, le régime de droit
transitoire impose de distinguer selon la date du mariage. Comme déjà relevé, plusieurs
périodes se sont succédées, qui ont vu un recul progressif du rôle de la nationalité dans
la détermination du droit applicable. La ligne de séparation la plus claire sépare la
période qui a précédé l’adoption du Code de droit international privé (A) de celle qui a
suivi cette adoption (B). Des différences, moins importantes, séparent le Code du
règlement européen.

L’on sera pour chaque période attentif aux divers mécanismes qui peuvent nuancer la
détermination de la loi applicable.

§ 1. Les époux mariés avant le 1er octobre 2004 : le règne de la loi nationale

La première période concerne tous les mariages célébrés jusqu’au 1er octobre 200432.
Cette période est caractérisée par une prédominance du rattachement à la loi nationale
des époux. On distinguera le principe de la règle subsidiaire, pour souligner ensuite les
correctifs qui peuvent nuancer le résultat.

A. Le principe : soumission du régime légal à la loi nationale des époux

Avant l'entrée en vigueur du Code, la loi applicable au régime matrimonial d’époux


mariés sans convention était empruntée à leur nationalité. L’application de la loi
nationale était un choix dicté, selon la Cour de cassation par la nature même des
relations patrimoniales entre époux. Dès 1980, la Cour avait en effet décidé que « ... le
régime matrimonial légal auquel sont soumis les époux mariés sans contrat, est si
étroitement lié au mariage et à ses effets que [...] ce régime droit être considéré comme
concernant l'état des personnes » 33. Ce bref attendu a suffi à la Cour pour répudier la
théorie avancée par le demandeur en cassation, qui prétendait que la détermination du
régime matrimonial applicable à des époux dépendait, même lorsque les époux n’avaient

31
L’on sera néanmoins attentif que le concept même de régime légal peut être inconnu du droit applicable.
Ceci est par exemple le cas du droit anglais.
32
Les exposés consacrés au droit antérieur au Code ne manquent pas. L'on citera en particulier l'ouvrage
de N. WATTÉ, avec la collaboration de L. BARNICH, “Les conflits de lois en matière de régime
matrimoniaux”, in Rép. n., T. XV, L. XIV, Larcier, 1997, 172 p. ainsi que la contribution que M.
Verwilghen a consacré à la question des régimes matrimoniaux internationaux dans les Mélanges
offerts à M. Grégoire : M. VERWILGHEN, “Les rapports patrimoniaux dans le couple en droit international
privé belge. Du droit positif actuel vers une révision codifiée”, in Le service notarial. Réflexions critiques
et prospectives, J. TAYMANS et J.-L. RENCHON (éds.), Bruylant, 2000, pp. 277-322.
33
Cass. 10 avril 1980, Eicker c. Brinkman, Pas., 1980, I, p. 968, p. 985.
pas conclu de convention, de leur volonté commune34. C’est d’ailleurs expressément que
la Cour de cassation a rejeté la théorie de la volonté commune présumée des époux,
dont l’application était suggérée par le demandeur en cassation35.

Dès lors que la Cour établi un lien étroit entre le régime matrimonial et le mariage36, la
solution conflictuelle s’imposait. L’état et la capacité des personnes étaient en effet à
l’époque, suivant l'article 3 al. 3 du Code civil, alors en vigueur, soumis à la loi nationale
des personnes concernées37. On a beaucoup glosé sur le choix de la Cour suprême de
considérer que les relations patrimoniales relevaient de l'état des personnes. Ce choix
était-il dicté par des considérations purement pragmatiques, comme on peut le penser à
la lecture des conclusions de l’avocat général Velu?38 Ou devait-on voir dans ce choix
l’expression d’une vision particulière sur les liens entre époux, le régime matrimonial
étant considéré comme un simple accessoire au service de la stabilité des ménages ?39
Ces interrogations n’ont guère ému la Cour qui a maintenu sa position au fil de sa
jurisprudence. Dans une importante décision prononcée en 2009, la Cour de cassation a
à nouveau répété que « Le régime matrimonial légal auquel sont soumis les époux

34
Le demandeur en cassation faisait ainsi écho à une approche retenue par la jurisprudence belge jusque
dans les années 1920. Sous l’influence du droit international privé français et avec l’approbation de
commentateurs tel Laurent (F. LAURENT, Droit civil international, t. V, Bruylant/Marescq, 1880, p. 426 et
suiv. n° 198 et suiv.), la jurisprudence avait en effet construit un système de rattachement écartant
l’assimilation entre régime matrimonial et statut familial, préférant concevoir les relations
patrimoniales entre époux comme reposant sur la volonté des époux, qu’elle s’exprime dans une
convention ou soit présumée lorsque les époux n’arrêtent pas de dispositions particulières pour régler
leurs relations patrimoniales. Cf. les décisions anciennes citées par R. VANDER ELST, obs. sous Mons, 22
octobre 1975, Rev. not. b., 1976, p. 522, p. 523, note 1).
35
Dans ses conclusions, M. l’avocat général Velu avait d’ailleurs relevé que le demandeur en cassation
s’appuyait largement sur les écrits de la doctrine française et la pratique des juridictions française, qui
reposaient principalement sur l’idée d’un contrat tacite entre époux (Pas., 1980, I, p. 975).
36
Lien qui était déjà établi avant l’arrêt Eicker. Le rattachement retenu par l’ancienne Convention de La
Haye de 1905 témoignait déjà de l’idée que les rapports patrimoniaux entre époux faisaient partie du
statut plus général des relations familiales. En outre, dès 1924, une partie important de la jurisprudence
belge avait adopté un rattachement des relations patrimoniales entre époux fondé sur l’idée que le
régime matrimonial était un accessoire du mariage et devait dès lors être régi par le statut personnel,
comme le rappelait R. VANDER ELST, obs. sous Mons, 22 octobre 1975, Rev. not. b., 1976, p. 522, pp. 523-
524. Sur l’historique, cons. M. VERWILGHEN, “Les rapports patrimoniaux dans le couple en droit
international privé belge. Du droit positif actuel vers une révision codifiée”, in Le service notarial.
Réflexions critiques et prospectives, J. TAYMANS et J.-L. RENCHON (éds.), Bruylant, 2000, (277-322), p. 296,
n°26.
37
Selon l’article 3, « les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les Belges, même
résidant en pays étranger ». La jurisprudence avait de très longue date admis que cette disposition
devait être bilatéralisée.
38
Voy. surtout Pas., 1980, I, p. 977-979 et l’importance accordée par M. Velu à la sécurité juridique et à la
prévisibilité des solutions.
39
C’est ce que laissent penser des conclusions adoptées par Mme Liekendael, alors avocat général près la
Cour de cassation, à l’occasion d’un litige de droit transitoire soumis à la Cour de cassation :
Conclusions de Mme Liekendael, Pas., 1993, I, p. 674, n° 32-33. Mme Liekendael évoque en particulier
la nature du mariage, « fondement de la famille, et la famille, fondement de la société », ce qui justifie
à ses yeux le rôle joué par l’institution du mariage dans la détermination du droit applicable aux régime
matrimonial.
mariés sans contrat est si étroitement lié au mariage et à ses effets que, dans le cas où
les époux ont une nationalité commune au jour de leur mariage, ce régime doit être
considéré comme concernant l’état des personnes […] »40. Une formule identique fut
reprise dans plusieurs autres décisions41.

La soumission des relations patrimoniales à l’état des personnes conduisait


naturellement à retenir la loi nationale commune des époux. Il n’était dès lors pas
question de se préoccuper d’un éventuel choix que les époux auraient tacitement
exprimé en s’installant dans un Etat donné.

Le rattachement à la loi nationale commune privilégié par la Cour de cassation suscitait


certaines difficultés. On peut en relever deux. La première concerne l’hypothèse, révolue
aujourd’hui, d’une acquisition par l’un des époux de la nationalité de l’autre au moment
du mariage. Jusqu'à une certaine époque, il n'était pas rare que l'épouse acquière
automatiquement, par le mariage, la nationalité de son mari42. Une telle acquisition
automatique n'a plus court aujourd'hui. Au mieux le mariage représente une possibilité
pour l'épouse (ou l'époux) d'acquérir la nationalité de son mari (épouse)43. Comment
apprécier la situation si les époux ne possèdent pas, avant le mariage, la même
nationalité, mais que l'épouse a acquis, à l'occasion du mariage et par le simple fait de
celui-ci, la nationalité du mari? La Cour de cassation s'est prononcée sur cette hypothèse
dans l'arrêt Eicker du 10 avril 1980, qui concernait le régime matrimonial d'un couple
belgo-allemand, l'épouse, d'origine allemande, étant devenue belge par le mariage avec
son mari belge. Même si les termes utilisés par la Cour sont équivoques44, l'arrêt
privilégie nettement l'application de la loi de la nationalité commune des époux, même si
cette nationalité commune n'a été acquise que par le mariage. Cette solution est
singulière dans la mesure où au moment du mariage les époux n'avaient pas la même
nationalité45. La Cour de cassation a sans doute été sensible à la nécessité de retenir une
solution simple pour résoudre la difficulté née de l’acquisition d’une nouvelle nationalité
par l’un des époux.

40
Cass., 4 déc. 2009, Pas., 2009, p.2885 ; Rev. trim. dr. fam., 2010, p. 718, note J.-L. VAN BOXSTAEL.
41
Par ex. Cass., 5 mai 2008, Pas., 2008, p. 1081 ; Rev. trim. dr. fam., 2008, p. 1309, note M. FALLON.
42
En droit belge, c'était le cas par l'effet des articles 4 et 12 des lois coordonnées du 14 décembre 1932 sur
l'acquisition, la perte et le recouvrement de la nationalité, abrogées lors de l’adoption en 1984 du Code
de la nationalité belge.
43
En droit belge, le mariage n'a plus d'effet automatique sur la nationalité depuis l'entrée en vigueur du
Code de la nationalité belge du 28 juin 1984 – voy. l'article 16 de ce Code, aujourd’hui supprimé. Le
mariage avec un(e) ressortissant(e) belge ouvre une possibilité additionnelle d’obtenir la nationalité
belge par déclaration (art. 12bis CNB), mais celle-ci n’est pas plus avantageuse que le scénario classique
d’acquisition par déclaration.
44
Dans des conclusions adoptées en 1993, Mme Liekendael a reconnu que la décision de la Cour pouvait
créer certains doutes, notamment à propos de la question de la différence qui peut exister entre la
règle de conflit applicable au régime matrimonial et celle visant les autres effets du mariage :
Conclusions de Mme Liekendael, Pas., 1993, I, pp. 671-672, n° 24-27.
45
Cons. les critiques de V. DE BACKER et H. JACOBS, “Het huwelijksvermogensrecht in het Wetboek van
internationaal privaatrecht”, Not. Fisc.M., 2005, (227), p. 236-237, n° 41-45.
La seconde difficulté concerne les époux qui possèdent plusieurs nationalités.
Phénomène qui va en s’amplifiant, la bipatridie est aujourd’hui une situation de plus en
plus commune46. L’existence dans le chef d’un des époux ou des deux de plusieurs
nationalités impose de s’interroger sur la mise en œuvre du rattachement. L’on sait que
classiquement, une distinction est faite entre deux situations : lorsqu’une personne
possède deux nationalités dont la nationalité belge, celle-ci est réputée primer. Cette
règle classique a été consacrée par le législateur en 200447. Lorsque les deux nationalités
en jeu sont celles d’autres Etats que la Belgique, le choix s’effectue à l’aide du critère de
la nationalité prépondérante. Cette approche a longtemps été retenue également dans
les relations entre époux48. Une décision surprenante de la Cour de cassation est
néanmoins venue modifier la donne. La Cour a en effet en 2009 estimé que lorsqu’un des
époux possède deux nationalités, dont la nationalité belge, il faut néanmoins retenir que
les époux possèdent une nationalité commune et sont soumis à la loi de cette
nationalité49. En l’espèce, le litige concernait deux époux qui possédaient la nationalité
marocaine. Au moment du mariage, le mari possédait également la nationalité belge. La
Cour d’appel avait retenu qu’au moment de la célébration de leur mariage, « les parties
avaient donc bien une nationalité commune, à savoir la nationalité marocaine » et
retenu l’application du droit marocain.

Il était fait grief à cette décision d’avoir retenu que les époux possédaient au moment de
leur mariage une nationalité commune alors que, selon l’auteur du pourvoi, « lorsque
l’un des époux a une double nationalité dont l’une uniquement est commune à celle de
son conjoint, il est arbitraire de prendre en considération l’une de ces nationalités, plutôt
que l’autre, pour considérer que les époux ont, de ce fait, une nationalité commune. »

Dans un attendu succinct, la Cour de cassation a indiqué que :

« La condition de nationalité commune est remplie dès que les époux partagent
une même nationalité au jour de leur mariage, sans qu’il faille avoir égard à l’autre
nationalité éventuelle de l’un des époux »50.

Cette décision surprenant est bien dans la ligne de la jurisprudence Eicker de la Cour de
cassation : s’il faut accepter que des époux possèdent la même nationalité lorsque l’un
d’eux acquiert, par le simple fait du mariage, la nationalité de l’autre, sans doute faut-il
faire de même lorsque la nationalité commune que partagent les époux existait déjà

46
Cf. les données très complètes rassemblées par M. VINK, G.-R. DE GROOT et C. NGO LUK, MACIMIDE Global
Expatriate Dual Citizenship Dataset, 2015, Harvard Dataverse.
47
Art. 3, par. 2, al. 1 CODIP.
48
M. VERWILGHEN, “Les rapports patrimoniaux dans le couple en droit international privé belge. Du droit
positif actuel vers une révision codifiée”, in Le service notarial. Réflexions critiques et prospectives, J.
TAYMANS et J.-L. RENCHON (éds.), Bruylant, 2000, (277-322), p. 298, n°29.
49
Cette solution avait déjà été adoptée par la Cour d’appel de Bruxelles dans une affaire Montanari :
Bruxelles, 22 avril 1988, J.T., 1988, p. 664 (à propos d’un couple constitué d’un époux italien et d’une
épouse de nationalité français, qui avait acquis la nationalité italienne du fait de son mariage).
50
Cass., 4 déc. 2009, Pas., 2009, p.2885 ; Rev. trim. dr. fam., 2010, p. 718, note J.-L. VAN BOXSTAEL.
avant le mariage. La circonstance que l’un des époux possède une autre nationalité ne
constitue dans cette hypothèse qu’un élément indifférent.51

Sans qu’il soit possible de déterminer si la Cour a entendu modifier l’appréhension des
conflits de nationalités, on peut néanmoins conclure que lorsqu’est en jeu la
détermination de la loi applicable à des époux qui n’ont pas choisi la loi applicable à leurs
relations, il suffit que les époux possèdent, au moment du mariage, une même
nationalité pour justifier l’application de la loi de cet Etat, même si l’un des époux
possède une autre nationalité. Il est indifférent à cet égard que cette autre nationalité
soit la nationalité belge, ou, s’il s’agit d’une nationalité étrangère, qu’elle soit plus
effective que la nationalité partagée par les deux époux.

B. La règle subsidiaire

Parmi les époux mariés avant le 1er octobre 2004, certains couples ne possédaient pas,
au moment de la célébration de leur union, de nationalité commune. Il était dès lors
nécessaire de disposer d’une règle subsidiaire. Cette règle a été imaginée par la
jurisprudence, l’article 3 du Code civil demeurant muet sur ce point.

Dans un premier temps, le rattachement retenu par les cours et tribunaux était
directement inspiré d’une ancienne solution conventionnelle. Entre 1913 et 1922, la
Belgique a été liée par la Convention de La Haye du 17 juillet 190552. Or cette convention
soumettait les époux, même ceux possédant une nationalité commune, à la loi de la
nationalité du mari53. Ce rattachement était bien dans l’air du temps, le mari était à
l’époque considéré comme étant le ‘chef de famille’54.

La soumission des époux à la loi nationale du mari n’était pas nécessairement

51
Dans une analyse judicieuse, M. van Boxstael écrivait à propos de la décision de la Cour que « La solution
que propose la Cour de cassation, à la suite de la cour d’appel de Bruxelles, ne procède en d’autres
termes pas de la décision d’un conflit de nationalités qui se présenterait dans le chef de l’un des époux,
mais d’une mise à l’écart de ce conflit, qui n’apparaît pas (ou dont la solution n’apparaît pas) comme
pertinent(e) pour la mise en oeuvre de la règle de conflit de lois » : J.-L. VAN BOXSTAEL, note sous Cass., 4
déc. 2009, Rev. trim. dr. fam., 2010, p. 725.
52
M. Rigaux rappelait en 1968 que même après sa dénonciation, la Convention de 1905 « est restée pour
les auteurs et aussi pour la jurisprudence une source de droit ayant une ‘valeur doctrinale’ telle que
« rien n’empêche les tribunaux d’appliquer les principes qu’elle consacre » » (F. RIGAUX, Droit
international privé, Larcier, 1968, p. 457, n° 385, citant les conclusions de l’avocat-général Leperre,
Bruxelles, 17 avril 1940, Rev. prat. not., 1940, p. 422).
53
Souvent désignée comme étant la 'lex patriae' : voy. ce qu'écrivait à ce propos Prosper Poullet dans son
manuel de droit international privé : s'appuyant sur une jurisprudence de la Cour d'Appel d'Anvers – 13
juillet 1939, R.W., 1939-40, 45 – M. Poullet expliquait que le principe de l'application de la loi nationale
du mari était « pleinement justifié » en l'absence de nationalité commune des époux: Manuel de droit
international privé belge, 3ème éd., Polydore Pée, 1947, 517, n° 447.
54
Cons. la jurisprudence citée par l’avocat général Velu dans ses conclusions précitées relatives à l’arrêt
Eicker : Pas., 1980, I, p. 981, note 63.
désavantageuse pour l’épouse. La loi du mari pouvait en effet s’avérer être fondée sur
des principes égalitaires. Il restait néanmoins que donner priorité à la loi du mari
procédait d’une vision pour le moins inégalitaire des relations entre membres d’un
couple55. Encouragée par les critiques que M. Graulich avait formulé de longue date à
l’encontre de la soumission à la loi du mari56, les cours et tribunaux ont progressivement
pris conscience de cette difficulté. Il a fallu néanmoins une longue évolution pour que la
jurisprudence évolue vers une autre règle. Diverses suggestions avaient été faites57. M.
Rigaux avait par exemple suggéré d’imposer aux époux de nationalité différente au
moment du mariage d’exercer une option entre leurs lois nationales respectives et la loi
de la résidence conjugale envisagée58. La jurisprudence a retenu une autre approche59.
Celle-ci consiste à soumettre les époux à la loi de la première résidence conjugale. L’arrêt
Bettini de la Cour d’appel de Mons est souvent cité comme étant l’une des décisions
ayant consacré ce rattachement60. En l’espèce, un ressortissant italien avait épousé en
1962 une ressortissante belge, sans faire précéder leur union d’une convention
matrimoniale. Après qu’un divorce fut intervenu, les ex-époux s’opposaient à propos de
la liquidation du régime matrimonial. En première instance, application fut faite de la loi
italienne, loi nationale du mari. La Cour d’appel nota que :

« Qu’il y a quelque paradoxe à choisir le rattachement à la loi du mari à une époque


d’émancipation de plus en plus complète de l’épouse et dans un cas où, comme en
l’espèce, le mari qui s’est apparemment fixé en Belgique sans esprit de retour (il s’y
trouve depuis plus de 21 ans) demeurait dans ce pays depuis huit ans lorsqu’il a
épouse une Belge qui a conservé sa nationalité »

Et la Cour de conclure que « le caractère parfois artificiel d’une première résidence qui
serait accidentelle, cède en présence d’un faisceau de faits aussi impressionnant ».
D’autres décisions ont suivi qui ont également répudié la soumission des relations
patrimoniales entre époux à la loi nationale du mari. Une décision remarquée de la Cour
d’appel de Gand concernant un couple belgo-néerlandais a par exemple retenu la loi
belge, alors que le mari était de nationalité néerlandaise, au titre de la loi du « eerste
effective en gewone echtelijke woon- of verblijfplaats »61.

55
Comp. avec l’opinion de F. RIGAUX, Droit international privé, Larcier, 1968, p. 458, n° 386, qui estimait que
le grief d’inégalité n’était « pas très convaincant ».
56
Voy. surtout P. GRAULICH, Principes de droit international privé, Paris, Dalloz, 1961, pp. 118-110, n°167.
57
Dans la doctrine de l’époque, cons. H. BORN, « Ferments nouveaux d’évolution des conflits de lois
concernant les régimes matrimoniaux », J.T., 1977, pp. 161-168 et pp. 181-187 ; J. CANIVET, « Les conflits
de lois concernant le régime matrimonial des époux mariés sans contrat », J.T., 1963, p. 37 et suiv.
58
F. RIGAUX, Droit international privé, Larcier, 1968, p. 459, n° 386.
59
Voy. la jurisprudence citée par l’avocat général Velu dans ses conclusions précitées qui précédaient
l’arrêt Eicker : Pas., 1980, I, p. 981, note 64.
60
Mons, 22 octobre 1975, Rev. not. b., 1976, p. 520 et les observations de R. VANDER ELST.
61
Gand, 23 mars 1979, T.Not., 1979, 140, 141. En l’espèce la question du droit applicable se posait à
propos d’une modification du régime matrimonial envisagée par les époux. Le contexte était quelque
peu différent de celui qui avait donné lieu à l’arrêt de la Cour d’appel de Mons précité : alors que cette
dernière Cour d’appel devait se pencher sur la situation d’un couple belgo-italien issu de l’immigration,
l’époux italien s’étant installé en Belgique huit ans avant d’y épouser une ressortissant belge, l’espèce
Il fallut encore attendre quelques années pour que la loi du « pays d’accueil et de
résidence définitive » (dixit la Cour d’appel dans l’arrêt Bettini) se cristallise pour devenir
la loi de la première résidence conjugale. Cette évolution ne fut pas toujours accueillie
favorablement. Si, dans l’ensemble, la doctrine estimait qu’il n’était plus possible de
privilégier la loi nationale du mari62, beaucoup s’interrogeaient sur la fiabilité d’une
soumission à la loi du premier domicile conjugal, ce facteur de rattachement étant jugé
peu sécurisant. M. Vander Elst en particulier se montrait réservé sur l’évolution de la
jurisprudence, craignant que la nouvelle approche ne permette pas de dégager une
« solution claire, certaine, offrant la sécurité juridique et la prévisibilité indispensable en
matière de conflit de lois »63.

La solution retenue par la Cour d’appel reçu en 1980 l’appui de l’avocat-général Velu.
Dans ses conclusions précédant l’arrêt Eicker, M. Velu estimait qu’à défaut de nationalité
commune, application devait être faite de la loi du « premier domicile conjugal »64. Elle a
également été appuyée par Mme Liekendael, alors avocat général près la même Cour de
cassation65. Cette solution a été définitivement consacrée par la Cour de cassation dans
son arrêt Banque Sud belge du 25 mai 1992, dans lequel la Cour a décidé que « Lorsque
les époux sont de nationalité différente au moment où le conflit surgit, il convient d'avoir
égard à la loi du premier domicile conjugal »66. Par domicile conjugal il fallait entendre la
résidence commune des époux.

Cette évolution a permis de donner une solution à la plupart des situations. Soit en effet
les deux époux possédaient au moment du mariage la même nationalité. Soit la loi
applicable se déduisait du premier domicile conjugal des époux. Dans des situations

soumise à la Cour d’appel de Gand concernait un couple certes composé d’une ressortissante belge et
d’un ressortissant néerlandais mais ce dernier était né en Belgique, y avait toujours vécu et s’y était
marié. Les trois enfants du couple étaient également nés en Belgique. L’on comprend dès lors que la
Cour d’appel de Gand a estimé que soumettre les époux à la loi néerlandaise aurait quelque chose
d’artificiel.
62
M. Vander Elst écrivait que l’abandon de la loi nationale du mari reposait sur un « motif plus affectif que
logique » (R. VANDER ELST, obs. sous Mons, 22 octobre 1975, Rev. not. b., 1976, p. 522, p. 532) parce que
l’application de cette loi n’emportait pas une « discrimination concrète » (p. 527) à l’égard de l’épouse,
dans la mesure où « une fois sur deux la loi du mari est plus avantageuse pour l’épouse et une fois sur
deux moins avantageuse, statistiquement parlant » (id.)
63
R. VANDER ELST, obs. sous Mons, 22 octobre 1975, Rev. not. b., 1976, p. 522, p. 531. M. Bouckaert se
montrait également fort critique à l’égard du rattachement retenu par la jurisprudence, comme le
montre le passage suivant : « […] dienen vraagtekens gezet te worden achter het begrip ‘woonplaats’.
Welke lading deze vlag dekt, is niet precies de bepalen. Gaat het om de woonplaats of volstaat
verblijfplaats? Dient het verblijf een bestendig en effectief karakter te vertonen en wordt de
woonplaats pas dan in overweging genomen wanneer de vreemdeling zich hier te lande ‘animo non
revertendi’ heeft gevestigd? Allemaal vragen die de dubbelzinnigheid van deze aanknopingsfactor
duidelijk doen uitschijnen” (F. BOUCKAERT, « De lex domicilii en de lex patriae t.a.v. het internationaal
huwelijksvermogensrecht », note sous Gand, 23 mars 1979, T.Not., 1979, p. 193, p. 197).
64
Conclusions de M. Velu, avocat général, Pas., 1980, I, p. 983.
65
Conclusions de Mme Liekendael, avocat général, Pas., 1993, I, p. 667, n° 10 et p. 672, n° 27.
66
Pas., 1992, I, 839, concl. J-F. LECLERCQ.
exceptionnelles, aucune de ces règles ne permettait de déterminer le régime légal des
époux. Il arrivait en effet parfois que des époux ne cohabitent jamais ou en tout cas pas
avant que ne s’écoule après le mariage une période si longue qu’il devenait impossible
d’évoquer une première résidence habituelle. La doctrine proposait pour cette situation
exceptionnelle un rattachement vague à la loi du pays avec lequel les époux présentent
les liens les plus étroits67. Ce critère pouvait s'appuyer sur l'article 4, par. 3 de la
Convention de La Haye de 1978 selon lequel le régime matrimonial d’époux ne possédant
ni résidence habituelle commune, ni nationalité commune, doit s’apprécier à l’aune de la
loi de l’Etat avec lequel « compte tenu de toutes les circonstances il présente les liens les
plus étroits ».

C. Les correctifs

Les rattachements qui viennent d’être présentés constituent l’architecture centrale du


droit international privé des couples mariés avant 2004. Le binôme loi nationale – loi de
la première résidence conjugale permet déjà d’offrir une réponse à la plupart des
questions. Il faut toutefois également tenir compte des mécanismes correctifs qui ont
toujours fait partie du droit international privé.

Les mécanismes les plus pertinents sont au nombre de deux. Avant d’en évoquer l’effet
sur la loi applicable aux relations patrimoniales de couple, il convient de relever que
s’agissant de couples mariés avant le 1er octobre 2004, le droit international privé ne
permettait pas de tenir compte d’une évolution des circonstances de vie des époux,
même si cette évolution avait fait perdre au rattachement pertinent une grande partie
de sa force.

Telle qu’elle existait avant la codification, la règle de conflit de lois excluait en effet tout
conflit mobile, dans la mesure où le rattachement devait exclusivement être apprécié au
moment du mariage. Toute évolution ultérieure des rattachements était parfaitement
indifférente, même si cette évolution devait conduire à dénier à la loi déclarée applicable
toute prétention à la proximité avec le couple.

La Cour d’Appel d’Anvers a confirmé la permanence du rattachement et l’exclusion du


conflit mobile dans une espèce tranchée en 1999 : en l’espèce, deux époux de nationalité
néerlandaise avaient établi de longue date leur résidence habituelle en Belgique où était
manifestement situé leur centre d’activités et de leurs intérêts. Selon la Cour, il n’était
pas permis de déroger à l’application de la loi néerlandaise, loi nationale des deux époux.
La circonstance que la résidence des époux se situait de longue date en Belgique et que
le centre de leurs activités et de leurs intérêts se situait en Belgique n’était pas, selon la

67
En ce sens, M. VERWILGHEN et P. VAN DEN EYNDE, « Régimes matrimoniaux (droit international) », R.P.D.B.,
Compl. VI, n° 45 (VERIFIER). Cette solution avait également été proposée par M. Velu dans ses
conclusions précédant l’arrêt Eicker : Pas., 1980, I, p. 983.
Cour, de nature à permettre de préférer la loi belge à la loi néerlandaise.68

Le droit international privé de l’époque ne connaissait pas non plus d’instrument


comparable à la clause d’exception, qui aurait permis de tenir compte du passage du
temps pour extraire des époux de la loi de la nationalité qu’ils possédaient au moment
du mariage. L’hypothèse n’était pas exceptionnelle. De nombreux couples vivant en
Belgique depuis de nombreuses années continuaient à être soumis au régime légal de la
loi de la nationalité commune qu’ils possédaient au moment du mariage, alors même
que les liens qu’ils entretenaient avec cet Etat s’étaient affaiblis avec les années, voire
qu’ils avaient depuis lors obtenu la nationalité belge. Soit deux époux italiens mariés en
1962 en Belgique sans contrat de mariage et qui vivent depuis lors en Belgique. Faute de
clause d’exception, ces époux continuaient à être soumis à la loi italienne, alors même
que leurs attaches avec l’Italie avaient perdu de leur vigueur et qu’ils s’étaient
durablement intégrés en Belgique. En l’absence de clause d’exception, il n’était pas
possible de s’extraire de la loi de la nationalité commune, sauf pour les époux à conclure
une convention matrimoniale.

Si le conflit mobile était exclu et la clause d’exception encore inconnue, la technique du


renvoi était admise avant l'entrée en vigueur du Code de droit international privé. Dès
lors que la règle de conflit de lois désignait un droit étranger, il s’imposait de tenir
compte de la possibilité que le droit étranger déclaré applicable aux époux, par exemple
le droit de la nationalité commune, retienne une autre loi. L'application du renvoi était
d'autant plus fréquente que la règle de droit international privé retenue en Belgique
différait de celle en vigueur dans trois des Etats voisins, à savoir le Luxembourg, la France
et les Pays-Bas. Ces trois pays avaient en effet ratifié la Convention de La Haye du 14
mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux. Compte tenu du nombre de
couples de nationalité française ou néerlandaise en Belgique, il n’était pas exceptionnel
que le praticien soit amené au cours d’une liquidation à faire usage des dispositions de la
Convention de La Haye, par le biais du renvoi69.

A côté du renvoi, un autre mécanisme correcteur pouvait également perturber le jeu de


la règle de conflit de lois. Il s’agit de l’exception d’ordre public. On notera néanmoins que
les situations dans lesquelles cette exception peut être appelée à jouer à propos des
relations patrimoniales entre époux sont fort rares. La jurisprudence n’offre qu’un
nombre très limité d’exemples de mise en œuvre de cette exception dans le contexte des
régimes matrimoniaux.

68
Anvers, 26 octobre 1999, R.G.D.C., 2001, 33, note de C. DE BUSSCHERE. Voy. également Civ. Ypres, 21 mai
1997, R.G.D.C., 1999, 82 : le tribunal décide que les relations patrimoniales entre deux époux marocains
sont régies par la loi marocaine, et ce « même si les deux époux n’ont aucun autre lien avec l’État dont
ils possèdent la nationalité ».
69
Cf. par exemple Anvers, 26 octobre 1999, R.G.D.C., 2001, 33 ; Civ. Termonde, 27 juin 1997, Rev. not. b.,
1998, 388 ; R.G.D.C., 1998, 140, note C. DE BUSSCHERE ; Tijd. Not., 1997, 410, note F. BOUCKAERT.
§ 2. Les époux mariés après le 1er octobre 2004 : le triomphe de la résidence habituelle

Le droit international privé contemporain limite fortement le rôle de la nationalité dans


les relations familiales. Tant le législateur national que le législateur européen accordent
un rôle privilégié à la résidence habituelle. Cette tendance s’est concrétisée à l’occasion
de la codification du droit international privé belge. Le Code adopté en 2004 réserve en
effet une large place à la résidence habituelle. Ceci se vérifie notamment lorsque l’on
s’intéresse aux relations patrimoniales au sein des couples.

Le règlement européen entré en vigueur en janvier 2019 confirme l’importance de la


résidence habituelle. La règle de conflit de lois mise en place par ce règlement pour les
couples qui n’ont pas effectué de choix de loi, fait également confiance à la loi de la
résidence habituelle des époux. La similarité entre les deux règles permet de les analyser
de concert. Les textes diffèrent néanmoins lorsque l’on s’intéresse à la règle subsidiaire.

A. Le principe : soumission du régime légal à la loi de la résidence habituelle des


époux

La force d’attraction de la loi de la nationalité s’est progressivement réduite au cours des


dernières années. Dans de nombreux domaines, elle a cédé la priorité à d’autres
rattachements. Cette évolution se marque également dans le domaine des relations
patrimoniales au sein du couple. Les rattachements retenus d’une part par l’article 51 du
Code de droit international privé et d’autre part par l’article 26 du Règlement européen
relatif aux régimes matrimoniaux soumettent en effet les époux à la loi de l’Etat dans
lequel est établie leur résidence habituelle.

Ces deux dispositions se rapprochent à bien des égards. Outre le rôle réservé à la
résidence habituelle des époux, tant le Code que le règlement imposent de retenir la
première concrétisation de cette résidence après la célébration du mariage. Les termes
utilisés diffèrent certes légèrement. L’article 51 vise le droit de l’Etat « sur le territoire
duquel l’un et l’autre époux fixent pour la première fois leur résidence habituelle après la
célébration du mariage ». L’article 26, par. 1 point a quant à lui retient la loi « de la
première résidence habituelle commune des époux après la célébration du mariage ». On
ne peut qu’être frappé par la parenté entre les deux textes. La seule différence notable
concerne la question de savoir si la résidence habituelle des époux doit s’entendre d’une
habitation commune. La rédaction adoptée par l’article 51 du Code de droit international
privé suggère fortement qu’il est permis de tenir compte de la circonstance que les deux
époux résident habituellement sur le territoire du même Etat, alors qu’ils ne cohabitent
pas. La formule retenue par l’article 26 du Règlement pourrait par contre laisser penser
que le rattachement ne peut être retenu qu’à la condition que les deux époux cohabitent
réellement.

Si l’on met de côté cette question, qui ne concerne qu’un nombre restreint de couples,
on peut retenir qu’il n’existe aucune différence notable entre les deux règles de conflit
de lois. Certes, le concept de résidence habituelle fait l’objet, dans le Code de droit
international privé, d’une définition. Par contraste, le législateur européen, fidèle à une
tradition initiée par la Conférence de La Haye, se refuser à définir le concept. S’il est
certain qu’il ne peut être question d’importer la définition proposée par le législateur
belge pour éclairer le concept de résidence habituelle qui figure dans le règlement
européen, il reste qu’il n’y a pas trente-six manières différentes de comprendre ce que
recouvre le concept de résidence habituelle. Le lieu où une personne s’est établie à titre
principal, comme le définit le Code, semble constituer un bon point de départ pour ce
concept, qu’il fasse partie d’une règle européenne ou nationale.

La soumission des relations patrimoniales à la loi de la première résidence habituelle des


époux entraîne avec elle les difficultés classiques liés à l’utilisation de ce facteur de
rattachement. La résidence habituelle est un concept fonctionnel, dont la plasticité
permet d’épouser au mieux les circonstances particulières de chaque couple. Ceci le rend
particulièrement approprié pour figurer dans une règle générale, appelée à être
appliquée à des situations bien différentes. Cet avantage doit être mis en balance avec
les difficultés que peut susciter, dans certaines situations, la localisation de la résidence
habituelle d’un couple. Tous les praticiens connaissent ces histoires, souvent répétées
lors des réceptions qui suivent les colloques ou les conférences, de couples aux mœurs
voyageuses, dont la vie chahutée rend difficile l’opération de localisation de la résidence
habituelle. Il est permis de penser que ces situations demeurent exceptionnelles et
n’enlèvent pas à la résidence habituelle sa grande pertinence comme facteur de
rattachement.

Le rattachement à la loi de la première résidence conjugale commune a des


conséquences pour les expatriés et les autres personnes en situation de migration. A
l’égard des communautés d’origine étrangère installées en Belgique, la soumission à la loi
de la résidence habituelle emporte l’application du droit belge. Si volonté il y a d’être
soumis au droit de la nationalité d’origine, le couple devra nécessairement avoir recours
au choix de loi. Le rattachement à la loi de la première résidence habituelle est
néanmoins source de réalisme. Il permettra d’éviter les difficultés qui naissaient lorsque
deux époux de nationalité étrangère s’installaient de manière durable en Belgique après
leur mariage. Le rattachement à la loi nationale pouvait à l’égard de ces couples
s’émousser et perdre progressivement une partie de sa pertinence. Soumettre au
contraire ces époux à la loi de la résidence habituelle qu’ils ont choisie pour s’installer
après leur mariage est une garantie que la loi applicable sera, dans de nombreux cas, plus
proche de la réalité concrète de la vie matrimoniale.

A l’égard des ressortissants belges qui s’expatrient, le rattachement à la loi de la


première résidence habituelle peut avoir des conséquences inattendues. Ainsi si deux
jeunes diplômés qui ont étudié en Belgique, s’installent après leur mariage à l’étranger
où ils font leurs premières armes sur le marché du travail, ils seront soumis au droit de
l’Etat où ils se sont installés, alors même qu’ils pourraient revenir en Belgique après
quelques années et y résider jusqu’au décès de l’un d’eux. Il sera certes toujours loisible
à ces époux, une fois durablement installés en Belgique, de faire usage de la possibilité
offerte tant par le Code que par le règlement et de soumettre leurs relations
patrimoniales au droit de leur choix. Ceci suppose néanmoins qu’ils aient conscience des
conséquences qu’entraîne leur expatriation, fut-elle limitée à quelques années.

Tant le Code de droit international privé que le règlement européen ont répudié la
possibilité d’une adaptation en cours de route de la loi applicable pour tenir compte des
circonstances nouvelles70. Le considérant 46 du préambule qui accompagne le règlement
européen précise d’ailleurs que « aucun changement de loi applicable au régime
matrimonial ne devrait intervenir sans demande expresse des parties » La question est
directement pertinente pour les relations au sein d’un couple, qui sont appelées à se
dérouler sur de très longues périodes. Il n’est pas inhabituel que le cadre de vie des
époux soit modifié au cours des années passées ensemble. Les époux peuvent
déménager et s’installer dans un autre pays. Ils peuvent aussi effectuer des allers et
retours plus ou moins fréquents entre deux lieux de vie. L’un d’eux peut acquérir une
nouvelle nationalité ou perdre une nationalité possédée au moment du mariage. Il est
tout à fait envisageable de permettre une adaptation du raisonnement conflictuel pour
tenir compte de ces changements de circonstance. Le droit international privé suisse
fournit un exemple concret, puisque la règle de rattachement retenue par le législateur
suisse soumet les époux au droit de l’Etat de leur domicile actuel71.

Les législateurs belge et européen ont retenu un système très différent. Le conflit mobile
est exclu dans la mesure où le critère de rattachement est fixé dans le temps. Seule est
pertinente la résidence habituelle des époux « après la célébration du mariage » (art. 51
CODIP). L’article 26 du règlement européen retient une formule différente pour exprimer
la stabilité du rattachement : est pertinente la « première résidence habituelle commune
des époux après la célébration du mariage ». Cette approche offre l’avantage de
permettre de déterminer la situation des époux une fois pour toute sans se préoccuper
d’éventuelles modifications qui pourraient intervenir ultérieurement dans leur situation.
Cet avantage est à mettre dans la balance avec l’inconvénient que présente la fixation
d’un rattachement à un moment dans le temps. L’exclusion du conflit mobile interdit en
effet de tenir compte d’une évolution, qui peut être fondamentale, de la vie des époux.
Cet inconvénient doit être nuancé. Certes, le Code de droit international privé et le
règlement européen imposent de tenir compte de la première concrétisation de la
résidence habituelle des époux. Néanmoins, ces deux instruments permettent dans des
situations exceptionnelles de tenir compte de l’évolution intervenue dans la vie des
époux. Deux mécanismes particuliers, qui constituent autant de variantes autour de
l’idée de la clause d’exception, permettent de substituer à la loi de la première résidence
habituelle une loi plus proche de la situation actuelle des membres du couple (infra).

Reste un inconvénient qu’entraîne la soumission des époux à la loi de la première

70
Cette possibilité est prévue par l’article 7 de la Convention de La Haye de 1978.
71
Article 54, par. 1, point a de la loi de 1987 relative au droit international privé.
résidence habituelle qu’ils ont établie après le mariage. La liquidation du régime pouvant
intervenir bien longtemps après la célébration du mariage, la détermination effective de
ce qui fut la première résidence habituelle des époux après le mariage peut s’avérer
complexe et incertaine. L’incertitude ira en augmentant avec la durée du mariage. Ceci
doit conduire le notariat à interroger systématiquement les clients sur leur lieu de
résidence, voire à en prendre acte72.

B. La nuance : l’application de la loi de la nationalité commune

La soumission des couples au droit de leur première résidence habituelle peut sembler
une solution pérenne qui se suffit à elle-même. Ne peut-on pas penser en effet que les
couples qui se marient posséderont nécessairement une résidence habituelle
commune ? La finalité du mariage est en effet d’encadrer juridiquement une
communauté fondée sur des sentiments qui doivent conduire les époux à partager une
partie substantielle de leur temps.

L’expérience apprend néanmoins que des situations existent dans lesquelles de jeunes
époux ne cohabitent pas après la célébration de leur union. Les raisons qui peuvent
expliquer la séparation physique d’un jeune couple sont multiples. Si l’on met de côté
l’emprise que peut exercer la proverbiale belle-mère (ou d’un beau-père ?) jalouse, on
peut penser à des situations plus fréquentes. Des motifs liés à l’activité professionnelle
d’un époux peuvent le contraindre à séjourner loin de sa moitié pendant quelques
temps. Imaginons qu'un chercheur belge rencontre en Belgique une ressortissante suisse
venue travailler dans un centre de recherche universitaire dans le cadre de ses
recherches. Les deux personnes se marient en Belgique en juillet 2019, après quoi
l'épouse retourne en Suisse où elle réside encore pendant 18 mois pour finaliser ses
recherches et obtenir son diplôme. Les époux n'ont résidé ensemble en Belgique que peu
de temps après le mariage. Ils ont l'intention de s'établir en Belgique dès que l'épouse
aura clôturé ses recherches. Les époux n'ont pas de nationalité commune. Ils n'ont pas
(encore) de résidence habituelle sur le territoire d'un même Etat.

Plus près de nous, des époux peuvent être séparés par la nécessité pour l’un d’obtenir un
titre de séjour lui permettant de rejoindre l’autre. Aux Pays-Bas, les situations de
‘gezinsherenigers’ ne pouvant in fine pas rejoindre leur époux, faute d’avoir obtenu le
titre de séjour requis, se multiplient73.

72
Les considérants qui accompagnent un acte, acte de vente par exemple, peuvent constituer un endroit
privilégié pour accueillir ces informations.
73
Un rapport récent apprend que l’autorité compétente (IND) s’est prononcé positivement sur 91% des
demandes de titre de séjour fondées sur le regroupement familial, ce qui signifie que dans 9 % des cas,
la demande a été rejetée. Lorsque l’on sait que l’IND reçoit plus de 30.000 demandes par an, cela
signifie que dans plus de 2.500 dossiers, l’intéressé n’a pu rejoindre les Pays-Bas : ENM,
Gezinshereniging van derdelanders in Nederland, 2017, p. 45.
Dans ces situations, le facteur de rattachement mis en avant par le Code et par le
règlement européen suscite une interrogation. Peut-on soumettre les époux au droit de
leur première résidence habituelle lorsque celle-ci a été établie quelques mois, voire plus
longtemps après le mariage ? Ou faut-il dans ces circonstances accepter qu’il n’a pas été
question de première résidence habituelle, pour préférer à ce critère un rattachement
subsidiaire ?

Puisque les règles de conflit de lois sont fondées sur une échelle de rattachement, il
importe de donner effet aux rattachements subsidiaires. Ceux-ci doivent pouvoir recevoir
application. Ceci plaide pour une interprétation stricte du premier échelon : il ne peut
être permis de considérer que des époux établissent une première résidence habituelle
commune lorsque celle-ci devient réalité bien longtemps après la célébration du
mariage. Si les jeunes époux ne vivent pas sur le territoire du même Etat pendant les
premières années de leur mariage, il faut impérativement prendre en considération le
deuxième échelon de la règle, sous peine de vider celle-ci de son utilité.

Si une période de plusieurs années sépare le mariage de l’installation commune, il nous


semble donc raisonnable de s’en remettre à la règle subsidiaire. Ce premier élément ne
permet pas de répondre à toutes les interrogations. Comment doit-on en effet appliquer
la règle lorsqu’il apparaît que les époux ont, après une période de latence, bel et bien
établi une résidence commune. Si le laps de temps qui s’est écoulé entre le mariage et
l’installation n’est que de quelques mois, voire de quelques semaines, est-il justifié de
soumettre les époux à la loi de leur nationalité commune ?

Le Code de droit international privé ne contient aucune précision à ce sujet. L’article 51,
2° se contente de préciser que la nationalité commune entre en scène « à défaut de
résidence habituelle sur le territoire d’un même Etat […] ». Le règlement européen est à
peine plus loquace : l’article 26 n’évoque pas la question, mais le considérant 49 apporte
quelques éclaircissements. Selon ce considérant, la première résidence habituelle
commune de époux doit être appréciée « peu après le mariage ». On conviendra qu’il
s’agit d’une précision toute relative.

Des propositions ont été faites pour concrétiser le délai au-delà duquel la résidence
habituelle perd son pouvoir de rattachement. Elles divergent néanmoins sensiblement.
On a ainsi pu écrire qu’un délai de six mois pouvait être acceptable sous l’empire du
Code de droit international privé74. D’autres ont proposé de ne pas aller au-delà d’un
délai d’un mois75. Aux Pays-Bas la même question a été soulevée à propos de la mise en
œuvre de l’ancienne règle de conflit de lois76. De manière pragmatique, la jurisprudence

74
J.L. van Boxstael, XXXXX p., n° 377 in fine.
75
C’était notre opinion, explicitée in « Les régimes matrimoniaux en droit international privé – Autour de
trois questions d'actualité », Droit familial sans frontières, Institut de Formation
judiciaire/Mijnwetboek.be, 2013, 183-201, spéc. pp. 190-195.
76
A savoir celle qui concerne les époux mariés avant l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye de
1978. Le droit applicable à ces époux était déterminé à l’aide d’une règle issue de la jurisprudence
néerlandaise a estimé qu’un délai maximum de six mois pouvait s’écouler entre le
mariage et l’installation d’un domicile commun77.

La difficulté ne pourra être tranchée, in fine, qu’à l’intervention des juridictions. En


attendant une issue judiciaire, il nous paraît qu’une période de quelques semaines qui
sépare la célébration du mariage de l’installation commune peut sans difficulté être
neutralisée. Il n’est pas inhabituel que la planification du mariage dépende de
circonstances extérieures, comme la disponibilité des membres de la famille des jeunes
époux ou les conditions météorologiques. Il peut donc intervenir avant que les époux
soient dans les conditions nécessaires pour commencer une réelle cohabitation. Soit un
ressortissant français qui épouse une ressortissante néerlandaise en mai 2019. Le
mariage est célébré en Belgique, où réside madame – et où, accessoirement, les jeunes
amoureux ont pu réserver un endroit qui répond à leurs souhaits pour la noce. Si les
jeunes époux commencent réellement à cohabiter en juillet 2019 lorsque monsieur
s’installe dans l’appartement de sa jeune épouse en Belgique, il nous semble que la
période de latence de quelques semaines ne doit pas prêter à conséquence. Elle peut
être ignorée, pour considérer que les époux ont établi leur première résidence habituelle
en Belgique.

Il est plus délicat de considérer que de jeunes époux ont acquis une première résidence
habituelle commune lorsque l’installation n’est intervenue que plusieurs mois après le
mariage. Dans cette hypothèse, l’élasticité de la première résidence habituelle est mise à
rude épreuve. Il faudra à tout le moins s’interroger sur les circonstances concrètes qui
expliquent pourquoi la cohabitation n’a pas pu être concrétisée immédiatement après le
mariage. Lorsque la cohabitation entre époux est postposée en raison d’un choix de leur
part, il est permis de penser que les époux acceptent le risque de ne pas être soumis au
droit de leur première résidence habituelle. Ce n’est que si l’absence de cohabitation
immédiate s’explique par des facteurs extérieurs aux époux que l’on pourrait envisager
de tenir compte d’une séparation de plusieurs mois entre les époux.

Tant le Code de droit international privé que le règlement européen ont mis en place des
rattachements subsidiaires. Ceux-ci montrent une importante cohérence : les deux
instruments retiennent en effet la loi de la nationalité commune des époux, à défaut
pour ceux-ci d’avoir fixé une première résidence habituelle. Cette nationalité commune
doit se concrétiser dans les deux textes « au moment de la célébration du mariage ».

Ce rattachement appelle plusieurs précisions. Celles-ci seront l’occasion de constater que


des divergences peuvent séparer le Code de droit international du règlement, les détails
de la mise en œuvre de la règle différant selon les instruments.

(jurisprudence dite ‘Chelouche’). Cette jurisprudence soumettait les époux à la loi de leur nationalité
commune au moment du mariage. A défaut de nationalité commune, le facteur de rattachement
pertinent était le domicile conjugal. Celui-ci devait être établi peu de temps après le mariage. Sur tous
ces points, cons. I. JOPPE, Huwelijksvermogensrecht, 3ème éd., Maklu, 2010, pp. 86-94.
77
I. JOPPE, op. cit., p. 91, n° 69.
Tout d’abord il importe de s’interroger sur la mise en œuvre du rattachement à la
nationalité commune lorsque l’un des époux ou les deux possèdent plusieurs
nationalités. Le Code de droit international privé ne prévoit aucune règle particulière sur
ce point. Il faut dès lors faire appel aux règles générales de conflit de nationalités. L’on
sait que selon ces règles, lorsqu’une personne possède la nationalité belge et une
nationalité étrangère, celle-ci s’efface devant la première. Il en va autrement lorsque les
deux nationalités en jeu sont celles d’Etats étrangers. Dans ce cas, l’article 3, par. 2, point
2 du Code commande de retenir la loi avec laquelle l’intéressé(e) possède « les liens les
plus étroits, en tenant compte, notamment de la résidence habituelle ».

A cette approche classique, le règlement européen substitue une autre beaucoup plus
radicale. Selon l’article 26, par. 2, le rattachement à la nationalité commune est exclu
lorsque les époux ont plus d’une nationalité commune – par exemple lorsque deux
ressortissants roumains possèdent également, au moment du mariage, la nationalité
française. Partant, le législateur européen refuse de trancher dans cette situation,
préférant renvoyer dos-à-dos les deux nationalités en présence. Dans cette hypothèse, il
devra être fait application de la règle subsidiaire qui soumet les époux à la loi de l’Etat
avec lequel les époux présentent les liens les plus étroits au moment du mariage.

En l’absence de toute autre précision, on comprendra que lorsque les deux époux
possèdent la même nationalité, la circonstance que l’un d’entre eux possède également
une autre nationalité est indifférente. Ainsi si deux ressortissants roumains sont mariés
et que l’un d’eux possédait également, au moment du mariage, la nationalité française,
la règle particulière prévue à l’article 26, par. 2 ne s’applique pas. A défaut pour le
règlement d’avoir prévu un ensemble de règles visant les conflits de nationalités, on peut
se demander comment appréhender les situations de pluripatridie. Si les deux époux
possèdent une nationalité commune, mais que l’un d’entre eux possède en outre une
autre nationalité, on peut se demander s’il faut retenir la seule nationalité commune des
époux. Ceci ne sera possible que si l’on considère que cette nationalité commune doit
primer dans le chef de l’époux qui possède plusieurs nationalités. Le considérant n° 50 du
préambule renvoie au droit des Etats membres « la question de savoir comment
considérer une personne possédant plusieurs nationalités ».

Tant le Code que l’article 26 du règlement visent la nationalité commune des époux « au
moment de la célébration du mariage ». Ceci signifie-t-il que si deux époux acquièrent
une nationalité commune par l’effet du mariage - hypothèse de moins en moins
fréquente en raison de la neutralisation de l’effet du mariage sur la nationalité des époux
(supra) -, le rattachement subsidiaire ne pourrait pas jouer ? A défaut d’autres précisions
dans les textes, il semble qu’une nationalité acquise par l’effet du mariage ne puisse être
prise en considération. Ceci constitue une modification sensible par rapport à la
jurisprudence Eicker (supra).

A défaut de nationalité commune, tant le Code que le règlement prévoient une ultime
solution. Celle-ci diffère selon que les époux soient soumis à la codification belge ou au
règlement européen : l’article 51 du Code soumet en effet les époux au droit du lieu de
célébration de leur mariage78, alors que l’article 26 par. 1 point c) retient la loi de l’Etat
avec lequel les époux présentent les liens les plus étroits.

Aucun de ces deux rattachements subsidiaires n’est à l’abri de la critique. Le lieu de


célébration du mariage n’a pas nécessairement de relation avec l’endroit où les époux
s’établiront ensuite pour construire ensemble une vie commune. Il peut même se révéler
quelque peu arbitraire. Les futurs époux peuvent en effet choisir de se marier dans un
Etat pour une raison sentimentale, sans avoir d’autres liens avec cet Etat. Ainsi un couple
franco-anglais peut décider de se marier en Italie parce que la famille de la future épouse
est originaire d’Italie et que les futurs époux souhaitent se marier dans le cadre
enchanteur d'un petit village toscan79.

Le rattachement au lieu de célébration du mariage présente néanmoins un intérêt : il est


facilement déterminable. Par comparaison, la soumission des époux au droit de l’Etat
avec lequel le couple présente les liens les plus étroits présente moins de fermeté. La
mise en œuvre de ce rattachement, qui présente une parenté certaine avec le
rattachement retenu par la Convention de La Haye de 1978, qui soumettait les époux à la
« loi interne de l'Etat avec lequel, compte tenu de toutes les circonstances, [le régime
matrimonial] présente les liens les plus étroits » (art. 4 in fine), peut susciter
d’importantes difficultés. Les situations visées sont en effet celles qui par hypothèse
présenteront le plus grand éclatement : les époux concernés n’ont pas établi de
résidence habituelle commune après leur mariage et ne possèdent pas de nationalité
commune. Il ne sera dès lors pas toujours aisé de déterminer la loi pertinente. Cette
difficulté peut être surmontée dans le cadre d’une liquidation, le notaire saisi pouvant
formuler une proposition que les parties sont libres de critiquer devant la juridiction
compétente. Il en ira autrement lorsqu’un professionnel est appelé à déterminer le
régime d’époux à l’occasion d’un achat auquel ils souhaitent procéder.

Si un ressortissant français souhaite faire l’acquisition en Belgique d’une maison pour y


loger sa famille et que son épouse, ressortissante marocaine, réside au Maroc, où les
époux se sont rencontrés et mariés, dans l’attente de l’installation de la maison familiale,
l’article 51 du Code de droit international privé permettait au notaire de déterminer sans
grande difficulté que l’article 1418 du Code civil belge, qui impose de recueillir le
consentement des deux époux, n’était pas applicable, dans la mesure où les époux se

78
On avait proposé pour cette hypothèse de retenir l’application du droit belge, comme on l’a fait pour
d’autres matières (not. l'article 48 pour les effets du mariage et l'article 55 § 1-4° pour le divorce). Un
amendement avait été déposé en ce sens (amendement n° 5 déposé par MM. Willems et Coveliers,
Doc. Parl., Sénat n° 3-27/3, qui voulait substituer au droit du lieu du mariage le droit belge).
L’amendement n’a pas convaincu, entre autre parce qu’il pourrait imposer l’application du droit belge à
des époux qui n’ont pas d’autres liens avec la Belgique. En outre, si le lieu du mariage devait s’avérer
totalement fortuit, la clause générale d’exception pourrait intervenir.
79
L’exposé des motifs accompagnant la proposition de Code reconnaissait d’ailleurs que le lieu de
célébration du mariage peut être « fortuit » (Doc. Parl., Sénat 2-1225/1, 2001-2002, p. 82).
sont mariés au Maroc. La mise en œuvre du rattachement à la loi des liens les plus étroits
peut s’avérer plus hasardeuse.

C. Les correctifs

Tant le Code de droit international privé que le règlement européen prévoient des
mécanismes correctifs qui permettent de nuancer le résultat de la règle de
rattachement. Ces correctifs diffèrent substantiellement de ceux qui existaient lors de la
période précédente, sous la réserve que l’exception d’ordre public a été conservée80.
L’expérience a néanmoins montré que rares sont les occasions de faire appel à cette
exception dans la matière des régimes matrimoniaux81. La seule circonstance dans
laquelle cette exception pourrait certainement jouer un rôle est celle dans laquelle le
droit applicable à la liquidation d’un régime matrimonial attribuerait des droits plus
importants à l’un des époux en raison de son sexe, au désavantage de l’autre. Une telle
inégalité de traitement fondée sur le sexe ne pourrait être suivie d’effet dans une
liquidation orchestrée au départ de la Belgique82.

Le mécanisme du renvoi est en effet exclu par le législateur belge de 2004 et le


législateur européen. L’article 16 du Code de droit international privé exclut la possibilité
de s’interroger sur la loi déclarée applicable par le droit étranger désigné par le Code.
Certes, ce Code prévoit quelques exceptions à cette interdiction de principe. Aucune ne
concerne la question des relations patrimoniales de couple. Pour les époux mariés à
compter du 1er octobre 2004, il faut dès lors considérer que le renvoi a vécu.

L’entrée en vigueur du Règlement européen n’a apporté aucune nouveauté à cet égard.
L’article 32 du règlement exclut en effet le renvoi. Cette exclusion est générale. Aucune
distinction n’est faite selon que le droit déclaré applicable est celui d’un Etat membre ou
d’un Etat tiers. Le renvoi a dès lors définitivement disparu du droit international privé
contemporain des régimes matrimoniaux.

Le praticien devra néanmoins composer avec un autre instrument important qui peut
corriger le résultat de la règle de rattachement. Cet instrument existe tant dans le Code
de droit international privé que dans le règlement européen, mais avec des modalités
différentes. Ces deux textes prévoient en effet une clause d’exception qui permet de
s’écarter du résultat normal de la règle de rattachement. La clause d’exception a comme
objectif non pas d’écarter un droit étranger dont le contenu paraîtrait insupportable,

80
CODIP : art. 21 ; Règlement européen : art. 31.
81
Comme le note à fort juste titre M. van Boxstael qui souligne que « l’application de l’exception d’ordre
public à la matière des régimes matrimoniaux est exceptionnelle » (J.-L. VAN BOXSTAEL, « Le règlement
européen ‘régimes matrimoniaux’ et la pratique notariale » in Tapas de droit notarial 2018, J. VAN BOXSTAEL
et F. TAIMONT (éds.), Bruxelles, Larcier, 2019, (p. 189-229), p. 223, note 94).
82
Cf. Mons (2ème ch.), 16 décembre 2008 et 19 mai 2009, inédits, RG 2007/RG/188, commentés in « Les
régimes matrimoniaux en droit international privé – Autour de trois questions d'actualité », Droit familial
sans frontières, Institut de Formation judiciaire/Mijnwetboek.be, 2013, 183-201, spéc. pp. 195-201.
comme le permet l’exception d’ordre public. L’objectif de la clause d’exception est plutôt
de permettre de rétablir une certaine justice internationale à laquelle ne ferait pas droit,
dans des circonstances particulières, la règle de conflit de lois. Plus concrètement,
l’instrument permet d’écarter un droit, désigné par la règle de conflit, lorsqu’il apparaît
que ce droit ne présente pas de liens suffisamment substantiels avec la relation de
couple, et de lui préférer un autre droit, plus proche de la relation entre époux.

Tant l’article 19 du Code de droit international privé que l’article 26, par. 3 du Règlement
européen mettent à disposition du praticien une clause d’exception. Dans l’ensemble les
mécanismes répondent aux mêmes objectifs. L’application des deux versions de la clause
d’exception est pareillement exclue en présence d’un choix de loi par les époux – toute
application dans l’hypothèse d’un tel choix de loi déjouerait les attentes légitimes des
époux qui ont choisi de soumettre leurs relations à une loi donnée83. La traduction
concrète de l’idée diffère néanmoins.

Le Code de droit international privé prévoit une clause d’exception de portée générale,
qui n’est pas spécialement conçue pour les relations patrimoniales entre époux. L’article
26 par. 3 du Règlement a par contre été spécialement pensé en fonction de ces relations
et au regard des règles objectives de rattachement mises en place par le règlement.

Cette approche différente se traduit concrètement dans le libellé des clauses


d’exception. L’article 19 du Code de droit international privé se contente d’une formule
générale, applicable en toutes matières, selon laquelle il est permis d’écarter
l’application du droit désigné par la règle de conflit (en l’occurrence par l’article 51 du
Code) lorsque la situation visée ne présente qu’un « lien très faible » avec l’Etat dont le
droit est désigné. L’article 19 fait certes référence à certains critères, notamment celui de
la prévisibilité du droit applicable. La disposition demeure générale. Sa mise en œuvre
dans le domaine des relations patrimoniales entre époux doit dès lors s’accompagner
d’un travail d’interprétation.

Par contraste, l’article 26, par. 3 constitue une clause concrète d’exception : au lieu d’une
approche générale, le législateur européen a opté pour une approche concrète84.

83
L’article 26, par. 3 in fine donne à l’exclusion une portée plus large puisque l’application de la clause
d’exception est écartée dès lors que « les époux ont conclu une convention matrimoniale ». Il n’est pas
nécessaire que cette convention comporte un choix de loi. On peut néanmoins se demander si la clause
d’exception peut être utilisée lorsque les époux se sont contenté de se soumettre à une loi donnée,
sans arrêter de plus amples dispositions sur leurs relations patrimoniales. Il y là à notre sens une
convention matrimoniale au sens de l’article 26, qui empêche dès lors le jeu de la clause d’exception.
84
Sans doute cette approche concrète explique-t-elle que certains aient pu voir dans l’article 26, par. 3 plus
un rattachement exceptionnel, voire dérogatoire à la loi désignée par les différents facteurs de
rattachement mis en place par l’article 26 qu’une véritable clause d’exception (en ce sens, J.-L. VAN
BOXSTAEL, op. cit., in Tapas de droit notarial 2018, J.-L. VAN BOXSTAEL et F. TAIMONT (éds.), Bruxelles,
Larcier, 2019, p. 226, n° 42). Il faut reconnaître que le procédé mis en place par le législateur européen,
parce qu’il vise de façon précise une situation qui pourrait faire l’objet d’un rattachement, se rapproche
d’une règle de conflit de lois. Cette impression est renforcée par la place réservée à la clause
d’exception, qui figure juste à la suite d’une règle de rattachement en cascade. Il nous semble
L’article 26, par. 3 explicite en effet concrètement quelles circonstances peuvent être
prises en considération pour apprécier si le rattachement initial a perdu sa valeur. Selon
cette disposition, il faut avoir égard à deux éléments en particulier, l’un objectif et l’autre
plus lié aux souhaits des parties.

Le premier élément est la résidence habituelle des époux. Le déclenchement de la clause


d’exception n’est justifié que si les époux ont établi leur résidence habituelle dans un
Etat autre que celui dans lequel ils résidaient au moment de leur mariage et qu’ils y ont
vécu pendant une période « significativement plus longue ». Une comparaison s’impose
donc qui porte sur la durée d’établissement des époux dans l’Etat où ils résidaient
initialement et celui dans lequel ils sont installés au moment où se pose la question.
Cette condition fait office de seuil minimal : la clause d’exception ne peut être prise en
considération qu’à la condition qu’une différence importante sépare les deux périodes.
Bien entendu, dans certaines circonstances, l’appréciation se révélera délicate. Si deux
ressortissants français mariés en 2019 ont résidé jusqu’en 2021 en France avant de
s’installer en Belgique, la mise en œuvre de l’exception ne pourra être envisagée
qu’après que les époux aient vécu une période suffisamment longue en Belgique. Au
minimum, il est nécessaire d’attendre que les époux aient résidé bien plus longtemps en
Belgique qu’en France. Ainsi, si la question se pose en 2032, après que les époux aient
vécu onze ans en Belgique, la clause d’exception pourra sans doute être prise en
considération. L’appréciation pourrait être différente si la question se pose en 2025 ou
2026. Certes, dans cette hypothèse, les époux ont résidé plus longtemps en Belgique
qu’en France. Il n’est pas certain que l’on puisse déjà parler d’une période
significativement plus longue.

A côté de l’exigence objective, l’article 26, par. 3 du règlement impose également de


tenir compte des attentes des époux. Plus précisément, il faut avoir égard aux attentes
que les parties peuvent avoir compte tenu de l’organisation et de la planification de leurs
rapports patrimoniaux. L’attention doit donc se porter sur les actes et démarches
entreprises par les époux dans l’Etat de leur résidence habituelle actuelle. Ces actes et
démarches traduisent-ils une volonté d’ancrer leurs relations patrimoniales dans l’ordre
juridique de l’Etat où ils vivent ? Comme pour la condition objective, l’appréciation des
attentes des parties peut s’avérer délicate. Il semble acquis qu’il ne suffit pas, pour que
cette condition soit remplie, que les époux aient énoncé, comme cela arrive parfois, quel
était leur régime matrimonial dans un acte dont l’objet principal n’est pas d’organiser
leurs relations patrimoniales, comme par exemple un acte d’achat d’un bien immobilier
ou une ouverture de crédit85. Au-delà de ce premier élément, il est plus difficile de
trancher. Suffit-il que les époux aient, une fois installés dans un autre Etat que celui où ils
vivaient à l’époque de leur mariage, par exemple rédigé un testament dont les

néanmoins que les modalités concrètes qui entourent la clause, et singulièrement le fait que sa mise en
œuvre est réservée au juge qui ne peut s’en saisir qu’à la demande d’une partie, empêchent d’y voir
autre chose qu’une clause d’exception.
85
Comme le note M. van Boxstael, op. cit., in Tapas de droit notarial 2018, J.-L. VAN BOXSTAEL et F. TAIMONT
(éds.), Bruxelles, Larcier, 2019, p. 227, n° 43.
dispositions ont été étudiées pour être conformes à la loi de l’Etat de migration ? Doit-on
exiger que les attentes légitimes soient concrétisées à l’égard des deux époux ou une
démarche concrète de l’un d’entre eux suffit-elle ? Comme l’a écrit M. van Boxstael, « la
vérité n’est […] pas dite sur l’article 26, § 3 du règlement »86. Comme à l’égard de tous les
mécanismes nouveaux, la pratique devra s’approprier cet outil pour éclaircir les zones
d’ombre. Cet effort d’interprétation devra tenir compte de la vocation exceptionnelle de
la clause d’exception, qui n’a pas vocation à remettre en cause de manière générale les
règles de rattachement mises en place par le règlement.

Que la clause d’exception soit empruntée au Code de droit international privé ou au


règlement européen, elle pourra constituer un contrepoids utile à la fixité des
rattachements retenus par le Code et par le règlement. Comme déjà évoqué (supra,
section 1), le droit international privé des régimes matrimoniaux est caractérisé par une
exclusion du conflit mobile. Le point de référence pour déterminer le droit applicable est
celui de la célébration du mariage. L’évolution des circonstances de vie des époux après
leur mariage n’est pas prise en considération – qu’il s’agisse d’un déménagement, de
l’acquisition d’une nouvelle nationalité ou de la perte d’une nationalité. Or l’évolution du
temps peut émousser sensiblement la pertinence du rattachement à un droit sur base
des seules circonstances existantes lors de la célébration du mariage. La clause
d’exception permet de tenir compte de l’actualité de la vie d’un couple, lorsque le temps
a privé de toute sa pertinence le rattachement initial.

Une limite importante, et regrettable, doit être signalée. La mise en œuvre de la clause
d’exception spéciale prévue par l’article 26, par.3 est réservée aux autorités judiciaires.
Tel qu’il est défini par le règlement (art. 3, par. 2), il est peu probable que ce concept
désigne également le notaire chargé de la liquidation d’un régime matrimonial87. Ceci
signifie qu’un notaire belge à qui une mission de liquidation est confiée, ne pourra pas
mettre en œuvre la clause d’exception. On peut regretter qu’un monopole ait été
réservé aux juridictions proprement dites. Le notariat n’est-il pas, dans de très nombreux
Etats membres, l’acteur principal des liquidations ? Certes, les décisions qu’il prend n’ont
pas autorité de chose jugée. Certes encore, le notaire peut légitimement hésiter à mettre
en œuvre un mécanisme dérogatoire qui lui permet de s’écarter d’une règle de
rattachement. Il demeure que le notariat est bien équipé pour s’approprier de tels
mécanismes, puisqu’il possède une connaissance fine des circonstances qui entourent les
relations patrimoniales du couple.

86
J.-L. VAN BOXSTAEL, op. cit., in Tapas de droit notarial 2018, J. VAN BOXSTAEL et F. TAIMONT (éds.), Bruxelles,
Larcier, 2019, p. 228, n° 45.
87
M. van Boxstael estime quant à lui qu’un notaire belge pourrait s’emparer de la clause lorsqu’il agit
comme liquidateur, dans la mesure où il possède le statut d’auxiliaire de justice (op. cit., in Tapas de
droit notarial 2018, J.-L. VAN BOXSTAEL et F. TAIMONT (éds.), Bruxelles, Larcier, 2019, p. 226, n° 42).
Quel couples ? Mariés avant Mariés après Mariage ≥ Mariés ≥
‘1960’ 1960 01.10.2004 29.1.2019
Où trouver la Art. 3 al. 3 C. Art. 3 al. 3 C. CODIP (art. 51) Règlement
règle ? civ. et civ. et 2016/1103 (art.
jurisprudence jurisprudence 26)
Règle Loi nationale Loi nationale Loi de la Loi de la
principale commune des commune des première première
époux au époux au résidence résidence
moment du moment du habituelle habituelle
mariage mariage commune des commune des
époux après le époux après le
mariage mariage
Règle Loi nationale Loi du premier Loi nationale Loi nationale
subsidiaire du mari domicile commune des commune des
conjugal époux au époux au
moment du moment du
mariage mariage
Règle encore ? Loi de l’Etat Loi de l’Etat de Loi de l’Etat
plus subsidiaire avec lequel les célébration du avec lequel les
époux mariage époux
présentent les présentent les
liens les plus liens les plus
étroits ( ?) étroits
Renvoi Oui Oui Non (art. 16) Non (art. 32)
Clause Non Non Ou (art. 19) Oui (art. 26 par.
d’exception 3)
Section 3 – Les époux et le contrat de mariage

Le droit international privé des relations patrimoniales de couple est dominé depuis
quelques décennies par l’autonomie de la volonté : bien que la liberté concédée aux
époux soit limitée, le principe demeure qu’il leur appartient de déterminer la loi
applicable à leurs relations patrimoniales. Avant de prendre la pleine mesure de cette
liberté (§ 2), il importe d’éclaircir les rapports entre le contrat de mariage et la
détermination de la loi applicable aux relations entre époux (§ 1).

§ 1. Contrat de mariage et détermination de la loi applicable aux relations entre époux

Lorsque les époux n’ont pas conclu de contrat de mariage, l’intérêt de déterminer la loi
applicable paraît évident : cette loi permet d’identifier le régime (légal) auquel les époux
seront soumis88. Quel est l’intérêt de la question du droit applicable lorsque les époux
sont liés par un contrat de mariage en bonne et due forme ? Cet intérêt n’est-il pas
marginal lorsque ce contrat est très détaillé et comprend des dispositions visant tant la
vie du couple qu’une éventuelle dissolution de celui-ci ?

Lorsque les époux arrêtent par contrat les modalités de leurs relations patrimoniales, ce
contrat permet de déterminer avec précision, du moins on l'espère, quel est le régime
auquel les époux sont soumis. Il suffira de prendre connaissance du contrat pour
déterminer si les époux sont soumis à un régime de séparation ou au contraire à un
régime fondé sur la solidarité. Le contrat permettra également de déterminer quelle(s)
variation(s) les époux ont prévu par rapport au régime auxquels ils ont choisi de se
soumettre.

L'intérêt de la détermination du droit applicable demeure cependant manifeste. La loi


applicable est tout d'abord déterminante pour valider le choix d'un régime par les époux.
L’idée même qu’il soit permis aux époux de déterminer le régime auquel ils sont soumis
paraît naturelle aux juristes de tradition civile. Elle repose néanmoins sur une
autorisation légale. Il est dès lors indispensable d’identifier la loi applicable pour vérifier
si et dans quelle mesure elle autorise les époux à déterminer le régime auquel ils
souhaitent se soumettre. Cette idée est traduite concrètement dans le Code de droit
international privé dont l’article 53 § 1er, 3° précise que la loi applicable aux relations
patrimoniales de couple détermine « la possibilité et l'étendue du choix d'un régime
matrimonial ». Ceci confirme qu’il appartient à la loi applicable aux relations entre époux
de fixer le « degré d’autonomie des époux dans le choix d’un régime ».89

88
Il n'est pas contesté que lorsque les époux se sont contenté d'opter pour la loi d'un Etat donné, sans
donner d'autres précisions dans leur contrat, le régime auquel ils sont soumis est le régime légal de la
loi qu'ils sont sélectionnée.
89
Exposé des motifs, Proposition de loi portant Code de droit international privé, Doc. Parl., Sénat, 3-
27/1, p. 81.
Dans la plupart des cas, ce point ne suscitera pas de grande difficulté. Comme déjà relevé,
la grande majorité des droits européens permettent en effet aux époux de choisir le
régime auquel ils souhaitent se soumettre. Le droit comparé apprend néanmoins que
certains droits imposent des limites ou au contraire permettent aux époux d’aménager
leurs relations à leur guise. L’autonomie concédée aux époux peut par exemple leur
permettre de prévoir que le régime qu’ils adoptent n’aura effet que pendant une période
limitée ou qu’un régime choisi par les époux sera progressivement transformé en un
autre. C’est le cas du droit danois qui permet, semble-t-il, aux époux de prévoir qu’un
régime de séparation de biens s’effacera après cinq ans de mariage pour céder la place à
une communauté de biens, ou encore de convenir qu’une séparation de biens sera
réduite progressivement, par ex. de 50 % après 10 ans de mariage, pour être remplacée,
à concurrence de la fraction, par un régime de communauté90. On peut se demander si
des modalités de ce type sont compatibles avec les principes qui régissent l’autonomie
des époux en droit belge.

Au-delà du principe même de l’autonomie des époux, la loi applicable à leurs relations
patrimoniales détermine également les limites au sein desquelles la volonté des époux
peut s'exprimer91. Pour mieux apercevoir l'importance de cet élément il faut se souvenir
que de nombreux systèmes juridiques de tradition européenne limitent la possibilité
pour les époux d’aménager conventionnellement le régime auquel ils choisissent de se
soumettre. Ainsi, si la loi d’un État permet aux époux de se placer sous l’empire d’un
régime conventionnel de communauté d’acquêts, elle peut interdire la modification de la
communauté qui aurait pour effet d’exclure certains acquêts de la communauté. Il
appartient à la loi du régime de le préciser. L’obligation de s’en tenir aux caractéristiques
essentielles du régime choisi telles que déterminées dans la loi, sans pouvoir modifier
autre chose que des éléments accessoires est une donnée qui dépasse d’évidence la
liberté des parties. Il est dès lors nécessaire de pouvoir s’en référer à la loi applicable aux
relations entre parties.

Exemple : Soit deux époux anglais qui résident en Belgique et qui souhaitent conclure un
contrat de mariage. Ils optent pour un régime de communauté, qu'ils souhaitent
toutefois modifier en précisant que les revenus professionnels des époux ne seront pas
communautaires, mais bien propres au-delà de 200.000 EUR de revenus professionnels
par an. Cet aménagement de la communauté doit être apprécié à la lumière du droit
applicable aux relations entre époux. Si ce droit imposer de respecter les caractéristiques
essentielles d’une communauté de biens, et que l’une de ces caractéristiques soit
précisément que l'ensemble des revenus professionnels des époux fassent partie du
patrimoine commun, le contrat pourra être invalidé. Le droit applicable intervient dès

90
Cf. K. BOELE-WOELKI, B. BRAAT et I. CURRY-SUMNER (éds.), European Family Law in Action : vol. IV : Property
Relations Between Spouses, Intersentia, 2009, p. 1190.
91
Selon l'Exposé des motifs, « le choix du droit applicable au régime matrimonial oblige les époux à
n’établir entre eux d’autre régime que l’un de ceux que permet le droit désigné » (Doc. Parl., Sénat, 3-
27/1, p. 83).
lors pour limiter le choix matériel des parties et déterminer les conséquences d'un choix
matériel invalide.

Le droit applicable aux relations entre époux permet non seulement de valider le choix
qu’ils effectuent pour tel ou tel système et de déterminer les limites de leur autonomie. Il
permet également de compléter, le cas échéant, la volonté des parties si celle-ci s'avérait
lacunaire sur l'un ou l'autre point. L'interprétation des dispositions du contrat se fera en
effet sur base de la loi applicable aux relations entre époux.

Exemple : Soit deux époux qui concluent un contrat de mariage fondé sur un régime de
séparation de biens. Si le contrat ne prévoit aucune disposition particulière à propos de
la preuve par les époux de la composition de l’actif initial, il faudra consulter le droit
applicable aux relations entre époux pour déterminer quelles règles de preuve
s’appliquent.

L’existence d’un contrat de mariage ne prive dès lors pas de sa pertinence la question du
droit applicable aux relations entre époux. Il demeure important de déterminer quel
droit régit ces relations.

§ 2. Intérêt et portée du choix de loi dans un contrat de mariage

Sans loi applicable, un accord entre époux, aussi détaillé soit-il, demeure fragile. Certes,
dans la pratique notariale belge, l'impact de la loi applicable aux relations entre époux ne
sera que peu visible. Si l’on raisonne sur base d’un couple installé en Belgique et qui
possède des liens avec deux ou trois autres pays européens, par exemple parce que l’un
des époux est un ressortissant italien ou que l’autre époux a reçu par voie successorale
un bien immobilier situé en France, les différentes lois potentiellement applicables aux
relations patrimoniales entre époux pourront facilement être identifiées. Il sera alors
possible de valider l’accord conclu entre époux. Un contrat fort détaillé assure déjà une
protection importante des époux.

La détermination du droit applicable n’échappe néanmoins pas à l’incertitude qui peut


peser sur les relations internationales. Ceci tient tout d’abord au constat que la mise en
œuvre des règles de conflit de lois n’est pas toujours une opération linéaire. Le
panorama général dressé dans la section 2 a montré que la détermination du droit
applicable peut être une opération délicate. Certes, dans de très nombreuses situations,
il suffira de se reporter aux circonstances de fait existant au moment de la célébration du
mariage pour déterminer, par une application quasi-mécanique de la règle de conflit, le
droit pertinent. D’importants facteurs de complication existent néanmoins : l’on pense
aux différents mécanismes susceptibles de corriger la mise en œuvre de la règle de
conflit de lois ou encore au flou qui peut entourer, dans certains cas, la ligne de
démarcation entre règle principale et règle subsidiaire. Tous ces éléments font que le
processus de détermination de la loi applicable aux relations patrimoniales entre époux
peut s’avérer délicat.

Cette incertitude peut être amplifiée par un autre constat, tout aussi banal. Il tient au fait
que les réponses de droit international privé peuvent varier selon l’Etat dans lequel la
question est posée. Un notaire belge suivra les règles de droit international privé en
vigueur en Belgique. Un notaire bulgare est par contre tenu par le droit international
privé suisse. Or des différences importantes peuvent séparer l’encadrement international
des relations patrimoniales de couple.

Exemple : Soit deux ressortissants grecs qui vivent en Belgique et s’y marient. Le contrat
de mariage portant choix de la communauté de biens qui leur est proposé par un notaire
belge constituera la loi des parties en cas de liquidation. Conçu et rédigé à l’aune du droit
belge, ce contrat sera parfaitement efficace si la liquidation a lieu à l’aune du droit belge.
Dès lors que l’un des époux s’installe en Suisse, il n’est pas exclu qu’une éventuelle
liquidation ait lieu en Suisse. Or le droit international privé suisse diffère sensiblement de
son cousin belge, puisque la règle par défaut en vigueur en Suisse soumet les époux à la
loi de leur résidence habituelle au moment de la séparation92.

La double incertitude qui caractérise le processus de détermination du droit applicable


fragilise quelque peu les conventions matrimoniales entre époux. L’incertitude ainsi
générée n’est guère propice au développement de conventions matrimoniales dans des
situations internationales. Certes, des époux peuvent se satisfaire d’un contrat en bonne
et due forme, en se reposant sur le fait que leurs relations n’intéresseront que quelques
Etats dont il est à espérer que le droit validera leur convention. Il y a néanmoins là un
risque dont il faut bien mesurer la portée.

Cette incertitude peut facilement être évitée. Le droit international privé contemporain
permet en effet aux époux de choisir la loi applicable à leurs relations patrimoniales,
dans certaines limites qui seront exposées ci-après. Une clause de choix de loi peut dès
lors figurer utilement dans une convention matrimoniale. Une telle clause permet de
vider à moindre frais la question du droit applicable, qui ne constituera plus une épée de
Damoclès susceptible de nuire aux attentes des parties. Lorsque des époux choisissent
expressément une loi donnée pour régir leurs relations, ils écartent le jeu des règles de
rattachement objectives. Il ne sera plus besoin en effet de consulter cette loi pour valider
et le cas échéant compléter la volonté des époux. C'est la loi sélectionnée par les époux
eux-mêmes qui jouera ce rôle.

Ces quelques éléments montrent à suffisance l'intérêt d'un choix de loi dans un contrat
de mariage, même en présence d'un contrat détaillé et bien réfléchi. Comme le note M.
van Boxstael, l’intérêt est tel que le choix de loi « devrait […] figurer dans tout contrat de
mariage, dont il devrait former la première clause, même si, conclu entre des Belges
résidant habituellement en Belgique, qui ne possèdent (ou ne possèdent encore) que des

92
Art. 54, par. 1, point a de la loi suisse de droit international privé du 18 décembre 1987.
biens en Belgique, le contrat intéresse a priori des relations purement internes »93.

§ 3. Le choix de la loi dans le contrat de mariage : principe et limitation

A l’égard des époux mariés sans contrat de mariage, on pourrait en théorie distinguer
selon que les époux sont mariés avant ou après le 1er octobre 2004. Le statut de
l’autonomie de la volonté diffère en effet sensiblement selon les périodes. Avant la
codification du droit international privé en 2004, le régime matrimonial était tout entier
construit sur des acquis jurisprudentiels, fondés sur l’article 3 du Code civil. Si les cours et
tribunaux avaient pu dégager un ensemble de principes achevés visant les époux mariés
sans contrat (supra), le régime des époux liés par un contrat de mariage faisait l'objet
d'une certaine hésitation. Il n'était pas douteux que les (futurs) époux pouvaient par
contrat choisir le régime qui leur serait applicable – en se laissant le plus souvent inspirer
par les modèles proposés par les droits nationaux potentiellement applicables. Il était
cependant plus difficile de garantir que les époux pouvaient assortir ce contrat d'une
clause de choix de loi ou plus précisément, que la loi choisie par les époux serait l'unique
guide pour apprécier la validité du contrat. L'hésitation était justifiée dans la mesure où
la Cour de cassation ne s'était jamais directement prononcée sur la question de la portée
de l’autonomie de la volonté des époux94. Par ailleurs, comme déjà indiqué, la Cour avait,
dans une série d'arrêts, insisté sur le lien existant entre le régime matrimonial des époux
et l’institution du mariage, lien dont elle déduisait l’appartenance du régime au statut
personnel, ce qui ne laissait pas présager une marge de manœuvre importante pour les
époux95.

L'incertitude laissait subsister deux tendances en doctrine, qui accordaient une portée
différente à la clause de choix de loi figurant dans un contrat de mariage. Se fondant sur
le rattachement entre le régime matrimonial et le mariage, une doctrine importante
concluait à l’unité de la règle de rattachement, applicable aussi bien au régime légal
qu’au régime conventionnel. Selon ces commentateurs, il fallait en déduire que le régime
matrimonial conventionnel demeurait soumis au même rattachement que le régime légal
applicable à défaut de convention96.

93
J.-L VAN BOXSTAEL, op. cit., in Tapas de droit notarial 2018, J. –L.VAN BOXSTAEL et F. TAIMONT (éds.), Bruxelles,
Larcier, 2019, p. 204, n° 17.
94
M. LIENARD-LIGNY, note sous Bruxelles, 29 octobre 1996, Divorce, 1998, 86, notait à ce propos que « la
seule certitude est la Cour n’a expressément ni condamné ni admis une réglementation différente du
régime légal et du régime conventionnel et que c’est sur sa prise de position implicite éventuelle que
porte le débat ».
95
Cf. supra les arrêts Eicker (Cass., 10 avril 1980) et Ministre des Finances c. W. (Cass., 9 sept. 1993).
96
N. WATTÉ, avec la collaboration de L. BARNICH, o.c., in Rép. n., T. XV/XIV, 65, n° 40; K. LENAERTS, “De
vereffening-verdeling van de huwelijksgemeenschap in het internationaal privaatrecht”, in Vereffening-
verdeling van de huwelijksgemeenschap, W. PINTENS (éd.), Maklu, (140), pp. 148-149 ; L. BARNICH,
« Belgique », in M. VERWILGHEN (réd.), Régimes matrimoniaux, successions et libéralités dans les
relations internationales et internes, Bruylant, 2003, p. 774, n° 47.
D'autres auteurs, et non des moindres, adoptaient une approche plus favorable à
l'autonomie de la volonté, en considérant que le contrat de mariage méritait d'être
respecté97. Ainsi M. Verwilghen enseignait-il que les époux bénéficiaient « de la liberté la
plus large dans le choix de leur régime matrimonial », laissant entendre que le contrat de
mariage, à l’instar des autres contrats, était soumis à l’autonomie de la volonté98. MM.
Rigaux et Fallon expliquaient pour leur part que les futurs conjoints dont la situation
présente quelque élément étranger « peuvent non seulement faire des conventions
matrimoniales, mais aussi choisir l’ordre juridique qui déterminera la validité et la portée
de leur contrat »99.

La jurisprudence ne permettait pas de trancher cette difficulté de façon nette. Seules


quelques décisions s'étaient en effet prononcées sur la question100.

Cette controverse a perdu son importance avec l’adoption du Code de droit international
privé. Comme déjà indiqué, le Code de droit international privé donne en effet une

97
F. RIGAUX et M. FALLON, Droit international privé – droit positif belge, Larcier, 1993 n° 1443 ; S. SAROLEA,
« Chronique de jurisprudence. Les conflits de lois relatifs à la personne et aux relations familiales (1986-
1996) », R.ev. trim. dr. fam., 1997, (7), 53-54, n° 35. V. déjà M. VERWILGHEN et P. VAN DEN EYNDE, v°
Régimes matrimoniaux (droit international), R.P.D.B., compl. T. VI, n°s 66-67, qui évoquent, à propos de
l’opinion contraire, une « erreur de perspective ». Comp. M. LIENARD-LIGNY, « Le principe d’autonomie et
le régime matrimonial en droit international privé », note sous Bruxelles, 29 octobre 1996, Divorce,
1998, 83-87 : au terme d’une réflexion fort nuancée, Mme Liénard-Ligny aboutissait à la conclusion que
la cohérence du système juridique belge imposait de considérer que le régime conventionnel relève du
statut contractuel.
98
M. VERWILGHEN, art. cit., in Le service notarial. Réflexions critiques et prospectives, J. TAYMANS et J.-L.
RENCHON (éds.), Bruylant, 2000, (277), 280, n° 5.
99
Droit international privé, T. II, 1993, Larcier, 636-637, n° 1433. Comp. toutefois la note de M. FALLON, sous
Bruxelles, 29 octobre 1996, Rev. trim. dr. fam., 1996, (566), 570 : l’auteur s’interrogeait sur le
« fondement théorique » du principe de l’autonomie de la volonté. Le seul véritable fondement avancé
par M. Fallon est, outre une certaine tendance en droit comparé, un argument de texte déduit de
l’article 1389 C. civ.
100
P. ex. Bruxelles, 29 octobre 1996, Pas., 1995, II, 108 ; Rev. trim. dr. fam., 1996, 566, note M. FALLON ; Rev.
not. b., 1997, 278, note L. BARNICH ; Divorce, 1998, 82, note M. LIENARD-LIGNY (en l’espèce, le contrat de
mariage conclu par les époux devant un notaire suisse faisait référence au régime de la séparation
prévu par le Code civil suisse. La Cour n’eut aucune difficulté à déduire du contrat un choix implicite des
époux pour le droit suisse, le contrat faisant en effet référence de façon expresse au régime de
séparation de biens organisé par le Code civil suisse. Ceci permit de valider le contrat. Celui-ci avait en
effet été conclu peu après le mariage, ce qui n’était pas possible à l’époque selon le droit belge,
applicable objectivement en raison de la nationalité des époux, l’homme étant belge et son épouse
suisse ayant acquis cette nationalité par le mariage. On a pu voir dans cette décision une consécration
« sans équivoque » du principe de l’autonomie de la volonté en matière de régimes matrimoniaux : M.
LIENARD-LIGNY, note sous l’arrêt, Divorce, 1998, 84. M. Barnich propose une autre approche : il justifie la
solution par la théorie de l’efficacité des actes juridiques, conclus valablement au regard des règles
étrangères Les actes juridiques en droit international privé. Essai de méthode, Bruylant, 2001, 335-336.
Voy. aussi Civ. Liège, 10 janvier 1994, J.L.M.B., 1994, 1191, note S. NUDELHOLE ; Rev. trim. dr. fam., 1995,
566 dans lequel le tribunal décide que le contrat de mariage d’époux italiens était valablement soumis
au droit belge. Voy. aussi Civ. Liège, 7 mars 1994, Rev. trim. dr. fam., 1996, 90, note M. FALLON et Civ.
Liège, 10 janvier 1994, J.L.M.B., 1994, 1191, note S. NUDELHOLE ; Civ. Bruxelles, 23 mai 1989, Rev. dr. étr.,
1990, 346.
portée large aux dispositions qu’il consacre au choix de loi par les époux. Ces dispositions
sont directement applicables non seulement aux époux qui effectuent un choix de loi à
compter du 1er octobre 2004. Elles s’appliquent également aux époux mariés avant la
date charnière du 1er octobre 2004, lorsqu’ils ont choisi la loi applicable à leurs relations
patrimoniales. Selon l'article 127 § 2 du Code, le choix de loi exprimé avant l'entrée en
vigueur du Code est en effet valable s'il répond aux conditions posées par le Code. Cette
règle profite au choix de loi effectué en Belgique ou à l'étranger, qu’il porte sur le droit
belge ou un droit étranger. Ce faisant, le Code permet de valider un choix effectué avant
son entrée en vigueur. Il faudra toutefois que les époux aient respecté les limitations que
le Code impose (infra).

Partant dès lors que des (futurs) époux ont choisi de se soumettre à une loi donnée, la
date de leur mariage ou du choix de loi n’est pas nécessairement pertinente. Qu’ils se
soient mariés avant ou après le 1er octobre 2004, leur choix de loi bénéficie des
dispositions du Code de droit international privé.

L’adoption du Règlement européen ne vient pas perturber le cadre d’analyse. Comme


déjà indiqué (supra), le règlement réserve l’application de ses règles aux seuls époux
mariés à compter du 29 janvier 2019 ou qui ont, à compter de cette date, effectué un
choix de loi. Il n’est dès lors pas envisageable de faire application des règles européennes
à l’égard d’un choix de loi arrêté par des époux avant la date fatidique du 29 janvier
2019.

L’application dans le temps des règles pertinentes clarifiée, on peut s’intéresser à la


portée de l’autonomie de la volonté ainsi qu’aux limites que les (futurs) époux doivent
respecter dans l’exercice de leur autonomie. On examinera ensuite comment la pratique
notariale peut appréhender le choix de loi. Le Code de droit international privé et le
règlement 2016/1103 convergent largement lorsque l’on examine les règles mises en
place pour encadrer le choix de loi. Ces règles seront donc examinées parallèlement.

A. Le principe : une large autonomie reconnue aux époux

Tant le Code que le règlement consacrent pleinement l’autonomie de la volonté : l’article


49 du Code et l’article 22 du Règlement posent le principe que les relations patrimoniales
au sein d’un couple sont soumises à la loi choisie par les époux.

Le choix de loi effectué par les époux possède une portée conflictuelle et non seulement
matérielle. Ceci signifie qu’il faut se reporter à la loi choisie par les époux pour
déterminer quelle est l’ampleur de la liberté dont ils disposent pour façonner leurs
conventions de mariage. La loi qui aurait été applicable à défaut de choix par les époux
ne possède plus de titre pour se prononcer sur la convention arrêtée par les époux.
B. Les limites à l’autonomie de volonté des époux

Tel qu’il est reconnu par le Code de droit international privé et par le règlement, le choix
de loi par les époux est encadré – ce qui invite à parler non pas de choix de loi, mais
d'option de droit. Les époux doivent tenir compte d'importantes limitations. La première
tient aux lois qu'il est permis aux époux de choisir. Tant le législateur belge que le
législateur européen ont imposé aux futurs époux de sélectionner une loi avec laquelle ils
sont présumés présenter un lien significatif. La liste des options ouvertes aux (futurs)
époux est dans les grandes lignes similaire, comme on peut le constater à la lecture du
tableau suivant :

CODIP (art. 49) Règlement 2016/11103 (art. 22)


Le droit de l’Etat de la résidence habituelle La loi de la résidence habituelle de l’un des
de l’un des époux 101 (futurs) époux
Le droit de l’Etat dont l’un des époux La loi de la nationalité de l’un des (futurs)
possède la nationalité époux
Le droit de l’Etat sur le territoire duquel les _
époux fixeront leur résidence habituelle
après la célébration du mariage

Ces listes sont limitatives. Elles coïncident pour une large partie, seule une des
possibilités de choix étant absente d’un des deux textes. Le Code de droit international
privé permet en effet aux (futurs) époux de choisir de se soumettre au droit de la
résidence qu’ils établiront après le mariage. Si cette option n’a pas été retenue par le
législateur européen, c’est qu’elle est porteuse d’un certain risque. Le choix de loi des
époux ne sera en effet valable que s’ils s’établissent effectivement après le mariage dans
l’Etat dont ils ont choisi la loi applicable102.

101
Il n'y a aucune raison de considérer que des diplomates ou autres fonctionnaires internationaux en
poste en Belgique ne pourraient soumettre leur contrat au droit belge au motif qu'ils ne posséderaient
pas de résidence habituelle en Belgique. L'on sait que les diplomates et les fonctionnaires
internationaux jouissent d'un statut particulier, qui se traduit principalement par une immunité fiscale.
Pour les diplomates, ce statut trouve son fondement dans les dispositions de la Convention de Vienne
du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques. Pour les fonctionnaires de l'Union européenne, il faut
se reporter aux articles 12 e.s. du Protocole sur les privilèges et immunités des communautés
européennes. Aucune disposition de ces deux textes ne permet de penser que la Belgique ne pourrait
considérer qu'un diplomate ou un fonctionnaire international en poste en Belgique, ne peut pas y avoir
de résidence habituelle au sens de l'article 4 du Code. L'on aura en particulier soin de distinguer la
résidence habituelle telle que définie à l'article 4 du Code de celle du domicile qui figure au Code civil.
L'article 106 du Code civil, dont on déduisait que les diplomates belges en poste à l'étranger
demeuraient domiciliés en Belgique pendant la durée de leurs fonctions, ne peut être utilisé pour
dénier à un diplomate une résidence habituelle en Belgique.
102
Des différences séparent aussi les possibilités de choix de loi offertes par le Code de droit international
privé de celles retenues par la Convention de La Haye du 14 mars 1978. L'article 3 de cette dernière
permet en effet aux époux de sélectionner la loi du « premier Etat sur le territoire duquel l'un des
époux établira une nouvelle résidence habituelle après le mariage », un choix qui n’est pas permis par
Parmi les options offertes aux époux, l’une soulève une question classique : puisque les
(futurs) époux peuvent exprimer un choix en faveur de la loi de la nationalité de l’un
d’entre eux, comment cette option doit-elle être comprise lorsque l’un des époux
possède plusieurs nationalités ? Soit deux futurs époux dont l’un est un ressortissant
français, alors que l’autre possède les nationalité américaine et japonaise. Les futurs
époux peuvent-ils opter librement pour l’une des lois de leur nationalité, sachant que
l’épouse qui possède la nationalité américaine n’a vécu aux Etats-Unis que quelques mois
après sa naissance, sans y retourner depuis lors ?

Le Code de droit international privé ne répond pas clairement à cette question. Certes,
l’article 3, par. 2 fournit des règles permettant de départager deux nationalités que
possède une personne. On peut néanmoins se demander si ces règles sont adéquates et
peuvent être mises en œuvre lorsque la règle de conflit de lois est fondée non sur un
rattachement à la nationalité proprement dite, mais bien sur le choix exprimé par les
parties103. L’incertitude qui règne sur cette question est néfaste au développement de
l’autonomie de la volonté.

Le règlement européen offre une solution plus sécurisante : selon son considérant 50, la
question des conflits de nationalités « ne devrait pas influencer la validité du choix de la
loi applicable » lorsque celui-ci est effectué conformément au règlement. Cette
observation permet de neutraliser le conflit de nationalités lorsque les (futurs) époux ont
effectué un choix de loi. Celui-ci ne peut pas être mis à l’épreuve en recherchant la
nationalité la plus effective ou celle qui correspond le mieux aux intérêts de l’Etat.

Une autre limite importante concerne l'ampleur du choix effectué par les époux. L'article
50, § 2, al. 2 du Code précise en effet que le choix doit « porter sur l'ensemble des biens
des époux ». Une formule identique figure à l’article 21 du règlement européen, qui
précise que la loi applicable s’applique « à l’ensemble des biens relevant de ce régime,
quel que soit le lieu où les biens se trouvent ».

Le choix d'une loi nationale doit dès lors impérativement porter sur l'ensemble des
relations entre époux. Il n'est donc pas possible de prévoir un régime distinct pour un
bien particulier – par exemple un immeuble que possède en propre un des époux104.

le Code, ni par le règlement européen. L'on reconnaîtra que la différence avec le choix offert aux époux
par le Code de droit international privé ou le règlement ne prête qu'à peu de conséquences puisqu'elle
porte sur une hypothèse sans doute peu fréquente où les époux ne cohabitent pas ensemble après leur
mariage.
103
Voy. nos doutes in « L'option de loi et les binationaux : peut-on dépasser le conflit de nationalités? »,
Rev. gén. dr. civ., 2012, pp. 466-482.
104
Sur cette question, le Code belge et le règlement s'éloignent de la solution retenue par la Convention
de La Haye de 1978. Celle-ci permet en effet aux époux de s'écarter du principe de l'unité du régime
matrimonial pour soumettre les immeubles ou certains d'entre eux à la loi du lieu où ils sont situés. Cf.
art. 3 in fine et art. 6 in fine de la Convention de La Haye – la première disposition vise l'hypothèse d'un
choix avant le mariage, la seconde le choix postérieur au mariage.
Cette limite est importante et fait peser un risque sur l’importation en Belgique d’un
contrat comportant un choix limité à un seul bien, une hypothèse qui n’était pas
exceptionnelle jusqu’à une époque récente lorsqu’un couple belge faisait l’acquisition
d’un bien immobilier en France.

C. Le choix de loi dans la pratique notariale

Le Code de droit international privé et le règlement européen permettent aux (futurs)


époux de choisir la loi applicable à leur contrat. L’on préférera les dispositions les plus
simples possibles pour exprimer le choix des parties105. La clause proposée par M. van
Boxstael répond parfaitement à cet impératif. Elle se lit de la façon suivante :

« Les futurs époux font choix de la loi belge pour régir leur régime matrimonial »106

Dans la plupart des cas, un notaire belge recevra une convention comportant un choix en
faveur de la loi belge. Ceci tient à la manière dont la grande majorité des contrats de
mariage sont rédigés. Par souci d’économie et d’efficacité, ces contrats sont en effet très
largement inspirés de modèles et autres précédents. Les modèles peuvent provenir
d’une association professionnelle, d’une publication scientifique ou être le fruit de
l’expérience d’une étude notariale. En tout état de cause, une étude notariale sise en
Belgique travaillera avec des modèles qui ont été conçus à partir du cadre juridique
belge. Logiquement, si un choix de loi est inclus dans un tel modèle, il sera effectué en
faveur du droit belge.

Des époux pourraient néanmoins souhaiter conclure un contrat et le soumettre à une loi
étrangère. De manière plus exceptionnelle, il se pourrait que des (futurs) époux ne
puissent effectuer un choix en faveur de la loi belge, faute de posséder des liens
suffisants avec ce pays. Dans ce cas, il est bien entendu permis à un notaire belge de
recevoir un contrat soumis à une loi étrangère.

105
L'on trouvera de nombreux exemples de formules dans l'ouvrage de Mme M. Revillard, Pratique de la
Convention de La Haye sur la loi applicable aux régimes matrimonaux, Defrénois, 2002, spéc. pp. 73-92.
Adde les exemples donnés par F. BOUCKAERT, « Rechtskeuze in het Wetboek van internationaal
privaatrecht met betrekking tot persoonsgebonden materies, familiaal vermogensrecht en erfrecht », in
Notariële clausules : Liber amicorum Johan Verstraete, C. CASTELEIN, A. VERBEKE et L. WEYTS (éds.),
Intersentia, 2007, (535), 548 e.s.
106
J.-L. VAN BOXSTAEL, op. cit., in Tapas de droit notarial 2018, J.-L. VAN BOXSTAEL et F. TAIMONT (éds.),
Bruxelles, Larcier, 2019, p. 205, n° 17. La clause proposée par M. van Boxstael inclut un autre élément :
les époux « confirment, pour autant que de besoin, être tous deux de nationalité belge et résider
habituellement en Belgique ».Bien qu’il ne soit à strictement parler pas nécessaire, cet ajout permet de
manifester ce qui justifie la possibilité pour les parties de choisir le droit belge. On préférera la
rédaction proposée par M. van Boxstael, à celle retenue par Mme Casman : dans un contrat de
séparation de biens rédigé par cette dernière (et mis à disposition du notariat sur l’e-notariat), Mme
Casma propose la rédaction suivante : « Seul le droit belge s’applique au présent contrat de mariage ».
Cette rédaction nous semble trop limitative, puisqu’elle réduit la portée de la loi choisie aux seules
dispositions arrêtées par contrat.
Exemple : Soit deux futur époux de nationalité turque qui résident en Belgique et
souhaitent conclure une convention portant régime de communauté universelle des
biens (art. 242-243 C. civ. Turc). Ces futurs époux pourraient, s’ils le souhaitent,
soumettre par contrat leurs relations patrimoniales à leur loi nationale commune, la loi
turque. Un tel choix pourrait se recommander lorsqu’il apparaît que les époux
nourrissent un projet concret de s’installer en Turquie.

Le choix de la loi turque donne un visage particulier à la mission de conseil du notaire


belge. Le choix d’une loi étrangère n’est en effet pas sans conséquence. Il suppose que le
notaire conseille les époux à la lumière du droit turc, ce qui nécessitera sans doute un
recours aux services d'un confrère turc107. Seul celui-ci est en effet capable de vérifier la
validité et la solidité des dispositions contractuelles que les époux s’apprêtent à convenir.
En outre, on ajoutera que puisque les époux n’excluent pas de s’installer en Turquie, il
est impératif de se demander si le contrat reçu par le notaire belge pourra être suivi
d'effet en Turquie. Ceci suppose d’interroger le droit international privé turc. L’assistance
d’un juriste formé au droit turc paraît dès lors indispensable.

Il est une autre hypothèse dans laquelle le notaire belge devra collaborer avec un
confrère ou un autre praticien étranger : elle concerne la situation dans laquelle il
apparaît d’emblée que les époux s’installeront, dans un avenir plus ou moins proche, à
l’étranger. Dans ce cas, il est impératif de vérifier avec un professionnel local quel accueil
sera réservé au contrat. Le cas échéant, s’il apparaît qu’un risque existe que le contrat ne
soit pas reconnu, un avertissement en bonne et due forme doit être communiqué aux
époux. La reconnaissance de l'autonomie de la volonté des époux constitue certes une
avancée importante. Il ne faut cependant pas se cacher que l'exercice de cette
autonomie n'est pas sans risque. L’un des risques est celui de la non-reconnaissance dans
un Etat étranger du choix opéré valablement selon la règle de rattachement en vigueur
en Belgique.

Il est un autre écueil auquel il faut être attentif. De très nombreux contrats de mariage
ne prévoient pas de clause de choix de loi. Contrairement aux Pays-Bas, où cette clause
fait figure de clause de style et est intégrée dans la très grande majorité des conventions
matrimoniales, la pratique belge n’a pas encore acquis ce réflexe. Un notaire belge peut
en outre être confronté à une convention matrimoniale rédigée à l’étranger, qui ne
comporte pas de choix de loi. La difficulté que soulèvent ces conventions tient au fait
qu’un choix de loi par les époux peut non seulement être exprimés par une disposition
particulière visant spécialement cette question, mais aussi par une lecture d’ensemble
des dispositions d’une convention matrimoniale d’où il apparaît que les époux ont
entendu soumettre leurs relations à une loi donnée sans pour autant l’exprimer au
travers d’une clause de choix de loi.

107
La Turquie connaît un notariat d’inspiration latine, même si le notaire est un fonctionnaire public
nommé par le Ministre de la justice.
Le choix de loi tacite fait en effet partie de l’arsenal classique du droit international privé
des régimes matrimoniaux. On ne trouve aucune disposition consacrée expressément à
un tel choix dans le Code de droit international privé, ni dans le règlement européen. Les
commentateurs acceptent néanmoins dans une large mesure qu’un tel choix doit être
reconnu108. La difficulté est dans cette situation d’identifier les éléments qui permettent
de conclure que les époux ont effectivement entendu se soumettre à une loi donnée,
sans pour autant exprimer ce choix clairement. L’on sait que l’analyse de ces éléments
emprunte pour partie à une opération de divination, puisque l’interprète doit se fier à
des éléments qui pourraient montrer l’existence d’un choix de loi sans pour autant
pouvoir disposer d’une clause expressément consacrée à cette question. Il est certain
qu’une volonté tacite ne peut reposer sur un élément isolé, mais doit au contraire être
déduite d’un faisceau d’éléments concordants. Ainsi, le simple fait d’avoir fait appel au
service d’un notaire belge ne permet pas de déduire que les (futurs) époux ont entendu
se soumettre à la loi belge. Ce serait faire peu de cas de la circonstance que le notariat
belge peut recevoir un contrat de mariage soumis à un droit étranger.

La piste la plus solide pour déduire l’existence d’un choix de loi tacite a trait aux
emprunts que les époux ont fait à un système juridique donné. Un contrat de mariage est
rarement rédigé de manière abstraite, en fixant l’horizon éthéré d’une règlementation
idéale des relations patrimoniales entre époux. Au contraire, l’exercice de rédaction
d’une telle convention s’inscrit dans une tradition juridique précise. Le rédacteur se
laissera guider par les balises propres à un système juridique, celui qu’il connaît le mieux.
C’est ainsi qu’un notaire français rédigera un contrat de séparation de biens en tenant
compte des orientations données par le législateur français à ce régime. Il prévoira dans
le contrat qu’il rédige des dispositions qui précisent certains points qui peuvent être
imprécis dans la réglementation française. Il ajoutera au contrat des dispositions qui
complètent le cadre fourni par cette règlementation. Le vocabulaire qu’il emploiera sera
sans doute en grande partie emprunté aux dispositions du Code civil français. L’esprit
même du contrat sera fortement inspiré par l’économie et la logique du régime de
séparation de biens tel qu’organisé en droit français.

Aussi retrouvera-t-on très souvent dans un contrat des dispositions empruntant


directement à un ordre juridique donné. Tantôt on trouvera dans le contrat des
références expresses à l’une ou l’autre disposition légale – un contrat portant choix de

108
Pour le Code de droit international privé, cf. par exemple N. WATTE, Le droit patrimonial des familles en
droit international privé : perspectives récentes du Code belge, Conférences Roger-Comtois n° 6,
Université de Montréal, 2007, pp. 32, n° 17). Mme Watté estime qu'il est possible de retenir l'existence
d'un choix tacite de loi. Selon Mme Watté, « La pratique révèle, en effet, que dans de nombreuses
hypothèses, les époux ne font que se référer dans leur contrat de mariage qu'à des dispositions d'une
certaine législation, dont on peut déduire leur volonté implicite de se soumettre à telle loi ». Mme
Watté ajoute toutefois que « la recherche de ce choix tacite de loi ne pourrait résulter que de manière
certaine des dispositions du contrat de mariage. . . Il ne faudrait pas qu'une telle recherche de volonté
entraine des incertitudes, préjudiciables aux époux eux-mêmes mais également aux tiers » (id.). Pour le
règlement européen, cf. J.-L. VAN BOXSTAEL, op. cit., in Tapas de droit notarial 2018, J.-L. VAN BOXSTAEL et F.
TAIMONT (éds.), Bruxelles, Larcier, 2019, p. 204, n° 17.
séparation de biens reçu par un notaire français comportera souvent une clause relative
aux diverses présomptions de propriété sur lesquelles les époux se sont accordés. Cette
clause fera souvent référence à l’article 1538, al. 2 du Code civil qui permet aux époux de
convenir de telles présomptions. On trouvera aussi souvent des dispositions qui ne se
comprennent qu’en référence à un ordre juridique donné. Ainsi un contrat de mariage
portant choix d‘un régime de communauté rédigé par un notaire français pourra
comprendre certaines dispositions relatives au compte de récompenses qui doit être
dressé entre époux à la liquidation du régime. Une telle disposition ne se comprend pas
dans les ordres juridiques qui ignorent le mécanisme des récompenses. De manière plus
précise, un contrat de mariage rédigé par un notaire français pourrait contenir une
disposition excluant tout compte de récompenses entre époux, malgré le choix pour un
régime fondé sur la communauté de biens. Une telle clause ne se comprend que dans le
système français, où elle est parfaitement licite109. Elle constitue une indication forte que
les époux ont entendu se placer sous l’empire de la loi française.

Un autre exemple permet de concrétiser ce qui est attendu pour justifier le constat de
l’existence d’un choix de loi tacite. Soit deux époux qui vivent en Belgique. L’un d’eux
possède une nationalité étrangère. Les époux sont durablement installés en Belgique,
mais n’excluent pas de s’installer ailleurs à terme. Si le contrat sur lequel se porte leur
choix, après avoir entendu les conseils avisés d’un notaire belge, est un contrat de
séparation de biens, la circonstance que le contrat soit précédé d’une déclaration
d’intention dans laquelle il est fait état du choix des époux de ne pas inclure de clause de
correction dans leur contrat indique qu’ils ont raisonné à l’intérieur du cadre fixé par la
loi belge. C’est en effet par rapport au prescrit de l’article 1474/1 du Code civil que les
époux auront, avec l’aide du notaire, réfléchi à leurs relations pour arriver à la conclusion
qu’ils ne souhaitent pas se prévaloir du mécanisme de correction en équité. Cet élément
constitue un puissant indicateur que les époux ont entendu se placer sous l’empire de la
loi belge. Conjugué à l’une ou l’autre référence à une disposition du Code civil belge, il
permettra de conclure à l’existence d’un choix de loi tacite.

109
Cf. I. DAURIAC, Droit des régimes matrimoniaux et du Pacs, 4ème éd., LGDJ/Lextenso, 2015, p. 291, n° 536.
Section 4 – Questions de pratique notariale

Dans cette dernière section, nous aborderons certaines questions directement liées à la
pratique notariale. De très nombreuses questions auraient pu être abordées sous l’angle
de la pratique notariale. La sélection des questions étudiées a été faite en tenant compte
de l’actualité ainsi que de la fréquence avec laquelle une question est susceptible de se
poser.

§ 1. Le contrat de mariage : quelles exigences formelles ?

Quelles exigences formelles doivent être prises en compte lors de l’élaboration d’une
convention matrimoniale ? La question peut paraître saugrenue, tant le recours à l’acte
authentique imposé en droit belge paraît évident. Dans les relations internationales,
cette évidence s’efface néanmoins devant le constat qu’une grande diversité règne à
propos du formalisme auquel une convention matrimoniale peut être soumise110.

Une distinction importante doit être faite dès lors que l’on s’intéresse aux exigences
formelles relatives à une convention matrimoniale. Le régime de ces exigences diffère en
effet selon que la convention a été conclue avant le 29 janvier 2019 ou à compter de
cette date. Cette différence tient bien entendu à l’entrée en vigueur du règlement
européen qui apporte des restrictions importantes au formalisme qui pèse sur les
conventions matrimoniales.

La validité formelle d’une convention conclue avant le 29 janvier 2019 doit être
appréciée à la lumière des dispositions du Code de droit international privé. Ceci se
déduit de l’article 69, par. 1 qui réserve l’application du règlement aux actes
authentiques formellement dressés à compter de cette date. Par ailleurs, les époux qui
se sont mariés avant le 29 janvier 2019 ou ont désigné la loi applicable à leurs relations
avant cette date, ne peuvent prétendre à l’application des règles de conflit de lois
européennes. Tout converge dès lors pour réserver l’application de ces règles aux
conventions conclues à compter du 29 janvier111.

110
On trouvera sur le site www.coupleseurope.eu des renseignements intéressants sur le droit des 28 Etats
membres. Ces renseignements sommaires permettent de se faire une première idée des exigences
formelles posées dans un de ces Etats.
111
La seule réserve envisageable concerne l’hypothèse d’époux qui se marient après le 28 janvier 2019,
mais qui ont conclu quelques mois avant leur mariage une convention matrimoniale. Le règlement
s’applique de plein droit à ces époux compte tenu de la date du mariage. L’on pourrait avancer que la
convention qu’ils ont conclue ne peut pas bénéficier des règles mises en place par le règlement pour
assurer la libre circulation des actes authentiques puisque l’article 69, par. 1 vise uniquement les actes
authentiques dressés à partir du 29 janvier. C’est sans compter la réserve qui figure dans cette
disposition en faveur des paragraphes 2 et 3. Cette réserve justifie que l’on retienne l’ensemble du
règlement à l’égard des couples mariés à partir du 29 janvier 2019.
Mariage Date de la Instrument pertinent
convention
matrimoniale
< 29.1.2019 < 29.1.2019 CODIP
< 29.1.2019 ≥ 29.1.2019 Règl. régimes matrimoniaux – si la
convention comporte un choix de
loi
≥ 29.1.2019 < 29.1.2019 Règl. régimes matrimoniaux
≥ 29.1.2019 ≥ 29.1.2019 Règl. régimes matrimoniaux

L’approche retenue par le Code de droit international privé était caractérisée par un
libéralisme certain. L’article 52 exigeait avant tout que le choix d’un régime matrimonial
par les époux fasse l’objet d’un écrit daté et signé par leurs soins. Au-delà de cette
exigence élémentaire, la validité formelle était délaissée à un rattachement alternatif :
une convention matrimoniale était valable aux yeux du Code si elle répondait aux
exigences formelles posées par le droit applicable au régime matrimonial ou au droit de
l’Etat sur le territoire duquel les époux ont conclu la convention. De facture très
classique, ce rattachement alternatif avait comme objectif de permettre aux (futurs)
époux de se plier aux prescriptions formelles locales, sans mettre en danger la validité de
leur convention.

L’approche retenue par le Code permettait aux (futurs) époux de s’aligner sur le
formalisme local ou de choisir au contraire de respecter les exigences imposées par la loi
applicable à leurs relations. Ce dernier choix était indiqué lorsque les époux étaient
animés d’un projet d’expatriation ou souhaitaient garantir que leur convention serait
reconnue dans leur Etat d’origine.

Pour le notariat belge, le régime mis en place par l’article 52 pouvait conduire à des
résultats surprenants. Si deux époux qui résidaient en Belgique où ils se marient,
choisissaient de se soumettre à un droit étranger, ils pouvaient emprunter à ce droit les
exigences formelles pertinentes. Dans la mesure où ce droit permettait le recours à un
acte sous seing privé, le notaire devait s’en accommoder. Ainsi deux ressortissants
anglais vivant en Belgique qui souhaitaient y acheter un bien, pouvaient très bien faire
valoir un régime adopté conventionnellement même si la convention qu’ils avaient
conclue n’était pas authentique. Confronté à un tel contrat sous seing privé lors d’une
liquidation de régime ou à l’occasion d’un autre acte, le notaire devait accepter la validité
de la convention112.

Lorsqu’il était sollicité pour recueillir l’accord de époux, le notaire pouvait néanmoins

112
Cf. les explications de J.-L. VAN BOXSTAEL, DIP. Premiers commentaires, Larcier, 2018, p. 337, n° 370
expliquer que même si le formalisme réduit mis en place par le droit étranger choisi par
les époux s’accommode d’un acte sous seing privé, il était préférable que les époux
utilisent un acte authentique pour recueillir leurs volontés. Le respect du formalisme
local faciliterait en effet grandement l’acceptation de l’acte. A défaut pour les époux
d’avoir respecté le formalisme local, un dépôt au rang des minutes d’un notaire belge
pouvait donner au contrat un surcroit de visibilité bien nécessaire, notamment dans les
relations avec les tiers.

L’on retrouve dans le règlement européen l’exigence qu’une convention matrimoniale


fasse l’objet d’un écrit daté et signé des deux parties art. 25, par. 1). Au-delà de cette
exigence, l’article 25 laisse une très large place aux Etats membres, qui peuvent imposer
le formalisme qu’ils jugent opportuns. Le mécanisme retenu par l’article 25 est complexe.
Il impose de distinguer selon la résidence habituelle des époux au moment de la
conclusion du contrat. Trois scénarios sont envisagés par l’article 25, par. 2. Dans un
premier scénario, les deux époux résident habituellement sur le territoire d’un même
Etat membre. Dans ce cas, l’article 25 impose le respect des exigences formelles du droit
de cet Etat. Lorsque les deux époux résident sur le territoire de deux Etats membres
différents, le seuil minimal de validité est atteint lorsque le contrat répond aux exigences
de l’un de ces deux Etats. Enfin, lorsque seul l’un des époux réside sur le territoire d’un
Etat membre, il s’impose de prendre en compte les exigences de cet Etat.

Une dernière règle s’ajoute pour compléter le mécanisme. L’article 25, par. 3 précise que
les (futurs) époux doivent en tout état de cause respecter les exigences formelles
prévues par la loi applicable au régime matrimonial.

Au total, le mécanisme mis en place par l’article 25 se caractérise par une complexité
certaine. Ce qui retient l’attention, c’est surtout le caractère cumulatif, et non alternatif,
de la règle. Pour autant que l’un des époux réside habituellement sur le territoire d’un
Etat membre lors de la conclusion de la convention, mais que les relations patrimoniales
des époux soient régies par le droit d’un autre Etat, par exemple parce que les conjoints
ont choisi de soumettre leurs relations à la loi de l’Etat dont ils sont ressortissants, les
exigences formelles imposées par le droit de ces deux Etats devront être respectées. La
combinaison des exigences formelles posées par deux droits différents est d’ailleurs en
elle-même une source additionnelle de complexité. Elle peut conduire à une impasse
lorsque les exigences pertinentes ne peuvent être coordonnées.

Pour le notariat belge, l’article 25 est à première vue source de simplification. En effet, la
très grande majorité des couples qui sollicitent l’assistance d’un notaire belge en vue de
la rédaction d’un contrat de mariage, sont installés en Belgique. Dès lors, le notaire
pourra avoir égard aux exigences bien connues du droit belge. Il en ira de même si seul
l’un des (futurs) époux est installé en Belgique. Dans ce cas en effet, soit l’autre époux
réside sur le territoire d’un Etat tiers. Dans ce cas, seules les exigences posées par la loi
belge sont pertinentes. L’article 25 n’accorde en effet aucun poids aux exigences
formelles imposées par le droit d’un Etat tiers. En outre, lorsque l’autre époux est installé
sur le territoire d’un autre Etat membre, le respect des seules exigences posées par la loi
belge suffit à valider la convention matrimoniale. L’autre Etat membre ne pourra exiger
le respect des exigences posées par son propre droit et opposer la méconnaissance de
ces exigences pour refuser de tenir compte de la convention.

Dans certaines situations, le notaire sera néanmoins confronté à une difficulté


supplémentaire. Dès lors que les époux ont choisi de se soumettre à une loi étrangère, le
notaire devra veiller au respect des exigences posées par cette loi.

Exemple : deux ressortissants britanniques qui résident de longue date en Belgique


souhaitent s’y marier. L’un d’eux possède un bien immeuble situé au Pays de Galles. Les
futurs époux n’excluent par ailleurs pas de s’installer dans quelques années au Royaume-
Uni. Pour ces raisons, ils souhaitent effectuer un choix en faveur de la loi anglaise. Même
si les deux futurs époux résident en Belgique, le notaire devra être attentif à respecter les
exigences imposées par la loi anglaise (art. 25, par. 3). L’on pense au délai de réflexion
dont doit disposer chacun des cocontractants avant de signer le contrat.

A l’inverse, la soumission générale, et non plus facultative, du formalisme aux exigences


posées par la loi applicable aux relations entre époux (art. 25, par. 3) est susceptible de
compliquer la tâches d’époux belges expatriés. Dès lors que ceux-ci souhaitent en effet
opter pour l’application de la loi belge, ils devront faire en sorte que leur convention soit
reçue par une autorité qui peut remplir fonctionnellement le rôle de notaire113.

Le règlement européen facilite sans doute la tâche des autorités des Etats membres et
des professionnels qui conseillent des (futurs) époux soucieux de convenir de
dispositions pour régir leurs relations patrimoniales. Ces autorités et professionnels
peuvent se contenter de tenir compte des exigences posées par leur propre droit dès lors
que le couple réside sur le territoire national. Pour les couples expatriés, il pourra être
plus difficile de se conformer au formalisme prescrit par la loi qu’ils ont choisie pour régir
leurs relations patrimoniales.

§ 2. La modification du régime matrimonial

Il n’est pas rare que des époux déjà mariés souhaitent modifier les règles qui régissent
leurs relations patrimoniales. Selon le baromètre des notaires (édition 2018), un nombre
significatif de couples procède chaque année à une modification de régime. Les
modifications de régime constituent la majorité des actes enregistrés au registre central
des contrats de mariage114.

113
Sur la possibilité de faire appel à un équivalent fonctionnel du notariat, cf. J.-L. VAN BOXSTAEL, op. cit., in
Tapas de droit notarial 2018, J.-L. VAN BOXSTAEL et F. TAIMONT (éds.), Bruxelles, Larcier, 2019, p. 210, n° 25
114
Pour être plus précis, les modifications de régime constituaient en 2018 61,2% des actes inscrits au
registre central, les contrats de mariage concernant des jeunes époux ne constituaient que 38,8 % de
tous les contrats de mariage inscrits au registre national. En chiffres absolus, ceci donne pour 2018
Quel est le régime d’une telle modification en droit international privé ? Par souci de
clarté, il faut distinguer plusieurs situations. La première concerne des époux qui
souhaitent modifier les règles régissant leurs relations patrimoniales, sans pour autant
substituer à la loi qui les régit une autre loi. On pense à deux ressortissants français
mariés il y a de longues années alors qu’ils résidaient en France, et qui souhaitent
aujourd’hui, alors qu’ils se sont installés en Belgique en 2015, ajouter à leur convention
matrimoniale l’une ou l’autre stipulation visant à protéger le conjoint survivant. Une
autre situation est celle d’époux mariés sans convention de mariage et dont les relations
sont régies par une loi étrangère. Ces époux peuvent souhaiter se placer sous l’empire de
la loi belge pour ensuite adopter des dispositions conformes à cette loi.

Le Code de droit international privé encadre la modification du régime matrimonial. Son


article 53, par. 1, point 4 précise qu’il faut interroger la loi du régime pour déterminer « si
et dans quelle mesure les époux peuvent changer de régime ». Selon cette même
disposition, la loi du régime est également décisive pour déterminer si « le nouveau
régime agit de manière rétroactive ou si les époux peuvent le faire agir de manière
rétroactive ».

Par contraste, le règlement européen est singulièrement muet sur la modification du


régime : le texte européen évoque bien la possibilité pour les époux de modifier en cours
de route la loi applicable à leurs relations patrimoniales. Le principe d’une telle
modification est posé à l’article 22, par. 1. Les paragraphes 2 et 3 de cette disposition
sont consacrés à l’éventuel caractère rétroactif d’un changement de loi. Au-delà de ces
précisions, aucune indication n’est fournie à propos de la modification de régime en tant
que telle, alors que cette modification intéresse plus directement les époux que
l’éventuel changement de loi applicable.

Comme pour les autres questions évoquées dans cette contribution, il est important
d’avoir conscience de l’impact du droit transitoire. Même si l’encadrement par le Code
de droit international privé et par le règlement européen de la modification du régime
matrimonial ne diffère pas sensiblement, il s’impose de déterminer quelles sont les
règles pertinentes. L’on se reportera à cet égard à ce qui a déjà été dit à propos des
exigences formelles (supra). Dans la mesure où une modification du régime matrimonial
nécessite une convention entre époux, le régime de droit transitoire est le même que
pour les exigences formelles.

Le principe général à retenir pour toute modification de régime est que le principe d’une
telle modification ainsi que les conditions substantielles auxquelles elle est soumise, sont
régies par la loi actuellement applicable aux époux. Ceci est exprimé clairement à l’article
53, par. 1, point 4 du Code de droit international privé, déjà cité. On peut le déduire de
l’article 27 point g) du règlement, qui soumet à la loi du régime « la validité au fond d’une

20.733 actes modificatifs sur un total de 33.898 d’actes inscrits au registre. Pour 2017, les chiffres sont
équivalents : 22.360 actes modificatifs sur un total de 35.606 actes inscrits au registre.
convention matrimoniale ». Un travail s’impose dès lors pour identifier la loi qui régit les
relations entre époux avant la modification. Cette loi doit être interrogée tant pour
déterminer s’il est permis aux époux de modifier en cours de route l’architecture de leurs
relations patrimoniales, ainsi que les limites éventuelles de cette liberté.

Quant au principe même de la modification, la seule difficulté peut provenir des Etats, de
moins en moins nombreux, qui prohibent toute modification du régime matrimonial en
cours de route. Encore faut-il fortement relativiser cette difficulté. S’il apparaît
effectivement que le droit applicable aux relations actuelles des époux ne leur permet
pas de modifier leur régime, on pourra leur conseiller d’effectuer d’abord un choix en
faveur de la loi belge. Un tel choix est permis tant par le Code de droit international privé
(art. 49) que par le Règlement européen (art. 22). Il permettra aux époux de s’extraire
des limites imposées par le droit qui leur est applicable. Cette démarche impose
toutefois d’attirer l’attention des époux sur le risque que la modification de régime qui
s’en suit, pourrait ne pas être accueillie par l’Etat dont la loi s’appliquait à l’origine aux
époux.

Dès lors que les époux ont la possibilité de modifier les règles qui guident leurs relations
patrimoniales, il faut également se référer à la loi actuellement applicable pour
déterminer les conditions auxquelles la modification est soumise. Ces conditions peuvent
être de diverse nature. Il peut par exemple s’agir d’un délai minimum qui est imposé aux
époux entre le moment de la conclusion du mariage et une éventuelle modification. Il
peut également s’agir d’une obligation de respecter un certain objectif lors de la
modification. Ainsi, en droit français, une modification ne peut-elle être envisagée que si
elle répond aux intérêts de la famille115.

Quant aux exigences formelles, l’opposition déjà évoquée entre la position relativement
libérale du Code de droit international privé et l’attitude bien plus restrictive du
règlement européen s’efface lorsque l’on évoque la modification du régime matrimonial.
L’article 52, al. 2 du Code prévoit en effet que toute modification doit respecter les
exigences formelles du droit de l’Etat où la mutation est effectuée. Ce territorialisme
formel correspondra dans une large mesure à ce qu’impose l’article 25 du Règlement
européen. Celui-ci lie en effet la détermination des exigences formelles pertinentes à la
résidence habituelle des époux. Or, le scénario le plus réaliste dans le cadre d’une
modification voit les époux procéder à une modification dans l’Etat où ils résident
habituellement. La décision de procéder à une modification de régime ne se conçoit en
effet guère si les époux vivent séparément. Or dans la mesure où les deux époux résident
ensemble en Belgique, l’article 25 par. 2 du règlement impose le respect des exigences
prévues par le droit belge. Partant, tant le Code de droit international privé que le
règlement conduisent à retenir le formalisme belge lorsque la modification concerne des
époux installés en Belgique.

115
Art. 1397 C. civ. (France).
Deux nuances doivent néanmoins être prises en compte. La première concerne la
situation d’époux qui choisissent, au terme d’une modification, de se soumettre à une loi
étrangère. Comme déjà indiqué, un tel choix possède un impact important si l’on
s’intéresse au formalisme qui doit présider à la modification de régime. Dès lors qu’une
loi étrangère régit les relations entre parties, il conviendra en effet de se conformer aux
exigences formelles mises en place par cette loi (art. 25, par. 3).

Enfin, l’entrée en vigueur du règlement européen n’a pas mis un terme aux difficultés de
qualification qui hantent depuis de décennies la modification de régime. Dans la mesure
où la loi applicable aux exigences formelles peut différer de la loi applicable aux
conditions substantielles, il est nécessaire de déterminer dans quelle catégorie il
s’impose de ranger les conditions qui se présentent au praticien. L’on sait que la
controverse concerne en particulier la nécessité, imposée par certains systèmes
juridiques, de faire homologuer ou d’obtenir une approbation judiciaire d’une
modification. Aucune certitude ne peut être donnée sur le sort d’une telle exigence, qui
n’a pas été clarifié par le règlement 2016/1103. Un praticien avisé prendra dès lors soin
de tenir compte de ce type d’exigence lorsqu’elle fait partie du droit applicable, avant la
modification, aux relations entre époux.

§ 3. Les donations entre époux

Les relations patrimoniales entre époux ne se limitent pas aux régimes matrimoniaux au
sens strict. Dans de nombreuses situations, d’autres opérations ont lieu entre époux qui
contribuent à façonner leurs relations patrimoniales. Parmi ces opérations, la donation
entre époux constitue dans la pratique belge une technique incontournable. Très
souvent utilisée, elle continue à séduire par sa flexibilité.

Beaucoup a été écrit à propos de l’appréhension par le droit international privé des
donations116. La mise en œuvre récente du règlement européen consacré aux relations
patrimoniales du couple apporte une inflexion importante à la pratique. Pour le
comprendre, il faut s’arrêter quelques instants sur le régime de la donation entre époux
en droit international privé belge.

Classiquement, la donation entre époux fait l’objet d’un traitement en distinguant


plusieurs dimensions. Comme les autres donations, la donation entre époux constitue
d’abord et avant tout une convention par laquelle donataire et donateur s’engagent
mutuellement. A ce titre, le droit international privé impose de tenir compte de la
volonté des parties pour déterminer la loi applicable. L’existence d’une clause de choix
de loi permettra de fixer la loi applicable à la dimension contractuelle de la donation. Au-
delà de cette première approche, il est une autre dimension de la donation entre époux

116
Cf. surtout la récente synthèse de J.-L. VAN BOXSTAEL, « La donation en droit international privé.
Compétence judiciaire et loi applicable », in F. TAINMONT et J.-L. VAN BOXSTAEL (éds.), Tapas de droit
notarial 2017, Larcier, 2018, pp. 135-189.
qui mérite de retenir l’attention. Le lien particulier qui unit le donateur et le donataire
suscite en effet des questions qui dépassent la dimension contractuelle. Ces questions
sont relatives à l’admissibilité d’une telle libéralité et à l’éventuel statut particulier qui
peut s’appliquer aux libéralités entre époux. Ces questions ne peuvent se résoudre en
faisant appel aux règles de conflit de lois visant les contrats. Il est accepté de longue date
qu’elles doivent faire l’objet d’un rattachement particulier, qui rend bien compte de
l’adossement de ces questions aux relations familiales.

Depuis l’entrée en vigueur du Code de droit international privé, il est acquis que ces
questions sont visées par la règle de conflit de lois visant les effets du mariage. Cette
règle, que l’on trouve à l’article 48 du Code, a pour vocation de déterminer le droit
applicable au droit commun des relations entre époux. Le périmètre de la règle englobe
les questions qui, dans de nombreux ordres juridiques, font l’objet d’un régime dit
primaire. Il inclut d’autres questions qui ne sont pas visées par des règles particulières de
rattachement. L’une de ces questions est précisément celle de l’admissibilité et de la
révocation des libéralités entre époux. L’article 48, par. 2, 4° vise expressément ces
questions, qu’il range sous la règle portant sur les « effets du mariage ».

En conséquence, les questions liées à l’admissibilité et à la révocation des donations


entre époux échappaient à l’autonomie de la volonté. Les époux ne pouvaient librement
choisir la loi applicable à ces questions. Elles étaient au contraire soumises à un
rattachement impératif fondé sur la résidence habituelle des époux. Cette résidence
habituelle devait s’apprécier au jour où la libéralité était parfaite. Ainsi, pour déterminer
si une donation consentie par un ressortissant néerlandais à son épouse belge pouvait
faire l’objet d’une révocation, il s’imposait de consulter la loi de la résidence habituelle
des époux au moment de la donation. Si les époux résidaient habituellement aux Pays-
Bas lorsque la donation fut consentie, le droit néerlandais s’imposait.

La mise en œuvre du règlement 2016/1103 modifie substantiellement ce raisonnement.


On cherchera en vain dans le texte du règlement une référence aux libéralités entre
époux. Le texte n’évoque pas ce thème. Si le règlement aura un impact sur les libéralités
que les époux peuvent se consentir, ceci tient à l’étendue de son champ d’application. Le
Règlement européen a comme ambition de fournir des règles de droit international privé
pour les questions relatives aux « régimes matrimoniaux » (art.1, par. 1). L’appréhension
européenne de ce concept est très large, comme ceci apparaît de la lecture du
considérant 18. Selon ce texte,

« Le champ d'application du présent règlement devrait s'étendre à tous les aspects de droit civil des
régimes matrimoniaux, concernant tant la gestion quotidienne des biens des époux que la liquidation du
régime, survenant notamment du fait de la séparation du couple ou du décès d'un de ses membres. Aux
fins du présent règlement, la notion de ‘régime matrimonial’ devrait être interprétée de manière
autonome et devrait englober non seulement les règles auxquelles les époux ne peuvent pas déroger,
mais aussi toutes les règles facultatives qui peuvent être fixées par les époux conformément à la loi
applicable, ainsi que les règles supplétives de la loi applicable. Elle comprend non seulement les régimes
de biens spécifiquement et exclusivement conçus par certaines législations nationales en vue du mariage,
mais également tous les rapports patrimoniaux entre les époux et dans les relations de ceux-ci avec des
tiers résultant directement du lien conjugal ou de la dissolution de celui-ci. »

Il est communément admis sur cette base que l’ambition du règlement européen s’étend
au-delà des régimes secondaires pour embrasser également les autres questions
intéressant les relations patrimoniales au sein du couple. La circonstance que ces
questions font l’objet, dans le droit de certains Etats membres, de dispositions
particulières qui peuvent même être douées d’impérativité, n’empêche nullement
l’application du règlement européen.

Dès lors que le règlement européen s’applique, le raisonnement de droit international


privé est susceptible d’être modifié de façon substantielle. En effet, comme déjà évoqué,
le rattachement principal retenu par le texte européen est fondé sur l’autonomie de la
volonté. La loi choisie par les époux, qu’elle ait été sélectionnée expressément par le
biais d’une clause d’élection de droit ou qu’elle se déduise d’une lecture de la convention
matrimoniale faisant apparaître un choix tacite, règne sur les relations patrimoniales au
sein du couple. C’est cette loi qu’il faudra également consulter pour déterminer si les
époux pouvaient s’avantager par le biais d’une libéralité. Cette même loi sera
déterminante dès lors que se pose la question de la révocation d’une libéralité par le
donateur. Les conséquences de cette modification sont importantes, comme le montre
l’exemple suivant.

Exemple : deux ressortissants français qui résident en Belgique s’y sont mariés en mars
2019. Préalablement au mariage, les époux ont conclu une convention matrimoniale. Le
contrat, reçu par un notaire français, emporte choix du régime de séparation de biens. Il
est assorti d’une clause en faveur de la loi française. En 2020, madame, qui dispose d’un
patrimoine personnel important, effectue une donation au profit de son mari afin que
celui-ci puisse financer le développement d’une nouvelle activité professionnelle. Cette
activité se révèle un tel succès que monsieur se perd dans le travail et néglige son
épouse. Après quelques années de patience, madame décide de divorcer. Peu après
avoir lancé la citation en divorce, Madame signifie à son futur ex-mari qu’elle révoque la
donation consentie quelques années plus tôt.

Si l’on devait s’interroger sur la loi applicable à cette situation à l’aune du Code de droit
international privé, il faudrait retenir la loi belge. L’article 48 impose en effet de faire
application de la loi de la résidence habituelle des époux. Cette résidence doit être
appréciée au moment de la libéralité. Or le droit belge permet (encore) à l’époux-
donateur de révoquer librement et sans justification aucune toute donation consentie à
son conjoint (art. 1096 C. civ.). Dès lors que l’on fait usage des dispositions du règlement
européen, la solution est toute différente. Les relations patrimoniales entre époux, qui
comprennent également la question de la révocation éventuelle d’une donation, sont
soumises à la loi choisie par les parties. Dans la mesure où les époux ont expressément
soumis leur convention matrimoniale à la loi française, celle-ci s’impose. L’on sait qu’en
droit français, les donations de biens actuels entre époux ne sont plus librement
révocables.
Le très large périmètre revendiqué par les dispositions européennes peut dès lors
conduire à modifier de façon substantielle l’encadrement des donations entre époux.

L’on ajoutera pour terminer qu’il s’impose de tenir compte de l’intervention éventuelle
des lois d’application immédiate. Comme le faisait le Code de droit international privé
(art. 20), l’article 30 du règlement européen réserve la possibilité aux Etats membres de
faire triompher leurs propres dispositions, si celles-ci sont douées d’une impérativité
internationale. Or certaines dispositions qui composent le régime primaire pourraient
prétendre à une telle qualification. Cette question a fait l’objet d’amples débats en droit
international privé belge117, spécialement à l’occasion de l’arrêt Banque Sud belge
prononcé par la Cour de cassation en 1992118. L’on peut retenir qu’il n’est pas
envisageable de qualifier en bloc le régime primaire de loi d’application immédiate. Au
contraire, une approche plus fine doit être de mise, qui distingue selon la portée de
chaque disposition119. La relative pauvreté de la jurisprudence rend l’appréciation
malaisée. La jurisprudence n’a en effet pas beaucoup contribué à éclaircir le rôle des lois
d’application immédiate dans le domaine des relations entre époux. A notre
connaissance, il n’a jamais été avancé que l’article 1096 du Code civil belge constituerait
une loi d’application immédiate s’imposant dès que la question de la révocation d’une
donation entre époux se pose devant une autorité belge. L’on demeurera néanmoins
attentif à l’influence que peuvent exercer les lois d’application immédiate sur le
raisonnement conflictuel.

117
Cf. les explications données par N. WATTE, avec la collaboration de L. BARNICH, “Les conflits de lois en
matière de régime matrimoniaux”, in Rép. not., Tome XV, Livre XIV, Larcier, 1997, 81-83, n° 67-69. Adde
N. WATTE, « Les régimes matrimoniaux, les conflits de lois dans l’espace et dans le temps », R.C.J.B.,
1994, 676-732, spéc. .
118
Cass. (3ème ch.), 25 mai 1992, Banque Sud Belge c. Ilardo et consorts, Pas., 1992, I, 839.
119
Voy. déjà en ce sens, N. WATTE, Les droits et devoirs respectifs des époux en droit international privé,
Larcier, 1987, spéc. 119-122, n° 158 e.s. ainsi que 182, n° 263.

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