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l16b1841 Rapport-Information

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N° 1841

______

ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 novembre 2023

RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES


en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 14 décembre 2022

sur les relations entre la France et l’Afrique

ET PRÉSENTÉ PAR

M. BRUNO FUCHS ET MME MICHÈLE TABAROT

Députés
——
— 3 —

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION ...................................................................................... 9
I. UNE FRANCE DÉSTABILISÉE DANS UNE AFRIQUE EN PLEINE
MUTATION........................................................................................................ 13
A. L’AFRIQUE : UN CONTINENT EN RECOMPOSITION AU CŒUR DE
TOUTES LES CONVOITISES ...................................................................... 13
1. « L’Afrique-Monde » : l’émergence d’un continent pleinement ancré dans la
mondialisation ........................................................................................................ 13
a. L’Afrique : un géant démographique tourné vers l’avenir ...................................... 13
b. L’Afrique, un continent au fort potentiel économique, malgré la persistance de
fragilités et une présence française en recul ........................................................... 14
2. Un continent traversé par de profonds bouleversements endogènes ...................... 16
a. Une Afrique travaillée par un ensemble de transformations qui s’entremêlent… ... 16
b. …et dont résulte une série de coups d’État en Afrique francophone ...................... 18
c. Un partenaire politique dont le soutien n’est plus acquis aux puissances
occidentales ............................................................................................................ 22
3. L’Afrique, terre d’opportunités et de promesses : un nouvel enjeu de compétition
internationale .......................................................................................................... 22
a. L’intérêt renouvelé des États-Unis pour l’Afrique .................................................. 23
b. Une stratégie chinoise tous azimuts fondée sur le contrôle des ressources et des
infrastructures ......................................................................................................... 24
c. Une concurrence aux méthodes parfois déloyales ................................................... 27
i. La Russie en Afrique : une présence ancienne réactivée ................................................... 27
ii. La stratégie russe de déstabilisation de la France ............................................................. 30
B. DE LA FRANÇAFRIQUE À LA PRÉSIDENCE D’EMMANUEL MACRON :
UNE VOLONTÉ CONSTAMMENT EXPRIMÉE DE RÉFORMER LA
POLITIQUE AFRICAINE DE LA FRANCE ................................................... 36
1. La rupture de 1990 : l’émergence d’une politique de la conditionnalité plus
théorique que réelle ................................................................................................ 36
2. Des choix politiques lourds de conséquence pour la relation bilatérale ................. 37
— 4 —

3. De la politique à la stratégie africaine : une nouvelle grammaire sous la


présidence d’Emmanuel Macron pour « inventer ensemble une amitié » ............. 38
C. LA FRANCE BALLOTTÉE DANS UNE AFRIQUE EN MOUVEMENT .......... 41
1. La France : un pays contesté dans une partie de l’Afrique ..................................... 41
a. L’image de la France s’est dégradée auprès des élites africaines ............................ 41
b. Le désamour entre la France et une partie des sociétés africaines........................... 43
i. Un phénomène ancien….................................................................................................... 44
ii. …qui s’exprime avec une vigueur renouvelée mais doit être nuancé............................... 44
c. Des sujets persistants qui nourrissent un certain ressentiment contre la France ...... 46
2. Une fragilité qui conduit au retrait partiel de la France du continent africain,
notamment dans la zone sahélienne ....................................................................... 49
a. La fin de l’opération Barkhane ................................................................................ 49
b. Le retrait des troupes françaises du Burkina Faso ................................................... 50
II. LES DÉFAUTS D’UNE STRATÉGIE QUI N’A PAS SU COMPRENDRE ET
S’ADAPTER PLEINEMENT AUX BESOINS NOUVEAUX DE L’AFRIQUE ..... 53
A. UNE MÉTHODE DÉFAILLANTE : L’ÉLABORATION EN VASE CLOS
D’UNE POLITIQUE AFRICAINE INSUFFISAMMENT ARRIMÉE AUX
RÉALITÉS LOCALES................................................................................... 53
1. Du 20, rue Monsieur au 2, rue de l’Élysée ............................................................. 53
a. Le conseiller Afrique du président : la figure incontournable des relations franco-
africaines ................................................................................................................. 53
b. Le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) : une innovation certaine, des
résultats mitigés ...................................................................................................... 54
c. Un entourage militaire resserré autour du président de la République .................... 55
d. Élysée, ministère des Armées, Quai d’Orsay, secrétariat à la coopération : un
manque d’équilibre et de cohérence entre des acteurs très divers .......................... 56
e. Une vision souvent unilatérale et mal documentée : les faiblesses de la méthode
française .................................................................................................................. 59
2. Une perte de connaissances généralisée sur l’Afrique qui vient renforcer la
dimension parfois « hors sol » de la politique africaine française ......................... 60
a. Un monde de la recherche jouissant d’une expertise d’excellence mais peu dense
et entravé par les problématiques sécuritaires de l’Afrique .................................... 60
b. Une perte de connaissances sur l’Afrique au sein du Quai d’Orsay........................ 62
c. Une lente régression de la présence française sur le terrain .................................... 63
3. Des postures et des discours qui abîment la relation en profondeur ....................... 64
a. Des maladresses vexatoires ..................................................................................... 64
b. La politique des visas « au cœur de la discorde ».................................................... 66
B. LA STRATÉGIE AFRICAINE DE LA FRANCE MANQUE DE LISIBILITÉ
DANS SA MISE EN ŒUVRE ....................................................................... 67
— 5 —

1. La France dispose d’avantages comparatifs en Afrique mais subit encore trop


souvent les évènements .......................................................................................... 67
a. Une volonté manifeste d’investir de nouveaux domaines… ................................... 67
i. Sur le plan culturel ............................................................................................................. 67
ii. Sur le sport ........................................................................................................................ 73
iii. Sur l’entreprenariat et l’innovation .................................................................................. 74
b. …dont la réalisation tarde à se concrétiser .............................................................. 75
2. Une stratégie qui pâtit des contradictions entre ses fondements théoriques et sa
mise en œuvre ........................................................................................................ 76
a. Des enjeux sécuritaires persistants .......................................................................... 76
b. Les limites d’un prisme trop sécuritaire .................................................................. 78
3. La politique du « double standard » : l’écueil d’une doctrine politique mal
assurée .................................................................................................................... 82
C. DES MARGES DE PROGRÈS : UNE SOUS-UTILISATION DE NOS
OUTILS D’INFLUENCE ET UN DÉFAUT DE MOYENS ET DE PILOTAGE
..................................................................................................................... 85
1. Des instruments d’influence peu ou mal mobilisés ................................................ 85
i. L’audiovisuel extérieur de la France : un formidable outil qui a pu se retourner contre
notre pays ....................................................................................................................... 85
ii. Une stratégie communicationnelle déployée avec retard.................................................. 87
2. Des moyens en demi-teinte ..................................................................................... 90
a. Sur le temps long, une diminution significative des moyens militaires et civils
préjudiciable ........................................................................................................... 90
i. Sur le plan militaire ........................................................................................................... 90
ii. Sur le plan civil ................................................................................................................. 92
b. Une volonté de « réarmer » la diplomatie française : une nécessité ........................ 92
c. L’aide publique au développement en Afrique : des moyens en augmentation ...... 93
3. Un pilotage perfectible de la stratégie africaine de la France et de ses outils ........ 94
a. Une aide publique au développement à l’efficacité contestable et
progressivement vidée de sa dimension politique .................................................. 94
i. L’autonomisation progressive de la politique d’aide au développement ........................... 94
ii. Redéfinir les objectifs et renforcer le suivi des actions menées ....................................... 95
iii. Une aide non perçue par les populations bénéficiaires .................................................... 95
iv. Une arme puissante qui se retourne désormais contre la France ..................................... 98
b. La dilution du suivi de la stratégie africaine de la France : une myriade d’acteurs
et des pratiques déconcertantes ............................................................................... 99
III. RECONSTRUIRE UNE OFFRE STRATÉGIQUE CRÉDIBLE : LA
CONDITION SINE QUA NON AU RENOUVEAU DES RELATIONS
FRANCO-AFRICAINES .................................................................................... 101
— 6 —

A. MOBILISER DAVANTAGE LES ATOUTS STRATÉGIQUES DE LA


FRANCE ET RÉFORMER LA POLITIQUE DES VISAS : UNE AMBITION
COMMUNE DES DEUX RAPPORTEURS, QUI APPELLENT À
RECENTRER NOTRE ACTION, AMÉLIORER SON PILOTAGE ET
VALORISER SES RÉSULTATS ................................................................... 101
1. La Francophonie : un instrument à réinvestir ......................................................... 101
2. Développer notre proximité culturelle et éducative ................................................ 105
3. Repenser l’APD ...................................................................................................... 105
a. Une réforme profonde .............................................................................................. 105
b. Un pilotage politique absolument nécessaire .......................................................... 107
c. Plus de dons, moins de prêts .................................................................................... 107
4. Relancer une politique de coopération modernisée ................................................ 108
5. Réformer la politique des visas : une urgence ........................................................ 108
6. Mieux valoriser nos résultats : mieux communiquer et mobiliser les médias ........ 110
B. EN FINIR AVEC « LES IRRITANTS » POUR FONDER UN NOUVEAU
PARTENARIAT SINCÈRE, RESPECTUEUX DES INTÉRÊTS DES DEUX
PARTIES : LE PLAIDOYER DU RAPPORTEUR BRUNO FUCHS .............. 111
1. Mettre fin aux attitudes paternalistes et à celles jugées condescendantes. Écouter
plus et mieux et partir des réalités du terrain. ........................................................ 111
a. « Un Africain ça s’invite, ça ne se convoque pas » ................................................. 111
b. La familiarité d’une relation acquise ....................................................................... 111
c. Arrêter d’imposer nos réalités et nos modes de pensée ........................................... 112
2. Fixer une doctrine claire : la « juste distance »....................................................... 113
a. Sortir du double standard ......................................................................................... 113
b. Proposer une nouvelle doctrine ............................................................................... 115
c. Solder notre passif colonial par des actes tangibles et partagés............................... 116
3. Miser sur un développement économique mutuellement gagnant .......................... 117
a. Les économies subsahariennes, une importance bien loin des idées reçues ............ 118
b. De fortes contraintes et des risques ......................................................................... 118
c. Un marché stratégique ............................................................................................. 119
d. Des avantages compétitifs ....................................................................................... 119
4. Valoriser les politiques solidaires de la France....................................................... 121
a. Le rôle moteur de la politique française de la santé................................................. 121
b. La mobilisation historique de la France en faveur de programmes de recherche
et de conservation de la biodiversité africaine ........................................................ 122
c. La France, chef de file de la lutte contre le réchauffement climatique en Afrique .. 122
5. S’appuyer sur les diasporas ..................................................................................... 123
— 7 —

C. LA DIMENSION GÉOPOLITIQUE DES RELATIONS ENTRE LA FRANCE


ET L’AFRIQUE : UNE PRÉOCCUPATION MAJEURE POUR LA
RAPPORTEURE MICHÈLE TABAROT ....................................................... 125
1. La nouvelle géographie de la politique africaine de la France ............................... 125
a. Se tourner vers l’« autre Afrique » (2017-2022) ..................................................... 126
b. Une ouverture à poursuivre dans un contexte de tensions accrues .......................... 129
c. Les contraintes de la realpolitik : le retour vers l’ancien « pré carré » .................... 130
2. Achever la recomposition de notre politique militaire ........................................... 130
a. Une réforme de la présence et de la stratégie militaire française en cours .............. 131
b. Restructurer notre offre de formation et de coopération ......................................... 133
c. Poursuivre et achever cette recomposition .............................................................. 134
3. La place du multilatéralisme ................................................................................... 135

EXAMEN EN COMMISSION ................................................................... 141

PROPOSITIONS DU RAPPORTEUR BRUNO FUCHS.......................... 143

PROPOSITIONS DE LA RAPPORTEURE MICHÈLE TABAROT ......... 149

ANALYSE DU RAPPORTEUR BRUNO FUCHS .................................... 153

ANNEXE N°1 : LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES OU


AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS ......................................... 157

ANNEXE N°2 : LISTE DES ACRONYMES ET DES ABRÉVIATIONS


UTILISÉS DANS LE RAPPORT .............................................................. 163
— 9 —

INTRODUCTION

L’Afrique a changé. Déjà en 2005, lors de son discours de Brazzaville, le


président Jacques Chirac déclarait : « Finissons-en avec les descriptions
apocalyptiques de l’Afrique ! Regardons devant nous, au-delà de l’horizon
immédiat. Nous voyons une Afrique pleine de promesses, mais aussi une Afrique qui
doit surmonter les graves difficultés qu’elle connaît mais elle le peut. ». Tout est dit
en quelques mots.

L’Afrique est aujourd’hui entrée de plain-pied dans la mondialisation et est


travaillée par de profonds changements principalement endogènes : elle n’a
désormais plus grand-chose à voir avec l’Afrique des années postcoloniales.
L’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération d’hommes politiques, une
croissance démographique impressionnante, le développement d’une civilisation
citadine et l’émergence d’une classe moyenne de consommateurs potentiels, une
véritable explosion créatrice et culturelle ou encore l’intensification des mobilités
constituent quelques-unes des recompositions à l’œuvre sur le continent. Cette
transformation n’est pas sans heurts ni questionnements dans tous les domaines :
s’entrecroisent désormais la contestation des formats politico-institutionnels issus
de la décennie des années 1990 comme de l’autorité familiale, l’aggravation des
conflits générationnels, la montée d’un mouvement néosouverainiste et la
contestation des valeurs occidentales. Il est frappant de constater à quel point
l’Afrique est aujourd’hui le continent de la jeunesse, une jeunesse hyper-connectée
et qui conteste le pouvoir de ses élites, souvent francophiles, accusées de ne plus
comprendre la vie quotidienne de leurs populations. Frappant aussi de voir combien
ce qui se passe en France et en Afrique résonne et s’entremêle à travers des
diasporas qui communiquent en temps réel et combien le continent se renouvelle
lui-même au gré des mouvements internes qui en transforment les anciens
équilibres.

Ces mutations, et leurs potentialités, n’ont échappé à personne ou presque.


Toutes les grandes puissances actuelles bâtissent des politiques africaines, de la
Chine aux États-Unis, en passant par la Russie, la Turquie, le Maroc et les
pétromonarchies du Golfe arabo-persique. Ces stratégies s’inspirent de la politique
africaine longtemps poursuivie par la France, scandée par ses sommets
France-Afrique et les discours structurants de ses présidents successifs, depuis le
discours de Brazzaville du général De Gaulle, celui de La Baule de
François Mitterrand, jusqu’aux discours de Paris et de Brazzaville du président
Jacques Chirac ou encore celui de Dakar de Nicolas Sarkozy. Et la liste est encore
longue.

Quant à la France, elle éprouve des difficultés à suivre ces bouleversements,


victime de La revanche des contextes, pour paraphraser
Jean-Pierre Olivier de Sardan. Ses référentiels, hérités de l’ère de la Françafrique et
— 10 —

volontiers essentialistes, se sont révélés inadaptés pour comprendre cette nouvelle


Afrique qui change sans cesse et rapidement. Une Afrique plurielle, ouverte sur le
monde, où la Chine comme de nouvelles puissances émergentes gagnent des parts
de marché, pour qui la relation avec l’ancienne puissance coloniale n’a plus rien
d’évident et qui ne se réduit donc pas à l’Afrique francophone sur laquelle la France
a traditionnellement tant investi. Ébranlée par la succession de coups d’États en
Afrique francophone, contrainte de retirer ses troupes du Mali, du Burkina Faso et
désormais du Niger, contestée par la montée en puissance d’un discours
anti-français particulièrement vocal à défaut d’être une opinion unanimement
partagée, elle est sur la défensive et tâtonne quant à l’attitude à adopter. Si elle
demeure performante dans une partie de l’Afrique, notamment anglophone,
quoiqu’encore trop timide dans cette partie du continent, elle s’est comme endormie
dans son ancien pré carré quand elle n’a pas déconstruit ce qui fonctionnait
admirablement, telle sa politique de coopération.

Elle hésite d’autant plus que, soucieuse de renouveler ses liens avec
l’Afrique et d’éviter les erreurs du passé, privée d’une connaissance fine du
continent et dépendante de choix politiques incertains, elle refuse désormais de se
doter d’une véritable « politique africaine », déclarée morte et non avenue par le
président Emmanuel Macron lors de son discours de Ouagadougou, capitale du
Burkina Faso, en novembre 2017. Cette politique doit faire place à de nouveaux
partenariats plus inclusifs et horizontaux. Elle s’adresse davantage aux sociétés
civiles. La relation bilatérale, jusqu’alors structurée par les questions sécuritaires, a
vocation à s’ouvrir aux thèmes de l’entrepreneuriat, des échanges universitaires, de
la culture, du changement climatique et du sport. Enfin, la France doit sortir d’une
relation quasi exclusivement tournée vers l’Afrique francophone pour intégrer
davantage l’ensemble du continent africain, commercer et échanger avec ses
grandes puissances anglophones.

La volonté de rupture est affichée mais sa mise en œuvre encore incertaine :


les projets concrets se font attendre et la politique militaire de la France, qui devait
être reléguée au second plan, monopolise encore le devant de la scène, même si c’est
pour constater sa remise en cause, occultant les multiples projets que notre pays
cherche, à raison, à mener dans d’autres domaines. Les Africains, même ceux –
encore nombreux– favorables à conserver des liens forts avec notre pays, déplorent
nos hésitations, entre excès d’autoritarisme et politique timorée au gré des
évènements que nous subissons faute de pouvoir les anticiper. C’est sans doute ainsi
qu’il faut interpréter le discours anti-français si souvent médiatisé : il ne s’agit pas
d’un rejet de la France mais de l’expression d’un sentiment d’incompréhension et
de frustrations face à des choix politiques français contestés.

C’est qu’au-delà du vocabulaire renouvelé et de l’accumulation


d’initiatives, souvent bienvenues, il manque peut-être l’essentiel : une offre
stratégique précise et de long terme qui donne envie aux pays africains de maintenir
des liens nourris et plus égalitaires avec la France. C’est cet aggiornamento qui reste
désormais à accomplir et auquel le présent rapport souhaite contribuer. Les
rapporteurs partagent, en effet, la conviction que les relations franco-africaines ont
— 11 —

encore toute leur pertinence et peuvent s’améliorer à condition d’être construites sur
de nouvelles bases. Beaucoup reste à faire mais la France ne manque pas d’atouts
pour y parvenir, qu’il s’agisse de sa longue histoire partagée avec l’Afrique ou de
l’usage du français. Encore faut-il qu’elle sache ce qu’elle veut dans sa relation avec
l’Afrique.

Il ne s’agit toutefois pas de condamner sans nuances les erreurs faites par
notre pays, loin s’en faut : reconstruire une politique africaine apte à embrasser
l’ensemble de l’Afrique dans la diversité de ses populations et de ses enjeux, à une
époque éruptive et de grands bouleversements, est une tâche longue et d’une
complexité extrême qui excuse bien des travers. Cette entreprise ne peut
évidemment se faire seule : elle ne réussira qu’avec l’aide des alliés de la France
mais aussi et surtout qu’avec la participation active de ses partenaires africains,
premiers concernés et responsables des transformations qui touchent leur continent.

Quelques précisions s’imposent quant au champ des travaux menés par les
rapporteurs. Au regard de l’ampleur du sujet, ils ont fait le choix de ne pas inclure
dans leur définition de l’Afrique les pays du Maghreb. Cette distinction a certes
quelque chose d’artificiel tant les liens sont étroits entre ces États et le reste du
continent. Néanmoins, la spécificité des relations que la France entretient avec
l’Algérie, le Maroc et la Tunisie a paru justifier cette limitation du sujet. Pour le
reste, les rapporteurs ont décidé de s’intéresser à l’ensemble des pays africains
– francophones et non francophones – ainsi qu’à toutes les dimensions de la relation
bilatérale, même si leur étude de la politique militaire française est presque
exclusivement circonscrite au Sahel.

Les rapporteurs tentent de définir ce que pourrait être une nouvelle politique
africaine, car il s’agit bien à leurs yeux d’une véritable politique, comme l’ont
compris les compétiteurs stratégiques de la France. Celle-ci passe d’abord par un
changement de méthode. Il faut accepter de poser un nouveau regard sur l’Afrique :
ne pas chercher à imposer nos valeurs et nos grilles de lecture sur ce continent
complexe et écouter les aspirations profondes de sa population pour construire un
discours ancré dans les cultures et les réalités locales. Cela passe aussi par une
meilleure connaissance du continent africain, qui fait aujourd’hui cruellement
défaut à la France, dans toutes ses sphères d’intervention ; ensuite, par une plus
grande concertation dans la conception de cette politique, qui doit retrouver sa place
dans des canaux de prise de décision plus transparents et institutionnels pour éviter
sa personnalisation excessive. Un changement de style est nécessaire : arrêter les
grands discours, souvent porteurs d’attentes finalement déçues, et leur préférer des
actions concrètes. Abandonner notre ton martial et grandiloquent, pour une posture
humble mais non moins confiante. Accepter de partir là où nous ne sommes plus
attendus et rechercher de nouveaux partenariats là où il existe une attente manifeste
ou à susciter. Clarifier enfin notre doctrine et mettre en cohérence nos actions, par
exemple sur la politique des visas, sont essentiels tout en concentrant nos efforts sur
des domaines où la France dispose d’avantages comparatifs et où les Africains
l’attendent.
— 12 —

Voici quelques pistes de réflexion qu’explore ce rapport, dont l’ambition


pour la France est l’édification d’une nouvelle stratégie africaine, cette fois bien
ancrée dans le XXIème siècle.
— 13 —

I. UNE FRANCE DÉSTABILISÉE DANS UNE AFRIQUE EN PLEINE MUTATION

La France est aujourd’hui bousculée dans une Afrique en recomposition. La


montée en puissance d’un discours anti-français, même cantonné à une partie de la
jeunesse citadine, témoigne d’un contexte général de remise en cause de l’influence
française dans son ancien pré carré. Il ne faut toutefois pas y voir une fatalité :
l’Afrique est diverse, la France est bien positionnée en Afrique anglophone et de
nombreux pays africains souhaitent maintenir des relations nourries avec notre pays.
On ne peut toutefois nier l’existence d’une lame de fond défavorable à la France en
Afrique francophone, le risque étant qu’elle se propage sans que notre pays puisse
réagir. C’est la raison pour laquelle les rapporteurs se concentrent sur l’étude de
cette contestation et de ses causes en Afrique francophone. C’est toutefois bien nos
relations avec l’ensemble de ce continent d’avenir qu’il s’agit de repenser et de
construire.

A. L’AFRIQUE : UN CONTINENT EN RECOMPOSITION AU CŒUR DE


TOUTES LES CONVOITISES

1. « L’Afrique-Monde » : l’émergence d’un continent pleinement ancré


dans la mondialisation

En 2013 déjà, un rapport sénatorial prédisait : « L’Afrique est notre


avenir » (1). Ce constat semble à bien des égards toujours d’actualité pour qui
accepte de se départir de certaines idées reçues sur le continent africain et de la
vision misérabiliste qui a longtemps été posée sur lui. Comme le rappelle
fréquemment Pascal Lamy, ancien directeur général de l’organisation mondiale du
commerce (OMC) : « L’Afrique est le sujet n° 1 de l’Europe pour les 50 ans à
venir » (2). De l’Europe et probablement du reste du monde aussi.

a. L’Afrique : un géant démographique tourné vers l’avenir

L’Afrique, c’est d’abord un continent de quelque 1,4 milliard d’individus


doté d’une croissance démographique exceptionnelle : sa population a été
multipliée par plus de dix en l’espace d’un siècle et elle pourrait dépasser les
4,2 milliards d’habitants d’ici à 2100, selon les Nations Unies. Dans les
années 2040, ce sont 566 millions d’enfants qui devraient y naître, lui permettant de
se hisser devant l’Asie en nombre de naissances, et les Africains constitueront le
plus grand groupe de personnes en âge d’activité maximale au monde, c’est-à-dire
entre 24 et 54 ans (3). Certains États africains sont déjà parmi les plus peuplés de la
planète et cette tendance devrait se poursuivre : la population du Nigéria, qui double

(1) « L’Afrique est notre avenir », rapport d’information sénatorial de Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel,
déposé le 29 octobre 2013.
(2) « L’Afrique est le sujet n° 1 de l’Europe pour les 50 ans à venir », entretien avec Pascal Lamy, Le Point,
2 décembre 2021.
(3) « It’s Africa’s Century—for Better or Worse », Adam Tooze, Foreign Policy, 13 mai 2022.
— 14 —

tous les trente ans, pourrait atteindre 400 millions d’individus en 2050 et peut-être
800 millions en 2100, ce qui en ferait le deuxième pays le plus peuplé au monde
après l’Inde et devant la Chine (1).

La jeunesse de sa population rend sa démographie d’autant plus


remarquable : 70 % des Africains ont entre 15 et 35 ans. Les populations africaines
sont ainsi pleinement tournées vers l’avenir, ce qui n’est toutefois pas sans susciter
des conflits autour de l’usage des terres et des ressources, lesquels pourraient
s’amplifier, avec des risques durables de déstabilisation de régions entières et de
déplacements massifs de populations aux échelles régionale et internationale.
L’Afrique devrait donc demain, plus encore qu’aujourd’hui, se situer au cœur des
enjeux migratoires mondiaux.

b. L’Afrique, un continent au fort potentiel économique, malgré la


persistance de fragilités et une présence française en recul

Fort de sa démographie, le continent africain constitue un immense marché


présentant de nombreuses opportunités économiques grâce à sa jeunesse créative,
l’émergence d’une véritable classe moyenne et le développement du secteur
tertiaire. La France y dispose d’intérêts économiques réels mais contrastés et
souvent surestimés.

À l’échelle continentale, la part de marché relative de la France a décliné,


passant de 15 % à 7,5 % entre 2000 et 2020, bien que sa part absolue ait connu une
légère hausse due à l’extension du marché africain et à l’arrivée de nouveaux
concurrents. La Chine est désormais le premier partenaire commercial de l’Afrique
avec 27 % de ses parts de marché, auxquels s’ajoutent plus de 80 milliards de dollars
d’investissements directs et 150 milliards de dollars accordés en prêts depuis une
vingtaine d’années. Quant à l’UE, elle est le premier fournisseur et débouché des
pays membres de la zone CFA. Certains pays européens s’avèrent très bien
positionnés sur le continent : l’Allemagne est parvenue à pénétrer le marché africain
à un niveau similaire à celui de la France, par exemple. Notons toutefois que les
entreprises françaises ont la caractéristique de s’installer localement avec des
filiales de droit africain. Les chiffres de ces filiales n’entrent pas dans les statistiques
du commerce extérieur mais sont reflétés par l’évolution des investissements directs
à l’étranger (IDE) : au regard de cet indicateur, la France occupe la deuxième place
en Afrique, derrière la Grande-Bretagne, avec un montant de stock d’IDE de
61 milliards de dollars, alors que la Chine se hisse à la cinquième place
« seulement » avec un stock d’IDE de 43 milliards de dollars. La France dispose de
nombreux atouts pour développer ses liens économiques avec l’Afrique, qu’il
s’agisse du partage de la langue française avec de nombreux pays, du franc CFA
encore arrimé à l’euro ou de l’existence d’un droit commun des affaires dans les

(1) « Quelle stratégie française dans le golfe de Guinée ? », rapport d’information déjà mentionné.
— 15 —

dix-sept pays membres de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit


des affaires (OHADA) (1).

LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES FRANÇAIS EN AFRIQUE DE L’OUEST

L’essentiel des échanges français se concentre autour de l’Afrique du Sud,


de l’Égypte et du Nigeria, trois pays non francophones ; la présence française est
moins forte en Afrique australe et non négligeable en Afrique de l’Est, notamment
au Kenya, au Mozambique et en Ouganda. Le Nigéria est notre premier partenaire
commercial en Afrique subsaharienne, avec un volume d’échanges de 4,5 milliards
d’euros en 2019 : la France importe majoritairement des produits pétroliers et y
exporte des produits pétroliers raffinés, pharmaceutiques et agroalimentaires. Les
entreprises françaises sont également très présentes en Côte d’Ivoire, premier client
de la France (1,4 milliard d’euros) en 2021 au sein de l’Union économique et
monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui réunit le Bénin, le Burkina Faso, la
Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, loin devant
le Sénégal (814 millions d’euros). Par ailleurs, malgré un léger recul de ses ventes
de 6 % par rapport à 2020, la Côte d’Ivoire est également le principal fournisseur
de la France en 2021 (848 millions d’euros), à l’origine de 73 % des importations
françaises en provenance de l’Union (2). Au total, l’année 2021 est marquée par une
hausse des échanges entre la France et l’UEMOA de 10 % par rapport à 2020, pour
atteindre 4,6 milliards d’euros.

(1) Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Comores, Congo, République démocratique du Congo, Côte d’Ivoire,
Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée équatoriale, Mali, Niger, République Centrafricaine, Sénégal, Tchad
et Togo.
(2) « Commerce bilatéral entre la France et les pays de l’UEMOA en 2021 », note de la direction générale du
Trésor, mars 2022.
— 16 —

Notons que, contrairement à une idée reçue, les intérêts économiques de la


France en Afrique de l’Ouest reposent davantage sur les positions anciennes de
quelques grands groupes français que sur l’activité extractive. En effet, l’uranium
nigérien représente moins du tiers de nos besoins et tandis que le pétrole,
principalement importé du Nigéria et d’Angola, couvre environ 15 % de nos
approvisionnements. La France est, par ailleurs, peu impliquée à l’échelle
continentale dans d’autres activités extractives comme celle des métaux, des métaux
précieux et des pierres (1) : si elle a pu être accusée de lorgner sur les ressources en
or du Mali, ce sont pourtant des entreprises canadiennes (2) et australiennes qui sont
actives dans le pays.

Bien que la France dispose déjà de parts de marchés non négligeables en


Afrique, elle a tout intérêt à se positionner pour bénéficier, à l’avenir, de nouvelles
opportunités économiques au regard des perspectives de croissance du continent.
Ce dernier est toutefois fragilisé par le défi climatique et environnemental, qui s’y
pose avec une acuité particulière : si l’Afrique ne représente que 7 % des émissions
mondiales de CO2 cumulées depuis le milieu du XIXème siècle, elle est
particulièrement exposée aux risques climatiques. Les études montrent déjà les
conséquences du réchauffement de la planète sur le déplacement des populations
africaines, la croissance et les inégalités de revenus sur le continent, lesquelles
devraient s’accroître avec la forte croissance démographique que connaît l’Afrique
et son industrie en plein développement : la demande d’énergie en Afrique
progresse ainsi deux fois plus vite que la moyenne mondiale (3). Toutefois, l’Afrique
abrite aussi une part de la solution au défi climatique : un quart de son territoire est
couvert de forêts, puits de carbone naturels indispensables pour lutter contre le
dérèglement climatique. Ce n’est pas un hasard si le One Forest Summit des 1er et
2 mars 2023 s’est tenu à Libreville, au Gabon : le bassin du Congo est le premier
puits de captation de carbone au monde.

Ses importantes réserves naturelles rendent aujourd’hui l’Afrique


indispensable au reste du monde et suscitent les plus grandes convoitises : elle abrite
ainsi 80 % des réserves mondiales de coltan, 60 % de celles de cobalt, 40 % des
réserves d’or ou encore 32 % des réserves mondiales de bauxite.

2. Un continent traversé par de profonds bouleversements endogènes

a. Une Afrique travaillée par un ensemble de transformations qui


s’entremêlent…

Le continent africain, en particulier dans sa zone francophone, est


aujourd’hui en pleine recomposition, en proie au développement de régimes
militaires qui constituent, selon le philosophe et historien camerounais

(1) Laurent Bansept et Élie Tenenbaum, étude déjà citée.


(2) « Or : les compagnies minières canadiennes à l’assaut de l’Afrique de l’Ouest », Jeune Afrique, 7 janvier
2019.
(3) L’économie africaine 2023, Agence française de développement, La Découverte, janvier 2023.
— 17 —

Achille Mbembe (1), la fin d’un « cycle historique », entamé au lendemain de la


Seconde guerre mondiale, et l’entrée dans une nouvelle ère dont la France ne serait
plus qu’un acteur secondaire. L’Afrique fait ainsi l’objet de transformations
multiples et simultanées dont il est nécessaire de comprendre les ressorts,
principalement endogènes, pour en saisir la portée.

Un premier changement tient à l’arrivée au pouvoir de générations de


politiques nées dans les années 1990-2000 et ayant grandi dans un contexte de crise
économique majeure. Ceux-ci doivent faire face à une Afrique en mutation,
marquée par son réveil technologique, l’influence croissance des diasporas,
l’accélération de la création artistique et culturelle, l’intensification des mobilités et
la recherche de nouveaux modes de développement s’inspirant davantage des
traditions locales. Les enjeux démographiques, socio-culturels, économiques et
politiques s’entrecroisent désormais : coïncident ainsi la contestation des formats
politico-institutionnels issus du passé, les mutations de l’autorité familiale, la
rébellion silencieuse des femmes et une aggravation des conflits générationnels. La
jeunesse d’Afrique se pense et se vit comme africaine par fierté continentale à
l’heure où les atouts actuels et futurs du continent africain sont désormais vantés et
où nombre d’intellectuels africains, souvent passés par les universités américaines,
ont théorisé cette identité nouvelle, tels que Felwinn Sarr, Dialo Diop,
Achille Mbembe, Moustapha Sow, Léonora Miano, Kako Nubukpo pour n’en citer
que quelques-uns (2).

Parallèlement, ainsi que l’explique Achille Mbembe, l’Afrique voit se


développer une forme de néosouverainisme puissant, « version appauvrie et frelatée
du panafricanisme » (3) dont les principaux tenants se recrutent dans les rangs d’une
jeunesse continentale très connectée ainsi qu’auprès des diasporas, qui se sentent
mal intégrées dans les pays où elles ont grandi et en tirent une profonde déception
partagée en temps réel sur les réseaux sociaux. Toutefois, contrairement au
mouvement panafricanisme de l’après-guerre, qui combattait le colonialisme et la
ségrégation raciale et portait un discours universaliste adossé aux trois grands piliers
de la conscience moderne que sont la démocratie, les droits humains et l’idée de
justice universelle, le néosouverainisme rejette le concept de communauté humaine
universelle. Il confère aux races un caractère primordial et érige en ennemi absolu
l’Occident : l’émancipation africaine ne peut passer, selon lui, que par la remise en
cause sans nuance des pays et des valeurs occidentales. La démocratie est ainsi
condamnée comme une émanation de l’ingérence internationale à laquelle sont
préférés des régimes aux « hommes forts ». Aucun autre contre-discours solide ne
vient contrecarrer l’expansion de cette idéologie violente, en particulier auprès de
la jeunesse.

(1) « En Afrique, il faut réarmer la pensée », Achille Mbembe, Le Monde, samedi 5 août 2023.
(2) Le sentiment anti-français en Afrique », Antoine Pouillieute, revue défense nationale, n° 860, 14-19,
mai 2023.
(3) « En Afrique, il faut réarmer la pensée », article déjà mentionné.
— 18 —

b. …et dont résulte une série de coups d’État en Afrique francophone

Ce nouveau contexte auquel s’ajoutent des contingences locales explique,


en partie, la multiplication des coups d’État en Afrique francophone. Ainsi, depuis
le 18 août 2020, date du coup d’État contre l’ancien président
Ibrahim Boubacar Keita au Mali, pas moins de sept coups d’État militaires ont eu
lieu dans la région, sans compter la prise de pouvoir contestée au Tchad par
Mahamat Idriss Deby.

Les régimes militaires sont parfois perçus par les populations locales
comme l’ultime remède aux maux que sont la corruption, l’enrichissement
personnel de leurs dirigeants, les divisions internes exacerbées, les élections
truquées, les services publics abandonnés et leur forte dépendance à l’aide
occidentale. Trop souvent aussi, les démocraties contestées sont vues comme
soutenues de l’extérieur, par un Occident prédateur dont la France est le
bouc-émissaire. Dans les faits pourtant, l’émergence des démocraties en Afrique a
été le produit de révoltes populaires contre des régimes militaires considérés comme
illégitimes, lesquelles ont abouti aux conférences nationales des années 1990,
matrices des démocraties sur le continent. S’y ajoutent, dans le cas du Mali, du
Burkina Faso et du Niger, la crise sécuritaire sahélienne, qui se traduit par
l’expansion du djihadisme imputée à la faiblesse des régimes en place : le retour des
militaires au pouvoir est alors regardé avec libération (1).

Le coup d’État au Gabon témoigne quant à lui d’une lassitude à l’égard d’un
État corrompu, aux mains d’une même famille depuis des décennies dont la
proximité avec la France a perduré sous plusieurs présidents français.

La France face au Gabon : des relations complexes


Le coup d’État mené, le 30 août 2023, au Gabon par le commandant en chef de la Garde
républicaine, le général Brice Oligui Nguema, a fait suite à la proclamation de la victoire
de l’ancien président, Ali Bongo, aux élections présidentielles très contestées du 26 août
2023. Sa survenue est l’occasion de questionner le positionnement de la France envers ce
pays dont les dirigeants ont perdu la confiance d’une grande partie de leur population ;
les conditions de vie des Gabonais ne cessent de se dégrader malgré la forte croissance
économique du pays, dont l’actualité a été ponctuée par la révélation de multiples affaires
de corruption.
L’indépendance du Gabon, ancienne colonie française, le 17 août 1960, n’a pas marqué
la fin de ses relations diplomatiques étroites avec la France : le premier président
Léon Mba (1961 1967), renversé temporairement par un putsch militaire en février 1964,
reçoit l’aide de l’armée française pour revenir au pouvoir. À sa mort, la France soutient
le régime d’Albert Bernard (Omar) Bongo, alors vice-président du Gabon, qui aura à
cœur de détruire les fondements démocratiques du pouvoir : dès 1969, il met fin au
multilatéralisme politique et impose un parti unique (le Bloc puis le Parti Démocratique
Gabonais, PDG). Seul candidat, il se maintient au pouvoir élection après élection jusqu’à
sa mort en 2009. Il est remplacé par son fils Ali Bongo, candidat du PDG et soutenu par

(1) Voir à ce sujet « Coup d’État au Niger : le grand gâchis », Jean-Pierre Olivier de Sardan, Jeune Afrique,
29 juillet 2023.
— 19 —

la France, après une élection très contestée, qui donne lieu à des violences post-électorales
s’en prenant notamment au consulat général et à la concession Total de Port-Gentil. Il est
réélu en 2016 avec une marge très faible : les soupçons sur la véracité des résultats du
scrutin donnent de nouveau lieu à des manifestations et la France prend ses distances avec
Ali Bongo. Ce dernier brigue et obtient un troisième mandat en août 2023 face à dix-huit
autres candidats politiques, dont l’ancien ministre de l’éducation et de l’enseignement
supérieur, Albert Ondo Ossa. Si Ali Bongo est proclamé vainqueur de la présidentielle,
il est renversé quelques heures plus tard par un coup d’État coordonné par le commandant
en chef de la Garde républicaine, le général Brice Oligui Nguema.
La France s’est trouvée gênée quant à l’attitude à adopter face au coup d’État : elle a
condamné le putsch militaire du 30 août et a demandé un « retour à l’ordre
constitutionnel » mais a aussi rappelé son « attachement aux processus électoraux libres
et transparents », insistant sur le caractère contestable de la troisième victoire
d’Ali Bongo.
Ce coup d’État intervient alors que le pays connaît une situation économique paradoxale.
Si le Gabon est l’un des pays les plus riches de l’Afrique, en termes de PIB par habitant,
les inégalités y sont très marquées. Ces cinq dernières années, le taux de pauvreté du
Gabon a fortement augmenté : un tiers de la population vit avec moins de 5,5 dollars par
jour. De plus, le pays connaît une très forte corruption (il se place 124ème sur 180 pays au
classement de Transparency International), qui le priverait, selon la Commission
économique des Nations Unies pour l’Afrique, de 400 à 500 milliards de francs CFA. En
cause également, les investissements publics douteux effectués par le président Ali
Bongo, notamment en faveur de la Coupe d’Afrique des nations de football en 2012
et 2017.
Depuis le coup d’État du 30 août, plusieurs anciens ministres, et des membres de la
« Young Team », ont été arrêtés par le régime de transition en place, pour détournement
de fonds publics, corruption et association de malfaiteurs. Ces arrestations combinées à
la procédure judiciaire en France des « biens mal acquis » à l’encontre de la famille
Bongo témoignent, s’il en était encore besoin, du caractère dynastique et
antidémocratique de la gestion du pays par le « clan Bongo ».
Sources diverses

Or, ces coups d’État ne sont pas sans inquiéter pour la stabilité du Sahel et,
plus largement, de l’ensemble du continent. Les nouveaux régimes peinent à lutter
contre la menace djihadiste qui, loin de régresser, progresse partout au point que
l’Afrique pourrait voir se constituer, selon Luis Martinez (1), le prochain califat sur
son territoire.

(1) L’Afrique, le prochain califat ? La spectaculaire expansion du djihadisme, Luis Martinez, Tallandier,
23 février 2023.
— 20 —

Évolution de la menace terroriste au Sahel à la suite des coups d’État militaires au


Mali, au Burkina Faso et au Niger
Alors que les juntes militaires responsables des renversements des régimes malien,
burkinabé, et, plus récemment, nigérien ont invoqué l’incapacité de leurs autorités à
endiguer la menace terroriste dans leurs pays comme justification de leur prise de
pouvoir, il apparaît toutefois que ces motifs ne survivent pas à l’exercice du pouvoir. En
effet, une hausse de la violence djihadiste est observée au Mali et au Burkina Faso depuis
les coups d’États militaires de 2021 et 2022, le nombre de morts liés aux groupes
islamistes militants africains au Sahel ayant atteint un niveau record au cours de l’année
passée.
Les groupes terroristes affiliés au JNIM, l’EIGS et Boko Haram ont en effet profité de
l’instabilité politique et du vide sécuritaire engendrés par la prise de pouvoir des juntes
malienne et burkinabée, afin d’accroître leur emprise géographique sur le terrain sahélien.
Le retrait consécutif de la force française Barkhane et la dégradation des relations entre
le Mali et ses partenaires sécuritaires, dont la MINUSMA, ont par ailleurs participé à
accroître les libertés de manœuvres des groupes militants dans la zone.
Ainsi, le nombre d’évènements violents impliquant des groupes terroristes islamistes a
doublé au Sahel depuis 2021, tandis que le nombre de décès liés à ces incidents a
quasiment triplé, ces derniers se concentrant majoritairement au Burkina Faso et au Mali.
Ces pics de violence coïncident ainsi avec les putschs perpétrés dans ces pays.
À ce titre, l’évolution de la menace djihadiste au Burkina Faso depuis les coups d’État de
janvier et de novembre 2022 est particulièrement révélatrice. En effet, un « déplacement
de l’épicentre de la violence au Sahel » vers le Burkina Faso a été observé, alors que les
zones d’action des groupes terroristes dans le pays se sont largement propagées sur le
territoire burkinabé, avec une augmentation de 45 % de ces dernières par rapport à la
période précédant les putschs. Si le Nord du pays demeure le principal foyer de violence,
l’Ouest et l’Est du territoire ont connu une augmentation significative des attaques
djihadistes, menaçant à cet égard les pays côtiers du Golfe de Guinée. Ainsi, la junte
militaire ne contrôlerait qu’environ la moitié du pays, tandis qu’un encerclement
progressif de la capitale, Ouagadougou, par les groupes terroristes pourrait d’autant plus
menacer le gouvernement.
Le récent coup d’État au Niger inquiète par ailleurs alors qu’une trajectoire similaire à
celles du Mali et du Burkina Faso pourrait y survenir. En effet, si la présidence de
Mohamed Bazoum avait permis de contenir la menace djihadiste au Niger depuis 2021,
une succession d’attaques terroristes a été observée depuis août 2023. Cette situation fait
ainsi craindre une dégradation du contexte sécuritaire dans le pays, notamment autour de
la zone dite des « trois frontières », tandis que la menace d’une intervention de la
Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a engendré un
redéploiement des soldats luttant contre les groupes terroristes sur le terrain au profit de
la capitale.
Source : Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « La crise au Burkina Faso continue son
engrenage », infographie, mardi 12 septembre 2023
— 21 —
— 22 —

c. Un partenaire politique dont le soutien n’est plus acquis aux puissances


occidentales

De même qu’une partie de l’Afrique cherche à retrouver sa souveraineté et


à défendre ses valeurs, son soutien politique, fort de ses 54 États (1), qui constituent
autant de voix à l’Assemblée générale des Nations Unies, n’est désormais plus
acquis aux puissances occidentales. Le Sénégal, qui exerçait alors la présidence
tournante de l’Union africaine (UA), s’est ainsi abstenu lors du vote du 2 mars 2022
de l’Assemblée générale des Nations Unies exigeant que la Russie « retire
immédiatement, complètement et inconditionnellement toutes ses forces militaires
du territoire de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement
reconnues ». Il renouvelle cette position lors du vote sur la suspension de la Russie
du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, le 7 avril 2022.

On peut toutefois noter que cette neutralité n’est pas entièrement nouvelle,
le Sénégal ayant déjà adopté une attitude similaire en 2014, lors du vote sur
l’annexion de la Crimée par la Russie. Cela n’a néanmoins pas empêché le président
Macky Sall de condamner, le 3 mars 2022, les mauvais traitements infligés aux
Africains qui tentaient alors de quitter l’Ukraine pour rejoindre les pays limitrophes.
Il avait également demandé la mise en place d’une commission d’enquête
internationale sur les allégations de violations des droits de l’Homme en Ukraine (2).
L’Ukraine ne s’y est d’ailleurs pas trompée : son ministre des Affaires étrangères
Dmytro Kuleba a réalisé plusieurs visites sur le continent africain depuis le début
de la guerre en Ukraine pour contrer le narratif de son homologue russe
Sergueï Lavrov.

3. L’Afrique, terre d’opportunités et de promesses : un nouvel enjeu de


compétition internationale

La plupart des puissances qui comptent aujourd’hui sur la scène


internationale sont en train d’échafauder de « nouvelles stratégies globales avec
l’Afrique » (3) à l’instar de la Chine, de la Russie, de l’Inde, des États du Golfe
arabo-persique, du Maroc ou encore des États-Unis. La Turquie, par exemple, forte
de ses 43 ambassades et de sa première base militaire ouverte en 2017 à Mogadiscio
en Somalie, mise sur une politique culturelle active, la création de mosquées dédiées
aux classes populaires et l’approfondissement de son empreinte économique sur le
continent. L’Afrique y trouve un intérêt : ouverte sur le monde et ne se sentant plus
tenue de privilégier ses liens avec ses anciennes puissances coloniales, elle se tourne
vers les partenaires qui répondent le mieux à ses besoins immédiats. Dans ce
contexte, la France n’est plus la référence unique et évidente sur le continent
africain.

(1) L’Union africaine reconnaît, quant à elle, 55 États en incluant la République arabe sahraouie démocratique.
(2) « Le Sénégal : la « voix » de l’Afrique dans la crise russo-ukrainienne », trois questions à Babacar Ndiaye,
institut Montaigne, 21 juillet 2022.
(3) « Un New Deal entre l’Europe et l’Afrique est-il possible ? », Achille Mbembe, groupe d’études géopolitiques,
working papers, 2022, p. 1-8.
— 23 —

a. L’intérêt renouvelé des États-Unis pour l’Afrique

Les relations entre l’Afrique et les États-Unis ont trouvé une nouvelle
actualité à l’occasion du sommet « États-Unis – Afrique », qui s’est tenu à
Washington du 13 au 15 décembre 2022. Le président Joe Biden a invité 49 chefs
d’États et de gouvernements africains ainsi que des représentants de l’UA aux
États-Unis ; seuls les pays suspendus par l’UA (Mali, Burkina Faso, Guinée,
Soudan) n’ont pas été conviés. Le ministre des Affaires étrangères du Zimbabwe a
été invité ; l’Érythrée – qui n’entretient pas de relations diplomatiques avec les
États-Unis – a également été conviée à un niveau ministériel mais a refusé de
participer.

Il s’agit là du second sommet de ce type depuis la première édition organisée


par Barack Obama en 2014. Durant trois jours, l’administration américaine a reçu
et échangé avec des dirigeants africains, des chefs d’entreprises, des représentants
de la jeunesse, des diasporas et de la société civile sur des thèmes variés :
démocratie, bonne gouvernance, sécurité, économie, santé, changement climatique,
énergies et sécurité alimentaire étaient ainsi au programme.

Pour l’administration américaine, ce sommet était l’occasion de souligner


l’intérêt retrouvé des États-Unis pour le continent africain et l’UA, après les années
Trump. Sur la forme, le ton employé par Washington a été jugé plus respectueux à
l’égard des États africains, désormais regardés comme des partenaires égaux. Cet
intérêt renouvelé s’est incarné dans les deux tournées du secrétaire d’État
Antony Blinken en Afrique en novembre 2021 (Kenya, Nigeria et Sénégal), puis en
août 2022 (Afrique du Sud, République démocratique du Congo et Rwanda) ; de
nombreux hauts responsables de la Maison Blanche ont également effectué des
visites au cours des années 2021 et 2022. Le président Joe Biden a d’ailleurs
annoncé, à l’occasion du sommet, son intention de se rendre en Afrique, sans donner
de dates précises, ni indiquer les pays choisis par la Maison Blanche. Kamala Harris,
vice-présidente des États-Unis, s’est ainsi rendue au Ghana, en Tanzanie et en
Zambie en mars 2023, dans le sillage de cette nouvelle stratégie diplomatique.

À l’occasion du sommet « États-Unis–Afrique », le secrétaire à la défense


Lloyd Austin a également mis en garde les dirigeants africains contre le rôle
déstabilisateur de la Chine et de la Russie en Afrique. Les États-Unis ont, par
ailleurs, réaffirmé les valeurs qu’ils souhaitent promouvoir sur le continent et qui
les distinguent de ces deux pays, tout en reconnaissant qu’il n’existe pas de modèle
unique, ni en matière de bonne gouvernance, ni pour construire des institutions
fortes.

Le développement de relations économiques solides entre les États-Unis et


le continent africain était également l’un des enjeux majeurs de ce sommet.
L’administration Biden a identifié plusieurs mesures permettant d’approfondir ce
partenariat économique avec le continent. Enfin, parmi les multiples annonces, les
États-Unis ont promis un financement de 55 milliards de dollars pour l’Afrique sur
— 24 —

trois ans afin de faire avancer les priorités qu’ils partagent et soutenir
l’Agenda 2063 (1).

b. Une stratégie chinoise tous azimuts fondée sur le contrôle des ressources
et des infrastructures

La conférence de Bandung, qui s’est tenue en Indonésie en 1955, a constitué


le début d’une coopération économique progressive entre la Chine et l’Afrique. Les
années 1960, traversées par les premières indépendances, ont vu leurs échanges
économiques progresser rapidement pour atteindre un pic dans les années 1990,
donnant lieu à l’appellation « Chinafrique » (2), résultat d’une véritable
« convergence d’intérêts » (3) . Pour de nombreux gouvernements africains, la Chine
représente une alternative viable aux bailleurs de fonds et aux partenaires
commerciaux traditionnels de l’Afrique, capable d’apporter des financements
importants sans conditionnalité de gouvernance. De son côté, la Chine voit de
nombreuses opportunités dans le développement de ses relations avec l’Afrique,
notamment pour l’accès à ses matières premières et ses terres agricoles, et gagne
des marchés grâce à des règles éthiques plus souples que celles de ses concurrents
occidentaux.

Les résultats de cette stratégie sont sans appel. La Chine s’est imposée
comme le premier partenaire économique de l’Afrique. Ses échanges avec le
continent sont passés de 10 à 210 milliards de dollars entre 2002 et 2021. Elle est la
principale détentrice de la dette extérieure africaine, estimée à environ 365 milliards
de dollars en 2021 (4), et est parvenue à convaincre presque tous les pays du continent
africain de rejoindre l’initiative chinoise des nouvelles routes de la soie (5), la Belt
and Road Initiative (BRI), qui a fêté ses dix ans à Pékin les 17 et 18 octobre 2023,
lors d’un forum ayant réuni des dirigeants et représentants de plus de 130 pays.

(1) L’Agenda 2063 est un cadre stratégique défini par l’Union africaine pour la transformation
socio-économique du continent au cours des cinquante prochaines années. Il s’appuie sur les initiatives
continentales passées et actuelles en faveur de la croissance et du développement durable et cherche à
accélérer leur mise en œuvre.
(2) « La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir », Michel Beuret et Serge Michel, Paris, Grasset,
2008.
(3) « Les influences chinoises en Afrique. 1. Les outils politiques et diplomatiques « du grand pays en
développement » », Jean-Pierre Cabestan, Élisa Domingues dos Santos, Zhao Alexandre Huang,
Philippe Le Billion, Thierry Vircoulon, institut français des relations internationales, novembre 2021.
(4) Institut français des relations internationales, article déjà mentionné.
(5) La nouvelle route de la soie, terminologie parfois employée au pluriel, est un projet stratégique chinois visant
à relier économiquement la Chine à l’Europe en intégrant les espaces d’Asie centrale par un vaste réseau de
corridors routiers et ferroviaires.
— 25 —

LES NOUVELLES ROUTES DE LA SOIE

Si les discours ont pu laisser penser à la construction d’un partenariat


« gagnant-gagnant » entre la Chine et l’Afrique, la réalité des relations économiques
entre ces deux entités témoigne plutôt de la constitution d’une nouvelle forme de
dépendance du continent africain vis-à-vis de la puissance chinoise et dont la
question de la dette est révélatrice. En effet, si la Chine concentre 15,4 % du
commerce extérieur africain, l’Afrique ne représente que 3,7 % du commerce
extérieur de son partenaire chinois. Par ailleurs, entre 2000 et 2018, 50 pays
africains sur 54 ont emprunté à la Chine : un nombre croissant de ces pays dépasse
les niveaux d’endettement soutenables, à l’instar du Kenya, dont la loi de finances
pour 2023-2024 consacre la moitié du budget au service de la dette.

Les conditions dans lesquelles les gouvernements africains se sont endettés


auprès de la Chine posent également question et nourrissent des soupçons de dette
cachée. Les investissements de la Chine en Afrique sont, en effet, difficilement
traçables, abrités derrière le secret d’État ou déguisés en aides au développement.
Le discours chinois d’entraide entre nations aux combats communs n’évite pas le
recours à des prêts gagés sur les infrastructures et les ressources naturelles
africaines, souvent en des termes désavantageux pour les pays africains. Des clauses
prévoient ainsi qu’en cas de non-remboursement de prêts kényans pour la ligne de
chemin de fer entre Nairobi et Mombasa, Pékin prendrait le contrôle du port de
— 26 —

Mombasa. À cela s’ajoutent le fonctionnement opaque des institutions prêteuses


chinoises, l’endettement d’États africains pour la construction d’infrastructures à la
rentabilité douteuse, la corruption d’opérateurs locaux, le recours à des clauses
exorbitantes du droit commun et les multiples trafics dont se rendent coupables les
Chinois, en particulier dans les domaines de la pêche (1) et de l’orpaillage.

La stratégie économique de la Chine sur le continent africain, notamment


structurée par le forum sur la coopération sino-africaine (FOSAC), est au service
d’une politique d’influence plus large sur le plan international. Les pays africains
constituent, en effet, un réservoir de soutiens pour la Chine au sein des instances
internationales, utile à ses objectifs de politique et de sécurité intérieures. Dès les
années 1960, la Chine a, par exemple, pris soin de conditionner ses investissements
en Afrique à une rupture des relations entre les pays africains et Taïwan : seul
l’Eswatini soutient encore Taïwan, le Burkina Faso ayant rompu ses relations avec
l’île irrédente en 2018. Plus récemment, la Chine a pu bénéficier du soutien de sa
politique répressive à Hong Kong par nombre de pays africains, dont certains
historiquement alignés sur les positions de l’Occident et de la France (Niger,
Cameroun, Togo, Gabon) (2).

La Chine a su mobiliser d’autres instances et aspects de ses relations


diplomatiques avec l’Afrique : la crise de la Covid-19 lui a, par exemple, permis de
déployer une stratégie de diplomatie sanitaire autour de la fourniture de vaccins et
de matériels médicaux. Elle y poursuit également une politique culturelle
ambitieuse à travers la signature de quelque 65 accords culturels et l’installation de
61 instituts Confucius établis dans 46 pays africains avec pour objectif
l’enseignement du mandarin et la diffusion de la culture chinoise (3). Par ailleurs, la
Chine accueille aujourd’hui plus de 81 000 étudiants africains sur son sol et
contribue ainsi à la formation des élites dirigeantes africaines du continent de
demain : ce chiffre est en nette augmentation, puisqu’elle n’accueillait que 2 000
étudiants en 2003 (4).

Si la présence chinoise en Afrique a pu prospérer grâce à un discours fondé


sur l’entraide entre pays en développement et des promesses de partenariats dénués
de prédation, ses volontés de s’imposer comme une puissance de premier plan sur
le continent s’affirment néanmoins progressivement. En plus d’être le deuxième
contributeur financier aux opérations de maintien de la paix en Afrique, la Chine
dispose, depuis 2017, d’une base militaire extérieure à Djibouti et a obtenu, en
janvier 2023, un accord pour la création de la première base de lancement spatial

(1) Dans le Golfe de Guinée, 40 % du poisson pêché le serait de façon illégale par des navires russes et chinois,
ce qui représente plus de 1,2 milliard d’euros de manque à gagner annuel pour les pays de la région. Cf ;
« Quelle stratégie française dans le golfe de Guinée ? », rapport d’information n° 383 (2022-2023) de
Bernard Fournier, François Bonneau et Gisèle Jourda, fait au nom de la commission des affaires étrangères,
de la défense et des forces armées du Sénat, déposé le 1er mars 2023.
(2) « The 53 countries supporting China’s crackdown on Hong Kong », Dave Lawler, Axios, 3 juillet 2020.
(3) « Quelle présence chinoise en Afrique ? », Sixtine Hellouin de Cenival, institut d’études de géopolitique
appliquée, 20 septembre 2022.
(4) Le dessous des cartes, La Chinafrique, arte, 30 août 2018.
— 27 —

sur le continent africain. Or, le choix de cette localisation est tout sauf anodin :
Djibouti accueille la plus importante base française en Afrique, ainsi qu’une base
américaine. Il témoigne, dès lors, de la volonté chinoise d’investir à son tour un fief
bien identifié des puissances occidentales et de leurs alliés, ce qui ne manque pas
d’inquiéter (1). Il s’inscrit également dans le projet des nouvelles routes de la soie en
permettant à la Chine d’avoir un accès et d’exercer un contrôle sur le très stratégique
détroit de Bab-el-Mandeb, point névralgique du commerce mondial ouvert sur
l’espace indopacifique.

La visite du président Xi Jiping dans le cadre du sommet Chine-Afrique,


qui s’est tenue en Afrique du Sud du 22 au 24 août 2023, vise à relancer cette
relation alors que le président chinois ne s’était plus rendu en Afrique depuis 2018.

c. Une concurrence aux méthodes parfois déloyales

La compétition que se livrent les grandes puissances présentes sur le


continent africain n’est pas toujours loyale, loin s’en faut. La France est, en
particulier, victime de la stratégie de déstabilisation poursuivie à son encontre par
la Russie.

i. La Russie en Afrique : une présence ancienne réactivée

Pendant longtemps, les relations entre la Russie et l’Afrique ont été très
distantes : le continent africain était principalement, aux yeux des Russes, la
lointaine Éthiopie, ce royaume, disait-on, d’où venait Hannibal, l’esclave noir
affranchi par Pierre le Grand et devenu général, arrière-grand-père du grand poète
Pouchkine (2). La situation évolua toutefois avec l’avènement de l’Union des
républiques socialistes soviétiques (URSS), même si, paradoxalement, celle-ci
découvrit véritablement l’Afrique tardivement, au moment de la décolonisation,
qu’elle a largement instrumentalisée au profit de sa stratégie d’influence contre
l’Occident, lorsque de nouveaux régimes, libérés de l’influence des puissances
coloniales, arrivèrent au pouvoir imprégnés de culture marxiste-léniniste et que
l’Afrique devenait, dans ce cadre, un champ de bataille dans la guerre des blocs.

La Russie a ainsi construit son influence en Afrique à travers le soutien aux


mouvements de libération pendant la période de la guerre froide : Congrès national
africain (ANC) en Afrique du Sud, Front de libération nationale (FLN) en Algérie,
Front de libération du Mozambique (FRELIMO), Mouvement populaire de
libération de l’Angola (MPLA), Union du peuple africain du Zimbabwe (ZAPU),
Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC),
notamment. Elle a également noué des alliances au-delà des seuls régimes
marxistes-léninistes, qu’il s’agisse, par exemple, de l’Égypte nationaliste de Nasser

(1) « Djibouti, révélations sur la très secrète base militaire chinoise qui inquiète les Occidentaux »,
Antoine Izambard, challenges, 20 octobre 2022.
(2) « La Russie et l’Afrique : la stratégie du jeu de go », interview de Jean de Gliniasty, article paru dans la
revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°67, « Quel avenir pour la Russie de Poutine ? », avril-mai 2022,
et publié sur Areion24news, le 8 août 2022. La description proposée de la stratégie russe en Afrique s’appuie
sur cet article éclairant.
— 28 —

(soutien à la nationalisation du canal de Suez en 1956, livraisons d’armes, traité


d’amitié et de coopération de 1971), de l’Algérie de Houari Boumédiène (livraisons
d’armes) ou du Maroc (visite du secrétaire général du Parti communiste de Léonid
Brejnev, en 1961).

Si certains pays s’inspirent alors ouvertement de l’URSS dans leur gestion


économique et politique des affaires intérieures, le « socialisme africain » était
surtout marqué par le nationalisme, le panafricanisme et des pouvoirs forts. Il
n’implique pas nécessairement un alignement international sur les vues de Moscou,
si ce n’est pour un noyau dur constitué de l’Angola, du Mozambique, de l’Éthiopie
et de la Somalie.

Toutefois, l’influence russe en Afrique ne résista pas à l’affaiblissement


puis à l’implosion de l’URSS. L’Égypte renvoie 20 000 conseillers soviétiques dès
1972 et dénonce en 1976 son traité d’amitié avec la Russie. Les régimes marxistes
ont commencé à disparaître progressivement, pour se transformer souvent en
dictatures pures et simples, à l’image du Mali du socialiste panafricaniste
Modibo Keïta, décoré du prix Lénine en 1963 et renversé en 1968.

La Russie ne revient que progressivement et tardivement en Afrique. Les


visites du président Vladimir Poutine en Afrique du Sud – qui sera intégrée en 2011
au groupe des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) devenu BRICS à cette
occasion – , au Maroc en 2006, puis en Libye en 2008, ont marqué le début de son
grand retour sur le théâtre africain. Son successeur, Dmitri Medvedev, a élargi le
cercle en visitant, en 2009, l’Égypte, l’Angola, le Nigéria et la Namibie. Les
ouvertures d’ambassades se sont succédé et quarante ambassades russes sont
aujourd’hui mobilisées en Afrique pour promouvoir les intérêts économiques de
Moscou, rallier les votes des États africains aux Nations Unies et attribuer des
bourses et des stages.

Les firmes russes se sont installées sur tout le continent : outre la présence
déjà ancienne de Rusal en Guinée-Conakry puis au Nigéria, on peut penser aux
consortiums Renova en Namibie, en Afrique du Sud et au Gabon pour le manganèse,
Alrosa pour la recherche des diamants en Angola et bientôt en République
centrafricaine, Nornikel pour l’or en Afrique du Sud et au Botswana, Lukoil pour
l’exploitation du pétrole en Libye, en Côte d’Ivoire et au Ghana ou encore ARMZ
pour l’uranium en Tanzanie. Dans le secteur financier, la banque VTB, contrainte
d’abandonner en 2019 sa filiale africaine du fait des sanctions économiques
consécutives à l’annexion russe de la Crimée, a signé la même année un accord avec
la Banque Afreximbank dont le siège est au Caire et qui finance ses opérations
d’import-export dans toute l’Afrique.

La présence russe ne se limite pas aux matières premières, elle se manifeste


également par la construction ou la mise à niveau des chemins de fer en Algérie ou
en Libye, la vente de quatre réacteurs nucléaires à l’Égypte et la signature d’accords
de coopération nucléaire civile avec une vingtaine d’États africains dont le Nigéria,
le Soudan, l’Éthiopie et le Rwanda. Cette présence économique n’a toutefois pas
— 29 —

suscité d’inquiétudes particulières de la part des États occidentaux qui y voient le


résultat de l’ouverture du continent dans un jeu normal de concurrence entre
puissances.

Il en va différemment dans le domaine militaire. La Russie vend, de longue


date, du matériel militaire bon marché aux régimes africains dans le cadre d’accords
de coopération militaire, devenant ainsi le premier pourvoyeur d’armes du
continent. Le processus s’est toutefois accéléré depuis le début de la crise
ukrainienne, en 2014, tout en devenant volontiers agressif à l’égard de l’Occident
et, plus spécifiquement, de la France. La Russie a ainsi signé, entre 2017 et 2020,
dix nouveaux accords avec des pays qui ne s’étaient jusqu’alors jamais associés à
Moscou ( Niger, République centrafricaine, Tanzanie, Zambie, Madagascar,
Botswana, Burundi, Guinée-Bissau, Sierra Leone (1)).

Ces accords sont d’un genre nouveau : s’ils incluent les rubriques
traditionnelles sur la formation, la livraison d’équipements, l’échange de
renseignements, la lutte contre le terrorisme, la criminalité et la piraterie, ils
impliquent également implicitement ou explicitement le déploiement de conseillers
militaires pour la protection des personnalités au pouvoir, au besoin par des milices
privées ou des mercenaires (2) du groupe Wagner animé jusqu’à sa mort en
août 2023 par Evgueni Prigojine, transformant de facto le pays signataire en allié de
Moscou. La mise en place d’un réseau de points d’appui militaro-économiques
s’accompagne le plus souvent d’une campagne médiatique efficace mettant en
valeur la contribution russe au développement et à la défense du pays, son passé
sans histoire coloniale, sa prétendue participation à la lutte anti-impérialiste
pourtant démentie par la guerre en Ukraine et, surtout, son refus de donner des
leçons de démocratie et d’y conditionner toute aide.

(1) Nouveau nom pris par le Swaziland en avril 2018.


(2) L’opportunité d’utiliser le terme de « mercenaires » pour désigner les membres de la milice Wagner est
discutée tant celle-ci est, en fait, liée au pouvoir russe.
— 30 —

L’Afrique étant de mieux en mieux connectée, les réseaux sociaux sont


utilisés intensivement pour diffuser des fausses nouvelles, informations fabriquées
ou des rumeurs malveillantes à l’égard des anciennes puissances coloniales, avec
des résultats indéniables, notamment dans la sphère francophone du continent.

ii. La stratégie russe de déstabilisation de la France

La Russie entretient des relations particulièrement belliqueuses avec la


France en Afrique notamment depuis le contentieux apparu entre les deux pays
autour de la crise libyenne et de la mort du dirigeant Mouammar Kadhafi. Le
président Dmitri Medvedev avait, en effet, été convaincu de s’abstenir au Conseil
de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU) sur un projet de résolution,
présenté par la France, prévoyant une zone d’interdiction aérienne en Libye. Contre
le souhait de son premier ministre Vladimir Poutine, qui y était opposé, il a accepté
de ne pas bloquer la résolution 1973. Or, l’interdiction aérienne devenue une
interdiction d’intervention directe au sol a conduit à la défaite et à la mort du leader
libyen, mettant fin aux contrats signés quelques années plus tôt par
Vladimir Poutine à Tripoli, ainsi qu’à l’alliance entre la Russie et la Libye. En
— 31 —

représailles, Moscou n’a pas hésité à se poser en concurrent de la France, jugée


hostile sur de nombreux dossiers (Syrie, Libye, Ukraine, Biélorussie), dans
l’ensemble du continent africain. Ce n’est donc pas un hasard si le nouveau pouvoir
malien du colonel Assimi Goïta a réclamé le retrait de la force française Barkhane,
redéployée dans la région, et fait appel à la société privée russe Wagner, qui occupe
sous les vivats les camps évacués par la France tout en mettant la main sur les
gisements d’or maliens.

La nouvelle stratégie russe à l’égard de l’Afrique repose sur trois sphères


impliquant des acteurs officiels, des acteurs non officiels mais étroitement liés au
pouvoir russe, et enfin des acteurs non officiels jouant le jeu des efforts d’influence
russe par conviction ou par opportunisme (1).

Des acteurs officiels

S’agissant des acteurs officiels, la diplomatie publique médiatique russe


tente de s’implanter en Afrique subsaharienne via la chaîne RT (ex-Russia Today)
et l’agence Sputnik. Suite à l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, les deux
réseaux russes ont été suspendus au sein de l’UE ; l’Afrique subsaharienne et son
immense audience potentielle constituent désormais une cible de choix pour ces
médias. Cette nouvelle stratégie s’est traduite par l’ouverture d’un bureau de
correspondance de RT à Nairobi, en février 2022, ainsi que par la création d’un hub
anglophone de RT en Afrique du Sud ; sa maison-mère TV-Novosti a acheté, fin
janvier 2022, plusieurs noms de domaine explicites, comme afrique-rt.com et
africa-rt.com. Sputnik France a, de son côté, fait peau neuve sous un nouveau nom,
Sputnik Afrique, faisant le choix d’internationaliser son identité éditoriale, en
mettant l’accent sur les actualités de l’ensemble du continent africain. Leur ligne
éditoriale consiste à adopter une posture « alternative » dans l’espace médiatique
international, en s’opposant aux « médias dominants » (mainstream media), à la
norme démocratique libérale et à l’interventionnisme occidental.

Des « entrepreneurs d’influence »

Au-delà des acteurs médiatiques officiels, une part importante de


l’influence informationnelle russe sur le continent africain repose sur des
« entrepreneurs d’influence », qui peuvent porter à moindres frais la parole
nationale à travers les médias, notamment à la radio et sur les réseaux sociaux, ou
directement sur le terrain. C’est parmi ces entrepreneurs d’influence que se retrouve
la milice Wagner, partie intégrante de la « galaxie Prigojine », du nom de
l’entrepreneur Evgueni Prigojine. Ce dernier était à la tête non seulement de la
société militaire privée Wagner mais aussi de sociétés engagées dans des contrats
publics avec le gouvernement russe – en particulier le ministère de la défense –, de
compagnies d’exploitation de matières premières en Afrique et en Syrie et d’un
puissant appareil d’influence à la fois visible et clandestin. Les miliciens de la

(1) « Le dispositif d’influence informationnelle de la Russie en Afrique subsaharienne francophone : un


écosystème flexible et composite », Maxime Audinet et Kevin Limonier, Questions de communication, 41,
2022, 129-148.
— 32 —

société Wagner occupaient une place de choix dans la stratégie russe à l’égard de
l’Afrique. Sous couvert de lutte contre le terrorisme et d’offrir une protection privée
aux dirigeants africains, ils se sont implantés dans différents pays d’Afrique, à
commencer par le Mali (1).

La présence de Wagner en Afrique


La société militaire privée (SMP) Wagner s’est implantée en Afrique à partir de 2018 et
a étendu son influence à de nombreux pays du continent. Aujourd’hui, la présence du
groupe paramilitaire est avérée en République Centrafricaine (RCA), au Mali, au Soudan,
en Libye, au Mozambique, au Congo, en Érythrée, en Côte d’Ivoire et à Madagascar ;
elle est présumée dans les pays du Burkina Faso, de la Guinée Bissau, de la Guinée et du
Zimbabwe. Avant sa mort, Prigojine avait également pour projet de s’implanter au Tchad
via le Nord de la RCA.
Dans chacun de ces États, le groupe Wagner suit un mode opératoire similaire. Les
miliciens sont officiellement déployés dans le cadre d’une mission d’instruction militaire
leur permettant d’intervenir dans le pays d’accueil conjointement avec les forces armées
des régimes en place, puis de manière indépendante. Proches des cercles de pouvoir, ils
ont souvent la charge de la protection rapprochée des dirigeants en place. En contrepartie
de ses interventions, le groupe Wagner s’approprie les ressources minières (or et diamant)
et énergétiques (pétrole) des pays et se livre impunément à de nombreuses exactions et
massacres à l’encontre des populations locales. Enfin, les États désormais sous influence
de la SMP servent de relais à la propagande pro-russe sur le reste du continent. Celle-ci
est d’une efficacité redoutable : dès les années 2013-2015, des politologues travaillant
pour la fondation pour la protection des valeurs nationales réalisent des enquêtes
sociologiques en RCA, au Mali, en Libye et à Madagascar. Ils perçoivent la montée d’un
« sentiment anti-français » sur lequel les Russes sauront capitaliser avec succès. Telle est
aussi ce qu’il faut retenir de l’empire Prigojine : il ne se réduit pas à une milice privée
mais intègre un réseau médiatique puissant au service de la diplomatie russe. Il se
compose d’ailleurs principalement de civils, depuis des secrétaires jusqu’à des
politologues, en passant par des géologues et de nombreuses autres professions où les
femmes sont bien représentées.
L’implantation la plus importante du groupe Wagner se trouve en RCA. La société s’y
est installée à partir de 2018 dans le cadre d’un accord bilatéral signé entre Bangui et
Moscou, prévoyant le soutien militaire russe en échange de concessions minières
avantageuses. Installés à Bobangui, un camp militaire à 50 kilomètres de la capitale, les
2 000 miliciens de Wagner sont d’abord chargés de l’instruction de l’armée
centrafricaine. Rapidement, ils assurent la protection rapprochée du président,
Faustin-Archange Touadéra. En décembre 2020, à la demande de ce dernier, les miliciens
de Wagner se déploient pour contrer l’avancée de la coalition des patriotes pour le
changement (CPC), dirigé par l’ancien président Bozizé, qui a tenté de le renverser. Cet
évènement marque un tournant dans la présence de Wagner dans le pays : la milice agit
désormais indépendamment des forces armées centrafricaines (FACA), dans le but de
renforcer l’assise du pouvoir en place à échange de la cession de concessions minières
d’or et de diamants, octroyées à deux sociétés du groupe Prigojine, Midas Ressources et
Diamville. En 2019, Evgueni Prigojine a obtenu le permis d’exploitation de la mine d’or
de Ndassima via Midas Ressources, une société appartenant au groupe Incomad dont les

(1) « How the Wagner Group Is Aggravating the Jihadi Threat in the Sahel », Wassim Nasr, Combating
Terrorism Center at West Point, novembre-décembre 2022, volume 15, issue 11.
— 33 —

liens avec Prigojine sont avérés : la production d’or de Ndassima est estimée à quatre
tonnes d’or par an, soit l’équivalent de 290 millions de dollars.
Au Mali, l’arrivée des troupes de Wagner a été plus tardive, même si les liens entre le
pays et la Russie sont anciens et encadrés par de nombreux accords de coopération. Elle
est motivée par l’intérêt du Mali pour l’offre sécuritaire russe dans sa lutte contre le
terrorisme djihadiste : le pays obtient la livraison de matériels militaires russes, ainsi que
la formation de ses troupes dès septembre 2021 et une coopération militaro-technique. Le
gouvernement malien a toujours nié la présence des miliciens pourtant estimée à
1 000 personnes dès décembre 2021 et à 1 500 en 2023. Leur mission s’articule
principalement autour de la protection de la junte militaire et d’interventions communes
avec les forces armées maliennes (FAMa) au centre du pays, dans les zones d’insurrection
djihadiste. Si les les FAMa et les miliciens Wagner ont connu des revers militaires, leurs
interventions ont aussi exacerbé localement les tensions communautaires et se sont
accompagnées d’importantes exactions à l’encontre de populations civiles, notamment à
Mourra, en mars 2022, où 300 personnes auraient été tuées par Wagner et les FAMa. À
la différence de la République centrafricaine, la réglementation entourant l’exploitation
des concessions minières maliennes sont plus difficiles à contourner et le groupe Wagner
n’a pas encore réussi à s’emparer des mines artisanales au nord du Mali qui demeurent
contrôlées par des groupes armés, tels que la coordination des mouvements de l’Azawad,
qui ont condamné le recours à la milice.
En Libye, les forces de Wagner sont arrivées en mai 2018, en complément du soutien
officiel – diplomatique et financier – apporté par la Russie au général Haftar dès 2016,
dans le cadre d’une alliance avec les Émirats arabes unis, l’Égypte et l’Arabie saoudite.
Selon l’ONU, la société Wagner aurait déployé 1 500 miliciens aux côtés des forces du
général Haftar et aurait largement contribué à l’offensive de Tripoli à l’automne 2019. Si
cette offensive se solde par un échec, les mercenaires de Wagner sont incriminés par
l’ONU et les États-Unis, pour la pause de mines terrestres antipersonnel aux abords de
Tripoli. En janvier 2020, Vladimir Poutine reconnaît la présence de mercenaires russes
en Libye mais précise qu’ils ne servent pas les intérêts russes. En parallèle de leurs
interventions auprès du général Haftar, les mercenaires de Wagner ont pris pour cibles
les ressources pétrolifères libyennes : dès juillet 2020, la National Oil Corporation
libyenne a annoncé que les mercenaires se sont emparés de plusieurs sites pétroliers ainsi
que de leurs infrastructures de transport (gazoducs).
Malgré la guerre en Ukraine, la présence de Wagner en Libye est restée importante, car
le pays est un lieu stratégique pour l’entrée des forces de Wagner en RCA et au Mali et
la confiscation de sites pétroliers stratégiques libyens offre à la Russie un avantage
énergétique considérable sur l’Europe.
Au Soudan, le groupe Wagner est resté relativement éloigné des conflits locaux, sans
s’associer à une faction combattante particulière. En revanche, dès 2017, la SMP a obtenu
des contrats de concession sur l’exploitation de mines d’or via la société M Invest et sa
filiale Meroe Gold, le Soudan possédant l’une des plus grandes réserves d’or du
continent. Déjà sous le régime du dictateur Omar el-Béchir, en 2017, les Russes avaient
conclu un accord prévoyant l’installation d’une base navale russe en mer Rouge, à
Port-Soudan. Le nombre de mercenaires russes dans le pays est estimé à 500.
Officiellement instructeurs de l’armée soudanaise, ils seraient stationnés au Sud-Ouest
du pays, à proximité de la frontière du Soudan et de la RCA.
Source principale : « La pénétration du groupe Wagner en Afrique », Michel Klen, revue de défense
nationale, 2023/5 (N°860), p. 53-58.
— 34 —

Source : TV5 Monde.

Des acteurs non officiels

Enfin, un troisième cercle se compose d’acteurs sans aucun lien direct ou


indirect avec Moscou : il s’agit essentiellement d’entrepreneurs du numérique prêts
à diffuser la parole russe contre une rémunération financière. C’est le cas d’un large
éventail de sites africains, qui semblent avoir fait de la réplication des contenus
russes en français un véritable modèle économique.

Ainsi, la Russie ne se contente pas de tirer bénéfice des difficultés françaises


en Afrique ; elle les instrumentalise et les amplifie pour renforcer son influence par
des campagnes de communication ciblées et extrêmement agressives, notamment
sur les réseaux sociaux, et par le soutien à des manifestations contre la France. Ces
phénomènes sont observables au Mali, au Niger et au Burkina Faso mais aussi, sous
forme de prémices, en Afrique de l’Ouest côtière, en particulier au Sénégal et en
Côte d’Ivoire. Ces campagnes et ces actions anti-françaises sont recensées par le
projet indépendant All eyes on Wagner initié par OpenFacto, association française
spécialisée sur les enquêtes en sources ouvertes.

Une campagne anti-française réussie : l’exemple du Mali

Dans son rapport (1) consacré à la présence russe au Mali, l’association All
eyes on Wagner démontre que le soft power russe a joué un rôle majeur pour
influencer l’opinion malienne en faveur d’une présence russe renforcée dans le
pays, et ce bien avant que des mercenaires de Wagner y soient visibles. Ainsi, dès
2016-2017, une organisation de la société civile malienne, le Groupement des

(1) « Un an de Wagner au Mali », All eyes on Wagner, novembre 2022.


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Patriotes, demande l’intervention de la Russie dans la lutte contre le terrorisme au


Mali. En janvier 2021, Yerewolo Debout sur Les Remparts, une ONG panafricaine,
dont le dirigeant est proche du gouvernement russe, appelle plusieurs fois au départ
des troupes françaises et de l’opération Barkhane ; dans le même temps, une autre
organisation, la fondation pour la protection des valeurs nationales, décrite comme
proche de Wagner, mène et publie des enquêtes au Mali mettant en évidence des
opinions favorables à l’intervention russe et une perception très négative de
l’opération Barkhane auprès des populations.

CAMPAGNES DE DÉSINFORMATION DÉTECTÉES ET DOCUMENTÉES PUBLIQUEMENT

Les réseaux sociaux facilitent la circulation, sans aucun recul critique, de


fausses informations et théories complotistes qui infusent tout particulièrement la
jeunesse africaine, très connectée. Ce constat est d’autant plus inquiétant que ce
discours anti-français trouve un écho, y compris hors d’Afrique. Le ministre des
Armées Sébastien Lecornu a ainsi dénoncé, le 12 février 2023, la représentation de
mercenaires opérant en Afrique sous un uniforme très proche de celui des soldats
de l’opération Barkhane au Mali, dans le deuxième volet de la superproduction
cinématographique de Marvel, Black Panther.

Sans aucune commune mesure avec ces stratégies, le manque de solidarité


de certains acteurs européens peut être regretté. Ainsi, le 20 janvier 2019,
Giorgia Meloni, alors députée et présidente du parti Fratelli d’Italia, n’a pas hésité,
— 36 —

lors de l’émission « Non è l’arena », l’un des principaux talk-shows italiens diffusé
sur la chaîne LA7, à accuser la France de se servir du franc CFA pour exploiter
indûment les ressources des quatorze pays d’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique
centrale qui l’utilisent (1), donnant du crédit et de l’audience au discours
anti-français.

B. DE LA FRANÇAFRIQUE À LA PRÉSIDENCE D’EMMANUEL MACRON :


UNE VOLONTÉ CONSTAMMENT EXPRIMÉE DE RÉFORMER LA
POLITIQUE AFRICAINE DE LA FRANCE

1. La rupture de 1990 : l’émergence d’une politique de la conditionnalité


plus théorique que réelle

Des années 1960 à 1990, la France disposait d’une offre stratégique claire à
l’égard des pays africains : elle assurait la sécurité des « régimes amis » de l’Afrique
de l’Ouest et attendait de leur part une totale loyauté géopolitique sur la scène
internationale. En cas de tentative de coup d’État, la France n’hésitait pas à
intervenir pour rétablir de la stabilité, comme au Gabon en 1964.

Or, en 1990, dans un contexte marqué par la chute du mur de Berlin et la fin
des blocs, le président François Mitterrand entend rompre avec la doctrine jusque-là
établie entre la France et les pays d’Afrique francophone (2). Dans son discours de
La Baule en 1990, le président de la République indique que « la France liera tout
son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de
liberté » et précise : « Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin,
lorsque je dis que c’est la seule façon de parvenir à un état d’équilibre au moment
où apparaît la nécessité d’une plus grande liberté, j’ai naturellement un schéma
tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse,
indépendance de la magistrature, refus de la censure : voilà le schéma dont nous
disposons ». Ce discours est alors mal reçu des dirigeants africains, qui y voient une
régression de la garantie de sécurité offerte par la France aux seuls États et non plus
aux régimes et une forme d’ingérence dans leurs affaires intérieures : la France
réduit le spectre de sa garantie, durcit ses conditions de soutien et ne veut plus
considérer l’Afrique francophone comme son pré carré.

En 1998, le ministère de la coopération est intégré au sein du ministère des


Affaires étrangères : cette incorporation et la fermeture du « guichet de l’Afrique à
Paris », héritée du passé colonial, était censée sceller le sort de la France-Afrique.
Pourtant, vingt ans plus tard, les maux sont les mêmes : absence de stratégie
africaine, pilotage politique défaillant, perte de la présence française sur le terrain,
manque d’expertise et donc d’informations fiables, décisions prises depuis Paris
parfois contradictoires, souvent illisibles.

(1) « Les exagérations et manipulations de Giorgia Meloni, qui accuse la France d’exploiter certains pays
d’Afrique avec le franc CFA », Gary Dagorn, Le Monde, 24 novembre 2022.
(2) « Le discours de La Baule : anatomie d’un mythe », Francis Laloupo, Revue internationale et stratégique,
vol. 126, no. 2, 2022, pp. 61-69.
— 37 —

Cette normalisation est toutefois théorique. Dans les faits, cette politique de
conditionnalité se heurte aux intérêts géopolitiques de la France et la recherche de
stabilité sur un continent en proie aux crises. Les contradictions se multiplient et
suscitent colère et frustrations : si la France accompagne les transitions
démocratiques au Bénin et au Mali, elle peine à se positionner face au Togo, au
Gabon, au Congo, au Cameroun et au Tchad, où elle soutient inconditionnellement
les régimes en place (1).

Cette dichotomie entre la théorie et la pratique associée à une série de


décisions politiques nourrit ainsi la défiance des Africains à l’égard de la France.

2. Des choix politiques lourds de conséquence pour la relation bilatérale

L’héritage d’une histoire douloureuse autant que des choix politiques


français parfois anciens et structurants pour la relation franco-africaine ont
contribué à tisser des liens complexes, occasionnellement conflictuels, et de plus en
plus distanciés entre l’Afrique et la France.

On pense d’abord au passé colonial de la France. Un travail mémoriel partiel


est en cours et a abouti à une réconciliation entre la France et le Rwanda. Il est
cependant délicat à mener, comme l’ont prouvé les controverses autour de la
constitution d’une commission mixte d’historiens (2) chargée de faire la lumière sur
l’histoire entre la France et le Cameroun. Par ailleurs, l’histoire coloniale française
est parfois volontairement exploitée par des activistes politiques et des
gouvernements peu scrupuleux, qui poursuivent un agenda politique domestique et
fuient leurs responsabilités en faisant du facteur colonial l’unique explication de
tous les maux africains. Il ne faut toutefois pas sous-estimer le poids de ce passé ni
l’influence que peut avoir sur la relation franco-africaine le renouveau d’une telle
histoire.

S’y ajoutent des décennies d’interférences françaises dans les affaires


africaines, notamment par le soutien de Paris à des pouvoirs autoritaires et à la
légitimité contestée déjà mentionnés, à l’instar des régimes d’Omar Bongo
(1967-2009) puis du fils Ali Bongo (2009-2023) au Gabon,
d’Idriss Déby (1990-2021) au Tchad ou du général Gnassingbé Eyadéma
(1967-2005) au Togo, trois pays ayant connu une succession dynastique du pouvoir.
La France multiplie les initiatives qui peuvent être interprétées, aujourd’hui encore,
comme une tentative de prolonger son emprise sur l’Afrique, en faisant la promotion

(1) « Après Barkhane : repenser la posture stratégique française en Afrique de l’Ouest », Laurent Bansept et
Elie Tenenbaum, institut français des relations internationales, mai 2022.
(2) L’historien camerounais Jacob Tatsitsa voit, par exemple, dans cette initiative une tentative du président
Emmanuel Macron de préserver les intérêts de la France en prenant les devants sur l’ouverture des archives
relative à la guerre du Cameroun. « Cameroun : « La création d’une commission d’historiens est un
stratagème pour contourner la reconnaissance des massacres coloniaux », Le Monde Afrique,
Séverine Kodjo-Grandvaux, le 3 août 2022. La désignation du chanteur camerounais Blick Bassy pour
présider le volet artistique de la commission a, par ailleurs, été contestée par certains historiens
camerounais : « Cameroun: la ‘‘commission mémoire’’sur le rôle de la France relance le débat sur
l’enseignement de l’histoire », RFI, 28 février 2023.
— 38 —

de la démocratie tout en défendant ouvertement des régimes équivoques ou encore


en cherchant à exporter ses standards, son modèle de société et ses valeurs.
Récemment, l’ambassadeur français en charge de la défense des droits des
lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) n’a fait que renforcer ce
sentiment. Sa visite prévue au Cameroun du 27 juin au 1er juillet 2023 pour discuter
de la situation des personnes LGBT dans ce pays où l’homosexualité est
criminalisée a dû être annulée après que l’ambassadeur a été déclaré persona non
grata, le gouvernement camerounais y voyant une initiative peu respectueuse des
lois et des valeurs locales et lui refusant finalement la délivrance d’un visa. Malgré
plusieurs réformes, le rejet du franc CFA s’inscrit dans la même logique.

La cristallisation des pensions des anciens combattants de l’Union


française, les restrictions de l’accès aux visas, rendus obligatoires dès 1986 – et sans
réciprocité pour commencer – sur décision de Jacques Chirac, ainsi que les choix
de politiques migratoires français autant qu’européens sont vécues comme
vexatoires et injustes par des populations africaines majoritairement jeunes, pour
certaines francophones, aspirant à une éducation de qualité et à des liens renouvelés
entre la France et l’Afrique de l’Ouest.

La hausse des frais d’inscription universitaires, dits frais différenciés, pour


les étudiants non-européens, en 2019, a été vécue comme une forme d’injustice par
les populations africaines : le rapporteur Bruno Fuchs, co-rapporteur du dernier
rapport d’information valant avis sur le contrat d’objectifs et de performance de
Campus France (1), saisit cette nouvelle occasion qui lui est offerte de dénoncer cette
situation. Le recul de la France comme lieu de formation des élites a également
conduit à une perte d’influence et de rayonnement de notre pays dans les États
africains, en particulier francophones : rappelons qu’il fut un temps où les présidents
civils africains étaient d’autant plus francophiles qu’ils avaient été ministres dans
des gouvernements français, tels l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny et le
Sénégalais Léopold Sédar Senghor, tandis que les militaires avaient combattu avec
l’armée française en Indochine et en Algérie, à l’instar du Centrafricain
Jean-Bedel Bokassa (2). La baisse sensible de la coopération technique et militaire
française en Afrique francophone a renforcé cette tendance en réduisant les
opportunités d’échange, de dialogue et de compréhension mutuelle. Enfin, la
politique actuelle de délivrance des visas menée par la France complique
l’établissement de liens avec l’Afrique et crée un mouvement d’hostilité voire de
rejet à l’égard de notre pays.

3. De la politique à la stratégie africaine : une nouvelle grammaire sous la


présidence d’Emmanuel Macron pour « inventer ensemble une amitié »

Les présidents de la République française n’en finissent pas de tourner la


page de la « Françafrique » : c’est François Mitterrand qui déclare que « [l]a

(1) Rapport d’information n° 1527 valant avis sur le projet de contrat d’objectifs et de performance de Campus
France de Bruno Fuchs et Sabrina Sebaihi, 12 juillet 2023.
(2) « Macron, la difficile ambition du chef de guerre politique en Afrique », tribune déjà mentionnée.
— 39 —

France n’entend pas intervenir dans les affaires intérieures des États africains
amis », lors du sommet de La Baule, le 20 juin 1990. « Le temps de ce qu’on
appelait autrefois la « Françafrique » est révolu », assure plus de vingt ans plus
tard, le 12 octobre 2012, le président François Hollande, à Dakar. En ce sens, il n’est
guère surprenant de voir ce message repris par Emmanuel Macron dès son arrivée
au pouvoir en 2017. Dans un style différent, le président de la République
nouvellement élu n’hésite pas à affirmer, dans son discours dit de Ouagadougou,
prononcé le 28 novembre 2017 à l’Université Ouaga 1, qu’ « il n’y a plus de
politique africaine ».

Dans une analyse du 3 juin 2021, le diplomate Michel Duclos (1) identifie
deux axes structurants de la nouvelle « stratégie » – le terme étant désormais préféré
à celui de politique – de la France à l’égard de l’Afrique : d’une part, un
repositionnement vers une Afrique globalisée, regardée au-delà du seul prisme du
« pré carré » francophone et reconnue pour être au cœur de tous les défis mondiaux ;
d’autre part, le maintien, là aussi d’emblée, de l’engagement militaire français au
Sahel et, plus généralement, le choix d’assumer une certaine continuité vis-à-vis de
l’Afrique francophone.

Le discours de Ouagadougou permet au président de développer sa pensée


et d’expérimenter une méthode nouvelle. Il se distingue d’abord par une série de
symboles qui doivent en souligner la singularité, en rupture avec les rendez-vous
franco-africains passés. Prononcé devant des jeunes burkinabé, il se donne une
ambition : symboliser non pas « une nouvelle étape » de la relation entre la France
et l’Afrique mais bien plutôt une invitation à « inventer ensemble une amitié », qui
s’articule autour de plusieurs idées structurantes :

– la volonté de réconcilier les mémoires ;

– la restitution d’œuvres d’art ;

– la montée en puissance de l’aide publique au développement, avec


l’engagement que celle-ci atteigne, dès la fin de son premier quinquennat, les
0,55 % du revenu national brut et qu’elle se montre « plus proche du terrain » ;

– la poursuite de la lutte contre le terrorisme, en particulier dans la zone


sahélienne avec un soutien affirmé à l’opération Barkhane et une meilleure
implication des États africains dans la gestion de leurs conflits, grâce à la montée
en puissance des forces du G5 Sahel ;

– la priorité donnée à l’éducation, pour lutter contre l’obscurantisme


religieux et toutes les formes d’extrémisme ;

– la promotion de la circulation des talents entre la France et le continent


africain ;

(1) « Les deux politiques africaines du Président Macron - éléments d’un premier bilan », Michel Duclos, institut
Montaigne, analyses du 3 juin 2021.
— 40 —

– une meilleure ouverture à la société civile, et notamment à la jeunesse,


aux oppositions politiques et à toutes les forces vives des nations africaines.

Quelques éléments apparaissent donc. En termes de méthode d’abord, il


semble clair que le président de la République explique vouloir favoriser une
nouvelle relation, plus horizontale, avec les pays africains : il ne s’agit plus
d’imposer d’en haut des politiques conçues à Paris mais de se mettre davantage au
diapason des besoins des populations africaines, dans une logique de
co-construction. Sur les sujets investis ensuite, la France s’implique davantage dans
des secteurs tels que le sport, la culture ou encore l’entrepreneuriat : ils présentent
l’avantage d’être moins chargés émotionnellement que les domaines politique et
militaire et de s’adresser directement aux populations. Elle privilégie, enfin, la
construction d’un lien direct avec la société civile, au premier rang de laquelle la
jeunesse, plutôt qu’avec les dirigeants africains eux-mêmes.

Il est, en revanche, plus difficile d’identifier le degré d’importance et de


priorité octroyé à cette politique, ou plutôt, pour reprendre les mots du président, de
cette non-politique, dans le spectre global de la diplomatie française.

Quoi qu’il en soit, le président est conscient que cette entreprise de


refondation est longue et difficile. Dans un entretien accordé à Antoine Glaser et
Pascal Airault le 25 septembre 2020, il n’hésite pas à déclarer que la transition qu’il
amorce vers de nouvelles relations prendra au mieux dix ans, dans une version
optimiste. Il souligne que ce travail peut se montrer « ingrat » et déclare : « vous
avez le sentiment à un certain moment de perdre ce qui était facile et ne de pas être
reconnu sur les risques que vous avez pris. Mais c’est le propre de ces
transitions » (1). Il assume néanmoins l’ensemble de ses choix et des difficultés
rencontrées, se disant persuadé « que le système dans lequel nous vivions était
mort » (2), même si cela n’était pas encore totalement perceptible.

Pour le rapporteur Bruno Fuchs, si la stratégie présidentielle est claire et


pertinente, sa mise en œuvre politique et opérationnelle n’a pas été à la hauteur des
espoirs suscités. La France peine ainsi de plus en plus à trouver sa place dans une
partie de l’Afrique.

La rapporteure Michèle Tabarot considère, quant à elle, que les difficultés


rencontrées par la France tiennent, en grande partie, à l’affirmation selon laquelle
notre pays ne dispose plus de politique africaine, ce qui a contribué à renforcer les
incompréhensions et les ambiguïtés, d’autant plus que cette déclaration s’est
accompagnée d’évolutions sur les plans diplomatiques et militaires donnant le
sentiment d’un désengagement du continent.

(1) Le piège africain de Macron. Du continent à l’Hexagone, Antoine Glaser et Pascal Airault, Pluriel, 2023,
p. 228.
(2) Ibid.
— 41 —

C. LA FRANCE BALLOTTÉE DANS UNE AFRIQUE EN MOUVEMENT

1. La France : un pays contesté dans une partie de l’Afrique

a. L’image de la France s’est dégradée auprès des élites africaines

Contrairement aux idées préconçues, la France souffre d’une perte


d’attractivité sur le continent africain auprès des élites africaines : une enquête de
2021 menée pour le Conseil des investisseurs français en Afrique (CIAN) (1) auprès
de leaders d’opinion africains montre que, dans le prolongement des tendances des
années précédentes, la crise de la Covid-19 et le dynamisme des pays émergents –
au premier rang desquels la Turquie ou encore les Émirats arabes unis – est venue
infléchir les rapports de force et d’influence en Afrique.

Les États anglo-saxons et l’Allemagne sont de loin les pays jouissant de la


meilleure image sur le continent. Quant à l’influence de la Chine, elle connaît un
net recul : son image a perdu quinze points en trois ans.

Celle de la France s’est banalisée. Elle n’occupe plus que la septième place,
distancée par tous ses compétiteurs traditionnels et désormais au coude-à-coude
avec la Turquie.

(1) Baromètre CIAN des leaders d’opinion en Afrique réalisé par IMMAR Research & Consultancy, troisième
édition 2020-2021 : https://www.cian-afrique.org/media/2021/03/barometre_Africaleads2021_defweb.pdf
— 42 —

EXTRAIT DU BAROMÈTRE CIAN DES LEADERS D’OPINION EN AFRIQUE.


— 43 —

EXTRAIT DU BAROMÈTRE CIAN DES LEADERS D’OPINION EN AFRIQUE

b. Le désamour entre la France et une partie des sociétés africaines

Le contexte est encore plus inquiétant auprès d’une partie des sociétés
africaines qui rejette, parfois violemment, la présence française en Afrique et nourrit
de ses critiques le développement d’un véritable discours anti-français. Ce
phénomène reste, pour le moment, circonscrit à une petite partie du continent,
principalement francophone, et à travers elle, à une partie minoritaire des sociétés
africaines souvent jeune et citadine. Toutefois, l’expansion de ce mouvement et ses
— 44 —

risques de viralisation tout comme son retentissement médiatique méritent une


attention particulière.

i. Un phénomène ancien…

Cette situation n’est certes pas nouvelle. Dans un article consacré au


sentiment anti-français en Afrique, le géographe et chercheur Christian Bouquet (1)
rappelle que l’un des premiers foyers de confrontation idéologique entre un pays
africain et la France fut la Haute-Volta, aujourd’hui le Burkina Faso, en 1983. Les
concepts d’anticolonialisme et d’anti-impérialisme y furent popularisés par
Thomas Sankara, qui s’en était lui-même imprégné lors de son séjour d’études à
l’académie militaire d’Antsirabe, à Madagascar, en 1972. Vingt ans plus tard, c’est
en Côte d’Ivoire, alors dirigée par Laurent Gbagbo (2000-2011), que surviennent
des manifestations anti-françaises très violentes, créant ce qui fut qualifié à l’époque
de « climat anti-français ». Celui-ci prospéra après le refus de la France de soutenir
le pouvoir en place à Abidjan face à la rébellion survenue en septembre 2002. Une
vague de violences visant les expatriés français, surtout victimes de pillages et de
harcèlements, éclata, certains médias n’hésitant pas à publier les noms, adresses et
immatriculations d’un grand nombre d’entre eux : elle trouva son paroxysme avec
l’assassinat du journaliste correspondant de RFI Jean Hélène, en octobre 2003.

Dans ces deux pays, le discours anti-français était principalement porté par
les médias traditionnels auxquels s’ajoutent, en Côte d’Ivoire, les « patriotes » de la
fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), lesquels tenaient des
réunions enflammées contre les Français à la « Sorbonne », quartier du Plateau
d’Abidjan. Le pouvoir prit également soin de neutraliser les signaux des radios
étrangères émettant en FM, qui donnaient régulièrement la parole aux oppositions
politiques ; ceux de RFI, France 24, TV5 Monde et de la BBC furent régulièrement
coupés entre 2000 et 2011, ce qui n’est pas sans rappeler leur situation actuelle au
Mali, au Burkina Faso et au Niger.

ii. …qui s’exprime avec une vigueur renouvelée mais doit être nuancé

Ce phénomène trouve aujourd’hui une nouvelle ampleur, en particulier


auprès de la jeunesse africaine très connectée aux réseaux sociaux. Si le discours
anti-français est particulièrement vif dans certains pays d’Afrique de l’Ouest (on
pense bien sûr au Mali et au Burkina Faso mais le phénomène apparaît dans d’autres
pays, comme la Côte d’Ivoire), il est également présent, sous une forme rampante,
dans le reste de l’Afrique, bien souvent au nom du combat anti-impérialiste et d’une
forme moderne de panafricanisme. Ainsi, à l’occasion de la « Journée mondiale de
l’Afrique », qui commémore la fondation de l’Organisation de l’unité africaine
(OUA), devenue l’UA, plusieurs centaines de militants de la gauche radicale
sud-africaine se sont rassemblés, le 25 mai 2022, devant l’ambassade de France à
Pretoria, pour condamner l’ingérence française sur le continent africain ; il
s’agissait là de la première manifestation du genre dans ce pays.

(1) « Le sentiment anti-français en Afrique », Christian Bouquet, diplomatie n° 116, juillet-août 2022.
— 45 —

La multiplication des attaques dont la France fait l’objet a donné lieu au


recours de plus en plus prégnant dans le discours médiatique, politique et militant
de l’expression de « sentiment anti-français », lequel se développerait dans toute
l’Afrique. Or, cette expression appelle plusieurs remarques.

D’abord, son emploi n’est pas neutre : il signifie que le discours


anti-français aurait quitté la rationalité politique pour se transformer en une réaction
émotionnelle et épidermique contre notre pays. Ou pour reprendre la fameuse
formule de Léopold Sédar Senghor : « L’émotion est nègre comme la raison est
hellène […] » (1). Or, là est précisément toute l’ambiguïté du phénomène actuel : il
se fonde autant sur une forme de ressentiment à l’égard de la France et de ses
politiques passées, c’est-à-dire sur des faits tangibles et retravaillés par la mémoire,
que sur un désamour plus contemporain et diffus.

Ensuite, cette expression est souvent utilisée pour donner l’impression que
l’ensemble des sociétés africaines se retrouverait dans le rejet unanime et sans
nuance de la France et de son modèle. Sans doute convient-il de se garder des
raccourcis et de se méfier des « effets de loupe » que peuvent donner, parfois à
dessein, les médias et les réseaux sociaux quant à l’ampleur du phénomène
anti-français (2). Loin d’être homogène, il varie selon les pays considérés et n’existe
pas – ou pratiquement pas – dans nombre de pays africains, que l’on pense à
l’Éthiopie, au Ghana, à la Tanzanie, au Kenya, à l’Angola ou encore à l’Égypte. Il
est, par ailleurs, plus prononcé dans les villes que dans les campagnes et parmi les
jeunes générations, sans constituer la préoccupation de la grande majorité des
populations souvent plus intéressées par leurs conditions de vie immédiates.

En ce sens, la manifestation anti-française organisée contre l’ambassade de


France au Niger, le 30 juillet 2023, n’est pas véritablement surprenante : elle se tient
à Niamey, bastion de l’opposition au président Mohammed Bazoum, dont les
soutiens se trouvent plus volontiers dans les campagnes nigériennes. Il ne faut
cependant pas être dupe : alors même que les partis d’opposition avaient donné
l’ordre de manifester sans s’approcher de l’ambassade, une trentaine d’éléments très
violents parmi les milliers de manifestants présents ont clairement attaqué
l’ambassade de France contre rémunération. Il a certainement été donné trop de
crédit et de temps médiatique à ces images spectaculaires masquant la réalité plus
nuancée des sentiments profonds des Nigériens.

Pour la très grande majorité des personnes rencontrées par les rapporteurs,
le rejet est à la hauteur des espoirs déçus : « la France, on la veut mais on la veut
autrement » nous disent-ils. Tant que la France ne changera pas ses pratiques et ses
attitudes, il faudra s’attendre à des expressions et à des gestes d’indifférence chez
une partie des Africains allant jusqu’au rejet ou à la haine, à la manière du dépit que
peut susciter une déception amoureuse.

(1) Citation issue de « Ce que l’homme noir apporte » (1939) reprise, en 1964, dans Liberté I.
(2) « Le sentiment anti-français en Afrique de l’Ouest, reflet de la confrontation autoritaire contre "l’Occident
collectif"», Jonathan Guiffard, institut Montaigne, analyses du 4 janvier 2023.
— 46 —

Ce constat ayant été fait, il n’en demeure pas moins que la France se trouve
bien en situation de fragilité dans une partie de l’Afrique, et plus spécifiquement
dans les pays d’Afrique de l’Ouest.

c. Des sujets persistants qui nourrissent un certain ressentiment contre la


France

Cette défiance à l’égard de la France se nourrit d’incompréhensions ou des


raccourcis plus ou moins dommageables, et ce dans tous les domaines (1).

Alors la France est parfois accusée de néocolonialisme économique et


monétaire, notamment à travers le maintien du franc CFA, elle a pourtant proposé
de concert avec le président ivoirien Alassane Ouattara une réforme de cette
monnaie en 2019 (2). La balle est à présent dans le camp des pays d’Afrique qui
n’ont pas souhaité, à ce jour, utiliser les opportunités ouvertes par cette réforme. Le
recours au franc CFA n’est, en effet, pas dénué d’avantages : il confère une certaine
stabilité économique aux pays qui l’utilisent. Le taux d’inflation de la Côte d’Ivoire
est, par exemple, de 4,8 % contre plus de 10 % chez ses voisins du Ghana et du
Nigéria. De même, si de grands groupes français ont été ou sont toujours présents
en Afrique (Bolloré, TotalEnergies, Orange, Bouygues), ce sont désormais de
véritables multinationales dont les liens avec le gouvernement français ne sont plus
les mêmes qu’autrefois.

(1) « La France et l’Afrique : les clichés perdurent », Christian Bouquet, Outre-Terre, février 2017, n° 51,
pp. 308-317.
(2) Le franc dit « CFA » désigne en réalité trois monnaies distinctes régies par des accords de coopération
monétaire avec trois zones monétaires africaines : l’Union économique et monétaire Ouest-africaine
(UEMOA), la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) et l’Union des Comores.
— 47 —

Le franc CFA au cœur d’une coopération économique et monétaire contestée entre


l’Afrique et la France
Le franc CFA est la monnaie commune aux États de la « zone franc » créée à la fin des
années 1930, à la veille de la Seconde guerre mondiale. Celle-ci se compose elle-même
de trois zones disposant chacune d’une banque centrale et de leur propre monnaie arrimée
à l’euro et imprimée en France :
– la zone de l’Union monétaire Ouest africaine (UMOA) qui se compose de huit États :
le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal
et le Togo. Ces pays utilisent le franc CFA d’Afrique de l’Ouest (ou XOF) ;
– la zone de l’Union monétaire d’Afrique centrale (UMAC) qui se compose de six États :
le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et
le Tchad. Ces pays utilisent le franc CFA d’Afrique centrale (ou XAF) ;
– l’Union des Comores qui utilise le franc comorien (ou KMF).
Chaque pays est libre de rejoindre, de rester et de quitter temporairement (comme l’a fait
le Mali de 1962 à 1984) ou définitivement (à l’image de la Guinée, de la Mauritanie et
de Madagascar respectivement en 1960, 1973 et 1975) sa zone franc. La participation des
pays membres repose sur des accords bilatéraux et, depuis 1962, sur des accords de
coopération avec les Unions monétaires régionales.
La souveraineté monétaire et les décisions sont de la responsabilité des trois banques
centrales communes et indépendantes, où siègent les États membres de la zone franc :
– la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) au Sénégal ;
– la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) au Cameroun ;
– la Banque Centrale des Comores (BCC).
Les décisions de politique monétaire sont prises à l’échelle régionale. La France dispose
d’une représentation minoritaire au sein du comité de politique monétaire et du conseil
d’administration de la BEAC (un administrateur français sur sept). Le conseil
d’administration de la BCC se compose, quant à lui, de huit membres désignés pour
moitié par le gouvernement français. Enfin, suite à la réforme de la coopération monétaire
en zone UEMOA annoncée en 2019, la France n’est plus présente dans les instances de
gouvernance de la BCEAO. Cette réforme, dont la mise en œuvre et le calendrier
dépendent exclusivement de l’UEMOA, repose sur quatre piliers :
– le changement de nom de la devise. Les autorités de l’UEMOA ont indiqué leur souhait
de passer du « franc CFA » (XOF) à l’« ECO »;
– la suppression de l’obligation de centralisation des réserves de change sur le compte
d’opérations au Trésor français ;
– le retrait de la France des instances de gouvernance de la zone ;
– la mise en place concomitante de mécanismes ad hoc de dialogue et de suivi des risques.
Le régime de change demeure inchangé, avec le maintien de la parité fixe entre l’euro et
la devise de l’Union, ainsi que de la garantie de convertibilité assurée par la France.
La réforme du franc CFA devrait se poursuivre dans les années à venir. La CEDEAO a
ainsi lancé un projet de devise commune en deux phases :
– les pays qui disposent de leur propre devise (Cap-Vert, Gambie, Ghana, Guinée,
— 48 —

Liberia, Nigeria et Sierra Leone) lanceront une monnaie commune ;


– les huit membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) –
Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo –, qui
ont en commun le franc CFA, devraient adopter cette nouvelle monnaie, afin que tous
l’utilisent en 2027. D’ici là, les pays de la zone franc devront achever les réformes du
franc CFA engagées fin 2019, avec la signature d’un nouveau traité monétaire avec Paris.
Le franc CFA fait l’objet de critiques nourries depuis sa création (1). Celles-ci dénoncent
un outil néocolonial au service de politiques « françafricaines », la centralisation des
réserves au Trésor public français vue comme une preuve patente du manque de
souveraineté monétaire, la fabrication des billets en France, l’ancrage fixe à l’euro là où
un arrimage à un panier de monnaies correspondrait davantage aux réalités dynamiques
des échanges internationaux ou encore le caractère restrictif de la politique monétaire
associée.
Ces critiques ont gagné en audience et en visibilité sous l’influence de chocs exogènes
qui ont touché la monnaie : dévaluations du franc, crise de l’endettement, dévaluation du
franc CFA, passage à l’euro, etc. Selon les périodes, les critiques plus politiques
(néocolonialisme) ont pris le dessus (années 1960-1970) ; à d’autres moments, ce sont les
critiques économiques qui ont été les plus audibles (à partir des années 1980). La période
actuelle intègre et amalgame les différents arguments politiques, économiques,
géopolitiques et panafricanistes ; elle a également vu ces critiques nourrir un temps le
mouvement social (Sénégal, Mali, notamment), avant de devenir l’un des principaux
sujets de contestation dirigée contre la France en Afrique de l’Ouest.
Sources diverses

LA ZONE FRANC

Source : direction générale du Trésor

(1) La partie consacrée aux critiques adressées au franc CFA est empruntée à l’audition de
M. Martial Ze Belinga, le mercredi 27 septembre 2023.
— 49 —

Les malentendus ne manquent pas non plus dans le domaine des médias : la France
est encore trop souvent perçue comme l’ancienne puissance coloniale contrôlant
étroitement leur contenu au prétexte qu’il s’agit de médias de service public,
confondus avec des médias d’État. Dans ces conditions, il n’est pas rare que les
populations et les gouvernements des pays africains voient indûment l’ombre de
l’Élysée derrière la ligne éditoriale de France 24 ou de RFI.

2. Une fragilité qui conduit au retrait partiel de la France du continent


africain, notamment dans la zone sahélienne

La remise en cause de l’influence française en Afrique se traduit par la


multiplication des manifestations hostiles, et parfois violentes, aux intérêts français.
Pensons, par exemple, aux attaques dirigées contre l’ambassade de France à
Ouagadougou et l’Institut français de Bobo Dioulasso au Burkina Faso, le
1er octobre 2022, à l’interdiction, le 3 décembre 2022, de la diffusion de RFI sur le
territoire burkinabé, bientôt suivie de celle de France 24, en mars 2023, et à
l’expulsion des correspondants des journaux Le Monde et Libération, en avril 2023.
Citons également le pillage de magasins français à Dakar, au Sénégal, en mars 2021,
ou l’interdiction faite aux organisations non gouvernementales (ONG) recevant des
fonds français d’exercer au Mali.

Plus structurellement, la fragilité actuelle de la France en Afrique conduit à


un net recul de sa présence sur le continent, lequel a connu un développement
spectaculaire sur le plan militaire et dans la zone sahélienne au cours de
l’année 2022 pour trouver un ultime développement en octobre septembre 2023
avec le début du retrait des forces françaises présentes au Niger. Cela s’est
également traduit par le retrait, en décembre 2022, des dernières forces militaires
françaises présentes en Centrafrique, qui suivit la dégradation de ses relations avec
la France du fait de la présence d’éléments de la milice russe Wagner sur son
territoire. La France a ainsi suspendu son accord de coopération militaire avec la
Centrafrique en avril 2021 et l’Union européenne (UE) a gelé ses missions de
formation, en décembre 2021 pour la même raison. Deux autres exemples, au Mali
et au Burkina Faso, permettent de prendre la mesure du phénomène.

a. La fin de l’opération Barkhane

Le 9 novembre 2022, le président de la République Emmanuel Macron


annonce la fin de l’opération Barkhane au Sahel (1), laquelle visait à sécuriser le
territoire malien et à prendre le relais, en août 2014, de l’opération Serval,
elle-même lancée en 2013 avec un mandat clair, celui de repousser l’avancée

(1) Les rapporteurs n’ont pas l’ambition de dresser un bilan exhaustif de l’opération Barkhane dans ce rapport,
tant il y aurait à dire sur le sujet mais simplement de livrer quelques éléments d’analyse permettant de
contextualiser la position de la France dans la zone sahélienne.
— 50 —

terroriste vers Bamako, capitale politique et administrative du pays (1).

Cette annonce parachève un processus de retrait des troupes françaises du


Mali, où étaient principalement déployés les militaires français, amorcé mi-2021 ;
les derniers soldats français mobilisés dans le cadre de Barkhane, qui a compté
jusqu’à 5 100 hommes – hors forces spéciales –, ont quitté le pays mi-août 2022.
Ce retrait s’est accompagné de celui de la task force Takuba, coalition de forces
spéciales européennes qui soutenaient l’armée malienne. Dans leur déclaration
conjointe de deux pages sur la lutte contre la menace terroriste et le soutien à la paix
et à la sécurité au Sahel et en Afrique de l’Ouest, publiée le 17 février 2023,
l’ensemble des acteurs impliqués (2) soulignent qu’« en raison des multiples
obstructions des autorités de transition maliennes, le Canada et les États européens
opérant aux côtés de l’opération Barkhane et au sein de la Task Force Takuba
estiment que les conditions politiques, opérationnelles et juridiques ne sont plus
réunies pour poursuivre efficacement leur engagement militaire actuel dans la lutte
contre le terrorisme au Mali et ont donc décidé d’entamer le retrait coordonné du
territoire malien de leurs moyens militaires respectifs dédiés à ces opérations. En
étroite coordination avec les États voisins, ils ont également exprimé leur volonté
de rester engagés dans la région, dans le respect de leurs procédures
constitutionnelles respectives. »

Si les autorités maliennes n’ont pas demandé officiellement le retrait des


troupes françaises du Mali, ce dernier résulte d’une longue dégradation des relations
entre les deux pays. Le déploiement de plusieurs centaines d’instructeurs russes et
de paramilitaires de la société privée Wagner – entre 800 et 900 en février 2022 –
constitue une source de tensions supplémentaires alors que les militaires français
font l’objet d’une défiance de plus en plus ouverte de la part des autorités maliennes
au bénéfice des forces russes (3).

b. Le retrait des troupes françaises du Burkina Faso

Quelques mois après le retrait des soldats de l’opération Barkhane, la France


a été contrainte de rappeler ses troupes stationnées au Burkina Faso, qui comptait
400 éléments des forces spéciales dans le cadre de l’opération Sabre, en vertu d’un
accord en date du 17 décembre 2018, afin de lutter contre la présence djihadiste
dans la région. Cet accord a été dénoncé par les autorités burkinabé – arrivées au

(1) L’intervention de la France au Mali, dans le cadre de l’opération Serval, se fonde sur une demande d’aide
formulée le 10 janvier 2013 par le président du Mali Dioncounda Traoré et adressée à la France et au
Conseil de sécurité des Nations Unies, ainsi que sur les dispositions de l’article 51 de la Charte des Nations
Unies relatif au droit à la légitime défense.
(2) L’Allemagne, la Belgique, le Bénin, le Canada, la Côte d’Ivoire, le Danemark, l’Estonie, la France, le Ghana,
la Hongrie, l’Italie, la Lituanie, la Mauritanie, le Niger, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, la République
Tchèque, la Roumanie, le Sénégal, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, le Tchad, le Togo, le Conseil européen,
la Commission européenne, le Haut représentant de la coalition pour le Sahel et la Commission de l’Union
africaine.
(3) « Mali : la France acte son retrait avec la fin de l’opération militaire Barkhane », Cyril Bensimon,
Philippe Ricard et Élise Vincent, Le Monde, 17 février 2022.
— 51 —

pouvoir par un coup d’État le 30 septembre 2022 –, ce dont le ministère de l’Europe


et des Affaires étrangères a pris acte le 25 janvier 2023.

Ce retrait s’est accompagné du rappel pour « consultations » de


l’ambassadeur français au Burkina Faso, le 26 janvier 2023 (1). Son retour coïncide
avec une demande des autorités de transition de le voir remplacer : fin
décembre 2022, une lettre avait été envoyée par le ministère burkinabé des Affaires
étrangères à Paris pour réclamer son départ, lui reprochant notamment d’avoir fait
état publiquement de la dégradation de la situation sécuritaire dans le pays.
Rappelons que celle-ci est réelle : le pays a connu, entre le 1er janvier et le 10 mars
2023, 309 incidents sécuritaires ayant entraîné 1 427 morts, ce qui le classe, en
nombre de morts dans cette région, juste derrière le Nigéria (1 644 morts) et loin
devant le Mali (566), le Niger (119), le Togo (68) et le Bénin (19) (2). Il s’en est
suivi le rappel de tous les coopérants militaires français présents dans le pays en
mars 2023.

Parallèlement, les autorités burkinabé se sont rapprochées de pays


ouvertement hostiles à la France : l’ambassadeur russe à Abidjan, compétent pour
le Burkina Faso, a annoncé la réouverture prochaine de l’ambassade de son pays à
Ouagadougou, fermée depuis 1992 ; de même, les nouvelles autorités burkinabé ont
renoué des relations diplomatiques avec l’Iran, qui a maintenant un ambassadeur
résident à Ouagadougou, et avec la Corée du Nord, dont un ambassadeur a été agréé
au conseil des ministres burkinabé.

Il convient toutefois de distinguer les scénarios burkinabé et malien. Si


certains mouvements panafricains et acteurs politiques burkinabé ont reproché à la
France son manque d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme, celle-ci s’est, en
réalité, heurtée au défaut d’appétence de la partie burkinabé à l’égard d’un
partenariat opérationnel avec ses forces Armées. En effet, quels que soient les
régimes qui se sont succédé depuis la chute de l’ancien président Blaise Compaoré,
le Burkina Faso, jaloux de sa souveraineté, n’a jamais pleinement souhaité coopérer
avec les forces françaises, ne faisant appel à elles qu’en cas d’urgence
opérationnelle avérée. La prise de pouvoir du capitaine Traoré a porté à son
paroxysme cette situation, puisqu’aucune intervention, même en appui, n’a été
sollicitée depuis le 30 septembre 2022. De plus, les relations entre les autorités
burkinabé et françaises n’ont jamais atteint le degré de tension et de défiance
existant entre la France et le Mali. Surtout, si le retrait des soldats de l’opération
Barkhane s’est accompagné de la fin de toute coopération entre la France et le Mali,
rien ne dit qu’il en sera de même au Burkina Faso où de nouvelles formes de
coopération, y compris sécuritaires, pourraient voir le jour.

Si les relations entre la France et l’Afrique ne peuvent se lire à la seule aune


de ces deux retraits, ces derniers n’en demeurent pas moins symptomatiques du

(1) L’enjeu de ce rappel est aussi d’éviter que l’ambassadeur de France au Burkina Faso ne devienne « persona
non grata » et ne soit remplacé par un chargé d’affaires, comme ce fut le cas au Mali.
(2) Audition de M. Luc Hallade et Mme Laure Taillandier-Thomas, le jeudi 30 mars 2023.
— 52 —

questionnement, voire de la remise en cause, des liens franco-africains sous leur


forme actuelle. Ainsi, quelles que soient les causes invoquées, la position de la
France en Afrique est aujourd’hui difficilement tenable, soumise à des critiques
contradictoires – tantôt pour indifférence, tantôt pour ingérence – mais toujours très
vives.

Devant cette impasse, une solution, évoquée par certains, pourrait être de se
retirer durablement du continent africain. Telle n’est pas la voie soutenue par les
rapporteurs ni même par les autorités françaises, tant l’Afrique est au cœur de tous
les grands enjeux contemporains. Il existe toujours en Afrique, dans de nombreux
pays, une envie de maintenir des relations riches et apaisées avec la France. Les
populations africaines ne sont pas hostiles, à quelques exceptions près, aux Français
eux-mêmes mais concentrent leur critique sur la politique menée par notre pays. Il
est donc essentiel de comprendre ce qui ne fonctionne pas ou plus aujourd’hui,
malgré les efforts réels déployés pour repenser cette relation. C’est en comprenant
nos erreurs et les malentendus qu’elles suscitent que la France pourra construire une
relation saine avec l’Afrique dans toute sa complexité.
— 53 —

II. LES DÉFAUTS D’UNE STRATÉGIE QUI N’A PAS SU COMPRENDRE ET


S’ADAPTER PLEINEMENT AUX BESOINS NOUVEAUX DE L’AFRIQUE

Malgré sa réforme, maintes fois menée, la politique africaine de la France,


rebaptisée stratégie, peine à obtenir des résultats, en particulier en Afrique
francophone. Il s’agit donc de s’interroger sur les causes profondes de ce relatif
échec pour bâtir des relations solides à l’avenir. Les rapporteurs demeurent
optimistes sur une telle possibilité et leurs critiques ne visent qu’à garantir les
conditions d’émergence d’un nouveau partenariat avec l’Afrique. Ils ne négligent
ni les difficultés inhérentes à l’exercice du pouvoir ni l’extrême complexité que
représente l’édification d’une politique s’adressant à un continent pluriel, aux
enjeux et à l’histoire très divers selon les pays envisagés, sans cesse en
recomposition.

A. UNE MÉTHODE DÉFAILLANTE : L’ÉLABORATION EN VASE CLOS D’UNE


POLITIQUE AFRICAINE INSUFFISAMMENT ARRIMÉE AUX RÉALITÉS
LOCALES

Traditionnellement, la politique africaine a toujours constitué un domaine


réservé au cœur du domaine réservé dépendant étroitement de l’Élysée. Cette
tendance s’est maintenue au fil du temps. Elle a abouti à réduire les possibilités de
discussion et de débat autour des choix stratégiques faits par la France en Afrique,
et ce d’autant plus que l’Afrique demeure un continent largement méconnu et
incompris. Cette méconnaissance a pu favoriser la tenue de discours ou l’adoption
de postures qui ont contribué à abîmer la relation bilatérale.

1. Du 20, rue Monsieur au 2, rue de l’Élysée

La disparition, en 1998, du ministère de la coopération, acteur central des


relations entre les Afriques et la France installé au 20, rue Monsieur, a accentué
année après année la concentration de la politique africaine de notre pays autour du
président de la République française.

a. Le conseiller Afrique du président : la figure incontournable des


relations franco-africaines

S’il n’existe plus de cellule africaine au sein de l’Élysée depuis la présidence


de Nicolas Sarkozy, les conseillers Afrique des différents présidents – désormais
rattachés à la cellule diplomatique de l’Élysée – n’ont cessé de jouer un rôle central
dans la définition de la politique africaine de la France. La présidence
d’Emmanuel Macron ne fait pas exception sur ce point.

Installé au 2, rue de l’Élysée, le conseiller Afrique est un chaînon majeur,


quoique très discret, des relations franco-africaines. C’est lui qui suit l’ensemble des
dossiers afférents au continent et reçoit les visiteurs africains de passage à Paris ;
lors des visites d’État du président de la République en Afrique, il peut rencontrer
des personnalités délaissées par l’agenda officiel, par exemple, des opposants
— 54 —

politiques, et fait souvent le lien entre la présidence et les ambassadeurs en poste


lorsque des consignes urgentes ou importantes doivent être données.

b. Le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) : une innovation certaine,


des résultats mitigés

Officiellement créé le 29 août 2017, le CPA a été pensé pendant la


campagne présidentielle par le directeur Afrique du groupe Duval,
Jules-Armand Aniambossou, franco-béninois et condisciple de l’ENA du président
de la République. Comme le rapportent Antoine Glaser et Pascal Airault (1), ce
dernier a fait porter le projet par trois autres personnalités : Lionel Zinsou, banquier
proche de Laurent Fabius et premier ministre du Bénin entre 2015 et 2016,
Jean-Michel Severino, à la tête d’un fonds d’investissement destiné aux PME
africaines et Hakim El Karoui, conseiller en stratégie et essayiste. À l’Élysée, le
secrétaire général Alexis Kohler et la cellule diplomatique ont ensuite choisi onze
membres de la société civile, essentiellement des trentenaires et quadragénaires
issus du monde de l’entreprise, des nouvelles technologies, de l’art, de la santé, des
médias, du sport et ayant un lien fort avec l’Afrique. Autant de « premiers de
cordés » (2) dont la représentativité des diasporas africaines en France est sans doute
à nuancer.

Non rémunérés et directement rattachés au président de la République, les


membres de ce conseil, d’abord installés dans les locaux de l’AFD puis à
l’Hôtel Marigny, une annexe de l’Élysée, se réunissent plusieurs fois par mois, puis
à des intervalles plus espacés. Leur rôle : apporter à Emmanuel Macron un éclairage
différent sur les enjeux de la relation entre la France et l’Afrique, formuler des
propositions concrètes d’actions sur des secteurs d’avenir de la relation, faire le lien
avec les sociétés civiles africaines et rapporter au président la manière dont est
perçue sa politique auprès des populations africaines.

On retrouve donc, à travers cette entité, les fondamentaux de la nouvelle


stratégie du président mais aussi de sa méthode : mobiliser les diasporas africaines
en France et, à travers elles, les sociétés civiles. La création de ce conseil participe
néanmoins à une certaine mise à l’écart de son administration, et notamment des
diplomates de carrière, en contournant l’expertise du Quai d’Orsay pour faire appel
à des femmes et des hommes dépendant de l’Élysée et censés porter un autre regard
sur l’Afrique. Notons d’ailleurs que cette initiative a directement inspiré les
États-Unis qui ont lancé, le 26 septembre 2023, un conseil présidentiel sur l’Afrique
et les diasporas dont la structuration est très similaire au CPA français (3).

(1) Ibid., p. 105.


(2) Ibid.
(3) https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2023/09/26/president-biden-announces-the-
inaugural-members-of-the-presidents-advisory-council-on-african-diaspora-engagement-in-the-united-
states/
— 55 —

Les onze personnalités choisies pour composer le CPA en 2017


Jean-Marc Adjovi-Boco, Franco-Béninois, ancien sportif et entrepreneur ;
Jules-Armand Aniambossou, Franco-Béninois, directeur général Afrique et Outre-Mer
du groupe Duval ;
Diane Binder, Française, directrice adjointe du développement international du groupe
Suez ;
Yves-Justice Djimi, Français, avocat ;
Liz Gomis, Française, journaliste et réalisatrice ;
Jeremy Hadjenberg, Français, directeur général adjoint chez I & P ;
Yvonne Mburu, Kényane, chercheuse et consultante en santé ;
Vanessa Moungar, Franco-Tchadienne, directrice genre, femmes et société civile à la
Banque africaine de développement ;
Nomaza Nongqunga Coupez, Sud-Africaine, entrepreneuse dans la culture ;
Karim Sy, Franco-Libano-Malien, entrepreneur dans le numérique ;
Sarah Toumi, Franco-Tunisienne, entrepreneuse.

Si son lancement est annoncé en grande pompe, son action se fait beaucoup
plus discrète et se trouve peu renseignée. Un an après sa création, le journal
Le Monde (1) souligne la difficulté pour le conseil à trouver sa place et à convaincre
de son utilité. Chaque membre doit rédiger des fiches à l’attention du président lors
de ses voyages en Afrique, précisant la perception de la France, les attentes des
populations et les projets financés par notre pays, et doit proposer quelques
recommandations pour renforcer la relation bilatérale. Le conseil contribue à la
préparation des voyages du président en Afrique pour identifier des interlocuteurs
de la société civile et ses membres visitent des ambassades pour s’assurer que
l’agenda transformationnel trouve à s’appliquer sur le terrain. Il suscite toutefois
une certaine perplexité quant à son rôle exact et à l’importance de son influence ; il
a sans doute aussi souffert d’un manque de moyens. Il est finalement supprimé en
mars 2022. L’Élysée ne se montre guère plus précis quant à son bilan global : son
site internet indique seulement qu’il « est à l’origine de nombreuses propositions
d’actions nouvelles en faveur de la jeunesse africaine et française (culture, sport,
numérique, entrepreneuriat, enseignement supérieur) » (2).

c. Un entourage militaire resserré autour du président de la République

Quelques personnalités militaires entourent le président de la République et


exercent une influence sur la politique de la France à l’égard du continent africain.
Le chef de l’état-major particulier du chef de l’État (CEMP) est l’un d’entre eux.
Troisième personnalité dans le rang protocolaire de l’Élysée, il agit comme une

(1) « Le Conseil présidentiel pour l’Afrique, outil controversé du « soft power » d’Emmanuel Macron »,
Laurence Caramel, Le Monde, 29 novembre 2018.
(2) https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/02/15/afrique-un-nouveau-partenariat.
— 56 —

sorte de secrétaire particulier du chef de l’État sur les questions militaires : il prépare
les conseils de défense dans le poste de commandement Jupiter, assure la
permanence opérationnelle des forces nucléaires et une liaison permanente avec le
ministère des Armées et l’État-major des armées. Il est épaulé par un général de
brigade, adjoint au CEMP, qui est plus particulièrement en charge des questions
africaines et souvent en première ligne pour répondre aux questions des journalistes
sur les opérations extérieures de la France en Afrique (1). Le CEMP occupe ainsi un
poste très influent mais ne peut donner d’ordre aux armées : cette fonction
stratégique revient au chef d’État-major des armées (CEMA), deuxième personnage
clé pour les arbitrages de la politique militaire de la France en Afrique.

L’autorité de ces deux hommes, représentants de l’institution militaire, est


néanmoins à relativiser sous la présidence d’Emmanuel Macron, alors que ce
dernier s’est employé à déplacer l’épicentre du pouvoir du ministère des Armées à
l’Élysée. D’une part, celui-ci aime à consulter de nombreux visiteurs du soir, qui
n’appartiennent pas nécessairement à l’armée. D’autre part, le rôle du CEMP au
sein même de l’Élysée s’est trouvé quelque peu amoindri : l’arrêté du 18 septembre
2017 relatif à la composition du cabinet du président de la République rétrograde
ainsi le CEMP de la deuxième à la troisième place dans la hiérarchie de l’Élysée,
derrière le secrétaire général et le directeur de cabinet de la présidence, tandis
qu’Emmanuel Macron fait le choix, à deux reprises, de ne pas nommer d’ancien
CEMP au poste de CEMA, comme cela est pourtant souvent le cas (2).

d. Élysée, ministère des Armées, Quai d’Orsay, secrétariat à la


coopération : un manque d’équilibre et de cohérence entre des acteurs
très divers

Les différents acteurs impliqués dans la politique africaine de la France


entretiennent des liens nourris de manière à articuler leur travail respectif et les
interactions sont ainsi quasi constantes. Les échanges et les contacts entre le Quai
d’Orsay et le ministère des Armées sont, par exemple, nombreux :

– la direction générale des relations internationales et de la stratégie


(DGRIS) et l’État-major des armées participent, aux côtés d’autres services, aux
réunions hebdomadaires de partage d’informations organisées par la direction de
l’Afrique et de l’Océan indien du Quai d’Orsay ;

– il existe des échanges quotidiens au niveau des sous-directeurs et des


rédacteurs des deux ministères travaillant sur des dossiers communs. Dans ce cadre,
les personnels du ministère des Armées en mobilité au sein du ministère de l’Europe
et des Affaires étrangères, dont une personne se trouve à la direction de l’Afrique et
de l’Océan indien au poste de rédacteur sur le Tchad, une autre à la direction des
affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement sur le suivi des enjeux de
sécurité en Afrique et un dernier à la direction des Nations Unies, des organisations

(1) Antoine Glaser et Pascal Airault, ouvrage mentionné, p. 120-121.


(2) Entrer en guerre au Mali : luttes politiques et bureaucratiques autour de l’intervention française,
Grégory Daho, Florent Pouponneau, Johanna Siméant-Germanos (dir.), Rue d’Ulm, Paris, 2022, p. 98-99.
— 57 —

internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie, jouent un rôle de


facilitateurs ;

– sous l’égide des cabinets ministériels, des réunions sont organisées


régulièrement afin d’aborder des thématiques spécifiques ;

– lorsque la Task Force Sahel était encore en place sous l’autorité de


l’envoyé spécial pour le Sahel, un poste était occupé par un représentant du
ministère des Armées.

La politique de la France à l’égard de l’Afrique au Quai d’Orsay


Différentes directions du Quai d’Orsay sont mobilisées pour le déploiement de la
politique française en Afrique :
- la direction de l’Afrique et de l’Océan indien (DAOI) : composé de 51 ETPT, il s’agit
de l’une des cinq « directions géographique » du ministère. Elle est chargée, d’une part,
de la conduite des relations bilatérales entre la France et les États d’Afrique subsaharienne
et suit en ce sens les questions politiques, économiques et sociales de ces pays et, d’autre
part, de la conduite des relations avec les organisations régionales non financières de la
zone. Elle s’appuie sur 42 ambassades qui animent au quotidien les relations
diplomatiques avec leurs pays ou les organisations hôtes et mettent en œuvre les
orientations politiques prises par la France. Sur la base de son expertise géographique,
elle apporte également une vision et des recommandations politiques à la direction
générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement
international dans son action ;
- la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du
développement international (DGM), quant à elle, définit et met en œuvre l’action de la
France relative aux enjeux globaux, au développement durable, à la coopération
internationale, à la politique d’influence et aux grandes politiques sectorielles.
D’autres services contribuent, dans le champ de leurs compétences, au traitement des
questions africaines au sein du ministère :
- la direction de la communication et de la presse (DCP), qui est chargée notamment de
la définition et de la mise en œuvre de la stratégie de communication du ministère en
Afrique, des relations avec la presse et les journalistes africains, et de veiller à la
cohérence de l’ensemble de l’expression publique des services de l’administration
centrale et des postes diplomatiques et consulaires en Afrique ;
- la direction de l’Union européenne (DUE), qui suit la déclinaison en Afrique des
orientations de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union ;
- la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) qui, dans ses activités,
anime la coopération structurelle avec les États africains dans les domaines de la défense
et de la sécurité intérieure et civile. Elle met en œuvre, dans ces domaines, sous la forme
de projets de coopération bilatéraux ou multilatéraux, des actions de formation,
d’expertise et de conseil dont elle assure le pilotage stratégique et la gestion globale ;
- la direction des Nations Unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme
et de la francophonie traite, par différents volets, des thématiques africaines : questions
— 58 —

politiques relatives au maintien de la paix et de la sécurité internationales au sein des


enceintes des Nations Unies, affaires humanitaires et francophonie ;
- l’ambassadeur en charge de la diplomatie publique en Afrique et son équipe.
Source : Ministère de l’Europe et de Affaires étrangères

De même, en dehors des périodes de crise, la fabrique de la politique


africaine de la France est structurée par une ou plusieurs réunions interministérielles
hebdomadaires organisées directement à l’Élysée, et non à Matignon, qui
regroupent autour du conseiller Afrique du président de la République une vingtaine
de personnes. En période d’intervention militaire, une nouvelle instance de prise de
décision occupe une place centrale, le conseil de défense et de sécurité nationale
réuni en conseil restreint, dont les séances sont préparées par des réunions ad hoc
autour du CEMP (1). Ce conseil a, par exemple, été réuni le 29 juillet 2023 suite au
coup d’État au Niger, lequel oblige la France à envisager un redéploiement des
soldats qui y étaient stationnés.

Toutefois, malgré l’existence de telles instances, une certaine incohérence


est perceptible dans l’action des différents acteurs impliqués, comme si chacun se
trouvait dans son couloir, selon une organisation en silos. Il y a ce qui relève
directement de l’Élysée ; pour le reste, chaque ministère agit en fonction de sa vision
et de ses objectifs propres, sans se soucier d’une cohérence d’ensemble. La
multiplication des intervenants peut aussi aboutir à brouiller le message politique
de la diplomatie française. Ainsi, durant son mandat, le président François Hollande
entretient des relations très distantes avec le Tchad du président Idriss Déby et fait
de la défense des droits de l’Homme dans ce pays un marqueur de sa politique. Telle
n’est pas celle, en revanche, de son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius,
qui souhaite éviter de s’aliéner le président tchadien dont le soutien est essentiel à
la France dans le cadre de la MINUSMA, du conflit libyen et de l’aide apportée à
la région du Darfour au Soudan.

À cela s’ajoute un déséquilibre certain quant à l’influence de ces divers


acteurs. Ainsi, l’effacement relatif des diplomates au profit des militaires dans la
crise sahélienne a contribué à conférer au ministère en charge des armées une place
de premier plan dans la définition de la stratégie africaine de la France et dans
l’expression médiatique de son action. Plusieurs personnes interrogées ont souligné
l’absence de véritable stratégie émanant du ministère de l’Europe et des Affaires
étrangères, à tel point que ce sont les armées elles-mêmes qui suggèrent, les
premières, d’accompagner leur action au Mali d’une vision politique, ainsi que
d’initiatives sur le terrain, liées au développement des territoires libérés.

Le pouvoir du ministère en charge des armées et l’investissement croissant


du président et de son entourage ont un corollaire : le relatif effacement du ministère
de l’Europe et des Affaires étrangères, lequel est particulièrement visible dans la

(1) Entrer en guerre au Mali : luttes politiques et bureaucratiques autour de l’intervention française, ouvrage
déjà mentionné, p. 40.
— 59 —

zone sahélienne. Le différentiel d’influence entre les deux ministères est perceptible
aussi bien dans leur capacité à peser sur la prise de décision politique que sur le
terrain : la France envoie, au moment de l’opération Serval au Mali, jusqu’à
5 000 hommes, quand l’ambassade de France à Bamako ne compte qu’une poignée
de personnels permanents et que les diplomates ne peuvent voyager dans le pays
sans la protection des militaires. De même, et sans surprise pour des raisons
stratégiques évidentes, les diplomates en poste n’apprennent qu’avec retard le
lancement d’opérations militaires : l’ambassadeur de France à Bamako n’aurait été
informé de l’opération Serval que le 11 janvier 2013 à 12 heures 40 – l’opération
ayant commencé dans la nuit du 10 au 11 janvier 2013 – par un message qualifié de
« laconique » (1) de la conseillère Afrique du président de la République, tandis que
le directeur Afrique n’apprendra la nouvelle que le soir venu, à la télévision.

Outre le contexte sécuritaire défavorable au travail des diplomates, leur


retrait peut aussi s’expliquer par le manque d’attractivité des postes offerts à ces
derniers sur le continent africain. Un passage par l’Afrique est, en effet, peu valorisé
au sein du ministère, sans même mentionner les conditions de vie souvent difficiles,
et dès lors peu attrayantes, imposées aux diplomates et à leurs familles.

e. Une vision souvent unilatérale et mal documentée : les faiblesses de la


méthode française

À partir du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, la reprise en mains


des questions africaines par l’Élysée donne un regain d’influence au conseiller
Afrique du président, non démenti jusqu’alors. La prise de décision s’est ainsi
concentrée à l’Élysée au détriment des autres acteurs peu consultés et écoutés, au
risque de concevoir une politique de façon isolée, en écartant trop souvent les
opinions divergentes ou alternatives, ce qui favorise une vision parfois
approximative et partielle du continent africain et de ses enjeux. Les chercheurs,
experts et journalistes sont eux-mêmes peu écoutés.

Le rapporteur Bruno Fuchs observe que la société civile et les opposants


politiques africains ne sont pas suffisamment pris en compte. Quand ils sont reçus,
cela se fait surtout par des fonctionnaires de la direction Afrique du Quai d’Orsay
et non à l’Élysée. Sur le terrain, le constat est le même. À titre d’exemple, si un
ambassadeur américain reçoit ou visite toute la classe politique et la société civile,
la majorité des diplomates français en zone francophone se contente d’une
proximité avec les autorités officielles. Il est paradoxal qu’une stratégie fondée sur
la vitalité des sociétés civiles ait omis à ce point de les consulter.

La relégation du Parlement à un rôle extrêmement secondaire sur


l’élaboration et le suivi de la politique africaine est également symptomatique de
cette méthode. Rares sont les débats autour des choix stratégiques opérés par la
France ou, plus récemment, le retrait de ses troupes et la reconfiguration de sa
politique militaire. De ce point de vue, nos alliés africains font parfois mieux : c’est

(1) Entrer en guerre au Mali : luttes politiques et bureaucratiques autour de l’intervention française, ouvrage
déjà mentionné, p. 113.
— 60 —

le cas du Niger où la présence des forces françaises dans le pays avait été débattue
au Parlement.

La rapporteure Michèle Tabarot déplore les errements et les échecs


auxquels cette hypercentralisation a conduit. Elle estime qu’il est désormais
impératif de décloisonner le domaine réservé pour en faire un domaine partagé
associant plus largement le gouvernement français, les parlementaires, les
diplomates et l’ensemble des experts.

2. Une perte de connaissances généralisée sur l’Afrique qui vient


renforcer la dimension parfois « hors sol » de la politique africaine
française

Paradoxalement, si la France a depuis longtemps des liens privilégiés avec


le continent africain et si elle est régulièrement accusée d’y être omniprésente, elle
connaît peu et peut-être de moins en moins son interlocuteur. Dans tous les
domaines, économiques, politiques, militaires, diplomatiques ou encore
universitaires, rares sont ceux qui comprennent vraiment l’Afrique dans sa subtilité,
sa diversité et ses profondes transformations. Les réseaux de l’ancienne
Françafrique ont laissé place à une forme de vide.

Cette situation couplée à un manque de moyens de la recherche et de la


diplomatie et à la concurrence de l’Europe, de l’Asie et du Proche et du
Moyen-Orient, jugés plus attractifs à bien des égards, a relégué l’Afrique au second
plan des priorités diplomatiques françaises. Parallèlement, les lieux de formation
sur l’Afrique ont, pour certains, disparu, comme le centre des hautes études sur
l’Afrique et l’Asie modernes, école fondée en 1937 avant de fermer ses portes en
2000. Là est précisément le risque : comment bâtir une offre stratégique pertinente
et se prémunir de la poursuite d’une politique « hors sol » sans connaître ceux à qui
elle s’adresse ? Cette situation est d’autant plus dommageable que les Africains,
notamment francophones, ont une connaissance fine de la France, de son histoire et
de sa culture.

a. Un monde de la recherche jouissant d’une expertise d’excellence mais


peu dense et entravé par les problématiques sécuritaires de l’Afrique

La France est reconnue, sur la scène internationale, pour l’excellence de sa


recherche sur les problématiques intéressant le continent africain. Toutefois, les
centres français spécifiquement consacrés à l’Afrique sont encore peu nombreux,
que l’on pense à l’institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et
musulmans (IREMAM), qui intègre les questions liées au Maghreb, au laboratoire
« Langage, langues et cultures d’Afrique » (LLACAN), centré sur les langues
africaines, à l’unité mixte de recherche « Les Afriques dans le monde » (LAM) et à
l’institut des mondes africains (IMAF). Les directions de recherche sur l’Afrique se
concentrent autour de quelques universités seulement, principalement Paris 1
Panthéon-Sorbonne, Paris-Diderot (Paris 7) et Aix-Marseille. Paradoxalement, la
recherche sur la zone sahélienne est plus développée aux États-Unis qu’en France,
— 61 —

même si, depuis quelques années, notre pays connaît une certaine effervescence
intellectuelle autour de l’Afrique. Une chaire permanente « Histoire et archéologie
des mondes africains », occupée par François-Xavier Fauvelle, a ainsi été créée au
Collège de France en 2018 tandis que se multiplient les ouvrages visant à restituer
l’irréductible diversité de l’histoire du continent africain et à rompre avec les
préjugés (1).

Si l’Afrique peine toujours à s’imposer comme un sujet d’études prioritaire


en France, sa connaissance se heurte de surcroît aux obstacles rencontrés par les
chercheurs pour s’y rendre physiquement du fait de la dégradation des conditions
sécuritaires sur une vaste part du continent. En tant que fonctionnaires, ceux-ci sont,
en effet, tenus de respecter les consignes aux voyageurs formulées par le ministère
de l’Europe et des Affaires étrangères.

CONSEILS AUX VOYAGEURS EN AFRIQUE (AU 08/03/2023)

Une fois publiés, on ne peut que regretter la faible valorisation des travaux
de recherche français qui ne permettent que rarement d’éclairer la prise de décision
politique. Certes, le rôle d’un chercheur n’est pas de proposer clés en main des
solutions aux décideurs publics ; du moins ses travaux, qui apportent une
connaissance fine du terrain et de la complexité des situations locales, devraient

(1) Youness Bousenna, article déjà cité.


— 62 —

permettre de nourrir davantage la réflexion politique. À plusieurs reprises, il a été


présenté aux rapporteurs des modèles étrangers enthousiasmants : aux États-Unis,
par exemple, la formation des diplomates nommés ambassadeurs intègre un cycle
de rencontres avec des chercheurs spécialistes du pays de destination ; ces entretiens
sont l’occasion d’échanges nourris et ne sont en aucune façon perçus comme une
marque de défiance à l’égard de la compétence des diplomates concernés.

b. Une perte de connaissances sur l’Afrique au sein du Quai d’Orsay

La faible valorisation des parcours tournés vers l’Afrique au sein du Quai


d’Orsay, la disparition en 1998 du ministère de la coopération dont le niveau
d’expertise sur le continent africain était indéniable, comme la réduction des
effectifs des postes offerts aux diplomates dans le réseau, tout particulièrement dans
les pays africains, et le retrait du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères
sur les questions africaines n’ont sans doute pas contribué à la montée en puissance
d’une véritable filière « Afrique » au sein du Quai.

Il est reconnu que les postes occupés en Afrique ne sont pas assez valorisés
dans la carrière des diplomates. De même, il n’est pas rare de voir des non
spécialistes être nommés en Afrique, ou des spécialistes d’Afrique de l’Est nommés
en Afrique de l’Ouest, et inversement. Le rapporteur Bruno Fuchs déplore, à ce titre,
que presque aucun ambassadeur ou consul de couleur ne soit en poste en Afrique.
On voudrait délibérément se couper des meilleurs experts sur l’Afrique qu’on ne
s’y prendrait pas autrement.

Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères semble toutefois


conscient de cette problématique. La direction des ressources humaines (DRH) a
ainsi lancé plusieurs initiatives dédiées au renforcement de cette filière africaine,
parmi lesquelles :

– la modification du concours d’Orient avec l’introduction à


l’automne 2024 d’une section « Afrique » et la possibilité de concourir avec deux
langues supplémentaires, le wolof et le peul, venant s’ajouter à l’haoussa, au
mandingue et au swahili ;

– l’ouverture d’une réflexion sur le renforcement de la formation initiale et


continue des diplomates sur la zone Afrique ;

– le développement de la mobilité hors du ministère sur des postes traitant


de questions africaines au sein d’autres administrations françaises, d’entreprises,
d’organisations non gouvernementales, d’institutions européennes ou encore de
think tanks est à l’étude ;

– la meilleure prise en compte des contraintes spécifiques à certains pays


africains ;

– la volonté de faire mieux connaître le ministère et ses métiers auprès de


publics qui s’intéressent à l’Afrique mais ne se tournent que peu vers les carrières
— 63 —

diplomatiques, souvent par manque de connaissance de la réalité des métiers et par


conviction que la diplomatie demeure hors de portée et destinée à une élite.

Plus largement, les rapporteurs considèrent que la connaissance des pays


africains devrait davantage guider la politique de recrutement du Quai et l’octroi de
postes diplomatiques en Afrique comme le font de nombreux pays, tels que les
États-Unis et la Russie.

c. Une lente régression de la présence française sur le terrain

La baisse spectaculaire du nombre de coopérants déployés en Afrique est


d’autant plus dommageable que la France s’est ainsi vue privée de capteurs
précieux, constituant un maillage serré et assurant une compréhension fine des pays
africains. De 10 000 coopérants civils à la fin des années 1990, il en reste
aujourd’hui moins d’un millier, dont les deux tiers en Afrique.

De même, au sein des armées, les coopérants étaient 9 000 dans les années
1990 et opéraient souvent sous uniforme des armées nationales dans un métissage
fécond. Désormais, on n’y compte guère plus que 400 coopérants, de sorte que les
officiers ont peu d’opportunités de se rendre et de vivre en Afrique, en dehors des
interventions des forces françaises, peu propices à une véritable rencontre avec les
populations locales. Le colonel Charles Michel, qui a participé aux opérations
Serval, Barkhane et Sangaris souligne ainsi : « Ce dont je me suis aperçu sur mes
dix ans d’opérations au Sahel, c’est que la connaissance que nous pensions avoir,
nous militaires, était au mieux succincte et au pire inexistante. Lorsque j’arrive au
Sahel, c’est ma cinquième opération extérieure. J’ai sauté de la Bosnie à
l’Afghanistan, du Kosovo au Liban, donc je découvre le Sahel » (1). Il explique, à ce
titre, combien l’apport de chercheurs, tels que Francis Simonis et Alain Antil, lui a
permis de nourrir ses réflexions, en particulier sur les stratégies de contre-
insurrection appliquées aux théâtres de conflits sahéliens. En neuf ans, l’opération
Barkhane a été confiée à neuf commandements différents, dont tous n’ont pas
partagé la même connaissance des subtilités du terrain.

Cette relative méconnaissance du continent africain se retrouve dans les


milieux économiques, qui ont tendance à surévaluer le risque que constitue une
installation en Afrique, ce qui, couplé à un réel sentiment d’inquiétude, les conduit
à renoncer ou à retarder leurs projets sur le continent.

Cette situation est dommageable à plus d’un titre : enfermés dans une vision
souvent passéiste du continent, en partie héritée de l’époque de la Françafrique,
nous percevons difficilement les changements en cours. La France se limite trop
souvent à un face-à-face réducteur avec les régimes en place au risque de s’aliéner
les autorités dirigeantes de demain. Elle s’est enfin privée de certains relais précieux
en affaiblissant considérablement sa politique de coopération, parfois jugée datée,
mais qui avait du moins le mérite de s’enraciner dans des réalités locales aujourd’hui
négligées.

(1) Entretien avec le colonel Charles Michel déjà mentionné.


— 64 —

3. Des postures et des discours qui abîment la relation en profondeur

a. Des maladresses vexatoires

« La France, on l’aime mais on la veut autrement ». Voici en substance ce


que disent les Africains : les interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs ont tous
exprimé une grande frustration face à une France à laquelle ils sont attachés mais
qu’ils ne reconnaissent plus. Ils ont été unanimes pour critiquer des comportements
qu’ils jugent indifférents, blessants et même humiliants.

Tour à tour, les Français sont perçus comme paternalistes, arrogants,


condescendants, donneurs de leçon, peu à l’écoute, imposant leurs standards et leurs
idées préconçues. Nombre des témoignages recueillis ont fait état de situations qui
ont renforcé la défiance du continent envers la France. Si certaines peuvent paraître
anecdotiques à nos yeux, elles ont été interprétées comme des résurgences
vexatoires de l’esprit de la Françafrique ou, au mieux, une méconnaissance des
usages et des cultures africaines.

Le rapporteur Bruno Fuchs souligne quelques exemples pertinents à ses


yeux à l’instar du tutoiement facile de certaines autorités françaises à l’égard de
leurs aînés africains : là où les Français y voient une recherche bienveillante de
proximité, les Africains l’interprètent comme un manque de respect manifeste. Sont
également souvent cités l’appel du président Nicolas Sarkozy à ce que l’homme
africain entre dans l’histoire, prononcé lors de son discours de Dakar de 2007 (1), ou
les propos du président Emmanuel Macron à l’égard du président burkinabé mué,
le temps d’une plaisanterie prononcée dans un souci de complicité avec un
amphithéâtre d’étudiants, en réparateur de climatisation (2).

Ce type de maladresse n’est pas le propre des politiques mais peut se


retrouver dans tous les milieux, qu’ils soient économique, culturel, institutionnel,
militaire ou touristique. Il s’agit là d’un point central : aucune stratégie de
reconquête ne trouvera d’échos sans changement de comportement.

Certaines initiatives françaises ont également pu susciter une forme


d’incompréhension. C’est le cas du sommet de Montpellier dont la réception et
l’héritage sont controversés. Si la France a retenu son côté visionnaire, les
populations africaines ne se sont pas senties représentées alors que les chefs d’État,
non invités, ont eu le sentiment d’être trahis.

(1) « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».
(2) Cette plaisanterie a été faite dans le cadre du discours du président Emmanuel Macron devant l’université
de Ouagadougou, le 28 novembre 2017. Le président burkinabé quitte momentanément la salle de conférence
et le président Emmanuel Macron ponctue cette sortie de la déclaration : « Il est parti réparer la
climatisation ».
— 65 —

Le discours de Montpellier : méthode et réception


Dans la droite ligne du discours de Ouagadougou, le Nouveau sommet Afrique-France,
qui s’est tenu le 8 octobre 2021 à Montpellier, a tenté d’incarner une volonté politique
forte de refondation du partenariat entre l’Afrique et la France. Ce sommet d’un genre
nouveau, sans chef d’État et sans autorité institutionnelle, était consacré exclusivement
aux jeunesses africaine et française. Des centaines de jeunes entrepreneurs, artistes,
chercheurs, athlètes, étudiants, personnalités engagées d’Afrique et de France se sont
réunis pour envisager les perspectives et les premières actions concrètes à mener pour le
renouveau de la relation entre la France et les États africains. Les échanges ont porté
principalement sur cinq grandes thématiques : l’engagement citoyen, l’entrepreneuriat et
l’innovation, l’enseignement supérieur et la recherche, la culture et le sport. Peu de place
a ainsi été faite aux sujets politiques, même si certains ont pu être abordés à travers la
thématique de l’engagement citoyen et lors de la séance plénière (1).
La tenue de ce sommet a été préparée dès le mois de février 2021. Le président de la
République a, en effet, confié à Achille Mbembe (2) le soin d’organiser en amont un cycle
de discussions dans douze pays africains (3) et au sein de la diaspora africaine de France,
qui a réuni, en présentiel ou virtuellement, près de 3 600 personnes, essentiellement des
jeunes entre 20 et 35 ans. L’objectif, consigné dans la lettre de mission adressée à
Achille Mbembe était, à travers une « parole libre et sans tabous », de « recueillir les
attentes », de « faire émerger des propositions fortes pour l’avenir » ainsi que des
« orientations durables », l’ensemble de ce processus devant contribuer « à mettre en
lumière et en responsabilité la jeune génération à l’avant-garde de nos pays ». Ce
sommet donne à la France l’occasion de rappeler sa volonté politique de repenser ses
relations avec l’Afrique selon une démarche horizontale et d’insister pour que ce nouveau
partenariat soit bâti sur des échanges ouverts à la société civile, qui doit être impliquée
dans la conception des politiques publiques. Cette idée est réaffirmée avec force lors du
discours du président de la République à Yaoundé, au Cameroun, en juillet 2022.
La démarche n’a cependant pas convaincu. Les chefs d’État africains se sont sentis exclus
par ce sommet qui vise à les écarter du dialogue avec la France : ils l’ont vécu comme un
acte de défiance et une manière d’interférer dans leurs rapports avec leur propre
population. Le ton adopté par certains jeunes, volontiers directs envers le président de la
République française, a également surpris, voire déplu, dans des sociétés africaines où la
séniorité et le respect dû aux autorités sont deux valeurs cardinales. S’y ajoute un manque
de résultats concrets qui a pu décevoir, aussi bien les Africains séduits par la méthode,
que les concepteurs du sommet qui espéraient des résultats plus rapides.
Sources diverses

(1) « Nouveau Sommet Afrique-France : la continuité masquée de la politique africaine d'Emmanuel Macron »,
Élisa Domingues dos Santos et Sina Schlimmmer, L’Afrique en questions, n° 61, 27 octobre 2021.
(2) Le 27 novembre 2020, Achille Mbembe signe, dans Jeune Afrique, une tribune extrêmement critique sur la
politique africaine d’Emmanuel Macron après la parution, dans le même journal, d’un long entretien du
président français. Il lui reproche de faire passer ce qui est une « simple opération marketing » en une
révision en profondeur des rapports franco-africains. Il dénonce, en particulier, l’absence d’imagination
historique, de parole politique de poids et de concept, au profit d’une stratégie à visée lucrative.
(3) Afrique du Sud, Angola, Kenya, République démocratique du Congo, Cameroun, Nigeria, Niger,
Burkina Faso, Mali, Côte d’Ivoire, Sénégal et Tunisie.
— 66 —

Enfin, à cette liste d’erreurs et de maladresses, il convient d’ajouter la


pratique des déplacements officiels de seulement quelques heures perçus par le pays
d’accueil comme un profond manque de respect et d’intérêt.

b. La politique des visas « au cœur de la discorde »

« Moi, je ne demande même plus de visa à la France. Je ne veux plus vivre


d’humiliation ». Voilà le type de témoignages surprenant et révoltant que les
rapporteurs, comme nombre de parlementaires, reçoivent chaque jour. Pensons à
cette professeure tunisienne de l’institut Pasteur qui se voit refuser un visa,
finalement accepté quand sa fille mineure est, elle, recalée. Le vice-président de
l’Assemblée nationale du Cameroun muni d’un passeport diplomatique se voit
refuser un visa pour se rendre à une conférence sur la francophonie. Un donneur de
rein sénégalais ne peut aller à l’hôpital ; cet élève majeur en classe de terminale au
lycée Mermoz d’Abidjan choisit, à défaut de pouvoir se rendre en France, de
poursuivre ses études au Canada ou encore cette cheffe d’entreprise de Côte d’Ivoire
qui, ne pouvant obtenir le fameux sésame pour former ses techniciens à de nouveaux
matériels qu’elle souhaitait acheter dans notre pays, s’est finalement approvisionnée
en Inde pour développer son entreprise. Et la liste est encore longue.

La politique des visas menée par la France et la question des laissez-passer


consulaires, sont plus que des irritants majeurs de la relation entre les populations
d’Afrique et notre pays : elles sont contre-productives. S’agissant des visas, il
existe, en effet, une contradiction certaine entre les injonctions à développer des
projets toujours plus inclusifs et ouverts aux sociétés civiles, chercheurs, artistes du
continent africain, et les barrières existantes à leur mobilité vers la France. De
nombreuses expériences malheureuses, absurdes et humiliantes ont ainsi été
rapportées : refus de visas sans justifications, délais de réponses extrêmement longs,
arrestations par la police des frontières de personnes étant pourvues de toutes les
autorisations nécessaires. Les démarches pour obtenir un visa sont longues,
complexes et de plus en plus déléguées à des plateformes d’entreprises privées
auxquelles nombre de consulats, dépassés par les demandes, ont sous-traité la
gestion : celles-ci sont souvent perçues par les populations locales comme une
contrainte supplémentaire, allongeant excessivement la liste des pièces à fournir
requises et faisant l’objet, pour certaines, à tort ou à raison, de soupçons de
corruption. Le rapport de Paul Hermelin (1), paru en avril 2023, n’hésite pas à parler
du « caractère dramatique de la situation actuelle » et de « crise des visas »,
constatant sur « tous les sites sans exception […] des demandeurs mécontents, des
responsables frustrés et des services consulaires souvent épuisés ».

Il ne s’agit pas de nier les enjeux propres à la délivrance des visas, y compris
en matière de gestion des flux, à laquelle la rapporteure Michèle Tabarot rappelle
sans détour son attachement, mais seulement de souligner que son pilotage par le
seul ministère de l’intérieur comme une politique migratoire au détriment de son
inscription dans le cadre plus large d’une politique assurant le rayonnement de la

(1) « Propositions pour une amélioration de la délivrance des visas », Paul Hermelin, avril 2023.
— 67 —

France à l’étranger est dommageable pour l’image de notre pays. Dans des secteurs
aujourd’hui aussi concurrentiels que l’éducation et la recherche au niveau mondial
– pour ne citer qu’eux – la France prend le risque de se marginaliser au profit de
pays ayant bien compris l’intérêt que ces échanges représentent, tels que le Canada
et les États-Unis souvent cités en exemples. En Côte d’Ivoire, par exemple, il est
fréquent et désolant de constater que de brillants étudiants ayant fait toute leur
scolarité dans des écoles françaises jusqu’au baccalauréat rejoignent ensuite le
Canada ou un pays anglophone pour leurs études supérieures faute d’obtenir un visa
pour intégrer une université ou une classe préparatoire en France. Lors de la
conférence des ambassadrices et des ambassadeurs du 28 août 2023, le président de
la République a reconnu que le système de délivrance des visas actuel manquait
d’efficacité et concourrait trop souvent à pénaliser les familles et les talents
nourrissant positivement la relation bilatérale sans parvenir à lutter efficacement
contre l’immigration illégale et les réseaux de passeurs.

B. LA STRATÉGIE AFRICAINE DE LA FRANCE MANQUE DE LISIBILITÉ


DANS SA MISE EN ŒUVRE

1. La France dispose d’avantages comparatifs en Afrique mais subit


encore trop souvent les évènements

a. Une volonté manifeste d’investir de nouveaux domaines…

En 2017, le président de la République affiche une vraie volonté de tourner


la page de la Françafrique et lance de nombreux chantiers : restitution d’œuvres
d’art, travail sur la mémoire, réforme du franc CFA, notamment.

La stratégie présidentielle cherche ainsi à investir de nouveaux secteurs qui


forment l’agenda transformationnel : entre autres, la culture, le sport, les industries
culturelles et créatives, la formation professionnelle, l’entrepreneuriat et
l’innovation. L’objectif est de tisser des liens nouveaux avec les sociétés civiles tout
en se départissant d’une charge émotionnelle et symbolique ralentissant la
construction d’une relation franco-africaine apaisée et positive. Les rapporteurs
n’ont pas l’ambition de brosser un portrait exhaustif de l’ensemble des projets
annoncés – fort nombreux au demeurant – dans ce cadre mais de présenter quelques
exemples significatifs de la nouvelle méthode présidentielle, et de démontrer que,
par manque de vision et de capacité communicationnelle, ses atouts ne servent pas
suffisamment l’action de notre pays.

i. Sur le plan culturel

La restitution des œuvres d’art africaines

De nombreux projets ont été portés par le président de la République


concernant les sujets culturels, entendus au sens large. Le plus médiatique, et sans
doute le plus discuté, concerne la restitution temporaire ou définitive du patrimoine
africain en Afrique. Dans son discours de Ouagadougou déjà, Emmanuel Macron
— 68 —

soulignait l’importance de l’accès de la jeunesse africaine à son patrimoine, qui ne


pouvait se trouver uniquement dans les collections privées et les musées européens.
Il a alors initié une réflexion sur une politique de restitution qu’il ne souhaite pas
envisager comme une entreprise de renationalisation des patrimoines nationaux
mais plutôt comme un accès universel au patrimoine commun de l’humanité.

En mars 2018, le président de la République a chargé l’historienne française


Bénédicte Savoy et l’écrivain sénégalais Felwine Sarr d’une mission visant à
préciser les conditions dans lesquelles cette annonce pourrait être concrétisée. Cette
mission a donné lieu à un « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel
africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle », remis au président de la
République le 23 novembre 2018, dont l’objectif n’est pas seulement la restitution
des œuvres d’art africaines à leur pays d’origine mais aussi la capacité de ces objets
à créer du lien et une forme de réciprocité dans la relation. Comme le souligne
Amadou-Mahtar M’Bow, alors directeur général de l’UNESCO, dans un discours
du 7 juin 1998 cité dans le rapport : « Les peuples victimes de ce pillage […] voient
bien que certaines œuvres partagent depuis trop longtemps et trop intimement
l’histoire de leur terre d’emprunt pour qu’on puisse nier les symboles qui les y
attachent et couper toutes les racines qu’elles y ont prises. »

Suite à ce rapport, le Parlement français a adopté une loi, le 24 décembre


2020, permettant la restitution de 26 œuvres du trésor d’Abomey réclamées par le
Bénin, prises de guerre du général Dodds dans le palais de Béhanzin, ainsi que celle
du sabre d’El Hadj Oumar Tall au musée des civilisations noires de Dakar. De
même, à la suite de la demande officielle du président malgache, la France a remis,
le 5 novembre 2020, l’élément décoratif en forme de couronne surmontant le dais
de la dernière reine malgache, Ranavalona III, par le biais d’une convention de
dépôt de cinq ans.

Après ces premières restitutions, la France a semblé prendre du retard dans


la mise en œuvre de son projet, par frilosité du ministère en charge de la culture :
ses voisins belges et allemands, pourtant inspirés par la France, ont pris une certaine
avance dans la poursuite de politiques similaires. Lors de son déplacement au Bénin
en juillet 2022, le président de la République a toutefois réitéré son souhait qu’une
loi-cadre, qui établirait des critères précis de « restituabilité » et permettrait de
poursuivre et de simplifier ce travail de restitution, voit le jour rapidement. Dans
cette perspective, il a confié à Jean-Luc Martinez, ancien président-directeur
général du musée du Louvre, le soin de lui remettre un rapport sur le sujet (1).

(1) «Patrimoine partagé, : universalité, restitutions et circulation des œuvres d’art. Vers une législation et une
doctrine françaises sur les critères de « restituabilité » pour les biens culturels », Jean-Luc Martinez,
avril 2023.
— 69 —

La restitution des œuvres d’art extra-européennes par l’Allemagne : un processus


décentralisé qui fait débat
La question des restitutions est un sujet débattu dans de nombreux pays européens, y
compris en Allemagne, où des discussions sur l’opportunité de restituer ces œuvres sont
activement engagées. Dès 2013, la rénovation du Humboldt Forum, musée
d’ethnographie de Berlin, a suscité des débats sur la légitimité de la propriété des pièces
extra-européennes dans les collections du pays, en particulier celles issues du continent
africain. En effet, le musée concentre près de la moitié des 1 100 objets acquis par des
institutions allemandes lors de la vente des biens issus du sac de Benin City en 1897 par
les troupes britanniques. Ces sculptures, bas-reliefs et objets proviennent du palais royal
de l’ancien royaume du Bénin, situé dans l’actuel Nigéria. L’idée d’une loi fédérale sur
les restitutions avait été évoquée, notamment par le parti des Verts (Die Grünen), après
les élections fédérales allemandes de 2021, mais ne s’est pas concrétisée. Bien que des
questions (« anfragen ») au Gouvernement évoquent régulièrement les restitutions
d’œuvres d’art au sein du Parlement fédéral, le sujet ne semble plus à l’ordre du jour.
La propriété des collections des musées relevant de la compétence des régions, certains
Länder mènent une politique volontariste de restitution au Nigéria. Cette campagne de
restitution a notamment été préparée par une enquête scientifique à grande échelle
recensant tous les bronzes du Bénin. L’État fédéral allemand avait auparavant signé avec
le gouvernement fédéral du Nigéria une déclaration conjointe à Lagos, le 1er juillet 2022,
qui renouvelle l’accord bilatéral de coopération culturelle signé en 1999. Les deux États
déclarent vouloir faciliter le transfert de propriété des « bronzes de Benin » au Nigéria
faisant l’objet d’accords séparés. Le déclassement des œuvres (sortie du bien culturel du
domaine public) ne nécessite pas de loi spécifique : chaque Land peut émettre un simple
acte de sortie de ses actifs.
L’accord prévoit ainsi le transfert des droits de propriété de centaines d’œuvres d’art au
Nigéria selon des modalités qui pourraient inspirer la loi-cadre française : il est prévu que
certains artefacts retournent en Afrique et que d’autres demeurent en Allemagne, sous
forme de prêts à long terme du Nigéria. Néanmoins, même lorsque le transfert de
propriété a été acté, peu d’objets ont véritablement regagné leur pays d’origine. Ainsi,
pour les collections prussiennes, seulement une vingtaine d’œuvres ont été physiquement
restituées au Nigéria en décembre 2022. La propriété des autres œuvres a bien été
transférée mais celles-ci restent conservées à Berlin.
L’État fédéral allemand a par ailleurs signé en 2021 avec la Namibie un accord de
reconnaissance de sa responsabilité dans le génocide des peuples Herero et Nama
(1904-1908) incluant une réparation financière sur trente ans mais ne comportant aucun
volet patrimonial ou culturel. Cet accord a été précédé par un retour des restes humains
conservés dans diverses institutions (musées, hôpitaux) en 2011, 2014 et 2018. Des
négociations équivalentes sont actuellement en cours avec la Tanzanie pour le
rapatriement des crânes de chefs rebelles tanzaniens pendus en 1900 par les autorités
allemandes.
L’Allemagne s’est également engagée dans une politique de formation et de recherches
autour de ces œuvres, laquelle accompagne le processus de restitution. Elle a ainsi lancé,
en mai 2021, TheMuseumsLab, un programme facilitant l’échange et la formation
continue pour de jeunes experts muséaux et pour des gestionnaires africains et allemands.
L’objectif, à terme, de cette plateforme, qui permettra à la fois une formation conjointe
et la transmission des compétences à des individus et à des institutions, est la création
d’une agence de coopération internationale des musées. Suivant le modèle de l’Agence
— 70 —

France Museum, créée en 2007, l’Allemagne souhaite en effet aider les musées nationaux
à être mieux représentés à l’international.
La France et l’Allemagne ont également lancé de nouveaux projets communs en matière
culturelle. Les deux pays ont signé, le 23 janvier 2023, un accord relatif à la mise en place
d’un fonds franco-allemand pour favoriser les recherches sur la provenance des biens
culturels produits en Afrique sub-saharienne. L’objectif de cette initiative est de mener
des démarches scientifiques communes des deux côtés du Rhin en vue d’identifier
l’origine de certaines œuvres et de pouvoir les rendre aux Africains.
Si les restitutions allemandes semblaient faire l’objet d’un relatif consensus, elles ont
donné lieu à une polémique en mai 2023, qui a trouvé un écho manifeste au sein du
Bundestag. Ces contestations sont apparues suite à la révélation, le 23 mars 2023, du fait
que le président nigérian sortant, Muhammadu Buhari, avait signé un décret cédant à
l’oba (roi) de l’ancien royaume du Bénin la propriété des bronzes récemment restitués
par l’Allemagne au Nigéria, y compris ceux encore présents en Allemagne ; l’oba refuse,
en outre, que ces bronzes soient exposés à l’Edo Museum of West African Art
(EMOWAA), le nouveau musée de Benin City cofinancé par l’Allemagne. Les médias
allemands ont, par ailleurs, révélé que les bronzes avaient été fabriqués à partir de
bracelets en métal utilisés par les commerçants portugais comme moyen de paiement
contre des esclaves, la traite négrière ayant été maintenue dans le royaume du Bénin de
l’ancêtre de l’oba pour son bénéfice. Si le gouvernement fédéral comme les institutions
muséales allemandes assument leur politique de restitution, les débats n’en demeurent
pas moins vifs et le Land de Saxe a décidé de suspendre le processus de restitution le
concernant.
Au-delà de la seule question de la restitution des œuvres d’art, l’Allemagne renouvelle
avec succès ses liens avec ses anciennes colonies dans le domaine artistique et muséal.
Ainsi, la Maison des cultures du monde de Berlin, institution prestigieuse mais souffrant
d’une image quelque peu ampoulée, est désormais dirigée par le curateur
germano-camerounais Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, premier directeur non-blanc
de l’institution.
Sources diverses

Parallèlement à ces restitutions, la France s’est engagée pour la conservation


et la rénovation du patrimoine sur le continent, en initiant une politique de
coopération et d’expertise muséale, qui doit permettre une meilleure circulation des
œuvres. En 2021, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a, par exemple,
mis en œuvre huit projets financés par le fonds de solidarité pour les projets
innovants (FSPI) dans le domaine patrimonial et muséal en Afrique.

La saison Africa 2020

Annoncée par Emmanuel Macron lors de son discours de Ouagadougou, la


saison Africa 2020 a été conçue comme une concrétisation de l’ambition
présidentielle de changer le regard de la France sur l’Afrique. Sa commissaire
générale N’Goné Fall l’a ainsi pensée comme une invitation à voir le monde du
point de vue africain. Concrètement, la Saison a donné lieu à l’organisation de
1 500 événements dans plus de 210 villes françaises. Elle a permis l’émergence de
partenariats durables entre les 489 structures africaines et les 422 structures
françaises impliquées.
— 71 —

Au-delà des chiffres, c’est la méthode qui a pu retenir l’attention. Structurée


autour de cinq thèmes (oralité augmentée, économie et fabulation, archivage
d’histoires imaginaires, fiction et mouvement (non) autorisés et systèmes de
désobéissance), Africa 2020 a, en effet, accordé une grande place aux débats
d’idées, aux sciences sociales, aux sujets de mémoire et à un volet éducatif
– 350 projets pédagogiques ont pu être soutenus – ayant permis de mettre en relation
des établissements scolaires en France et sur le continent africain, tout en cherchant
à intégrer dans l’ensemble des projets soutenus une dimension panafricaine et
pluridisciplinaire. Elle a aussi été conçue de manière décentralisée, puisqu’elle s’est
déployée dans une douzaine de quartiers généraux (« QG ») éphémères partout en
France métropolitaine et ultramarine, prétexte à une programmation co-créée par
des collectifs français et africains.

Outre la continuation de la Saison par le soutien apporté via l’Institut


français à 22 projets conçus dans le cadre d’Africa 2020 à hauteur de 700 000 euros,
son esprit n’est pas sans inspirer un autre projet structurant du président de la
République – témoignant de la recherche de cohérence entre l’ensemble des projets
poursuivis – annoncé lors de la clôture de la Saison Africa 2020 : l’ouverture d’un
« QG permanent » ou « QG des QG », qui devrait se concrétiser par la création de
la Maison des mondes africains.

La Maison des mondes africains

La conception de ce nouvel espace, qui a vocation à être plus qu’un simple


établissement culturel, a été confirmé par le président de la République lors du
Nouveau sommet Afrique-France du 8 octobre 2021. Il doit s’agir d’un « lieu
pluridisciplinaire de création, de rassemblement, de découverte, d’information et
d’innovation, [qui] aurait pour vocation à devenir une référence pour tous ceux qui
s’intéressent à l’Afrique et/ou souhaitent y mener des projets […], créant un lien
quotidien et vivant entre la France et l’Afrique ».

Suite à la tenue du sommet, une mission de préfiguration a été initiée par le


président de la République. Portée par le diplomate Luc Briard et la journaliste
Liz Gomis, membre du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) et de l’équipe
d’Africa 2020, elle remit son rapport en mars 2022 et le président confirma son
souhait que la Maison, dont Liz Gomis a été nommée préfiguratrice, puisse s’ouvrir
à l’été 2024.

Le projet souhaite favoriser les échanges entre la France et l’Afrique dans les
secteurs que sont la culture, la recherche, l’entrepreneuriat et l’engagement, ainsi
qu’entre les diasporas et les acteurs continentaux. Il doit s’appuyer sur la nouvelle
recherche pour produire un discours lucide et apaisé, notamment sur les questions
mémorielles, faciliter l’accès aux archives, aux ressources, aux réserves françaises
qui parlent de et à l’Afrique, et favoriser leurs exploitations par des acteurs africains.
— 72 —

Les industries culturelles et créatives

Les industries culturelles et créatives (1) (ICC) constituent une déclinaison


de l’agenda transformationnel au cœur des préoccupations du président de la
République. En effet, elles recouvrent de nombreux enjeux, en termes de
souveraineté et d’égalité (produire ses propres images et disposer des réseaux pour
les diffuser), de prescription (alimenter le monde de créations africaines) et de défis
économiques (permettre aux écosystèmes africains de produire des œuvres, en
partenariat avec tous les acteurs français). Elles assurent la rencontre de divers
acteurs : créateurs d’images et de médias, entrepreneurs, concepteurs d’un
écosystème propice à leur incubation et à leur accélération, chercheurs et acteurs
démocratiques, mobilisés sur des sujets tels que la régulation des plateformes, la
propriété des datas ou encore la définition et la protection des droits d’auteur. En ce
sens, les ICC sont traversées par une circulation d’idées, d’acteurs et d’enjeux qui
en font des sujets de transformation du partenariat entre la France et l’Afrique
particulièrement féconds.

Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a confié une « mission


prioritaire ICC » à 37 ambassades en centrant une partie de son action sur le
continent africain à travers sept postes en Afrique du Sud, en Côte d’Ivoire, au
Kenya, au Maroc, au Nigéria, au Sénégal et en Tunisie. Par ailleurs, depuis 2017,
l’AFD dispose d’un mandat sur les ICC. Elle soutient ainsi divers projets, parmi
lesquels :

– « accès culture ». Porté par l’AFD et mis en œuvre par l’Institut français,
ce programme vise à accompagner et financer des projets culturels en Afrique dans
le but de favoriser le lien social et renforcer les collaborations entre acteurs culturels
africains et français. Initialement doté de 3 millions d’euros pour la période
2020-2022, il a été reconduit pour 3 millions d’euros et élargi entre 2023 et 2027 au
Kenya, au Nigéria et à l’Afrique du Sud ;

– « Afrique créative ». Soutenu par l’AFD à hauteur de 2 millions d’euros


pour sa troisième édition et mis en œuvre par l’organisme dédié à la culture,
Africalia, ce programme cherche à soutenir le développement, le renforcement des
compétences et la mise en réseau des ICC africaines ;

En outre, sur la volonté du président de la République, un forum ICC, conçu


comme un rendez-vous annuel entre les acteurs publics et privés visant à créer des
opportunités dans le secteur des ICC et à mieux accompagner les jeunes talents
africains, s’est tenu à Paris du 6 au 8 octobre 2023.

(1) Les industries culturelles et créatives recouvrent les arts visuels, le spectacle vivant, la musique, le livre, le
cinéma, les contenus audiovisuels, la création numérique, les musées et le patrimoine, l’architecture, le
design, la mode, les métiers d’art et les médias.
— 73 —

ii. Sur le sport

Le sport constitue aux yeux du président de la République « un puissant


vecteur de développement et de croissance des économies africaines », qui présente
le double avantage de parler à la jeunesse et de mettre en valeur l’apport des
diasporas africaines en France, incontestable et particulièrement visible dans ce
domaine. La France peut s’appuyer sur son expertise reconnue dans la formation
des joueurs et des entraîneurs à la gestion du sport amateur et de la haute
performance. Les visites présidentielles sont souvent l’occasion de mettre en valeur
les partenariats existants dans ce secteur, au Nigeria où l’AFD a signé un partenariat
avec la NBA, au Rwanda ou au Cameroun, dont le président a visité le club Noah
de Yaoundé lors de son déplacement, en juillet 2022, dans le pays.

La France a conclu de nombreux partenariats avec ses homologues


africains, en particulier dans les domaines du rugby, du football et du basketball,
lesquels visent à construire ou entretenir des infrastructures sportives et assurer leur
gestion pérenne mais également à promouvoir l’accès des jeunes filles et femmes
aux activités et infrastructures sportives.

Dans ce cadre, l’AFD a été mandatée pour faire du sport un outil de


réalisation des objectifs de développement durables (ODD) dès février 2018.
L’Agence a ainsi engagé plus de 112 millions d’euros, accompagné 74 athlètes et
soutenu une centaine de projets dans le secteur du sport en Afrique.
— 74 —

Le partenariat entre Paris 2024 et les Jeux olympiques de la jeunesse Dakar 2026
Une séquence sport de premier plan s’ouvre prochainement avec les Jeux olympiques et
paralympiques (JOP) Paris 2024 et les Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ) Dakar 2026,
lesquels se tiennent pour la première fois en Afrique. Dans ce cadre, un partenariat entre
les écosystèmes français et africains mobilisés pour l’organisation de ces évènements a
été conclu.
Parmi les projets réalisés dans le cadre de cette collaboration, on peut citer :
– la création, en septembre 2019, de l’Alliance Dioko dont l’objectif est de favoriser le
partage d’expertise entre les acteurs des mouvements sportifs français et sénégalais dans
la perspective des JOJ de Dakar ;
– le lancement d’un programme d’incubation d’athlètes porteurs de projets
d’entrepreneuriat social et environnemental, qui permet le financement par Paris 2024 de
10 athlètes en France et de 16 athlètes en Afrique soutenus par l’AFD ;
– l’appel à projets « Impact 2024 International », lancé en juillet 2021, afin
d’accompagner et de financer à hauteur de 10 000 à 40 000 euros des projets utilisant le
sport comme outil au service du développement en Afrique ; 19 projets ont ainsi été
financés lors des deux premières sessions et deux nouvelles sessions sont organisées à
partir de la mi-2023 ;
– le financement par l’AFD de 45 millions d’euros destinés aux autorités sénégalaises
dans le cadre de l’organisation des JOJ de Dakar en 2026, afin de permettre la
réhabilitation d’infrastructures sportives existantes et la construction de nouvelles
infrastructures, la définition d’une stratégie de gestion et d’entretien des sites et la
promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’accès aux équipements
sportifs.
Sources diverses

iii. Sur l’entreprenariat et l’innovation

« La deuxième révolution que nous pouvons conduire ensemble, cette


révolution qui permettra le sursaut de la jeunesse, c’est celle de l’innovation et avec
elle de l’entrepreneuriat. C’est la seule révolution qui peut apporter les
450 millions d’emplois dont l’Afrique aura besoin d’ici 2050. Concrètement la
France sera au rendez-vous en consacrant plus d’un milliard d’euros pour soutenir
les PME africaines. ». Une fois de plus, l’ambition du président de la République
est présente dans son discours fondateur de Ouagadougou. En cohérence avec les
facteurs structurants de sa stratégie, la France voit dans ces domaines une
opportunité de soutenir la jeunesse, les femmes et les initiatives portées par les
diasporas africaines sur son territoire.

Dans les faits, la France a dépassé l’objectif fixé de 1 milliard d’euros : ce


sont en fait 3 milliards qui ont été engagés en soutien aux petites et moyennes
entreprises (PME), dont 780 millions en réponse à la crise économique résultant de
la pandémie de la Covid-19 (programme « Choose Africa Resilience »).
— 75 —

Quelques exemples d’initiatives de soutien à l’entreprenariat et à l’innovation en


Afrique
1°) Choose Africa
Au 31 décembre 2021, 3 milliards d’euros de financements ont été engagés par le
programme « Choose Africa » d’appui aux PME, parmi lesquels 780 millions d’euros en
réponse à la crise économique faisant suite à la pandémie (« Choose Africa Resilience »)
qui s’est achevée le 31 décembre 2021. Au total, ce sont 26 000 entreprises et plusieurs
dizaines de milliers de micro-entrepreneurs qui ont été soutenus. Dans ce même cadre,
près de 2 500 entreprises bénéficient aussi d’un accompagnement technique.
2°) Digital Africa
La France porte une attention particulière au développement des entreprises du
numérique sur le continent africain. C’est dans cette perspective qu’elle a créé l’initiative
« Digital Africa », d’abord sous la forme d’une association soutenue par l’AFD, en 2018,
avant qu’elle ne devienne, en 2021, une filiale de Proparco.
Concrètement, « Digital Africa » intervient au bénéfice de sociétés en création ou dont le
stade de maturité ne permet pas encore le soutien de Proparco (pré-amorçage et
amorçage), pour de tickets en direct d’un montant de 500 000 euros maximum sur des
cibles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 300 000 euros et visant une levée de fonds
inférieure à 1,5 million d’euros.
3°) Affirmative Finance Action for Women in Africa (AFAWA)
Lancé à l’occasion du G7 de Biarritz en août 2019, le mécanisme AFAWA de facilitation
de l’accès au crédit pour les femmes entrepreneuses sur le continent africain est désormais
effectif dans six pays (Cameroun, République démocratique du Congo, Kenya, Rwanda,
Tanzanie et Ouganda) grâce à l’adhésion de leurs établissements financiers. La France
apporte une contribution de 135 millions de dollars qui va permettre, aux côtés des
Pays-Bas et de la Banque africaine de développement (BAD), de fournir des garanties
aux institutions bancaires pour accélérer l’accès aux prêts pour ces femmes.
La France apporte également un soutien en matière d’assistance technique à hauteur de
4,5 millions de dollars en 2021. Cette assistance vise à offrir des services de conseil aux
institutions financières (banques et autres intermédiaires) pour leur permettre d’adapter
leurs services financiers à destination des femmes entrepreneures et de garantir une mise
en œuvre optimale de leurs portefeuilles de produits destinés aux femmes. Elle cible aussi
directement le renforcement des capacités des femmes entrepreneures grâce à des
formations visant à optimiser la productivité et la croissance de leur entreprise.
Sources diverses

b. …dont la réalisation tarde à se concrétiser

Les sujets investis sont multiples tout comme les projets présentés : ils
créent une vive attente chez nos partenaires africains, et ce d’autant plus qu’ils
tardent à voir le jour, au risque de susciter de la frustration. Comme souvent,
l’ambition affichée est grande mais les moyens consacrés sont modestes et la mise
en œuvre pèche par une lenteur et une désorganisation caractéristique. Une fois de
plus, le décalage entre les effets d’annonce et la réalité vécue par les populations est
important et ne peut que créer du désenchantement.
— 76 —

L’exemple du sommet de Montpellier est à ce titre éloquent : presque deux


ans après sa tenue, rares sont les initiatives concrètes qui ont suivi, à l’exception
peut-être de la fondation de l’innovation pour la démocratie, en cours de
construction, et de la maison des mondes africains, encore à venir.

Il est donc urgent de donner une traduction réelle à ces projets dont certains
semblent particulièrement prometteurs, à l’instar de la fondation de l’innovation
pour la démocratie, dont les rapporteurs ont pu rencontrer des acteurs lors de leur
déplacement en Côte d’Ivoire, et qui présente l’avantage d’être pensée et conçue
depuis le terrain par des Africains.

2. Une stratégie qui pâtit des contradictions entre ses fondements


théoriques et sa mise en œuvre

Tout l’enjeu de la stratégie présidentielle de 2017 était d’investir des sujets


alternatifs à la question militaire qui a longtemps dominé les relations
franco-africaines. La gestion de l’opération Barkhane et du retrait de ses troupes a
cependant mis à mal cet objectif.

a. Des enjeux sécuritaires persistants

La présence militaire de la France en Afrique a fondé une grande partie de


son influence sur la scène internationale ainsi que sa spécificité. C’est en effet vers
la France que se tournent tous ses partenaires, y compris les États-Unis, lorsqu’ils
s’inquiètent de l’évolution politique ou sécuritaire du continent (1). C’est elle qui est
à la manœuvre, aux Nations Unies, lorsque le Conseil de sécurité décide de rédiger
une résolution permettant une intervention en Afrique, notamment grâce à un relais
d’influence, le secrétariat général adjoint aux opérations de maintien de la paix. Il
ne fait guère de doute qu’une partie de l’attachement de la France à sa présence
militaire en Afrique repose sur cette donnée : elle tient à cet héritage, sans lequel
elle sera définitivement reléguée au rang de puissance moyenne. Cette position a
toutefois un revers : alors que la France joue le rôle de « gendarme de l’Afrique »,
ses partenaires, y compris européens, en profitent pour développer leurs liens
commerciaux avec le continent et la supplanter économiquement.

D’autres raisons justifient une telle présence. La France compte une diaspora
d’environ 150 000 personnes installées au Sud du Sahara, principalement en
Afrique de l’Ouest. La protection de ces populations est un enjeu non négligeable,
justifiant le maintien des quatre bases permanentes françaises en Afrique, au
Sénégal, au Gabon, en Côte d’Ivoire et à Djibouti. Si notre pays n’a a priori plus
vocation à intervenir pour soutenir des régimes politiques, quels qu’ils soient, la
conservation de ses bases présente tout de même l’avantage de servir de zones
d’appui dans l’hypothèse où serait menée une opération d’envergure visant à
sécuriser les ressortissants français, s’ils devaient être menacés d’un péril grave.
Ainsi que le souligne un récent rapport sénatorial consacré à la stratégie française

(1) Lorsque des diplomates américains sont nommés ambassadeurs en Afrique, c’est en France qu’ils viennent
se former sur leur pays de destination.
— 77 —

dans le Golfe de Guinée (1), on ne peut exclure, dans un continent encore marqué
par une présence djihadiste active, le développement d’un nouveau sanctuaire
terroriste qui servirait de base arrière pour des actions projetées contre la France.

Celui-ci pourrait justifier la poursuite d’une nouvelle intervention en Afrique,


probablement de courte durée, nécessitant de conserver une logistique importante
sur le continent. Comme le souligne le chercheur et docteur en histoire
Elie Tenenbaum, de telles bases constituent enfin « des pôles de coopération avec
les forces locales, des interfaces permanentes et des points d’observation uniques à
la compréhension de la région » (2).

(1) « Quelle stratégie française dans le golfe de Guinée ? », rapport d’information déjà mentionné.
(2) « Pour les armées françaises en Afrique, pas d’influence sans présence », Elie Tenenbaum, tribune,
Le Monde, le 19 janvier 2023.
— 78 —

L’évacuation des ressortissants français et étrangers du Soudan : l’exemple de


l’utilité de la base française de Djibouti et d’un réseau diplomatique universel
Face à la dégradation de la situation sécuritaire au Soudan, les armées françaises ont mené
à la demande du président de la République une opération d’évacuation de ressortissants
français et étrangers présents dans le pays entre le samedi 22 et le mercredi 26 avril 2023.
L’opération Sagittaire, permise par une suspension temporaire des hostilités sur le
territoire soudanais, a pu être mise en œuvre par le Quai d’Orsay avec le concours du
ministère des Armées depuis la base de Djibouti.
Celle-ci s’est organisée en trois phases :
- la sécurisation d’une plateforme aéroportuaire à une vingtaine de kilomètres au nord de
Kharthoum, capitale soudanaise, grâce à laquelle dix rotations de vols militaires opérés à
partir de Djibouti ont permis l’évacuation de presque 500 ressortissants de toutes les
nationalités ;
- la frégate multi-missions à capacité aérienne renforcée (FREMM-DA) Lorraine a été
déployée à Port Soudan, en mer Rouge, et a permis l’évacuation de 400 ressortissants
dont plus de 100 enfants, conduits au port par un convoi terrestre des Nations Unies, pour
les transférer à Djeddah, en Arabie saoudite, en accord avec les autorités saoudiennes ;
- un avion a permis d’évacuer une centaine de personnes membres du personnel des
Nations Unies, très présentes dans la région du Darfour, vers le Tchad.
Au total, la France a ainsi évacué 1 998 ressortissants de 60 nationalités différentes dont
216 Français, ainsi que de nombreux ayants-droits. Au titre de la solidarité européenne,
75 % des coûts de l’opération Sagittaire ont été pris en charge dans le cadre du
mécanisme de protection civile de l’UE.
Source : audition par la commission des affaires étaffairesrangères de l’Assemblée nationale de
MM. Stéphane Romanet, directeur du centre de crise et de soutien du MEAE, et Christophe Bigot, directeur
de l’Afrique et de l’Océan indien, sur la situation au Soudan, le mercredi 17 mai 2023.

b. Les limites d’un prisme trop sécuritaire

Si les enjeux sécuritaires persistent en Afrique, une approche purement


sécuritaire du continent présente des limites, comme ont pu le prouver les difficultés
rencontrées par l’opération Barkhane.

Les raisons identifiées par les autorités françaises pour expliquer ces
dernières sont nombreuses :

– contrairement à l’idée que s’en sont faite les populations locales, sans que
celle-ci ne soit démentie par les autorités maliennes, le mandat de l’opération n’était
pas de sécuriser l’ensemble du pays mais de mettre la menace terroriste à la portée
des forces locales, en affaiblissant les groupes armés terroristes (GAT), en se
concentrant sur l’élimination de leurs chefs, et en participant à l’autonomisation
progressive des forces locales, grâce à des actions de formation et à un
accompagnement de ces dernières sur le terrain (1). La dégradation de la situation

(1) Pour plus d’informations sur la genèse et le déroulé de l’opération Barkhane, il est possible de se référer au
rapport d’information n °4089 de François Dumas, Sereine Mauborgne et Nathalie Serre pour la commission
de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, déposé le 14 avril 2021.
— 79 —

sécuritaire du pays et la multiplication des zones de non-droit ont ainsi été imputées
à tort à la France, alors même que leur résorption ne faisait pas partie du mandat de
Barkhane ;

– la dégradation récente des relations politiques entre la France et le Mali


suite à la survenue de deux coups d’État en l’espace de neuf mois (août 2020 et
mai 2021) mais dont les causes sont anciennes. Face à une armée malienne
nourrissant un fort sentiment de revanche après l’humiliation imposée en 2012 par
les groupes rebelles et djihadistes, et devant les exactions commises par cette
dernière contre les communautés arabes et touarègues de Tombouctou libérée, la
France s’est opposée à ce que l’armée malienne s’installe dans la ville de Kidal.
Cette position lui vaudra le ressentiment durable de l’armée et de ses chefs
persuadés, évidemment à tort, que notre pays jouait double jeu et soutenait les
terroristes (1) ;

– le manque de volonté politique de l’État malien « au mieux défaillant, au


pire non-coopératif » (2) dans la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la
réconciliation au Mali, dit accord d’Alger, signé le 15 mai 2015 par le
gouvernement malien et la plateforme des mouvements du 14 juin 2014 d’Alger (3),
puis, le 20 juin 2015, par la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) (4) ,
essentiel à la stabilisation du pays ;

– le manque d’efficacité du dispositif international onusien et européen


déployé au Mali (MINUSMA ; mission de formation de l’UE au Mali, EUTM Mali ;
mission de soutien aux capacités de sécurité intérieure maliennes, EUCAP Sahel
Mali) trop dispersé et insuffisamment coordonné pour compléter utilement l’effort
français.

Sans remettre en cause la pertinence des raisons invoquées par les autorités
françaises, d’autres facteurs peuvent expliquer les difficultés rencontrées par
l’opération Barkhane, un succès militaire mais un échec politique.

Rappelons d’abord quelques éléments de contexte : l’occupation, à partir de


2012, de différentes villes du Nord du Mali par des groupes djihadistes – Ansar
Dine, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et
Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) – s’accompagne d’exactions contre les
populations civiles et la destruction des mausolées de Tombouctou, ce qui provoque
l’indignation de la communauté internationale et l’élargissement du front
interventionniste. L’opération française Serval est alors déployée en urgence début
2013 et, de concert avec les forces armées maliennes et la mission de la

(1) « Barkhane : échec, réussite ou bilan nuancé », Jonathan Guiffard, institut Montaigne, analyses du 17 mars
2023.
(2) « Quels retours d’expérience du Sahel ? », entretien avec Charles Michel mené par Paul Mugnier, la revue
géopolitique, 15 juin 2023.
(3) Aussi appelée la plateforme des mouvements d’autodéfense, il s’agit d’une alliance de groupes armés maliens
pro-gouvernementaux qui se sont formés pendant la guerre du Mali.
(4) Alliance de groupes touareg et nationalistes arabes du Nord du pays.
— 80 —

CEDEAO – la mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine


(MISMA) –, les djihadistes sont expulsés des villes du Nord du pays en l’espace de
quelques mois. Ce succès, qui s’accompagne du rétablissement de la légalité
constitutionnelle par l’élection présidentielle de 2013, qui porte au pouvoir
Ibrahim Boubacar Keïta, ne permet pas de rétablir la paix dans le pays ni
d’empêcher la fragmentation de l’insurrection en une multitude de groupes armés,
qui investissent progressivement les régions du centre du pays et les zones
frontalières du Niger et du Burkina Faso.

Or, bien que son mandat au titre de l’opération Serval soit achevé, la France
décide de rester au Mali au nom de la « guerre contre le terrorisme » – elle ne cessera
de faire de cette doctrine l’aiguillon de sa politique militaire qu’à partir de 2017
alors que les États-Unis l’abandonnent comme unique point de référence dès 2014
pour mieux intégrer celle de la « compétition stratégique » (1) – dans le cadre de
l’opération Barkhane, initiée en 2014 (2). Elle fait le choix de cibler les têtes
pensantes du djihad, afin de déstructurer la chaîne de commandement des insurgés
et obtient, à ce titre, de nombreux succès tactiques qu’il convient de souligner : la
lutte contre le terrorisme menée entre 2013 et 2022 a permis aux forces françaises,
maliennes, nigériennes et burkinabé de mettre hors-de-combat (ils sont soit tués,
soit arrêtés et remis à la justice locale) les émirs des quatre katibats (3) d’AQMI et
plusieurs dizaines de leurs responsables opérationnels, les émirs d’Al Mourabitoune
et du MUJAO, un grand nombre de responsables d’Ansar Dine, trois des cinq émirs
du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) et les émirs de l’État
islamique au Sahel ; partant, elle a pu mettre un terme à l’action de la
quasi-intégralité des vétérans étrangers du djihad, qu’ils soient algériens,
mauritaniens, libyens, tunisiens, marocains ou levantins (4).

Sans doute la France aurait-elle dû davantage insister, notamment auprès


des populations locales, sur ces succès militaires indéniables qui valorisent son
action sur le terrain. Au lieu de cela, elle s’est laissée enfermer dans le narratif
imposé par les autorités maliennes qui ont eu beau jeu d’accuser notre pays de ne
pas savoir sécuriser l’ensemble du territoire, alors même qu’il ne s’agissait pas là
de sa mission.

Néanmoins, cette approche a aussi présenté des limites stratégiques :


l’élimination des chefs historiques de ces mouvements n’a pas permis de mettre fin
à l’expansion des insurgés vers le centre du Mali et la région des trois frontières, en
direction du Niger et du Burkina Faso, voire, plus au sud, en direction de la
Côte d’Ivoire. ; elle a renforcé le ressentiment contre les « croisés » français et a
souvent laissé la place à des leaders plus jeunes et encore plus radicaux ; enfin, cette

(1) Audition par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale de M. Elie Tenenbaum,
directeur du centre des études de sécurité de l’institut français des relations internationales, le jeudi 13 avril
2023.
(2) Le changement de nom de l’opération Serval en opération Barkhane aurait été décidé, en 2014, pour
sauvegarder l’héritage jugé positif de Serval.
(3) Une katiba désigne une unité, un bataillon ou un camp de combattants en Afrique du Nord ou dans le Sahel.
(4) « Barkhane : échec, réussite ou bilan nuancé », article déjà mentionné.
— 81 —

stratégie a favorisé la fragmentation des groupes d’insurgés, rendant difficile


l’identification d’interlocuteurs avec lesquels négocier.

Comment expliquer cette situation ? D’abord, peut-être, par une certaine


méconnaissance du Mali de la part des autorités françaises. Celles-ci n’ont pas
suffisamment tenu compte de sa position politique désastreuse dès le début des
années 2000, celle d’un État failli. Cela les a conduites à sous-estimer la défiance
des populations locales à l’égard du gouvernement de Bamako et de l’armée
malienne, accusée d’exactions contre la population. Leur coopération avec les
forces du G5 Sahel composées, outre du Mali, du Burkina Faso, de la Mauritanie,
du Niger, du Tchad et de la Mauritanie, dont les abus et violations des droits de
l’Homme ont favorisé la montée du djihadisme, a contribué à lui aliéner la
population sans obtenir de résultats probants sur le terrain.

La lecture de ces conflits par le seul prisme sécuritaire, réduit à la lutte


contre les groupes djihadistes, et religieux oublie ainsi les facteurs plus
profondément politiques et structurels de la crise du Sahel, conduisant à négliger les
demandes de justice sociale de la population face à des gouvernements décriés pour
leur corruption et leur affairisme. Elle ne voit pas que la montée du djihadisme dans
la zone sahélienne ne s’explique pas véritablement par une contagion
d’endoctrinement religieux de « fous de Dieu » s’inscrivant dans un djihab global.
Elle s’apparente davantage à l’expansion d’insurrections locales alimentées par des
enjeux sociétaux et socio-économiques : la pauvreté, les conflits d’usage de l’eau et
de la terre entre cultivateurs sédentaires et éleveurs nomades ou semi-nomades mais
aussi entre membres de chacune de ces deux catégories dans un contexte de
raréfaction des ressources due au changement climatique et à « l’explosion
démographique » de l’Afrique (1). L’un des enjeux de ces conflits tient donc en
partie aux restrictions de la circulation au sein même du continent africain,
lesquelles rendent impossible le maintien d’activités fondées sur le mouvement,
comme le pastoralisme : la question des mobilités africaines, essentiellement
abordée à travers la recherche de protection des frontières extérieures de l’Union,
doit ainsi davantage intégrer les mobilités internes à l’Afrique et la restructuration
de son territoire comme un espace ouvert autour de nœuds, couloirs et portails (2).
S’y ajoutent les enrôlements forcés et la présence de « zones grises » échappant
totalement à l’autorité régalienne des services de l’État du fait de leur mauvaise
gouvernance. Les conséquences en sont néfastes puisque cette lecture a justifié la
mobilisation d’un outil militaire en partie inadapté : la force conventionnelle s’est
révélée inefficace et coûteuse pour mener des opérations de contre-terrorisme
centrées sur la volonté de traquer des chefs djihadistes.

C’est que la solution militaire ne peut pas tout et ne saurait exclure toute
recherche politique de sortie de crise. Les témoignages recueillis tendent d’ailleurs
à prouver que les militaires eux-mêmes en avaient bien conscience. À titre

(1) Sur ce sujet voir : « Au Sahel, la difficile équation eau-terre-populations », Christian Bouquet, ID4D, publié
le 26 novembre 2019 et mis à jour le 17 juin 2021.
(2) « Afrique-France : neuf thèses sur la fin d’un cycle », Achille Mbembe, Le Grand Continent, 4 septembre
2023.
— 82 —

d’exemple, l’armée française a tenté de déployer au Mali des « colonnes foraines »


inspirées d’une initiative du Niger sur son territoire. L’objectif était de faire venir
l’administration malienne dans les villages libérés par l’armée française à partir de
la fin de l’année 2019, de manière à montrer aux populations locales que les
victoires françaises sur les groupes armés pouvaient avoir des conséquences
positives sur leur vie quotidienne. Une expérimentation a été menée à Labbezanga,
à la frontière avec le Niger : les Maliens devaient être en première ligne dans la mise
en œuvre de ce projet, les Français intervenant seulement pour apporter davantage
de sécurité et faciliter le processus par l’apport de moyens humains et financiers
complétant leur travail (1). Leur analyse n’a cependant pas été suivie par les
décideurs politiques. Les autorités maliennes elles-mêmes ont également profité de
l’affaiblissement de la France et d’un certain flottement entourant sa présence au
Sahel pour se rapprocher d’autres acteurs, à commencer par la Russie ; celle-ci a
l’immense avantage, aux yeux du gouvernement malien, d’être peu regardante sur
le respect des principes démocratiques quand la France ne cesse d’appeler à la tenue
d’élections libres.

L’exemple malien rappelle ainsi que, si la France ne doit pas s’interdire


d’intervenir militairement pour protéger ses intérêts et ses ressortissants en Afrique,
une approche purement sécuritaire du continent paraît à la fois inefficace et manquer
les véritables enjeux qui en structurent les évolutions actuelles : le militaire ne peut
se substituer au politique, même si son action est une réussite dans son domaine. La
question militaire a continué d’occuper le devant de la scène sur le continent et s’est
imposée comme un sujet éruptif dans une partie de l’Afrique francophone où les
forces militaires françaises sont présentes. Le cas récent du Niger est là pour le
rappeler : l’une des premières demandes de la junte qui a pris illégalement le
pouvoir est précisément d’exiger le retrait des troupes françaises.

3. La politique du « double standard » : l’écueil d’une doctrine politique


mal assurée

Il s’agit certainement là d’un point majeur qui rend illisible et incohérent


notre action en Afrique. Sortir de la Françafrique, c’est résoudre la contradiction
entre nos principes démocratiques et les écarts que nous nous accordons, lorsqu’il
s’agit de nos relations avec une grande partie des États d’Afrique francophone. Ne
pas mettre fin à cette politique du double standard, c’est continuer à nourrir le
scepticisme et le rejet, et à alimenter le fantasme d’un agenda français caché.

Déjà, en 1990, la politique de conditionnalité, qui devait concrétiser le


discours de La Baule, avait souffert de nombreuses exceptions remarquées.
Celles-ci ont perduré jusqu’aujourd’hui : la France est ainsi accusée d’être
volontiers moralisatrice avec les pays africains, alors même qu’elle ferait moins de
cas auprès de certains de ses alliés, par exemple dans le Golfe arabo-persique, au
risque de donner l’impression d’être dure avec les faibles et accommodante avec les
puissants. En Afrique même, ses positions peuvent être changeantes selon les

(1) Entretien avec le colonel Charles Michel déjà mentionné.


— 83 —

régimes envisagés. Si la France dénonce avec vigueur le coup d’État de la junte


malienne, elle se montre plus compréhensive avec d’autres pays. Au Tchad, la
présence du président français au premier rang des obsèques d’Idriss Déby, en
avril 2021, a été interprétée comme un soutien au général Mahamat Idriss Déby, fils
du « chef » disparu et déjà président d’un conseil militaire de transition (1) : quand
bien même cette vision serait erronée, le symbole reste et a été extrêmement
commenté par la jeunesse africaine sur les réseaux sociaux. Il ne fait guère de doute
que la France souhaitait marquer une certaine solidarité à l’égard d’un pays où est
déployée une partie des troupes françaises en Afrique. De même, quand le président
de la République reçoit, sur le perron de l’Élysée, Ali Bongo, le 12 novembre 2021,
le président gabonais justifie cette rencontre par l’importance de la relation
bilatérale, fort ancienne, entre les deux pays. Dans les faits, le Gabon et le Ghana
sont alors membres non permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies pour
la période 2022-2024 et le soutien du Gabon est donc un atout pour la France, en
particulier dans le cadre des opérations de maintien de la paix organisées en Afrique.

La realpolitik impose ainsi régulièrement à la France de soutenir et de


dialoguer avec des régimes peu démocratiques, quitte à être parfois gênée dans cet
exercice d’équilibriste : la visite d’Emmanuel Macron dans la République du Congo
de Denis Sassou-Nguesso, au pouvoir depuis 1979, se voulait aussi discrète que
possible, le président justifiant sa présence de quelques heures par une volonté de
n’ « humilier personne quand on fait une tournée régionale » (2). Il s’en est suivi un
décalage, sur le terrain, entre l’intention française de n’oublier aucun pays et le
sentiment vivace chez la population d’un manque de considération en raison de la
brièveté du séjour présidentiel.

Enfin, il nous faut éviter d’adopter des postures intransigeantes, en


particulier quand elles ne sont pas appliquées avec constance. S’il est indéniable
que le coup d’État au Niger n’est pas favorable à la France, le rapport de force et
l’attitude consistant à dicter nos conditions et refuser tout dialogue avec la junte au
pouvoir se sont avérés contre-productifs. Ils ont cristallisé l’attention de la
communauté internationale et donnent des arguments à la junte pour coaliser une
partie des opinions publiques dans un discours anti-français réducteur.

Or, comment justifier le bien-fondé et la sincérité de cette position quand,


dans le même temps, la France a semblé adouber une transition familiale au Tchad ?
En laissant s’installer l’idée que la France a agi en fonction de ses intérêts contre
ses principes de soutien à la démocratie, elle jette le doute sur sa sincérité dans toute
autre situation comparable.

Enfin, ce manque de stratégie est également visible à l’échelle temporelle :


la France semble encore trop souvent réagir à des crises qu’elle subit plus qu’elle
ne les prévoit et ne les anticipe. Il existe certes des lieux de prospective comme le

(1) « Prime française à la stabilité politique en Afrique plutôt qu’à la démocratie », Antoine Glaser, revue
internationale et stratégique, vol. 126, no. 2, 2022, pp. 71-78.
(2) « Le voyage d’Emmanuel Macron en Afrique centrale : retour sur un exercice diplomatique difficile »,
Lise Lesigne et Alain Antil (dir.), Briefings de l’institut français des relations internationales, 10 mai 2023.
— 84 —

centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du Quai d’Orsay et la direction


des affaires stratégiques du ministère des Armées (DAS) mais leurs moyens
semblent encore trop limités pour peser véritablement sur la prise de décision. La
connaissance du continent africain, en recul chez l’ensemble des acteurs impliqués
dans la politique française en Afrique complique, par ailleurs, l’identification de
signaux faibles et la construction de scenarii fiables de moyen et long termes.

La fondation de l’innovation pour la démocratie en Afrique


Créée le 7 juillet 2022 à Johannesburg, en Afrique du Sud, et dotée d’un budget de
2,4 millions d’euros, la fondation de l’innovation pour la démocratie en Afrique est issue
d’une proposition du rapport du professeur Achille Mbembe au président de la
République, en amont du sommet de Montpellier de 2021.
Alors que la France a affirmé vouloir s’engager pour promouvoir la démocratie sur le
continent africain, elle a décidé de soutenir la création de cette fondation à hauteur de
50 millions d’euros sur cinq ans. Si ce projet s’inscrit dans le contexte de la refondation
des relations entre la France et l’Afrique, la fondation est dotée d’une gouvernance
indépendante – présidée par le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne,
professeur à l’université de Columbia – et dont le conseil d’administration est composé
pour moitié de personnalités africaines reconnues.
La fondation se décline pour l’heure en deux laboratoires régionaux à Abidjan
(Côte d’Ivoire) et à Douala (Cameroun), ainsi qu’en un campus à Marseille (France),
destinés à « ancrer l’action dans les réalités locales nationales très concrètes ».
L’ambition de cette fondation est de soutenir et de valoriser les initiatives africaines
locales en faveur de la démocratie, afin de lutter contre le recul de celle-ci sur le continent.
Sa mission est de mettre en réseaux les acteurs porteurs d’initiatives dans le domaine de
l’innovation pour la démocratie en Afrique, de favoriser la recherche et la production de
pensées nouvelles, ainsi que de déployer des formations et de mettre à disposition des
lieux et outils pour faciliter le dialogue et l’animation de l’intelligence collective, en
s’appuyant notamment sur la jeunesse, les femmes, les universitaires, les acteurs
institutionnels et la société civile.
Concrètement, à l’occasion de sa première activité publique en juillet 2023 à
Grand-Bassam (Côte d’Ivoire), la fondation de l’innovation pour la démocratie s’est
réunie pour dresser un état des lieux de l’avancée de la démocratie dans le contexte de la
succession de coups d’État, d’élections truquées et de troisième mandat en Afrique, afin
de dresser un diagnostic des dysfonctionnements de la démocratie sur le continent.
Source : fondation de l’innovation pour la démocratie.
— 85 —

C. DES MARGES DE PROGRÈS : UNE SOUS-UTILISATION DE NOS OUTILS


D’INFLUENCE ET UN DÉFAUT DE MOYENS ET DE PILOTAGE

1. Des instruments d’influence peu ou mal mobilisés

i. L’audiovisuel extérieur de la France : un formidable outil qui a pu se


retourner contre notre pays

L’audiovisuel extérieur de la France constitue un outil d’influence puissant.


France Médias Monde (FMM), qui regroupe la chaîne d’information continue
France 24, la radio mondiale RFI et Monte Carlo Doualiya, réalise ainsi une
audience globale en Afrique subsaharienne, pour l’année 2022, de 78,5 millions de
téléspectateurs et auditeurs hebdomadaires, soit une hausse de 19 % par rapport à
2018 : France 24, première chaîne d’information en Afrique francophone, compte
ainsi 40 millions de téléspectateurs hebdomadaires toutes zones et langues
confondues, soit une audience en augmentation de 32 % par rapport à 2018, tandis
que RFI réunit 38,6 millions d’auditeurs chaque semaine, nombre en hausse de
13 % depuis 2018. Les coupures intervenues au Mali, au Burkina Faso et, plus
récemment, au Niger n’ont donc pas eu d’influence majeure sur la part d’audience
de FMM dans la région, laquelle a développé des stratégies de contournement de
ces interdictions de diffusion consistant à recourir aux ondes courtes, à la diffusion
satellitaire directe ne passant par aucun opérateur de bouquet, aux réseaux privés
virtuels et aux sites miroirs, et à utiliser les réseaux sociaux et plateformes de
diffusion des flux en direct sur YouTube et Facebook notamment.

LES DIFFÉRENTS MOYENS DE CONTOURNEMENT DES COUPURES UTILISÉS


PAR RFI ET FRANCE 24 AU MALI ET AU BURKINA FASO

Source : FMM

Afin de toucher une audience plus large et d’ancrer ses médias dans un
contexte de fortes déstabilisations géostratégiques en Afrique, FMM propose
— 86 —

désormais des programmes sur RFI en quatre langues africaines à raison de deux
heures de programme par jour : en mandenkan et en fulfulde, depuis une rédaction
située à Dakar, en haoussa, depuis Lagos, et en kiswahili, depuis Nairobi. RFI
propose également des programmes dans d’autres langues parlées en Afrique, qu’il
s’agisse du portugais diffusé en FM au Cap Vert, en Guinée-Bissau, au
Mozambique et à Sao Tomé, ainsi qu’en anglais. Elle s’appuie sur des envoyés
spéciaux permanents présents dans les grandes capitales régionales d’Afrique, à
Abidjan, Dakar et Nairobi, ainsi qu’un important réseau de correspondants
plurilingues présents dans tous les pays d’Afrique, dont beaucoup d’entre eux sont
originaires.

En ce sens, FMM présente de nombreux atouts pour permettre à la France


de nouer des liens étroits avec les populations africaines. Certains programmes y
contribuent déjà. RFI et France 24 proposent ainsi des programmes spécifiquement
dédiés à la déconstruction des fausses informations qui prolifèrent, à travers une
quinzaine d’émissions dans toutes les langues (en français, en anglais mais aussi
dans différentes langues africaines), à l’instar de la rédaction des « Observateurs »
sur France 24. Le groupe contribue également au rayonnement de la francophonie
par l’accompagnement de l’apprentissage du français, grâce à ses antennes en
français et aux offres en langues étrangères qui s’insèrent toujours dans la grille
francophone, ainsi que des outils d’apprentissage de la langue française, en
particulier avec le nouveau site « le Français facile avec RFI », le « journal en
français facile » et les fictions bilingues en langues africaines et française.

Les résultats d’audience de FMM apparaissent d’autant plus satisfaisants


que le groupe dispose d’un budget largement inférieur à ces principaux concurrents
en Afrique, tels que BBC World Service, Voice of America (USA Global Media) et
Deutsche Welle, qui disposent de moyens renforcés depuis plusieurs années, leur
permettant de bénéficier d’effectifs plus nombreux sur le terrain pour développer
des partenariats tant en termes de reprises directes que de co-productions avec les
médias locaux.

COMPARAISON DES BUDGETS DE FMM ET DE SES PRINCIPAUX CONCURRENTS


EN AFRIQUE

Source : FMM
— 87 —

Les rapporteurs souhaitent toutefois attirer l’attention sur deux dimensions :

– comme souligné, les budgets alloués aux médias extérieurs français sont
faibles par rapport à ceux de leurs principaux concurrents. Par ailleurs, l’État
français ne donne guère de visibilité à moyen terme sur leur financement, ce qui
empêche FMM de se projeter sereinement dans l’avenir ;

– dans la guerre informationnelle qui se joue en Afrique, les médias publics


font librement leurs choix éditoriaux sur lesquels les rapporteurs n’ont pas autorité
à intervenir. Cependant, lors des auditions menées, de nombreux témoignages ont
déploré que ces médias renvoient trop souvent une image négative de la France et
de sa diplomatie. Or, il faut bien comprendre qu’en Afrique, peu font la différence
entre un média de service public et un média d’État. Cet amalgame conduit certains
commentateurs à déplorer que notre pays montre à longueur d’antenne des images
d’attaques de nos ambassades ou donne de l’audience à des discours violemment
anti-français. Les rapporteurs souhaitent alerter sur ce constat. Ils regrettent
également que les initiatives positives menées par la France soient souvent oubliées
des médias et que la parole soit donnée à ses détracteurs, prêts à user de tous les
discours et méthodes malhonnêtes pour porter atteinte à l’image de notre pays. La
réalisation d’un entretien avec l’influenceur anti-français, payé par la Russie,
Kémi Séba, programmé puis annulé au dernier moment sur la chaîne parlementaire
LCP, a pu émouvoir. Cette initiative est d’autant plus dommageable qu’elle a été
aisément exploitée par cet influenceur comme le signe de la peur supposée qu’il
inspirerait aux autorités françaises et la reconnaissance explicite de son influence.
Les rapporteurs en appellent à la responsabilité de chacun dans un moment difficile
pour la France et ses ressortissants. Les États généraux de l’information, annoncés
par Emmanuel Macron le 13 juillet 2023 et lancés au début du mois d’octobre, sont
l’occasion d’aborder cette question : les rapporteurs en soutiennent l’initiative et
espèrent que ce rendez-vous sera l’occasion d’une prise de conscience générale sur
le rôle joué par les médias dans la diffusion ou la lutte contre la désinformation dont
la France est victime.

ii. Une stratégie communicationnelle déployée avec retard

La France a commencé à prendre la pleine mesure des attaques dont elle fait
désormais l’objet par des puissances étrangères déstabilisatrices. Elle déploie ainsi
une nouvelle stratégie nationale d’influence dont la réalisation repose sur une
logique interministérielle et sur une tentative de définition d’une nouvelle politique
communicationnelle.

Il est toutefois regrettable qu’elle ait pris si tardivement conscience du


caractère préjudiciable de ces attaques. Le développement d’un discours
anti-français instrumentalisé par la Russie en Afrique est connu dès 2013 ; il faut
néanmoins attendre les années 2019-2021 pour que la France commence
véritablement à prendre en compte cette menace sous la pression de l’influence
russe grandissante en Centrafrique. Dans son discours du 1er septembre 2022 à la
conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, Emmanuel Macron appelle
— 88 —

ainsi à la poursuite d’une « diplomatie de combats », dont l’une des déclinaisons


repose sur une nouvelle stratégie communicationnelle. Les diplomaties publique et
d’influence sont finalement considérées comme des fonctions stratégiques par la
nouvelle revue nationale stratégique de 2022. Enfin, cette dimension de la guerre
asymétrique est intégrée à la loi de programmation miliaire votée en 2023.

Cette communication s’articule autour de deux piliers : l’un défensif, la lutte


contre les fausses informations et les désinformateurs ; l’autre offensif, la
valorisation des atouts et actions menées par la France en Afrique, notamment au
profit des populations locales. Elle s’accompagne du déploiement d’un narratif
unique et cohérent, lequel assume le passé de la France et présente le renouveau de
la politique française à l’égard de l’Afrique comme le fruit d’un choix, résolument
tourné vers l’avenir. Ce narratif s’adresse non seulement aux responsables
politiques africains mais aussi aux populations civiles et, au-delà, à tous les
franco-africains. Il met en avant les multiples liens positifs entre la France et
l’Afrique, qu’ils soient culturels, sportifs, économiques ou démographiques, à
travers l’importance des diasporas franco-africaines. Il insiste également sur les
valeurs dont la France est porteuse (droits de l’Homme, démocratie et bonne
gouvernance) tout en se gardant de se prononcer sur les situations politiques
intérieures propres à chaque État africain ou sur les résultats de l’action militaire et
sécuritaire de la France en Afrique. Il recourt enfin à un vocabulaire spécifique :
l’Afrique est désignée comme un « partenaire » lié à la France par des relations
égalitaires et respectueuses, dont la voix compte et qui doit être écoutée ; elle fait
l’objet d’alliances ou d’initiatives conjointes et non d’aides ou de tentatives de
développement dans une logique asymétrique. Un point de vigilance consiste à ne
pas se laisser enfermer dans la posture de l’ancienne puissance coloniale : chaque
fois qu’il est demandé, y compris par des acteurs africains, à un représentant français
de s’exprimer sur les orientations politiques d’un pays africain, il est nécessaire de
rappeler que ce n’est pas le rôle de notre pays de délivrer des conseils sur la posture
à tenir.

La mise en œuvre de cette nouvelle communication repose sur la


mobilisation de tous les canaux institutionnels : outre le président de la République
et ses ministres, des postes d’ambassadeurs thématiques ont été créés. La France
dispose désormais d’un ambassadeur dédié à la diplomatie publique en Afrique. La
mission compte, en plus de l’ambassadeur, un agent contractuel du ministère des
Affaires étrangères, un agent mis à disposition du ministère des Armées et un
stagiaire une partie de l’année. Elle s’appuie, par ailleurs, sur les ressources de veille
et de communication des ministères des Armées et des Affaires étrangères. Enfin,
l’ambassadeur préside le comité interministériel pour la diplomatie publique en
Afrique, qui rassemble l’ensemble des ministères et services concernés. La France
compte, en sus, un ambassadeur pour le numérique chargé de promouvoir les droits
humains, les valeurs démocratiques et la langue française dans le monde numérique,
ainsi que de renforcer l’influence et l’attractivité des acteurs français du numérique.

Depuis août 2022, le Quai d’Orsay s’est, en outre, doté d’une nouvelle
sous-direction en charge de la veille et de la stratégie en complément de celles de la
— 89 —

communication et du porte-parolat : elle réunit une vingtaine de personnes, dont une


cellule de veille sur les réseaux sociaux composée de cinq personnes. Des effectifs
supplémentaires pour assurer la gestion de ces nouvelles missions ont été consentis,
tout comme un doublement des moyens budgétaires dédiés à la communication et
un renforcement de la coordination entre Paris et les services de presse des
ambassades et consulats à travers le monde.

La France développe des partenariats pour mieux lutter contre les menaces
informationnelles. Notre pays n’est pas le seul concerné par ces attaques, qui s’en
prennent, plus généralement, au modèle occidental. La France noue ainsi des liens
avec ses partenaires européens, notamment allemands et baltes, mais aussi avec
ceux du G7, tels que le Royaume-Uni et les États-Unis, et les pays africains
eux-mêmes via le réseau francophone des régulateurs de médias (Refram), créé à
Ouagadougou en 2007 et dont l’Autorité de régulation de la communication
audiovisuelle et numérique (ARCOM) est membre. Elle s’investit enfin dans
certaines organisations internationales, telles que l’Organisation des Nations Unies
pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), où se tiennent des discussions
sur la définition de ce qu’est une information fiable.

Localement, cette stratégie s’appuie sur les ambassades : il revient à chaque


ambassadeur désormais à la tête d’un comité local de communication, d’une part,
de définir une ligne communicationnelle claire, qui devra être reprise par l’ensemble
des acteurs de l’ « équipe France » sur le terrain et, d’autre part, de renforcer sa
communication, notamment sur les réseaux sociaux. L’objectif fixé par le Quai
d’Orsay est que l’ensemble des ambassadeurs soient ainsi présents sur les réseaux
sociaux lors de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs d’août 2023.
Pour ce faire, de nouveaux moyens leur sont octroyés :

– le 2 septembre 2022, lors de son discours à la conférence des


ambassadrices et des ambassadeurs, la ministre de l’Europe et des Affaires
étrangères, Catherine Colonna, a annoncé la création de trois fonds de soutien à
l’innovation au sein du ministère. L’un d’entre eux concerne la communication du
réseau diplomatique. Doté de 500 000 euros, il vise à soutenir les projets les plus
ambitieux et les plus innovants en matière de communication. L’objectif est de
renforcer la capacité des postes à mener des actions de communication innovantes
et à toucher de nouveaux publics, en appui des positions françaises. L’appel à
projets pour le Fonds de soutien à l’innovation en matière de communication est
clos depuis le 22 février 2023 : 96 dossiers ont été reçus dont 26 pour la zone
« Afrique-Océan indien » ;

– depuis mars 2022, la direction de la communication et de la presse du


Quai d’Orsay apporte un soutien accru à ses ambassades en Afrique, en leur
proposant une aide en termes de réalisation vidéo et de visuels, avec le soutien de
prestataires extérieurs.
— 90 —

Enfin, le ministère des Armées a adopté une doctrine de « lutte informatique


d’influence » en octobre 2021, tandis que l’État-major des armées s’est doté d’une
cellule « anticipation, stratégie et orientation » (ASO).

Néanmoins, cette communication souffre :

– d’un sous-dimensionnement manifeste par rapport à l’ampleur de la


propagande russe officielle ou relayée par Wagner ;

– d’un temps de retard par rapport aux évolutions des pratiques de nos
détracteurs ;

– de la concentration des moyens sur la mobilisation des canaux


institutionnels qui, s’ils sont indispensables, ne pourront rétablir à eux seuls
l’équilibre avec les puissances qui nous sont hostiles ;

– d’un fonctionnement sans doute trop administratif et d’une organisation


interministérielle qui manque encore d’expertises pointues.

Les rapporteurs considèrent qu’il est urgent de déployer des moyens à la


hauteur des enjeux et de mettre en œuvre concrètement les stratégies énoncées pour
être enfin en capacité de valoriser l’action de la France et de contrer les stratégies
de désinformation dont notre pays est victime. Ces actions se feront dans les règles
éthiques que la France, avec raison et fierté, s’impose. Il n’est, en effet, pas question
d’utiliser les mêmes moyens non démocratiques de désinformation que ceux de nos
détracteurs.

2. Des moyens en demi-teinte

a. Sur le temps long, une diminution significative des moyens militaires et


civils préjudiciable

i. Sur le plan militaire

La France a connu une très nette déflation de ses forces de présence à


l’étranger entre les années 1996 et 2015 (1). Ainsi, dès 1996, les 1 500 hommes des
éléments français d’assistance opérationnels (EFAO), installés à Bangui et à Bouar
en Centrafrique, sont retirés. Les autres garnisons de Dakar, Abidjan, Libreville et
Djibouti sont également concernées, si bien que l’ensemble du dispositif français
(hors Tchad) passe de 8 000 hommes en 1995 à 5 000 en 2001. La révision générale
des politiques publiques (RGPP) de 2008 accélère cette tendance de même que
Le Livre blanc de 2008 : prenant acte de la moindre dépendance au pétrole de la
France et d’une véritable politique de diversification des approvisionnements
stratégiques, ce dernier affiche sa volonté de réduire la place de l’Afrique dans les
déploiements français à l’étranger, ce que symbolise l’ouverture d’une base

(1) Cette partie s’appuie sur le travail très complet de Laurent Bansept et Élie Tenenbaum, « Après Barkhane
Repenser la posture stratégique française en Afrique de l’Ouest », institut français des relations internationales,
mai 2022.
— 91 —

permanente à Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis, en 2009. C’est toujours dans
cette logique que seront dissoutes les 1 200 forces françaises du Cap Vert
remplacées par les éléments français du Sénégal formés de 350 militaires
seulement.

L’intervention française au Mali et en République centrafricaine en janvier


et décembre 2013 ont sans doute permis d’atténuer les réductions d’effectifs
engagés tant par Le Livre blanc de 2013 que par la loi de programmation militaire
(LPM) 2014-2019, sans pour autant enrayer ce phénomène. Ainsi, les forces
françaises du Gabon sont réduites, comme celles du Sénégal, de 900 à 350 hommes
pour devenir les éléments français du Gabon (EFG), couvrant les onze pays de la
Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Il est toutefois
décidé de maintenir une base permanente en Côte d’Ivoire après la fin de l’opération
Licorne en 2015, à hauteur d’un millier d’hommes : cette base opérationnelle
avancée (BOA) permet à la France de couvrir toute l’Afrique de l’Ouest. La
sécurisation de l’Afrique de l’Est repose, quant à elle, sur les forces françaises de
Djibouti connectées à nos éléments prépositionnés aux Émirats arabes unis, ainsi
qu’aux forces armées de la zone Sud de l’océan indien (Faszoi) à Mayotte et à
La Réunion.

Cette réduction des moyens consacrés à la politique africaine de la France


s’est accompagnée d’un changement de doctrine : si, dans les années 1990 et 2000,
les forces de présence s’inscrivent dans une logique d’interposition avec le
renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP), la montée
du djihadisme dans la décennie 2010 impose comme objectif la lutte contre le
terrorisme au détriment du maintien de la paix. La nouvelle approche retenue
privilégie alors la formation, notamment via la coopération structurelle placée sous
l’autorité de la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du Quai
d’Orsay, qui appuie le travail d’une quinzaine d’écoles nationales à vocation
régionale (ENVR). Le travail de la DCSD est complété par d’autres actions du
ministère des armées qui organise l’accueil des stagiaires africains dans différentes
écoles militaires en France. Enfin, ces approches structurelles se combinent à des
missions d’instruction opérationnelle et d’entraînement pilotées depuis les pôles
opérationnels de coopération (POC) de Dakar et de Libreville. Or, les moyens
consacrés à la coopération militaire ont eux-mêmes considérablement diminué : le
nombre de coopérants est ainsi passé d’environ 10 000 avant 1998 – date à laquelle
le secrétariat d’État à la coopération disparaît au profit du ministère des Affaires
étrangères qui absorbe une partie de ses missions – à 311 (1) aujourd’hui,
principalement stationnés en Afrique sous l’autorité des attachés de défense ou des
attachés de sécurité intérieure.

(1) « Quelle contribution militaire à la stratégie d’influence de la France ? », Bertrand Debray, revue défense
nationale, 2022/HS3.
— 92 —

ii. Sur le plan civil

La réduction des moyens au service de la politique de la France en Afrique


observée sur le plan militaire trouve son pendant sur le plan civil. Le ministère de
l’Europe et des Affaires étrangères a subi, ces trente dernières années, une baisse
considérable de ses moyens qui n’est pas sans conséquences pour le rayonnement
de notre diplomatie et l’efficacité de l’action de nos ambassades. Comme le
rappelait la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères à l’occasion de son
audition devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, le
4 octobre 2022, les effectifs du Quai d’Orsay « ont baissé de 30 % sur les deux
dernières décennies », alors même que le périmètre des missions diplomatiques et
consulaires est resté, quant à lui, inchangé : cette baisse a tout particulièrement
touché les effectifs de la France en Afrique, lesquels ont diminué de 40 % environ
entre 2006 et 2017.

Ce manque de moyens a sans doute contribué au retard pris par la France


dans sa stratégie communicationnelle : moins bien identifiés et longtemps perçus
comme secondaires, les services de presse et de communication font partie des
postes les plus vulnérables. Le réseau consulaire a également été fortement touché
par cette baisse d’effectifs chronique : comme le souligne l’avis budgétaire du
député Vincent Seitlinger (1), le programme 151 relatif aux Français à l’étranger et
aux affaires consulaires a perdu, entre 2008 et 2021, 11 % de ses effectifs, soit
375 équivalents temps pleins travaillés (ETPT), alors que le nombre de Français
inscrits au registre progressait de 12,4 % sur la même période. Associée à la
désorganisation causée par la pandémie de la Covid-19, cette évolution est lourde
de conséquences sur le service rendu aux usagers, qui subissent une augmentation
des délais de délivrance des titres d’identité et de voyage, ainsi qu’une dégradation
du contact humain lorsqu’ils recourent au service public consulaire. Si cette
situation ne concerne pas seulement les États africains, elle ne sert guère l’image de
la France dans ces pays, en particulier lorsqu’elle s’ajoute aux conditions
restrictives d’obtention de visas.

b. Une volonté de « réarmer » la diplomatie française : une nécessité

Dans ces conditions, il est essentiel que la nouvelle politique française à


l’égard de l’Afrique soit dotée de moyens robustes, sans lesquels elle risque fort de
rester lettre morte. À cet égard, les rapporteurs se félicitent des récentes annonces
du président de la République qui a déclaré, au cours des États généraux de la
diplomatie de mars 2023, qu’il était nécessaire de « mettre les moyens en conformité
avec nos ambitions » : concrètement, ce sont plus de 700 nouveaux emplois qui
seront créés sur quatre ans au sein du ministère de l’Europe et des Affaires
étrangères, lesquels s’accompagnent d’une hausse du budget de plus de 20 % sur la
même période, pour atteindre 7,9 milliards d’euros en 2027.

(1) Avis budgétaire « Action extérieure de l’État » présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur
le projet de loi de finances pour 2023 (n° 273), déposé le 19 octobre 2022.
— 93 —

Le Gouvernement souhaite également renforcer son réseau de volontaires


internationaux : s’ils sont aujourd’hui 1 700 à travers le monde, la France
souhaiterait voir leur nombre doubler d’ici trois à quatre ans. L’objectif est aussi
d’étendre le dispositif d’experts techniques internationaux (ETI), qui relèvent
d’Expertise France, l’agence française d’expertise technique internationale : leur
nombre devrait passer de 80 en Afrique, aujourd’hui, à 300 à la fin de l’année 2023
et à 500 en 2027.

Quant aux moyens dévolus aux armées, ils tiennent compte de la


dégradation continue de l’environnement international auquel la France doit faire
face, notamment en Afrique. La LPM 2024-2030 fixe, à ce titre, un cadre budgétaire
ambitieux, puisqu’elle permet à notre pays de franchir le cap des 2 % de son produit
intérieur brut (PIB) consacré à la défense dès l’année 2025 : elle prévoit ainsi de
débloquer 400 milliards d’euros de crédits budgétaires sur les sept années couvertes,
soit une hausse de 105 milliards d’euros par rapport à la précédente loi de
programmation.

c. L’aide publique au développement en Afrique : des moyens en


augmentation

L’aide publique au développement octroyé par la France – dont une part


majeure de la conception et la quasi-intégralité de la mise en œuvre reposent sur
l’Agence française de développement (AFD) – à l’Afrique est importante. Le
contrat d’objectif et de moyens (COM) 2020-2022 assigné à l’AFD, traduction de
l’engagement présidentiel d’investir 15,5 milliards d’euros sur la période
trisannuelle en Afrique, est respecté. L’AFD en tant que groupe (incluant donc
l’AFD, sa filiale Proparco et Expertise France) a ainsi investi sur le continent
africain dans son ensemble 4,9 milliards d’euros en 2020, 5,4 milliards d’euros en
2021 et 5,2 milliards d’euros en 2022.

En 2022, neuf pays ont concentré plus de 50 % des montants octroyés en


cumulé par le groupe, à savoir : l’Afrique du Sud (450 millions d’euros), la
République de Côte d’Ivoire (400 millions d’euros), le Sénégal (291 millions
d’euros), le Kenya (285 millions d’euros), la Tunisie (266 millions d’euros), la
Tanzanie (256 millions d’euros), l’Égypte (240 millions d’euros), le Cameroun
(212 millions d’euros), le Nigéria (200 millions d’euros) et le Maroc (170 millions
d’euros). La moitié des octrois de l’AFD pour cette même année s’est concentrée
sur trois secteurs (énergie, eau et assainissement, transports et mobilité) et ce chiffre
atteint même 60 % si l’on inclut un quatrième secteur, celui de l’éducation et de la
formation professionnelle.

Il est à noter que la dégradation des relations entre la France et certains pays
africains n’a pas eu de véritables conséquences sur la qualité du dialogue entre
l’AFD et ses partenaires. Dans les pays majoritairement anglophones, tels que
l’Angola, l’Éthiopie et la Tanzanie, la coopération avec des acteurs financiers
internationaux comme l’AFD est toujours perçue comme positive et nécessaire. À
titre d’exemple, l’image favorable dont la France bénéficie en Tanzanie s’est
— 94 —

traduite par la reproduction de photographies d’Emmanuel Macron et de la


présidente locale de l’AFD sur les affiches de campagne de célébration des deux
ans de la prise de fonction de la présidente tanzanienne, Samia Suluhu Hassan, pour
mettre en avant son action en matière de coopération internationale et les progrès
réalisés dans le secteur de l’eau et de son assainissement dans le pays.

3. Un pilotage perfectible de la stratégie africaine de la France et de ses


outils

a. Une aide publique au développement à l’efficacité contestable et


progressivement vidée de sa dimension politique

i. L’autonomisation progressive de la politique d’aide au développement

La politique d’aide au développement de la France est fondée sur une


distinction entre une supervision politique, relevant de l’échelon central de l’État,
et une mise en œuvre opérationnelle principalement confiée à l’AFD, groupe dont
dépend la filiale Proparco, qui finance le secteur privé, ainsi qu’Expertise France,
depuis le 1er janvier 2022.

Comme le souligne un récent rapport de la Cour des comptes (1), l’AFD


présente une spécificité du fait de sa double nature, à la fois société de financement
et établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), et de
l’élargissement progressif de ses compétences, lesquelles en font le point d’appui
central et très autonome de la politique française de développement depuis la
réforme de notre système de coopération adoptée le 4 février 1998. Celle-ci aboutit
à la disparition du secrétariat d’État à la coopération et à la prise en charge de ses
attributions par le ministère des Affaires étrangères, ainsi qu’à la promotion de
l’AFD comme « opérateur pivot » des projets d’aide au développement. Ce
phénomène est encore amplifié par le fait que sa tutelle n’est pas unifiée, puisqu’elle
relève à la fois du ministère en charge des affaires étrangères et du ministère chargé
de l’économie.

La complexité imposée par cette double tutelle est particulièrement visible


dans le cadre de la conception de la politique d’aide au développement française.
Celle-ci fait intervenir une double instance. D’une part, le comité interministériel
pour la coopération internationale et le développement (CICID) : créé par le
décret n°98-66 du 4 février 1998, présidé par le premier ministre, il réunit les
ministres directement concernés par la politique d’aide au développement, afin de
définir « les orientations de la politique de coopération internationale et d’aide au
développement ». D’autre part, la conférence d’orientation stratégique et de
programmation (COSP), organe créé sur la base des conclusions des réunions du
CICID du 20 juillet 2004 et du 18 mai 2005 : elle rassemble, au moins une fois par
an, les acteurs de la politique d’aide publique au développement sous la présidence
du ministre chargé de la coopération, notamment pour établir une programmation

(1) « Comparaison des politiques française, allemande et britannique d’aide publique au développement »,
rapport de la Cour des comptes, avril 2023.
— 95 —

budgétaire indicative des ressources allouées à chaque pays, en vue de donner une
traduction concrète aux orientations décidées par le CICID.

Cette tutelle bicéphale a favorisé l’autonomisation de l’AFD et l’abandon


progressif d’une vision et d’un portage politiques. Déjà en 2012, puis en 2019 et
désormais en 2023, la Cour des comptes déplorait l’absence d’un ministère pilote
qui intégrerait la conception et la mise en œuvre de la politique française d’aide au
développement comme une dimension majeure de la politique extérieure de la
France. Ainsi, plus qu’à une agence de mise en œuvre à l’allemande, l’AFD
s’apparente davantage à une agency à l’américaine, qui participe à la conception
d’une politique publique autant qu’à son application.

Sans doute la baisse significative des effectifs du ministère de l’Europe et


des Affaires étrangères et des moyens dédiés aux postes, déjà mentionnée, a-t-elle
également favorisé ce phénomène en rendant quelque peu illusoire toute volonté de
contrôle effectif sur l’agence. Ce positionnement a des traductions très concrètes
sur le terrain : la Cour des comptes souligne que les conseillers de coopération et
d’action culturelle des ambassades de France apparaissent souvent « démunis » face
à la puissance de l’AFD, que ce soient en termes budgétaires et d’expertise. Ceux-ci
rencontreraient, par exemple, des difficultés à incarner les positions françaises lors
des réunions organisées par les délégations de l’UE, s’ils ne sont pas accompagnés
d’un représentant de l’AFD.

ii. Redéfinir les objectifs et renforcer le suivi des actions menées

De même que le pilotage politique de l’aide au développement est


défectueux, le suivi des actions menées par l’AFD est insuffisant : des réunions
interministérielles relatives aux questions de coopération et de développement sont
ainsi trop rares.

De plus, le contrat d’objectif et de moyens de l’AFD, tout comme la


loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement
solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, ont une dimension
pluriannuelle, si bien que la stratégie de la politique d’aide au développement,
majoritairement orientée vers le continent africain, ne fait pas l’objet d’une revue
régulière, ce qui peut nuire à sa capacité d’adaptation et de soutien à la politique
étrangère de la France.

iii. Une aide non perçue par les populations bénéficiaires

Or, un tel mode de fonctionnement n’est pas sans poser question : la


politique d’aide au développement, pourtant dotée d’un budget conséquent, peine à
s’inscrire dans une stratégie globale de rayonnement et d’influence de notre pays,
au risque de manquer d’efficacité. Rappelons qu’aucun pays n’est jamais sorti de la
pauvreté grâce à une telle politique et même lorsque la France investit parfois
massivement pour soutenir un État, ses résultats n’en sont pas toujours perceptibles
par les populations locales, soit que l’argent ne leur parvienne pas, soit que l’AFD
se montre incapable de mettre en valeur son action et ses projets. En Côte d’Ivoire,
— 96 —

par exemple, le micro-crédit est octroyé par l’intermédiaire d’acteurs locaux sans
que la provenance française de ces fonds n’apparaisse in fine auprès des populations
locales alors même que la France y consacre une part importante de son aide.

Depuis trente ans, s’est donc dessiné un double mouvement : l’abandon


progressif du terrain et de la coopération avec sa myriade d’acteurs locaux pour
armer un vaisseau amiral puissant et influent mais qui, majoritairement, contracte
avec de grandes institutions financières ou des ministères, lesquels, par
« ruissellement », touchent in fine les populations par l’intermédiaire d’acteurs
locaux. La France souffre ainsi d’un paradoxe préjudiciable : elle est dotée d’un
outil de développement qui n’a jamais été aussi puissant et aussi peu visible sur le
terrain. Les populations concernées l’ignorent totalement et n’accordent pas à la
France le bénéfice de l’amélioration de leur situation.
— 97 —

L’action de l’AFD en Côte d’Ivoire


Les interventions du Groupe AFD en Côte d’Ivoire s’inscrivent dans le programme de
développement national 2021-2025 (1) et ciblent la valorisation du capital humain et la
promotion de l’emploi, un développement régional équilibré soucieux de la préservation
de l’environnement et de la lutte contre les effets du changement climatique, ainsi que le
renforcement de la gouvernance et la modernisation de l’État.
Avec un portefeuille de 2,8 milliards d’euros (1,5 milliard d’euros en prêts et 1,3 milliard
d’euros en subventions), la Côte d’Ivoire est l’un des premiers pays d’intervention de
l’AFD et l’agence y est le premier bailleur bilatéral. L’ensemble des instruments
financiers du groupe y est déployé. Les interventions de l’AFD sont significatives en
volume et diversifiées, grâce notamment :
- aux contrats de développement et de désendettement (C2D), dont la Côte d’Ivoire
bénéficie pour un montant inédit cumulé de 2,89 milliards d’euros. Trois contrats C2D
ont été mis en œuvre : le premier C2D signé en 2012 (630 millions d’euros), le deuxième
en 2014 (1,125 milliard d’euros) et le troisième en octobre 2021 pour un montant de
1,144 milliard d’euros sur la période 2021-2025 ;
- à la reprise progressive des prêts souverains depuis 2016, qui a bénéficié d’une forte
dynamique avec aujourd’hui quinze projets vivants pour un total d’engagements de
1,5 milliard d’euros, décaissés, fin septembre 2022, à hauteur de 23 %. Les dernières
signatures de prêt souverain, en juillet 2022, ont porté sur un prêt de soutien budgétaire
(250 millions d’euros), un projet de réhabilitation de l’extension de la route du Nord
jusqu’aux frontières du Burkina Faso et du Mali, assorti d’un programme de
désenclavement de la région Nord-Est (200 millions d’euros), et un projet de
développement du réseau d’assainissement de la commune de Yopougon approuvé en
janvier 2022 (130 millions d’euros).
Au total, l’AFD accompagne aujourd’hui plus de 70 projets de développement dans les
secteurs de l’agriculture et de la sécurité alimentaire, de l’aménagement et du
développement urbains, de la biodiversité et de l’environnement, de l’eau et de
l’assainissement, de l’énergie, des infrastructures, de la justice, des secteurs sociaux
(éducation sur l’ensemble du continuum, santé) ou plus récemment des industries
culturelles et créatives, ou le sport. À noter que le portefeuille actuel est composé d’une
part significative d’appuis budgétaires globaux ou sectoriels.
Quelques résultats concrets non exhaustifs de cette politique :
- plus de 1 192 salles de classe ont été construites, 1 352 sont en voie de l’être aux niveaux
préscolaire, primaire et secondaire. Ce sont plus de 115 000 élèves qui, chaque année,
bénéficieront de ces nouvelles infrastructures ;
- plus de 28 000 enseignants et personnel d’encadrement au niveau du primaire et du
secondaire ont réussi à suivre des programmes de formation continue hybrides (en
présentiel et en ligne), 2 000 autres sont en voie d’en bénéficier ;
- au moins 7 partenariats écoles-universités destinés principalement à la modernisation
ou à l’extension des formations, ont été favorisés avec le lycée Louis-Le-Grand,
X Polytechnique, l’école nationale de l’aviation civile (ENAC), le centre de droit et

(1) Le programme de développement national 2021-2025, élaboré par les autorités ivoiriennes, prévoit un
investissement global d’environ 90 milliards d’euros et se fixe pour objectifs l’accélération de la
transformation structurelle de l’économie, le renforcement de l’inclusion sociale, le doublement du PIB par
habitant et l’accès de la Côte d’Ivoire au rang des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure à
l’horizon 2030.
— 98 —

d’économie du sport (CDES), l’école de référence internationale de la construction


durable (ESTP) Paris, l’Université Paris-Dauphine et l’Université de Liège.
- 4 centres d’excellence dans les domaines du changement climatique, de l’économie-
statistique, des mines et de l’environnement, et dans la gestion durable des déchets sont
soutenus.

Source : L’Agence française de développement.

Enfin, le type d’aide octroyée par l’AFD s’avère parfois inadapté aux
contextes locaux. L’agence finance trop souvent de grands projets d’infrastructures
là où les Africains auraient besoin d’investissement dans la formation ou de petits
projets, réalisables rapidement avec des résultats visibles à court terme pour les
populations locales. Les démarches pour obtenir des fonds sont, par ailleurs,
souvent très longues et les exigences imposées aux acteurs locaux calquées sur les
procédures françaises, d’une complexité souvent excessive pour de petites
associations notamment. Trouver un juste milieu entre le maintien d’un contrôle
minimal et une plus grande souplesse est l’un des enjeux auquel doit répondre l’aide
au développement de demain.

iv. Une arme puissante qui se retourne désormais contre la France

Dans le contexte actuel, ce mode de fonctionnement est préjudiciable et se


retourne contre la France, renforce les arguments de ses détracteurs et modifie
négativement son image auprès des populations africaines.

« Comment, année après année, la France, cette grande puissance qui


déverse des milliards d’euros (près de 15 milliards dont la grande majorité sous
— 99 —

forme de prêts) n’arrive pas à sortir les pays africains de la misère ? ». Voici le
message souvent entendu en Afrique. Comme pour l’opération Barkhane, notre
puissance affichée et l’absence de résultats tangibles et visibles renvoient notre pays
à une image d’impuissance et de déclassement.

Plus insidieuse et préjudiciable encore est l’opinion grandissante qu’il


s’agit, pour la France, d’une façon de renforcer les régimes politiques en place, de
vouloir maintenir délibérément l’Afrique sous dépendance et de participer au
renforcement des phénomènes de corruption.

Il convient donc de réinvestir fortement le terrain et de faire en sorte que


l’action de notre pays soit perceptible au bénéfice direct des populations. Il est aussi
nécessaire de bannir au plus vite l’usage du vocable « aide au développement » qui
renvoie à une relation à laquelle l’Afrique francophone souhaite mettre fin. Cette
demande a été explicitement formulée par le président de la République lors du
sommet de Montpellier. Des divergences entre l’Élysée et le ministère des Affaires
étrangères ont toutefois empêché ce changement d’aboutir.

b. La dilution du suivi de la stratégie africaine de la France : une myriade


d’acteurs et des pratiques déconcertantes

Si la définition de la stratégie africaine de la France est hyper personnalisée,


sa mise en œuvre relève d’une multitude d’acteurs rendant parfois malaisée
l’identification du bon interlocuteur. On connaît la fameuse phrase
d’Henry Kissinger : « L’Europe, quel numéro de téléphone ? ». Elle pourrait
s’appliquer, à bien des égards, à la stratégie africaine de la France. C’est là le
deuxième écueil de la disparition du ministère de la coopération que nos
interlocuteurs africains regrettent bien souvent.

Ce ministère (1) a été créé par un décret du 10 juin 1961, même si son
administration a été mise en place dès 1959, dans le prolongement de
l’indépendance des colonies françaises d’Afrique subsaharienne. Il se voit confier
la responsabilité du suivi des relations entre la France et des États membres de la
Communauté avec une attention particulière à « l’action d’aide et de coopération
dans les domaines économique, financier, culturel et social » (décret du 27 mars
1959).

Un premier « Conseil interministériel pour l’aide et la coopération entre la


République et les autres États de la Communauté » est d’abord institué : il se
compose alors d’un secrétariat réunissant des fonctionnaires de l’ancien ministère
de la France d’outre-mer, des administrateurs issus d’autres ministères et des
contractuels. Il est complété, en Afrique, par des missions d’aide et de coopération
et la mise en place du fonds d’aide et de coopération, qui soutient le développement
des pays issus de l’ancien empire colonial français. Installé rue Monsieur, ce

(1) Ce développement sur l’historique du ministère est emprunté au rapport sénatorial d’information n° 46, « La
réforme de la coopération à l'épreuve des réalités, un premier bilan 1998-2001 » de Guy Penne,
Paulette Brisepierre et André Dulait, déposé le 30 octobre 2001.
— 100 —

dispositif relève d’abord d’un ministre d’État auprès du premier ministre avant de
constituer une entité propre, le ministère de la coopération. Il gagne peu à peu en
influence, ce dont témoigne l’augmentation significative de ses effectifs qui passent
de quelque 165 agents en 1964 à 637 personnes en administration centrale et 366
dans les missions de coopération et d’action culturelle en 1996. Confiée, selon les
périodes, à un ministre de plein exercice, à un ministre délégué auprès du ministre
des Affaires étrangères ou à un secrétaire d’État, cette structure, spécifiquement
dévolue à l’Afrique, conserve sa spécificité jusqu’à sa disparition, même si son
champ d’intervention s’élargit : d’abord limité aux anciennes colonies françaises, il
est étendu à l’ensemble des pays francophones de l’Afrique subsaharienne, puis en
1995, aux États africains anglophones ou lusophones et aux pays de la région des
Caraïbes.

Il apparaît ainsi, durant plus de trente ans, comme le guichet presque unique
auquel les Africains savent pouvoir s’adresser d’autant plus facilement que son
administration spécialisée connaît parfaitement le continent. Les Africains doivent
désormais composer avec des interlocuteurs aux missions et spécialités divers,
depuis le Quai d’Orsay jusqu’à l’AFD en passant par les acteurs de la coopération
décentralisée.
— 101 —

III. RECONSTRUIRE UNE OFFRE STRATÉGIQUE CRÉDIBLE : LA CONDITION


SINE QUA NON AU RENOUVEAU DES RELATIONS FRANCO-AFRICAINES

A. MOBILISER DAVANTAGE LES ATOUTS STRATÉGIQUES DE LA FRANCE


ET RÉFORMER LA POLITIQUE DES VISAS : UNE AMBITION COMMUNE
DES DEUX RAPPORTEURS, QUI APPELLENT À RECENTRER NOTRE
ACTION, AMÉLIORER SON PILOTAGE ET VALORISER SES RÉSULTATS

1. La Francophonie : un instrument à réinvestir

Affinités et diversités culturelles, diplomatie, éducation, recherche,


organisations constitutionnelles, religion, mode de pensée, valeurs universalistes et
humanistes, vision du monde : la langue française a joué un rôle prépondérant dans
notre rayonnement international rappelle le rapporteur Bruno Fuchs. Le « soft
power » français, dont la francophonie est le cœur, est potentiellement parmi les
plus puissants du monde, aux yeux des rapporteurs, mais il demeure insuffisamment
activé.

Aujourd’hui, l’usage du français est un lien solide entre la France et les


120 millions de locuteurs francophones africains répartis dans vingt-quatre pays.
Pour vingt-et-un de ces pays, il s’agit même de la langue officielle ou co-officielle.
C’est d’ailleurs souvent la langue choisie par les Africains pour communiquer entre
eux, lorsque leurs langues régionales sont trop nombreuses. C’est le cas au Gabon,
en Guinée ou encore en Côte d’Ivoire.

Pourtant, force est de constater que le français amorce un déclin sur le


continent, au profit de l’anglais, qui compte environ 130 millions de locuteurs et
vingt-cinq pays anglophones (1). C’est d’ailleurs en anglais que le président destitué
du Gabon, Ali Bongo, s’exprime dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, le
30 août 2023, pour appeler tous ses « amis » à « faire du bruit » contre son
arrestation. Outre le Rwanda, déjà mentionné, et le Cameroun qui a rejoint
l’organisation le 16 octobre 1995, il est ainsi significatif d’observer que le Gabon et
le Togo, deux anciennes colonies françaises, ont choisi d’intégrer le Commonwealth
en 2022.

Cette situation trouve plusieurs origines. Tout d’abord, il existe des formes
de résistance presque politiques et culturelles, liées à l’histoire, à l’usage du français
dans un nombre toujours plus grand de pays. Les mouvements panafricanistes lui
préfèrent, tout comme à l’anglais et à l’arabe, des langues régionales, telles que le
kiswahili, parlé par 150 millions d’Africains, l’haoussa (Afrique de l’Ouest et
Afrique centrale), le zoulou (Afrique du Sud), le yoruba (Afrique de l’Ouest), l’ibo
ou I’igbo (Nigéria) ou encore le peul (Afrique de l’Ouest) (2).

(1) « Influence. Macron à la « reconquête » de l’Afrique : ‘‘ La francophonie est la langue du


panafricanisme’’ », courrier international, 21 novembre 2022.
(2) « No, Mr. Macron! French isn’t the Universal African Language of Pan-Africanism », The African
Exponent, 1er novembre 2022.
— 102 —

Sans doute aussi la francophonie, pensée comme un instrument de


rayonnement et d’influence, a-t-elle été délaissée par la France depuis de
nombreuses années. Pourtant, dès son arrivée au pouvoir en 2017, le président
français s’est montré résolu sur ce sujet : son discours de Ouagadougou s’achève
sur une longue tirade sur l’avenir de la francophonie en Afrique, dont « l’épicentre
est quelque part autour du fleuve Congo, résolument ! ». À cette fin, il souhaite
mobiliser l’ensemble des acteurs dans les domaines de la langue française, de son
enseignement, de l’éducation, de la création artistique, ainsi que des acteurs plus
porteurs, comme ceux de la mode et de la gastronomie (1). Il se distingue en cela de
ses prédécesseurs, qui faisaient de la francophonie politique le moteur de leur
politique francophone.

Néanmoins, presque six ans après ces déclarations, et malgré quelques


initiatives – la France accueillera, par exemple, le 19ème sommet de la francophonie
en 2024, sommet que le président de la République souhaite tourner vers la jeunesse
et porteur d’une vision désinstitutionnalisée de la francophonie –, la mise en œuvre
concrète de cette politique est, pour l’heure, décevante : elle manque de moyens et
d’ambitions dans sa réalisation sur le terrain.

Pour le rapporteur Bruno Fuchs, l’inauguration, le 30 octobre 2023, de la


Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts constituera peut-être
cette forte impulsion vers le redéploiement de la francophonie que les partenaires
de la France attendent de sa part depuis bien longtemps.

La dégradation des moyens du réseau culturel français – la France compte


28 instituts français, 109 alliances françaises en Afrique subsaharienne et
108 établissements scolaires sur le continent africain– n’est pas étrangère à cette
situation alors même que ce réseau pourrait constituer un formidable pont entre les
populations françaises et africaines.

En ce sens, les rapporteurs appellent à investir massivement dans notre


réseau d’écoles et d’instituts culturels français à l’étranger en ciblant prioritairement
les pays africains au regard des enjeux, des opportunités existantes et des bonnes
relations que la France entretient avec eux. L’école, en particulier, est un formidable
moyen de créer un lien indéfectible entre la France et les populations africaines dont
les élèves qui ont étudié dans les établissements scolaires français sont souvent les
meilleurs ambassadeurs de notre pays. Cette revalorisation du réseau éducatif et
culturel français doit s’accompagner de la mise en place d’un système
d’identification des élèves les plus méritants, articulé autour d’une stratégie de
délivrance des visas plus ouverte à l’égard des jeunes talents. Il est également urgent
de mettre fin à la politique de recrutement local du corps professoral, qui conduit
trop souvent à abaisser les exigences académiques et pédagogiques du personnel
recruté.

(1) « La francophonie selon Macron », Hugo Sada, in « Macron, an I. Quelle politique étrangère »,
études de l’institut français des relations internationales, avril 2018.
— 103 —

Rappelons enfin que les concurrents de la France en Afrique ont compris


les avantages à promouvoir l’apprentissage de leur langue. Outre la Chine et ses
instituts Confucius déjà décrits, la Russie a créé, fin 2022, une Organisation
africaine de la russophonie à Bangui, capitale de la Centrafrique, placée sous la
direction de l’homme d’affaires camerounais controversé Émile Parfait Simb.
Chargée de diffuser l’apprentissage de la langue russe, elle constitue surtout un
nouvel instrument de soft power au service de l’implantation de la Russie sur le
continent. La Turquie pousse elle aussi son avantage en faisant avancer de pair
investissements économiques, aide au développement et construction d’écoles
coraniques.

De façon générale, le rapporteur Bruno Fuchs souhaite insister sur le fait


que la francophonie est restée trop institutionnelle. La plupart des citoyens africains
ne la connaissent pas ou ne semblent pas concernés par elle. Interrogé sur ce que la
francophonie évoquait pour lui, l’Observateur, célèbre influenceur ivoirien,
répondait : « des cravates, des costumes, des ministères… ». Des images très –
trop – éloignées de son quotidien et de ses préoccupations.

Pour se réinventer, au-delà de la force de la langue, la francophonie doit


redevenir attractive. Elle doit chercher à mieux répondre aux attentes des
populations, et particulièrement de la jeunesse en développant, par exemple, la
formation professionnelle, l’entrepreneuriat, le sport et la culture. La francophonie
économique a, quant à elle, été totalement négligée. Le potentiel de création de
richesses au sein d’un espace partageant la même langue est pourtant considérable :
en fondant sa raison d’être sur le politique et la culture, le modèle de développement
de la francophonie a, en quelque sorte, été imaginé à l’inverse de l’Union
européenne, immédiatement conçue comme un grand marché commun.
Aujourd’hui, trois organisations patronales francophones (1) cherchent à tirer profit
de cet énorme marché alors que le développement économique de l’Afrique est un
formidable levier pour notre influence, comme le prouve l’exemple angolais.

Enfin, le rapporteur Bruno Fuchs souligne que la francophonie est un


système de valeurs, une vision du monde fondée sur l’État de droit, la liberté
d’expression, l’égalité des individus, le développement de l’humain ou encore une
approche multilatérale des relations internationales. C’est un modèle alternatif à la
globalisation et à l’uniformisation, lesquelles s’attaquent, à travers le monde, aux
identités des peuples et engendrent une standardisation culturelle des
comportements et des modes de vie.

(1) L’Alliance pour le patronat francophone autour du Medef, le Groupement du patronat francophone
et le Forum francophone des affaires.
— 104 —

Face aux intégrismes religieux, aux impérialismes politiques, aux


nationalismes autoritaires, aux libéralismes sans loi, la francophonie est, aux yeux
du rapporteur Bruno Fuchs, une arme particulièrement adaptée pour autant qu’on
lui donne les moyens de se renforcer. Comme le soulignait avec justesse
Abdou Diouf, ancien secrétaire général de l’OIF, dans une tribune publiée dans le
journal Le Monde en 2007 : « Je n’ose croire que ceux dont le métier est de penser
et de créer veuillent réduire le combat de la francophonie pour le respect et la
promotion de la diversité des langues et des cultures à une nouvelle guerre de Cent
Ans. Il ne s’agit pas de lutter pour ou contre la prééminence de telle ou telle langue.
Il s’agit de faire en sorte que la vie de l’homme sous l’effet d’une standardisation
ne se transforme en un désert de redondances et de monotonie, ou que les identités
culturelles ne deviennent "meurtrières". » (1)

L’Angola, un pays demandeur de la francophonie


En partie du fait de sa proximité avec les deux États francophones de la République du
Congo et de la RDC au Nord de ses frontières, le français est aujourd’hui parlé par près
de 15 % de la population de l’Angola, pays lusophone. En ce sens, l’ancien ambassadeur
de France à Luanda, Sylvain Itté, a parlé du pays non-francophone « le plus francophone
d’Afrique ».
En effet, en Angola, tout concourt à ce que la France promeuve davantage sa langue
et, plus généralement, sa présence, en particulier la nécessité de trouver de nouveaux
alliés sur le continent africain pour contrebalancer l’influence grandissante de la Chine et
des États-Unis :
– L’image de la France est perçue positivement par la population angolaise, notre
pays étant jugé attractif par ses valeurs universelles, la solidité de ses institutions, les
libertés publiques qu’il défend ainsi que par la qualité de son enseignement et de ses
infrastructures de santé.
– La présence de nombreuses grandes entreprises françaises en Angola, et donc des
emplois qu’elles proposent, renforce l’attractivité de notre langue et a fortiori de notre
pays. Par-dessus tout, un système original et performant de l’enseignement du français y
a été mis en place. Un bureau dédié au français a été ouvert au ministère de
l’enseignement angolais, où deux fonctionnaires angolais et français sont chargés de
l’organisation de l’enseignement de la langue française à tous les niveaux scolaires. Par
ailleurs, l’Association des enseignants du français en Angola (AEFA) est extrêmement
active. Cette dernière a formé dix-huit binômes de formateurs afin de créer un maillage
dans tout le pays. L’ambassade de France en Angola propose également son aide pour
coordonner et financer ce dispositif. Enfin, le réseau Eiffel, issu d’un partenariat entre
TotalEnergies EP Angola, le ministère angolais de l’éducation, l’ambassade de France en
Angola et la mission laïque française, participe à la diffusion et à la promotion du français
dans le système éducatif angolais. Ce dispositif compte aujourd’hui six, et bientôt huit
écoles scientifiques parfaitement bilingues, disposant d’un enseignement gratuit et
s’inspirant du modèle éducatif français.
L’importance du nombre d’apprenants de la langue française, qui était, en 2020, de
250 000 pour 1 500 enseignants, représente une réussite pour l’expansion de la
francophonie dans le pays. Ce succès est particulièrement visible dans le Sud du pays –

(1) « La francophonie, une réalité oubliée, par Abdou Diouf », tribune, Le Monde, 19 mars 2007.
— 105 —

proche des pays anglophones – où le nombre d’élèves en cours d’apprentissage du


français progresse de manière significative.
Ainsi, grâce à une stratégie ambitieuse et de moyens plus importants, l’Angola peut
devenir à l’avenir un grand pays « francophone ». À ce titre, le gouvernement angolais a
fait acte de candidature en 2019 pour adhérer à l’OIF en qualité de membre observateur,
et en parallèle à l’Assemblée parlementaire de la francophonie. Ces démarches pourraient
aboutir en 2024.
Source diverses

2. Développer notre proximité culturelle et éducative

Les liens entre sociétés civiles se nourrissent également de tous les échanges
scolaires et universitaires, de la circulation des artistes, d’intellectuels et de sportifs.
Le développement du volontariat international, notamment dans le cadre d’une
politique tournée vers la jeunesse, peut aussi trouver sa place dans une telle stratégie
en favorisant la réciprocité. La tenue, à Paris, du 6 au 8 octobre 2023, du forum
Création Africa représente un signe positif dans la perspective d’une telle stratégie.

En ce sens, les rapporteurs déplorent le récent cafouillage autour d’une


directive de l’administration française, en septembre 2023. Il y était demandé la
suspension de toute collaboration de notre pays avec des artistes du Niger, du Mali
et du Burkina Faso. Le président de la République et son gouvernement ont, par la
suite, démenti la mise en place d’une telle suspension. La succession d’une annonce
aussi sensible et de son démenti ont brouillé davantage encore le message de la
France et la clarté de sa stratégie, ce qui est regrettable.

À ce titre, il est important de promouvoir une mobilité réciproque. Il s’agit


d’ailleurs là d’une des priorités que fixe la loi de programmation de l’aide publique
au développement qui, à ce jour, ne trouve aucune traduction réelle.

3. Repenser l’APD

a. Une réforme profonde

Les rapporteurs sont convaincus de la nécessité d’une réforme profonde de


la politique d’aide au développement de la France avec, comme corollaire, le
changement de nom de l’AFD en « France partenariats ». Cela semble cohérent,
l’Exécutif ayant décidé de remplacer l’aide publique au développement par une
politique d’investissement solidaire et durable (ISD), autant que nécessaire pour
améliorer la visibilité du nom « France » dans nos actions aujourd’hui trop souvent
masquées par l’utilisation du sigle « AFD ». Une première réforme devrait consister
à rendre cette politique plus souple et davantage adaptée aux besoins locaux. Il est
essentiel de mieux soutenir des petits projets réalisables à court terme, aux
retombées visibles et facilement identifiables pour les populations locales. L’AFD
s’est déjà lancée sur ce chemin, notamment à travers la création du fonds
d’innovation pour le développement (FID). Il conviendrait désormais d’accélérer ce
— 106 —

mouvement, en particulier auprès des pays avec lesquels la France entretient de


bonnes relations.

Le fonds d’innovation pour le développement


Hébergé à l’AFD, le FID a été créé en décembre 2020 à l’occasion du premier Conseil
présidentiel de développement et s’inscrit dans la lignée des recommandations du rapport
d’Hervé Berville sur la modernisation de la politique partenariale de développement,
publié en août 2018.
Ce fonds dédié au financement de l’innovation sociale, technologique ou
organisationnelle dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et les inégalités propose
des subventions pour :
- permettre le développement de nouvelles idées grâce à des financements pilotes allant
de 50 000 à 200 000 euros ;
- évaluer l’impact de nouvelles idées en finançant, jusqu’à 1,5 million d’euros, leur
évaluation rigoureuse menée en lien avec des équipes de recherche ;
- accompagner, jusqu’à 4 millions d’euros, le premier passage à l’échelle d’idées dont
l’impact positif a été rigoureusement démontré ;
- permettre le dialogue de politiques publiques autour de l’évaluation comme outil de
prise de décision pour la transformation des politiques publiques.
Plus de 2 000 projets émanant d’ONG, start-ups, entreprises du secteur privé, centres de
recherche et organismes issus du secteur public ont été proposés via l’appel à projet
ouvert en ligne et en continu depuis mars 2021. Les trois quarts de ces candidatures
portent sur des projets localisés sur le continent africain et deux tiers sur des stades
préliminaires du développement de l’innovation pour lesquels les besoins en
financements d’amorçage et jouant le rôle d’effet de leviers sont très forts. Parmi les
43 projets sélectionnés pour un financement de 23 millions d’euros, 80 % sont localisés
sur le continent africain et 40 % dans un pays prioritaire. Il s’agit pour la moitié de
financements visant au développement de nouvelles idées avec de faibles montants,
inférieurs à 200 000 euros, et, pour l’autre moitié, de financements qui permettront
d’évaluer les conséquences de nouvelles idées en lien avec des équipes de recherche ou
de financer un premier passage à l’échelle d’innovations ayant déjà fait leurs preuves.
Source : AFD

L’action du FID gagnerait également à mobiliser bien davantage les


services de coopération et d’action culturelle des ambassades (SCAC), sans doute
plus adaptés au soutien des petits projets appelés de leurs vœux par les rapporteurs
grâce à une augmentation significative des moyens alloués à ces services, encore
largement sous-dotés. Une première évolution en ce sens est d’ailleurs esquissée,
puisqu’une partie des crédits qui revenaient auparavant à l’AFD sont désormais
fléchés vers deux fonds servant à financer de petits projets identifiés par les
ambassades des pays concernés : le fonds « Équipe France », doté de 40 millions
d’euros mobilisés pour financer des projets dans neuf pays et centrés sur les secteurs
de l’agenda transformationnel, et le fonds d’appui à l’entrepreneuriat culturel, dédié
à dix-neuf pays prioritaires, pourvu à hauteur de 20 millions d’euros.
— 107 —

De tels moyens ne semblent pas à la hauteur des enjeux et doivent être


sensiblement augmentés puisque l’attente est forte et que les représentations sur
place de nos concurrents stratégiques ont bien plus de moyens et de capacité
d’action que nos services diplomatiques.

b. Un pilotage politique absolument nécessaire

Dans cette perspective, la rapporteure Michèle Tabarot rejoint la


préoccupation exprimée plusieurs fois par la Cour des Comptes (rapport précité) sur
la nécessité de conférer à l’AFD un pilotage stratégique interministériel associant
l’ensemble des ministres concernés et notamment ceux en charge des affaires
étrangères, de l’économie, des armées et du développement. Le CICID du 18 juillet
2023 semble le confirmer, en annonçant le renforcement du portage politique de la
politique de solidarité, grâce à la tenue d’une réunion annuelle des ministres chargés
des affaires étrangères et de l’économie et de réunions trimestrielles entre le
secrétariat d’État au développement et le ministère en charge de l’économie.

Ce pilotage pourrait être régulièrement et efficacement assuré par un conseil


des affaires étrangères placé auprès du chef de l’État, associant notamment les
ministres en charge des affaires étrangères, de l’économie, de l’armée et des
coopérations. Outre ce pilotage de l’aide publique au développement, cette instance,
inspirée du conseil de défense et de sécurité nationale, conseillerait le président de
la République sur les affaires étrangères et pourrait informer régulièrement le
Parlement des décisions prises.

L’épisode de la guerre au Proche-Orient souligne l’intérêt d’une telle


instance mais aussi d’une information plus en amont des parlementaires sur les
choix diplomatiques effectués, afin d’éviter que les annonces faites par l’Exécutif
ne suscitent trop d’incompréhensions et d’interrogations.

La création d’un ministère des coopérations et des partenariats est


également souhaitée : celui-ci assurerait la coordination du pilotage interministériel
de l’ensemble de la politique d’aide au développement. Il offrirait un guichet unique
aux pays désireux de construire des partenariats avec la France. Il permettrait de
soutenir la repolitisation de l’aide publique au développement qui fait aujourd’hui
si cruellement défaut. Il renforcerait le poids de notre pays dans les négociations
internationales, par exemple auprès des bailleurs, en conférant une force de
plaidoyer et une légitimité accrue au sein de la sphère institutionnelle. Il décentrerait
enfin la prise de décision de l’Élysée dans un souci de transparence, de débat et de
réintégration de cette politique dans des canaux institutionnels.

c. Plus de dons, moins de prêts

L’analyse comparée de l’aide publique au développement bilatérale de


l’Allemagne, du Royaume-Uni et de la France fait apparaître la singularité du
système français.
— 108 —

Le Royaume-Uni, qui ne dispose d’aucune agence de mise en œuvre de


l’aide publique au développement, a toujours considéré le don comme le vecteur
privilégié de l’aide publique au développement. Sa philosophie le rapproche, sur ce
point, des États-Unis et de l’Australie. Moins de 10 % de l’aide publique au
développement britannique se fait sous forme de prêts. Les dons présentent
l’avantage d’être lisibles et aisément traçables ; ils présentent également des atouts
évidents en termes de communication. A contrario, le choix de l’AFD de privilégier
le recours aux prêts a forgé son image d’institution bancaire.

Par ailleurs, la lourdeur de ses procédures, l’insuffisance de sa


communication et le « saupoudrage » de ses aides ont pénalisé la lisibilité de ses
financements ; le recours aux prêts a renforcé encore cette tendance.

4. Relancer une politique de coopération modernisée

Le renforcement des interactions et des liens humains entre les sociétés


africaines et françaises pourrait passer par la relance d’une véritable politique de
coopération. Dans ce cadre, il est nécessaire de renforcer le nombre de coopérants
présents en Afrique, lesquels sont à la fois des relais de la diplomatie française mais
aussi des ponts entre nos sociétés et souvent de fins connaisseurs du terrain et de ses
problématiques. Ils apportent une expertise dans des domaines variés, tels que la
solidarité, la culture, l’éducation, la science… Le seul recours au réseau d’ETI par
l’AFD ne peut suffire, dès lors que l’agence n’est pas directement investie de la
responsabilité de porter une véritable politique d’influence.

Parmi les nombreuses possibilités de coopération, certains programmes


pourraient se voir donner la priorité, en tant qu’ils permettent de mobiliser aisément
des ressources financières, de valoriser l’action de notre pays et qu’ils sont appelés
de leurs vœux par les sociétés civiles africaines : c’est, par exemple, le cas des
programmes de protection civile, pour lesquels la mobilisation de soutiens
financiers est relativement aisée, et de la mise en œuvre de services civiques d’aide
à l’insertion, qui semble bien fonctionner sur le terrain, selon les témoignages
recueillis par les rapporteurs.

5. Réformer la politique des visas : une urgence

Il s’agit là, pour le rapporteur Bruno Fuchs, d’un des irritants majeurs de
notre relation avec les citoyens africains. Les incohérences et les situations
vexatoires sont quotidiennes. Au total, ce sont des centaines de milliers de
personnes qui nourrissent de griefs contre la France. Mais ce sont aussi de nombreux
talents dont la France se prive indûment. Que de déceptions, de frustrations et
d’humiliations inutiles ; que de rendez-vous manqués et d’aigreur difficile à
dépasser.

Au regard des conflits récurrents qui opposent la France aux pays africains
autour de la politique de délivrance des visas et des laissez-passer consulaires, les
autorités françaises ont assoupli, sous conditions, les règles d’entrée de certains
— 109 —

publics notamment pour les étudiants et diverses professions, à l’instar des


chercheurs.

Comme cela a pu être illustré, force est toutefois de constater que ces
dispositifs sont insuffisants au regard des enjeux. Comme le souligne
Paul Hermelin, rapporteur d’une mission d’évaluation sur la politique des visas de
la France, c’est l’ensemble de la politique française de délivrance des visas qu’il
faudrait repenser. Il préconise, à ce titre, de réaffirmer les trois priorités de la
politique migratoire (sécurité, maîtrise de l’immigration et attractivité), de
rééquilibrer leur combinaison, d’identifier les publics cibles et de traduire en
instructions claires et positives cette nouvelle stratégie pour mieux guider les agents
des services des visas dans leur travail quotidien.

Les rapporteurs proposent que les personnes auparavant dotées d’un visa de
plusieurs années puissent obtenir de nouveau, si elles en font la demande, ce type
de visa long : les cas répertoriés d’hommes politiques, d’entrepreneurs, d’artistes et
autres intellectuels obligés de demander le renouvellement constant de leur visa, à
quelques semaines ou mois d’intervalles, alors qu’ils disposaient auparavant de
visas de plusieurs années avec une partie de leur famille ou une résidence en France,
présentent une dimension inutilement vexatoire. Il pourrait ensuite appartenir aux
agents locaux, plus proches des réalités du terrain, d’interpréter certains critères de
délivrance, tels que le degré d’insertion des demandeurs, au regard des situations
locales, à condition que ces interprétations soient explicitées et communiquées aux
parties concernées. Cette stratégie pourra ensuite faire l’objet d’une communication
réaliste et dynamique, élaborée depuis Paris et diffusée localement par les
ambassades et les services consulaires, conjuguant les impératifs d’attractivité et de
sélectivité des procédures. Enfin, le renforcement des effectifs responsables, à Paris
comme en poste, des demandes de visas, le renforcement de leur formation afin de
leur permettre d’identifier plus facilement le public prioritaire, la suspension du
recours à l’externalisation des démarches, souvent sources de difficultés, et la mise
en place d’instances de dialogue et de concertation à tous les échelons paraissent
urgents et indispensables à la continuité et à la fluidité des processus existants.

Les rapporteurs soutiennent la mise en œuvre de ces préconisations ainsi


que l’importance de promouvoir une politique européenne clarifiée en matière de
contrôle des frontières et de conditionnalité de la délivrance des visas, au sein de
l’espace Schengen, sans quoi tout effort au niveau national pour repenser cette
politique risque de rester lettre morte. La France doit ainsi œuvrer activement, dans
les prochains mois, à la définition d’une politique migratoire européenne
harmonisée et cohérente.

Pour les rapporteurs, cette vision globale devra également s’inscrire dans
une stratégie de gestion et de maîtrise des flux passant notamment par un rôle
renforcé du Parlement dans la définition de ses objectifs et dans le suivi de leur mise
en œuvre.
— 110 —

6. Mieux valoriser nos résultats : mieux communiquer et mobiliser les


médias

La France est loin d’être inactive dans de nombreux domaines. Si sa


politique manque parfois d’efficacité, elle souffre également d’une absence ou
d’une mauvaise communication autour de ses réussites. Il est ainsi urgent de
changer de posture et de mieux valoriser notre stratégie.

D’abord, la France devrait reconnaître qu’elle dispose d’intérêts en Afrique,


comme de nombreux autres États, et qu’elle est en droit de souhaiter les maintenir,
voire de les approfondir. Il est nécessaire de ne plus les dissimuler mais de les
affirmer et de les assumer, afin de couper court aux théories complotistes, toujours
prêtes à fantasmer des ambitions et des agendas cachés.

Ensuite, la France doit être beaucoup plus performante pour expliquer et


mettre en lumière les projets qu’elle soutient et ses réalisations concrètes sur le
terrain. Ses concurrents n’ont guère de scrupules à faire la publicité, parfois
offensive, de leur action ; la France devrait être décomplexée dans ce domaine.

C’est une demande constatée sur le terrain en Côte d’Ivoire où plusieurs


interlocuteurs ont demandé à la France d’assumer une communication plus
offensive dans la valorisation de son action.

Le groupe AFD, dont la feuille de route pour 2023-2027 a été adoptée par
le conseil d’administration du 16 mars 2023, semble intégrer davantage cette
ambition.

Concrètement, le groupe AFD souhaite, dès l’année 2023, et afin de


contribuer à renforcer la visibilité et la lisibilité des actions de la France en Afrique :

– rendre obligatoire la communication des partenaires sur les projets que


finance l’AFD avec une attention particulière pour les projets d’infrastructures ;

– renforcer la capacité de communication locale du groupe, en lien avec les


ambassades, à l’égard des publics locaux par la création de contenus spécifiques
pays par pays ;

– contribuer, dans quelques pays pilotes (Sénégal, Côte d’Ivoire et


Cameroun), à la « communication d’alliés » directement portée par nos partenaires
locaux vers le grand public.

Le déploiement de cette nouvelle communication gagnerait à être accéléré


et doté de moyens conséquents. Plus généralement, dans ce domaine comme dans
la lutte informationnelle à laquelle elle est confrontée, la France devrait chercher à
s’appuyer sur des relais locaux, influenceurs et personnalités locales sincèrement
convaincus du bien-fondé de son action.

Enfin, il convient de rappeler, dans le respect de l’indépendance des médias,


l’importance de ces derniers dans la cristallisation et la diffusion d’une certaine
— 111 —

image de la France. Les rapporteurs en appellent à la conscience de chacun et


souhaiteraient que les rédactions, en particulier des médias de l’audiovisuel public,
mènent un travail de réflexion sur leur ligne éditoriale et puissent s’interroger sur
les conséquences de la diffusion de certains programmes, qui donnent une caisse de
résonnance à des discours haineux dirigés contre la France et les Français. La
rapporteure Michèle Tabarot insiste sur la nécessité de s’attacher à contrebalancer
systématiquement ces discours par des points de vue différents et d’éviter de relayer
des thèses complotistes.

Il est essentiel que ces médias, perçus comme des éléments d’influence de
la France en Afrique, s’attachent aussi à mieux mettre en valeur les actions de la
France et à ne pas donner de la matière aux critiques envers notre pays, comme cela
a pu être le cas concernant le coup d’État au Niger, par exemple.

B. EN FINIR AVEC « LES IRRITANTS » POUR FONDER UN NOUVEAU


PARTENARIAT SINCÈRE, RESPECTUEUX DES INTÉRÊTS DES DEUX
PARTIES : LE PLAIDOYER DU RAPPORTEUR BRUNO FUCHS

Les développements qui suivent dans le présent B reflètent une


argumentation portée par Monsieur le rapporteur Bruno Fuchs. Par conséquent, ils
n’engagent pas Madame la rapporteure Michèle Tabarot.

1. Mettre fin aux attitudes paternalistes et à celles jugées


condescendantes. Écouter plus et mieux et partir des réalités du terrain.

a. « Un Africain ça s’invite, ça ne se convoque pas »

La scène se passe dans un grand pays francophone. Le président du club des


investisseurs d’un pays africain nouvellement élu cherche des partenaires étrangers
pour mener de grands projets industriels et d’infrastructures. Il souhaite inviter les
ambassadeurs des principaux « pays amis » et, en premier lieu, celui de France. La
veille du rendez-vous fixé, il reçoit un appel pour lui annoncer que celui-ci aura lieu
à l’ambassade et non au siège du club comme initialement décidé. Vexé, le président
annule la réunion. Par la suite, défileront les ambassadeurs des États-Unis,
d’Allemagne, de Chine, de Turquie, de Russie, du Maroc, des Émirats arabes unis :
tous feront le déplacement. L’ambassadeur de France, lui, n’a jamais été auditionné.

Les situations de ce type sont hélas trop fréquentes. La France agit encore,
en Afrique francophone, comme si elle se trouvait dans son ancien pré-carré,
perpétuant des attitudes et des réflexes dépassés et clairement contreprodutifs.

b. La familiarité d’une relation acquise

Sur le devant de la scène politique, il n’est pas rare de voir des personnalités
françaises tutoyer leurs homologues africains alors que ces derniers les vouvoient.
Le discours d’Emmanuel Macron à l’université de Ouagadougou, au Burkina Faso,
a marqué les esprits. Devant un parterre d’étudiants séduits, le président de la
— 112 —

République a annoncé certaines des orientations novatrices de sa nouvelle stratégie


envers l’Afrique : fin de la politique africaine de la France, dialogue au niveau
continental avec la jeunesse, partenariats gagnant-gagnant, priorité à l’éducation des
jeunes filles et à celle du français, restitution d’œuvres d’art, déclassification du
dossier sur l’assassinat de Thomas Sankara et reconnaissance des crimes de la
colonisation, entre autres. Dans une salle surchauffée, alors qu’il répondait à une
étudiante sur les réflexes post-coloniaux, Emmanuel Macron, en voyant le président
Kaboré quitter la salle, aura cette plaisanterie : « le Président [Kaboré] est parti
réparer la climatisation ». Cette phrase aux apparences parfaitement anodines pour
la plupart des Français choque encore aujoud’hui la grande majorité de nos
interlocuteurs.

Sans le vouloir, nous sommes des milliers, tous les jours, à offenser nos
partenaires et amis africains. Sans opérer de façon urgente une révolution mentale,
nous reproduirons, souvent involontairement, ces actes que les Africains ont de plus
en plus de mal à accepter sans rien dire.

c. Arrêter d’imposer nos réalités et nos modes de pensée

En Afrique, la France est accusée d’une autre forme de colonisation, celle


des esprits. Deux exemples permettent d’illustrer ce que les Africains pensent.

La France est très engagée sur le sujet de la défense de la démocratie opérée


à partir d’un référentiel français historiquement daté, culturellement identifié et
géographiquement situé. Celui-ci n’est pas nécessairement adapté aux modes de
gouvernance africains, qui sont tout autant légitimes, et doivent être compris en
tenant compte de l’histoire et de la culture de ces pays.

La démocratie élective, prédominante en France, ne recouvre ainsi que très


imparfaitement les subtilités et les richesses de la sociologie africaine : aussi est-elle
perçue comme une matrice occidentale imposée de l’extérieur. Achille Mbembe
prône ainsi la recherche d’une forme de démocratie substantive plus conforme aux
réalités africaines et qui, dans nos sociétés mêmes, serait apte à réduire la fracture
entre citoyens et institutions. La fondation de l’innovation pour la démocratie, née
du sommet de Montpellier en 2021, est, à cet égard, une réponse adaptée à cette
nécessité d’opérer une révolution intellectuelle et un décentrement de notre vision.
Sans nier l’importance de la question des droits fondamentaux, des libertés
publiques et de l’État de droit tout en s’inspirant des réalités africaines, la fondation,
pilotée par des experts de terrain, cherche à trouver des réponses politiques propres
à chaque pays d’Afrique. Voilà qui est prometteur : partir du terrain pour créer des
outils adaptés et mieux acceptés par la société civile.

Il faut bien comprendre que les populations africaines sont d’abord


préoccupées par des considérations matérielles directes, telles que pouvoir manger
et faire vivre leurs familles, et non par la question des deuxième et troisième
mandats. La figure de l’aîné y est centrale. La légitimité du pouvoir vient encore
aujourd’hui des chefferies traditionnelles. On doit au chef, à l’aîné, un respect
— 113 —

absolu ce qui explique que des présidents puissent rester très longtemps au pouvoir
sans faire l’objet de contestation, même si les jeunes générations se distancient
progressivement de ces pratiques.

La question de l’orientation sexuelle est à l’origine d’une autre


incompréhension. L’homosexualité est interdite dans de nombreux pays du
continent et passible de lourdes sanctions pénales ; au Soudan, en Somalie ou en
Mauritanie, la peine de mort peut être requise pour homosexualité ; en Tanzanie,
elle est passible d’une peine de prison de trente ans ; au Tchad, d’une peine de prison
pouvant aller jusqu’à trois ans. Dans la plupart des pays où l’homosexualité n’est
pas explicitement criminalisée, la discrimination, la violence et la stigmatisation à
l’encontre des personnes homosexuelles sont courantes. Récemment, le corps d’un
jeune homme, suspecté d’avoir une sexualité criminalisée au Sénégal, a été déterré
et publiquement brûlé. Les homologues diplomatiques du continent critiquent
l’approche française de promotion des droits des personnes LGBT+, jugée intrusive
et parfois contre-productive, comme en témoigne la mésaventure récente de
l’ambassadeur français pour les droits des personnes LGBT+, lesquel s’est vu
refuser son visa pour assister à une conférence annoncée sur ce sujet au Cameroun.
La tenue de cette conférence dans un pays où l’homosexualité est passible de six
ans d’emprisonnement a été considérée, dans toute l’Afrique, comme une
provocation. Il ne s’agit nullement d’accepter cette situation ni de renier nos valeurs,
bien au contraire, mais d’adapter nos pratiques et nos discours aux contextes locaux
pour les rendre audibles et acceptables par les populations locales, afin de ne pas
agir, à l’étranger, comme si nous étions en France.

Il faut ainsi reconnaître que le mode opératoire diplomatique de la France


n’est pas efficace. En Angola, une tribune engagée, publiée par un diplomate
étranger sur ce sujet, a conduit à des arrestations dans la communauté LGBT+,
démontrant que l’ingérence n’était pas de mise dans ce pays. C’est là une réalité
qu’il faut pleinement prendre en compte.

2. Fixer une doctrine claire : la « juste distance »

a. Sortir du double standard

Pendant les périodes de décolonisation, la doctrine fixée par le Général de


Gaulle a eu le mérite d’être claire et simple à comprendre pour tous : la France
accorde aide et sécurité aux « régimes amis » en échange de quoi elle attend leur
loyauté en matière géopolitique, c’est-à-dire principalement l’alignement des votes
africains sur ceux de la France à l’ONU.

Le discours de la Baule, prononcé le 20 juin 1990 par François Mitterrand,


marque un tournant dans les relations avec l’Afrique en ce sens qu’il prend en
compte un certain nombre d’évolutions géopolitiques et d’aspirations à une
meilleure gouvernance des pays africains. Pour la première fois, la diplomatie
française conditionne son aide aux efforts de démocratisation consentis par les États
bénéficiaires.
— 114 —

Cette nouvelle doctrine a semé le trouble et la confusion parmi nos


partenaires africains, non pas par l’intention qu’il exprime mais par le différentiel
existant entre ce discours et sa mise en pratique. Ce décalage flagrant est venu jeter
un doute toujours plus grand sur la sincérité des intentions de la France accusée
d’appliquer différemment, au cours du temps, ses principes selon les pays et les
situations considérés. Sa doctrine est appliquée avec rigueur à l’égard de certains
pays ; avec d’autres, la mansuétude est de mise. D’un côté, la France refuse de
rencontrer Teodoro Obiang, le président de la Guinée équatoriale ; de l’autre, elle
maintient des relations d’une grande proximitié avec son voisin Ali Bongo du
Gabon. Elle conteste le troisième mandat du président Alassane Ouattara de Côte
d’Ivoire, alors même qu’elle continue d’entretenir des relations poussées avec
Paul Biya, le président du Cameroun au pouvoir depuis 1982.

Ce manque de lisibilité tout comme l’absence d’explication quant aux


contradictions des positions françaises retenues deviennent progressivement des
marqueurs de la relation de notre pays avec la majorité des États du continent
africain. La contradiction « ultime » intervient lors de la mort tragique, le 19 avril
2021, du maréchal Idriss Déby au Tchad. Présent lors de la prise de pouvoir par son
fils Mahamat Idriss Déby, le président français déclare que la France « n’autorisera
personne, ni aujoud’hui ni demain, à porter atteinte à la stabilité du Tchad ». La
France soutient ainsi la transition du pouvoir en faveur de Mahamat Idriss Déby qui
a dissous le Parlement et suspendu la constitution, quand des alternatives
démocratiques crédibles étaient possibles, comme celle incarnée par le principal
opposant au régime, Succès Masra.

Dès lors, face à ce soutien français, comment faire comprendre le combat


frontal contre les militaires de la junte malienne alors même que ces derniers ont
mis un terme, après des mois de manifestations dans les rues de Bamako, au mandat
d’Ibrahim Boubacar Keita, l’un des pires présidents que le Mali ait connu ? La
cohérence et la sincérité des actions et des prises de parole de la France sont remises
en cause. Le doute plane sur les objectifs réels poursuivis par notre pays, suspecté
d’avoir un double langage ou un agenda caché, de telle sorte qu’au Mali, par
exemple, une partie importante des militaires est toujours persuadée que l’armée
française était de collusion avec l’organisation terroriste de Daesh. La population,
quant à elle, ne croit pas que que les questions sécuritaires justifient la présence de
notre armée. Elle demeure convaincue que la présence française a pour seul but de
défendre ses intérêts économiques, notamment miniers. Or, au Mali, comme dans
l’écrasante majorité des pays du continent, les entreprises françaises n’ont aucun
intérêt dans l’exploitation minière.

Il est dès lors aisé pour des « concurrents » malintentionnés de la France de


jouer sur nos faiblessses et de produire une désinformation de masse qui trouvera
un écho d’autant plus favorable que nous ne communiquons pas clairement sur nos
objectifs et nos intérêts. Il est devenu indispensable que la France redéfinisse et
propose de manière urgente une doctrine claire en Afrique.
— 115 —

Même si ce n’est pas l’objet direct du présent rapport, il faut préciser ici que
la résolution de cette question du double standard dans son intégralité nécessitera
également d’en sortir en France même. En effet, les Français issus des diasporas
doivent pouvoir trouver, en France, les mêmes chances de réussite que le reste de la
population. À défaut, elles continueront d’en critiquer l’existence, nourrissant ainsi
les reproches véhiculés par les campagnes de désinformation en Afrique.

b. Proposer une nouvelle doctrine

La réputation de la France en Afrique pâtit de la mauvaise image des


présidents qu’elle soutient ou qu’elle a soutenus, de son incapacité à démontrer que
ses politiques publiques produisent des résultats perceptibles au bénéfice des
populations africaines et du contraste existant entre sa vision multilatérale et
l’approche unilatérale de sa politique en Afrique francophone.

L’application à « géométrie variable » de la proposition du président


François Mitterrand de conditionner l’aide française au respect de principes
démocratiques, formulation pourtant plus proche des réalités du continent que ne
pouvait l’être la doctrine du Général de Gaulle, doit être à présent dénoncée. La
définition d’une doctrine renouvelée rendra l’action de la France à nouveau lisible
et cohérente. En la partageant avec les pays du continent africain, elle pourra de
nouveau jouer un rôle proactif et ne plus définir sa stratégie en réaction aux
événements diplomatiques.

Il ne nous appartient pas ici de définir cette nouvelle doctrine. Toutefois, en


contribution au débat, le rapporteur Bruno Fuchs partage ces quelques principes
qu’elle pourrait intégrer :

1- S’agissant de la défense de la démocratie, il préconise une « juste


distance démocratique et politique », comme le suggère Achille Mbembe : en clair,
la France n’intervient pas dans les affaires intérieures des pays du continent africain.
En revanche, elle propose un certain nombre de défis communs à résoudre, de
projets à mener ensemble (institutions, biodiversité, éducation, notamment) de
manière bilatérale voire à l’échelle du continent ;

2- La France communique clairement ses objectifs, valeurs et intérêts en


Afrique ;

3- La France protège et participe à la sécurité à l’échelle régionale ;

4- La France s’engage à apporter des résultats dans une vision


opérationnelle des partenariats.

Cette nouvelle offre stratégique doit s’inscrire dans le droit fil des
fondements que la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 relative au développement
solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales a fixés. Celle-ci prévoit, dans
son premier article, « la promotion des droits humains, le renforcement de l’État de
droit et de la démocratie » et rappelle, en outre, le rôle de la société civile dans
— 116 —

l’atteinte de ces objectifs. En 2022, le ministère de l’Europe et des Affaires


étrangères s’est d’ailleurs doté d’une stratégie pour soutenir l’engagement citoyen
et la société civile.

Poursuivre dans cette voie semble être le chemin à suivre. En plus du besoin
de renforcement de ce cadre normatif, il est urgent de proposer explicitement
d’autres leviers pour consolider le nouvel agenda de la résilience démocratique. Ces
propositions s’inscriraient parmi les aspects déterminants de la nouvelle offre
stratégique française qu’il est nécessaire de construire. Ceci marquerait donc la fin
de la doctrine des années 1990, qui reposait sur la mise en place de conditionnalités
démocratiques, ce à quoi il faut résolument tourner le dos.

Ce nouveau positionnement, original et cohérent avec l’approche de la


« juste distance » consiste, sur le modèle de ce que fait d’ores et déjà la France avec
la fondation de l’innovation pour la démocratie, à accompagner l’émergence d’une
démocratie substantive choisie par les Africains eux-mêmes. Cela suppose que notre
pays rejoigne les acteurs internationaux qui œuvrent déjà dans ce domaine (agence
des Nations Unies pour le développement international, agence danoise pour le
développement international, agence suédoise de coopération internationale pour le
développement, action de l’Allemagne), tout en s’inspirant du modèle de la
fondation, lequel implique une approche plus directe que celle pratiquée par ces
acteurs.

Dotés de moyens substantiels, ceux-ci, à commencer par la fondation,


pourraient alors s’engager sur les quatre terrains identifiés comme prioritaires :

1- Le financement des fondamentaux démocratiques, notamment au niveau


local (décentralisation, État de droit, gestion des finances publiques, transparence,
redevabilité, etc.) ;

2- Le financement des dispositifs de participation citoyenne : conventions,


jurys, consultations en ligne, évaluation citoyenne, notamment ;

3- Le soutien au lancement et au déploiement d’innovations démocratiques,


que celles-ci émanent de la société civile ou des institutions publiques ;

4- Le financement d’innovations démocratiques en réponse à des défis


majeurs tels que le climat, la santé, l’environnement et la mobilité.

Voilà, en substance, ce que pourraient être les piliers fondamentaux de cette


nouvelle doctrine plus transparente, directe, respectueuse et féconde.

c. Solder notre passif colonial par des actes tangibles et partagés

Si nos relations avec les pays anglophones ne sont en rien affectées et


qu’elles ne le sont que très peu auprès de certains pays francophones, comme la
Guinée-Conakry – le président Ahmed Sekou Touré ayant tourné la page de la
— 117 —

colonisation dès l’indépendance (1) –, nos relations avec la plupart des pays
anciennement colonisés souffrent encore sensiblement de cette période.

De nombreux ouvrages ont été écrits à ce sujet. Notre propos n’est pas d’en
refaire l’histoire et les enjeux mais d’insister sur le fait que, sans traiter et régler
cette question, il sera difficile de recréer les fondements de relations assainies et
équilibrées.

Dans son rapport Les Nouvelles Relations Afrique-France : relever


ensemble les défis de demain où il appelle notamment à « éclairer la relecture du
colonialisme afin de rebâtir l’en-commun », Achille Mbembe dresse un rapide état
de la question. Il recommande, entre autres, la multiplication de gestes symboliques
de reconnaissance, de restitution et de réparation. Il suggère par ailleurs des
initiatives visant à faire progresser la connaissance et la transmission de cette
histoire et de ses héritages, par le biais d’une réforme des programmes d’histoire
dans les écoles, à l’université et dans les centres de recherche. La mise en place
d’une maison des mondes africains s’inscrit dans la même perspective. Le
rapporteur Bruno Fuchs souscrit à cette idée sous réserve qu’elle trouve un écho
dans d’autres pays d’Afrique.

L’historien propose également de lancer une mission de préfiguration aux


fins de création d’un musée des colonisations, qui s’inscrirait dans un vaste réseau
national (Quai Branly, Musée des Confluences, Archives d’Aix, MUCEM,
Mémorial Acte, Musée d’Aquitaine, Musée de la Rochelle, Mémorial de Nantes,
Institut franco-algérien de Montpellier, Camps des Milles, Camps de Rivesaltes,
Fondation de la Mémoire des Esclavages, Maison des Mondes Africains, entre
autres).

Le rapporteur estime qu’il est essentiel que ce type d’actions soit déployé
avec respect et compréhension mutuelle.

Il faudra alors reconnaître que le passé colonial ne pourra jamais être


totalement dépassé mais, qu’acceptant de partager avec humilité les faits d’une
même histoire commune, il sera possible de bâtir de nouvelles relations plus égales
et plus respectueuses.

3. Miser sur un développement économique mutuellement gagnant

Si la France souhaite contribuer à la création de richesses en Afrique à la


hauteur des enjeux du continent, cela passera nécessairement par le développement
de l’investissement et des activités économiques en Afrique. C’est aussi la condition
du maintien d’un niveau suffisant d’interactions avec les populations africaines. Il
est ainsi nécessaire de mettre en œuvre une politique d’investissements incitative et
de donner la priorité aux industries de transformation, à des pratiques de transfert
de savoir-faire et de technologie, à des programmes de formation et, plus

(1) Discours du président Ahmed Sekou Touré : « Nous préférons la pauvreté dans la liberté que la richesse dans
l’esclavage ». Discours du 25 août 1958 à Conakry
— 118 —

globalement, à une démarche de responsabilité sociétale. Notre pays dispose de


réels atouts en la matière et pourra ainsi se distinguer aisément de ses concurrents
chinois, russes ou encore américains.

a. Les économies subsahariennes, une importance bien loin des idées


reçues

Tendance lourde depuis plusieurs années, la déprise de nos partenariats


commerciaux et un décrochage de nos entreprises en termes de parts de marché ont
abouti à un relâchement de notre proximité économique avec le continent africain.

Contrairement aux idées reçues, le continent africain ne représente plus que


5,3 % du commerce extérieur français. Sur les quinze pays de la zone franc CFA,
cette part représente 0,6 %. La dure réalité qu’incarnent ces chiffres s’avère donc
aux antipodes du stéréotype de l’Afrique comme « chasse gardée économique » de
la France.

Actuellement, la plupart des intérêts économiques de la France en Afrique


se situent au Maghreb, puis en Afrique subsaharienne, mais en dehors de la zone du
franc CFA. En 2018, parmi les cinq premiers partenaires commerciaux de la France
en Afrique, aucun n’était issu de cette zone. Le Maroc est en première position des
partenaires économiques de la France (il représente 18,9 % des échanges
commerciaux franco-africains), suivi de l’Algérie (18,4 %), de la Tunisie (15,2 %),
du Nigéria (8,5 %) et, enfin, de l’Afrique du Sud (5,8 %). Le premier pays de la
zone franc CFA à figurer dans ce classement est la Côte d’Ivoire en tant que
neuvième partenaire commercial de la France en Afrique (3,8 % des échanges
commerciaux).

Du point de vue des débouchés, les parts de marché des entreprises


françaises en Afrique ont été divisées par deux au cours des vingt dernières années.
Cette situation s’explique, non pas par un recul des exportations françaises – qui
sont restées stables en valeur –, mais par un déclassement de leur importance
commerciale pour les économies africaines, ainsi que par la progression accélérée
de nouveaux compétiteurs, européens et asiatiques.

b. De fortes contraintes et des risques

Le manque de dynamisme économique de la France en Afrique s’explique


par l’existence de fortes contraintes pesant sur les groupes et sociétés françaises qui
ont été découragés d’investir sur le continent. C’est notamment le cas des
entreprises côtées en bourse et soumises à la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016
relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la
vie économique.

Cette loi, dite Sapin 2, joue certes un rôle majeur pour lutter contre la
corruption et garantir des règles éthiques minimales. Elle n’est toutefois pas sans
effets pervers, puisqu’elle impose des contraintes importantes aux entreprises
françaises auxquelles ne sont pas soumis nos principaux compétiteurs économiques.
— 119 —

S’y ajoute un niveau de pression fiscale dissuasif, allant jusqu’au


« harcèlement fiscal », qui crée un contexte peu favorable pour les entreprises
françaises. Ainsi, avant même la survenue du coup d’État du 26 juillet 2023,
Orange, TotalEnergies ou le brasseur Castel avaient déjà quitté le Niger pour des
raisons commerciales.

c. Un marché stratégique

La France demeure néanmoins le premier fournisseur européen des pays de


la zone franc CFA. Elle a perdu le statut de premier fournisseur mondial du
continent en 2007 au profit de la Chine qui ne s’embarrasse pas des mêmes
exigences en termes de normes éthiques et sociales.

Dix ans plus tard, en 2017, l’Allemagne était devenue le premier fournisseur
européen d’Afrique, reléguant la France en deuxième position. Les exportations de
produits industriels en direction de la zone franc CFA et vers les autres pays
d’Afrique subsaharienne ne sont plus en mesure de soutenir le déclin de certaines
branches de l’appareil productif français.

Le marché existe et a vocation à croître de façon exponentielle. Néanmoins,


les entreprises françaises semblent avoir du mal à accompagner cette croissance.
L’agence COFACE estimait ainsi, en 2018, que les exportations françaises à
destination des pays francophones étaient inférieures de 26 % par rapport à leur
potentiel. Toujours selon la même agence, ce sont les économies subsahariennes qui
abriteraient les potentiels de gains d’exportations les plus importants pour notre
pays, lesquels seraient situés principalement au Rwanda (le potentiel de progression
y a été estimé à 89 %), en Érythrée (89 %) et au Botswana (71 %).

Au final, malgré son accessibilité et son caractère rassurant pour les


investisseurs et les entreprises d’import-export, en raison de la stabilité de sa
monnaie due en grande partie à son lien avec l’euro, la zone franc CFA ne représente
donc pas un intérêt prioritaire pour l’avenir de la relation économique entre
l’Afrique et la France. Le véritable enjeu partenarial, en termes de souveraineté, se
situe dans des pays comme la RDC et dans certains pays anglophones.

d. Des avantages compétitifs

Enfin, le rapporteur Bruno Fuchs souligne que le choix stratégique de nos


partenaires doit résulter du croisement des spécificités locales et de l’état de notre
positionnement vis-à-vis de ces pays, dans le but d’identifier des filières porteuses.
De plus, un autre défi doit être pris en compte, celui de notre influence normative
face à une demande qualitative qui sera croissante au sein des sociétés africaines.

En effet, malgré la faiblesse actuelle des standards, la responsabilité


sociétale des entreprises (RSE) monte en puissance sur tous les continents et il n’en
sera pas autrement dans l’Afrique en mutation. Au lieu d’aller contre ce
mouvement, comme certains de nos compétiteurs, un enjeu crucial consiste à en
faire un levier concurrentiel. Les entreprises françaises devront intégrer à leur
— 120 —

nouvelle stratégie d’implantation leur capacité à contribuer à l’élévation des


standards locaux. Ainsi observons-nous dans certaines filières, comme la filière
agro-alimentaire, l’émergence d’une réelle demande qualitative. Quelques grandes
entreprises africaines ont déjà adopté des normes internationales de gestion comme
la norme ISO 14001 en matière environnementale. C’est dans cette voie qu’il
convient de s’engager. Des réseaux d’entreprises, à l’instar du réseau RSE Sénégal
ou du réseau Kilimanjaro, favorisent l’échange de savoir-faire à leur niveau et les
chambres de commerce diffusent des labels RSE. À n’en pas douter, l’essor de la
classe moyenne, encore freiné par la corruption, jouera en faveur de l’acquisition de
ces normes exigeantes.

L’avenir de la relation économique de la France avec l’Afrique nécessitera


enfin de trouver un mécanisme pour réduire la distorsion concurrentielle entre les
acteurs français et étrangers, tout en maintenant une pratique commerciale
vertueuse.

Le manque d’intérêt manifesté par les acteurs économiques français pour le


marché de la RDC, une erreur stratégique
Alors que le France vit une remise en cause dans un grand nombre de pays francophones
de l’Afrique, la RDC, plus grand pays francophone avec plus de 100 millions d’habitants,
rappelle à tous ses visiteurs sa « demande de France », à savoir son souhait de renforcer
et de développer son partenariat avec sa sœur francophone. Or, il apparaît clairement que
la France n’est pas au rendez-vous générant, dans le pays, un fort sentiment
d’incompréhension, d’abandon et d’irritation.
Force est de constater que de nombreux appels d’offre de la RDC ne suscitent aucune
candidature française. Peu d’investisseurs privés français s’implantent dans le pays, y
compris dans des secteurs de pointe en plein essor comme celui du numérique ou des
métaux critiques. Cela laisse de réelles opportunités à des acteurs de pays non-africains.
Cette attitude est à interroger. Pour rappel, la RDC concentre une part significative des
richesses minières. Rubaya est la capitale mondiale du coltan dont est extrait le tantale,
métal indispensable pour la fabrication des composants des téléphones portables et
notamment des smartphones. Le pays possède des gisements d’une cinquantaine de
minerais. Seule une douzaine d’entre eux est actuellement exploitée : le cuivre, le cobalt,
l’argent, l’uranium, le plomb, le zinc, le cadmium, l’or, le diamant, l’étain, le tungstène,
le manganèse et autres métaux rares. La RDC possède la deuxième réserve mondiale en
cuivre recensée sur la planète, ainsi que 50 % des réserves mondiales de cobalt.
Le code minier national de 2002 a été conçu pour attirer les investissements étrangers et
ainsi favoriser le développement de ce secteur. Par conséquent, l’avenir de l’exploitation
des métaux rares et des souverainetés se joue en RDC. Ne pas le mesurer serait une faute
économique et stratégique majeure pour la France.
Quant au secteur agricole, celui-ci représente 36 % du PIB du pays et soutient
économiquement les deux tiers de la population en occupant 70 % de sa population
active.
Vouloir renouer avec l’Afrique francophone sans intégrer pleinement la RDC dans cette
nouvelle stratégie reviendrait à envisager une UE sans l’Allemagne.
Sources diverses.
— 121 —

4. Valoriser les politiques solidaires de la France

La France déploie des politiques solidaires dans de nombreux domaines


dont l’impact est très significatif mais qui, paradoxalement, sont peu mises en avant
alors même qu’elles constituent des avantages comparatifs évidents vis-à-vis de ses
compétiteurs.

À titre d’exemple, et de manière non exhaustive, trois politiques publiques


en matière de santé, de biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique
permettent de le vérifier.

a. Le rôle moteur de la politique française de la santé

Soixante ans après les indépendances, le système de santé des pays africains
apparaît comme l’un des plus fragiles au monde. Manque d’infrastructures et de
médicaments, prestations très coûteuses : l’accès à la santé est un frein majeur au
développement du continent africain.

La France, de concert avec l’ONU, le G7 et l’UE, est à l’initiative du fonds


mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme dont elle est le
deuxième contributeur. Créé en janvier 2002, ce fonds mutualise les contributions
financières de plus d’une soixantaine de pays et d’acteurs privés et non
gouvernementaux ; il aurait permis de sauver 59 millions de vies en 2022 et de
réduire de 55 % le taux de mortalité combiné du SIDA, de la tuberculose et du
paludisme.

Or, le continent africain est de loin le premier bénéficiaire de ce fonds :


70 % des sommes engagées lui sont dédiées, notamment à destination du Nigéria,
de la RDC, du Kenya, de l’Afrique du Sud, de la Tanzanie et de l’Ouganda.
L’Afrique est, en effet, particulièrement touchée par les trois maladies couvertes par
ce fonds. À titre d’exemple, en 2020, 241 millions de nouvelles infections de
paludisme ont été diagnostiquées contre 229 millions l’année précédente, causant la
mort de 627 000 personnes dont 95 % en Afrique subsaharienne. De même,
l’Afrique est le continent le plus touché par le SIDA. Il convient de noter que
l’infection par le virus d’immunodéficience humaine (VIH) y est plus répandue chez
les femmes que chez les hommes, en raison de leur plus grande vulnérabilité
biologique et exposition au virus, dans des sociétés souvent marquées par des
inégalités entre sexes importante et un taux de pauvreté élevé.

En marge du programme d’action lié à ce fonds, le rapporteur Bruno Fuchs


rappelle l’investissement de nombre d’ONG françaises humanitaires, à l’instar de
la Croix-Rouge, de Médecins sans frontières, de Médecins du monde, de
Pharmaciens sans frontières, lesquelles ne jouissent sans doute pas d’une
reconnaissance à la hauteur de leur engagement. Ces dernières fonctionnent non
seulement grâce aux financements et partenariats octroyés par l’AFD mais aussi
grâce à des contributions du grand public et constituent, en ce sens, des passerelles
de solidarité entre les sociétés civiles françaises et africaines.
— 122 —

b. La mobilisation historique de la France en faveur de programmes de


recherche et de conservation de la biodiversité africaine

Alors que certains des compétiteurs de la France en Afrique s’illustrent par


leur politique prédatrice à l’égard des ressources et de la biodiversité africaines,
alimentant la piraterie et armant le braconnage, notre pays représente, au contraire,
un partenaire résolu à l’aide à la conservation des écosystèmes et de la faune sur le
continent africain.

Ce soutien passe, entre autres, par la mobilisation de fonds publics et privés,


l’animation de programmes de recherche et la mise à disposition de scientifiques et
de compétences techniques.

En Côte d’Ivoire, le Global Biodiversity Information Facility France


(GBIF), consortium international fondé à l’initiative de l’Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE), œuvre à la mobilisation et
au renforcement des données sur la biodiversité au service du développement
durable.

En Afrique du Sud, l’Office français de la biodiversité (OFB) a signé, en


juin 2022, un accord de partenariat avec l’Institut national sud-africain de la
biodiversité, les parcs nationaux d’Afrique du Sud (Sanparks) et l’AFD, pour
renforcer les échanges entre l’Afrique du Sud et la France en matière de protection
de la biodiversité.

Le Musée national d’histoire naturelle propose, quant à lui, son expertise et


développe une stratégie de diffusion de la culture scientifique, d’organisation et de
mise en œuvre de projets de coopération internationale dans l’enseignement et la
formation, notamment avec l’université de Dschang au Cameroun.

De nombreuses associations et fondations de conservation, en particulier au


sein de l’Association française des parcs zoologiques (AFdPZ), financent et
soutiennent, par leur expertise et de la formation, de nombreux programmes de
conservation de la faune sur le terrain et de lutte contre les trafics, tels que celui de
viande de brousse.

c. La France, chef de file de la lutte contre le réchauffement climatique en


Afrique

Alors que l’Afrique est responsable de moins de 4 % des émissions


mondiales de CO2, elle est le continent le plus touché par le réchauffement
climatique.

Or, la France se singularise par son rôle de fer de lance de la lutte contre le
réchauffement climatique et par son soutien, dans ce domaine, auprès de l’Afrique.
En décembre 2020, le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé
fixer l’objectif français des financements pour le climat en faveur des pays en
développement à 6 milliards d’euros par an sur la période 2021-2025, dont un tiers,
— 123 —

soit 2,2 milliards d’euros, consacré à l’adaptation. Grâce à cet engagement, la


France fournit ainsi sa « juste part » à l’objectif des 100 milliards de dollars
mobilisés à l’échelle mondiale en faveur du climat : elle représente à elle seule
environ 10 % de la finance internationale dédiée à l’adaptation.

Elle s’est aussi affirmée comme le premier soutien financier de l’initiative


africaine pour les énergies renouvelables (AREI) qui vise notamment à doubler la
capacité énergétique du continent d’ici à 2030. Avec l’Inde, elle est à l’origine de
la création de l’alliance solaire internationale (ASI), une initiative lancée et
soutenue par plus de 30 États, le 30 novembre 2015, lors de la COP21. Son objectif
premier est de réduire massivement les coûts de production de l’énergie solaire, afin
de la rendre accessible et de viser ainsi à son déploiement massif dans les pays à
fort ensoleillement, dont plus de la moitié sont des États africains.

La France est aussi à l’initiative d’un axe euro-africain face au défi


climatique qui se traduit par des réalisations concrètes sur le terrain, comme
l’illustre la Grande muraille verte, vaste projet de reforestation le long de la bande
sahélienne soutenu par l’AFD.

Enfin, comme pour son engagement sanitaire ou en faveur de la


conservation de la biodiversité africaine, la France peut compter sur la mobilisation
des compétences et de l’investissement financier d’acteurs nationaux, d’organismes
de recherche, de scientifiques, d’ONG, d’entreprises, au premier rang desquels
figurent des acteurs publics comme l’AFD. Cette dernière a été mobilisée à travers
deux programmes, « Adapt’Action » et « Facilité 2050 » auxquels ont été affectés
60 millions d’euros pour soutenir les pays les plus vulnérables aux conséquences du
réchauffement climatique et pour leur permettre de se doter d’une stratégie de
développement bas-carbone. Enfin, au-delà de son engagement contre le
réchauffement climatique, l’AFD s’est fixée une ligne éthique selon laquelle son
action ne doit pas contrevenir aux objectifs d’atténuation des émissions et
d’adaptation au réchauffement climatique des pays accueillant ses interventions.

5. S’appuyer sur les diasporas

Les diasporas (1) africaines en France constituent un puissant réseau. Du fait


de son histoire commune avec l’Afrique, la France est le pays européen où vivent
les diasporas les plus diverses, actives et structurées d’Europe. Elles représentent
ainsi la moitié des diasporas africaines en Europe et se composent à la fois
d’étrangers (2,9 millions de personnes) et de descendants d’immigrés (3,3 millions
de personnes). Leurs liens avec leurs pays d’origine restent importants et se
matérialisent par des transferts d’argent en augmentation croissante qui atteignent,
en 2018 et selon la Banque mondiale, 8 milliards de dollars depuis notre pays sur

(1) L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Migration Policy Institute définissent les
diasporas comme « les émigrants et leur descendance qui vivent hors de leur pays natal ou du pays de leurs
parents, sur une base temporaire ou permanente, tout en conservant des liens affectifs et matériels avec leur
pays d’origine ». Si l’on se réfère au nombre d’immigrés (6,22 millions) et de leurs enfants (7,48 millions),
les diasporas représentent potentiellement 20 % de la population française.
— 124 —

les 520 milliards de dollars au niveau mondial. Ces diasporas apparaissent donc
comme une force motrice, un catalyseur et un vecteur d’efficacité pour la politique
de coopération. Parallèlement, les jeunes générations, qui en sont issues, veulent
davantage s’impliquer dans l’essor du continent africain. Elles constituent, pour les
entreprises françaises, un avantage comparatif évident par rapport à leurs
concurrents en proposant une meilleure compréhension du marché africain.

Pourtant, ces diasporas sont aujourd’hui insuffisamment sollicitées par les


autorités françaises dans la conception et le déploiement de leur politique à l’égard
de l’Afrique. Le CPA constituait certes une tentative intéressante pour les mobiliser
autour du président de la République. Il n’a toutefois pas perduré et ses membres,
tous de brillants modèles de réussite intellectuelle et sociale, se sont avérés peu
représentatifs de leur diversité. Cet exemple vient souligner l’importance et la
difficulté du choix des représentants identifiés. Il est nécessaire de se prémunir du
double écueil que représente la mobilisation, d’une part, des seuls « premiers de
cordés », pour reprendre l’expression déjà mentionnée d’Antoine Glaser, dont le
quotidien et les habitus sont parfois éloignés de ceux de la majorité des diasporas,
et, d’autre part, des membres des diasporas qui, estimant leur niveau d’intégration
insuffisant, sont de facto peu désireux de porter une image positive et constructive
de notre pays. En novembre 2021, le CPA révélait, en effet, les conclusions de son
« tour de France » de l’entrepreneuriat auprès de la diaspora africaine et présentait
les résultats d’un sondage d’OpinionWay faisant état d’un réel « malaise » des
Français issus des diasporas africaines : 75 % des personnes interrogées
considéraient que l’égalité des chances n’était pas respectée dans l’Hexagone, 73 %
des sondés estimaient que l’intégration des personnes d’origine étrangère en France
fonctionnait mal et 73 % prétendaient que les personnes d’origine étrangère étaient
victimes de discriminations.

Ces précautions prises, il semble néanmoins possible d’inclure davantage


les diasporas dans la stratégie africaine de la France. Quelques initiatives ont été
lancées en ce sens par l’AFD qui soutient, au plan entrepreneurial et
philanthropique, les investisseurs issus des diasporas, en redirigeant une partie des
flux financiers et leur expertise vers leurs pays d’origine et en ouvrant davantage
les fenêtres thématiques de l’agenda transformationnel aux diasporas. À titre
d’exemple, l’AFD soutient le forum des organisations de solidarité internationale
issues des migrations (FORIM) à travers deux programmes :

– le programme « structuration du milieu associatif » (SMA) ;

– le programme d’appui aux organisations de la société civile issues de


l’immigration (PRA/OSIM). Ce dispositif à destination des associations de la
diaspora finance des micro-projets dans leur pays d’origine. Chaque année, le
PRA/OSIM permet de mener plus de 75 micro-projets (à hauteur de 15 000 euros
par projet), dans près de trente pays, principalement dans les secteurs de l’éducation,
de la formation, de la santé, de l’agriculture, de l’eau-assainissement et de
l’entrepreneuriat.
— 125 —

L’AFD appuie également deux projets à dimension « Tout Afrique » :


« MEETAfrica » et « DIASDEV », destinés respectivement aux entrepreneurs et
aux investisseurs de la diaspora, afin de valoriser les nouveaux outils de transferts
digitaux mobiles, de banque ou de financement participatif.

Ce type d’initiatives pourrait être impérativement amplifié de manière à


faire partie intégrante de la politique française à l’égard de l’Afrique. Toutefois,
pour avoir un sens, ces initiatives devraient être menées de concert avec une
revalorisation des talents issus des diasporas et de leurs descendants en France. À
titre d’exemple, leur manque de représentation dans un domaine aussi exposé et
visible que le paysage audiovisuel français est particulièrement dommageable, a
fortiori lorsque le secteur privé fait parfois mieux que certains acteurs de
l’audiovisuel public déjà marqué par la suppression symboliquement chargée de la
chaîne France Ô, notamment dédiée à la France d’outre-mer, en 2020.

Est-ce un bon signal de n’avoir sur RFI qu’il seul animateur d’une émission
quotidienne qui soit d’origine afro-descendante ? De même, est-il pertinent de
n’avoir au service Afrique d’un grand quotidien national qu’un seul journaliste
afro-descendant sur quatorze? Enfin, est-il performant de n’avoir qu’un seul
ambassadeur en Afrique sur cinquante-quatre de cette origine ?

Sans une reconnaissance claire des talents des membres des diasporas ou,
plus globalement, des personnes d’origine afro-descendante, cette nouvelle stratégie
de relation d’égal à égal avec l’Afrique portera en elle, dès le départ, les germes de
la suspicion.

C. LA DIMENSION GÉOPOLITIQUE DES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET


L’AFRIQUE : UNE PRÉOCCUPATION MAJEURE POUR LA
RAPPORTEURE MICHÈLE TABAROT

Les développements qui suivent dans le présent C reflètent une


argumentation portée par Madame la rapporteure Michèle Tabarot. Par conséquent,
ils n’engagent pas Monsieur le rapporteur Bruno Fuchs.

1. La nouvelle géographie de la politique africaine de la France

Les difficultés récentes rencontrées par la France en Afrique francophone


doivent l’amener à réfléchir aux partenariats qu’elle souhaite nouer et à leur
nouvelle géographie. Il ne s’agit pas de se désintéresser de l’Afrique francophone.
Certains pays de cette zone, à l’instar des pays côtiers comme la Côte d’Ivoire, sont
désireux de maintenir des relations nourries avec notre pays. Toutefois, les
opportunités de nouveaux partenariats existent ; la France a d’ailleurs déjà tenté
d’en développer en Afrique anglophone, avec des résultats mitigés. Une relance de
cette politique d’ouverture serait souhaitable pour diversifier nos partenariats et
sortir de l’ornière sahélienne.
— 126 —

a. Se tourner vers l’« autre Afrique » (2017-2022)

Au cours de son premier quinquennat, le président Emmanuel Macron tente


de sortir de l’Afrique francophone marquée par des crises internes et les stigmates
de la « Françafrique ». Il cherche ainsi à se tourner vers de grandes puissances de
l’Afrique anglophone, de l’Éthiopie à l’Afrique du Sud, en passant par le Nigeria,
le Ghana et le Rwanda, et en mettant en avant des projets économiques tournés vers
l’avenir. Comme il le souligne : « L’Afrique anglophone est pour nous une ligne
d’action pour sortir du pré carré. » (1).

Cette ouverture à l’Afrique non francophone n’est toutefois pas nouvelle et


plusieurs présidents s’y sont aventurés dans le passé.

Les sommets France-Afrique ont accueilli de plus en plus de représentations


lusophones et anglophones à partir de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing,
tandis que le ministre chargé de la coopération et du développement Jean-
Pierre Cote a consacré son premier voyage, en septembre 1981, au Ghana. Jacques
Chirac s’est également ouvert politiquement au Nigéria, comme François Hollande
après lui (2).

Ce choix peut paraître d’autant plus pertinent que certaines des grandes
puissances historiquement influentes dans cette partie de l’Afrique, comme le
Royaume-Uni, y sont en déclin.

(1) Antoine Glaser et Pascal Airault, ouvrage mentionné, p. 227.


(2) « L’Afrique ne souhaite plus un tête-à-tête avec la France », Frédéric Lejeal, Le Point, 25 juin 2022.
— 127 —

Le Royaume-Uni et l’Afrique : des relations contrastées


Le Royaume-Uni connaît, de manière significative , une dégradation progressive de ses
relations avec le continent africain.
Le gouvernement britannique de Rishi Sunak, dans la ligne de ses prédécesseurs
conservateurs, poursuit une politique de fermeté à l’égard de l’immigration, incarnée par
la ministre de l’intérieur (Home Secretary), Suella Braverman. Cette politique conduit le
Royaume-Uni à nouer des relations particulières avec le Rwanda ; en vertu d’un accord
conclu en mars 2022 par le premier ministre Boris Johnson et moyennant une aide
financière du Royaume-Uni, le Rwanda devait accueillir les migrants clandestins
expulsés par le Royaume-Uni, quel que soit leur pays d’origine.
Dans les faits, l’Afrique occupe désormais une position secondaire dans la politique
étrangère britannique : l’Integrated Review of Security, Defence, Development and
Foreign Policy, présentée en mars 2021 par Boris Johnson, se caractérise par une nette
inflexion vers la zone Indo-Pacifique. Le ministère des forces armées a, par ailleurs, retiré
les 300 soldats britanniques déployés sur trois ans au Mali en soutien à la MINUSMA,
dans une politique calquée sur celle de la France mais allant à l’encontre des
préconisations du Foreign office. L’influence de ce dernier est, quant à elle, contrainte
par une réorganisation interne datée de 2021-2022, qui complexifie son organigramme,
de même que l’absorption administrative du Department for International Development
(DFID) depuis juin 2020. Parallèlement, l’aide publique au développement britannique,
dont l’Afrique reste la première bénéficiaire avec 50,5 % de son montant total, est en
déclin : en novembre 2020, Rishi Sunak, alors Chancelier de l’Échiquier (l’équivalent du
ministre des finances) ; annonçait réduire l’APD de 0,7 % à 0,5 % du PIB, du fait de la
crise économique liée à la pandémie de la Covid-19.
Cette baisse a particulièrement affecté l’aide humanitaire britannique intégrée à sa
politique de développement, notamment à l’égard de l’Éthiopie et, dans une moindre
mesure, du Nigeria. Si le 36ème sommet franco-britannique du 10 mars 2023 a permis à
Emmanuel Macron et Rishi Sunak de réaffirmer leur volonté de coopérer dans la lutte
contre le terrorisme, la crise alimentaire, le renforcement des institutions démocratiques
et le soutien aux pays sahéliens et côtiers d’Afrique de l’Ouest, leur coopération ne sera
sans doute pas aussi poussée que dans le cadre de l’opération Barkhane. La situation des
principaux partenaires africains du Royaume-Uni – l’Afrique du Sud, le Kenya, le
Nigeria et l’Éthiopie – s’est dégradée, tandis que les problèmes de la Corne de l’Afrique
et des deux Soudan, zone traditionnelle d’implication de la diplomatie et de l’aide
britanniques, sont en difficultés. Quant à ses deux alliés privilégiés en Afrique centrale,
l’Angola et le Rwanda, ils poursuivent des politiques de plus en plus divergentes à l’égard
de la République démocratique du Congo.
Source : « Le Royaume-Uni de Charles III et l’Afrique : une tentation de repli », François Gaulme,
Briefings de l’institut français des relations internationales, 5 mai 2023.

Le président Emmanuel Macron se rend au Nigéria en juillet 2018 et


rencontre quasi exclusivement, à l’exception du président Muhammadu Buhari, des
hommes d’affaires qu’il invite en France, à l’instar des Business Conferences de
Versailles, sans parvenir véritablement à les mobiliser. De même, les relations entre
la France et l’Afrique du Sud, quoique cordiales, n’ont pas connu de développement
spectaculaire ces dernières années.
— 128 —

En revanche, la France obtient plus de résultats avec le Rwanda de


Paul Kagamé (1) dans le cadre de la nouvelle stratégie française à l’égard de
l’Afrique dans une sous-région, celle des Grands Lacs, où notre pays est
concurrencé tant par la Russie que par les États-Unis (2), preuve que les liens entre
la France et les pays africains ne sont ni évidents, ni inéluctables.

Le choix du Rwanda n’est pas neutre. D’abord, la France ne pouvait laisser


perdurer les critiques violentes du gouvernement rwandais à son égard et à l’égard
de son armée : se voir accusée ouvertement et à intervalles réguliers de complicité
dans le génocide des Tutsis de 1994 ne peut que nuire à son image et à sa crédibilité
sur le reste du continent. De plus, le Rwanda est un pays stable, pourvoyeur de
troupes pour plusieurs opérations multilatérales et bilatérales de maintien de la paix
et de la sécurité, porte d’entrée à la fois vers la République démocratique du Congo,
et vers l’Afrique anglophone. Les autorités rwandaises cherchent de nouveaux alliés
ainsi qu’à s’ouvrir au monde africain francophone dans sa quête de leadership sur
le reste du continent.

Ce rapprochement entre les deux pays s’est opéré avec la visite officielle de
Paul Kagamé à Paris, en mars 2018. La même année, la France s’engage à soutenir
l’ancienne ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, à la
tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).

Cet appui est un geste fort de la part de la France alors que le Rwanda a
abandonné le français comme langue d’enseignement et de l’administration au
profit de l’anglais en 2008 et a rejoint le Commonwealth en 2009 (3) . La
rapporteure Michèle Tabarot regrette que cet appui, qui a fait l’objet de nombreuses
critiques, n’ait malgré tout pas permis de redonner une nouvelle impulsion à
l’apprentissage de la langue française dans ce pays.

Ce rapprochement ne pouvait se faire qu’après un travail approfondi sur les


relations franco-rwandaises et la mémoire du génocide de 1994. La France charge
une commission d’historiens et de juristes de livrer ses conclusions, tandis que le
gouvernement rwandais commandite son propre rapport auprès d’un cabinet
d’avocats américain. Furent ainsi publiés deux rapports, dits Duclert et Muse, dont
aucun ne fit mention d’éventuelles complicités de la France dans la perpétration du
génocide. Cette lecture des évènements de 1994 permit aux deux parties de
poursuivre ainsi la normalisation de leur relation.

La pacification des relations franco-rwandaises s’est accompagnée d’une


série d’initiatives. Un nouvel ambassadeur puis un attaché de défense français ont
été envoyés à Kigali, qui abrite de nouveau un centre culturel francophone depuis

(1) Cette analyse s’appuie en grande part sur l’article de Serge Dupuis, « Le rapprochement France-Rwanda :
droits de l’homme et intérêts nationaux », fondation Jean Jaurès, 15 février 2023.
(2) Le conseiller Afrique du président de la République, Franck Paris, explique à ce titre que « notre rapport au
Rwanda est un bon laboratoire de cette politique africaine que l’on cherche à nourrir ». Cité dans Le piège
africain de Macron. Du continent à l’Hexagone, Antoine Glaser et Pascal Airault, Pluriel, 2023, p. 271.
(3) C’est d’ailleurs à Louise Mushikiwabo que l’on doit, en 2011, la remarque selon laquelle « l’anglais est une
langue avec laquelle on va plus loin que le français. Sinon, le français au Rwanda va nulle part ».
— 129 —

le 27 mai 2021, après la fermeture du précédent en 2014. La coopération


économique franco-rwandaise a repris et un bureau de l’AFD a pu rouvrir à Kigali.
Paris s’est engagée, de son côté, à organiser le procès de suspects du génocide contre
les Tutsis réfugiés en France, à augmenter sensiblement l’aide publique au
développement en direction du Rwanda et a évoqué l’existence d’une
« convergence d’intérêts stratégiques » avec le pays, pour ne citer que ces quelques
exemples. La France apporte également un soutien appuyé au sein de l’UA aux
opérations menées par les troupes rwandaises en République centrafricaine et au
Mozambique.

Ainsi, le Rwanda est en voie de devenir, en l’espace de quelques années


seulement l’un des partenaires privilégiés de la France en Afrique. Ce processus
n’est pas sans susciter certaines critiques. Il n’est pas non plus sans créer des
crispations importantes entre la France et la République démocratique du Congo en
lutte contre le mouvement M23, que le gouvernement congolais qualifie
« d’organisation terroriste » soutenue par les autorités rwandaises.

b. Une ouverture à poursuivre dans un contexte de tensions accrues

La stratégie consistant à se tourner vers de nouveaux partenaires, hors de la


seule Afrique francophone et en particulier hors de la zone sahélienne, paraît
pertinente au regard du contexte : le Nigéria est la grande puissance économique et
démographique du XXIème siècle, l’Afrique du Sud reste un acteur important investi
par les Russes au détriment de la France tandis que l’Afrique de l’Est est une zone
encore largement négligée par notre diplomatie alors que les possibilités de
coopération y sont nombreuses. Pensons au Kenya ou encore à l’Éthiopie, notre plus
ancien partenaire africain, avec qui la France entretient des relations diplomatiques
depuis plus de 125 ans. La France est son premier partenaire sur les questions
culturelles et patrimoniales et a lancé, à ce titre, un programme de protection et de
restauration des églises de Lalibela en 2019. Elle a également été sollicitée par
l’Éthiopie pour transformer son palais impérial en musée et pour libéraliser son
économie grâce à la présence d’une quinzaine d’experts français sur place. Elle
abrite en outre le siège de l’UA, partenaire central sur le continent.

Certains conflits en Afrique non francophone risquent d’avoir des


conséquences régionales majeures et méritent une attention particulière de notre
diplomatie. C’est le cas de la crise du Soudan. Le conflit qui y fait rage depuis le
15 avril 2023 entre les forces armées soudanaises, dirigées par le général al-Burhan
au pouvoir, et les forces de soutien rapide, dirigées par le général « Hemedti », revêt
une importance majeure pour la sécurisation de la sous-région. En effet, la poursuite
des combats au Soudan fait craindre un débordement du conflit aux pays frontaliers.
En particulier, alors qu’un enlisement du conflit en une guerre civile généralisée est
probable, le Tchad et la Libye, ayant des situations locales déjà fragiles, sont
particulièrement exposés aux déstabilisations provoquées par les combats en raison
de la porosité des frontières. Le risque de débordement du conflit vers ces pays
pourrait se manifester par un renforcement opportuniste des groupes armés rebelles
et criminels présents aux frontières et par une exploitation du vide sécuritaire, ainsi
— 130 —

que par un afflux massif de réfugiés. Le 27 septembre 2023, le conflit avait déjà
déplacé plus de 1 086 000 (1) personnes dans les pays voisins.

Enfin, un pays francophone comme la République démocratique du Congo,


ancienne colonie belge, est étrangement absent de la stratégie africaine française,
malgré ses 100 millions d’habitants, « sa demande de France », et son souhait de
renforcer et de développer des partenariats avec notre pays. En effet, les
investisseurs privés français ne se bousculent pas pour s’y implanter. Or la
République démocratique du Congo concentre une part significative du stock
mondial – quand ce n’est pas sa grande majorité – des richesses minières
aujourd’hui raréfiées. De nombreux appels d’offres ne suscitent aucune candidature
française, dans le secteur porteur du bâtiment et des travaux publics par exemple,
malgré l’implantation du français BTP matière, qui livre notamment des ponts.

c. Les contraintes de la realpolitik : le retour vers l’ancien « pré carré »

Malgré cette tentative de réorientation de la politique française hors de la


zone de l’ancien pré carré, les évolutions de l’Afrique de l’Ouest et la virulente
contestation de l’engagement militaire de la France dans cette région ont contraint
le président de la République à s’intéresser de nouveau à l’Afrique francophone et
aux problématiques sécuritaires qui la traversent, avec tous les risques politiques et
en termes d’image que cela comporte.

Le premier voyage africain de son second mandat le conduit au Cameroun,


dès le 26 juillet 2022, alors que Yaoundé a renouvelé un accord de défense avec la
Russie en avril de la même année, puis au Bénin et en Guinée-Bissau. La géographie
de la dernière tournée présidentielle en Afrique, du 1 er au 4 mars 2023, a été très
commentée : si le président se rend en Angola et en République démocratique du
Congo, c’est avant tout son passage par les anciennes colonies du Gabon et du
Congo-Brazzaville qui sera retenu par la presse. Le président français proclame
certes la mort de la « Françafrique » mais la realpolitik l’oblige à composer avec
deux figures de cette époque, Ali Bongo, l’hériter d’une famille au pouvoir depuis
1967 à Libreville jusqu’au coup d’État d’août 2023, et Denis Sassou-Nguesso,
l’homme fort de Brazzaville au pouvoir depuis 1979, qui a su mettre en scène
habilement les trois heures qu’Emmanuel Macron a passé sur son territoire.

À cet égard, la rapporteure Michèle Tabarot souligne qu’en dehors de


situations de crise, il est important d’éviter de multiplier de telles visites « éclairs »
de quelques heures, qui sont souvent une source de vexation pour les autorités des
pays hôtes, lesquelles se sentent déconsidérées.

2. Achever la recomposition de notre politique militaire

La réorientation de la politique militaire française en Afrique s’opère en


grande part sous la contrainte des évènements et tente de conjuguer au mieux deux

(1) « Situational report Sudan », Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, 27 septembre 2023.
— 131 —

injonctions en apparence contradictoires : être moins présents et moins visibles tout


en apportant davantage de soutien aux pays africains.

a. Une réforme de la présence et de la stratégie militaire française en cours

La France est une nation singulière en tant qu’elle demeure la seule


puissance qui conserve des bases militaires permanentes dans ses anciennes
colonies africaines. Outre des déploiements militaires temporaires issus de
l’opération Barkhane, elle possède, en effet, quatre bases permanentes à Dakar
(Sénégal), Abidjan (Côte d’Ivoire), Libreville (Gabon) et Djibouti, lesquelles
exercent deux types de mission : la formation et le soutien logistique aux opérations.
Les bases de Dakar et de Libreville constituent des pôles de coopération plus civils
que militaires : le séjour de nos forces y sont plus longs et la France n’y dispose
presque pas d’armement. En revanche, les bases d’Abidjan et de Djibouti sont des
points d’appui au combat dont les forces peuvent être engagées à la demande du
président de la République et selon les souhaits des pays de la région.

Cette présence militaire distingue la France d’autres pays exerçant une


influence sur le continent : à l’exception d’une intervention en Tanzanie, en 1961,
le Royaume-Uni a limité sa présence militaire en Afrique à des actions ponctuelles
de formation délivrées par les British Military Advisory and Training Teams ;
l’implication de l’URSS sur le continent durant la guerre froide s’est essentiellement
appuyée sur la présence de soldats cubains dans plusieurs pays du continent. Quant
aux États-Unis, s’ils possèdent quelques bases en Afrique, le siège de l’Africom,
leur commandement militaire pour l’Afrique, est encore situé à Stuttgart, en
Allemagne, même s’il pourrait bientôt se délocaliser en Afrique de l’Ouest (1).

(1) « Maroc ou Liberia ? L’Africom en quête d’un siège africain », courrier international, 29 mars 2023.
— 132 —

LA PRÉSENCE MILITAIRE FRANÇAISE EN AFRIQUE

Source : Le Monde, 29 août 2023

La présence des forces françaises est toujours agréée par les autorités
politiques locales. Elle fait toutefois l’objet d’une acceptabilité variable, en
particulier auprès des populations locales : celle-ci est plus prononcée au Gabon et
en Côte d’Ivoire qu’au Sénégal, qui a cherché à diversifier ses partenariats de
sécurité, notamment auprès de la Turquie et des États-Unis, et se montre plus
pointilleux sur les signes extérieurs d’une présence militaire française dans le
pays (1). Quant au Niger, il refuse désormais – par la voix des putschistes au
pouvoir – l’installation de toute base militaire permanente française sur son
territoire, ce qui a conduit au retrait en cours de nos 1 500 hommes sur place.

L’évolution des effectifs des forces françaises pré-positionnés en Afrique


ne répond pas à des considérations économiques mais bien plutôt à des enjeux
d’acceptabilité auprès des gouvernements et des populations locales.

Dans son discours du 27 février 2023 prononcé à l’Élysée, le chef de l’État


a appelé à une diminution « visible » des effectifs militaires français en Afrique. Si
celle-ci n’est pas encore chiffrée, elle s’inscrit dans la droite ligne de l’évolution de
la présence des forces françaises en Afrique, passées de 8 000 hommes dans les
années 1990 à 5 600 aujourd’hui. Elle répond incontestablement à l’objectif de

(1) « Après Barkhane : repenser la posture stratégique française en Afrique de l’Ouest », Laurent Bansept et
Élie Tenenbaum, Focus stratégique, n° 109, institut français des relations internationales, mai 2022.
— 133 —

réduire l’emprise du militaire sur les relations franco-africaines, même s’il existe un
risque fort que les Français se trouvent remplacés par ses compétiteurs stratégiques,
comme la Russie, la Chine ou la Turquie. Notons que ce reflux des forces
pré-positionnées en Afrique pourrait se concentrer sur les bases de la seule Afrique
de l’Ouest : celle de Djibouti, stratégique pour l’influence de la France dans
l’Indo-Pacifique, répond à d’autres enjeux et semble exclue du dispositif.

En Côte d’Ivoire, par exemple, la base militaire de Port-Bouët a déjà


commencé sa mutation. Les effectifs français présents seront réduits pour passer de
950 hommes à 500 en décembre 2023, puis 400 à l’été 2024. Les soldats français
seront remplacés par des Ivoiriens qui cohabiteront avec les Français restés sur
place : l’objectif est que cette réforme aboutisse avant la tenue des élections
présidentielles de 2025, de manière à ne pas peser sur le cours du vote. Il est à noter
que ce sont les autorités ivoiriennes, inquiètes de l’expansion du djihadisme dans la
région, et attachées au partenariat qu’elles ont noué avec la France, qui ont souhaité
revoir l’ampleur du dispositif à la hausse : il était initialement prévu d’atteindre le
chiffre de 400 soldats français maintenus à Abidjan dès la fin de l’année 2023.

Cette réorganisation de nos forces armées devrait s’accompagner d’une


montée en puissance des armées africaines : en effet, celles-ci ont vocation à être
plus nombreuses sur les bases françaises qui s’ouvriront davantage et pourront
même accueillir, si les effectifs africains le souhaitent et à leurs conditions, d’autres
partenaires. Aussi, comme le rappelle le président, cette ré-articulation « n’a pas
vocation à être un retrait ou un désengagement, mais elle se traduira en effet par
[…] une africanisation, une mutualisation de ces grandes bases ».

Pour la rapporteure Michèle Tabarot, il est essentiel que ces évolutions


s’accompagnent systématiquement de garanties sur le maintien en conditions
opérationnelles de nos troupes et sur notre capacité à les renforcer rapidement en
cas de difficultés pour leur protection ou pour la protection de nos ressortissants
présents sur place.

b. Restructurer notre offre de formation et de coopération

Parallèlement, la France va mener, dans les prochains mois, une série de


consultations auprès de ses partenaires africains pour déterminer leurs besoins et
attentes pour le futur en matière militaire et sécuritaire. L’objectif de la France,
comme le rappelle le président dans le discours de Toulon, est de décliner « à
l'échelle de chaque pays selon les besoins qui seront exprimés par nos partenaires :
équipements, formations, partenariats opérationnels, accompagnements dans la
durée et intimités stratégiques. ». La rapporteure Michèle Tabarot estime qu’il est
désormais urgent que ce travail d’identification des attentes stratégiques de nos
partenaires africains soit finalisé. Cette logique n’est fondamentalement pas
différente de celle poursuivie ces trente dernières années : la France assure, en effet,
la formation de cadres militaires africains soit en France, où le ministère des armées
organise l’accueil de stagiaires étrangers dans différentes écoles militaires
françaises, soit au sein d’ENVR relevant du Quai d’Orsay et répliquant les offres de
— 134 —

formation françaises directement dans les pays concernés. Elle mène également des
projets de coopération opérationnelle, notamment via des partenariats militaires
opérationnels.

Ainsi, l’objectif est d’abord de revivifier les offres de formation qui ont
souffert de la baisse des moyens dévolus aux armées au cours des dernières
décennies, limitant de facto les contacts et la proximité entre les armées françaises
et étrangères. En 2022, les armées, directions et services des armées n’ont pu
accueillir que 487 stagiaires sur les 1 689 demandes reçues quand les Russes, les
Turcs et les Chinois en accueillaient dix fois plus. Le ministre des Armées a ainsi
annoncé vouloir doubler le nombre de stagiaires issus des seuls pays africains, qui
passeraient d’environ 300 à 600 sur la durée de la LPM 2024-2030 en ciblant les
catégories des officiers et des sous-officiers (1).

Il s’agit également de réorienter l’offre de formation existante, laquelle a pu


se montrer à bien des égards décevante : rappelons que l’armée malienne s’est
effondrée malgré les décennies de formation et de coopération structurelle dont elle
avait pu bénéficier. Le ministre des Armées lui-même reconnaît que sur les deux
bases entièrement dédiées à la formation dont dispose la France au Gabon et au
Sénégal, notre pays a pris des « habitudes de formation très généralistes [qui ne
sont] plus toujours complètement adaptées aux partenaires » (2), tournées vers la
prise en main de l’infanterie et l’acquisition de techniques de combats quand les
Africains souhaitent conquérir des espaces maritimes nouveaux, développer une
aviation de chasse et utiliser efficacement des drones ; c’est précisément ce que leur
proposent les Turcs et les Israéliens, par exemple, ce qui leur permet
incontestablement de gagner des parts de marché en Afrique. La modernisation de
la politique militaire française passe donc par la conception, à partir des besoins
exprimés par nos pays partenaires, de nouvelles offres de formation plus courtes et
construites selon une logique de projets à partir d’un catalogue fixe, dont
l’élaboration doit être prioritaire.

c. Poursuivre et achever cette recomposition

Dans cette perspective, la France pourra utilement s’appuyer sur sa propre


expérience : l’appui à la constitution d’armées africaines nationales modernes
semble difficile pour notre pays et à plus forte raison pour l’UE elle-même. Elle
pourrait, en revanche, se concentrer sur la création d’unités partenaires capables
d’être les effecteurs privilégiés de son action militaire. La formation et la
coopération pourraient alors porter sur les éléments moins renforcés des armées
africaines : renseignement, logistique, ressources humaines, commandements et
contrôles, et prise en main de nouveaux systèmes d’armes, comme les drones et les

(1) Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées, par la commission des affaires étrangères de
l’Assemblée nationale, jeudi 13 avril 2023.
(2) Ibid.
— 135 —

missiles (1). Sur ce point, notre offre de formation s’avère inadaptée aux attentes de
nos partenaires du continent, ce qui nuit à notre compétitivité stratégique. Il est
important que ce « catalogue » en tienne désormais compte tout en veillant à former
nos partenaires sur des équipements produits par notre base industrielle et
technologique de défense, qui doit elle aussi pouvoir adapter son offre.

S’agissant des bases françaises en Afrique, la rapporteure Michèle Tabarot


soutient une logique selon laquelle il est nécessaire de respecter la volonté des
dirigeants, même de fait, des États africains et de leurs populations. Si la France
n’est plus souhaitée, elle n’a ni la légitimité ni les moyens de rester. En revanche,
là où elle est attendue, comme en Côte d’Ivoire, il est possible de garder une
empreinte pour assurer la protection de nos ressortissants et l’aide à la lutte contre
le terrorisme tout en renouvelant les conditions de présence des éléments français.
Dans ce cadre, s’agissant de la présence des troupes françaises au Tchad qui est
régulièrement questionnée, il appartient au gouvernement tchadien de préciser s’il
souhaite maintenir son partenariat militaire avec la France et sous quelles
conditions.

3. La place du multilatéralisme

Le sommet pour un nouveau pacte financier mondial avec le Sud s’est tenu
les 22 et 23 juin 2023. Annoncé par le président de la République à l’occasion du
sommet du G20 à Bali en novembre 2022, le sommet a rassemblé une quarantaine
de chefs d’État et de gouvernement (dont une large part de pays émergents et en
développement), les représentants d’une soixantaine de pays, les dirigeants des
grandes organisations et institutions financières internationales, ainsi que de
nombreux représentants de la société civile (ONG, think-tanks et monde
académique) et du secteur privé (entreprises, investisseurs). Il a été l’occasion de
plusieurs annonces concrètes faisant l’objet d’une forte attente des pays du Sud,
notamment africains, parmi lesquelles l’atteinte de la réallocation des 100 milliards
de droits de tirage spéciaux (DTS) aux pays vulnérables, en particulier en Afrique,
grâce aux engagements de la France, du Japon et de la Chine, un accord sur la
restructuration de la dette de la Zambie ou le lancement d’un partenariat pour une
transition énergétique juste (JET-P) avec le Sénégal.

Cette démarche peut être déclinée aux échelles internationales – à travers


l’action des Nations Unies –, européenne et régionale.

La mobilisation de l’Europe comme grande zone géographique pertinente


pour négocier et coopérer avec l’Afrique est une idée ancienne. Le président de la
République français Valéry Giscard d’Estaing annonçait ainsi, à l’occasion de la
conférence franco-africaine de Nice, le 8 mai 1980, sa volonté de créer un trilogue
entre l’Europe, le monde arabe et l’Afrique, afin de promouvoir une « coopération
plus étroite et plus efficace – c’est-à-dire exemplaire – entre trois régions que la
géographie, l’histoire et d’anciennes affinités culturelles ont habitué à la

(1) Laurent Bansept et Élie Tenenbaum, article déjà mentionné.


— 136 —

coexistence ». Cette coopération ne vise pas à se substituer aux négociations menées


dans un cadre global, celui des Nations Unies en particulier, mais constitue un
niveau supplémentaire et complémentaire de concertation couvrant tous les
domaines, politiques, économiques et financiers, culturels et sécuritaires. Il faut
toutefois attendre de nombreuses années avant que l’UE ne s’intéresse
véritablement à l’Afrique, sous l’impulsion de la France.

La politique africaine de l’Union s’est d’abord limitée à la poursuite


d’opérations dont la première en Afrique subsaharienne – l’opération Artémis
déployée à Bunia, en République démocratique du Congo, en juin 2003 – visait
d’abord à reconstruire une unité sur le plan opérationnel ; cette dernière avait
notamment été affaiblie par les positions divergentes des membres de l’UE sur la
question irakienne en 2002-2003. Révélatrice de la tendance de l’Union à se
positionner et à agir sur des théâtres stratégiques délaissés par d’autres acteurs, tels
que les États-Unis et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) (1), elle
permit à la France de se réinvestir dans la région des Grands Lacs et, plus largement,
en Afrique centrale. En ce sens, elle est peut-être davantage le fruit d’une
européanisation de l’intervention française dans le pays que le résultat d’une
véritable volonté européenne.

Sous l’impulsion conjointe de la France et du Royaume-Uni, l’UE s’est


parallèlement dotée d’un outil conceptuel : la politique européenne de sécurité et de
défense (PESD) – à laquelle a succédé la politique de sécurité et de défense
commune (PSDC) –, dont le volet stratégique africain s’est développé dès 2005.
Aussi l’opération Artémis peut-elle être regardée comme un test grandeur nature
pour l’interopérabilité des armées européennes, constituant ce que la chercheuse
Niagalé Bagayoko a pu appeler un « terrain de validation du cadre institutionnel
[…] de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) (2). Parmi les
opérations récentes menées avec succès dans ce cadre, peut être également citée
l’opération Atalante, initiée par la France et mise en œuvre par l’UE, pour lutter
contre l’insécurité dans le golfe d’Aden et l’Océan indien, une zone maritime
menacée par des pirates partant des côtes somaliennes.

(1) « Du laboratoire au miroir : quand l’Afrique subsaharienne construit l’Europe stratégique », Bastien Nivet,
politique africaine, 2012/3 (N° 127), p. 135-153.
(2) « L’Opération Artémis, un tournant pour la politique européenne de sécurité et de défense ? »,
Niagalé Bagayoko-Pénone, Afrique contemporaine, vol. 1, n° 209, 2004, p. 101-116.
— 137 —

ENGAGEMENTS DE L’UNION EUROPÉENNE EN MATIÈRE


DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE À TRAVERS LE MONDE

Source : eeas.europa.eu

Cette volonté d’inscrire la politique africaine française dans une approche


plus régionale se traduit également par une recherche d’appuis auprès des
organisations régionales africaines, telle que l’UA, mais surtout auprès d’autres
États membres de l’UE comme l’Allemagne, notamment pour soutenir ses
interventions militaires en Afrique de l’Ouest. La France et l’Allemagne, deux
voisins et partenaires historiques du continent africain, se sont ainsi engagées, lors
de la formulation du traité d’Aix-la-Chapelle en 2019, à joindre leurs efforts pour
rendre la mise en œuvre de la politique étrangère de l’Union plus effective, en
formulant une « stratégie africaine commune » (1).

(1) « Les relations entre l’Europe et l’Afrique vues à travers le prisme franco-allemand », Alain Antil,
Sina Schlimmer, Allemagne d’aujourd'hui, 2021/2 (N° 236), p. 129-142.
— 138 —

L’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT) et l’Institut de


sécurité maritime interrégional (ISMI) en Côte d’Ivoire : deux exemples de
coopération en vue de la responsabilisation et de l’engagement des acteurs
africains
La création de l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme, située à Jacqueville
en Côte d’Ivoire, est née d’une initiative commune franco-ivoirienne portée en 2017, lors
du sommet de Pau, par les présidents Emmanuel Macron et Alassane Ouattara. Inaugurée
le 10 juin 2021, elle vise à développer les capacités des États d’Afrique de l’Ouest à
apporter une réponse globale à la menace terroriste qui s’y développe. Fondée sur la
mobilisation de divers acteurs, en particulier de la France, de la Côte d’Ivoire, de l’UE,
de l’UA et de la CEDEAO, elle témoigne d’une nouvelle forme de soutien apportée par
la France au continent africain sur les plans sécuritaire, militaire et judiciaire : elle
cherche à mieux impliquer les États africains dans la gestion de leurs crises.
Dans cette perspective l’AILCT propose trois types de formations : un camp
d’entraînement des unités, une école de formation des cadres et un institut de recherche.
Près de 1 000 stagiaires ont déjà pu se perfectionner dans cette académie qui a vocation
à former des policiers, militaires, gendarmes, magistrats, douaniers et personnels des
administrations pénitentiaires issus de 26 pays africains. Cet établissement espère
accueillir 600 stagiaires en 2023-2024 et progressivement devenir un centre de référence
pour le continent.
Créé en 2015 à Abidjan et situé sur le site de l’Académie régionale des sciences et
techniques de la mer (ARSTM), l’ISMI est un pôle de formation destiné aux cadres civils
et militaires des administrations et entités privées d’Afrique de l’Ouest et du Centre ayant
des compétences dans les domaines de la sécurité et de la sûreté maritimes, ainsi que de
la protection du milieu marin. La France finance cinq stages par an et soutient
pédagogiquement le reste des formations délivrées et financées par les Ivoiriens et leurs
partenaires européens. L’ISMI a déjà permis la formation de 1 500 à 2 000 personnes
dans tout le Golfe de Guinée.
Sources diverses

La France continue enfin de militer pour une meilleure intégration de


l’Afrique dans les principales organisations internationales, de manière à ce que le
continent puisse porter ses propres revendications et solutions auprès des grandes
puissances. Notre pays soutient ainsi l’intégration de l’UA au G20 et une meilleure
répartition des sièges pour le continent africain au Conseil de sécurité des Nations
Unies.

La multilatéralisation de la politique africaine présente des limites à toutes


les échelles : les nations européennes demeurent, dans bien des situations, des
concurrents pacifiques plutôt que de véritables alliés solidaires lorsqu’il s’agit de
défendre leurs intérêts. La récente crise au Niger a permis de le vérifier une nouvelle
fois : à l’exception du Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la
politique de sécurité, Josep Borrell, aucun dirigeant européen n’a officiellement
exprimé sa solidarité avec la France, à la suite de la demande d’expulsion de
l’ambassadeur de France de Niamey. Quant à la force conjointe du G5 Sahel (FC-
G5S), volet militaire du G5 créé en 2017, elle s’est rapidement transformée en une
arène de captation des ressources, marquée par une méfiance accrue entre ses États
— 139 —

membres dont trois (le Mali, le Burkina Faso et le Niger) – voire quatre si l’on inclut
le Tchad – ont connu un coup d’État, fragilisant l’ensemble de la structure de
coopération. Finalement, le G5 Sahel s’est retiré du Mali le 15 mai 2022, sur fond
de tensions avec les autres pays membres (1). Au Mali toujours, la MINUSMA a
connu le même sort que les troupes françaises : les autorités maliennes ont demandé
son retrait « sans délai » lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies
du 16 juin 2023.

Le multilatéralisme constitue ainsi une opportunité de sortir du face-à-face


politique qui a longtemps prévalu avec les gouvernements africains, en intégrant de
nouveaux acteurs et en assumant une forme de chef de filât mais non une solution
toute faite aux difficultés que rencontre notre pays.

(1) « S’allier pour durer : nouvel axiome de la stratégie française au Sahel », Ilan Garcia, revue défense
nationale, vol. h-, no. HS2, 2022, pp. 88-95.
— 141 —

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 8 novembre 2023, la commission


examine le présent rapport.

L’enregistrement de cette séance est accessible sur le portail vidéo de


l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/vD5xca

La commission autorise le dépôt du rapport d’information sur les relations


entre la France et l’Afrique en vue de sa publication.
— 143 —

PROPOSITIONS DU RAPPORTEUR BRUNO FUCHS

– Plan d’actions pour une nouvelle relation Afrique/France –

Ces mesures ne sont pas exhaustives mais renseignent sur la dimension et


l’ampleur du plan à mettre en œuvre

A/ Retrouver de la cohérence et de la lisibilité dans notre action

1) Proposer une offre stratégique claire et ambitieuse :

Une offre conforme à nos valeurs, nos principes et nos intérêts. La France doit
dire ce qu’elle veut faire en Afrique et comment le faire.

2) Mieux piloter les politiques publiques en créant un grand ministère des


nouveaux partenariats et de l’Afrique :

Ce ministère incarnera et coordonnera la nouvelle politique de partenariats et


sera un guichet unique, notamment pour les pays africains désireux de
construire de nouveaux partenariats avec la France.

3) Impliquer les citoyens dans le débat sur l’Afrique et, de fait, associer
étroitement le Parlement :

3-1 Tenir un débat tous les deux ans au Parlement sur l’évolution de
notre politique africaine ;
3-2 Développer une vraie diplomatie parlementaire ;
3-3 Mettre en place une large commission mixte Afrique/France pour
construire et mettre en œuvre la nouvelle offre stratégique.
— 144 —

B/ La France « autrement » : en finir avec les irritants

4) Arrêter le double standard et clarifier la doctrine de conditionnalité


démocratique de la France.
Adopter le principe de la « juste distance ».

5) Achever la réforme du Franc CFA :

5-1 Annoncer une échéance souhaitée et élaborer un agenda de fin du


Franc CFA avec les pays de la zone ;
5-2 Construire avec les Africains – et diffuser – un argumentaire
sérieux démontrant l’importance de cette monnaie pour la stabilité
économique de leurs États ;

6) Changer radicalement de politique de délivrance des visas tout en


conservant la maîtrise des flux :

Dans la continuité du rapport Hermelin, il faut des moyens et définir des


critères clairs, lisibles et transparents pour avoir une politique des visas qui
serve enfin le rayonnement de la France.
6-1 Proposer aux demandeurs un accueil et un parcours respectueux et
adapté ;
6-2 Restaurer la pleine compétence du ministère de l’Europe et des
Affaires étrangères ;
6-3 Proposer largement des parcours intégrant les études
universitaires/des visas d’affaires multiusages ;
6-3 Exemption de visa pour certains pays ou pour des populations
identifiées ;
6-4 Élaborer un « visa africain » avec nos pays alliés ;

7) Procéder à une révolution des mentalités :


7-1 Éradiquer les comportements paternalistes et condescendants que
nous maintenons exclusivement avec l’Afrique francophone ;
7-2 Cesser d’imposer une vision unilatérale et bureaucratique, partir
de l’écoute des acteurs de terrain et bâtir des partenariats inclusifs et
multilatéraux : parler à tout le monde, opposition comme société civile ;
7-3 Veiller à un métissage suffisant.
— 145 —

C/ Mieux piloter notre action, la rendre plus efficace

8) Faire des « investissements solidaires » le bras armé de notre stratégie


d’influence.

8-1 Bannir le terme « aide au développement » et le remplacer par


« investissements solidaires » ;
8-2 Assumer clairement le pilotage politique de l’AFD, qui passe donc
sous tutelle du ministère des partenariats et de l’Afrique ;
8-3 Bannir l’usage du mot développement et par conséquent
8-4 Changer le nom de l’AFD : à titre d’exemple « France
Partenariats » couvrirait bien nos nouvelles intentions ;
8-5 Bâtir autour de l’AFD une stratégie de communication active, en
cohérence avec la nouvelle offre stratégique de la France ;
8-6 Proposer des lignes claires d’investissement en lien avec la
diplomatie économique. En finir donc avec l’éparpillement et le
saupoudrage de notre APD ;
8-7 Réinvestir le terrain : Renforcer massivement notre présence civile
sur le terrain. Renforcer notre expertise technique ;
8-8 Passer d’une logique de la demande à celle de l’offre. Passer d’une
logique d’appels à projets à celle de financements directs. Opérer
une grande part des programmes directement vers les
bénéficiaires ;
8-9 Simplifier les procédures administratives pour permettre de
l’agilité et répondre aux besoins des acteurs de terrain ;
8-10 Doter les Ambassades de plus de moyens pour le soutien direct à
des projets de proximité, en phase avec la stratégie ;
8-11 Revoir les critères d’attribution des pays bénéficiaires des
programmes ;
8-12 Créer un guichet unique pour une vraie équipe de France (acteurs
privés et publics) ;
8-13 Promouvoir une Coopération décentralisée en lien direct avec la
stratégie africaine de la France.

9) Réarmer notre diplomatie :

9-1 Constituer une filière « Afrique » au Quai d’Orsay et mieux


préparer nos diplomates à leurs missions en incluant une meilleure
compréhension des enjeux interculturels ;
9-2 Valoriser l’attractivité des carrières vers l’Afrique ;
— 146 —

9-3 Nommer des diplomates (ambassadeur, consuls généraux etc.)


afro-descendants ;
9-4 Instituer une « diplomatie nouvelle » plus directe, plus
transparente et plus visible afin d’en finir avec les suspicions d’agenda
caché ;
9-5 Faire des ambassadeurs de vrais « chefs de file », ayant une réelle
et totale autorité sur l’ensemble des prérogatives et compétences
(Consulat général, AFD, DG trésor, BPI France, etc.) pouvant recruter et
composer eux-mêmes leurs équipes rapprochées et les évaluant pour
s’acquitter des missions leurs étant assignées ;
9-6 Privilégier à l’avenir une approche « toutes Afriques » :
Les Africains eux-mêmes sont organisés de cette façon. Par conséquent
fusionner la sous-direction Afrique du Nord et la direction Afrique du
quai d’Orsay ;
9-7 Réintroduire de l’analyse de contextes : créer un organe d’écoute
et de stratégie des nouveaux partenariats (experts, associations,
chercheurs, journalistes, économistes, entrepreneurs) ;
9-8 Organiser un séminaire annuel de trois jours rassemblant tous les
ambassadeurs en Afrique pour nourrir la stratégie Afrique et
partager leurs expériences ;
9-9 Former des agents à la gestion de projets ;
9-10 Redéfinir le rôle du conseiller Afrique et de la cellule Afrique de
l’Élysée, en lien avec le quai d’Orsay ;
9-11 Renforcer les moyens de nos services de renseignements en
Afrique :
Leur action s’est légitimement centrée ces dernières années sur les
groupes terroristes et djihadistes mais nous y avons perdu en capacité
d’anticipation des grandes évolutions.
9-12 Miser plus sur la médiation quand cela se justifie ;
9-13 Demander un rapport sur le bilan de la diplomatie économique :
Depuis l’orientation de Laurent Fabius jusqu’à nos jours intégrant la
gouvernance et les résultats.

10) Renforcer notre avantage compétitif :

10-1 Défendre un modèle démocratique et multilatéral ;


10-2 Miser sur une francophonie des citoyens ;
10-3 Contribuer plus fortement aux moyens de la Fondation pour la
démocratie et/ou tout autre organisation non gouvernementale opérant
sur ce sujet :
— 147 —

Cette initiative, encore embryonnaire, porte en elle l’ADN de la


nouvelle relation souhaitée à l ‘Afrique. L’Allemagne finance le soutien
au développement démocratique à hauteur de 500 millions d’euros ;
10-4 La France devrait plus généralement moins s’exposer directement
sur cette problématique en sous-traitant cette mission aux
organisations non gouvernementales, en finançant des associations
locales et françaises ;
10-5 Consolider et renforcer le réseau des écoles et instituts culturels
Français. Les transformer progressivement en Instituts franco-
camerounais, franco-ivoirien et ainsi de suite ;
10-6 Apprendre l’Afrique d’aujourd’hui à l’école ;
10-7 Introduire des modules d’enseignement sur l’Afrique dans nos
grandes écoles publiques et privées ;
10-10 Donner des moyens aux historiens de dire le passé en vérité ;
10-11 Proposer une vraie stratégie pour que les diasporas jouent enfin un
rôle majeur au sein de la nouvelle relation Afrique-France :
Alors qu’elles comptent potentiellement parmi nos meilleurs atouts, les
diasporas sont sous-valorisées. Elles ont tendance à se désengager,
lorsqu’elles ne sont pas acerbes à l’égard de la France.
10-12 Exploiter toutes les opportunités que recèle notre conception
multilatérale du monde. Mettre en œuvre une « démarche trilogue » ;
10-13 Encourager l’Union européenne à développer son action à l’égard
de l’Afrique en proposant une approche davantage tournée vers le soutien
à la bonne gouvernance, l’enracinement de la démocratie et de l’État de
droit et le développement économique durable.

11) Miser sur le développement économique et sur les investissements :

11-1 Développer les industries de transformation ;


11-2 Privilégier les approches par filière et la répartition de valeur
corrélée ;
11-3 Donner la priorité aux entreprises à capitaux croisés ;
11-4 Trouver le moyen juridique pour sécuriser les entreprises cotées en
bourse tout en respectant les règles d’éthique ;
11-5 Ouvrir le financement à de petites entreprises ;
11-6 Armer les ambassades pour piloter l’accompagnement des
entreprises dans les grands projets ;
11-7 Impulser et soutenir les partenariats public-privé.
— 148 —

12) Déployer une stratégie de communication performante :

12-1 Proposer une stratégie nationale d’influence ;


12-2 Bâtir un récit sur la place de la France et ses ambitions en Afrique ;
12-3 Recentrer la communication sur nos avantages comparatifs
(politiques solidaires : santé, climat ou encore biodiversité) ;
12-4 Minorer fortement la communication politique et militaire ;
12-5 Face à la désinformation, faire appel à des acteurs privés :
Au-delà de la souplesse, cela apporterait d’autres expertises et ne serait
pas suspecté d’être de la propagande d’État ;
12-6 Construire un « meta réseau » d’acteurs et d’influenceurs partant
de l’Afrique, regroupant tous les défenseurs des modèles
démocratiques ;
12-7 Mettre en place une communication proactive et des relais
d’influence dans les pays africains :
Il faut faire porter la communication par tous les acteurs locaux incluant
les bénéficiaires et contribuer à la création d’un écosystème de
communication francophone à partir de l’Afrique (chaines de
télévision, réseaux sociaux, etc.) ;
12-8 Responsabiliser les médias français pour qu’ils ne servent pas
malgré eux de caisse de résonance aux discours haineux ou
complotistes contre la France;
12-9 Créer un pôle média holistique, une agence de presse, une radio,
une chaîne qui, à défaut d’être panafricaine, soit africanisée.
— 149 —

PROPOSITIONS DE LA RAPPORTEURE MICHÈLE TABAROT

3 AXES
POUR CONSTRUIRE
LA NOUVELLE STRATÉGIE DE LA FRANCE
EN AFRIQUE

AXE STRATÉGIQUE
 Faire de la politique africaine de la
France un domaine partagé 


REPOLITISER L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT

 Avoir une offre stratégique  Instaurer un véritable


ambitieuse assumant nos pilotage stratégique
intérêts et nos attentes. interministériel de l’Aide
 Créer un grand Ministère des Publique au Développement.
coopérations et des
partenariats.


RECONNAITRE LE ROLE DU PARLEMENT

 Organiser des débats, au  Développer une vraie


moins semestriels, sur la diplomatie parlementaire.
politique africaine de la
France.


ASSOCIER TOUS LES ACTEURS

 Créer un Conseil des Affaires étrangères à l’Elysée associant


a minima les ministres en charge des Affaires étrangères, de
la coopération et des Armées, sur le modèle du CDSN.
— 150 —

AXE RÉPUTATIONNEL
 Moderniser et renforcer
la cohérence de notre action 


RESOUDRE LES POINTS DE TENSIONS

 Accompagner la réforme du démocratique des aides et


franc CFA qui dépend du seul mettre fin au « double-
vouloir des pays africains. standard » en ce domaine.
 Clarifier la doctrine de  Réformer la politique des
conditionnalité visas sans renoncer à la
maitrise des flux.


AVOIR UNE STRATÉGIE DE COMMUNICATION AMBITIEUSE

 Mettre en œuvre les  Demander aux médias


stratégies de lutte contre français plus de
la désinformation avec plus responsabilité sur la
de moyens. valorisation de l’action de
 Identifier des acteurs la France et sur la
d’influence dans les pays diffusion de discours
africains pour relayer haineux ou complotistes
notre action. envers notre pays.


SE SERVIR DE NOS AVANTAGES STRATÉGIQUES

 Miser sur la francophonie. pays avec lesquels nous


 Développer le réseau des avons de bonnes relations.
écoles et instituts  Poursuivre l’ouverture à
culturels Français en l’« autre Afrique »
portant les efforts sur les anglophone, lusophone…
— 151 —

AXE OPÉRATIONNEL
 Se renforcer dans
la bataille des idées 


REFAIRE DE LA DIPLOMATIE UNE FORCE

 Instaurer une filière  Créer un institut des hautes


Afrique au Quai d’Orsay et études sur l’Afrique
valoriser les carrières  Développer le nombre de
 Mieux préparer les coopérants sur le terrain
diplomates à leur  Créer une véritable « équipe
affectation avant l’arrivée France » sous la
dans un pays responsabilité de
l’Ambassadeur.


RÉINVENTER NOTRE OFFRE STRATÉGIQUE

 Être présents là où nous  Adapter notre offre de


sommes souhaités formation aux besoins de nos
 Identifier les attentes de partenaires et encourager
nos partenaires pour notre BITD à faire évoluer
adapter notre offre son catalogue en
stratégique conséquence.
 Renforcer les moyens de nos
services de renseignement
en Afrique


FAIRE DE « L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT »
L’OUTIL MAJEUR DE NOTRE STRATÉGIE D’INFLUENCE

 Réformer l’AFD pour soutenir directement des


institutionnaliser son projets locaux à fort impact
pilotage politique et réputationnel
repositionner son action.
 Changer le nom de l’AFD en
« France Partenariats ».
 Donner beaucoup plus de
moyens aux Ambassades pour
— 153 —

ANALYSE DU RAPPORTEUR BRUNO FUCHS

LES ENSEIGNEMENTS DE L’OPÉRATION BARKHANE : RÉVÉLATEURS


DE TOUTES NOS FORCES ET FAIBLESSES OU COMMENT UNE
OPÉRATION MILITAIRE À L’EFFICACITÉ DÉMONTRÉE PÂTIT D’UN
BIAIS D’ANALYSE, D’UN DÉFAUT DE STRATÉGIE, DE PÉDAGOGIE ET
D’HUMILITÉ

1/ Une mauvaise compréhension de la nature de la crise et de la


dynamique du conflit.

Un défaut d’analyse initiale a rejailli négativement sur l’opération Barkhane.


Ce défaut tient aussi au fait que les responsables français ont envisagé la situation
malienne sous le prisme de leurs propres problématiques sécuritaires et non en
cherchant à comprendre les particularités de la situation locale. Le djihadisme
étranger a réussi à transformer une insurrection locale en conflit de grande ampleur,
certes menée au nom de l’Islam et à la faveur d’un recrutement local important, alors
qu’initialement les rébellions sont davantage mues par des motivations primaires de
besoins de subsistance, d’accès aux ressources, au foncier, d’ambitions héritées de
conflits intercommunautaires ou encore des visées nationalistes que par une pure
idéologie islamiste.

L’erreur initiale a donc consisté à ne pas comprendre la complexité du terrain


et à réduire la crise à la seule lutte contre le terrorisme islamique alors que le Mali se
trouvait face à un contexte insurrectionnel généralisé.

2/ Une opération militaire efficace, mais sous-dimensionnée et de


laquelle on attend tout.

D’un strict point de vue militaire, il convient de rendre justice à Barkhane,


et plus généralement, d’affirmer que la lutte contre le terrorisme, menée entre 2013
et 2022, a permis aux forces françaises, maliennes, nigériennes et burkinabé de
mettre hors-de-combat les chefs des quatre katibats d’AQMI, les émirs d’Al
Mourabitoune et du MUJAO, de nombreux éléments clefs d’Ansar Eddine, les émirs
du JNIM et les émirs de l’État Islamique au Sahel. Ces faits d’armes ont mis fin aux
attentats de grande ampleur dans les capitales sahéliennes depuis 2018 et ont
engendré une forte baisse du nombre des enlèvements d’étrangers.

Alors qu’en Afghanistan la communauté internationale a engagé jusqu’à


150 000 hommes, la France a porté sa présence, au plus fort de la crise malienne, à
5 000 hommes sur un territoire trois fois plus grand. Ce sous-dimensionnement porte
les germes de la déception.
— 154 —

3/ Une défiance grandissante de l’armée malienne à l’égard des


militaires français.
Mais, paradoxalement, après le succès de Serval et après les résultats
obtenus, les Maliens ont pensé que la seule présence de l’armée française allait
suffire à régler facilement la question. Après le grand espoir, notre communication
de chiffres a créé, paradoxalement, un climat déceptif au regard des attaques de
villages et de règlements de compte continus.

Sûrs de notre fait, nous aurions dû mieux expliquer et partager le sens de


notre action. À titre d’exemple, en dix ans, l’armée française n’a produit aucune
vidéo à usage des médias locaux.

Ainsi, Barkhane a fortement souffert d’un manque de justification auprès des


populations et d’un déficit de communication de ses réelles missions. A posteriori,
Barkhane apparaît donc comme une opération qui s’est fixée des objectifs s’appuyant
sur une évaluation biaisée et optimiste des dynamiques politiques en cours au Sahel,
et qui a été conduite à l’impuissance par l’incompétence de la classe politique au
pouvoir.

Les populations ont également fondé, dans les forces militaires françaises,
des espoirs qui excédaient le cadre de l’opération Barkhane, ne pouvant qu’entraîner
de l’incompréhension, de la déception et, à terme, de l’hostilité.

4/ Kidal, moment clé qui va nourrir le ressentiment et l’idée d’un agenda


caché côté français.

En 2012, l’armée malienne a été massacrée et forcée de fuir Kidal devant la


conquête des groupes rebelles et djihadistes. Ce moment a nourri un profond
sentiment de vengeance. En 2013, les risques de représailles contre les communautés
Arabes et Touaregs ont amené l’armée française à stopper la reconquête aux portes
de Kidal, encore sous contrôle des mouvements rebelles.

Or, ce qui pour nous relevait d’une prudence pour éviter un bain de sang, a
été interprétée par les Forces armées maliennes, à la tête desquelles se trouvait le
colonel Goïta, comme un pacte entre les forces françaises et les groupes rebelles. Dès
lors, et à défaut d’une communication claire et partagée, le doute s’est installé. Une
part importante des « Fama » a toujours eu un doute sur les objectifs réels des
français.

En ajoutant cela à la dégradation sécuritaire dont les populations ont souffert


au quotidien pendant l’opération Barkhane, l’hostilité s’est faite de plus en plus forte.
— 155 —

5/ Le « syndrome du pré carré », un péché d’orgueil provocant des


attitudes contestables.
Il s’agit d’une attitude globale sans que de véritables lignes rouges aient été
franchies, car l’armée française est tout à fait républicaine.

Les militaires français, sûr d’eux et portés par l’obsession de la bonne


exécution de leurs missions, ont pu donner le sentiment de se penser chez eux, en
terre conquise, en s’affranchissant ainsi de règles élémentaires d’échange et de
partage. Or, selon le dicton Africain, « un invité ne décide des plats à servir sur la
table ». Par conséquent, ces comportements n’ont fait que renforcer le sentiment de
défiance.

6/ Un défaut de portage politique et de stratégie.

Si on comprend qu’une partie substantielle des conflits armés peut trouver


une résolution par la médiation et le développement économique, alors, pour avoir
une chance de réduire massivement l’activité terroriste, il aurait fallu activer en
parallèle un plan de développement de grande ampleur répondant aux besoins
primaires des populations.

Or, étant donné que nous avons activé uniquement le volet militaire, de
nombreux jeunes ont succombé aux 100-150 dollars offerts par les groupes
terroristes et sont venus en gonfler les rangs, sans pour autant être dans une logique
d’intégrisme musulman.

7/ Nous avons, avec une forme de naïveté, confié la conduite politique, et


donc la réussite ou non de l’opération, à un gouvernement clairement défaillant.

Le but initial et strict de l’opération Barkhane était de protéger Bamako et de


laisser le temps à la classe politique locale de s’organiser, pour rétablir la paix dans
la région. En effet, le mandat de l’opération n’était pas de sécuriser l’ensemble du
pays mais de mettre la menace terroriste à la portée des forces locales, en affaiblissant
les groupes armés terroristes.

Toute la réussite de l’opération reposait sur le postulat que l’État malien allait
fournir sa part d’effort. Or, les observateurs avertis avaient conscience du caractère
illusoire de ce postulat. Les personnes fréquentant le Mali voyaient bien que le
Président Ibrahim Boubacar Keïta n’était pas l’homme de la situation. Plus jouisseur
que stratège, il a laissé faire. Il se disait que son palais « c’était Versailles avant le
révolution ».

Le niveau de corruption y a atteint des sommets et notamment de forts


détournements de fonds sur les budgets militaires.

Une divergence de vue stratégique s’est installée entre le gouvernement


malien et le gouvernement français, ce dernier ayant voulu imposer l’application des
— 156 —

accords d’Alger de 2015, visant à mettre fin à la guerre du Mali entre les forces du
gouvernement malien et les forces issues de la Coordination des mouvements de
l’Azawad. En effet, le Président Ibrahim Boubacar Keïta était contre les dispositions
de cet accord et a empêché leur mise en place. Cette posture a aujourd’hui pour
conséquence que la partition du Nord Mali du reste du territoire malien apparait
comme une hypothèse de plus en plus plausible.
— 157 —

ANNEXE N°1 : LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES OU


AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS

Les rapporteurs adressent leurs remerciements chaleureux au président du Niger,


M. Mohamed Bazoum, à l’ancien président de la République française, M. François Hollande,
et à la Première Dame de Côte d’Ivoire, Mme Dominique Ouattara, qui ont bien voulu leur
accorder une audience.
Certaines personnes n’ont pas souhaité apparaître dans la liste des auditionnés. Celle-
ci respecte donc leur anonymat.

Jeudi 9 mars 2023


– Mme Anne-Sophie Avé, ambassadeur, envoyée spéciale pour la diplomatie publique
en Afrique.

Jeudi 23 mars 2023


– M. Éric Blanchot, directeur général de l’ONG Promediation ;
– Mme Anne-Claire Legendre, porte-parole du ministère de l’Europe et des Affaires
étrangères ;
– M. Wassim Nasr, journaliste à France 24, spécialiste des mouvements djihadistes.

Jeudi 30 mars 2023


– M. Christian Bouquet, professeur de géographie politique et du développement à
l’Université Michel-de-Montaigne-Bordeaux-3 ;
– M. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherches à l’institut de
recherche pour le développement (IRD), spécialiste du Nigéria ;
– M. Bruno Clément-Bollée, ancien directeur de la coopération de sécurité et de
défense du ministère de l’Europe et des affaires étrangères ;
– M. Luc Hallade, ambassadeur de France au Burkina Faso ;
– Mme Laure Taillandier-Thomas, rédactrice Burkina Faso, Niger, cellule Sahel, sous-
direction d’Afrique occidentale au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ;
– Mme Eva Nguyen Binh, présidente de l’Institut français.

Jeudi 6 avril 2023


– Mme Évelyne Decorps, ambassadrice de France au Tchad (2013-2016) et au Mali
(2016-2018) ;
— 158 —

– M. Aurélien Lechevallier, directeur général de la mondialisation, de la culture, de


l’enseignement et du développement international au ministère de l’Europe et des Affaires
étrangères ;
– M. Luc Briard, chargé de mission Afrique auprès du directeur général de la
mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international au ministère
de l’Europe et des Affaires étrangères et membre de la mission de préfiguration de la Maison
des Mondes Africains ;
– Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe
et des Affaires étrangères, chargée du développement, de la francophonie et des partenariats
internationaux ;
– M. Loris Gaudin, conseiller chargé des relations avec le Parlement, du mécénat et
des partenariats avec le secteur privé auprès de Mme Chrysoula Zacharopoulou ;
– M. Thomas Rossignol, sous-directeur d’Afrique australe et de l’Océan indien,
ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

Mercredi 12 avril 2023


– M. Hugo Sada, ancien conseiller spécial pour le Forum de Dakar sur la paix et la
sécurité en Afrique, ancien délégué à la paix, aux droits de l’Homme et à la démocratie de
l’Organisation internationale pour la francophonie, chercheur associé à la fondation pour la
recherche stratégique ;
– M. Christophe Bigot, directeur de l’Afrique et de l’Océan indien au ministère de
l’Europe et des Affaires étrangères ;
– Mme Adorice Gachet, chargée de mission auprès du directeur de l’Afrique et de
l’Océan indien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

Mercredi 3 mai 2023


– M. Jean-Christophe Belliard, ambassadeur de France en Côte d’Ivoire ;
– M. Joël Meyer, ancien ambassadeur de France au Mali (2018-2022) et en Mauritanie
(2014-2018).

Jeudi 4 mai 2023


– M. Étienne Giros, président du conseil français des investisseurs en Afrique et de
l’European Business Council for Africa and Mediterranean ;
– Mme Sandrine Sorieul, directrice générale du conseil français des investisseurs en
Afrique ;
– M. Philippe Gautier, directeur général du MEDEF international ;
– Mme Alice Féray, chargée de projet au sein du pôle financements internationaux au
MEDEF international ;
— 159 —

– M. Nicolas Guillaume, chargé de projet Afrique subsaharienne au MEDEF


international ;
– M. Gautier Vassas, chargé de projet Afrique subsaharienne au MEDEF
international ;
– M. Antoine Glaser, journaliste.

Mardi 9 mai 2023


– M. Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement ;
– M. Philippe Baumel, responsable du secrétariat des instances en charge des relations
avec les administrateurs et le Parlement à l’Agence française de développement ;
– M. Christian Yoka, directeur du département Afrique de l’Agence française de
développement.

Mercredi 10 mai 2023


– M. Laurent Bigot, ancien sous-directeur pour l’Afrique de l’Ouest (2008-2013) au
ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

Jeudi 11 mai 2023


– M. Pierre Boilley, historien spécialiste de l’Afrique et du Sahel ;
– M. Charles Grémont, historien et membre associé à l’institut des mondes africains ;
– M. Rémi Maréchaux, ambassadeur de France en Éthiopie, délégué permanent de la
France auprès de l’Union africaine.

Jeudi 25 mai 2023


– Mme Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde ;
– M. Thomas Legrand-Hedel, directeur de la communication, des relations
institutionnelles et de la RSE chez France Médias Monde ;
– Mme Cécile Mégie, directrice des stratégies et des coopérations éditoriales
transverses chez France Médias Monde ;
– M. Jonathan Guiffard, expert en relations internationales et questions stratégiques,
senior fellow à l’institut Montaigne.

Jeudi 1er juin 2023


– M. Alain Antil, chercheur et directeur du centre Afrique subsaharienne de l’institut
français des relations internationales ;
— 160 —

– M. Maxime Audinet, chercheur spécialisé sur les stratégies d’influence et de la


Russie à l’institut de recherche stratégique de l’École militaire.

Mardi 6 juin 2023


– M. Seidik Abba, journaliste, ancien rédacteur en chef du journal Jeune Afrique ;
– Mme Niagalé Bagayoko, chercheuse, présidente de l’African security secteur
network.

Jeudi 8 juin 2023


– M. Alain Juillet, ancien directeur général de la direction générale de la sécurité
extérieure.

Jeudi 15 juin 2023


– Général Pascal Ianni, officier général « anticipation stratégique et orientations » à
l’État-major des armées.

Jeudi 22 juin 2023


– Général Djibrill Yipènè Bassolé, ancien ministre des Affaires étrangères du Burkina
Faso.

Jeudi 29 juin 2023


– M. Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères français.

Mercredi 13 septembre 2023


– M. Claudy Siar, chanteur, animateur, présentateur et journaliste.

Jeudi 14 septembre 2023


– M. Jacques Godfrain, ministre de la coopération (1995-1997) ;
– M. Michel Roussin, ministre de la coopération (1993-1994) ;
– M. Élie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité de l’institut français
des relations internationales.
— 161 —

Déplacement en Côte d’Ivoire du 16 septembre au 21 septembre 2023


– Colonel Patrick Vaglio, attaché de défense ;
– Visite du camp des Éléments français de Côte d’Ivoire en présence du
Colonel Bruno Yver ;
– M. Jean-Christophe Belliard, ambassadeur de France en Côte d’Ivoire et ses équipes.
– M. Adama Coulibaly, ministre de l’économie et des finances ;
– M. Ally Coulibaly, conseiller diplomatique du président, ancien ministre et ancien
ambassadeur ;
– M. Adama Bictogo, président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire ;
– Mme Françoise Remarck, ministre de la culture et de la francophonie ;
– M. Françis Akindès, sociologue et professeur à l’Université Alassane Ouattara de
Bouaké ;
– M. Venance Konan, journaliste et écrivain ;
– M. Arthur Banga, représentant Afrique de l’Ouest de la fondation d’innovation pour
la démocratie, M. Fred Eboko, membre du conseil de la fondation, M. Yodé Simplice Dion,
philosophe et M. Eddie Guipi, politologue ;
– Réunion d’échange avec les représentants de la société civile ivoirienne :
associations, artistes, jeunes entrepreneurs, militants et activistes ;
– M. Philippe Collin, consul général de France en Côte d’Ivoire et Mme Amélie
Gayan, responsable du service visas du consulat de France, avec visite du service ;
– Représentants du secteur économique français (Club French Tech, Club Abidjan
Ville Durable, Conseillers du commerce extérieur de la France, Chambre de commerce et
d’industrie de Côte d’Ivoire) ;
– Visite de l’agence AFD et échange avec M. Adrien Haye, directeur pays et
M. Lionel Yondo, directeur régional Golfe de Guinée, en présence des représentants pays
d’Expertise France et de Proparco ;
– M. Stanislas Zézé, entrepreneur, fondateur de Bloomfield Investment Corporation ;
– M. Marc Alberola, directeur général du groupe Eranove et ancien président de la
Chambre de commerce européenne en Côte d’Ivoire (Eurocham);
– M. Justin Katinan, vice-président Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire ;
– M. Robert Beugré Mambé, gouverneur du district autonome d’Abidjan ;
– Visite du service communication de l’ambassade.

Mercredi 28 septembre 2023


– Mmes Alexandra Jousset et Knesia Bolchakova, journalistes, réalisatrices du film
« Wagner, l'armée de l'ombre de Poutine », prix Albert Londres ;
– M. Martial Ze Belinga, économiste et sociologue.
— 162 —

Jeudi 29 septembre 2023


– M. Emmanuel Dupuy, président de l’institut prospective et sécurité en Europe.

Mercredi 18 octobre 2023


– M. Achille Mbembe, professeur d’histoire et de sciences politiques à l’université
Witwatersrand (Afrique du Sud).

Jeudi 19 octobre 2023


– Mme Stéphanie Rivoal, secrétaire générale du sommet Afrique-France 2020.
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ANNEXE N°2 : LISTE DES ACRONYMES ET DES ABRÉVIATIONS


UTILISÉS DANS LE RAPPORT
AFD : Agence française de développement
AQMI : Al-Qaïda au Maghreb islamique
ANC : Congrès national africain
ARCOM : Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique
BOA : Base opérationnelle avancée
CEDEAO : Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest
CEEAC : Communauté économique des États de l’Afrique centrale
CEMA : Chef de l’État-major des armées
CEMP : Chef de l’État-major particulier du chef de l’État
CIAN : Conseil des investisseurs français en Afrique
CMA : Coordination des mouvements de l’Azawad
CPI : Cour pénale internationale
DCSD : Direction de la coopération de sécurité et de défense
DGSE : Direction générale de la sécurité extérieure
DTS : Droits de tirage spéciaux
EFAO : Éléments français d’assistance opérationnels
EFG : Éléments français du Gabon
EIGS : État islamique au Grand Sahara
ENA : École nationale d’administration
ENVR : École nationale à vocation régionale
EPIC : Établissement public à caractère industriel et commercial
ETI : Expert technique international
ETPT : Équivalent temps plein annuel travaillé
FID : Fonds d’innovation pour le développement
FLN : Front de libération nationale
FMM : France Médias Monde
FOSAC : Forum sur la coopération sino-africaine
FRELIMO : Front de libération du Mozambique
FSPI : Fonds de solidarité pour les projets innovants
GAT : Groupes armées terroristes
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ICC : Industrie culturelle et créative


IDE : Investissement direct à l’étranger
JNIM : Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans
LGBT : Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres
LPM : Loi de programmation militaire
MPLA : Mouvement populaire de libération de l’Angola
MUJAO : Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest
OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques
OHADA : Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires
OIF : Organisation internationale de la Francophonie
OMC : Organisation mondiale du commerce
ONG : Organisation non gouvernementale
ONU : Organisation des Nations Unies
OTAN : Organisation du traité de l’Atlantique nord
OUA : Organisation de l’unité africaine
PAIGC : Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert
PAM : Programme alimentaire mondial
PESD : Politique européenne de sécurité et de défense
PIB : Produit intérieur brut
PME : Petite et moyenne entreprise
PNB : Produit national brut
POC : Pôle opérationnel de coopération
PSDC : Politique de sécurité et de défense commune
RECAMP : Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix
REFRAM : Réseau francophone des régulateurs de médias
RGPP : Révision générale des politiques publiques
TPE : Très petite entreprise
UA : Union africaine
UE : Union européenne
UEMOA : Union économique et monétaire ouest-africaine
URSS : Union des républiques soviétiques socialistes
ZAPU : Union du peuple africain du Zimbabwe

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