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Mentaliser en Contexte Pédopsychiatrique

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Remerciements | Cairn.info https://www.cairn.info/mentaliser-en-contexte-pedopsychiatrique--978...

Remerciements
Julie Achim, Alain Lebel, Karin Ensink
Dans Mentaliser en contexte pédopsychiatrique (2020),
pages 9 à 10

Chapitre

L a conception et la rédaction d’un livre relèvent de la création, qui a de multiples


racines, et son aboutissement n’est possible que lorsque le milieu au sein duquel
elles s’inscrivent en soutient le déploiement.
1

L’idée d’écrire ce livre est née d’échanges réguliers visant à repenser nos 2
interventions cliniques à la lumière des pratiques novatrices et stimulantes que
représentaient pour nous les thérapies basées sur la mentalisation. Ces séminaires
auxquels ont participé plusieurs collègues et doctorants sont devenus pour nous des
laboratoires porteurs de réflexion et de changements.

Nous remercions d’abord nos collègues Isabelle Senécal, Karine Dubois-Comtois, 3


Renée Hould, Claud Bisaillon, Diane A. Philipp, Emilie Deschenaux et Geneviève
Alain qui ont accepté avec enthousiasme et générosité de contribuer à cet ouvrage en
partageant leurs expertises respectives. Nous les remercions pour leur confiance et
leur engagement indéfectible.

Nous tenons également à remercier notre collègue Joanne Giasson qui a sensibilisé 4
les cliniciens de notre équipe (clinique de pédopsychiatrie de l’Hôpital en Santé
Mentale Albert-Prévost du CIUSSS NIM) à la pertinence d’intégrer la notion de
mentalisation au travail thérapeutique. Nous tenons tout autant à remercier notre
collègue Miguel M. Terradas pour son apport important à nos réflexions.

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Plusieurs autres collègues ont aussi contribué à stimuler nos réflexions : Wilfrid 5
Reid, Alexandre Chabot, Sylvaine De Plaen, Gilles Fauvel, Micheline Reid-Perreault,
Vincent Domon-Archambault, Fanny-Maude Urfer, Fannie Haméon Denis ainsi que
les collègues de l’équipe spécialisée des 0-5 ans qui ont contribué par leur constance,
leur engagement et leur ouverture à faire de ce milieu un lieu propice à l’instauration
de pratiques novatrices. Nous tenons à les remercier.

Nous remercions chaleureusement notre collègue Martin Debbané qui nous a fait le 6
grand plaisir de rédiger la préface de ce livre. Merci à Mario Speranza de nous avoir
accordé sa confiance en acceptant de rédiger la postface de cet ouvrage.

Certains proches nous ont apporté un soutien inestimable durant les mois de 7
rédaction. Leur patience, leur regard aiguisé et bienveillant sur notre travail ont
grandement contribué à nous permettre de demeurer confiants quant à la possibilité
de mener ce projet à terme. Nous adressons un remerciement particulier à Nicolas
Thériault-Viger.

Nous souhaitons enfin remercier tous les enfants, les adolescents, les adultes qu’ils 8
sont devenus et tous les parents que nous avons reçus dans le cadre de nos pratiques
cliniques. Nous les remercions pour tout ce qu’ils nous ont appris en trouvant le
courage et en mobilisant leurs ressources afin de se mesurer aux différents défis
auxquels ils se sont confrontés. Merci d’avoir accepté de prendre le risque de nous
accorder leur confiance.

Auteurs
Julie Achim

Psychologue clinicienne et professeure agrégée au Département de psychologie de


l’Université de Sherbrooke (Canada). Elle enseigne l’évaluation et la psychothérapie aux
programmes de doctorat spécialisés en enfance et en adolescence qu’elle a contribué à
mettre en place. Elle est également professeure associée au Département de psychiatrie et
d’addictologie de l’Université de Montréal et chercheuse associée au Centre de recherche
du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-
Montréal (CIUSSS NIM, Canada). Ses travaux de recherche concernent principalement la
transition à la maternité, les relations précoces parents-enfants, leurs liens à l’adaptation

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et à la psychopathologie chez l’enfant et ses parents ainsi que la capacité de mentalisation


et ses applications psychothérapeutiques.

Alain Lebel

Psychiatre d’enfants et d’adolescents à la clinique de pédopsychiatrie de l’Hôpital en Santé


Mentale Albert-Prévost du CIUSSS NIM, professeur agrégé de clinique au Département de
psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal et chercheur associé au Centre de
recherche du CIUSSS NIM (Canada). Il pratique la psychanalyse auprès d’adultes et la
psychothérapie auprès d’enfants et d’adolescents depuis de nombreuses années. Il s’est
spécialisé dans l’intervention clinique auprès des très jeunes enfants et de leurs parents.
Le travail en institution l’a amené à s’intéresser aux approches psychothérapeutiques
soutenant la capacité de mentalisation d’enfants présentant d’importantes difficultés ainsi
que celle de leurs parents.

Karin Ensink

Professeure titulaire à l’École de psychologie de l’Université Laval (Canada) où elle


enseigne la psychologie clinique au secteur enfance et adolescence. Elle a réalisé son
doctorat en psychologie sous la direction de Mary Target et Peter Fonagy à l’University
College of London (Royaume-Uni). Elle est internationalement reconnue comme experte
et formatrice dans le domaine du développement de la mentalisation chez l’enfant et
l’adolescent. Elle est l’une des auteurs du livre Mentalization Based Treatment for Children et
superviseure invitée pour la série de vidéos portant sur la mentalisation de l’APA. Elle est
superviseure et formatrice des thérapies basées sur la mentalisation. Ses travaux de
recherche portent notamment sur la fonction réflexive de mères de jeunes enfants.

Mis en ligne sur Cairn.info le 15/10/2021


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https://doi.org/10.3917/dbu.achim.2020.01.0009

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Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de
l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le

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Préface
Martin Debbané
Dans Mentaliser en contexte pédopsychiatrique (2020),
pages 17 à 21

Chapitre

C ’est un honneur pour moi de proposer une réflexion en préface de l’ouvrage,


désormais incontournable, des applications de la thérapie basée sur la
mentalisation (TBM) en contexte pédopsychiatrique, proposées par les
1

professeures Julie Achim et Karin Ensink, le docteur Alain Lebel, et leurs


collaborateurs. Les auteurs présentent un préambule et sept chapitres procurant à la
fois une bouffée d’oxygène nécessaire et un apport nutritif crucial au champ clinique
pédopsychiatrique inspiré par la mentalisation. L’oxygène provient de la qualité
pédagogique du texte, rédigé par des cliniciens d’expérience, qui allient
systématiquement leurs présentations des principes de bases TBM et illustrations
cliniques pertinentes et clairement exposées. L’apport est nutritif dans le contexte de
la littérature clinique francophone des TBM, qui avant cet ouvrage souffrait d’une
carence particulière en matière de TBM dédiée aux enfants et leur famille. Ainsi, les
initiateurs de cet ouvrage et leurs collaborateurs (Isabelle Senécal, Karine Dubois-
Comtois, Claud Bisaillon, Renée Hould, Diane Philipp, Emilie Deschenaux et
Geneviève Alain) soulagent un manque significatif dans ce que propose la
communauté du réseau francophone des thérapies basées sur la mentalisation
(www.mentalisation.org). De plus, ils présentent une démonstration de l’intégration
d’un savoir théorique à une pratique clinique, au travers d’un recueil qui fait ressortir
leur générosité et dévouement non seulement en tant que cliniciens, mais aussi en
tant qu’enseignants. Ces pages ne nous enseignent rien de moins que le quoi, le

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pourquoi et le comment de la mentalisation avec l’enfant et sa famille, et pour cette


raison il constituera un ouvrage de référence pour les années à venir. D’un point de
vue plus personnel, mes compatriotes m’offrent l’opportunité de réfléchir à toute
l’importance que l’apprentissage à mentaliser prend dans une vie, mais également
dans notre métier clinique. Je souhaite leur transmettre toute ma reconnaissance
pour l’opportunité offerte et la confiance dont ils me témoignent.

En prélude à cet ouvrage se pose la question centrale à tout clinicien œuvrant auprès 2
d’enfants : comment entreprendre un travail thérapeutique avec ceux qui, pour des
raisons développementales, ne possèdent pas tous les outils de la pensée et du
langage nécessaires à la psychothérapie classique ? Historiquement, la question a été
en partie résolue par l’utilisation du jeu en thérapie (Hug-Helmut, 1991). Néanmoins,
les limites d’une approche utilisant le jeu comme seul vecteur thérapeutique se sont
rapidement fait sentir. D’abord, les travaux de John Bowlby et ses collaborateurs
(Bowlby, 1969, 1973) ont démontré la puissance de l’emprise des réalités relationnelles
et contextuelles sur la vie psychique de l’enfant, permettant une meilleure prise en
compte de la famille et du contexte social de l’enfant dans la compréhension de sa
souffrance psychique. Par la suite, les développements issus d’avancées conceptuelles
(Stern, 1985), de l’observation directe des interactions précoces (Ainsworth, Blehar,
Waters, & Wall, 1978 ; Main & Solomon, 1990) et des interactions entre l’enfant et ses
parents (Fivaz-Depeursinge, Frascarolo, & Corboz-Warnery, 1996) ont ouvert à la
possibilité d’un véritable jeu de perspectives. Pour qui se donne les moyens de s’y
engager, ce jeu de perspectives permet d’apprécier les déterminants à la fois
intrapsychiques et intersubjectifs de l’expression des souffrances qui affligent
différents membres des familles accueillies en clinique pédopsychiatrique. Il permet
aux cliniciens d’interroger le cadre d’intervention, de décloisonner l’approche
individuelle classique pour déconfiner les états mentaux suscités par des relations
dyadiques souvent traumatiques. Ainsi les auteurs nous proposent d’intégrer le
travail avec les parents et le réseau dans une réflexion globale sur la mentalisation au
sein de différents secteurs de la vie de l’enfant. Le jeu de perspectives, tirant profit
des développements cliniques effectués au cours de la deuxième moitié du 20e siècle,
fait émerger une nouvelle question pour les cliniciens œuvrant auprès d’enfants :
comment intégrer la richesse et l’étendue des connaissances et savoir-faire cliniques
d’une manière cohérente sans souffrir des périls de l’éclectisme ?

Le modèle des thérapies basées sur la mentalisation (TBM) constitue, à la base, une 3
proposition d’intégration de ces connaissances et savoir-faire cliniques, avec comme
particularité une focalisation sur la capacité à mentaliser, telle que définie par ses
concepteurs Peter Fonagy et Anthony Bateman. En tant qu’objet de focalisation, la
mentalisation s’inscrit dans le champ plus large des processus et fonctions soutenant

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l’imagination (Luyten, Campbell, Allison, & Fonagy, 2020), exercée au sujet des états
mentaux de soi et d’autrui. Dans le contexte contemporain de la pratique
psychothérapeutique, les TBM rejoignent sur plusieurs points méthodologiques
d’autres thérapies focalisées, à durée déterminée, faisant l’objet de validation
scientifique (Bateman & Fonagy, 2019). En outre, les TBM se caractérisent par une
approche clinique favorisant les processus de régulation (émotionnelle,
attentionnelle et réflexive), permettant la diminution de la souffrance psychique, et
l’installation d’une capacité autonome de régulation de soi (Debbané, 2019), ce que
les auteurs de ce livre illustrent avec brio dans l’application des TBM en
pédopsychiatrie. Ainsi, la visée est différente de celles d’autres modèles ciblant la
croissance de la connaissance de soi, de l’insight, de la capacité à résoudre des
problèmes, ou encore l’émergence de la pleine conscience. De ce point de vue, les
TBM offrent une approche qui tente, modestement, d’intégrer les leçons apprises
tout au long d’une centaine d’années de pratiques cliniques thérapeutiques diverses,
avec des affinités plus marquées avec les théories de psychanalystes britanniques
comme D.W. Winnicott et W.R. Bion, de la théorie de l’attachement, et plus
récemment des apports de la psychologie du développement (Csibra & Gergely,
2009), des sciences cognitives (Gallotti & Frith, 2013 ; Kalisch, Muller, & Tuscher,
2014 ; Sperber et al., 2010) et des neurosciences (Debbané & Nolte, 2019).

Le cadre conceptuel des TBM propose également une réflexion spécifique sur les 4
ingrédients fédérateurs de la capacité à mentaliser. Outre la sécurité d’attachement
qui confère au nourrisson futur enfant l’opportunité de porter son attention sur les
états mentaux et d’initier un jeu de perspectives (Fonagy & Target, 1996), nous
témoignons dans la littérature récente d’un retour d’intérêt envers les prémisses pré-
verbales de la mentalisation. Cet intérêt semble être caractérisé par une approche
phénoménologique qui tire son enseignement de l’expérientiel du patient, aussi
jeune soit-il. Pour faire face aux limites cliniques de la méthode actuelle, un
approfondissement de notre compréhension du développement de la capacité à la
mentaliser semble inévitable. En outre, ce retour d’intérêt envers de la description de
l’expérience est probablement nécessaire pour contrebalancer la tendance à
« techniciser » la psychothérapie, que l’on pourrait reprocher à la TBM. Dans cette
perspective, il s’avère intéressant de souligner l’enjeu de certaines recherches
actuelles sur les nourrissons, qui visent à comprendre comment la communication
s’établit dans le « corps à corps » entre le nourrisson et ses figures d’attachement
(Fonagy & Campbell, 2017). Il apparaît que ces expériences précoces bâtissent le socle
des capacités de régulation, en particulier par le biais de l’associativité multimodale
qui organise le champ perceptivo-sensoriel du nourrisson (Fotopoulou & Tsakiris,
2017). Inspirées par les travaux de D.W. Winnicott et D. Stern, les données
neuroscientifiques et développementales s’allient de plus en plus aux observations

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phénoménologiques pour confirmer la centralité de la synchronie dyadique, qui


s’instaure non seulement sur le plan psychique, mais également sur les plans
comportemental, cérébral et neuroendocrinien (Feldman, 2015b). Ces synchronies
« multi-niveaux » sculptent les réseaux neuronaux qui supporteront les fonctions
régulatrices, tant attentionnelles qu’émotionnelles, et les premières données
longitudinales tracent leurs effets au moins jusqu’à l’âge de la latence (Feldman,
2015a). Ces récentes découvertes ont mené à une reformulation du lien entre
attachement et mentalisation : nous trouvons les premières traces de notre esprit pas
tant dans la manière dont nos parents nous pensent, mais dans la manière dont ils
nous communiquent, au travers de leurs mains, leurs bras, leurs respirations et le
reste de leurs gestes, la place que nous occupons dans leur être.

Dès lors, comment tracer les liens entre les fondements de la capacité à mentaliser et 5
la clinique TBM en pédopsychiatrie ? Les auteurs de ce livre vont tantôt
implicitement, tantôt explicitement, nous en exposer les axes principaux dans leurs
vignettes cliniques. En effet, l’importance accordée aux comportements de l’enfant
en séance, à ses réactions corporelles en résonnance avec les contenus émotionnels
exprimés par ses parents en entretien, à ses ruptures de régulation attentionnelle, et
tant d’autres signaux, sont mis en exergue par Achim, Ensink et Lebel. Ils nous
somment non seulement d’observer ces signaux comme des indicateurs de
l’expression de la mentalisation, mais également de s’accorder avec ces signaux
lorsqu’il nous en est possible, et pas seulement avec les paroles, mais avec tout le
répertoire non verbal de la communication thérapeutique. C’est ainsi que l’on peut
sentir, au travers des différents échanges cliniques exposés, leur présence en tant
que cliniciens qui créent les conditions d’une rencontre avec l’expérience de l’enfant,
et l’initiation d’une transmission privilégiée au sujet de la souffrance émotionnelle
désormais partageable avec autrui.

Ceci nous amène à considérer le virage récent des TBM, qui propose en parallèle à 6
une focalisation sur la mentalisation, un recentrage processuel autour de la question
de la confiance épistémique. Ce concept pose des questions difficiles à tous les
professionnels en santé mentale : pourquoi le patient, sa famille, devraient-ils croire
à ce que nous leurs disons ? Pourquoi devraient-ils réfléchir aux questions que nous
leurs posons ? En quoi notre perspective sur leur vie vaut-elle la peine d’être
considérée ? D’une manière plus directe, en quoi l’expérience d’être avec nous en
consultation confère le sentiment au patient d’être avec quelqu’un de confiance ? Ce
défi, inlassablement renouvelé à l’amorce de chaque nouvelle demande d’évaluation
et de prise en charge, si élégamment illustré dans ce recueil, est au centre du concept
de confiance épistémique.

Selon Peter Fonagy et collaborateurs, la confiance épistémique relève de la valeur 7

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qu’un individu attribue à une source d’information comme pertinente à soi, fiable et
généralisable au monde externe. Elle mène à ce que le sujet « considère » davantage
ce que cette source, ici le thérapeute, pourrait proposer comme perspectives. De plus,
ces perspectives sont plus souvent mises au travail dans le quotidien du patient si ce
dernier voue une confiance épistémique au thérapeute (Fonagy & Allison, 2014). Pour
ces auteurs, un des vecteurs les plus importants de la confiance épistémique relève
du sentiment d’avoir été reçu par l’autre dans son expérience subjective et singulière.
Ainsi, la TBM propose au clinicien de travailler infatigablement à communiquer ses
représentations au sujet de l’expérience subjective du patient, dans l’espoir de
participer à lui procurer l’expérience d’une présence bienveillante dans ses sphères
de solitude émotionnelle les plus en souffrance. Nous rajouterons ici que ce n’est pas
tant la perspective elle-même qui compte, que ce n’est pas l’exactitude de la
compréhension du thérapeute qui fait la différence, mais que selon nous, c’est
l’expérience répétée de se sentir reçu dans sa subjectivité qui régénère une forme de
« foi en l’autre », et de « foi en soi », qui permet au patient de réinvestir différents
secteurs de sa vie, en ayant foi qu’il trouvera d’autres personnes avec qui partager
son expérience, et de croire que cette expérience, en soi, a un avenir.

Ainsi, le champ de la pratique de la mentalisation en milieu pédopsychiatrique 8


s’attelle à un travail thérapeutique à la fois structuré, avec des repères précis et une
méthode intégrative, pour procurer une expérience qui puisse se généraliser au-delà
de la salle de consultation. Le gain thérapeutique n’est pas simplement la réduction
du symptôme, mais également la lente progression post-thérapeutique dans les
sphères d’intérêts comme l’investissement relationnel, éducatif et social. Les auteurs
de ce livre nous proposent les fondements pour tenter d’y arriver. Il ne me reste plus
qu’à vous souhaiter une belle découverte de la richesse de leur enseignement.

Genève, 8 juin 2020 9

Auteur
Pr Martin Debbané

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Préambule : (re)penser nos pratiques cliniques | Cairn.info https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

Préambule : (re)penser nos pratiques cliniques


Julie Achim, Alain Lebel, Karin Ensink
Dans Mentaliser en contexte pédopsychiatrique (2020),
pages 23 à 29

Chapitre

À l’origine de ce projet

M entaliser. Se penser et penser autrui. Penser un enfant et penser des parents.


Penser les difficultés pour lesquelles ils s’adressent à nous et qui entravent leur
fonctionnement et leurs relations. Penser les liens qui unissent un enfant à ses
1

parents, à ses grands-parents, à son environnement, à sa fratrie et à ses amis, aux


événements auxquels il se confronte. Penser les liens qui unissent un parent à son
enfant, à l’autre parent de cet enfant, à ses propres parents. Construire avec eux ces
histoires de vie qui leur sont propres et s’entremêlent, en tentant de demeurer au
plus près de l’expérience subjective de chacun, qu’elle concerne leur rapport à eux-
mêmes ou leurs interactions avec les autres. Se penser soi-même comme thérapeute,
s’interroger, s’observer et s’autoréguler. Penser l’impensable. Penser malgré les
discontinuités, les manques et les trous, les débordements et les agirs, les traumas,
les absents. Penser malgré les contraintes organisationnelles et interpersonnelles
propres à chaque institution au sein de laquelle s’inscrit le travail clinique. Tels sont
quelques-uns des défis auxquels se confrontent les cliniciens œuvrant en
pédopsychiatrie. Et tous ceux qui interviennent auprès d’enfants et de parents aux
prises avec des difficultés entravant leur fonctionnement psychologique et
relationnel.

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À l’origine de ce projet de livre [1], il y a la nécessité de garder bien vivante cette 2


capacité à penser les expériences douloureuses des enfants et des parents qui
consultent au sein de notre service et à recevoir la détresse qu’elles génèrent chez
eux. Cette disposition essentielle à l’intervention thérapeutique est mise à rude
épreuve par plusieurs aspects propres au travail clinique réalisé quotidiennement en
contexte pédopsychiatrique.

Mentionnons d’abord la complexité des problématiques que présentent bon nombre 3


d’enfants, impliquant des défis diagnostiques et thérapeutiques de taille pour les
cliniciens qui les reçoivent. Une majorité de ces enfants démontrent des tableaux
cliniques atypiques, évoquant la présence de plusieurs catégories diagnostiques et
comportant des difficultés d’ordres et d’origines multiples (par exemple,
psychologiques, neurodéveloppementales, comportementales, génétiques et
environnementales), souvent difficiles à distinguer.

À ces difficultés s’ajoute chez certains d’entre eux la présence d’expériences 4


traumatiques, qu’elles résultent d’événements de vie ayant fait effraction ou de liens
d’attachement marqués par les discontinuités, l’abus ou la négligence. L’exploration
de ces situations révèle généralement chez leurs parents des histoires de vie
difficiles, empreintes elles aussi d’expériences traumatiques avec lesquelles plusieurs
ont dû composer au mieux, sans le soutien d’un thérapeute. La mise en lumière de la
transmission intergénérationnelle de ces histoires traumatiques permet bien
souvent de constater la présence de fantômes qui rôdent dans la chambre de l’enfant
(Fraiberg, Adelson, & Shapiro, 1975) et hantent la psyché de bon nombre de nos
jeunes patients et de leurs parents. Puisqu’ils impliquent de s’y confronter à nouveau,
l’abord des violences et des traumas qu’ont subis ou subissent toujours les enfants et
les parents que nous recevons ainsi que la construction graduelle de récits qui en
témoignent tendent à générer chez eux d’importantes réticences. Ils ont donc besoin
d’être accompagnés par un thérapeute sensible, capable de recevoir le récit de ces
expériences ainsi que de leurs implications afin de prendre le risque de les penser. La
force de sidération que peuvent exercer l’écoute et l’accueil de tels récits ainsi que les
sentiments d’impuissance, de colère ou de désolation qu’ils peuvent susciter chez les
cliniciens sont toutefois à risque de compromettre leur capacité à le faire.

Malgré la diversité des profils cliniques et des histoires de vie des enfants que nous 5
recevons, nous remarquons chez plusieurs d’entre eux la présence de difficultés
similaires sur le plan de leur capacité de mentalisation ainsi qu’au niveau des
aptitudes sur lesquelles se fonde son développement. Bon nombre de ces enfants ont
du mal à identifier et à exprimer ce qui les habite, le recours aux mots et au jeu
symbolique n’offrant qu’un soutien limité à cette expression. Chez plusieurs d’entre
eux, les capacités d’autorégulation s’avèrent généralement insuffisantes pour qu’ils

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soient en mesure de porter et de maintenir leur attention sur une tâche ou encore
pour contenir leurs émotions de manière à éviter qu’elles ne donnent lieu à des crises
ou des désorganisations. Conséquemment, nous observons chez de nombreux
enfants qui consultent au sein de notre service un fonctionnement psychique et
relationnel sous le primat de l’agir et de la décharge physique plutôt que de la parole,
de la pensée et de la symbolisation.

Face à de telles difficultés, les traitements psychothérapeutiques traditionnellement 6


privilégiés (qu’ils se situent du côté d’une allégeance psychodynamique ou cognitivo-
comportementale) se sont avérés peu adaptés ou, du moins, avoir une portée limitée
puisque s’appuyant sur un équipement psychique que ces enfants, et bien souvent
leurs parents, n’ont pas suffisamment pu développer. En effet, alors que les premiers
tendent à éprouver des difficultés à reconnaître chez eux l’existence même d’une
expérience subjective qui leur est propre, les seconds peinent à soutenir le
développement de cette capacité chez leur enfant, étant eux-mêmes peu outillés pour
le faire. Ainsi, un travail thérapeutique centré principalement sur la mise en lumière
des conflits insconscients, sur l’analyse de leurs manifestations symboliques
surgissant dans le jeu et les dessins de l’enfant ainsi que sur l’interprétation du sens
qu’ils prennent au sein de sa dynamique affective représente bien souvent un coup
d’épée dans l’eau.

Ce manque d’accordage entre les besoins des enfants et de leurs parents d’une part et 7
les traitements thérapeutiques disponibles d’autre part a eu pour effet de confronter
les cliniciens à des impasses thérapeutiques (par exemple, absence de changement
au niveau du fonctionnement de l’enfant, persistance des symptômes, impression
des parents d’être incompris dans leur demande). De telles situations ont parfois
donné lieu à des fins de traitement abruptes et prématurées ainsi qu’à des
sentiments d’impuissance, de frustration et de découragement, et ce tant chez les
patients que chez les cliniciens.

La consultation en clinique pédopsychiatrique s’inscrit par ailleurs dans un contexte 8


de vie plus vaste au sein duquel évoluent l’enfant et ses parents. Ce contexte les
soumet à des exigences générant bien souvent un important stress chez les parents.
Ils peuvent se sentir bousculés, voire démunis face à l’insistance dont peuvent faire
preuve les différents milieux de vie de l’enfant (par exemple, la garderie, l’école, les
loisirs) quant à la nécessité de changements rapides et marqués chez ce dernier.
Lorsque ces difficultés prennent la forme de comportements dérangeants et
désorganisants pour un groupe, leur apaisement devient fréquemment une
condition sine qua non pour maintenir l’enfant au sein des milieux qu’il fréquente. En
effet, ces milieux fonctionnant souvent avec des ressources restreintes, leur capacité
à composer avec les difficultés persistantes d’un enfant, les besoins particuliers

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qu’elles impliquent et la désorganisation qu’elles peuvent occasionner demeure


limitée.

L’urgence de trouver des solutions rapides qui permettent une accalmie des 9
symptômes est donc à risque de donner lieu à une escalade sur le plan de l’utilisation
des psychotropes. Malgré son apport indéniable dans plusieurs situations cliniques,
la médication peut alors devenir la seule avenue de traitement envisageable afin de
contenir les crises, les comportements agressifs et désorganisants de l’enfant. Le
risque d’une surmédication de l’enfant est donc bien réel.

Le travail des cliniciens œuvrant en pédopsychiatrie implique de transiger avec de 10


nombreux paramètres différents. À ces éléments s’ajoute la nécessité de composer
avec les exigences de productivité et d’efficacité qu’impose un système de santé
fonctionnant à l’image du rythme accéléré caractéristique de notre époque.
L’adoption d’un tel mode de fonctionnement tend à priver les cliniciens de moments
ainsi que de lieux d’échanges et de réflexion nécessaires pour être en mesure de
penser les difficultés des enfants et des parents qui les consultent. Ce contexte tend
également à occulter l’importance du travail d’équipe ainsi que des liens de
collaboration entre les différents cliniciens d’un réseau de soins intervenant auprès
d’une famille, des liens rendus possibles grâce à l’opportunité de construire et de
partager une compréhension commune. C’est pourtant la présence d’une vision
éclairée et concertée, portée par une équipe et un réseau de soins cohésifs qui permet
d’offrir une prise en charge cohérente aux familles et d’instaurer avec elles un climat
de sécurité affective propice au développement d’un sentiment de confiance. Et ce
n’est qu’à ce prix qu’un réel travail thérapeutique, porteur de sens et changements,
peut advenir.

C’est cette conjoncture qui nous a incités à repenser nos pratiques et à revoir les 11
modalités de traitement à privilégier auprès de cette population afin de mieux tenir
compte de sa réalité clinique et de ses besoins. La notion de mentalisation, élaborée
par Peter Fonagy et Mary Target au cours des années 1990 (Fonagy, 1991 ; Fonagy &
Target, 1996 ; Target & Fonagy, 1996), nous est apparue porteuse d’avenues
thérapeutiques fort prometteuses. L’étude des travaux traitant du développement de
la mentalisation chez l’enfant et de ses implications sur son fonctionnement
psychique et relationnel [2], la lecture approfondie des écrits consacrés aux
traitements basés sur la mentalisation (TBM) pour les adultes, initialement
développés par Bateman et Fonagy et ensuite par d’autres (Allen, Fonagy, &
Bateman, 2008c ; Bateman & Fonagy, 2012, 2019), ainsi que l’adaptation et
l’application graduelle de leurs grands principes nous ont permis d’en mesurer la
pertinence pour la pratique pédopsychiatrique.

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Par ailleurs, les travaux de l’équipe de Verheugt-Pleiter (2008) introduisant, au sein 12


de traitements psychanalytiques offerts aux enfants, des interventions visant à
soutenir le développement de la mentalisation (Verheugt-Pleiter, Zevalkink, &
Schmeets, 2008) et surtout, ceux de Midgley et ses collègues proposant un traitement
basé sur la mentalisation à court terme pour les enfants d’âge scolaire (Midgley,
Ensink, Lindqvist, Malberg, & Muller, 2017c) se sont avérés des plus utiles au
développement et à la mise en place des modalités d’évaluation et d’interventions
que nous présentons ici. Notre travail emprunte beaucoup à leurs apports respectifs.

Ainsi, ces nouvelles façons de faire que nous proposons situent l’intervention 13
thérapeutique en amont du travail traditionnellement réalisé auprès des patients.
Plutôt que de se centrer sur la mise au jour et l’analyse des conflits inconscients de
l’enfant, le thérapeute cherche à le sensibiliser à l’existence, chez lui et chez les
autres, d’un monde interne fait d’états mentaux (par exemple, pensées, intentions et
émotions) qui motivent les comportements de chacun et teintent la nature de leurs
interactions. Le clinicien vise également à stimuler, chez l’enfant, une curiosité à cet
égard afin de générer chez lui un intérêt pour ce qui l’habite et ce qui habite autrui.
Nous constatons que cette réorientation du travail thérapeutique vers les processus
de pensée qui sous-tendent la possibilité même de réfléchir aux contenus
conflictuels, aux sens qu’ils prennent et aux défenses qu’ils mobilisent s’avère
essentielle afin de permettre à plusieurs enfants que nous recevons de développer
graduellement les habiletés qui leur permettront d’y arriver. Ce changement de
paradigme nécessite l’adoption d’une posture différente de la part du clinicien qui se
doit d’être plus actif afin de soutenir le déploiement des processus de réflexion chez
l’enfant.

Parmi les réorientations qu’implique l’instauration de traitements visant le 14


développement et le déploiement de la mentalisation de l’enfant, la place offerte aux
parents au sein du processus thérapeutique est primordiale. Comme nous le verrons,
le développement de cette capacité chez l’enfant demeure largement tributaire des
relations précoces parents-enfant. Le travail réalisé auprès des parents visant à
aiguiser leur sensibilité au monde interne de leur enfant ainsi qu’à soutenir leur
capacité à bien distinguer ce qui relève des subjectivités de chacun s’avère essentiel
afin que l’enfant puisse éventuellement développer ces mêmes habiletés. Le
thérapeute se doit donc d’avoir une compréhension particulièrement approfondie de
l’expérience subjective des parents et de celle de l’enfant afin de saisir la nature des
difficultés d’accordage parents-enfant et de pouvoir intervenir d’une façon précise à
cet égard. Lorsque ce travail permet de mettre en lumière chez les parents la
présence d’une histoire de vie marquée par des traumas relationnels, l’amorce de
l’intervention thérapeutique devient pour certains d’entre eux l’occasion

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d’entreprendre un travail de renoncement dont tous les membres de la famille


pourront éventuellement bénéficier.

Au-delà de ces considérations, nous observons que cette place offerte aux parents 15
nous permet de leur transmettre, explicitement, l’importance que nous accordons à
leur apport dans la possibilité d’intervenir de manière utile auprès de leur enfant.
Elle nous permet également de valider leur demande de soutien, de valoriser leur
désir d’aider leur enfant ainsi que leur engagement dans une telle démarche. Et, ce
faisant, de mobiliser leurs ressources.

Le livre

Ce livre est le fruit du travail de plusieurs cliniciens et cliniciens-chercheurs de 16


formations et d’horizons divers. Nous avons rassemblé les expertises variées de
psychologues, psychiatres, travailleuse sociale œuvrant en milieu pédopsychiatrique
ou auprès d’enfants ayant subi de graves traumas.

Le livre est divisé en sept chapitres. Le premier propose une introduction à la notion 17
de mentalisation, à ses différentes facettes ainsi qu’à ses principaux repères
développementaux, qu’ils se situent du côté du développement normal ou
pathologique. Ce chapitre aborde également divers facteurs influençant son
développement et son déploiement ainsi que les fondements sur lesquels elle se
construit. Une attention particulière est portée aux éléments clés qui nous semblent
au cœur du travail thérapeutique axé sur la mentalisation et réalisé auprès des jeunes
enfants ainsi qu’auprès de leurs parents.

Le deuxième chapitre aborde l’évaluation de la capacité de mentalisation chez 18


l’enfant et chez les parents. S’appuyant sur les différents éléments présentés dans le
chapitre précédent, il propose une série d’indicateurs cliniques permettant de les
documenter chez l’enfant et chez les parents. C’est à travers la mise en place d’une
pluralité de modalités évaluatives individuelles, familiales et groupales, combinées
en fonction des particularités des situations cliniques, qu’il est possible de le faire. À
ces modalités s’ajoute le recours à divers outils d’évaluation qui sont également
présentés.

Les cinq chapitres suivants présentent les différentes modalités d’intervention 19


offertes aux enfants et à leurs parents afin de soutenir le développement et le
déploiement de leur capacité à mentaliser. Ils introduisent respectivement le travail
thérapeutique réalisé auprès des parents, auprès des dyades parent-enfant et des
familles, auprès de l’enfant lui-même en contexte individuel ainsi qu’en contexte de

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groupe. Les spécificités propres à ces diverses modalités thérapeutiques sont


présentées. Elles concernent les objectifs visés par chacune d’elles, les particularités
du cadre thérapeutique mis en place, la posture et les attitudes adoptées par le
thérapeute ainsi que les techniques d’intervention préconisées. Étant donné
l’importance que nous accordons au travail accompli avec les parents, les chapitres
consacrés aux interventions réalisées auprès d’eux (chapitre 3) ainsi qu’auprès des
dyades et des familles (chapitre 4) sont introduits avant les chapitres traitant du
travail réalisé directement auprès de l’enfant (chapitres 5, 6 et 7). Soulignons enfin
que deux de ces chapitres (chapitres 6 et 7) sont consacrés à l’intervention de groupe,
le premier introduisant les particularités du cadre conceptuel sous-tendant la mise
en place de ce type d’interventions et le second illustrant diverses modalités de
traitement de groupe, certaines offertes aux enfants et une aux parents.

Ce livre est le premier ouvrage, publié en français, consacré aux applications 20


cliniques de la mentalisation au travail thérapeutique réalisé auprès d’enfants et de
leurs parents. Il s’agit d’un ouvrage essentiellement clinique, témoignant de nos
pratiques actuelles auprès de très jeunes enfants, d’enfants d’âge préscolaire et
scolaire ainsi qu’auprès de leurs parents en contexte pédopsychiatrique. Une large
place est faite au travail réalisé auprès des très jeunes enfants, de ceux d’âge
préscolaire et de leurs parents, une population avec laquelle plusieurs d’entre nous
avons développé une expertise au cours des années.

Nous avons conçu ce livre de manière à éclairer les notions clés qui sont au cœur d’un 21
travail thérapeutique axé sur la mentalisation. L’introduction de nombreuses
illustrations cliniques vise principalement à expliciter la manière dont ces notions
théoriques éclairent la compréhension des difficultés des enfants et de leurs parents,
mais aussi à démontrer qu’elles sont aux fondements des interventions
thérapeutiques. Nous avons également cherché à dégager les principes directeurs
orientant le travail thérapeutique axé sur le développement de la mentalisation, et ce
peu importe la forme qu’il prend ; nous pensons qu’ils peuvent être adaptés à des
contextes thérapeutiques variés auprès des enfants et de leurs parents.

Cet ouvrage se veut donc un guide pour accompagner les cliniciens œuvrant auprès 22
d’enfants et de parents qui présentent une diversité de difficultés et de
psychopathologies plutôt qu’un manuel de traitement. S’il se concentre sur la notion
de la mentalisation, nous la considérons comme une dimension, certes fort
importante, mais s’inscrivant parmi une multitude de dimensions et de facteurs
influençant le fonctionnement de la psyché humaine. Il importe donc de souligner
que c’est à la subjectivité globale de l’individu, à sa vision du monde, à sa façon de se
percevoir, d’entrer en relation et de s’inscrire dans ses différents milieux de vie que
nous nous intéressons. Nous pensons qu’une capacité à mentaliser sa propre

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subjectivité et celle d’autrui permet à l’individu d’enrichir son regard sur lui-même et
sur le monde.

L’expérience clinique des dernières années au cours desquelles nous avons 23


graduellement introduit les principes de la TBM dans nos pratiques s’est avérée très
fructueuse pour le travail thérapeutique et gratifiante pour les cliniciens. Nous
espérons que le témoignage que nous en faisons à travers cet ouvrage saura susciter
l’intérêt des cliniciens et cliniciens en devenir, éclairer et soutenir le travail si
important que représente la rencontre entre le clinicien et les patients, petits et
grands, souffrants et en demande d’aide.

Notes

[1] Certains éléments de cette réflexion ont été présentés dans le cadre d’un article
rédigé en collaboration avec notre collègue M. M. Terradas, publié chez Filigrane
en 2015 ; nous les remercions d’avoir accepté qu’ils soient repris ici.

[2] Pour une présentation détaillée de ces écrits, voir Allen, Fonagy et Bateman
(2008c).

Plan
À l’origine de ce projet

Le livre

Auteurs

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Julie Achim

Psychologue clinicienne et professeure agrégée au Département de psychologie de


l’Université de Sherbrooke (Canada). Elle enseigne l’évaluation et la psychothérapie aux
programmes de doctorat spécialisés en enfance et en adolescence qu’elle a contribué à
mettre en place. Elle est également professeure associée au Département de psychiatrie et
d’addictologie de l’Université de Montréal et chercheuse associée au Centre de recherche
du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-
Montréal (CIUSSS NIM, Canada). Ses travaux de recherche concernent principalement la
transition à la maternité, les relations précoces parents-enfants, leurs liens à l’adaptation
et à la psychopathologie chez l’enfant et ses parents ainsi que la capacité de mentalisation
et ses applications psychothérapeutiques.

Alain Lebel

Psychiatre d’enfants et d’adolescents à la clinique de pédopsychiatrie de l’Hôpital en Santé


Mentale Albert-Prévost du CIUSSS NIM, professeur agrégé de clinique au Département de
psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal et chercheur associé au Centre de
recherche du CIUSSS NIM (Canada). Il pratique la psychanalyse auprès d’adultes et la
psychothérapie auprès d’enfants et d’adolescents depuis de nombreuses années. Il s’est
spécialisé dans l’intervention clinique auprès des très jeunes enfants et de leurs parents.
Le travail en institution l’a amené à s’intéresser aux approches psychothérapeutiques
soutenant la capacité de mentalisation d’enfants présentant d’importantes difficultés ainsi
que celle de leurs parents.

Karin Ensink

Professeure titulaire à l’École de psychologie de l’Université Laval (Canada) où elle


enseigne la psychologie clinique au secteur enfance et adolescence. Elle a réalisé son
doctorat en psychologie sous la direction de Mary Target et Peter Fonagy à l’University
College of London (Royaume-Uni). Elle est internationalement reconnue comme experte
et formatrice dans le domaine du développement de la mentalisation chez l’enfant et
l’adolescent. Elle est l’une des auteurs du livre Mentalization Based Treatment for Children et
superviseure invitée pour la série de vidéos portant sur la mentalisation de l’APA. Elle est
superviseure et formatrice des thérapies basées sur la mentalisation. Ses travaux de
recherche portent notamment sur la fonction réflexive de mères de jeunes enfants.

Mis en ligne sur Cairn.info le 15/10/2021


https://doi-org.lama.univ-amu.fr/10.3917/dbu.achim.2020.01.0023

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Chapitre 1. Qu’est-ce que mentaliser et comment se


développe cette capacité ?
Julie Achim, Alain Lebel, Karin Ensink
Dans Mentaliser en contexte pédopsychiatrique (2020),
pages 31 à 54

Chapitre

Introduction

L es approches psychothérapeutiques se développent en prenant appui sur des


concepts théoriques existants qui, revus sous un angle différent, impliquent bien
souvent une redéfinition des notions clés afin de constituer un langage commun.
1

Il en est ainsi pour la notion de mentalisation et ses applications cliniques, qui


intègrent différents concepts issus de la psychanalyse ou de la psychologie
développementale. Pensons notamment aux notions de holding et de fonction miroir
introduites par Winnicott (1960, 1971a), à la fonction contenante et à la rêverie
maternelle de Bion (1962/1979) ainsi qu’à la constitution de la peau psychique et aux
angoisses primitives élaborées par Bick (1963/1987, 1967/1987, 1986/1987). Pensons
aussi à la sécurité de l’attachement proposée par Ainsworth, Blehar, Waters et Wall
(1978), à l’accordage affectif et au développement du self subjectif de Stern (1985) ou
encore à la notion de zone proximale de développement de Vygotsky (1978). Ces
diverses notions se retrouvent en filigrane du modèle de compréhension proposé par
Fonagy et ses différents collaborateurs.

Divers ouvrages introduisant avec éloquence et pédagogie la notion de 2


mentalisation, ses composantes et précurseurs, son développement normal et

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Chapitre 1. Qu’est-ce que mentaliser et comment se développe cette cap... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

pathologique, les facteurs y contribuant ainsi que ses applications cliniques sont
maintenant disponibles [1]. Nous reprenons ici les principaux éléments de définitions
et jalons développementaux de cette notion afin d’y introduire le lecteur [2], tout en
portant une attention particulière aux aspects qui représentent, à notre avis, des
éléments clés sur lesquels se fonde le travail thérapeutique auprès des jeunes enfants
et de leurs parents en contexte pédopsychiatrique.

Mentaliser : un élément essentiel pour se penser et


penser autrui

La mentalisation désigne la capacité à percevoir et à interpréter son propre 3


comportement et celui d’autrui en termes d’états mentaux (Allen, Fonagy, &
Bateman, 2008b). Ceci implique de concevoir que, tout comme soi, les autres
possèdent un monde interne constitué d’affects, besoins, désirs, pensées, intentions
et motivations qui leur sont propres et qui sont à l’origine de leurs comportements.
La mentalisation réfère ainsi à la capacité à considérer les états mentaux comme
appartenant à la réalité interne, donc subjective d’un individu, plutôt qu’à une réalité
objective et objectivable (Fonagy & Target, 1996). Elle implique également que
l’individu conçoive que la subjectivité d’autrui lui échappe et qu’elle ne peut lui être
réellement accessible que si l’autre consent à lui partager ce qui l’habite. Ainsi,
l’individu est conscient de l’opacité de l’esprit de l’autre, c’est-à-dire qu’il est en mesure
de garder en tête que la signification qu’il attribue aux conduites d’autrui demeure
une hypothèse issue de sa propre expérience de l’autre et des indices contextuels qu’il
perçoit et interprète (Fonagy, Bateman, & Luyten, 2012). Lorsque l’individu peut
considérer une situation à partir de différents points de vue et perspectives, il est
aussi en mesure de tolérer un certain doute quant à l’exactitude des hypothèses qu’il
s’est construites afin de s’expliquer les comportements d’autrui et de se montrer
intéressé à les valider auprès de lui.

Cette aptitude confère donc à l’individu une flexibilité lui permettant d’envisager que 4
différentes motivations ou émotions puissent donner lieu à un large éventail de
comportements. Comme le proposent Allen et ses collègues (2008b), mentaliser
permet de garder l’esprit de l’autre à son esprit ou encore de se percevoir de l’extérieur tout
en percevant l’autre de l’intérieur.

Les différentes dimensions de la capacité à mentaliser : une


conceptualisation en quatre axes
Fonagy et al. (2012) ont proposé de concevoir la capacité de mentalisation à partir de 5

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Chapitre 1. Qu’est-ce que mentaliser et comment se développe cette cap... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

quatre grands axes – ou dimensions – qui traduisent ses différentes facettes. Chacun
de ces axes est conçu comme un continuum bipolaire où des pôles opposés sont
identifiés et où le centre est envisagé comme une posture équilibrée. Ainsi, un
individu capable de bien mentaliser se situerait généralement au centre de ces
différents axes et serait en mesure de considérer de façon simultanée les deux pôles
d’une même dimension (Allen et al., 2008b ; Fonagy & Bateman, 2019 ; Debbané,
2016b). À l’opposé, un individu se retrouvant à l’extrémité de l’un ou de plusieurs axes
éprouverait des difficultés à mentaliser ce qui relève du pôle opposé ; cette tendance
excentrée indiquerait un manque de flexibilité. Néanmoins, tout individu, puisque
porteur de ses expériences relationnelles précoces ou actuelles et de sa génétique,
oscillerait invariablement sur chacun de ces axes de manière plus ou moins
importante, en fonction de l’état d’esprit dans lequel il se trouve (Debbané, 2016b).

La première dimension, celle concernant la mentalisation implicite ou automatique et la 6


mentalisation explicite ou contrôlée, est une réponse comportementale à une action
mentale reposant principalement sur la vitesse du processus d’observation et de
décodage de caractéristiques non verbales liées à l’expression corporelle. De façon
plus précise, le pôle implicite ou automatique suppose des mécanismes de réponse
rapides, non réfléchis, souvent intuitifs, qui peuvent être conçus comme des réflexes.
Ces réflexes permettent de fournir des réactions quasi automatiques qui
n’impliquent pas un processus réflexif sophistiqué. À l’inverse, l’aspect explicite ou
contrôlé du processus exige un effort d’attention et de réflexion important de la part
de l’individu pour chercher à comprendre l’état émotionnel de l’autre et l’interpréter.

Nous savons maintenant que sur le plan évolutif, les régions plus anciennes du 7
cerveau (par exemple, l’amygdale) génèrent des réactions émotionnelles favorisant la
survie et servent les processus automatiques en situation de stress (Debbané & Nolte,
2019 ; Luyten & Fonagy, 2015). Les processus contrôlés sont quant à eux gérés par des
zones cérébrales d’évolution plus récente (par exemple, cortex préfrontal) qui se
désorganisent face à des surcharges affectives. Ceci rend cette dimension
particulièrement sensible aux stress environnants. Si certains individus arrivent à
s’adapter rapidement à de tels stress par eux-mêmes, un retour à l’équilibre ainsi que
la possibilité de retrouver leurs capacités à réfléchir et à s’autoréguler nécessitent
plus de temps pour d’autres personnes. Par conséquent, il est possible de croire qu’un
parent ayant eu la chance de grandir dans un milieu stable et sécurisant n’offrira pas
à son enfant les mêmes réponses, qu’elles soient implicites ou explicites, qu’un autre
parent ayant évolué dans un milieu instable, marqué par des traumas relationnels et
des placements en famille d’accueil.

La seconde dimension, soit l’axe centré sur les caractéristiques internes vs sur les 8
caractéristiques externes, suppose de s’intéresser à la nature des informations qui sont

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Chapitre 1. Qu’est-ce que mentaliser et comment se développe cette cap... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

prises en compte dans la construction d’un sens attribué aux comportements,


qu’elles proviennent de soi ou d’autrui. Le pôle interne implique la considération de
contenus invisibles propres à l’expérience intérieure (par exemple, des pensées, des
émotions ou des intentions) alors que le pôle externe réfère plutôt à la prise en
compte d’indices manifestes tels que des actions ou des éléments du contexte
environnant (Debbané, Fonagy, & Badoud, 2016).

Le travail clinique auprès des enfants et de leurs parents nous a permis de constater 9
que ces deux premières dimensions se trouvent particulièrement sollicitées chez les
parents de jeunes enfants qui doivent continuellement interpréter les signaux non
verbaux de leur enfant dès la naissance, et ce jusqu’à ce qu’un langage suffisamment
élaboré pour permettre l’expression des besoins et affects apparaisse. Certains
parents démontrent une aisance à imaginer les désirs ou les besoins de leur enfant
(caractéristiques internes) et à exprimer ce qu’ils croient avoir saisi (mentalisation
explicite) alors qu’un tel exercice s’avère ardu pour d’autres. Certains démontrent
plutôt une facilité à être sensible aux expressions du visage ou aux postures de leur
enfant, aux stimuli sonores qui l’auraient probablement fait réagir (caractéristiques
externes) et à s’y ajuster, sans même en être conscient (mentalisation implicite) alors
que d’autres ne tendront pas à y porter attention de façon naturelle. Certains
parents, plus démunis sur le plan relationnel, éprouveront des difficultés à tous ces
égards et nécessiteront d’être guidés et soutenus afin de développer une sensibilité à
ces différents signaux pour y répondre adéquatement. Ce modèle de compréhension
fournit un cadre intéressant afin de mieux saisir le sens que prennent les plaintes de
certains parents devant la difficulté qu’ils éprouvent à s’occuper de leur très jeune
enfant qui ne parle pas encore, les obligeant ainsi à se fier à ce qu’ils observent chez
lui ou dans son environnement pour enrichir ce qu’ils imaginent que l’enfant
ressent.

La troisième dimension concerne les aspects cognitif et affectif de la mentalisation. Elle 10


fait appel aux processus priorisés dans le traitement de l’information. Le pôle cognitif de la
mentalisation implique la prise en compte des états mentaux à teneur cognitive (par
exemple, les intentions, les croyances ou les pensées) dans l’élaboration d’hypothèses
visant à expliquer le comportement, qu’il soit le sien ou celui d’autrui. Le pôle affectif
réfère plutôt à la considération des affects dans l’élaboration de telles hypothèses.
L’intégration de ces deux pôles permet à l’individu de mentaliser pleinement ou,
pour le dire autrement, de sentir ce qu’il comprend (Debbané, 2016b) et de penser ce qu’il
ressent, une traduction libre de l’expression thinking about feelings initialement
proposée par Jurist (2005). Les difficultés à intégrer ces deux pôles peuvent prendre
diverses formes. Parmi elles, pensons à la rigidité cognitive que démontre le parent
qui s’agrippe à une seule et même idée pour expliquer le comportement de son

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Chapitre 1. Qu’est-ce que mentaliser et comment se développe cette cap... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

enfant ou encore qui y répond de façon purement émotive et irrationnelle, étant trop
débordé par les affects pour considérer toute logique. Ces phénomènes s’observent
fréquemment au sein de la relation parent-enfant. L’expérience clinique nous a
permis de constater des phénomènes de contagion émotionnelle chez nos patients. Par
exemple, face à la détresse de son enfant, le parent peut répondre par une réaction de
surprotection afin d’éviter de ressentir sa propre détresse et d’être emporté par elle
(déséquilibre vers le pôle affectif). De tels phénomènes peuvent être exacerbés par la
vulnérabilité du nourrisson ou du jeune enfant relative à son immaturité
développementale et à laquelle les parents sont particulièrement sensibles. À
l’inverse, le parent peut avoir tendance à minimiser les affects de l’enfant ou à les
traiter de manière rationnelle (déséquilibre vers le pôle cognitif), alléguant par
exemple que l’enfant ne ressent pas les choses parce qu’il est trop jeune pour
comprendre ou qu’il les oubliera avec l’âge.

Enfin, la quatrième dimension traite de la mentalisation de soi vs la mentalisation 11


d’autrui. C’est donc l’objet de la mentalisation qui s’avère central au sein de cet axe. Le
pôle soi réfère à la capacité de l’individu à reconnaître chez lui la présence d’états
mentaux, à les identifier et à en tenir compte afin de s’expliquer son comportement
ou ses réactions alors que le pôle autrui concerne le déploiement de cette même
capacité, mais à l’égard du monde interne de l’autre. Une différenciation soi-autrui
suffisante représente donc un acquis préalable à la prise en compte simultanée des
perspectives de chacun. L’individu qui mentalise bien devrait être en mesure de se
percevoir avec une certaine distance ou objectivité puis de se reconnaître, du moins
partiellement, à travers ce que les autres perçoivent de lui. Il devrait également être
capable de se représenter l’autre comme étant habité par des états mentaux et
s’intéresser à ce qu’il vit pour tenter de saisir le sens de son comportement. Si
certains montrent une grande aisance à reconnaître leur monde interne (soi), mais
éprouvent plus de difficultés à faire de même lorsque confronté aux comportements
et réactions d’autrui (autrui), d’autres démontrent des compétences et des difficultés
inverses. Les personnes chez qui la différenciation de leurs états mentaux et de ceux
d’autrui s’avère plus fragile sont à risque d’être submergées par l’expérience de
l’autre puisqu’elles ne peuvent la tenir suffisamment à distance. Ces personnes
peuvent également prêter aux autres des états mentaux – notamment des intentions
ou des affects – qui ne leur appartiennent pas. En contexte pédopsychiatrique, la
prise en compte des forces et des faiblesses de chacun sur cet axe ainsi que les écarts
entre les perceptions des différents membres d’une famille qui en résultent
permettent au thérapeute de s’attarder aux malentendus qui peuvent être à la source
de difficultés relationnelles, puis de chercher à les résoudre.

Il va sans dire que le processus de différenciation soi-autrui est au cœur du monde 12

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relationnel et du travail psychothérapeutique réalisé auprès des enfants consultant


en pédopsychiatrie et de leurs parents. L’expérience clinique nous permet de
constater que l’indifférenciation représente l’une des problématiques les plus
fréquemment rencontrées au sein des dyades parent-enfant en difficulté consultant
au sein de nos services. Bien que ce manque de différenciation soit parfois au reflet
du niveau développemental atteint par le jeune enfant, il résulte habituellement de
difficultés à départager ce qui appartient aux parents et à leur enfant, leurs liens
étant tissés de façon très (trop) étroite ou les uns faisant l’objet des projections des
autres. Slade (2007) souligne que c’est la capacité grandissante du parent à
considérer son enfant comme un être distinct, habité de pensées et de sentiments
bien à lui qui est au cœur de la possibilité qu’adviennent des changements sur le plan
de la relation parent-enfant, mais aussi, sur le plan des liens qu’entretient l’enfant
avec autrui. C’est également ce que nous constatons.

Debbané (2016b) propose d’utiliser cette conceptualisation de la mentalisation en 13


quatre axes comme un outil d’évaluation permettant d’organiser les informations
recueillies auprès du patient. Cette boussole clinique permettrait au clinicien de se
repérer face aux questions suivantes : Quels types de processus (implicites et/ou
explicites) sont mobilisés de façon prédominante lorsque ce patient mentalise ?
Quelles sont les caractéristiques (internes et/ou externes) qui lui sont utiles pour y
arriver ? De quelle nature sont les contenus (affects et/ou cognitions) auxquels il
s’intéresse de façon prioritaire et quels sont les objets de sa réflexion (lui-même et/ou
autrui) ? De telles informations permettent d’identifier les patterns privilégiés par
l’individu. Par exemple, a-t-il tendance à se centrer davantage sur les affects au
détriment des cognitions ? Est-il davantage tourné vers la compréhension de l’autre ?
Éprouve-t-il plus de difficultés à s’intéresser à ce qui l’habite ? Quelles sont les
sphères lacunaires ou qui représentent un défi pour lui ?

Considérés dans leur ensemble, ces différents axes représentent donc une matrice 14
permettant de dégager une compréhension globale de la capacité à mentaliser de
l’individu ainsi qu’un profil spécifique de ses forces et de ses lacunes (Fonagy et al.,
2012). Cette matrice permet également de cerner avec plus de précision certaines
cibles d’interventions et d’identifier différentes portes d’entrée vers les forces et les
zones déficitaires du patient. Elle offre ainsi un espace créatif au thérapeute qui peut
choisir une voie plutôt qu’une autre à un moment précis du processus thérapeutique.
Dans le cadre du travail que nous réalisons auprès des enfants et de leurs parents, ces
cibles d’intervention sont généralement envisagées d’un point de vue relationnel, et
ce peu importe la modalité thérapeutique (dyadique, familiale, individuelle ou
groupale) qui est privilégiée. Les différents chapitres qui suivront en feront la
démonstration.

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Les fluctuations de la capacité à mentaliser : le rôle de


l’activation émotionnelle et du stress
Outre l’aisance variable que démontre l’individu à naviguer sur les différentes 15
dimensions de la mentalisation et à considérer de façon équilibrée les éléments
propres à chacun des pôles de ces dimensions, le stress et l’activation émotionnelle
peuvent également avoir une incidence plus ou moins grande sur la capacité de
l’individu à mentaliser.

Fonagy et ses collaborateurs (2012) insistent sur le fait qu’en contexte de grand stress 16
où l’individu se sent menacé par un danger, sa capacité à mentaliser se désactive
pour faire place à des mécanismes plus primitifs, activés par son système nerveux
sympathique. Ces mécanismes sont au service de sa survie et exigent de la part de
l’individu qu’il agisse rapidement. Il en est de même pour les stress relationnels.
Debbané (2016a) explique ainsi le rôle de l’activation du système d’attachement (ou
arousal) au sein de ces fluctuations : le système d’attachement est un moyen
d’adaptation qui demeure au repos s’il n’y a pas de menace relationnelle, mais qui
s’active chaque fois qu’une crainte de perdre un lien significatif est ressentie. Ainsi,
lorsque confronté à des conflits relationnels ou encore à des ruptures de liens
significatifs, il devient difficile pour l’individu d’avoir accès à sa pleine capacité à
réfléchir et à envisager différentes perspectives de façon nuancée, en tenant compte
de différents paramètres. S’il est tout à fait normal de constater de telles variations
ou désactivations temporaires de la capacité à mentaliser chez l’individu en contexte
de stress, leur récurrence et leur persistance peuvent témoigner de la présence de
déficits ou de lacunes avérées sur le plan des processus de mentalisation de façon
générale (Fonagy et al., 2012).

Ces considérations ont une incidence majeure sur le travail thérapeutique qui n’est 17
possible que si cette activation du système d’attachement est constamment
monitorée (Debbané et al., 2016). En effet, le maintien d’un niveau d’activation
affective optimal, c’est-à-dire ni trop grand pour empêcher la réflexion ni trop faible
pour compromettre la mobilisation du patient, ainsi que d’un sentiment de sécurité
au sein de la relation thérapeutique s’avère primordial afin d’être en mesure de
travailler la capacité de mentalisation des patients. Un tel monitorage peut parfois
représenter tout un défi pour le thérapeute d’enfants qui doit réguler simultanément
l’état affectif de l’enfant et celui des parents tout en demeurant lui-même régulé face
à l’activation des patients.

Le développement de la capacité à mentaliser : un


processus relationnel complexe et multifactoriel

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Bien que l’enfant possède une certaine prédisposition innée à mentaliser, plusieurs 18
facteurs interviennent dans le développement de cette capacité chez lui. Alors que
certains relèvent de la relation parent-enfant (par exemple, le style d’attachement
parent-enfant), d’autres concernent plutôt le parent (pensons notamment à sa
disponibilité affective et à sa propre capacité à mentaliser son enfant), l’enfant (par
exemple, son tempérament, son intelligence et le développement de son langage) ou
encore le contexte de vie au sein duquel ils évoluent. C’est l’interaction de ces
différents facteurs qui déterminera la nature des forces et des lacunes qui
caractériseront la capacité à mentaliser que présentera éventuellement l’enfant, puis
l’adulte qu’il deviendra. Nous aborderons ici ces principaux facteurs.

L’apport fondateur du lien d’attachement parent-enfant et de


la sensibilité parentale
Le processus par lequel la capacité de mentalisation se développe a longuement été 19
décrit par Fonagy et Target à travers une série d’articles phares publiés entre 1995 et
2007 (nous référons ici aux articles Playing with Reality I, II, III et IV), en s’appuyant
notamment sur les travaux de Winnicott (1965/1983) qui insistait sur l’importance
pour l’enfant de pouvoir compter sur un environnement stable et prévisible ainsi que
sur des parents (mère) suffisamment bons. En effet, la capacité de l’enfant à réfléchir à
ses propres états mentaux ainsi qu’à ceux des autres est tributaire de la relation qu’il
entretient avec sa principale figure d’attachement. Pour que la capacité de l’enfant à
mentaliser puisse se développer, il est essentiel que le parent le considère dès sa
naissance comme un être habité par des désirs, des besoins et des sentiments qui
motivent son comportement. C’est donc dire qu’il importe que le parent envisage son
enfant comme une personne ayant le potentiel de devenir un agent psychologique,
c’est-à-dire un individu capable de réfléchir à ses propres buts, intentions et
croyances ainsi qu’à ceux des autres. Et qu’il importe que le parent puisse agir avec
lui en fonction de ces paramètres. De plus, le style d’attachement du parent teintera
la nature de sa réponse qui sera plus ou moins sensible, chaleureuse et adaptée aux
expériences de l’enfant. En effet, un parent dont l’attachement est sécurisé
identifiera mieux les signaux d’attachement (et de détachement) de son enfant et y
répondra plus rapidement et adéquatement qu’un parent dont l’attachement est
insécurisé.

Ainsi, lorsque le parent conçoit son enfant comme un agent psychologique et a lui- 20
même un attachement sécurisé, il tend à répondre aux besoins qu’exprime son
enfant en lui reflétant ce qu’il saisit des motivations et affects sous-jacents aux
signaux exprimés. Par exemple, le parent peut s’adresser à lui au moyen de mots et
de mimiques faciales traduisant sa propre compréhension de l’expérience subjective

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de l’enfant. Ce faisant, le parent donne un sens au comportement de l’enfant et lui


transmet cette interprétation par sa parole, par l’intonation de sa voix et par des
gestes qui sont en cohérence avec cette interprétation. Lorsque le parent saisit ce qui
habite l’enfant et y répond de manière sensible, il produit une réponse affective et
comportementale à la fois semblable (puisqu’elle traduit l’état mental de l’enfant) et
distincte (puisqu’elle s’exprime de façon plus élaborée que celle manifestée par
l’enfant). La transmission à l’enfant d’une version digérée de ses états mentaux est
possible grâce à la capacité du parent à s’accorder affectivement à lui et à exercer une
fonction miroir, une notion proposée à l’origine par Winnicott (1971a), c’est-à-dire lui
transmettre une rétroaction quant à ce qu’il exprime.

Pour que cette rétroaction permette à l’enfant de graduellement prendre conscience 21


de ses états mentaux, il importe que l’interaction parent-enfant se déroule de façon
harmonieuse et que la réponse du parent soit suffisamment contingente, marquée,
congruente et différenciée. La contingence renvoie au fait d’émettre une réponse dans un
délai suffisamment court pour que l’enfant comprenne que ce qu’il exprime ou
manifeste est lié à la réponse de son parent. Le marquage réfère à l’aspect
intentionnellement décalé et suffisamment exagéré de la réponse du parent face à
l’état interne de l’enfant. Ce marquage peut se manifester via l’adoption de mimiques
faciales, de gestes ou encore d’un ton de voix traduisant, de façon exagérée, l’état
affectif exprimé par l’enfant afin de le souligner. La congruence réfère plutôt à la
nécessité que le reflet du parent corresponde à la nature de l’expérience de l’enfant,
qu’il cerne et traite de l’origine de son état de tension ou de façon plus large, de ses
états affectifs. La différenciation signifie enfin que le parent doit transmettre
clairement à l’enfant que l’état renvoyé n’est pas son état à lui, mais se fonde sur ce
qu’il perçoit et décode chez son enfant. Si le parent est en mesure de refléter à
l’enfant, dans un court délai, une version juste et digérée de l’expérience émotionnelle
qu’il vit, cette rétroaction permet à ce dernier de concevoir qu’il existe une relation
entre ses sensations internes et l’interprétation qui en est faite par le parent et qui lui
est reflétée.

Cette réponse adaptée du parent permet non seulement à l’enfant de se sentir 22


compris, mais laisse également des traces dans son esprit. Grâce à elles, l’enfant
apprendra peu à peu à reconnaître les sensations corporelles qui témoignent de la
présence de pensées et d’émotions, à comprendre ce qui l’anime et à reconnaître ce
qui déclenche chez lui de telles expériences. Ces premières traces mnésiques de son
expérience, telles que conçues par son parent, permettent également la construction
graduelle chez lui d’une représentation de cette expérience qui, dès lors, n’est plus
uniquement éprouvée, mais peut être imaginée. Cette représentation prend d’abord
la forme d’une reconnaissance des différents éprouvés corporels associés à son

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expérience (ou représentation primaire) puis ensuite, une capacité à identifier le


concept qui y est associé (ou représentation secondaire). C’est cette capacité à se
représenter ce qui l’habite qui permettra éventuellement à l’enfant de se dégager de
ce qu’il éprouve, de prendre une certaine distance face à son expérience intérieure et
de façon progressive, d’apprendre à s’autoréguler. Ainsi, l’enfant comprendra peu à
peu que son émotion est une représentation modulable de l’état interne qu’il ressent.
La mise en place de ce processus lui permettra donc d’échapper, du moins
partiellement, aux états de tension ou de malaise qu’imposent ses sensations
physiques et éprouvés internes. L’enfant comprend alors qu’ils peuvent être saisis
par l’autre, représentés dans son esprit et avoir un sens. C’est la récurrence de telles
situations qui lui permettra de graduellement se représenter lui-même ses états
internes et de réaliser qu’il peut avoir une influence sur eux et sur ceux d’autrui.
Conséquemment, cette récurrence contribuera au développement de sa capacité à
s’autoréguler ainsi qu’à la construction chez lui d’une représentation de soi (ou self)
cohérente, c’est-à-dire d’une vision claire et sensée de lui-même, qui demeure stable
à travers le temps et au fil des différentes expériences qu’il vit.

Soulignons par ailleurs l’importance que prend l’imperfection de l’accordage affectif. 23


Les travaux de Tronick (2007) suggèrent que seulement 30 % des interactions parent-
enfant seraient coordonnées durant la première année de vie. S’appuyant sur ce
constat, Shai et Fonagy (2014) insistent même sur la nécessité de telles erreurs ou
imperfections de l’accordage au sein de la relation parent-enfant et sur l’importance
des processus de réparation qui permettront, au final, un meilleur ajustement
dyadique. Cette capacité du parent à reconnaître et corriger les mauvaises
coordinations contribuerait à renforcer le sentiment de sécurité de l’enfant (Fonagy,
Gergely, & Target, 2007).

Voici une illustration qui, nous l’espérons, permettra au lecteur de bien saisir ces 24
différents concepts. La mère de Simone, 4 ans, rapporte un incident survenu un
samedi matin alors qu’elle se préparait à quitter la maison pour aller au bureau et
poursuivre le travail qu’elle devait compléter pour le lundi matin. Bien que la mère ait
annoncé la veille à l’enfant qu’elle devrait passer une grande partie de la journée au
bureau et que sa grand-mère serait présente pour s’occuper d’elle, Simone réagit à ce
départ par des pleurs intenses. Elle s’accroche vigoureusement aux jambes de sa
mère et insiste pour qu’elle reste avec elle, affirmant ne pas vouloir voir sa mamie.
Malgré le sentiment de culpabilité que génèrent chez elle le fait de devoir prioriser
son travail le week-end et la confrontation à la détresse de sa fille, la mère se penche
vers elle en adoptant une expression faciale et un ton de voix un peu tristes. Elle lui
dit qu’elle imagine bien que sa fille est triste de voir sa mère partir et qu’elle peut
penser que Simone s’accroche ainsi à elle parce qu’elle souhaite la garder près d’elle.

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Elle ajoute qu’elle aussi aurait préféré passer la journée avec sa fille, mais qu’elles se
retrouveront avant le repas du soir et qu’elles pourront jouer ensemble à ce moment.
Ainsi, la mère offre une réponse contingente (au moment où l’enfant pleure et
s’accroche à elle) et marquée (visage et ton de voix ajustés à ce qu’elle décode chez
l’enfant, mais d’intensité moindre). Elle propose également un sens congruent à ce
qu’exprime l’enfant (évoque sa tristesse et sa détresse face à son départ) et répond à
ce qu’elle comprend de façon différenciée, c’est-à-dire en distinguant la perspective de
sa fille et la sienne qui est évoquée pour offrir une vision nuancée et possiblement
apaisante pour l’enfant. Il est à penser que cette capacité de la mère d’offrir une telle
rétroaction à l’enfant lui permettra de mieux saisir ce qui l’habite et d’apprivoiser
graduellement les affects douloureux avec lesquels elle est aux prises lorsqu’elle doit
se séparer de sa mère. Qui plus est, si la mère de Simone est en mesure de lui offrir
un tel type de réponse dans divers contextes, l’enfant pourra alors s’y appuyer pour se
construire une représentation de ce qu’elle ressent et ce qui la fait réagir et ainsi,
apprendre à s’autoréguler lorsqu’elle y est confrontée. C’est ainsi que le lendemain,
après que le père de Simone ait proposé d’amener le grand frère de l’enfant pour une
activité père-fils et qu’il soit demeuré ferme devant les supplications de sa fille qui
insistait pour les accompagner, Simone est entrée dans la chambre de son frère et a
entrepris de casser ses camions et son hélicoptère après avoir jeté ses livres sur le sol.
Alertée par le bruit, la mère a pu intervenir rapidement (contingence). Ayant évité les
bris de justesse, elle a reflété à sa fille, d’un ton affecté, mais sensible (marquage et
différenciation) combien elle semblait être en colère (congruence) pour se comporter
ainsi (oh là là, mais tu es vraiment très en colère ma chérie !). Après avoir pu apaiser sa
fille, la mère lui a fait part des quelques hypothèses qu’elle envisageait afin de
s’expliquer ce qui aurait pu déclencher une telle crise chez elle. Aurait-elle été déçue
de ne pouvoir accompagner son frère et son père ? Aurait-elle souhaité être à la place
de son frère ? Est-ce possible que les deux situations survenues ce week-end aient pu
être bien frustrantes et difficiles pour elle ?

À l’inverse, lorsque le parent n’est pas en mesure d’offrir à l’enfant un reflet de son 25
expérience qui soit contingent, marqué, congruent et différencié, la construction
d’une représentation de son expérience interne sera compromise. L’enfant ne pourra
pas s’appuyer sur une rétroaction lui conférant le sentiment d’être compris et
l’impression d’exister dans l’esprit de l’autre. Si des erreurs sont tout à fait normales
et inévitables, la récurrence de réponses inappropriées de la part du parent qui n’est
pas en mesure de les reconnaître puis de les corriger ou encore l’absence de réponse
de sa part s’avèrent dommageables pour l’enfant. En effet, une rétroaction trop
tardive (non contingente) ne permettra pas à l’enfant d’établir un lien entre ce qu’il
éprouve et le sens que lui propose le parent ; l’absence de réponse le laissera seul face
à ce qu’il éprouve, sans possibilité de le contenir ou d’en faire sens. Une rétroaction

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non modulée de la part du parent, d’intensité similaire à celle que manifeste l’enfant
(non différenciée) transmettra à ce dernier que son expérience interne de la réalité
n’est pas une expérience qui lui est propre et lui appartient, mais bien qu’elle est à
l’image de la réalité externe. Et qui plus est, qu’elle s’avère contagieuse puisque son
parent la ressent de la même manière que lui. L’enfant demeurera débordé par
l’intensité de sa réaction affective, mais aussi aux prises avec l’impression qu’elle ne
peut être contenue, ce qui peut être particulièrement apeurant pour lui. Une
rétroaction erronée (non congruente) ou encore fondée sur les projections du parent
plutôt que sur ce qui appartient à l’enfant (non congruente et non différenciée) fera en
sorte que ce dernier sera aux prises avec une réponse n’étant pas au reflet de son
expérience subjective, mais plutôt à l’image de ce que vit ou projette son parent en
réaction à ce qu’exprime l’enfant. Ce dernier n’aura donc pas l’occasion de se
reconnaître à travers la réponse de son parent. Il sera également à risque
d’internaliser une représentation de son expérience qui ne lui correspond pas,
construite à partir d’une lecture inadéquate de ce qu’il vit par son parent ou encore, à
partir de ce que vit son parent.

La récurrence de situations lors desquelles le parent n’est pas en mesure d’offrir une 26
rétroaction appropriée à l’enfant compromet le bon développement de sa capacité à
mentaliser. Elle crée des conditions propices à l’apparition de différentes difficultés à
cet égard. Ainsi, au-delà du fait qu’il ne pourra se sentir compris, l’enfant aura du mal
à développer une vision de lui-même intégrant un monde intérieur porteur de sens
et donc compréhensible. Il en sera de même pour sa vision d’autrui. L’enfant tendra
également à confondre sa propre expérience subjective d’un événement avec
l’événement lui-même, ne pouvant saisir que sa réponse à cette situation ne
représente qu’une façon d’y réagir parmi une multitude de possibilités. Il sera alors à
risque de développer un self étranger (ou alien self), c’est-à-dire une représentation de
lui-même construite à partir des projections de son parent, découlant d’une
correspondance entre son expérience intérieure et l’interprétation erronée transmise
par son parent. Ce noyau identitaire alien ou aliéné fera paradoxalement partie de lui
sans qu’il ne puisse en faire du sens ; l’enfant sera aux prises avec des parties
inconnues, incongrues, voire redoutées de lui-même, une fois devenu adulte.

Ce type de difficultés survient plus fréquemment dans le contexte où la relation 27


d’attachement parent-enfant est de type insécurisé (Fonagy, Target, Gergely, Allen, &
Bateman, 2003). Il en est de même si l’enfant est victime de négligence ou d’abus de
la part de son parent, si son parent souffre de psychopathologie ou s’il présente
d’importantes difficultés à s’intéresser à son propre monde interne (et donc,
présente lui-même des difficultés à mentaliser).

Reprenons maintenant l’exemple de Simone pour l’envisager à la lumière d’une 28

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rétroaction inadéquate de la part de la mère. En réaction aux pleurs et aux


comportements d’agrippement de sa fille, la mère serait aux prises avec d’intenses
sentiments de culpabilité, de débordement et d’irritation, l’empêchant d’offrir à sa
fille une rétroaction contingente, marquée, congruente et différenciée. Cette
rétroaction aurait pu prendre diverses formes : ignorer les signaux de l’enfant ou n’y
répondre qu’à son retour (non contingente), s’effondrer et pleurer à chaudes larmes à
l’idée de devoir quitter sa fille pour la journée (non différenciée), lui refléter qu’elle
n’aime pas sa grand-mère et qu’elle devrait être plus reconnaissante de sa
disponibilité à jouer avec elle (non congruente) ou encore lui reprocher de vouloir
l’empêcher d’aller travailler alors qu’elle doit le faire (non congruente). De telles
réponses – ou absences de réponse – de la part de la mère seraient à risque de laisser
l’enfant seule avec sa détresse, sans lui fournir le soutien nécessaire pour
l’apprivoiser, en identifier la source et l’apaiser. Ces réponses transmettraient
également à l’enfant que sa détresse est au reflet de la situation et à risque de
contaminer sa mère qui n’est pas en mesure de lui offrir une perspective différente –
moins dramatique et apeurante – de son absence. Et finalement, l’enfant serait à
risque d’intérioriser une compréhension erronée de son expérience (je pleure et je
m’agrippe à maman parce que je veux l’empêcher de faire ce qu’elle doit faire ; je ne veux pas
jouer avec mamie parce que je suis méchante).

La confiance et la vigilance épistémiques


Au-delà de la capacité du parent à transmettre une rétroaction adéquate à l’enfant, 29
comment ce dernier la reçoit-il ? Comment détermine-t-il qu’elle mérite d’être prise
en considération ou, au contraire, qu’elle n’en vaut pas la peine ? Ce sont ces
questionnements qui ont amené Fonagy et ses collègues (Debbané et al., 2016 ;
Fonagy & Allison, 2014 ; Fonagy, Luyten, & Allison, 2015) à introduire la notion de
confiance épistémique et à lui accorder une place centrale au sein de son modèle de
compréhension du développement de la capacité de mentalisation (Debbané et al.,
2016 ; Fonagy, Allison, & Campbell, 2019).

De façon générale, cette notion réfère aux processus permettant la communication 30


entre deux individus. De manière plus précise, elle désigne la capacité que démontre
un individu à accorder sa confiance aux sources d’informations dont il dispose pour
acquérir de nouvelles connaissances. Fonagy et ses collègues (Fonagy et al., 2015)
proposent de considérer cette capacité qui représenterait selon lui un instinct de
communication comme un facteur déterminant pour le développement, au même titre
que l’instinct lié à la sexualité et l’agressivité chez Freud ou qu’à celui d’attachement
chez Bowlby. Ainsi, la confiance épistémique impliquerait, chez l’individu, une
ouverture à recevoir une information s’adressant à tous, mais en la percevant comme

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une information qui le concerne personnellement. Cette information pourrait


ensuite être généralisée à d’autres situations similaires et par conséquent permettre
à l’individu de s’adapter à son environnement social ou de travailler en coopération
avec d’autres, en partageant des connaissances de façon imaginative et constructive
(Fonagy et al., 2019).

Cet instinct de communication serait présent chez le bébé qui aurait besoin de 31
parents capables de lui transmettre des informations pertinentes à sa
compréhension du monde et à son adaptation. Cette forme particulière
d’apprentissage ne serait néanmoins possible qu’à condition que l’enfant se sente
reconnu par son parent comme un individu à part entière et capable de réfléchir
(donc un agent psychologique), même à un si jeune âge. Le recours à des indices
ostensibles marquant l’importance de l’information que le parent souhaite
transmettre à son enfant aurait pour effet de stimuler la mise en place de la
confiance épistémique et de soutenir l’enfant dans la généralisation de cet
apprentissage à d’autres contextes. Des mécanismes quasi automatiques devraient
cependant se mettre en place afin d’aider l’enfant à distinguer ce qui est important
de ce qui ne l’est pas, de façon à ce qu’il ne devienne pas envahi ou paralysé par une
multitude de décisions à prendre à chaque instant (Fonagy & Bateman, 2019).

L’incident rapporté par la mère de Rémi, 2 ans, constitue une illustration pertinente 32
du processus par lequel la confiance épistémique se construit. Ayant échappé à la
vigilance de sa mère qui répondait à un appel téléphonique au même moment, Rémi
s’approche à toute vitesse de la cuisinière chaude. Elle réagit promptement
(contingence), abandonnant son téléphone pour attraper son fils et s’adresser à lui de
façon sérieuse : elle capte son regard (attention conjointe), durcit le ton de sa voix pour
marquer qu’il s’agit d’un message important et, lui faisant sentir la chaleur de la
cuisinière en l’en approchant doucement, lui indique qu’il aurait pu se faire très mal.
Son ton de voix s’adoucit quand elle constate que Rémi a bien saisi la gravité de la
situation. Elle le prend alors dans ses bras pour lui dire qu’elle l’aime beaucoup,
qu’elle tient à lui et qu’elle ne veut surtout pas qu’il se blesse. Elle partage ainsi ses
connaissances (prudence à l’approche d’un objet chaud étant donné le risque de
brûlure) tout en distinguant l’affect de peur qui l’a poussée à réagir fortement de
celui qu’elle souhaite instaurer chez son fils en prévision d’une prochaine fois où il
pourrait se montrer imprudent.

Le style d’attachement de l’enfant influence sa capacité à faire confiance aux 33


messages qui lui sont transmis par les adultes, d’abord par ses parents et ensuite par
les autres qu’il côtoie. En effet, l’enfant ayant développé un style d’attachement
sécurisé sera enclin à accorder sa confiance aux messages des adultes alors qu’un
enfant présentant un attachement insécurisé ou désorganisé éprouvera des

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difficultés à le faire. Ce dernier, ayant reçu trop de signaux contradictoires de la part


de ses parents ou des adultes qui en prennent soin, ne pourra s’y appuyer avec
confiance pour grandir (Debbané et al., 2016 ; Fonagy et al., 2007 ; Fonagy et al., 2015)
et développera plutôt une méfiance épistémique (Fonagy et al., 2019). L’enfant sera
alors aux prises avec un sentiment d’incertitude chronique que Fonagy propose de
concevoir comme un état de vigilance épistémique, un état malsain et permanent qui a
pour effet de compromettre l’accès aux capacités cognitives. Dans un tel contexte, il
pourrait se montrer suspicieux, voire résistant à l’égard des nouvelles informations
transmises par les adultes significatifs. Ce sentiment d’incertitude le rendrait
hésitant à modifier des croyances ou des attentes irréalistes, même lorsqu’il se
confronterait à des évidences ou à des échecs répétés. De plus, l’enfant pourrait
adopter une attitude d’indifférence, comme si ces informations ne le concernaient
pas ou encore éprouver des difficultés à discriminer le nature des intentions des
adultes, bonnes ou mauvaises, le rendant vulnérable face à des étrangers malveillants
(Sperber et al., 2010). Cette rigidité cognitive est à risque d’entraver le
développement de l’enfant de façon générale, mais plus spécifiquement de
compromettre le développement de sa personnalité et de sa capacité à mentaliser.

Notre travail clinique auprès des enfants nous a permis de constater l’effet délétère 34
de cette vigilance excessive sur les situations d’apprentissage lors desquelles l’enfant
doit faire confiance à son enseignant pour apprendre. La délégation naturelle de
l’autorité parentale à un autre adulte – par exemple, à l’enseignant – qui est chargé de
prendre soin de lui ne peut être reconnue par l’enfant. Au mieux, il n’accorde sa
confiance qu’à un seul adulte à la fois, qu’il soit un parent idéalisé, un parent
d’accueil ou un professeur choisi par lui. De telles contraintes confinent l’enfant à la
recherche d’un lien exclusif qui n’apaise jamais complètement son état de vigilance et
qui risque d’alimenter chez lui des sentiments profonds d’incompréhension et
d’injustice. L’unique façon de diminuer cette hypervigilance passe par l’offre d’un
lien exclusif, ce qui s’avère peu réaliste.

L’exemple clinique suivant permet d’illustrer nos propos. Denis, âgé de 7 ans, vit en 35
famille d’accueil à la suite du décès tragique de ses parents. Derrière son charme
alimenté par de grandes capacités verbales se cachent chez l’enfant d’importantes
difficultés relationnelles se reproduisant au sein des différents milieux de vie qui
l’accueillent. Il a dû quitter une première famille d’accueil, épuisée par ses crises
incessantes et ses difficultés de sommeil liées notamment à une hypervigilance
pathologique. Denis s’est attaché de façon très rapide et intense à ses seconds
parents d’accueil. Inscrit à la garderie pour l’aider à développer ses habiletés sociales
avec les autres enfants et pour tenter de diluer cet accrochage affectif à sa nouvelle
famille, il se montre tyrannique à l’égard de son éducatrice, développant une relation

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d’emprise à son égard, ne laissant aucune place auprès d’elle aux autres enfants. Ces
difficultés ont donné lieu à des conflits entre la famille d’accueil et la direction de la
garderie s’accusant mutuellement de laxisme quant à l’exercice de leur autorité. Les
mêmes difficultés se sont reproduites lors de l’entrée à l’école. De plus, Denis s’est
montré incapable de faire des apprentissages en classe, nécessitant la présence de la
mère d’accueil pour apprendre. Ainsi, une courte période de travail avec elle le soir lui
permet de réaliser ses travaux scolaires avec aisance, alors qu’il peine à intégrer quoi
que ce soit lorsqu’il est en classe où il demeure surstimulé par l’environnement
sonore et relationnel, restant aux aguets de toutes les interactions ayant lieu entre
l’enseignante et les autres enfants de la classe, incapable de les ignorer.

C’est dans ce contexte que nous avons reçu l’enfant et ses parents d’accueil. Outre la 36
mise en place d’un suivi psychothérapeutique individuel, ponctué de rencontres
parents-enfant visant d’abord à restaurer une confiance épistémique chez l’enfant, il
a été recommandé que Denis fréquente une classe ayant un petit ratio élèves-
enseignant afin de lui offrir les conditions les plus favorables au développement
d’une telle confiance qui lui permettra éventuellement de profiter et d’apprendre de
son environnement.

L’importance du jeu
Target et Fonagy (1996) ont également insisté sur l’importance du jeu de l’enfant 37
comme contexte favorisant le développement de sa capacité à mentaliser. S’appuyant
sur leurs observations cliniques, ils soutiennent que c’est notamment à travers le jeu
que l’enfant saisit peu à peu que ses états mentaux correspondent à une image
intégrée de sa réalité interne et de sa façon de se représenter le monde qui l’entoure.
Ils soulignent l’importance de la présence d’une figure d’attachement sécurisante
qui, en contexte de jeu, peut identifier, en tolérer l’intensité puis retourner à l’enfant
ses états mentaux sous une forme recevable, notamment quand des affects intenses
et des scénarios bruts, crus, empreints de fantasmes violents sont mis en scène. La
modulation de ses états mentaux par ses parents permettra à l’enfant d’apprivoiser
graduellement le fait que ce à quoi il joue est lié à ce qu’il vit et à l’expérience qu’il en
fait. En d’autres mots, cette capacité du parent d’exercer une fonction miroir dans le
contexte du jeu de l’enfant soutiendra le développement de la capacité de ce dernier à
établir le lien entre la réalité et les contenus de son jeu. Il pourra ainsi imaginer et
mettre en scène toutes sortes de scénarios sans qu’ils n’aient d’impact sur la réalité
et, conséquemment, explorer en toute sécurité diverses facettes de son monde
interne, sachant que malgré qu’elles soient liées à la réalité, elles en sont bien
distinctes. Le jeu contribue donc au développement chez l’enfant d’une
compréhension de lui-même et de son rapport au monde.

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Le travail thérapeutique réalisé avec Romain illustre bien notre propos. Âgé de 4 ans, 38
Romain est un garçon de nature très inhibée et anxieuse. Lors d’une rencontre avec
son psychiatre, il installe des animaux féroces sur deux lignes qui se font face, ne
laissant aucun doute quant à la bataille qui se prépare. Le thérapeute interrompt
l’échange avec les parents pour faire part à l’enfant de ce qu’il imagine : est-ce possible
qu’une bataille se prépare ? Romain lève les yeux et le regarde avec un sourire qui
semble traduire à la fois son intention et sa crainte. Le père saisit cette occasion pour
rejoindre son fils sur le sol et jouer cette bataille avec lui. Tous deux semblent tirer un
grand plaisir aux combats, aux nombreux coups de griffes sanglants, morsures et
dévorations qui prennent place dans le cadre du jeu. Après avoir retrouvé son
fauteuil, le père confie au thérapeute qu’il n’ose jamais aller aussi loin lorsqu’il joue
avec son fils à la maison. La mère acquiesce, ajoutant qu’elle n’arriverait pas à en faire
autant. Les rencontres subséquentes permettent de constater que cette brèche qui
s’est ouverte a permis à Romain de développer une meilleure capacité à gérer son
agressivité et à s’affirmer, tout en trouvant dans ce type de jeu avec son père une
complicité avec lui et une façon de s’en rapprocher.

L’importance du langage
Le langage est un puissant soutien à la pensée et, donc, à la mentalisation (Allen et 39
al., 2008a). Il est en effet difficile d’imaginer qu’une pensée puisse exister sans mots.
Le langage permet d’organiser et d’exprimer les états mentaux, ce qui constitue en
soi un objectif thérapeutique fréquemment visé en contexte pédopsychiatrique. En
effet, dans le cadre de notre travail auprès des jeunes enfants, nous nous confrontons
régulièrement à des retards, voire même à des troubles de langage. De telles
situations nécessitent de la part du thérapeute de faire preuve de créativité, de
persévérance et de sensibilité. Il se doit en effet de simplifier ou d’adapter sa
communication verbale pour la rendre recevable pour l’enfant ainsi que de
maximiser le soutien non verbal qu’il lui offre, de façon à utiliser au mieux les
ressources déjà présentes chez chacun au service d’une communication authentique
qui demeure au plus près de ce qui habite l’enfant. Ce dernier doit saisir l’intérêt et la
curiosité du thérapeute pour communiquer avec lui et réparer au fur et à mesure les
bris de communication occasionnés par les difficultés de langage. Nous pensons que
cette compréhension qu’aura l’enfant de l’intention du thérapeute permettra de
maintenir le niveau d’activation de l’attachement dans une zone de sécurité affective.

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La trajectoire développementale de la capacité à


mentaliser : des fondements à construire et des
précurseurs à intégrer

Le corps et la communication non verbale : des précurseurs


aux états mentaux
De longue date, les auteurs s’intéressent à ce passage du corps à la psyché propre à 40
l’humain. Freud (1923/1981) affirmait que le moi est d’abord et avant tout un moi corporel,
propos sur lequel nous pourrions nous appuyer afin de proposer que la première
compréhension du monde de l’enfant en est d’abord une des états physiques et
corporels, précédant les états mentaux. Des études observationnelles réalisées au
cours des dernières décennies ont permis de démontrer empiriquement la
pertinence des intuitions de Freud. Mentionnons ici celle de Piontelli (2010) qui,
grâce à des images sophistiquées captées par échographie, a permis de constater
qu’un fœtus d’une vingtaine de semaines affiche déjà plusieurs expressions faciales
bien reconnaissables, évoquant clairement des émotions comme la surprise, la peur,
le dégoût, la colère ou la tristesse. Ces images permettent également de noter
l’existence, in utero, d’une coordination des mouvements du fœtus et de ceux de la
mère. Ces observations portent à croire que l’enfant à naître est, d’une certaine
manière, programmé pour s’exprimer de façon non verbale dès son arrivée au
monde. Et qu’il existe une forme de préparation du nourrisson au cours de la
gestation pour qu’il soit en mesure de réagir à autrui et de s’adapter au rythme de ses
gestes.

Shai et Fonagy (2014) soulignent l’importance du corps du bébé et du jeune enfant 41


préverbal pour la communication de ses états intérieurs à ses parents, que ce soit à
travers l’adoption de mimiques faciales, la modification de sa posture, de son tonus
ou du rythme de ses mouvements, de ses réactions au toucher ou encore des
fluctuations de son babillage. Toutes ces formes de communication généreraient
chez les parents, de façon automatique et pas nécessairement consciente, une série
de réponses ajustées à ces signaux.

Nous ne pouvons suffisamment insister sur l’importance de la prise en compte par 42


un parent attentif de tous ces signaux corporels émis par le bébé ou le très jeune
enfant, sur l’importance qu’ils soient captés et digérés mentalement par le parent. Ce
faisant, le parent permet au bébé de s’apaiser et de devenir disponible pour être
pleinement en relation avec celui ou celle qui en prend soin. En contrepartie, s’il est
laissé à lui-même, le bébé doit composer avec des états corporels mal identifiés,
conduisant Bion (1962/1979) à évoquer l’existence de phénomènes de terreurs sans nom

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et Bick (1986/1987) à décrire des angoisses primitives. Winnicott (1965/1983) a


longuement élaboré sur les états corps-esprit non intégrés qui peuvent en résulter.
Ces différentes considérations permettent de mesurer l’importance que prend la
question de la régulation de l’enfant au sein du développement de sa capacité à
mentaliser.

La régulation de l’attention et des émotions : des fondements


sur lesquels s’appuie la capacité à mentaliser
Au point de départ, l’humain naît immature et incapable de réguler seul ses besoins 43
physiologiques de base tout comme son attention et ses émotions. C’est le parent qui
doit décoder les signaux d’intention ou les communications préverbales de l’enfant,
mais ici dans le but d’agir sur l’intensité de l’interaction ou du jeu. En la stimulant ou
la tempérant, en décrivant les états physiques ou les comportements reliés à l’état
mental qu’il présume être celui de l’enfant, mais dont ce dernier n’est pas
nécessairement conscient, le parent soutient le maintien de la régulation
attentionnelle et affective puis prolonge ainsi son interaction avec l’enfant. Bien que
nous introduisions et définissions ces deux notions de façon distincte pour en
faciliter la compréhension, l’expérience clinique nous a permis de constater qu’elles
se manifestent bien souvent de manière simultanée et demeurent en constante
interaction.

La régulation attentionnelle se définit comme un processus visant à garder un état de 44


disponibilité générale, de confort et de calme suffisant afin d’être en mesure de
demeurer centré sur soi tout en étant capable de ressentir les affects, d’être en
contact avec son monde intérieur et, ultimement, de le mentaliser. Ce processus
implique la prise en compte des stimuli sensoriels, physiologiques, internes et
externes, de même que des aspects neurologiques comme l’impulsivité (Fonagy et al.,
2012 ; Verheugt-Pleiter, 2008b).

La régulation émotionnelle peut se concevoir comme un processus à quatre paliers : la 45


capacité à reconnaître la venue d’une émotion, à l’identifier, à l’exprimer et à la
partager. Ce processus peut néanmoins se rompre à tout moment (Fonagy et al.,
2012 ; Verheugt-Pleiter, 2008a).

La régulation émotionnelle se développe à la suite d’expériences répétées et 46


graduellement internalisées avec un adulte adoptant des comportements prévisibles,
qui valide et aide l’enfant à tolérer ces montées émotionnelles, les traverse et les
résout avec l’enfant. C’est donc la fonction miroir que le parent exerce auprès de
l’enfant qui permet qu’un espace intérieur se crée chez ce dernier. Le sentiment de
sécurité intérieure qui résulte de ces expériences répétées, lorsqu’elles sont ajustées à

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ce qu’éprouve l’enfant, permet alors au processus de devenir largement implicite,


libérant ainsi l’enfant du besoin constant du parent pour se réguler. Sa capacité à
apaiser l’intensité émotionnelle donne lieu, chez certains enfants, à une diminution
de l’urgence d’agir et chez d’autres, plus inhibés, à une levée de l’inhibition
comportementale paralysante, au profit, pour chacun, d’une capacité accrue à
adopter un mode réflexif. À l’inverse, des expériences non ajustées aux affects que
ressent l’enfant donnent lieu à des situations contraires, soit des désorganisations
prenant la forme d’agirs impulsifs de la part de l’enfant ou d’incapacité à se
mobiliser. Les travaux consacrés à la capacité de mentalisation, tant ceux qui se sont
intéressés à son développement (Fonagy, Gergely, Jurist, & Target, 2002 ; Fonagy &
Target, 1996) que ceux qui proposent des interventions la ciblant (Allen et al., 2008a ;
Midgley, Ensink, Lindqvist, Malberg, & Muller, 2017d ; Verheugt-Pleiter, 2008a,
2008b), insistent sur l’importance de la prise en compte des mécanismes de
régulation attentionnelle et émotionnelle pour mieux comprendre le développement
de la mentalisation ainsi que pour le traitement de difficultés à cet égard, et ce tant
chez l’enfant que chez l’adulte.

Deux brèves situations cliniques témoignent de cette importance : 47

Laurent, un garçon de 4 ans placé en famille d’accueil, devient très excité lors d’une 48
visite supervisée avec sa mère. Dès son arrivée, il lance Max, son ourson en peluche,
dans les airs en poussant des cris stridents. Il court dans la salle de rencontre et est
incapable de s’intéresser au jeu que sa mère tente de lui proposer. Constatant cette
situation, la thérapeute s’exclame : Oh là là ! Max et Laurent sont tellement contents qu’ils
sont devenus très excités ! Ils ont besoin de courir et de crier très fort ! En mettant en mots et
en mimant l’intensité de la joie que semble manifester l’enfant par ses cris et ses
gestes lorsqu’il retrouve sa mère, la thérapeute lui a permis de s’apaiser, de faire
ensuite un câlin bien senti à sa mère puis de s’investir dans un jeu prolongé avec elle,
source de plaisir réciproque.

Philippe, Rose, Emilie et Julien se présentent pour leur séance de groupe 49


thérapeutique hebdomadaire, un groupe visant le développement des habiletés
sociales. Ils sont âgés de 5 ans. Les deux thérapeutes animant ce groupe les invitent
d’abord à s’asseoir pour la reprise de contact, en demandant à chacun et chacune de
nommer l’un des enfants du groupe puis à dire simplement comment il ou elle se
sent ce matin-là. Les enfants sont déjà fébriles, chacun bougeant sur sa chaise en
émettant des cris perçants. Les thérapeutes les invitent à nommer les règles
énoncées à chaque semaine avant d’entreprendre les activités, soit ne pas crier à
outrance, ne pas se faire mal ou faire mal aux autres, tout en rappelant que le non-
respect de ces règles conduit à des interventions d’arrêt d’agir (par exemple, s’asseoir
pour reprendre son souffle et sentir que son cœur bat moins fort) pour diminuer

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l’intensité du jeu. Ce rappel des règles et de la possibilité d’avoir recours à de brèves


pauses d’action leur permet de se calmer graduellement. Les thérapeutes peuvent
alors donner le signal pour aller jouer librement quelques minutes avant d’entamer
ensuite les activités thérapeutiques structurées.

Les chapitres consacrés aux modalités thérapeutiques aborderont de façon plus 50


approfondie et détaillée l’importance que revêt le travail de la régulation de
l’attention et des affects en contexte pédopsychiatrique. Mentionnons simplement
ici qu’un tel travail s’avère un préalable incontournable à la possibilité de débuter une
séance de psychothérapie et ce, qu’elle s’inscrive dans le cadre d’une démarche
thérapeutique individuelle ou groupale visant le développement de la capacité de
mentalisation de l’enfant. En effet, pour qu’un enfant soit en mesure de s’intéresser à
ce qui l’habite, il doit d’abord être suffisamment calme et disponible pour être en
contact avec son expérience subjective. L’expérience clinique nous permet de
constater que lorsqu’un enfant est aux prises avec d’intenses affects qu’il peine à
contenir, ces émotions peuvent s’exprimer sous la forme d’une agitation et d’une
excitation physique ou encore d’une difficulté à porter attention de façon soutenue à
un contenu quelconque ou à un échange avec autrui. Dans un tel contexte, le fait de
nommer et de décrire les manifestations physiques par lesquelles s’expriment les
affects de l’enfant a un effet apaisant sur lui. Il est alors amené à prendre conscience
de son état d’excitation (par exemple, son cœur qui bat trop vite, son visage qui a
rougi ou ses oreilles qui font mal en raison des cris perçants), puis parfois même à le
lier à ce qu’il ressent. En contexte de groupe, de brefs retraits lorsque l’intensité
devient trop grande et à risque de désorganisation ainsi que la prise de conscience de
leur état permettent aux enfants de saisir progressivement que ce qui les habite
devient trop intense et de tolérer leur besoin de s’arrêter. Au contraire, le laisser-faire
conduit à des états de crise prolongée qui nuisent au maintien des échanges et de la
relation.

Les modes prémentalisants : des précurseurs à intégrer


Au-delà de la conceptualisation des enjeux propres à la relation parent-enfant et de 51
leur importance capitale pour le développement de la capacité à mentaliser de
l’enfant, Fonagy (1995) puis Target et Fonagy (1996) se sont aussi intéressés aux
modes de pensée qui prédominent chez l’enfant avant le déploiement, vers l’âge de 5
ou 6 ans, d’une capacité de mentalisation mieux intégrée. Ils ont proposé l’existence
de trois modes prémentalisants caractéristiques du fonctionnement mental du
nourrisson puis du jeune enfant, soit les modes téléologique, équivalence psychique et
semblant. Ces modes de pensée seraient associés à des façons distinctes de concevoir
les liens existant entre les réalités interne et externe et se développeraient

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graduellement, grâce à la rétroaction offerte par le parent.

Le mode téléologique se déploierait entre la naissance et l’âge d’un an et demi. Il se 52


caractérise par une considération simpliste et concrète des motifs sous-jacents à une
action. Ce mode se fonde sur les observations que fait le jeune enfant à propos du
comportement d’autrui. Ces informations lui permettent de faire ses premières
hypothèses quant aux autres et à l’environnement, sans toutefois qu’il ne soit en
mesure de prendre en compte leurs états mentaux. Sa compréhension de son propre
comportement et de celui d’autrui se limite aux conséquences tangibles et
observables qu’il engendre. Les motivations sous-jacentes à ces gestes ne sont pas
considérées (Allen et al., 2008a ; Fonagy et al., 2003), confinant l’enfant à vivre dans
l’immédiateté du moment et contribuant fortement à sa faible tolérance à la
frustration. Ce n’est qu’au terme d’un fonctionnement à prédominance téléologique
que l’enfant sera en mesure de concevoir l’existence d’états mentaux.

L’interaction de Benoît avec sa mère illustre bien ce mode de fonctionnement. 53


Benoît, 10 mois, est installé sur sa chaise haute avec des jouets qu’il manipule en les
animant d’un brrrrr enjoué. Sa mère, n’ayant pu préparer son repas plus tôt et
l’imaginant affamé, s’affaire à apprêter sa purée en espérant que les petites voitures
susciteront son intérêt encore quelques minutes. L’enfant joue à les faire tomber sur
le sol. Lorsque le repas de Benoît est prêt et après avoir récupéré les voitures au sol à
quelques reprises puis les avoir remises à son fils en s’exclamant (Elle est tombée ! Oh,
encore tombée !?), la mère les dépose ailleurs et présente à Benoît sa purée. Frustré
d’être ainsi privé de ses petites voitures, il pleure en battant des mains. Il n’est pas en
mesure de considérer le fait que sa mère ne cherche pas à le priver de ses jouets, mais
plutôt qu’elle tente de répondre à son besoin d’être nourri. Pour lui, le retrait des
jouets ne peut être envisagé autrement que comme une privation que lui inflige sa
mère puisque c’est ce qu’il observe.

Le mode équivalence psychique se développe entre l’âge d’un an et demi et trois ans. 54
Lorsque l’enfant fonctionne de façon prédominante sous ce mode, il est convaincu
que ce qu’il pense et ressent face à une situation correspond en tout point à celle-ci.
Ses états mentaux ne sont pas perçus comme des représentations de cette situation,
mais bien comme son reflet exact. Ainsi, réalité interne et réalité externe sont
amalgamées et se superposent. L’enfant ne saisit pas encore que ce qui se déploie
dans son esprit est le produit de l’interprétation que fait son esprit de la réalité externe
(Allen et al., 2008a ; Fonagy et al., 2003). Dans un tel contexte, le jeu, puisqu’il s’avère
bien souvent très intense et comporte fréquemment des contenus à caractère
destructeur et meurtrier, peut devenir terrifiant pour l’enfant étant donné le fait que
les pensées et les émotions qui les accompagnent sont vécues comme étant réelles
(Zevalkink, Verheugt-Pleiter, & Fonagy, 2012).

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Les propos de Florian, 3 ans, traduisent bien ce type de fonctionnement. Il s’agit d’un 55
enfant ayant des accès de colère intenses, notamment lorsqu’il joue ou dessine avec
son père. Il arrive un jour à confier à son thérapeute que c’est parce que son père, à
qui il attribue des pouvoirs de grand, n’arrive pas à reproduire exactement en dessin
le loup qu’il a en tête et qu’il ne peut lui-même le reproduire parce qu’il est petit. Il
s’attend à ce que son père puisse voir l’image exactement comme elle s’est formée
dans sa tête et devient envahi par une importante frustration lorsqu’il constate que
son père n’y arrive pas.

Entre l’âge de trois et quatre ans, l’enfant trouve une façon alternative de composer 56
avec les réalités interne et externe, soit le mode semblant. Le développement de la
capacité à faire semblant lui permet de comprendre que son monde interne diffère
du monde externe. Cependant, tant que cette distinction n’est pas complètement
acquise, ces deux univers se doivent d’être maintenus séparés puisque la
confrontation à la réalité externe fait effraction et bloque le déploiement de
l’imaginaire de l’enfant. En effet, le mode semblant existe en tant que réalité privée,
complètement séparée de la réalité extérieure (Fonagy & Target, 2007) et est vécu par
l’enfant comme n’ayant aucune conséquence sur la réalité externe (Allen et al.,
2008a ; Fonagy et al., 2003). Bien qu’il soit capable de faire semblant, l’enfant n’est
pas encore conscient qu’il le fait lorsqu’il joue (Fonagy et al., 2003). C’est l’aspect
rigide et répétitif du jeu qui nous permet de le distinguer de celui, beaucoup plus
souple, créatif et spontané, du véritable jeu de faire semblant ou jeu symbolique.

Cette courte vignette illustre bien notre propos. Adrien, 4 ans, vit en famille d’accueil. 57
Il s’installe face au thérapeute et met en scène un intense jeu avec les familles de
cochons et de vaches. Il a construit deux enclos fermés, un pour chaque famille, mais
les animaux tentent de briser cette barrière, ce qui leur permettrait de se rapprocher.
Adrien met un terme abruptement à son jeu en provoquant une échauffourée avec
tous ses animaux au moment où le thérapeute essaie maladroitement d’établir un
lien entre son jeu et son désir d’être en contact avec sa famille biologique avec
laquelle les visites ont été suspendues récemment. Lorsque le thérapeute lui
demande ce qui s’est passé avec les deux familles d’animaux, l’enfant répond : Rien. Il
ajoute qu’il en avait simplement assez de jouer à ce jeu qui était devenu ennuyant.

L’intégration de ces différents modes de pensée prémentalisants témoigne de 58


l’atteinte d’un mode de pensée réflexif ou mentalisant. Cette intégration se fait vers l’âge
de 5 ou 6 ans chez un enfant dont le développement de cette capacité suit un cours
normal. L’enfant comprend alors que les autres, tout comme lui, sont habités par des
pensées et des sentiments (et donc par une réalité interne) qui sont reliés à la réalité
externe, mais s’en distinguent.

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Le comportement d’Élisabeth, âgée de 5 ans, lors d’un groupe thérapeutique, 59


témoigne bien de cette compréhension. L’enfant participe avec entrain à la causerie
du groupe qu’elle a intégré il y a quelques semaines. Elle raconte avec enthousiasme
son voyage en avion avec Loulou jusqu’à ce qu’elle prenne conscience que les autres
enfants ne savent probablement pas qui est Loulou. Elle s’arrête alors pour quelques
secondes, prend un air réflexif et fait part aux autres que Loulou est sa grand-mère
qu’elle aime beaucoup. Elle reprend ensuite son récit. Se mettant à la place de l’autre,
l’enfant a compris que ce détail était primordial dans la compréhension du récit de
son expérience récente.

Or il est possible que le développement de la capacité de mentalisation soit 60


compromis par des limites propres à l’enfant ou encore par une difficulté du parent à
lui offrir une rétroaction adéquate. Tel que présenté plus tôt, une rétroaction non
contingente, non congruente, non marquée et indifférenciée est à risque de laisser
l’enfant seul avec ce qui l’habite, sans soutien pour le contenir et l’élaborer. Ou
encore, de forcer chez lui des contenus mentaux qui ne lui appartiennent pas. La
récurrence de ces reflets inadéquats compromettrait l’intégration de ces modes de
pensée prémentalisants et limiterait la capacité d’accéder au mode réflexif.

Ainsi, les enfants ayant été peu soutenus pour apprendre à mentaliser tendront à 61
demeurer fixés aux stades prémentalisants. Ils seront à risque de démontrer une
incapacité à considérer tout autre élément que des indices concrets et observables
pour se comprendre et comprendre autrui (mode téléologique). Ils éprouveront
également des difficultés à considérer que la réalité peut être appréhendée
autrement qu’à partir de leur propre perspective (équivalence psychique) ou encore
que leur expérience subjective est liée à la réalité externe. La prédominance de tels
fonctionnements compromettra leur compréhension d’eux-mêmes, d’autrui et de la
relation qu’ils entretiennent aux figures d’attachement (Allen et al., 2008a). Leurs
capacités à penser et à se réguler demeureront fragiles et à risque de défaillance en
contexte de stress (Allen, 2013).

À l’instar du positionnement du patient sur les différentes dimensions de la 62


mentalisation et des particularités de la manière dont le parent exerce sa fonction
miroir, l’identification d’un fonctionnement sous le primat de l’un ou l’autre des
modes prémentalisants peut s’avérer utile sur le plan clinique. En effet, leur repérage
permet de mieux cerner la nature des forces et des déficits que présente le patient,
mais aussi d’intervenir en tenant compte de ces constats (Debbané, 2016b ; Terradas,
Domon-Archambault, Achim, & Ensink, 2016).

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Conclusion

Ce chapitre visait à définir la capacité à mentaliser, à présenter ses différentes 63


composantes et caractéristiques ainsi qu’à introduire le lecteur à son développement,
tant aux facteurs en jeu tout au long de ce processus qu’aux jalons développementaux
attendus.

De ces différents éléments de définition et de développement découlent plusieurs 64


implications cliniques que nous avons brièvement introduites, mais qui seront
reprises de façon détaillée dans les chapitres suivants. En effet, le modèle théorique
proposé par Fonagy et Target ainsi que leurs différents collaborateurs accorde une
importance capitale à la relation parent-enfant et à la sensibilité parentale au sein du
développement de la capacité de mentalisation ainsi qu’à la régulation de l’attention
et des affects. Ces notions nous ont amenés à revoir nos pratiques cliniques afin de
rediriger le travail thérapeutique habituellement centré sur les contenus vers les
processus de pensées et à placer la relation parent-enfant au cœur des interventions
thérapeutiques.

Notes

[1] Les livres Mentalizing in Clinical Practice (2008c) de Allen, Fonagy et Bateman,
Handbook of Mentalizing in Mental Health Practice (2012 et 2019 pour la seconde
édition) de Bateman et Fonagy et Mentaliser : de la théorie à la pratique clinique (2016c
et 2018 pour la seconde édition) de Debbané nous semblent particulièrement
éclairants pour le clinicien souhaitant se familiariser avec la notion de
mentalisation et ses applications cliniques.

[2] Certains éléments liés à la compréhension du développement de la mentalisation


ont été présentés dans le cadre d’un article rédigé en collaboration avec notre
collègue M. M. Terradas, publié chez Filigrane en 2015 ; nous les remercions d’avoir
accepté qu’ils soient repris ici.

Plan
Introduction

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Chapitre 1. Qu’est-ce que mentaliser et comment se développe cette cap... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

Mentaliser : un élément essentiel pour se penser et penser autrui


Les différentes dimensions de la capacité à mentaliser : une conceptualisation en quatre
axes
Les fluctuations de la capacité à mentaliser : le rôle de l’activation émotionnelle et du
stress

Le développement de la capacité à mentaliser : un processus relationnel complexe et


multifactoriel
L’apport fondateur du lien d’attachement parent-enfant et de la sensibilité parentale
La confiance et la vigilance épistémiques
L’importance du jeu
L’importance du langage

La trajectoire développementale de la capacité à mentaliser : des fondements à


construire et des précurseurs à intégrer
Le corps et la communication non verbale : des précurseurs aux états mentaux
La régulation de l’attention et des émotions : des fondements sur lesquels s’appuie la
capacité à mentaliser
Les modes prémentalisants : des précurseurs à intégrer

Conclusion

Auteurs
Julie Achim

Psychologue clinicienne et professeure agrégée au Département de psychologie de


l’Université de Sherbrooke (Canada). Elle enseigne l’évaluation et la psychothérapie aux
programmes de doctorat spécialisés en enfance et en adolescence qu’elle a contribué à
mettre en place. Elle est également professeure associée au Département de psychiatrie et
d’addictologie de l’Université de Montréal et chercheuse associée au Centre de recherche
du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-
Montréal (CIUSSS NIM, Canada). Ses travaux de recherche concernent principalement la
transition à la maternité, les relations précoces parents-enfants, leurs liens à l’adaptation
et à la psychopathologie chez l’enfant et ses parents ainsi que la capacité de mentalisation
et ses applications psychothérapeutiques.

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Alain Lebel

Psychiatre d’enfants et d’adolescents à la clinique de pédopsychiatrie de l’Hôpital en Santé


Mentale Albert-Prévost du CIUSSS NIM, professeur agrégé de clinique au Département de
psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal et chercheur associé au Centre de
recherche du CIUSSS NIM (Canada). Il pratique la psychanalyse auprès d’adultes et la
psychothérapie auprès d’enfants et d’adolescents depuis de nombreuses années. Il s’est
spécialisé dans l’intervention clinique auprès des très jeunes enfants et de leurs parents.
Le travail en institution l’a amené à s’intéresser aux approches psychothérapeutiques
soutenant la capacité de mentalisation d’enfants présentant d’importantes difficultés ainsi
que celle de leurs parents.

Karin Ensink

Professeure titulaire à l’École de psychologie de l’Université Laval (Canada) où elle


enseigne la psychologie clinique au secteur enfance et adolescence. Elle a réalisé son
doctorat en psychologie sous la direction de Mary Target et Peter Fonagy à l’University
College of London (Royaume-Uni). Elle est internationalement reconnue comme experte
et formatrice dans le domaine du développement de la mentalisation chez l’enfant et
l’adolescent. Elle est l’une des auteurs du livre Mentalization Based Treatment for Children et
superviseure invitée pour la série de vidéos portant sur la mentalisation de l’APA. Elle est
superviseure et formatrice des thérapies basées sur la mentalisation. Ses travaux de
recherche portent notamment sur la fonction réflexive de mères de jeunes enfants.

Mis en ligne sur Cairn.info le 15/10/2021


https://doi-org.lama.univ-amu.fr/10.3917/dbu.achim.2020.01.0031

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Chapitre 2. Évaluer la capacité à mentaliser de l’enfant et des parents :... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

Chapitre 2. Évaluer la capacité à mentaliser de


l’enfant et des parents : comprendre pour traiter
Alain Lebel, Julie Achim, Karin Ensink
Dans Mentaliser en contexte pédopsychiatrique (2020),
pages 55 à 89

Chapitre

Introduction

L ’efficacité d’une intervention thérapeutique repose sur une évaluation


appropriée de la problématique présentée. La psychothérapie basée sur la
mentalisation n’échappe pas à cette nécessité. Des efforts substantiels ont été
1

déployés afin d’être en mesure d’appréhender les différentes dimensions de cette


notion. Avec les adultes, Luyten, Malcorps, Fonagy et Ensink (2019) proposent
l’adoption d’une approche évaluative mixte, c’est-à-dire une évaluation s’appuyant à
la fois sur des entretiens cliniques et sur divers instruments de mesure
empiriquement validés, qu’ils prennent la forme d’entretiens semi-structurés, de
tâches expérimentales ou de questionnaires [1]. Alors que les entretiens cliniques
permettent notamment l’exploration in situ de la capacité à mentaliser dans
différents contextes d’activation émotionnelle et de l’histoire des relations
d’attachement du patient, les instruments de mesure renseignent le clinicien quant
aux diverses facettes spécifiques de la mentalisation du patient et en permettent une
évaluation précise. Or, ceux qui sont disponibles à ce jour pour évaluer la capacité de
mentalisation chez l’enfant demeurent plutôt rares. Les outils existants sont parfois
difficilement intégrables au protocole clinique d’évaluation d’enfant compte tenu de

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Chapitre 2. Évaluer la capacité à mentaliser de l’enfant et des parents :... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

la formation et du temps qu’implique leur utilisation, mais aussi en raison des acquis
développementaux nécessaires sur lesquels s’appuie leur administration.
L’évaluation de la capacité de mentalisation chez l’enfant doit donc se faire
davantage dans le cadre d’entretiens cliniques.

Ce chapitre traitera de la façon d’aborder l’évaluation de la capacité de mentalisation 2


d’enfants d’âge préscolaire et scolaire, de même que celle de leurs parents. La
capacité de référer à des états mentaux et les principaux indicateurs de
mentalisation chez l’enfant (présentés dans le chapitre 1) seront ici revisités de façon
à pouvoir les évaluer chez ce dernier ainsi que chez ses parents. Leur évaluation chez
l’enfant permettra de mieux saisir cette dimension de son fonctionnement
psychologique, mais aussi de déterminer la pertinence d’une référence en
psychothérapie basée sur la mentalisation, qu’elle prenne la forme d’un travail
individuel, dyadique, familial ou groupal. Du côté des parents, notre intérêt se
portera principalement sur l’évaluation de leur capacité de mentalisation parentale,
considérant son impact incontournable sur le développement de la capacité de
mentalisation de l’enfant. Main (1991) a mis en lumière que c’est le contexte
relationnel au sein duquel évolue l’enfant qui stimule le développement de sa
capacité à mentaliser. En ce sens, la présence d’un attachement sécurisé chez l’enfant
et celle de parents en mesure de décoder de façon précise ses besoins affectifs
s’avèrent déterminantes pour le développement de la capacité de mentalisation de
l’enfant à condition que ces derniers soient en mesure de lui offrir une rétroaction
adéquate (c’est-à-dire contingente, congruente, différenciée et marquant les
émotions).

La posture mentalisante qui sous-tend notre travail clinique nous incite, comme 3
thérapeute, à chercher à saisir l’expérience subjective de chacun. Pour bien évaluer la
capacité à mentaliser des différents membres de la famille, il nous faut garder à
l’esprit que la mentalisation est un processus marqué par des influences mutuelles
multiples. La capacité de mentalisation d’un enfant est affectée par son
tempérament, ses difficultés d’ordre neurodéveloppemental (par exemple, son
langage et sa motricité), ses habilités relationnelles, ses difficultés somatiques ou
encore, par la présence chez lui de psychopathologies telles qu’un trouble déficitaire
de l’attention avec hyperactivité (TDAH) ou un trouble anxieux (Sharp & Fonagy,
2008). Pour les parents, leur santé mentale, leur histoire familiale, les événements de
vie stressants auxquels ils se confrontent ainsi que le réseau social qu’ils se sont
construit ont un impact sur leurs compétences parentales et leur capacité de
mentalisation. Tous ces éléments doivent être pris en considération lors de
l’évaluation de façon à pouvoir dépeindre un portrait le plus global possible des
différentes facettes de la vie de l’enfant et de sa famille et d’éviter de les réduire à

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Chapitre 2. Évaluer la capacité à mentaliser de l’enfant et des parents :... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

l’unique dimension de la mentalisation. Bien qu’elle s’avère déterminante, rappelons


que la mentalisation s’inscrit dans une multitude de composantes de la personnalité
et du fonctionnement psychologique qu’il importe de considérer dans son entièreté.

Ainsi, ce chapitre se divise en trois sections. La première abordera l’évaluation de la 4


capacité de mentalisation de l’enfant alors que la deuxième concernera l’évaluation
de la capacité de mentalisation des parents et plus précisément leur capacité de
mentalisation parentale. C’est dans la troisième section que le processus d’évaluation,
tel que mis en place au sein de notre clinique pédopsychiatrique et réalisé auprès des
jeunes enfants et leurs parents, sera détaillé de façon à illustrer l’intégration de cette
dimension de leur fonctionnement aux autres informations les concernant. Le
chapitre se terminera avec une vignette clinique permettant d’illustrer nos propos.

L’enfant et sa capacité de mentalisation

À ce jour, peu d’instruments de mesure standardisés spécifiques et aisément utilisés 5


en clinique pour évaluer la mentalisation des enfants jeunes sont disponibles,
notamment ceux d’âge préscolaire. Les travaux de Sprung (2010), de Chabot, Achim
et Terradas (2015) et de Haméon-Denis (2015) ont recensé les outils existants. Le plus
robuste d’entre eux, qui est également le plus largement utilisé, demeure le Système
de codification de la fonction réflexive de l’enfant (Child Reflective Functioning Scale ou
CRFS ; Ensink, 2003 ; Ensink, Target, Oandasan, & Duval, 2015 ; Target, Oandasan, &
Ensink, 2001) applicable à l’Entrevue d’attachement de l’enfant (Child Attachment
Interview, CAI ; Target, Fonagy, Shmueli-Goetz, Datta, & Schneider, 1998).
Généralement utilisé auprès d’enfants de 8 à 14 ans, il est difficilement adaptable aux
enfants d’âge préscolaire dont le langage et d’autres capacités cognitives s’avèrent
insuffisamment développés. Notre équipe travaille à la validation d’une tâche pour
les enfants âgés de 3 à 6 ans permettant d’évaluer leur capacité de mentalisation
(Ensink & Achim, 2012). Cette tâche consiste à visionner de courtes séquences vidéo
illustrant différentes situations relationnelles de la vie quotidienne puis à répondre à
diverses questions concernant les comportements des personnages et les états
mentaux qui pourraient les sous-tendre (Ensink, Achim, Simard, & Miljkovitch, en
préparation).

Ainsi, un tel constat implique que l’évaluation de cette dimension chez l’enfant 6
repose essentiellement sur la réalisation d’entretiens cliniques, mais aussi qu’il
s’avère primordial d’identifier divers indicateurs cliniques de cette capacité ainsi que
des déficits qui peuvent se manifester à cet égard [2].

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Chapitre 2. Évaluer la capacité à mentaliser de l’enfant et des parents :... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

Que rechercher lorsqu’on évalue la capacité à mentaliser


d’un enfant en contexte clinique ?
Vers l’âge de cinq ans, un enfant capable de mentaliser peut exprimer, avec confiance 7
et avec une certaine clarté, ses états mentaux. Il est en mesure de verbaliser des
émotions variées ainsi que des intentions et des désirs appropriés au contexte
(Midgley, Ensink, Lindqvist, Malberg, & Muller, 2017a). Il est également capable de
saisir ceux d’autrui. Ces aptitudes se manifestent notamment dans les jeux ou les
dessins qu’il réalise où une oscillation fluide entre la réalité externe et sa réalité
intérieure prend place à l’aide des personnages qu’anime l’enfant ou des
représentations graphiques qu’il élabore. La richesse des scenarii qui se déploient
témoigne de l’accès à une capacité d’abstraction bien établie permettant à l’enfant de
faire semblant (Midgley et al., 2017a). La relation au thérapeute est facilitée par la
capacité de l’enfant à accorder sa confiance à l’adulte, l’utilisant (dans le sens entendu
par Winnicott, 1971b) de manière flexible pour réguler ses émotions et pour partager
le plaisir de jouer avec lui. C’est à l’ensemble de ces éléments que le thérapeute doit
être sensible pour évaluer la capacité de mentalisation d’un enfant. Avant d’y
parvenir et d’intégrer ses propres façons de faire face aux divers défis spécifiques au
monde de la petite enfance, chaque enfant devra franchir de nombreuses étapes
développementales et se confronter à différentes sources d’achoppement qui nuiront
à cette tâche complexe que représente la capacité à mentaliser. L’intérêt que l’enfant
porte à ses états mentaux repose sur un certain nombre de fondements qui s’avèrent
souvent déficitaires, d’où la nécessité de les évaluer avec soin.

À l’instar des évaluations réalisées auprès d’adultes visant à déterminer la pertinence 8


d’une référence en psychothérapie axée sur la mentalisation, les indicateurs sur
lesquels nous prenons appui pour l’évaluation des capacités de mentalisation de
l’enfant sont identifiables dans tous les entretiens cliniques que nous menons, peu
importe la forme qu’ils prennent. Quelques remarques préliminaires sont toutefois
nécessaires avant d’en détailler les différentes facettes. Les manifestations cliniques
de ces indicateurs, souvent subtiles, même chez l’adulte, requièrent encore
davantage de sens de l’observation pour les décoder chez l’enfant. À cela s’ajoute
l’inévitable prise en compte du jeune âge et du niveau du développement du langage
de l’enfant, deux éléments incontournables qui influencent la capacité à mentaliser
de l’enfant, d’autant plus que, chez l’enfant d’âge préscolaire, la capacité de
mentalisation est en construction. En effet et tel qu’abordé dans le chapitre 1, ce n’est
qu’à partir de l’âge de 5 ans que les modes de pensée prémentalisants cèdent
graduellement le pas chez l’enfant à une autre façon de penser lui permettant alors
de mentaliser. Sur le plan clinique, ces divers éléments propres au développement
font en sorte que les parents tendent naturellement à chercher à parler au nom de

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Chapitre 2. Évaluer la capacité à mentaliser de l’enfant et des parents :... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

l’enfant pour pallier ses capacités limitées à témoigner verbalement de son


expérience subjective. Une telle situation peut entraîner une sous-estimation des
états mentaux de l’enfant, c’est-à-dire de sa capacité à exprimer ce qui l’habite ou ce
qu’il ressent, même en peu de mots. Il importe alors d’être attentif à la présence
d’indices de mentalisation ou d’une amorce de mentalisation dans les mises en scène
ludiques de l’enfant qui lui servent de modalité d’expression pour parler de son
monde intérieur, voire de ses difficultés.

L’objectif principal de cette première section du chapitre est de présenter (a) la 9


méthode que nous avons développée et mise en place afin d’évaluer la capacité de
l’enfant à tenir compte des états mentaux (par exemple, intentions, désirs, affects),
les siens comme ceux d’autrui ainsi que (b) les principaux indicateurs de cette
capacité, de ses déficits et de leurs manifestations cliniques.

Nous considérons que quatre indicateurs principaux constituent les fondements sur 10
lesquels s’appuie le développement de la capacité de mentalisation. Il s’agit de la
régulation de l’attention, la régulation des émotions, la confiance épistémique et la capacité de
l’enfant à utiliser le jeu pour apprivoiser son monde interne. À ceux-ci s’ajoutent des
indicateurs supplémentaires. Le premier concerne la représentation de soi. Cette
capacité à se représenter soi-même est lié à un second indicateur, soit la capacité de
relater ses réactions lors d’un événement ou d’un jeu à l’aide d’un narratif cohérent,
personnalisé, élaboré et témoignant d’une bonne différenciation entre sa propre
expérience subjective et celle d’autrui, même en situation de conflit soulevant une
charge émotionnelle. Ces indicateurs sont tributaires d’un autre, soit la capacité à
utiliser le langage verbal et non verbal pour communiquer.

Des déficits aux niveaux de l’un ou l’autre des indicateurs précédents influencent la 11
fréquence du recours aux agirs au détriment d’autres moyens permettant la réflexion
pour moduler les émotions. L’identification claire d’un fonctionnement selon l’un ou
l’autre des modes de pensée prémentalisants au cours de l’évaluation représente
également un indicateur supplémentaire de la présence de déficits sur le plan de la
capacité de mentalisation.

Enfin, on observe chez certains enfants de l’âge de latence un phénomène 12


d’hypermentalisation, c’est-à-dire une surproduction d’hypothèses explicatives de
certains faits menant à une mésinterprétation de ces derniers ainsi qu’à une
confusion. Un tel phénomène compromet la capacité de l’enfant à mentaliser et
génère bien souvent chez lui une dysrégulation émotionnelle (Midgley et al., 2017g).

C’est donc l’ensemble de ces indicateurs cliniques qui fournissent des repères 13
permettant de cerner cette dimension du fonctionnement de l’enfant qu’est la
capacité de mentalisation et d’évaluer la pertinence de la mise en place d’un

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Chapitre 2. Évaluer la capacité à mentaliser de l’enfant et des parents :... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

processus psychothérapeutique axé sur la mentalisation. Ils permettront également


de clarifier les forces et les déficits sur le plan de la mentalisation propre à chaque
enfant. La suite de cette section s’attardera à l’évaluation clinique des indicateurs
principaux et supplémentaires de mentalisation chez l’enfant.

Évaluer les indicateurs principaux de la capacité de


mentalisation

La régulation de l’attention chez l’enfant


À titre de rappel, la régulation attentionnelle se définit comme un processus visant à 14
garder un état de disponibilité générale, un sentiment de confort et de calme
suffisant permettant de rester centré sur soi, d’être en contact avec son monde
intérieur, de ressentir les affects, et ultimement, de les mentaliser. La régulation de
l’attention est affectée par les processus sensoriels, physiologiques et cognitifs, par la
réactivité aux stimuli externes, de même que par des aspects neurologiques
impliqués dans le contrôle de l’impulsivité (Verheugt-Pleiter, 2008b ; Zevalkink,
Verheugt-Pleiter, & Fonagy, 2012).

Élaboré à partir de notre expérience clinique et inspiré des questions proposées par 15
Midgley et ses collègues (2017d) pour évaluer ce processus, le tableau 2.1 recense une
série d’aspects sur lesquels porte l’évaluation de la régulation de l’attention.

Tableau 2.1. Aide-mémoire pour évaluer la régulation


attentionnelle de l’enfant
L’enfant se rappelle-t-il le nom du thérapeute d’une rencontre à l’autre ? Est-il content
de le retrouver ?
Dans un contexte d’évaluation en groupe, peut-il reconnaître les autres enfants d’une
rencontre à l’autre ?

En contexte d’évaluation en groupe, l’enfant s’intéresse-t-il aux propos des autres et à


ceux du thérapeute lorsqu’il est interpellé ? Comment répond-il aux consignes ?

L’enfant parvient-il à maintenir son attention sur la tâche ou sur ce qu’il entreprend ? Y
arrive-t-il seul ou grâce au soutien de la part du thérapeute ? L’enfant se laisse-t-il
distraire facilement ?

L’enfant présente-t-il des manifestations d’agitation ? A-t-il du mal à demeurer assis sur
sa chaise ? Bouge-t-il beaucoup ?

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L’enfant est-il conscient de ses maladresses, voire de son impulsivité ? Comment y


réagit-il ?
L’enfant est-il capable d’attention conjointe ? S’adresse-t-il à un adulte avec une
intention claire de lui montrer quelque chose ou pour attirer son attention sur un
besoin ?

L’enfant montre-t-il des signes du fait qu’il est conscient de son corps et de ses
réactions physiologiques ? Semble-t-il physiquement tendu ?

L’enfant montre-t-il des signes d’hyper- ou d’hyporéactivité sensorielle en lien avec les
stimuli présents dans son environnement (par exemple, sons, lumière, sensations
tactiles, odeurs, température) ?

L’enfant est-il hypervigilant ?

L’enfant bénéficie-t-il de l’aide du parent ou du thérapeute pour mieux moduler son


attention ? Accepte-t-il des commentaires positifs ?

En situation de groupe, la qualité de la régulation attentionnelle de l’enfant a-t-elle un


impact sur ses capacités prosociales (par exemple, indifférence vs empathie envers les
pairs du groupe, coopération vs opposition) ?

En situation clinique, l’évaluation de la régulation de l’attention peut être amorcée 16


avec des éléments simples, souvent manifestes dès la prise de contact avec l’enfant. À
titre d’exemple, le thérapeute peut noter sa réponse à une consigne simple, telle que
le fait de lui demander de passer de la salle d’attente au bureau d’entrevue. Il importe
d’être sensible à la façon dont l’enfant prend part à la discussion à son sujet, à ses
réactions aux propos de ses parents ou aux questions que l’évaluateur lui pose. En
acceptant l’idée qu’un enfant développe très tôt son individualité propre, il est
attendu qu’il puisse porter attention à cette situation nouvelle. Quel que soit son âge,
l’enfant devrait être en mesure d’agir comme une personne concernée par
l’entrevue ; il ne devrait pas être totalement absorbé par ses jeux ou encore si
obnubilé par ses tentatives d’organiser une tâche au point de priver le thérapeute de
l’accès à ses états mentaux.

L’observation de l’enfant devrait aussi permettre de recueillir des informations 17


concernant son niveau de conscience corporelle. En effet, la gestion des sensations
physiques et physiologiques s’avère un facteur déterminant dans l’atteinte d’un
niveau de confort suffisant pour permettre une régulation attentionnelle. L’intensité
des sensations avec lesquelles l’enfant semble être aux prises et qui subsistent chez
lui, malgré l’effort de filtrage sensoriel qu’il déploie, doit nous amener à s’interroger
quant aux réactions d’hyper- ou d’hyposensibilité sensorielle qu’il pourrait présenter.
À titre d’exemples, l’enfant se met-il à l’aise dans le bureau d’entrevue ? Selon la
saison, retire-t-il son manteau et ses bottes spontanément pour ne pas avoir trop

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Chapitre 2. Évaluer la capacité à mentaliser de l’enfant et des parents :... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

chaud ? Réclame-t-il un breuvage ou une collation s’il a soif ou faim ? Attend-il que
l’adulte note chez lui des signes témoignant de son besoin d’aller à la toilette ou s’il le
fait par lui-même ? Au-delà des conventions sociales, l’évaluateur doit demeurer à
l’affût de changements souvent bien subtils au niveau de l’état de confort de l’enfant
et profiter des moments où de telles situations se manifestent en entrevue pour les
explorer. Ces réactions physiques et physiologiques de l’enfant ne doivent pas être
confondues avec la présence, chez lui, d’une irritabilité d’origine affective.

La régulation de l’attention peut être compromise par d’importantes difficultés à 18


contrôler l’impulsivité, des difficultés fréquemment observées chez bon nombre
d’enfants consultant en pédopsychiatrie. Cet aspect de nature neurologique est
souvent sous-estimé et faussement interprété sous un angle affectif. À titre
d’illustration, le sens donné à des moments difficiles en entrevue (par exemple,
moments de frustration liée au fait de ne pouvoir terminer un jeu, de devoir tolérer
un délai avant d’obtenir une réponse à ses demandes ou de faire la transition vers des
activités imposées) diffère si l’on considère la contribution de l’impulsivité aux
réactions de l’enfant plutôt que de les analyser sous le seul angle de l’affectivité. Le
processus d’évaluation permet au clinicien d’être témoin de moments de crise lors
desquels il doit être sensible à la façon dont l’enfant réagit au sens donné à ses
comportements afin de réguler son attention. Nous incluons ici les gestes brusques
dirigés vers les jouets ou les coups que l’enfant se donne ou qu’il assène aux adultes
qui seraient à être interprétés comme des maladresses accidentelles associées à un
manque de régulation attentionnelle plutôt que comme des gestes violents
prémédités, alors crédités à une mauvaise régulation émotionnelle. Dans ce contexte,
la prise en compte de l’impulsivité quant à la cause de ses agissements par les parents
ou le thérapeute pourra permettre à l’enfant de retrouver son calme plus facilement
et témoignera de la justesse de cette hypothèse.

Enfin, un des facteurs pouvant donner lieu à une certaine confusion lors de 19
l’évaluation de la qualité de l’attention est celui de l’anxiété générée par une situation
nouvelle comme celle du contexte d’évaluation. Afin de bien la départager de la
régulation de l’attention de l’enfant, il importe de considérer sa persistance tout au
long du premier entretien et sa récurrence ou son atténuation d’une rencontre à
l’autre. Le lieu où se déroulent les évaluations se veut un endroit calme et accueillant,
ce qui permet de bien observer les signes d’hypervigilance aux stimuli environnants
et d’évaluer le niveau de distractibilité de l’enfant.

La régulation des émotions chez l’enfant


Comme décrit dans le chapitre 1, la régulation émotionnelle peut être conçue comme 20
un processus à quatre paliers : la capacité à reconnaître la venue d’une émotion à

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l’intérieur de soi, à l’identifier (par exemple, est-ce de la colère, de la tristesse, de la


joie, de la peur ?), à l’exprimer et à la partager avec autrui (Fonagy, Bateman, &
Luyten, 2012 ; Verheugt-Pleiter, 2008b).

Le tableau 2.2 sert de guide quant à ce qui devrait retenir l’attention des thérapeutes 21
durant les séances d’évaluation avec l’enfant ou lors des discussions avec les parents
concernant la sphère émotionnelle de l’enfant. L’accès au monde émotionnel des
enfants, même très jeunes, est souvent perçu comme difficile, masqué par
l’instabilité des mécanismes de régulation (par exemple, crises fréquentes),
contribuant ainsi à une sous-estimation de sa richesse. Ainsi, en contexte clinique,
l’enfant peut extérioriser ses émotions par des réactions non verbales. Un état de
surexcitation devant la joie ou la surprise ressentie peut se manifester en trépignant
sur place ou en criant. Il peut montrer sa colère ou sa déception en donnant des
coups, en lançant des objets ou en s’opposant aux consignes. Chez plusieurs enfants
d’âge préscolaire, l’expression de la tristesse est souvent entremêlée avec des
réactions de colère. Le clinicien doit être sensible aux manifestations anxieuses de
l’enfant qui influenceront la manière dont ce dernier se reliera à lui. À titre illustratif,
pensons notamment à l’ampleur de son inhibition, celle-ci pouvant aller d’une légère
timidité à une crainte excessive de l’adulte. Le thérapeute s’intéresse aussi aux signes
d’une trop grande sensibilité, d’une labilité émotionnelle, voire d’une irritabilité chez
certains. Chez d’autres enfants, la froideur relationnelle, qui peut témoigner d’un
manque d’empathie envers autrui ou d’un égocentrisme démesuré, peut aussi cacher
une mauvaise régulation des émotions se manifestant par le biais d’une
minimisation de l’expression des sentiments.

Un autre volet de l’évaluation vise à mieux cerner comment l’enfant répond ou non 22
sur le plan émotionnel aux interventions de l’adulte qui tente de s’approcher de lui.
S’il est normal, pour tous les enfants, de faire appel aux adultes lorsque confrontés à
des émotions difficiles, certains d’entre eux cherchent très rapidement à être
soulagés de leurs sentiments, comme s’ils étaient incapables de garder longtemps à
l’intérieur d’eux-mêmes des sentiments perçus comme trop intenses. D’autres, au
contraire, s’opposent, faisant même preuve de défiance et se montrant
imperturbables face aux émotions ressenties, en tardant à accepter de l’aide ou
même en ignorant les propositions des adultes, question de repousser tout
mouvement de tendresse ou de régression. Enfin, certains enfants font preuve d’une
familiarité excessive avec les adultes non familiers, témoignant d’une pauvre
capacité à différencier les personnes dignes de confiance des autres.

La validation des affects de la part du thérapeute est une dimension fondamentale du 23


soutien qu’il offre au développement de la mentalisation de l’enfant. Ce dernier, chez
qui le self est en formation, nourrit sa psyché des apports ajustés, non intrusifs,

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venant de l’adulte. Ainsi, l’enfant sera-t-il en mesure de se saisir des moments de


validation de la part du thérapeute et d’accueillir ses encouragements pour élaborer
davantage ses émotions ? À l’inverse, les commentaires de ce dernier auront-ils un
effet désorganisant sur ses affects en provoquant une réaction de fermeture devant
une remarque se voulant par ailleurs soutenante ?

Une autre dimension non négligeable de la régulation émotionnelle à prendre en 24


compte concerne la rapidité à laquelle chaque enfant est en mesure de retrouver son
calme après une période de dysrégulation affective. Pour certains d’entre eux,
l’humeur redevient subitement normale alors que pour d’autres, l’affect demeure
tendu pour une période prolongée, et ce même à la suite de contrariétés qui
pourraient être considérées comme plutôt banales. D’ailleurs, les parents expriment
souvent leur perplexité devant ces manifestations émotives de grande intensité qui
témoignent d’un problème de régulation des émotions.

Tel qu’évoqué lorsque nous avons abordé l’évaluation de la régulation attentionnelle, 25


il importe de bien discerner ce qui, dans la modulation des réactions de frustration
chez l’enfant, relève d’un manque d’attention et d’une réponse impulsive, de ce qui
est plutôt attribuable à l’irritabilité de l’humeur et contribue à la dysrégulation
émotionnelle. En contexte clinique, les moments de transition (par exemple, ranger
les jouets et se préparer pour le départ) représentent des occasions précieuses
permettant de distinguer ces aspects. En effet, chez certains enfants, l’agitation et les
gestes brusques émergent de façon soudaine et traduisent ainsi la présence
d’impulsivité. Chez d’autres, c’est par l’argumentation ou le refus passif devant la
tâche attendue que l’irritabilité croissante conduit à une crise qui perdure, reflétant
dans ce cas la présence d’une humeur irritable.

S’inspirant à nouveau des propositions de Midgley et ses collègues (2017d), le tableau 26


2.2 présente les grands repères sur lesquels nous nous appuyons pour évaluer la
régulation émotionnelle des enfants que nous rencontrons.

Tableau 2.2. Aide-mémoire pour évaluer la régulation émotionnelle


de l’enfant
Quelles sont les émotions que l’enfant connaît et est capable d’identifier chez autrui ?

Quelles sont les émotions que l’enfant identifie à l’intérieur de lui-même et qu’il
exprime avec facilité ? Quelles sont celles qui sont exprimées avec difficulté ?

Comment l’enfant gère-t-il les émotions difficiles de façon générale ? Comment les
gère-t-il en séance ?

Accepte-t-il l’aide de l’adulte pour gérer ses émotions ? Y arrive-t-il seul ? Fait-il trop ou
trop peu appel à l’adulte pour l’aider ? L’effet de l’intervention de l’adulte est-il durable ?

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Comment l’enfant gère-t-il les émotions générées par les conflits avec les pairs ? De
façon prosociale ? Agressive ? En rejetant la faute sur autrui ? En se mettant en retrait ?

Quels sont les affects douloureux que manifeste l’enfant en séance ? Ces affects se
transforment-ils en comportements problématiques (par exemple, crises, agressivité,
retrait) ?

Quelles émotions sont suscitées lorsque l’enfant vit des frustrations ? Quel est l’effet des
limites imposées à l’enfant ? Apaisant ? Désorganisant ?

L’enfant demande-t-il de l’aide lorsqu’il en a besoin pour réguler ses émotions ?


Supporte-t-il l’aide offerte ? À qui et comment formule-t-il ses demandes ?

L’enfant peut-il être consolé lorsqu’il est bouleversé ou vexé ? À quel rythme revient-il à
un état normal ? Rapidement ? Lentement ?

Quel est l’effet d’un commentaire positif ou validant sur la régulation émotionnelle de
l’enfant ?

La confiance épistémique
Tel qu’abordé dans le chapitre 1, Fonagy (Fonagy, Luyten, & Allison, 2015) a introduit 27
la notion de la confiance épistémique et l’a élevée au rang d’instinct de communication.
Elle réfère à la capacité de l’enfant de décider à quelles sources d’informations il peut
faire confiance pour acquérir de nouvelles connaissances. La confiance épistémique ne
se déploierait qu’à condition que l’enfant ressente qu’il peut se tourner vers ses parents
lorsqu’il a peur ou qu’il est en détresse, qu’ils l’accueilleront, qu’ils pourront l’apaiser et l’aider à
comprendre les situations difficiles. À la base, un style d’attachement sécurisé chez
l’enfant favoriserait la confiance épistémique alors qu’un style d’attachement
désorganisé, sous-tendu notamment par une grande imprévisibilité des réactions
parentales, générerait plutôt une méfiance épistémique. De plus, Fonagy et Bateman
(2019) insistent sur l’importance de la clarté des signaux (ostensive cues) émis par les
adultes pour favoriser la mise en place de la confiance épistémique. Nous incluons ici
la précision du marquage des messages importants qui, au même titre que ce qui est
souhaitable avec les émotions, se doivent d’être contingents, congruents et bien
différenciés pour exercer leur effet.

La régulation affective repose, entre autres choses, sur la confiance accordée par 28
l’enfant aux adultes significatifs de l’entourage, ceux de la famille élargie, aux
éducatrices de garderie, aux enseignants ou aux thérapeutes. La confiance
épistémique implique, chez l’enfant un peu plus âgé, une ouverture à recevoir, de la
part de ces mêmes adultes, une information s’adressant d’abord à tous (en classe, par
exemple), mais en la percevant comme une information qui le concerne aussi

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personnellement. Lorsqu’il est en confiance, l’enfant devrait être en mesure de


généraliser l’usage d’une information reçue dans un contexte donné à d’autres
situations similaires. Cette flexibilité cognitive lui permet d’atteindre une meilleure
adaptation sociale, voire une capacité accrue à travailler en collaboration, à partager
des connaissances de façon imaginative et constructive avec les autres. À l’opposé,
une rigidité cognitive conséquente à des difficultés de généralisation des
informations (elle-même conséquente à une méfiance épistémique) peut générer de
puissants sentiments d’injustice et contribuer à l’instauration de routines rigides,
pouvant provoquer des situations de débordement affectif difficiles à contenir par les
adultes.

Voici quelques points de repère permettant d’identifier la confiance et la méfiance 29


épistémique en contexte clinique.

Les rencontres cliniques se révèlent être des moments chargés émotionnellement 30


pour tous les membres de la famille présents. La confiance épistémique devrait
permettre à l’enfant de s’appuyer sur ses parents pour faire face à cette situation
nouvelle, pour l’aider à se sentir en sécurité ainsi que pour gérer ses émotions. Les
limites qui lui sont imposées afin de le protéger devraient également générer un
apaisement chez lui. À titre d’exemple, nous pouvons nous attarder au moment où
un enfant manifeste le désir de jouer. Si la confiance épistémique est bien établie, un
signe de tête et un regard de l’adulte (parent ou thérapeute) suffisent comme signal
l’autorisant à y aller. La méfiance épistémique peut se traduire par la présence de
difficultés, voire d’une incapacité chez l’enfant à identifier et établir une distance
optimale avec ses parents, compromettant ainsi la possibilité d’acquérir
graduellement une autonomie. En séance, de telles difficultés peuvent se manifester
notamment par une incapacité de s’éloigner d’eux pour jouer ou, à l’inverse, de
formuler une demande ainsi que par une insistance pour se débrouiller seul malgré
des difficultés évidentes à le faire. L’enfant peut parfois même ignorer les
avertissements des adultes concernant le danger qu’impliquent certaines situations
et se désorganiser suite aux limites imposées par les adultes.

Tableau 2.3. Aide-mémoire pour repérer les indices de confiance et


de méfiance épistémiques
De quelle façon l’enfant prend-il appui sur ses parents lorsqu’il est confronté à une
situation nouvelle ? Recherche-t-il leur proximité ? S’isole-t-il ?
Le message des parents est-il marqué de façon claire, et ce tant sur le plan verbal que
non verbal ? Est-il contingent ? Congruent ? Différencié ?

Comment l’enfant réagit-il aux messages d’encouragement des parents pour explorer
l’environnement ? Avec confiance ? Demeure-t-il craintif ?

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L’enfant donne-t-il l’impression d’entendre les consignes et de choisir de ne pas y


répondre ?

L’enfant démontre-t-il un surcroît d’assurance qui l’amène à se mettre en danger ?

Comment l’enfant gère-t-il l’incertitude et l’imprévisibilité associées aux changements


de routine ?

L’enfant est-il atteignable sur le plan psychologique pour être rassuré, pour recevoir un
conseil ou persiste-t-il à se sentir abandonné ou trahi à la moindre embûche
relationnelle ?

L’enfant est-il hypersensible aux injustices perçues ? Imagine-t-il facilement qu’on


cherche à le provoquer afin qu’il se fâche ?
Prête-t-il des intentions hostiles à autrui ?
Argumente-t-il à l’excès la pertinence des demandes, les jugeant irrecevables ?

La place du jeu symbolique et des productions graphiques comme soutien à


l’expression des états mentaux
Chez l’enfant, le jeu symbolique et le dessin élargissent grandement les possibilités 31
de communication des états mentaux, incluant les émotions. Ces modes
d’expression méritent qu’on y accorde une importance et une attention particulières
étant donné leur contribution significative à la régulation des émotions, mais aussi à
l’accès aux états mentaux de l’enfant. Tessier et ses collègues ont montré que la
représentation symbolique et l’élaboration de jeux de faire semblant contribuent au
développement de la capacité de produire un narratif autobiographique à l’intérieur
de soi (Tessier, Ensink, Normandin, & Fonagy, 2016). De plus, la richesse et la
complexité grandissantes de ce narratif avec l’âge serviraient de prédicteurs à la mise
en place de la mentalisation et de la lecture appropriée des états mentaux, comme
Fonagy et Target l’avaient proposé dans leur série d’articles consacrée à l’importance
du jeu pour le développement de la capacité de mentalisation (Fonagy & Target, 1996,
2000, 2007 ; Target & Fonagy, 1996).

Ainsi, il est attendu que l’enfant attribue des désirs et prête des intentions et des 32
émotions aux figurines ou animaux qu’il anime. Le thérapeute qui cherche à mieux
cerner la capacité de mentalisation de l’enfant et d’évaluer la pertinence d’une
référence en psychothérapie basée sur la mentalisation doit être particulièrement
attentif à l’expression de ces états mentaux. Ils seront extériorisés de façon implicite
ou explicite par l’enfant lui-même ou à travers divers personnages. Le clinicien
notera l’intensité des émotions manifestées, leur fréquence, leur diversité de même
que la cohérence et la congruence de ces divers états mentaux en lien avec le jeu mis
en scène et la narration qui en est faite. De plus, il cherchera à estimer l’effet

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qu’apporte le jeu (apaisement ou désorganisation), sur la régulation des émotions.

Le jeu devrait être source de plaisir partagé, de communication émotionnelle et 33


d’échanges constructifs et variés. Chez plusieurs enfants consultant en
pédopsychiatrie, la qualité du jeu est pauvre. Son aspect répétitif, le manque
d’originalité dans les scénarios mis en scène et le désir de contrôler le partenaire de
jeu peuvent susciter l’ennui. Le jeu se limite souvent à placer les éléments sans
arriver à faire vivre un scénario par la suite, laissant alors bien peu de place aux états
mentaux et plus particulièrement aux émotions. Pour d’autres, l’émotion dominante
s’exprime par l’élaboration de scénarios violents sans fin qui peuvent provoquer des
sentiments de peur et d’effroi. Le thérapeute doit aussi prendre en compte ce que les
parents, la fratrie ou les pairs ressentent lorsqu’ils jouent avec l’enfant : désintérêt,
sentiment d’être contrôlé ou crainte de devenir complice d’une agressivité mal
contenue. Le thérapeute note l’intérêt et la curiosité que manifeste ou non l’enfant
face à ses propositions, notamment quant aux variations qu’il propose à l’égard des
thèmes ou des scénarios de jeu privilégiés par l’enfant. L’enfant prêtera-t-il à son tour
des émotions ou des intentions aux personnages introduits par le thérapeute ?
Comment répondra-t-il à l’introduction, chez ces mêmes personnages, d’émotions
ou d’intentions différentes par le thérapeute ? En les ignorant ? En les repoussant
fortement ? Pourra-t-il être vexé et se refermer sur lui-même devant des idées qui ne
sont pas les siennes ? Le thérapeute doit également être attentif à ses éprouvés
contre-transférentiels (par exemple, plaisir, excitation, confusion, ennui, emprise,
peur) qui peuvent contribuer à le renseigner sur l’expérience subjective de l’enfant.
Le tableau 2.4 propose une synthèse des éléments à considérer lors de l’évaluation de
cet indicateur chez l’enfant.

Tableau 2.4. Aide-mémoire pour évaluer l’expression des états


mentaux par le jeu et le dessin
L’enfant est-il en mesure de jouer ? Met-il en scène un jeu symbolique qui semble lié à
son expérience subjective ?
Quel est l’effet du jeu sur la régulation des émotions ? Apaisement ? Désorganisation ?

Quels sont les états mentaux, et plus particulièrement les émotions, que l’enfant met en
scène à travers son jeu et ses dessins ? Sont-elles exprimées de manière implicite ou
explicite ?
Le thérapeute peut-il en qualifier l’intensité, la fréquence, la variété, la cohérence et la
congruence ?

L’enfant peut-il se montrer curieux à l’égard des intentions et des réactions émotives
prêtées à des personnages ?
L’enfant arrive-t-il à créer et à mener une histoire à terme avec des personnages qui
sont habités par des états mentaux ?

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Que ressent le thérapeute en jouant avec l’enfant ? Du plaisir ? De l’ennui ? De la


confusion ? Comment le thérapeute peut-il qualifier le jeu de l’enfant ? Lui semble-t-il
souple ou rigide ?

Somme toute, l’évaluation de ces quatre indicateurs représentent les fondements sur 34
lesquels s’appuie le développement de la capacité de mentalisation, soit la régulation
de l’attention, la régulation des émotions, la confiance épistémique et la capacité à
utiliser le jeu ainsi que les dessins afin d’exprimer son expérience subjective. Ils
devraient permettre au clinicien de bien cerner les forces et les déficits de
mentalisation de l’enfant et d’identifier les contextes favorisant et défavorisant le
déploiement de cette capacité. La prise en compte d’autres indicateurs permet de
bonifier cette compréhension.

Les indicateurs supplémentaires de la capacité de


mentalisation

La représentation de soi
Le premier de ces indicateurs concerne la représentation de soi de l’enfant. Divers 35
éléments témoignent de la présence, chez l’enfant, d’une représentation de soi solide,
c’est-à-dire une représentation bien construite, cohérente et bien différenciée
d’autrui. En contexte d’évaluation, le thérapeute peut porter attention à différentes
manifestations. L’enfant possédant une bonne représentation de soi devrait pouvoir
démontrer une certaine assurance lorsqu’il est invité à se présenter, à situer le
thérapeute quant à sa position dans la famille ou encore à présenter les personnes
significatives prenant soin de lui ainsi que les liens affectifs qui les unissent. Il
devrait également être en mesure de fournir des informations concernant ses amis,
les intérêts qu’ils partagent ou les sources de désaccord entre eux. Il devrait se
montrer capable d’exprimer ce qu’il ressent. À l’inverse, la présence d’une
représentation de soi peu construite, soit fragile, incohérente ou fragmentée,
pourrait se manifester par des difficultés à ces différents égards. Ainsi, l’enfant
pourrait avoir du mal à parler de lui-même, à préciser ce qui l’intéresse et à exprimer
ses émotions. Il pourrait également se montrer indûment influençable par ce que les
autres pensent et font. L’enfant en difficulté pourrait ainsi se contenter d’imiter les
productions graphiques d’autrui ou insister pour que ses partenaires de jeu décident
pour lui du contenu et du déroulement du jeu.

La capacité à élaborer un narratif de son histoire

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Un autre indicateur réfère à la capacité de l’enfant de raconter de façon simple des 36


événements du quotidien en tenant compte de ses propres actions et de leur impact
sur autrui ainsi que de ses émotions. Cette aptitude à élaborer un narratif cohérent
inclut la capacité de se construire et de se raconter une histoire à propos de sa propre
histoire ainsi que de l’entrevoir sur une ligne de vie cohérente (Tessier et al., 2016).
Un enfant présentant des difficultés à cet égard pourrait notamment avoir du mal à
penser par lui-même de façon à générer ses propres idées et sa propre perspective
sur un événement. Il pourrait aussi devoir constamment prendre appui sur l’autre –
ses parents, ses pairs ou le thérapeute – pour y arriver.

Le langage et le recours aux agirs


La capacité de mentalisation sera tributaire d’un bon niveau de langage. Pour la 37
clientèle pédopsychiatrique, les retards développementaux et les traumas
relationnels fréquents viendront fragiliser les fondements de cette capacité à
mentaliser. Ceux-ci contribueront au manque de flexibilité mentale de même qu’à la
tendance à s’exprimer par des agirs plutôt que par la parole, favorisant le recours à
l’agressivité, à l’excitation ou encore prenant la forme d’expression par le biais de
malaises physiques ou de comportements régressés. Laurent et ses collaborateurs
ont montré que les enfants d’âge préscolaire issus de la population générale ayant
une pauvre capacité à exprimer verbalement et à comprendre les émotions étaient
plus à risque de se comporter de manière agressive avec leurs pairs et plus
susceptibles d’être rejetés par ceux-ci que ceux présentant une meilleure capacité de
mentalisation (Laurent, Ensink, Hecht, & Borelli, 2020).

Les modes prémentalisants


Tel qu’abordé dans le chapitre 1, l’observation clinique a permis l’identification de 38
modes de pensée prémentalisants, opérant de façon prédominante jusqu’à quatre
ans avant de s’intégrer et permettre l’atteinte d’un mode de pensée mentalisant vers
l’âge de 5 ou 6 ans. Rappelons que ces modes de pensée peuvent persister chez
l’enfant et chez l’adulte de façon plus ou moins prononcée, conduisant à des
distorsions cognitives et à des incompréhensions des états mentaux, les siens, ceux
d’autrui et ceux suscités par les relations qu’il entretient avec les autres (Allen,
Fonagy, & Bateman, 2008a).

Avec les enfants consultant en pédopsychiatrie et qui présentent des difficultés 39


d’attachement à la suite de traumas relationnels répétés, les modes de pensée
prémentalisants persisteront plus longtemps et ces enfants répondront souvent de
façon limitée à des tentatives de mentalisation.

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Comme le soulignent Domon-Archambault et Terradas (2015), le fonctionnement 40


selon un mode téléologique implique des tentatives d’autorégulation via le corps. Elles
peuvent prendre la forme de plaintes somatiques répétées (par exemple, douleurs
d’origine indéterminée au ventre, à la tête ou à la musculature), suscitant
l’inquiétude des parents et des adultes impliqués auprès de lui au point de conduire à
des investigations médicales. Une autre expression du mode téléologique consiste à
recourir aux agirs, dont l’agressivité ou la surexcitation, entraînant l’adulte à
répliquer au moyen de réponses automatiques évacuant l’aspect réflexif ou le
rendant inefficace. L’enfant tend alors à exiger des solutions concrètes et immédiates
et à démontrer une très faible tolérance à la frustration, ce qui donne fréquemment
lieu à des crises de colère intenses, alimentant une spirale de sentiments
d’incompréhension et d’injustice (Midgley et al., 2017d).

En mode d’équivalence psychique, les réalités interne et externe se superposent pour 41


l’enfant encore incapable d’interpréter cette différence de façon abstraite, générant
une confusion dans son esprit. Il est convaincu que ce qu’il pense et ressent face à
une situation correspond en tout point à la réalité (Allen et al., 2008a).
Conséquemment, les états mentaux de l’enfant auront un caractère égocentrique,
c’est-à-dire qu’il lui sera difficile d’envisager une perspective différente de la sienne.
La confusion entre réalité interne et réalité externe implique que le jeu de l’enfant
prenne une forme souvent mal structurée et violente. Malgré le fait qu’il puisse être
tenté de stopper le jeu pour y mettre de l’ordre, le thérapeute se voit emporté par le
chaos créé, sans trouver d’ouverture pour intervenir et pour échapper à cette
confusion. Certains enfants tentent de s’en défendre en adoptant une manière de
penser très rigide. Ils peuvent alors imposer une manière unique de jouer au sein de
laquelle aucun compromis n’est envisageable (Midgley et al., 2017d).

Lorsque l’enfant accède au mode semblant, il peut utiliser son imagination pour créer 42
des scénarios qui servent à se raconter une histoire essentiellement pour lui-même.
Ainsi, il tolère mal que le scénario soit bousculé par des éléments de la réalité
extérieure. Le regard que porte l’adulte sur ce que l’enfant laisse voir par ses jeux ou
ses dessins peut être suffisant pour déstabiliser cette construction intérieure. Un tel
fonctionnement résulterait de la présence de pensées et de sentiments chez l’enfant
dont le sens doit demeurer privé, presque secret, pour atténuer l’intensité de ce
monde interne et se protéger de l’impact de la réalité externe. Ainsi, lorsque l’enfant
fonctionne selon le mode semblant, son jeu est souvent caractérisé par son aspect
monotone et répétitif, sans plaisir et tend à instiller des réactions semblables chez le
thérapeute qui peut s’ennuyer en séance et s’y sentir peu impliqué affectivement
(Midgley et al., 2017 g). Ce climat contribue à l’évitement de l’abord, à travers le jeu ou
la parole, des sujets chauds qui demeurent ainsi en plan.

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Midgley et ses collègues (2017d) et Zevalkink et son équipe (2012) identifient 43


différentes manifestations observables traduisant la présence de tels
fonctionnements chez l’enfant (tant sur le plan des comportements qu’il adopte que
des émotions qu’il exprime) ainsi que les réactions qu’ils tendent à susciter chez le
thérapeute. Le tableau 2.5 en présente une synthèse que nous avons enrichie par
l’introduction de différents éléments observés dans le cadre de notre propre pratique
clinique.

Tableau 2.5. Manifestations d’un fonctionnement selon les


différents modes de pensée prémentalisants chez l’enfant et ses
effets sur le thérapeute
Mode téléologique

Enfant :
Crises de colère nécessitant une intervention immédiate de la part d’un adulte
Plaintes somatiques d’origine indéterminée
Sentiment d’incompréhension et d’injustice
Interprétation de la réalité externe sans nuance, basée sur des indices concrets

Jeu :
Centré sur l’action
Frustration et irritabilité chez l’enfant lorsque son jeu ne se déroule pas comme
souhaité ; plaintes relatives au fait de ne pas avoir le « bon » jouet
Attribution d’une origine extérieure (à soi) des difficultés
Attente d’une réparation « magique » de la part du thérapeute

Thérapeute :
Sous tension ; sentiment de devoir solutionner rapidement ce qui ne va pas
Tendance à expliquer, à donner des conseils pour éviter les crises et le repli sur soi
Sentiment de « désaccordage » affectif
Sentiment d’être au service de l’autre, de manière utilitaire
Effets désorganisants des interventions concernant les états mentaux (augmentation
des crises plutôt qu’apaisement) qui sont vécues de façon hostile ou comme une attaque
par l’enfant

Mode équivalence psychique

Enfant :
Pense que le thérapeute peut deviner précisément ses désirs, pensées, intentions
Expérimente la réalité interne comme une copie conforme de la réalité externe
Ne tient pas compte des sentiments d’autrui
Égocentrisme
Recours à l’identification projective (affects et intentions prêtés à autrui)

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Jeu :
Incohérent, confus, chaotique, destructeur, violent (thèmes crus)
Centré sur sa propre perspective (lui seul a raison)
Difficultés à tolérer de perdre au jeu
Jeu à risque d’acquérir un caractère trop réel

Thérapeute :
Éprouve des difficultés à suivre le sens du jeu de l’enfant
Sentiment de confusion et tentatives d’intervention visant à poser des limites au jeu
Sentiment d’impuissance
Nécessité d’interventions visant à recentrer l’attention et à rappeler la différence entre
« faire pour de vrai » et « faire semblant »

Mode semblant

Enfant :
S’oppose aux tentatives du thérapeute visant à lier éléments du jeu et de la réalité
intérieure
Attitude neutre ; peu ou pas en contact avec ses émotions
Ne cherche pas à partager le plaisir du jeu avec le thérapeute
Tente d’éviter les débordements affectifs

Jeu :
Jeu symbolique présent mais souvent répétitif, monotone
Expression d’affects, mais qui ne peuvent être liés à sa réalité intérieure

Thérapeute :
Sentiment d’être neutralisé
Perçoit les manœuvres d’évitement par l’enfant
Sentiment d’ennui et risque de fonctionner sous un mode automatique
Sentiment de désengagement et d’absence lors des séances
Désir d’intervenir pour enrichir le contenu émotionnel dans le jeu ou pour valider les
affects des personnages afin de créer un peu d’« excitation » dans le jeu

L’hypermentalisation
Le dernier indicateur de mentalisation auquel nous nous intéressons dans cette 44
section concerne le recours à ce qui a été décrit comme une hypermentalisation, c’est-
à-dire une tendance à surinterpréter les faits, à attribuer des états mentaux extrêmes
à autrui et à générer une multitude d’hypothèses dont aucune ne se révèle porteuse
de sens ou d’apaisement (Midgley et al., 2017 g). Sharp et Rossouw (2019) ont observé
ce phénomène chez des adolescents et des adultes présentant un trouble de
personnalité limite en situation d’émotions intenses et devant résoudre des conflits.
Elles soutiennent que certains adolescents cherchent ainsi, mais sans succès, à
différencier et intégrer les états mentaux des uns et des autres afin de faire sens de
leurs comportements. Elles ont même démontré que, chez les adolescents souffrant

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d’un trouble de personnalité limite, l’hypermentalisation est la principale source de


dysrégulation émotionnelle et non l’inverse, c’est-à-dire que la dysrégulation
émotionnelle engendre l’hypermentalisation (Sharp & Venta, 2012 ; Sharp, Venta et
al., 2016).

Nous constatons également ce type de phénomène chez certains enfants que nous 45
recevons, notamment chez ceux ayant été victimes d’abus ou ayant connu des
expériences traumatiques précocement au cours de leur vie. Nous observons chez
eux ce que Midgley et ses collègues (2017 g) ont décrit comme une agitation mentale
qui engendre une confusion chez l’enfant. Cette confusion résulterait du fait que les
pensées seraient insuffisamment liées entre elles ou encore de la tendance de l’enfant
à établir des liens excessifs puis à tirer des conclusions abusives à partir d’indices
sociaux mineurs (Midgley et al., 2017 g). L’enfant se retrouverait alors dans un état où
il n’arriverait plus à se fier à son jugement et, par conséquent, ne serait plus en
mesure de déterminer laquelle de ses idées serait la meilleure pour résoudre une
situation difficile. À l’instar de Midgley et ses collègues (2 017 g), nous constatons ce
type de processus chez des enfants souffrant de psychopathologie ou à haut risque
d’en développer.

Les difficultés que présente Julien illustrent bien ce type de fonctionnement. Il s’agit d’un 46
enfant de 8 ans, vivant en famille d’accueil depuis le décès subit de son père suite à un
problème cardiaque. L’enfant n’a plus de contact avec sa mère biologique qui demeure
introuvable depuis quelques années. Julien est un garçon anxieux qui parle sans cesse. Il
évoque de manière compulsive le fait que ses proches pourraient mourir, souvent en se basant
sur des bribes de conversations entendues entre les adultes. La blessure mineure du père
d’accueil, le rhume de la mère d’accueil ou le tabagisme léger d’une adolescente vivant au sein
de la famille alimentent un flot d’idées morbides qui ne cessent que lorsqu’elles sont
remplacées par de nouvelles peurs. Bien que l’enfant connaisse les risques qu’implique le
tabagisme pour le développement d’un cancer, les conclusions qu’il tire de signes mineurs (par
exemple, une toux passagère) sont exagérées et donnent lieu à des réactions d’angoisse
intenses (par exemple, qui s’occupera de moi si elle meurt ?). Toutes tentatives visant à
mentaliser ces processus de pensées demeurent vaines.

L’évaluation de la capacité de mentalisation des parents

Dans la foulée des recommandations de Luyten et ses collègues (2019) et de la même 47


manière dont nous la conceptualisons chez l’enfant, l’évaluation de la capacité de
mentalisation parentale (ou fonction réflexive parentale) repose sur une mixité de
moyens. Dans le contexte de notre service, cette évaluation se fait principalement par

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le biais d’entretiens cliniques (évaluation pédopsychiatrique et évaluation


relationnelle). Néanmoins, les résultats obtenus à différents questionnaires, et plus
particulièrement au Questionnaire de fonction réflexive du parent-1 (QFRP-1 ; version
traduite en français par Achim et Ensink en 2011 du Parental Reflective Functioning
Questionnaire-1 ou PRFQ-1 développé en 2009 et validé en 2017 par Luyten et al.),
permettent d’en bonifier la compréhension. Élaboré à partir de l’Entrevue du
développement du parent-révisé (Parental Development Interview-Revised ou PDI-R ;
Slade, Aber, Bresgi, Berger, & Kaplan, 2004), le QFRP-1 permet d’identifier chez le
parent une tendance à (a) utiliser de manière prédominante des modes de pensée
prémentalisants et à (b) démontrer une certitude quant aux états mentaux de son
enfant. Il permet aussi d’identifier chez lui la présence d’une curiosité à l’égard des
états mentaux de son enfant. Ainsi et malgré l’existence d’entrevues semi-structurées
riches et robustes telles le PDI-R (Slade et al., 2004) et sa version courte, la Mini-
Entrevue sur la Fonction Réflexive Parentale pour les parents d’enfants d’âge préscolaire
(Mini-EFRP ; Ensink & Borelli, 2018) permettant l’évaluation de la capacité de
mentalisation parentale, nous privilégions plutôt l’utilisation du questionnaire
QFRP-1. En effet, l’administration et l’analyse de ces entrevues requérant des
ressources professionnelles qualifiées pouvant y consacrer un temps important, il
n’est pas possible d’y avoir recours dans notre contexte clinique. Nous tendons
néanmoins à nous inspirer de la formulation mentalisante de leurs questions dans le
cadre des entretiens cliniques que nous réalisons.

Pour être en mesure d’évaluer la fonction réflexive parentale par le biais d’entretiens 48
cliniques, le thérapeute doit s’intéresser à différents aspects de la relation parent-
enfant, observables dans le contexte de leurs interactions. Ensink et ses collègues ont
proposé différents repères à cet égard (Ensink, Leroux, Normandin, Biberdzic, &
Fonagy, 2017.) Les aspects témoignant d’une bonne capacité de mentalisation
parentale concernent la capacité d’un parent à adopter une posture mentalisante,
comprenant l’intérêt pour la subjectivité de l’enfant, la capacité à jouer et la
communication affective. Les aspects témoignant plutôt d’une capacité de
mentalisation limitée réfèrent au retrait ou au désengagement de la relation, au
contrôle agressif et même à l’hostilité manifestés dans l’interaction avec l’enfant
(Ensink et al., 2017).

L’entrevue relationnelle, développée au Service de pédopsychiatrie, permet d’évaluer la 49


qualité du lien parent-enfant de façon générale, mais aussi de constater comment la
fonction réflexive parentale se déploie dans le cadre des interactions au quotidien
entre le parent et l’enfant. Il s’agit d’une entrevue semi-structurée d’une durée
d’environ 60 minutes qui prend place en présence des parents, de l’enfant et du
professionnel impliqué lors de la rencontre initiale avec le pédopsychiatre.

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L’entrevue relationnelle a été mise en place en s’inspirant de la méthode Watch, Wait 50


and Wonder ou 3W (Cohen, Lojkasek, Muir, Muir, & Parker, 2002 ; Muir, Lojkasek, &
Cohen, 2000) et du jeu trilogique de Lausanne (Lausanne Trilogic Play ou LTP ; Fivaz-
Despeursinge & Corboz-Warnery, 1999 ; Fivaz-Depeursinge & Philipp, 2014). Cette
procédure invite le parent à jouer avec son enfant et à suivre le jeu initié par ce
dernier. Comme le LTP, l’entrevue relationnelle comporte quatre étapes. Lors de la
première et de la deuxième étape, les parents sont d’abord invités à jouer, à tour de
rôle, avec leur enfant mais aussi à l’observer en train de jouer avec l’autre parent, tout
en s’intéressant et en se questionnant quant aux états mentaux de chacun. La
troisième étape consiste en un moment où parents et enfant joueront tous ensemble
alors que la quatrième étape implique que les parents discutent ensemble de ce qu’ils
ont observé, laissant l’enfant poursuivre un jeu sans eux. La consigne transmise aux
parents indique de laisser à l’enfant la possibilité du choix des jeux et d’y entraîner
son parent. Ces quatre étapes, d’une durée d’environ 20 minutes, sont suivies d’une
période de discussion avec le thérapeute pour continuer à élaborer sur ce qui a été
observé. Une des visées de cette évaluation relationnelle est d’avoir accès à la façon
dont les parents s’interrogent quant à ce qui se passe dans l’esprit de chacun, quant
aux intentions que chacun pourrait prêter à l’autre ou encore quant à ses propres
motivations. Le thérapeute peut inclure certaines questions inspirées du Mini-EFRP
lors de cette partie de l’entrevue pour stimuler la réflexion de certains parents. Une
illustration de son utilisation en contexte clinique sera présentée dans la prochaine
section.

À partir de leur expérience de psychothérapie basée sur la mentalisation avec les 51


familles, Asen et Fonagy (2012) ont proposé une série d’indices cliniques témoignant
de la capacité de mentalisation des parents et de leurs difficultés. Ils ont été repris
par Midgley et ses collègues (2017d) ; nous les reprenons ici à notre tour dans le
tableau 2.6 en explicitant les différents éléments théoriques auxquels ils renvoient et
qu’ils permettent d’évaluer lors des entretiens cliniques.

Tableau 2.6. Aide-mémoire pour évaluer la capacité de


mentalisation parentale des parents
Un parent tend-il à parler à la place de l’autre parent ou de l’enfant lors des entretiens
cliniques ? (manque de différenciation soi-autrui)

Les parents réfèrent-ils à leurs propres pensées et à leurs propres sentiments ?


(reconnaissance de ses propres états mentaux)

Les parents réfèrent-ils aux pensées et aux sentiments des autres membres de la
famille ? (reconnaissance des états mentaux d’autrui)

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Les parents tiennent-ils compte de la perspective et des points de vue des autres ?
(ouverture à la perspective d’autrui et flexibilité cognitive)

Les parents verbalisent-ils des doutes quant à leur compréhension de l’enfant ? (par
exemple, « je pourrais me tromper, est-ce juste de penser que… ? » (reconnaissance de
l’opacité de l’esprit de l’autre)

Les parents emploient-ils des mots référant à des absolus tels « toujours » et « jamais »
pour décrire le comportement d’un membre la famille ou pour décrire comment ils
croient que l’un ou l’autre pense ? (modes prémentalisants)

Les parents se servent-ils de l’humour ou d’un ton ludique pour communiquer ?

Y a-t-il des thématiques ou des émotions particulières qui semblent évitées en


entrevue ? Qui sont évitées par crainte d’une escalade émotionnelle ou oppositionnelle
ingérable ? (régulation de l’activation émotionnelle problématique)

Quand les parents décrivent leurs comportements, réfèrent-ils quelquefois aux


intentions qui y sont rattachées ? (états mentaux)

L’intégration de l’évaluation de la mentalisation au


processus d’évaluation clinique pédopsychiatrique

Après avoir discuté des divers indicateurs servant à évaluer les capacités de 52
mentalisation des enfants et des parents, nous verrons dans cette section comment
l’ensemble des informations recueillies lors du processus d’évaluation peut s’agencer
et influencer la façon d’offrir les soins aux familles en clinique pédopsychiatrique. En
contexte clinique, nous puisons à même une pluralité de modalités évaluatives
(évaluations pédopsychiatrique, relationnelle, cognitive projective et groupale) et
nous avons recours à des questionnaires. Le tableau 2.7 les résume. Toutes ces
modalités ne sont pas utilisées avec l’ensemble des familles. Si certaines sont
incontournables (évaluations pédopsychiatrique et relationnelle, questionnaires),
d’autres sont optionnelles (évaluation cognitive ou projective, groupe diagnostique
pour l’enfant) et sont utilisées en fonction de l’âge de l’enfant ou de la problématique
présentée par les familles qui consultent. À l’instar de ce que propose le groupe de
Midgley (Midgley et al., 2017d), nous privilégions une façon de faire flexible, mais qui
permet, à coup sûr, de rencontrer l’enfant, ses parents et d’apprécier la qualité des
liens qui les unissent.

Tableau 2.7. Processus d’évaluation clinique

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Les questionnaires remplis avant l’évaluation


Au fil des années, l’inclusion au sein du processus d’évaluation de questionnaires 53
complétés par chacun des parents s’est avérée utile afin de bonifier notre
compréhension clinique. Ils sont remis aux parents lors de l’inscription à la clinique
qui doivent les retourner une fois complétés ; ils sont ensuite analysés avant la
première rencontre d’évaluation. Les informations qui y sont recueillies sont
abordées dans une perspective mentalisante lors de la première rencontre avec les
cliniciens en présence, fournissant une occasion d’inviter le parent à réfléchir avec
nous à ce qu’il a livré à travers ces outils. Du côté de l’enfant, un questionnaire
permet d’explorer la présence de difficultés de comportement, notamment les signes
d’attention et d’inattention, l’impulsivité, les symptômes anxieux et l’opposition
(Achenbach & Rescorla, 2000 ; Achenbach & Rescorla, 2001). Un second
questionnaire porte sur le profil sensoriel de l’enfant et évalue sa réactivité aux
différents stimuli de l’environnement à partir d’une liste de comportements soumise
aux parents (Dumas, LaFrenière, Capuano, & Durning, 1997 ; Dunn, 2006). Ces
questionnaires offrent un aperçu pertinent sur la façon qu’a l’enfant d’appréhender
la réalité extérieure et sur celle dont il va composer avec cet environnement, en
renseignant en particulier sur des indicateurs de mentalisation comme la régulation
de l’attention et des émotions.

Du côté parental, nous utilisons le questionnaire concernant la fonction réflexive 54


parentale (Luyten et al., 2017) introduit ci-haut. D’autres questionnaires, moins
spécifiques à l’évaluation de la mentalisation des parents, fournissent néanmoins des
indices supplémentaires quant à la capacité du parent à mentaliser son enfant ainsi
que d’autres informations cliniques utiles à notre travail évaluatif. Ainsi, l’Inventaire
abrégé des symptômes (Derogatis & Lazarus, 1994 ; Derogatis & Melisaratos, 1993)
évalue la présence de symptômes associés à différentes psychopathologies au cours
de la dernière semaine. Il ne permet pas d’établir un diagnostic psychiatrique
proprement dit, mais plutôt d’évaluer l’intensité de la détresse psychologique ainsi

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que la sévérité des symptômes présentés par chaque parent. Ce questionnaire


comporte dix sous-échelles parmi lesquelles plusieurs fourniront aussi des indices
indirects quant à la capacité de mentalisation (somatisation, sensibilité
interpersonnelle, hostilité), sur la flexibilité mentale (obsession-compulsion, idéation
paranoïde, psychotisme) ou sur l’état de disponibilité affective (dépression, anxiété
ou anxiété phobique) de chacun.

Quant au questionnaire portant sur le stress parental (Abidin, 1997), il renseigne le 55


clinicien quant aux aspects relationnels avec l’enfant en indiquant le niveau de
détresse du parent associée au rôle parental, aux difficultés comportementales de
l’enfant et aux interactions parent-enfant dysfonctionnelles qui peuvent en découler.
Le clinicien devra se montrer sensible à un niveau de stress élevé chez les parents,
sachant qu’il peut souvent contribuer à réduire la capacité de mentalisation
parentale.

Enfin, le questionnaire de pré-évaluation (Lebel, Lessard, Achim, & Dubois-Comtois, 56


2011) utilisé largement dans notre milieu clinique recense notamment les
événements marquants (deuils, maladies, séparations, etc.) de l’histoire de vie de la
famille et constitue une autre façon de considérer des éléments de contexte plus
généraux pouvant contribuer à la prédisposition ou non à mentaliser pour les
parents.

L’évaluation pédopsychiatrique comme première étape


évaluative
La première étape du processus d’évaluation consiste à rencontrer un 57
pédopsychiatre, accompagné dans la grande majorité des cas par un professionnel,
psychologue ou psychoéducateur de notre équipe. L’orientation de cette rencontre
initiale est principalement tournée vers le recueil des antécédents médico-
psychiatriques et sociaux de l’enfant et des parents ainsi que vers l’évaluation de la
symptomatologie qui a conduit à la demande d’évaluation. Un diagnostic basé sur le
DSM-5 (American Psychiatric Association, 2013) ou sur la classification 0-5 ans (Zero
to Three, 2016) est énoncé de façon préliminaire alors qu’il sera repris de façon plus
complète à la fin du processus d’évaluation lors de la rencontre-bilan. D’emblée, un
second temps d’évaluation est annoncé. Il consistera en une entrevue relationnelle
(introduite plus tôt) assumée par le second clinicien présent lors de la rencontre
initiale. L’expérience clinique nous a permis de constater que le fait de revoir un
clinicien déjà rencontré a pour effet de diminuer l’activation émotionnelle à la
deuxième rencontre et de faciliter l’établissement de l’alliance avec la famille en vue
des rencontres subséquentes.

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Comme souligné dans le chapitre consacré à l’intervention auprès des parents, 58


l’adoption d’une posture mentalisante par le clinicien s’avère importante dès le
recueil des informations d’anamnèse. Tout en étant assez directif, il doit offrir une
place à chacun des parents pour aborder la dimension émotionnelle rattachée aux
événements marquants de l’histoire familiale. À titre d’exemple, le recueil des
antécédents familiaux ne se limite pas à en recenser une simple liste, mais inclut une
réflexion quant aux effets de la problématique sur les relations familiales.
L’alcoolisme d’un parent provoquant chez lui des crises et des gestes de violence n’a
pas le même impact sur la famille que celui d’un autre qui cherche à apaiser son
anxiété par sa consommation d’alcool. Les aspects non verbaux remarqués (par
exemple, mimiques, soupirs, signes d’ennui ou d’impatience) seront activement
questionnés au fur et à mesure de l’entretien, de façon à permettre une expression
explicite et complète des ressentis ainsi que la détection dès que possible des sources
de malentendus. Nous cherchons à créer un climat au sein duquel chacun se sent en
sécurité de façon à favoriser un niveau d’activation et de mentalisation optimal
malgré le stress généré par cette rencontre. En ce sens, nous expliquons le plus
clairement possible les différentes étapes prévues pour évaluer la problématique et
nous introduisons aussi l’idée que nous nous intéresserons aux relations que les
membres de la famille ont établies entre eux et à la façon qu’ils ont de comprendre
ces liens. Nous référons aussi aux différents questionnaires remplis avant la
consultation en exposant le sens d’une telle demande et l’usage qui en sera fait au
cours du processus évaluatif.

La prémisse incontournable à l’évaluation des capacités de mentalisation de 59


quiconque suppose d’être considéré par autrui comme un agent psychologique, c’est-
à-dire être reconnu comme une personne capable de réfléchir à ses propres
intentions et croyances et à celles des autres (Baron-Cohen, Tager-Flushberg, &
Cohen, 1993 ; Sharp & Fonagy, 2008) à l’aide d’un appareil à penser, distinct de celui
de l’autre. Le thérapeute met ceci en pratique en accordant une attention particulière
à la création d’une alliance spécifique avec l’enfant, en présence de ses parents. Le
fait de porter attention à ce que l’enfant fait en entrevue, à ses jeux, à ses paroles et à
ses demandes constitue, de la part du thérapeute, une première tentative de
différentiation soi-autrui, différentiation de l’enfant et du parent qui sera
primordiale pour la suite de l’évaluation et des interventions thérapeutiques. Ainsi, le
cadre évaluatif permettra d’aménager, dès l’entretien initial, des pauses dans les
échanges entre les parents et le clinicien de façon à laisser une place à l’enfant pour
que nous puissions être témoins en direct de l’expression de ses états mentaux
(intentions, émotions, désirs) à travers un jeu, une interaction ou un comportement.
En présence des parents, le thérapeute doit trouver un équilibre entre les moments
où la « parole » est laissée à l’enfant avec d’autres qui permettent aux parents de

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Chapitre 2. Évaluer la capacité à mentaliser de l’enfant et des parents :... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

renchérir et d’élaborer davantage à partir de ce que l’enfant vient de raconter. Il


pourra s’enquérir alors à savoir si tel comportement est habituel ou suscité par le
contexte de l’entrevue. Ces moments sont autant d’occasions à saisir pour observer et
comprendre de quelles façons les parents interprètent et expliquent les
comportements et les émotions de leur enfant.

La fonction réflexive parentale en clinique vue par le prisme


de l’évaluation relationnelle
Nous avons décrit dans la section précédente la façon de conduire une entrevue 60
relationnelle. Ici, nous tournerons notre attention vers son apport clinique. Cette
formule d’évaluation permet, en présence d’un clinicien, de constater les forces et les
faiblesses de l’enfant et de ses parents sur le plan de la capacité à mentaliser à
l’occasion d’un temps de rencontre bien identifié à cette fin. Certains parents n’ont
que des réponses concrètes aux questions sur le sens des comportements observés,
excluant de leur discours tout ce qui concerne les émotions ou les intentions de leur
enfant. De telles réponses témoignent généralement d’une pauvre fonction réflexive.
D’autres arrivent plus aisément à situer les comportements de chacun dans un
contexte faisant appel aux sentiments et sont capables de proposer des hypothèses
explicatives, d’exprimer des doutes quant à l’exactitude de celles-ci et même de
prendre en compte la contribution de l’enfant et la leur dans la compréhension qu’ils
tentent à propos d’une situation conflictuelle donnée. Ces parents tendent à
démontrer une bonne fonction réflexive.

Ce contexte d’évaluation centré sur le jeu offre également la possibilité au clinicien 61


d’observer la capacité de l’enfant à jouer, condition cruciale au développement de la
capacité de mentalisation de l’enfant selon Target et Fonagy (1996). Il témoigne aussi
de l’aisance ou du malaise du parent à l’accompagner dans l’élaboration de son jeu, à
le soutenir dans l’identification de ce qui habite les personnages mis en scène et ce
qui peut motiver leurs comportements. Lors du retour en compagnie du clinicien sur
les quatre étapes proposées lors de l’entrevue relationnelle, plusieurs parents nous
font part de l’absence de plaisir qu’ils ressentent à jouer et expriment leurs doutes
sur l’utilité du jeu avec l’enfant. Ils associent parfois cette expérience et cette
perception au manque de modèles parentaux sur lesquels ils auraient pu prendre
appui pour développer cette capacité durant leur propre enfance, à la fatigue ou
même à la présence d’affects dépressifs ayant pour effet de limiter le désir de
proximité envers l’enfant.

D’un point de vue systémique, cette entrevue offre plusieurs possibilités pour 62
aborder les difficultés relationnelles au sein de la famille. En effet, l’aisance des

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parents à collaborer, la création d’alliances, de mouvements d’exclusion ou de retrait


d’un partenaire, la rivalité pour obtenir l’attention de l’enfant ou encore les efforts
compensatoires des parents pour contrer la fermeture relationnelle de certains
enfants représentent autant d’observations cliniques pouvant donner lieu à des
échanges.

En somme, pour la plupart des familles, l’expérience de l’entrevue relationnelle leur 63


permet de s’approcher des difficultés d’ordre relationnel rencontrées avec l’enfant.
Pour le clinicien, elle ouvre aussi la voie pour nommer, lors de la rencontre-bilan, les
facteurs contribuant à la résilience de chacun de même que les impasses
relationnelles souvent constatées à divers temps de l’évaluation et d’aborder leur
impact sur la vie familiale. Le fait d’avoir partagé ce moment avec le thérapeute a
pour effet d’atténuer la crainte d’être jugé par le clinicien et facilite l’alliance
thérapeutique ainsi que l’entente sur des objectifs thérapeutiques impliquant
parents et enfant.

L’apport de l’évaluation en petit groupe d’enfants


Pour un certain nombre d’enfants évalués à la clinique, nous ajoutons un temps 64
d’évaluation en petit groupe de trois à cinq enfants. Ces enfants présentent
généralement des difficultés marquées sur le plan de la régulation sensorielle,
attentionnelle et émotionnelle. Ces difficultés, additionnées à des retards
développementaux divers, peuvent contribuer à l’émergence de crises de colère,
d’agressivité à l’égard d’autrui ou d’impulsivité compromettant leur capacité à
fonctionner au service de garde ou en classe. Ce groupe est destiné aux enfants âgés
de trois à six ans dont le diagnostic demeure incertain après l’entrevue d’évaluation
initiale avec le pédopsychiatre et après l’entrevue relationnelle. La majorité des
enfants rencontrés étant aux prises avec de nombreuses difficultés
développementales, une approche multimodale apporte un éclairage plus complet
sur leurs capacités de mentalisation émergentes ainsi que sur les déficits à cet égard.
La modalité de groupe permet de mettre en évidence les difficultés que ces enfants
rencontrent dans un contexte additionnel, soit celui des relations avec ses pairs. Ces
groupes, appelés groupes diagnostiques, se déroulent sur trois rencontres de deux
heures et sont animés par des professionnels de diverses formations
(neuropsychologue, psychologue, ergothérapeute et psychoéducatrice). Les cliniciens
s’intéressent principalement à la régulation de l’attention et des émotions dont font
preuve les enfants. Une série d’activités est planifiée pour permettre d’avoir une vue
d’ensemble des forces et des faiblesses de chacun dans les diverses sphères de
développement (relationnelle, affective, cognitive, attentionnelle ou langagière).
Même avec des enfants si jeunes, notre cadre d’évaluation vise à favoriser

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Chapitre 2. Évaluer la capacité à mentaliser de l’enfant et des parents :... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

l’expression de la réciprocité dans les relations. Les conduites prosociales, telles que
les démonstrations d’empathie, les signes de curiosité pour les états mentaux, les
siens ou ceux des autres enfants ou les gestes de coopération spontanés ou
encouragés par l’adulte sont notés. Au début de chaque rencontre de groupe, dans
l’esprit de favoriser l’attention conjointe, les enfants sont invités à se rappeler le nom
des participants et des professionnels présents ainsi que les règles de
fonctionnement énoncées la première fois. Ceci contribue à assurer un climat de
sécurité pour tous et constitue une façon de rappeler qu’il ne sera pas toléré qu’un
enfant se fasse mal, se mette en danger ou fasse mal aux autres. Après avoir invité les
enfants à tour de rôle à dire comment ils se sentent ce jour-là, chacun est convié à
raconter une petite tranche de vie (une visite à une personne importante, un
anniversaire, une sortie intéressante avec le milieu de garde) qui sera souvent
chargée d’émotions. Plusieurs activités proposées lors de ces groupes sont à même de
susciter des conflits puisqu’elles impliquent de partager le matériel de jeu, de réaliser
une tâche ensemble (assembler un casse-tête), d’attendre son tour ou de maintenir
son attention sur une demande. Conséquemment, elles deviendront autant de façons
d’évaluer la régulation de l’attention et des émotions en contexte naturel et ludique.
À l’instar des résultats obtenus par Denham (2006) dans le cadre d’une étude s’étant
intéressée aux compétences sociales et émotionnelles d’enfants sur le point
d’entamer la classe de maternelle, nous observons quatre réponses types chez les
enfants : l’une est prosociale, l’enfant trouvant une façon constructive, sans se mettre
en colère, de résoudre le problème en discutant. Une autre réponse est de nature
agressive, l’enfant poussant des cris et donnant des coups ou détruisant le jeu en
cours. Une troisième possibilité est de faire appel à la protestation passive en
boudant ou en pleurant et la dernière prend la forme d’un retrait ou d’un désintérêt à
l’égard du problème.

Dans le cadre de ce groupe diagnostique, nous tentons d’inclure, dans la mesure du 65


possible, un temps d’observation du groupe d’enfants par les parents qui sont
accompagnés d’un professionnel, via le recours à un miroir sans tain ou à la
rediffusion dans une salle adjacente. Ceci nous permet d’évaluer la capacité ou non
du parent présent à voir son enfant comme un être différencié de lui, ayant sa propre
subjectivité. En effet, il s’agit bien souvent d’une première occasion pour les parents
de voir leur enfant en action en compagnie d’autres adultes et d’autres enfants. Ce
décentrement permet aussi de mettre en lumière le niveau d’aptitude à s’interroger
quant au sens que pourraient prendre les comportements de leur enfant et de
découvrir des forces insoupçonnées chez lui (Achim & Terradas, 2015). Chez certains,
il contribue même à améliorer la différenciation soi-autrui.

La place de l’évaluation projective

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Pour certains enfants dont l’accès à leur monde intérieur est plus restreint, les 66
épreuves projectives peuvent représenter une modalité d’évaluation précieuse. Dans
ce contexte, le Thematic Apperception Test ou T.A.T. (Murray, 1943) ainsi que les Histoires
d’attachement à compléter ou HAC (Bretherton, Ridgeway, & Cassidy, 1990) sont des
tâches propices à l’enrichissement de l’évaluation clinique de la capacité de
mentalisation de l’enfant (Chabot et al., 2015 ; Haméon-Denis, 2015). L’expérience
clinique nous porte à penser qu’il en est de même pour le C.A.T. (Bellack & Bellack,
1949) qui est privilégié avec les plus jeunes enfants. Ces épreuves projectives
impliquent que le clinicien invite l’enfant à élaborer une histoire (et à la jouer dans le
cas des HAC) à partir d’une image ou d’une amorce d’histoire impliquant une
situation relationnelle affectivement chargée. L’enfant est encouragé, implicitement
avec le T.A.T. ou explicitement avec les HAC, à raconter une histoire abordant ce qui
pourrait habiter les personnages mis en scène ainsi que les motivations sous-tendant
leurs comportements. Les tâches supposent une possible mise à l’épreuve de sa
capacité de mentalisation puisque l’enfant introduit sa propre subjectivité en créant
une histoire. Elles donnent accès à son fonctionnement intérieur et permet de
recueillir des informations quant aux indicateurs de mentalisation décrits plus haut
tels la régulation de l’attention ou des émotions, la qualité de son jeu symbolique, la
façon de produire un narratif, le recours aux modes de pensée prémentalisants et
même à l’hypermentalisation.

La rencontre-bilan
À la suite de ces différentes étapes, l’équipe se réunit pour mettre en commun leurs 67
réflexions sur la problématique de l’enfant et de sa famille ainsi que pour préparer la
rencontre-bilan. Lors de cette préparation, nous affinons le ou les diagnostics
retenus et ébauchons un plan d’intervention qui sera complété en présence de la
famille. Cette rencontre-bilan est menée conjointement par le pédopsychiatre et le
professionnel identifié afin d’offrir l’intervention qui sera proposée à l’enfant ou à la
famille. Nous constatons qu’une compréhension intégrative quant aux différents
niveaux de difficultés présentées, individuelles ou familiales, permet d’améliorer
l’engagement parental pour soutenir le développement de ces enfants dits « à
risque ». Le moment du bilan représente souvent une étape angoissante pour les
parents. Le maintien d’une posture mentalisante permet de réduire l’effet
d’activation émotionnelle suscitée par ce contexte et de soutenir un sentiment de
sécurité afin d’optimiser les capacités réflexives des parents et des enfants lors de
cette rencontre. Pour ce faire, nous reprenons les impressions recueillies
initialement auprès des parents en s’y arrimant au plus près pour finaliser ensemble
le plan d’intervention. Nous priorisons avec eux la séquence des interventions

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proposées de façon à ce que la mise en place du plan demeure réaliste.

Un autre but de ce bilan est de formuler, de façon synthétique, ce sur quoi pourrait 68
porter le travail thérapeutique axé sur la mentalisation, lorsqu’indiqué. Il sera
important de référer aux forces identifiées à cet égard chez l’enfant et sa famille ainsi
que de souligner les zones où la mentalisation semble moins bien développée, voire
impossible. Cette formulation doit être suffisamment explicite afin que la famille
puisse y trouver un sens et que tant l’enfant que ses parents aient le sentiment
d’avoir été compris. L’offre psychothérapeutique elle-même vise à améliorer la
sensibilité aux états mentaux ainsi que la qualité des relations interpersonnelles.
Plutôt que d’insister sur l’importance de changer des comportements particuliers
(s’opposer, refuser de manger, etc.), l’attention est plutôt dirigée vers des aspects
développementaux tels que l’estime de soi, l’autonomie, la dépendance ou la capacité
de se réguler. Nous souhaitons stimuler la réflexion et la curiosité pour comprendre
les pensées, les motivations ou les sentiments sous-jacents aux comportements
problématiques. En ce sens, la réduction des symptômes ne sera pas un but premier,
bien qu’elle découle souvent des interventions basées sur la mentalisation. Comme le
suggère Rossouw (2012), cette formulation peut fort bien être une co-construction
élaborée avec la famille de façon à demeurer au plus près de la problématique
présentée.

Vignette clinique

69

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Thomas a presque 5 ans quand il se présente avec sa mère à une première consultation. C’est
un garçon vif d’esprit qui s’exprime bien. Il souffre d’importants symptômes d’anxiété,
craignant notamment d’être séparé de sa mère, mais aussi d’une très forte crainte des
maladies incluant la peur de vomir et celle de devoir subir l’amputation d’un membre, des
peurs entravant son fonctionnement quotidien, à la garderie ou à la maison.
Du côté des parents, ils ont repris vie commune récemment à la suite d’un traitement
fructueux de la toxicomanie du père. Dans le passé, ce dernier a connu quelques intoxications
sévères menant même à l’intervention des ambulanciers. Thomas et sa mère ont été témoins
de ces incidents, ce qui a généré beaucoup d’anxiété pour eux.
La mère s’est présentée seule avec son fils à la première rencontre. Celle-ci nous ayant fait part
de ses craintes d’aborder avec le père ses problèmes antérieurs, nous avons ajouté une seconde
rencontre avant l’entrevue relationnelle afin de s’assurer de la collaboration du père. Lors de
cette rencontre, le père a spontanément abordé certaines informations concernant sa condition
actuelle et passée, et ce sans réticence apparente, mais sans manifester beaucoup d’affect. À
chacune des rencontres, Thomas joue tout en étant très attentif aux propos échangés, comme
en témoignent ses commentaires occasionnels à propos de certains événements ajoutant des
détails dont la précision étonne les parents. Ces entretiens représentent une opportunité pour
chaque parent de se confier au sujet des difficultés relationnelles rencontrées durant leur
enfance et de partager le souhait qu’il en soit autrement pour leur fils. La mère de Thomas
relate avoir entretenu avec sa mère une relation qu’elle considère fusionnelle en raison de
l’absence totale de son père dès la grossesse de sa mère, ce qui l’a beaucoup fait souffrir. Pour le
père, le fait de grandir auprès d’une mère très anxieuse et surprotectrice ainsi que d’un père
passif et peu présent aurait fait de lui un être solitaire n’ayant pas appris à jouer. Il affirme se
sentir particulièrement démuni à cet égard avec son fils. Thomas se rapproche alors de lui
pour lui faire un câlin et pour lui dire qu’il aimerait jouer à sauter au trampoline.

Voyons, à partir de cette vignette, sur quels indicateurs nous nous appuierons pour 70
évaluer la capacité de mentalisation de l’enfant et de ses parents. La formulation de
notre compréhension de la situation a contribué à développer l’alliance de travail
avec la famille et a permis d’orienter la prise en charge vers une intervention
thérapeutique parents-enfant dans un premier temps tout en envisageant la
possibilité d’une référence ultérieure en psychothérapie individuelle axée sur la
mentalisation avec l’enfant.

De façon globale, Thomas apparaît comme un garçon présentant de solides capacités 71


à s’exprimer et à le faire de manière nuancée et précise lorsqu’il aborde ses pensées.
Il manifeste ses désirs et ses attentes de façon claire (expression d’états mentaux), du
moins dans le contexte de l’évaluation, ce qui laisse présager une bonne capacité à
mentaliser, comme nous le verrons par la suite. Toutefois, à la première rencontre
d’évaluation, son anxiété et sa sensibilité semblent exacerbées par ce contexte

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relationnel inconnu, ce qui nuit à sa capacité à maintenir une attention soutenue


(régulation de l’attention déficitaire). En effet, Thomas se cache derrière sa mère pour
jouer, détourne le regard subitement dès qu’il croise celui du thérapeute et répond
par des phrases trop courtes, selon l’avis de sa mère, qui l’invite à ne pas être timide
et à dire ce qu’il pense (intérêt de la mère à l’égard des états mentaux du fils). L’enfant
profite du soutien de sa mère et s’ouvre davantage par la suite (confiance épistémique).
Au cours du deuxième entretien alors que son père est présent, Thomas est attentif
aux propos des adultes, voire même quelque peu vigilant (légère activation
émotionnelle). Il est capable de suivre la conversation, d’y participer, tout en
continuant de jouer, en fabriquant notamment des animaux, des voitures et des
cœurs en pâte à modeler à l’aide d’emporte-pièces (capacité de jeu soutenue) et en les
offrant à chacun de ses parents. La mère se montre émue par les gestes de son fils et
constate l’importance du père pour son fils (capacité de la mère à reconnaître chez son fils
la présence d’une intention et d’une expérience subjective), malgré les difficultés qu’il a
rencontrées. Thomas vient alors près de sa mère et lui demande pourquoi elle pleure
et si elle est triste (capacité de l’enfant à identifier les états mentaux d’autrui et à s’intéresser
à ce qui les motiverait). Sa mère lui répond que cette fois, elle est contente de constater
qu’il aime son papa (identification chez elle-même d’un état mental en réponse à
l’identification d’un état mental chez son enfant et capacité à demeurer régulée malgré la
présence d’affects) et qu’elle a toujours souhaité que son papa reste dans leur vie
(identification d’un état mental chez elle-même). Il ne perd pas complètement l’intérêt
pour son jeu malgré la prise en compte des émotions de sa mère (capacité à maintenir
un mode de pensée mentalisant malgré la présence d’affects). Thomas retourne d’ailleurs à
son jeu jusqu’à ce qu’il soit question de sa peur des maladies.

Parmi les indicateurs de la capacité de mentalisation, c’est du côté de la régulation 72


émotionnelle que Thomas rencontre davantage de difficultés. Pendant que sa mère
raconte le dernier épisode de maladie de Thomas, il se rend au tableau et se dessine
lui-même avec un tube fixé à sa main, branché à un sac de soluté (capacité à utiliser les
productions graphiques de façon symbolique). La réalisation de ce dessin est l’occasion
pour l’enfant d’aborder un incident lors duquel l’un des bras de l’enfant se serait
infecté suite à une blessure mineure. Ayant développé une cellulite, un traitement
aux antibiotiques intraveineux ainsi qu’un séjour de quelques jours à l’hôpital se
seraient avérés nécessaires. Thomas relate cette histoire avec ses mots et ajoute qu’il
ne voulait pas qu’on lui coupe un bras, comme l’adolescent qu’il aurait aperçu à
l’hôpital et qui aurait dû être amputé d’une jambe pour un problème similaire
(création d’un narratif à partir du dessin). Le thérapeute valide qu’il s’agissait en effet
d’une situation bien inquiétante et souligne le fait que l’enfant démontre beaucoup
de courage en dessinant sa maladie et en l’abordant de la sorte (validation affective).
Thomas poursuit et ajoute que par la suite, il voulait rester avec sa mère et ne voulait

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plus aller à l’école parce qu’un autre enfant avait vomi en classe et qu’il craignait de
vomir à son tour en allant à l’école (poursuite du narratif incluant le recours à des états
mentaux pour expliquer ses comportements). Lorsque le thérapeute cherche à poursuivre
l’échange avec lui, Thomas refusera d’élaborer davantage quant à cette peur de
vomir. Il n’interagit plus avec le thérapeute et continue son jeu en feignant de ne pas
entendre (augmentation de l’activation émotionnelle et repli sur soi ; adoption d’un
fonctionnement en mode semblant).

Les parents s’étonnent de constater un tel aplomb chez leur enfant en entrevue qui 73
tend plutôt à adopter une attitude régressive à la maison où la simple évocation de ce
qui le rend anxieux déclenche généralement une crise de panique (activation
émotionnelle désorganisante) lors de laquelle Thomas tremble de tout son corps en
s’accrochant désespérément à sa mère (mode téléologique).

En termes d’évaluation de la régulation des émotions, nous pouvons dire que 74


Thomas se situe à un pôle anxieux et inhibé. Nous constatons cependant des forces
qui se manifestent par une capacité à s’approprier rapidement l’espace
thérapeutique, étant soutenu par ses parents (confiance épistémique). Il peut utiliser un
medium pour représenter son expérience vécue et traumatisante (jeu et production
graphique). S’il perçoit bien les mouvements émotionnels de l’autre et s’intéresse à ce
qui les provoquerait (intérêt pour les états mentaux d’autrui), comme lorsque sa mère est
triste et bien qu’il réponde tout de même bien aux remarques du thérapeute en se
permettant d’aborder sa crainte de vomir (états mentaux), l’expression de ses propres
émotions demeure limitée, la somatisation (peur de vomir) (mode téléologique) et
l’évitement refont surface chez lui. Il résiste à l’idée d’aller plus loin dans la
conversation, montrant ses limites à mentaliser au sujet de ses propres réactions
anxieuses (repli sur soi et retour vers un mode prémentalisant).

Thomas nous montre que le dessin et le jeu lui servent de support pour représenter 75
ses états mentaux plus douloureux. La capacité de partager ses affects et d’élaborer sa
pensée en présence des adultes témoigne d’une force certaine sur le plan de sa
capacité à mentaliser ainsi que d’une différenciation soi-autrui assez solide. Mais le
mode de pensée mentalisant n’est pas constant, comme en témoignent les crises de
panique rapportées à la maison et le mouvement régressif de refuser d’aller à l’école
pour rester seul avec sa mère. De telles manifestations symptomatiques signent le
recours à un mode de pensée prémentalisant.

Du côté parental, chacun présente des forces et des faiblesses. Si certaines sont 76
différentes et permettent une certaine complémentarité, d’autres sont plutôt
similaires. À titre illustratif, la mère affirme veiller à la sécurité familiale, notamment
en respectant les routines quotidiennes qui permettent d’apaiser Thomas, ce dont le

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père se soucie peu. Ce dernier cherche davantage à comprendre ce que ressent son
fils lorsqu’il est confronté à diverses situations (intérêt pour les états mentaux de
l’enfant) ; la mère reconnaît chez son conjoint cette capacité à formuler des
hypothèses pertinentes à l’égard de l’expérience subjective de leur fils, une capacité
qu’elle reconnaît ne pas avoir (différenciation soi-autrui). Cependant, les parents
auraient tous deux une propension à utiliser l’évitement comme mécanisme de
défense face à des situations affectivement chargées. La mère tend à éviter d’aborder
des sujets délicats, craignant que de telles discussions puissent donner lieu à une
escalade d’anxiété, et ce tant chez son conjoint (par exemple, lorsqu’il pourrait être
question de sa toxicomanie) que chez son fils (par exemple, en abordant sa crainte de
maladies). De son côté, le père, adopte une attitude passive en raison de sa peur de
provoquer des crises anxieuses chez Thomas lorsqu’il tente de prendre sa place
auprès de lui ou auprès de sa conjointe.

Les questionnaires évaluant différentes dimensions du fonctionnement des parents 77


ont permis de constater que les réponses obtenues au Questionnaire de fonction réflexive
du parent (Luyen et al., 2017) montraient que le père et la mère tendaient à avoir
recours aux modes de pensée prémentalisants, mais présentaient tout de même un
bon niveau d’incertitude face à l’opacité des états mentaux de leur enfant. De plus,
comme le laissaient voir les entretiens initiaux, le père semblait plus enclin à aborder
les états mentaux de l’enfant que la mère. Aussi, une forte discordance entre le
niveau de stress parental vécu par la mère et le père était notée, la mère expérimentant
un niveau de stress élevé en relation avec son fils alors que les réponses du père
témoignaient d’un niveau de stress très faible. Ce niveau de stress élevé chez la mère
dans la relation à Thomas pouvait soulever la question de l’effet du stress sur sa
capacité à mentaliser son enfant. Quant à l’Inventaire Abrégé des Symptômes (Derogatis
& Lazarus, 1994 ; Derogatis & Melisaratos, 1993), il faisait ressortir clairement la
présence de symptômes anxieux chez la mère et une sensibilité interpersonnelle
marquée du côté de père. Ces deux symptômes pouvaient conduire à soulever
l’hypothèse d’une plus grande propension à être activé sur le plan émotionnel et
peut-être contribuer au recours aux modes de pensée prémentalisants, comme les
réponses au questionnaire de fonction réflexive parentale le laissaient entrevoir.

Par ailleurs, les questionnaires concernant le fonctionnement de l’enfant ont permis 78


de constater la présence de difficultés chez Thomas. L’Inventaire des Comportements de
l’Enfant (Achenbach & Rescorla, 2000 ; Achenbach & Rescorla, 2001) a permis
d’observer la présence de symptômes anxieux et une tendance à l’opposition. Le Profil
sensoriel (Dumas, LaFrenière, Capuano, & Durning, 1997 ; Dunn, 2006) indiquait une
hyperréactivité aux bruits et une recherche active de sensations vestibulaires. Les
données de ces deux questionnaires concordaient avec les observations des cliniciens

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l’ayant reçu dans les différents contextes d’évaluation. L’anxiété et l’hypersensibilité


aux bruits (hypervigilance) ainsi décelées pouvaient nuire à ses difficultés de
régulation de l’attention et contribuer à diminuer sa capacité de mentalisation.

L’entrevue relationnelle a fourni des informations complémentaires. Contrairement 79


à la consigne, la mère initiait le jeu avec son fils et le suivait difficilement dans le jeu
imaginaire qu’il a mis en place, soit un jeu au sein duquel des soins étaient prodigués
à un bébé s’étant fait opérer. La mère réduisait le jeu à Thomas lui-même qui aurait
eu peur d’une chirurgie mineure à venir (mode semblant). Quant au père, il était très
hésitant à suivre Thomas qui avait choisi cette fois d’utiliser la pâte à modeler pour
faire des voitures qui devaient ensuite faire une course. Au moment de jouer à trois,
il s’est avéré difficile de trouver un thème commun. De plus, Thomas restait collé à sa
mère pour jouer et tournait volontairement le dos à son père, qui, se voyant exclu, se
mettait en retrait. Sans sous-estimer la blessure que la préférence de Thomas pour sa
mère pouvait causer, l’hypersensibilité au rejet du père semblait l’activer sur le plan
émotionnel et entraver sa capacité à rester engagé dans le jeu, réagissant sur un
mode téléologique et prenant cette rebuffade au premier degré. Le couple a ensuite
éprouvé des difficultés à discuter de ses observations, Thomas accaparant à nouveau
sa mère et le père le laissant faire, malgré des signes d’agacement évidents.

Au moment de discuter ensemble avec le thérapeute, le père a été en mesure de 80


nommer la tristesse qu’il a éprouvée en réaction au fait d’avoir été ainsi exclus du jeu
à trois par Thomas et de se questionner quant aux raisons d’un tel agissement de la
part de son fils (états mentaux rendus accessibles lorsque l’activation émotionnelle diminue).
De son côté, la mère a pu constater sa difficulté à suivre Thomas dans son jeu et à
faire une place au père lors du jeu à trois, sans pouvoir élaborer davantage sur ses
états mentaux.

Il n’a pas été jugé nécessaire que Thomas participe au groupe diagnostique puisque 81
ses difficultés davantage intériorisées n’affectaient pas ses relations avec ses pairs.
De même, l’accès suffisant à son monde intérieur en notre présence ne nécessitait
pas d’avoir recours aux épreuves projectives, les éléments cliniques obtenus dans le
cadre des autres modalités d’évaluation s’avérant suffisants.

Ainsi, au moment de la rencontre-bilan, nous avons mis en commun nos 82


observations et celles des parents, issues de ces différentes rencontres dont il a été
possible de discuter. Lors de la formulation du problème avec la famille, c’est le
thème de la peur, commun à chacun, qui a permis de construire un narratif cohérent
et qui a constitué le fil conducteur par lequel nous avons pu les rejoindre tous les
trois : la crainte des maladies pour Thomas, les inquiétudes de la mère quant à
l’imposition de limites puis la peur de l’exclusion chez le père. Les forces et les

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faiblesses de chacun ont été abordées avec ouverture, mais d’une façon sensible ce
qui a permis à chacun de bien saisir la pertinence d’entreprendre un suivi
psychothérapeutique familial basé sur la mentalisation les incluant tous les trois et
d’accepter de s’y engager.

Conclusion

Ce chapitre visait essentiellement à illustrer une démarche évaluative, standardisée, 83


multimodale, organisée de manière à pouvoir recueillir une diversité d’informations
concernant les différents indicateurs de la capacité de mentalisation de l’enfant et de
ses parents. Du côté de l’enfant, les indicateurs principaux concernent les moyens
qu’il privilégie afin de réguler son attention et ses émotions ainsi que sa capacité à
prendre appui sur les adultes significatifs avec lesquels la confiance épistémique sera
établie. Lorsqu’il y a accès, le jeu et les productions graphiques de l’enfant demeurent
une voie privilégiée pour accéder à son monde intérieur à condition qu’il ait pu
grandir dans un milieu sécurisant. D’autres indicateurs devront être pris en compte
et vus comme des supports à la mentalisation. En effet, un enfant qui peut déjà se
définir à partir de ses préférences et qui est en mesure de se raconter laisse croire
qu’il sera suffisamment différencié d’autrui pour s’intéresser à leurs états mentaux et
aux siens. Du côté des parents, l’accent demeure porté sur la qualité de leur fonction
réflexive parentale puisque c’est par ce moyen qu’ils arriveront à s’intéresser à ce que
peut ressentir leur enfant, à interpréter ses états mentaux et à exercer une fonction
miroir permettant à l’enfant d’intérioriser cette façon de réfléchir au monde
relationnel dans lequel l’humain évolue.

Tout au long de ce chapitre, nous avons souligné l’importance des entretiens 84


cliniques comme source principale permettant l’évaluation de la mentalisation. Le
développement d’instruments de recherche demeure toutefois essentiel pour tenter
d’aider les cliniciens à mieux saisir les processus en cause, notamment lorsqu’ils se
confrontent à des perturbations graves de l’attachement qui nuisent au déploiement
de la confiance épistémique, qui compromettent l’accès à la mentalisation et qui
rendent ces enfants plus vulnérables à développer des psychopathologies.

Notes

[1] Pour une recension détaillée des outils d’évaluation, voir le tableau de Luyten,
Malcorps, Fonagy et Ensink (2019, pp. 51-55).

[2] Différents collègues ont contribué à l’identification de ces indicateurs cliniques :


Alexandre Chabot, Sylvaine De Plaen, Emilie Deschenaux, Joanne Giasson, Isabelle

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Senécal, Miguel M. Terradas et Fanny-Maude Urfer. Nous tenons à les remercier


pour leur apport.

Plan
Introduction

L’enfant et sa capacité de mentalisation


Que rechercher lorsqu’on évalue la capacité à mentaliser d’un enfant en contexte clinique ?
Évaluer les indicateurs principaux de la capacité de mentalisation
Les indicateurs supplémentaires de la capacité de mentalisation

L’évaluation de la capacité de mentalisation des parents

L’intégration de l’évaluation de la mentalisation au processus d’évaluation clinique


pédopsychiatrique
Les questionnaires remplis avant l’évaluation
L’évaluation pédopsychiatrique comme première étape évaluative
La fonction réflexive parentale en clinique vue par le prisme de l’évaluation relationnelle
L’apport de l’évaluation en petit groupe d’enfants
La place de l’évaluation projective
La rencontre-bilan

Vignette clinique

Conclusion

Auteurs
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Alain Lebel

Psychiatre d’enfants et d’adolescents à la clinique de pédopsychiatrie de l’Hôpital en Santé


Mentale Albert-Prévost du CIUSSS NIM, professeur agrégé de clinique au Département de
psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal et chercheur associé au Centre de
recherche du CIUSSS NIM (Canada). Il pratique la psychanalyse auprès d’adultes et la
psychothérapie auprès d’enfants et d’adolescents depuis de nombreuses années. Il s’est
spécialisé dans l’intervention clinique auprès des très jeunes enfants et de leurs parents.
Le travail en institution l’a amené à s’intéresser aux approches psychothérapeutiques
soutenant la capacité de mentalisation d’enfants présentant d’importantes difficultés ainsi
que celle de leurs parents.

Julie Achim

Psychologue clinicienne et professeure agrégée au Département de psychologie de


l’Université de Sherbrooke (Canada). Elle enseigne l’évaluation et la psychothérapie aux
programmes de doctorat spécialisés en enfance et en adolescence qu’elle a contribué à
mettre en place. Elle est également professeure associée au Département de psychiatrie et
d’addictologie de l’Université de Montréal et chercheuse associée au Centre de recherche
du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-
Montréal (CIUSSS NIM, Canada). Ses travaux de recherche concernent principalement la
transition à la maternité, les relations précoces parents-enfants, leurs liens à l’adaptation
et à la psychopathologie chez l’enfant et ses parents ainsi que la capacité de mentalisation
et ses applications psychothérapeutiques.

Karin Ensink

Professeure titulaire à l’École de psychologie de l’Université Laval (Canada) où elle


enseigne la psychologie clinique au secteur enfance et adolescence. Elle a réalisé son
doctorat en psychologie sous la direction de Mary Target et Peter Fonagy à l’University
College of London (Royaume-Uni). Elle est internationalement reconnue comme experte
et formatrice dans le domaine du développement de la mentalisation chez l’enfant et
l’adolescent. Elle est l’une des auteurs du livre Mentalization Based Treatment for Children et
superviseure invitée pour la série de vidéos portant sur la mentalisation de l’APA. Elle est
superviseure et formatrice des thérapies basées sur la mentalisation. Ses travaux de
recherche portent notamment sur la fonction réflexive de mères de jeunes enfants.

Mis en ligne sur Cairn.info le 15/10/2021


https://doi-org.lama.univ-amu.fr/10.3917/dbu.achim.2020.01.0055

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Chapitre 3. Intervenir auprès des parents : soutenir la capacité à penser s... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

Chapitre 3. Intervenir auprès des parents : soutenir


la capacité à penser son enfant
Alain Lebel
Dans Mentaliser en contexte pédopsychiatrique (2020),
pages 91 à 113

Chapitre

C e chapitre servira à illustrer comment le travail clinique en pédopsychiatrie


s’appuyant sur les principes de la thérapie basée sur la mentalisation (TBM)
peut modifier certaines façons d’intervenir auprès des parents et de leurs
1

jeunes enfants âgés de moins de 6 ans. Une constante avec les parents de jeunes
enfants qui viennent nous consulter est de souhaiter le meilleur pour le
développement de ceux-ci. Chercher de l’aide avec un tel état d’esprit face aux
difficultés rencontrées avec son enfant est un premier pas vers la mentalisation. Les
parents mentionnent souvent vouloir éviter la répétition de relations malsaines ou
d’événements traumatiques qu’ils ont connus lorsqu’ils étaient eux-mêmes enfants,
une majorité ayant eux-mêmes une histoire marquée par les traumas relationnels
(Lebel, Gaudreau-Gouache, Dubois-Comtois et Achim, 2016). Parmi les parents
d’enfants suivis, un grand nombre affirme souffrir d’un trouble de personnalité
limite (TPL) avec lesquels la TBM est indiquée. Les études montréalaises de Laporte
(Laporte, 2007 ; Laporte, Baillargeon, Sanchez, & Desrosiers, 2014) permettent de
constater que 60 % des enfants suivis par la Direction de la Protection de la Jeunesse
(DPJ) ont au moins un parent souffrant d’une psychopathologie dont le quart
présenterait un TPL. Beaudry (2015) souligne l’importance des qualités relationnelles
des intervenants auprès de ces mêmes parents et la nécessité de services spécifiques
pour ceux-ci.

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Dans le cadre de la clinique ambulatoire où nous travaillons, les enfants référés 2


présentent une diversité de tableaux psychopathologiques complexes et
fréquemment, une rupture du fonctionnement social. Ceux-ci, souvent placés en
famille d’accueil ou expulsés de leurs milieux de garde ou de l’école maternelle,
profitent de façon limitée de la psychothérapie d’allégeance psychodynamique
comme mode unique d’intervention en raison de leurs importantes difficultés de
mentalisation et de leurs expériences traumatiques répétées (Achim & Terradas,
2015). Nous croyons important de leur offrir diverses modalités thérapeutiques,
qu’elles prennent la forme de groupes psychoéducatifs visant le développement
d’habiletés sociales, de suivi individuel en psychothérapie basée sur la mentalisation,
en ergothérapie ou en orthophonie selon les besoins des enfants ou encore sous la
forme d’adaptations de thérapies familiales comme le 3W (Watch, Wait and Wonder)
(Muir, Lojkasek, & Cohen, 2000) ou le jeu réflexif familial (Fivaz-Depeursinge &
Philipp, 2014 ; Philipp, 2012 ; Philipp & Hayos, 2013) et enfin, parfois en ajoutant un
traitement médicamenteux approprié au diagnostic.

Ainsi, ce chapitre s’intéressera plus particulièrement à l’instauration d’un cadre de 3


travail favorisant la mentalisation avec la famille et à la posture que doivent
préconiser les thérapeutes pour y arriver. Nous prendrons appui sur les travaux de
Fonagy, Bateman et Luyten (2012) qui définissent les grands principes d’une posture
mentalisante lors de la psychothérapie avec les adultes, postulats qui seront ici
adaptés au travail plus spécifique avec des parents. De plus, Fonagy et Luyten (2009)
ont identifié quatre dimensions à la mentalisation. Bien que les dimensions
automatique-contrôlée, affective-cognitive et interne-externe apportent un éclairage
judicieux pour le travail parents-enfant, c’est celle de la différenciation soi-autrui qui
nous apparaît la plus porteuse de sens pour le travail avec les familles. Aussi, tenant
compte de l’enfant en bas âge, l’attachement sera primordial dans l’établissement du
sentiment de sécurité au sein de la relation et devra être activement soutenu chez les
parents de façon à favoriser la croissance émotionnelle et le développement optimal
du lien d’attachement avec l’enfant.

Les vignettes cliniques présentées dans ce chapitre sont issues de la pratique 4


quotidienne, soit de premières rencontres d’évaluation, soit d’entrevues de suivi
visant à prendre la mesure de l’évolution de la problématique d’un enfant. Aussi,
l’utilisation du terme thérapeute dans le cadre de la narration des vignettes demeure
générique puisqu’il s’agit du processus que nous souhaitons mettre en lumière. En
réalité, plusieurs de ces rencontres se déroulent en présence de deux thérapeutes.

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Importance de l’instauration d’un cadre d’intervention


mentalisant adapté au travail avec les parents

La création d’une alliance avec les parents représente un élément essentiel au 5


processus thérapeutique et elle se construit au long cours. Les parents qui ont le
courage de venir consulter avec un jeune enfant doivent être accueillis là où ils en
sont avec leur demande d’aide. Ils nous font régulièrement part de leur besoin de
« moyens concrets » pour les aider avec leurs enfants et nous disent que notre
empathie face à leurs difficultés ne suffit pas. Le défi s’avère parfois considérable
pour passer d’une conduite perturbatrice à faire disparaître à un questionnement
authentique sur le sens du comportement visé chez leur enfant. Il y a alors peu
d’espace pour s’intéresser aux états mentaux de l’enfant. Ceci est d’autant plus vrai
quand la gravité des comportements fait en sorte que la demande d’aide devient
urgente pour les intervenants des différents milieux extérieurs à la famille comme la
garderie, l’école ou la Direction de la Protection de la Jeunesse.

De façon générale, l’expérience de plusieurs années de travail clinique auprès de 6


telles familles nous a amené à faire preuve de souplesse dans notre approche. Pour
reprendre une expression de Slade (2008), reprise par Midgley et ses collègues
(Midgley, Ensink, Lindqvist, Malberg, & Muller, 2017h), il nous faut faire preuve
d’une flexibilité calculée (reasoned flexibility). En guise de première prise en compte des
difficultés de mentalisation que présentent plusieurs parents qui nous consultent, il
est fréquent de constater que la toute première demande d’aide se présente sur un
mode concret et pressant, prenant la forme d’une lettre à rédiger en vue d’obtenir un
soutien scolaire, un formulaire à remplir pour réclamer une aide gouvernementale
en raison des besoins spéciaux causés par des retards du développement, toutes des
requêtes qui pourraient être conçues comme relevant d’un mode de pensée
téléologique. Nous ne pouvons cependant pas ignorer ces demandes qui, si elles ne
sont pas entendues, constitueront une réelle entrave à l’établissement de l’alliance
thérapeutique et à la mise en place d’un travail réflexif. L’exemple d’Emmanuel et de
ses parents permet d’illustrer ce propos.

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Emmanuel n’a pas encore 4 ans quand la famille vient consulter pour de nombreux retards
développementaux, faisant suite à un accouchement ayant entraîné des complications
respiratoires et un retard du développement moteur chez ce garçon né prématurément à 34
semaines. Les professionnels offrant les services de première ligne sont exaspérés par les
demandes incessantes de cette mère concernant une multitude de détails, incluant des plaintes
concernant les soins inadéquats prodigués par les intervenants à l’endroit de son enfant,
pointant à chaque fois les failles du système de soins.
Chacun des parents ainsi que leur fille aînée font face à une forte adversité. Madame souffre
d’anxiété et combat un cancer, maladie dont sa propre mère décédera en cours de suivi.
Monsieur se remet lentement d’une grave dépression ; le manque d’énergie l’amène souvent à
adopter un rôle passif au sein de la famille. Quant à la sœur d’Emmanuel, elle présente
d’importants problèmes de langage et d’apprentissage qui minent sa confiance en elle et
nécessite des soins spécifiques en orthophonie et orthopédagogie.
D’emblée, l’insécurité des liens a été identifiée et priorisée par l’équipe clinique qui a saisi cette
particularité parmi toutes les autres difficultés constatées dans cette famille. Pour établir un
lien de confiance, les thérapeutes ont convenu de répondre rapidement aux appels de la mère,
tout en se coordonnant entre eux lors de chacune des réunions d’équipe de façon à demeurer
au plus proche des besoins exprimés par la famille. Il apparaissait essentiel d’arriver à
diminuer le niveau d’angoisse de la mère afin de l’aider à mieux réguler ses émotions et qu’elle
puisse, en retour, mieux répondre aux besoins affectifs d’Emmanuel. À titre d’exemple, durant
les premiers mois du suivi thérapeutique, la mère ne tolérait aucun délai quant aux retours
d’appels. Elle pouvait appeler plusieurs fois par jour, un ou plusieurs intervenants, en
insistant sur l’aspect urgent de sa demande. De façon à la rassurer et l’aider à se réguler, le
thérapeute prenait soin d’être très explicite, lors d’un premier et bref retour d’appel, en
l’avisant que sa disponibilité ne serait possible qu’à la fin de la journée, allant même jusqu’à
justifier les raisons d’un délai de réponse, comme le fait d’être en attente d’une information
venant d’un organisme tiers. Chaque rencontre de suivi thérapeutique avec la famille devait
commencer par un assez long moment consacré à répondre concrètement aux questions de la
mère afin de pouvoir éventuellement atteindre un niveau d’échanges réflexifs. À l’état
d’anxiété de la mère s’ajoutait l’excitation des enfants dont l’intensité s’avérait au reflet de
l’état maternel.

Inspirée par les grands principes de la TBM, soit l’importance de la régulation des 8
affects et du maintien d’un niveau acceptable d’activation (ou arousal), d’une
communication franche et explicite, de la sécurité dans une relation soutenue et du
développement d’une confiance épistémique face à des professionnels dignes de
confiance, l’équipe prenait soin de tolérer la pression exercée sur elle par les
membres de la famille de façon à demeurer fiable à leurs yeux. Elle veillait également
à réparer, au fur et à mesure qu’ils se présentaient, les bris de communication issus

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de malentendus.

Sans ces accommodements de notre part, nous croyons que l’intensité des requêtes 9
et la frustration qu’elles engendraient chez la mère auraient perturbé, voire
compromis la possibilité de soutenir et de traiter cet enfant. Pour bon nombre de
thérapeutes évoluant au sein d’un contexte de soins sous pression, de tels
ajustements peuvent paraître exagérés, faisant preuve de trop de tolérance, voire de
mollesse envers de tels parents. Cependant, à l’image des poupées russes qui
s’emboîtent, nous croyons que, pour le thérapeute, le fait de « porter les parents à
l’intérieur de lui » s’avère en soi thérapeutique et qu’un tel portage se répercutera sur
leur façon de contenir leur enfant, de se sentir davantage en confiance au moment
où il faut l’arrêter, sans mettre en danger leur lien d’attachement mutuel.

Dans cet exemple, chaque membre de la famille a profité de l’intervention. Malgré les 10
tensions et des désaccords survenus entre elle et nous, voire le refus de notre part de
certaines demandes, notre transparence et la reconnaissance de nos limites ont
contribué au maintien d’une relation somme toute positive entre l’équipe et la
famille. Graduellement, la confiance s’est installée entre nous et la capacité de tolérer
une part d’incertitude s’est accrue chez la mère. Celle-ci a sensiblement modifié son
rapport aux intervenants scolaires et aux soignants : elle fait toujours montre de
ténacité quant à ses demandes mais nuance ses attentes et accorde le bénéfice du
doute à chacun. Quant au père, il a décidé de s’éloigner de certains membres de sa
famille ayant un effet négatif sur lui, notamment par des demandes exagérées dont il
ne savait se défendre. Le père, tout comme la mère, se questionne davantage sur les
motivations poussant son fils à faire réagir les adultes qui en prennent soin. Il a ainsi
réussi à imposer des limites plus fermes à Emmanuel, malgré les protestations et les
provocations de ce dernier, offrant de la sorte un soutien palpable à la mère en
maintenant une implication véritable, de façon à extraire la famille de l’emprise
tyrannique qu’Emmanuel exerçait sur elle. Même s’il demeure opposant avec ses
parents, Emmanuel arrive tout de même à « fonctionner » avec du soutien au sein
d’un milieu scolaire régulier.

L’adoption d’une certaine souplesse dans l’application du cadre thérapeutique 11


autorise un certain « jeu » avec ce dernier. Elle permet, de façon réfléchie, de
modifier la fréquence des rencontres avec les familles en les rapprochant ou en les
éloignant, parfois pour moduler la distance relationnelle si l’activation devient trop
intense ou à d’autres moments, au contraire, de les relancer par téléphone pour
soutenir l’engagement. Cette flexibilité rend légitime de limiter des épanchements
jugés trop débordants lors d’entrevues ou même entre les rendez-vous lorsqu’il y a
des appels répétés servant à aborder des thèmes ayant pour effet d’exclure un
protagoniste au profit de clivages improductifs. Ainsi, devant ce qui apparaît comme

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une résistance à aborder les conflits, une fermeté bien assumée s’avère utile quand
nous jugerons nécessaire de recevoir les deux parents ensemble lorsqu’ils vivent en
couple. Aussi, quand ils assument une coparentalité sans vivre ensemble, il est
nécessaire de réfléchir aux impacts sur chacun et de décider, pour chaque famille,
s’ils seront vus ensemble ou séparément. De même, il faudra se pencher sur la
pertinence d’inclure ou non les nouveaux conjoints ou parfois même les grands-
parents lors des rencontres. Enfin, la présence de l’enfant est bien sûr attendue pour
ce travail. Elle sera cependant ajustée au cours du suivi en prenant en compte le
contexte propre à chaque famille, comme la révélation d’abus subis par les parents
alors qu’ils étaient eux-mêmes enfants ou la suspicion de violence conjugale. La
participation des enfants aux entretiens, qu’elle soit verbale ou non verbale,
constitue un apport précieux et dynamique. Ces derniers peuvent causer des
surprises déstabilisantes en montrant des forces qui serviront à remobiliser les
espoirs parentaux ou, de façon plus modeste mais non moins importante, par leurs
verbalisations ou leurs jeux, en se faisant reconnaître comme des êtres ayant leur
propre monde interne aux yeux des parents.

D’un regard extérieur, de telles façons de faire peuvent sembler cacophoniques. Ce 12


n’est néanmoins qu’à ce prix qu’une contenance et une certaine confiance peuvent
s’établir au sein du travail thérapeutique. En effet, cette posture et les interventions
qui en découlent favorisent l’instauration d’un climat de sécurité ainsi que le
sentiment, pour la famille, de se sentir portée dans l’esprit de l’autre. Pour les
thérapeutes, cela n’évite pas l’impression d’être happé et coincé dans un tourbillon de
crises successives où des besoins criants exprimés par certaines familles nous
éloignent d’un travail réflexif. Le cas d’Emmanuel montre que cette façon de prendre
soin des parents aura, par une sorte de modeling et un travail d’équipe concerté et
cohérent, des répercussions positives sur leur façon de penser à leur enfant en
retour. Ceci est particulièrement valable avec les familles les plus vulnérables et celles
ayant vécu de multiples traumatismes.

Adopter une posture mentalisante : l’apport d’un


narratif élaboré

De façon plus spécifique, Malberg (2015) souligne que pour bâtir une alliance 13
thérapeutique en maintenant une posture mentalisante, il faut arriver à créer un
espace empathique, authentique et respectueux de façon à promouvoir l’émergence
d’un climat empreint de sécurité entre les parents et le psychothérapeute. Tous
pourront alors collaborer à mettre en place des significations plus flexibles et plus
adaptées face à ce qui entrave la compréhension du monde interne de l’enfant de

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même que la gestion de ses manifestations symptomatiques. Le travail clinique


réalisé auprès de Ludovic et de ses parents témoigne bien de cette nécessité.

Ludovic, 5 ans, et ses parents arrivent en rencontre très tendus. Un appel de la mère précédant 14
le rendez-vous faisait état de leur détresse et de leur essoufflement devant les crises et
l’opposition répétée de Ludovic à leur égard. Ludovic s’assoit en retrait de ses parents, l’air
fatigué. Les parents font comprendre au thérapeute, en roulant des yeux, qu’il ne lui sera pas
facile de parler aujourd’hui. Ludovic a été adopté à l’âge de 2 ans et malgré des efforts
soutenus de la part des parents, les défis demeurent importants pour garder une relation
familiale harmonieuse. Quelques jours auparavant, la famille est allée en randonnée en forêt
avec des amis, ce que tous apprécient, y compris Ludovic qui aime dépenser son énergie
débordante par des sorties dans la nature. Ce jour-là cependant, Ludovic s’est montré
insupportable, faisant de nombreuses crises, refusant de marcher, demandant d’être porté par
son père et apparaissant d’une vigilance extrême, comme s’il craignait un danger sur le
sentier.

L’élaboration d’un narratif précis des événements constitue un objectif lors de 15


séances de thérapie basée sur la mentalisation. Une première règle est d’arriver à
assurer un climat de sécurité. Le thérapeute accompagnera alors le déploiement de la
narration à un rythme permettant aux différents affects ou pensées de s’exprimer et
de s’y arrêter de façon à pouvoir en discuter et y réfléchir, en demeurant au plus près
de l’expérience vécue.

Question d’inclure tout le monde, le thérapeute invite Ludovic à s’approcher de nous et il 16


choisit de s’asseoir sur son père, de façon confortable. Ce dernier le tient bien aussi. Nous
abordons la situation en parlant de façon plutôt large des sorties de randonnées, le thérapeute
manifestant sa surprise de constater la force de caractère et le courage de Ludovic lors de telles
activités, ayant même accompagné ses parents pour un trek de 3 nuits en autonomie complète,
sans fléchir, en gardant une attitude de bon campeur. Les parents abondent dans le même
sens, disant leur fierté devant sa persistance à l’effort soutenu et le plaisir qu’ils partagent
alors ensemble.

Ce premier échange illustre une façon de créer un climat de sécurité intérieure pour 17
favoriser la mentalisation en rassemblant la famille. Le thérapeute démontre de
façon authentique son émerveillement qui s’adresse autant à l’enfant qu’à ses
parents. Une telle intervention de soutien est un élément souvent négligé lors des
interventions cliniques alors qu’il occupe une place importante lorsqu’il s’agit de
consolider une relation régulièrement mise à mal par des comportements perçus
comme étant provocateurs. Aussi, le ton adopté par le thérapeute afin de manifester
son émerveillement devant leur exploit ne laisse pas de doute quant à son intention

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de bien faire ressortir certains aspects positifs avant de se pencher sur les difficultés.

En s’intéressant de plus près à cette dernière sortie difficile, le thérapeute apprend qu’elle a eu 18
lieu avec des amis qui ont un garçon, Lucas, du même âge que Ludovic et avec lequel il
s’entend bien. Lucas n’a pas toujours le même enthousiasme pour la randonnée mais cette
fois-là, il était très volontaire. Les parents se questionnent alors à savoir s’il pouvait y avoir de
la rivalité entre les garçons. Ludovic et Lucas font souvent « des courses » pour atteindre un
repère aperçu sur le sentier. Mais Ludovic ne suivait pas Lucas ce jour-là ; le père ajoute que
Ludovic semblait même plutôt inquiet de s’éloigner de lui. Saisissant cette piste « affective », le
thérapeute interroge Ludovic pour savoir s’il avait peur de se perdre. L’enfant répond que non,
qu’il s’assure de voir ou d’entendre ses parents quand il joue de la sorte avec Lucas. Le
thérapeute verbalise que ce n’était pas une bonne piste pour comprendre ce qui s’était passé,
reconnaissant le droit de se tromper. Questionnés à nouveau sur l’inquiétude, les parents
révèlent que Ludovic a développé une phobie très intense des araignées au cours des dernières
semaines, au point de refuser de franchir une porte s’il y voit une toile d’araignée. Ludovic
nous raconte alors sa peur des tarentules « qui peuvent être mortelles si elles piquent
quelqu’un », dit-il. Les parents rigolent alors et m’expliquent que Ludovic s’inquiétait de cette
perspective durant la randonnée, mais qu’ils ont banalisé sa crainte sous prétexte qu’il n’y a
pas de tarentule dans les pays froids, faisant allusion au pays tropical où il est né. Ludovic se
renfrogne, l’air triste. Le thérapeute, attentif à cette fermeture soudaine, lui demande ce qui se
passe en ce moment et Ludovic se met à pleurer, arrivant tout de même à raconter combien
c’était dangereux. Le thérapeute se demande à haute voix s’il craignait de se faire piquer ;
encore une fois, ce dernier était dans l’erreur. Ludovic avait plutôt imaginé que son père aurait
pu l’être lors de la marche et qu’il aurait pu en mourir. La narration de cet incident permet
aux parents de mieux saisir l’état régressif de leur fils ce jour-là. Ils se montrent peinés de
n’avoir pas pu comprendre ce qui l’habitait alors. Pendant que Ludovic se laisse consoler par
les gestes et les paroles apaisantes de ses parents, le thérapeute énonce à haute voix combien
cela devait avoir été inquiétant pour Ludovic de craindre de perdre son père qu’il aime tant,
Ludovic hochant de la tête tout en maintenant un solide contact visuel avec le thérapeute.

Ces parents font montre d’une bonne fonction réflexive parentale par l’intérêt réel 19
affiché devant les difficultés émotionnelles de Ludovic et les questionnements qu’ils
partagent lors de la rencontre. L’attitude active du thérapeute qui se questionne lui
aussi et qui est conscient de ne pas connaître les états mentaux de l’autre est capitale
(not knowing stance) dans le processus de la thérapie basée sur la mentalisation et ces
parents y trouvent un appui productif en présence du thérapeute. Cet état d’esprit
empreint de curiosité est encore plus d’actualité avec un bébé ou un jeune enfant qui
sait mal communiquer verbalement ou qui, comme dans le cas de Ludovic, est aux
prises avec des distorsions cognitives, même si elles peuvent être appropriées à son
âge. Nous devons être prêts à accueillir des perspectives alternatives en partie parce

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qu’on ne sait jamais véritablement ce qui se passe dans la tête de l’autre ; la


mentalisation nous met face à cette opacité et nous oblige à cultiver l’intérêt sincère
pour l’autre et à user d’imagination pour tendre vers une meilleure compréhension
des états émotionnels.

Une des particularités du travail clinique réalisé avec les enfants tient aux 20
incompréhensions générées par l’immaturité propre au développement. Ce décalage
permet souvent d’introduire un élément de différenciation entre les sentiments de
l’enfant et ceux de ses parents. Il peut alors être jugé utile de présenter en séance des
informations psychoéducatives sur la façon de réfléchir des enfants (selon leur âge)
et de tempérer ainsi des réactions affectives intenses des parents qui peuvent
surestimer les capacités de leurs enfants et conséquemment leur prêter de mauvaises
intentions. Dans le cas de Ludovic, les adultes avaient banalisé ses peurs et s’étaient
montrés très agacés par ses comportements régressifs, amalgamant la difficulté à
gérer de tels comportements lors de la vie quotidienne avec les affects liés à la
randonnée ce jour-là.

Cette vignette clinique illustre aussi l’utilité du marquage et de la différenciation des 21


émotions de chacun. Ludovic montre une mine triste qui se transforme en pleurs
sous l’effet de la question concernant ses sentiments par le thérapeute. Il s’avère
profitable pour ce dernier de s’arrêter sur les manifestations affectives et de
reformuler les émotions exprimées par chacun, en mettant bien en lumière qui a
ressenti quoi, de façon à faciliter la différenciation entre soi et autrui.

De plus, l’opacité des états internes conduit nécessairement tout un chacun à faire 22
des erreurs d’interprétation. L’attitude du thérapeute en séance devra témoigner de
sa capacité à reconnaître ses propres erreurs d’appréciation et à en faire des
moments productifs pour mettre en jeu, dans le moment présent, des façons de se
sortir de certaines impasses.

La clinique démontre que les enfants sont très sensibles aux moments 23
d’incompréhension émotionnelle. Les paroles et les gestes affectueux des parents
s’avèrent aussi de véritables signaux de réparation lors de mésentente relationnelle.
Pour Ludovic, cette séance avec ses parents a eu un effet apaisant face aux craintes
de perdre son père. L’attachement, fortement activé lors de la randonnée, a pu tirer
profit de ce moment de compréhension mutuelle qui s’est joué ici entre Ludovic, ses
parents et le thérapeute, de façon à être ramené dans une zone affective plus
sécurisante.

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Intervenir en fonction des différentes dimensions (axes)


de la mentalisation

La thérapie basée sur la mentalisation a mis en lumière l’importance du processus 24


psychothérapeutique, le mettant même à l’avant-plan, en priorité sur le contenu
apporté par le patient. Parmi les particularités du processus, un niveau d’activation
émotionnelle bien modulé et une flexibilité cognitive suffisante constitueront les
premiers facteurs contribuant à un travail de mentalisation constructif. Le niveau
d’activation émotionnelle est un facteur central ; la plupart des individus, même
lorsqu’ils présentent un trouble de personnalité limite, sont en mesure de mentaliser
et de préserver l’accordage affectif lorsque l’activation émotionnelle est peu élevée
durant une interaction. Cependant, la confusion au sujet des états mentaux
augmente avec la difficulté à retrouver un état régulé quand l’activation émotionnelle
aura été mise en branle chez ceux souffrant d’un trouble de personnalité limite
(Debbané, 2016b).

Un autre facteur influence la manière dont les parents exerceront leurs rôles et 25
fonctions auprès de leur enfant, notamment les modèles intériorisés de leurs propres
parents. Il s’avère important de connaître, au moins de façon globale, l’histoire
d’attachement de chacun des parents au sein de leur propre famille, qui sont les
personnes qui représentent pour eux les figures les plus significatives comme
modèles parentaux et enfin, prendre en compte les éléments traumatiques de leur
histoire s’il y a lieu. Ces informations pourront aussi nous guider quant aux éléments
qui déclenchent les processus d’activation et de désactivation émotionnelle,
provoquant des changements soudains d’un mode de pensée à l’autre.
Lorsqu’identifiés, ces éléments permettront des ajustements en vue de garder un
niveau réflexif optimal.

La thérapie basée sur la mentalisation nous invite aussi à porter notre attention sur 26
différentes dimensions du processus thérapeutique telles que décrites dans le
chapitre portant sur le développement de la mentalisation. Fonagy et Luyten (2009)
ont défini quatre dimensions pertinentes à la mentalisation : automatique-contrôlée,
interne-externe, cognitive-affective et différenciation soi-autrui. Elles sont
représentées par des axes bidirectionnels.

D’entrée de jeu, nous pouvons affirmer qu’un écart important sur un axe signale une 27
rupture potentielle des processus de mentalisation et constitue une invitation à
prêter davantage attention à ce qui se déroule à ce moment-là et à intervenir pour
rétablir un point de vue plus favorable à la mentalisation (Fonagy et al., 2012).
Appliquées au contexte du travail thérapeutique parents-enfants, ces notions –

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activation, flexibilité, modèles intériorisés et dimensions du processus – demeurent


utiles, mais avec des particularités propres à un cadre incluant plusieurs individus
évoluant dans un même système plutôt qu’avec un individu pris isolément. Il
importe également de considérer un autre facteur lors du travail avec les parents
puisque nous découvrons l’existence d’un sous-système « coparentalité ». Ce dernier
se traduit par des positions polarisées sur un même axe pour chaque parent ou, à
l’inverse, par la création d’alliances, faisant en sorte que les parents se retrouvent au
même endroit sur l’axe, en tenant un discours semblable, souvent inflexible. Dès la
rencontre initiale, il devient important d’avoir en tête où se situe globalement chaque
parent et le couple sur ces axes de manière à pouvoir ajuster nos interventions de
façon à tendre vers une position balancée.

À titre d’exemple d’une position opposée, la vignette clinique avec Ricardo et ses 28
parents servira à illustrer celle où un parent se centre sur les aspects cognitifs alors
que l’autre ne voit que les aspects affectifs lors d’un conflit avec l’enfant.

La nécessaire prise en compte de l’ensemble de ces facteurs démontre bien la 29


complexité du système et multiplie les portes d’entrée permettant d’y accéder. Par
souci de clarté, nous définirons brièvement chacune de ces dimensions énoncées par
Fonagy et ses collègues (2012). Bien qu’il y ait d’inévitables chevauchements entre
elles, une telle présentation de ces dimensions permet d’illustrer le travail clinique
visant à développer l’une ou l’autre des polarités des différents axes ou à en
rééquilibrer le positionnement sur un axe ou l’autre.

Axe mentalisation automatique vs contrôlée


Telle que définie dans le chapitre sur le développement de la mentalisation, la 30
dimension automatique de la mentalisation repose principalement sur l’observation
de caractéristiques non verbales liées à l’expression corporelle, des caractéristiques
non conscientes, qui ne nécessitent pas un processus réflexif soutenu pour être
utilisées dans la régulation affective et cognitive. Il s’agit davantage d’une réponse
réflexe, automatique, rapidement exécutée, souvent intuitive. Une altération de la
mentalisation conduit à un recours excessif au mode automatique, impliquant
souvent des idées toutes faites ou distordues par rapport à la réalité.

Au contraire, la mentalisation contrôlée fait appel à un processus réfléchi, conscient, 31


verbal et volontaire afin de comprendre ce qui habite autrui. Elle requiert une
attention soutenue et implique de fournir un effort important pour comprendre
l’état émotionnel de l’autre (Debbané, 2016b ; Fonagy et al., 2012).

Cette dimension se trouve particulièrement sollicitée chez les parents qui doivent 32

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constamment interpréter les signaux non verbaux de leur jeune enfant en attendant
que son langage et sa capacité de mentalisation se développent.

Axe mentalisation basée sur des caractéristiques internes vs


externes de soi et de l’autre
La mentalisation basée sur des caractéristiques intérieures réfère à la capacité de 33
considérer les pensées, les sentiments et les expériences de l’autre en demeurant à un
niveau imaginaire, sans nécessairement s’appuyer sur des faits concrets, simplement
en comprenant que l’autre possède un monde interne comme le sien propre. À
l’opposé, le focus de la mentalisation peut se trouver tourné vers l’extérieur, vers
l’interprétation de faits et d’actions tangibles de la part de l’individu lui-même ou de
l’autre sans tenir compte des indices du langage non verbal et des expressions
faciales, qui, si pris en compte, aideraient à faire des hypothèses en lien avec les états
internes (Fonagy et al., 2012). Un exemple d’un positionnement au pôle externe serait
lorsqu’un parent affirme que son enfant se moque de lui s’il rit quand il est semoncé,
sans noter qu’il est tendu ou surexcité. Il ne cherche pas à comprendre pourquoi il
agit ainsi à ce moment-là et ne se demande pas non plus si le rire peut aussi signaler
un malaise dans la relation.

L’interprétation des expressions faciales trouve toute son importance dans ce 34


contexte. C’est ici qu’entrent en jeu les questions de mirroring. Si les parents se
doivent d’offrir une réponse contingente, c’est-à-dire d’offrir un accordage en termes
de « timing » et de ton émotionnel, ils doivent du même coup marquer la différence
entre ce qu’ils ressentent en recevant le message de l’enfant et ce qui lui en est
communiqué, en exagérant quelque peu l’intensité de l’expérience, donc en y
apportant une légère distorsion. Pour les parents présentant un trouble de
personnalité limite, ceci devient particulièrement exigeant puisque bon nombre
d’entre eux n’ont pas connu d’expériences de mirroring satisfaisantes. L’imprécision
de l’accordage mirroring, contingence et marquage – nuit à l’intégration par l’enfant
d’une expérience qui soit au reflet de ce qui l’habite (Debbané, 2016d).

En clinique, notre travail de psychothérapeute nous incite plus naturellement à offrir 35


des explications en lien avec la présence d’un monde interne chez le petit, univers
auquel nous souhaitons rendre chacun plus attentif. Ainsi, avec l’enfant jeune qui
consulte avec ses parents, ces derniers pensent plus naturellement que c’est l’action
physique qui mènera à l’état mental et non l’inverse : « je pleure parce que je me suis
fait mal en sautant » (action) plutôt que « je pleure parce que j’ai eu peur en sautant »
(émotion). Or ce biais favorise une polarisation entre les parents et le thérapeute. Il
traduit une difficulté partagée entre chacun à garder une position balancée qui

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emprunte autant à la réalité interne qu’externe. En s’exerçant à la mentalisation, le


thérapeute devrait être capable de prendre davantage en compte les éléments du réel
à partir desquels se construit le scénario intérieur. Ce faisant, il pourra plus aisément
aider les parents à tendre à son tour vers le centre de l’axe.

Axe mentalisation cognitive vs affective


En guise d’explication des états mentaux, les individus font idéalement appel à la fois 36
à des indices cognitifs et affectifs. Ils utilisent la pensée rationnelle sans perdre de
vue l’importance de la présence des sentiments. Une qualité comme l’empathie
permet la prise en compte des éléments affectifs de la relation. La pleine capacité de
mentalisation repose sur l’intégration de ces deux facettes. Sur cet axe, deux
systèmes de pensée s’opposent. L’un est centré sur l’intention interprétée comme
volontaire, rationnelle et intellectuelle, de façon purement cognitive : l’action traduit
une pensée sans prise en compte de facteurs affectifs. L’autre est tourné vers l’affect
comme unique motivation à toute action. Pour l’individu, considérant à outrance la
mentalisation affective, toute situation est liée à des affects, l’amenant ainsi à prêter
trop rapidement des sentiments à l’autre, sans en vérifier l’exactitude. Si le premier
est imperméable aux raisons des affects, le second est hypersensible à la contagion
émotionnelle, perdant tout sens critique (Debbané, 2016b ; Fonagy et al., 2012).

Axe mentalisation de soi vs d’autrui


Les processus de différenciation soi-autrui sont au cœur du monde relationnel où 37
deux mouvements s’opposent. D’abord, l’enfant doit trouver et définir sa
personnalité en se dégageant de l’enchevêtrement des attentes projetées sur lui, dès
sa conception, de façon naturelle par tous les parents. A contrario, l’entière
dépendance d’un nouveau-né constitue la raison même de cette imbrication soi-
autrui et convie les adultes à l’absolue nécessité de se servir de leurs ressentis pour
faire sens avec les demandes de l’enfant, venant embrouiller davantage cette
distinction « soi-autrui ».

Le point primordial de cet axe concerne la voie d’accès à la connaissance de soi- 38


même et à celle de l’autre. Pour se connaître, il est attendu qu’un individu développe
certaines capacités de se percevoir de l’extérieur, de se voir agir en quelque sorte à
l’aide d’un « moi observateur » qui lui permettent de prendre du recul lorsque
nécessaire. La formation d’une représentation de l’autre expérimentant à peu près
les mêmes sensations ou émotions que soi ouvre la voie à l’empathie (Debbané,
2016b ; Fonagy et al., 2012). L’autre peut alors se sentir compris. Nul doute que nous
retrouvons là deux attributs essentiels de la relation parents-enfant.

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Cependant, la question de l’égocentrisme constitue le point d’achoppement sur cet 39


axe. À une extrémité de l’axe, une personne tenant une position trop centrée sur elle-
même, conduit à une insensibilité au vécu de l’autre. À l’autre bout de l’axe, si la
personne méconnaît l’unicité de l’expérience de l’autre, elle en arrive à croire qu’il va
penser ou ressentir exactement comme elle le ferait. Cela amène certains parents
d’enfants jeunes à faire preuve d’une hypersensibilité face à toutes formes de douleur
chez leur enfant. Le déclenchement de puissants réflexes de protection soulevés par
une identification à l’enfant témoigne alors d’une indifférenciation soi-autrui
problématique. Cette identification, voire indifférenciation face à ce que l’enfant
peut ressentir est même rapportée en termes de réaction viscérale, ancrée dans le
corps. D’autres parents éprouvent au contraire de réelles difficultés à tolérer le
manque de ressemblance avec leur enfant avec la conséquence de ne pas se sentir
capable de l’investir pour ce qu’il est.

La progression du parent quant à sa capacité à voir son enfant comme un être 40


distinct, habité de pensées et de sentiments bien à lui, sera porteuse de changements
sur le plan relationnel. Cela nous conduit à affirmer que, parmi les quatre
dimensions introduites par Fonagy et ses collègues (2012), c’est celle de la
différenciation soi-autrui qui aura le plus d’influence sur la qualité de la relation
parents-enfant. La stabilisation d’une position équilibrée sur cet axe servira même à
titre d’indicateur de changement thérapeutique (Slade, 2007).

L’exemple qui suit se veut illustratif de l’importance de la prise en compte de ces 41


dimensions et des répercussions sur la façon d’intervenir et d’en jouer dans une
situation clinique.

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Ricardo a 4 ans quand il est amené en consultation par ses parents pour un problème sévère
d’agitation et d’opposition qui prend de l’ampleur depuis la naissance de sa sœur il y a deux
ans. La mère s’attend à un diagnostic d’hyperactivité (TDAH) comme chez son fils aîné. À
l’entrevue initiale, il apparaît cependant qu’il existe une composante relationnelle importante
qui amène plutôt le thérapeute à vouloir traiter l’opposition en premier lieu, sans toutefois
rejeter complètement l’hypothèse du TDAH. En effet, Ricardo est décrit comme un enfant
provocateur avec ses parents, faisant toutes sortes de bêtises, spécialement quand les deux
parents sont présents à la maison. Il est très difficile pour les parents de se questionner sur le
sens des agissements de Ricardo, chacun se retrouvant davantage sur un mode d’action-
réaction pour gérer ses comportements, tentant de le réprimander, sans succès.
Lors de l’anamnèse, le père relate avoir grandi au sein d’un milieu familial sans règles
établies et que tout s’est plutôt bien déroulé pour lui de sorte qu’il ne comprend pas bien la
nécessité d’établir une routine et d’« imposer » des limites aux enfants. De son côté, la mère a
plutôt grandi dans un milieu particulièrement dysfonctionnel, la conduisant à demander, par
elle-même, un placement au moment de l’adolescence. En effet, sa mère serait décédée peu
avant ses 10 ans et son père aurait sombré dans une grave dépression par la suite, créant
autour de sa fille un milieu de vie coercitif dans le but de la protéger.

L’entrevue relatée ici survient lors de la troisième rencontre avec cette famille. 43

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Ce jour-là, la famille est arrivée légèrement en retard en raison de la congestion routière pour
se rendre à la clinique. La mère commente le froid automnal et décide de garder son manteau
en s’assoyant dans le bureau. Rapidement, le thérapeute apprend qu’en route pour le rendez-
vous, Ricardo a lancé sans avertissement un objet dans la voiture, faisant sursauter le père et
risquant de causer un accident. Ricardo avait déjà manifesté son impatience et les parents
eux-mêmes étaient tendus constatant qu’ils seraient en retard. La mère relate s’être emportée
et avoir avisé son fils qu’il serait privé de sa console de jeux pour une semaine. Elle ajoute,
d’un air coupable, savoir qu’il s’agit d’une conséquence trop sévère, ce que le père reconnaît
aussi.
Sans que le thérapeute puisse réagir, une intense discussion s’engage entre les parents sur la
question des limites à poser aux enfants. À titre illustratif, la mère évoque le fait que le père
laisse l’accès à des céréales sucrées aux enfants à leur demande à n’importe quel moment de la
journée. Cette situation rendrait la mère particulièrement furieuse lorsqu’elle en ferait le
constat à son retour du travail. De plus, Ricardo prendrait alors un malin plaisir à montrer à
sa mère ce qu’il a mangé : « Na, na, na, on a mangé des céréales avec papa ! » Le père prétend
qu’ils se sont servis seuls et que « de toute façon, c’est bien occasionnel ». La mère réplique qu’il
sait pourtant quelle importance elle accorde à la saine alimentation et que « tout le monde
sait », prenant le thérapeute à partie du regard, « qu’on ne donne pas des céréales sucrées aux
enfants juste avant de dormir ». La mère se décrit comme excessivement sensible et prompte à
réagir de façon très émotive dans toutes ces situations, sans pouvoir s’arrêter, même en
présence des enfants. Elle adresse alors des critiques acerbes au père et se plaint d’être confinée
au rôle de « méchante ». Pendant ce temps, Ricardo, silencieux, trace des formes qu’il dessine
ensuite avec frénésie.

Il n’est pas rare que l’intensité des émotions amène le thérapeute à devoir 45
« refroidir » la température ambiante pour pouvoir continuer à travailler et avoir
accès aux états mentaux de chacun. C’est le cas ici, face à cette vague déferlante ; le
thérapeute se dit qu’il doit d’abord calmer le jeu devant l’emportement des parents et
leurs échanges à brûle-pourpoint, remarquant qu’il est difficile d’intervenir et de
réfléchir à ce qui se passe entre eux dans un tel contexte.

Attendant le moment propice, le thérapeute commente, avec une pointe d’ironie, que le temps 46
est frais dehors mais que ça bouillonne à l’intérieur ! Les parents sourient et la mère retire
alors son manteau.

Il avait saisi dès le début qu’avec ces deux parents vifs d’esprit et de fort caractère, ce 47
type d’humour permettrait de diminuer la tension relationnelle.

Bion (1962/1979), dans son livre Learning from experience, a mis en lumière l’importance 48
de l’expérience émotionnelle pour développer un sentiment d’intégrité de sa

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personnalité. Les théoriciens de la mentalisation insistent, de façon plus précise, sur


l’importance de « sentir ce que l’on comprend » (Debbané, 2016b) Il s’agit de réaliser
une synthèse bien intégrée d’un pan de compréhension cognitive qui entrera en
résonance avec une autre part, affective, processus qui, finalement, résultera en une
impression d’ouverture et permettra le déploiement d’une nouvelle perspective.

La situation de Ricardo et de ses parents est représentative de bon nombre de 49


situations cliniques au sein desquelles nous constatons que chacun des parents se
positionne à une extrémité de l’axe cognitif-affectif. Ici, le père se situe au pôle
cognitif et la mère, à l’opposé affectif, initialement sans fléchissement possible de
l’un ou de l’autre. En psychothérapie individuelle, nous composons avec une
personne à la fois, alors qu’ici, le défi est d’amener chaque parent à bouger sur ce
même axe. La position du père en est une de rationalisation cognitive excessive au
détriment de tout ressenti émotionnel, menant sa conjointe à envisager
sérieusement la séparation pour le faire bouger. La mère porte certes la frustration
conférée par le mauvais rôle, mais ses tempêtes affectives sont contre-productives
pour tenter d’assainir le climat familial. Quand la dissociation des deux pôles est trop
grande, il n’y a pas d’intégration possible.

La mère nous explique qu’ici, ce matin, ce n’est rien en comparaison à ce qui se passe à la 50
maison où ils se crient dessus et que les enfants deviennent alors d’une agitation extrême.
C’est la raison pour laquelle elle est partie pour deux semaines avec les enfants, sans son
conjoint, durant l’été.

Lors d’un moment pivot comme celui-ci, le thérapeute doit prendre un rôle actif pour 51
ajuster ses interventions au climat affectif ambiant en évitant une alliance trop nette
avec l’un ou l’autre des parents. Il doit alors pouvoir offrir un reflet (mirroring) clair,
marqué, en distinguant ses propres réactions de celles de chacun des parents.

Ainsi, en séance, le thérapeute reconnaît la gravité de leur situation et relève le fait 52


qu’ils vivent définitivement dans un climat sous haute tension et que ce moment de
prise de recul semble bien nécessaire. Introduisant un aspect affectif, il souligne
également l’état de choc probable que cette séparation a dû leur causer. De la façon la
plus empathique possible, avec un ton grave qui ne laisse pas de doute quant à
l’impact émotionnel sur lui de cette révélation faite en séance, il est soucieux de
valider rapidement auprès de chacun des parents les effets de cette décision de la
mère. Le niveau d’activation émotionnelle baisse alors d’un cran, permettant de
regagner un accès partiel à leurs états mentaux. Il redevient alors possible d’entendre
l’un et l’autre s’exprimer sur les difficultés familiales.

53

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Le père raconte alors qu’il ne souhaitait pas en arriver à une séparation et que la famille est
importante pour lui. Il ajoute qu’il a changé depuis, notamment pour respecter davantage les
routines. La mère, un peu plus calme, reconnaît ses efforts mais note qu’il reste encore du
chemin à faire concernant l’application des règles, revenant à la question de l’alimentation.
Le père, se sentant à nouveau attaqué, réplique qu’ils ne peuvent gaspiller le temps d’un
médecin spécialiste en discutant de céréales sucrées à la collation !

Le thérapeute a sous-estimé l’intensité de l’activation émotionnelle résiduelle et ne 54


s’est pas montré assez rapide pour tenter de conserver le niveau d’activation à un
seuil permettant le travail réflexif. Conséquemment, il doit donc ramer plus fort pour
ramener l’équipage dans le sens du courant plus calme.

Le père a fait un pas vers une réflexion à tonalité plus affective en admettant 55
l’importance de préserver la famille. À ce moment, le thérapeute opte pour valider les
efforts fournis par le père afin d’établir les routines. Il souligne au père qu’il
comprend qu’il puisse être difficile d’imaginer que ses enfants en ont besoin, alors
qu’enfant, il a su grandir sans un tel encadrement et qu’il a pu devenir un adulte tout
à fait responsable dans son travail par exemple. Le thérapeute choisit alors
d’introduire une dimension plus cognitive aux propos abordés, s’appuyant sur l’effet
habituellement rassurant des limites posées aux enfants et questionne (« challenge »)
le père ouvertement à propos de sa difficulté à leur imposer de telles limites, surtout
qu’une telle façon de faire semble confiner sa conjointe, comme elle l’a si bien dit, à
occuper cette fonction et avoir très souvent ce mauvais rôle.

Visiblement davantage en confiance, le père reconnaît qu’il se réfugie derrière des pensées 56
rationnelles pour ne pas imposer de limites aux enfants. Il nous dit honnêtement qu’il ne
souhaite pas réfléchir à ce qu’il ressentira s’il interdit certains comportements à Ricardo et
qu’il ne veut pas que son fils se fâche contre lui.

Ces propos ont un effet apaisant sur l’atmosphère générale, réduisant l’écart sur l’axe 57
cognitif-affectif pour le père et entre les parents. Ricardo vient d’ailleurs offrir ses
dessins à chacun, recueillant les éloges de chaque parent. Cette situation permet au
thérapeute d’intervenir sur l’importance de balancer ces rôles de façon à augmenter
le climat de sécurité à l’intérieur de la famille. La suite de la vignette démontre que
les deux parents sont capables d’adopter une attitude d’écoute à l’égard l’un de l’autre
quand ils sont soutenus.

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La mère, soulagée de l’appui offert par le thérapeute, renchérit calmement en mentionnant


qu’elle pourrait lâcher prise un peu plus souvent. Le thérapeute sent alors qu’il peut aborder
avec elle son manque de flexibilité concernant les céréales sucrées, en l’interrogeant de
manière directe, non sans prendre un ton légèrement amusé, quant à la possibilité qu’il puisse
y avoir des transgressions occasionnelles de la règle, sans que de telles transgressions mettent
en danger leur autorité. Cette fois, c’est le père qui se sent allégé, introduisant, avec un affect
bien senti, l’importance du plaisir et des surprises. La mère, souriante, confirme qu’elle serait
la première à tricher avec cette règle !

Le modèle conceptuel proposant les différents axes de la mentalisation est fait de 59


telle sorte qu’il existe un certain chevauchement entre ceux-ci et l’exemple de la
famille de Ricardo peut aussi être analysé en fonction de la dimension qualifiée
d’automatique-contrôlée telle que décrite plus haut. Nous insistons ici sur
l’importance de la flexibilité qui permet d’osciller entre des moments de
compréhension de l’autre par des efforts conscients (contrôlé) et d’acceptation de
réponses automatiques qui serviront tous les deux de moyens de régulation (Allen,
Fonagy, & Bateman, 2008a). Tenir une position balancée sur cet axe au quotidien se
complique avec la présence d’un jeune enfant dont l’état émotif fluctue rapidement
et dont le langage manque de nuances. Ceci requiert beaucoup d’énergie pour
s’adapter sans arrêt. Le refuge dans des modes de pensée automatique est fréquent
au jour le jour puisqu’il serait inhumain de pouvoir réfléchir à tout au fur et à mesure
de l’action. Cela nous oblige à une certaine indulgence quand nous rencontrons les
familles. Il apparaît encore plus important, dans ce contexte, de créer un climat
favorable qui encouragera la flexibilité de la pensée, sans porter de jugement sur les
maladresses observées.

Dans cette vignette, les deux parents se retrouvent tous les deux sur la même 60
extrémité de l’axe, soit le mode automatique. En effet, la banalisation des règles de la
part du père semble avoir pour fonction de court-circuiter l’exigence de réfléchir
pour pouvoir gérer les émotions de colère et de frustration qu’il appréhende chez ses
enfants. De la même manière, la mère semble se situer dans un registre semblable
lorsqu’elle applique ses règles concernant la nourriture de façon absolue, n’ayant pas
à s’interroger lors de moments où les routines doivent se dérouler de manière fluide
pour espérer avoir un peu de temps pour elle-même. Une partie de nos interventions
vise à intervenir sur cette polarité automatique-contrôlée afin d’aider les deux
parents à adopter une position moins extrême.

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Ainsi, le père en arrive à verbaliser ses craintes d’être repoussé par son fils s’il se montre
autoritaire avec lui ; il devient clair qu’il devra puiser dans ses ressources personnelles et
émotionnelles pour affronter le mécontentement des enfants. Le thérapeute peut
éventuellement affirmer que ses enfants représentent la norme et que lui, enfant, était
l’exception. Quant à la mère, elle nous confie sa peur de perdre le contrôle de la situation ainsi
que celle de devenir violente. Dans ce contexte, il lui serait plus facile d’appliquer la règle sans
discussion. À l’instar de son conjoint, elle prend conscience qu’elle doit garder en réserve des
ressources internes pour ne pas perdre de vue les besoins des enfants, et ce sans se décharger de
ses responsabilités sur son conjoint. Le thérapeute peut alors nommer que leurs stratégies,
bien qu’opposées en apparence, visent le même objectif, soit celui de survivre au tourbillon
émotionnel au sein duquel ils se retrouvent de plus en plus souvent prisonniers. De son côté,
Ricardo assiste à ces échanges sans parler. À l’occasion, il vient offrir ses dessins aux parents
avec une attitude calme qui les étonne.

La vignette clinique nous permit d’ouvrir aussi sur la dimension interne-externe, 62


dimension qui s’intéresse aux attributions des comportements en rapport avec
l’activité de mentalisation. Les pôles de cet axe oscillent cette fois entre les éléments
non visibles (internes) comme les pensées, intentions, émotions et des conduites
extériorisées manifestes (externes), actions ayant des effets directs sur le monde
extérieur.

Dans la situation de Ricardo et ses parents, la discussion concernant la conséquence 63


du fait d’avoir lancé un objet dans la voiture n’a pu être reprise qu’en fin d’entrevue.
Ricardo est un enfant qui s’exprime peu verbalement, du moins en ce qui concerne
ses émotions ; ses agirs constituent souvent, à l’évidence, des moyens pour
extérioriser un besoin.

Questionné sur ce que Ricardo pensait de la conséquence de son geste, sa mère ne l’a pas laissé 64
répondre, affirmant qu’il s’en fichait ! Pourtant, lorsque privé de sa console de jeux, il
demande à chaque jour, dit-elle, à quel moment il la retrouvera. Du même souffle, la mère
ajoute qu’elle-même a cessé de compter le nombre de jours de privation de jeu et qu’elle a cédé.
Au risque de la heurter, le thérapeute choisit alors d’expliquer la notion du temps chez
l’enfant, différente de celle de l’adulte et qu’ainsi une conséquence plus courte et immédiate
aurait probablement un effet plus significatif. La mère se défend en prétextant une tendance à
s’emporter. Le père acquiesce et offre son aide à sa conjointe, affirmant qu’il est plus facile
pour lui de faire respecter les conséquences si elles ne durent pas trop longtemps.

D’un point de vue plus interne, outre le fait d’être immobilisé en voiture qui rendait 65
chacun impatient, il est mentionné que Ricardo tolère mal le sentiment d’être mis de
côté lorsque les parents se parlent, comme c’était le cas sur le chemin vers la clinique.

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Cette affirmation ouvre alors la possibilité d’une piste d’intervention différente – plus
affective et moins centrée sur le comportement – visant à atténuer l’impression
d’exclusion que vit Ricardo. Le thérapeute peut aussi soulever la question du besoin
ressenti par l’enfant quand le problème identifié est celui d’une recherche d’attention
négative. Cela a conduit les parents à reconnaître alors le besoin d’un moment
partagé pour regarder un tableau sur sa console de jeu.

Notre expérience clinique nous a permis d’observer que la tendance des parents qui 66
consultent se situe d’emblée du côté du pôle externe pour tenter d’expliquer les
agissements de l’enfant, sous-estimant chez ce dernier ses capacités de
mentalisation, même rudimentaires.

À l’opposé, nous observons aussi que les parents ayant tendance à se culpabiliser 67
s’attribueront d’emblée des intentions et des émotions négatives pour justifier les
actions de leurs enfants. Il en résulte une difficulté marquée à leur imposer des
limites claires et la conviction de devoir subir les situations ou d’en porter l’odieux,
alors souvent accompagnée de sentiments de honte. L’adoption d’une telle position
extrême a des effets paralysants qui ne servent pas davantage les processus de
mentalisation.

Parmi les quatre axes abordés, la dimension soi-autrui est sans aucun doute l’une des 68
plus sollicitées lors du travail psychothérapeutique réalisé auprès des parents et de
leur enfant. Percevoir et interpréter le comportement humain en termes d’états
mentaux suppose une activité de représentation de ce que l’autre peut penser ou
ressentir, tout en tolérant le fait de ne jamais savoir parfaitement ce qu’il y a dans sa
tête et de devoir reconnaître qu’il pense différemment de soi (Debbané, 2016e). Bion
(1962/1979) a jugé nécessaire de conceptualiser l’appareil à penser les pensées comme un
système pour appréhender la réalité psychique et la représentation symbolique.

Nous avons noté à plusieurs reprises que Ricardo venait montrer ses dessins à ses 69
parents durant la rencontre. Prendre une position d’observateur de son enfant tient
un rôle central dans ce processus de différenciation soi-autrui. Pour les parents, il
s’agit d’un moyen utile pour se rapprocher de ce qu’il peut vivre, en prenant en
compte la fluctuation incessante des états affectifs et en utilisant l’expérience
subjective qu’est le ressenti, nous confinant cependant à une démarche
d’approximation. Pour l’enfant observé, l’observation a pour effet bénéfique,
lorsqu’elle se déroule dans un climat favorisant la confiance, d’augmenter sa capacité
à mieux concevoir son propre état subjectif en l’incitant lui aussi à porter davantage
attention à son activité mentale (Lebel, 2000). Ce jeu observateur-observé se présente
de façon naturelle dans la relation parents-enfant si on pense aux nombreuses
situations où un enfant aime faire les choses devant ses parents, réclamant leur

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attention « pour leur montrer ».

Fonagy et Target (1996) rappellent que l’enfant plus âgé doit comprendre que ce qui 70
est dans sa tête ne sont que des représentations de pensées ou de sentiments et que
la réalité, la sienne comme celle des autres, peut être interprétée d’une multitude de
façons. Pour entrer en contact avec l’expérience de l’autre, ou faire sens de son
expérience, l’individu doit absolument reconnaître la subjectivité de celles-ci : ce qui
est vrai pour lui ne l’est pas nécessairement pour l’autre et ses idées et sentiments ne
définissent pas ceux de l’autre.

Quand les repères d’attachement sont bouleversés

Des difficultés supplémentaires s’ajoutent au moment de travailler avec des familles 71


d’accueil chez qui les enfants sont placés. Ces placements, souvent prévus à long
terme, comportent des défis liés à la discontinuité des soins précoces. En effet, ces
enfants ont connu, pour une majorité, plusieurs figures de soins et ont alors été
confrontés à des ruptures de rythmes et d’habitudes qui ont sursollicité leurs
capacités d’adaptation. Le flou entourant la qualité des expériences vécues dans
d’autres milieux de vie encourage alors l’attribution causale des problèmes
rencontrés au quotidien à ce passé relationnel fragmenté.

Annabelle est née d’une mère sévèrement alcoolique et toxicomane et laissée dès sa naissance 72
aux soins des services sociaux. Elle est placée dans une famille d’accueil pour ses quatre
premiers mois de vie, le temps que s’organise son arrivée chez un couple de la famille élargie
de la mère. Ce couple rencontrera brièvement les parents d’accueil : sans mot dire, la femme
aura remarqué qu’Annabelle tenait déjà bien son biberon pour boire, couchée dans son petit
lit. À l’arrivée dans cette nouvelle famille, les parents d’accueil seront surpris de la vitesse à
laquelle Annabelle ingurgite le contenu de ses biberons. Encore à deux ans, elle s’empiffre avec
la nourriture sans savoir s’arrêter. Ces parents bienveillants s’expliquent mal ce
comportement compulsif de la petite, retournant sans cesse à cette image traumatique pour
eux de la solitude dans laquelle ils supposent qu’Annabelle a vécu au début de sa vie.

Il sera alors très ardu pour ces parents de garder des capacités de mentalisation 73
souples comme si ce vécu extérieur et antérieur à la famille d’accueil actuelle ne
trouvait pas de façon de s’intégrer dans le présent. Une telle situation génère
fréquemment des réactions de culpabilité ou de déresponsabilisation chez les
parents d’accueil qui n’arrivent plus à conserver un équilibre sur les différents axes
décrits plus haut, conduisant à l’adoption de positions extrêmes. Une polarisation
sans issue se joue entre les nouveaux parents d’accueil et ceux du premier milieu de

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vie de l’enfant. Puisqu’une partie des informations demeurera inconnue, il n’est plus
possible de valider leurs hypothèses. Cela aura pour effet de limiter les capacités de
réparation et de réflexion.

Sur l’axe interne-externe, les professionnels comme les parents d’accueil eux-mêmes, 74
confrontés à ces histoires de discontinuité, sont à risque de tenir une position
rigidifiée les conduisant à une surdétermination de sens pour toutes les réactions
comportementales de l’enfant. Celles-ci peuvent parfois être attribuées aux
expériences traumatiques vécues au sein des milieux de vie précédents, parfois à une
surinterprétation en termes de symptômes affectant la relation actuelle, soit en
termes de gestes de provocation volontaire (pôle externe) ou soit dans une position
de victime innocente qu’il faut réparer (pôle interne). Selon l’hypothèse retenue, dans
la famille d’accueil, la réponse mènera possiblement à des exigences trop élevées face
à tout écart comportemental (pôle externe) prenant la forme d’un système de
récompense-conséquence comportemental ou à des réactions de surprotection (pôle
interne). Du côté des thérapeutes, la réaction pourra se traduire par des propositions
de traitement médicamenteux visant à atténuer l’anxiété secondaire aux
traumatismes ou à une minimisation des problèmes de comportement en les faisant
reposer sur la relation avec les parents d’accueil, perdant alors de vue l’histoire
antérieure qui peut se rejouer dans les relations actuelles.

L’axe automatique-contrôlé est aussi mis à mal du fait que les premiers mois ou 75
années de vie se sont passés ailleurs, amenant la perte de ces repères très fins se
mettant en place dans les ajustements dyadiques ou triadiques initiaux. En effet, des
traces mnémoniques s’inscrivent très rapidement lors des routines quotidiennes
pour les soins primaires. À titre d’exemple, les parents constatent que ce bébé-ci
aimera être tenu bien droit et voir autour de lui alors que l’autre préférera une
position horizontale qui lui permet de se blottir contre son parent. L’enfant demeure
avec les mêmes préférences s’il doit aller dans une autre famille ; il a enregistré ces
premières expériences, mais la clé permettant leur décodage s’est égarée aux yeux
des parents de la nouvelle famille. De nouveaux sillons, forcément différents des
premiers, doivent être tracés lors de nouvelles relations, créant ainsi des heurts avec
ce qui a été mis en place auparavant. Ceci est extrêmement demandant en termes
adaptatifs et conduit immanquablement chacun – enfant et parents d’accueil – à
adopter des attitudes rigides lorsque les limites sont atteintes.

Enfin, la lenteur du déploiement de ce processus naturel de différenciation soi-autrui 76


commande une prévisibilité qui n’existe pas quand l’enfant a connu plusieurs
milieux de vie en bas âge. L’enfant préverbal, placé ou non, doit être deviné, l’enfant
placé plus âgé a souvent, pour sa part, appris très tôt à cacher ses réactions
intérieures en guise de mécanisme de protection. Les défaillances inévitables du

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décodage affectif rendent la tâche de la compréhension intérieure de l’autre encore


plus délicate. Les tentatives de reconstruction de son passé demeurent des
approximations bien imparfaites, ce qui a été vécu étant si difficile à mettre en mots.
Il est probable aussi que l’enfant se sente démuni face à ces nouveaux parents dont il
doit découvrir la façon de penser, à l’image d’un casse-tête sans modèle auquel se
référer.

Conclusion

L’application des principes de la thérapie basée sur la mentalisation ajoute un 77


éclairage supplémentaire pour faire face à des situations cliniques courantes, que ce
soit avec les adultes ou ici de façon plus spécifique dans le travail parents-enfant.

L’identification à l’enfant ne doit pas nous aveugler par rapport à l’alliance de travail 78
à établir avec les parents (Lebel, 2008). Notre capacité à s’identifier tantôt avec
l’enfant, tantôt à ses parents, devrait servir de modèle pour les parents qui nous
consultent et qui auront à garder l’enfant en tête sans perdre de vue leurs besoins.
Pour le thérapeute, l’art de ce travail consiste à trouver une position bien balancée
entre ces deux types d’identification. L’établissement de l’alliance thérapeutique la
plus solide possible, en créant un climat de sécurité comme base au travail à
accomplir s’avère primordial. Celle-ci sert de socle sur lequel s’appuyer pour réguler
l’activation émotionnelle qui constitue un paramètre incontournable tout au cours
des rencontres. De là, le thérapeute peut jouer intérieurement avec des repères reliés
aux différents axes de la mentalisation et les utiliser dans le vif de l’action ou après
coup, de façon à pouvoir influencer les interactions ultérieures avec la famille.

L’axe de la différenciation soi-autrui est à n’en point douter un facteur clé dans 79
l’évolution des relations parents-enfant et mérite une attention particulière. Ha,
Sharp et Goodyer (2011) nous rappellent que les parents qui arrivent à attribuer une
intentionnalité aux comportements de leur enfant et à lui refléter son expérience
psychologique fournissent les bases d’un attachement sécure et permettent à l’enfant
de développer sa propre capacité de mentalisation. Slade (2005) décrit bien qu’un
sens de sécurité et d’intégrité (wholeness) découle des expériences interpersonnelles
précoces. Pour l’enfant, la découverte de lui-même dépend en partie de cette capacité
des parents à tenir, tolérer et re-présenter toute une diversité d’états mentaux
souvent contradictoires chez lui.

La régulation de l’enfant qui en découle a aussi un effet contenant et régulateur pour 80


le parent. Sans cette capacité réflexive, les parents sont plus sujets à l’impulsivité, la
désorganisation et la dysrégulation dans la relation à leur enfant. Quand un parent

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arrive à garder son enfant à l’esprit, c’est souvent que la fin du traitement approche.
Cependant, Slade (2008) souligne qu’il faut parfois porter longuement le parent dans
notre esprit avant qu’il puisse le faire avec son enfant. Le parent a souvent lui-même
connu des relations précoces perturbées avec des parents peu sensibles, voire
maltraitants. Le climat de sécurité relationnelle permet à certains d’exprimer devant
quelqu’un, sans se sentir jugé, combien il est parfois difficile de vivre avec tel enfant
en particulier, pour des raisons associées à l’enfant lui-même ou à l’histoire familiale.

Comme thérapeutes, nous sommes parfois intimidés par certains parents, par la 81
violence de leurs propos ou leur manque de sensibilité. Le travail peut sembler si
énorme, au point qu’entrer en contact avec eux de façon constructive peut s’avérer
difficile. Certaines situations nous confrontent et nous heurtent plus directement,
notamment lorsque nous sommes face à des injustices ou à de mauvais traitements
envers les enfants. De telles situations peuvent réveiller chez le thérapeute des
sentiments contre-transférentiels puissants qui sont à risque de nuire à
l’établissement d’une alliance avec les parents. Il faut alors reconnaître nos limites,
proposer d’autres moyens d’intervention ou collaborer avec des partenaires avec qui
partager le travail et les réflexions.

Le travail auprès des enfants et de leurs familles ne cesse de se modifier sous 82


l’influence de la science ou de l’organisation des soins à travers le temps. Peu importe
l’allégeance théorique sous-jacente à cette réflexion, qu’elle soit psychanalytique,
développementale ou basée sur les neurosciences, nous ne pouvons contourner le fait
que l’émergence du « self » chez un enfant ne se fera qu’à partir du contact avec un
humain capable de réponse, de réciprocité et de mentalisation (Shai & Fonagy, 2014).

Plan
Importance de l’instauration d’un cadre d’intervention mentalisant adapté au
travail avec les parents

Adopter une posture mentalisante : l’apport d’un narratif élaboré

Intervenir en fonction des différentes dimensions (axes) de la mentalisation

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Axe mentalisation automatique vs contrôlée


Axe mentalisation basée sur des caractéristiques internes vs externes de soi et de l’autre
Axe mentalisation cognitive vs affective
Axe mentalisation de soi vs d’autrui

Quand les repères d’attachement sont bouleversés

Conclusion

Auteur
Alain Lebel

Psychiatre d’enfants et d’adolescents à la clinique de pédopsychiatrie de l’Hôpital en Santé


Mentale Albert-Prévost du CIUSSS NIM, professeur agrégé de clinique au Département de
psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal et chercheur associé au Centre de
recherche du CIUSSS NIM (Canada). Il pratique la psychanalyse auprès d’adultes et la
psychothérapie auprès d’enfants et d’adolescents depuis de nombreuses années. Il s’est
spécialisé dans l’intervention clinique auprès des très jeunes enfants et de leurs parents.
Le travail en institution l’a amené à s’intéresser aux approches psychothérapeutiques
soutenant la capacité de mentalisation d’enfants présentant d’importantes difficultés ainsi
que celle de leurs parents.

Mis en ligne sur Cairn.info le 15/10/2021


https://doi-org.lama.univ-amu.fr/10.3917/dbu.achim.2020.01.0091

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Chapitre 5. La psychothérapie individuelle pour


favoriser la mentalisation : soutenir l’intérêt de
l’enfant pour la subjectivité
Julie Achim, Alain Lebel, Karin Ensink, Isabelle Senécal
Dans Mentaliser en contexte pédopsychiatrique (2020),
pages 139 à 174

Chapitre

Introduction

I nitialement conçue par Anthony Bateman et Peter Fonagy (2004, 2006a) pour
intervenir auprès des patients souffrant de troubles de personnalité limite (TPL)
sévères, la psychothérapie basée sur la mentalisation s’est rapidement imposée
1

comme une modalité thérapeutique des plus utiles dans le traitement d’une diversité
de problématiques et psychopathologies chez l’adulte (par exemple, dépression,
trauma, troubles des conduites alimentaires [1]). Malgré la pertinence évidente d’une
telle approche pour le travail thérapeutique réalisé auprès des enfants, les
adaptations de ce modèle à l’enfance demeurent à ce jour peu nombreuses.

Deux principaux ouvrages ont contribué de manière significative à l’élaboration de 2


notre méthode de travail. Le premier, publié en 2008 et dirigé par Verheugt-Pleiter,
Zevalkink et Schmeets, fait état des adaptations apportées par leur équipe au travail
thérapeutique d’allégeance psychanalytique habituellement réalisé auprès des
enfants consultant au sein de leur service. Constatant chez certains d’entre eux des
difficultés à profiter d’une démarche thérapeutique traditionnelle, l’équipe a
entrepris de documenter les aménagements apportés à sa méthode d’intervention

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afin de mieux tenir compte des déficits observés chez leurs patients sur le plan de
leur habileté à mentaliser. La place prépondérante accordée au travail des capacités
de régulation (attentionnelle et affective) ainsi que les diverses techniques
d’intervention proposées pour le faire se sont avérées particulièrement utiles à
l’élaboration de notre méthode de travail.

Près d’une décennie plus tard, Midgley, Ensink, Lindqvist, Malberg et Muller (2017c) 3
ont introduit un traitement basé sur la mentalisation spécifiquement élaboré pour
les enfants d’âge scolaire (5 à 12 ans). Conçu comme une modalité d’intervention à
court terme (12 séances individuelles avec l’enfant et rencontres distinctes avec les
parents), ce traitement introduit des stratégies thérapeutiques qui visent
précisément à soutenir le développement de la capacité à mentaliser de l’enfant ainsi
que celle des parents. Plaçant le jeu de l’enfant au cœur du travail thérapeutique, les
auteurs insistent sur l’importance de l’adoption d’une posture mentalisante par le
thérapeute ainsi que sur la nécessité d’intervenir de manière à demeurer au plus près
des acquis développementaux de l’enfant et des difficultés qu’il rencontre. Les
techniques d’intervention proposées sont donc au reflet de ces grands principes.
Elles ont été élaborées en considérant la chronologie développementale de la
mentalisation chez l’enfant, ses principaux lieux d’achoppement et les conditions
favorables à la reprise ou à la poursuite de son développement. La conceptualisation
du travail thérapeutique de Midgley, Ensink et leurs collègues (2017c) rejoint celle de
notre équipe à plusieurs égards, faisant écho à nos différents constats et
préoccupations. Ainsi, la nature du travail réalisé dans le cadre des psychothérapies
individuelles offertes aux jeunes enfants que nous recevons emprunte beaucoup à
leur méthode de travail.

Dans le cadre de ce chapitre, nous introduisons d’abord les principaux objectifs visés 4
par la psychothérapie individuelle axée sur la mentalisation auprès de l’enfant, les
indications cliniques menant à la mise en place d’un tel processus thérapeutique
ainsi que les conditions nécessaires à son instauration. Nous présentons ensuite les
principes directeurs sur lesquels se fonde notre méthode de travail et abordons enfin
les différentes techniques d’intervention que nous privilégions.

Préconiser une modalité thérapeutique individuelle axée


sur la mentalisation : pourquoi et pour qui ?

Principaux objectifs visés


La psychothérapie individuelle axée sur la mentalisation vise essentiellement à 5

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soutenir le développement de la capacité de l’individu à s’envisager lui-même, tout


comme autrui, comme un être habité d’un monde interne qui lui est propre, qui
motive ses comportements et teinte sa compréhension de lui-même, des autres et de
leurs interactions (Allen, Fonagy, & Bateman, 2008d). Pour ce faire, le thérapeute
incite le patient à explorer les états mentaux qui pourraient sous-tendre ses
comportements et réactions ainsi qu’à envisager ceux qui pourraient motiver les
gestes et attitudes d’autrui. Cette exploration contribue notamment au
développement de la capacité de l’individu à (re)connaître la nature de ses réactions
face aux différents événements de sa vie quotidienne, à les anticiper, à composer
avec ainsi qu’à s’adapter aux situations auxquelles il se confronte. L’intérêt de
l’individu pour l’expérience subjective de l’autre lui permet d’en faire autant à l’égard
d’autrui et d’entretenir avec lui des liens basés sur une appréciation réaliste et
différenciée de leurs subjectivités respectives. C’est donc le développement d’une
curiosité pour le monde interne et l’acquisition d’une capacité accrue à considérer sa
propre expérience subjective et celle de l’autre que vise la psychothérapie axée sur la
mentalisation (Allen et al., 2008d).

Si ces objectifs sont au cœur des visées thérapeutiques de toute intervention axée sur 6
la mentalisation, qu’elle concerne les enfants (Midgley et al., 2017e) ou les adultes
(Allen et al., 2008d), le contexte pédopsychiatrique ainsi que le jeune âge d’un bon
nombre de patients que nous recevons situent généralement le travail clinique en
amont de tels objectifs. En effet, l’offre thérapeutique doit tenir compte de deux
éléments propres à la population que nous accueillons, soit le fait que la capacité à
mentaliser s’avère peu consolidée chez plusieurs de nos patients (rappelons qu’elle
tend à se consolider entre 5 et 6 ans ; Target & Fonagy, 1996) et que les jeunes enfants
consultant au sein de notre service présentent fréquemment des lacunes marquées
au niveau des fondements sur lesquels elle se construit. Conséquemment, la
psychothérapie qui leur est offerte tend d’abord à cibler (a) les déficits pouvant
compromettre la capacité de l’enfant à explorer son expérience subjective et à
réfléchir à celle des autres, (b) les implications d’une capacité d’exploration
compromise ainsi que (c) les précurseurs de la mentalisation, lorsqu’ils semblent
clairement identifiables. Un tel travail s’avère incontournable afin que l’enfant soit en
mesure de s’intéresser à ses états mentaux et à ceux d’autrui, ce que nous visons
ultimement à promouvoir chez lui.

Indications cliniques
Ainsi, et tel qu’évoqué précédemment dans les chapitres 1 et 2, une pluralité de 7
difficultés, lacunes ou manifestations symptomatiques peut justifier la référence
d’un enfant en psychothérapie individuelle axée sur la mentalisation. Les tableaux 5.1

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et 5.2 proposent une synthèse de ces motifs de référence dont certains ont été
préalablement identifiés par Zevalkink (2008) et par Midgley et al. (2017d). Le tableau
5.1 expose ces principaux motifs alors que le tableau 5.2 fait état de difficultés
additionnelles, souvent présentes de façon concomitante chez ces enfants.

Tableau 5.1. Principales difficultés, lacunes et manifestations


symptomatiques justifiant une référence en psychothérapie
individuelle axée sur la mentalisation
Faible capacité à reconnaître la présence d’états mentaux chez soi et chez autrui
L’enfant a du mal à reconnaître l’existence d’un monde interne qui motive les
comportements. Il peut éprouver des difficultés à réfléchir à ce qu’il pense ou ce qu’il
ressent, à ce qui aurait pu l’inciter à se comporter d’une telle manière et à considérer
son implication dans un malentendu. Il peut aussi avoir tendance à faire porter à autrui
la responsabilité de leurs conflits, avoir du mal à considérer la perspective de l’autre
ainsi qu’à être sensible à ce qu’il peut lui faire vivre.

Présence d’autres types de lacunes sur le plan de la capacité à mentaliser


L’enfant présente l’une ou l’autre des difficultés suivantes : difficultés à reconnaître
certains types d’états mentaux (émotions spécifiques, états mentaux liés à des
expériences traumatiques), confusion quant aux sens à accorder aux états mentaux
(c’est-à-dire difficultés à les interpréter), tendance à l’hypermentalisation (c’est-à-dire à
la surinterprétation des indices).

Régulation de l’attention lacunaire


L’enfant peine à demeurer centré sur une tâche lorsqu’il ne peut s’appuyer sur la
présence d’un adulte. Il peut avoir tendance à passer d’un jeu, d’une activité ou d’un
propos à l’autre, sans qu’il ne puisse s’intéresser réellement à ce qu’il fait ou à ce qu’il
relate et ce, même lorsqu’il est invité à le faire. Précisons toutefois que nous référons ici
à des difficultés dont l’origine n’est pas purement neurologique, mais qui semble plutôt
comporter une composante affective.

Régulation émotionnelle déficitaire


L’enfant éprouve des difficultés à être en contact avec ses affects. Il peut avoir du mal à
reconnaître chez lui la présence d’émotions, à les ressentir, à les identifier ainsi qu’à les
exprimer. L’abord de thématiques chargées sur le plan affectif est à risque de susciter
un débordement (par exemple, réactions agressives, crises), voire même une
désorganisation ou encore une fermeture et un retrait.

Confiance épistémique lacunaire ou présence d’une méfiance épistémique


L’enfant peine à accorder aux adultes significatifs (figures d’attachement et d’autorité)
une confiance suffisante qui lui permettrait de considérer leurs propos comme des
sources fiables d’informations ainsi que leurs demandes comme étant légitimes et
fondées.

Difficultés à élaborer un jeu symbolique


L’enfant peine à utiliser le jeu pour exprimer ce qui l’habite et ce qu’il ressent, pour
mettre en scène des situations conflictuelles et ses conflits psychiques ainsi que pour
élaborer des pistes de solutions à ses difficultés. Il peut avoir du mal à imaginer
l’existence de liens entre son jeu et ce qu’il vit.

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Difficultés à construire un narratif cohérent


Lorsqu’il relate ses réactions à un événement ou un conflit avec quelqu’un ou lorsqu’il
raconte l’histoire qui se déroule dans le cadre de son jeu ou de son dessin, l’enfant a
tendance à tenir des propos décousus, hermétiques ou peu cohérents, traduisant une
difficulté à se représenter clairement ce qui l’habite et à le lier à sa propre histoire.

Représentation de soi peu construite et manque de différenciation soi-autrui


L’enfant a du mal à parler de lui-même, à préciser ce qui l’intéresse, ce qu’il aime ou ce
qu’il n’aime pas. Il peut aisément être influencé par ce que pensent et ce que font les
autres ainsi qu’à se laisser entraîner par eux.

Tendance à s’exprimer par les agirs plutôt que par la parole


La capacité de l’enfant à exprimer verbalement ce qu’il ressent demeure limitée. Les
affects intenses ne peuvent être contenus par le langage et tendent plutôt à s’exprimer
par des agirs (par exemple, comportements agressifs ou régressifs, excitation).

Prédominance d’un fonctionnement sous un mode prémentalisant


L’enfant tend à adopter des comportements traduisant chez lui la présence d’un
fonctionnement prémentalisant. Il peut notamment avoir tendance à se baser
principalement sur des indices concrets pour comprendre les intentions des autres
(mode téléologique), interpréter l’expérience subjective d’autrui à la lumière de sa
propre expérience et être convaincu de la justesse de sa compréhension (mode
équivalence psychique) ou proposer une explication de ses propres motivations qui soit
peu liée à ce qu’il ressent véritablement (mode semblant).

Tableau 5.2. Difficultés, lacunes et manifestations symptomatiques


additionnelles fréquemment observées chez les enfants référés
en psychothérapie individuelle axée sur la mentalisation
Tendance à la rigidité et au contrôle
L’enfant a du mal à se montrer ouvert à d’autres perspectives et façons de faire que les
siennes. Il peut chercher à exercer un contrôle important sur autrui et sur leurs
interactions. Cette façon d’être peut se manifester tant avec ses pairs qu’avec les
adultes ; elle peut rendre les échanges et le partage difficiles, voire susciter le rejet et
l’isolement.

Faible tolérance à la frustration


L’enfant démontre des difficultés à respecter les règles et les consignes qui ne lui
conviennent pas. Il peut également avoir du mal à traverser les moments de transition
lorsqu’il réalise une activité qu’il doit cesser, lorsqu’il doit quitter un milieu de vie pour
se diriger vers un autre ou lorsque la réponse à une demande qu’il formule implique un
délai.

Contrôle déficitaire des impulsions


L’enfant tend à se montrer impulsif et désinhibé, à éprouver des difficultés à freiner ses
mouvements naturels et à s’engager dans des batailles avec ses pairs. À l’inverse, il peut
avoir tendance à adopter une attitude inhibée, à avoir du mal à prendre sa place au sein
d’un groupe ou à se laisser intimider par autrui. Précisons à nouveau que nous référons
ici à des difficultés dont l’origine n’est pas purement neurologique, mais qui semble
plutôt comporter une composante affective.

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Difficultés relationnelles
L’enfant rencontre des difficultés à se faire des amis, tend à être fréquemment en
conflit avec les autres (ses parents, ses pairs, ses enseignants, les éducateurs en milieu
de garde, les moniteurs de loisirs). Il éprouve également des difficultés à reconnaître sa
part de responsabilité et tend à blâmer autrui.

Présence d’un patron d’attachement insécure ou désorganisé


L’enfant éprouve des difficultés à accorder sa confiance aux adultes qui s’occupent de
lui. Il peut adopter à leur égard des attitudes trop dépendantes ou trop indépendantes.
Il peut chercher à décider pour eux et adopter une attitude parentifiée.

Somme toute, la diversité des manifestations cliniques pouvant donner lieu à une 8
référence en psychothérapie individuelle axée sur la mentalisation témoigne du fait
qu’il s’agit d’une approche thérapeutique transdiagnostique. Puisqu’elle cible différents
éléments du fonctionnement psychologique et relationnel de l’enfant, elle peut
bénéficier à des enfants présentant des profils cliniques variés, dont les difficultés ne
sont pas l’apanage exclusif d’une ou de plusieurs catégories diagnostiques
spécifiques. Précisons cependant que les enfants que nous recevons dans le cadre de
ce type de travail thérapeutique présentent généralement un tableau clinique
regroupant plusieurs des difficultés décrites.

Mentionnons enfin que dans le contexte où ces difficultés s’avèrent suffisamment 9


sévères pour justifier une prise en charge pédopsychiatrique, nous tendons à opter
pour une durée de traitement ouverte. Des blocs rencontres (habituellement entre 5
et 10), renouvelables, sont ainsi proposés. Conçus et présentés comme des repères
permettant de faire le point ponctuellement sur le travail thérapeutique réalisé, le
recours à une telle façon de faire permet de circonscrire ce travail dans le temps, de
réfléchir conjointement avec l’enfant et ses parents à la pertinence de sa poursuite et
conséquemment, d’éviter des fins de traitements abruptes et prématurées tout en
conservant la possibilité de réaliser un travail à moyen ou long termes
lorsqu’indiqué.

Offrir une écoute aux parents : une condition essentielle


à l’instauration d’un processus thérapeutique individuel
avec l’enfant

En raison du jeune âge des enfants que nous recevons, des défis de taille 10
qu’impliquent leurs difficultés pour plusieurs parents et des déficits de mentalisation
fréquemment observés chez ces derniers, la psychothérapie individuelle avec l’enfant
ne s’avère généralement profitable que lorsqu’elle est accompagnée d’un suivi

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parental. En effet et tel qu’abordé précédemment (voir le chapitre 3 consacré au


travail avec les parents), la possibilité d’explorer leur propre expérience de l’enfant et
de ses difficultés, tout comme la validation de cette expérience par un thérapeute
s’avèrent souvent bien précieuse pour les parents. L’accès à un espace thérapeutique
au sein duquel ils se sentent suffisamment en sécurité pour partager leur expérience
permet à bon nombre de parents de mieux saisir les différentes facettes de ce que
leur font vivre les difficultés de leur enfant, de s’intéresser à l’écho que trouvent ces
difficultés au sein de leur propre histoire ainsi que de se sentir reçus et entendus. Au-
delà du fait qu’elle participe à l’établissement d’un lien de confiance avec le
thérapeute (et avec l’institution) ainsi qu’à un certain apaisement de la détresse que
vivent plusieurs d’entre eux (Dubois-Comtois, 2019), cette expérience relationnelle
soutient la capacité des parents à considérer les comportements de leur enfant à la
lumière de son propre monde interne. Le travail clinique nous a effectivement
permis de constater que l’accueil d’un thérapeute sensible et intéressé à l’expérience
subjective des parents, aussi dure ou douloureuse soit-elle, permet ensuite aux
parents de s’ouvrir plus aisément à la perspective de leur enfant. Cet accueil permet
également aux parents d’envisager la perspective de leur enfant de façon plus
dégagée, sans craindre que cet exercice ne les contraigne à nier leur propre
expérience ou qu’il ne contribue qu’à nourrir les sentiments pénibles (par exemple,
culpabilité, impuissance ou colère) qu’ils peuvent ressentir face aux difficultés de leur
enfant.

Ainsi, à l’instar du parent suffisamment bon (Winnicott, 1965/1983), le thérapeute 11


cherche à offrir aux parents des conditions optimales au développement de leurs
capacités d’autorégulation et de mentalisation pour qu’ils soient ensuite en mesure
de faire de même avec leur enfant. Ces conditions réfèrent à l’intérêt porté à leurs
besoins et à leurs états mentaux, à la transmission d’une rétroaction adéquate quant
à ce qu’ils expriment ainsi qu’à la validation de leur expérience subjective. Ou, en
d’autres mots, à l’exercice d’une fonction miroir (Winnicott, 1971a ; se référer au
chapitre 1 pour une présentation théorique de cette notion).

Un travail réalisé en concomitance auprès de l’enfant et de ses parents permet donc 12


d’intervenir de manière concertée et cohérente, en visant des objectifs communs,
soit de stimuler l’intérêt pour le monde interne de chacun et la capacité à bien les
différencier. Si ce travail est parfois réalisé par un thérapeute différent, nous tendons
à préconiser qu’il le soit par le thérapeute recevant l’enfant. En effet, l’expérience
clinique nous a permis de constater qu’une telle façon de faire s’avère des plus
bénéfique dans le contexte où le thérapeute se doit d’avoir une compréhension
particulièrement approfondie de l’expérience subjective des parents, mais aussi de
celle de l’enfant afin d’être en mesure de bien saisir le lieu et la nature des difficultés

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d’accordage parents-enfant puis d’intervenir précisément à ces égards.

Pour certains parents, une telle expérience peut s’avérer déterminante et donner lieu 13
à une nouvelle compréhension des difficultés de l’enfant (incluant par exemple des
composantes relationnelles plutôt qu’uniquement individuelles). Conséquemment,
elle peut être l’occasion pour les parents de considérer la pertinence d’entreprendre
un travail thérapeutique familial ou dyadique plus formel ou encore une démarche
thérapeutique conjugale ou individuelle.

Pour d’autres, l’offre d’un soutien parental peut générer des réactions défensives 14
ainsi que d’importantes résistances. Certains parents soutiennent ne pas en voir la
pertinence dans le contexte où la demande de consultation concerne l’enfant. Le
thérapeute tente alors de bien faire valoir l’importance de leur contribution afin qu’il
soit en mesure d’intervenir auprès de leur enfant de façon pertinente et utile. Outre
le fait que cette manière d’introduire la nécessité de l’apport des parents contribue à
soigner leur narcissisme souvent abîmé par les difficultés de leur enfant, elle
constitue également une invitation à quitter une posture d’impuissance et de
culpabilité pour adopter plutôt une posture de responsabilisation. L’adoption d’une
telle posture implique pour le parent qu’il s’engage, conjointement avec le
thérapeute, dans un processus réflexif visant une meilleure compréhension des
difficultés de l’enfant et l’identification de pistes de solutions adaptées à leurs réalités
individuelles et familiales (Delion, 2010).

Principes directeurs orientant le travail thérapeutique


individuel

Il est possible d’identifier huit grands principes sur lesquels se fonde la méthode de 15
travail que nous privilégions auprès des enfants que nous recevons dans le cadre de
psychothérapies individuelles. Ces principes réfèrent essentiellement à divers
aspects de la posture et des attitudes qu’adopte le thérapeute lorsqu’il rencontre
l’enfant et tente d’établir un lien avec lui. Ils sont conçus de manière à ce que le
clinicien, à l’image du parent suffisamment bon (Winnicott, 1965/1983), puisse offrir à
l’enfant des conditions optimales au développement de sa capacité de mentalisation.
Nous présentons ces différents principes de façon détaillée dans les pages qui
suivent. Si plusieurs d’entre eux représentent une adaptation à l’enfance des grands
principes décrits par Allen et ses collègues (2008d) pour l’intervention clinique et par
Bateman et Fonagy (2004, 2006c) pour le traitement de personnes souffrant de TPL,
ils s’inspirent également du travail novateur réalisé par différents cliniciens-
chercheurs œuvrant auprès d’enfants : Midgley, Ensink et leurs collègues (2017b,

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2017f), Verheugt-Pleiter (2008a, 2008b, 2008c, 2008d), Muñoz Specht, Ensink et


leurs collaborateurs (Muñoz Specht, Ensink, Normandin & Midgley, 2016) ainsi que
de nos contributions antérieures réalisées conjointement avec notre collègue M. M.
Terradas (Achim & Terradas, 2015 ; Terradas & Achim, 2013 ; Terradas, Achim,
Domon- Archambault, & Ensink, 2016).

L’adoption et le maintien d’une posture mentalisante par le


thérapeute : un a priori essentiel
L’adoption d’une posture mentalisante par le clinicien constitue la première étape de la 16
mise en place d’un travail thérapeutique centré sur la mentalisation, qu’il soit réalisé
auprès d’adultes (Allen et al., 2008d ; Bateman & Fonagy, 2006c) ou d’enfants
(Midgley et al., 2017f). Différentes particularités, au reflet des divers éléments de
définition de la notion de mentalisation (se référer au chapitre 1), caractérisent cette
posture. Mentionnons d’abord l’intérêt et la curiosité que manifeste le thérapeute à
l’égard de l’esprit de l’enfant et de son expérience subjective de lui-même et d’autrui.
En séance, cet intérêt peut se manifester par la formulation de divers
questionnements et hypothèses par le thérapeute quant à ce qui motive l’enfant, le
préoccupe ou l’intéresse au moment présent ou encore, quant à ce qu’il exprime à
travers son comportement et son jeu. L’adhésion du thérapeute à une posture
mentalisante implique également qu’il adopte une attitude active se distinguant d’une
certaine réserve ou neutralité bienveillante habituellement associée à l’approche
psychanalytique. En effet, le thérapeute mentalisant cherche à éveiller et stimuler
l’intérêt du patient pour son propre monde interne et celui d’autrui. Pour ce faire, il
peut transmettre à l’enfant les réflexions qu’ont suscitées chez lui leurs échanges
quant aux affects ou intentions qui auraient pu sous-tendre un tel comportement ou
une telle réaction. Le thérapeute peut également réfléchir à haute voix à propos de la
manière dont il pourrait lui-même se sentir face à une situation que lui rapporte
l’enfant ou face à un jeu que ce dernier met en scène, partager ses hypothèses quant à
ce qui pourrait possiblement préoccuper l’un des parents de l’enfant ou l’un de ses
amis puis inviter l’enfant à faire de même. L’adoption d’une posture mentalisante
implique ainsi que le thérapeute dirige son attention principalement vers les états
mentaux et leur exploration, et ce qu’ils soient explicitement évoqués par l’enfant, sous-
entendus (ou implicites) ou encore escamotés par ce dernier. C’est ce processus
d’exploration, bien plus que la proposition d’une interprétation juste du sens que
prennent les comportements ou les difficultés de l’enfant, qui s’avère central ici.
Puisqu’il invite l’enfant à envisager les comportements (tant les siens que ceux
d’autrui) à la lumière de diverses motivations ou besoins sous-jacents, ce processus
d’exploration l’incite également à s’ouvrir à l’existence d’une pluralité d’explications
possibles.

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Par ailleurs, lorsque le thérapeute partage à l’enfant ses divers questionnements et 17


hypothèses ou explore avec lui les états mentaux, il tend à le faire en adoptant une
attitude de non-savoir. Comme le souligne Debbané (2016e), une telle attitude ne
témoigne pas d’une incompréhension de la part du thérapeute et ne correspond pas
non plus à la disposition décrite par Bion (1967) à recevoir le patient en étant sans
mémoire et sans désir, ce qui suppose d’accueillir l’enfant sans attente préconçue à son
égard. L’attitude de non-savoir réfère plutôt à la conscience qu’a le thérapeute de
l’opacité de l’esprit de l’autre, du fait qu’il ne peut cerner, hors de tout doute, ce que
vit l’enfant. Et, par conséquent, qu’il garde en tête que la compréhension qu’il s’est
construite de l’expérience de l’enfant demeure le fruit de sa propre subjectivité et
qu’elle nécessite d’être validée auprès de lui.

L’adoption par le thérapeute d’une posture curieuse et intéressée, active et centrée 18


sur l’exploration des états mentaux, quels qu’ils soient, ainsi que d’une attitude de
non-savoir lui permet d’offrir à l’enfant une écoute flexible, ouverte à considérer une
pluralité de manières de percevoir et de vivre les événements de la vie quotidienne ainsi
que les relations interpersonnelles. Ce faisant, le thérapeute transmet à l’enfant l’idée
que différentes perspectives peuvent coexister et que l’expérience subjective d’un même
événement ou d’une même relation peut différer d’un individu à l’autre. Il incarne
également le fait qu’il est possible de revoir sa compréhension d’une situation à la
lumière de celle d’autrui, de la bonifier ou même de la percevoir autrement. En
invitant l’enfant à faire comme lui, le thérapeute se propose implicitement comme
un modèle sur lequel l’enfant peut s’appuyer pour apprendre à élaborer différentes
hypothèses explicatives de son comportement et de celui des autres et à les
reconsidérer au regard d’une perspective différente de la sienne.

Malgré son apparente simplicité, le maintien d’une telle disposition psychique chez 19
le thérapeute est fréquemment mis à rude épreuve dans le cadre du travail
thérapeutique réalisé auprès d’enfants consultant en pédopsychiatrie. En effet, bon
nombre d’entre eux ont du mal à s’intéresser à leur monde interne et à celui d’autrui
ainsi qu’à saisir que la réalité interne d’un individu est liée à son comportement et à
la nature des relations qui le lient à autrui. Plusieurs enfants éprouvent même des
difficultés à envisager l’existence d’un monde interne, tant chez eux que chez autrui.
De telles lacunes se manifestent notamment par la présence très limitée, voire
l’absence d’états mentaux au sein des propos ou du jeu de l’enfant. Dans de tels
contextes, les tentatives du thérapeute visant à les explorer ou les susciter peuvent
donner lieu à des réactions défensives intenses (par exemple, refus catégorique de
l’intervention du thérapeute), à des débordements affectifs difficilement modulables
chez l’enfant (par exemple, crise de colère et impossibilité de poursuivre l’échange)
ou encore à une absence de réaction, comme si les interventions du thérapeute

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n’avaient aucun impact sur lui. Face à de telles situations, le maintien d’une posture
mentalisante peut représenter un défi de taille pour le thérapeute. Il doit parfois
lutter contre des sentiments d’ennui, d’impuissance, voire de peur – ou en d’autres
mots, contre sa propre dysrégulation affective – qui pourraient l’inciter à se
désengager ou à se réfugier dans une posture défensive. À titre illustratif, pensons au
thérapeute qui, suite à l’engagement de l’enfant dans un jeu répétitif ou mécanique,
ne cherche plus à rester en lien avec lui et à explorer le sens de ce comportement,
mais s’en désintéresse ou adopte une posture de savoir. La possibilité de reconnaître
les moments où il n’est plus en mesure de préserver sa posture mentalisante s’avère
fondamentale pour le clinicien afin de pouvoir s’interroger quant à ce qui est à
l’origine de ce glissement chez lui et d’y remédier. Ces glissements pouvant se
produire subtilement, il importe que le thérapeute demeure vigilant face à son
propre état d’esprit afin d’éviter d’être happé par le fonctionnement de l’enfant et
d’intervenir auprès de lui en écho aux difficultés ou aux résistances qu’il présente.

Placer le jeu au cœur de l’intervention thérapeutique : une


fenêtre ouverte sur l’expérience subjective de l’enfant
Comme c’est le cas dans plusieurs approches thérapeutiques pour enfants, le jeu 20
occupe une place centrale au sein du travail de psychothérapie axé sur le
développement de la mentalisation que nous réalisons en contexte individuel. Tel
qu’abordé plus tôt (voir le chapitre 1), Fonagy et Target (1996) insistent sur
l’importante contribution du jeu symbolique dans le développement et la
consolidation de la capacité de l’enfant à mentaliser. Lorsque l’enfant est en mesure
d’y accéder, le jeu symbolique lui permet d’imaginer une pluralité de scénarios au
sein desquels il peut mettre en scène les préoccupations, les difficultés ou les conflits
avec lesquels il est aux prises. Le jeu symbolique représente pour l’enfant un contexte
libre de contrainte, c’est-à-dire un espace transitionnel au sein duquel l’expression de
tels enjeux ne le menace pas réellement et ne compromet pas ses liens à autrui
(Winnicott, 1975). Ainsi, la capacité à jouer de l’enfant lui offre l’occasion d’exprimer
ses émotions à l’état brut, de les apprivoiser et parfois même de les réguler. Qui plus
est, elle lui procure une opportunité d’expérimenter une multitude de scénarios
représentant autant de possibilités de résolution de conflits – des plus favorables aux
plus destructrices – et d’en entrevoir les implications.

Le jeu offre donc au clinicien plusieurs opportunités pour travailler la mentalisation 21


de l’enfant ainsi que la régulation de ses émotions. Ce travail, que nous présenterons
de façon plus détaillée ultérieurement dans le chapitre, ne se situe pas tant au niveau
de l’analyse et de l’interprétation du sens que prennent les contenus du jeu, tel que
conçu dans une approche psychanalytique traditionnelle [2]. Il se situe plutôt en

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amont, au niveau du développement des capacités préalables à un tel travail. En effet,


nous avons observé que bon nombre d’enfants que nous recevons en clinique
pédopsychiatrique ne possèdent pas un équipement psychique suffisamment
développé pour être en mesure de profiter de l’exploration du sens que prend leur jeu
à la lumière de leurs conflits intrapsychiques et de ce qu’il exprime de leur monde
interne (Achim & Terradas, 2015). Plusieurs d’entre eux éprouvent des difficultés
marquées à élaborer un jeu symbolique et parmi ceux qui y arrivent, peu sont en
mesure de concevoir l’existence de liens entre leur monde interne et leur jeu. Un
travail thérapeutique traditionnel s’avère donc trop exigeant pour ces enfants chez
qui il importe de soutenir le développement des processus qui contribueront au déploiement
éventuel de cette capacité à jouer de façon symbolique. Pensons notamment à l’acquisition
d’une régulation attentionnelle et affective suffisante pour être disponible au jeu et
en mesure de s’y intéresser, à la capacité à imaginer des motivations et des affects
chez les personnages mis en scène puis à les explorer ou encore à la possibilité de
construire une histoire cohérente au sein de laquelle s’inscrit le scénario élaboré.
C’est précisément le développement et la consolidation de ces différents processus
chez l’enfant que nous cherchons à soutenir dans le cadre d’un travail thérapeutique
individuel axé sur la mentalisation. La réorientation du travail thérapeutique vers de
tels processus implique donc un changement de paradigme important pour les
cliniciens d’approche psychodynamique.

Abordons enfin l’importance singulière que prennent à notre avis le confort du 22


thérapeute, sa capacité à se laisser utiliser par l’enfant et le plaisir qu’il partage avec lui en
contexte de jeu dans le cadre d’une intervention axée sur la mentalisation. À maintes
reprises, nous avons observé que le thérapeute doit pouvoir accueillir avec aisance les
histoires de l’enfant dont les thématiques s’avèrent conflictuelles pour lui, mais qui
sont aussi – et surtout – marquées par un interdit d’expression dans tout autre
contexte. Lorsqu’il estime que les demandes de l’enfant sont recevables et
appropriées, le thérapeute doit également être en mesure de se prêter au jeu de
l’enfant et d’incarner les rôles qu’il souhaite lui confier, sans trop y déroger. Cette
possibilité d’être utilisé par l’enfant comme il en a besoin participe à soutenir le
déploiement de son jeu tel qu’il le conçoit. Une réelle ouverture de la part du
thérapeute ainsi qu’un plaisir authentique à s’engager pleinement avec l’enfant au
sein de son jeu contribuent à rendre possible une véritable connexion entre eux et à
instaurer un lien de confiance essentiel à une exploration ultérieure du jeu. À titre
illustratif, relatons ce moment lors duquel Antoine, un enfant particulièrement
inhibé aux prises avec un problème d’encoprésie, ainsi que sa thérapeute ont
convenu avec humour de nommer Cacachat l’étrange personnage que l’enfant avait
dessiné. Cette invention, qui a donné lieu à une rigolade entre eux, s’est avérée être,
pour la thérapeute, la première prise de contact authentique avec cet enfant par

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ailleurs difficilement accessible. Ce Cacachat a pu être reconvoqué lors de séances


ultérieures et devenir le personnage principal d’une histoire de plus en plus étoffée.

Établir le contact avec l’enfant : la recherche d’une


proximité optimale
Lors de la mise en place d’un processus thérapeutique individuel, le premier objectif 23
du clinicien est d’entrer en contact avec l’enfant d’une manière qui soit tolérable pour lui. Si
un tel objectif peut sembler d’une banalité déconcertante, il n’en est rien. Bon
nombre d’enfants que nous rencontrons en contexte pédopsychiatrique réagissent
fortement aux premiers contacts avec un inconnu dont la seule présence peut
s’avérer difficilement soutenable. Le thérapeute doit alors se montrer
particulièrement sensible aux différents éléments de communication non verbale
que transmet l’enfant. Il doit également jauger, au meilleur de ses capacités à le faire,
l’état d’esprit de l’enfant et sa disposition à entrer ou non en relation avec cet adulte
étranger. Pour ce faire, le thérapeute s’intéresse à différents aspects de l’attitude et
du comportement de l’enfant. Dans quel état d’esprit semble-t-il se présenter ? Est-il
inhibé ou plutôt extraverti ? Explore-t-il les lieux et le matériel clinique mis à sa
disposition ou demeure-t-il figé, ayant besoin d’être invité à le faire ? Est-il en mesure
d’établir et de maintenir un contact visuel avec le thérapeute ? Ce contact semble-t-il
le menacer, l’intéresser ou le rassurer ? L’enfant est-il en mesure d’interagir avec le
thérapeute, d’initier un contact avec lui en formulant une demande (par exemple,
peut-il jouer ou dessiner) ? Les constats qui se dégagent de ces différentes
observations permettent au thérapeute de moduler l’intensité du contact qu’il
tentera d’établir avec l’enfant de manière à instaurer avec lui une proximité
relationnelle optimale. Ainsi, à l’image d’un adulte sensible prenant contact avec un
bébé qu’il rencontre pour une première fois, le thérapeute cherche à s’accorder à
l’état affectif de l’enfant ainsi qu’à ses besoins fluctuants de proximité et de distance.
C’est bien souvent à tâtons, au moyen de tentatives prudentes que le clinicien arrive
à trouver son chemin vers l’enfant.

Lorsque les parents sont présents et que l’enfant semble se montrer plutôt réservé 24
face à cette nouvelle rencontre, le thérapeute peut sciemment choisir de ne pas le
regarder ou l’interpeller directement. Il se contente de discuter avec les parents. Une
telle façon de faire offre à l’enfant l’opportunité d’être témoin de la manière dont le
thérapeute échange avec ses parents et de l’aisance que manifestent ou non ses
parents dans cette situation, mais aussi d’observer le thérapeute sans se sentir
observé en retour. Cette possibilité d’apprivoiser graduellement ce contexte
relationnel nouveau permet à l’enfant de réagir aux échanges et de s’y engager
lorsqu’il se sent prêt à le faire. Elle permet aussi au clinicien de respecter le rythme de

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l’enfant et d’intervenir directement auprès de lui que lorsqu’il semble ouvert à cette
possibilité.

Malgré la sensibilité que démontre le thérapeute, il arrive que l’enfant demeure peu 25
disponible à cette éventualité. Le thérapeute doit alors se contenter de manifester
son intérêt à l’égard de son expérience de façon indirecte, à travers de simples gestes.
Ainsi, il peut choisir de précéder une demande qu’il anticipe chez l’enfant en y
répondant d’une façon qui n’exige pas de retour de la part de ce dernier. Pensons par
exemple au thérapeute qui, sans accompagner ses gestes de verbalisations, tend à
l’enfant un objet qu’il semble chercher (par exemple, une feuille de papier ou des
crayons pour dessiner) ou qui récupère pour l’enfant qui n’y arrive pas, un objet
déposé sur une tablette trop haute pour lui. Bien qu’a priori ces gestes puissent
sembler anodins, ils témoignent implicitement du fait que le thérapeute est attentif
aux intentions de l’enfant et s’y intéresse. Pour certains enfants, cette manière
indirecte que préconise le thérapeute pour entrer en contact permet l’amorce d’un
échange. Pour d’autres, elle demeure vaine ou peut même être vécue comme une
intrusion contre laquelle il importe de se protéger. Lorsqu’il constate que sa tentative
d’établir un contact avec l’enfant s’avère encore trop rapide pour lui, le thérapeute
peut verbaliser ce constat de manière explicite (en mentionnant par exemple qu’il a
bien saisi que l’enfant préfère ne pas être sollicité pour l’instant et qu’il prend acte de
ce qu’il a compris). Ce type d’interventions vise à rassurer l’enfant quant au fait que le
thérapeute est sensible à son rythme relationnel et cherche à le respecter. La capacité
du thérapeute à osciller entre une mentalisation implicite (soit s’ajuster à l’enfant de
façon intuitive, sans trop y réfléchir) et explicite (soit verbaliser ce qu’il cherche à
faire, dans une optique de modelage) s’avère donc des plus précieuses dans cette
quête d’une proximité optimale avec l’enfant.

Ainsi, et bien que l’adoption d’une telle attitude puisse parfois être confondue avec 26
une certaine indifférence à l’égard de l’enfant, elle vise essentiellement à lui laisser
l’espace et le temps dont il a besoin pour apprivoiser la situation thérapeutique et le
thérapeute, sans se sentir envahi. Le rationnel sous-jacent à l’adoption d’une telle
attitude de la part du thérapeute mérite souvent d’être expliqué aux parents afin
qu’ils puissent en comprendre le sens. En insistant sur l’importance d’être attentif au
rythme de l’enfant ainsi qu’aux variations naturelles de sa capacité à être en lien avec
autrui, le thérapeute introduit une forme de modelage relationnel pour les parents. Un
tel modelage permet parfois aux parents qui seraient tentés d’insister auprès de leur
enfant pour qu’il s’ouvre rapidement au thérapeute, de mieux tolérer le besoin de
l’enfant de l’apprivoiser avant de prendre le risque de se livrer à lui. Cette démarche
explicative permet également à l’enfant d’entendre qu’il aura le temps d’apprivoiser
le thérapeute avant d’être sollicité.

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Ce souci pour l’établissement d’une distance relationnelle au reflet des capacités de 27


l’enfant est ce que nous pourrions appeler la recherche d’une proximité optimale. Il
s’agit d’un processus dynamique auquel il importe de demeurer attentif non
seulement lors de l’amorce de la psychothérapie, mais aussi tout au long de cette
démarche. En effet, la capacité de l’enfant à entrer en contact avec le thérapeute et à
tolérer une certaine proximité avec lui peut varier d’une séance à l’autre. Elle peut
également fluctuer au cours d’une même rencontre, en fonction des contenus
abordés (plus ou moins exigeants sur le plan affectif) et de la nature des
interventions du thérapeute (plus ou moins habiles, plus ou moins confrontantes). Le
souci du thérapeute pour le maintien ou le rétablissement de cette juste proximité
relationnelle d’une séance à l’autre permet à l’enfant de développer peu à peu le
sentiment que le thérapeute s’intéresse à lui de façon authentique, c’est-à-dire en
tenant compte de son rythme, sans chercher à accéder à son univers de force ou,
pour paraphraser Winnicott (1952/1969), sans faire pression sur le self. C’est ce
sentiment de confiance chez l’enfant qui lui permettra graduellement de prendre le
risque de se livrer, mais aussi d’envisager que ce qui vient du thérapeute peut
réellement être considéré comme une information valable. Ce n’est que lorsqu’il fait
l’expérience de la sensibilité du thérapeute à son égard et de la sincérité de son
engagement auprès de lui que l’enfant peut se permettre de s’ouvrir à la perspective
du thérapeute et à l’utiliser comme levier thérapeutique. La recherche d’une juste
proximité avec l’enfant s’avère donc capitale à la mise en place d’une confiance
épistémique suffisante chez l’enfant pour qu’il puisse bénéficier de la psychothérapie.
Ce souci du thérapeute pour le respect du rythme de l’enfant s’avère tout aussi
important afin de protéger ce dernier contre un éventuel partage sous contrainte de
son monde interne qui risquerait d’être le reflet d’une fausse ouverture, témoignant
d’un fonctionnement en mode semblant – ou pour le dire autrement, en faux self
(Winnicott, 1965).

Si l’adoption d’une telle attitude peut paraître bien naturelle pour le thérapeute, elle 28
implique un changement de paradigme relationnel important pour bon nombre
d’enfants consultant en pédopsychiatrie ainsi que pour leurs parents. En effet,
plusieurs enfants et plusieurs parents, lorsque ces derniers étaient eux-mêmes
enfants, évoluent ou ont évolué au sein de milieux familiaux marqués par des liens
aux figures d’attachement fragiles ou brisés. L’ancrage du lien thérapeutique dans
une sensibilité à leur rythme respectif peut s’avérer fort surprenant, voire
déstabilisant pour certains et contribuer à un changement significatif dans leur
manière d’appréhender les relations interpersonnelles.

S’intéresser ensemble à l’expérience de l’enfant :


l’importance de l’attention conjointe

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Lorsque le contact est établi, le thérapeute peut s’intéresser à ce qui habite l’enfant au 29
moment présent et le soutenir afin qu’il arrive à faire de même. À quoi l’enfant porte-t-il
attention ? À quoi s’intéresse-t-il ? Dans quel état d’esprit semble-t-il se présenter à sa
séance ? Semble-t-il fatigué ? Confortable sur le fauteuil sur lequel il s’est installé ?
Cherche-t-il à élaborer un jeu ? Souhaite-t-il le faire seul ou avec le thérapeute ? Le
thérapeute tente donc de demeurer au plus près de l’expérience actuelle de l’enfant,
et ce peu importe la forme qu’elle prend (par exemple, sensorielle, affective ou
relationnelle) et la manière dont elle s’exprime (verbale ou non verbale).

Pour ce faire, le thérapeute peut partager à l’enfant ce qu’il a l’impression d’observer 30


chez lui (par exemple, une difficulté à choisir ce qu’il souhaite faire aujourd’hui, une
moins grande ouverture à l’échange qu’à son habitude, une brusquerie inhabituelle
dans sa façon de manipuler les jouets) puis l’inviter à s’y intéresser. Il peut également
s’enquérir du confort de l’enfant qui bouge sans cesse sur son fauteuil ou encore de
son état de fatigue alors qu’il remarque que l’enfant dépose longuement sa tête sur la
table à jouer. Ces interventions visent à inviter l’enfant à porter attention à ce qu’il
fait et conséquemment à lui transmettre, de façon implicite, que ses gestes et ses
réactions corporelles ont une valeur de communication et qu’ils traduisent quelque
chose de son expérience subjective. Lorsqu’elle est tolérable pour l’enfant, la
possibilité de porter ensemble attention aux comportements ou attitudes qu’il
adopte en séance représente bien souvent pour lui une première prise de conscience
de lui-même. Pensons notamment à Marion, une enfant de 6 ans présentant des
difficultés sur le plan de l’attachement, qui, après avoir touché la main de la
thérapeute par inadvertance, s’est écriée : Oh ça brûle ! en retirant sa main
rapidement et en s’engageant dans autre chose. La thérapeute, intriguée par ce
propos, l’a invitée à s’arrêter afin d’explorer avec elle cette sensation de brûlure. Est-ce
vraiment brûlant ? Surprise par cette intervention, la fillette touche à nouveau la main
de la thérapeute et se ravise : non, c’est juste chaud… Le fait de porter ensemble
attention à cette réaction a permis de réguler la réaction dramatisée de l’enfant, mais
aussi d’aborder sa tendance à réagir de façon excessive dans différents contextes et
son impression de susciter une grande irritation chez sa mère lors de tels moments.
Cette situation aurait pu passer complètement inaperçue puisqu’en apparence un
peu banale ou, au contraire, faire l’objet d’une interprétation transférentielle.
Néanmoins, une intervention permettant de s’intéresser à l’expérience actuelle de
l’enfant semblait plus appropriée pour soutenir le développement de sa capacité à
porter attention à ce qu’elle vit et à ce qu’elle communique, une capacité par ailleurs
fort limitée chez elle. L’acquisition d’une disposition accrue chez l’enfant à
s’intéresser à ses gestes et ses propos ouvre la voie vers la possibilité d’explorer son
expérience subjective puis, éventuellement, d’en faire du sens, notamment à travers
l’exploration de ses réactions transférentielles. Mentionnons enfin que la pratique

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clinique nous a permis de constater que cette possibilité de s’intéresser avec l’enfant
à ses comportements s’accompagne souvent d’une amélioration du contact visuel qui
devient plus fréquent et plus soutenu.

Porter attention avec l’enfant à son expérience s’avère souvent une tâche ardue pour 31
le thérapeute en raison des difficultés de régulation marquées qu’éprouvent de
nombreux enfants consultant en pédopsychiatrie. Plusieurs d’entre eux se
présentent à leur séance dans un état de grande agitation. Ils peuvent alors chercher
à s’engager rapidement dans des jeux à caractère physique (par exemple, lancer un
ballon, se précipiter sur le fauteuil à roulettes du thérapeute pour s’y installer et s’y
faire tourner), à la recherche de sensations physiques ou d’une décharge d’excitation.
L’invitation du thérapeute à prendre le temps de s’intéresser à ce que fait l’enfant
peut lui paraître bien inhabituelle et surprenante ou encore trop exigeante pour être
considérée. Ce fonctionnement dans l’action est à risque de mettre à mal la capacité
du thérapeute à préserver un mode de pensée réflexif. Il doit alors lutter afin de
maintenir son attention sur ce que manifeste l’enfant et garder vivants son intérêt et
sa curiosité pour ce que traduisent de tels comportements et attitudes chez l’enfant
de son monde interne. D’importants efforts de la part du thérapeute s’avèrent
fréquemment nécessaires afin qu’il demeure au fait de ses propres états mentaux,
qu’il ne soit pas emporté par le fonctionnement de l’enfant et qu’il puisse combattre
la tentation d’intervenir sur le même mode que celui de l’enfant. À titre illustratif,
relatons le compromis que le thérapeute de Laurent lui a proposé suite à plusieurs
séances lors desquelles l’enfant insistait pour ne jouer qu’au soccer et que le
thérapeute n’avait pu faire davantage. Ayant constaté à de nombreuses reprises l’état
d’agitation marqué de l’enfant en début de séance et son incapacité à s’asseoir, le
thérapeute a convenu avec lui de la possibilité de commencer les séances en jouant
au soccer, mais pour une durée déterminée à l’avance, et de choisir ensuite un autre
jeu permettant un échange verbal. Cette proposition a permis à l’enfant de retrouver,
via cette courte période de décharge physique, un état de disponibilité mentale
suffisant pour aborder ses difficultés relationnelles sans qu’un tel échange ne donne
lieu à un grand débordement affectif qui l’incite généralement à se réfugier dans
l’action.

Imaginer les états mentaux de l’enfant et les faire exister :


l’importance de la fonction miroir du thérapeute
Lorsque le contact avec l’enfant est suffisamment bien établi et que ce dernier est en 32
mesure de porter attention à ses comportements et attitudes, le thérapeute peut
alors introduire la possibilité qu’ils aient un sens et qu’ils traduisent une parcelle de
l’expérience subjective de l’enfant. Ainsi, en plus de s’intéresser ensemble à ce que

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l’enfant fait, manifeste ou donne à voir, le thérapeute est maintenant en mesure de


lui partager les diverses hypothèses qu’il envisage afin de comprendre ce qu’exprime
l’enfant. Puisqu’elles visent essentiellement à l’intéresser à son monde interne, ces
hypothèses concernent principalement les divers états mentaux qui pourraient
motiver l’enfant et sous-tendre ses comportements. Par exemple, l’enfant cherche-t-il
à élaborer un jeu seul parce qu’il n’a pas envie d’échanger avec le thérapeute ? Parce
qu’il souhaite décider tout seul ? Parce qu’il est fâché contre lui ? L’enfant a-t-il des
gestes brusques à l’égard du matériel de jeu parce qu’il est en colère ? Parce qu’il est
impatient de pouvoir jouer ? Se montre-t-il silencieux parce qu’il est blessé ? Parce
qu’il est honteux ou encore parce qu’il se sent nul ?

À l’image du parent qui exerce une fonction miroir auprès de son jeune enfant [3], le 33
thérapeute met donc sa psyché au service de celle de l’enfant afin de le soutenir dans
l’établissement de liens entre ce qu’il manifeste d’une part, et ce qui l’habite d’autre
part. Le thérapeute cherche à offrir à l’enfant une rétroaction contingente (dans un
délai suffisamment court pour que l’enfant comprenne que ce retour est lié à ce qu’il
exprime ou fait), congruente (qui correspond à la nature de ce qu’exprime ou fait
l’enfant), différenciée (qui réfère à l’expérience de l’enfant et non à celle du thérapeute)
et marquée (suffisamment exagérée et décalée de l’expérience de l’enfant) de ce qu’il
observe afin que ce retour soit recevable pour lui et porteur de sens.

Si elle s’exprime généralement à travers la proposition d’une hypothèse explicative, 34


cette rétroaction s’accompagne bien souvent d’un retour non verbal. Ainsi, le
thérapeute peut reprendre à sa façon une expression faciale ou une posture de
l’enfant de manière à lui refléter qu’il a saisi quelque chose que l’enfant cherchait à
exprimer sans arriver à le faire explicitement. Tout en verbalisant l’état mental qu’il
croit être à l’origine de l’attitude ou du comportement de l’enfant, le thérapeute peut
adopter une posture de protestation, soupirer, adopter un ton de voix précipité ou
une expression du visage colérique, boudeuse ou triste. Ce marquage des affects vise
à attirer l’attention de l’enfant sur ce qu’il exprime, bien souvent sans qu’il en soit
tout à fait conscient, et d’éveiller chez lui une certaine curiosité à cet égard. Le dosage
de l’exagération – qui se doit d’être suffisamment décalée sans verser dans la
caricature – s’avère central pour éviter que l’enfant ait le sentiment que l’on se moque
de lui.

Tout comme celles du parent sensible à l’expérience de son enfant, de telles 35


interventions en miroir de la part du thérapeute contribuent à la création, chez
l’enfant, de traces mnésiques de son expérience (Fonagy, Gergely, Jurist, & Target,
2002). Le travail d’élaboration psychique que fait le thérapeute de l’expérience de
l’enfant, dans son état brut, lui permet ensuite d’en retourner une version digeste et
représentable à l’enfant qui pourra graduellement s’y appuyer pour s’apaiser. Au fil des

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séances, les traces de son expérience, telles que comprises et transmises par le
thérapeute, s’inscriront à l’intérieur de l’enfant. Elles lui permettront peu à peu de se
représenter ce qui l’habite, d’en reconnaître les manifestations et conséquemment de
se réguler, de les lier aux comportements qu’il adopte et ainsi, de se construire une
vision de lui-même cohérente et sensée. La constance d’une telle rétroaction
contribuera également au développement ultérieur chez l’enfant, de sa capacité à
faire lui-même du sens de ses comportements et réactions.

Pour certains enfants que nous recevons et qui n’ont pas pu compter sur la présence 36
d’une figure parentale en mesure d’offrir, de façon constante, une rétroaction
adéquate, voire même une rétroaction quelle que soit sa nature ou sa qualité,
l’attention que porte le thérapeute aux états mentaux sous-jacents aux
comportements et attitudes de l’enfant peut s’avérer tout aussi étonnante que
salutaire. En plus d’initier l’enfant à un tel exercice, elle lui offre un éventuel levier
afin de mieux saisir ce qui l’habite et ce qui pourrait habiter autrui, mais aussi pour
se réguler.

L’exemple suivant permet, nous l’espérons, d’illustrer nos propos. Juliette, 6 ans, 37
réalise des équations mathématiques simples au tableau. Elle soupire bruyamment à
plusieurs reprises lorsqu’elle réalise qu’elle a commis des erreurs qu’elle efface avec
vigueur avant de recommencer. La thérapeute choisit de débuter son intervention en
soupirant elle aussi de façon particulièrement marquée et en disant : C’est tellement
frustrant d’avoir à effacer et à recommencer à chaque fois ! Elle poursuit ensuite en
proposant une hypothèse quant au désir et à l’émotion (états mentaux) qui auraient
pu générer cette réaction : Est-ce possible que tu voulais que ce soit parfait et que ça te fâche
que ça ne fonctionne pas ? Surprise, l’enfant répond que c’est très fâchant de toujours
rater et qu’elle en a marre d’être si nulle en mathématiques malgré tous les efforts
qu’elle fournit. Elle ajoute qu’elle aimerait tellement pouvoir faire comme sa grande
sœur particulièrement douée en mathématiques, mais qu’elle est convaincue qu’elle
n’y arrivera jamais. Le marquage, par la thérapeute, de l’intensité de la réaction de
l’enfant ainsi que la proposition d’une hypothèse quant à la présence d’états mentaux
sous-jacents à cette réaction semble avoir permis à l’enfant de se sentir suffisamment
comprise pour être en mesure d’exprimer l’intensité des sentiments qu’elle vit face à
ses difficultés, de verbaliser les sentiments d’échec et d’incompétence qu’elle ressent
et même de les lier au sentiment d’infériorité qu’elle éprouve à l’égard de sa sœur
aînée.

Incarner un contenant solide pour recevoir et valider les


états mentaux difficilement tolérables

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Si une rétroaction adéquate quant à l’expérience subjective de l’enfant s’avère 38


essentielle à la reconnaissance de ce qui l’habite et, conséquemment, à l’élaboration
d’une représentation de soi cohérente, elle est tout aussi primordiale afin que
l’enfant puisse se sentir compris et contenu.

Lors de l’amorce du travail thérapeutique, le clinicien tente de bien transmettre à 39


l’enfant le fait qu’il peut aborder ce qu’il souhaite en séance et que le clinicien est en
mesure d’entendre tout ce qui pourrait l’habiter, peu importe la nature de ces
contenus. Cette possibilité s’avère particulièrement importante lorsque l’enfant est
aux prises avec des états mentaux difficiles à tolérer pour lui (par exemple, un
sentiment de haine à l’égard d’un petit frère, un grand chagrin suite à la séparation
des parents, un sentiment de honte suite à une humiliation, des intentions hostiles à
l’égard d’un parent). Il importe alors que le thérapeute puisse incarner un contenant
solide pour recevoir et contenir l’expérience de l’enfant mais qui plus est, qu’il soit en
mesure d’assumer une telle posture de façon authentique. Cette authenticité se manifeste
notamment par la cohérence des messages transmis à l’enfant de façon verbale et
non verbale. Ainsi, le thérapeute doit pouvoir demeurer suffisamment régulé pour
être en mesure de communiquer à l’enfant, tout en l’incarnant dans son ton de voix
et sa posture physique, que l’expression de tels états mentaux n’a pas un effet
désorganisant sur lui et qu’il lui est possible de les tolérer sans qu’elle ne soit à risque
de briser le lien thérapeutique. L’adoption d’une telle posture n’exclut pas cependant,
pour le thérapeute, la possibilité d’être affecté par l’intensité de ce qui est exprimé
par l’enfant ou d’accuser le coup de ses propos. En effet, une réaction froide ou
fermée de la part du thérapeute en réponse à la communication d’affects intenses par
l’enfant correspondrait à lui transmettre qu’il n’a pas d’impact sur le thérapeute et,
d’une certaine façon, que ce qu’il vit n’existe pas aux yeux de l’autre. Le fait d’incarner
un contenant solide implique plutôt que le thérapeute ne soit pas subjugué ou affolé
par l’expérience subjective de l’enfant, ce qui lui permet d’y répondre de façon
modulée. Le thérapeute peut donc reconnaître l’intensité, voire même la violence des
affects qui secouent l’enfant et y répondre en la reflétant plutôt qu’en l’agissant.

La validation de son expérience subjective par le thérapeute s’avère également des 40


plus précieuse pour permettre à l’enfant de s’apaiser un tant soit peu lorsqu’il est
assailli d’intenses états mentaux. À nouveau, il importe toutefois qu’il s’agisse d’une
validation authentique. Elle doit résulter d’un processus d’exploration approfondie
ayant permis de déplier suffisamment la situation ayant donné lieu à une telle
activation chez l’enfant pour en considérer les différentes composantes et saisir
l’essence même de son expérience subjective. Ce n’est qu’à ce prix que l’enfant se
sentira compris et qu’une véritable expérience d’apaisement sera possible. Une
validation superficielle ou hâtive, résultant de l’empressement du thérapeute à

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calmer l’enfant pour éviter une escalade affective qu’il craindrait de ne pouvoir
contenir risquerait de donner lieu à une fermeture chez l’enfant en réponse au
mouvement défensif du thérapeute qu’il aura bien saisi. L’incapacité du thérapeute à
incarner authentiquement ce qu’il soutient pourrait ainsi laisser l’enfant bien seul
avec ce qui l’habite et encourager chez lui un fonctionnement en faux self.

Par ailleurs, il est fréquent que l’intensité des états mentaux soit telle qu’il devienne 41
particulièrement difficile pour l’enfant de les aborder et qu’il refuse de le faire, voire
même qu’il refuse d’accompagner le thérapeute pour sa séance. Ce dernier tend alors
à valider la perspective de l’enfant (par exemple, il reconnaît et accepte son refus),
sans chercher à tout prix à résoudre l’impasse (par exemple, tout faire pour inciter
l’enfant à changer d’avis) ou devenir complice du refus de l’enfant (par exemple,
laisser tomber ou banaliser la situation). Il fait au mieux pour tolérer la perspective
de l’enfant, tout en rappelant l’entente convenue quant aux objectifs et au cadre du
travail. Les limites ainsi posées, de façon calme mais ferme, ont souvent un effet
apaisant sur l’enfant et permettent le rétablissement de l’échange avec le thérapeute
lorsque l’enfant est prêt à le faire. Au contraire, la recherche d’un consensus trop
rapide visant à amadouer l’enfant est à risque de lui transmettre l’impression que le
thérapeute n’est pas en mesure de résister à l’expression d’affects négatifs. Il s’avère
essentiel que le thérapeute communique à l’enfant le fait qu’il est possible de
traverser ensemble des moments de tempête affective ou relationnelle sans que le
lien thérapeutique en soit gravement endommagé.

Une situation survenue avec Henri, 5 ans, permet d’illustrer notre propos. Un matin, 42
l’enfant se présente à sa séance, accompagné de sa mère. Cette dernière informe la
thérapeute du fait qu’Henri l’aurait avisée dans la voiture de son refus de rencontrer
sa thérapeute et même de lui faire part du motif de ce refus. Pour éviter d’ajouter à
l’activation affective d’Henri et de provoquer une escalade d’opposition et de
contrôle, la thérapeute lui communique d’abord qu’elle a bien entendu son
désaccord. Sans proposer (trop) rapidement un jeu ou une activité qui pourrait faire
office de distraction (et ainsi alléger le climat relationnel tendu), la thérapeute valide
l’expérience de l’enfant en mentionnant qu’elle reconnaît qu’il est bien difficile de ne
pas être contrarié lorsque l’on se sent forcé à faire quelque chose qui nous est imposé
et dont on n’a pas envie. La thérapeute s’enquiert ensuite de ce qui pourrait faciliter
chez lui un changement d’état d’esprit, tout en lui signifiant que la réalité du
moment demeure de partager un temps ensemble.

Ajoutons enfin que le maintien d’une telle posture affective peut s’avérer 43
particulièrement exigeant pour les cliniciens novices dont l’identité professionnelle
est en construction et qui peuvent chercher, parfois à leur insu, à conserver un bon
lien (c’est-à-dire un lien harmonieux, régulé et exempt de tension) avec l’enfant afin

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d’être confirmés dans leur capacité à être un bon thérapeute.

Prendre sur soi les malentendus


Une autre manière, pour le thérapeute, d’incarner un contenant solide pour l’enfant 44
aux prises avec des affects intenses suite à la survenue d’un moment difficile au sein
de la relation thérapeutique est de prendre sur lui la responsabilité du malentendu
ayant pu occasionner cette situation. L’adoption d’une telle attitude, préconisée dans
le cadre des interventions basées sur la mentalisation [4], implique d’abord que le
thérapeute s’intéresse explicitement à l’état affectif de l’enfant ainsi qu’à ce qui a pu
générer chez lui cette intensité émotionnelle. Est-ce possible que le thérapeute ait pu
dire ou faire quelque chose qui aurait précipité de telles réactions chez l’enfant ? Ce
faisant, le thérapeute transmet à l’enfant qu’il reconnaît son expérience affective,
qu’il y porte attention et y accorde de l’importance. Cette validation contribue
généralement à l’amorce d’un apaisement des émotions qui agitent l’enfant. Lorsqu’il
s’interroge ensuite quant aux propos qu’il aurait pu tenir ou quant aux attitudes et
gestes qu’il aurait pu avoir et qui auraient pu occasionner une telle escalade affective,
le thérapeute démontre non seulement sa sensibilité à l’égard de l’enfant, mais
introduit aussi la possibilité de réfléchir ensemble aux conflits interpersonnels, de comprendre
les malentendus qui en sont à l’origine et, conséquemment, de résoudre ces conflits.

Bien qu’elle puisse s’avérer exigeante et douloureuse pour chacun d’eux, la survenue 45
de malentendus entre l’enfant et le thérapeute constitue donc des opportunités de
mentaliser in vivo. En effet, de telles situations ouvrent la voie à des échanges visant à
mieux saisir ce qui s’est passé, à explorer l’expérience subjective de l’enfant (par
exemple, ce qu’il a ressenti, ce qu’il a compris des propos ou du comportement du
thérapeute, les intentions qui selon lui auraient motivé le thérapeute) et à lui
permettre d’accéder à celle du thérapeute. Un tel échange fournit non seulement à
l’enfant un modelage pour la résolution de conflits relationnels ultérieurs, mais
l’expose à l’existence de perspectives autres, différentes de celles qu’il avait
initialement imaginées.

Les règles régissant le cadre thérapeutique, notamment celles concernant la fin des 46
séances, peuvent être source de grandes frustrations pour l’enfant qui peut se sentir
brimé ou incompris lorsqu’il ne peut terminer un jeu qu’il a amorcé, faute de temps.
L’expérience clinique nous a permis de constater que l’application de ces règles
représente un contexte propice au déploiement de situations difficiles entre l’enfant
et le thérapeute, et ce malgré l’entente convenue à cet égard au moment de
l’entreprise du travail de psychothérapie.

À titre illustratif, relatons une situation survenue entre Élisabeth et sa thérapeute. 47

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Quelques minutes avant la fin d’une séance productive, la thérapeute invite l’enfant à
cesser son jeu et à ranger le matériel. Cette consigne donne lieu à un important accès
de colère chez Élisabeth. Surprise par cette charge affective inattendue, la thérapeute
s’assoit auprès d’elle et souligne de façon sensible le fait que l’enfant est
soudainement devenue très en colère. Elle poursuit en partageant ses interrogations
quant à ce qu’elle, la thérapeute, aurait bien pu dire ou faire qui aurait donné lieu à
une telle colère. L’enfant se dit convaincue du fait que la thérapeute aurait écourté la
rencontre et ainsi, lui aurait volé du temps. Après avoir validé l’expérience de l’enfant
en mentionnant qu’elle peut bien comprendre sa colère si elle est sous cette
impression, la thérapeute introduit sa propre perspective, c’est-à-dire qu’il lui est
difficile de bien saisir ce qui amène l’enfant à conclure que du temps lui aurait été
volé, ayant de son côté l’impression d’avoir mis un terme à leur rencontre à l’heure
habituelle. Bien que l’enfant et la thérapeute aient pu s’entendre sur l’heure et la
durée de leurs rencontres, l’exploration de la perspective de l’enfant n’a pas permis
d’élucider l’origine de sa conviction d’avoir été flouée. La thérapeute a donc choisi de
commencer la séance suivante en reprenant cet incident. Elle a d’abord informé
l’enfant de la poursuite de sa réflexion pour tenter de comprendre l’origine de leur
malentendu, mais aussi de son incapacité à y arriver. Après avoir constaté qu’il en
était de même pour l’enfant qui n’arrivait pas à élaborer son expérience davantage, la
thérapeute lui a partagé une idée qui lui est venue lors de sa réflexion : serait-il utile
de découper le temps des rencontres afin que l’enfant puisse avoir une impression plus
claire du temps écoulé et du temps encore disponible ?

En faisant ainsi, la thérapeute a cherché à transmettre à l’enfant sa sensibilité à 48


l’égard de son expérience subjective, son désir de la comprendre ainsi que d’en
prendre acte, et ce même si elle n’est pas en mesure de la saisir avec précision. La
transmission, par la thérapeute, de la considération qu’elle accorde à l’expérience
douloureuse de l’enfant ainsi que de son souhait de réparation, même lorsqu’elle n’est pas en
mesure d’élucider le malentendu qui en serait à l’origine, s’avère particulièrement
importante. Outre le fait qu’il témoigne de la valeur que la thérapeute attribue à ce
qu’éprouve l’enfant, un tel message soutient le développement de son agentivité, c’est-
à-dire son sentiment d’avoir la capacité à faire comprendre ce qui l’habite à autrui
qui pourra ensuite s’y ajuster puisque l’enfant reconnaît son expérience subjective
dans ce que lui reflète le thérapeute (Fonagy & Allison, 2014). Tel que Fonagy et
Target (2007) le font valoir, c’est la capacité de réparation de l’adulte qui s’avère
essentielle, bien plus que sa capacité à saisir à tout moment l’expérience subjective de
l’enfant.

Construire un lien de confiance avec l’enfant : au-delà de


l’alliance, l’instauration d’une confiance épistémique

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Le travail clinique auprès d’enfants consultant en pédopsychiatrie nous a permis de 49


constater que plusieurs d’entre eux ne peuvent recevoir, de la part des adultes, des
informations concernant des choses très simples et les considérer comme des
informations fiables. Et ce même lorsqu’il s’agit d’informations objectives telles que
le fait de s’appuyer sur l’adulte pour se situer dans le temps (par exemple, le jour où
aura lieu une activité qu’il attend) ou pour valider le résultat d’une addition. C’est
comme si l’enfant ne peut envisager la possibilité qu’il puisse se tromper ou encore
qu’une autre perception d’une situation, différente de la sienne, puisse être
pertinente et fondée. Une telle possibilité s’avérerait trop à risque de générer chez lui
une impression de perte de contrôle et un sentiment de vulnérabilité qu’il ne peut
tolérer, ayant besoin de ne compter que sur lui-même. Ainsi, tout apprentissage
s’appuyant sur la contribution d’un adulte – parent, éducateur en garderie,
enseignant ou moniteur de loisirs – risque d’être compromis. Les parents des enfants
que nous rencontrons rapportent fréquemment des conflits à ces égards et nous font
part de leur difficulté à saisir ce qui fait en sorte qu’ils ne soient pas en mesure de
s’entendre à propos d’informations objectives.

Le travail thérapeutique n’échappe pas à ces difficultés. Bien souvent, nous avons 50
l’impression que malgré leur justesse et leur pertinence, nos interventions s’avèrent
peu utiles pour l’enfant qui présente ce type de difficultés. Il peut les rejeter
farouchement, ce qui donne parfois lieu à d’intenses réactions d’opposition, voire
même à une désorganisation. L’enfant peut également n’y porter que très peu
d’attention et d’intérêt, même s’il ne s’y oppose pas franchement. Et lorsqu’il les
accepte, il tend à le faire de façon superficielle, donnant l’impression qu’il s’y
conforme sans toutefois que ces interventions ne trouvent leur chemin jusqu’à lui.
De telles situations cliniques sont à risque de générer chez le thérapeute un
sentiment d’impuissance alors qu’il se confronte à une fermeture de la part de
l’enfant dont l’accès au monde interne peut sembler complètement verrouillé.

Nous pensons que de telles difficultés réfèrent aux notions de confiance et de méfiance 51
épistémiques proposées par Fonagy et Allison (2014) qui conçoivent la confiance
épistémique comme la capacité de l’individu à se fier aux sources d’informations qui
lui sont accessibles pour apprendre. Tel qu’abordé préalablement (se référer au
chapitre 1), cette confiance impliquerait pour l’individu qu’il soit en mesure de
recevoir des informations générales permettant l’acquisition de connaissances, mais
aussi et surtout de se sentir personnellement concerné par ces informations, c’est-
à-dire d’envisager et d’accepter qu’elles peuvent être utiles pour lui. Cette capacité de
l’individu à traiter les informations qui lui sont disponibles comme des sources
fiables ouvre la voie à la possibilité de les généraliser à d’autres situations semblables,
à s’adapter à son environnement, mais aussi à collaborer avec autrui (Fonagy, Allison,

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& Campbell, 2019). À l’inverse, l’individu aux prises avec une méfiance épistémique
présente plutôt une incapacité à le faire.

Un travail visant l’établissement d’une telle confiance chez l’enfant nous paraît 52
primordial du fait qu’il s’agit d’une condition incontournable pour qu’il puisse
recevoir réellement et non de façon plaquée, les interventions du thérapeute et en
bénéficier. À l’instar de Debbané, Fonagy et Badoud (2016), nous pensons que c’est à
travers l’adoption d’une posture et d’attitudes témoignant d’un réel intérêt et d’une
sensibilité authentique à l’égard de l’enfant, de son rythme, de son expérience
subjective et de sa perspective que le thérapeute peut contribuer à l’instauration
graduelle d’une confiance épistémique chez l’enfant. Ce n’est qu’en faisant
l’expérience, de façon répétée et constante à travers le temps, que ce dernier sera en
mesure de dépasser progressivement la méfiance épistémique et qu’il pourra
envisager la possibilité de considérer que les informations provenant des figures de
soins et d’autorité sont valables et méritent d’être prises en considération.

Le cas de cette enfant illustre bien, à notre avis, ce type de difficultés. Emma, une 53
fillette de 6 ans placée en famille d’accueil depuis quelques mois, se présente à sa
séance en compagnie de sa mère d’accueil qui mentionne que l’enfant serait
particulièrement agitée depuis qu’elle aurait aperçu des zombies déambulant sur la
rue le soir de l’Halloween. Suite à cet incident, l’enfant refuserait de dormir seule,
craignant qu’ils entrent dans la maison. La mère d’accueil relate que ses tentatives
visant à rassurer l’enfant en cherchant à faire la preuve qu’il s’agissait d’adolescents
déguisés en zombies et non de réels zombies, n’auraient fait qu’alimenter la frustration
et la détresse de l’enfant qui lui reprocherait de ne rien comprendre. Après avoir
entendu la perspective de la mère d’accueil, la thérapeute s’intéresse à celle de
l’enfant et lui demande de lui expliquer ce qui ferait en sorte qu’elle serait convaincue
qu’il s’agit de vrais zombies. L’enfant répond d’emblée qu’il s’agit d’une évidence
puisqu’elle a constaté que des épées transperçaient leur corps, entrant d’un côté et
ressortant de l’autre, ce à quoi il serait impossible de survivre pour un humain ! Ceci
fait donc d’eux des morts-vivants, c’est-à-dire de vrais zombies. La thérapeute a
d’abord validé la perspective de l’enfant en mentionnant qu’elle comprend
parfaitement bien que l’enfant soit convaincue qu’il s’agit de vrais zombies si elle a
constaté que des épées traversaient leurs corps et qu’ils étaient toujours en mesure
de marcher… Elle a également validé la peur de l’enfant de dormir seule dans ce
contexte angoissant. Cette validation a permis à l’enfant de se sentir comprise, de
s’apaiser et de poursuivre le récit de ses craintes plus calmement. Qu’arriverait-il si
les zombies entraient dans leur maison ? Attaqueraient-ils les parents d’accueil et les
enfants ? Les membres de la famille deviendraient-ils eux aussi des zombies ?
Pourquoi les parents d’accueil n’arrivent-ils pas à voir le danger ? Ce n’est qu’après

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que l’enfant ait pu prendre tout le temps dont elle avait besoin pour exprimer ses
peurs, explorer avec la thérapeute les diverses facettes de son expérience subjective et
se sentir entendue qu’elle a été en mesure d’envisager une perspective différente,
sans sentir qu’un tel exercice impliquait d’abandonner la sienne. C’est seulement à ce
moment que la thérapeute a introduit une hypothèse alternative. En ayant recours à
deux couteaux de plastique récupérés dans sa boîte de jouets pour en faire la
démonstration, elle a interrogé l’enfant quant à la possibilité que les adolescents
aient utilisé les morceaux d’une même épée qu’ils auraient coupée en deux pour
ensuite coller l’un des morceaux sur leur ventre et l’autre sur leur dos, créant ainsi
l’illusion d’une épée traversant le corps. Déstabilisée par cette explication, l’enfant a
répondu ne pas avoir pensé à cette possibilité qui lui semblait par ailleurs sensée et
rassurante.

Pour être en mesure de considérer une perspective différente de la sienne et s’ouvrir 54


à la possibilité que les informations transmises par un adulte bienveillant puissent
s’avérer recevables, il aura été nécessaire pour cette enfant, n’ayant pas connu la
présence d’une figure d’attachement fiable et protectrice, d’avoir la possibilité
d’expliciter extensivement son expérience subjective sans qu’elle ne soit remise en
question par sa thérapeute. Nous sommes d’avis que l’écoute sensible et sincère de la
thérapeute ainsi que sa validation de l’expérience de l’enfant ont contribué à faire en
sorte que cette dernière se sente suffisamment considérée et entendue pour
envisager une autre perspective que la sienne, sans se sentir menacée.

L’adoption d’une telle posture par le thérapeute peut néanmoins s’avérer 55


particulièrement délicate en présence des parents qui risquent d’avoir l’impression
qu’il prend le parti de l’enfant au détriment du leur ou encore qu’il encourage une
perception erronée chez l’enfant. Il importe donc que les parents puissent faire sens
de ce type d’interventions et des objectifs visés.

Quelques techniques d’intervention privilégiées dans le


travail thérapeutique réalisé à partir du jeu de l’enfant

Aux principes directeurs guidant le travail thérapeutique s’ajoutent différentes 56


techniques d’intervention centrées sur le jeu de l’enfant. Ces techniques sont
préconisées afin de soutenir chez lui le développement d’une plus grande capacité à
s’intéresser au monde interne – le sien et celui des autres – puis à considérer ses liens
aux comportements et relations interpersonnelles. Si certaines d’entre elles sont
spécifiques à la psychothérapie d’enfants, d’autres représentent plutôt une
adaptation de techniques utilisées dans le cadre des traitements basés sur la

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mentalisation pour les adultes. Soulignons ici aussi l’importante contribution des
travaux des différentes équipes de cliniciens-chercheurs œuvrant auprès d’enfants
(Midgley et al., 2017c ; Muñoz Specht et al., 2016 ; Terradas et al., 2013, 2016, 2019 ;
Verheugt-Pleiter et al., 2008) ainsi que celle des principaux ouvrages consacrés aux
traitements basés sur la mentalisation (Allen et al., 2008c ; Bateman & Fonagy, 2004,
2006a) ou d’autres troubles de santé mentale (Bateman & Fonagy, 2012, 2019) à notre
réflexion.

À l’instar de Midgley et ses collègues (2017b, 2017e), nous introduisons ces techniques 57
à partir d’une perspective développementale, c’est-à-dire en fonction du niveau de
développement atteint de la capacité à mentaliser de l’enfant. Ainsi, les deux
premières sont conçues comme des interventions visant à aider l’enfant à
s’approcher de sa subjectivité et de celle d’autrui pour en considérer l’existence. Elles
ont comme principal objectif de renforcer les aptitudes sur lesquelles se fonde le
développement de la capacité à mentaliser et ainsi, préparer l’enfant à la prise en
compte des états mentaux. Les suivantes soutiennent plutôt une exploration
graduelle de l’expérience subjective, celle des personnages du jeu dans un premier
temps (puisqu’il s’agit d’une tâche plus facile) et celle de l’enfant par la suite.
S’appuyant sur des habiletés mieux consolidées chez l’enfant, ces interventions
visent à susciter chez lui un réel intérêt pour les états mentaux ainsi qu’à soutenir
l’acquisition d’une capacité à considérer leurs implications au sein des conduites de
chacun et de la nature des relations qu’ils entretiennent. Ces techniques ont
également pour but d’encourager le développement d’une trame narrative du jeu de
l’enfant qui représente, pour le thérapeute, un outil de travail des plus précieux.
L’élaboration de ce narratif offre une opportunité unique d’explorer, de façon
approfondie, une pluralité d’états mentaux chez une diversité de personnages. Elle
ouvre aussi sur la possibilité d’entrevoir des liens avec l’expérience subjective de
l’enfant. Somme toute, chacune de ces interventions contribue, à différents niveaux,
à ce que l’enfant puisse éventuellement reconnaître chez lui et chez autrui l’existence
d’une subjectivité permettant de mieux saisir les manières d’agir de chacun et
d’entrer en relation avec autrui. Précisons enfin que ces techniques peuvent
également s’appliquer au travail clinique réalisé à partir des productions graphiques
de l’enfant, mais aussi à partir des diverses situations ayant marqué son quotidien et
qu’il souhaite aborder en séance.

Le tableau 5.3 présente une synthèse de ces techniques d’intervention que nous 58
reprenons ensuite de façon plus détaillée. Bien qu’elles soient introduites de manière
à tenir compte d’une certaine chronologie développementale et d’une gradation du
niveau d’exigence qu’elles impliquent pour l’enfant, des allers-retours entre des
interventions plus simples et plus complexes sont fréquents et nécessaires. Pensons

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par exemple à une situation de jeu permettant l’exploration d’affects douloureux,


mais qui donne soudainement lieu à une intense activation émotionnelle faisant en
sorte qu’il n’est plus possible de poursuivre cette exploration. Le thérapeute doit alors
intervenir de façon à contenir et à apaiser l’enfant puis ensuite tenter d’élucider ce
qui a occasionné une telle réaction chez lui.

Tableau 5.3. Techniques d’intervention privilégiées dans le travail


thérapeutique réalisé à partir du jeu de l’enfant
Décrire ce que fait l’enfant ou ce qui se passe au sein du jeu et introduire la possibilité
d’états mentaux sous-jacents
Le thérapeute exprime à voix haute ce qu’il observe chez l’enfant ou dans son jeu. Il
peut : souligner les choix de matériel ou de personnages que fait l’enfant pour élaborer
son jeu, mentionner ce que fait l’enfant, ce que semblent faire les personnages ou ce qui
semble se dérouler dans le jeu, commenter le scénario ou les bribes de scénario qui
semblent se dégager du jeu de l’enfant. Le thérapeute cherche également à introduire la
possibilité que des états mentaux, plus particulièrement des intentions, motivent les
comportements qu’il observe.

Souligner les répétitions et introduire la possibilité d’une intentionnalité


En se gardant bien de les interpréter, le thérapeute peut attirer l’attention de l’enfant
sur les répétitions qu’il observe. Elles peuvent prendre différentes formes : choix du
matériel de jeu, déroulement de la séance ou du jeu, choix des personnages mis en
scène et des scénarios élaborés. Le thérapeute cherche ainsi à introduire la possibilité
qu’une intention ou un besoin soit à l’origine de ces répétitions.

Explorer les intentions des différents personnages du jeu et celles de l’enfant


Le thérapeute s’intéresse aux intentions qui semblent motiver le comportement de l’un
ou l’autre des personnages du jeu de l’enfant ou le sien. Pour ce faire, il peut : interroger
l’enfant quant aux motivations qui pourraient sous-tendre les comportements observés,
proposer différentes hypothèses à cet égard, partager les intentions que le thérapeute
pourrait lui-même imaginer chez les personnages du jeu de l’enfant et chez lui et
lorsqu’il participe au jeu, s’en extraire momentanément pour demander des précisions
quant aux intentions motivant son personnage.

Explorer les affects des différents personnages du jeu pour s’approcher de ceux de
l’enfant
Le thérapeute s’intéresse aux affects que pourraient ressentir l’un ou l’autre des
personnages de son jeu. Pour ce faire, il peut : interroger l’enfant quant à ce que
ressentent les personnages de son jeu dans les différentes situations mises en scène,
proposer des hypothèses à cet égard, partager les affects qu’il pourrait lui-même
imaginer chez ces personnages en fonction de ces différentes situations et lorsqu’il
participe au jeu, s’en extraire momentanément pour demander des précisions quant
aux affects que vit son personnage. Lorsqu’indiqué, le thérapeute peut également
s’intéresser aux émotions que semblent exprimer l’enfant.

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Inviter l’enfant à construire un narratif de jeu précis et l’assister pour le faire


Le thérapeute peut inciter l’enfant à relater ce qui passe au sein de son jeu, l’interroger
quant à divers éléments de l’histoire afin de la clarifier et de l’explorer davantage. À
nouveau, lorsqu’il est engagé dans le jeu, le thérapeute peut s’en extraire
temporairement et interroger l’enfant pour obtenir des précisions quant au scénario ou
quant à ce qu’il doit jouer (donc penser, ressentir ou souhaiter). Le thérapeute cherche
ainsi à soutenir l’élaboration d’un sens aux comportements de chacun et de le lier à la
nature des interactions ayant lieu entre les personnages.

Lier différents aspects du jeu à l’expérience affective de l’enfant


Le thérapeute tente d’aider l’enfant à saisir l’existence de liens entre son jeu et son
expérience subjective. Il peut d’abord chercher à le faire de manière indirecte (par
exemple, mentionner que dans ce type de situations, on pourrait imaginer que
quelqu’un se sentirait d’une telle façon ou partager qu’il pourrait lui-même se sentir
d’une telle façon dans un contexte donné). Lorsque l’enfant semble prêt, le thérapeute
peut proposer des liens plus directs (par exemple, s’interroger à haute voix quant à la
possibilité que l’enfant ait déjà pu ressentir de telles émotions dans un contexte
similaire à celui du jeu).

Décrire ce que fait l’enfant ou ce qui se passe au sein du jeu et


introduire la possibilité d’états mentaux sous-jacents
Lorsqu’il intervient auprès d’un enfant éprouvant des difficultés à élaborer un jeu ou 59
qui joue sans l’inclure et en demeurant silencieux, le thérapeute tend à privilégier des
interventions simples consistant à décrire à haute voix ce qu’il observe. Ainsi, il peut
souligner le choix qu’a fait l’enfant d’un matériel de jeu en particulier, l’introduction
d’un ou de différents personnages, la nature de leurs activités ou de leurs échanges. Il
peut également décrire les bribes d’un scénario qui semble se dessiner en référant à
la séquence des différentes parties du jeu. À cette description peut s’ajouter la
formulation de questionnements ou d’hypothèses simples quant aux intentions qui
pourraient motiver les gestes de l’enfant ou ceux des personnages de son jeu.

À l’image du comportement qu’adopte spontanément un adulte au contact d’un bébé 60


avec qui il cherche à interagir, le thérapeute s’efforce ainsi de demeurer au plus près
de ce que fait l’enfant et de ce que son comportement semble communiquer. Ce
faisant, il tente de transmettre à l’enfant qu’il s’intéresse à ce qu’il fait et qu’il y
accorde une valeur de communication : ce que fait l’enfant est au reflet de quelque
chose qui l’habite, l’interpelle ou l’occupe et le thérapeute en est conscient. De façon
implicite, de telles interventions (en miroir) de la part du thérapeute invitent l’enfant
à faire de même afin que tous deux puissent éventuellement y porter attention
ensemble (attention conjointe). L’introduction de la possibilité que des motivations
puissent sous-tendre les choix et les comportements de l’enfant ou de ses
personnages de jeu représente un pas de plus vers la considération de l’existence

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d’une intentionnalité et donc, d’un monde interne qui régit les comportements. À
titre illustratif, reprenons les propos de la thérapeute de Louis, 5 ans, qui commente
le jeu de l’enfant s’affairant en silence à la construction de tours : Aujourd’hui, on dirait
que tu as envie (désir) de construire des tours. Et tu travailles fort pour qu’elles soient bien
construites ; on dirait que tu veux (intention) vraiment qu’elles soient solides. Lorsque l’enfant
est en mesure de les recevoir, ce type d’interventions contribuent graduellement à le
faire exister à ses yeux, ou à faire exister autrui, comme quelqu’un pourvu de sa
propre subjectivité et motivé par sa propre intentionnalité.

Malgré leur simplicité, de telles interventions représentent un point de départ 61


incontournable dans le travail axé sur la mentalisation réalisé auprès d’un bon
nombre d’enfants que nous recevons en clinique pédopsychiatrique et qui ont du mal
à envisager l’existence même d’un monde interne. Pour plusieurs d’entre eux, le fait
d’orienter leur attention vers les comportements des personnages qu’ils mettent en
scène ou vers ce qu’ils font eux-mêmes représente un réel défi sur le plan de la
régulation de l’attention et des affects. Alors que certains tolèrent bien le fait que le
thérapeute commente leurs jeux et leurs gestes en introduisant la possibilité qu’ils
soient motivés par des intentions, d’autres sont déstabilisés, voire même perturbés
par de telles interventions. Dans ce contexte et afin d’éviter d’engendrer chez l’enfant
une dysrégulation affective qui compromettrait la poursuite du travail
thérapeutique, le thérapeute se limite alors à décrire ce qu’il observe puis attend
d’entrevoir chez l’enfant une ouverture accrue avant d’introduire une
intentionnalité. S’il peut être difficile pour certains enfants de considérer l’existence
d’intentions, l’expérience clinique a permis de constater que cette éventualité est
souvent mieux reçue que l’introduction d’affects dont la considération s’avère
beaucoup plus exigeante pour eux et davantage à risque de débordement ou de rejet.

Souligner les répétitions et introduire la possibilité d’une


intentionnalité
En se gardant bien de les interpréter (au sens psychanalytique du terme), le 62
thérapeute peut souligner les diverses répétitions qu’il observe en séance avec
l’enfant. Ces répétitions peuvent prendre différentes formes : choix d’un même
matériel de jeu d’une rencontre à l’autre, mise en scène de jeux similaires d’une
semaine à l’autre, réalisation de dessins dont les thèmes sont les mêmes d’une séance
à l’autre, adoption d’une même attitude ou d’une même façon de solliciter le
thérapeute au cours de plusieurs rencontres.

Lorsqu’il fait part de ses observations à l’enfant, le thérapeute cherche à susciter chez 63
lui un intérêt et une curiosité à cet égard. Il tente d’orienter l’attention de l’enfant

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vers ce qu’il fait de façon récurrente afin qu’il en prenne d’abord conscience et qu’il
puisse ensuite envisager la possibilité que ces répétitions ont un sens. Le thérapeute
souhaite ainsi transmettre à l’enfant l’idée qu’elles témoignent de la présence de
quelque chose qui échappe, mais qui s’avère néanmoins important pour l’enfant
puisque cette chose réapparaît d’une séance à l’autre. Nous constatons que la
possibilité de s’intéresser avec l’enfant (attention conjointe) à des comportements ou
des éléments de jeux qu’il répète au fil des rencontres le prépare à l’exploration
ultérieure des intentions, besoins ou affects qui sont à l’origine de ces récurrences et
contribue de manière forte à la construction de son identité.

Reprenons l’exemple de Louis pour illustrer notre propos. Après avoir souligné au fil 64
des séances qu’il reprenait divers jeux et scénarios (par exemple, Tu as encore envie de
jouer avec de l’eau aujourd’hui ; tu aimes vraiment ça ! Est-ce que je remarque qu’il y a encore
un personnage qui se noie cette semaine ? C’est une maison que tu construis aujourd’hui ? La
semaine dernière, c’était des tours n’est-ce pas ?), sa thérapeute a pu amorcer un échange
avec cet enfant quasi mutique quant au fait qu’il lui semble être un garçon qui aime
jouer avec l’eau, qui s’intéresse aux baignades et aux noyades, qui aime bâtir toutes
sortes de constructions et qui prend son temps pour le faire afin de s’assurer que
leurs bases sont solides. Cette description de lui-même a permis à Louis de renchérir
et de partager avec la thérapeute ses inquiétudes quant à son incapacité à nager et
donc d’introduire de lui-même un aspect de sa subjectivité.

Explorer les intentions des différents personnages du jeu et


celles de l’enfant
Lorsque l’enfant dispose d’une certaine capacité à porter attention à ce qu’il fait sans 65
qu’un tel exercice ne le mette en difficulté (par exemple, dysrégulation affective se
manifestant par un débordement ou une fermeture), le thérapeute peut alors l’inviter
à s’intéresser plus précisément aux intentions qui semblent se dégager de son jeu ou
de son propre comportement. Pour ce faire, il peut interroger l’enfant quant à ce que
souhaite un premier personnage de son jeu ou quant à ce qui a motivé un second à se
comporter de telle manière. Si l’enfant n’est pas en mesure de répondre, le
thérapeute peut réfléchir à haute voix à ces questions et partager quelques
hypothèses qu’il pourrait lui-même envisager au regard des comportements des
personnages. En donnant ainsi accès à son propre processus réflexif, le thérapeute
offre à l’enfant un certain modelage, sans toutefois le contraindre à faire de même
dans l’instant présent.

Si l’enfant répond bien à une telle exploration, le thérapeute peut le solliciter 66


davantage. Par exemple, il peut proposer une perspective différente de celle de

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l’enfant quant à certaines motivations sous-tendant les attitudes de l’un ou l’autre


des personnages de son jeu et ainsi, introduire une diversité de possibilités. Il peut
aussi orienter l’échange vers un personnage dont l’exploration des motivations est
demeurée limitée ou encore souligner la présence d’intentions divergentes, voire
contradictoires chez différents personnages. Au-delà du fait qu’elles permettent à
l’enfant d’apprivoiser doucement l’idée que les comportements d’un individu se
fondent sur des intentions, ce type d’intervention contribue à ce qu’il puisse
entrevoir qu’un même comportement peut prendre plus d’un sens, que le fait de
réfléchir aux intentions permet de mieux comprendre les comportements et que des
individus peuvent être motivés par des intentions distinctes (différenciation soi-
autrui).

S’intéresser aux intentions des personnages de son jeu s’avère généralement plus 67
aisé pour l’enfant que de considérer les siennes. Chez plusieurs enfants que nous
recevons, nous observons que l’exploration de leurs propres intentions génère
davantage de résistances, parfois même une certaine dysrégulation sur le plan de
l’attention et des émotions. Comme nous pensons qu’il s’avère plus exigeant pour
eux de s’approcher directement de leur univers psychique plutôt que de le faire de
manière indirecte, nous tendons à privilégier l’exploration des intentions des
personnages du jeu avant celles de l’enfant. Il arrive néanmoins que l’enfant offre la
possibilité de s’intéresser d’emblée à ses propres intentions, notamment lorsqu’il
sollicite la participation du thérapeute à son jeu et lui transmet des directives quant à
ses attentes à son égard. Le thérapeute peut alors s’enquérir de ce que l’enfant
souhaite précisément faire ou mettre en scène. Tout au long du jeu, en prenant bien
soin de capter l’attention de l’enfant et de lui signifier qu’il a besoin de son soutien
pour poursuivre, le thérapeute peut s’extraire momentanément de son personnage
pour interroger l’enfant à propos de ce qu’il souhaite que son personnage fasse. Le
thérapeute s’assure ainsi de demeurer au plus près des intentions de l’enfant qu’il
pourra explorer avec lui par la suite.

Explorer les affects des différents personnages du jeu pour


s’approcher de ceux de l’enfant
Quand l’exploration des intentions est possible sans qu’elle ne pose trop de difficultés 68
pour l’enfant, le thérapeute peut alors s’intéresser aux affects. Comme il le fait pour
les intentions, il peut interroger l’enfant quant à ce que pourraient ressentir les
personnages de son jeu dans les différentes situations qu’il met en scène, proposer
des hypothèses à cet égard ou partager à l’enfant les émotions qu’il pourrait lui-
même imaginer chez les personnages. Ici aussi, le fait de s’extraire momentanément
du jeu pour demander des précisions quant aux émotions qu’il doit incarner s’avère

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une technique bien utile pour le thérapeute engagé dans le jeu avec l’enfant.
Mentionnons enfin que lorsqu’indiqué, le thérapeute peut s’intéresser aux émotions
que semble éprouver l’enfant alors qu’il joue.

L’exploration des affects tend néanmoins à poser un défi de taille pour le thérapeute 69
œuvrant auprès d’enfants présentant des difficultés pédopsychiatriques. Nous
constatons que les interventions centrées sur les affects suscitent souvent
d’importantes résistances, notamment chez les enfants cultivant une attitude de
toute-puissance pour contrer leur vulnérabilité. En ce sens, l’exploration de la peur,
et plus précisément de la peur générée par la violence – celle dont l’enfant est témoin
et qu’il subit ainsi que celle qui l’habite –, s’avère particulièrement exigeante pour lui.
De plus et même si elles n’occasionnent pas de réactions de rejet ou d’opposition
franche de la part de l’enfant, de telles interventions sont régulièrement ignorées.
Lorsqu’elles sont acceptées, elles génèrent bien souvent des réponses plaquées
témoignant de la fermeture de l’enfant à cet égard.

Dans un tel contexte, nous tendons à introduire la question des affects de manière 70
indirecte. Pour ce faire, le thérapeute peut prendre sur lui d’exprimer les émotions
qu’il imagine que pourrait susciter la situation mise en scène par l’enfant chez l’un ou
l’autre des personnages qui s’y confronte. Il tend à le faire en privilégiant un langage
s’apparentant à celui de l’enfant et en incarnant l’émotion grâce à l’adoption d’un ton
de voix et d’une gestuelle bien dosée, marquant suffisamment la charge affective sans
verser dans la caricature. La capacité du thérapeute à intervenir avec authenticité
s’avère essentielle afin que l’enfant puisse se sentir interpellé par son propos. L’abord
des affects de manière trop sérieuse ou trop cérébrale est à risque de paraître
artificielle et peu crédible aux yeux de l’enfant qui ne pourra s’y connecter et s’y
appuyer pour poursuivre son élaboration. Ainsi, ce n’est qu’au prix d’un réel
engagement affectif de la part du thérapeute qu’une véritable exploration des affects
est possible.

Un échange ayant eu lieu entre Adrien et sa thérapeute illustre bien notre propos. 71
Alors qu’elle constate qu’un bœuf se dirige dangereusement vers le fermier qui entre
dans l’enclos, la thérapeute d’Adrien s’écrie : Oh oh ! Il est vraiment gros celui-là ! S’il
s’approchait de moi comme ça, j’aurais vraiment très peur et je partirais en courant ! Après
avoir ri et s’être un peu moqué de la thérapeute, l’enfant a pu l’interroger à propos de
sa peur et convenir avec elle qu’il s’agissait bel et bien d’une situation qui fait peur. Il
a ensuite été possible d’explorer les affects d’autres personnages du jeu : ceux du
bœuf en colère puisqu’affamé et fâché d’attendre, ceux du fils du fermier qui a eu
peur en constatant le danger qui guettait son père. L’intervention authentique et
incarnée de la thérapeute qui a reconnu qu’elle pourrait effectivement avoir peur
dans un tel contexte a permis l’exploration de cet affect – et donc son apprivoisement

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par l’enfant –, sans qu’il ne se sente contraint d’évoquer sa propre peur et ne ressente
le besoin de s’en défendre.

Inviter l’enfant à construire un narratif (de jeu) précis et


l’assister pour le faire
De façon générale, l’exploration des états mentaux des différents personnages du jeu 72
de l’enfant mène naturellement à l’élaboration progressive de l’histoire au sein de
laquelle s’inscrit l’action du jeu. La construction d’un narratif incluant l’ensemble des
situations et personnages de jeu en un tout cohérent implique d’établir une
chronologie de la survenue des différents événements ou séquences du jeu, mais
aussi d’expliciter les motivations qui sous-tendent les actions des personnages,
d’éclairer ce qui les habite ainsi que de préciser la nature de leurs échanges et des
liens qui les unissent. L’élaboration d’un tel narratif représente donc un puissant
outil de travail pour soutenir le développement de la mentalisation de l’enfant.

En accompagnant l’enfant dans cet exercice, le thérapeute cherche essentiellement à 73


l’encourager à déplier le récit de son jeu de façon à ce qu’il puisse se déployer
pleinement. Pour ce faire, il peut inciter l’enfant à relater de ce qui passe au sein du
jeu, l’inviter à préciser certains éléments du scénario demeurés obscurs, explorer
davantage les fonctions de divers aspects de l’histoire, s’attarder à ce qui pourrait
avoir donné lieu à telle émotion chez tel personnage ou à tel conflit entre deux
personnages. À nouveau, lorsqu’il participe au jeu, le thérapeute peut s’en extraire
temporairement et interroger l’enfant quant à ce qu’il doit jouer et donc faire,
penser, ressentir et souhaiter. Il peut également proposer des perspectives
alternatives, qu’elles soient complémentaires ou contradictoires. S’appuyant sur la
techniques de la main mentalisante et de l’arrêt, le retour en arrière et l’exploration (Allen
et al., 2008d ; Bateman & Fonagy, 2006b), le thérapeute peut manifester et marquer
d’un mouvement de la main (main mentalisante) le fait qu’il souhaite ralentir le jeu ou
introduire une pause (arrêt) afin d’inviter l’enfant à revenir sur une séquence
antérieure (retour en arrière) et sonder les états mentaux qui auraient pu être
escamotés (exploration).

Si ces diverses techniques encouragent une exploration approfondie des expériences 74


subjectives de chacun, elles permettent également d’identifier les principaux lieux
d’achoppement ou déficits de mentalisation propres au fonctionnement de l’enfant
et d’intervenir précisément à ces égards. Ces bris ou déficits prennent diverses
formes et peuvent témoigner de difficultés à considérer l’un ou l’autre des pôles des
différentes facettes ou dimensions de la mentalisation [5]. Ainsi, à travers la
construction du narratif de jeu, le thérapeute sera peu à peu en mesure de discerner :

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(a) la nature des états mentaux qui semblent plus difficiles à reconnaître et aborder
(est-ce les états mentaux cognitifs ou affectifs ? est-ce certains types d’intentions, de
croyances ou d’émotions en particulier ?), (b) le type de caractéristiques dont la
considération, pour comprendre les personnages, s’avère plus laborieuse (est-ce les
caractéristiques internes ou externes ?) ainsi que (c) les personnages chez qui
l’exploration, voire même la reconnaissance d’une expérience subjective demeure
plus ardue (est-ce ceux qui ressemblent davantage à l’enfant et auxquels il semble
s’identifier ou ceux de qui il se distingue ?). Le thérapeute pourra ensuite tenter de
diriger l’attention de l’enfant sur ces différents aspects afin de les explorer
davantage, les mettre à l’épreuve, les éclairer et ainsi, chercher à introduire
davantage de nuances et de flexibilité à ces différents égards.

La création du narratif de jeu fournit également au thérapeute une occasion 75


d’observer le déploiement d’une tendance à l’hypermentalisation chez l’enfant et
parfois aussi la prédominance d’un fonctionnement selon l’un ou l’autre des modes
prémentalisants (c’est-à-dire téléologique, équivalence psychique et mode semblant)
et d’intervenir spécifiquement à ces égards. Le thérapeute cherche alors à
(ré)introduire la mentalisation, notamment en évitant d’encourager les élaborations
non mentalisantes chez l’enfant, voire en les stoppant, et en soutenant l’adoption de
propos mentalisants. De façon plus spécifique, et après s’être assuré de valider la
perspective de l’enfant, il peut notamment chercher à introduire des états mentaux
au sein du jeu, quels qu’ils soient (lorsque l’enfant semble fonctionner selon un mode
téléologique), s’enquérir de l’origine de la certitude de l’enfant quant à ce qui
habiterait un personnage et introduire des perspectives alternatives (lorsque l’enfant
semble adopter un mode d’équivalence psychique), tenter d’identifier les affects
sous-jacents aux propos d’un personnage trop cérébral afin d’introduire une
dimension affective pour contrer un mode semblant. Domon-Archambault et
Terradas (2012, 2015) ont élaboré un traitement axé sur la mentalisation pour les
enfants proposant d’intervenir spécifiquement au niveau des modes
prémentalisants ; nous référons le lecteur à leurs travaux pour une présentation plus
détaillée de ces interventions.

Lier différents aspects du jeu à l’expérience affective de


l’enfant
La construction de la trame narrative du jeu avec l’enfant fournit au thérapeute de 76
précieuses occasions pour l’accompagner vers un apprivoisement graduel de sa
propre expérience subjective. Lorsque le récit de l’enfant s’y prête, le thérapeute peut
tenter d’introduire l’éventuelle existence de liens entre ce qui habite et motive les
personnages du jeu d’une part et ce qui habite et motive l’enfant d’autre part. Il peut

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d’abord chercher à le faire de manière indirecte, en mentionnant par exemple qu’il


pourrait imaginer que quelqu’un éprouve un tel sentiment dans le contexte mis en
scène ou partager ce que lui-même pourrait ressentir dans cette situation et
interroger l’enfant quant à ce qu’il en pense. Lorsque l’enfant semble prêt, le
thérapeute peut proposer des liens plus directs. Il peut s’interroger à haute voix
quant à la possibilité que l’enfant ait pu ressentir de telles émotions dans un contexte
similaire, qu’il ait pu percevoir une situation d’une telle manière et y réagir de la
même façon que l’un des personnages. Il peut également interpeller l’enfant
directement, en lui demandant par exemple s’il a le souvenir de situations lors
desquelles il s’est senti ou a réagi ainsi.

Tout ce travail d’exploration des états mentaux, d’élaboration d’un narratif de jeu, de 77
liaison des expériences subjectives des personnages du jeu et de l’enfant contribue au
développement progressif de la capacité de l’enfant à se considérer comme un être
pourvu d’une agentivité et à construire un narratif de sa propre histoire dont il
devient le sujet. Le développement d’une telle capacité contribue à la construction
identitaire de l’enfant qui apprend à travers un tel exercice à identifier et reconnaître
des situations pouvant générer diverses réactions et divers échanges
interpersonnels.

Conclusion

La psychothérapie individuelle axée sur la mentalisation réalisée auprès de l’enfant 78


nous paraît indiquée pour une diversité d’enfants qui présentent des difficultés à
s’envisager et envisager les autres comme étant habités par un monde interne qui
influence leur rapport à eux-mêmes et à autrui. Si bon nombre d’enfants que nous
recevons en clinique pédopsychiatrique présentent des difficultés marquées à
s’intéresser à leurs états mentaux et à ceux d’autrui, plusieurs d’entre eux présentent
aussi des lacunes importantes sur le plan des facteurs sur lesquels se fonde le
développement de cette capacité et de ses précurseurs. Pensons notamment aux
difficultés à porter attention à leurs comportements et à contenir leurs émotions, à
identifier les sources fiables d’informations et à s’y appuyer pour apprendre ou
encore à imaginer et mettre en place un jeu symbolique. Pensons aussi à la
prédominance d’un fonctionnement sous un mode de pensée prémentalisant. Ainsi,
les particularités de cette population font en sorte de situer d’emblée le travail
thérapeutique au niveau de ces facteurs pour ensuite être en mesure d’explorer les
états mentaux et leurs liens aux comportements. Par ailleurs, nous sommes d’avis
que l’implication des parents au sein du travail thérapeutique s’avère une condition
incontournable au progrès thérapeutique de l’enfant.

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Chapitre 5. La psychothérapie individuelle pour favoriser la mentalisatio... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

Le travail thérapeutique réalisé auprès des enfants présentant des difficultés 79


pédopsychiatriques ainsi que leurs parents a permis de mettre en lumière diverses
attitudes et techniques d’intervention qui bien souvent, par leur simplicité ou leur
proximité avec la manière dont l’adulte intervient naturellement auprès d’un enfant,
passaient inaperçues. Qui plus est, la pratique clinique a permis de constater
combien ces attitudes et techniques s’avèrent salutaires dans le travail réalisé auprès
d’enfants et de parents n’ayant souvent pas connu des conditions favorables au
déploiement de leur capacité à mentaliser.

Notes

[1] Nous référons le lecteur aux Handbook of Mentalizing in Mental Health Practice,
dirigés par A. W. Bateman et P. Fonagy et publiés en 2012 et 2019 pour la seconde
édition ainsi qu’au livre Mentalizing in Clinical Practice de J. G. Allen, P. Fonagy et A.
W. Bateman paru en 2008 pour plus de détails à cet égard.

[2] Pensons notamment aux contributions de Blake (2011), Bossé (2008, 2018) ou
Chethik (2003).

[3] Se référer au chapitre 1 pour une présentation de cette notion.

[4] Nous référons à nouveau le lecteur aux nombreux écrits de Bateman, Fonagy et
leurs collaborateurs, consacrés à la psychothérapie basée sur la mentalisation,
notamment les manuels de traitement pour les adultes souffrant de TPL publiés en
2004 et 2006 et le livre Mentalizing in Clinical Practice de J. G. Allen, P. Fonagy et A.
W. Bateman paru en 2008 pour plus de détails à cet égard.

[5] Nous référons ici à la conceptualisation de la mentalisation à partir de quatre


grandes dimensions : 1) cognitive vs affective, 2) soi vs autrui, 3) centrée sur les
caractéristiques internes vs externes et 4) explicite vs implicite. Elles sont conçues
comme des continuum bipolaires traduisant les différentes fonctions ou facettes
de la mentalisation. Il s’agit d’un outil utile à l’évaluation des forces et des faiblesses
d’un individu au niveau de sa capacité à mentaliser. Nous invitons le lecteur à
consulter le chapitre 1 pour une présentation détaillée de ce concept introduit par
Fonagy et Luyten (2009), repris par Fonagy, Bateman et Luyten (2012) ainsi que par
Debbané (2016b).

Plan

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Introduction

Préconiser une modalité thérapeutique individuelle axée sur la mentalisation :


pourquoi et pour qui ?
Principaux objectifs visés
Indications cliniques

Offrir une écoute aux parents : une condition essentielle à l’instauration d’un
processus thérapeutique individuel avec l’enfant

Principes directeurs orientant le travail thérapeutique individuel


L’adoption et le maintien d’une posture mentalisante par le thérapeute : un a priori
essentiel
Placer le jeu au cœur de l’intervention thérapeutique : une fenêtre ouverte sur l’expérience
subjective de l’enfant
Établir le contact avec l’enfant : la recherche d’une proximité optimale
S’intéresser ensemble à l’expérience de l’enfant : l’importance de l’attention conjointe
Imaginer les états mentaux de l’enfant et les faire exister : l’importance de la fonction
miroir du thérapeute
Incarner un contenant solide pour recevoir et valider les états mentaux difficilement
tolérables
Prendre sur soi les malentendus
Construire un lien de confiance avec l’enfant : au-delà de l’alliance, l’instauration d’une
confiance épistémique

Quelques techniques d’intervention privilégiées dans le travail thérapeutique


réalisé à partir du jeu de l’enfant
Décrire ce que fait l’enfant ou ce qui se passe au sein du jeu et introduire la possibilité
d’états mentaux sous-jacents
Souligner les répétitions et introduire la possibilité d’une intentionnalité
Explorer les intentions des différents personnages du jeu et celles de l’enfant
Explorer les affects des différents personnages du jeu pour s’approcher de ceux de l’enfant
Inviter l’enfant à construire un narratif (de jeu) précis et l’assister pour le faire
Lier différents aspects du jeu à l’expérience affective de l’enfant

Conclusion

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Auteurs
Julie Achim

Psychologue clinicienne et professeure agrégée au Département de psychologie de


l’Université de Sherbrooke (Canada). Elle enseigne l’évaluation et la psychothérapie aux
programmes de doctorat spécialisés en enfance et en adolescence qu’elle a contribué à
mettre en place. Elle est également professeure associée au Département de psychiatrie et
d’addictologie de l’Université de Montréal et chercheuse associée au Centre de recherche
du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-
Montréal (CIUSSS NIM, Canada). Ses travaux de recherche concernent principalement la
transition à la maternité, les relations précoces parents-enfants, leurs liens à l’adaptation
et à la psychopathologie chez l’enfant et ses parents ainsi que la capacité de mentalisation
et ses applications psychothérapeutiques.

Alain Lebel

Psychiatre d’enfants et d’adolescents à la clinique de pédopsychiatrie de l’Hôpital en Santé


Mentale Albert-Prévost du CIUSSS NIM, professeur agrégé de clinique au Département de
psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal et chercheur associé au Centre de
recherche du CIUSSS NIM (Canada). Il pratique la psychanalyse auprès d’adultes et la
psychothérapie auprès d’enfants et d’adolescents depuis de nombreuses années. Il s’est
spécialisé dans l’intervention clinique auprès des très jeunes enfants et de leurs parents.
Le travail en institution l’a amené à s’intéresser aux approches psychothérapeutiques
soutenant la capacité de mentalisation d’enfants présentant d’importantes difficultés ainsi
que celle de leurs parents.

Karin Ensink

Professeure titulaire à l’École de psychologie de l’Université Laval (Canada) où elle


enseigne la psychologie clinique au secteur enfance et adolescence. Elle a réalisé son
doctorat en psychologie sous la direction de Mary Target et Peter Fonagy à l’University
College of London (Royaume-Uni). Elle est internationalement reconnue comme experte
et formatrice dans le domaine du développement de la mentalisation chez l’enfant et
l’adolescent. Elle est l’une des auteurs du livre Mentalization Based Treatment for Children et
superviseure invitée pour la série de vidéos portant sur la mentalisation de l’APA. Elle est
superviseure et formatrice des thérapies basées sur la mentalisation. Ses travaux de
recherche portent notamment sur la fonction réflexive de mères de jeunes enfants.

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Isabelle Senécal

Psychologue clinicienne à la clinique de pédopsychiatrie de l’Hôpital en Santé Mentale


Albert-Prévost du CIUSSS NIM (Canada). Elle est également superviseure d’internes en
psychologie, issus de divers programmes de doctorat offerts par différentes universités
québécoises. Ses intérêts cliniques et scientifiques portent plus particulièrement sur la
parentalité, sur l’exercice de la psychothérapie auprès d’enfants en grande difficulté, sur le
travail clinique réalisé auprès des parents de ces enfants et sur les apports d’une approche
axée sur la mentalisation dans le cadre ce travail.

Mis en ligne sur Cairn.info le 15/10/2021


https://doi-org.lama.univ-amu.fr/10.3917/dbu.achim.2020.01.0139

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Chapitre 4. Le travail thérapeutique dyadique et


familial : un contexte favorable à la mentalisation
Claud Bisaillon, Diane A. Philipp, Renée Hould
Dans Mentaliser en contexte pédopsychiatrique (2020),
pages 115 à 137

Chapitre
Ce chapitre présente les modalités thérapeutiques dyadiques et familiales 1
développées pour les nourrissons, les jeunes enfants et leurs parents qui intègrent les
perspectives de mentalisation et d’attachement pouvant s’appliquer en contexte
pédopsychiatrique. Au cours des vingt dernières années, les approches dyadiques
incluant typiquement la mère et son bébé ou son jeune enfant ont été mises de
l’avant dans le but de favoriser l’accordage affectif et la sensibilité des parents aux
signaux de leur enfant (par exemple, Guidance interactive ; McDonnough, 1993 ;
Watch, Wait, and Wonder ; Muir, Lojkasek, & Cohen, 1999). Un point commun à ces
approches est de concevoir le jeu comme le langage des enfants et de l’utiliser afin
d’aider les parents à être plus sensibles aux signaux de ces derniers.

L’importance de la prise en compte du coparentage et des enjeux fraternels au sein 2


des traitements parents-bébés ou parents-jeunes enfants a également été mise en
lumière au cours des dernières années (Cornett & Bratton, 2014 ; McHale, Kuersten-
Hogan, Lauretti, & Rasmussen, 2000 ; Philipp, 2012 ; Talbot & McHale, 2004 ; Willis,
Haslam, & Bermudez, 2016), favorisant ainsi le développement de modalités
familiales.

Alors que l’efficacité de ces traitements dyadiques est bien documentée sur le plan 3
empirique, les données portant sur les interventions incluant toute la famille

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demeurent plus rares pour ce groupe d’âge. La thérapie basée sur la mentalisation
(TBM) appliquée au travail avec les familles fait maintenant partie des approches de
plus en plus utilisées, surtout celles auprès d’enfants d’âge scolaire (Asen & Fonagy,
2012 ; Keaveny et al., 2012 ; Midgley, Ensink, Lindqvist, Malberg, & Muller, 2017c).

Ces variantes des traitements offerts aux parents ayant de jeunes enfants constituent 4
une grande richesse et permettent de fournir ce que Stern (1995) propose de
concevoir comme différentes portes d’entrée dans le système familial, que ce soit via la
dyade, la triade ou la famille entière, permettant ainsi de répondre au plus près aux
besoins des enfants et de leur famille.

Deux modalités de traitement utilisant des techniques propres aux traitements basés 5
sur la mentalisation pour les familles avec des nourrissons et de jeunes enfants, chez
qui le langage est peu développé, seront présentées dans ce chapitre. Le jeu réflexif
familial (Reflective Family Play, RFP ; Philipp, 2012), une modalité thérapeutique
familiale basée sur le jeu, a été créé afin de pouvoir inclure les deux parents et la
fratrie, le cas échéant. Le RFP emprunte diverses composantes d’une modalité
thérapeutique répandue, Watch, Wait, and Wonder (3W ; Muir et al., 1999). Même si le
3W n’a pas été défini d’emblée comme une thérapie basée sur la mentalisation, mais
davantage comme un traitement basé sur l’attachement, il inclut plusieurs éléments
cliniques similaires à la TBM. Ainsi, nous débutons ce chapitre par la présentation du
3W pour illustrer sa pertinence afin de soutenir le développement de la capacité de
mentalisation parentale, mais également pour aider le lecteur à bien saisir les
origines du RFP.

Psychothérapie dyadique menée par l’enfant

Origines et principes de base


Dans le domaine de la psychopathologie développementale, la relation parent-enfant 6
(et plus particulièrement l’attachement) a été identifiée comme le système le plus
proximal à l’enfant, exerçant l’influence la plus importante sur la qualité de son
développement psychologique (Bronfenbrenner, 1979 ; Sroufe, 1988). À mesure que la
théorie de l’attachement s’est développée et que l’importance d’un attachement
sécurisant pour le nourrisson a été reconnue, l’intervention clinique a commencé à
intégrer des stratégies thérapeutiques visant à améliorer la sensibilité parentale et
l’accordage affectif parent-enfant (voir Bakermans-Kranenberg, van IJzendoorn, &
Juffer, 2003 pour une revue). Étant donné que la capacité de mentalisation du jeune
enfant se développe au sein de la relation d’attachement avec son parent et que c’est

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Chapitre 4. Le travail thérapeutique dyadique et familial : un contexte f... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

dans le cadre de cette relation privilégiée que ce dernier apprendrait à faire du sens
de son expérience interne (Fonagy, Steele, Moran, Steele, & Higgitt, 1991), le fait de
favoriser la mentalisation chez le parent permettrait de soutenir le développement
de cette capacité chez l’enfant.

Ainsi, le travail pionnier de Fraiberg, Adelson et Shapiro (1975) et leurs célèbres 7


fantômes dans la chambre d’enfant, même s’il s’est développé à partir d’un modèle
théorique psychanalytique, comporte des éléments de mentalisation, sans toutefois y
référer en ces termes. Ce type d’intervention demeure encore utilisé en clinique
pédopsychiatrique auprès de jeunes enfants et de leurs parents. Les difficultés
relationnelles du bébé avec sa mère sont perçues par ces auteurs comme des
reviviscences de souvenirs refoulés, voire traumatiques, chez la mère.
Conséquemment, un travail de différenciation soi-autrui, une dimension importante
de la mentalisation, est visé auprès de la mère et de la dyade. Le travail thérapeutique
consiste à aider la mère à distinguer ce qu’elle projette sur son bébé du bébé réel. En
se servant notamment de la technique « parler pour le bébé », la thérapeute peut
aider la mère à considérer l’expérience de l’enfant comme étant distincte de la
sienne. À titre illustratif, une mère pourrait percevoir que son enfant en détresse la
rejette et cette perception pourrait être issue d’une expérience passée de rejet de la
part de sa propre mère. La thérapeute, assise au sol avec la mère, le bébé et les jouets,
pourrait cibler un moment où le bébé rampe vers sa mère, et en profiter pour parler
pour le bébé : « Oh, maman, je suis tellement contente d’être avec toi, j’ai envie de
ramper vers toi pour recevoir un câlin ! » En parlant ainsi pour le bébé, la thérapeute
propose une compréhension en mentalisant explicitement ce qui pourrait se passer
chez le bébé à ce moment, comme si elle « prêtait » alors sa propre capacité réflexive à
la mère de l’enfant. Cette prise de conscience chez la mère de l’expérience de son
bébé à son égard pourrait mener à une discussion à propos de la difficulté de la mère
à percevoir son nourrisson comme étant dépendant d’elle, compte tenu de sa propre
expérience avec sa figure maternelle, mais peut-être aussi comme un individu à part
entière, différent d’elle.

La Guidance interactive, développée dans les années 1990 (McDonnough, 1993), 8


propose d’aider les parents à réfléchir au sens des comportements et à l’expérience
de leur enfant et à la leur à l’aide de vidéos d’interactions. Dans ce modèle, un parent
est invité à jouer avec son bébé et l’interaction est enregistrée sur bande vidéo. Faute
de pouvoir procéder à un narratif précis des situations comme le préconise l’une des
techniques de la TBM, la thérapeute sélectionne ensuite des extraits du jeu
permettant de souligner les forces et éventuellement les difficultés du parent, selon le
stade du traitement ou la capacité de ce dernier à les tolérer. Les extraits vidéo sont
présentés au parent en sollicitant ses observations et ses réflexions : qu’est-ce que le

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parent observe, que se passe-t-il chez l’enfant selon lui, que se passe-t-il chez lui et
quelle est sa compréhension de leur interaction ? Le thérapeute peut aussi proposer
sa compréhension de l’interaction et de l’expérience de l’enfant, mettant sa propre
capacité de mentalisation au service de la discussion. D’un extrait à l’autre, la
thérapeute et le parent travaillent conjointement de manière à faciliter
l’identification du parent à son enfant en générant diverses hypothèses quant à son
expérience interne et ainsi mieux considérer et comprendre ce qui habite et anime
son enfant. Sans le nommer ainsi, l’intérêt pour les états mentaux des uns et des
autres est alors à l’avant-plan et contribue à la mentalisation de l’expérience. Dans ce
contexte, c’est à nouveau la différenciation soi-autrui qui permettra à l’enfant, à
travers le jeu, de se vivre distinct mais en lien avec son parent, enrichissant ainsi la
relation parent-enfant au quotidien.

Le programme Minding the Baby (MTB) développé par Slade et ses collègues (2013, 9
2015) est une intervention préventive dispensée à domicile conçue explicitement
pour répondre aux besoins concrets des mères et pour cibler leur capacité de
mentalisation parentale. Ces mères à haut risque évoluent dans un environnement
psychosocial défavorable et constituent une population chez qui cette capacité est
souvent peu développée. Plusieurs composantes clés de la TBM en font partie,
incluant la validation de l’expérience du parent, non seulement pour promouvoir
l’empathie mais aussi pour encourager la flexibilité cognitive qui permet de passer
d’idées rigides concernant les motivations d’autrui à des possibilités plus nuancées à
propos de ce qui se passe chez l’enfant et chez soi. Alors que le but de Slade et de ses
collègues est d’améliorer le fonctionnement psychologique de l’enfant, cette
intervention préventive réalisée auprès de la mère vise principalement ses
perceptions de son enfant ; le jeu n’est pas une partie intégrante de ce travail (Barlow
& Schrader-McMillan, 2010).

Bien que le 3W ne soit pas défini explicitement comme une thérapie basée sur la 10
mentalisation et conséquemment n’est pas présentée comme une forme de TBM, il
est ancré dans une perspective relationnelle d’attachement, issue des modalités de
psychothérapie dirigée par l’enfant (Child-lead Psychotherapy), proposées initialement
par Mahrer, Levinson et Fine (1976). Le travail thérapeutique est basé sur l’observation
du jeu de l’enfant et sur le processus de réflexion suscité chez le parent à partir de ces
observations. La séquence de questionnement du thérapeute repose sur le principe
selon lequel les états mentaux de l’enfant et du parent exercent une influence
réciproque (Philipp & Hayos, 2013). En effet, le thérapeute demande d’emblée au
parent de parler de ses observations du jeu de l’enfant et le questionne sur les états
mentaux de celui-ci, ensuite sur les siens, et finalement sur l’impact de ses propres
états mentaux sur ceux de son enfant. Au sein du 3W, les symptômes du bébé, qui

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peuvent prendre la forme de difficultés d’alimentation, de sommeil et de régulation


émotionnelle, sont considérés comme des manifestations visibles d’une détresse
relationnelle.

Le 3W comporte deux parties distinctes : 11

1. Une période de jeu : Le parent reçoit la consigne de suivre l’enfant dans son jeu et
le thérapeute est observateur de la dyade. Ce contexte vise à permettre à
l’enfant de se comporter de façon spontanée ; il est supposé que ce dernier
mette alors en scène les désirs et les conflits relationnels qui l’habitent (Muir et
al., 1999). Le thérapeute propose au parent de se demander ce qui peut se passer
chez l’enfant, ce que ce dernier peut tenter de communiquer à propos de son
monde interne à travers le jeu et également d’être attentif à ce qui peut
émerger chez lui-même.
2. Une période de discussion : Le thérapeute vise à stimuler la capacité de
mentalisation du parent en recueillant les observations de ce dernier
concernant l’enfant pendant la période de jeu. Le rôle du thérapeute est alors
de suivre le parent (comme il était demandé au parent de suivre son enfant
dans la période de jeu), à partir des observations et inférences de ce dernier à
propos de l’expérience de l’enfant, ses émotions et ses pensées, de même que sa
propre expérience en lien avec ces observations et inférences.

Le jeu est considéré en soi comme thérapeutique (Axline, 1955 ; Bossé, 2008 ; Midgley 13
et al., 2017c). Le mécanisme par lequel il exerce cet effet thérapeutique n’est pas bien
défini, mais le fait qu’il favorise des moments d’échanges agréables permettrait aux
membres de la famille d’expérimenter de nouveaux modes d’interactions, dans le
contexte contenant et sécuritaire de la psychothérapie (Philipp, 2012). De même, le
plaisir partagé est thérapeutique en soi (Fivaz-Depeursinge & Philipp, 2014), plaisir
évoqué par Stern (2004) comme les now moments ou moments de présence et par
Lyons-Ruth et al. (1998) comme des moments de rencontre visant l’unisson (knowing
how to be together moments of meetings). Le jeu partagé contribue ainsi à instaurer un
contexte favorable à l’empathie des parents à l’égard de l’enfant, à leur identification
à lui et, par le fait même, à la mentalisation de son expérience. Les parents sont en
effet invités à se mettre à la place de leurs enfants tout en considérant leurs états
mentaux mutuels comme étant distincts.

Vignette clinique issue d’une séance de 3W : la maman


Cendrillon
Suite à l’évaluation de cette dyade, Sandrine, une jeune mère âgée de 20 ans et sa fille 14
Alice de 18 mois, nous en sommes arrivées à la formulation suivante, à savoir que

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Sandrine avait le sentiment de se comporter comme une « carpette » face à sa fille et


qu’elle souhaitait travailler cet aspect de la relation entre elles. Un résumé du jeu mis
en scène par l’enfant lors de cette séance sera suivi d’une présentation détaillée des
techniques thérapeutiques utilisées auprès de cette dyade durant la deuxième partie
de la séance.

Période de jeu
Alice explore les jouets au sol, montrant à sa mère (et à la thérapeute) ce qu’elle découvre. Elle 15
babille joyeusement et sa mère lui décrit chaque jouet – son nom ou sa fonction. Après 10
minutes, Alice quitte le tapis où se trouvent les jouets pour se diriger vers l’autre côté du
bureau et explorer le verrou du classeur s’y trouvant. Sa mère la rejoint et Alice revient alors
vers le tapis et les jouets. Elle semble un peu désorganisée et s’approche ensuite de sa mère
pour lui faire un câlin. Sur les genoux de sa mère, Alice pointe une poupée. Sa mère tend la
main vers la poupée et la lui donne, en déclarant : « Tu es mon bébé, et c’est ton bébé. » Vers la
fin de la période de jeu, Alice semble pointer vers la porte et la thérapeute s’interroge quant au
souhait de l’enfant de quitter la pièce. Au terme de la période de jeu, Alice frappe du bout des
doigts les yeux de la poupée et sa mère lui dit : « Tu dois être douce avec les yeux du bébé. » La
thérapeute interrompt l’interaction pour commencer la période de discussion et de réflexion de
la séance.

Afin de mieux saisir comment favoriser la mentalisation à partir de cet échange, il est 16
utile de se référer à la roue de mentalisation initialement développée par Keaveny et
ses collègues (2012) et, fréquemment utilisée dans le cadre de la TBM. Ce diagramme,
bien que ne faisant pas traditionnellement partie de la présentation usuelle du 3W, a
été adapté à ce contexte par Philipp (2017), tout comme d’autres auteurs l’ont fait
précédemment pour d’autres traitements tels que le programme MTB (Slade, 2017).
Plus précisément, la thérapeute commence la deuxième partie de chaque séance en
demandant au parent : « Qu’avez-vous remarqué aujourd’hui dans le jeu ? » Certains
parents commencent par une observation à propos de leur enfant tandis que d’autres
rapportent d’abord une observation à propos d’eux-mêmes. Les deux figures plus bas
offrent un modèle de référence, selon la façon dont le parent commence ses
observations. Le déroulement de la discussion sera analysé en s’y référant.

Observation du jeu

Figure 4.1. Roue de mentalisation : observation de l’enfant dans


le jeu

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*ou dans l’immédiat, mais avec parcimonie

Figure 4.2. Roue de mentalisation : observation de soi (parent)


dans le jeu

*ou dans l’immédiat, mais avec parcimonie

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Ainsi, indépendamment de ce que le parent rapporte d’emblée comme observation 17


suite à la période de jeu lors du 3W, le thérapeute cherche à suivre cette observation et
à soutenir son élaboration par une série de questions qui aident le parent à focaliser
son attention à la fois sur l’expérience de l’enfant et sur la sienne à ce moment. Si le
parent débute par une observation concernant le jeu de l’enfant, le thérapeute lui
demande ce qui pouvait se passer chez l’enfant à ce moment. Autant que faire se
peut, le thérapeute cherche ensuite à valider les propos du parent. Comme dans les
autres formes de traitement basées sur la mentalisation, la validation est un élément
important car elle permet aux parents de se sentir compris et facilite ensuite la
considération d’hypothèses alternatives à propos de leur enfant, qui pourront être
également validées par le thérapeute, ceci illustrant le bas de la roue de
mentalisation. Le thérapeute explorerait alors l’autre partie de l’équation : Quelle
était l’expérience du parent à ce moment du jeu ? À l’aide de la validation ici aussi, le
parent peut-il ensuite générer d’autres hypothèses à propos des ses propres
motivations ? Une fois que les mondes internes de l’enfant et du parent ont été
explorés en profondeur, le thérapeute peut ensuite demander au parent comment il
comprend leur interaction maintenant. Dans chaque situation, le thérapeute et le
parent peuvent avancer sur la roue ou revenir en arrière, mais le plus important
demeure de tenter de générer des hypothèses à propos de l’expérience de l’enfant et
du parent pendant le jeu. Ces hypothèses peuvent ensuite être liées à leurs
interactions quotidiennes ainsi qu’au motif de consultation. Un bénéfice secondaire
de la validation est que celle-ci facilite la discussion de nouvelles observations,
comme nous le verrons dans la situation de Sandrine.

Discussion
La transition vers la partie discussion est interrompue par un moment de tension 18
entre Alice et sa mère où Sandrine exprime tout haut ne pas savoir si Alice veut
vraiment boire ou non et Alice, une fois installée pour la tétée, frappe sa mère à la
poitrine à répétition. La thérapeute lui demande alors : « C’est un moment compliqué
pour vous deux. Qu’est-ce vous pensez qui se passe pour elle en ce moment ? »
Sandrine répond : « Je pense qu’elle est trop fatiguée. Elle n’a pas fait de sieste
aujourd’hui. » La thérapeute hoche la tête. Alice finit par boire brièvement puis
semble s’installer sur le tapis et reprendre le jeu.

Figure 4.3. Quatrième et premier quadrant : observation de


l’enfant dans le jeu

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Prenons un moment pour situer la thérapeute et la mère sur la roue de 19


mentalisation. Il est important de souligner que la mère bénéficie de séances
individuelles depuis plusieurs séances déjà avec la même thérapeute et qu’ainsi, cette
dernière considère qu’elle peut valider rapidement la mère (« C’est un moment
compliqué pour vous deux ») et puis demander à la mère de mentaliser sa fille : « Que
pensez-vous qu’il se passe pour elle en ce moment ? » Évidemment, il ne s’agit pas
d’une observation de leur jeu, mais plutôt une observation de ce qui se passe dans l’ici
et maintenant. Et techniquement, la thérapeute ne suit pas l’initiative de la mère ici.
Toutefois, une telle intervention permet à la mère de se libérer d’un moment
conflictuel avec sa fille et de la percevoir comme étant simplement fatiguée. La
thérapeute valide ensuite, avec un simple hochement de tête signifiant son accord, sa
compréhension de l’explication de la mère, ce qui leur permet de poursuivre en
observant le jeu. Les observations dans l’ici et maintenant peuvent se produire en
3W, mais elles doivent être utilisées de façon parcimonieuse et judicieuse afin de
garder le focus sur le jeu qui s’est déroulé lors de la première partie de la séance.

L’observation initiale de Sandrine est que la portion jeu lui est apparue inconfortable. 20
La thérapeute reflète ainsi la situation : « Ouais, c’est bizarre, être ici, observées, tout
ça. » Sandrine déclare ensuite qu’Alice était « plus intéressée à vous montrer les
jouets qu’à moi », ce qui n’était pas l’impression de la thérapeute. Dans cette
succession rapide d’idées, elle ajoute enfin (3e observation) considérer ce style de jeu
comme un peu ennuyeux. La thérapeute lui reflète alors : « C’est correct. Ce que je
vous demande de faire ici, c’est un peu spécial. Vous avez tellement d’idées créatives
alors oui c’est vrai, les parents disent souvent que ça peut être ennuyant. » Sandrine
répond timidement : « En fait, nous regardons beaucoup la télévision à la maison. Je
me sens coupable à ce sujet. Je ne pensais pas que j’allais être ce genre de mère. » La
thérapeute hoche la tête avec empathie (validation).

Figure 4.4. Premier quadrant : observation de soi dans le jeu

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La première observation de Sandrine à propos du jeu porte en fait sur elle-même, 21


« Ouais, c’est bizarre, être ici, observées, tout ça », ce qui nous situe sur la roue de
mentalisation « Observation de soi pendant le jeu ». La thérapeute valide
immédiatement l’expérience de la mère. Au cours des premières séances de 3W, les
parents émettent souvent des commentaires à propos du contexte et de leur
expérience de ces particularités et les thérapeutes tentent d’anticiper ces
commentaires en les familiarisant avec l’aspect « peu naturel » du modèle avant le
début du traitement. Toutefois, ce type de commentaires demeure fréquent. Malgré
que cela n’a pas mené à de nouvelles hypothèses à propos des états mentaux de sa
fille ou d’elle-même, cette validation semble aider Sandrine à partager rapidement
deux autres observations. La thérapeute garde en tête le deuxième commentaire
concernant le fait qu’Alice était « plus intéressée à vous montrer les jouets qu’à moi ».
La troisième observation de Sandrine, à savoir qu’elle trouve ce style de jeu un peu
ennuyeux, consiste également en un commentaire sur le contexte. La thérapeute la
valide tout comme elle l’a fait pour la première observation. Ceci amène Sandrine à
confier qu’elle regarde trop la télévision et la thérapeute hoche la tête avec empathie
(validation à nouveau). Une autre option serait d’explorer davantage ce lien avec la
réalité externe, mais la thérapeute préfère la ramener au jeu, soit à sa seconde
observation.

La thérapeute propose à Sandrine : « Je veux revenir à votre deuxième observation 22


où, selon vous, Alice semblait plus intéressée à me montrer les jouets plutôt qu’à
vous. » Cela déclenche une discussion riche en informations relatives aux
inquiétudes de Sandrine à savoir qu’Alice « est si indépendante qu’elle n’a pas du tout
besoin de moi. Je n’ai même pas besoin d’être ici ; je suis jetable. » La thérapeute
reflète alors : « C’est compliqué. D’un côté vous avez pour instruction de suivre votre
enfant, et pourtant vous avez ces sentiments mitigés d’être inutile ou pas nécessaire,
en même temps que vous vous sentez un peu ennuyée. » La discussion conduit
Sandrine à admettre qu’elle avait, en partie, voulu un bébé pour pouvoir ressentir un
amour inconditionnel. Sa propre mère avait temporairement cessé de lui parler
lorsqu’elle lui avait avoué sa grossesse. Après un moment, la thérapeute souligne à
quel point sa propre mère est présente dans la discussion.

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Figure 4.5. Quatrième quadrant : observation de l’enfant dans


le jeu

Alors que la thérapeute a ramené Sandrine à sa seconde observation, concernant à 23


quel point « Alice semblait plus intéressée à vous montrer les jouets plutôt qu’à moi »,
la discussion s’est reportée à nouveau sur des liens avec l’extérieur de la séance. La
mère note : « Alice est si indépendante », et réfère même au passé, ajoutant que sa
propre mère l’avait rejetée au début de la grossesse. La thérapeute l’a écoutée avec
empathie, affichant une posture intéressée et curieuse à propos de l’expérience de
Sandrine. Cette forme d’écoute est à nouveau une validation qui permet à la
thérapeute et à la mère d’approfondir la discussion. Avant de la ramener au jeu de
l’enfant, la thérapeute souligne avec empathie la présence de la mère de Sandrine
dans son esprit au cours de la séance. Puis, elle la ramène une nouvelle fois au jeu et à
ses observations. Sandrine mentionne que vers la fin du jeu, elle a perçu qu’Alice
voulait partir. Lors de sessions individuelles précédentes, alors que la mère était
parfois accompagnée d’Alice, la thérapeute avait également observé que la petite
allait vers la porte. Sandrine a toujours eu l’impression qu’Alice voulait quitter à ces
moments-là, n’ayant possiblement pas suffisamment d’attention. Sa blessure ou son
irritation sont perceptibles dans sa voix alors qu’elle décrit, même aujourd’hui, que
malgré le fait qu’elle fasse l’objet de toute son attention au cours de la première
partie, Alice avait toujours envie de quitter la pièce.

Figure 4.6. Premier quadrant : observation de l’enfant dans le


jeu

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La thérapeute explore : « Dites-m’en plus. Vous avez pensé qu’elle voulait partir ? 24
C’est un peu contrariant : vous étiez là, lui donnant toute votre attention, et vous
aviez l’impression qu’elle voulait partir. » Après une pause, elle enchaîne : « Je me
demande si nous pouvons considérer d’autres possibilités. Qu’est-ce qui se passait
pour elle à votre avis ? Peut-être qu’elle voulait vraiment quitter, ce qui est
effectivement une possibilité. Comme nous faisons rarement les choses pour une
simple raison, et, bien sûr elle ne peut pas nous dire elle-même ce qui se passait pour
elle, je me demande si nous pouvons envisager d’autres hypothèses ? »

Sandrine commence avec une observation à caractère mentalisant : « Alice voulait 25


partir. » La thérapeute avait aussi pensé qu’Alice voulait partir, mais elle a maintenu
une posture de curiosité sans se ranger vers cette unique hypothèse. Ce choix est un
exemple important illustrant comment la thérapeute suit l’initiative du parent, sans
imposer ses propres hypothèses, qui pourraient être justes, mais qui pourraient
également provenir de sa propre histoire. Elle valide plutôt les émotions qu’elle
perçoit à partir du ton visiblement irrité de Sandrine. La thérapeute reflète
simplement ce que Sandrine a dit, ajoutant quelques mots à propos de l’irritation ou
de la blessure qu’elle semble percevoir dans la voix de Sandrine (« C’est un peu
contrariant ») pour valider son expérience. La thérapeute fait une pause après cette
validation, afin de laisser le temps à Sandrine de s’autoréguler sur le plan affectif. La
thérapeute insiste un peu, demandant à Sandrine si d’autres possibilités pourraient
expliquer le comportement d’Alice à ce moment du jeu, sentant que cette question
pouvait susciter de l’activation chez Sandrine. Rappelons que la thérapeute avait
aussi pensé qu’Alice voulait quitter la pièce, mais elle ne l’a pas dit. Elle a simplement
validé l’expérience de la mère. Avec cette validation, la blessure de Sandrine semble
moins vive et elle devient plus disponible pour considérer d’autres possibilités. Cette

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technique de validation face à l’activation émotionnelle permet au parent de passer


d’une rigidité cognitive à propos des intentions de sa fille (« Ma fille veut me
quitter »), à une plus grande flexibilité.

Sandrine réfléchit un instant, puis dit : « D’accord. Peut-être qu’elle voulait juste 26
explorer cette partie de la salle. Je l’avais déjà suivie de ce côté-là quand elle est allée
au classeur, alors… Peut-être que ce sont seulement mes sentiments irrationnels
habituels et mes craintes qu’elle souhaite me quitter. Qu’elle n’a pas besoin de moi. »
« Eh bien, vous vous retrouvez rapidement aux prises avec de tels sentiments.
Maintenant, vous pensez qu’il existe une deuxième possibilité. Elle souhaitait peut-
être simplement explorer à nouveau ce côté de la pièce avec vous. » « Ouais, peut-
être. »

Cette séance s’est terminée sur ce moment où Sandrine a mentalisé à propos de son 27
expérience et de son sentiment d’abandon. Encore une fois, la thérapeute a surtout
reflété ce qu’elle avait entendu, ajoutant qu’elle se retrouvait facilement aux prises
avec de tels sentiments. Cette ouverture à explorer davantage a mené aussi la
thérapeute à envisager une hypothèse alternative.

Figure 4.7. Deuxième quadrant : observation de l’enfant dans le


jeu

Posture du thérapeute
Au sein du 3W, le thérapeute adopte essentiellement une attitude d’observateur 28
bienveillant, en plus de la curiosité préconisée par la TBM. En effet, il assiste à la
période de jeu sans interférer, se plaçant physiquement un peu à l’écart de la dyade.
Lors de la période de discussion, une attitude d’abstinence est préconisée chez le
thérapeute, se basant sur le principe que le parent abordera uniquement le matériel
qu’il est en mesure de traiter (Muir et al., 1999). Cette posture est également au reflet
de celle qui est proposée au parent, soit de suivre son enfant. Au cours de cette
période, le thérapeute suit en effet le parent au fil de ses observations. Ainsi, la

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discussion s’effectue uniquement à partir des observations du parent. Cette posture


peut différer passablement de ce qui est privilégié au sein de la TBM traditionnelle,
où le thérapeute se permet d’être plus actif et d’apporter ses propres observations,
voire de « challenger » délicatement le parent en proposant d’autres hypothèses à
envisager et également de souligner sa propre expérience au sein de l’interaction.
Ceci peut être particulièrement ardu pour le thérapeute qui ne peut nommer des
changements positifs qu’il aurait notés, par exemple, alors que le parent rapporte
d’emblée « n’avoir rien vu de particulier chez son enfant aujourd’hui », ou qui ne peut
rectifier l’observation d’un parent intrusif ou directif qui rapporte que « suivre l’enfant
est très facile pour lui ». Néanmoins, la répétition de cette technique séance après
séance favorise généralement un changement de discours et de comportement chez
le parent autant lors de la période de jeu qu’au moment de la période de discussion. Il
est postulé que ce changement est lié aux séquences de mentalisation proposées par
le biais de la directive de suivre leur enfant, suivie de questionnements quant à leurs
observations. De plus, lorsque le parent se sent validé par le thérapeute concernant
ses premières hypothèses de façon répétée, ce type d’échange au fil des séances, de
pair avec le jeu, permet à la relation de se modifier et aux symptômes de s’atténuer.
Les parents se sentent plus confiants dans leur rôle et l’attachement de l’enfant
devient plus sécurisant (Cohen, Lojkasek, Muir, Muir, & Parker, 2002).

Par rapport à d’autres modalités d’inspiration psychodynamique, la consigne au 29


thérapeute de ne pas introduire d’élément n’ayant pas été initialement soulevé par
un parent, même si le thérapeute a été témoin d’une observation jugée importante,
de même que le recours minimal aux interprétations, peuvent être ressentis comme
des contraintes notables. Cette posture peut être plus particulièrement mise au défi
lorsqu’un parent s’oppose à une proposition de jeu de l’enfant par exemple, ou encore
lorsqu’il se met à diriger l’interaction avec ce dernier de façon marquée,
contrairement aux consignes présentées, sans ensuite revenir sur ces éléments lors
de la discussion. Malgré ces contraintes, le thérapeute encourage lors de la
discussion les inférences du parent à propos des états mentaux de l’enfant pendant le
jeu précédent et parfois, le questionne à ce sujet dans l’ici et maintenant, comme
dans l’exemple de Sandrine et Alice lors de la transition vers la discussion.

Indications et contre-indications
Cette modalité est préconisée pour traiter les difficultés relationnelles ou 30
d’attachement au sein de la dyade qui se manifestent souvent par des difficultés
relatives à l’alimentation, au sommeil ou à la régulation chez l’enfant. Bien qu’elle
implique un seul parent, son efficacité nécessite toutefois l’assentiment de l’autre
parent, le cas échéant, car l’équilibre du système familial sera affecté.

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Le 3W nécessite d’emblée une certaine capacité de mentalisation chez le parent. 31


Dans certains cas, les séances d’évaluation initiales permettent de faire émerger des
capacités de mentalisation qui apparaissaient faibles au premier abord. Cependant
si, malgré l’invitation à un processus réflexif, le parent continue de demander des
conseils ou des directives suite au processus d’évaluation, cette approche n’est pas
recommandée, car cela va à l’encontre de ses principes de base. Un degré insuffisant
de mentalisation peut nécessiter d’opter plutôt pour une modalité par rétroaction
vidéo, telles la guidance interactive (McDonough, 1993) ou l’intervention relationnelle
(Larin, St-Georges, Jacques, Otis, & Desaulnier, 2006), qui offrent un appui
supplémentaire au regard sur soi et sur l’enfant via le visionnement de séquences
très brèves choisies par la thérapeute. Ces modalités offrent l’avantage de soutenir
plus activement un parent dévalorisé ou déprimé qui n’est pas en mesure de
percevoir ses forces ni ses ressources et le support visuel peut compenser pour la
difficulté de générer des observations et des hypothèses de façon rétrospective. Des
moments d’interaction plus difficiles peuvent parfois être explorés avec le parent
dans un deuxième temps, lorsque celui-ci peut mieux les tolérer. L’accès aux caméras
dont les tablettes et les ordinateurs portables sont maintenant dotés contribue
également à rendre ces modalités très pertinentes pour intervenir à la maison. Quant
à l’intervention relationnelle, celle-ci a été proposée principalement pour des enfants
suivis par les centres de protection de l’enfance.

Le Jeu réflexif familial

Origines et principes de base


Le jeu réflexif familial (RFP, Reflexive Family Play) a été développé par Philip et Hayos 32
(2013) comme nouvelle approche permettant d’intégrer deux parents au traitement
des jeunes enfants. L’objectif du RFP est de poursuivre dans la même veine que les
traitements dyadiques actuels visant à améliorer la mentalisation au sein de la
famille en ciblant la mentalisation, soit principalement celle des enfants par les
parents et également en améliorant la relation coparentale et au sein de la fratrie. À
l’instar du 3W, le RFP met aussi l’accent sur les réflexions des parents à propos de ce
qui se passe chez les enfants pendant la période de jeu comme point de départ afin
d’explorer différentes séquences interactives prenant en compte les états mentaux de
chacun.

Le jeu trilogique de Lausanne (Lausanne Trilogic Play, LTP ; Fivaz-Depeursinge & 33


Corboz-Warnery, 1999) est un paradigme de jeu semi-structuré, développé afin
d’évaluer l’alliance familiale, mais est également inclus comme protocole au sein de

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différents milieux de soins pour l’évaluation clinique des jeunes enfants et de leur
famille (Fivaz-Depeursinge & Philipp, 2014). Les études portant sur le LTP montrent
que lorsque les parents sont en mesure de travailler ensemble et que l’alliance
familiale est solide (parentage défini comme coordonné), les enfants sont davantage
en mesure de saisir les intentions d’autrui (théorie de l’esprit) que les enfants élevés
dans des familles caractérisées par les conflits parentaux et le non-respect des
frontières (Favez et al., 2012). Étant donné que la théorie de l’esprit et la
mentalisation se chevauchent sur le plan conceptuel quant aux aspects cognitifs, il
semble que le parentage coordonné pourrait favoriser la capacité de mentalisation
chez l’enfant. Face à deux parents, l’enfant a également l’occasion de vérifier auprès
d’une autre personne sa compréhension des intentions d’autrui. Si, par exemple, un
père se met à faire des grimaces, ce dernier peut regarder la mère, qui rit alors.
L’enfant comprend que si maman rit de ce que papa fait en ce moment, papa doit
avoir l’intention d’être drôle lorsqu’il adopte cette expression bizarre avec son visage ;
il apprend au sujet des intentions de son papa en observant les réactions de sa mère.

Bien que le LTP ait été utilisé à l’origine afin d’offrir de la rétroaction aux familles en 34
consultation (Fivaz-Depeursinge, Corboz-Warnery, & Keren, 2004 ; Fivaz-
Depeursinge & Philipp, 2014), il s’agit de brèves interventions, qui n’incluent
habituellement pas les enfants et qui sont centrées principalement sur le
fonctionnement du système familial plutôt que sur la capacité de mentalisation.

Alors qu’il a été démontré que les traitements dyadiques étaient pertinents pour une 35
proportion importante de familles consultant en pédopsychiatrie pour des
nourrissons et des jeunes enfants présentant des symptômes cliniques, l’importance
de prendre en compte le système familial est également devenue de plus en plus
évidente, notamment pour l’évaluation des difficultés que présentent l’enfant et sa
famille (Dickstein et al., 1998 ; Philipp, Hervé, & Keren, 2008). L’émergence de la
coparentalité en tant qu’autre facteur important de succès thérapeutique est
également venue appuyer davantage cette perspective (Backermans-Kranenberg et
al., 2003 ; McHale et al., 2000 ; Talbot & McHale, 2004). De plus, l’inclusion de la
fratrie, le cas échéant, peut permettre un travail thérapeutique avec ce sous-système,
notamment au niveau des enjeux inévitables de rivalité et du nécessaire partage des
ressources parentales (Adler, 1927), surtout chez les enfants plus vulnérables (Volling,
2012 ; Volling et al., 2017). Malgré certaines études de cas rapportées dans la
documentation consacrée à la thérapie familiale impliquant de très jeunes enfants,
aucune approche ou modèle structuré pour ce type de travail avec cette population
n’était disponible (Philipp, Cordiero, & Hayos, 2018).

Déroulement d’une séance de RFP

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Le RFP débute par un jeu semi-structuré qui comprend quatre phases distinctes 36
suivies d’une discussion et d’une réflexion à propos du jeu avec le thérapeute. En fait,
les quatre phases sont adaptées du LTP, avec l’ajout des instructions aux parents de
suivre les initiatives des enfants. De plus, dans la phase 4, les parents sont invités à
réfléchir sur le jeu et sa signification pour les enfants et pour eux en tant que
coparents. Les instructions données aux parents vont comme suit : « Dans la
première phase, l’un de vous va jouer avec les enfants, en suivant leurs initiatives,
tandis que l’autre parent sera simplement présent. Dans la deuxième phase, lorsque
vous vous sentirez prêts, vous pouvez changer de rôles et le parent qui était
simplement présent va maintenant jouer avec les enfants, suivant leurs initiatives,
alors que le parent qui était actif lors de la phase 1, sera tout simplement présent.
Dans la troisième phase, encore une fois, lorsque vous vous sentirez prêts pour la
transition, vous allez jouer tous ensemble, en suivant les initiatives de vos enfants.
Essayez de trouver une activité ou un jeu qui permet à toute la famille de partager un
moment ensemble. Dans la quatrième phase, lorsque vous vous sentirez prêts pour la
transition, vous, les deux parents, allez réfléchir sur le jeu et sa signification pour vos
enfants et pour vous comme coparents. Vos enfants peuvent faire ce qu’ils veulent,
tant qu’ils sont en sécurité. Signalez-moi quand vous avez complété les quatre
phases. Le jeu complet devrait durer environ 20 minutes. »

Un matériel de jeu varié est mis à la disposition de la famille. Les séances sont 37
habituellement enregistrées sur vidéo. La séquence de jeu est suivie d’une discussion
avec le thérapeute. En sa présence, la famille, et surtout les parents, sont invités à
explorer leurs observations à propos du jeu en proposant des extraits vidéo à
visionner. Les enfants sont présents et peuvent contribuer à la discussion. Celle-ci
porte sur les observations des parents à propos de l’expérience des enfants mais
également sur les liens entre ces expériences et les interactions familiales.
Typiquement, un bloc de 5 à 10 séances est proposé à la famille, suivi d’une séance de
bilan et d’un bloc supplémentaire au besoin.

Vignette clinique : La princesse au petit pois


Lili, âgée de trois ans, est référée à la clinique pédopsychiatrique avec une 38
symptomatologie de mutisme sélectif, des troubles du sommeil et une anxiété de
séparation qui culmine avec des crises explosives au départ de la maison vers la
garderie. La famille nucléaire se compose des deux parents, de Lili et Léo qui est âgé
de huit ans.

Le RFP est proposé à la famille, de pair avec une psychothérapie individuelle pour 39
l’enfant. Il est souhaité qu’en stimulant les capacités de mentalisation des parents, la

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symptomatologie de Lili diminue. Ce traitement vise également à permettre aux


parents de travailler ensemble de façon plus constante en tant que « sous-système
exécutif » (Minuchin, 1974), c’est-à-dire faisant équipe afin de guider la famille et de
prendre les décisions importantes. Ceci peut sembler un peu contradictoire étant
donné que nous préconisons que les parents suivent l’initiative des enfants, mais ce
qui est implicite dans les instructions du RFP est que les parents doivent mener la
famille à travers les quatre phases du jeu. Toutes ces transitions nécessitent que les
parents se coordonnent entre eux en tant que chefs de la famille, tel que décrit par
Minuchin (1974) dans son travail sur la thérapie familiale structurelle. Cette
composante structurelle ou systémique est unique au RFP et s’ajoute aux
composantes des modalités basées sur la mentalisation développées pour les
modalités dyadiques.

À la différence du 3W, une composante additionnelle du RFP repose sur l’utilisation 40


de la vidéo pour appuyer la réflexion. Il ne s’agit toutefois pas de rétroaction vidéo,
comme c’est le cas d’autres interventions visant le coparentage (Fivaz-Depeursinge et
al., 2004 ; Iles, Rosan, Wilkinson, & Ramchandani, 2017 ; McHale & Irace, 2010). En
effet, le thérapeute ne sélectionne pas d’extraits pour les faire visionner aux parents.
Il suit plutôt l’initiative de ces derniers lors de la discussion à propos des
observations du jeu lors de la séance et, lorsque pertinent, les parents peuvent
décider de visionner un extrait.

Nous proposons à la famille de Lili un premier bloc de dix séances avec des bilans à 41
mi-parcours et à terme. Les étapes et consignes du RFP sont expliquées au préalable
aux parents de même que le rôle du thérapeute qui, dans la discussion, favorisera le
processus de mentalisation des parents.

Phases de jeu
De façon générale, il s’est avéré difficile pour les parents d’intégrer les deux enfants 42
dans les phases 1 et 2. Les parents avaient plutôt tendance à jouer en alternance avec
chacun des enfants, pendant que l’autre parent était simplement présent. Lors de la
phase 3, où toute la famille est supposée jouer ensemble, une division survenait,
chaque parent jouant avec un enfant. À mesure que les séances ont progressé, la
famille a pu trouver des façons de jouer tous ensemble.

Deux thèmes ont émergé au cours du traitement. Tout d’abord, la mère rapportait sa 43
difficulté à vivre des moments de plaisir avec ses enfants, en plus de percevoir que le
père avait beaucoup plus de facilité à cet égard. Ensuite, les parents n’arrivaient pas à
poser de limites aux enfants afin de pouvoir discuter ensemble au cours de la phase
4. Leur tendance tout au long du traitement était plutôt de demeurer assis ensemble,

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mais en faisant face aux enfants (ce qui envoie un signal non verbal de disponibilité)
et en interagissant avec eux. Ils ne réfléchissaient pas non plus à propos du jeu mis
en scène lors des phases 1, 2 et 3, mais parlaient plutôt des tâches domestiques. Léo
les interrompait souvent pour ajouter son grain de sel et Lili essayait de jouer à les
nourrir, leur demandait de l’aide ou encore avait besoin d’être accompagnée à la
toilette. Les parents répondaient à toutes ces demandes.

Discussion avec la thérapeute


Dans cette section, les faits saillants des discussions tirées des dix séances effectuées 44
avec cette famille seront présentés.

Figure 4.8. Premier quadrant : observation de l’enfant dans le


jeu

Premier thème : l’accès difficile au plaisir pour la mère. Un exemple de cette difficulté est 45
illustré lors de la discussion à la 2e séance. La famille a décidé de visionner la phase 1,
où les enfants jouaient avec leur père. Observant le jeu sur vidéo, la mère remarque
soudain : « Les enfants ont tellement plus de plaisir avec leur père… Lui, il sait
comment jouer avec eux ! » La thérapeute interrompt la vidéo et demande : « Oui, ils
semblaient avoir beaucoup de plaisir… mais je me demande comment cela se passait
pour vous ? Et comment imaginez-vous que cela se passait pour les enfants ? »

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La roue de mentalisation est utile afin d’illustrer le travail effectué avec le RFP. Ici, la 46
mère a fait une observation mentalisante concernant les enfants ayant du plaisir à
jouer avec leur père. La thérapeute soupçonne toutefois que ce commentaire
masquait une comparaison avec ce dernier : si le père était un bon joueur, elle devait
être mauvaise. Son intervention valide l’observation de la mère à propos du père tout
en l’invitant à mentaliser davantage à propos d’elle-même et des enfants.

Figure 4.9. Quatrième quadrant : observation de l’enfant dans


le jeu

Et la mère de répondre : « Peut-être qu’ils sentent mon malaise et que ça les gêne ? Et 47
qu’eux aussi se laissent moins aller ? » La thérapeute hoche la tête et lui dit : « Alors
vous pensez qu’ils pourraient se sentir mal à l’aise et qu’ils ne peuvent pas vraiment
s’engager dans le jeu avec vous. » La mère hoche la tête en guise d’approbation. La
thérapeute poursuit ainsi : « Je me demande si l’idée d’un enfant qui se sent mal à
l’aise de cette façon vous est familière ? » La mère enchaîne : « J’admirais beaucoup
mon père, qui était ingénieur… J’aimais le regarder travailler, c’était sérieux ! Je
pense que dans ma famille, j’ai toujours été une petite fille raisonnable, responsable.
C’est ce qui était valorisé. Et je pense que j’ai de la difficulté à avoir du plaisir dans
plusieurs aspects de ma vie. J’espère que mes enfants ne sont pas comme moi et
qu’ils pensent qu’il faut être sérieux et responsables ! Ou alors qu’ils peuvent
seulement se permettre d’avoir du plaisir avec leur père ! »

L’ouverture de la thérapeute à l’impression verbalisée par la mère qu’elle ne serait pas 48


une compagne de jeu aussi bonne que son mari l’a amenée à faire des liens en dehors
de l’espace de jeu, par rapport à sa propre enfance et au fait qu’elle croyait devoir être
très sérieuse. Elle a pu parler de son souhait que ses enfants puissent s’accorder
davantage de plaisir dans la vie, à tout le moins avec leur père.

« C’est une observation très intéressante ! » répond la thérapeute, qui valide ainsi 49

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cette nouvelle hypothèse de la mère. La thérapeute se tourne ensuite vers le père, qui
est resté attentif à la discussion, pour lui demander ce qu’il pense de tout cela. Et lui
de répondre : « Ça me touche qu’elle se sente moins adéquate pour jouer avec les
enfants, j’aimerais trouver un moyen de l’aider, mais je ne sais pas comment ! » Cette
séquence est un bon exemple qui permet d’apprécier comment, grâce à la roue TBM,
une observation mentalisante de l’enfant dans le jeu amenée par un parent, validée
par la thérapeute, peut mener ensuite à davantage de mentalisation à propos de
l’enfant et de l’autre parent afin de générer d’autres hypothèses. Ensuite, la
thérapeute peut stimuler et valider la mentalisation du parent à propos de lui-même,
ce qui peut mener à des liens avec l’histoire parentale. De plus, ici la roue a été
complétée par une remarque très sensible du père qui ne sera pas sans influence sur
le couple comme nous le verrons dans ce qui suit.

Deuxième thème : la place du couple. Lors de la huitième séance, le père, invité à partager 50
ses observations, souligne que lors de la phase 4, les enfants les sollicitent beaucoup :
« C’est supposé être le temps des parents, non ? Mais on dirait que pour nous, c’est
difficile de dire non aux enfants quand ils nous sollicitent. » La mère acquiesce en
disant : « Oui, et ils nous sollicitent souvent ! Et moi, je ne suis pas capable de dire
non… » La thérapeute dit alors : « Oui, en effet, c’est une bonne observation de votre
part – que les enfants viennent beaucoup vers vous pour une raison ou pour une
autre et que ça rend difficile de suivre le fil de votre échange. » Les parents
acquiescent en hochant la tête. « Que pensez-vous qu’il se passe pour les enfants dans
ces moments ? » « Est-ce que la règle n’est pas assez claire pour eux ? », propose le
père ? Et la mère de demander : « Peut-être qu’ils n’ont pas beaucoup de plaisir et
qu’ils préfèrent quand on joue avec eux ? » La thérapeute reprend : « Alors, vous
pensez que peut-être les règles ne sont pas assez claires et aussi qu’ils préfèrent jouer
avec vous. Ce sont des choses qui peuvent se passer pour les enfants et qui font en
sorte que la phase 4 est si difficile pour vous tous. Je me demande aussi comment
vous trouvez cette phase de discussion entre parents alors que les enfants doivent
s’occuper par eux-mêmes ? » Cette dernière intervention se veut une confrontation
délicate afin d’inviter les parents à se mentaliser eux-mêmes et à approfondir leur
réflexion.

Figure 4.10. Premier quadrant : observation de l’enfant dans le


jeu

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Chapitre 4. Le travail thérapeutique dyadique et familial : un contexte f... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

La thérapeute a identifié deux hypothèses proposées par les parents à propos de ce 51


qui pourrait se passer pour les enfants, et elle valide celles-ci. Elle invite ensuite les
parents à se mentaliser eux-mêmes. Un silence malaisé s’ensuit. Lili s’approche de
son père pour s’asseoir sur ses genoux. La thérapeute demande alors : « Et qu’est-ce
qui peut se passer maintenant pour Lili ? » La thérapeute a profité de ce moment
pour faire une observation dans l’immédiat. Cela semble une bonne décision, car un
processus parallèle est en cours : les adultes tentent de discuter et un enfant sollicite
un des parents. Ces événements dans le moment présent en lien avec ce qui est
discuté surviennent fréquemment. Les enfants semblent alors saisir l’occasion de
pointer une difficulté en la mettant directement en scène. Il est souvent plus facile
dans ces moments de stimuler l’exploration des états mentaux de chacun, in vivo.

Le père semble un peu gêné mais dit : « Je ne peux pas la repousser, ça lui ferait de la 52
peine… » « Et à vous ? » demande la thérapeute à la mère. Celle-ci propose alors :
« C’est quand même drôle qu’elle arrive à ce moment-ci, alors qu’on parle de notre
difficulté à se parler juste tous les deux ! » La thérapeute acquiesce « En effet ! À quoi
cela vous fait penser ? » Le père dit alors : « C’est vrai qu’on ne les a jamais fait
garder… c’est difficile de s’organiser une soirée à deux, pour aller au restaurant par
exemple… comme on le faisait avant leur naissance. » La mère ajoute : « Pourtant, on
passait des moments agréables ensemble… Je pense que ça me manque aussi… et que
ce serait bon pour nous… et peut-être même pour les enfants, de nous voir
contents. »

Figure 4.11. Quatrième quadrant : observation de l’enfant dans


le jeu

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Chapitre 4. Le travail thérapeutique dyadique et familial : un contexte f... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

*ou avec ce qui se passe dans l’immédiat, mais avec parcimonie

Le focus sur l’intrusion des enfants dans le moment prévu pour les parents se déplace 53
maintenant hors de la pièce et le couple fait des liens cette fois avec sa difficulté à
prendre du temps comme couple, plutôt qu’avec son passé.

Posture du thérapeute
Au sein du RFP, tout comme pour le 3W, le thérapeute adopte un rôle contenant au 54
sens du holding proposé par Winnicott (1960), en tant que personne qui « porte »
chaque membre de la famille sous son regard bienveillant. Le cadre des séances,
notamment les différentes phases et l’importance de suivre les initiatives des
enfants, doivent être rappelés régulièrement par le thérapeute par le biais des
directives au début des séances, et surtout lors des séances initiales.

Plus tard dans le processus, en présentant les consignes au début des séances, le 55
thérapeute peut mettre l’accent sur certains éléments plus difficiles pour la famille,
comme suivre l’enfant, ou créer un espace distinct pour les parents dans la phase
quatre. De plus, comme avec le 3W, ces consignes peuvent favoriser la continuité du
processus en rappelant aux parents ce qui a été travaillé lors des dernières séances et
ce qu’ils pourraient observer ou aborder au cours de la séance actuelle. La
participation des enfants plus âgés à la discussion n’est pas requise mais leurs
commentaires sont considérés, tant qu’il ne s’agit pas d’une façon de miner la
discussion entre les adultes ou d’aider leurs parents à éviter un thème plus difficile.
Dans ces situations, il n’est pas rare que la résistance parentale soit soutenue par un
enfant sensible au besoin du parent, qui cherchera alors à interrompre la discussion,
comme l’a fait Lili un peu plus haut.

Indications et contre-indications
D’emblée, tout comme la psychothérapie dyadique, le RFP nécessite un certain 56
niveau de mentalisation ou d’ouverture à celle-ci chez les parents. En cours de
traitement, l’apport notable de la vidéo mérite par ailleurs d’être souligné en raison
de la mentalisation qui est ainsi favorisée lorsque les membres de la famille
s’observent et observent l’impact qu’ils exercent sur autrui (Juffer, Struis, Werner, &

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Bakermans-Kranenburg, 2017).

Il arrive que lors de la période d’évaluation et de rétroaction, les parents 57


maintiennent des attributions négatives de façon rigide face à l’enfant ou encore
qu’ils insistent pour recevoir des conseils de la part du thérapeute. Pour ces parents,
une approche plus directive peut être indiquée. Des difficultés conjugales marquées,
comme la violence conjugale, représentent une autre contre-indication car celles-ci
risquent d’interférer de façon trop prégnante lors de la période d’échange entre les
parents et de la période de discussion avec le thérapeute. Malgré ces embûches
potentielles, une étude rétrospective récente effectuée auprès des 21 premières
familles ayant bénéficié du RFP a révélé que celles-ci avaient apprécié cette modalité
de traitement, perçue comme accessible ; de plus une augmentation de la fréquence
et de la qualité des propos mentalisants chez les parents a été observée (Philipp et al.,
2018).

Conclusion

La TBM n’est pas nouvelle, même auprès des dyades mère-bébé. Toutefois, 58
différentes applications de celle-ci au sein du système familial sont plus récentes et
apparaissent prometteuses. Dans un tel contexte, le maintien d’une posture
mentalisante, déjà adoptée par la plupart des psychothérapeutes qui se montrent
ouverts et curieux vis-à-vis de l’expérience vécue par leur patient (Bateman &
Fonagy, 2013), peut représenter un défi pour les psychothérapeutes d’orientation
psychodynamique plus habitués de formuler des interprétations ou encore pour les
psychothérapeutes d’approche cognitivo-comportementale plus enclins à structurer
les séances et à proposer des tâches. Par ailleurs, suivre l’initiative des parents peut
aussi représenter une expérience libératrice pour plusieurs thérapeutes, car ce sont
alors les familles qui assument leur propre plan de traitement, celui-ci évoluant à
mesure qu’ils sont prêts à aborder des enjeux plus difficiles. Dans le travail avec les
dyades et surtout avec les familles, il devient également nécessaire pour le thérapeute
de garder à l’esprit plusieurs esprits, ce qui n’est pas le cas lorsqu’il n’y a qu’un individu à
traiter. Toutefois, ces modalités semblent permettre aux familles de trouver de
nouvelles façons plus satisfaisantes d’interagir ensemble.

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Plan
Psychothérapie dyadique menée par l’enfant
Origines et principes de base
Vignette clinique issue d’une séance de 3W : la maman Cendrillon
Indications et contre-indications

Le Jeu réflexif familial


Origines et principes de base
Déroulement d’une séance de RFP
Vignette clinique : La princesse au petit pois
Indications et contre-indications

Conclusion

Auteurs
Claud Bisaillon

Psychologue clinicienne et professeure agrégée au Département de psychologie de


l’Université de Sherbrooke (Canada), aux programmes de doctorat spécialisés en enfance
et en adolescence. Ses intérêts cliniques et de recherche portent principalement sur
l’attachement chez les jeunes enfants, sur les interventions parentales ainsi que sur la
psychothérapie dyadique et familiale ciblant la fonction réflexive et les représentations
parentales.

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Diane A. Philipp

Pédopsychiatre au SickKids Center for Community Mental Health et professeure adjointe


au Département de psychiatrie de l’Université de Toronto (Canada). Elle est co-auteure du
livre The baby and the couple : Understanding and treating young families (Le bébé face au couple :
Accompagner les familles avec de jeunes enfants). Elle a développé le Jeu réflexif familial, une
modalité de psychothérapie familiale brève. Elle est également l’auteure d’un manuel
portant sur l’utilisation clinique du Jeu trilogue de Lausanne qui sera bientôt publié.

Renée Hould

Travailleuse sociale diplômée de l’Université McGill et psychothérapeute Membre de


l’Ordre des Psychologues du Québec (Canada). Depuis près de trente ans, elle a œuvré à la
clinique de pédopsychiatrie de l’Hôpital en Santé Mentale Albert-Prévost du CIUSSS NIM,
au Service d’Expertise psychosociale à la Cour Supérieure du Québec pour les causes de
litiges familiaux ainsi qu’en pratique privée (Canada). Ses intérêts et expertises cliniques
concernent principalement la parentalité, les relations parents-enfants, les
problématiques d’attachement chez les jeunes enfants ainsi que les interventions
psychothérapeutiques ciblant la fonction réflexive parentale, notamment en contexte de
conflits et de litiges.

Mis en ligne sur Cairn.info le 15/10/2021


https://doi-org.lama.univ-amu.fr/10.3917/dbu.achim.2020.01.0115

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Chapitre 6. La psychothérapie de groupe pour favoriser la mentalisation ... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

Chapitre 6. La psychothérapie de groupe pour


favoriser la mentalisation : fondements théoriques [1]
Isabelle Senécal, Karine Dubois-Comtois
Dans Mentaliser en contexte pédopsychiatrique (2020),
pages 175 à 193

Chapitre

Introduction

P ratiquée depuis plus de 30 ans au sein de notre établissement, la psychothérapie


de groupe auprès des enfants est, depuis un certain nombre d’années, pensée
aussi dans la perspective de la mentalisation. Ce chapitre et le suivant
1

exposeront l’éclairage apporté par cette approche sur notre travail. Le premier de ces
deux chapitres consacrés à la psychothérapie de groupe pour les enfants introduit les
fondements théoriques sous-jacents à l’élaboration de notre méthode de travail alors
que le suivant présente deux modalités thérapeutiques de groupe axées sur la
mentalisation pour les enfants telles que conçues par notre équipe.

Bien que le développement d’applications cliniques de la mentalisation soit 2


actuellement en plein essor, la psychothérapie de groupe basée sur la mentalisation
et appliquée aux enfants n’a pas encore fait l’objet d’écrits cliniques ou empiriques.
Précisons aussi que les modalités groupales pour adolescents et adultes sont peu
adaptées aux enfants en raison des paramètres développementaux propres aux
enfants qui en font une population clinique distincte. Par conséquent, les notions
présentées dans ce chapitre s’inspirent de différents travaux proposant des
applications cliniques connexes. Parmi eux, mentionnons les principaux, soit ceux

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Chapitre 6. La psychothérapie de groupe pour favoriser la mentalisation ... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

de Allen, Fonagy et Bateman (2008c) traitant de la mentalisation en contexte


clinique, ceux de Karterud et Bateman (2012) ainsi que Debbané (2016c) abordant la
psychothérapie de groupe basée sur la mentalisation pour les adultes. À ces travaux
consacrés à la pratique clinique auprès d’adultes s’ajoutent ceux de Midgley, Ensink,
Lindqvist, Malberg et Muller (2017c) proposant un traitement basé sur la
mentalisation pour les enfants, de Verheugt-Pleiter, Zevalkink et Schmeets (2008)
ainsi que de Terradas et ses collègues portant sur le travail clinique auprès d’enfants
sous la protection de la jeunesse (Terradas, Domon-Archambault, Achim, & Ensink,
2016) ou en contexte pédopsychiatrique (Achim & Terradas, 2015) à partir d’une
perspective de mentalisation.

Ce chapitre traitera d’abord des notions de confiance et méfiance épistémiques, 3


abordées préalablement dans le chapitre 1 et qui seront reprises ici puisqu’elles sont
au cœur du traitement psychothérapeutique de groupe tel que nous l’avons pensé. La
pertinence de la mise en place de groupes thérapeutiques axés sur la mentalisation et
les indications cliniques pour la participation à de tels groupes seront ensuite
abordées. La posture thérapeutique qu’exige la psychothérapie groupale lorsqu’elle se
centre sur la mentalisation, les particularités du travail visant les fondements sur
lesquels s’appuie le développement de la mentalisation ainsi que cette capacité
proprement dite seront enfin présentés. Précisons que nous avons privilégié
d’aborder de manière distincte le travail visant les fondements et les facilitateurs de
la mentalisation de celui portant sur la mentalisation pour des fins pédagogiques. Le
thérapeute d’enfants constatera certainement que, de façon générale, ces sphères de
travail se chevauchent.

La confiance et la méfiance épistémiques : des notions


centrales au travail psychothérapeutique de groupe

Quelle que soit la modalité d’intervention mise en place, une part importante de 4
l’effet thérapeutique dépend de l’ouverture de l’individu à cette expérience et de sa
propension à appliquer ce qu’il y apprend à l’extérieur du dispositif de soins
(Debbané, Fonagy, & Badoud, 2016). Cette ouverture se crée et s’entretient au sein de
la relation thérapeutique. Chacun des enfants participant au groupe s’y présente avec
sa propre disposition à s’ouvrir à l’expérience thérapeutique ; cette disposition
dépend de plusieurs facteurs dont ses expériences relationnelles passées. Les notions
de méfiance et confiance épistémiques désignent les mécanismes formant un filtre
par lequel l’individu trie les informations issues du monde extérieur qu’il considère
pertinentes et identifie ce par quoi il se laisse ou non influencer. Grandir auprès de
parents suffisamment bons facilite le développement d’un rapport équilibré à

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Chapitre 6. La psychothérapie de groupe pour favoriser la mentalisation ... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

l’environnement ou, en d’autres termes, la mise en place d’un filtre sain chez l’enfant.

La méfiance épistémique désigne la partie de ce filtre qui bloque ce dont l’individu 5


juge qu’il doit se méfier. Devant trop d’expériences relationnelles négatives lors
desquelles ce qui est entré en soi a heurté, la méfiance épistémique est activée et
amène l’individu à se rigidifier et se refermer sur lui-même. À l’inverse, la confiance
épistémique correspond à l’aspect du fonctionnement de ce filtre qui laisse entrer
des informations sur la base de la confiance accordée à l’autre. Lorsque la méfiance
domine le rapport à l’environnement, comme c’est le cas pour bon nombre de nos
jeunes patients, l’un des effets thérapeutiques recherchés dans un premier temps est
de restaurer la capacité à faire suffisamment confiance pour profiter et apprendre du
dispositif thérapeutique puis, ultimement, de son environnement. L’expérience de se
sentir compris par autrui est essentielle, voire même préalable à l’atteinte de cet
objectif (Debbané et al., 2016 ; Fonagy & Allison, 2014 ; Midgley et al., 2017c). Par
conséquent, c’est l’ensemble du dispositif thérapeutique mis en place qui vise à
rendre cette expérience possible. En effet, chaque intervention de la part du
thérapeute doit être imprégnée de cet objectif.

Les groupes psychothérapeutiques axés sur la


mentalisation : pourquoi et pour qui ?

Telle qu’abordée dans le chapitre d’introduction, la pertinence de la notion de 6


mentalisation pour notre travail s’est peu à peu imposée en raison des difficultés
maintes fois constatées chez les enfants que nous rencontrons à profiter de
modalités thérapeutiques orientées vers le travail des contenus intrapsychiques (par
exemple, conflits, mécanismes de défense, rêves, sens des symptômes), s’appuyant
sur la capacité à se concevoir et à concevoir autrui comme étant habités par des états
mentaux (Achim & Terradas, 2015).

Plusieurs éléments font du groupe un véhicule thérapeutique tout indiqué afin de 7


favoriser le développement, chez l’enfant, d’un appareil psychique éventuellement
capable de concevoir son expérience et celle des autres en termes d’états mentaux.
D’abord, le cadre proposé répond à un enjeu développemental central pour l’enfant,
soit celui de faire partie d’un groupe. Ce désir, conjugué à l’a priori voulant qu’un
autre semblable à soi (ici, les pairs du groupe) est plus susceptible de nous
comprendre qu’un autre perçu comme étant différent (les thérapeutes du groupe),
favorise l’ouverture au dispositif thérapeutique abordée préalablement sous le terme
de confiance épistémique (Debbané, 2016c).

Les relations avec les pairs constituent également un vecteur puissant du 8

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Chapitre 6. La psychothérapie de groupe pour favoriser la mentalisation ... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

développement de la mentalisation (Allen et al., 2008c). En effet, un jeu symbolique


mis en scène avec un pair contiendrait plus d’éléments évoquant des états mentaux
qu’un échange avec une mère faisant preuve de bonnes capacités de mentalisation
(Allen et al., 2008c). La modalité groupale possède aussi l’avantage de multiplier in
situ les occasions de mentaliser, et ce dans un contexte relativement similaire à la
réalité de l’enfant qui évolue au sein de divers groupes tels que ceux qu’il fréquente
au service de garde, en classe à l’école, à la maison et dans son voisinage ou encore
dans le cadre de ses loisirs. Cette proximité entre le groupe et les expériences de vie
de l’enfant pourrait faciliter le transfert des habiletés acquises, comme ce serait le cas
chez les adultes selon Debbané (2016c).

La posture mentalisante du thérapeute : un a priori


incontournable

Orienter le travail thérapeutique de groupe vers le développement de la 9


mentalisation et des fondements sur lesquels elle s’appuie nécessite un changement
de posture chez le thérapeute. Bien que cette question ait été préalablement abordée
dans le chapitre consacré à la psychothérapie individuelle, il s’avère nécessaire d’y
revenir ici. En effet, il importe d’envisager les particularités d’une telle posture à la
lumière des caractéristiques propres au travail de groupe et de souligner les défis
spécifiques qu’implique l’adoption d’une posture mentalisante dans un tel contexte.
Bien qu’au premier abord elle puisse sembler simple à adopter, elle requiert de la part
du thérapeute un travail exigeant qui consiste à maintenir une certaine vigilance à
l’égard de ses propres états mentaux afin de détecter les moments où sa capacité à
mentaliser est en péril – ou à risque de le devenir – et de faire en sorte de la préserver.
L’effet thérapeutique dépend en bonne partie de ce travail (Midgley et al., 2017c).

Considérant qu’à ce jour aucun écrit consacré aux groupes thérapeutiques basés sur 10
la mentalisation pour les enfants n’a pu être répertorié, c’est à nouveau sur la
documentation clinique et scientifique portant sur les groupes d’adultes ou
d’adolescents, sur la psychothérapie individuelle d’enfant et sur notre expérience
clinique auprès des jeunes enfants et de leurs parents que nous nous sommes
appuyées pour identifier ce qui nous semble représenter les éléments clés de la
posture mentalisante du thérapeute intervenant auprès de groupes d’enfants.

Karterud et Bateman (2012) ainsi que Debbané (2016c) ont décrit la posture des 11
cliniciens offrant des groupes thérapeutiques basés sur la mentalisation. Malgré le
fait que leurs propos concernent le travail clinique auprès de groupes de patients
adultes, différents principes ou éléments qu’ils identifient s’avèrent pertinents pour

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le travail réalisé auprès de groupes d’enfants pour peu qu’ils soient adaptés à cette
clientèle. Nous présentons ici ces principaux principes ou éléments clés.

Mentionnons d’abord qu’à l’instar de ce que proposent Karterud et Bateman (2012), le 12


thérapeute doit adopter une attitude active et prendre en charge le fonctionnement du
groupe. Durant la phase de préparation, il analyse avec soin les références à partir
des éléments contenus au dossier du patient et d’entretiens cliniques qu’il réalise
avec l’enfant et ses parents. Cette étape permet de s’assurer de la pertinence de la
modalité groupale au regard du fonctionnement et des difficultés de l’enfant, de sa
disposition à participer au groupe et de l’engagement des parents qui devront
assurer la présence de l’enfant ainsi que, dans certains cas, participer à un groupe de
soutien pour parents ayant lieu en parallèle. Au cours des séances, c’est par sa
participation active que le thérapeute maintient le groupe dans un fonctionnement
au plus près des conditions optimales pour mentaliser. Si certaines approches
groupales préconisent une posture thérapeutique peu directive, laissant aux patients
le soin de s’organiser et de résoudre les difficultés rencontrées au moyen de leurs
propres ressources, la posture privilégiée dans le cadre de notre travail auprès de
groupes d’enfants s’avère plus active et structurante. En effet, le thérapeute veille à
maintenir le groupe centré sur le projet thérapeutique et intervient pour limiter le
plus possible les interactions non mentalisantes. Pour ce faire, il doit être en mesure
de manifester de l’autorité sans être autoritaire pour reprendre les propos de Debbané
(2016c). L’adoption d’une telle attitude s’avère souvent nécessaire en début de séance
en raison de la désorganisation résultant de l’activation émotionnelle provoquée par
la transition vers le groupe. En effet, le thérapeute se confronte régulièrement à des
conflits à propos de la place occupée par chacun lorsque s’amorcent les groupes de
jeunes enfants. Par exemple, un des enfants convoite une chaise déjà choisie car elle
lui apparaît plus confortable ou encore un autre tient à s’asseoir à côté d’un enfant
auprès de qui il se sent bien alors que cette place est déjà prise. En fonction de
l’évaluation qu’il fait de la capacité des enfants à s’attarder aux états mentaux sous-
jacents à la situation, le thérapeute dispose de différentes options. Il peut favoriser
l’exploration des émotions, des intentions et des désirs présents chez chacun des
enfants concernés et ainsi, tenter de les amener à résoudre la situation de façon
mentalisée. Néanmoins, lorsque l’activation émotionnelle du groupe est trop
importante et que la mentalisation devient inaccessible, détourner l’attention des
enfants de leurs conflits et les orienter vers la tâche (par exemple, la lecture d’un
conte ou la création d’une pièce de théâtre) afin de favoriser une baisse de l’activation
peut représenter la meilleure option qui s’offre au thérapeute. Dans un tel cas, ce
dernier pourra tenter de reprendre la situation plus tard au cours de la séance,
lorsque l’activation sera moins grande ou choisir de le faire lors de la prochaine
séance si l’activation demeure trop élevée ce jour-là.

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Un autre élément clé pour l’adoption d’une posture mentalisante concerne le fait que 13
l’attention du thérapeute doit se décentrer des contenus introduits par les enfants pour se
diriger plutôt vers les processus de réflexion qui se déploient lors des séances de groupe
et qui sont la cible du traitement. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’aborder une
thématique particulière (par exemple, les habiletés sociales, la gestion de la colère ou
le deuil), mais plutôt de s’attarder à la manière dont composent les enfants avec les
états mentaux, et ce quels qu’ils soient. Une telle posture implique que le thérapeute
maintienne son attention sur l’état d’esprit des participants, notamment sur la
manière dont ces derniers perçoivent leur propre état d’esprit et ceux des autres. En
contexte de groupe où les interactions sont multiples, l’un des défis consiste à porter
attention à chacun des enfants ainsi qu’à la manière dont l’état d’esprit de l’un
influence l’état d’esprit de l’autre. C’est à travers l’adoption d’une attitude curieuse et
de non-savoir que le thérapeute manifeste son intérêt pour les états mentaux de
chacun (Bateman & Fonagy, 2015 ; Midgley et al., 2 017 f). Au-delà de la multitude des
interactions se déroulant simultanément lors d’une séance de groupe, il peut s’avérer
fort exigeant pour le thérapeute de conserver une telle posture dans le contexte où les
groupes thérapeutiques visent spécifiquement les jeunes enfants présentant des
difficultés relationnelles ou des comportements dérangeants parfois difficiles à
comprendre et à risque de désorganiser le groupe. En effet, le risque pour le
thérapeute d’intervenir au niveau du comportement plutôt qu’à celui des états
mentaux lorsqu’il est confronté à de telles problématiques n’est jamais bien loin.

À la complexité de cette tâche s’ajoute le fait que les interventions verbales du 14


thérapeute doivent demeurer simples, courtes, liées à des événements actuels et orientées
vers les états mentaux plutôt que sur les comportements. Elles doivent également
porter sur des contenus conscients ou préconscients puisque les participants
auxquels s’adresse le groupe thérapeutique ne sont généralement pas en mesure de
bénéficier d’interventions portant sur des contenus inconscients (Bateman &
Fonagy, 2015 ; Debbané, 2016c ; Karterud & Bateman, 2012 ; Midgley et al., 2017c ;
Terradas et al., 2016). En ce sens, des interventions complexes ou de nature
interprétative doivent être évitées. De plus, et contrairement à ce qui est préconisé
par d’autres approches thérapeutiques, les interventions s’adressant au groupe
comme à une entité en soi sont proscrites puisqu’elles exigent des capacités
d’abstraction trop importantes pour les enfants. Ce type d’interventions est
susceptible d’entraîner une certaine confusion, voire une perte de différenciation au
sein du groupe ou encore donner lieu à l’expression de propos plaqués, en mode
semblant par les participants, ce qui est à risque d’ajouter à la mise à mal des
capacités de mentalisation fragiles (Debbané, 2016c ; Karterud & Bateman, 2012).

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Le travail des fondements sur lesquels s’appuie le


développement de la mentalisation au sein du groupe

Plus l’enfant est jeune et en difficulté, plus le thérapeute devra s’attarder aux 15
capacités sur lesquelles s’appuie le développement de la mentalisation. À l’instar des
constats de nos collègues (Achim & Terradas, 2015 ; Midgley et al., 2017c ; Verheugt-
Pleiter et al., 2008), le travail en contexte pédopsychiatrique nous a permis de
constater que ces fondements, soit la régulation de l’attention, la régulation des
affects ainsi que la capacité à jouer et à recourir à l’imaginaire, sont généralement
déficitaires chez bon nombre d’enfants que nous recevons. Avec la capacité à
mentaliser de façon explicite, la régulation de l’attention et la régulation affective ont
été identifiées par Peter Fonagy et Mary Target (2002) comme étant les fonctions qui,
lorsque présentes de façon concomitante, permettent aux individus de collaborer, de
créer des liens et de les maintenir ainsi que de vivre ensemble. Par conséquent, la
régulation de l’attention et la régulation des affects constituent des cibles
thérapeutiques de premier ordre. À ces cibles s’ajoute un travail visant à soutenir et à
promouvoir le développement de la capacité de l’enfant à jouer et à symboliser ; cette
dernière s’avère centrale au travail thérapeutique basée sur la mentalisation auprès
des enfants (Midgley et al., 2017c ; Munoz Specht, Ensink, Normandin, & Midgley,
2016 ; Terradas & Achim, 2013). Il importe enfin de souligner l’impact potentiel du
travail de groupe sur le développement du langage de l’enfant, et ce bien qu’il ne
s’agisse pas d’un objectif psychothérapeutique en soi. Le travail clinique auprès des
groupes d’enfants nous a effectivement permis de constater que le groupe offre aux
participants un étayage utile à l’acquisition d’un vocabulaire affectif ou réflexif plus
élaboré. Une telle acquisition s’avère précieuse puisqu’elle soutient la capacité de
l’enfant à verbaliser des états mentaux.

Le travail visant la régulation de l’attention et celle des affects implique une prise en 16
charge parfois importante par le thérapeute de ces aspects du fonctionnement des
enfants participant au groupe. Cette prise en charge est nécessaire pour maintenir le
groupe à un niveau d’activation émotionnelle propice au travail thérapeutique, c’est-
à-dire ni trop élevé ni trop bas (Allen et al., 2008c), ainsi que le maintien de
l’attention des enfants sur le groupe. Ce travail de régulation initialement assuré par
les thérapeutes pourra peu à peu être intériorisé par les enfants du groupe. Au fil des
rencontres et du travail, ils seront en mesure d’en assumer une part de plus en plus
grande, tout en développant la capacité à s’appuyer sur un autre lorsque nécessaire
pour y arriver, grâce à la restauration graduelle de la confiance épistémique.

La régulation de l’attention

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Chapitre 6. La psychothérapie de groupe pour favoriser la mentalisation ... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

Le travail de la régulation de l’attention vise à développer chez l’enfant sa capacité à 17


freiner des réactions impulsives pour diriger son attention vers ses états mentaux.
En contexte thérapeutique, un peu comme à l’image d’une relation parent-enfant
suffisamment bonne, cette capacité se développe d’abord dans le cadre d’une relation
interpersonnelle, c’est-à-dire via la capacité du thérapeute à s’intéresser à
l’expérience interne de l’enfant, à aider l’enfant à s’y intéresser avec lui, puis
éventuellement, à soutenir l’enfant à s’intéresser à l’expérience interne de l’autre. La
capacité à réguler son attention implique donc une capacité à réguler son attention
de manière générale, mais aussi une capacité à porter son attention sur quelque
chose avec autrui ou conjointement. Amplement discutée dans les écrits traitant des
troubles du spectre de l’autisme, l’attention conjointe est le fait de porter attention
ensemble à un élément d’intérêt commun (Aubineau, Vandromme, & Le Driant,
2015).

Une part substantielle du travail thérapeutique réalisé en contexte de groupe 18


consiste à soutenir de façon graduelle le développement de la capacité de l’enfant à
porter son attention, avec un tiers, sur le monde interne plutôt qu’exclusivement sur
le monde externe. Cette tâche représente un défi important pour les enfants
consultant en clinique pédopsychiatrique, et ce pour plusieurs motifs. Dans certains
cas, la présence d’un trouble neurodéveloppemental, tels le trouble déficitaire de
l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ou le syndrome de Gilles de la Tourette,
constitue un obstacle important. Même si une médication s’avère parfois nécessaire
et utile, elle a peu d’effet sur la capacité à porter attention à son expérience interne.
Cette dernière nécessite non seulement des capacités d’attention, mais aussi la
possibilité de compter sur la présence d’une représentation intériorisée de soi et de
l’autre comme ayant un monde intérieur qui ne se limite pas pour l’enfant à un objet
insolite ou à une source d’angoisse.

Plusieurs des enfants reçus dans le cadre des groupes thérapeutiques maintiennent 19
une grande vigilance parce que leur environnement a été, pour moult raisons, une
source de peur. Cet état de vigilance à l’environnement rend difficile le fait de
tourner une partie de ses ressources attentionnelles vers le monde interne. Dans les
cas de maltraitance ou de relations de soins marquées par l’hostilité, le monde
interne est aussi pressenti comme une source de menace et cherche à être évité
(Zevalkink, Verheugt-Pleiter, & Fonagy, 2012). Dans de telles conditions, travailler à
développer la capacité d’attention au monde interne demande d’abord de mettre en
place les éléments qui permettront au patient de se sentir suffisamment en sécurité
au sein du groupe pour arriver à relâcher un tant soit peu sa vigilance à l’égard de
l’environnement (Bateman & Fonagy, 2012). La régularité des séances ainsi que le
caractère routinier de leur déroulement contribuent grandement à l’établissement de

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ce climat de sécurité.

Les interventions qui visent à apaiser les enfants au niveau corporel peuvent 20
également s’avérer fort utiles à la régulation de l’attention. Fournir un bloc à un
enfant pour qu’il puisse y poser ses pieds et les sentir bien appuyés lorsque la chaise
sur laquelle il est assis s’avère un peu trop grande pour lui, offrir un coussin lourd qui
peut être déposé sur les épaules ou sur les cuisses lorsque l’enfant est agité ou encore
inviter les enfants à prendre un moment pour respirercalmement et profondément
représentent divers moyens identifiés au fil du temps afin de soutenir un tel
apaisement chez les enfants participant au groupe et, conséquemment, une
meilleure disposition au travail thérapeutique.

L’expérience de sécurité vécue au sein du groupe repose aussi sur le travail du 21


thérapeute qui veille à ce que la séance se déroule, dans la mesure du possible, dans
un climat exempt de débordements affectifs qui dépassent les capacités de
régulation des enfants. Lorsque de tels débordements surviennent, c’est au
thérapeute d’en assurer la prise en charge qui peut parfois solliciter l’appui des
parents, présents en salle d’attente. Nous expliciterons davantage ces façons de faire
dans le chapitre suivant.

Au cours du développement, l’attention conjointe aux états mentaux se développe au 22


sein de la relation parent-enfant au travers des mécanismes décrits avec éloquence
par Csibra et Gergely (2006). Une figure de soins sensible et bien accordée aux
besoins de l’enfant se conduit d’une manière qui permet à l’enfant de saisir
graduellement que des états mentaux sont sous-jacents à ses comportements et à
ceux des autres et qu’ils peuvent être partagés. Cette transmission s’appuie sur un
état intersubjectif appelé position pédagogique, initié par les figures de soins qui, pour
autant qu’elles soient suffisamment bonnes, seraient biologiquement préparées à
adopter des comportements tenant compte de la subjectivité d’autrui. Les principaux
comportements en question réfèrent à différents éléments de la communication non
verbale : le contact visuel, le soulèvement des sourcils, un léger écarquillement des
yeux ou encore un ralentissement du débit verbal. Le marquage des émotions, qui
consiste à refléter à l’enfant l’émotion qu’il exprime avec une intensité réduite grâce
à une expression faciale et une tonalité vocale traduisant à la fois que cette émotion
n’est pas la nôtre mais qu’elle est comprise de l’intérieur (Csibra & Gergely, 2006),
participe également à soutenir cet état de compréhension partagée. Ces
comportements communiquent à l’enfant que des informations importantes pour
lui, relatives à la connaissance de son environnement social, de son monde interne et
de celui de l’autre lui seront transmises. De tels échanges créent chez l’enfant une
disposition à recevoir cette information.

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En situation groupale, ces considérations développementales impliquent un travail 23


incluant des moments où le thérapeute et les enfants, à l’instar du parent et de son
enfant, se retrouveront dans un contexte où le thérapeute adoptera une position
pédagogique et émettra des signaux similaires à ceux que transmet le parent à son
enfant. Ce faisant, le thérapeute cherche à soutenir le développement de la capacité à
porter attention à l’expérience vécue par chaque enfant participant au groupe. Même
lorsqu’elles concernent un enfant en particulier, de telles interventions représentent
une occasion d’apprendre pour les autres. En effet, ces interventions peuvent les
inciter à considérer qu’il existe des mondes internes et des fonctionnements
différents du leur, liés aux comportements de façon distincte, qui leur sont propres.
Par exemple, dans le cadre d’un groupe impliquant la présence d’un animal, le
thérapeute invite parfois les enfants à réfléchir à ce que les comportements de
l’animal peuvent traduire de son état. Le recours à des contes permet d’utiliser les
différents personnages dans le même but. Ainsi, lorsque le thérapeute s’intéresse à
l’expérience d’un autre en groupe, que cet autre soit un participant ou un tiers (par
exemple, un animal ou les personnages issus d’une histoire) plutôt qu’à la leur, les
enfants y trouvent aussi l’occasion de développer leur capacité de porter attention au
monde interne, mais cette fois à celui d’autrui. Cet apprentissage s’avère tout aussi
important.

Enfin, les enfants qui démontrent des déficits majeurs sur le plan du développement 24
de la mentalisation et des fondements sur lesquels elle s’appuie, présentent souvent
de grandes difficultés à tout simplement se sentir en lien avec les autres. De telles
lacunes constituent une entrave importante au développement d’une capacité à
porter attention conjointement avec un autre aux états mentaux. Pour cette raison, il
s’avère primordial d’être particulièrement sensible à la manière dont les enfants
entrent ou n’entrent pas en contact tant avec le thérapeute ainsi qu’avec leurs pairs et
de mettre en place un dispositif thérapeutique favorisant le développement de ces
contacts. De façon bien concrète, l’adoption d’une telle attitude se traduit par le fait
de prendre un moment en début de rencontre pour se saluer, pour constater
ensemble qui est présent et qui ne l’est pas et pour s’assurer que chacun se souvient
du nom des autres.

La régulation affective
À l’instar de la régulation de l’attention, le développement de la régulation affective 25
chez l’enfant est d’abord tributaire du lien qui l’unit à un adulte qui la prend en
charge, et ce que ce soit dans le contexte souhaitable de la relation qu’il entretient
avec la figure de soin ou dans celui d’un dispositif thérapeutique.

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En contexte de groupe psychothérapeutique, la prise en charge de la régulation de l’affect 26


par le thérapeute suppose d’abord d’ajuster le cadre thérapeutique de manière à ce que
l’enfant s’y sente le plus possible en sécurité. Pour ce faire, le dispositif mis en place
doit être adapté aux capacités cognitives et affectives de l’enfant afin d’éviter de lui
occasionner un trop grand stress ou de générer des états de débordement
émotionnels à risque de le précipiter vers un mode de fonctionnement automatisé de
survie où ni la régulation ni la mentalisation ne sont possibles. Les groupes
thérapeutiques mis en place dans le cadre de notre pratique pédopsychiatrique
(présentés dans le chapitre suivant) privilégient différentes modalités (de la
narration de contes jusqu’à la création collective d’une mini-pièce de théâtre) en
fonction des capacités que démontrent les enfants y participant. La présence d’un
animal (ici, un chat) permet également de faciliter le travail et de moduler l’intensité
des affects exprimés. La stabilité du cadre thérapeutique, c’est-à-dire la régularité, la
prévisibilité et l’aspect routinier des séances de groupe, demeure aussi un élément
incontournable pour favoriser le sentiment de sécurité nécessaire à la régulation de
l’affect.

Un autre moyen par lequel le thérapeute prend en charge la régulation affective du 27


groupe est l’attention qu’il porte à la modulation du contact et de la proximité
affective en fonction des capacités des enfants, et ce tout particulièrement lors de la
prise de contact au début de chaque séance de groupe ainsi que lorsque l’enfant vit
de la détresse. En effet, le rapprochement émotionnel avec le thérapeute et l’intensité
de l’investissement affectif constituent des facteurs dont il est nécessaire de tenir
compte. La capacité du thérapeute à ajuster la proximité affective qu’il cherche à
établir avec l’enfant à la capacité de ce dernier à la tolérer (tant au niveau du rythme
que de l’intensité du contact) contribue à générer un sentiment de sécurité tout en
évitant d’alimenter une trop grande intensité affective qui nuirait à la régulation
affective. Lors de la prise de contact, le thérapeute gagne à être vigilant aux réactions
bien souvent non verbales des enfants afin d’identifier le moment où chacun d’eux
est prêt pour un contact visuel plus soutenu ou pour une nouvelle sollicitation
verbale. Certains enfants auront besoin d’apprivoiser cet inconnu qu’est le
thérapeute en ayant la possibilité de l’observer plutôt que d’établir avec lui un contact
direct par la parole. La verbalisation à haute voix par le thérapeute d’un malaise
possible chez certains, sans s’adresser directement à un enfant en particulier, peut
être fort utile à la régulation de l’affect.

Lors de moments de détresse, le mouvement naturel du thérapeute en est un de 28


rapprochement affectif. Il peut se manifester par l’adoption d’un ton de voix plus bas
et plus doux ainsi que par une expression faciale manifestant de l’empathie de
manière appuyée. Lorsque le système d’attachement de l’enfant est activé, comme

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c’est le cas dans les moments de détresse, une telle attitude de la part du thérapeute
peut paradoxalement accentuer l’activation du système d’attachement plutôt que de
l’apaiser (Bateman & Fonagy, 2012). De telles réactions s’avèrent particulièrement
marquées chez les enfants ayant connu de la négligence ou des abus et peuvent
également contribuer à une diminution de ses capacités de mentalisation. C’est donc
dire combien il importe que le thérapeute soit attentif à ce type de phénomènes pour
les réguler de façon adéquate. Cela peut même impliquer l’adoption d’une posture
qui peut être vécue par le thérapeute comme étant profondément contre-intuitive.
Lorsque l’intensité émotionnelle devient telle qu’elle compromet significativement
les capacités de mentaliser de l’enfant, le thérapeute doit œuvrer à sa diminution.
Pour ce faire, il peut rediriger l’attention des patients vers des considérations moins
chargées et freiner les mouvements de rapprochement émotionnel (Bateman &
Fonagy, 2012).

La prise en charge de la régulation affective au sein du groupe se manifeste 29


également par la proposition de moyens concrets permettant aux enfants de
s’apaiser lorsque nécessaire. Ces moyens peuvent prendre la forme d’une invitation à
respirer profondément, à prendre un moment dans une position qui facilite la
détente ou même de se retirer du groupe pour un bref moment.

L’ensemble des interventions faites par le thérapeute afin de maintenir un état 30


d’activation affective optimale procure aux enfants l’expérience d’être régulés par un
tiers, ce que plusieurs ont peu connu au sein de leurs milieux familiaux respectifs.
Cet état, de même que les interventions des thérapeutes visant à le maintenir,
peuvent être éventuellement recherchés par les enfants puis internalisés.

Toutefois, puisqu’il vise à favoriser l’acquisition de meilleures capacités de régulation 31


affective, le groupe thérapeutique doit aussi permettre à l’enfant de développer ses
propres capacités à se réguler. Cet apprentissage nécessite que le thérapeute
reconnaisse et soutienne les actions des enfants qui vont en ce sens. Par exemple,
lorsque confrontés à un contenu anxiogène présenté dans un livre, certains enfants
participant au groupe des petits (le groupe conte qui sera présenté dans le chapitre
suivant) ont parfois besoin de se déplacer et de s’asseoir plus loin, de se cacher un
peu les yeux ou encore d’être accompagnés pour regarder le livre. D’autres se
détournent dans le but de moduler le contact avec ce qui les effraie, demandent que
le thérapeute tourne les pages du livre plus rapidement ou qu’il délaisse ce sujet pour
en aborder un autre. Certains prennent également l’initiative de manifester le besoin
de se retirer temporairement du groupe et de retrouver le soutien de leur parent
quand il est possible d’aller le rejoindre quelques instants. Lorsque la charge affective
devient trop forte au sein du groupe mis en place pour les enfants plus âgés (le groupe
de mentalisation), plusieurs se placent également en retrait en éloignant aussi leur

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chaise du groupe ou en déposant leur tête sur la table de manière à cacher leur
visage. Le thérapeute soutient les actions des enfants visant à se réguler en
reconnaissant explicitement la valeur de ces gestes et les intentions qui les motivent.
De telles actions doivent cependant être distinguées par le thérapeute de
mécanismes d’évitement anxieux. Ce dernier doit donc chercher à accompagner
l’enfant au mieux afin qu’il puisse identifier des stratégies lui permettant de se
distancier suffisamment d’une situation qu’il identifie comme étant à risque de
débordement affectif sans s’y réfugier de manière anxieuse et évitante à la moindre
sollicitation affective. L’identification d’une telle distinction et l’atteinte d’un juste
équilibre entre le recours à des stratégies adaptatives plutôt que défensives
représentent un défi pour le thérapeute qui doit tolérer l’existence d’une certaine
zone d’ambiguïté, du moins en début de processus thérapeutique, alors que sa
connaissance de l’enfant demeure limitée.

Le développement chez l’enfant d’une capacité accrue à réguler ses affects implique 32
le développement de la capacité à percevoir ses propres états internes, mais aussi
l’acquisition d’un sentiment que ces états internes lui appartiennent et se
construisent à l’intérieur de lui, bien qu’en relation avec l’environnement. Pour
favoriser un tel développement, le thérapeute souligne l’existence d’états mentaux chez
les enfants du groupe en les nommant ou en soulignant leurs manifestations. Néanmoins,
cet exercice peut s’avérer particulièrement difficile pour les enfants présentant des
lacunes à cet égard. En effet, de telles interventions sont bien souvent perçues
comme des attaques par les enfants qui peuvent y réagir de façon agressive ou avec
fermeture. Ces réactions prennent diverses formes : mettre leurs mains sur leurs
oreilles, alliances entre pairs qui désorganisent le groupe ou encore états de
surexcitation inattendus. Plusieurs enfants ont la capacité de comprendre ce que
sont les états mentaux et de les aborder, mais la perdent lorsqu’il s’agit des leurs ou
de certains états mentaux plus difficiles à contenir pour eux. Pour cette raison, le
recours à un objet tiers, peu importe la forme qu’il prend, s’avère précieux puisqu’il
permet de donner une existence à des états mentaux impossibles à aborder
autrement. Comme nous le présenterons dans le chapitre consacré aux groupes
thérapeutiques que nous proposons, cet objet peut être un personnage de conte, un
animal présent dans le cadre du groupe, un personnage de la pièce de théâtre mise
en scène par le groupe, un des enfants du groupe ou le thérapeute lorsqu’il est
question de ce que les enfants infèrent chez lui.

Dans l’objectif de favoriser la capacité des enfants à percevoir leurs états internes, à 33
les ressentir comme leurs et à les réguler, certaines interventions nous sont apparues
particulièrement utiles. D’abord, marquer les émotions de l’enfant (également abordée
dans la section consacrée à la régulation de l’attention) favorise chez lui le

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développement de représentations de ses différents états internes ainsi que le


sentiment de pouvoir être compris par l’autre. Ensuite, valider l’expérience de l’enfant
s’avère une intervention puissante pour autant qu’elle résulte d’un processus où le
thérapeute a été en mesure de bien saisir l’état affectif de l’enfant et de lui en
communiquer une compréhension juste, au reflet de ce qui l’habite. Ceci suppose
que, par une implication affective modulée, le thérapeute parvient à saisir de
l’intérieur l’expérience de l’enfant, ce qui lui permet de bien la marquer. En effet, la
validation en soi s’avère souvent insuffisante ; c’est la capacité du thérapeute à bien
transmettre à l’enfant qu’il le comprend de l’intérieur ou de façon authentique qui
permet à ce dernier de se sentir compris (Verheugt-Pleiter et al., 2008). L’enfant qui
voit sa perspective ainsi comprise et validée peut ensuite appréhender son monde
interne comme un objet pouvant faire sens. En situation de groupe, ce type
d’intervention s’avère tout aussi utile pour les enfants qui sont aux prises avec
l’émotion que pour les autres qui peuvent aborder une émotion probablement
ressentie à un autre moment via un intermédiaire. À nouveau, de telles interventions
peuvent être utilisées sur un objet tiers (par exemple, personnages d’un conte ou
d’une pièce de théâtre inventée par les enfants, animal présent lors du groupe) afin
de permettre aux enfants d’apprivoiser graduellement des états internes
difficilement abordables.

Ajoutons enfin qu’il s’avère particulièrement utile de chercher, au moyen 34


d’hypothèses, à bien relier les affects nommés aux comportements et contextes qui
les sous-tendent afin de les ancrer dans l’expérience de l’enfant. Outre le fait que de
telles interventions visent à soutenir le développement de la capacité à mentaliser,
elles représentent également pour le thérapeute une façon de s’assurer de bien saisir
le sens des mots utilisés par l’enfant. En évitant de prendre pour acquis que sa
compréhension est bien au reflet du propos de l’enfant, le thérapeute évite aussi de
verser dans un fonctionnement prémentalisant, en mode d’équivalence psychique.

La capacité de jouer et de recourir à l’imaginaire


La possibilité d’avoir recours à l’imagination joue un rôle particulièrement important 35
dans le développement de la capacité de mentalisation (Fonagy & Target, 1998). En
effet, mentaliser nécessite d’utiliser ses capacités imaginatives pour être en mesure
de générer des hypothèses au sujet de ce que les autres ou nous-mêmes pensons et
ressentons (Bateman & Fonagy, 2015 ; Debbané et al., 2016). Mentaliser et imaginer
sont à ce point liés que les plus grands défauts de mentalisation se manifestent par
un refus net d’émettre des hypothèses au sujet des états mentaux des autres sous
prétexte qu’il est impossible de les connaître. Les enfants aux prises avec des
difficultés compromettant le développement de leurs capacités de mentalisation

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tendent aussi à démontrer des difficultés à jouer de manière créative, ce qui suggère
qu’il leur est difficile de se laisser aller à imaginer. Le groupe thérapeutique peut
constituer un vecteur puissant pour soutenir le développement des capacités
imaginatives de l’enfant à travers les échanges avec les autres et les activités
proposées.

Les groupes thérapeutiques que nous présenterons dans le chapitre suivant offrent 36
une multitude d’occasions de jouer à imaginer non seulement des états mentaux qui
pourraient sous-tendre divers comportements, mais aussi une variété de scénarios à
partir d’une même situation initiale. Les contes, les pièces de théâtre et la présence
de l’animal permettent d’introduire plusieurs variantes à ce jeu tout en favorisant le
maintien d’une distance pour l’enfant avec sa propre expérience. Cette distance s’avère
souvent essentielle pour bon nombre d’enfants participant au groupe qui sont
rapidement désorganisés par tout rapprochement trop direct avec leurs propres
états internes. Ainsi, même si la terreur que pourrait ressentir le Petit chaperon rouge,
la colère d’un des personnages de la pièce de théâtre mise en scène par le groupe ou
le stress du chat devant des gestes trop brusques s’avèrent souvent difficiles à
imaginer, de tels affects demeurent plus faciles à apprivoiser et moins à risque de
submerger l’enfant que la terreur qu’il ressent lorsqu’il est seul, que sa propre fureur
qui peut être vécue comme destructrice ou encore que l’intensité de son amour
devant les manifestations d’attachement de son parent.

Puisque les difficultés à mentaliser se présentent de manières différentes d’un enfant 37


à l’autre, les échanges en groupe permettent à chacun de s’appuyer sur les forces des
autres. À titre illustratif, pensons à un enfant qui éprouve beaucoup de difficultés à
se montrer créatif lorsque le contenu évoque une émotion de peur alors qu’un autre
enfant formule spontanément diverses hypothèses et scénarios à ce sujet. En
contexte de groupe, quand un enfant a du mal à imaginer parce qu’aux prises avec
une charge affective intense, un autre, plus à l’aise avec le contenu et davantage
capable d’en jouer pour imaginer divers scénarios, est susceptible de constituer une
sorte de modèle pour lui. Lorsque c’est tout le groupe qui se voit paralysé par
l’intensité d’une charge affective qu’il ne peut moduler, le thérapeute peut offrir un
modelage en imaginant à voix haute de possibles états mentaux qui pourraient être à
la source du comportement de l’enfant ou du personnage dont il est question. Peu
importe la forme que doivent prendre ses interventions, la curiosité et l’intérêt que
manifeste le thérapeute à l’égard de la pensée des enfants constituent un soutien
puissant à leurs élaborations.

Le langage comme soutien à l’expression des états mentaux

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Tel que mentionné dans le chapitre consacré au développement de la capacité à 38


mentaliser, le langage est un puissant soutien à la pensée et, par conséquent, à la
mentalisation. En effet, imaginer une pensée qui ne serait pas accompagnée de mots
est un exercice si difficile qu’il nous porte à croire qu’ils se développent de pair. C’est
en raison du soutien qu’il offre pour organiser et exprimer les états mentaux que
nous abordons ici la question du langage.

Plusieurs des enfants que nous recevons en clinique pédopsychiatrique peinent à 39


utiliser des mots pour nommer l’expérience vécue, que ce soit la leur ou celle d’autrui.
Chez certains enfants, ces lacunes semblent résulter de la présence de difficultés
neurodéveloppementales affectant leur capacité générale à utiliser le langage alors
que, chez d’autres, elles semblent plutôt liées au fait d’évoluer au sein de contextes
relationnels adverses, offrant peu d’opportunités pour développer cette capacité
(Ensink et al., 2015). Outre les diverses visées thérapeutiques déjà évoquées, le soin
accordé par le thérapeute mentalisant à nommer l’expérience subjective de l’enfant
(ou d’un objet tiers) en situation groupale permet également de solliciter l’attention
de l’enfant (et, nous l’espérons, de susciter son intérêt) à l’égard d’un langage qui lui
permettra d’organiser et d’exprimer des états mentaux. Le travail thérapeutique en
contexte de groupe multiplie de manière exponentielle les occasions d’apprendre,
d’utiliser, de stimuler et d’intégrer ce langage qui servira d’assises à toute pensée
réflexive. À nouveau, le recours à des objets tiers offre autant d’occasions d’aborder
indirectement ce langage en évitant les écueils d’une verbalisation trop rapide de
contenus à risque de désorganisation émotionnelle.

Le travail visant le développement et le soutien de la


mentalisation

Puisque mentaliser consiste à interpréter ses propres comportements et réactions 40


ainsi que ceux des autres en considérant les états mentaux sous-jacents, travailler à
développer cette capacité implique des interventions visant à lier des états mentaux à
des comportements. Ces interventions prennent la forme d’hypothèses sans cesse
sujettes à des modifications.

En contexte de groupe, la multitude d’interactions s’y déroulant offre de nombreuses 41


occasions de mentaliser, tout comme une diversité de matériel clinique s’y prêtant. Il
va sans dire que, ce faisant, la tâche s’en trouve complexifiée pour le thérapeute qui
devra orienter ses interventions et ainsi l’attention du groupe vers les opportunités
qui lui paraîtront les plus fructueuses. Ces choix se fondent notamment sur l’état du
groupe et des différents enfants qui le composent. Comme maintes fois souligné, la

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mentalisation n’est possible que lorsque l’individu se sent relativement calme et dans
un état de sécurité affective. Les travaux de Midgley et al. (2017c) ainsi que de
Verheugt-Pleiter et al. (2008) nous portent à croire qu’une invitation à la
mentalisation explicite au sein du groupe lorsque l’état émotionnel d’un ou plusieurs
enfants est fortement activé est contre-indiquée puisqu’à risque d’amplifier cette
activation, voire de provoquer une désorganisation.

Le dispositif de groupe permet au thérapeute d’ajuster le niveau de difficulté 42


qu’implique le travail de mentalisation pour les participants en fonction de différents
paramètres. Nous décrirons ici ceux qui nous apparaissent comme étant les trois
principaux : la nature des contenus à mentaliser, le type d’états mentaux abordés et
le positionnement des jeunes patients sur un continuum allant d’une participation
passive prenant la forme de l’observation à une participation active et investie dans
le processus de mentalisation. Nous introduisons ces différents paramètres de
manière distincte pour des fins pédagogiques, afin de communiquer le plus
clairement possible ce qui guide notre travail. La réalité clinique à laquelle nous nous
confrontons s’en trouve néanmoins outrageusement simplifiée puisque non
seulement ces paramètres se conjuguent entre eux, mais s’ajoute à ces
considérations bien évidemment la prise en compte de la réalité et de l’histoire
propres à chaque enfant du groupe. Un tel amalgame crée une myriade de situations
pouvant être mentalisées et posant leurs propres défis et difficultés.

Nature des contenus à mentaliser


Les groupes thérapeutiques que nous offrons ont été élaborés de manière à offrir des 43
contenus de différentes natures, impliquant divers niveaux d’intensité affective sur
lesquels le travail peut porter. Cet aspect, qui n’est pas un paramètre exclusif aux
groupes mais qui se trouve amplifié dans un tel contexte, permet au thérapeute
d’ajuster le travail thérapeutique aux capacités des différents enfants participant au
groupe ainsi qu’à l’état général du groupe. Le plus souvent, plus les contenus à
mentaliser évoquent directement l’expérience subjective de l’enfant, plus ils s’avèrent
difficiles à mentaliser.

Les diverses activités proposées dans le cadre des groupes (la narration d’un conte, la 44
réalisation d’un dessin, l’élaboration de la pièce de théâtre et l’observation d’un
animal) offrent une grande variété de contenus pouvant faire l’objet d’un travail de
mentalisation. La possibilité pour l’enfant de s’engager dans un processus de
réflexion concernant une expérience qu’il peut conserver à une certaine distance de
la sienne lui permet d’apprivoiser graduellement l’idée que des liens existent entre
ses propres comportements et son expérience subjective. Outre ces différents

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contenus, le travail de mentalisation peut également être fait à partir d’autres


contenus. C’est le cas d’anecdotes que les enfants rapportent lors des séances de
groupe, particulièrement en début de rencontre lorsqu’ils reprennent contact. Le
délai existant entre le moment de survenue de l’événement que rapporte l’enfant et
celui où il le relate peut en faciliter le travail de mentalisation. Ces anecdotes peuvent
impliquer directement l’enfant qui la raconte ou non. Dans ce second cas de figure, il
est probable que la mentalisation soit facilitée. Il est également possible de chercher
à mentaliser des situations vécues au sein du groupe, entre les enfants et avec le
thérapeute. L’expérience clinique nous permet d’avancer qu’il s’agit du type de
contenus avec lequel il est généralement le plus difficile de travailler, mais qui
comporte néanmoins un grand potentiel thérapeutique, surtout lorsqu’il conduit les
enfants à résoudre des malentendus, voire même parfois à réparer des blessures
subies au sein du groupe.

Nous relatons ici un exemple qui illustre bien notre propos. Un garçon déplace la 45
chaise de la fillette assise à côté de lui à plusieurs reprises, et ce sans l’avertir ni
même la regarder. Suite à quelques déplacements, les deux enfants impliqués ont
exprimé leur colère l’un envers l’autre. L’objectif visé par le travail thérapeutique était
alors d’amener les enfants à prendre en compte la pluralité des points de vue et la
nécessité que cette pluralité de perspectives soit reconnue par les autres. La réflexion
a permis à chacun de réfléchir à sa propre perspective et à l’exprimer au groupe.
Ainsi, la fillette dont la chaise a été déplacée a pu verbaliser le fait qu’elle s’est sentie
bousculée et qu’elle était sous l’impression que le garçon souhaitait la déranger alors
que ce dernier s’est dit inquiet de constater que la fillette tenait sa chaise en équilibre
sur les pieds arrière et craignant qu’elle ne tombe, a voulu l’aider. Se sentir entendu
et compris in situ constitue une étape préalable qui permet par la suite un travail
mentalisant, c’est-à-dire d’entendre et de considérer la perspective sans qu’une telle
considération n’invalide la sienne. Le malentendu devient alors plus évident et les
enfants ont la possibilité de s’excuser d’avoir créé un malaise chez l’autre, même de
manière non intentionnelle.

Types d’états mentaux abordés


Le thérapeute a aussi la possibilité d’orienter l’attention du groupe vers des types 46
d’états mentaux qui seront plus ou moins difficiles à mentaliser en fonction de la
charge affective qu’ils véhiculent de manière générale, mais également de manière
spécifique pour chaque enfant composant le groupe. Ainsi, des états mentaux à
valence positive s’avèrent généralement plus faciles à mentaliser que ceux à valence
négative. Les émotions posent aussi souvent un plus grand défi que les intentions, les
désirs et les motivations. Par exemple, lorsqu’un enfant manifeste une fierté et un

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plaisir à raconter la fête organisée par ses parents pour son anniversaire, un travail
de mentalisation peut être fait en reliant ce qui se passe dans son corps (par exemple,
l’expression du visage ou l’excitation) à sa manière de se comporter (par exemple,
chanter, courir et parler plus fort qu’à son habitude) ainsi qu’aux affects qu’il exprime
(par exemple, joie, fierté, sentiment d’être important aux yeux d’autrui). Une telle
situation représente également une occasion pour le thérapeute d’inviter les enfants
à mentaliser l’expérience de tiers, en abordant par exemple les intentions qui
pourraient avoir motivé les parents à organiser cette fête (par exemple, est-ce possible
que tes parents souhaitaient te faire plaisir ?) et en liant les comportements des parents
ainsi que leurs possibles intentions aux réactions et états mentaux de l’enfant. Ainsi,
le travail réalisé à partir d’un thème apparemment anodin prépare celui à venir
concernant des états mentaux plus difficiles à aborder.

D’une participation passive d’observateur à une participation


active dans le processus de mentalisation
Dans le contexte d’un travail thérapeutique de groupe, les enfants peuvent osciller 47
entre une posture d’observation et une participation plus impliquée. Pour les enfants
éprouvant de grandes difficultés et devenant facilement débordés sur le plan affectif,
la présence d’autres enfants au sein du groupe les protège d’une activation affective
continue (résultant du fait d’être constamment l’objet de l’attention du thérapeute)
tout en leur permettant de profiter de l’intérêt porté à l’état d’esprit des autres. Cet
avantage peut cependant devenir un inconvénient si certains enfants, parfois plus
inhibés, voient leurs états mentaux passer inaperçus.

Aux membres du groupe s’ajoute le thérapeute dont les états mentaux gagnent, dans 48
certaines situations, à être explicités. Cette explicitation peut contribuer à renforcer,
chez les enfants, la compréhension qu’ils ont du fait que les comportements sont
toujours associés à des états mentaux et que les états mentaux peuvent s’inter-
influencer. À titre illustratif, un thérapeute peut expliciter les intentions qui
motivent une intervention. Il peut également rendre compte de la compréhension
qu’il avait d’une situation, compréhension qui l’a conduit à intervenir d’une manière
ou d’une autre. En explicitant ainsi certains de ses états mentaux, le thérapeute
intervient à un niveau métacognitif. De telles interventions, faites dans le contexte
de malentendus, d’erreurs ou de blessures à réparer et lorsque l’état du groupe le
permet, s’avèrent d’autant plus puissantes qu’elles entraînent le groupe vers la
réparation. Voici un exemple illustrant notre propos. Un choix de conte à lire est
offert aux enfants participant au groupe des petits. Après discussion, un conte est
privilégié, mais ne correspond pas à la préférence d’un des enfants qui comprend que
son choix sera priorisé lors de la séance suivante. À la séance suivante, le thérapeute

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propose un autre conte que celui choisi par l’enfant, ce qui engendre chez lui à un
sentiment de colère ainsi qu’une attitude de fermeture. Explorer et comprendre les
motifs de la réaction de cet enfant donne d’abord l’occasion au thérapeute de valider
ses sentiments et de lui offrir ses excuses. Lorsque l’enfant retrouve un état affectif
plus apaisé, le thérapeute peut poursuivre le travail et expliquer qu’il s’agit d’un oubli
de sa part, qu’il n’avait pas l’intention de blesser l’enfant, mais que cette situation lui
permet de constater qu’il n’a pas saisi l’importance que prenait pour l’enfant le fait
qu’on lise le conte qu’il avait choisi la semaine précédente. De façon générale, lorsque
le thérapeute parvient à communiquer à l’enfant qu’il comprend réellement son
point de vue et qu’il est authentiquement désolé de la situation et surtout d’avoir
suscité chez lui de telles réactions, l’enfant arrive à s’intéresser au fait que le
malentendu et la blessure occasionnée seront alors susceptibles de devenir une
expérience de réparation.

Conclusion

Le premier de ces deux chapitres consacrés à la psychothérapie de groupe pour les 49


enfants visait à introduire les fondements théoriques sous-jacents à l’élaboration de
la méthode de travail que nous privilégions dans le cadre des groupes thérapeutiques
axés sur le développement de la mentalisation. Ce chapitre a permis d’identifier les
bases communes au travail de groupe réalisé auprès de jeunes enfants consultant en
pédopsychiatrie et de souligner tout le potentiel d’une telle modalité d’intervention
ainsi que son apport singulier au développement de la capacité de mentalisation de
l’enfant. En effet, le groupe apparaît comme une modalité d’intervention naturelle et
tout indiquée pour les jeunes enfants. Le chapitre suivant permettra au lecteur de se
familiariser plus concrètement avec deux modalités thérapeutiques de groupe axées
sur la mentalisation pour les enfants, telles que conçues par notre équipe.

Notes

[1] Les auteures tiennent à souligner le travail des collègues thérapeutes de groupes,
Emilie Deschenaux, Alexandre Chabot, Valérie Gagnon, Hélène Roy et Luce Contré
dont les réflexions ont grandement contribué à l’élaboration du contenu de ce
chapitre.

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Plan
Introduction

La confiance et la méfiance épistémiques : des notions centrales au travail


psychothérapeutique de groupe

Les groupes psychothérapeutiques axés sur la mentalisation : pourquoi et pour qui ?

La posture mentalisante du thérapeute : un a priori incontournable

Le travail des fondements sur lesquels s’appuie le développement de la


mentalisation au sein du groupe
La régulation de l’attention
La régulation affective
La capacité de jouer et de recourir à l’imaginaire
Le langage comme soutien à l’expression des états mentaux

Le travail visant le développement et le soutien de la mentalisation


Nature des contenus à mentaliser
Types d’états mentaux abordés
D’une participation passive d’observateur à une participation active dans le processus de
mentalisation

Conclusion

Auteurs
Isabelle Senécal

Psychologue clinicienne à la clinique de pédopsychiatrie de l’Hôpital en Santé Mentale

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Albert-Prévost du CIUSSS NIM (Canada). Elle est également superviseure d’internes en


psychologie, issus de divers programmes de doctorat offerts par différentes universités
québécoises. Ses intérêts cliniques et scientifiques portent plus particulièrement sur la
parentalité, sur l’exercice de la psychothérapie auprès d’enfants en grande difficulté, sur le
travail clinique réalisé auprès des parents de ces enfants et sur les apports d’une approche
axée sur la mentalisation dans le cadre ce travail.

Renée Hould

Travailleuse sociale diplômée de l’Université McGill et psychothérapeute Membre de


l’Ordre des Psychologues du Québec (Canada). Depuis près de trente ans, elle a œuvré à la
clinique de pédopsychiatrie de l’Hôpital en Santé Mentale Albert-Prévost du CIUSSS NIM,
au Service d’Expertise psychosociale à la Cour Supérieure du Québec pour les causes de
litiges familiaux ainsi qu’en pratique privée (Canada). Ses intérêts et expertises cliniques
concernent principalement la parentalité, les relations parents-enfants, les
problématiques d’attachement chez les jeunes enfants ainsi que les interventions
psychothérapeutiques ciblant la fonction réflexive parentale, notamment en contexte de
conflits et de litiges.

Karine Dubois-Comtois

Professeure titulaire au Département de psychologie à l’Université du Québec à Trois-


Rivières (Canada) et psychologue clinicienne en pédopsychiatrie à la clinique de
pédopsychiatrie de l’Hôpital en Santé Mentale Albert-Prévost du CIUSSS NIM (Canada).
Elle est aussi chercheuse régulière au Centre de recherche de ce CIUSSS et professeure
associée au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal. Ses
travaux de recherche portent principalement sur l’application de la théorie de
l’attachement dans l’évaluation et l’intervention auprès de populations à risque. Elle
s’intéresse également aux facteurs de risque et de protection associés à la
psychopathologie dans l’enfance selon une perspective systémique.

Mis en ligne sur Cairn.info le 15/10/2021


https://doi-org.lama.univ-amu.fr/10.3917/dbu.achim.2020.01.0175

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Chapitre 7. La psychothérapie de groupe pour


favoriser la mentalisation : illustration du travail
clinique
Karine Dubois-Comtois, Isabelle Senécal, Renée Hould, Emilie
Deschenaux, Geneviève Alain
Dans Mentaliser en contexte pédopsychiatrique (2020),
pages 195 à 217

Chapitre

Introduction

L es substrats théoriques de la psychothérapie de groupe axée sur la mentalisation


auprès de la clientèle pédopsychiatrique ont été exposés dans le chapitre
précédent. Le présent chapitre vise à présenter au lecteur la façon dont s’incarne
1

ce travail de groupe au sein de notre établissement. Pour ce faire, nous aborderons


successivement le travail clinique réalisé au sein de trois groupes. Les deux premiers
s’adressent directement aux enfants : un groupe conte offert aux jeunes enfants âgés
de quatre à six ans et utilisant le conte et le dessin comme médium ainsi qu’un groupe
de psychothérapie axée sur la mentalisation proposé aux enfants âgés de huit à douze ans
qui s’étaye sur la création d’une pièce de théâtre ou l’interaction avec un animal. Le
troisième groupe que nous présenterons est un groupe de soutien à la mentalisation
pour les parents qui accompagnent leurs enfants au groupe de psychothérapie axée
sur la mentalisation. Précisons que les trois modalités de groupes sont introduites
dans autant de sous-sections rédigées par les différents professionnels qui y sont
dédiés.

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Groupe conte

Le père Pluche me lit des livres, parfois… les livres, eux, ils ne me font pas de mal. Mon père 2
n’aimerait pas, mais… c’est-à-dire qu’il y a des histoires qui sont aussi… émouvantes, vous
comprenez ? Avec des gens qui tuent, qui meurent… mais quand ça vient d’un livre, je peux
entendre n’importe quoi, c’est bizarre ça, j’arrive même à pleurer et c’est agréable, il n’y a pas
cette odeur de mort qui traîne, je pleure, c’est tout, et le père Pluche continue à lire et c’est très
beau…

— (Baricco, 1998, p. 36)

La fascination pour les contes et les histoires avec ses héros existe de manière 3
intemporelle, tous âges et cultures confondus. Il s’agit non seulement d’un véhicule
privilégié du monde fantasmatique des enfants, mais également, comme l’exprime si
bien l’écrivain Alessandro Baricco (1998), d’un espace dans lequel ces derniers
peuvent explorer les états mentaux avec une distance qui les protège de la détresse
qu’ils soulèvent trop souvent. Des contes comme ceux de Claude Ponti et Grégoire
Solotareff nous enchantent par leur pouvoir de traduire en mots et en images des
concepts aussi abstraits que la dissociation traumatique ou l’emprise mortifère
exercée par une relation narcissique. Voilà pourquoi les contes sont devenus le
médium privilégié de la psychothérapie de groupe s’adressant aux jeunes enfants au
sein de notre institution. Afin de rendre compte de ce travail, nous présenterons
d’abord l’organisation du groupe pour ensuite détailler le déroulement des séances.

Organisation du groupe
Il s’agit d’un rendez-vous hebdomadaire d’une durée d’une heure pour une période 4
couvrant environ une année scolaire qui nous attend avec nos petits patients de la
clinique, qui y viennent pour les uns avec enthousiasme et curiosité et pour d’autres
avec appréhension. Quatre ou cinq enfants âgés de quatre à six ans sont assis face à
deux thérapeutes et, entre les grands et les petits, un livre illustré, une histoire à
raconter en alternance par les thérapeutes. Une fois l’histoire lue, le groupe se
termine par une production graphique réalisée par les enfants. Ces jeunes enfants
présentent des problématiques diverses sur le plan de leur développement, affectant
la sphère du langage, de la motricité, de la socialisation et leur capacité de régulation
émotionnelle. Ces petits enfants ont notamment en commun un développement des
capacités de mentalisation ainsi que des fondements sur lesquels elles se
construisent entravé par les adversités rencontrées. Ils ont souvent connu des vécus
traumatiques qui contribuent aux difficultés d’attachement qu’ils présentent,
accompagnées d’anxiété qui s’exprime sous forme d’inhibition, d’excitation ou

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d’agressivité. L’intensité des troubles inquiète souvent leurs parents et place


fréquemment ces enfants devant une incapacité à s’adapter au milieu de garde ou à
l’école maternelle.

Le fonctionnement de la clinique qui accueille les petits fait en sorte qu’une alliance 5
est déjà établie entre les parents et l’équipe lors du démarrage du groupe. Les enfants
sont également bien connus des thérapeutes lorsqu’ils commencent la
psychothérapie de groupe, ce qui facilite la phase de préparation du groupe lors de
laquelle l’équipe s’assure de la pertinence de cette modalité au regard de l’enfant, de
sa disposition à y participer et de l’engagement des parents qui devront assurer sa
présence. Une formulation simple du problème, élaborée et discutée avec l’enfant
ainsi qu’avec ses parents au cours du processus d’évaluation précédant la
participation au groupe, résume les difficultés propres à chaque enfant et contribue à
donner un sens à cette entreprise.

Semaine après semaine, une routine s’installe et se veut un élément essentiel de ce 6


qui est mis en place par les thérapeutes pour favoriser la régulation affective, la
régulation de l’attention, l’attention conjointe et éventuellement l’attention conjointe
aux états mentaux. En effet, cette routine favorise un sentiment de sécurité puisque
rapidement l’enfant peut appréhender ce qui va se produire dans l’espace
thérapeutique qui lui est proposé. Ce faisant, la vigilance à l’environnement peut
diminuer pour laisser les enfants porter attention à ce qui rythme le déroulement des
séances : la prise de contact, le récit, le dessin et la séparation.

Déroulement des séances et visées thérapeutiques


La prise de contact. La prise de contact avec les enfants se fait d’abord à la salle 7
d’attente où deux thérapeutes, attentifs à leur état et à ce que représente pour eux ce
moment de séparation de leurs figures de soin, viennent les chercher pour les
conduire vers la salle de psychothérapie. Un premier travail de régulation des
émotions est souvent nécessaire de façon à garder l’activation émotionnelle à un
niveau tolérable pour l’enfant. Arrivés à la salle, les enfants prennent place, assis en
demi-cercle face aux thérapeutes. Un important travail de régulation de l’attention et
éventuellement d’attention conjointe aux états mentaux s’amorce. Conformément à
ce qui a été explicité dans le chapitre précédent, il s’agit d’abord de porter attention
aux manifestations somatiques, verbales et relationnelles qui renseignent sur l’état
des enfants et du groupe et de réguler l’attention en veillant, autant qu’il est possible
de le faire, au confort de tous. Le plus souvent, le simple fait de prendre place et de
ralentir quelque peu l’agitation constitue un défi. Lorsque chaque enfant est
suffisamment régulé pour porter attention aux thérapeutes, ils sont une nouvelle fois

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salués par ces derniers afin de bien marquer le début du temps en groupe. Les
thérapeutes s’assurent que chacun se souvient bien du nom de tous. Apparemment
banale, cette intervention oriente l’attention des enfants sur la présence des autres
dont l’altérité est marquée par le prénom. Cette attention portée ensemble à la
présence d’un autre, différent de soi, ainsi qu’à soi-même avec les autres constitue un
premier pas vers l’attention conjointe aux états mentaux et une plus grande
différenciation soi-autrui.

Par la suite, le travail se poursuit par un moment de causerie lors duquel les enfants 8
sont invités à partager une préoccupation ou un événement. Ce moment sollicite les
capacités émergentes des enfants à s’intéresser à leur propre expérience ainsi qu’à
celle de leurs pairs puisqu’il s’agit tantôt d’écouter l’autre et tantôt d’être à l’écoute,
avec les autres, de ce qui émerge de soi. Il va sans dire que les capacités à réguler
l’attention et l’affect sont alors sollicitées et travaillées. Pour les enfants les plus
impulsifs, respecter le tour de parole est un grand défi alors que, pour les grands
inhibés, c’est plutôt le fait de la prendre qui s’avère exigeant. Certains, envahis par les
idées et les désirs qui les assaillent, éprouvent des difficultés à porter attention à un
pair, un prélude à la mentalisation de l’autre. D’autres se voient confrontés au vide
que laisse leur difficulté à prendre contact avec leur monde intérieur. Sans ce
contact, rien n’émerge d’eux. Parmi ces derniers, certains se taisent alors que
d’autres reprennent à leur compte ce qui a été raconté par leurs pairs.

Par ailleurs, ce moment est souvent l’occasion d’aborder des thèmes reliés à la 9
séparation d’avec le parent qui s’est produite un instant plus tôt, à l’absence d’un
membre du groupe ou à des événements de la vie quotidienne qui ont suscité des
émotions intenses de plaisir ou de déplaisir au cours de la dernière semaine. Ce
temps est parfois déjà l’occasion d’approcher, plus directement ou à travers
l’expérience d’un pair, des états internes difficiles. Il n’est pas rare qu’un enfant se
sente interpellé par la tristesse d’un autre enfant qui a eu du mal à laisser sa mère
dans la salle d’attente, alors qu’il lui est difficile de prendre contact avec une
expérience similaire chez lui-même. L’exemple d’Alexis permet d’illustrer nos propos.

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De semaine en semaine, comme suivant un rituel, Alexis entre dans la salle du conte et prend
place avec empressement sur la petite chaise où le livre est déposé, habituellement la chaise du
thérapeute. Livre en main, il se place face à ses pairs avec un regard moqueur et défiant. Il ne
résiste pourtant pas à la suggestion de reprendre sa place auprès des enfants lorsque le
thérapeute l’y invite, après avoir noté ce désir, question de le faire exister aux yeux d’Alexis et
ainsi relier son comportement à un état mental. Nommer ce désir est ici une prémisse
essentielle à une éventuelle appréhension des différentes couches de sens que pourrait prendre
ce comportement, telles que celui de prendre la place des grands, d’être celui qui aura le rôle de
raconter l’histoire ou d’être le centre de l’attention le temps de l’histoire. D’ailleurs, Alexis
exprimera plus tard son sentiment de ne jamais être à la hauteur de son grand frère et sa peur
de commencer l’école maternelle parce qu’il ne sait pas lire comme lui.

Le temps du récit. C’est guidé par une idée générale du temps à accorder à chacune des 11
tâches qui rythment les séances et par l’état du groupe que les thérapeutes jugent du
moment opportun pour amorcer la transition vers le conte. Il arrive que les contenus
qui émergent lors de la discussion deviennent chargés d’émotions et entraînent un
moment de dysrégulation chez les enfants. À d’autres occasions, c’est plutôt à une
sorte de vide que le groupe fait face, les enfants se trouvant dans l’incapacité
d’identifier en soi des expériences qu’ils aimeraient partager. Dans ces cas, le conte
peut être introduit pour réorienter l’attention, tempérer la charge affective présente
et ainsi retrouver des capacités à penser, devenues momentanément moins
accessibles. Il est aussi possible que le temps de la prise de contact soit simplement
terminé, les enfants ayant épuisé la discussion des thèmes qu’ils souhaitaient
partager. Le conte est alors amené de façon naturelle comme une proposition pour
porter attention de façon conjointe à des états mentaux, pour stimuler les capacités
imaginatives, pour développer le vocabulaire relié aux états mentaux et pour
éventuellement les mentaliser.

Avant de poursuivre la présentation de l’intervention, attardons-nous à la sélection 12


du conte. Bien entendu, le thérapeute choisit un conte adapté aux capacités des
enfants en prenant en compte leur niveau de développement tant cognitif qu’affectif.
Des contes courts et simples favorisent un accès plus aisé au sens et apportent la
satisfaction d’avoir complété quelque chose à l’intérieur d’une même séance. Des
contes plus longs peuvent être racontés en plusieurs séances, si la frustration
générée par l’interruption est tolérable et contrebalancée par le plaisir d’attendre la
suite. Des contes dont le contenu prend une forme plutôt poétique invitent les
enfants à mobiliser leur imagination et leur capacité de mentalisation émergentes
pour en faire émerger un sens. Ils ouvrent la porte à des échanges au sujet de
perspectives différentes. Toutefois, alors que le mystère et l’ambiguïté stimulent la
curiosité des uns, ils peuvent solliciter trop fortement la sphère affective, entraînant

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plutôt une inhibition contre-productive ou encore en blesser d’autres pour qui ne pas
comprendre rapidement ébranle un narcissisme fragile. En outre, il est possible qu’à
l’instar des interventions complexes ou de nature interprétative formulées dans le
contexte du travail avec les adultes (Debbané, 2016c ; Karterud & Bateman, 2012), ce
type de contes entraîne une confusion ou l’adoption d’une posture plus
intellectualisée en mode semblant, ce qui mine les capacités de mentalisation des
enfants. Le propos des contes peut être relié à des thèmes jugés pertinents pour
certains enfants. Une telle adéquation n’est toutefois pas essentielle puisqu’il ne
s’agit pas de les travailler de façon spécifique à chacun, mais plutôt de se centrer sur
le processus qui favorisera la mentalisation.

Au fil du temps, c’est la capacité du conte à mobiliser l’attention, la curiosité et le 13


plaisir des enfants ainsi que des thérapeutes qui est devenue le critère le plus
important afin de choisir le conte qui sera lu. En effet, le plaisir du conteur dans la
transmission orale, pour autant qu’il demeure bien accordé à celui des enfants,
suscite immanquablement une réaction et est, à notre avis, une composante
essentielle à l’effet thérapeutique. Quel adulte n’a pas éprouvé de tension et de
réminiscences infantiles en imitant la voix du méchant loup qui invite le petit
Chaperon rouge à entrer dans la maison de sa grand-mère et quel enfant n’a pas
frémi face au danger appréhendé pour la gentille fillette au bonnet rouge ? Comme le
disait si bien Bruno Bettelheim (1976) :

Tandis que l’enfant joue du fantasme, l’adulte peut très bien tirer son plaisir de la joie de 14
l’enfant ; tandis que l’enfant exulte, parce qu’il comprend mieux, maintenant, quelque chose
qui se passe en lui, le plaisir du conteur peut naître de cette soudaine prise de conscience que
l’enfant est en train de vivre.

L’expérience clinique nous permet d’avancer que le plaisir du thérapeute-conteur 15


représente une composante nécessaire à l’effet thérapeutique. En ce sens, nous
pensons qu’il le conduit à adopter spontanément une position pédagogique et à
émettre des signaux semblables à ceux émis par le parent à son enfant, lesquels
induisent chez ce dernier un état d’attention à ce qui est communiqué. Comme
l’énoncent Csibra et Gergely (2006) lorsqu’ils décrivent la position pédagogique, les
conteurs savent souligner les passages plus chargés en cherchant à créer un contact
visuel, en soulevant les sourcils, en écarquillant les yeux et en ralentissant le débit
verbal. Ils marquent ainsi les émotions. Cette façon de faire la narration s’apparente
à la tendance des parents à refléter de manière marquée ou surjouée, voire
stéréotypée, l’expression émotionnelle de leur enfant (marked affect mirorring ou
marquage des émotions), ce qui constitue l’une des conditions nécessaires au
développement de la capacité de mentalisation de l’enfant (Gergely, Fonagy, Jurist, &

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Target, 2002).

La présentation du conte aux enfants suscite des réactions allant d’une excitation 16
découlant de la curiosité et du plaisir anticipé jusqu’au rejet actif. La charge affective
associée au conte est immédiatement éprouvée par les enfants qui peuvent parfois la
vivre comme étant menaçante. Écouter un conte, quel qu’il soit, implique une forme
de laisser-aller difficile à tolérer pour plusieurs de ces enfants ayant tendance à se
réguler en recherchant le contrôle. La confrontation à de telles situations situe le
travail des thérapeutes au niveau de la régulation affective et attentionnelle afin de
soutenir la capacité des enfants à tolérer un peu plus longtemps les états mentaux
soulevés, pour éventuellement arriver à les contempler et à amorcer un travail de
mentalisation.

Lorsque les enfants sont suffisamment apaisés, le regard aiguisé, il faut les voir 17
s’asseoir au plus près du thérapeute-conteur dans une recherche de contact pour
partager cette expérience émotionnelle et corporelle induite par l’intensité du propos
véhiculé par le conte dans un moment quasi magique. Le plaisir de se faire raconter,
avec la simple présence d’un adulte qui marque les frontières et les générations, a
une fonction structurante et apaisante qui favorise le travail de mentalisation. Les
deux thérapeutes font alliance pour favoriser l’émergence, chez les enfants, des
contenus affectifs suscités par le récit. Ils demeurent tous les deux vigilants aux
signes que manifestent les enfants, tels que l’élévation de l’activation affective, des
signes d’incompréhension ou de curiosité, suggérant qu’il s’agit d’un moment
propice à amorcer un travail de mentalisation. Ils n’hésitent pas à interrompre le
récit pour soutenir l’émergence des processus de mentalisation des enfants aux
prises avec des émotions provoquées par le récit. De même, les thérapeutes veillent à
utiliser toutes les situations in situ telles que les comportements des enfants, leurs
réactions somatiques et leurs interactions comme matière pour mentaliser. La parole
de l’un est relancée par la parole de l’autre, la chaîne des associations des enfants
permet d’explorer chacun pour soi et à son niveau ses contenus psychiques
émergents. Le travail des thérapeutes en est ici encore un de régulation
émotionnelle. Pour ce faire, ils démontrent de la curiosité pour les émotions des uns
et des autres, les marquent et les valident de manière empathique. Ces interventions
favorisent le maintien du groupe dans un état d’activation émotionnelle propice au
travail. Comme nous l’avons explicité au chapitre précédent, ces interventions visent
également à ce que les enfants se sentent compris par les thérapeutes afin de
favoriser l’ouverture à l’expérience thérapeutique (confiance épistémique). Dans un
deuxième temps, les thérapeutes peuvent soutenir la mise en mots d’expériences
jusqu’alors restées muettes ou impensées. Il s’agit là d’une première étape essentielle
à un travail de mentalisation plus élaboré. En d’autres termes, pour s’intéresser et

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Chapitre 7. La psychothérapie de groupe pour favoriser la mentalisation :... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

réfléchir aux expériences et aux états mentaux associés, ceux-ci doivent d’abord
exister à travers la parole. Pour certains enfants, il s’agit probablement de la
première fois que des mots sont posés sur les expériences mentionnées. En voici
deux brèves illustrations.

Ludovic, souvent agité et provocateur, ne peut rester indifférent devant la sorcière rencontrée 18
par Hansel et Gretel dans leur quête pour retrouver leur chemin alors que leur mère a poussé
son mari accablé à accepter son plan diabolique de les abandonner à leur sort dans la sombre
forêt. Ludovic est calme lorsqu’il dit qu’il a peur de sa mère lorsqu’elle se met en colère contre
lui et qu’elle le frappe. La conflictualité provoquée par l’ambivalence entre le sentiment de
loyauté à une mère aimée qui peut aussi devenir cette méchante mère-sorcière rejetante et
abandonnique prend forme pour Ludovic qui, à travers le conte, peut entendre qu’une maman
peut être à la fois bonne et mauvaise, gentille et très en colère.
Jérémie grandit dans une famille nombreuse. L’histoire du Vilain petit canard et du regard
que porte la maman cane sur cet œuf étrange et différent de sa couvée donne l’occasion à
chacun d’exprimer son idée sur comment il pense avoir été accueilli par ses parents, ce qui est
réconfortant à entendre et probablement à exprimer dans le cas où le désir était au rendez-
vous ou a été vécu comme tel. Jérémie, drapé dans sa toute-puissance, bien qu’en perte d’une
mère qui aura été trop rapidement accaparée par un second enfant né prématurément,
exprime que sa maman était ravie de l’accueillir comme l’enfant magnifique qu’elle
attendait… le confinant paradoxalement à demeurer dans une position narcissique sans
faille, mais certes problématique.

Qu’il soit devenu possible d’envisager qu’une mère puisse être tantôt bonne et tantôt 19
mauvaise permettra à Ludovic, mais également au reste du groupe, de ne plus
seulement subir cette mère, mais d’y penser et d’en parler. En raison de sa nature
proche d’un espace onirique et la distance qu’il impose, le conte permet aux enfants
d’accéder aux émotions suscitées par des expériences vécues qui, autrement, seraient
difficilement accessibles parce que trop chargées ou conflictuelles sur le plan
émotionnel. Dans le deuxième cas, c’est la façon dont un enfant a été attendu et
accueilli par le regard des parents qui devient tout à coup une chose à penser et non
plus seulement à éprouver. Ces exemples rendent compte d’un travail sur des
contenus intimement liés à l’histoire des enfants. Rappelons à nouveau que cet
arrimage étroit n’est pas essentiel à un travail visant le développement des capacités
de mentalisation puisque le simple fait de demeurer régulé, de porter attention à des
états mentaux et de mettre des mots sur certains d’entre eux représente une avancée
significative pour les enfants à qui est destiné ce groupe. Les contes sont une source
inépuisable d’opportunités pour favoriser l’émergence de contenus émotionnels. Le
rôle des thérapeutes est de saisir toutes les occasions pour les repérer et soutenir un
travail de mise en mots tout en veillant à maintenir le groupe dans un état propice à

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Chapitre 7. La psychothérapie de groupe pour favoriser la mentalisation :... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

ce travail. Tous les enfants du groupe ne sont pas au même niveau en termes de
développement de la mentalisation, mais à chacun est donnée matière à élaborer et
évoluer.

Le temps du dessin. La création d’un dessin individuel lorsque le livre est refermé, 20
troisième étape du groupe conte, offre à l’enfant une occasion différente d’exprimer
les états mentaux qu’a pu susciter l’écoute du conte. C’est un temps de retour à soi-
même tout en demeurant solidaire du groupe qui vient de partager l’expérience du
conte. Malgré le fait que pour la majorité des enfants du groupe, les capacités
graphiques et d’expression symbolique picturale soient très limitées, le dessin offre
l’occasion d’extérioriser des états mentaux en utilisant une voie moins exigeante que
la parole, sans pour autant constituer un agir. Le temps du dessin amène un travail
bien différent selon les défis auxquels chaque enfant est confronté. Les enfants plus
impulsifs qui éprouvent des difficultés à se freiner et à retarder leur satisfaction
dessinent plus rapidement que les autres et ont du mal à attendre que leurs pairs
soient prêts pour échanger. Ils sont soutenus par les thérapeutes pour tolérer
l’attente et respecter le besoin de temps et d’espace des autres. Les enfants inhibés et
peu en contact avec leur monde intérieur peinent à trouver des thèmes et ne se
laissent pas aller à une expression spontanée. D’autres, peu différenciés, peuvent être
envahis par l’expérience d’autrui et avoir tendance à reproduire les dessins de leurs
pairs. À nouveau, les thérapeutes sensibles à leur expérience les soutiendront dans
l’identification de ce qu’ils souhaiteraient dessiner, cherchant ainsi à parvenir à une
meilleure différenciation soi-autrui. Au risque de nous répéter, il nous faut à
nouveau souligner qu’à cette étape aussi une part importante de l’effet thérapeutique
réside dans la capacité des thérapeutes à communiquer leur intérêt et leur sensibilité
à l’expérience de l’enfant. Il s’agit encore de marquer l’affect de façon contingente et
congruente afin de rendre possible pour l’enfant l’expérience d’être compris et validé
qui permet ensuite l’ouverture à l’expérience thérapeutique, à l’esprit de l’autre et au
sien.

À la suite de la réalisation du dessin, un temps est prévu pour permettre à chacun de 21


parler du sien comme il le souhaite. De même qu’à la causerie, ce temps de parole en
est un de travail sur la capacité à orienter son attention tantôt sur l’autre, tantôt sur
soi et de plus en plus sur les états mentaux. Les uns voudront être les premiers à
parler et devront souvent être accompagnés pour tolérer la frustration de ne pas
l’être et arriver ainsi à s’intéresser à leurs pairs. Les autres voudront être les derniers
et espéreront que le temps manquera pour ce faire. Le temps consacré à porter
attention aux autres enfants du groupe offre l’occasion de développer la curiosité et
l’intérêt pour autrui en lui posant des questions sur son dessin ou son expérience,
ouvrant ainsi sur la possibilité de se montrer empathique et d’utiliser son

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imagination pour générer des hypothèses expliquant un comportement. Les


interventions des thérapeutes visent à soutenir l’émergence de ces habiletés
naissantes. Pour ce faire, ils prennent soin de laisser un espace aux enfants tout en
leur fournissant des opportunités qu’ils peuvent saisir ou non et en leur offrant un
modeling lorsque nécessaire.

Marie remplit sa feuille de traits de crayons multicolores, absorbée par une activité qui semble 22
avoir pour elle un sens et un but. Invitée à présenter son dessin au groupe, Marie identifie son
papa, situé tout près d’elle sur son dessin, bien qu’il parle fort et lui fasse peur, dit-elle. Il y a
aussi les voitures, la maman et le petit frère. Marie doit composer avec la réalité d’un père
toxicomane pour qui le choix de la cure fermée s’impose. Elle lui rend visite le dimanche avec
son petit frère, conduits par leur mère. Marie amorce ainsi, en dessinant, un travail de
mentalisation concernant son expérience d’un papa aimé, qui sait bien s’occuper d’elle
lorsqu’il est sobre, mais qu’elle craint lorsqu’il consomme et devient violent.
Chloé est figée devant sa page blanche. Elle dit ne pas avoir d’idée. Les enfants se montrent
sensibles à la détresse que génère cette situation chez elle et lui proposent des idées : une fleur,
un soleil, une maison.

La capacité à se montrer ainsi spontanément sensible et empathique à l’état mental 23


d’autrui témoigne d’un travail de mentalisation implicite qui nécessite une
reconnaissance minimale des états mentaux en question. Ces moments représentent
autant d’occasions de s’intéresser, de manière plus explicite, à ce qui se passe pour
l’un et pour l’autre et ainsi d’amorcer un processus de mentalisation explicite.

Simon s’absorbe à remplir à grands traits sa feuille. Gabrielle affirme avec mépris que c’est du 24
barbouillage. Le thérapeute questionne alors Gabrielle quant à ce que son commentaire
pourrait susciter comme sentiment chez Simon à son avis. Gabrielle réfléchit et exprime
clairement que Simon doit se sentir triste. Gabrielle sait bien ce qu’est la tristesse… mais elle
lui est moins accessible que sa colère.

En somme, entre le rêve et la réalité, entre le trop proche et le trop loin, il y a le conte 25
que l’enfant se fait raconter par un adulte bienveillant, avec les pairs. Tu me racontes,
dans un espace fantasmatique protégé, à l’abri des représailles et des angoisses
multiformes liées à des pensées parfois… impensables ! Le conte favorise, dans cet
espace de la psyché, l’élaboration des processus favorisant la mentalisation.
L’attention conjointe sur un objet partagé, la régulation émotionnelle favorisée par le
conteur qui ajuste son intensité narrative en fonction des émotions provoquées par
les éléments du récit, l’étayage de la charge affective par le langage sont autant de
voies privilégiées au développement des habiletés de base à la mentalisation. Les
différents temps du groupe conte – la prise de contact entre les membres du groupe,

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le temps du récit et le temps du dessin – y contribuent aussi, de manière


complémentaire, avec le soutien des pairs et des thérapeutes.

Groupe de psychothérapie axée sur la mentalisation

Si le conte est un médium bien adapté aux jeunes enfants (4-6 ans), les enfants dans 26
la période de la latence qui consultent en clinique externe de pédopsychiatrie
profitent tout autant du travail thérapeutique de groupe pour favoriser le
développement de leur capacité de mentalisation. La forme que nous avons retenue
pour promouvoir ce travail auprès de la clientèle de la latence est celle d’une activité
de théâtre, laquelle s’apparente au psychodrame (Lebovici, 2004). À travers le jeu de
rôle mis en scène dans la pièce de théâtre, les jeunes peuvent expérimenter
l’expression de désirs, pensées ou intentions qu’ils ne sont pas nécessairement prêts
à assumer dans le monde réel auprès des membres de la famille ou d’amis, mais qui
deviennent plus facilement acceptables ou tolérables parce qu’ils se situent dans le
registre du faire semblant (Winnicott, 1975).

Comment l’activité de la pièce de théâtre contribue-t-elle plus spécifiquement au 27


développement des habiletés de mentalisation ? De quelles façons interviennent les
thérapeutes du groupe pour favoriser ce travail clinique ? Les réponses à ces
questions se trouvent à la fois dans le déroulement du groupe et dans la manière
dont les thérapeutes introduiront les occasions de s’intéresser au monde intérieur de
chacun. La présentation du travail de groupe sera suivie par une illustration clinique.

L’organisation et le déroulement du groupe


Le groupe, composé de quatre à cinq jeunes d’âge similaire (plus ou moins un an 28
d’intervalle) et de deux thérapeutes, est mis en place à raison de 60 minutes par
semaine sur une période de 15 à 30 semaines. Les problématiques présentées par les
jeunes peuvent être différentes, mais ces derniers ont en commun des déficits de
mentalisation se traduisant par des difficultés dans les interactions sociales et dans
la régulation émotionnelle. En raison de la mixité des problématiques, chaque enfant
et ses parents participent à une rencontre initiale pré-groupe avec les thérapeutes
afin d’évaluer le fonctionnement du jeune dans le but d’assurer une bonne cohésion
au sein du groupe. Pour chaque enfant, nous tentons de formuler en termes
accessibles la problématique principale ayant mené à l’indication d’une telle modalité
psychothérapeutique. Pendant la séance de groupe des enfants, les parents
participent de leur côté à un groupe de soutien accompagnés de thérapeutes. Ce
groupe de soutien à la mentalisation pour les parents sera présenté plus en détail

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dans la troisième section de ce chapitre.

Chaque semaine, les rencontres du groupe d’enfants débutent par une courte 29
période de discussion libre, permettant aux enfants de (re)prendre contact les uns
avec les autres, de partager une situation vécue et de se recentrer sur le travail de
groupe. Ils sont ensuite invités à réaliser une pièce de théâtre pour laquelle ils
doivent, d’un commun accord, élaborer une histoire et inventer des personnages.
Dans certains groupes, une nouvelle intrigue est proposée chaque semaine alors que,
dans d’autres groupes, les jeunes souhaitent travailler le même contenu symbolique
sur plusieurs rencontres.

Certaines règles sont primordiales pour permettre de jouer la pièce de théâtre. Ces 30
règles affermissent l’établissement d’un sentiment de sécurité qui limitera les
débordements émotionnels à un niveau d’activation optimale et rendra possible le
travail d’attention conjointe aux états mentaux. Au mieux, elles permettront le travail
de mise en représentation et de symbolisation par le recours à la parole et
l’imaginaire et éviteront les risques de passage à l’acte (Schiavinato, 2006). Les
premières règles énoncées aux enfants concernent la demande explicite de ne pas se
faire mal ni à soi-même ni à l’autre, ce qui implique de ne pas se toucher
physiquement ni avoir recours à des objets qui pourraient permettre de se blesser. Le
jeu doit en demeurer un où l’on fait semblant.

Par ailleurs, les enfants ont la liberté d’inventer le scénario de leur choix, mais tous 31
doivent se mettre d’accord avant de commencer à jouer la pièce. Simple en
apparence, cette étape s’avère un terrain très propice à développer les capacités de
mentalisation. Nous pouvons nommer le recours à l’imagination, la résolution de
malentendus et le fait de se mettre à la place de l’autre et d’être empathique. Ces
habiletés qui sont immanquablement travaillées dans le groupe contribuent à la
capacité des enfants à imaginer des scénarios qui se distinguent de la réalité
objective, à entrevoir différentes perspectives et à porter davantage la perspective de
l’autre à l’intérieur de soi. Aucun enfant n’a l’obligation de la jouer puisqu’il est
possible de prendre un rôle de spectateur. Les enfants sont prêts à jouer la pièce
lorsqu’il y a eu élaboration d’une histoire – et donc d’une trame narrative – ainsi que
la présentation des rôles de chacun. Cet étayage, qui constitue un défi pour une
clientèle d’enfants aux prises avec une psychopathologie et/ou des troubles
neurodéveloppementaux, se fait avec la collaboration de chacun et le soutien des
thérapeutes. Ce travail d’élaboration permet à chaque enfant de savoir ce qu’il devra
faire comme action dans la pièce et de réfléchir aux pensées et aux émotions qui
pourraient animer son personnage. La capacité de recourir à l’imaginaire est alors
mise en avant et une attention particulière est portée aux verbalisations qui
traduisent des états mentaux. En l’absence de telles verbalisations chez les enfants,

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les thérapeutes les encouragent à ajouter à leur scénario les états mentaux des
personnages. Les enfants ont la possibilité de faire jouer un thérapeute dans la pièce
et ce sont les enfants qui choisiront le personnage qu’il devra interpréter. Cette façon
de faire est inspirée du travail réalisé par certains thérapeutes de psychodrame (par
exemple, Schiavinato, 2006). Elle permet entre autres qu’un personnage moins
intéressant ou plus inconfortable à jouer soit pris en charge par un adulte qui est
mieux équipé pour le personnifier et le rendre accessible (par exemple, un
personnage qui se fait torturer et en meurt).

Pour soutenir les enfants dans la réalisation de la pièce de théâtre, le deuxième 32


thérapeute prend le rôle du metteur en scène, c’est-à-dire qu’il détermine quand les
enfants sont prêts à jouer la pièce et à quel moment elle doit se terminer. Il recentre
l’attention sur la tâche du groupe et rappelle le scénario pendant la réalisation de la
pièce lorsqu’il remarque que les enfants s’en éloignent ou semblent bloqués. Il peut
soutenir un enfant qui n’arrive pas à jouer son rôle. Ceci survient généralement
lorsqu’un enfant a du mal à exprimer l’émotion de son personnage et est donc à
risque de dysrégulation émotionnelle. Le metteur en scène s’assure alors que l’enfant
se rappelle l’émotion à jouer et lui demande comment celle-ci peut s’exprimer ou
encore de quelle façon les autres jeunes pourraient voir ou comprendre l’émotion du
personnage. Par son travail, le metteur en scène soutient le développement de
l’ensemble des fondements sur lesquels se construit la mentalisation : il permet une
attention conjointe aux états mentaux à travers l’établissement d’un climat de
sécurité, il veille à soutenir la régulation affective des enfants lorsque celle-ci est
précaire et il favorise un langage propre aux états mentaux et le recours à
l’imaginaire.

Après le déroulement de la pièce de théâtre, les enfants sont invités à partager leur 33
expérience avec l’ensemble du groupe. Les thérapeutes demandent aux enfants ce
que chacun a pensé de la pièce, de son rôle et du rôle des autres. Ceci permet aux
enfants de s’exprimer sur leur expérience subjective à partir d’une situation
commune qu’ils ont vécue. La discussion peut également porter sur les états
mentaux des personnages, lesquels sont parfois plus facilement accessibles que ceux
des enfants. L’ensemble de ce travail favorise donc l’attention conjointe aux états
mentaux ainsi que la possibilité, pour les enfants, de se confronter à la présence
simultanée de perspectives différentes à l’égard d’une même situation ou d’un même
objet. Les différentes verbalisations des enfants lors de cet échange peuvent être
reprises par les thérapeutes dans les séances de groupe subséquentes afin d’aider les
jeunes à exprimer plus facilement leurs besoins et désirs. Par exemple, lors d’une
rencontre de groupe ultérieure, ils rappelleront aux enfants leur insatisfaction suite
à une pièce trop peu élaborée et jouée trop rapidement, loin de leur souhait initial

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que la pièce de théâtre dure plus longtemps. Ainsi, les thérapeutes montrent aux
enfants qu’ils portent le groupe dans leur tête et qu’il est possible d’apprendre des
expériences affectives antérieures. Cette façon de faire des thérapeutes contribue au
climat de sécurité à l’intérieur du groupe.

Notons qu’il est possible qu’aucune pièce ne soit jouée lors d’une séance, les enfants 34
ne réussissant pas à s’entendre sur une idée commune ou décidant solidairement de
ne pas la réaliser. Cette situation, loin d’être considérée comme un échec du groupe,
s’avère plutôt une excellente occasion de réfléchir tous ensemble aux défis auxquels
le groupe a dû faire face. Elle devient le prétexte pour approfondir leur propre
expérience interne et celle des autres et émettre des hypothèses quant aux facteurs
qui ont facilité ou limité la possibilité de réaliser l’activité conjointe.

Le travail sur les capacités de mentalisation


L’activité de la pièce de théâtre a pour objectif de favoriser le recours à l’imaginaire et 35
au langage comme soutien à l’expression des états mentaux. Elle permet aux enfants
d’imaginer des histoires et de mettre en scène des enjeux auxquels il est difficile de
réfléchir et de là, qui demeurent peu mentalisés. Nous constatons que les scénarios
les plus souvent élaborés par les enfants portent sur des thèmes tels que l’avidité, les
angoisses d’abandon ou la violence destructrice. En imaginant de tels scénarios en
groupe, cette activité permet à l’enfant de s’appuyer sur ses pairs, en plus des
thérapeutes, pour élaborer une trame narrative et pour explorer des tensions et
enjeux internes qui s’activent dans la relation avec l’autre. Ainsi, à l’instar du groupe
conte présenté plus haut, il n’est pas rare que les enfants proposent une histoire avec
des gentils et des méchants incluant, par exemple, des personnages qui seront d’abord
rejetés avant d’être réadmis dans le groupe ou la famille par des figures parentales
abandonniques qui deviendront soutenantes et bienveillantes. Ces mises en scène
permettent aussi aux enfants de réfléchir naturellement à des points de vue bien
antagonisés et de constater qu’il existe plus d’une perspective à toute situation.
L’activité de théâtre devient ainsi une aire de jeu transitionnelle qui favorise le
développement des capacités de mentalisation, notamment par l’émergence d’une
prise de conscience des différents états mentaux des personnages rendue possible
grâce à l’attention conjointe portée aux états mentaux par les enfants et leurs
thérapeutes. À travers le jeu symbolique, les enfants découvrent qu’une
représentation des personnages et de leurs actions peut être motivée par des états
mentaux (sentiments, désirs), lesquels peuvent être uniques à chaque personnage
(Terradas & Achim, 2013).

Les thérapeutes soutiennent le travail d’élaboration des enfants de plusieurs façons, 36

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le plus souvent en demeurant assez près du matériel apporté en séance. Ils peuvent
(a) suggérer d’inventer une pièce à partir des éléments évoqués par les jeunes au
cours de la période de discussion lorsqu’ils sont incapables de formuler une idée de
départ, (b) maintenir le travail d’élaboration du scénario lorsqu’en cours de création,
il devient plus difficile à réaliser pour les enfants, (c) s’assurer que chacun a la
possibilité d’exprimer son propre point de vue sur l’histoire et est d’accord avec son
rôle et le dénouement de l’histoire, et (d) aider les jeunes à résoudre les désaccords
pouvant survenir entre eux pendant l’élaboration de l’histoire. De manière générale,
les interventions groupales ont préséance sur les interventions individuelles à
l’intérieur du groupe.

Pendant la pièce, Louis refuse de poursuivre son rôle. Le thérapeute revient sur la situation 37
avec le groupe en soulignant que, parfois, lorsque survient une difficulté ou un obstacle, nous
pouvons avoir envie de l’éviter. Il questionne l’ensemble des jeunes sur la façon dont ils se
sentent quand ils rencontrent un obstacle et les moyens dont ils disposent pour le surmonter.
Un enfant dit alors se sentir incompétent et préférer laisser tomber quand ça se produit. Un
autre lui répond que s’il laisse tomber, il ne réussira jamais à surmonter sa difficulté. Un
troisième enfant ajoute que lorsqu’il a peur d’échouer à l’école, il en parle à son enseignante
pour qu’elle puisse l’aider.

Cette intervention groupale a permis aux enfants d’envisager un éventail d’émotions 38


et de solutions possibles, favorisant dès lors le développement de la capacité à
envisager différents points de vue et perspectives.

L’élaboration de la pièce constitue en soi un défi pour les enfants présentant des 39
difficultés de mentalisation. En effet, elle vise à favoriser chez les jeunes la capacité à
construire une trame narrative de manière cohérente, à étayer les états mentaux des
personnages et à faire des liens entre ces états mentaux et les comportements. Chez
les enfants aux prises avec une psychopathologie comme le trouble déficitaire de
l’attention avec hyperactivité (TDAH) ou des troubles neurodéveloppementaux
perturbant le langage, les idées sont souvent présentées de façon décousue,
imprécise et changeante, amplifiant la difficulté à lier les actions aux sentiments des
différents personnages.

Un second défi est la mise en commun des idées de chacun. Ceci amène 40
inexorablement les enfants à devoir entendre des idées qui peuvent différer des
leurs, à prendre position par rapport à ce qu’ils pensent et comment ils se sentent et
à devoir faire des compromis pour que chacun soit entendu et ait le sentiment
d’avoir sa place dans le groupe. Des conflits émergeront et devront être résolus en
groupe, en prenant en compte l’avis des uns et des autres et en confrontant les points
de vue de chacun, le cas échéant. Ce travail est exigeant et taxe la capacité de

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mentalisation de tous puisqu’il peut susciter de fortes réactions affectives qui


nécessitent d’être contenues pour être en mesure d’avoir accès à ses capacités
réflexives. Les thérapeutes ont un rôle primordial pour arriver à garder l’attention
sur les états mentaux ainsi que pour favoriser la reconnaissance des différents points
de vue et perspectives de chacun. Ces situations conflictuelles qui surviennent dans
l’ici et maintenant sont riches d’apprentissages sur les liens qui se tissent entre ce
que les enfants ont compris et ressenti, la manière dont ils ont réagi et l’impact que
cette réaction a eu sur l’autre. Les thérapeutes jouent encore un rôle important
quand ils aident les jeunes à s’exprimer lorsqu’ils se sont sentis incompris ou blessés.
Ils valideront les attitudes et les comportements prosociaux qui préconisent la
résolution des conflits et la réparation des accrocs relationnels. Une attention
particulière est portée sur la façon dont les enfants arrivent à se réguler ou non sur le
plan affectif dans ces situations conflictuelles. Les malentendus sont des occasions
qui permettent aux enfants de prendre conscience que les autres peuvent avoir une
perspective différente de la leur et que ni les gestes posés par les autres ni même
l’émotion qu’ils ressentent ne peuvent être interprétés comme un indicateur fidèle de
l’intention des autres. Les thérapeutes seront appelés à aider l’enfant à trouver des
stratégies de régulation adaptées à ses besoins et ils devront intervenir d’une
manière visant à diminuer l’intensité émotionnelle et à ramener l’activation à un
niveau optimal. La vignette clinique de Juliette, présentée à la fin de la section
suivante, permet d’illustrer ce travail.

Enfin, la période de discussion suivant la pièce de théâtre permet aux enfants d’avoir 41
accès à une position différente de la leur au moment du jeu, chacun ayant vécu
l’ensemble de la pièce à sa façon. Cette partie de la séance psychothérapeutique
favorise la reprise de contact avec le sentiment de différenciation soi-autrui, sans
taire l’importance du fait que les enfants ont réussi à réaliser un projet commun. Elle
peut aussi permettre de réfléchir à un dénouement différent de celui mis en scène
par les enfants et de soutenir leur flexibilité psychique. Les jeunes ont alors la
possibilité de se projeter dans l’avenir et de mettre à profit l’expérience commune
vécue pour proposer une pièce de théâtre différente et mieux adaptée à leurs désirs
lors des semaines suivantes. La période de discussion soutient donc le
développement de la mentalisation de soi et d’autrui – deux aspects différents, mais
tout aussi importants de la capacité de mentalisation.

Les défis du groupe pour certains jeunes


Le groupe de psychothérapie axée sur la mentalisation requiert de prime abord 42
certaines capacités imaginatives et créatrices puisque les jeunes, avec l’appui des
thérapeutes, seront amenés à élaborer la pièce à partir de leurs propres idées. Il

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importe que le groupe soit constitué d’enfants dont l’équipement cognitif et


psychique s’avère suffisant pour participer à ce processus créatif. Des enfants moins
bien outillés pourront tout de même en profiter par étayage, au contact des autres, et
en apportant leur propre couleur à la pièce de théâtre. Les thérapeutes devront alors
offrir un soutien aux enfants ayant des difficultés à faire semblant en respectant leur
zone proximale de développement (Vygotsky, 1978). Ainsi, à travers ce processus
d’élaboration commun, tous les participants pourront fournir, selon leur capacité
respective, certains éléments d’une création qui sera plus achevée que ce qu’aurait
été la contribution individuelle de chacun.

Lorsque le groupe d’enfants éprouve des difficultés de mentalisation importantes, le 43


recours à un médium supplémentaire peut s’avérer utile. Dans notre pratique, nous
avons utilisé la thérapie assistée par l’animal comme soutien au travail
thérapeutique. Le lien qui s’établit avec l’animal est différent du lien avec l’humain et
de nombreuses études ont montré l’impact clinique positif de l’introduction
d’animaux auprès de patients consultant en psychiatrie (Servais, 2007). L’animal
facilite notamment le travail du thérapeute en ayant un effet médiateur dans la
relation avec l’enfant. Il permet à l’enfant de prendre conscience des aspects non
verbaux de la communication – à travers la posture ou l’attitude – et l’importance de
les considérer de façon à bien décoder l’état émotionnel et la disponibilité de l’autre
avant d’entrer en interaction (Servais, 2007). Ceci favorise à notre avis le
développement de la capacité de mentalisation. En effet, la nature de la relation de
l’humain avec l’animal (par exemple, retrait, peur, approche, confiance, stress,
détente) s’avère plus simple que celle avec ses pairs. Ainsi, il est plus facile pour
l’enfant de comprendre l’effet qu’ont ses comportements sur l’animal que sur les
autres membres groupe (Servais, 2007). Enfin, parce que l’animal permet un contact
physique et sensoriel, il rejoint des besoins affectifs qui ne peuvent être comblés de la
même façon par les autres membres du groupe puisque le toucher entre les enfants
participant à un groupe thérapeutique n’est pas encouragé. L’animal peut donc offrir
un soutien supplémentaire à la régulation affective des enfants qui pourront câliner
l’animal et en prendre soin.

Comme l’animal n’est pas doté de la parole, ses comportements peuvent être 44
interprétés de manières très différentes par les enfants qui peuvent projeter sur lui
leurs propres états mentaux et pratiquer leur habileté à se mettre à la place de l’autre
en étant exposé aux expériences uniques de chaque enfant à l’égard de l’animal (par
exemple, peur, surprise, envie de s’approcher ou de s’éloigner). Ainsi, l’animal
constitue un puissant objet de projection pour les enfants et s’avère très utile dans un
travail de groupe avec des clientèles plus affectées sur les plans neurocognitifs et
relationnels.

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Chapitre 7. La psychothérapie de groupe pour favoriser la mentalisation :... https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

Illustration clinique
À titre d’illustration clinique, nous rapportons l’exemple de Juliette qui a participé au 45
groupe de psychothérapie alors qu’elle était âgée d’un peu plus de 10 ans.

46

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Juliette est la seconde d’une famille de quatre enfants dont la cellule familiale est intacte. Lors
de la rencontre initiale pré-groupe, les parents ont décrit la jeune fille comme étant distante
au niveau relationnel, passive et peu connectée à ses propres besoins. Elle éprouvait par
ailleurs des difficultés d’apprentissage et de communication importantes depuis le début de sa
scolarisation. Lors de cette rencontre, l’enfant nous est apparue comme très inhibée et
présentait certaines difficultés d’expression et de compréhension verbale. Aux objectifs
généraux visés par le groupe, nous avons formulé des objectifs spécifiques pour Juliette, soit de
lui permettre de développer des liens réciproques avec d’autres jeunes et d’utiliser davantage la
parole comme moyen d’expression en situations conflictuelles.
Au cours des premières séances de groupe, Juliette se montrait timide, mais acceptait de
s’exprimer lorsque les autres la sollicitaient. Toutefois, ce qu’elle rapportait était difficile à
comprendre par ses pairs, ses idées étant présentées de façon très décousue, ce qui pouvait
susciter de l’agacement chez ces derniers et des comportements de mise à l’écart. Les
thérapeutes ont pu travailler ces situations avec les jeunes, de manière à leur permettre de
mieux comprendre la perspective de chacun et mieux communiquer entre eux. Par exemple,
les thérapeutes ont questionné les enfants sur les sentiments associés au fait d’être compris ou
incompris et ils ont souligné combien il peut parfois être difficile de communiquer avec les
autres lorsqu’ils pensent différemment de nous. Les jeunes étaient ensuite amenés à réfléchir
sur la façon de surmonter cette difficulté.
C’est lors d’une situation conflictuelle entre les enfants du groupe où Juliette a été rejetée par
ses pairs qu’elle a pu exprimer clairement, avec le soutien des thérapeutes, comment elle se
sentait et ce que les autres lui faisaient vivre. Cet échange a permis aux autres jeunes de
prendre contact avec leurs propres expériences relationnelles difficiles avec leurs pairs à l’école
– tous avouant avoir par le passé souffert d’intimidation – et ceux-ci ont par la suite cherché à
réparer la situation avec Juliette qui avait été mise à l’écart, en lui offrant leurs excuses et en
valorisant son point de vue dans les échanges. En raison de sa capacité à exprimer ses
émotions et ses besoins aux autres, elle a par la suite été perçue par les membres du groupe
comme l’enfant possédant les meilleures capacités réflexives et est devenue un pilier pour
résoudre les difficultés relationnelles et favoriser une meilleure cohésion à l’intérieur du
groupe.
Par ce type d’expériences, le groupe s’est davantage soudé et les jeunes ont pu être en contact
avec leur individualité, ce qui leur a permis de mieux se comprendre, mais aussi de mieux
comprendre les autres, favorisant une différenciation soi-autrui plus saine. Parallèlement à
l’évolution des jeunes dans leur façon d’interagir entre eux, une progression s’est aussi
observée dans le contenu des pièces de théâtre. Alors qu’au départ les scénarios étaient peu
élaborés et les personnages indifférenciés (par exemple, des jumelles qui dansent et font la
fête), les trames narratives sont devenues plus riches et complexes au fil des rencontres. À titre
d’exemple, les enfants ont inventé des histoires où les personnages pouvaient vivre des
déceptions et des pertes et faire appel à un tiers bienveillant pour résoudre les difficultés
rencontrées.

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Ainsi, les deux étapes du groupe que sont la discussion et la pièce de théâtre 47
permettent aux enfants de prendre conscience de leurs états mentaux et de ceux des
autres, de tenter de mieux les comprendre et d’adopter de nouvelles façons d’agir qui
en tiennent compte. Les assises dans le réel puis dans l’imaginaire aux deux temps
du groupe favorisent cette intégration.

Groupe de soutien à la mentalisation pour les parents

En parallèle au groupe de psychothérapie des enfants d’âge de latence, un groupe de 48


soutien est formé pour les parents. Ce groupe a été mis sur pied pour soutenir le
travail de groupe des enfants en offrant aux parents un lieu pour aborder leurs
questionnements et préoccupations. Pour chaque enfant présent au groupe, au
moins un des parents doit être présent au groupe de soutien à la mentalisation pour
les parents. Nous encourageons la participation active des deux parents mais, selon
les cas de figure, différents aménagements sont possibles (par exemple, une
alternance entre chacun des parents). Il s’agit d’un groupe de discussion libre où
aucun thème n’est imposé par les thérapeutes. Ceux-ci accompagnent les parents
dans un travail réflexif entourant diverses préoccupations inhérentes à leur rôle
parental. Suite à la mise en place de ce groupe, nous avons observé des changements
dans la capacité des parents à comprendre la perspective de leur enfant et à s’ajuster
à leurs besoins (par exemple, en aménageant certains aspects de l’organisation
familiale). Nous avons également observé une diminution importante du taux
d’absentéisme des enfants à leur groupe, confirmant l’importance d’offrir un espace
de réflexion pour les parents qui ont bien souvent besoin de sentir que leur
expérience subjective peut être reçue et entendue.

Le travail sur les capacités de mentalisation dans le groupe


des parents
La théorie de la mentalisation situe le parent au cœur de l’activité mentalisante de 49
son enfant comme cela a été bien démontré dans le chapitre 1. En effet, le parent
représente la principale figure assumant une fonction réflexive auprès de l’enfant, et
ce depuis son tout jeune âge (Fonagy, 1995). Lorsque l’adulte présente lui-même des
difficultés sur le plan de la mentalisation ou qu’il a un enfant dont les particularités
psychiatriques ou neurodéveloppementales contribuent à entraver cette habileté, il
peut alors profiter d’un groupe de soutien à la mentalisation.

La formule de groupe permet aux parents d’être exposés à différents points de vue 50
quant aux enjeux liés à la parentalité et à envisager différentes perspectives, ce qui

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constitue un exercice de mentalisation favorisant la flexibilité cognitive et affective


de chacun. Il permet aux parents de porter une attention aux états mentaux qui
peuvent être occultés par les comportements problématiques de leur enfant qui
prennent beaucoup de place dans le discours des parents. De plus, en pouvant se
relier à des parents qui éprouvent des difficultés similaires avec leurs enfants et
grâce au soutien que les parents s’apportent les uns aux autres, on observe que le
groupe de soutien à la mentalisation pour les parents favorise la régulation affective.
En effet, les parents peuvent parfois éprouver des affects intenses envers leur
situation ou leur enfant, émotions qu’ils ne sont pas en mesure de mentaliser parce
qu’ils ont du mal à les reconnaître, à les nommer ou à se les avouer. Parce qu’ils ne
sont pas mentalisés, ces affects – qui peuvent s’avérer entachés de honte ou de
culpabilité (pensons notamment à des parents qui peuvent avoir envie de frapper
leur enfant, de les abandonner ou encore d’abdiquer dans leur rôle parental) – sont
susceptibles de se traduire par des agirs dans la relation parent-enfant. Par exemple,
certains parents peuvent se montrer méprisants, dénigrants ou agressifs face à
certains comportements de leurs enfants. En étant partagées au sein du groupe, les
expériences émotionnelles des parents deviennent progressivement mieux régulées
et peuvent s’exprimer par la parole plutôt que par d’autres voies moins mentalisées
(agirs, symptômes, etc.). Être exposé, dans un cadre sécuritaire, à l’expérience
affective chargée d’un parent peut permettre aux autres membres du groupe de
reconnaître en eux-mêmes une expérience similaire et de s’autoriser à la ressentir. Le
sentiment de ne pas être jugé par le groupe apparaît comme une condition très
importante pour rendre l’expérience groupale bénéfique puisqu’elle favorise un
climat de sécurité. De la même façon que les thérapeutes qui travaillent avec les
enfants, ceux qui accompagnent les parents ont aussi un rôle important pour
maintenir l’activation émotionnelle à un niveau optimal.

Le fait d’offrir un espace thérapeutique aux parents permet également de diminuer 51


les mouvements d’intrusion ou de mise en échec de leur part à l’endroit du groupe
des enfants. De telles intrusions sont à limiter puisqu’elles sont susceptibles
d’affecter la capacité de penser des thérapeutes d’enfants. Il importe de protéger à la
fois la capacité réflexive des thérapeutes et l’espace thérapeutique des enfants face à
toute forme d’intrusion des parents (Poncelet, 2002 ; Privat & Quélin-Souligoux,
2000). Les parents consultant pour leur enfant sont fragilisés sur le plan de leur
sentiment de compétence parentale, ce qui les rend vulnérables à se sentir
dévalorisés par les thérapeutes d’enfants qui peuvent être vécus comme des super-
parents (Poncelet, 2002).

Comme dans plusieurs autres contextes thérapeutiques, avant d’observer une 52


amélioration dans le fonctionnement des enfants qui participent au groupe de

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psychothérapie axé sur la mentalisation, il n’est pas rare que des mouvements de
régression se manifestent. Ces mouvements peuvent inquiéter les parents qui
peuvent alors être tentés de mettre fin de façon prématurée au groupe de leur enfant,
percevant que ce dernier va moins bien. Le groupe des parents leur offre un espace
pour réfléchir à ce que vit leur enfant dans son propre groupe. Il est fréquent que les
parents rapportent ressentir plus de confiance en eux lorsqu’ils s’intègrent
suffisamment dans le groupe. Les thérapeutes et les membres du groupe entre eux
offrent souvent, par la validation des expériences affectives pénibles, un soutien non
négligeable. Cette validation, ou la capacité du thérapeute à offrir une rétroaction
juste de l’expérience subjective du parent, est essentielle puisque le sentiment d’avoir
été entendu et que sa perspective ait été prise en compte est souvent une condition
préalable à la capacité à s’intéresser à la perspective de l’autre.

En plus de sa participation à son propre groupe, le parent peut également être 53


sollicité à l’occasion pour soutenir la régulation des affects de son enfant lorsque
ceux-ci sont débordants. En effet, quand un enfant vit une surcharge émotionnelle
au sein de son groupe, le parent est alors invité à le rejoindre à la salle d’attente pour
l’aider à s’apaiser par sa présence. Ce sont les thérapeutes du groupe d’enfants qui
recourent au parent lorsqu’ils évaluent qu’un temps en retrait du groupe et en
présence du parent serait bénéfique à l’enfant. Ces situations s’avèrent très utiles
pour le travail réflexif des parents. D’une part, elles peuvent favoriser l’alliance
thérapeutique avec les thérapeutes du groupe d’enfants et, d’autre part, cette
sollicitation peut susciter des expériences très différentes entre les parents,
expériences pouvant faire l’objet d’élaboration au sein du groupe des parents. Par
exemple, un parent peut ressentir un malaise à être sollicité, l’éprouvant comme le
fait que son enfant est fautif et, par extension, lui aussi. À l’inverse, un parent non
sollicité pourrait souhaiter l’être pour partager cette expérience avec son enfant, se
demandant pourquoi ce dernier ne semble pas vivre de tels excès émotionnels. À
nouveau, les différents points de vue qui s’expriment aussi dans ce contexte bien
précis du travail de groupe contribuent à développer la capacité réflexive des parents.

À travers sa participation au groupe de soutien à la mentalisation, le parent autorise 54


son enfant à s’engager dans un travail groupal et dans un espace distinct et il
reconnaît de façon plus ou moins consciente que les difficultés de son enfant
s’insèrent dans le système familial (Poncelet, 2002). Le groupe permet la remise en
question des dynamiques relationnelles développées au sein de la famille et il offre
un espace thérapeutique distinct au parent et à l’enfant pour que chacun ait un lieu
pour réfléchir à ses propres états mentaux. Slade (2005, 2008) rappelle qu’un des
gains importants imputables au travail avec les parents est l’amélioration de la
différenciation soi-autrui. Le travail de réflexion qui est réalisé auprès des parents

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permet également de considérer leur enfant comme pouvant être mû par des états
mentaux différents des leurs. Cette attention mise sur la distinction des appareils
psychiques du parent et de l’enfant s’incarne également dans le dispositif clinique
(deux groupes distincts), ce qui facilite le travail de séparation de la psyché de
l’enfant de celle du parent.

Certains troubles psychopathologiques ou neurodéveloppementaux rendent difficile 55


pour les parents l’accès au monde interne de leur enfant, lequel peut leur sembler
hermétique, voire parfois inexistant. L’idée que leur enfant partage, dans un espace
thérapeutique, des éléments personnels a en soi une valeur réconfortante pour eux.
Pour d’autres parents, au contraire, l’idée même que leur enfant ait son jardin secret
demeure plus difficile à admettre.

Des bilans de mi-parcours sont réalisés afin que les parents puissent obtenir une 56
rétroaction quant à l’évolution de leur enfant au sein de son groupe et aux
dimensions qui y sont travaillées. Ces bilans ont généralement un effet positif au
niveau de l’alliance thérapeutique entre les parents et les thérapeutes du groupe
d’enfants et constituent un moment pivot pour la poursuite du travail. L’enfant a
aussi l’occasion d’entendre ses parents parler de leur groupe de soutien, ce qui peut
avoir un effet rassurant pour l’enfant qui sait que des thérapeutes s’occupent
également d’eux. Une rencontre bilan à la fin du groupe permet de revenir sur les
objectifs cliniques et les progrès réalisés tout en formulant des recommandations
aux enfants et à leur parent. Puisque ces rencontres réunissent les thérapeutes des
enfants et des parents, elles permettent la mise en commun du travail clinique qui a
été réalisé dans les deux groupes.

Illustration clinique
Afin d’illustrer le travail clinique réalisé dans le groupe des parents, nous 57
proposerons à titre d’exemple la participation des parents de Juliette dont la vignette
a été présentée précédemment.

58

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C’est la mère qui s’est présentée à la majorité des rencontres du groupe de parents, bien que le
père s’y soit joint à quelques occasions. Lors des premières séances, la mère a exprimé sa
difficulté à créer un lien affectif avec sa fille. Juliette était décrite en des termes dénigrants, ce
qui contrastait avec la manière dont les autres parents parlaient de leur enfant. Au fil de sa
participation au groupe de soutien, les interventions des thérapeutes et des autres parents ont
permis à la mère de constater qu’elle avait du mal à identifier des éléments positifs chez
Juliette et qu’il lui était également difficile d’envisager la possibilité d’une amélioration du
fonctionnement de sa fille et de leur relation. Le père a pour sa part pris conscience qu’il
prenait peu sa place dans la famille et qu’il se retirait lors de situations conflictuelles.
La rencontre-bilan de mi-parcours a constitué un espace privilégié pour le travail des parents
qui ont pu prendre conscience des forces de leur fille sur les plans social et intellectuel. Après la
surprise initiale, lorsqu’ils ont appris que Juliette avait été en mesure de s’affirmer auprès des
autres membres du groupe, de même que le constat que cet acquis en contexte thérapeutique se
transférait progressivement dans les milieux scolaires et familiaux, les parents ont pu
augmenter leurs attentes envers leur fille, ce qui s’est avéré fort stimulant pour elle. Par la
suite, les rencontres de groupe ont permis à la mère de discuter de l’apport de chacun des
parents à la dynamique familiale, de leurs limites sur le plan de l’encadrement parental (en
lien avec leurs histoires de vie respectives) et de certaines tensions conjugales. Les réflexions
des parents lors de la rencontre-bilan à la fin du travail de groupe nous ont permis de
constater une progression notable dans leurs habiletés à décrire leur expérience parentale avec
du recul. La mère semblait davantage en mesure de mentaliser l’expérience de sa fille, en étant
notamment capable d’élaborer plusieurs hypothèses explicatives de ses comportements et en
ayant une vision plus optimiste de ce que pourraient représenter ses aspirations futures.

Conclusion

Le groupe opère sur les individus un pouvoir indéniable et c’est grâce à son cadre et 59
sa visée métabolisante des pensées émergentes qu’il trouve son pouvoir
thérapeutique. L’utilisation du conte, la mise sur pied d’une pièce de théâtre et la
thérapie assistée par l’animal sont autant d’appels à la créativité et à l’imaginaire des
enfants en proposant des avenues propices pour solliciter leurs capacités de
mentalisation. Puisque le déploiement de la capacité de mentalisation s’effectue dans
un contexte relationnel, nous croyons qu’il s’avère souvent nécessaire que les parents
puissent bénéficier d’un travail thérapeutique dans le but d’améliorer leur propre
capacité de mentalisation afin de permettre à leur enfant de mieux développer la
sienne. Offrir aux enfants et à leurs parents un groupe favorisant les capacités de
mentalisation permet le déploiement de ces capacités de part et d’autre de la dyade
parent-enfant.

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Nous croyons utile de souligner ici l’importance du travail des thérapeutes du groupe 60
d’enfants et ceux du groupe de parents. Pour le groupe conte, les thérapeutes
d’enfants, de par l’organisation des soins au sein du Service de pédopsychiatrie, ont
déjà développé une alliance avec ces parents. Pour le groupe d’enfants d’âge de
latence, les thérapeutes ont un travail supplémentaire à accomplir pour relier les
deux groupes. Ils sont d’abord des observateurs actifs auprès des parents et des
enfants et doivent mettre leurs propres capacités à sonder leur monde interne, leur
expérience affective en lien avec ce qui est vécu dans la situation. Une bonne
collaboration des cothérapeutes à l’intérieur de chaque groupe et entre le groupe
d’enfants et le groupe de parents est indispensable à la réussite de ce travail clinique.
Le défi pour les thérapeutes est de saisir, dans l’incessante danse associative des
projections et des introjections, les opportunités de lever le voile sur les expériences
subjectives de chacun, en questionnant et en invitant à une réflexion sur ce qui est
vécu et éprouvé. Le processus thérapeutique propose ainsi à l’enfant d’internaliser
cet intérêt pour ses propres états mentaux et ceux d’autrui, à percevoir et interpréter
de manière imaginative les comportements comme étant liés à des états mentaux, ce
qui est le propre de la capacité de mentalisation décrite par Allen, Fonagy et Bateman
(2008b).

Plan
Introduction

Groupe conte
Organisation du groupe
Déroulement des séances et visées thérapeutiques

Groupe de psychothérapie axée sur la mentalisation


L’organisation et le déroulement du groupe
Le travail sur les capacités de mentalisation
Les défis du groupe pour certains jeunes
Illustration clinique

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Groupe de soutien à la mentalisation pour les parents


Le travail sur les capacités de mentalisation dans le groupe des parents
Illustration clinique

Conclusion

Auteurs
Karine Dubois-Comtois

Professeure titulaire au Département de psychologie à l’Université du Québec à Trois-


Rivières (Canada) et psychologue clinicienne en pédopsychiatrie à la clinique de
pédopsychiatrie de l’Hôpital en Santé Mentale Albert-Prévost du CIUSSS NIM (Canada).
Elle est aussi chercheuse régulière au Centre de recherche de ce CIUSSS et professeure
associée au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal. Ses
travaux de recherche portent principalement sur l’application de la théorie de
l’attachement dans l’évaluation et l’intervention auprès de populations à risque. Elle
s’intéresse également aux facteurs de risque et de protection associés à la
psychopathologie dans l’enfance selon une perspective systémique.

Isabelle Senécal

Psychologue clinicienne à la clinique de pédopsychiatrie de l’Hôpital en Santé Mentale


Albert-Prévost du CIUSSS NIM (Canada). Elle est également superviseure d’internes en
psychologie, issus de divers programmes de doctorat offerts par différentes universités
québécoises. Ses intérêts cliniques et scientifiques portent plus particulièrement sur la
parentalité, sur l’exercice de la psychothérapie auprès d’enfants en grande difficulté, sur le
travail clinique réalisé auprès des parents de ces enfants et sur les apports d’une approche
axée sur la mentalisation dans le cadre ce travail.

Renée Hould

Travailleuse sociale diplômée de l’Université McGill et psychothérapeute Membre de


l’Ordre des Psychologues du Québec (Canada). Depuis près de trente ans, elle a œuvré à la
clinique de pédopsychiatrie de l’Hôpital en Santé Mentale Albert-Prévost du CIUSSS NIM,
au Service d’Expertise psychosociale à la Cour Supérieure du Québec pour les causes de
litiges familiaux ainsi qu’en pratique privée (Canada). Ses intérêts et expertises cliniques
concernent principalement la parentalité, les relations parents-enfants, les

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problématiques d’attachement chez les jeunes enfants ainsi que les interventions
psychothérapeutiques ciblant la fonction réflexive parentale, notamment en contexte de
conflits et de litiges.

Emilie Deschenaux

Psychologue clinicienne à la clinique de pédopsychiatrie de l’Hôpital en Santé Mentale


Albert-Prévost du CIUSSS NIM. Elle est également chargée d’enseignement aux
Départements de psychologie de l’Université de Sherbrooke et de l’Université de Montréal
où elle enseigne l’évaluation ainsi que le développement de l’enfant et de l’adolescent. Ses
intérêts cliniques et scientifiques portent principalement sur l’utilisation des méthodes
projectives ainsi que sur les modalités thérapeutiques parents-enfants, groupales et
individuelles offertes aux enfants présentant des problématiques complexes.

Geneviève Alain 

Œuvré pendant 17 ans comme psychologue clinicienne en milieu pédopsychiatrique et en


bureau privé et ce, auprès d’une clientèle de tous âges. Au cours des dernières années, elle
s’est intéressée à des approches s’inscrivant dans le courant de l’écothérapie et a complété
des formations théoriques et pratiques en zoothérapie (Canada) ainsi qu’en hortithérapie
(France). Elle offre maintenant de tels services à une clientèle issue de différents milieux et
collabore à des projets de développement de Jardins thérapeutiques.

Le travail psychothérapeutique de groupe axé sur la mentalisation auprès des


enfants et leurs parents s’est développé en collaboration avec plusieurs collègues
cliniciens. Nous tenons à remercier Alexandre Chabot, psychologue à l’Hôpital en
santé mentale Albert-Prévost du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, l’ensemble
des professionnels avec qui nous avons partagé ce travail clinique au fil des ans et
les chats qui nous ont permis de faire de la thérapie assistée par l’animal. Merci
aussi aux enfants et à leurs parents qui ont participé aux groupes de
psychothérapie et grâce auxquels nous en avons beaucoup appris sur le processus
clinique.

Mis en ligne sur Cairn.info le 15/10/2021


https://doi-org.lama.univ-amu.fr/10.3917/dbu.achim.2020.01.0195

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Conclusion | Cairn.info https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

Conclusion
Alain Lebel, Julie Achim
Dans Mentaliser en contexte pédopsychiatrique (2020),
pages 219 à 221

Chapitre

M entaliser. Pour permettre une réelle rencontre avec l’enfant et avec ses parents.
Pour tenter de restaurer une confiance en autrui bien souvent compromise.
Pour se rapprocher le plus possible de la subjectivité de chaque enfant et de
1

chaque parent qui nous consultent afin qu’ils se sentent reçus, entendus par nous.
Pour ne pas penser à leur place, pour ne pas savoir mieux qu’eux ce qui les fait
souffrir et ce qui explique cette douleur. Pour s’efforcer à imaginer ce qui les habite et
soutenir l’élaboration de leur propre conception de leur expérience subjective. Pour
offrir des pistes de réflexion, pour soutenir la génération d’hypothèses. Pour être en
mesure de prendre sur soi les malentendus qui naissent de la confrontation de
perspectives divergentes et de la nécessaire différenciation entre soi et l’autre. Pour
tenter de saisir ces malentendus et de les élaborer ensemble. Pour être en mesure
d’user de la métaphore et de l’humour pour retrouver son chemin vers l’autre lors de
moments de grande activation affective et d’incompréhension. Pour arriver à
instaurer une distance relationnelle optimale, permettant à chacun d’être lui-même
et suffisamment en confiance pour être véritablement ensemble.

Produire un livre est l’aboutissement d’un effort collectif. Ensemble, poser quelques 2
petits cailloux blancs sur les routes obscures des rencontres entre enfants et parents,
entre enfants et thérapeutes, entre parents et thérapeutes, mais aussi entre
thérapeutes et institutions. Fournir ainsi aux cliniciens des repères qui leur
permettent d’accompagner leurs patients – enfants et parents – vers leurs

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Conclusion | Cairn.info https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/mentaliser-en-contexte-pedop...

subjectivités respectives, propres et distinctes de celle d’autrui. Insister sur


l’importance capitale de certaines attitudes et interventions qui, bien qu’elles
puissent a priori sembler d’une simplicité déconcertante, contribuent à l’instauration
d’une confiance épistémique et donc à la possibilité qu’une véritable rencontre
advienne. Insister sur la pertinence de mobiliser les anges protecteurs (Lieberman,
Padrón, Van Horn & Harris, 2005) qui veillent sur leurs patients. Insister sur la
nécessité d’apprivoiser les fantômes qui hantent la chambre des enfants d’une
génération à l’autre (Fraiberg et al., 1975) et de les inclure dans la narration d’une
histoire de vie cohérente. Parfois même arriver à les chasser pour de bon, pour en
libérer les familles. Et ainsi, chercher à soutenir le développement de sentiments de
sécurité et d’affiliation familiale suffisants chez chacun pour leur permettre de
grandir un peu plus malgré les embûches rencontrées, malgré la difficulté et la peur
de s’intéresser à leur monde interne, malgré aussi les manques inévitables et les
failles auxquels il faut nécessairement se confronter.

Depuis plus de cent ans, la psychanalyse nous a beaucoup enseigné au regard de 3


l’intervention thérapeutique auprès des enfants. Mentionnons d’abord les
contributions fondatrices et incontournables de Freud, A. Freud, Klein, Winnicott,
puis celles de différents auteurs contemporains tels Bion, Bick, Fraiberg, Bowlby et
Stern. Depuis les années 1990, Fonagy, Bateman, Target, Allen, Slade ainsi que leurs
nombreux collaborateurs ont puisé dans ce vaste champ de connaissances théoriques
et cliniques afin de développer le concept de mentalisation et ensuite les thérapies
basées sur la mentalisation (TBM). Pour ce faire, ces auteurs ont su s’appuyer sur la
profondeur des concepts psychanalytiques et les enrichir de façon créative en
bonifiant leur compréhension du fonctionnement psychique et relationnel de
l’individu grâce à la prise en compte des apports théoriques, cliniques, mais aussi
empiriques de la théorie de l’attachement, de la psychologie développementale, des
neurosciences et de l’observation du nourrisson.

Initialement conçue comme un traitement visant spécifiquement le trouble de la 4


personnalité limite chez l’adulte, la TBM a par la suite été adaptée de manière à être
utilisée auprès de populations adultes diverses, souffrant de psychopathologies et
difficultés variées (par exemple, dépression, trouble des conduites alimentaires,
trauma). Ce n’est que récemment que des applications cliniques à l’enfance ont été
développées, d’abord par l’équipe de Verheugt-Pleiter (Verheugt-Pleiter et al., 2008)
qui a proposé des adaptations à la méthode psychanalytique traditionnelle afin
d’intervenir de manière à soutenir le développement de la mentalisation et de ses
précurseurs chez les enfants présentant des difficultés à cet égard. Plus récemment,
Midgley et ses collègues (2017) ont été les premiers à proposer une TBM à court terme
pour les enfants d’âge scolaire.

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Ce que nous proposons dans le cadre de ce livre s’appuie sur l’apport de l’ensemble de 5
ces travaux. Nous nous sommes particulièrement intéressés au travail thérapeutique
réalisé auprès de très jeunes enfants et de leurs parents. La petite enfance étant une
période déterminante pour la mise en place de la capacité à mentaliser de l’enfant, la
possibilité d’intervenir à ce moment précis de sa vie permet d’espérer être en mesure
d’en infléchir le développement, mais aussi de soutenir le déploiement ou
l’acquisition de la capacité des parents à offrir à l’enfant des conditions favorables à
un tel développement. Nous avons ainsi proposé diverses modalités thérapeutiques,
qu’elles prennent la forme d’interventions dyadiques ou familiales, individuelles ou
groupales. Nous proposons de les prioriser ou de les conjuguer de diverses manières,
de façon à tenir compte des forces et des déficits que présentent chacun des enfants
que nous recevons ainsi que leurs parents et de répondre à leurs besoins spécifiques.
Nous n’insisterons jamais assez sur l’importance d’offrir un espace aux parents au
sein duquel ils pourront compter sur l’écoute sensible d’un thérapeute en mesure de
recevoir et de contenir leurs histoires respectives, les difficultés que présente leur
enfant ainsi que les défis qu’impliquent pour eux de telles difficultés.

Préalablement à la mise en place d’un tel dispositif, il importe d’être en mesure de 6


dresser un portrait clinique clair des forces et faiblesses que présentent les enfants et
leurs parents sur le plan de leur capacité à mentaliser ainsi que d’identifier leurs
besoins. Pour ce faire, nous proposons d’avoir recours à un processus d’évaluation
approfondie lors duquel différentes modalités évaluatives (par exemple, évaluation
relationnelle parent-enfant, groupes diagnostiques, complétion de questionnaires
standardisés et auto-administrés, évaluation cognitive et projective) s’ajoutent à
l’évaluation pédopsychiatrique afin de l’enrichir de perspectives complémentaires.
C’est ainsi que nous pouvons dégager un portrait le plus complet possible de la
capacité de chacun à mentaliser, des particularités de cette capacité à la lumière des
différentes dimensions qui la caractérisent, de ses précurseurs et des fondements sur
lesquels se construit son développement. In fine, cibler les difficultés qui nécessitent
d’être travaillées ainsi que les forces sur lesquelles miser pour arriver à le faire.

L’un des principes fondamentaux de la TBM est l’adoption, par le thérapeute, d’une 7
posture mentalisante. La valorisation d’une telle posture met en exergue
l’importance de la modestie dont doit faire preuve le thérapeute dans son rapport à
ses patients. Nous croyons qu’il importe d’adopter cette même attitude à l’égard des
propositions thérapeutiques que nous introduisons dans le cadre de ce livre. La
capacité à mentaliser n’est qu’une des nombreuses facettes du fonctionnement
psychologique et relationnel de l’enfant et de ses parents. Malgré toute l’importance
que nous lui reconnaissons, il nous semble essentiel de souligner à nouveau la
nécessité de la concevoir non pas comme une finalité en soi, mais plutôt comme une

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formidable voie d’accès à la subjectivité – la sienne et celle d’autrui –, à la


différenciation de soi et de l’autre et ultimement, à une connaissance de soi
suffisante pour se construire une vie en cohérence avec sa propre individualité. L’être
humain demeure toujours plus complexe que les théories qui cherchent à
circonscrire ses différentes facettes. Il les déjoue à chaque fois, son devenir étant
déterminé par une multitude de facteurs agissant de manière simultanée. Nous
n’arrivons jamais à en saisir toutes les ramifications et il est heureux qu’il en soit
ainsi puisqu’un tel constat nous oblige à poursuivre la quête d’une compréhension
toujours plus riche et profonde.

Auteurs
Alain Lebel

Julie Achim

Psychologue clinicienne et professeure agrégée au Département de psychologie de


l’Université de Sherbrooke (Canada). Elle enseigne l’évaluation et la psychothérapie aux
programmes de doctorat spécialisés en enfance et en adolescence qu’elle a contribué à
mettre en place. Elle est également professeure associée au Département de psychiatrie et
d’addictologie de l’Université de Montréal et chercheuse associée au Centre de recherche
du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-
Montréal (CIUSSS NIM, Canada). Ses travaux de recherche concernent principalement la
transition à la maternité, les relations précoces parents-enfants, leurs liens à l’adaptation
et à la psychopathologie chez l’enfant et ses parents ainsi que la capacité de mentalisation
et ses applications psychothérapeutiques.

Mis en ligne sur Cairn.info le 15/10/2021


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Postface
Mario Speranza
Dans Mentaliser en contexte pédopsychiatrique (2020),
pages 223 à 226

Chapitre
C’est avec beaucoup de plaisir que je rédige ces quelques lignes en guise de 1
conclusion au très beau volume sur les applications cliniques de la mentalisation à la
pratique pédopsychiatrique de l’équipe coordonnée par Julie Achim, Alain Lebel et
Karin Ensink.

Plusieurs raisons expliquent l’intérêt de ce volume. Les thérapies basées sur la 2


mentalisation ont été développées et validées initialement dans le cadre de la prise
en charge des troubles de la personnalité borderline de l’adulte, mais elles font
actuellement l’objet de développements et d’adaptations à de nombreux contextes
cliniques chez l’adolescent et l’adulte (troubles des conduites alimentaires, troubles
dépressifs, troubles de l’attention, troubles psychotiques…) (Bateman & Fonagy,
2019). En revanche, moins de travaux ont été consacrés au développement de cette
approche chez le jeune enfant et l’enfant en âge scolaire. Ce livre remplit une
première fonction essentielle de contribuer à développer, en particulier dans le
monde francophone, le modèle des TBM à ces âges de la vie.

L’objectif de développer les TBM chez l’enfant n’allait pas de soi. En effet, pour 3
pouvoir adapter de manière pertinente les interventions thérapeutiques chez
l’enfant, il est indispensable que le clinicien tienne compte du niveau de
développement des capacités de mentalisation dont celui-ci dispose, ce qui est
complexifié par les changements permanents qui se produisent tout au long du

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développement. Le volume pose d’entrée les bases de cet indispensable travail


d’évaluation par une description précise des principaux indicateurs des différentes
dimensions de la mentalisation en fonction du niveau de développement de l’enfant :
la régulation de l’attention, la régulation des émotions, la confiance épistémique et la
capacité de jeu. À cette première série d’indicateurs, les auteurs en ont ajouté une
deuxième (la représentation de soi, la capacité narrative, les stratégies de modulation
des émotions et les modes de pensée prémentalisants) qui permet de dessiner un
profil précis des forces et des faiblesses sur le plan de la mentalisation propre à
chaque enfant. Cette évaluation permet au clinicien de mieux juger de la pertinence
de la mise en place d’une modalité psychothérapique spécifique axée sur la
mentalisation, que ce soit en individuel, via le jeu ou la parole, en groupe ou par le
biais de supports de médiation, en fonction du profil de l’enfant. Pour accompagner
le lecteur dans l’appréhension de ce processus d’évaluation, les auteurs ont fait
l’effort, fort appréciable, de rédiger des tableaux aide-mémoire qui proposent de
nombreux exemples de questions permettant d’explorer la qualité des différentes
dimensions de la mentalisation. Cette formalisation de l’évaluation de la
mentalisation chez l’enfant est un deuxième grand mérite de ce livre.

L’approche évaluative du fonctionnement mental ici proposé s’inscrit pleinement 4


dans un mouvement important de la pensée psychodynamique contemporaine qui a
été récemment mis en exergue par la publication de la nouvelle édition du Manuel
Diagnostique Psychodynamique (PDM-2). En effet, face au sentiment d’un
envahissement par une approche excessivement symptomatique et catégorielle de la
souffrance psychique, telle que proposée par le DSM-5 ou la CIM-10, plusieurs
groupes de cliniciens d’orientation psychodynamique ont développé une approche
diagnostique complémentaire davantage focalisée sur le fonctionnement mental (au
niveau émotionnel, cognitif, interpersonnel et social) et sur l’expérience interne des
personnes présentant une souffrance psychique. Ce mouvement est né du constat
que la construction d’un projet psychothérapeutique ne se fait pas sur la base des
symptômes manifestés par les personnes, mais davantage à partir de l’expérience
subjective que les personnes font de leurs symptômes. C’est toute la différence entre
une approche idiographique et prototypique qui privilégie l’expérience individuelle, à
une approche nomothétique centrée sur une catégorisation des individus. Le livre de
Julie Achim, Alain Lebel et Karin Ensink s’inscrit pleinement dans cette valorisation
de l’expérience subjective illustrée par les nombreuses vignettes cliniques qui
permettent de rentrer dans le vif de la rencontre clinique, entre l’enfant et sa famille
et le thérapeute.

Cette attention à la subjectivité ne pourrait pas se déployer sans l’importance 5


accordée dans le modèle de la mentalisation à la posture thérapeutique qui se

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caractérise par un effort permanent de la part du clinicien pour manifester sa


curiosité pour le vécu de l’enfant. L’expérience de se sentir compris par un autre
représente d’ailleurs une étape essentielle du processus de changement qui est
fortement associé à la possibilité, pour l’enfant, de régénérer une certaine confiance
épistémique, c’est-à-dire une capacité à faire confiance et à se laisser transformer par
la rencontre avec l’autre. Cette expérience peut se faire à la fois dans le cadre de la
psychothérapie individuelle et dans le cadre d’une thérapie de groupe, comme
l’explorent les auteurs dans différents chapitres du livre. L’approche
psychothérapique individuelle est certainement l’une des modalités privilégiées de
cette rencontre au potentiel transformateur. Comme le soulignent les auteurs, le jeu
est le principal moyen d’expression du monde interne de l’enfant, mais également la
principale voie d’accès dont dispose le thérapeute pour encourager l’enfant à explorer
ses états mentaux et à construire une narration de son expérience subjective. À
travers la curiosité qu’il manifeste pour le contenu du jeu de l’enfant et la fonction de
miroir des émotions qu’il lui offre, le thérapeute permet à l’enfant d’explorer,
partager et métaboliser ses états mentaux, même les plus difficiles, dans un contexte
sécure et contenant. Cette exploration partagée des émotions peut être également
encouragée dans le cadre d’approche en groupe, qui permet à l’enfant d’accéder à ses
états mentaux par le biais du miroir proposé par les autres enfants du groupe, plutôt
que par celui du thérapeute. Deux chapitres du livre sont consacrés à la théorie et à la
pratique des thérapies de groupe, axées sur la mentalisation, qui nous obligent à
penser la question d’un possible rétablissement indirect de la confiance épistémique,
qui passerait davantage par les autres enfants du groupe plutôt que directement par
le thérapeute. De manière plus globale, le livre de Julie Achim, Alain Lebel et Karin
Ensink questionne la nécessité d’adopter une perspective élargie de la mentalisation
qui ne peut pas être encouragée uniquement au niveau de l’enfant seul, mais doit
inclure fortement son entourage qui joue un rôle essentiel dans le processus
thérapeutique. Je considère que l’un des principaux messages contenus dans le livre
est celui de l’interconnexion psychique entre parents et enfants et de l’importance de
promouvoir la mentalisation des uns pour soutenir celle des autres. Plusieurs des
chapitres du livre abordent d’ailleurs le travail avec les parents et à la création d’une
alliance thérapeutique avec ses derniers, dont on sait que la qualité est l’un des
facteurs essentiels de l’efficacité des interventions. La littérature sur la mentalisation
s’est beaucoup enrichie ces dernières années d’approches centrées sur le travail avec
les parents, que ce soit par des interventions conjointes parents-enfant, des
thérapies familiales ou multi-familles, jusqu’aux groupes parentaux psychoéducatifs
d’entraînement à la mentalisation. Le livre ici présenté nous donne des exemples très
éclairants du travail de mentalisation avec les parents et de l’effet majeur de celui-ci
sur la mentalisation des enfants.

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Je terminerai ces quelques lignes avec une dernière réflexion plus générale qu’offre 6
l’approche basée sur la mentalisation à la pratique clinique en pédopsychiatrie. La
force d’un modèle théorique ne réside pas uniquement dans sa capacité à nous
permettre de mieux comprendre et gérer la réalité clinique à laquelle nous sommes
confrontés au quotidien. Sa force provient aussi de sa capacité à mettre en cohérence
différents niveaux d’observation, qui vont de la rencontre individuelle avec un enfant
et sa famille avec leur histoire singulière, à la dynamique de l’équipe de soins qui
intervient pour une situation donnée, aux différentes instances sanitaires, socio-
éducatives ou judiciaires qui peuvent être impliquées dans l’accompagnement des
situations les plus complexes que nous rencontrons en pédopsychiatrie. L’approche
basée sur la mentalisation prône un modèle basé sur une réflexivité collective qui
permet à une institution de se penser en tant que telle, de questionner son
fonctionnement, de faire évoluer ses pratiques partagées par l’intégration de
perspectives alternatives dans un mouvement permanent d’amélioration. Le fait que
ce livre soit le résultat d’un travail collectif reflète ce principe d’une pensée réflexive
qui se questionne en permanence dans le cadre d’une institution en mouvement, qui
expérimente et s’ajuste en fonction des contextes. C’est en soi le reflet d’une pensée
vive et dynamique, ouverte au changement et à la diversité des pratiques et qui est
indispensable à l’évolution de la pédopsychiatrie en tant que discipline d’interface
entre le soin, le social et l’éducatif.

Enfin, si l’intégration entre théorie et clinique, qui transparaît tout le long de ce 7


volume, est une dimension intrinsèque du modèle de la mentalisation, la référence à
la recherche et à l’importance de la validation des pratiques l’est autant. Les
nombreuses références bibliographiques et les travaux de recherche menés par
l’équipe de Karin Ensink témoignent de cette tension constante entre pertinence
clinique et validation de recherche qui nourrit depuis ses premiers développements
l’approche basée sur la mentalisation.

Pour toutes ces différentes raisons, je félicite l’équipe de Julie Achim, d’Alain Lebel et 8
de Karin Ensink pour cet ouvrage qui permettra à de nombreux cliniciens du monde
francophone d’approfondir l’approche basée sur la mentalisation et sa déclinaison
dans la pratique clinique en pédopsychiatrie.

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Auteur
Pr Mario Speranza

Professeur de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent. Université de Versailles St-


Quentin-En-Yvelines Service Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent
Centre Hospitalier de Versailles Directeur de l’Unité de Recherche INSERM « Psychiatrie du
développement et trajectoires »

Mis en ligne sur Cairn.info le 15/10/2021


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Pour aller plus loin


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mentalisation et avec les thérapies basées sur la mentalisation :
Allen, J. G., & Fonagy, P. (2006). Handbook of mentalization-based treatment. San
Francisco CA : John Wiley & Sons Ltd.

Allen, J. G., Fonagy, P. & Bateman, A. W. (2008). Mentalizing in clinical practice.


Washington, DC : American Psychiatric Publishing.

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Bateman, A. W., & Fonagy, P. (2006). Mentalization-based treatment for borderline


personality disorder: A practical guide. Oxford: Oxford University Press.

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practice (2e éd.). Arlington, VA : American Psychiatric Publishing.

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Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur.

Fonagy, P., & Bateman, A. W. (2019). Mentalisation et trouble de la personnalité


limite : guide pratique (M. Debbané, A. Downing, N. Perroud, & P. Prada, trad.).
Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur.

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in child therapy: Guidelines for clinical practitioners. Londres: Karnac Books.

Sites internet offrant diverses ressources concernant les TBM (formations, articles
scientifiques pertinents) :
MBT – TBM Mentalization based treatment – Traitement basé sur la
mentalisation Canada

https://mbt-tbm.org

RF – TBM Le réseau francophone des thérapies basées sur la mentalisation

https://mentalisation.org

Anna Freud National Centre for Children and Families: MBT training

https://www.annafreud.org/training/mentalization-based-treatment-training/

Mis en ligne sur Cairn.info le 15/10/2021


https://doi-org.lama.univ-amu.fr/10.3917/dbu.achim.2020.01.0227

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