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Comprendre Les F

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LA V É R I T É S U R L E S F E M M E S
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Pierre Beer

La vérité
sur les femmes

Stock
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Tous droits réservés pour tous pays.


© 1991, Éditions Stock.
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« Qui donc a dit qu'il était plus


facile de mourir pour la femme
qu'on aime que de vivre avec
elle ? »

A n d r é MAUROIS.
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J'ai choisi de vivre avec elles. Ce livre est un


aperçu des femmes, volontairement biaisé
parce qu'il ne s'agit que des quelques-unes que
j'ai rencontrées.
Toutes les femmes ne sont pas figurées dans
ces portraits. Je le sais, mais je ne fréquente que
celles de mon milieu. Être journaliste, porter
des mocassins à pompons et des vestes en
c a c h e m i r e limite t e r r i b l e m e n t le c h a m p
d'investigation.
On peut aimer une pauvre, mais cela doit être
exceptionnel, sinon, c'est du masochisme. Avoir
un père alcoolique et un soutien-gorge gris à
force de lavages répétés, dont le tissu bâille
entre les seins, est également tragique car, si la
première particularité peut inspirer la ten-
dresse, la seconde assassine le désir. Surtout
que, dans ces milieux-là, on enlève difficilement
son soutien-gorge.
Je n'ai pas parlé des femmes que je n'ai pas
connues. Mais j'ai le temps. Ce livre n'est que le
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premier tome d'une longue série. Je compte


bien ne pas m'arrêter en chemin.
Et si tout va mal, je compte téléphoner à
Me Violette G o r n y

1. Avocat spécialisé dans les divorces. A écrit Le Nouveau


Divorce, Hachette.
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Les bavardes

« Il y a mille inventions pour


faire p a r l e r les femmes, mais pas
une pour les faire taire. »

Guillaume BOUCHET.
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Si l'homme descend du singe, la femme des-


cend du perroquet. Elle en a le plumage et
surtout le discours.
Les femmes abusent de tout ce qu'on leur
donne. Or, comme la parole est gratuite...
Dès leur plus jeune âge, elles apprennent à
parler en respirant. C'est un entraînement diffi-
cile auquel elles s'astreignent chaque jour. On
peut interrompre un homme à l'instant où le
souffle lui manque ; c'est impossible avec une
femme. Elle peut tout faire en parlant — même
l'amour.
Cependant, c'est un des rares moments où elle
sait aussi écouter : cela peut servir. Les hommes
se confient volontiers sur l'oreiller. Pour excuser
une faiblesse, une fatigue, ils n'hésitent pas à
dévoiler leurs plus grands secrets, persuadés
qu'une femme qui se donne devient automati-
quement leur propriété ; qu'elle ne le fait que par
amour pour eux et que cet amour sera éternel.
On ne se méfie pas de l'être qui vous aime.
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La bavarde devient éponge, absorbe, jure le


secret et, dès qu'elle est seule, se précipite sur le
téléphone. Les histoires font le tour des com-
binés de la ville, se répètent dans les dîners, se
promènent dans les salons de coiffure et, très
vite, chacun connaît, bien sûr secrètement, la
vie des autres. Les femmes passent leur temps à
commettre ainsi des délits d'initiés.
« T u as u n e n o u v e l l e maîtresse ? me
demanda un jour un ami.
— Mais non.
— Cachottier ! Je sais tout.
— Enfin, tu plaisantes. Dis-moi qui ?
— Jeanne G. Elle l'a avoué à une amie de ma
femme, qui le lui a répété.
— Mais tu es fou ! Je dîne avec elle demain
pour la première fois. Je la connais à peine. »
Jeanne avait anticipé, voulant être la pre-
mière à le raconter. Sans doute est-ce en partie
pour cela que, le lendemain, elle me céda en
effet.
Les bavardes ont une prime à la nouveauté.
Une information inédite vaut beaucoup plus de
points que du réchauffé. On ne raconte pas les
secrets du mois dernier; cela devient insipide,
voire indiscret.
J'avais justement rencontré Jeanne lors
d'une soirée au cours de laquelle elle évoquait
une liaison connue. La maîtresse de maison
l'interrompit d'une voix offusquée :
« Je vous en prie, chère amie. Nous le savons
tous et il est préférable que ces incartades ne
soient pas mises sur la place publique. »
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Je ris en m o n for intérieur car je savais


que Jeanne, m a voisine ce soir-là, était alors
la maîtresse d u mari de notre hôtesse. Elle
semblait fort en colère d'être ainsi rabrouée.
Elle se t o u r n a vers moi et me dit d'une voix
furieuse :
« Si je lui racontais que son mari a passé
l'après-midi avec moi, est-ce qu'elle trouverait
cela plus drôle ? »
Je regardai a u t o u r de moi avec effroi. Per-
sonne heureusement n'avait entendu. Je com-
pris cependant que m a voisine ferait tout p o u r
que sa liaison devînt publique. Ce serait sa
façon de se venger.
Les f e m m e s a d o r e n t se v e n g e r ; elles le
font toujours avec des mots, et souvent au-
dessous de la ceinture, sachant révéler le détail
assassin.
Dans la vie d ' u n homme, il est essentiel de
s a t i s f a i r e ses p r e m i è r e s m a î t r e s s e s . Leurs
appréciations ont le pouvoir de faire échouer ou
réussir une carrière amoureuse. Une fois passé
le test, l ' a m a n t est tranquille car m ê m e si,
ensuite, il lui arrive d'être moins brillant, les
déçues n'oseront pas parler. Elles auraient trop
p e u r que des méchantes racontent que c'est leur
faute.

J e a n n e , le p r e m i e r m a t i n , me réveilla à
6 heures avec le fameux : « Tu dors ? » Dès que
j'eus r é p o n d u i m p r u d e m m e n t non, avec ten-
dresse parce que c'était notre premier matin,
elle d é m a r r a , enflant le ton dès qu'elle sentait
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que je me rendormais. Entendre l'histoire de sa


famille alors que le soleil n'était pas m ê m e levé,
qu'il faisait froid dehors et chaud dans mon
rêve, c'était très dur.
« Tu sais, d o r m i r est un gaspillage. Et puis,
c'est si i m p o r t a n t de se parler, de se connaître,
de r a t t r a p e r le t e m p s p e r d u », me dit-elle,
accoudée, la tête appuyée sur une main, me
surveillant p e n d a n t que le flot intarissable
noyait m o n cerveau e m b r u m é .
Jeanne devait avoir des années de retard.
Depuis longtemps, son droit de parole était
épuisé, mais elle continuait son babil incessant,
envers et contre tous. Il était impossible de
l'interrompre.
P e n d a n t les instants les plus délicieux, Jeanne
réussissait à me raconter sa journée. Et q u a n d
je lui m u r m u r a i s la question que tous les
h o m m e s posent après l'amour, le sempiternel :
« C'était bon ? » qui a t t e n d toujours la m ê m e
confirmation rassurante, elle répondait :
« Un après-midi épatant. Nous avons fait des
courses. Je voudrais que tu voies ce tee-shirt.
Blanc avec des vagues violettes...
— Mais non, Jeanne, je ne parlais pas de ça.
— Ah ! Mon déjeuner ? Laisse-moi te racon-
ter : nous étions à la terrasse de... »
Que faire ? Rien. Je l'écoutais donc, remisant
m a fierté, faisant semblant de m'intéresser aux
péripéties de ses journées.
Si les hommes, entre eux, restent souvent
silencieux, ce n'est pas parce qu'ils n'ont rien à
se dire, mais parce qu'ils se reposent. Ils se
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préparent à affronter leurs femmes dès leur


retour à la maison.
Cela dit, rien n'est plus déroutant qu'une
bavarde qui se tait. Quand, dans un film,
l'héroïne s'arrête tout à coup de parler, c'est
que quelque chose de grave va se passer.
Avec Jeanne, le silence était de très mauvais
augure. L'aveu d'un achat dispendieux, un
soupçon d'adultère avec ma secrétaire, l'obli-
g a t i o n de p a s s e r un week-end chez ses
parents ou autre terrible nouvelle. Je la
voyais avec terreur se concentrer, sachant
qu'un raz de marée allait bientôt m'emporter.
Les femmes parlent, mais n'écoutent pas.
On se demande toujours comment elles font
entre elles. Or c'est très simple. Chacune
raconte son histoire parallèlement aux autres
et aucune n'entend le discours de ses amies.
L ' i m p o r t a n t n'est pas de recevoir, mais
d'émettre.
Le soir, Jeanne me racontait sa journée.
« J'ai vu Monique. Je lui ai dit que, et que,
et que...
— Et elle ? Que t'a-t-elle raconté ?
— Elle ? Rien. Rien d'intéressant. »
Elle pouvait me répéter mot à mot ce
qu'elle avait dit, jamais les paroles de l'autre.
Pour manger en paix pendant les bons
dîners, je pose toujours une question en début
de repas à chacune de mes voisines. Je peux
ensuite déguster les plats qui me sont servis,
bercé par les voix mélodieuses de mes com-
pagnes de table. Elles savent parler la bouche
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pleine : c'est impossible pour un homme,


recommandé chez les femmes.
Il n'est jamais nécessaire de participer. Il
suffit de temps en temps d'un « vous croyez ? »
ou d'un « comme vous avez raison ». Je suis
persuadé que ma réputation d'homme courtois
et intelligent ne tient qu'au fait que je n'inter-
romps jamais leurs monologues. Elles m'aiment
pour mon écoute. D'ailleurs, un homme qui
parle les déroute.
Jeanne était avocate et gagnait de nombreux
procès. Un juge de nos amis disait à son propos :
« La plus grande erreur qu'un juge est obligé de
commettre est d'annoncer que la parole est à la
défense quand l'avocat de la défense est une
femme. »
Jeanne bombait le torse, faisait virevolter les
plis de sa robe et s'élançait. Sur les bancs
adverses, on voyait bien des bouches s'ouvrir,
mais aucun son n'avait le temps d'en sortir.
Jeanne enchaînait. Enchaîner est le maître mot
des conversations de femmes.
Quand Jeanne me téléphonait au bureau, je
devenais fou. Aucune occupation ne justifiait un
refus de lui parler. Elle avait besoin de moi, de
mon écoute disciplinée. Mon rendez-vous
important attendait devant moi que j'en eusse
terminé. Ne m'entendant pas répondre, il ima-
ginait que c'était grave, s'excusait presque
d'être là. Jeanne continuait, inlassable, incura-
ble. Une amie lui avait dit que le médecin avait
décalé un rendez-vous, sa voiture grinçait; en
réalité, le son de sa propre voix lui manquait.
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Elle était insensible aux décalages horaires,


me téléphonant à ses heures, oubliant les
miennes, que je sois au Japon ou ailleurs. C'était
toujours essentiel pour elle, donc ce devait l'être
pour moi. Me réveillant un jour à 4 heures du
matin à New York, elle s'excusa en m'expli-
quant qu'elle n'avait trouvé personne d'autre à
qui parler.
Même dans les instants les plus solennels, elle
ne pouvait rester sobre. Quand j'épousai Jeanne
— incapable de résister à ce moulin à paroles, je
finis par sauter le pas —, je me retrouvai à la
mairie, ému et le cœur serré. Nous étions peu
nombreux. Seuls quelques amis et nos parents
nous avaient accompagnés dans ce voyage.
Je répondis oui, avec gravité. Elle dit oui.
Puis, d'une voix rauque, ajouta devant le maire
et nos témoins ébahis :
« Oui, parce que je l'aime. Parce qu'il saura
créer une famille, me rendre heureuse... »
Pendant quelques minutes, elle enchaîna, pré-
cisant, justifiant son oui. Je jouais nerveuse-
ment avec nos alliances. Ce n'était pas un
consentement, mais un véritable argumentaire
de vente qu'elle développait. Heureusement,
l'une des alliances me glissa des mains et le
bruit de son rebond sur les carreaux fit sursau-
ter Jeanne, qui se tut.
Ensuite, au cours du déjeuner rituel, elle nous
expliqua que « oui » n'était pas une réponse et
que seul un simple d'esprit ou un être insensible
pouvait se contenter d'une telle brièveté.
Mais plus tard, quand nous fûmes seuls tous
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les deux, sans amis, sans autres bruits pour


nous distraire que le soir d'hiver qui cognait
aux fenêtres, elle se mit à parler vraiment, avec
ses mots à elle. A parler d'amour. Enfin.
Un jour, à votre « je t'aime » timide et gêné,
une femme répondra par une cascade de
phrases. Toutes plus belles les unes que les
autres. Il y sera question de vous, d'elle. Elle
vous fera rêver l'avenir. Elle vous prendra la
main et volera votre regard.
Ses mots vous caresseront et vous n'aurez
qu'un désir : qu'elle ne s'arrête plus jamais de
parler.
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Les carriéristes

« A nous deux, maintenant. »

H o n o r é d e BALZAC.
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Il faut se méfier des femmes carriéristes car


elles sont femme, homme et animal à la fois,
une sorte de monstre qui ne répond à aucune
loi. Elles sont logiques et incohérentes, tendres
et implacables, volontaires et tempérées,
pourvu que cela serve leur carrière.
Une femme qui réussit s'est endurcie parce
que, au départ, elle a dû subir la légende noire
et les lois fabriquées par les hommes — qui
n'ont toujours pas pardonné d'avoir été virés du
Paradis comme des malpropres, alors qu'ils
n'avaient rien demandé. La pomme leur est
restée en travers de la gorge.
La carriériste sait user de tous ses talents ; de
son charme comme de son physique. Elle n'est
pas forcément belle, mais toujours attirante. On
a envie d'elle ou, du moins, de lui faire plaisir.
Elle joue sans jamais se donner, laissant croire
sans jamais promettre et encore moins offrir.
Elle prépare chacun de ses mouvements
comme le plus fin des joueurs d'échecs, avan-
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çant ses pions patiemment, avec une intelli-


gence diabolique. Mais, quand elle commet une
faute, elle redevient petite chose fragile. Les
hommes lui pardonnent tout de suite, puis-
qu'elle est femme.
Je fus le marchepied de nombreuses carrié-
ristes. J'en ai vu beaucoup qui passaient ensuite
en ne me reconnaissant qu'avec peine, détestant
retrouver un témoin de leurs premiers pas.
Pourtant j'ai aimé et continue d'aimer
Juliette.
Je la rencontrai à la Sorbonne où nous étions
étudiants. Il ne lui fallut que deux mois pour
être la maîtresse du plus brillant et du plus
riche élève de l'école, et à peine quelques
semaines de plus pour devenir la préférée de nos
professeurs.
Elle rêvait déjà de politique et nous expli-
quait que, bientôt, le monde aurait besoin
d'elle. Nous n'étions que jeunes et, pour nous, la
politique représentait un milieu trouble et sans
intérêt. C'était le choix du dernier de la classe.
Pour Juliette, c'était le pouvoir. Elle pensait à
droite. Famille bourgeoise oblige! Un matin,
elle nous parla de la gauche, de sensibilité, de
grandeur, d'amour, avec une foi bruyante. Nous
n'avions pas encore de préférence et l'écoutions
avec respect. Elle devint leader sans le vouloir.
Nous avions besoin de croire dans autre chose
que dans les vieux tabous rabâchés : toute notre
classe vira donc à gauche. Elle avait un copain
qui s'appelait François Mitterrand. Il était un
petit peu plus vieux qu'elle, très intelligent.
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Nous ne connaissions personne de très doué et


Mitterrand fit l'affaire.
Il assista un soir à l'une de nos soirées
politiques. Il nous séduit. En tout cas, elle nous
expliqua qu'il nous avait séduits.
Je retrouvai Juliette quelques années plus
tard; elle s'était mariée puis avait divorcé,
gardant un nom prestigieux et des moyens
suffisants. Elle eut en outre la chance de voir
son ex-mari disparaître dans une chasse en
Afrique ; ainsi s'évanouit un témoin qui, avec le
temps, aurait pu devenir gênant.
La carrière de Juliette avait commencé ; elle
ne s'arrêterait plus.
Comme j'étais son seul réel ami, celui qui
n'avait aucune raison de la jalouser, elle m'em-
menait dans tous ses dîners importants. Une
carriériste n'est pas mariée, mais ne vient
jamais seule. Elle est disponible sans l'être.
Tout dépend de la proposition et de celui qui
propose.
Une fois par semaine, elle recevait chez elle et
je jouais à l'ami maître de maison. J'étais le
prince consort et qu'on rentre de temps en
temps. J'avais appris par cœur les quelques
phrases qui la mettraient en valeur devant un
patron, un banquier ou un politique :
« Tu as été extraordinaire l'autre soir devant
cet attaché d'ambassade russe... »
« Quand je pense qu'elle se voit offrir au
moins une présidence par semaine... »
Le reste du temps, il me suffisait de la
regarder béatement. Je rentrais le soir chez moi,
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exténué par cette comédie. Mais, d'une certaine


façon, je l'aimais; elle me fascinait et j'accep-
tais de jouer mon rôle de bonne grâce.
Elle avait une tactique pour inviter les grands
de ce monde. Elle annonçait à X que Y avait
accepté et, dès qu'elle avait l'accord du premier,
invitait le second. Elle faisait des cadeaux
somptueux aux présentateurs de télévision pour
qu'ils viennent dîner chez elle.
« Au pire, tu es là, disait-elle.
— Merci.
— Mais non, tu ne comprends pas. Pour les
bluffer, il faut les plus connus ; sinon, un journa-
liste. Le pouvoir de la presse les affole. Ça n'a
rien à voir avec le talent », ajoutait-elle en riant.
Juliette avait mis au point un fichier compli-
qué mais essentiel pour son métier de car-
riériste. Chaque personnage important était
répertorié avec tous les renseignements qui le
concernaient ; ses études, sa carrière, sa famille,
ses hobbies, leurs rencontres, les sujets discutés,
plus une croix quand il avait été son amant. Il y
avait beaucoup de croix.
Ça lui permettait, des années plus tard, de
rappeler à l'homme retrouvé ce qu'il lui avait
dit, à l'époque, sur tel ou tel sujet.
« Je n'oublierai jamais », commençait-elle...
Elle venait de le relire.
Mon rôle était double. D'abord ne pas effrayer
les hommes, qui rapidement se rendaient
compte, à mon ignorance de leur monde, que je
ne pouvais être un concurrent. Ensuite, rassurer
les femmes sur l'intégrité de Juliette. Une
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femme ne peut recevoir que si les autres femmes


l'acceptent.
Je la décrivais certes intelligente, mais douce,
franche, et d'une honnêteté sans faille. Quand
les maris annonçaient qu'ils dînaient avec
Juliette, ils étaient toujours absous.
J'étais ravi de ce rôle de Roméo à mi-temps.
Juliette me fascinait et j'adorais partager sa
réussite, ou plutôt y contribuer.
Mais elle m'effrayait aussi.
L'arriviste ne pense qu'à arriver. On est tou-
jours en sursis avec elle et, dès qu'on a cessé de
servir, on ne reçoit plus que des sourires polis.
Si on insiste, les sourires deviennent glacés.
« Il ne faut jamais s'encombrer de gens inu-
tiles, disait Juliette ; sinon, on n'a plus assez de
temps ni de disponibilité pour les utiles. Il faut
apprendre à jeter. »
Je l'avais vue manœuvrer. Elle avait pour-
suivi un ennemi jusque dans sa vie privée et
l'avait écarté de sa route avec une brutalité
inouïe. Il s'agissait d'un notaire qui, trop bien
informé, avait tenté d'échanger ses secrets
contre quelques avantages. Juliette avait sorti
ses griffes. Une audience bien dirigée lui avait
permis de mobiliser quelques lieutenants du
fisc et le notaire avait finalement préféré suc-
comber à une crise cardiaque plutôt qu'à la fin
de sa réputation.
« Les gens blessés se relèvent et reviennent
avec encore plus de haine, me disait-elle. Il faut
les tuer, les écarter définitivement. »
Parfois, elle perdait et entrait dans des rages
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terribles. Elle ne se vengeait pourtant jamais,


estimant que la vengeance était un gaspillage de
temps. Elle préférait repartir à l'attaque sur
d'autres fronts.
Quand nous étions seuls, elle passait son
temps à élaborer de nouvelles combinaisons, de
nouveaux plans pour augmenter son pouvoir. Un
soir où nous dormions ensemble, elle se tournait
et se retournait dans le lit, n'arrivant pas à
trouver le sommeil.
« Fais-moi l'amour, dit-elle. Je suis trop éner-
vée. »
Docile, parce que sa puissance me la rendait
désirable, je m'exécutai. Elle était très attirante
et savait prendre et donner du plaisir comme peu
de femmes, la plupart étant incapables des deux
à la fois. J'étais ami et amant de cœur et je lui
avais depuis toujours accordé tous les droits sur
moi. Juliette me subjuguait. Ne pas la désirer
quand elle avait envie de moi m'aurait désolé.
Je la pris dans mes bras. Elle se laissa aller et je
sentis petit à petit son corps s'abandonner.
J'attendais son plaisir quand tout à coup elle
s'immobilisa.
« Arrête », dit-elle d'une voix impérieuse.
Je crus à un nouveau jeu, mais elle me
repoussa et alluma la lampe de chevet. Elle
marcha vers son bureau, s'assit et se mit à écrire
furieusement. De temps à autre, elle me regar-
dait et murmurait :
« C'est bien. Très bien. »
Enfin, elle se leva, revint dans le lit et éteignit
la lumière.
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Les femmes pauvres détestant la pauvreté, il


ne me restait d'autre choix que de travailler et
réussir.
Un matin, en allant au journal, je croisai une
fille jeune en tee-shirt et minijupe. Elle semblait
déplacée dans ce flot de gens pressés. Elle était
jolie et j'avais l'impression de l'avoir déjà vue.
Je l'abordai et lui offrit de partager un café.
« Foutez-moi la paix », dit-elle avant de
repartir.
Finalement, je déteste les pauvres.
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Les rousses

« Les odeurs sont des souve-


nirs. »

C h a r l e s BAUDELAIRE.
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Jamais l'été.
On dit que la phrase « elle n'a dansé qu'un
seul été » racontait l'histoire d'une rousse. Ils
ont aéré pendant des mois la salle des fêtes ; ils
ont repeint, changé de maire ; rien n'y a fait. On
se serait cru en fin de représentation à Médrano
quand les dompteurs finissent leur numéro et
font rentrer les fauves.
Ces créatures de rêve sont toujours accompa-
gnées par un parfum entêtant qui les précède et
les suit, qui nous fait les fuir ou les aimer selon
le goût que l'on a des femmes et de leur
présence.
Elles sont souvent très belles avec leurs che-
veux flamboyants ; leur peau douce et laiteuse
parsemée de taches de rousseur, qui font croire
qu'elles ont bronzé derrière une passoire ; cette
superbe que seuls les grands carnassiers arbo-
rent, ce dédain hautain qui leur va si bien. Elles
sont grandioses et écrasantes; elles passent la
tête haute sans même un regard pour nous, les
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petits blancs sans goût et sans saveur. Qui a été


follement épris d'une rousse ne peut aimer une
autre femme sans la trouver insipide. On ne la
sent même pas venir.
La rousse est une créature de neige qu'il faut
aimer à la montagne ou à la rigueur en ville, en
hiver. Fuyez dès que le temps se réchauffe. « La
dépression venant du nord permettra aux vents
chauds de pénétrer sur la France, ce qui se
traduira par une montée de la température... »
Tirez-vous ! Prétextez un voyage d'affaires, une
tante malade. Partez ! Votre couple est en dan-
ger.
Et si, comme moi, vous avez aimé une rousse
adepte du métro et des chemises en acrylique,
que vous l'avez approchée en août à Paris, c'est
qu'il vous manque ce sens qui s'appelle l'odorat.
Ou alors que vous étiez très enrhumé.
Avez-vous remarqué que dans les voitures où
voyagent des rousses, les fenêtres sont toujours
ouvertes même par grand froid? Ce sont les
seules qui ne subissent pas de fouille à la
douane. Une rousse peut même vous gâcher un
bon repas. Je me souviens de cette brasserie très
parisienne dont le propriétaire avait posé sur
ses murs des panneaux affichant : « Pour le
bien-être de vos voisins, évitez de fumer la pipe
et le cigare et d'amener des rousses. »
Enfin, la rousse est la seule femme au monde
à qui on ne peut pas demander : « Comment te
sens-tu ? »
Qui n'a pas eu une secrétaire rousse n'a pas
connu l'enfer. La mienne venait en outre de la
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campagne et croyait que l'être humain doit


rester naturel. Elle ne se rasait pas, se levait tôt
le matin, se ruait vers son train de banlieue,
gesticulait toute la journée... C'était insupporta-
ble. Elle avançait vers moi, je reculais. Elle
levait un bras pour saisir un dossier sur une
étagère, je défaillais.
Personne ne venait plus dans mon bureau. Je
passais mes hivers entre rhumes et bronchites.
J'avais beau garder mon manteau pour travail-
ler, l'air glacé qui passait par mes fenêtres
grandes ouvertes me transperçait. Pour Noël, je
lui offris des chocolats et des déodorants. Mais
rien n'y fit.
Pourtant, elle était adorable, ne sachant que
faire pour me rendre service.
Un jour de plein été où, faisant preuve du plus
grand des courages, je lui demandais pourquoi
elle ne se rasait pas sous les bras, elle me
répondit en rougissant :
« C'est à cause de mon fiancé. Il dit que ça le
rend plus amoureux. »
Je la regardai, effondré, me demandant quel
type de malade elle avait bien pu rencontrer. Un
jour, je le vis et je compris. Il était encore plus
roux qu'elle.
Certaines, malignes, se font teindre les che-
veux. Elles se couvrent de parfum, de déodo-
rant. Si vous en ramenez une à la maison, vous
la démasquerez vite. Comme elles ont un tem-
pérament de feu — nous en reparlerons — le
naturel reviendra au galop.
On reconnaît l'amant d'une rousse au fait,
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bien sûr, que plus une seule odeur ne le dérange,


mais surtout à ses yeux cernés et à sa mine de
papier mâché.
J'ai aimé une rousse. Une rousse de bonne
famille qui savait minimiser ses abords entê-
tants. Elle s'appelait Julie. Un prénom prédes-
tiné. Elle était grande, belle et capricieuse.
Beaucoup de rousses le sont. C'est leur côté
bestial. Moi qui aime les femmes paisibles et
douces, je n'arrêtais pas de courir pour la
suivre, chez un tailleur, dans une parfumerie
(heureusement), à des soirées, des mondanités.
Elle était infatiguable et, si je renâclais, elle
entrait dans des rages terribles. Ses lèvres se
retroussaient comme celles d'une tigresse prête
à mordre.
Elle s'habillait bien. Le noir, le vert, le blanc
lui allaient divinement et faisaient vivre ses
cheveux. Julie était aussi, et surtout, un oura-
gan de passion, comme la plupart des rousses.
Elle portait petite culotte et soutien-gorge à
ravir. Sa poitrine était pleine de rêves et
d'amour. Elle m'aimait, me possédait. Je lui
appartenais. Mon répondeur était bourré de
messages du type : « Il est 10 heures. Tu n'es pas
encore là. Pourquoi ? » Ou bien : « Si tu es
encore avec cette pute, je t'arrache les c... » Elle
l'aurait fait. Le corps humain sent bien ces
choses. Quand elle était sous l'emprise de la
colère, certaines parties de mon anatomie, par
réaction, se rétractaient.
Elle adorait me surprendre chez moi. Après
avoir inspecté tous les placards, elle se jetait sur
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moi, m'arrachait mes vêtements. Nous courions


dans la chambre et, alors, elle se déchaînait.
Alertés par ses cris de plaisir, mes voisins
convoquaient police secours, persuadés que
j'égorgeais quelque grand-mère pour accélérer
un héritage. Et comme je ne suis pas l'amant du
siècle, l'ardeur de Julie me tétanisait, m'affo-
lait. Je rêvais d'amours tranquilles, de douceur
et de tendresse, pendant que ses feulements
traversaient les murs et les immeubles. Julie
m'aimait toutes griffes dehors. J'étais le domp-
teur dompté. Ma peau était lacérée. Ma vanité
de mâle aurait dû s'en réjouir, mais j'étais trop
épuisé, trop inquiet à l'idée que tout allait
recommencer à peine le dîner terminé. Jouir
devenait un calvaire, puisque ce n'était pas une
fin, mais un simple entracte.
D a n s les r e s t a u r a n t s , les h o m m e s
m'enviaient. Parce qu'elle était belle, voyante et
parce qu'elle n'était pas avec eux. On la remar-
quait. Donc, moi aussi. Sa démarche rendait
fou. Un déhanchement d'animal. S'ils avaient
su combien je rêvais d'être assis à côté de leurs
petites blondes ou de leurs brunes tranquilles,
de parler cinéma, de faire le tour des copains et
de la vie ! Julie n'avait qu'un sujet d'intérêt :
l'amour. Le faire, le refaire. Et quand, harassé,
je me tournais sur le côté, elle me regardait avec
des larmes dans les yeux et me demandait :
« Tu n'as plus envie de moi ? Tu ne m'aimes
plus ? »
Julie était trop folle, trop belle. Et, finale-
ment, son odeur m'excitait. Quand, après
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l ' a m o u r , nous nous reposions, le souffle court, le


corps vidé, q u a n d enfin nous parlions d ' a u t r e
chose que de nos sexes, je goûtais le p a r f u m
merveilleux qui i m p r é g n a i t nos draps et notre
peau. Nous vécûmes une folie de senteurs. Ce fut
extraordinaire, bouleversant, exténuant.
Un g r a n d brun, heureusement, me l'enleva et
je fus sauvé de l'épuisement ou, plus grave, de
l'homosexualité. J'étais prêt à tout p o u r survi-
vre. Mais, é t a n t donné m a chance, je serais sans
doute t o m b é sur un roux.
Il existe h e u r e u s e m e n t très peu de vraies
rousses. Beaucoup sont a u b u r n , ou tout simple-
m e n t u n peu rousses. On peut les sortir en été,
profiter de leur générosité, de leur démesure,
sans souffrir de leur e n c o m b r a n t e présence. On
p e u t les a i m e r gentiment. Elles ont cette pas-
sion, cette force de caractère, ce côté entier des
vraies rousses... tout en restant respirables.
Cela dit, ne prenez pas trop de risques.
Lavez-les souvent !
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Les laides

« Etre belle et aimée, ce n'est


être que femme. Etre laide et
savoir se faire aimer, c'est être
princesse. »
J u l e s BARBEY D'AUREVILLY.
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Imaginez un petit tas de sable bien rond, avec


des joues rouges et gonflées, un nez enfoui sous
les taches de rousseur. Ses cheveux étaient
blonds. Un blond vénitien dans lequel le peintre
avait oublié d'ajouter le vernis. Et des yeux qui
n'étaient pas même bleus. Une petite blonde,
potelée, aux yeux marron triste.
Je regardais l'ami qui nous avait présentés
avec reproche. Nous étions dans un restaurant à
la mode, parsemé de jolies filles habillées très
court, très transparent — c'était l'été.
Adélaïde, parce qu'elle s'appelait Adélaïde,
contemplait cette salle avec béatitude, croyant
reconnaître ici et là un acteur, une comédienne,
un journaliste, alors que je fuyais les visages
connus. Jacques accompagnait sa fiancée : une
très jolie brune appétissante dont la beauté
rendait Adélaïde encore plus laide.
Nous nous étions assis en couple. J'avais bien
essayé d'inverser les places pour me retrouver
en face de la fiancée de Jacques, mais il avait
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habilement déjoué la manœuvre. J'étais face à


ma promise, condamné et furieux.
Elle se mit à parler. Les laides parlent tou-
jours beaucoup. C'est un phénomène de compen-
sation. La littérature française défila. Jacques
bâillait. Puis le cinéma. Nous eûmes droit à
dix ans de palmarès du Festival de Cannes. Je
devais admettre qu'elle était très bien docu-
mentée.
Un garçon prit enfin la commande. Les res-
taurants à la mode brillent rarement par la
rapidité de leur service, considérant que dîner
chez eux est un honneur qu'il faut mériter.
Nonchalant et hautain, le garçon nous écouta.
En réalité, l'écouta, car il s'agissait là d'un autre
phénomène de compensation fréquent chez les
laides. Commander beaucoup et cher. Du style :
« On m'invite rarement, alors j'en profite. »
J'assistai pour la première fois de ma vie à une
prise de commande recto/verso. D'ailleurs, sur
l'addition, heureusement payée par Jacques, je
suis sûr qu'ils avaient rajouté le prix du bloc et
des carbones.
Le dîner se passa mieux que prévu. Adélaïde
savait aussi écouter et ne manquait pas d'hu-
mour, relançant gentiment la conversation. A la
fin du repas, je la trouvais plutôt sympa. Laide,
mais sympa. Elle raconta avec intelligence
quelques anecdotes, se moqua d'elle-même et
nous fit rire. Je lui trouvais presque du charme.
Malheureusement, l'addition était payée et il
fallait nous lever. Jacques me regardait, gogue-
nard. Persuadé que tout le restaurant me recon-
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naissait, que les tables riaient, je marchai bra-


vement vers la sortie, accompagné à petites
enjambées par mon gentil tas de sable.
Elle me prit la main. Je faillis prendre la fuite.
Il m'incombait bien entendu de la ramener.
Très mufle, je me gardai de proposer une boîte ;
la peur d'être reconnu, alors que je ne connais
personne dans les milieux noctambules. Mais,
avec une laide, on devient vite parano.
« Où habitez-vous ?
— Je vais vous guider. »
Je démarrai — avenue Foch — le périphéri-
que — un 30 juillet, même à 11 heures du soir,
on est en grande compagnie. L'autoroute de
l'Ouest — Louveciennes. Une heure après, nous
y étions et le dernier verre m'attendait.
Aucun homme ne peut refuser un dernier
verre. On nous a trop souvent fait le coup pour
que nous osions le faire nous-mêmes. Question
d'éducation ou de civisme. Quoi qu'il en soit,
c'est impossible. Je voulais laisser le moteur en
marche, dans le style « je ne reste qu'une
minute » mais, avec autorité, elle tourna la clef
de contact.
Sa maison, ou plutôt celle de ses parents, était
rassurante. De gros murs, des meubles campa-
gnards solides, du bois partout. Il y régnait une
sorte de quiétude, de sérénité. Comme si les
bruits et les angoisses de la ville s'arrêtaient
devant le lourd portail.
« J'aime votre maison. »
Elle prit un grand classeur et l'ouvrit devant
moi.
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« Regardez. Les photos de la maison. Avant,


après. En attendant, je vais vous chercher à
boire. »
Je feuilletai l'album et entrai dans l'histoire
de la ruine devenue capital avec, en premier ou
en arrière-plan des photos, Adélaïde. Partout
elle souriait. Enfant, adulte, collégienne, avec
des couettes qui lui allaient d'ailleurs bien, avec
un chignon pour une photo de mariage, avec des
lunettes (il ne manquait plus que ça !), avec des
parents. Des parents qui lui ressemblaient.
Laids et sympas. Et toujours cette maison qui
n'en finissait pas de grandir et d'embellir.
Dans ma tête, une idée sournoise se glissait.
L'idée qu'on rejette et qui revient tout douce-
ment, qui tourne, qui ironise : « elle attend
sûrement quelque chose ».
Adélaïde revint, les bras chargés de verres, de
glace et de bouteilles.
« Vous avez aimé l'histoire de ma vie ?
— Votre maison ? »
Elle acquiesça. Elle me servit un verre, puis
s'assit près de moi sur le canapé. Elle sentait
bon. Un parfum de fraîcheur. Elle me souriait.
« Je sais que je ne vous plais pas.
— Pourquoi ça ? C'est idiot. Et puis, entre un
homme et une femme, il y a beaucoup d'autres
choses.
— C'est bien ce que je disais, poursuivit-elle
en riant. Vous n'avez pas du tout envie de moi,
n'est-ce pas ? »
Que répondre ? Je savais qu'aucun désir n'al-
lait se manifester. Je m'en voulais, enviant les
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h o m m e s qui peuvent toujours, avec n ' i m p o r t e


qui et à tout instant. E n t r e r dans ce jeu serait
redoutable, humiliant.
Je buvais. De plus en plus. Mais l'idée sour-
noise continuait à se p r o m e n e r dans m a tête.
« Laisse tomber. »
Et puis Adélaïde se mit à me parler. Sa voix
était devenue plus douce, ses phrases pleines de
t e n d r e s s e et d ' i n t e l l i g e n c e . Elle livrait ses
secrets, qui étaient aussi un peu les miens. Ses
rires, ses délires, sa vision des autres. Je me
reconnaissais dans ses mots, dans ses folies. Elle
était moi et j'étais elle.
H a b i l e m e n t , elle a b o r d a des sujets plus
tabous, d'une façon d ' a b o r d espiègle et char-
mante, puis un peu plus osée.
« J'adore prendre mon temps et rien n'est pire
que l ' a m o u r à la va-vite, dit-elle.
— Je suis assez d'accord.
— Les h o m m e s sont trop pressés. Ils gâchent
une g r a n d e p a r t i e de leur propre plaisir à
vouloir se d o n n e r trop tôt. J'adore m'occuper
d ' u n h o m m e , de son corps, le caresser lente-
m e n t et longuement. C'est si beau, un corps
d'homme.
— Ils sont tous faits pareil », dis-je, sachant
déjà q u ' u n piège se refermait.
Elle sourit.
« Est-ce que toutes les femmes sont sembla-
bles ?
— Cela dépend. Non, finis-je p a r a d m e t t r e .
— Chaque h o m m e est différent : la taille, la
forme. Son plaisir aussi s'exprime de façon
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différente. Aucun corps ne réagit exactement


pareil. Le tout est de l'apprendre, de le connaî-
tre, puis de lui d o n n e r les caresses qu'il aime. Je
peux p a s s e r des heures à rendre heureux le
corps d ' u n h o m m e que j'aime, des heures à le
regarder. »
L ' e x h i b i t i o n n i s t e qui s o m m e i l l a i t en moi
c o m m e en tout h o m m e l'écoutait béatement.
Elle c o n t i n u a de parler, se m o n t r a n t de plus en
plus précise dans ses propos, r a c o n t a n t ses
p r o p r e s fantasmes. Sa voix était devenue rau-
que et troublante. Son visage s'estompait, son
corps s'affinait et ses yeux devenaient presque
bleus.
Elle avait posé sa m a i n s u r la mienne. Une
m a i n douce, maternelle. J'étais à la fois effrayé
et attiré. Je la savais laide et la voyais belle. Je
voulus p a r l e r m a i s elle posa un doigt sur mes
lèvres.
« Tais-toi. »
Elle c o n t i n u a i t à nous raconter. Sa m a i n
restait i m m o b i l e avec parfois, p o u r ponctuer u n
mot, une idée, une légère crispation que je
ressentais de tous mes sens. J'étais t e n d u et
p e r d u . Elle se r a p p r o c h a . Je respirai son odeur
épicée faite de p a r f u m et de désir. C'était léger
et a t t i r a n t . J'avais envie d'elle et elle le savait.
« Laisse-moi faire », murmura-t-elle.
Ce ne fut pas agréable. Ce fut extraordinaire.
Je n'avais j a m a i s connu a u t a n t de douceur et de
sensualité à la fois. Elle joua de nos corps avec
u n talent et avec une créativité q u ' a u c u n musi-
cien n ' a u r a i t p u imaginer.
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J'étais tour à tour objet, amant, brute, fou,


tendre... J'explorais des limites que je dépassais
sans cesse. Je me sentais pleinement moi, amou-
reux et ivre de ma vie. Plus tard, follement
épuisé, je m'endormis, tandis que sa main
caressait mon corps comme on berce un enfant.
Sur le plateau du petit déjeuner, elle avait
posé des fleurs et quelques feuilles. Je la regar-
dai. Elle avait un sourire tendre.
« Tu vois qu'on peut tout oublier. »
Je souris. Elle s'était remaquillée, remodelée.
Elle était laide et pourtant devenue si belle.
Adélaïde est restée une amie. Nous déjeunons
de temps en temps et nous rebâtissons le
monde. Elle est devenue un peu plus lourde et
un peu plus passionnante. A l'époque où nous
nous sommes connus, j'avais vingt-cinq ans. Je
choisissais mes conquêtes en fonction de
l'image qu'elles donnaient de moi. Elles étaient
belles, très belles ; pourtant mes nuits étaient
remplies de monotonie et d'ennui. Les jolies
femmes ne sont préoccupées que par elles-
mêmes — leur corps, leur apparence, le désir
qu'elles allument dans le regard des hommes.
Elles doivent sans cesse se soucier de paraître,
surveiller leur façon de s'habiller, retoucher
leur maquillage. Et nous devons supporter de
les voir des heures durant se préparer, s'aimer,
se contempler. Il ne leur reste plus de temps
pour nous. Elles ne nous font pas l'amour ; elles
consentent à ce que notre corps profite un peu
d'elles. Les aider est une suprême récompense.
Un os jeté au chien affamé.
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Combien s'allongent et attendent, avec


condescendance et ennui, que ce soit fait, fini —
qu'enfin l'on dorme !
Adélaïde m'a donné la clef. Il faut, bien sûr,
sortir de temps en temps avec de très jolies
femmes, ne serait-ce que pour satisfaire son ego,
mais il faut savoir aussi se retrouver avec de
moins jolies, parce qu'elles feront des prouesses
pour nous séduire et nous aimer.
C'est si bon de recevoir, d'être comblé au-delà
de tout. D'exister totalement.
Vivent les tas de sable.
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Ma femme
avant parution

« Nos femmes ne se doutent pas


combien le chagrin que nous leur
faisons peut nous les faire aimer
davantage. »

R o b e r t d e FLERS.
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Elle (je ne lui donnerai pas de prénom !) est


plongée dans mon manuscrit. Elle le lit depuis
plusieurs heures pendant que je fais semblant
de regarder le match de foot, France-Italie.
Platini, qui joua longtemps en Italie et qui
est français malgré son nom italien, entraîne
l'équipe de France pour tenter de battre l'Italie.
(Relisez lentement.)
De temps en temps, elle sourit ; de plus en
plus rarement. Parfois, elle lève la tête avec
dans les yeux une expression furieuse ou triste.
J'attends.
Elle est présente dans chaque chapitre. Ses
meilleures amies aussi et je comprends que cela
l'énerve. Mais il est fatal de tromper sa femme
avec ses amies. Ce sont celles qu'on rencontre le
plus facilement et celles qui ont le plus de
plaisir à vous séduire. En outre, les sujets de
conversation ne manquent pas après l'amour.
Evoquer les conjoints respectifs, qu'on connaît
bien, est distrayant.
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Cela commence toujours par le dithyrambe :


« C'est en tout cas un père extraordinaire. Il
rentre tous les soirs tôt pour boire un apéritif
avec les enfants et dialoguer avec eux. »
« Elle a toujours été là dans les moments
difficiles, faisant preuve d'une abnégation... »
Ensuite, on égratigne gentiment.
« Elle n'a pas su progresser avec moi. Elle
était formidable quand on s'est connu, mais
bon. Elle a du mal à suivre notre ascension
sociale. »
« Au début, il prétendait conquérir le monde.
Il n'a pas vraiment réussi. Aujourd'hui, il est
sous-directeur. C'est moyen. Toi, tu es journa-
liste. Tu écris ce que tu veux. Tu crées; lui, il
gère. Cela dit, il est très, très gentil. »
Un peu plus tard...
« On ne fait plus l'amour depuis longtemps.
Je crois que ça ne l'intéresse pas. Elle ne pense
qu'aux enfants ou à la maison. »
« Lui, il voudrait bien, mais moi, je n'en ai
plus envie. Il essaye de temps en temps mais je
fais celle qui a mal à la tête. Tu comprends, c'est
le père de mes enfants.
— Je comprends. »
Plus tard encore, allongés sur les draps
froissés, avec des bouteilles de Coca vides par
terre, des oreillers jetés aux quatre coins de la
chambre...
« J'ai de nouveau envie de toi. C'est fou ce
qu'on s'entend bien physiquement. »
Elle ferme le livre et soupire.
Platini hurle depuis son banc de touche parce
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que les Français ont raté un but et je m'attends


au pire, persuadé que l'électricité ambiante et
la sincérité de certains chapitres vont se conju-
guer pour causer ma perte.
Elle joue avec la couverture du manuscrit, la
pliant nerveusement.
« Tu les as toutes connues ?
— Approchées.
— Je vais avoir l'air de quoi ? »
Je la regarde, médusé.
« Tu veux dire que ton problème est qu'on
dise que tu vis avec un obsédé ? »
Elle hausse les épaules.
« Mais non, ça je m'en fous. Je pense à mes
copines. Tu en dis tellement de mal qu'elles
vont m'en vouloir à mort.
— Elles ne se reconnaîtront pas.
— Je les ai toutes reconnues. »
Je lui déclare qu'elle a trop d'amies. Elle
reprend le livre et le feuillette.
« Ce sont de belles salopes, dit-elle pensive-
ment. Et toi, tu t'es laissé faire, comme un
imbécile.
— Je ne les ai que... côtoyées.
— Et en plus, tu mens. »
Je hausse les épaules, effaré par ma lâcheté.
« C'est un livre, pas une vie, dis-je solennelle-
ment, assez content de ma réplique.
— Je te hais », crie-t-elle en se levant et en
jetant le manuscrit à mes pieds.
J'entends toutes mes femmes faire ouf à
l'instant où le manuscrit tombe ; éclater de rire
quand elle quitte la pièce. Que les femmes sont
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dures ! Je leur enjoins de se taire. Elles sont


soudain toutes sorties des pages et me narguent.
Je ferme les yeux et les sens tourner autour de
moi, me sourire, m'attirer dans leur ronde
amoureuse. Il ne manque que les deux petits
anges de circonstance pour compter les points.
Josiane se déshabille. Eve me fait un sermon.
Claude m'impose des haltères et Gisèle m'expli-
que que, tout compte fait, elle a décidé de me
tuer.
J'ai bu beaucoup de champagne avec Platini.
Les victoires grisent; les défaites noircissent
horriblement. Nous fêtons une débâcle. Les
vrais ivrognes voient des animaux sortir des
murs. Moi, je passe la soirée la plus remplie de
ma vie avec toutes mes sorcières déchaînées.
Le lendemain, elle m'annonce qu'elle me
quitte. Pas au nom de ma vie dissolue, mais
pour sauver son image.
« C'est un roman, plaidé-je.
— Alors fais un chapitre sur moi. Ecris que je
suis la femme de ta vie, que je suis la seule que
tu aimes, que tu passes tes journées et tes nuits
à me désirer. Parle de mes fesses qui te rendent
fou. Je veux être la seule, tu comprends ça ?
— C'est impossible. En plus, c'est idiot. Ce
n'est qu'un livre.
— Je veux être la seule, répète-t-elle.
— Mais je vis avec toi.
— Peut-être, mais je ne veux pas m'endormir
en pensant à toutes ces saletés. »
Pour moi, c'est incompréhensible. Elle est
intelligente, pleine de charme et jolie. C'est la
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femme la plus sensuelle que j'aie jamais con-


nue. Je ne sais comment elle fait, mais elle a
toujours l'air déshabillé. Non pas qu'elle soit
vêtue trop court ou trop sexy mais chaque
partie de son corps ressemble à une invite. Les
hommes l'entendent sans l'écouter; ils la regar-
dent et, dans leurs yeux, je lis à chaque fois une
grande histoire sensuelle.
Elle a la peau très mate, des yeux et des
cheveux très noirs et des lèvres vivantes. Elle
n'aime ni la culture physique ni le pouvoir. Ses
parents ne sont ni riches, ni blasés, ni pressés
qu'on se marie.
Elle gagne sa vie. Je rêvais qu'elle la gagne
pour deux et que, journaliste, je puisse devenir
écrivain. Je me voyais, marchant le matin à
travers bois, échafaudant mentalement des cha-
pitres et les tapant ensuite avec fureur sur ma
machine. J'aurais pu fumer la pipe, m'habiller
en velours côtelé, boire trop de whiskies, me
fabriquer enfin un personnage qui m'aille et
jeter ma démission à la tête de mon vieux
copain rédacteur en chef. Je l'aurais fait avec
sollicitude, avec gentillesse, lui laissant enten-
dre que, malgré mes succès, je continuerais à lui
donner mon amitié.
Quel dommage qu'elle soit si femme ; avare et
maintenant butée. De mon ton le plus hypo-
crite, je lui propose de brûler le manuscrit. Elle
accepte. J'ai un haut-le-cœur. Toutes ces
femmes aimées pour rien ! Puis une idée me
vient.
« Veux-tu que je prenne un pseudo ?
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— Si le livre marche, tu ne le supporteras


pas.
— C'est vrai, mais tant pis. Nous serons les
seuls à savoir.
— Et toutes ces salopes.
— Je ne le leur dirai pas.
— Tu ne pourras pas t 'empêcher de leur
envoyer un exemplaire dédicacé. Pour toi, cha-
que femme, c'est comme une Légion d'honneur.
— Mais qu'est-ce que ça peut te foutre? Je
suis avec toi. Plus avec elles.
— Je déteste qu'on ricane derrière mon dos.
— On ricanera de toute manière.
— Pas si je t'ai quitté. Etre l'une d'entre elles
est drôle et sans importance. Je ne veux pas être
l'actuelle quand le livre sortira.
— Alors je brûle tout.
— Oui », répète-t-elle, enfermée dans son
égoïsme féminin.
La tolérance des femmes s'arrête à leur
orgueil. On dirait des hommes.
Nous sommes en hiver et un grand feu brûle
dans la cheminée. Les flammes crépitent et
menacent le conduit de cheminée, qui n'a pas
été ramoné depuis des années. Je prends le
manuscrit et, d'un geste théâtral, le jette dans
l'âtre. Elle sursaute mais je pose mon bras sur le
sien.
« Laisse. »
Les pages se consument d'abord lentement
puis le papier s'embrase et des éclairs bleus
inondent la pièce. Nous sommes hypnotisés.
Elle regarde tour à tour le feu, le livre qui se
calcine, moi. Elle ne sait plus si elle doit
m 'aimer ou se haïr. Nous vivons un moment
grandiose; nous sommes au bord du grand
amour.
Je l'emmène dans la chambre. Notre envie
n'en peut plus. Tard dans la nuit, harassés, nous
nous allongeons l'un contre l'autre. Elle prend
ma main et la serre doucement.
« Tu es une véritable ordure, dit-elle les yeux
fermés.
— Oui.
— On va donc se quitter.
— Ce n'est pas obligatoire. Essaye de com-
prendre... »
Je la vois sourire, dans la pénombre.
« Quand apportes-tu la copie à ton éditeur ?
demanda-t-elle.
— Demain. Tu le savais depuis le début,
n'est-ce pas ?
— Prends quand même un pseudo et envoie-
moi un exemplaire dédicacé. Et puis quittons-
nous gentiment. Tu as encore tant de chapitres
à écrire. »

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