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L'Art

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Petite philosophie de

CYRIL MORANA
ÉRIC OUDIN
CYRIL MORANA

L'ART ÉRIC OUDIN


PRÉFACE D’ANDRÉ COMTE-SPONVILLE

La collection « Petite philosophie des grandes idées » retrace, à travers la


présentation d’une dizaine de penseurs majeurs, le destin d’un concept-clé.
Ainsi, ce livre raconte l’histoire de l’idée de l’art, de l’Antiquité à nos jours :
chaque chapitre est consacré à la pensée d’un philosophe dont l’auteur
dégage les lignes de force. Illustré de citations de référence et d’exemples
d’œuvres d’art, ce guide constitue une approche vivante et efficace
de l’histoire de la pensée philosophique.



PL ATON : l’art rejeté
ARISTOTE : l’art qui imite et purifie
Petite philosophie de

L'ART
❏ PLOTIN : la beauté des arts
❏ DIDEROT : l’art réaliste, vertueux et national

L'ART
❏ BURKE : la beauté au pluriel
❏ KANT : la beauté impure de l’art
❏ HEGEL : l’art comme manifestation de l’esprit

de Platon à Deleuze
❏ NIETZSCHE : la puissance de l’art
❏ BERGSON : l’art comme perception délivrée
❏ AL AIN : l’art dans tous les sens du terme
❏ MERLEAU-PONT Y : l’art sensible

Petite philosophie de
❏ DELEUZE : l’art comme résistance

Cyril Morana enseigne la philosophie au lycée Joliot-Curie de Rennes et à


l’Université de Rennes 2. Il est déjà l’auteur de plusieurs ouvrages dont La liberté, La
justice ou encore Découvrir la philosophie antique chez Eyrolles.

Éric Oudin est agrégé de philosophie. Il enseigne en classes préparatoires aux


grandes écoles au lycée Michelet de Vanves. Il est déjà l’auteur de plusieurs ouvrages
dont Le bonheur et La liberté, dans la même collection.

14,90 €
ISBN : 978-2-212-57305-3
Code éditeur : G57305

Studio Eyrolles © Éditions Eyrolles


Illustration de couverture © HiSunnySky /Shutterstock

57305-PetitePhilosophieDeL'art_CVOK.indd 1 18/10/2019 10:08


Petite philosophie de

CYRIL MORANA
ÉRIC OUDIN
CYRIL MORANA

L'ART ÉRIC OUDIN


PRÉFACE D’ANDRÉ COMTE-SPONVILLE

La collection « Petite philosophie des grandes idées » retrace, à travers la


présentation d’une dizaine de penseurs majeurs, le destin d’un concept-clé.
Ainsi, ce livre raconte l’histoire de l’idée de l’art, de l’Antiquité à nos jours :
chaque chapitre est consacré à la pensée d’un philosophe dont l’auteur
dégage les lignes de force. Illustré de citations de référence et d’exemples
d’œuvres d’art, ce guide constitue une approche vivante et efficace
de l’histoire de la pensée philosophique.



PL ATON : l’art rejeté
ARISTOTE : l’art qui imite et purifie
Petite philosophie de

L'ART
❏ PLOTIN : la beauté des arts
❏ DIDEROT : l’art réaliste, vertueux et national

L'ART
❏ BURKE : la beauté au pluriel
❏ KANT : la beauté impure de l’art
❏ HEGEL : l’art comme manifestation de l’esprit

de Platon à Deleuze
❏ NIETZSCHE : la puissance de l’art
❏ BERGSON : l’art comme perception délivrée
❏ AL AIN : l’art dans tous les sens du terme
❏ MERLEAU-PONT Y : l’art sensible

Petite philosophie de
❏ DELEUZE : l’art comme résistance

Cyril Morana enseigne la philosophie au lycée Joliot-Curie de Rennes et à


l’Université de Rennes 2. Il est déjà l’auteur de plusieurs ouvrages dont La liberté, La
justice ou encore Découvrir la philosophie antique chez Eyrolles.

Éric Oudin est agrégé de philosophie. Il enseigne en classes préparatoires aux


grandes écoles au lycée Michelet de Vanves. Il est déjà l’auteur de plusieurs ouvrages
dont Le bonheur et La liberté, dans la même collection.
ISBN : 978-2-212-57305-3
Code éditeur : G57305

Studio Eyrolles © Éditions Eyrolles


Illustration de couverture © HiSunnySky /Shutterstock

57305-PetitePhilosophieDeL'art_CVOK.indd 1 18/10/2019 10:08


Petite philosophie de

L'ART
de Platon à Deleuze
Éditions Eyrolles
61, Bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com

Chez le même éditeur, dans la même collection :


L’amour
L’amitié
Le bonheur
Le corps
Le désir
La justice
La liberté
Le plaisir
La religion

Mise en pages :
Le Bureau des Affaires Graphiques
Corrections :
Bertrand Vauvray
Véronique Pruvot

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire


intégralement ou partiellement le présent ouvrage, sur quelque support que
ce soit, sans autorisation de l’éditeur ou du Centre Français d’Exploitation du
Droit de Copie, 20, rue des Grands- Augustins, 75006 Paris.

© Groupe Eyrolles, 2010


© Éditions Eyrolles, 2020 pour la nouvelle présentation
ISBN : 978-2-212-57305-3

À l’occasion de ce troisième tirage, cet ouvrage bénéficie d’une nouvelle


couverture. L’essentiel du texte et des illustrations reste inchangé.
CYRIL MORANA
ÉRIC OUDIN
PRÉFACE D’ANDRÉ COMTE-SPONVILLE

Petite philosophie de

L'ART
de Platon à Deleuze
Sommaire
Avant-propos............................................................................................................................ 7
1-Platon ou l’art rejeté...................................................................................................... 15
Pour commencer................................................................................................................... 16
Qu’est-ce que le beau ?....................................................................................................... 16
Beauté sensible et beauté intelligible : le masque et l’indice........................23
La condamnation philosophique de l’art. ............................................................... 29
2-Aristote ou l’art qui imite et purifie...................................................................35
Pour commencer.................................................................................................................. 36
La conception aristotélicienne de l’art..................................................................... 36
L’essence de l’art : l’imitation........................................................................................ 38
Beauté, ordre et étendue................................................................................................... 41
La catharsis : l’art comme purification des passions......................................... 42
3-Plotin ou la beauté des arts..................................................................................... 47
Pour commencer.................................................................................................................. 48
Plotin, philosophe de l’Un.............................................................................................. 48
Le beau et ses manifestations ....................................................................................... 50
4-Diderot ou l’art réaliste, vertueux et national ............................................55
Pour commencer.................................................................................................................. 56
Origine et usage de l’art...................................................................................................... 57
Naissance de la critique d’art..........................................................................................58
Peinture, morale et politique......................................................................................... 64
5-Burke ou la beauté au pluriel.................................................................................69
Pour commencer.................................................................................................................. 70
La beauté réside-t-elle dans l’harmonie et la proportion ?......................... 70
La beauté imparfaite............................................................................................................ 73
La pluralité des esthétiques.............................................................................................76
6-Kant ou la beauté impure de l’art........................................................................ 81
Pour commencer.................................................................................................................. 82
Le jugement esthétique..................................................................................................... 83
à chacun son goût ? .............................................................................................................87
Beau naturel et beau artistique..................................................................................... 95

4
7-Hegel ou l’art comme manifestation de l’esprit.......................................103
Pour commencer ...............................................................................................................104
Le spirituel sensibilisé ................................................................................................... 105
Le sensible spiritualisé .................................................................................................. 108
L’idéalisme esthétique.....................................................................................................114
8-Nietzsche ou la puissance de l’art..................................................................... 123
Pour commencer................................................................................................................ 124
Vie et vérité ........................................................................................................................... 124
Art et tragédie....................................................................................................................... 128
9-Bergson ou l’art comme perception délivrée............................................ 133
Pour commencer................................................................................................................ 134
L’artiste est un voyant....................................................................................................... 134
La question de la perception.........................................................................................137
Idéalisme et réalisme, art et nature.......................................................................... 142
10-Alain ou l’art dans tous les sens du terme.................................................147
Pour commencer................................................................................................................ 148
La folle du logis.................................................................................................................... 149
L’artiste et l’artisan..............................................................................................................153
11-Merleau-Ponty ou l’art sensible . .................................................................... 161
Pour commencer................................................................................................................ 162
L’art comme accès à l’ « il y a ».................................................................................... 162
Le corps et la vision........................................................................................................... 165
Art et métaphysique.......................................................................................................... 169
12-Deleuze ou l’art comme résistance................................................................ 173
Pour commencer.................................................................................................................174
Qu’est-ce que la philosophie ?..................................................................................... 175
Les idées de l’art .................................................................................................................. 177
Création et résistance...................................................................................................... 179

Bibliographie commentée............................................................................................. 182


Ouvrages généraux sur la philosophie de l’art.................................................... 185

5
Avant-propos
C’est au xviiie siècle que les « beaux-arts » deviennent, en tant
que tels, objets de réflexion philosophique. Jusque-là, ils ne sont
guère distingués de ce que nous appelons les techniques et que
l’on appelle encore les arts : l’artiste est un homme de l’art au
même titre que l’artisan. Quand Leonard de Vinci proclame que
la peinture est une « chose mentale », c’est qu’il revendique pour
elle une dignité supérieure à celle que l’on accorde alors aux arts
mécaniques dans lesquels on la classe. Il ne saurait donc y avoir, à
proprement parler, de « philosophie de l’art » avant le xviiie siècle,
en tout cas au sens que nous donnons à ce mot. De Burke à Gilles
Deleuze, nous proposons neuf étapes de cette réflexion sur les
beaux-arts.
Il nous a toutefois semblé que cette philosophie des beaux-arts ne
serait pas pleinement intelligible sans un exposé préalable de ce
que les Anciens ont pensé de ces arts qui n’étaient pas encore pour
eux des « beaux-arts ». Notre parcours commence donc par trois
noms qui s’imposent d’eux-mêmes : Platon qui est le premier
philosophe à faire du beau un objet d’interrogation philosophique
et dont les concepts traverseront toute la philosophie de l’art ;
Aristote, ne serait-ce que parce que l’art occidental, tout au long
de son histoire, a repris sa définition de l’art comme « imitation
de la nature » ; Plotin, enfin, parce qu’il est peut-être le premier
qui reconnaisse aux arts la puissance de manifester la beauté.
Bien des philosophes manquent dans cet ouvrage qui se veut
d’initiation. Tel ou tel choix sera jugé contestable et l’est
certainement. Les exposés proposés ne prétendent même pas à
l’exhaustivité. Nous avons plutôt essayé, pour chaque philosophe,
de dégager ce qui, dans sa réflexion sur l’art, était le plus pertinent
par rapport à la problématique qui est la sienne. Pour donner
un exemple, on ne trouvera pas ici d’exposé de la classification
des beaux-arts que propose Alain : il nous a semblé préférable
d’insister sur ce qui est le plus original, à savoir la critique de
l’imagination et la définition conséquente de l’artiste comme
homme de l’art, « artisan d’abord ». Nous nous sommes efforcés
également à la plus grande diversité possible dans les arts
7
L’Art

évoqués. La philosophie de l’art n’a, en effet, que trop tendance à


être une philosophie de la peinture ! C’est pourquoi il nous a paru
souhaitable, dans le chapitre consacré à Nietzsche d’insister sur
l’analyse de l’opéra wagnérien comme renaissance de la tragédie
grecque, ou dans celui sur Gilles Deleuze, de privilégier les
exemples consacrés au cinéma.

8
Préface
Il y a du mystère dans l’art. C’est peut-être ce qui agace ou déroute
les philosophes. Pascal l’a énoncé crûment : « Quelle vanité que la
peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance des choses
dont on n’admire point les originaux ! » On dira que cela ne vaut
que pour (ou plutôt contre) l’art figuratif... Peut-être. Mais il est
douteux que le génial auteur des Pensées ait vu, dans la musique de
son temps, ou aurait vu, dans l’art abstrait du nôtre, autre chose
que des divertissements somme toute secondaires. Quoi de plus
vain, pourrait-il demander, qu’une musique ou une peinture qui
ne ressemblent à rien ? Misère de l’homme sans Dieu ; misère de
l’art sans religion.
Pascal n’est qu’un exemple. Tout se passe comme si les philosophes,
face à l’art, se sentaient en position de danger ou de rivalité. Même
Épicure, qui n’était guère religieux, se méfiait des artistes. Trop
d’imaginaire, trop de passions, trop de désirs vains… Et que dire
de Platon, qui chassait le poète de la Cité, d’Aristote, qui vouait l’art
à la seule imitation, fût-elle purifiée et purifiante, de la nature, ou
encore de Kant, qui s’intéresse au beau plus qu’à l’art, au jugement
plus qu’à l’émotion, et qui préférait la pure beauté de la nature
à celle, toujours suspecte d’impureté, voire d’immoralité, que
nous offrent les artistes ? Même Hegel, si pénétrant pourtant, si
puissant, si connaisseur, et quoiqu’il mette l’art plus haut que la
nature, n’y voit qu’un premier degré, d’ailleurs définitivement
dépassé, dans la marche de l’esprit – lequel ne s’exprime dans un
matériau sensible (l’œuvre d’art) que faute d’avoir atteint la parfaite
conformité avec lui-même, telle qu’elle se donne dans la religion
(spécialement chrétienne) ou, mieux encore, dans la philosophie
(spécialement hégélienne)… Ces philosophes n’en sont pas moins
d’immenses génies, qui donnent beaucoup à penser, y compris
sur l’art. C’est le privilège du génie peut-être : qu’il n’a pas besoin
d’avoir raison pour être éclairant (« une erreur de Descartes, disait
Alain, vaut mieux qu’une vérité d’écolier »), ni qu’on soit d’accord
avec lui pour s’enrichir à sa fréquentation. On ne pense pas tout
seul, ni seulement en approuvant. Il faut aussi se confronter à la
pensée des autres, les affronter, et tant mieux s’ils nous surpassent
9
L’Art

sans toujours nous convaincre. L’esprit n’en est que plus libre
de chercher sa voie, parmi les traces que d’autres ont laissées,
de la suivre, de l’inventer parfois, et c’est la philosophie même.
L’excellent livre de Cyril Morana et d’Éric Oudin, si dense, si clair,
si riche, malgré sa brièveté, en offre une nouvelle confirmation. Il
rend aux grands philosophes le seul hommage qu’ils requièrent,
celui d’une lecture attentive et exigeante. C’est ce qui permet de
mesurer la profondeur de leurs analyses, la puissance de leurs
concepts, la variété, souvent conflictuelle, de leurs points de vue
(Aristote s’oppose à Platon, Hegel à Kant, Alain à Bergson…) et
même, c’est plutôt rassurant s’agissant d’art, de leurs goûts. Un
tel ouvrage donne envie de lire les philosophes, c’est la moindre
des choses, mais aussi d’aller au musée, au concert ou au cinéma.
Tant de beautés ! Tant de travail ! Tant d’intelligence ! Le passé,
pour l’art comme pour la philosophie, ne passe pas – ou plutôt
il passe (Aristote ou Monteverdi sont à jamais derrière nous)
mais reste indéfiniment disponible : une vie ne suffira pas à
admirer ces innombrables chefs-d’œuvre que trois mille ans de
civilisation (sans parler de l’art préhistorique) nous ont légués.
C’est comme le sillage de l’humanité, dans l’océan du temps, mais
qui serait aussi son sommet. Il y a du mystère dans l’art comme
il y en a dans la philosophie, et c’est le même peut-être : que la
vérité puisse être cause de plaisir ou d’émotion, que le plaisir ou
l’émotion puissent être véridiques, que ce qu’on reconnaît comme
réel (« oui, c’est bien ça, c’est exactement ça ! ») nous réjouisse ou
nous bouleverse (vérité de Schubert, vérité plus haute encore de
Mozart !), enfin que l’illusion même puisse nous aider à « ne pas
mourir de la vérité », comme disait Nietzsche, voire à l’aimer et à
en vivre. C’est ce qu’on appelle l’esprit, et il n’existe, en tout cas
ici-bas, qu’incarné dans un corps ou une œuvre.
Quels philosophes ? Nos deux auteurs en ont retenu douze (ils
ne pouvaient guère, dans un format si court, aller au-delà), de
Platon à Deleuze. « Choix contestable », reconnaissent-ils dans
leur avant-propos. Ils le sont tous. Mais choix excellent, en
l’occurrence, où je ne déplore pour ma part que deux absences,
celles de Schopenhauer et de Heidegger (penseurs plus décisifs, y
compris s’agissant d’art, que Burke ou Merleau-Ponty), lesquelles
10
ne remettent nullement en cause la richesse et la cohérence de
l’ensemble. On y trouvera l’essentiel de ce qu’on peut appeler
la philosophie de l’art, exposé avec autant de rigueur que de
pédagogie. Les chapitres sur Kant et Hegel, qui sont le passage
obligé de toute esthétique, sont les plus longs, et c’est justice.
Mais celui sur Nietzsche, malgré sa brièveté, ceux sur Bergson
ou Alain, dont on pouvait craindre qu’ils ne fussent oubliés, sont
tout aussi éclairants. L’ensemble rendra de grands services, et
pas seulement aux lycéens ou étudiants. Le grand public cultivé,
celui qui s’intéresse à l’art, et les artistes, s’ils s’intéressent à la
philosophie, trouveront là de quoi nourrir leurs réflexions et faire
vaciller, peut-être, quelques-unes de leurs évidences.
J’évoquais la formule fameuse de Hegel, qui sonne comme
un couperet : « L’art, quant à sa destination la plus haute, est et
demeure pour nous une chose du passé. Il a perdu tout ce qu’il
avait d’authentiquement vrai et vivant. » On peut estimer, et
légitimement, que les œuvres de Beethoven ou Hölderlin, ses
compatriotes et contemporains, lui donnaient tort, comme a
fortiori (parce qu’elles lui sont postérieures) celles de Van Gogh
ou Rilke, Tchekhov ou Stravinski, Rodin ou Proust, Bergman ou
Kurosawa... Voyez ces foules qui se pressent – aujourd’hui bien
plus qu’au xixe siècle – dans les musées, y compris d’art moderne !
Que cela ne suffise pas à réfuter Hegel, j’en suis d’accord, mais
relativise pourtant la portée de son diagnostic. L’art n’a pas cessé
de plaire, ni de fasciner, ni de donner à méditer, à aimer, à
jouir… Il m’arrive comme à d’autres, devant ce qu’est devenu l’art
contemporain, de me répéter la phrase de Hegel, non sans quelque
nostalgie ou perplexité. Mais j’y vois, lorsque j’y réfléchis, une
part d’injustice. Les chefs-d’œuvre innombrables que l’humanité
a accumulés, en quelque trois mille ans, font comme une masse
énorme, inépuisable, indépassable, à côté de quoi chaque nouvelle
œuvre, dans sa singularité matérielle et presque anecdotique,
peut sembler dérisoire ou superflue. C’est ce que j’ai appelé, il
y a longtemps, songeant à Marx, la « baisse tendancielle du taux
de création » : chaque œuvre nouvelle, fût-elle intrinsèquement
réussie, ajoute proportionnellement de moins en moins de valeur
au capital artistique accumulé, de sorte que la suraccumulation
11
L’Art

des œuvres passées ne peut guère aller, comme en économie, sans


la dévalorisation de chaque nouvelle production3. Imaginez la
Grèce, lorsque l’Iliade paraît. La scène poétique en est totalement
et définitivement bouleversée. Cela n’arrivera plus. Aucun poète,
jamais, n’aura l’importance d’Homère, aucun musicien celle de
Bach, aucun sculpteur celle de Phidias ou Michel-Ange, aucun
peintre celle de Giotto ou Rembrandt. Que ferait un tableau de plus,
à celui qui en posséderait des millions ? Nous sommes, par nos
musées, ces millionnaires repus. On aurait tort de s’en plaindre
(pouvoir jouir de l’art passé est une chance merveilleuse), comme
de le reprocher à nos artistes, qui n’y peuvent mais. Est-ce leur
faute s’ils sont nés si tard, s’ils sont nos contemporains, non ceux
de Socrate ou Montaigne, si la grandeur des commencements leur
est interdite ? Que peut le « travail vivant », comme disait Marx,
face à trente siècles de chefs-d’œuvre immortels ? De là, chez
certains artistes, la tentation de faire tout autre chose, pour éviter
les comparaisons. Et le découragement d’autres, qui ne veulent ni
faire n’importe quoi, on les comprend, ni se résigner à refaire ce
qui a déjà été fait. Cela ne condamne pas l’art vivant, tant s’en faut,
mais le rend sans doute plus difficile que dans les siècles passés
– justement parce que ces siècles, en art, demeurent accessibles
(dans nos musées, nos médiathèques, nos salles de concerts ou
de cinéma), et surplombent tout présent possible du haut de
leur éternité nécessaire. Ajoutez à cela le poids de l’argent, du
marché, des médias, des coteries, des institutions, des pouvoirs,
et vous aurez une idée de ce qui pèse sur nos artistes. Nietzsche,
mieux que Hegel peut-être, l’avait pressenti. Quelque chose s’est
produit, dans nos sociétés démocratiques, qui vient bouleverser
notre rapport à l’art : « La critique donna le ton en matière de
théâtre et de concert, le journaliste domina l’école, la presse
régna sur la société, et l’art dégénéra en un divertissement du
plus bas étage ; la critique esthétique devint l’instrument d’une
sociabilité vaniteuse, dissipée, égoïste, misérablement vulgaire ;

3. Voir mon Traité du désespoir et de la béatitude, t. 1 (Le mythe d’Icare), Puf, 1984,
chap. 3, « Les labyrinthes de l’art », section IX (p. 337 à 342 de la rééd. en un seul vo-
lume, coll. « Quadrige », 2002). C’était bien sûr une référence, qui n’est qu’analogique, à
la loi, chez Marx, de « la baisse tendancielle du taux de profit » : voir Le Capital, livre III,
3e section.

12
si bien qu’on n’a jamais autant parlé d’art, ni fait si peu de cas de
lui4. » Il faut beaucoup de courage aux artistes d’aujourd’hui pour
affronter un tel climat, surtout s’ils sont sincères, et un mélange,
nécessairement rare, d’audace et d’humilité. Cela ne tient pas
lieu de génie ? J’entends bien. Mais aucun génie ne saurait s’en
passer.
J’aime que cette « Petite philosophie de l’art », au-delà de sa visée
pédagogique, permette de se poser ce genre de question. Par les
confrontations qu’ils suggèrent avec l’art moderne, sinon avec
l’art contemporain, nos deux auteurs ouvrent plusieurs pistes de
réflexion, qui pourront aider artistes et amateurs à prendre, sur
l’art en général et sur celui d’aujourd’hui en particulier, un recul
salutaire. Que le grand art soit définitivement derrière nous, je
n’en crois rien. Mais cela ne signifie pas que tout ce qui est devant
nous, même célébré, même payé à prix d’or, soit grand. À chacun
d’en juger, c’est ce qu’on appelle le goût, ou le dégoût. Kant a bien
montré que nos jugements esthétiques sont sans preuve (« on ne
dispute pas du goût »), mais n’en tendent pas moins vers un horizon
au moins possible d’universalité (ce qui permet d’en discuter).
C’est par quoi tout chef-d’œuvre, en art, est paradoxal : subjectif
comme un plaisir ou une émotion, universel comme une vérité,
à la fois limité et inépuisable (ouvert à l’infini des sensations, des
émotions, des interprétations), comme écartelé toujours entre
l’histoire et l’éternité, entre la chair et l’esprit, entre le réel et
l’imaginaire, entre le travail et l’inspiration, entre le secret et le
spectacle, entre le plus intime et le plus vaste, entre l’inconscient
et le sublime, entre le plus obscur et le plus éblouissant… Il y a
du mystère dans l’art, et ce mystère nous ressemble. Cela fait
comme une lumière dans notre nuit, où c’est la nuit qui nous
éclaire. C’est qu’il y a du mystère aussi dans le monde, ou plutôt
que le monde même est mystère, et l’homme. C’est ce que les arts
nous rappellent, par quoi ils touchent à la métaphysique, et que
les philosophes auraient bien tort d’oublier.

André Comte-Sponville

4. Naissance de la tragédie, § 22.

13
1/ Platon 
ou l’art rejeté
L’Art

Pour commencer
Platon est né en 427 av. J.-C. dans une famille noble d’Athènes. Le
grand événement qui décide de sa vocation est sa rencontre avec
Socrate dont il devient le disciple. À la mort de ce dernier, en 399
av. J.-C., Platon commence une œuvre importante qui est d’abord
entièrement vouée à rapporter l’enseignement de son maître et à
le réhabiliter aux yeux des Athéniens. Après une série de voyages
qui l’ont conduit de Mégare à la Sicile en passant par l’Égypte,
de retour à Athènes, Platon fonde l’Académie en 387 av. J.-C.
Première grande école du monde antique, au fronton de laquelle
Platon fera inscrire « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre », avec
des salles de cours et une bibliothèque, Platon y enseignera jusqu’à
sa mort, en 347 av. J.-C.
À trois reprises, en 388, en 367, puis en 361 av. J.-C., Platon se rend
en Sicile. Lié d’amitié à Dion, conseiller de Denys l’Ancien, tyran
de Sicile, il tente de convertir à la philosophie ce dernier, puis son
fils qui lui succède sur le trône. En vain : chaque voyage est un
échec. L’un d’entre eux faillit coûter cher à Platon : vendu comme
esclave à égine, il fut reconnu par un compatriote et racheté (388
av. J.-C.). S’il n’a pas eu une action politique couronnée de succès,
Platon n’en a pas moins durablement influencé la politique
occidentale par les œuvres majeures que sont La République, Le
Politique ou Les Lois.

Qu’est-ce que le beau ?


Platon, un pionnier paradoxal
Platon est le premier philosophe qui fasse de l’esthétique
l’objet d’une enquête explicite. Avant lui, les présocratiques se
sont intéressés aux principes élémentaires de la nature ou aux
fondements des lois, mais aucun d’entre eux ne s’est demandé ce
qu’est le beau en tant que tel. Chez Platon, l’interrogation sur le
beau est si importante qu’elle est exemplaire de l’interrogation
philosophique elle-même, c’est-à-dire de la quête des essences
ou idées qui constituent le fond de toute réalité. Alors qu’il
16

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