Nothing Special   »   [go: up one dir, main page]

BUSCH - Wirtschaft Und Gesellschaft - Fiche de Lecture

Télécharger au format docx, pdf ou txt
Télécharger au format docx, pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 12

États, Institutions et construction des marchés 2023-2024 Frederick Busch

Max Weber : Économie et société


1. En guise d’introduction
Le présent travail résulte directement de la confrontation avec la question suivante : comment
synthétiser, en si peu de temps, en si peu de pages, une œuvre telle qu’Économie et société sur
laquelle tant a déjà été dit et dont le chapitre le plus court nécessiterait un commentaire bien
plus long ?

A cette interrogation correspond le constat qu’un « résumé » de l’œuvre Max Weber n’est,
dans ces conditions, ni faisable, ni forcément souhaitable : trop long et trop complexe pour le
format de cette fiche, à certains égards – spécifiquement, les exemples empiriques – peut-être
plus tout à fait pertinent et, de manière générale, trompeur car risquant de perpétuer
l’impression qu’Économie et société constitue une œuvre cohérente.

De ce constat, l’on en passe à une tentative de réponse : se concentrer sur des aspects
spécifiques de l’analyse de Weber en essayant, par là, de saisir son approche. Plus qu’un
travail de réception rigoureux, cette fiche est donc le reflet d’une lecture personnelle qui
s’inscrit dans les thématiques du séminaire États, Institutions et construction des marchés et
plus spécialement des deux premières séances. Par conséquence, après une esquisse de
biographie et un regard critique sur l’histoire d’édition de l’œuvre (Chapitre 2), l’accent est
mis sur deux problématiques : les institutions et leurs relations à l’économie (Chapitre 3) et la
conceptualisation wébérienne des rapport entre la sphère du social et de l’économie
(Chapitre 4).

2. Max Weber – Économie et société


2.1. Éléments biographiques

Né en 1864 à Erfurt, Maximilian « Max » Weber grandit dans un milieu bourgeois, sa mère
Helene Weber-Fallerstein, hautement cultivée, descendant d’une famille huguenote et son
père, Max Weber senior, appartenant à une famille d'industriels et de commerçants. Ce dernier
fit carrière dans la politique entre autre comme député du parti national-libéral, à Erfurt
d’abord, puis à Berlin où la famille déménage en 1869. Le salon que les parents y tenaient
était fréquenté par les intellectuels et les politiciens les plus importants de l’époque.
(Aron, 1976, p.572; Kruse et Barrelmeyer, 2012, p.11)

1
États, Institutions et construction des marchés 2023-2024 Frederick Busch

En 1882, Max Weber entama des études de droit, d’économie, d’histoire et de philosophie à
Heidelberg et à Berlin où il soutint une thèse sur l'histoire des entreprises commerciales au
Moyen-Âge (1889). Autant son habilitation en 1892 (L'Histoire agraire romaine et sa
signification pour le droit public et privé) que sa brève activité d’avocat en font un juriste et
historien du droit avant toute chose. Toutefois, la dimension économique de ses travaux lui
valut d’être nommé professeur d’économie politique et de finance à l’université de Fribourg
en 1894, puis à Heidelberg en 1896 dans la même discipline. Entre-temps, en 1893, il se
maria avec Marianne Schnitger qui s’avéra une interlocutrice importante pour Weber dans son
travail académique. Après des études de philosophie et d’économie, elle produit elle aussi des
textes sociologiques, historiques et politiques, s’engagea en politique et devint une figure
importante du mouvement féministe.
(Aron, 1976, p.572–573; Kruse et Barrelmeyer, 2012, p.11–12)

Une maladie nerveuse empêcha Max Weber de travailler entre 1898 et 1903, le forçant à
abandonner sa chaire. Vivant de sa fortune et d’héritages, les années qui suivirent furent
scientifiquement prolifiques : en 1904, il participa au lancement de l’Archiv für
Sozialwissenschaft und Sozialpolitik qui devait devenir une des revues les plus influentes du
paysage académique et dans laquelle furent publiées ses œuvres séminales, tel que L'Éthique
protestante et l'Esprit du capitalisme (1904–1905) ou L'objectivité de la connaissance dans
les sciences et la politique sociales (1904). En 1909, avec Rudolf Goldscheid sowie Ferdinand
Tönnies, Georg Simmel et Werner Sombart, il fondit la Société allemande de sociologie –
qu’il quitta en 1914 suite au Werturteilsstreit, le débat sur la neutralité axiologique qui scinda
les sciences sociales germanophones – et commença, la même année, à travailler sur la
célèbre anthologie Grundriß der Sozialökonomik. Pendant la première guerre mondiale dans
laquelle il ne servit que brièvement en dirigeant un groupe d’hôpitaux militaires, il se
consacra à développer sa sociologie comparée des religions. Au sortir de la guerre enfin, il fut
offert une chaire à l’université de Munich qu’il ne put cependant qu’occuper que peu de
temps, mourant subitement en 1920.
(Aron, 1976, p.572–574; Kruse et Barrelmeyer, 2012, p.11–13)
« Fondateur » de la sociologie en Allemagne, son œuvre riche et vaste échappe à
une catégorisation claire en terme de disciplines.

2.2. Histoire de l’édition

Avant de s’intéresser concrètement au travail de Max Weber, il convient de porter un regard


critique sur le processus d’édition d’Économie et société. Car ce qui, notamment dans la

2
États, Institutions et construction des marchés 2023-2024 Frederick Busch

version française de référence pour le présent travail 1, se présente comme une œuvre
cohérente et indépendante résulte, en vérité, d’un processus long et complexe
(Baier, Lepsius, Mommsen et Schluch
. En 1909, Max Weber
fut approché par Paul Siebeck pour coordonner la rédaction et l’édition d’une anthologie
d’économie politique, le Grundriß der Sozialökonomik à laquelle Weber voulait à l’origine
contribuer avec ce qui ne devait alors constituer qu’un chapitre : « Économie et société ». Il
passa plus de dix ans sur cette contribution qui évolua de manière significative autant dans sa
structure que de son contenu en trois périodes de travail majeures (1909–1911 ; 1912–1913 ;
1919–1920) et qui ne fut jamais achevée par l’auteur avant son décès.

Ce furent Mariane Weber, sa femme, et son collaborateur Melchior Palyi qui se chargèrent de
faire paraître Économie et société à partir de plusieurs plans ainsi que de différents corpus de
manuscrits dont seulement une partie avaient été finalisés et validés par Weber. Fortement
guidés par des choix propres, l’œuvre qui en résulta réunissait des textes hétérogènes, rédigés
sur dix ans et structurés de manière posthume. En témoignent les multiples imprécisions,
incohérences et même décisions allant explicitement à l’encontre de la volonté de Max Weber
qui ne furent, d’ailleurs, pas fondamentalement corrigées dans le travail de réédition de
Johannes Winckelmann pour la quatrième édition allemande de 1956.
(Schluchter dans Weber, 2009, p.93–109)
Ce n’est que dans le années 2000 dans le cadre de la publication des
œuvres complètes de Max Weber, entamées dans les années 1980, qu’Économie et société
connut une réédition critique (Max Weber-Gesamtaugsabe) qui rompit avec l’idée d’une
œuvre majeure cohérente et univoque au profit d’une représentation historiquement
rigoureuse, donnant par là accès sans distorsion à la pensée de Max Weber.

La présente fiche se base sur cette dernière édition allemande qui scinde en trois tomes
(Weber, 2001a, 2001b, 2010) les parties de la version française de référence. Faute d’une
traduction française actualisée, les deux versions serons données en référence ; toute citation
directe se fera en français malgré tout.

3. Ordre juridique, ordre économique – un regard sociologique


Le titre « Les relations fondamentales entre l'économie et l'organisation sociale »2 du premier
chapitre explicite la problématique générale que poursuit Max Weber dans ce texte – il s’agit

1
Weber, M. (1995). Économie et société : Tome II - L'organisation et les puissances de la société dans leur
rapport avec l'économie. Agora. Les classiques. Pocket.
2
« Die Wirtschaft und die Ordnungen » (Weber, 2010, p.191–248)

3
États, Institutions et construction des marchés 2023-2024 Frederick Busch

de mettre au jour les rapports qui lient l’économie et divers « ordres sociaux » (Ordnungen).
Alors que la première section (p. 11–23 ; MWG I/22.3, p. 191–210) pose les bases de
l’analyse en développant les notions d’ordre économique et d’ordre juridique en tant
qu’ordres sociaux particuliers, la seconde (p. 23–41 ; MWG I/22.3, p. 210–238) élargit la
réflexion en introduisant celles de convention et de coutume et en les définissant dans leur
rapport au droit. La troisième (p. 41–49 ; MWG I/22.3, p. 238–247), enfin, tire les
conclusions de la discussion et revient sur la signification de l’existence de la contrainte
juridique pour l’ordre économique. Malgré une structure générale claire et logique, la
conduite de l’argumentation n’en est pas pour autant limpide, empruntant bien des tours et des
détours conceptuels et rhétoriques du point de vue d’un·e lecteur·rice contemporain·e. Cela
est dû au fait que Weber s’inscrit dans les débats philosophico-juridiques de son époque,
parfois de manière implicite, par exemple en reprenant la notion de « droit objectif garanti »
(p. 13 ; MWG I/22.3, p. 195) de Hans Kelsen. De manière explicite, le texte constitue une
critique du juriste Rudolf Stammler (1924) et de son œuvre Wirtschaft und Recht nach der
materialistischen Geschichtsauffassung (p. 31–34 ; MWG I/22.3, p. 222–225).

Pour expliciter la relation en économie et droit, Weber procède à partir de la distinction qui
existe fondamentalement entre les deux sphères lorsque l’on les considère à partir de leur
disciplines respectives (p. 11–12 ; MWG I/22.3, p. 191–193). Pour les juristes, l’ordre
juridique est un système cohérent de dispositions qui règlent le comportement des individus
en le déterminant à travers de la force normative qui leur revient ; l’ordre économique, en
revanche, constitue une répartition du pouvoir sur les biens et les service qui résulte des
transactions entre les acteurs et de leur utilisation. A priori, rien ne lie ces deux ordres qui
relèvent de deux « cosmos » distincts, le premier de la norme idéale, le second de l’évènement
réel. Ce n'est qu’au moyen d’une approche sociologique du droit que se donnent à voir les
relations entre les deux sphères : précisément, en envisageant l’ordre juridique dans son
application réelle et concrète (empirische Geltung), c’est-à-dire à partir de sa manifestation
dans le comportement des individus. Cette démarche motive la définition suivante (p. 13–14 ;
MWG I/22.3, p. 195) :

Une règle de « droit » est pour nous une « prescription » assortie de certaines
garanties spécifiques qui lui donnent la possibilité d'entrer dans les faits. Et il faut
entendre par « droit objectif garanti » celui dont la garantie est assurée par
l'existence d'un « appareil de coercition » dans le sens défini plus haut, c'est-à-dire
par la présence d'une ou de plusieurs personnes dont la tâche est de faire prévaloir

4
États, Institutions et construction des marchés 2023-2024 Frederick Busch

l'ordre juridique en utilisant les moyens de coercition spécialement prévus pour


cela (contrainte juridique).

Cette définition se veut générale, raison pour laquelle elle ne repose que sur l’existence d’un
groupe de personne dans lequel est établi et garanti l’ordre juridique ainsi caractérisé, sans
pour autant présupposer nécessairement de contrainte physique, de système politique, de
consensus, etc. Si ces différentes caractéristiques permettent bien de préciser et de moduler
l’analyse3 et de l’appliquer à des contextes différents – dans la société contemporaine, par
exemple, la contrainte juridique par la force est un prérogative de l’État –, ils ne constituent
en aucun cas des éléments nécessaires à une définition sociologique du droit. Le droit garantit
donc une chance de trouver soutien auprès de l’appareil de coercition pour faire valoir ses
intérêts. Cette chance se fonde uniquement sur l’application et la validité du droit en tant que
tel et non sur d’autres critères, tel que l’utilité, éventuelle, de ces intérêts ; en revanche, elle
dépend intimement de la capacité de l’appareil de coercition garantir de manière effective
cette application. Les ordres juridiques de plusieurs types de communautés peuvent donc
entrer en conflit, comme cela pouvait être le cas avec le droit religieux et le droit d’État.
(p. 14–23 ; MWG I/22.3, p.195–210)

L’ordre juridique est donc un facteur déterminant et régissant les comportements des acteurs.
Il n’est toutefois ni le seul, ni forcément le plus important (p. 12, p. 24 ; MWG I/22.3, p.193–
194, p. 213). Selon Weber, deux autres ordres structurent l’action – ce sont les coutumes et les
conventions (p. 23 ; MWG I/22.3, p. 211–212) :

Nous entendrons par « coutume » [Sitte] les comportements qui obéissent à un


type constant et qui sont adoptés uniquement parce que se sont formées des
« accoutumances » [Gewohntheit] et imitations irréfléchies dans les voies tracées
par la tradition. Il s'agit donc d'un « comportement de masse », dont la persistance
n'est exigée de l'individu par personne, d'aucune manière.

Par opposition, les conventions sont les principes qui gouvernent les comportements de
manière indirecte. Elles émanent de l’entourage plus ou moins directe de l’acteur et de son
approbation ou de sa désapprobation des actions de celui-ci. Contrairement au droit, elles ne
s’appuient pas sur des moyens ou un appareil de coercition (Zwangsapparat).

Weber discute longuement les rapports entre ces trois ordres sociaux, la transition de l’un à
l’autre et les dynamiques internes d’évolution à partir d’une perspective sociologique (p. 24–
31 ; MWG I/22.3, p. 212–222) qu’il mettra par la suite au service d’une critique de la position
3
Weber opère ici de multiples distinctions notamment entre droit objectif, subjectif, garanti et non garanti.

5
États, Institutions et construction des marchés 2023-2024 Frederick Busch

juridique de Rudolf Stammler (p. 31–33 ; MWG I/22.3, p. 222–226). Pour le propos du
présent travail, il s’agit de retenir d’une part que la distinction est avant tout de nature
analytique et que le passage de l’un à l’autre est empiriquement flou. L’importance respective
de chacune des ordres dépend du contexte historique et géographique – Weber défend ici
l’idée d’une « évolution » des sociétés qui passeraient d’ordres sociaux basés sur l’habitude et
la tradition à des formes de réglementation plus formalisée et contraignante. Enfin, les
transformations des ordres sociaux peuvent tenir soit de contraintes extérieures, soit du
comportement des individus eux-mêmes, notamment quand les nouveaux comportements se
mêlent à d’autres logiques tel que la religion ou sont adoptés et sanctionnés par un groupe ou
une communauté.

Malgré une distinction analytique, pour Weber, droit, convention et coutume œuvrent de
concert. Ces institutions interagissent, elles peuvent autant entrer en conflit que se renforcer
mutuellement, et ordonnent le comportement humain auquel elles ont incorporées – elles sont
produites et transformées par et à travers lui :

Le seul fait de l'accoutumance à une manière d'agir habituelle et de l'éducation qui


tend à conserver cette habitude, mais aussi, et à plus forte raison, la tradition,
contribuent, dans l'ensemble, avec plus d'efficacité à la conservation d'un ordre
juridique que la perspective des moyens de coercition et des autres suites à
redouter. […] Le droit et la convention apparaissent à la fois comme cause et effet
dans le comportement des hommes les uns envers les autres, avec les autres et
contre les autres. (p. 34 ; MWG I/22.3, p. 226–227)

A cet égard, Weber note également que les ordres institués reflètent des dynamiques de
pouvoir au sein de la société, tout en attirant notre attention sur le caractère incomplet des
institutions qui jamais ne régissent la totalité des comportements effectifs ou potentiels
(p. 38–41 ; MWG I/22.3, p. 233–238).

L’économie s’insère et opère donc dans le cadre socio-institutionnel ainsi caractérisé avec
lequel, par conséquent, elle entretient des relations, autant qu’elle participe à son élaboration
(p. 35–38 ; MWG I/22.3, p. 227–233). Toutefois, contrairement à ce que l’on pourrait penser,
la relation économique est aucunement dépendante de quelconque ordre social, qu’il soit de
caractère objectif ou subjectif : dans la mesure où les deux partis au sein d’une relation
d’échange comptent sur les intérêts égoïstes respectifs pour mener à bien la transaction et,
potentiellement, la réitérer, les actions s’enchaînent comme si, de facto, il existait un ordre
social contraignant. Sous la forme de la rationalité en finalité (Zweckrationalität), l’échange

6
États, Institutions et construction des marchés 2023-2024 Frederick Busch

économique instaure lui-même les conditions de sa réussite. Bien qu’il ne considère pas les
institutions comme nécessaires à chaque transaction économique, Weber ne nie pas leur utilité
concrète pour le système économique, notamment capitaliste. Il constate empiriquement que
ce dernier ne pourrait faire sans cadre juridique qui permet d’accroître la chance de réussite
d’une transaction. Que les biens économiques représentent en même temps des « droits
subjectifs acquis légitimement » (p. 37 ; MWG I/22.3, p. 231) relève toutefois d’une évolution
historique particulière et non d’une nécessité économique ou sociale.

En conclusion, les relations entre droit et économie qu’esquisse Weber sont complexes (p. 41–
49 ; MWG I/22.3, p. 238–247). Bien que l’ordre juridique et économique constituent deux
ordres distincts qui se suffisent à eux-mêmes, il n’en sont pas moins profondément et
inextricablement interreliés. Le droit sert les intérêts économiques – mais bien d’autres
intérêts également –, de même qu’il impacte les échanges économiques. A l’inverse, les
intérêts et les pratiques économiques influent de manière significative sur le cadre juridique,
au travers des institutions, mais peuvent également entrer en conflit avec lui ou simplement le
contourner. Au contraire par exemple de Douglas North (1991) qui ne considère qu’une
face de la médaille – comment les institutions structurent et impactent l’économie –, la
perspective de Weber et plus spécifiquement son analyse des processus d’institution des
différents ordres sociaux mettent au jour la coexistence de différentes logiques au sein de
l’action humaine.

4. Économie et société – une coexistence organique


Comme décrit ci-dessus, dans « Les relations fondamentales entre l'économie et l'organisation
sociale », Max Weber s’intéresse à la manière dont les comportement humains sont ordonnés
par des institutions sociales et aux liens qui existent entre celles-ci et l’économie. Or, ces
dynamiques se jouent au sein de ou entre des groupes de différente nature qui, eux aussi,
selon leur caractéristiques constituantes, entretiennent des relations multiformes avec la
sphère économique. Ainsi, c’est à l’analyse des différentes variétés de communautés
(Gemeinschaften) dans leur rapport à l’économie que s’attache Weber dans les chapitres
suivants, en commençant par discuter les liens généraux (chapitres II), pour ensuite passer aux
formes sociales spécifiques que sont la communauté domestique, la communauté ethnique, la
communauté religieuse et la communauté de marché (chapitres III à VI respectivement 4).

4
MWG I/22.1 regroupe les chapitres I, II, III IV et VI, alors que MWGI/22.2 contient le chapitre V « Les types
de communalisation religieuse (sociologie de la religion) ».

7
États, Institutions et construction des marchés 2023-2024 Frederick Busch

En premier lieu, il convient de comprendre ce que Weber entend par « économie » (p. 51 ;
MWG I/22.1, p. 78) :

[N]ous n'emploierons ici le mot économie que lorsque, en face d'un besoin ou d'un
faisceau de besoins, l'étendue des moyens et le nombre des actes propres à les
satisfaire sont considérés par la personne qui cherche à y parvenir comme
relativement limités [knapp] et que cet état de choses engendre un comportement
qui tient compte des conditions ainsi créées. Il saute aux yeux que ce qui constitue
à proprement parler une activité rationnelle en finalité, c'est le sentiment subjectif
d'une pénurie de moyens et l'orientation de l'activité en fonction de ce point de
départ.

De plus, l’activité économique peut avoir deux raisons différentes : soit couvrir des besoins
personnels, soit générer un profit. En découle une catégorisation générale des
communautés selon leur rapport à l’économie (p. 52 ; MWG I/22.1, p. 79) : (i) la communauté
économique (Wirtschaftsgemeinschaft) où l’action n’a pour ceux et celles qui y participent
que les résultats économiques – les gains ou la satisfaction des besoins – comme seule fin ;
(ii) la communauté économiquement active (wirtschaftende Gemeinschaft) dans laquelle
l’activité économique n’est qu’un moyen pour atteindre des fins autres ; (iii) une communauté
où l’action concertée vise en même temps des buts à caractère économique et non
économique ; (iv) une communauté qui n’entretient aucun lien avec l’économie.

Faute de disposer de l’espace nécessaire pour retracer l’analyse des communautés en général
ou des communautés spécifiques, il s’agit de développer deux exemples qui serviront à
illustrer de manière indicative comment Weber pense les rapports entre économie et
communauté5 : d’une part, (i) comment à travers la compétition pour l’appropriation des
opportunités économiques, une logique économique sous-tend le processus de formation de
communautés (p. 55–58 ; MWG I/22.1, p. 82–86) ; de l’autre, (ii) comment la religion et
l’ordre social religieux qu’elle produit conditionnent l’organisation de l’activité économique
(p. 185–187 ; MWG I/22.2, p. 172–174).

Ad (i) : L’économie participe à structurer la société au travers le principe de concurrence pour


certaines ressources économiques et sociales telles qu’une position professionnelle. Les
acteurs qui y sont soumis ont par conséquent un intérêt à réduire le plus possible cette
concurrence, actuelle ou potentielle, et, lié par cet intérêt commun, se crée ainsi la possibilité
5
La manière dont l’échange marchand qui repose sur la poursuite des intérêts personnels sur le mode de la
rationalité en finalité produit un semblant d’ordre social à déjà été décrit (chap. 3) – cette idée est reprise et
développée dans le chapitre VI « La communauté de marché », malheureusement resté inachevé (p. 410 –416 ;
MWG I/22.1, p. 193–199).

8
États, Institutions et construction des marchés 2023-2024 Frederick Busch

d’action concerté entre une partie d’entre eux. L’action consiste à limiter les possibilités
d’accès à la ressource en question à partir d’un critère quelconque (sexe, origine sociale,
qualifications, etc.). De ce que Weber définit comme le « processus de ‹ fermeture › d'une
communauté » (p. 56 ; MWG I/22.1, p. 82) émerge une « communauté d’intérêt »
(Interessengemeinschaft) qui pourra tenter d’entretenir le monopole dans la durée, par
exemple en se dotant d’organes internes ou en s’appuyant sur d’autres communautés et
institutions – notamment du droit. Le monopole « défendu » contre les prétentions de
l’extérieur, au sein de la communauté, les chances peuvent soit rester ouvertes à tous les
membres du groupes, soit à l’inverse être restreintes également « à l’intérieur » par différents
processus (élections, alternance, privilèges, etc.). Dans cet exemple, la structure sociale des
communautés à la fois est produite à travers un processus économique – la monopolisation –,
à la fois découle directement des intérêts économiques des acteurs.

Ad (ii) : Inversement, l’exemple du système de castes en Inde montre comment la société


structure l’activité économique : le développement d’une éthique religieuse (religiöse Ethik)
et de la possibilité du tabou – c’est- à-dire la conception selon laquelle obéir à la loi religieuse
devient le moyen privilégié d’obtenir les faveurs divines et que sa violation constitue une
abomination, entrainant un châtiment surnaturel qui se matérialise également par des
sanctions sociales (p. 178–185 ; MWG I/22.2, p. 163–172) – « opposent des obstacles
extrêmement forts au commerce et au développement des communautés de marché » (p. 185 ;
MWG I/22.2, p. 172). Ainsi la spécialisation héréditaire qui associe une caste à un métier
instaure une division du travail et une spécialisation du travail artisanal produit une
légitimation non pas rationnelle en finalité (zweckrational) mais rationnelle en valeur
(wertrational). La religion et les communautés religieuses pénètrent l’activité économique et
la modifient d’une manière propre à chaque configuration socio-historique (p. 186 ;
MWG I/22.2, p. 173) :

Toutes les castes de l'Inde, même les plus méprisées, voient dans leur métier –
sans excepter celui de voleur – une tâche personnelle leur ayant été spécialement
assignée dans la vie et qui a été instituée par un dieu particulier ou par une volonté
divine spéciale; chaque caste nourrit le sentiment de sa dignité en accomplissant
cette « tâche professionnelle » avec la perfection technique qu'elle requiert.

Si, dans le cas de l’Inde, l’éthique religieuse facilite le perfectionnement technique du produit
artisanal, elles pose une entrave à la rationalisation du procès de travail et à l’organisation

9
États, Institutions et construction des marchés 2023-2024 Frederick Busch

systématique de la production au sein de l’entreprise – au contraire, par exemple, du


protestantisme ascétique (p. 186 ; MWG I/22.2, p. 173).

5. Conclusion
Ces exemples montrent comment, pour Max Weber, les logiques économique et extra
économiques se superposent et fonctionnent ensembles au sein de la société. Il convient de
souligner que cette perspective n’accorde a priori la primauté ni à la sphère sociale, ni à la
sphère économique comme pourrait le faire une pensée issue du matérialisme historique
(p. 54 ; MWG I/22.1, p. 81–82). En cela, l’analyse développée dans Économie et société est
en rupture avec les autres positions vues en cours (cf. séance 1 et 2) : ni subsomption de
l’économique au social (Pierre Bourdieu), ni, à l’inverse, primat de l’économique sur le social
(Karl Marx), pas plus qu’encastrement politique de l’économie (Karl Polanyi), ni
économicisation du social (Douglas North) – Max Weber postule plutôt une unité organique
entre économie et société.

Au niveau conceptuel, cette position est instrumentée par une théorie de l’action
(Handlungstheorie) – tout est action pour Weber et l’économie n’en représente qu’un type
particulier, ce qui permet de la réinsérer au cœur de la société, à côté d’autres types ni plus ni
moins importants. De manière analogue à la reconceptualisation du droit opérée au premier
chapitre (p. 11–14 ; MWG I/22.3, p. 191–191), Weber sociologise la science économique,
sans toutefois – et c’est cela qui fait la force de son approche – en même temps obscurcir la
dimension économique de l’action (économique). Il s’agit bien de comprendre à la fois les
interrelations entre les différentes „logiques“ (Sinn) au sein des structures sociales et des
institutions, à la fois les effets multiples et les implications multidimensionnelles d’une action
dont la logique économique n’ôte rien à sa signification sociale (et vice-versa). C’est en cela
que Max Weber propose une « Kulturwissenschaft » (science de la culture) dont le prisme
analytique de l’action distingue différentes logiques (sociale, religieuse, économique) en vue
de pouvoir décrire la réalité, sans les postuler à priori.

10
États, Institutions et construction des marchés 2023-2024 Frederick Busch

4'100 mots

11
États, Institutions et construction des marchés 2023-2024 Frederick Busch

ADDIN CitaviBibliographyRéférences

Aron, R. (1976). Les étapes de la pensée sociologique. Tel. Gallimard.


Kruse, V. et Barrelmeyer, U. (2012). Max Weber : Eine Einführung. UTB : Vol. 3637. UVK
Verlagsgesellschaft.
North, D. C. (1991). Institutions. The Journal of Economic Perspectives, 5(1), 97–112.
http://www.jstor.org/stable/1942704
Stammler, R. (1924). Wirtschaft und Recht nach der materialistischen
Geschichtsauffassung : Eine sozialphilosophische Untersuchung (5e éd.). De Gruyter.
Weber, M. (2001a). Wirtschaft und Gesellschaft : Die Wirtschaft und die gesellschaftlichen
Ordnungen und Mächte. Nachlass. Teilband 1: Gemeinschaften. Max Weber
Gesamtausgabe : Abteilung I: Schriften und Reden. Band 22 - 1. J. C. B. Mohr (Paul
Siebeck).
Weber, M. (2001b). Wirtschaft und Gesellschaft : Die Wirtschaft und die gesellschaftlichen
Ordnungen und Mächte. Nachlass. Teilband 2: Religiöse Gemeinschaften. Max Weber
Gesamtausgabe : Abteilung I: Schriften und Reden. Band 22 - 2. J. C. B. Mohr (Paul
Siebeck).
Weber, M. (2009). Wirtschaft und Gesellschaft : Entstehungsgeschichte und Dokumente. Max
Weber Gesamtausgabe : Abteilung I: Schriften und Reden. Band 24. J. C. B. Mohr
(Paul Siebeck).
Weber, M. (2010). Wirtschaft und Gesellschaft : Die Wirtschaft und die gesellschaftlichen
Ordnungen und Mächte. Nachlass. Teilband 3: Recht. Max Weber
Gesamtausgabe : Abteilung I: Schriften und Reden. Band 22 - 3. J. C. B. Mohr (Paul
Siebeck).

12

Vous aimerez peut-être aussi