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Du négationnisme de trait arabe à la caricature

« antisoniste » occidentale. L'instrumentalisation de la


Shoah dans la caricature depuis la seconde intifada
Joël Kotek
Dans Revue d’Histoire de la Shoah 2004/1 (N° 180), pages 223 à 245
Éditions Centre de Documentation Juive Contemporaine
ISSN 1281-1505
ISBN 9782850567186
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DU NÉGATIONNISME DE TRAIT ARABE
À LA CARICATURE « ANTISONISTE » OCCIDENTALE.
L'INSTRUMENTALISATION DE LA SHOAH
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DANS LA CARICATURE DEPUIS LA SECONDE INTIFADA

par Joël KOTEK*

C ontrairement à la légende dorée que d'aucuns voudraient faire passer,


la situation des Juifs en terre d'islam fut loin d'être idyllique. La légis-
lation musulmane était largement défavorable aux Juifs. Comme dhimmis,
ils étaient soumis à un impôt spécial et devaient porter une marque vesti-
mentaire distinctive. S'imposèrent tantôt le ghiyar que les dhimmis se
fixaient sur l'épaule, et dont la couleur était différente de celle du vêtement,
tantôt le zunnar ou ceinture spéciale. Le calife abbasside Haroun al-Rashid
fut le premier souverain avéré qui appliqua cette législation. En 807, il
imposa aux Juifs de porter une pièce d'étoffe jaune sur le vêtement et
ordonna la destruction de synagogues1.
Reste que, pour fourbe et profiteur qu'il apparaisse, le Juif n'inspirait
pas en terre d'islam une haine comparable à celle que lui vouaient alors les
chrétiens. Le mythe du Juif buveur de sang, central en chrétienté jusqu’à
l'effondrement de l'Allemagne et même au-delà, comme à Kielce en
Pologne en 1946 (où des rescapés sionistes accusés de cacher des enfants
chrétiens dans la cave de leur immeuble furent massacrés), restait large-
ment ignoré en terre d'islam. Tout aussi absente était l'accusation de
déicide. D'un point de vue islamique, cette idée est du reste absurde, sinon
sacrilège, Jésus n'étant pas Dieu mais un prophète parmi d'autres 2.

* Professeur à l'Université libre de Bruxelles et directeur de formation au CDJC, auteur


avec Dan Kotek d'Au nom de l'antisionisme. L'image des Juifs et d'Israël dans la caricature
depuis la seconde Intifada, Bruxelles, Complexe, 2003.
1. Voir Fadiey Lovsky, Antisémitisme et mystère d'Israël, Paris, Albin Michel, 1955,
p. 246. Le bleu était réservé aux chrétiens.
2. Voir ibid., p. 150.
Comme le souligne Bernard Lewis, les persécutions en pays d'islam ne
revêtirent jamais la forme de l'antisémitisme chrétien : crainte d'un
complot juif de domination mondiale, dénonciation pour association avec
le Malin :
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Les Juifs n'étaient pas non plus accusés d'empoisonner les puits ou de
répandre la peste et même l'accusation de meurtre rituel était inconnue,
jusqu’à ce que les nouveaux sujets grecs de l'Empire ottoman l'y
introduisent au XVe siècle. [...] Endémique dans ces provinces grecques
nouvellement conquises, l'accusation de meurtre rituel parvint à
l'attention des autorités ottomanes à cause des troubles qu'elle suscitait
chaque année durant les fêtes de Pâques. C'était la première fois qu'on
voyait apparaître ce genre de calomnie antijuive en terre d'islam 1.
C'est au XIXe siècle que ces antisémythes chrétiens les plus rétrogrades
commencèrent à se répandre dans le monde musulman et ce, par le biais
des Arabes chrétiens qui « entretenaient les rapports les plus étroits avec
l'Occident », activement encouragés en cela « par toutes sortes d'envoyés
occidentaux, attachés consulaires et commerciaux, mais aussi prêtres et
missionnaires 2 ». Lentement mais sûrement, ces mythes vinrent s'ajouter
aux arguments puisés dans la panoplie classique de l'antijudaïsme isla-
mique, des accusations de « perfidie » et de « traîtrise » au mépris qui se
trouve associé au statut de dhimmi ou de « protégés » dans la société
musulmane traditionnelle3. Déconcerté par le mouvement sioniste, surpris
par la création de l'État d'Israël, le monde arabe ne tardera à faire sien le
schéma « rassurant » de la causalité diabolique ; de là naîtra précisément
un nouvel antisémitisme arabe, mélange détonnant d'antijudaïsme isla-
mique et d'antisémitisme européen, en mutation constante depuis lors.
Juste avant la guerre des Six-Jours, les dessins publiés dans la presse
arabe montraient encore les Israéliens comme des êtres vils, dégénérés,
dégradés. Le Juif était alors représenté comme un sous-homme ; il était
certes déjà d'essence démoniaque mais petit, laid et couard, ce qui laissait
supposer que son élimination, programmée, explicite et clairement affichée
par les caricaturistes, ne demanderait guère d'efforts à la nation arabe.
Les Israéliens restaient des êtres vils et faibles qu'il serait facile de jeter
à la mer.

1. Bernard Lewis, Sémites et Antisémites, Paris, Presses pocket, 1986, p. 154.


2. Ibid., p. 167-168.
3. Protection relative, nous dit Fadiey Lovsky : le meurtre d'un Juif ou d'un chrétien était
bien puni mais non de mort. Voir F. Lovsky, op. cit., p. 245.
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« Comment utiliser l'étoile de David »
(in Al-Manar, Irak, 8 juin 1967)

« Juifs à la mer ! »
Illustration de couverture d'une
publication de l'armée syrienne
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« La guerre sainte » (in Al-Gomhuria, 8 juin 1967)1

Au fur et à mesure que les victoires israéliennes se succèdent, le vocabu-


laire graphique change : de faible et méprisé, le Juif apparaîtra de plus en plus
comme malfaisant et satanique. C'est qu'Israël n'a pas été détruit et que le
nain s'est mué en géant. Dès lors, comment expliquer les cuisantes défaites
autrement qu'en installant l'idée de l'essence maléfique du judaïsme ?

1. Ces caricatures sont tirées d'Ohad Zmora (éditeur), Israël doit être détruit, recueil de
caricatures de la presse arabe, Tel-Aviv, Bureau d'information de Tsahal, juillet 1967.
Attribuer une défaite arabe non pas au savoir-faire des Israéliens (qui
contredisent l'image du Juif lâche et peureux) mais à une arme
mystérieuse qu'Israël aurait obtenue par des voies sataniques, c'est
fournir une rationalisation plausible, et à laquelle on peut se rattacher. La
honte et l'humiliation deviennent ainsi plus tolérables, tandis que l'on
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cherche les moyens d'en tirer vengeance 1.
La potion magique des Israéliens consiste en des rituels aussi bizarres
que choquants, notamment celui de consommer des enfants (musulmans)
suivant un calendrier très précis. Dans un article publié le 10 mars 2002
dans le quotidien Al-Riyadh (Arabie Saoudite), le Dr Oumayma Ahmed
Al-Jalahma de l'université du roi Faysal d'Al-Dammam écrit au sujet de la
fête de Pourim :

Au cours de cette fête, le Juif doit préparer des pâtisseries très spéciales,
dont la garniture n'est pas seulement coûteuse et rare, elle ne peut, en
outre, être achetée sur le marché local ou international. Cette garniture
indispensable ne peut malheureusement ni être omise, ni être remplacée
par quelque autre préparation susceptible de remplir la même fonction.
Pour cette fête, les Juifs doivent obtenir du sang humain, afin que leurs
prêtres puissent préparer les pâtisseries propres à Pourim. En d'autres
termes, la fête ne peut être célébrée selon l'exigence de la coutume si du
sang humain n'est pas versé ! Avant de fournir plus de détails, je voudrais
confirmer le fait que les Juifs utilisent du sang humain pour préparer leurs
pâtisseries de fête ; c'est un fait bien établi, historiquement et
juridiquement, tout au long de l'histoire. Ce fait constitue l'une des raisons
essentielles de la persécution et de l'exil, qui furent le lot des Juifs en
Europe et en Asie, à diverses époques. Cette fête (Pourim) commence avec
un jeûne, le 13 mars, sur l'exemple de la Juive Esther qui fit le vœu de
jeûner. La fête se prolonge le 14 mars. Pendant la fête, les Juifs revêtent
masques et costumes de carnaval, se gavent d'alcool et se vautrent dans la
prostitution et l'adultère. Cette fête est connue parmi les historiens
musulmans comme « la Fête des masques » 2.
C'est dans ce cadre explicatif que doit se comprendre la banalisation dans
le monde arabe de la légende noire du crime rituel et/ou libelle de sang, née
en Occident chrétien aux alentours du XIIe siècle. C'est dans ce schéma

1. Raphaël Israeli, Une image démoniaque du Juif, Paris, L'Arche n° 253, septembre
2001, p. 92.
2. Un ingrédient spécial est utilisé au cours de la fête de Pourim, le sang d'adolescents
non juifs. © MEMRI, pour la traduction anglaise de l'original arabe, traduction de Corinne
Boukobza (CJE).
d'explication paranoïaque que doivent se comprendre les raisons qui pous-
sent un nombre croissant de sites islamistes à mettre en ligne, aux côtés des
Protocoles des Sages de Sion, la très classique étude antisémite My Irrele-
vant Defence, being Meditations inside Gaol and out on Jewish Ritual
Murder qu'Arnold Spencer Leese publia à Londres, en 1938, aux éditions de
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l'Imperial Fascist League ; que doivent aussi se comprendre les dérapages,
de plus en plus fréquents, des médias arabes. Ainsi, ce programme satirique
que proposa, en novembre 2001, la télévision d'Abou Dhabi au cours duquel
le Premier ministre Ariel Sharon était non seulement présenté comme un
redoutable amateur de sang humain mais encore comme le responsable de la
mort de Dracula, son plus dangereux... concurrent.

À gauche : Un acteur déguisé en Ariel Sharon ordonne à ses soldats de tuer


des enfants palestiniens pour boire leur sang.
À droite : Une fausse publicité montrait Sharon, en rabbin satanique, vantant
les qualités du Dra-Cola, « l'unique boisson à base de sang arabe 1 ».

À travers Sharon, c'est bien l'ensemble des Juifs qui se trouvent visés
et ce, à travers une représentation qui semble tout droit sortie des imagiers
et des almanachs de jadis, voire des journaux de la Collaboration ou de la
période hitlérienne. De suceurs de sang aryen qu'ils étaient au temps du
« théoricien de la race », le nazi Rosenberg, les voici devenus vampires du
peuple palestinien, assassins d'enfants arabes à l'appétit insatiable.
Il est clair que tous les moyens sont bons aujourd'hui pour délégitimer,
consciemment ou non, l'État juif. Aucune piste n'est désormais exclue et ce,
jusqu’à l'instrumentation de la Shoah contre Israël. Car aux stigmatisations
d'un autre âge (mythes de l'ogre et du vampire juif) s'ajoute - avec cette

1. Voir le site de l'Anti-Defamation League. Les deux images sont venues à notre
connaissance par une émission de la télévision israélienne consacrée à l'affaire.
même intensité morbide propre aux groupes hystériques - une accusation
nettement plus actualisée mais non moins saumâtre, celle du Juif nazi. La
propagande arabe contourne, détourne, retourne la Shoah contre Israël.
Nous nous proposons de le démontrer dans cette courte étude à travers
l'exemple de la caricature. Les Israéliens seraient donc des nazis. Nous
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verrons par quelques exemples précis comment, au nom de l'antisionisme,
les caricaturistes arabes et, à leur suite certains européens, usent et abusent
de cette formule sordide.

L'antisémitisme de trait arabe

La caricature arabe : un art sous haute surveillance...


Dans de nombreux pays des tiers-mondes, rares sont les caricaturistes
qui peuvent exercer librement leur mission. Sauf exception, les caricatu-
ristes arabes ne dénoncent guère, ou très mollement, les turpitudes et les
errements de leur propre gouvernement. Combien de dessins, en effet, rela-
tifs au sort des Kurdes, des Soudanais, des Sahraouis, des homosexuels en
Égypte, des femmes et des hindous en Afghanistan, obligés rappelons-le
d'arborer, du temps du règne des talibans, une marque jaune distinctive ?
Et, bien évidemment, jamais la moindre allusion aux attentats terroristes
qui frappent des civils en Israël. Ces caricaturistes se placent en général
non dans le registre de la critique sociale et de l'humour - les deux ingré-
dients fondamentaux de l'art de la caricature -, mais dans celui de l'indi-
gnation pure. Leurs dessins sont la plupart du temps sombres, sérieux,
moralistes. Ils sont autant d'armes au service d'une cause qui ne tolère
guère le second degré. L'ironie ici n'a pas sa place.
À leur décharge, on retiendra le caractère non démocratique des pays où
ils vivent et exercent leur métier. Signalons à ce propos que Naji al-Ali, le
père de la caricature palestinienne et l'un des artistes les plus renommés du
monde arabe, a été abattu en plein cœur de Londres, le 22 juillet 1987, vrai-
semblablement par un commando de l'OLP, pour s'en être pris de manière
trop explicite à la personnalité de Yasser Arafat 1.

1. Voir « Parlons franchement... », interview de Baha Bukhari, l'un des meilleurs carica-
turistes palestiniens, par Alessandra Antonelli, in Palestine Report, vol. 5, n° 12,
4 septembre 1998 : « Oui, beaucoup pensent qu'il a été assassiné par l'OLP. »
... en quête de boucs émissaires
Faute de mieux, empêché qu'il est d'intervenir sur son terrain de prédi-
lection (le débat de société et la politique intérieure), le dessinateur de
presse arabo-musulman en est le plus souvent réduit à décocher ses flèches
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vers l'extérieur, avec une violence, une hargne et une mauvaise foi à la
mesure de ses propres frustrations. Est-il bâillonné et bridé ? Le monde est-
il mal fait et injuste ? Les conditions de vie du peuple sont-elles
misérables ? C'est la faute des autres : l'Occidental, le Croisé, le franc-
maçon, et surtout : l'Américain et le Juif. Des Américains et des Juifs
improbables, faut-il le préciser, déconnectés qu'ils sont de toute réalité,
trop monstrueux, trop cruels pour être... crédibles. Sauf pour les masses
arabes qui ne connaissent desdits Américains et Juifs que ce que leur
propre presse leur serine à longueur de jour et d'année.
En se coupant du monde réel - dont il est censé renvoyer à la société
une image hypertrophiée mais fidèle - au bénéfice de représentations qui
ne reposent que sur des fables, le caricaturiste arabe trahit sa mission. S'il
va sans dire qu'il peut dénoncer la politique d'Israël, même de manière
outrancière et excessive, car cela fait partie de ses privautés, il est en
revanche contraire à son éthique et à sa déontologie propres de faire mentir
son crayon. Or, le portrait qu'il brosse inlassablement des Israéliens et des
Juifs n'est que mensonge, pure construction fantasmatique. Les Juifs,
préoccupation mineure des musulmans jusqu’à une date récente, apparais-
sent ainsi depuis les années 1980 comme la principale menace qui pèse sur
le monde et sur l'islam. Ils ont quitté le statut d'intrigants mesquins, lâches
et ridicules que leur assignait le Coran et, dans son sillage, la presse arabe
d'avant 1967, pour celui, inédit, de diaboliques comploteurs qui ne visent
rien moins que la domination du monde. À en croire la presse arabe
d'aujourd'hui, ce sont les impérialistes, manipulant les États-Unis ou la
Turquie 1, comme si ces derniers n'étaient que des marionnettes à leur
service exclusif. Ce phénomène, Tristan Mendès-France et Michaël Prazan
l'ont souligné :

Les thèmes antisémites sont répétés à satiété : la conspiration juive vise à


dominer le monde ; le Juif empoisonneur et source de maladies
contagieuses (la dernière en date étant le sida) ; l'accusation médiévale de
meurtre rituel qui refait son apparition de temps à autre. Particulièrement
perfide est la confusion du sionisme (ou de ce que l'on prend pour du

1. Atatürk aurait été un dönme, un Juif clandestin qui aurait renversé les sultans ottomans
pour les punir d'avoir refusé la Palestine aux sionistes. Bien que totalement infondée, cette
allégation est largement répandue dans les écrits intégristes. Voir B. Lewis, op cit., p. 249.
sionisme) et du nazisme. La plupart des commentateurs politiques ou
caricaturistes arabes semblent incapables de critiquer un aspect de la
politique du gouvernement israélien sans le taxer de « politique nazie », ou
de représenter les dirigeants israéliens autrement qu'avec des croix
gammées 1.
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Dans cet odieux assortiment, le leitmotiv du mythe du « sioniste » nazi
occupe, en effet, une place centrale dans la caricature arabe, et ce, depuis
plus de 30 ans, bref bien avant la venue au pouvoir de Sharon.

In Al-Akhbar, 3 octobre 2000

1. Michaël Prazan et Tristan Mendès France, « Parcours d'une haine antisémite », in site
Durban2001.com et la revue ProChoix (Paris).
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Pérès menace Beyrouth de la bombe.


Hitler à Shimon Pérès : « J'ai fait une erreur en ne comprenant pas
l'importance du soutien américain. »
(in Al-Gonihuria, 24 avril 1996)

À croire, en effet, les caricaturistes arabes, c'est le sionisme même qui


est d'essence nazie. À tout le moins, cette comparaison apparaît tout aussi
abjecte que paradoxale si l'on songe, d'abord, aux sympathies arabes pour
la cause nazie durant la Seconde Guerre mondiale, ensuite, au soutien rare-
ment dénoncé de la majorité des intellectuels arabes aux thèses négation-
nistes 1, enfin, à la manière dont nos dessinateurs dessinent le Juif. Ceux-ci

1. Voir sur ce soutien les contributions de Goetz Norbruch dans ce numéro (NDLR).
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« La Face de la lune » (programme populaire diffusé pendant le Ramadan)
(in Akhhar al-Youm, Égypte, 2 décembre 2000)

empruntent en effet directement à l'iconographie nazie leurs traits de


crayon lorsqu'il s'agit de représenter un « Israélien ». Curieux paradoxe
que de dénoncer le nazisme à l'aide de stéréotypes inspirés de l'antisémi-
tisme de trait... nazi. Leurs Israéliens ressemblent à s'y méprendre aux
Juifs du Stürmer : petits bons-hommes au dos voûté, à la bouche lippue et
au nez crochu.
Enfin, s'agissant de l'image au sein du monde arabe, on se souviendra
que le grand mufti de Jérusalem s'engagea aux côtés du Reich, suppliant
même le Führer de ne pas oublier les Juifs de Palestine. Somme toute, la
défaite d'Hitler ne fit pas que des heureux dans le monde arabe comme le
rappela fort abruptement un poster distribué par des militants musulmans à
la conférence « antiraciste » de Durban en 2001.
En réalité, le paradoxe n'est qu'apparent : si l'on songe, en effet, que la
Shoah a été « inventée » par les sionistes pour masquer le véritable holocauste,
celui du peuple palestinien, il devient évident que les Israéliens sont nécessai-
rement pires que les nazis, ce qui ne peut manquer de satisfaire les masses
arabes. C'est dans ce sens que s'exprimait le 29 novembre 2000 Sissalem,
maître de conférence à l'université de Gaza, lors d'une émission de télévision :
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« Et si Hitler avait gagné, il n'y aurait pas d'Israël et de massacre


en Palestine... »
Poster « antisioniste » distribué à la conférence de Durban (août 2001).
La défense de la Palestine passe ici
par l'apologie (involontaire ?) du nazisme.
Des mensonges ont été répandus, selon lesquels des Juifs auraient été tués
ici ou là. Et naturellement, ce ne sont que des mensonges et des
affirmations sans fondement. Pas de Chelmno, pas de Dachau, pas
d'Auschwitz ! Il ne s'agissait que de centres de désinfection... Ils se sont
toujours représentés comme des victimes, et ils ont créé un Centre de
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l'héroïsme et de l'Holocauste. Quel héroïsme ? Quel Holocauste ?
L'héroïsme, c'est celui de notre nation ; l'Holocauste a été commis contre
notre peuple [...].
Le thème du nazisme juif et de l'holocauste palestinien est tout
bénéfice pour la propagande arabe pour être à la fois porteur en Occident,
où le nazisme reste l'aune du Mal, et efficace auprès des masses arabes qui,
de par leur ignorance, considèrent les sionistes comme les pires bourreaux
de l'histoire de l'humanité.

Légende : « Le Conseil de sécurité étudie le cas du génocide


des Palestiniens. »
Grande liste : « crimes israéliens ». Petite liste : « crimes nazis ».
(in Teshreen, Syrie,15 avril 1993)

Dans cette vision perverse, il est évident que les « crimes sionistes »
apparaissent bien pires que les crimes nazis. En cela, la caricature se révèle
le pendant des thèses négationnistes arabes. Ainsi, non seulement on traite
les Juifs de nazis avec lesquels, somme toute, les Arabes n'ont eu aucun
contentieux particulier, mais les nazis ne seraient pas ceux qu'a imposés la
propagande sioniste. En termes de propagande graphique, l'effet est
garanti, surtout en Occident qui n'en demandait pas tant.
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Hitler, Sharon et Barak complices du meurtre
du petit Mohamed Al Durah.
(Gomaa Farahat in Al-Ahram, Égypte, n° 503, 12 octobre 2000)

Le soldat : « Quand j'en aurai fini avec lui, je m'occuperai de toi ! »


(in Al-Ahali, Égypte, 20 décembre 2001)
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Caricature Arabie Media Internet Network
www.amin.org/cartoon/baha.html

Kahil (Arab News, Arabie Saoudite), 10 avril 2002.


Figure aussi sur le site Islam-Belgique
(http://www.islam-belgique.com/caricature.cfm)
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Stavro in Daily Star, Liban, 3 avril 2002

La caricature occidentale et le conflit du Moyen-Orient :


perspectives et dérives

Néga-sionisme en Occident
Les dessins reproduits ont dû en surprendre et choquer plus d'un.
L'image des Juifs qu'ils véhiculent repose en effet sur des stéréotypes que
l'honnête homme de ce début de troisième millénaire croyait définitive-
ment obsolètes. Le problème est qu'au nom de l'antisionisme, le thème de
« l'Israélien nazi » a pénétré en Occident, notamment pas le biais de la
caricature de presse.
Depuis 2000, en effet, comme libérés de leurs tabous, des caricaturistes
occidentaux ont emboîté le pas à leurs confrères du monde arabe. Émous-
tillés à l'idée de pouvoir critiquer l'État d'Israël, de lui nier toute légitimité
au nom d'une pensée prétendument antiraciste et antifasciste, de nombreux
caricaturistes se sont jetés tête baissée dans le jeu des comparaisons
absurdes et ignobles.
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L'image de l'enfant du ghetto ouvertement détournée,
(in Eleftherotypia, Grèce, 1er avril 2002)

Toujours la comparaison avec la Shoah !


Sharon en digne émule d'Hitler :
c'est Clio, la muse de l'histoire qui le dit.
(Forges in El Pais, 23 mai 2001)
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Dans chacune des deux vignettes de ce dessin, un personnage
cache son visage dans ses mains pour pleurer dans un décor
de ruines et de décombres.
Vignette de gauche : « Varsovie 1943 » ;
vignette de droite : « Jénine aujourd'hui ». Commentaire explicite
dans un coin du dessin : « L'histoire a une curieuse façon de se répéter. »
Le Monde a repris cette caricature, puis a présenté
des excuses officielles 1 ; suffisent-elles à effacer le sentiment
de malaise devant cette comparaison ? 500 000 Juifs
enfermés dans le ghetto de Varsovie périrent2 ; 78 à Jénine,
parmi lesquelles 23 soldats israéliens.

Le fait que des organes de presse se prétendant de gauche en viennent à


pratiquer de telles analogies témoigne d'abord de la douloureuse relation
des Européens à la Shoah, de leur difficulté à faire passer ce passé qui déci-
dément ne veut pas passer.

La Shoah « contre » Israël


Un verrou a sauté : la Shoah n'a plus, semble-t-il, le pouvoir de tenir en
respect la passion antisémite. Il est en effet évident que, de l'extrême droite
à l'extrême gauche, d'aucuns profitent de l’« aubaine » que représente le
conflit israélo-palestinien pour libérer une parole antisémite trop longtemps

1. Le grand quotidien français s'est, en effet, excusé, par la voie de son médiateur, Robert
Solé, de cette « comparaison absurde, faite par un journal kenyan ».
2. Dont plus de 300 000 dans les chambres à gaz de Treblinka.
réprimée, précisément, du fait du génocide. Ce qui est inédit, en revanche,
c'est que ce même génocide soit récemment apparu comme un accélérateur
de l'antisémitisme. L'antisionisme est devenu, à ce qu'il nous semble, une
manière de noyer ce sentiment de culpabilité diffus de l'Occident à l'égard
des Juifs naguère livrés à la barbarie, un moyen élégant de compenser les
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lâchetés et les renoncements du passé par une prise de position nette et sans
bavure en faveur des victimes des grandes injustices contemporaines. Prise
de position d'autant plus résolue, dans le cas qui nous occupe, qu'entre
toutes les victimes d'un monde pourtant si riche en réprouvés, en inégalités,
en guerre fratricides, en guerres coloniales qui ne disent pas leur nom, en
tentatives d'ethnocide ou en génocides avérés, du Soudan au Tibet, en
passant par la Tchétchénie ou le Rwanda, ce sont les Palestiniens qui
réunissent le maximum des suffrages. Comme par hasard, serait-on tenté de
dire, ce peuple étant précisément celui qui se présente à la conscience des
nations comme la victime de ceux-là même, les Juifs, vis-à-vis desquels on
éprouve un malaise à la mesure de l'abandon où on les a tenus.

La tentation de détourner la charge émotive du judéocide par une


critique radicale d'Israël est de plus en plus explicite. L'idée, chère à l'abbé
Pierre, selon laquelle « les Juifs, de victimes sont devenus bourreaux »
s'est rapidement imposée dans le chef de bonnes âmes qui, pour n'être pas
nécessairement des ennemis invétérés et déclarés des Juifs, éprouvent
néanmoins à leur égard de l'agacement, de la méfiance, une antipathie
diffuse. Ne sachant que faire de ces sentiments encombrants et qui les heur-
tent eux-mêmes dans le contexte très particulier de l'après-Shoah, ils
saisissent le premier argument susceptible de conférer à cette « anomalie
intellectuelle » un fondement logique, une raison d'être objective, une
certaine dignité. Cela d'autant plus aisément que l'idée en question fleurit
sur un terrain - l'antijudaïsme classique - encore frais et fertile.
En 1971, dans son introduction à L'Imprescriptible, Vladimir Jankélé-
vitch dénonçait déjà le lien entre antisémitisme et Shoah :

Ce secret honteux que nous ne pouvons dire est le secret de la Deuxième


Guerre mondiale, et, en quelque mesure, le secret de l'homme moderne : sur
notre modernité en effet, l'immense holocauste, même si on n'en parle pas,
pèse à la façon d'un invisible remords. Comment s'en débarrasser ? Ce titre
d'une pièce de Ionesco caractérisait assez bien les inquiétudes de
L'apparente bonne conscience contemporaine. Le crime était trop lourd, la
responsabilité trop grave, remarque Rabi avec une lucidité cruelle.
Comment vont-ils se débarrasser de leur remord latent ? L'« antisionisme »
est à cet égard une introuvable aubaine, car il nous donne la permission et
même le droit et même le devoir d'être antisémite au nom de la démocratie !
L'antisionisme est l'antisémitisme justifié mis enfin à la portée de tous. Il est
la permission d'être démocratiquement antisémite. Et si les Juifs étaient eux-
mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les
plaindre ; ils auraient mérité leur sort. C'est ainsi que nos contemporains se
déchargent de leur souci. Car tous les alibis sont bons, qui leur permettent
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enfin de penser à autre chose 1.
Le procédé est d'autant plus absurde que les nouveaux antisionistes
assènent à Israël des critiques qu'ils se gardent bien de formuler à l'égard
d'autres États souvent plus coupables sur le chapitre du respect des Droits
de l'homme. Comme le note ici, avec d'autres, Pascal Perrineau, l'actuel
directeur du CEVIPOF2 et spécialiste français du phénomène raciste, on
n'entend jamais ces mêmes intellectuels

condamner la version islamiste de l'antisionisme qui résonne actuellement


dans des milliers de mosquées de l'Atlantique au Golfe persique à travers les
prêches d'imams dont les appels au meurtre ne distinguent pas le Juif du
sioniste. L'antisionisme dans ses différentes versions, islamiste ou
occidentale, est une idéologie mortifère qui, pour les Juifs, représente la forme
moderne de l'ostracisme qui les a toujours frappés. En effet, la plupart des
États ont commis — certains d'entre eux commettent encore — des injustices,
des crimes et des atrocités d'une ampleur bien plus grande que ceux
reprochés à Israël. Mais, excepté l'antisionisme, il n'existe au monde aucun
autre mouvement de contestation de la légitimité d'un État en tant que tel3.
Voici peu, Pierre-André Taguieff a qualifié ce phénomène de dénoncia-
tion exclusive de l'État d'Israël et de ses « complices » Juifs de (nouvelle)
judéophobie 4. Non sans raison, le philosophe français souligne en quoi
cette nouvelle attitude relaie une longue histoire de malentendus, tout en
constituant simultanément un phénomène inédit. Ce rejet particulier des
Juifs se distingue aussi bien de l'antisémitisme moderne que du tradi-
tionnel et bimillénaire antijudaïsme chrétien — même s'il partage avec eux
plus d'un trait commun. Dans ce contexte resurgissent, à peine déguisés,
de vieilles idées mais aussi le cliché d'une nouvelle perfidie : suggérer que
les victimes d'antan sont devenues à leur tour des « bourreaux ».

1. Vladimir Jankélévitch, L'Imprescriptible : pardonner dans l'honneur et la dignité ?,


Paris, Seuil, 1996 (Ire éd. 1971), p. 88.
2. Centre d'étude de la vie politique française.
3. Michel Taubmann, Florence Taubmann, Pierre-André Taguieff, Pascal Perrineau,
Gérard Grunberg, Illios Yannakakis, « Contre l'antisionisme, pour la paix, faute d'une
critique politique du gouvernement Sharon, beaucoup d'intellectuels s'attaquent à l'exis-
tence même d'Israël », in Le Figaro, 23 mars 2002.
4. Pierre-André Taguieff, La Nouvelle Judéophobie, Paris, Mille et une nuits, 2002.
Un pays concentre, à lui tout seul, cette nouvelle forme de « néga-
sionisme ». Sans qu'on puisse réellement l'expliquer, c'est en Grèce que
l'instrumentation de la Shoah contre Israël est la plus forte. On a le droit de
critiquer les opérations militaires israéliennes, mais pourquoi ces allusions
systématiques à la Shoah ? Retour à des thèmes et des clichés que le trau-
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matisme consécutif à la Seconde Guerre mondiale avait rendus inutilisa-
bles dans certains milieux au moins. Libération d'un imaginaire jusque-là
plus ou moins contenu. Comment décrypter autrement les caricatures
grecques ?

« Ne te sens pas coupable, mon frère. Nous n'étions pas


à Auschwitz et Dachau pour souffrir
mais pour apprendre1. »
(in Ethnos, quotidien grec proche du centre-gauche
gouvernemental, 7 avril 2002)

1. Caricatures reproduites sur le site de l'ADL : « Calls on Greek Government to


Condemn Anti-Semitism in the Press », 22 juillet 2002.
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« Arafat n'est plus un interlocuteur du Reich...
- Pourquoi, il est juif ? »
(Stathis in Eleftherotypia, 24 septembre 2002)

« Nous devrions les déporter ! - Non, les emmurer !


- Les assassiner ! - Non, les tuer !
- Les éliminer ! - Non, les mettre en déroute !
- Même moi je commence à trouver la démocratie ennuyeuse ! »
(Stathis in Eleftherotypia, 13 septembre 2003)
Bien sûr, ces nouveaux judéophobes n'éprouvent pas à l'égard des
Juifs, en tant qu'individus, la haine exterminatrice qui était celle des nazis,
loin s'en faut ! Il n'empêche qu'ils jouent un jeu dangereux, qu'ils le
veuillent ou non, en ravivant des représentations qui n'ont rien d'innocent.
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Comme le souligne Alain Finkielkraut,
Pour les progressistes européens, nous sommes la lie de la Terre. Ils assi-
milent l'État juif à un État nazi. Pour eux, on ne peut pas défendre un État
nazi, sauf à être nazi soi-même, et on ne peut pas critiquer dans une pers-
pective de paix certains politiciens palestiniens. C'est un nouvel épisode de
l'égarement totalitaire des intellectuels.
Et de conclure par une formule lapidaire et désabusée : « La croix
gammée, c'est notre prochaine étoile jaune 1. » Comment, malheureusement,
ne pas lui donner raison ?

1. Alain Finkielkraut, « Une croix gammée à la place de l'étoile », extrait de la chronique


d'Alain Finkielkraut « Qui vive », L'Arche n° 531-532, mai-juin 2002.

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