Le Jeu Medecin
Le Jeu Medecin
Le Jeu Medecin
Caroline Simonds
Le jeu médecin
Dans toutes les cultures, depuis toujours, les bouffons, Actrice, musicienne, acrobate,
clowns, musiciens et autres artistes ont joué un rôle en
médecine et participé au processus de guérison. Dans l’hô- clown, actrice de théâtre de rue,
pital d’Hippocrate, sur l’île de Cos, des acteurs et des
clowns seraient produits en permanence, car on croyait à de cabaret, de cinéma, Caroline
l’influence de l’humeur dans le processus de guérison et il
paraissait important pour un convalescent de se sentir heu- Simonds s’est produite dans de
reux et d’avoir des distractions.
nombreux pays entre 1971 et
Depuis longtemps, on demande aux clowns de se pro-
duire dans les hôpitaux pour enfants à Noël ou à d’autres 1991, date à laquelle elle a reçu
moments festifs. Mais, il y a quinze ans, à New York, appa-
rut une demande nouvelle, une véritable innovation : celle une subvention de la Fondation
de travailler toute l’année dans certains hôpitaux. The Big
Apple Clown Circus Care Unit était née. Depuis 1991, en de France et du ministère
France, les comédiens professionnels du Rire Médecin tra-
vaillent en étroite relation avec les équipes médicales. Deux de la Culture pour créer
fois par semaine, ils présentent dans les services de pédia-
trie de neuf hôpitaux de France des spectacles spécialement le Rire Médecin, compagnie
réalisés pour les enfants et leurs familles. Chaque année, ils
se produisent devant plus de 30 000 enfants, autant de qui compte aujourd’hui
parents et 60 000 soignants. Leur travail complète d’autres
activités assurées à l’hôpital par les enseignants et les béné- 31 professionnels – les
voles, dans un souci d’humanisation des soins.
« clowns-docteurs » –, qui se
Les exigences d’un tel travail de réalisation théâtrale
dans une grande proximité avec les enfants et le personnel produisent tout au long de l’année
imposent à tous les clowns d’être des professionnels expéri-
mentés, formés au travail à l’hôpital et les soumettent à un dans neuf hôpitaux français.
code déontologique. Ils participent régulièrement à des
réunions sur l’impact émotionnel suscité par leur action.
Leur formation comprend des connaissances médicales et
psychologiques qui leur permettent d’adapter leur approche
et leur compétence artistique à la prise en charge thérapeu-
121
Enf&Psy n°15 (102à160) 11/05/05 15:02 Page 122
Jouer
Il arrive que les clowns soient présents lors d’un examen médi-
cal ou qu’ils accompagnent l’enfant jusqu’en salle d’opération : dis-
ponibles pour toutes sortes d’actions spontanées, ils travaillent en
accord avec les médecins et les infirmières et respectent les procé-
dures médicales, les options et usages des services dans lesquels ils
travaillent.
122
Enf&Psy n°15 (102à160) 11/05/05 15:02 Page 123
Le jeu médecin
L’un des bénéfices de l’action des clowns jouant avec les enfants
d’un service de pédiatrie est la meilleure maîtrise de ce lieu par les
petits patients. Il s’agit pour eux de s’habituer à de nouveaux bruits,
à trop de silence, de préserver une intimité, un espace de jeu, de s’ac-
commoder d’un corps qui change ou qui est transformé, ainsi que du
cortège des émotions qui accompagne cela. Quel que soit l’âge de
l’enfant, le jeu interactif avec les clowns peut l’aider à exprimer ses
123
Enf&Psy n°15 (102à160) 11/05/05 15:02 Page 124
Jouer
Faites rire mon désirs, à avoir une sorte d’autorité dans cet hôpital. Même malade,
papa. un enfant peut être plus malin que les clowns du Rire Médecin. Les
principales qualités du pitre sont la naïveté, la capacité d’émer-
veillement, lorsque, captivé par le dessin de ses chaussettes, il se
heurte à un mur…
Thanny, 6 ans.
Afin d’illustrer ce qu’un simple jeu peut engendrer, je propose
quelques observations que j’ai notées lors de l’intervention d’un
clown auprès d’une petite fille de 2 ans atteinte de plusieurs handi-
caps. Assise sur une chaise roulante, celle-ci regardait dans le vide et
ne semblait même pas avoir remarqué la présence des clowns. Elle
était immobile et sa mère, assise à côté d’elle, donnait l’impression
de s’ennuyer et d’être déprimée. À environ deux mètres d’elles,
devant la porte, les clowns entonnèrent doucement une berceuse
africaine assez rythmée. Au bout de deux minutes, la petite fille
commença à se balancer au rythme de la mélodie, puis à taper des
mains ; alors la mère regarda sa fille. S’étant rapproché, le
Dr Moustique toucha la petite fille en produisant des bruits rigolos,
ce qui la fit rire, ainsi que sa mère. Après le départ des clowns, la
mère s’intéressa à sa fille, l’embrassa, lui caressa les cheveux. Un
médecin passant dans le couloir remarqua le changement de com-
portement et dit à l’interne qui l’accompagnait : « Avez-vous vu ses
pieds commencer à danser ? » Et ils continuèrent leur route en sou-
riant.
Dame Muriel Spark, 1918. Notre intervention se déroula normalement et sembla ramener
sourire et envie de jouer chez l’enfant. Chaos improvisé, bulles,
musique rigolote. Il était frappant de voir la mère figée pendant que
nous, les clowns, chahutions avec « Melle Queue de Cheval ». Nous
savions la mère dans un état de grande souffrance psychique, aussi
« S’occuper des enfants nous en tenions-nous éloignés, tout occupés par sa fille. En sortant
est une façon de s’occuper de la chambre, le Dr Dodu vola le sac de la mère. Généralement,
dans ce cas, il est sûr de provoquer une scène comique entre la mère
de soi. » outragée et le clown honteux. Ce jour-là, la mère n’avait envie ni de
jouer, ni de plaisanter. Nous avions franchi la limite qui sépare le
Ian McEwan, Chien noir, comique du mauvais goût. Son air sévère nous arrêta tout net ; c’était
préface. le moment de rétablir l’ordre. Ce que fit le clown blanc :
124
Enf&Psy n°15 (102à160) 11/05/05 15:02 Page 125
Le jeu médecin
125