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Théâtre Pour Améliorer L'oral Chinois
Théâtre Pour Améliorer L'oral Chinois
Théâtre Pour Améliorer L'oral Chinois
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/corela/10361
DOI : 10.4000/corela.10361
ISSN : 1638-573X
Éditeur
Cercle linguistique du Centre et de l'Ouest - CerLICO
Référence électronique
Christine Cuet, « L’apport des pratiques théâtrales pour l’amélioration de l’oral des étudiants chinois »,
Corela [En ligne], HS-30 | 2020, mis en ligne le 30 avril 2020, consulté le 23 mai 2020. URL : http://
journals.openedition.org/corela/10361 ; DOI : https://doi.org/10.4000/corela.10361
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4.0 International.
L’apport des pratiques théâtrales pour l’amélioration de l’oral des étudiants... 1
1. Introduction
1 Depuis les débuts de l’approche communicative dans les années 1970, l’introduction de
documents authentiques et de textes littéraires simples a permis un enseignement-
apprentissage de la langue étrangère dépassant les simples échanges utilitaires de la vie
quotidienne, tels qu’ils apparaissaient dans les méthodes audiovisuelles. La focalisation
sur les actes de langage plutôt que les structures de la langue a conduit à une
expression complexifiée, en introduisant la sensibilité aux situations diverses de
communication, à l’expression des sentiments et à la différence culturelle. Mais la
langue enseignée en milieu guidé apparaît « décorporalisée », en limitant sa fonction
communicative à la seule « composante verbale » et l’ « acquisition de savoirs »
(Cormanski, 2002).
2 « Dire, c’est faire » (Austin, 1970) que l’on peut paraphraser en « parler, c’est agir »
(Cormanski, 2005), ou « réaliser un acte social », comme le souligne Le Cadre européen
commun de référence pour les langues (CECRL), notamment dans sa perspective
actionnelle, toutefois proche d’une description des compétences en langue à acquérir
dans un contexte de mobilité européenne, d’où des problèmes d’adaptation à un public
asiatique. L’oral est important pour l’acquisition de savoir-faire qui vont au-delà de
savoirs sur la langue. L’enseignement vise le développement d’une compétence orale au
moyen de nouvelles techniques plus globales, canevas de jeux de rôle (Archipel, 1992),
chez les étudiants de niveau avancé, la réalisation d’un acte de langage comme
« exprimer son désaccord » crée des malentendus ou agacements (Zhang-Marcot, 2014),
car un Chinois opposera rarement un refus direct afin de respecter le principe
d’harmonie et la préservation des faces (Goffman, 1973 ; Brown et Levinson, 1987 ;
Kerbrat-Orecchioni, 1992 ; PU, 2002), principes fondamentaux depuis Confucius de la
civilisation chinoise fortement hiérarchisée qui prône le respect et l’obéissance à
l’autorité.
2. Problématique et hypothèses
9 Nous avons souvent constaté que la culture éducative chinoise est fondée sur un
apprentissage de la langue étrangère pour l’essentiel écrite, selon des méthodes de type
behavioriste : exercices structuraux, exercices déductifs à partir de règles de
grammaire explicites, traduction du chinois en français, mémorisation de textes ou de
dialogues consistant souvent en un écrit oralisé peu authentique. La culture est peu
présente ou peu abordée en cours par manque de temps pour effectuer la totalité du
programme, les manuels à l’université sont souvent anciens et l’oral contemporain
délaissé. Les étudiants inscrits en Master FLE ont souvent des difficultés à
communiquer et à s’intégrer, en l’absence de repères précis sur les modes culturels
d’interaction et les visions du monde différentes ainsi que de connaissances sur la
« grammaire de l’oral ».
10 Comment aborder la langue orale à l’université autrement que par les cours des
lecteurs français qui souvent ne font que reprendre à l’oral les enseignements des
professeurs chinois à leur demande (les examens portant sur l’écrit) ? Comment mettre
en place des cours spécifiques où l’oral ne soit pas la simple transposition de l’écrit
pour travailler la diction mais aussi réaliser des actes de langage en langue et culture
étrangère ? Comment innover en mettant en place des ateliers d’expression théâtrale,
ce qui est souvent facultatif, car considéré comme futile et peu sérieux, alors que le
travail en classe nécessiterait peine et labeur ?
11 Nos questions de recherche nous amènent à :
12 1. Transformer la salle de classe en scène de théâtre afin de désinhiber la prise de
parole et le geste qui l’accompagne (Cosnier, 1994 ; Cavalla et Crozier, 2005).
13 2. Étudier la diction, les actes de parole, la kinésique et la proxémique dans des extraits
de pièces de théâtre contemporaines en français et les reproduire par mimétisme (dans
un premier temps ?) (Giraudoux, Pirandello, Beckett, etc.) afin d’incorporer la langue.
Ceci ne va pas à l’encontre des habitudes d’apprentissage « par cœur ».
14 3. Étudier le théâtre chinois contemporain et ses mises en scène avant-gardistes, afin de
se démarquer du théâtre et de la filmographie classique, rejouer quelques scènes
classiques dans une perspective contemporaine, à partir d’actes de langage mettant en
scène des émotions universelles, amour, haine, mésentente, peur, soumission, tristesse,
joie, etc., et comparer l’expression de ces émotions dans les deux cultures.
15 4. Faire formuler des thèmes qui font partie des préoccupations actuelles des jeunes
étudiants, tels que le respect dû aux parents, l’amour, le mariage, le travail, l’argent,
l’espoir, la déception, etc., à partir desquels les étudiants pourront improviser,
proposer des scénarios et imaginer leur réalisation expressive à la française dans une
perspective interculturelle.
16 Notre hypothèse est que la communication entre natif/non natif sera améliorée si les
étudiants perçoivent mieux les émotions dans une interaction endolingue et décryptent
mieux la prosodie et la gestuelle en français.
17 Après avoir décrit dans une première partie la culture éducative chinoise, quelques
principes fondamentaux de la langue chinoise, et abordé le théâtre contemporain en
Chine, les avantages d’une pratique théâtrale seront explicités dans une seconde partie.
Enfin, nous présenterons des exemples de productions relatées par deux étudiants de
Master FLE en Chine, à l’université (jeu de rôle) et en Alliance française (cout-métrage),
dans le cadre de leur mémoire de fin d’études.
18 Les Chinois sont profondément attachés aux livres comme « socles du savoir ». Pour
inculquer à ses disciples « les valeurs morales de la société féodale, les bases d’une
bonne culture générale et les compétences requises pour exercer des fonctions
officielles », Confucius (551-479 AC) rédige six manuels. L’étude, l’explication et le
commentaire de ces livres canoniques, constitue alors pendant plus de deux mille ans la
pièce maîtresse de l’enseignement féodal chinois. Le système des examens d’État, fondé
sur l’apprentissage mécanique « par cœur » de ces textes perdure jusqu’au début du XXe
siècle. L’apprentissage de l’écriture chinoise va de pair, les ouvrages de base portent,
dès les temps anciens, sur la lexicographie et la dialectologie. La nécessité de traduire
les textes bouddhiques (1e AC) et de transcrire les mots étrangers pose les fondements
de la phonologie chinoise et son étude diachronique.
19 En revanche, la tradition chinoise ne propose pas de description grammaticale. C’est
seulement au XIXe siècle que la pression culturelle de l’occident impulse les premières
études de grammaire générale, sur des bases contrastives, les ouvrages publiés
auparavant étant ceux de missionnaires jésuites œuvrant pour l’expansion du
christianisme, manuels et recueils de règles, à diffusion très limitée. La première
véritable grammaire chinoise, rédigée par un lettré chinois, date seulement de 1898. Il
s’agit du 馬氏文通 Ma shi wen tong (Principes de base pour décrire clairement et de manière
cohérente) de Ma Jianzhong (1844-1900). Cette grammaire s’inspire des ouvrages des
jansénistes de Port-Royal (grammaire et méthode latine). Son auteur précise que « le
livre a été écrit en prenant pour modèle des grammaires occidentales », avec
répartition des mots en classe et élaboration de la terminologie correspondante, ce qui
est mal adapté à la description de la langue chinoise.
20 Aujourd’hui, dès le primaire, l’apprentissage du chinois est toujours fondé sur la
répétition et la mémorisation « par cœur » des listes de sinogrammes et des textes
étudiés selon la tradition. Dans les couloirs ou les jardins des universités, on peut voir
des étudiants qui lisent à haute voix, apprennent par cœur, récitent les textes et les
séries de mots à apprendre en langue étrangère. En cours se pratique beaucoup la
récitation « en chœur ».
21 Ces principes d’enseignement convergent avec la méthode russe pour l’enseignement
des langues, importée en Chine pendant la période communiste dans les années 1950,
méthode fondée sur la traduction (thème-version), la mémorisation de listes de
22 Le chinois est une langue isolante, constituée de monosyllabes invariables dont la classe
et la fonction grammaticale sont déterminées et indiquées par la place qu’ils occupent
dans la phrase. La phrase chinoise, de forme sujet-verbe-objet (SVO), est constituée par
la juxtaposition de ces monosyllabes, avec à gauche tout ce qui qualifie ou détermine
un morphème de type nominal. L’ordre des mots est strict, d’où la difficulté pour les
étudiants de placer correctement en français l’adjectif, la relative, le complément de
nom à droite. Il est aussi chronologique à l’oral, d’où la difficulté à utiliser des phrases
complexes en français qui peuvent contrevenir à la succession logique des événements
et, de plus, la représentation que la conjugaison est très compliquée. Chaque morphème
a une signification indépendante, plusieurs morphèmes peuvent se combiner pour
former des mots, par exemple 学生 (étudiant, disciple), formé par xué (apprendre) +
shēng (élève).
23 L’enseignement de la phonétique des langues étrangères à l’université consiste à
répéter des listes de mots pendant au moins les deux semaines précédant le début de
l’enseignement de la langue. La méthode articulatoire et celle des oppositions
phonologiques sont utilisées pour l’enseignement de la prononciation. Les Chinois
n’ont pas de difficultés majeures avec les phonèmes, sauf le [R] et les occlusives (en
chinois occlusive sourde aspirée/occlusive sourde non aspirée et non sourde/sonore, ce
qui peut créer des confusions comme cadeau/gâteau, etc.). Les problèmes concernent
surtout la prosodie (rythme, accentuation et intonation), ce qui explique la diction
saccadée de beaucoup d’étudiants qui séparent les mots même à l’intérieur d’un groupe
rythmique du français, ce qui a pour conséquence cette impression de diction saccadée.
24 Dans les langues à tons de l’Asie et de l’Afrique, les tons ont une fonction phonologique
permettant de distinguer des sens différents. Il existe en mandarin quatre tons de base
+ 1 ton neutre pour les particules grammaticales comme celle de l’interrogation « ma » :
猪 zhū ( n. ) porc (ton 1), 竹 zhú ( n. ) bambou (ton 2), 煮 zhǔ ( v. ) cuire (ton 3), 住 zhù
( v. ) habiter (ton 4). En voici la représentation :
25 Le système des tons compense à l’oral l’homophonie, le sens des homophones tonals se
déduit du contexte. L’intonation de phrase se superpose aux tons, les émotions peuvent
être marquées par exemple par une variation de hauteur, une intensité plus forte ou un
débit plus rapide.
26 La première langue indo-européenne apprise par les chinois est l’anglais, l’accent est
mobile (début, milieu ou fin de mot) : answer, university, explain. Dans un certain
nombre de mots comme subject (sujet) / subject (soumettre), il a une fonction
phonologique permettant de distinguer les catégories grammaticales et le sens. Le
rythme est régulier et le timbre des voyelles inaccentuées neutralisé.
27 Le passage au français est difficile, car dans le mot français, l’accent est fixe, il est placé
sur la dernière voyelle prononcée du mot isolé : chat, débat, université. À l’oral, un
accent secondaire est souvent placé sur la première syllabe d’un morphème lexical.
L’accent a une fonction démarcative ou de mise en relief dans la phrase, les syllabes
sont a priori isochrones sauf la dernière d’un groupe rythmique qui est un peu plus
longue. Le timbre des voyelles est net, tendu du début à la fin de l’émission. Beaucoup
de mots de l’anglais ayant été empruntés au français, les étudiants ont tendance à
plaquer la prosodie du mot anglais sur le mot français, par exemple « appartement »
prononcé à l’anglaise dans une phrase française.
28 La courbe mélodique épouse étroitement le découpage des « mots phoniques »
(groupes rythmiques syntaxiques). Ceci donne à la phrase longue de l’oral en français
une intonation en forme de vagues. Les difficultés majeures pour les étudiants chinois
sont la re-syllabation quand il y a enchaînement consonantique ou liaison à l’intérieur
des groupes rythmiques, par exemple [i-la-bi-ta-pa-ri] ou [le-za-mi] et le découpage
d’une phrase en groupes syntaxiques cohérents.
29 L’intonation, qui s’ajoute à l’accentuation et au rythme de la phrase française, donne
des informations complémentaires sur le sens de la phrase. Outre les intonations de
base à faire acquérir (phrases déclaratives, interrogatives, injonctives, exclamatives), la
variation de l’intonation ajoute souvent des éléments sur les émotions (colère, refus,
étonnement, joie, peur, déception, indignation, angoisse, etc.). Le contexte joue un rôle
important pour l’interprétation. Quant à la gestualité, elle vient renforcer la prosodie
et aider à la compréhension du sens de la phrase chez l’interlocuteur qui sait faire
preuve d’empathie. Moins le message est structuré par la syntaxe, plus l’intonation doit
prendre le relais du sens (implicite, non-dit, ironie, phrases ambigües du type « C’est
bien / ça » (approbation, rhème-thème, continuation-parenthèse) / « C’est bien ça »
(constatation, finalité) (Delattre, 1966).
3. 3. Le théâtre en Chine
4. 1. Diction et gestualité
36 L’espace de la classe pourrait être aménagé pour que les étudiants puissent bouger. Des
exercices pour acquérir la prosodie, l’accentuation, le rythme et l’intonation de la
langue française peuvent être proposés de manière ludique, comme scander des
phrases en marchant, tendre la main pour qu’une phrase soit complétée par d’autres
étudiants, jouer sur des intonations différentes pour exprimer des émotions
37 Quand Rimbaud (1854-1891), dans une lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871 dit « Je est
un autre », il montre une conception originale de la création artistique : le poète ne
maîtrise pas ce qui s’exprime en lui, pas plus que le musicien, l’œuvre s’engendre en
profondeur… Rimbaud poursuit : « J’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je
l’écoute… ». On peut aussi faire référence à Nietzsche (1844-1900) qui propose une
philosophie du devenir où chacun est appelé à l’authentique réalisation de soi :
« Deviens ce que tu es ».
38 Plusieurs étudiants chinois m’ont fait part de leurs difficultés, vu la pression exercée
par la tradition en Chine, soumission à l’autorité (les parents, les maîtres, l’État),
pression pour réussir (les examens d’entrée à l’université, les entretiens d’embauche, le
mariage…). Pour certains, le passage par l’université française libère la parole, remet en
cause un certain nombre de valeurs acquises dès l’enfance.
39 Si « JE est un autre » et en devenir en langue et culture étrangère, est-il capable de
s’engager dans ce processus ? D’où la nécessité que l’approche spécifique du cours soit
explicitée afin que l’étudiant s’investisse dans le cours autrement que par l’espoir d’une
amélioration de sa diction.
4. 3. Motivation et créativité
40 Un texte littéraire à interpréter est une richesse inépuisable. D’où, en fonction des
sensibilités de chacun, la possibilité de s’exprimer en incarnant son personnage. Si des
extraits de pièces de théâtre, des lectures poétiques peuvent être visionnés et
décortiqués dans un premier temps, avec reproduction qui peut être sécurisante,
ensuite des textes peuvent être expliqués et soumis à interprétation. Le sens se négocie
en petit groupe et se partage dans la mise en scène du texte joué devant le groupe.
41 « Faire du théâtre en langue étrangère, c’est justement le moyen de rendre cette langue
moins “étrange”, moins “étrangère”, en l’investissant de manière personnelle »
(Pierra, 2009).
5. Réalisations
42 Lors de la rédaction de jeux de rôles ou de saynètes, les étudiants peuvent imaginer leur
propre personnage et le définir le plus précisément possible, inventer des péripéties à
l’action. Cette réflexion amènera les étudiants à se demander comment le personnage
« français » (et non lui-même) réagirait et communiquerait dans ce cas. Geste et parole
sont solidaires et permettent à la fois l’accès au sens et à l’appropriation linguistique en
contexte. C’est la fluidité, verbale et non verbale qui est à travailler en priorité :
44 Extrait d’un jeu de rôle qui met en scène un couple qui se dispute dans une voiture sur
l’autoroute, joué devant la classe par deux étudiants A2-B1 (Université, Taïwan,
enregistrement de S. Landron). Les actes de parole sont critiquer, conseiller et
interdire, à partir d’expressions vues en cours.
45 On constate que l’étudiante manque de fluidité1. Sa diction reste saccadée (6), avec des
variations de hauteur importantes entre tons hauts/bas qui alternent (1,5) en
particulier en fin de la phrase. Des pauses sont mal placées au niveau du groupe
rythmique (3.1, 4.1, 5, 6). On constate aussi une accentuation régulière des syllabes
rappelant le rythme de l’anglais que l’étudiante parle couramment, quel que soit le type
de morphème, lexical ou grammatical.
46 Le texte global, présenté de manière spontanée après avoir été préparé et répété par les
deux étudiants, serait à reprendre sur le plan de la correction des phrases et de la
prosodie, sinon cette dernière peut se fossiliser. L’étudiante est capable de marquer
l’intonation pour exprimer ses critiques (3, 5 par mimétisme de dialogues vus en cours),
mais le chinois ou l’anglais transparaissent au niveau rythmique et accentuel.
5. 2. L’exemple de « La chute »
l’harmonie, tout en continuant à faire à son idée sont aussi des stratégies courantes.
C’est le non-dit qui est souvent difficile à décoder pour un Français habitué à exprimer
son avis, polémiquer, comme l’a souligné Zhang-Marcot (2014) dans sa thèse portant
sur la collaboration entre étudiants français et chinois dans le cadre de projets
communs à l’Institut d’Administration des Entreprises, ce qui entraîne malentendus et
exaspérations, car les étudiants français n’interprètent pas non plus correctement leurs
interactions avec leurs partenaires chinois.
6. Conclusion
52 La pratique de l’expression théâtrale va au-delà de la pratique des exercices de
communication en classe et de correction phonétique portant sur la spécificité de la
prosodie du français, étant donné les caractéristiques gestuelles et de diction
communes aux étudiants chinois :
53 1. Élocution saccadée et rapide due au système monosyllabique du chinois ;
54 2. Difficulté à organiser les groupes rythmiques syntaxiques en français ;
55 3. Alternance de variations de hauteur dues à la prosodie chinoise (ou anglaise), en
dehors de toute intonation expressive ;
56 4. Gestuelle spécifique de contrôle des émotions.
57 La communication est liée à des valeurs et des pratiques sociales. En Chine, le système
hiérarchique est prépondérant dans la relation à l’autorité, parents, entreprise. Tout ce
qui met en péril l’harmonie dans les relations familiales et sociales est banni. 和 hé,
l’idéogramme pour « harmonie » est formé par la céréale + la bouche, il est interprété
comme un groupe de moissonneurs chante, un autre groupe lui répond
harmonieusement.
58 La communauté et le consensus priment sur l’individualisme et la polémique. Ces
principes, hérités du confucianisme perdurent malgré l’ouverture à l’étranger et la
mondialisation. Et les modes habituels d’interaction sont source de malentendus dans
la communication exolingue. Ainsi l’appropriation de la langue et la culture française
implique, pour les étudiants chinois, de comprendre des modes d’interaction et
d’expression corporelle différents. C’est pourquoi exprimer ses émotions, ses opinions,
faire preuve d’empathie et d’adaptation à la culture de l’Autre, devraient faire partie de
la formation en langue et culture étrangère. La pratique théâtrale en est un moyen
efficace.
59 La poésie et les extraits de pièces de théâtre sont à privilégier dans une première
approche de la communication pour aider à la compréhension des interactions.
Watzlawick affirmait en 1979 qu’ « On ne peut pas ne pas communiquer » face à autrui
et que la plus grande partie du message passe par l’expression non verbale. Or, dans
l’enseignement classique, on décode et on décortique la langue, on la manipule, mais
les supports présentent le plus souvent des textes permettant une compréhension
littérale des phrases. Il y a peu de sous-entendus ou de non dits et pas de connaissances
partagées par les interlocuteurs comme c’est le cas dans la plupart des interactions
ordinaires. Or, comprendre le non dit, connaître les procédés linguistiques spécifiques
pour la préservation des faces ou les règles de politesse quelques soient les cultures
(Kerbrat-Orecchioni, 1992), décrypter les émotions transmises par la prosodie et la
gestuelle sont essentiels. C’est par un travail spécifique sur l’oral que les étudiants
peuvent en prendre conscience. Ils pourront à leur tour, dans leurs créations de
saynètes ou jeux de rôle réinvestir ces acquis de manière opérationnelle.
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NOTES
1. Le gras marque l’accentuation d’une syllabe. Les signes ä et æ correspondent à une variation
de hauteur importante (haut (h) ou bas (b), 1, 2, 3 syllabes maximum avant changement de
hauteur. Le signe æ ä correspond à une voyelle allongée avec variation de hauteur. # correspond
à une pause.
RÉSUMÉS
Enseigner une langue étrangère en milieu guidé implique des contraintes spatiales et temporelles
imposées par l’institution quand l’enseignement se déroule dans une classe ordinaire. Or,
l’apprentissage d’une langue mobilise le corps tout entier dans la communication et l’interaction
avec des conséquences sur les plans non seulement cognitifs mais aussi émotionnels, relationnels
et culturels.
En Chine, la culture éducative est fondée sur la transmission de savoirs essentiellement
linguistiques, peu de place est accordée à l’oral. Beaucoup d’étudiants ont des difficultés en
compréhension comme en production, notamment dans le domaine de la fluidité prosodique. Des
émotions et certains actes de langage ne s’expriment pas de la même manière en Orient et en
Occident, ils peuvent être source de malentendus.
L’introduction de pratiques théâtrales permet une nette amélioration de l’oral et une meilleure
confiance en soi pour la prise de parole et l’interaction. Ces pratiques demeurent encore
marginales, l’aspect ludique étant souvent considéré par les étudiants chinois eux-mêmes comme
un travail manquant de sérieux. En revanche, les enseignants constatent une nette amélioration
de l’oral chez les étudiants motivés.
Teaching a foreign language in a guided environment involves spatial and temporal constraints
dictated by the institution when teaching takes place in an ordinary class. However, learning a
language mobilizes all body in communication and interaction with consequences not only
cognitive but also emotional, relational and cultural.
In China, the educational culture is based on the transmission of mainly linguistic knowledge,
there is no much time for speaking. Many students have difficulties to understand and to
produce, especially in the field of prosodic fluidity. Some emotions and speech acts are not
expressed in the same way in East and West and may lead to misunderstandings.
The introduction of dramatic practices allows a clear improvement of the oral and a better self-
confidence to speak and to interact. These practices are still marginal, the playfulness being
often considered by the Chinese students themselves as a work lacking seriousness. However,
teachers notice a real improvement in oral skills among motivated students.
INDEX
Keywords : French as a foreign language, oral, prosody, dramatic practices, Chinese.
Mots-clés : Français langue étrangère, oral, prosodie, pratiques théâtrales, Chinois.
AUTEUR
CHRISTINE CUET
Université de NantesLLING (Laboratoire de Linguistique de Nantes) / CNRS (UMR 6310)