2queneau LA-GZ SAD11
2queneau LA-GZ SAD11
2queneau LA-GZ SAD11
Situation
Auteur Raymond QUENEAU
Œuvre L’instant fatal
Contexte 1948 (après guerre), l’OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle cf : La
Disparition de GEORGES PEREC : lipogramme en « e »)
Nature
Genre Poème
Type(s) Monologue dialogique, argumentatif, descriptif,
Tons, tonalités, registres Lyrique, didactique, symbolique, burlesque, fantaisiste
Idée générale, thèmes Plaisir du pastiche dans la reprise des topoï : l’invitation à l’amour liée à la fuite
du temps (carpe diem),
Composition
Formelle 3 strophes de longueur inégale : douzain, strophe de 14 vers et ensuite de 23 vers
en pentasyllabes. Fantaisie des rimes. Refrain composition cyclique
Fond : Plan du texte Même schéma entre la 1 ère et la 2ème strophe, même thématique de la beauté et des
amours.
1ère strophe : généralisation du thème
2ème strophe : particularisation du thème à travers le portrait mélioratif
3ème strophe : 1ère sous-partie : des « beaux jours » jusqu'à « sque tu vois pas »,
toujours déclinaison du thème de la fuite du temps : opposition entre le
mouvement cyclique de la nature et le mouvement linéaire de la vie de la jf.
2° sous-partie : portrait péjoratif de la jf plus tard
3° sous-partie : la « morale », le conseil hédoniste
Analyse linéaire À mener directement sur le texte photocopié Niveau de langue familier,
raccourcis phonétiques et absence de négation. Q. « subvertit » les codes
Problématique Comment Queneau, en mêlant dans un pastiche tradition et originalité,
parvient-il à créer un poème singulièrement moderne ?
Introduction :
Raymond Queneau, créateur de l’OuLiPo et poète fantaisiste, se souvient avec humour de Ronsard quand il
écrit en 1948 « Si Tu t’imagines... », poème issu du recueil L’Instant fatal.
Dans un discours injonctif, le poète enjoint vivement une jeune fille à profiter des plaisirs de la vie en
l’avertissant de la fuite du temps, dans un style alliant lyrisme, fantaisie et originalité. Ce texte, amusant et
mélancolique à la fois, ressemble à une chanson par son rythme pentasyllabique et répétitif.
On verra comment Queneau se plaît à pasticher Ronsard dans plusieurs de ses poèmes, notamment
« Mignonne » et « Quand vous serez bien vieille», et donc comment, en jouant sur la reprise de thèmes et d’un
système d’énonciation traditionnels (I), il propose une réécriture originale et singulièrement poétique (II).
2) La fuite du temps
* Thème de la fuite du temps (le pantha reï grec) : « les beaux jours s’en vont », portée universelle, présent de vérité
générale : c’est un constat que nul ne peut réfuter.
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* Métaphore « soleils et planètes tournent tous en rond » : la loi cosmique elle-même illustre physiquement cette
idée de l’éternel recommencement.
* Or, les êtres humains, eux, échappent malheureusement à ce cycle éternel : l'avance rectiligne de la jeune fille vers
la mort - " tu marches tout droit vers sque tu vois pas '' - s’oppose tragiquement au mouvement circulaire des planètes.
* L’être humain n’a pas suffisamment conscience de ce temps qui échappe, irrémédiablement. Ainsi, la « fillette »
« croit » « xa va xa va xa /va durer toujours ». Autrement dit, elle risque de confondre le futur proche et l’avenir.
* Ce futur proche est restitué grâce à un jeu verbal qui s’appuie sur la transcription phonétique d’éléments en langage
parlé. Le poète se moque de cette croyance illusoire selon laquelle rien ne change.
* Contraste entre 2 tableaux, 2 portraits-blasons :
celui de la jeunesse qui est idéalisé : « ton teint de rose »,
celui de la vieillesse d'un réalisme cru qui touche à la caricature : " très sournois... avachi "
* Le passage du temps peut également être rendu par les nombreuses répétitions (comme celle des jours qui passent) :
répétition du « xa va », du « si tu t’imagines », du « fillette », toutes ces répétitions « tournent » dans la chanson
comme « soleils et planètes [qui] tournent tous en rond ».
* La composition cyclique du poème et la présence du refrain rendent perceptible ce passage du temps.
* La mort est évoquée par un euphémisme : " vers sque tu vois pas "
2) Le registre didactique
* Discours injonctif au moyen d’impératifs exhortatifs '' allons, cueille, cueille...'' en parallèle évident avec « Cueillez
dès aujourd’hui »
Comme chez Ronsard, le poème vise à inculquer une leçon à tous les lecteurs. Leçon qui s’appuie sur l’expérience du
poète qui s’autorise à juger la fillette (et donc tous les jeunes naïfs) : " si tu t'imagines ...'' " si tu crois ..." " ce que tu te
goures..."
* On retrouve l’invitation à profiter des plaisirs de la vie : « cueille cueille/ les roses les roses/ roses de la vie/ et que
leurs pétales/ soient la mer étale/ de tous les bonheurs ». Mais on notera que le poète ne se limite pas aux plaisirs
amoureux (hyperbole : « tous les bonheurs »), élargissant ainsi la portée hédoniste du message.
* « tes ongles d’émail » : métaphore dans un goût très parnassien (cf. Emaux et Camées de T. Gautier) qui suggère à
la fois l’éclat et la dureté. C’est évidemment une dureté illusoire car, avec la vieillesse, même les ongles se dégradent,
jaunissent, se feuillettent…
* « ton pied léger » : métaphore homérique (initialement « Achille au pied léger »). Cette discrète allusion au héros
vaut bien sûr pour le souvenir (implicite) de son talon (càd sa vulnérabilité). Comme Achille, la « fillette » est
vulnérable : les ans lui feront perdre sa légèreté.
* « cuisse de nymphe » : La Cuisse de nymphe est une variété de rose (d'un rose très pâle tirant légèrement sur le
mauve). Queneau ici joue avec les mots puisqu’il crée une métaphore érotique qui suggère la chair sensuelle des
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cuisses tout en rappelant le lien (déjà marqué grâce au teint) entre la femme et la fleur. Quant aux nymphes, elles
passaient pour être des créatures d’une beauté irrésistible (cf. Eurydice), leurs « cuisses » étaient donc dignes de la
statuaire grecque.
2) Le blason démultiplié
* Décrire une partie du corps féminin pour en célébrer la beauté ou, au contraire, pour en railler la laideur, voilà qui
n’est pas neuf en littérature. De fait, l’art du blason est pratiqué dès la Renaissance par des poètes aussi célèbres que
Marot (« Blason du beau- ou du laid - tétin ») ou que Maurice Scève (« Blason du sourcil »). A leur suite, Marot lui-
même (« Blason du laid tétin ») et des poètes satiriques, comme Scarron, et même Du Bellay (« Ô beaux cheveux
d’argent », Les Regrets, 91) vont s’amuser à créer des « Contre-blasons » visant alors à dénigrer une partie du corps
féminin.
* Toutefois, Queneau, qui s’inspire visiblement de ces blasons et contre-blasons, pratique là encore une expansion :
au lieu de se limiter à ne décrire qu’une seule partie du corps de la femme, il étend la description à l’intégralité de son
corps, et ce dans une description assez méthodique puisque descendante (du visage avec le « teint », en passant par la
« taille » et les bras,« biceps », en descendant jusqu’aux « cuisses » pour arriver enfin au « pied ».)
*Néanmoins, signalons que « démultiplier » le blason n’est pas complètement inédit : en 1931, soit 17 ans avant
Queneau, André Breton, poète surréaliste, s’était livré dans « L’Union libre » à cet exercice en décrivant, de la
manière la plus énumérative qui soit, sa « femme ».
B) Les ajouts :
Dans une transposition, on nomme « ajouts » des éléments qui ont été greffés sur le texte qui a nourri
l’inspiration.
1) Un poème-chanson
* Le rythme de ce texte ressemble à celui d’une chanson, ce qu’il est d’ailleurs devenu (cf. la célèbre interprétation de
Juliette Gréco et celle de Mouloudji).
* On remarque d’emblée son aspect binaire, puisque nombre de ses expressions sont répétées deux fois : « Si tu
t’imagines », « fillette », « la saison des za », « ce que tu te goures », « si tu crois », « cueille cueille », « les roses les
roses »…
* Les pentasyllabes, peu courants en poésie, sont une forme très courte de versification : cela contribue à donner un
côté « ritournelle » à ce poème
* L’expression « soleils et planètes/tournent tous en rond » fait aussi penser à une ronde enfantine, qui convient bien à
ce rythme.
* On remarque aussi des jeux plus subtils encore : parfois, Queneau ralentit ponctuellement le poème par une sorte de
bégaiement : là où l’on attend un rythme binaire, il produit finalement un rythme ternaire : « la saison des za/la saison
des za/saison des amours », ou « les roses les roses/roses de la vie ».
* Quant aux rimes, elles sont suivies, croisées, embrassées ou absentes ! Bref, c’est une prosodie toute fantaisiste à
laquelle on a affaire.
* Notons l’absence également de majuscules, absence qui donne l’illusion d’un poème qui « court », dont les vers
s’enchaînent, un peu comme un discours sans fin.
* La disposition strophique emprunte à la tradition de la chanson : trois strophes de longueur inégale et croissante :
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- 1° strophe : 12 vers correspondant à une introduction du thème de la fuite du temps, rattaché à celui de l’amour
- 2° strophe : 14 vers qui évoquent la beauté actuelle de la jeune fille
- 3° strophe : 23 vers qui
généralisent cette fuite du temps (vers 27 à 30),
opposent la repoussante vieillesse à l’attrayante beauté (vers 31 à 38 contre- blason satirique de la vieillesse
contrastant avec le précédent blason de la jeunesse),
et finalement invitent la « fillette » à jouir de la vie (Carpe diem horacien vers 39 à la fin)
* Le refrain donne l’impression d’une composition cyclique même si, pour être exact, il convient de remarquer que le
vers 1 et le vers 49 ne sont pas les mêmes.
2) La caricature et la dérision
C’est un registre également au service du comique. Il consiste à amplifier les défauts de quelqu’un ou de
quelque chose de manière outrée. C’est pourquoi ce registre use volontiers d’hyperboles, d’amplifications, de
personnifications et s’accompagne d’ironie, de l’humour noir, comme c’est le cas ici.
3) Un burlesque subversif
Le registre burlesque est un registre au service du comique. Il consiste à traiter un sujet élevé (ici la fuite du
temps, le Carpe Diem) de manière triviale, c'est-à-dire à l’aide d’un langage (niveau de langue, figures)
prosaïque, voire manquant franchement d’élévation.
- « les mignons biceps » : formule quasi oxymorique : le biceps évoquant généralement le muscle viril est associé à un
spectacle « mignon ». De plus le « biceps », terme d’anatomie (donc scientifique) contraste avec « la cuisse de
nymphe » qui relève de la mythologie.
L’effet produit est un savoureux mélange de rire et d’horreur : on est bien dans ce qu’il convient d’appeler
l’humour noir.
L’humour noir :
« L’humour noir croît sur le néant, il prend racines où Dieu prend pissenlits. A vrai dire, ce n’est pas un humour de
cimetière, c’est bien plutôt, et paradoxalement, un droit à l’existence, un art d’être-au-et-dans-le-monde, une brève
haletance cathartique [dico : respiration et exutoire] qui permet à celui qui joue de cet éclat de pénombre dans un
écrin de sérénité de se délivrer délicieusement de certaines représentations inquiétantes et dégradantes de
l’être-en-vie. » (Jean-François Buys in Lettres ou ne pas lettres)
« Révolte supérieur de l’esprit » affirme André Breton (dans son Anthologie de l’humour noir) ;
« déplacement d’un principe de réalité vers un principe de plaisir » explique Freud (cf. l’exemple du pendu
qui, condamné un lundi matin, et apercevant l’échafaud au loin, s’exclame devant le bourreau : « Voilà une
semaine qui commence bien ! ») Ionesco : « Prendre conscience de ce qui est atroce et en rire, c’est devenir
maître de ce qui est atroce ».
Conclusion
Ainsi Raymond Queneau, s’essayant au pastiche, réécrivant, après Ronsard, les topoï du lyrisme, l’amour et la
fuite du temps, parvient encore à faire de la poésie : une poésie familière, bien que très élaborée, une poésie qui
transpose de façon originale les éléments les plus traditionnels en favorisant les expansions, les ajouts. Finalement,
Queneau parvient à subvertir les clichés au profit de l’humour, du contraste et de la création singulière d’un langage
« écrit-parlé » qu’on croirait créé pour la chanson. Le succès populaire de ce poème sera indéniable : le poème sera
mis en musique par Léo Ferré et chanté par Gréco et Mouloudji.