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3 - Redéfinir L'accès À La Justice en République Démocratique Du Congo. Le Droit D'accès Au Juge Dans Le Ressort de La Cour D'appel Du Nord Kivu Entre Mythe Et Réalité

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Droit Judiciaire
REDEFINIR L’ACCES A LA JUSTICE EN
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO.
LE DROIT D’ACCES AU JUGE DANS LE RESSORT DE
LA COUR D’APPEL DU NORD-KIVU ENTRE MYTHE
ET REALITE
Par

MASUDI KADOGO*

Résumé
Le principe d’accès à la justice nous renvoie du point de vue institutionnel
à l’accès aux cours et tribunaux, de la base au sommet et donc au juge ; au
juge du niveau le plus bas de la pyramide juridictionnelle à celui de la
sommité, autrement dit au juge du tribunal de paix à celui de la cour de
cassation, et du point de vue de la finalité de la justice, à l’accès aux
droits. Ainsi justice comme institution est une justice-moyen et justice
comme droit, une justice-fin donc une finalité de la justice- moyen. La
justice-moyen met en exergue une autre règle axiale qu’est la justice de
proximité. Cette dernière est un pilier fondamental et l’écheveau d’un
procès équitable. Il est le berceau de la restauration d’un droit violé.
Dans ses manifestations vigoureuses, il assure l’effectivité des autres
principes qui concourent à un procès équitable. Bien respecter en amont
tout comme en aval, il est le garant de la restauration de tout droit violé et
par ricochet de la sécurité juridique et judiciaire. Actuellement pour
renforcer la justice-fin, des voix s’élèvent pour repenser la forme actuelle
de rendre justice en sollicitant la mise en œuvre de la justice douce ou
alternative dispute résolution en sigle ADR, afin d’asseoir le règlement
extra judiciaire des conflits pénaux en dehors des règles de procédure
pénale classique. D’où le recours informel dans la pratique judiciaire au
règlement amiable de certains litiges. La pertinence d’une telle approche
exige la formalisation de la médiation pénale. Celle-ci étant appliquée
seulement au niveau de la justice pour mineur, son extension sur
l’ensemble du système judiciaire surtout sur toutes les infractions d’une
moindre gravité soit des infractions punissables d’une peine de plus ou
moins deux ans de servitude pénale ou celles punissables de cinq ans de
privation de liberté, pour des faits bénins, serait un correctif aux
plusieurs obstacles d’accès à la justice.
Mots-clés : accès à la justice, procès équitable, droit judiciaire congolais, tribunal
indépendant, tribunal impartial, tribunal compétent
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 45

Introduction

e droit d’accès à un juge est l’un des droits fondamentaux

L reconnus aux citoyens congolais par les instruments juridiques


tant internationaux, régionaux que nationaux, notamment la
Déclaration universelle de droits de l’homme, le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, la Convention relative à l’élimination de
toutes les formes de discriminations à l’égard de la femme, la Convention
relative à la protection de l‘enfant, la Convention européenne de droits de
l’homme, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la
Constitution congolaise du 18 février 2006, la loi organique n° 13/011-B du
11avril, 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des
juridictions de l’ordre judiciaire etc. Normalement accéder au juge c’est
aussi accéder à la justice ; une justice comprise non seulement comme un
droit légitime et un besoin social primaire pour les citoyens, une obligation
pour le juge, bref un droit à un égal traitement devant le juge. Cet égal
traitement ressort mieux de l’adage latin « cuis que suum » signifiant (à
situation égale, traitement égal), vecteur irrésistible de l’idée d’égalité pour
tous156, les citoyens restant égaux dans toutes les dimensions pertinentes.
Conformément à ce précepte d’égalité formelle selon lequel ceux qui sont
égaux (similaires) dans toutes les dimensions pertinentes doivent être traités
de manière égale157 et en toute équité. John Rawls écrit que la justice
comme équité est une théorie idéale ou théorie de l’obéissance stricte.
L’obéissance stricte signifie que chacun se conforme aux principes de
justice et donc accepte leurs conséquences.158 Ainsi, les gouvernants, les
gouvernés, les magistrats (juges et officiers du ministère public), les
justiciables, tout le monde doit s’y soumettre. Or, il est chimérique de
croire que tout le monde se soumettrait à la justice de la même façon et dans
la même proportion. Les écarts sociaux et sociétaux créent de degrés
différents de soumission à la loi et partant à la justice. La justice comme
sens d’équité, telle que conçue textuellement et telle que vécue
contextuellement, en RD Congo, est en perte de vitesse. Certains pensent

* Licence (Université de Kinshasa), Candidat au D.E.S (Université de Kisangani), Chef de travaux


à l’Université de Goma, Avocat au Barreau de Goma et membre du Conseil de l’ordre au sein du
même Barreau. masudikadogo@gmail.com
156 C. ROUSSEAU, « Le droit international et l’idée de justice », in Mélange Virally, Ed. P.U.L.,
Paris, 2001, p.85 cité par MAKAYA KIELA Serge, La contribution de la justice pénale
internationale au développement de la justice pénale congolaise, Mémoire de DES, Fac. Droit
UNIKIN, 2005-2007, p.29
157 J. RAWLS, La justice comme équité une formulation de la théorie de la justice, Nouveaux
horizons, Ed. LA DECOUVERTE, Paris, p.38
158 Idem, p.32
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Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
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qu’il y a absence de justice ou mauvaise justice,159 d’autres pensent qu’elle


est à deux vitesses, en raison d’un bilan caractérisé non seulement par son
passif très lourd, mais aussi par sa rigueur aux dépens de « petits citoyens »,
son impuissance devant les grands criminels et son incapacité à protéger les
victimes des graves crimes160, d’autres enfin, la qualifient d’une justice à
trois vitesses, rigoureuse pour les « petits citoyens », inefficace pour les
« grands criminels » et inexistante pour les victimes des graves
crimes.161Sans démocratisation réelle de l’espace politique congolais, la
justice restera toujours le maillon faible de la chaine des institutions
politiques. En interrogeant les bénéficiaires de ce service public, les
défenseurs, les plaideurs, les observateurs avertis, en visitant la prison
centrale de Munzenze à Goma, on s’apercevra vite, qu’elle demeurera
encore peut-être pour longtemps rigoureuse pour les « faibles citoyens »,
inerte pour les « grand criminels nantis de pouvoir ou d’argent»,
impuissante pour les criminels internationaux et enfin, irréalisable pour les
victimes des crimes graves. Cela étant, cette justice peut être qualifiée sans
crainte, de justice à quatre vitesses. Raison pour laquelle John Rawls
estime que « la justice comme équité est utopique de façon réaliste : elle
explore les limites de ce qui est praticable tout en étant réaliste, c’est-à-dire
qu’elle cherche à déterminer dans quelle mesure un régime démocratique
peut atteindre une réalisation complète de ses valeurs politiques dans le
monde tel que nous le connaissons(avec ses lois et ses tendances), ou si l’on
préfère, dans quelle mesure il est possible d’approcher la perfection
démocratique162 ». John Rawls en parfaite contradiction avec lui-même,
conclut, il est peut-être préférable de concevoir un ordre mondial juste
comme une société des peuples, dans laquelle chaque peuple soutient un
régime politique (domestique) bien ordonné et décent, qui n’est pas
nécessairement démocratique mais qui respecte pleinement les droits de
l’homme fondamentaux.163 En sus, l’érection de la justice, à la fois comme
droit, comme structure et infrastructure, dans un système de gouvernance
« a démocratique », n’est qu’une construction d’un château de carte. Toute
imagination d’un régime politique non démocratique mais s’astreignant au
respect des droits fondamentaux de l’homme, n’est qu’une duperie.

159 A. RUBERWA MANYWA, Discours prononce à l’occasion du lancement de la mission


conjointe multi bailleurs d’audit d’organisations du secteur de la justice en RD CONGO, octobre
2003 cité par MAKAYA KIELA Serge, op cit., p.12
160 LUZOLO BAMBI LESSA, Lors d’une conférence sur les droits de l’homme, à l’Université
protestante au Congo, le 20 avril2005, cité par S. MAKAYA KIELA, op cit., p.12
161 MAKAYA KIELA Serge, La contribution de la justice pénale internationale au développement
de la justice pénale congolaise, Mémoire de DES, Fac. Droit UNIKIN, 2005-2007, p.12
162 Ibidem
163 J. RAWLS, Op cit., p. 33
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Le droit d’accès à la justice est une norme impérative du droit


international, une règle de jus cogens.164 Il est un élément essentiel en
matière de protection des droits de l’homme,165 un des leviers pittoresques
de la mise en œuvre des autres droits de l’homme. En effet, tout justiciable
dont les droits sont violés et qui s’estime léser peut saisir le juge
naturellement compétent, dans le but ultime d’obtenir réparation judiciaire
d’un préjudice subi.

Ce droit impose l’accès à un tribunal de proximité pour y faire


entendre sa voix, y porter ses prétentions et avoir satisfaction à la suite de
l’organisation d’un procès équitable. La justice de proximité est
équipollente non seulement au rapprochement pyramidal des citoyens aux
institutions judiciaires, de la base au sommet (du tribunal de paix à la cour
de cassation), mais également au rapprochement des citoyens à leurs droits.
C’est-à-dire les citoyens doivent avoir la possibilité d’introduire leur action
en justice aussi facilement, la passibilité de jouir de leur droit au double
degré de juridiction, la facilité nécessaire à se pourvoir en cassation, surtout
la jouissance d’une décision de justice à travers une seine exécution.
D’ailleurs à ce sujet la Cour européenne de droits de l’homme dans l’arrêt
Homsby contre la Grèce du 19 mars 1997 a intégré le droit à l’exécution des
décisions de justice dans les éléments du procès équitable.166 La restauration
de l’ordre juridique exige donc que la victime soit rétablie dans l’état et dans
les droits qui étaient siens avant la commission de l’infraction.167

Dans un contexte délétère et insécure à l’Est de la République


Démocratique du Congo et plus particulièrement en province du Nord-Kivu,
un procès équitable est illusoire. Avec les forces négatives multiformes et
sectorielles (MAIMAI, NYANTURA, FDLR), qui écument la Province, et
les forces sécuritaires gouvernementales moins respectueuses des droits
humains, la justice est en panne. Certains érigent leurs propres tribunaux
sans égard aux règles minima qui président à la création d’un tribunal,
d’autres s’improvisent juges, s’ils ne se déguisent pas en juges avec des
pouvoirs excessifs, en violation flagrante du principe Nemo judex sine
lege.168 Dans ces coins ou recoins de la province qu’on peut à juste raison
qualifier de zone de non droit, existe un espace d’incertitude juridique et

164 Opinion dissidente des juges Sophia AB Akuffo, Bernard M Ngoepe, Elsie N. Thompson dans
l’affaire Atabong Denis Atemnkeng contre l’Union africaine, du 15 mars 2013, requête
n°14/2011
165 Ibidem.
166 N. FRICERO, La qualité des décisions de justice au sens de l’article 6 §1 de la convention

européenne des droits de l’homme, in colloque sur la qualité des décisions de justice du 8 et 9
mars 2007, Ed. Conseil de l’Europe, Paris, 2007, p.57
167 A. RUBBENS, Le droit judiciaire congolais, T3, L’instruction criminelle et la procédure pénale,

PUC, Kinshasa, 2010, p. 26


168 NYABIRUNGU mwene SONGA, Traité de droit pénal général congolais, 2ème éd. EUA,
Kinshasa, 2007, p.59
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Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
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judiciaire. C’est que dans ces milieux la justice est tributaire du niveau de la
terreur du justicier. Chaque mouvement dispose d’un semblant des
structures chargées illégalement de la prise à charge des litiges, cohabitant
parfois avec l’ordre judiciaire légalement établi. N’entendons-nous pas que
tel ou tel autre groupe armé à travers ces fameuses structures a tranché des
litiges, surtout fonciers qui sont récurrents dans les milieux aussi bien
ruraux, préurbains qu’urbains ? Que les justiciables sollicitent le concours
de ces forces hors norme pour l’exécution de décisions judiciaires dument
rendues ? Que parfois ces forces, elles-mêmes se dressent en obstacles à
l’exécution de telles décisions ? C’est aussi le cas de certaines structures de
l’armée nationale non revêtues d’une moindre mission de dire le droit ou
des auditorats militaires, qui prennent des décisions exécutoires à la minute
dans les litiges de toute nature, surtout purement civils comme le
contentieux des créances ou des dettes, de divorce et de succession. Dans
l’observation (interprétative) générale n°32 de l’article 14 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques du Comité des droits de
l’homme, au paragraphe 22, il est noté que « le jugement des civils par des
tribunaux militaires ou d’exception peut soulever de graves problèmes
s’agissant du caractère équitable, impartial et indépendant de
l’administration de la justice ».169 C’est également cette situation qui
prévaut dans des régions relativement pacifiées où les autorités
administratives non revêtues de la qualité de juge, mais exerçant seulement
les fonctions d’officier de police judiciaire170 ou n’exerçant les fonctions
judiciaires à titre quelconque se mettent à trancher les litiges entre leurs
administrés. Il en est ainsi des chefs de poste d’encadrement de triste
mémoire, fonction qui a été supprimée in fine par la loi n°08/016 du 07
OCTOBRE 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des
entités territoriales décentralisées et les provinces. Clamons encore tout haut
que la nouvelle création de la fonction de représentant de l’autorité
provinciale dans les groupements administratifs et cités de la province du
Nord-Kivu, ressusciterait encore l’exercice illégal des fonctions
juridictionnelles en milieux ruraux. Déplorons également le monnayage de
la justice par les détenteurs du monopole de la fonction juridictionnelle et
judiciaire (Juges, Magistrats du parquet, Officiers de police judiciaire
agissant souvent de mèche avec les Avocats véreux. Les cas sont légions
mais limitons- nous un instant à ces quelques éléments. Un observateur
averti n-a-t-il pas dit : Marquée par la guerre, la corruption, la lutte pour le
contrôle des ressources naturelles et des graves violations des droits de
l’homme, notamment les terribles violences sexuelles, la RD CONGO a
169 Comité des droits de l’homme, Observation générale n°32, Article 14. Droit à l’égalité devant les
tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, 90è session, CCPR/C/GC/32, Genève, 9-
27 juillet 2007, p. 7
170 Lire les articles 41, 60,85 de la loi organique n°08/016 du 07 octobre 2008, portant composition,
organisation et fonctionnement des Entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’Etat
et la Province, J.O. de la RD CONGO.
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considérablement souffert ces dernières années et subit toujours les


répercussions des conflits continuels. Ceci a beaucoup affecté les
institutions du pays, y compris son système judiciaire, qui souffre
péniblement de répondre aux besoins de la population.171

La gratuité de la justice en RD CONGO de surcroit à l’EST, principe


tant vanté par certains doctrinaires à l’instar des Professeurs LUZOLO
Bambi et BAYONA Bameya 172, n’existe que dans les vœux pieux de ses
chantres et reste un slogan à somme nulle. A cette déliquescence des
institutions judiciaires de la province s’ajoutent des interférences
intempestives des membres du conseil provincial de sécurité dans les
décisions de justice ou dans leur exécution. La pratique contra legem de
visas (une sorte de quitus impératif ou contrôle systématique des décisions
judiciaires, qui peut par moment modifier toute décision prise par la
chambre ayant siégée) exigés par les chefs des juridictions au Nord-Kivu, en
amont du prononcé de chaque jugement ou arrêt. La quasi inexécution des
décisions rendues ou à défaut, des exécutions cavalières et expéditives
dictées par des motivations lucratives ou des interférences hiérarchiques et
politiques, mettent en mal le droit d’accès à un juge. Or, c’est en effet lui,
l’expression de l’effectivité d’une règle de droit. Seul le juge, chargé de
l’édifice, « artisan du droit », est responsable d’appliquer les règles de droit
et d’en sanctionner les entraves parce que l’effectivité du droit consiste à
réparer tout préjudice causé au justiciable.173 Cette effectivité est de plus en
plus confirmée parce qu’on considère ce droit d’accès à la justice comme
englobant tous les autres droits et non un droit résiduel. Sur le fondement
de ce qui a été dit, n’est-il pas préférable d’employer l’expression « Droit
d’accès à la justice à la place de « l’accès au juge » qui demeure bien sûr la
clé de voute de la réalisation du droit174 ? Seul, donc, un contrôle
juridictionnel assure le respect des normes et de leur hiérarchie. En outre,
l’accès à la justice est impensable, dans une région où les voies de
communication sont inexistantes, et celles existantes, impraticables, en
raison de leur état vétuste, largement délabré, et où le pouvoir d’achat de la
majorité de la population, est inférieur à un dollar par jour, pour la majorité
de familles. Le Nord-Kivu, une province meurtrie par des guerres et conflits
interethniques cycliques, dispose des voies routières, héritées pour la
plupart, de la colonisation. Mal entretenues, elles ne répondent plus au
besoin économique, social et développemental de la population qui, depuis
les années soixante, a accrue à un rythme exponentiel. Enfin, la langue du

171 J. YAV KATSHUNG, 50ans déjà : la justice congolaise, à l’épreuve du temps ! in


www.contrôlecitoyen.com.
172 E.J. LUZOLO BAMBI LESSA et N.B.BAYONA Ba MEYA, Manuel de procédure pénale, PUC,
Kinshasa, 2011, p. 92
173 A. DAHER, L’accès au juge ‘liberté et entraves) in Actes du Congrès de l’AHJUCAF, Tenu à
Beyrouth au Liban du 13 au 15 mars 2013, In hpp//www.ahjcaf.org
174 Ibidem
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Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
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procès essentiellement le français, n’est pas souvent accessible à la


population de la région, dont la majorité est analphabète.

Avec ce tableau dépeint, ne serait-il pas impérieux de s’appesantir sur


l’état des lieux de l’accès à la justice dans le ressort de la Cour d’appel du
Nord-Kivu ?

L’installation récente des tribunaux de paix dans certains territoires


administratifs du Nord-Kivu a suscité des émules mais ne saurait être
considérée comme une panacée à l’accès effectif et efficient à la justice pour
les citoyens.

Certes, cette installation va diminuer les kilomètres à parcourir pour


atteindre le juge, mais n’est pas une réponse à la carence d’accès à la justice,
qui est tributaire de plusieurs exigences, dont les ingrédients ne sont pas
encore à la portée des justiciables de la province du Nord-Kivu. Comme le
confirmait déjà le Professeur Bayona Bameya : « il a été constaté qu’à
l’intérieur du Pays, là où ont été installés les tribunaux de paix, les activités
juridictionnelles de ces tribunaux se limitent aux seuls chefs-lieux des
communes, laissant l’arrière-pays sans justice de paix, l’itinérance ne
pouvant pas s’effectuer dans l’ensemble du ressort de ces tribunaux, faute
de moyens de transport que le pouvoir exécutif ne met pas à leur
disposition ».175 Toute proportion gardée, ces tribunaux de paix seront
confrontés à plusieurs défis : défi de l’organisation des audiences foraines,
défi démographique lié à l’accroissement exponentiel des populations, défi
de l’immensité de leur ressort territorial, défi de l’absence de l’autorité de
l’Etat dans certaines contrées où chaque colline de l’intérieur de la Province
du Nord-Kivu est sous le joug d’un seigneur de guerre, défi des conditions
de travail exécrables, défi de l’inexistence des voies de communication,
défi de l’inexécution des décisions judiciaires rendues par eux, défi de
l’immixtion intempestive dans les affaires judiciaires. Bref, le personnel
judiciaire une fois déployé, se rendra vite compte, de l’évidence de ses
limites. Il serait fastidieux de dresser la liste exhaustive des défis auxquels
doivent faire face les tribunaux de paix nouvellement installés.

Tous ces défis imbriqués, cèdent à l’affirmation selon laquelle


« l’accès à la justice et, tel qu’il doit être entendu, (…) l’accès aux tribunaux

175 BAYONA Ba MEYA, « La justice de paix en République Démocratique de Congo » Lukuni Lwa
Yuma, Revue interdisciplinaire, vol. n°4, juillet-décembre 1999, p.70 cité par KIFWABALA
TEKIZALA, D. FATAKI wa LUHINDI et M. WETSH’OKONDA KOSO, République
démocratique du Congo Le Secteur de la justice et de l’Etat de droit, une étude d’AfriMAP et de
l’Open Society Initiative for Southern Africa, OPEN SOCIETY FOUNDATIONS, Juillet 2013,
p.128
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sont un mythe aux yeux de plusieurs citoyens. 176 Ainsi, tous les acteurs
intervenant dans la trame judiciaire, devraient absolument être au diapason
des attentes de la population, pour saisir à bras le corps, l’ensemble des
menaces qui planent sur la bonne administration de la justice, dans notre
Province. L’accès à la justice est le garant de la confiance des justiciables
dans leur système de justice. Il participe à la lutte contre l’impunité et
garantit l’équité des armes de la défense. Il est aussi l’un des facteurs clés
dans la stabilisation du pays et un gage de développement durable.177

Aborder le thème relatif à l’accès à la justice suggère de prime à bord


la circonscription du cadre juridique, la compréhension de son économie
générale, faire un relevé des entraves majeures à l’accès à la justice, les
perspectives d’avenir et les propositions pour l’amélioration de l’accès à la
justice au Nord-Kivu. Ces évidences mises en exergue, constituent un fil
d’Ariane dans les dédales des idées de notre réflexion.

I. Cadre normatif du principe du droit d’accès à la justice


Le cadre normatif nous renvoie à l’ensemble d’instruments juridiques
internationaux, africains et nationaux garantissant l’accès à la justice à tous
les citoyens sans discrimination d’aucune sorte. Sans cette garantie
internationale, régionale et nationale accompagnée des mécanismes de suivi
et de contrôle, l’accès à la justice serait une coquille vide.

A. Au plan international

La Déclaration Universelle des droits de l’homme du 8 décembre


1948 à son article 8 proclame que : « toute personne a droit à un recours
effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes
violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou
par la loi ». Ce droit est en outre consacré à l’article 10 du même instrument
juridique en ces termes : « Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que
sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal
indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit
du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

L’affirmation du principe de l’effectivité du recours devant une


juridiction compétente, renforce au plan international le pilier d’une justice
équitable garantissant ainsi à tous les citoyens un égal traitement et le droit à

176 Marc LACOURSIERE, Le consommateur et l’accès à la justice, in Les cahiers de droit, Vol.49,
n°1, 2008, p.99
177 François SIMARD e, Allocution, in Actes de la table ronde sur l’accès à la justice en Côte
d’Ivoire, Abidjan, 23 et 24 mars 2009, p4, www.onuci.org
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
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ce que leurs causes soient entendues devant les cours et tribunaux de leur
pays. Le principe du droit d’accès à un tribunal trouve également une
mention particulière dans les différents traités relatifs à la protection des
droits de l’homme : notamment le pacte international relatif aux droits civils
et politiques du 19 décembre 1966 à son article 2, la Convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale du 11 décembre 1965 à son article 6, la Convention contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10
décembre 1984 à son article 14 ; la Déclaration des Nations Unies du 13
septembre 2007, sur les droits des peuples autochtones à son article 40 ; le
principe 10 in fine de la Déclaration de Rio adoptée à la Conférence des
Nations Unies sur l’environnement et le développement réunie à Rio de
Janeiro du 3 au 14 juin 1992, qui impose aux Etats d’assurer un accès
effectif à des actions judiciaires et administratives, notamment des
réparation et de recours ; la résolution 67/1 de l’Assemblée Générale des
NU du 24/09/2012, qui insiste sur la garantie du droit à l’égal accès à la
justice, y compris aux membres de groupes vulnérables. La Convention des
Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à
l’égard de la femme de 1979, qui recommande aux Etats d’instaurer une
protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité avec
les hommes et garantir, par le truchement des tribunaux nationaux
compétents et d’autres institutions publiques, la protection effective des
femmes contre tout acte de discrimination. La Convention des Nations-
Unies relative aux droits de l’Enfant de 1989 à son article 37 reconnait à
l’enfant privé de liberté d’avoir accès à l’assistance juridique ou à toute
autre assistance appropriée, le droit de contester la légalité de la privation de
la liberté devant une autorité ou une juridiction impartiale, le droit à une
décision rapide ; enfin, l’annexe aux principes et lignes directrices des
Nations unies sur l’accès à l’assistance juridique dans le système de justice
pénale, adopté à l’Assemblée générale par la résolution 67/187, à New York
en octobre 2013, qualifiant l’assistance juridique d’une composante
essentielle de toute justice pénale équitable, humaine, efficace fondée sur la
légalité. Ce principe se trouve aussi exprimé, avec la même vigueur au
plan africain.

B. Au plan africain

La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée à la


dix-huitième conférence des chefs d’Etats et de Gouvernement en juin 1981
à Nairobi au Kenya, proclame l’égalité et la non-discrimination, y compris
devant les cours et tribunaux. En effet, aux termes de l’article 7 du texte
susmentionné, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue, le
droit de saisir les juridictions en cas de violation de ces droits, la
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présomption d’innocence, le droit de la défense, le droit à l’assistance d’un


conseil, le droit d’être jugé dans des délais raisonnables.

Il ressort donc de ce qui précède, que la considération africaine de ce


principe, tout comme le système universel, fait de celui-ci un principe
directeur dont l’observance induit le respect de l’ensemble des règles
minima d’un procès équitable.

Quant au Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des


peuples relatif aux droits des femmes adopté par la deuxième session
ordinaire de la conférence de l’Union africaine à Maputo le 11 juin 2003, à
son article 8, il recommande aux Etats, d’assurer l’égalité d’accès à la
justice et de protection devant la loi, l’accès effectif des femmes à
l’assistance et aux services juridiques et judiciaires, l’appui aux initiatives
locales, nationales, régionales et communautaires visant à donner l’accès à
l’assistance et aux services judiciaires.

Pour la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant adoptée


par Vingt-sixième Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de
l’OUA à Addis-Abeba, juillet 1990, non encore ratifiée par la RD CONGO,
à son article 17 concernant la justice pour mineur, prévoit le principe de la
présomption d’innocence pour l’enfant en conflit avec la loi ayant commis
un acte qualifié d’infraction, le droit à l’information sur les charges qui
pèsent sur lui, le droit à un interprète, le droit à l’assistance légale ou toute
assistance appropriée pour préparer et présenter sa défense, le droit à un
procès rapide devant une juridiction impartiale. Malheureusement le
système africain n’est pas sans écueils. Dans la déclaration de MUNYONYO
du 24 janvier 2012, sur la Justice des mineurs en Afrique, il est clairement
souligné que la mise en œuvre des droits de l’enfant est toujours très
difficile dans les systèmes de justice formel et informel. Les ONG doivent
en ce sens apporter une aide aux enfants pour leur permettre d’accéder à la
justice au travers du système judiciaire quand leurs droits ont été bafoués178.
En Afrique donc, il est constaté que la plupart des Etats ont des systèmes
juridiques et de gouvernance dualistes qui combinent à la fois le système de
justice informel qui est administré par les dirigeants de la communauté et les
autorités traditionnelles qui se basent sur les règles coutumières, et le
système de justice formel qui est administré par le pouvoir judiciaire et se
base sur les lois écrites, y compris les lois coloniales.

En effet, comme souligner dans l’affaire Atabong Denis Atemnkeng


contre l’Union africaine, requête n°14/2011, la Cour africaine des droits de
l’homme et des peuples n’offre aucune possibilité de saisine aux victimes de

178 Déclaration de Munyonyo sur la justice des mineurs en Afrique du 24/01/2012


Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
54

violations des droits de l’homme et des peuples ressortissants des pays qui
n’ont pas déclaré leur acceptation de la compétence de la Cour, pour
connaitre des affaires introduites contre eux. L’article 34 au point (6) de la
charte, accorde aux Etats partie le droit de décider si leurs victimes doivent
avoir accès à la Cour africaine ou non, contrairement aux principes
fondamentaux du droit. Ce faisant, ces justiciables n’ont accès à aucune
forme de justice, alors que la ratio legis de ce recours est non seulement de
fustiger les situations attentatoires aux droits et libertés fondamentales mais
aussi et surtout de corriger les erreurs des juridictions nationales. Ce cas de
figure, en définitive constitue une violation déplorable du droit d’accès à la
justice.

La Déclaration et plan d’action de Lilongwe de 2004 sur l’accès à


l’assistance juridique dans le système pénal en Afrique, introduit le
paradigme de diversification des services d’assistance juridique et judiciaire.
Elle extrapole le rôle des avocats dans un procès pénal, pour l’étendre en
complément ou en concurrence aux para- juristes. Enfin, Directives et
principes relatifs au droit à un procès équitable et l’assistance juridique en
Afrique (2001). Ces directives implorent aux Etats de mettre en place un
cadre juridique permettant aux para juristes de fournir une assistance
juridique de base.179

En sus c’est en garantissant judicieusement au citoyen le libre accès


au tribunal que les autres principes retrouvent leur fonction expressive en
permettant au juge de mettre en branle sa mission répressive.

C. Au plan national

La Constitution de la RD Congo du 18 février 2006, loi fondamentale


du pays, reprend la plupart des principes de déclaration intéressant les
garanties à assurer au justiciable en face de ses juges expressis verbis, dont
le principe du droit d’accès au juge affirmé à son article 19, alinéa quatre en
ces termes : « nul ne peut être ni soustrait ni distrait contre son gré du juge
que la loi lui assigne. Toute personne a droit à ce que sa cause soit
entendue dans un délai raisonnable par un juge compétent. Le droit de la
défense est organisé et garanti. Toute personne a le droit de se défendre
elle-même ou de se faire assister d’un défenseur de son choix et ce, à tous
les niveaux de la procédure pénale, y compris l’enquête policière et
l’instruction pré-juridictionnelle. Elle peut également se faire assister
devant le service de sécurité ».

179 Avocats Sans Frontières, Etude sur l’aide légale en République Démocratique du Congo
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 55

Qu’il soit dit en passant que l’interprétation de l’alinéa premier de ces


dispositions, laisse penser que le justiciable peut être soustrait ou distrait de
son juge naturel s’il marque son accord. Si cela est envisageable au civil où
les parties peuvent nommer leur propre juge appelé arbitre et restent
généralement maîtres de leurs actions en justice en vertu du principe du
dispositif, il n’en est pas ainsi au stade actuel de la procédure pénale, où le
procès pénal déborde le cercle privé pour embrasser la compétence
répressive du domaine public judiciaire. C’est donc le législateur seul, qui a
voulu attribuer la compétence de rendre justice en matière pénale,
exclusivement aux juges répressifs. Sauf évidemment pour certains
domaines notamment de la justice pour mineurs où, la médiation pénale est
envisageable. Dans d’autres infractions numériquement limitées, les parties
gardent une large manœuvre pour décider du sort à réserver à leurs
affaires. Il en est ainsi des infractions de grivèlerie, relatives aux droits
d’auteur, d’adultère, des infractions à la réglementation de change, de
concurrence déloyale, des infractions fiscales etc.

II. Le décryptage du principe de droit d’accès à la justice au


Nord-Kivu
L’accès à la justice comme déjà dit supra est un droit fondamental.
C’est un principe actuel mais pas nouveau. Il a évolué à travers les époques
et les espaces.

Elle est une notion fluide et absolument indispensable pour un Etat de


droit. Il est la mesure du respect d’une norme sociale. Bref, il est l’un des
piliers essentiels d’une société démocratique. C’est pourquoi, le degré de
civilisation d’un peuple ne se mesure pas uniquement à la qualité de sa
justice, mais également à la qualité de l’accès à cette justice.180 Enfin la
qualité des décisions de justice, l’un des indicateurs d’une bonne qualité de
justice. L’idée de la qualité de la justice est comparable à un triangle, dont
les côtés seraient l’efficacité, l’éthique et la légitimité.181

La notion de droit d’accès à la justice renferme avant tout le droit


d’accès au juge naturellement compétent, le droit de se faire conseiller,
défendre et représenter. C’est également le droit à un recours effectif devant
un tribunal, le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement,
publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et
impartial, le droit d’obtenir une aide juridictionnelle si l’on ne dispose pas

180 J. YAV KATSHUNG, 50ans déjà : la justice congolaise, à l’épreuve du temps ! in


www.contrôlecitoyen.com, p.6
181 S. LEYENBERGER, Propos introductif, in colloque sur la qualité des décisions de justice du 8 et

9 mars 2007, Ed. Conseil de l’Europe, Paris, 2007, p.7


Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
56

suffisamment des ressources pour la prise en charge de son affaire


judiciaire.

Elle peut également être comprise comme une possibilité pour toute
personne physique ou morale, d’introduire une requête en justice et
d’obtenir réparation lorsque ses droits ont été violés. En conséquence, le
droit d’accès à la justice implique qu’après le jugement et l’épuisement des
voies de recours subséquentes c’est-à- dire dès que la décision est coulée en
force de chose jugée, que son exécution se déroule sans entrave de toute
nature. Un jugement non exécuté n’en est pas un. Au lieu de contribuer à la
paix sociale, en laissant les choses dans leur prestin état, il attise la haine,
brise l’équilibre social et reste un facteur de regain des tensions tribales et
vengeance privée au Nord-Kivu. Bref c’est comme si un procès, pénal soit-
t-il, n’a jamais existé. Dans une de ses mercuriales, un ancien premier
président de la cour suprême de justice de la RD CONGO, n’avait-il pas fait
un réquisitoire remarquable contre la non-exécution des décisions
judiciaires dans un délai raisonnable en ces termes « la situation pour les
parties n’est-elle en fait presque la même que si la justice n’était pas
rendue »?182 L’inexécution injustifiée d’une décision de justice, quelle
qu’elle soit, crée une certaine vacuité juridictionnelle, dont l’induction
conduit sans ambages à une insécurité judiciaire. De telles carences dans
l’exécution des jugements, ne risqueraient-elles pas de faire perdre au
justiciable la confiance qu’il se doit d’avoir à l’égard de l’Etat.183 L’entrave
à l’exécution d’une décision de justice coulée en force de chose jugée,
enfonce davantage le plaideur dans la ruine.

L’accès au juge pour toute victime d’une quelconque infraction est


prémonitoire à la justice elle-même, surtout à la justice réparatrice. Des
personnes appartenant à des groupes vulnérables évoluant sous le prisme
des règles ne mettant pas en exergue leur état, subissent une exclusion de
fait de la société, à cela s’ajoute le caractère spécifique et technique de
certains litiges nécessitant un traitement particulier devant des juridictions
spécialisées, tels que le tribunal de travail à peine installé en province, le
tribunal de commerce, ainsi que le tribunal pour enfant ayant leurs sièges
uniquement à Goma et dont les compétences sont transitoirement attribuées
aux tribunaux de paix ou de grande instance selon le cas, là où ils sont
fonctionnels, à l’intérieur de la Province.

182 A. LIHAU Marcel, Discours prononcé à l’audience solennelle de rentrée judiciaire de la cour
suprême de justice du 16/12/ 1971 in Revue zaïroise de droit, semestrielle, n° 1, Kinshasa, 1972,
p. 60
183 Ibidem
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 57

A. Le droit d’accès à un tribunal compétent, indépendant et impartial

Le système juridictionnel classique et universel repose


substantiellement sur le juge. Ce droit, de manière implicite fait allusion à
un juge au sens strict, le droit d’un recours et le droit à un bon juge. Ce
dernier est la lame maitresse, mais pas unique, du droit d’accès à la justice.
Sans lui ce droit perd toute sa raison d’être.184 Les juges dans la diversité de
leurs fonctions, constituent les acteurs stratégiques du système judiciaire.
Leur rôle est prépondérant. Ils accusent (système procédural où il existe des
juges d’instruction), instruisent et rendent justice, selon leur affectation.185
Le paragraphe premier de l’article 14 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques garantit l’accès à un tribunal à toute personne qui
fait l’objet d’une accusation en matière pénale. Ce droit ne souffre d’aucune
restriction et toute condamnation prononcée par un organe autre que le
tribunal institué légalement est non avenue et incompatible avec le droit
d’accès à la justice. Le Comité des droits de l’homme des NU en
interprétation du texte précité a affirmé, à sa 90èsession du 9 au 27 juillet
2007 que « le droit à être jugé par un tribunal indépendant et impartial est
un droit absolu qui ne souffre d’aucune exception».186 L’indépendance et
l’impartialité sont deux notions complémentaires. Alors que la première
traduit une réalité extérieure objective, l’environnement extérieur dans
lequel opère le juge, la deuxième elle, renvoie à une attitude intérieure,
subjective, elle s’intéresse à la personne même du juge.

L’exigence d’impartialité et d’indépendance au juge est une condition


essentielle pour la jouissance du droit à la justice. La garantie
d’indépendance porte, en particulier, sur la procédure de nomination des
juges, les qualifications qui leurs sont demandées et leur inamovibilité
jusqu’à l’âge obligatoire de départ à la retraite ou l’expiration de leur
mandat, les conditions régissant l’avancement, les mutations, les
suspensions, et la cessation des fonctions ; et l’indépendance effective des
juridictions de toute intervention politique de l’exécutif et du législatif.187

Par impartialité il faut entendre la neutralité du juge, le fait pour le


juge de faire un sursaut intérieur pour ne pas laisser place à la basse-cour
dans ses décisions judiciaires. La garantie d’impartialité exige des juges, de
ne pas laisser des partis pris ou des préjugés personnels, influencer leur

184 N. FAURE et L ; BARROS, Droit d’accès à la justice des communautés locales et populations
autochtones (République du Congo),in Client Earth, Février 2014, p4.
185 MAHAMAN TIDJANI ALOU, la justice au plus offrant, Les infortunés du système judiciaire en
Afrique de l’Ouest (Autour du cas du Niger), in Politique africaine, n°83, octobre 2001, p.60.
186 Comité des droits de l’homme, Observation générale n°32, Article 14. Droit à l’égalité devant les
tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, 90è session, CCPR/C/GC/32, Genève, 9-
27 juillet 2007, p. 7
187 Ibidem
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
58

décision, ni nourrir d’idées préconçues au sujet de l’affaire dont ils sont


saisis, ni agir de manière à favoriser indûment les intérêts de l’une des
parties au détriment de l’autre. En second lieu, le tribunal doit aussi donner
une impression d’impartialité à un observateur raisonnable.188 Il ne peut être
limité dans son rôle primordial de dire le droit ou de rendre justice que par
la volonté de la loi. Il n’est soumis dans l’exercice de ses fonctions, qu’à
l’autorité de la loi ou de la coutume, qu’il n’applique que pour autant qu’elle
soit conforme à l’ordre public et aux bonnes mœurs189. Il est la bouche de la
loi. Laurent affirme ainsi sans équivoque que « le juge n’est point le
ministre de l’équité, il est l’esclave de la loi ». Dès lors, ajoute Duranton,
« le magistrat doit juger suivant la loi, fut-elle injuste.190 Cela implique
qu’il doit être neutre et n’accepter aucune interférence, de quelle que nature
qu’elle soit dans ses convictions personnelles relativement à la décision à
prendre. A ce titre, il doit refuser toute immixtion des pouvoirs législatif et
exécutif dans sa noble mission de dire ou de faire le droit quel qu’en soit le
coût.

Louis Assier-Andrieu n’a-t-il pas dit « Le juge est donc dans la


société, au confluent des relations complexes entre justice et société »191.
Enfin Aristote écrivit, « la justice est un juste milieu si du moins le juge en
est un »192, c’est que les penseurs représentèrent symboliquement par une
balance, traduisant l’équilibre entre acteurs intervenant dans le système
judiciaire.

Il doit toujours demeurer impartial quel que soit le prix à payer.


L’impartialité est la pierre angulaire d’un procès équitable193. Cependant si
l’on peut pénétrer les méandres des cours et tribunaux congolais un instant,
l’on découvrira à coup sûr un fossé entre ce qui est écrit, dit et fait ou vécu.
Mis à l’écart le dysfonctionnement objectivement déplorable du service
public judiciaire congolais, nous disons avec Louis Assier-Andrieu que
« aucun système judiciaire, même le plus soucieux d’équité, ne peut
éliminer totalement la part subjective du jugement. L’idéal abstrait d’une
justice aveugle et équitable est ainsi contredit au quotidien, par la
psychologie, les humeurs, les orientations idéologiques, les positions
sociales et les imprégnations culturelles de ceux qui jugent »194. Le droit au
juge compétent implique une triple garantie pour tout citoyen:
188 Idem, p.8
189 M. NKONGOLO TSHILENGU, op cit., p.15.
190 B. FRYDMAN, L’évolution des critères et modes de contrôle de la qualité des décisions de
justice, in colloque sur la qualité des décisions de justice du 8 et 9 mars 2007, Ed. Conseil de
l’Europe, Paris, 2007, p.20.
191 L. ASSIER-ANDRIEU, Le juge, la loi et le citoyen, idem, p.11
192 Ibidem, p.13
T. KAVUNDJA MANENO, Droit judiciaire congolais, T2, Procédure pénale, cours polycopié,
8è éd., Faculté de Droit UNIGOM, Janvier 2015, p107
194 L. ASSIER-ANDRIEU, Le juge, la loi et le citoyen, idem, p.13
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 59

Le droit d’être jugé par un tribunal compétent, suivant les règles de


droit et de procédure préexistantes, répondant aux exigences du principe
nullum crimen, nulla poena, nullum judicium sine lege (principe de la
légalité des délits et des peines et de procédure) et de l’égalité de tous
devant les cours et tribunaux. Ce droit implique que l’Etat ne doit pas priver
les juridictions ordinaires de leur compétence au profit de juridictions qui ne
suivent pas les procédures établies. Chaque citoyen a le droit d’être jugé par
les juridictions ordinaires selon les procédures légalement établies. Il est
proscrit par la Constitution de la RD CONGO, la création des commissions
de vérité ou tribunaux spéciaux en dehors de la loi. Il en résulte que les
décisions des structures extralégales créées par les occupants de facto de
certaines portions du territoire national sont caduques et donc considérées
comme ne contenant aucune vérité judiciaire. Que dirions- nous alors des
décisions judiciaires rendues par les juridictions légalement constituées mais
sur les zones sous occupations des forces négatives ou rebelles ; ou par les
juges nommés par ces dernières ? Suivant l’esprit de la Constitution, dans
cette hypothèse, la théorie de fonctionnaire de fait ne joue pas, étant donné
qu’il s’agit d’une anarchie absolue. De notre point de vue ces décisions sont
nulles ou du moins annulables. De telles décisions ne peuvent pas être
considérées comme bénéficiant d’un règlement juridictionnel.

B. Le droit de bénéficier d’un règlement juridictionnel indépendant de son


litige

Seul donc, un contrôle juridictionnel assure le respect des normes et


de leur hiérarchie. La responsabilité de créer, d’organiser et de gérer le
service public de la justice, et de conférer à tout citoyen le droit à un recours
au juge, aux fins d’obtenir une décision judiciaire incombe à l’Etat. Les
décisions des tribunaux ne peuvent être révisées par les autres pouvoirs, à
l’exception des mesures légalement prévues à prendre par les autorités
appropriées (la grâce présidentielle, la libération conditionnelle, l’amnistie
etc.).

Des actions doivent être menées pour assoir l’indépendance de la


magistrature. Les principes 1 à 7, des principes fondamentaux des Nations
unies relatifs à l’indépendance de la magistrature font obligation à l’Etat de
garantir et d’énoncer ce principe dans la Constitution ou la loi. Ce postulat
de base fait de l’indépendance de la magistrature une règle
constitutionnelle. La justice, y compris l’affectation des juges, doit
normalement s’exercer à l’abri de toute intervention injustifiée ou
d’ingérences extérieures. Les magistrats règlent les affaires d’après les faits
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
60

et conformément à la loi, sans restrictions et sans être l’objet d’influences,


d’incitation, de pressions, de menaces ou d’intervention indues, 195ou encore
de fluctuations de l’opinion publique.196

Un financement nécessairement important doit être garanti, tant sur le


plan institutionnel que sur celui des salaires, aux juges. Il est généralement
admis qu’un financement approprié est essentiel au fonctionnement d’une
justice efficace et indépendante.197 Ce financement sous-entend aussi une
rémunération juste et digne des magistrats. Cette idée est reprise par l’article
25 de la loi organique n° 06/020 du 10 octobre 2010 portant statut des
magistrats : « Les magistrats bénéficient d’une rémunération suffisante à
même de conforter leur indépendance ». Plaise aux pouvoirs publics de faire
en sorte que cette disposition ne consacre pas un droit « en noir et blanc »,
écrit à l’encre noire sur du papier blanc mais qui demeure lettre morte dans
la pratique.198

Ce principe, en dépit de la large adhésion dont il bénéficie dans tous


les systèmes juridiques, ne signifie pas que le pouvoir judiciaire
bénéficierait d’une indépendance absolue, ce qui serait inadmissible dans un
état de droit. Dans cet ordre d’idées, Daniel John Meador précise que selon
la théorie démocratique, en effet, la souveraineté appartient au seul peuple.
Aussi, le judiciaire, de même que les deux autres pouvoirs, a-t-il, en
dernière analyse, des comptes à rendre à la nation.199 Si l’on appréhende le
concept indépendance non comme un privilège du juge, mais un droit de
citoyen, l’on est heureux de souligner que l’indépendance n’est pas une
prérogative ou un privilège octroyé dans l’intérêt du juge, mais elle est
garantie dans l’intérêt de la prééminence de ceux qui recherchent et
demandent la justice.200

Ainsi donc la justice doit être saisie comme un instrument au service


de la communauté. Comme le précise Stéphane Leyenberger, « un tabou est
tombé : le juge est descendu de son piédestal pour aller à la rencontre du
citoyen et reconnait qu’il a des obligations vis-à-vis de la communauté ».201

La qualité de ses prestations est jugée par son premier destinataire, la


communauté. Les politiques publiques de service public judiciaire devront
195 Nations Unies, Accès à la justice. L’indépendance, l’impartialité et l’intégrité de la magistrature,
compilation d’outils d’évaluation de la justice, New York, 2008, p5.
196 D. John MEADOR, Les tribunaux américains, Nouveaux horizons ARS, Paris, 1997, p.71.
197 Nations unies, Idem
198 KATUALA KABA KASHALA, MWANZA KATUALA, KASANDA KATUALA, Initiation à la

pratique de cassation, Ed. Batena Ntambua, Kinshasa, 2015, p.7


199 D. John MEADOR, Op Cit., p. 71.
200 S. LEYENBERGER, « Propos introductif », in colloque sur la qualité des décisions de justice du

8 et 9 mars 2007, Ed. Conseil de l’Europe, Paris, 2007, p.5


201 Idem, p.7
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 61

être orientées vers davantage de qualité, d’équité et d’efficacité, au bénéfice


des citoyens. Le droit tel que l’appliquent les tribunaux englobe tout et
tous : nul n’échappe à ses sanctions, nul n’est privé de sa protection.202

Toutefois l’on doit se garder de penser que juger avec indépendance


met à l’abri le juge, de la censure du mal jugé. Il ne suffit pas d’avoir jugé
de manière indépendante pour avoir bien jugé.203 Au-delà d’une affirmation
textuelle de ce principe d’indépendance en RD Congo, une certaine
relativité s’observe, et une réserve reste de mise. Les états généraux de la
justice tenus à Kinshasa, du 27 avril au 2 mai 2015, fustigeaient le
dysfonctionnement du pouvoir judiciaire, en relevant les atteintes à son
indépendance204 par les faits saillants mais non les seuls ci-après :

L’interférence des autres pouvoirs et services dans le fonctionnement


du pouvoir judiciaire, interférence de l’exécutif dans l’exécution des
décisions judiciaires, atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire par des
révocations irrégulières et illégales, influence négative et interférences du
commandement sur les magistrats militaires du fait du grade inférieur de
ceux-ci, mauvais fonctionnement du pouvoir judiciaire, modicité de
rémunérations des magistrats et enfin le frein au fonctionnement régulier du
pouvoir judiciaire. Ces éventails, non exhaustifs, resteront peut- être pour
longtemps, les points d’achoppement de la sécurité judiciaire en République
Démocratique du Congo.

D. Le droit de se faire conseiller, défendre et représenter

La plupart des textes internationaux et nationaux susmentionnés font


également de l’assistance juridique et juridictionnelle l’un des socles d’un
procès équitable.

Le principe1 de l’annexe aux principes et lignes directrices des


Nations Unies sur l’assistance juridique dans le système de justice pénale,
place le principe d’assistance juridique au cœur de tout système de justice
pénale efficace qui repose sur la primauté du droit, un fondement pour la
jouissance d’autres droits, notamment le droit à un procès équitable et une
protection importante qui garantit l’équité fondamentale et la confiance du
public dans la justice pénale.

Dans le préambule des principes de Lilongwe, les signataires déclarent


que, « l’accès à la justice dépend de la garantie des droits à un juste respect

202 D. John MEADOR, Op Cit., p.4.


203 Idem, p.6
204 NYABIRUNGU mwene SONGA, Rapport général des Etats généraux de la justice, RD CONGO,

Kinshasa, Août 2015, p.p. 11-12


Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
62

des procédures, le droit d’être entendu équitablement et du droit de


bénéficier d’une représentation légale ».

Ainsi, la première recommandation déjà, laisse entrevoir dans le chef


de chaque gouvernement l’entière responsabilité de reconnaitre et soutenir
l’accès à l’assistance judiciaire pour les personnes aux prises avec la justice
pénale. Le succès d’un procès, un jugement équitablement rendu, est
tributaire d’une défense mieux assurée, c’est-à-dire d’une prise à charge
efficiente et effective des justiciables, mettant en vedette, l’égalité des
armes entre parties. Seule l’intervention d’un avocat peut garantir que le
point de vue du justiciable soit clairement.205 C’est que sans elle, on ne peut
nullement s’assurer d’un accès à la justice. Elle est le fondement solide de
l’équilibre entre parties au prétoire. L’assistance d’une partie seulement, au
procès, serait une violation irréfragable du principe d’égalité des armes,
gage du droit d’accès à la justice. Il ne peut en être ainsi dans une société où
il est organisé l’institution d’aide juridique ou légale.

E. L’aide juridique

L’aide judiciaire n’est pas organisée en droit congolais, néanmoins il


en existe une bribe dans des dispositions éparses de l’arsenal juridico-
judiciaire congolais dont notamment : L’article 146 du code de procédure
civile dispose que « la partie indigente est dispensée, dans les limites
prévues, de la consignation de frais » et « les frais d’expertise et les
taxations à témoins sont avancés par le trésor » ; il s’agit ici d’une règle
générale en la matière.

L’article 123 du code de procédure pénale à son tour prévoit que « si


la partie qui doit consigner les frais est indigente, ceux-ci sont avancés en
tout ou partie par le trésor. L’indigence est constatée par le juge ou par le
président de la juridiction devant laquelle l’action est ou doit être intentée ;
ce magistrat détermine les limites dans lesquelles les frais sont avancés par
le trésor ». « En cas d’indigence constatée par le juge ou par le président de
la juridiction qui a rendu le jugement, la grosse, une expédition, un extrait
ou une copie peut être délivrée en débet. Dans le même cas, le paiement
préalable du droit proportionnel n’est pas une condition de la délivrance de
la grosse, d’une expédition, d’un extrait ou d’une copie de jugement ».

L’article 33 de la loi organique n° 13/010 du 10 février 2013 relative


à la procédure devant la Cour de Cassation reprenant in extenso l’article 33
de l’ordonnance-loi n° 82-017 du 31 mars 1982 relative à la procédure
devant l’ancienne Cour Suprême de Justice dispose que « compte tenu des

205 D. John MEADOR, Op cit., p.85


Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 63

ressources des parties, dispense totale ou partielle de consignation ainsi


qu’autorisation de délivrance en débet des expéditions et copies, peuvent
être accordées sur requête, par le premier président. L’ordonnance de
dispense ou d’autorisation n’entre pas en taxe. En cas de dispense totale ou
partielle de consignation, les frais d’expertise et les taxations à témoins sont
avancés par le trésor ».

Le décret-loi du 13 mars 1965 relatif aux frais de justice en matière


non contentieuse prévoit que « les indigents seront dispensés de la
consignation et du paiement des frais. L’indigence sera constatée par un
certificat délivré par l’autorité administrative compétente la plus proche du
lieu où réside l’intéressé ». Tous ces textes mettent en confiance le plaideur
indigent relativement aux frais de justice à payer au compte du trésor et les
frais de vacation et honoraires de l’Avocat qui sont eux fixés en vertu de
l’ordonnance-loi n°79-028 du 28 septembre 1979 portant organisation du
Barreau et du corps de défenseurs judiciaires et des mandataires de l’Etat.

Toutefois, l’article 19 de la Constitution de 2006 garantit aux suspects,


le droit de se défendre eux-mêmes ou de se faire assister d’un défenseur de
leur choix. Prendre un défenseur de son choix présuppose, que le plaideur a
les moyens de subvenir aux frais que provoque le règlement judiciaire d’un
litige pénal. Mais, les plaideurs qui n’ont pas les moyens de se payer un
avocat, ont peu de chances de pénétrer tout le rouage de la justice et d’ester
convenablement en justice. D’où la consécration par la loi d’une sorte de
solidarité judiciaire qui impose l’organisation dans chaque Barreau, d’un
bureau de consultations gratuites.

Cette notion connait une certaine évolution dans le temps et dans


l’espace. Selon le moment et le lieu, elle est désignée par l’appellation de
l’assistance judiciaire, aide judiciaire et actuellement aide juridique en
France.206 On la désigne parfois sous l’appellation d’aide légale ou d’aide
juridictionnelle sous d’autres cieux. En RD CONGO l’avant-projet de loi
sur l’assistance judiciaire de la commission permanente de réforme du droit
congolais entretient une confusion en ravalant toutes ces institutions dans
l’assistance judiciaire, faisant fi de son aspect diachronique. Cette institution
de portée limitée a été abandonnée en France puisque misérabiliste, sa
récupération imparfaite dans l’avant-projet de la RD Congo, apparait
comme une redondance différentielle des notions qui sont censées culminer
sur les mêmes résultats, à savoir : l’aide juridictionnelle, l’assistance
judiciaire gratuite et l’aide à l’accès au droit. En effet, selon ce projet,
l’assistance judiciaire consiste à dispenser, en tout ou en partie, ceux qui ne
disposent pas de revenus nécessaires pour faire face aux frais d’une
206 S. GUINCHARD, G. MONTAGNIER, A. VARINARD, T. DEBARD, Institutions
juridictionnelles, 10ème Ed. Dalloz, Paris, 2009, p.230
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
64

procédure judiciaire, même extrajudiciaire, de payer les droits divers tels


que ceux : d’enregistrement, de greffe et d’expédition et les autres dépens
qu’elle entraine. Quant à l’aide juridictionnelle, elle consiste à faire
bénéficier les personnes ayant des faibles revenus, d’une prise en charge par
l’Etat des frais de la rétribution des avocats commis ou désignés ou de tout
autre conseil. Il définit en outre l’assistance judiciaire gratuite comme un
soutien juridique fourni par un avocat ou par tout autre conseil aux
bénéficiaires de l’aide juridictionnelle dans les conditions définies. Enfin
l’aide à l’accès au droit qui intervient en dehors de tout procès sous une
quadriptyque d’actions : l’information des personnes sur leurs droits et leurs
obligations en général, l’aide dans l’accomplissement de toute démarche en
vue de l’exercice d’un droit ou de l’exécution d’une obligation juridique et
l’assistance au cours des procédures non juridictionnelles, la consultation en
matière juridique et l’assistance en vue de la rédaction d’un acte juridique. Il
s’agit ni plus ni moins d’une redondance malveillante, la seule qualification
d’aide juridique suffit pour ravaler l’ensemble des mécanismes proposés
par cet avant-projet de loi. En outre il limite les bénéficiaires à titre
principal, les personnes physiques exceptionnellement les personnes
morales à but non lucratif ayant leur siège en RD CONGO. Nous pensons
de notre part qu’on peut inclure dans ce cercle des bénéficiaires les
entreprises commerciales en difficulté, en instance de faillite ou en
recomposition économique, à la suite d’une récession économique. Ces
dernières ayant en besoin une bouffée d’oxygènes pour leur redécollage.

L’assistance juridique c’est l’ensemble d’actions et des dispositions


visant à permettre le respect et l’exercice effectif des droits de personnes
confrontées à des problématiques de droit et notamment non exclusivement
dans le cadre de procédures judiciaires ou administratives. Autrement dit
l’aide judiciaire est la contribution apportée par l’Etat destinée à permettre
aux personnes dont les revenus sont insuffisants de faire valoir leurs droits
en justice, en matière gracieuse comme en matière contentieuse, en
demande, comme en défense, et devant toutes les juridictions.207

L’aide juridique est absolument un vivier de la bonne administration


de la justice. Elle est une haute expression et une autre marque
d’imprégnation d’un procès équitable, celui d’égalité des armes entre parties
au procès.

Sans l’aide judiciaire il ne peut y avoir de véritable accès à la justice


pour tous.208 Pour mettre la justice à la portée du plus grand nombre, dans
des conditions d’égalité, il faut d’abord que le service public soit gratuit, il

207 Lire l’avant-projet de loi sur l’assistance judiciaire en RD Congo, p.13


208 C. METAYER, L’accès à la justice : un droit fondamental/ Le point de vue de l’Avocat in
conférence vers un accès des citoyens à la justice, Bruxelles, 24-26 octobre, 2002, p.2.
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 65

faut aussi que le concours des auxiliaires de la justice le soit aussi. Sous
d’autres cieux ce système repose financièrement sur une dotation annuelle
de l’Etat à chaque barreau, calculée selon un coefficient et une unité de
valeur de référence.209

Le champ d’action des Bureaux de consultations gratuites est limité,


car ne reçoivent aucun financement du Gouvernement et sont connus peu
ou prou par les usagers du service public judiciaire au Nord-Kivu.210

Par l’ordonnance-loi n°79-028 du 28 septembre 1979 portant


organisation du Barreau et du corps de défenseurs judiciaires et des
mandataires de l’Etat à l’article 43 al.2 in fine, il est prévu le
fonctionnement auprès de chaque Barreau, d’un bureau des consultations
gratuites qui a en charge, la défense et l’assistance en faveur des indigents.
Les dispositions des articles 90 et suivants du règlement-cadre des barreaux
du Congo, du 19 août 1987, précisent sa composition et les modalités de son
fonctionnement. Malheureusement dans beaucoup de barreaux, ces bureaux
restent non fonctionnels, entrainant de ce fait, un faible accès à la justice.
Sur toute l’étendue de la Province, il n’y a qu’un seul bureau de
consultations gratuites du Barreau à Goma, ce qui n’est pas de nature à
favoriser une assistance judiciaire adéquate. Aussi, ce bureau de
consultations gratuites n’est pas utilement et rationnellement utilisé par les
justiciables. En effet, un seul bureau de consultations gratuites du Barreau
de Goma sur un territoire aussi vaste que le Rwanda, n’est qu’une goutte
d’eau dans l’océan. Néanmoins d’autres organisations non-
gouvernementales (ONG), organisent d’autres structures d’assistance
judiciaire gratuite, dont on ne peut apprécier la consistance substantielle
pour l’instant, mais qui contribuent à résorber temporairement cette carence.

Ces ONG bénéficient d’un financement exclusivement étranger,


l’Etat congolais ne déboursant aucun rond dans son budget pour
l’assistance judiciaire gratuite. Ces structures fonctionnent en mode
d’urgence et non durable et sont appelées à disparaitre et laisser la place au
BCG du Barreau de Goma. C’est pourquoi la capacitation administrative et
financière du BCG, et la décentralisation de celui-ci jusqu’au niveau des
sections du Barreau de Goma, seraient deux atouts majeurs. Plusieurs pistes
de solutions sont envisageables, afin d’améliorer l’accès à la justice et son
corolaire l’accès à l’assistance judiciaire et juridique avec comme
soubassements l’orientation des services, en fonction de la demande ; le

209 S. GUINCHARD, G. MONTAGNIER, A. VARINARD, T. DEBARD, Institutions


juridictionnelles, 10ème Ed. Dalloz, Paris, 2009, p.230
210 AMNISTY INTERNATIONAL, Il est temps que justice soit rendue. La République
Démocratique du Congo a besoin d’une nouvelle stratégie en matière de justice, août 2011, p.49.
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
66

financement durable ; la coordination et la coopération entre les acteurs


étatiques et non étatiques ; la complémentarité des méthodes formelles et
traditionnelles des résolutions de conflits et la participation des para
juristes.211

Ceci passe impérativement par l’allocation par l’Etat, au service


d’utilité publique des Barreaux, d’une enveloppe budgétaire consistante,
pour la prise en charge de l’assistance judiciaire automatique des victimes et
prévenus et par extension des témoins en matière pénale. Pour l’année 2013,
la ligne budgétaire affectée à la « justice pro deo » était de 55.618 USD pour
toute la République, soit 5056 USD par province. Ceci montre en suffisance
que l’aide judiciaire le maillon faible de la chaine des crédits budgétaires.
Dans une province comme la nôtre, cinq mille cinquante-six dollars
américains sont tellement modiques, qu’ils ne peuvent subvenir même à 1%
des litiges. Retenons quand même que c’est un pas important vers le
financement de l’institution « aide judiciaire », même si ces montants,
minimes soient-ils ne sont jamais décaissés. Sans cela, le principe de
l’égalité des armes restera encore pour longtemps inefficace, et du coup,
l’accès à un procès juste et équitable restera toujours inopérant.

Il est évident, dans l’état actuel des choses, que les prestataires des
services d’aide juridique sont confrontés à deux défis majeurs, d’une part
celui de la disponibilité de services adéquats, et d’autre part à un coût
raisonnable et accessible.212

Quoi qu’il en soit, la politique publique d’aide juridique de la RD


CONGO, prendra corps en opérant un choix entre les modèles ci-dessous
en œuvre dans d’autres pays :

1. Le modèle caritatif

Ce modèle repose sur une prestation de services juridiques et


judiciaires en faveurs des personnes vulnérables par des entités caritatives
privées. Le nombre de bénéficiaires dépend donc du financement privé et
de la volonté des acteurs judiciaire.213 C’est le modèle en vogue
actuellement au Nord-Kivu.

211 F. SIMARD, op cit., p.5


212 Ibidem
213 L’ONUCI, Note d’orientation sur l’assistance judiciaire et d’aide juridique, in Actes de la table

ronde sur l’accès à la justice en Côte d’Ivoire, ONUCI, Abidjan, p.52


Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 67

Il faut noter que le Barreau de Goma attribue, généralement des


dossiers pro bono aux avocats stagiaires, qui les gèrent sous la supervision
des patrons des cabinets d’avocats. C’est d’ailleurs sur pied de la gestion des
dossiers judiciaires pro deo ou pro bono que les rapports d’aptitude
professionnelle sont échafaudés par les avocats stagiaires. Leurs
interventions, théoriquement pro deo, relèvent en réalité du pro bono, si non
d’un exercice déficitaire, compte tenu de l’absence de rétribution ou même
de défraiement par les pouvoirs publics et/ou les Barreaux).214

C’est en guise de cette pratique aussi, que les ONG œuvrant dans le
secteur de la justice, en collaboration parfois avec le barreau, ont créé des
cliniques juridiques, surtout en matière des violences sexuelles, afin de
faciliter l’accès aux cours et tribunaux aux victimes de ces actes ignobles.
La République Démocratique du Congo (RD CONGO) compte beaucoup,
sur les initiatives de la société civile, afin de répondre à la demande de
services juridiques dans un pays affligé par la guerre. L’ONG internationale
Avocats Sans Frontières sensibilise les populations à leurs droits par
l’entremise d’émissions de radio ; offre des conseils juridiques dans les
« boutiques de droits » ; assiste les parties devant les tribunaux en
collaboration avec des barreaux des avocats,215 y compris le Barreau de
Goma. C’est ici l’occasion de souligner que l’ASF est le partenaire financier
du Barreau de Goma qui se classe au premier rang, dans le secteur des
violences sexuelles. Ce modèle, est usité aussi, au Nord-Kivu, par
l’Association du Barreau Américain (ABA Rule of Law Initiative) en sigle.
D’autres organisations internationales, à la tête desquelles la MONUSCO
par le truchement du Bureau de Nations unies pour la protection des droits
l’homme à l’Est de la RD Congo, le PNUD interviennent en matières de
violences sexuelles en apportant un appui modeste mais substantiel aux
victimes des violences sexuelles. Il est difficile d’évaluer à sa juste valeur,
ce genre d’intervention, car faite toujours en exclusion du Barreau.
Malheureusement, ces types de système sont en vedette dans les pays
pauvres, surtout pays post-conflits et devront disparaitre au moment où
l’Etat recouvre tous ses attributs de puissance publique. La RD Congo se
déploie à tourner la page sombre de régime caritatif vers un régime stable et
durable. L’avant-projet d’aide juridictionnelle, plaide en faveur du système
judicaire.

2. Le modèle judicaire,

En vertu de ce système, l’Etat rémunère les avocats offrant des


services d’aide judiciaire ou juridique. Le bénéficiaire, éligible à ce modèle

214 A. Meyer, Etude sur l’aide légale en République démocratique du Congo, Avocat Sans Frontières,
Janvier 2014, p.2
215 Idem, pp. 63-64
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
68

dispose d’un droit d’engager son propre avocat, qui par la suite facture ses
prestations à l’agence gestionnaire des fonds. Cette entité administrant le
système peut être le barreau, un bureau d’assistance judiciaire, un tribunal
ou une structure gouvernementale selon le cas. C’est ce modèle qui est
proposé par l’avant-projet de loi sur l’assistance judiciaire de mai 2012, de
la Commission permanente de réforme du droit congolais. A son article 17 il
est dit : «il est institué un bureau d’aide juridictionnelle auprès de chaque
juridiction». La liberté de choix de l’avocat ou du conseil est laissée à
l’appréciation du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle.216 Les clients
choisissent leurs avocats parmi ceux qui ont accepté de participer à ce
mécanisme. Les avocats sont rémunérés directement, sur les deniers publics,
pour leur travail, au cas par cas. Toutefois ce système n’est pas sans écueils,
la faiblesse la plus notable du système judicaire reste son coût, surtout
comparativement aux autres modèles de prestations de services
juridiques.217 Néanmoins soulignons une induction par le coût d’une
meilleure qualité des prestations.

3. Le modèle contractuel

Dans ce système le gouvernement « passe un contrat avec un cabinet


d’avocats, un barreau local, une ONG ou parfois un juriste indépendant pour
la prestation d’une assistance judiciaire dans un certain nombre d’affaires
moyennant une rémunération fixe par affaire ». La différence entre ce
modèle et le système judicaire est que dans ce dernier, les bénéficiaires
reçoivent une allocation avec laquelle ils peuvent rémunérer tout avocat
participant, tandis que dans le modèle contractuel les avocats acceptent
d’assurer des services bien précis à un prix fixe.218

4. Le modèle du défenseur public ou salarié

Ce modèle permet à des entités étatiques d’embaucher des avocats


salariés à temps plein, lesquels se chargent de toutes les affaires qui leurs
sont transmises moyennant un salaire fixe. Dans ce modèle, la
représentation en justice est fournie par l’intermédiaire d’une agence
gouvernementale. L’efficacité présumé de ce modèle part du principe que
« des défenseurs publics à plein temps, travaillant exclusivement sur les
affaires pénales devraient être capables d’offrir aux indigents un service de
meilleure qualité que des avocats privés nommés par les tribunaux et pas
nécessairement spécialisés dans le droit pénal ». Ce modèle s’avère plus
216 L’article 35 de l’avant-projet de loi sur l’assistance judiciaire de mai 2012, de la commission
permanente de réforme du droit congolais
217 Thomas F. GERAGHTY et ali,, L’accès à la justice : Problèmes, modèles et participation des

non-avocats à la prestation de services juridiques.


218 Idem,
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 69

économique que les autres modèles sus référencés, mais le nombre


d’affaires est si considérable et le manque d’indépendance vis-à-vis des
autorités politico-administratives est souvent si considérable qu’il nuit à la
qualité de la représentation en justice. Lorsque les défenseurs publics ne
bénéficient pas d’une indépendance structurelle et financière vis-à-vis du
gouvernement, on peut raisonnablement penser que la représentation en
justice offerte aux pauvres ne fait que « conférer une apparence de
légitimité à un système dépourvu d’équité ».219 Or, l’indépendance de
l’Avocat est le socle, le vivier de l’égalité des armes entre parties à un
procès pénal.

5. Le modèle mixte ou contingent,

Ce système est la combinaison de deux ou plusieurs modèles dans un


même système qui, par moment interagissent ou évoluent en autarcie selon
les Etats. Bon nombre des pays font appel à un panachage des différents
systèmes. L’Afrique du Sud et Israël en sont deux exemples. 220 On peut
imaginer de systèmes ou modèles les plus efficients du monde, mais tant
que la couverture d’aide judiciaire sera en deçà des attentes des citoyens,
surtout des paysans dans des milieux ruraux, on restera toujours en face
d’une justice en béquilles. La forte concentration des Avocats et défenseurs
judiciaires dans les grandes villes de la province, et leur quasi absence dans
des milieux ruraux, prive la majorité de la population du droit à la défense,
lequel n’est pas toujours de qualité en raison de l’absence de mécanismes de
contrôle. C’est à l’occasion de l’organisation des audiences foraines des
juridictions provinciales dans les centres villes et territoires de la province,
notamment la cour militaire opérationnelle, rarement la cour militaire et le
tribunal militaire de garnison de Goma, la cour d’appel de Goma et le
tribunal de grande instance de la ville portant le même nom, tribunaux de
grande instance de Beni et Butembo, qu’un panel d’avocats se déplace au
chef lieux des territoires de la province : Walikale, Masisi, Rutshuru,
Lubero, Beni territoire, ou dans les grandes agglomérations de ces
territoires, Oitcha, Kasindi, Bweremana, Kichanga, Kiwanja, Bunagana,
Kaina, Kanyabayonga etc. Ces déplacements sont pris en charge de façon
intermittente ou ensemble entre certaines organisations dont le PNUD,
l’ASF, l’ABA et la MONUSCO etc. En dehors de ces cas, les tribunaux
dans les milieux ruraux, fonctionnent sans la présence des avocats, mais
exceptionnellement avec les défenseurs judiciaires généralement peu
expérimentés et nouvellement admis au syndic, devant les juges peu
expérimentés aussi nouvellement promus ou nommés par le biais d’un
procédé on ne peut plus clientéliste, teinté d’un certain tribalisme. C’est là,

219 Idem, pp. 66-67


220 Idem, pp. 71-72
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
70

la négative part contributive du conseil supérieur de la magistrature dans le


dysfonctionnement de la justice.

Tous ces modèles d’aide judiciaire reposent très largement sur la


présence et l’intervention des avocats souvent indisponibles et trop couteux,
en particulier pour la majorité de la population indigente des zones rurales.
Une politique nationale incitative dans le secteur de l’aide juridique est
prioritaire afin de faciliter l’installation des avocats dans les milieux reculés
de la province. Dans certains pays, en vue de résorber cette carence, on a
commencé à expérimenter un système hors barreau, utilisant les non
avocats dans le système d’aide juridictionnelle.

6. Le modèle para-juridique

Ce modèle qui fait appel aux non avocats et parfois aux non juristes
pour l’assistance judiciaire pro bono, est moins coûteux et permet une
participation en masse de plus démunis aux procès pénaux. C’est en quelque
sorte une participation démocratique de la population, surtout dans les
milieux les plus reculés des pays en développement. Ce système a plus
explosé en Afrique du Sud qui s’appuie sur l’utilisation de para-juristes en
matière pénale, surtout dans des zones rurales et pauvres. Ce mécanisme fait
recours aux para-juristes, aux cliques juridiques au sein des facultés de droit
et le système du bénévolat. Le paralegal Advisor Service du Malawi est
décrit ailleurs comme une réussite. Ce système a fait ses preuves et a été
repris au Benin, au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie et éveillé l’intérêt du
Népal et de Bangladesh ; il fait appel à des para- juristes formés pour
identifier les détenus en détention préventive et les prisonniers condamnés
susceptibles de bénéficier d’une remise en liberté. Ces para-juristes
apprennent également aux détenus à remplir des demandes de libération et à
présenter leurs dossiers au tribunal.221 Au Nord-Kivu, ce modèle a fait
irruption dans le système judiciaire. On constate un foisonnement des
cliniques juridique surtout dans des structures de santé (Heal africa, Hôpital
de Keshero, Centre hospitalier SHIFAA pour la communauté islamique du
Nord-Kivu) et dans des universités (Faculté de Droit de l’Université de
Goma). D’ailleurs la clinique juridique de la Faculté de droit de l’Université
de Goma a vu le jour sous l’impulsion d’une organisation sud-africaine
rodée dans le domaine d’assistance para-juridique. Ce système quoi que
participatif n’est pas sans désavantages. C’est que le gros du lot, est
constitué des personnes sans formation basique. Ils interviennent dans ce
domaine avec des limites inhérentes à cette carence. En effet, tel que ce
système est conçu, ces acteurs sociaux ne peuvent jouer pleinement ce rôle,
puisque ne peuvent pas affronter jusqu’au bout la complexité des règles

221 Thomas F. GERAGHTY et ali, L’accès à la justice : Problèmes, modèles et participation des non-
avocats à la prestation de services juridiques, p.73
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 71

procédurales pénales, en défendant leurs clients devant le prétoire. Une


tâche qui reste encore entièrement dévolue aux seuls avocats et défenseurs
judiciaires, jouissant du monopole d’assistance en justice.

7. Quel modèle pour la R D Congo ?

La RD Congo étant un pays post conflit devrait adopter un modèle,


parmi ceux qu’offre la pratique d’autres Etats. Le modèle imposant aux
barreaux l’ouverture d’un bureau des consultations gratuites, par
l’ordonnance-loi n°79-028 du 28 septembre 1979, portant organisation du
barreau, corps de défenseurs judiciaires et du corps des mandataires de
l’Etat, encore en vigueur, est un système sui generis. En effet, ce modèle
n’induit aucune obligation financière à charge de l’Etat congolais. Ce qui
nous conduit de conclure à l’inexistence d’un système d’aide judiciaire en
RD CONGO. Pour nous, le primordial critère de reconnaissance de
l’organisation et du fonctionnement d’un système d’aide juridique, c’est son
financement par l’Etat.

Le règlement intérieur cadre des barreaux du Congo, impose ce devoir


à tous les avocats inscrits au tableau et stagiaires, à l’exception du
Bâtonnier national, des bâtonniers, des membres du conseil national de
l’Ordre et des membres du conseil de l’ordre en fonction, des anciens
bâtonniers nationaux et bâtonniers ainsi que les anciens assesseurs ou
présidents des bureaux des consultations gratuites.222

Toutefois, poursuivant le même texte, suivant certaines circonstances


exceptionnelles, dont notamment le nombre limité ou insuffisant des
avocats évoluant dans le ressort du barreau concerné, non dispensés de la
désignation d’office par le bureau des consultations gratuites223, les
personnalités suscitées restent désignables.
Dans la pratique du barreau de Goma, généralement, seuls les
avocats stagiaires sont désignés par le bureau des consultations gratuites,
sans que rien ne justifie cette attitude contra legem.

En définitive, compte tenu des moyens financiers que devraient


occasionner, beaucoup de ces modèles, transitoirement selon nous, le
système de défenseur public ou d’avocat salarié serait adopté pour l’aide
légale en attendant la mise sur pied du modèle contractuel ou dans une
certaine mesure, le modèle judicaire est à même de résorber la crise de
l’égalité des armes devant le prétoire.

222 Article 90 du règlement intérieur cadre des barreaux du Congo.


223 Ibidem
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
72

En conclusion, chaque système a ses avantages et ses écueils, avec la


ferme volonté et la capacitation financière conséquente de ces structures par
l’Etat, n’importe quel modèle peut être bénéfique à la société. Telle est
d’ailleurs la recommandation des états généraux de la justice, demandant à
l’Etat congolais de rendre disponible les fonds alloués aux différents
barreaux pour l’assistance pro deo.224

L’aide judiciaire ne peut être assurée de façon efficace et efficiente


dans un pays où l’accès à un juge demeure encore confronter à plusieurs
obstacles.

III. Les entraves au principe du droit d’accès à la justice au


Nord-Kivu
Le droit d’accès à la justice s’évanouie devant des réalités tatillonnes,
faisant de la Province du Nord-Kivu, l’une des régions mondiales
d’insécurité juridique et judicaire. Le superlatif n’est pas un piètre mot en
matière d’insécurité généralisée dans cette zone. L’accès à la justice est
limité par certains facteurs structurels et conjoncturels.

Les facteurs structurels, prennent en compte l’inaccessibilité


géographique, matérielle et financière à un tribunal compétent, par tout
justiciable par rapport à son lieu d’habitation, la situation du tribunal ainsi
que le coût à engager pour y accéder et les difficultés liées à la complexité
des procédures. A ce titre, l’accès aux tribunaux est très restreint suite à
l’éloignement des cours et tribunaux, surtout en dehors des principaux
centres des territoires administratifs et villes de la Province. Aussi, la
procédure judiciaire militaire ne favorise pas l’accès à la justice libre et
indépendante au justiciable. Premièrement, il lui est privé en dehors de
l’auditorat militaire, de saisir une juridiction militaire, comme c’est le cas
pour les juridictions de droit commun, devant lesquelles les justiciables
disposent d’une possibilité de se pourvoir en justice, par le procédé de
citation directe lorsqu’il constate que des manœuvres obscures, l’officier du
ministère public bloque la machine de poursuite. Il est clair que le rejet de la
citation directe procède d’une conception désuète de la justice comprise non
comme faisant partie du pouvoir judiciaire mais plutôt comme un bras, un
bâton du commandement.225 La réforme en ce sens s’impose pour rendre
aux justiciables des juridictions militaires toute leur liberté de décider de la
mise en mouvement de l’action publique.

224 NYABIRUNGU mwene SONGA, Rapport général des états généraux de la justice, RD CONGO,
Kinshasa, Août 2015, p.42
225 F. MUKENDI TSHIDJA- MANGA, Commentaire du Code pénal militaire, in séminaire de
formation des magistrats militaires et des avocats de la défense, TOWARDS BETTER
MILITARY JUSTICE, RD CONGO, Février-Mars 2007, p.53
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 73

Deuxièmement, le Nord-Kivu étant une zone opérationnelle, la


majorité des litiges ayant des liens directs ou non avec les opérations
militaires, mettant en cause les militaires ou non mais ayant un caractère
militaire, est tranchée par la cour militaire opérationnelle, souvent sous une
procédure expéditive, n’offrant aucune possibilité au perdant d’une
quelconque voie de recours, en violation de l’article 21 et 61, al.5 de la
constitution qui a fait du double degré de juridiction l’un des principes
cardinaux d’un procès équitable. Les décisions de cette juridiction sont
rendues en premier et dernier ressort. Ce fut le cas des criminels ADF dans
le procès d’assassinat du Général Mamadou Ndala et certains membres de
sa garde rapprochée, qui sont exclus du bénéfice d’une juridiction d’appel.
A notre sens, une réforme de la loi n°023/2002 du 18 Novembre 2002
portant code judiciaire militaire s’impose, pour intégrer la dimension du
droit au double degré de juridiction constitutionnellement garanti à tout
citoyen. Il ne faut pas s’étonner un jour, dans ce genre de juridictions qu’on
recoure à des pratiques inédites des « juges sans visage » et donc anonyme
puisqu’on a assisté dans le procès du général Mamadou à la comparution
sans fondement légal solide des « témoins sans visage ». Pratique peu
convaincante et contraire à l’article 14 du pacte international relatif aux
droits civils et politiques, mais plus usitée dans les juridictions
internationales, surtout pendant les procédures devant la Cour pénale
internationale. Les procédures de ces tribunaux, quand bien même une
autorité indépendante s’est assurée de l’identité et du statut des juges, sont
souvent irrégulières du fait que l’identité et le statut des juges ne sont pas
connus de l’accusé.226

Les facteurs conjoncturels, mettent en évidence l’idée d’une


réparation en faveur de la victime d’un acte infractionnel, par la constitution
de partie civile ou non, par la victime ou par ses ayants cause, devant le
tribunal régulièrement saisi de l’affaire pénale. Comme dit supra la finalité
de toute justice pénale c’est de rétablir l’équilibre rompu par la commission
d’une infraction et remettre la victime dans ses droits. Pour ce faire, en vertu
des normes internationales et nationales, les victimes doivent être traitées
avec compassion et dans le respect de leur dignité.227

Elles doivent pouvoir participer au procès pénal, notamment en


exposant leurs moyens et préoccupations lors de certaines phases
spécifiques de la procédure pénale, d’une façon qui ne nuise pas aux droits

226 Comité des droits de l’homme, Observation générale n°32, Article 14. Droit à l’égalité devant les
tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, 90è session, CCPR/C/GC/32, Genève, 9-
27 juillet 2007, p. 8
227 Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes d’abus de pouvoir adoptée

par l’Assemblée générale par la résolution 40/34 du 29 novembre 1985


Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
74

de l’accusé,228 ni à la tenue d’un procès juste et impartial. Ceci est affirmé


avec force détail au principe 6(b) de la Déclaration des principes
fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux
victimes d’abus de pouvoir en ce sens :

« la capacité de l’appareil judiciaire et administratif de répondre aux


besoins des victimes doit être améliorée (…) en permettant que les
vues et les préoccupations des victimes soient présentées et examinées
aux phases appropriées des instances, lorsque leurs intérêts
personnels sont en cause, sans préjudice des droits de la défense et
dans le cadre de justice pénale du pays ».

En matière pénale cette voie s’ouvre en faveur d’un justiciable


exerçant une action civile devant un juge pénal en se constituant partie
civile. Cependant il faut souligner déjà qu’en droit congolais il est prévu un
régime permettant au juge pénal civil ou militaire, d’allouer d’office des
dommages et intérêts à la victime, sans qu’il ne soit exigé de sa part, son
intervention au procès.

Ces deux dimensions doivent être combinées pour se faire une idée
affinée de l’accès à la justice au Nord-Kivu. Théoriquement, il existe une
panoplie des textes législatifs et réglementaires en plus de la constitution,
qui mettent en exergue le principe de l’égalité de tous devant la loi et partant
devant les cours et tribunaux. Malheureusement cette égalité plus
philosophique que arithmétique est mise en mal par une série d’obstacles
dont certains sont communs à tous les justiciables et d’autres spécifiques
aux personnes vulnérables.

A. Les obstacles communs à tous les justiciables

Les obstacles dont questions sont ceux qui privent les consommateurs
du service public judiciaire, l’accès au juge. Certaines de ces entraves sont
d’ordre juridique c’est-à-dire des obstacles juridiquement prévus
concurremment par les systèmes juridiques aussi bien interne
qu’international, d’autres sont purement matériels entre autres:
l’insuffisance des juridictions occasionnant du coup une mauvaise
répartition géographique, provoquant du coup l’éloignement géographique,
l’ignorance de loi, le coût de la justice, la complexité et la lenteur des
procédures, l’exécution bon en Malan des décisions judicaires, la
concussion et la corruption des acteurs judiciaires, les procès des civils
devant des tribunaux militaires et les pressions politiques exercées sur la
justice militaire.
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 75

A.1. Les obstacles d’ordre juridique : immunités pénales versus


inviolabilité

En procédure pénale, certaines personnes échappent aux poursuites en


raison de leur qualité officielle. Pour des raisons d’opportunité politique et
de politique criminelle, certaines personnes physiques sont exclues de
l’application de certaines règles pénales de forme ou de fond.229 En dépit de
l’existence matérielle des infractions, la compétence des juridictions
congolaises peut être soit temporairement suspendue, soit totalement exclue.
Ces circonstances constituent des obstacles temporaires pour intenter
l’action publique, soit à la poursuite de celle déjà engagée. 230 Les immunités
de juridiction dont jouissent certaines hautes personnalités constituent un
frein à l’accès à la justice, bien plus au droit. Le droit à la réparation d’un
acte infractionnel préjudiciable à une victime peut se heurter à des
immunités dont bénéficient les auteurs.231 Ces immunités sont politiques,
immunités diplomatiques et consulaires, immunités familiales, immunités
judiciaires, immunités de presse, etc.

1) Immunités politiques : les immunités du chef de l’Etat et le premier


ministre congolais

Le Président de la République et son Premier ministre sont


pénalement justiciables de la cour constitutionnelle pour les crimes commis
dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, à savoir les
crimes politiques de haute trahison, d’outrage au parlement, d’atteinte à
l’honneur ou à la probité, les délits d’initiés et pour les autres infractions de
droit commun. La cour constitutionnelle est également compétente pour
juger leurs co-auteurs et complices. Ceci étant, la lecture combinée des
dispositions des articles 164 (la cour constitutionnelle est le juge pénal du
Président de la République et du Premier ministre pour des infractions
politiques (…)) et 167 de la constitution (pour les infractions commises en
dehors de l’exercice de leurs fonctions, les poursuites contre le Président de
la République et le Premier ministre sont suspendues jusqu’à l’expiration de
leur mandat), que seule la Cour constitutionnelle reste le juge pénal de ces
hautes personnalités, pour les crimes de droit commun, même perpétrés en
dehors de l’exercice de leurs fonctions.232 Leur poursuite reste tributaire de
l’autorisation de poursuites et la procédure de mise en accusation du

229 NYABIRUNGU mwene SONGA, Op cit., p. 236


M.A. BEERNAERT, N.C.- BASECQZ, C. GUILLAIN, P. MANDOUX, M. PREUMONT, D.
VANDERMEEFSCH, Introduction à la procédure pénale, 5è Ed. La charte, Bruxelles, 2007, p.
56
231 MASUDI KADOGO, « Problématique de l’indemnisation des victimes des viols et violences
sexuelles commis par les agents de la MONUC », in Annales de l’Université de Goma, Vol. 1, N°
1, PUG, Goma, p. 45
232 T. KAVUNDJA MANENO, Op cit., 273
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
76

parlement réuni en congrès.233 C’est également le cas des ministres


nationaux qui ne peuvent être poursuivis qu’après l’autorisation et la mise
en accusation de l’Assemblée nationale, des gouverneurs, Vice-gouverneur
de la province et les ministres provinciaux, qu’après la mise en accusation
de l’Assemblée provinciale, décidant à la majorité absolue.

2) Les immunités parlementaires en faveur des représentants de la nation

Les poursuites des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat


selon le cas, sont subordonnées à l’autorisation et la mise en accusation
subséquente de la chambre dont fait partie le parlementaire mis en cause.
Dans l’exercice de ses fonctions, aucun parlementaire ne peut donc être
poursuivi pour les votes et/ou les opinions émises. Il ne peut non plus être
poursuivi pour les infractions de droit commun en cours de session, excepté
en cas de flagrant délit et après autorisation de l’Assemblée nationale ou du
Sénat selon le cas. Quant aux Députés provinciaux, ils ne peuvent être
poursuivis qu’après la mise en accusation de l’Assemblée provinciale,
décidant à la majorité absolue, etc.

3) Les immunités diplomatiques et consulaires

Pour le personnel diplomatique et consulaire, il échappe, à la


compétence des juridictions congolaises en raison de leur qualité d’agent ou
de représentant d’un Etat étranger ou d’une organisation internationale. Les
chefs d’Etat étrangers et leurs représentants sont affranchis, soustraits de la
juridiction de l’Etat accréditaire où ils exercent leurs fonctions. Autrement
dit ces personnes jouissent d’une immunité de juridiction, qu’elles peuvent
invoquer devant le tribunal et qui oblige celui-ci à refuser sa saisine.234 Le
tribunal déclinant son incompétence. Plus explicites sont les dispositions
pertinentes de l’article 31 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur
les relations diplomatiques qui stipulent que « L’agent diplomatique jouit
de l’immunité de la juridiction pénale de l’Etat accréditaire ». La
jurisprudence constante invoque souvent l’idée d’une courtoisie
internationale incompatible avec la notion d’obligation stricte.235 La Cour
européenne des droits de l’homme se prononça sur la question de la
compatibilité des immunités de juridiction avec le droit à un procès
équitable que préconise l’article 6§1 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en décidant
invariablement que « si le droit d’accès aux tribunaux n’est pas absolu » et
« se prête à des limitations implicitement admises », ces « limitations ne
233 Article 166 de la constitution du 18 février 2006 ; articles 100 à102 de la loi organique n° 13/026
du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la cour constitutionnelle, JORD
CONGO, n° spécial, 18 octobre 2013
234 P. MAYER, V. HEUZE, Droit international privé, 9ème Ed., Montchrestien, 2007, Paris, p. 230
235 Idem, p.234
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 77

se concilient avec l’article 6§1 que si elles tendent à un but légitime et s’il
existe un rapport de proportionnalité raisonnable entre les moyens employés
et le but visé ». En définitive elle considère que la reconnaissance de
l’immunité devant le tribunal saisi ne viole l’article 6§1 que dans la mesure
où elle débouche sur un déni de justice, en conséquence de l’inexistence de
tout autre mode de règlement du différend.236 Cependant s’il est
généralement admis que les bénéficiaires des immunités peuvent renoncer
aux immunités de juridiction, celles d’exécution restent absolues.
L’immunité d’exécution dérive de l’idée que la participation d’un Etat à une
exécution serait attentatoire à la souveraineté de ce dernier. 237 Admettre
qu’un juge puisse ordonner une mesure d’exécution conduirait à porter
atteinte à la souveraineté étrangère.238 Quant aux immunités réservées aux
organisations internationales elles sont fonctionnelles. L’organisation
internationale à laquelle elles sont reconnues peut y renoncer, ou autoriser
son bénéficiaire de renoncer aux immunités de juridiction à l’exception des
immunités d’exécution.

4) Les immunités familiales

En droits étrangers notamment belge et français ces immunités


concernent les infractions portant atteinte au patrimoine telles que vol,
extorsion, chantage, escroquerie, abus de confiance spécifiquement par
rapport au recel d’un proche en ligne directe ou indirecte (des ascendants,
des époux, des descendant) ayant commis un crime.
Le droit congolais prévoit deux cas d’immunités familiales : le recel
par les parents ou alliés, époux ou épouses, frères et sœurs, des personnes
évadées ou détenues239et en cas d’atteinte à la sûreté intérieure et
extérieure de l’Etat, recel des objets matériels ou instrument ayant servi à
commettre l’infraction ou les objets ou documents obtenus par
l’infraction240, etc.

5) Les immunités judiciaires

Les parties au procès, leurs défenseurs (Avocats et défenseurs


judiciaires) jouissent aussi des immunités pénales lorsqu’ils commettent, par
des propos ou des écrits, un fait de nature à porter atteinte à l’honneur ou à

236 Ibidem
237 Idem, pp. 237 à238
238 F. MELIN, Droit international privé, Mémentos LMD, 2ème éd. Gualino, EJA, Paris, 2005, pp.
63-64
239 Article 164 du code pénal congolais.
240 Article 217 du code pénal congolais
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
78

la réputation (diffamation, injure publique ou outrage) à l’encontre des


parties au procès si les nécessités de la défense l’exigent.241

A.2. Les obstacles matériels

1) L’inaccessibilité due à l’insuffisance des juridictions versus,


l’éloignement et la mauvaise répartition géographique

Le premier obstacle auquel fait face la population du Nord-Kivu


quand elle essaie d’accéder au juge est l’insuffisance, l’éloignement des
institutions judiciaires.

De manière générale, les sièges des cours et tribunaux sont situés aux
chefs-lieux de la Province et des villes et territoires du Nord-Kivu. Comme
le dit le Prof. Kavundja « il s’en suit beaucoup de difficultés d’accès à ces
juridictions par la population habitant loin de ces chefs-lieux »242. Il est
prévu un tribunal de paix au niveau de chaque chef-lieu de territoires
administratifs de la RD CONGO ; en dépit de l’installation récente de ces
tribunaux, ils ne sont pas à même de résorber le besoin en matière d’accès à
la justice. En plus cette manière de procéder est en déphasage avec la réalité.
Prenons le cas de Walikale, quoiqu’ un territoire à faible densité
démographique, mais il n’en demeure pas moins que c’est le territoire à lui
seul plus vaste que le Rwanda, comment un seul Tribunal de paix, situé au
chef-lieu peut résoudre les problèmes d’accès au juge ? La situation restera
toujours alarmante surtout en ce qui concerne l’exercice du droit au double
degré de juridiction. Ce que, c’est à Goma que le Justiciable devra interjeter
son appel devant le Tribunal de grande instance de Goma, chaque fois qu’il
estimera que le juge de première instance n’a pas bien dit le droit. Il en est
de même pour les justiciables des Territoires de Rutshuru, Masisi et
Nyiragongo. Ce dernier ne bénéficie pas, en l’état actuel, d’un tribunal de
paix en raison de sa proximité avec la ville de Goma.

Pour Rutshuru par exemple, c’est un territoire à forte densité


populaire, dont un seul tribunal de paix ne peut satisfaire au droit d’accès à
la justice. Les juges risquent vite d’être confrontés à des tas des dossiers non
jugés et peut- être dans les cas extrêmes, être pris à partie pour déni de
justice. C’est la même photographie que l’on retrouve dans tous les
territoires de la Province.

Pour les litiges portés à la connaissance des tribunaux de grande


instance en premier ressort, relativement aux compétences matérielle et

241 E. LUZOLO MBAMBI LESSA, Manuel de procédure pénale, PUC, Kinshasa, 2011, p. 190. Lire
aussi NYABIRUNGU mwene SONGA, op cit., p. 244.
242 T. KAVUNDJA MANENO, Op cit., p. 106
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 79

personnelle, le droit au double degré de juridiction ne peut s’exercer que


devant la Cour d’appel de Goma à plus de quatre cents kilomètres de Beni et
trois cents kilomètres pour Butembo. Dans ces conditions la même cohorte
de malheurs reste sous-jacente. Toutes choses restant égales par ailleurs, les
deux tribunaux de Grande instance de Beni et de Butembo, déjà
opérationnels ne vont pas résorber la crise de l’accès à la justice dans le
grand Nord-Kivu. Ils se buteront au problème de distance et des moyens
financiers des plaideurs, pour la plupart cultivateurs. Pour Beni
singulièrement, on notera que les sièges du Tribunal de grande instance et
du Tribunal de paix se situent à Beni ville, laissant souffrir les justiciables
de Beni territoire.

Le pourvoi en cassation n’en parlons pas, il restera toujours illusoire et


chimérique pour la population du Nord-Kivu. En effet, du fait que la Cour
de cassation soit située à Kinshasa, à l’ouest du pays, à plus de deux mille
kilomètres de vol d’oiseau de Goma, et dont l’unique moyen de voyage
reste l’Avion, exceptionnellement le bateau, lorsqu’on passe par Kisangani,
constitue un obstacle majeur à l’accès à la justice.243 Ce qui explique en
partie la rareté de l’exercice de ce droit de pourvoi en cassation au Nord-
Kivu. Ceux qui exercent ce recours se limitent juste à des déclarations de
pourvoi actés au greffe de la Cour d’appel de Goma ou des tribunaux de
grande instances de Beni et Butembo, souvent dans l’objectif de paralyser
l’exécution des arrêts rendus en dernier ressort par les tribunaux du ressort
de cette dernière, le pourvoi en cassation étant suspensif en matière pénale.
Ce qui entraine l’irrecevabilité pour défaut de confirmation de la requête en
pourvoi en cassation. La situation ira de mal en pire pour les affaires que les
tribunaux de grande instance de Beni et Butembo connaitront en dernier
ressort et pour lesquelles le pourvoi en cassation sera indispensable. Dans de
telles circonstances les plaideurs n’auront qu’à se résigner en acquiesçant
bon gré mal gré aux décisions judiciaires qui, visiblement, les préjudicient.
Le nombre d’institutions judiciaires disponibles dans ce pays est très bas au
regard des besoins et des standards internationaux en la matière, estimés,
selon le Ministre de la justice et des droits humains, à une institution
judiciaire pour 3000 kilomètres carré. Ce tableau peu reluisant, nous
démontre que le vide judiciaire survivra pour longtemps dans la plupart des
contrées de la Province.

Au lieu de s’accrocher à une cartographie judiciaire dépassée, le


mieux serait de l’adapter aux défis démographiques du moment, et de
l’immensité du territoire de la Province, pousser très loin une réflexion sur

243 KIFWABALA TEKIZALA, D. FATAKI WA LUHINDI et M. WETSH’OKONDA KOSO,


République démocratique du Congo Le Secteur de la justice et de l’Etat de droit, une étude
d’AfriMAP et de l’Open Soiety Initiative for Southern Africa, OPEN SOCIETY
FOUBDATIONS, juillet 2013, p.127
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
80

la décentralisation des institutions judiciaires comme c’est le cas de la


décentralisation administrative. L’idée d’un nouveau découpage judiciaire
s’impose à l’instar du découpage des provinces ; en un mot il faut une
nouvelle carte judiciaire sur toute l’étendue de la province.244 En plus, la
philosophie de doter à long terme, à chaque province sa propre cour
suprême ou cour de cassation n’est pas anodine. En attendant, de manière
transitoire, l’organisation d’une chambre de la Cour de cassation dans
chaque province est un impératif catégorique. L’adhésion de la RD Congo
au droit de l’espace OHADA, avec l’attribution des compétences de
cassation à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrale sur les questions
relatives à l’application des actes uniformes et des règlements prévus au
Traité OHADA, spécifiquement pour les infractions qu’ils portent ne fait
qu’accentuer le déséquilibre en matière d’accès au juge. A mon avis la
cour étant incompétente à connaitre des décisions appliquant les sanctions
pénales245, son éloignement peut paralyser la procédure, en cas de question
préjudicielle soulevée devant le juge interne. Ainsi un paysan d’Erengeti
dans le Territoire de Beni, à l’extrême nord de la Province du Nord-Kivu ou
celui de Losso dans le territoire de Walikale à l’extrême ouest, après avoir
épuisé son appel devant la cour d’appel de Goma, devra saisir la Cour de
cassation sise à Kinshasa, à plus de deux mille kilomètres. Déjà aller au
chef-lieu du territoire c’est un casse-tête, à Goma un calvaire, alors à
Kinshasa ? C’est certainement un enfer. Comme elle demeure incompétente
quant aux condamnations pénales, il faudra absolument créer les conditions
des audiences foraines au Nord-Kivu, une hypothèse qui demeurera sans
doute, un vœu pieux suite à l’immensité de la tâche qui attend le personnel
judiciaire de cette haute cour internationale. Le justiciable laissé en pâture et
contraint de renoncer à ses droits par l’éloignement de la juridiction de
cassation, il risque de tout abandonner par le fait que l’accès à la cassation
est difficile. Comme le soulignent bien le Prof. T. Kavundja, Zegbe et
Katusele, cela peut avoir comme conséquence le retour à la vengeance
privée où chacun pourrait se faire justice au motif que « la justice n’existe
pas ».246
L’accès à la justice restera plus longtemps un mystère en province
surtout pour les juridictions spécialisées. En effet, les sièges des tribunaux
de commerce, du travail, pour enfant sont au chef-lieu de la province, même
si particulièrement pour le tribunal pour enfant, la loi organique sur
l’organisation, le fonctionnement et les compétences des juridictions de
l’ordre judiciaire attribue transitoirement sa compétence au tribunal de paix.

244 NYABIRUNGU mwene SONGA, Rapport général des états généraux de la justice, RD CONGO,
Kinshasa, Août 2015, p.
245 CCJA, affaire OTONDE EKOTO, l’arrêt n°053/2012 du 07 juin 2012, in Jean Michel Mbock

BIUMLA, OHADA CODE BLEU, 3è Ed. JURIAFRICA, Douala-Cameroun, p.24


246 T. KAVUNDJA MANENO, F. ZEGBE ZEGS, E. KATUSELE, Droit judiciaire congolais, T3, La

procédure civile, Syllabus, G3 UNIGOM, Janvier 2015, p. 330


Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 81

Même dans cette hypothèse, la spécialité et la complexité de cette matière


voudrait qu’un juge spécialisé s’occupe de ces questions. Il en est également
ainsi en matière de travail ou de commerce où cette compétence est dévolue
à une chambre du tribunal de grande instance, là où les tribunaux de
commerce et de travail ne sont pas encore installés. Tous ces éléments
réunis sont des ingrédients défavorisant l’accès à la justice pour les
populations de l’intérieur de la province.

3) L’inaccessibilité liée à l’ignorance du droit247

Le principe général de droit « nul n’est censé ignorer la loi » est


d’application parfois rigoureuse en droit congolais. Dans la constitution du
18février 2006 à son article 62 alinéa 1, il a été élevé au rang des principes
constitutionnels, avec comme conséquence que sa violation ouvre la voie à
un possible recours d’inconstitutionnalité devant la Cour constitutionnelle.
La présomption de connaissance de la loi culpabilise erronément les
citoyens en leur laissant croire qu’ils sont toujours fautifs d’ignorer ou de
mal comprendre le droit qui les concerne. Carbonnier le souline avec
raison : « dans l’anxiété juridique de nos contemporains, la présomption
pèse d’un poids non négligeable ». En effet, le droit est senti comme un
mystère que l’on est coupable de ne pas comprendre.248 Michel COIPEL
conclut, je crois hautement souhaitable et ce souhait est ambitieux que
l’adage doit être écarté dans l’application des règles de droit et dans la
motivation des décisions judiciaires : il n’est une règle du droit positif.249
Nous pensons de notre part que Michel COIPEL a tort, en ce sens que si à
l’origine le principe nul n’est censé ignorer la loi relève plus de la
philosophie du droit que du droit positif, actuellement il est devenu du droit
positif dur par le fait de sa consécration légale et/ou constitutionnelle.

Cependant, à elle seule, cette consécration constitutionnelle ne saurait


suffire pour garantir la connaissance du droit aux citoyens congolais250, dans
un pays à un fort taux d’analphabétisme. Comme sous d’autres cieux
notamment en Belgique, le fétichisme de l’adage « nemo censetur ignorare
legem » a cédé au réalisme. D’après le Prof. Nyabirungu mwene Songa, en
droit congolais, il a été jugé que l’ignorance de la loi pouvait être une cause
de non-imputabilité s’il est établi qu’il y avait pour l’agent une impossibilité

247 KIFWABALA TEKIZALA, D. FATAKI wa LUHINDI et M. WETSH’OKONDA KOSO,


République démocratique du Congo. Le Secteur de la justice et l’Etat de droit, une étude
d’AfriMAP et de l’Open Society Initiative for Southern Africa, OPEN SOCIETY
FOUBDATIONS, juillet 2013, p.128
248 M. COIPEL, La signification de l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » in Revue pénale

congolaise, Ed. DES, Kinshasa, décembre 2003, p.77


249 Idem, p.78
250 KIFWABALA TEKIZALA, D. FATAKI wa LUHINDI et M. WETSH’OKONDA KOSO, Op cit.,

p.129
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
82

absolue de connaitre l’existence d’une prescription légale particulière.251 Le


revirement constitutionnel de 2006, est un recul, à mon sens ;
l’analphabétisme devrait être considéré comme une erreur de droit
invincible exonératoire, puisqu’il constitue une entrave grave à l’accès à la
justice en province du Nord-Kivu.

Nous pensons aussi que la seule connaissance de droit ne saurait être


considérée comme une garantie suffisante d’accès à la justice. En dépit de
cela, la connaissance du droit est un atout et un outil majeur pour
l’amélioration de la participation citoyenne à l’action de la justice.

Pour la majorité de la population de la Province du Nord-Kivu, la


méconnaissance du droit s’accompagne avec la non-maitrise du pittoresque
langage du prétoire. Pour pallier à cette carence, la vulgarisation des lois,
leur traduction dans les langues vernaculaires de la Province et l’éducation
au droit sont des instruments indispensables. Pourquoi ne pas traduire tous
les codes et lois dans les langues locales. Il me semble pourtant que cette
charge pourrait être mieux assumée par la province dans le cadre de sa
participation à l’administration de la justice. A cela il faut penser à la
lumière de ce qui se passe au Rwanda, d’organiser les procès dans les
langues locales.

4) L’inaccessibilité liée au coût économico-financier de la justice

La gratuité de la justice est un mythe en RD CONGO en général et au


Nord-Kivu en particulier. Aux nombreux frais de justice légaux, le
personnel administratif des cours et tribunaux exigent aux justiciables
d’autres frais illégaux plus supérieurs. Comme le dit si bien le Bâtonnier
national Mbuyi Mbiye (…) la gratuité qui devrait caractériser la justice au
nom de sa qualité de service public, la contribution des citoyens à son
fonctionnement devant être minimale. En lieu et place, les frais se trouvent
tarifés en devise étrangère au nom de la maximisation des recettes jadis
imposée aux différents ministères.252

L’arrêté du Ministre de la justice n°243/CAB/MIN/J&DH/2010 et


n°43/CAB/MIN/FINANCE/10 du 4 mai 2010 portant fixation des taux des
droits, taxes et redevances à percevoir à l’ initiative du Ministère de la
Justice et Droits humains fixe de façon exhaustive les frais de justice, mais
le personnel judicaire ne le respecte pas. Ces frais exigés, à virtuellement
toutes les étapes de la procédure constituent des obstacles parfois

251 Ière Instance Elis. 9 avril, 1941, R.J.C.B, 151 cité par NYABIRUNGU mwene SONGA, op cit, p.
295
252 MBUYI MBIYE TANAYI, L’état actuel de la justice congolaise, in Les analyses juridiques,

n°16,2009, p.42
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 83

rédhibitoires.253 Actuellement, il est un principe « pas d’argent pas de


travail », au point qu’un justiciable qui ne sait pas soudoyer un agent n’a
pas droit à un service quelconque du tribunal. L’enrôlement d’une affaire
judiciaire coûte à un justiciable 20$ à 30$USD au lieu des dix dollars
prévus, un arrêt ou jugement à faire dactylographier ne coute pas moins de
50$USD à Goma. Cette somme c’est toute une partie de récolte d’un champ
de manioc ou de maïs à l’intérieur de la Province. En conséquence pour
introduire une action en justice ou avoir un jugement, il faut attendre la
période de récolte qui est de trois à six mois pour le maïs et une année pour
les maniocs. La réquisition de la force publique pour prêter mains fortes à
l’exécution des décisions judiciaires, revient à trois dollars américains en
première instance et six au second degré, mais coutent les yeux de la tête
aux justiciables du Nord-Kivu. En effet, le Procureur de la République ne
peut signer une réquisition pareille à moins de 100$USD à 500$USD selon
les affaires et le poids du justiciable. C’est la poche du justiciable qui est
mise en balance pour chaque service et décision à obtenir.

La loi subordonne l’introduction d’une citation directe à la


consignation des frais. Le non-paiement de ces frais amène le juge à
décréter la fin de non-procédé qui est une sorte de sanction pour le
justiciable infortuné. Les décisions judiciaires, une fois rendues et coulées
en force de chose jugée ou exécutoires provisoirement, ne peuvent être
exécutées sans paiement des droits proportionnels et d’autres frais indus qui
peuvent être colossaux selon que l’affaire est alléchante ou pas. Ceci se
traduit mieux par le réquisitoire massue et sans appel de Voltaire à l’endroit
de la Justice « j’ai été deux fois au bord de la ruine, la première fois quand
j’ai perdu le procès, et la seconde fois quand je l’ai gagné ».254 Gagner ou
perdre un procès au Nord-Kivu, ne laisse jamais intact les justiciables ;
demandeur ou défendeur tous y consacrent toute une fortune. Pour des
indigents il est prévu la dispense de paiement des frais de justice ou encore
une réduction de ceux-ci. Ce qui est décevant c’est la subordination de la
dispense à la preuve d’indigence qui est un certificat dit d’indigence, lui –
même monnayé par la Division provinciale des affaires sociales, le service
chargé de le délivrer. Une personne indigente ne peut l’obtenir sans
débourser moins de 20$USD américains.

5) L’inaccessibilité liée à la non tenue des audiences foraines de la Cour de


cassation (Suprême de justice) et la tenue insatisfaisante de celles de la
cour d’appel du Nord-Kivu

253 A. MEYER, op cit, p.2


254 Les illustrissime de Jean Paul 1er, par Michel Pachel, Ed. Mesagero-Padove, nouvelle cité-Paris,
janvier 1976, p.337 cité par M. NKONGOLO TSHILENGU, Droit judiciaire congolais, Le Rôle
des cours et tribunaux dans la restauration d’un droit violé ou contesté, Ed. du Service de
documentation et d’études du Ministère de la Justice et Garde des sceaux, Kinshasa, 2003, p.15
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
84

La Cour Suprême de Justice n’organise pas des audiences foraines en


Province du Nord-Kivu, sauf trou de mémoire de notre part aucune audience
foraine n’a été organisée depuis la création de cette haute juridiction du
Pays. Cet état de choses constitue un frein à l’accès à la justice pour la
paisible population de la Province. Déjà soutenir un procès jusqu’à la Cour
d’Appel à Goma, du bout en bout pour un paysan de fin fond de la province,
est un casse-tête et provoque une érosion financière aux justiciables aussi
nantis que moins nantis alors à Kinshasa ? En plus de cela, il faut signaler
la procédure particulière devant la Cour de cassation, qui n’est accessible
qu’aux seuls Avocats près cette institution judiciaire, ce qui contribue
largement à aggraver l’inaccessibilité à la justice, entrainant de ce fait
l’exclusion de jure d’une frange majoritairement importante des avocats, sur
toute l’étendue du territoire national, du coup influe négativement sur
l’accès à la justice.

La loi organique n°13/010 du 19 février 2013 relative à la procédure


devant la Cour de cassation prévoit à son article 2 que : « Sauf lorsqu’elle
émane du Ministère public, la requête introductive de pourvoi doit être
signée, sous peine d’irrecevabilité, par un avocat à la cour de cassation ».
La privation de la partie demanderesse en cassation du droit de signer la
requête introductive du pourvoi est une marque indélébile d’atteinte au droit
d’accès au juge de cassation. En France, les moyens de cassation peuvent
être contenus dans un mémoire déposé par le demandeur qui doit être signé
par lui255, pourquoi pas en RD Congo ? Si cela est possible pour un
justiciable, a fortiori à toute personne arborant légitimement la qualité
d’avocat. Il faudra à l’instar de ce qui est prévu à l’article 23 alinéa 1er du
Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de
l’OHADA, du 18 avril 1996, laisser libre exercice du ministère d’avocat
devant la Cour de Cassation en RD Congo, à toute personne se justifiant de
cette qualité. Autrement dit, tout avocat devrait avoir la possibilité
d’introduire la requête en pourvoi devant la cour de cassation, sans qu’il ne
soit nécessaire d’être avocat inscrit au barreau près la Cour de cassation.
Cette thèse trouve son soutien dans l’organisation du pourvoi en droit belge
où le mémoire à l’appui d’une déclaration de pourvoi ainsi que celui en
réplique sont signés par un avocat, et depuis le 1 er février 2016 soit
seulement trois mois, la réforme est allée dans le sens d’exiger que les
mémoires du demandeur en pourvoi, tout comme celui du défendeur, soient
impérativement signés par un avocat titulaire de l’attestation de formation
en procédure en cassation.256 Il est de notoriété publique que la procédure de

255 S. GUINCHARD, J.BUISSON, Manuel de procédure pénale, 8ème Ed. Lexis Nexis, Paris, 2012,
p.1558
256 M.A. BEERNAERT, N.C.- BASECQZ, C. GUILLAIN, P. MANDOUX, M. PREUMONT, D.

VANDERMEEFSCH, Introduction à la procédure pénale, 5è Ed. La charte, Bruxelles, 2007,


pp.374-375
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 85

pourvoi en cassation est tellement technique, qu’il ne faut pas la laisser à la


merci de tout avocat ne justifiant pas d’une expérience éprouvée en matière
procédurale, mais il ne faut pas non plus obstruer le passage, en barricadant
l’accès à ce niveau de sommité et de prestige dans la carrière avocatoire, en
imposant aux jeunes avocats des conditions tout au moins désuètes. En RD
Congo, la réforme devra aller dans le même sens qu’en Belgique, afin
d’ouvrir l’accès à la Cour de cassation à tout avocat porteur d’une
attestation justifiant d’une formation en procédure en cassation et permettre
à ce que le demandeur en cassation, titulaire primaire au nom de qui le
pourvoi est engagé, à signer s’il le désir de sa propre main la requête en
pourvoi. Le contraire c’est une violation flagrante du droit
constitutionnellement consacré, sur la défense en justice par tout plaideur,
soit par soi-même, soit par un défenseur de son choix.257

Pour la Cour d’appel de Goma, les motivations qui président à


l’organisation des audiences foraines sont toutes choses sauf le besoin
d’accès à la justice. En effet, toutes les audiences foraines ont été
organisées dans le grand nord de la province du Nord-Kivu (à Beni et
Butembo) et non ailleurs, pour la simple raison que c’est un milieu où les
affaires économiques et commerciales sont florissantes et les juges y
trouvent un terrain fertile pour la corruption. Depuis que la Cour d’Appel
existe, aucune audience foraine ne s’est tenue à Walikale, peu ou pas à
Masisi et Rutshuru, certainement à cause de l’inexistence des «grasses
affaires» ou «affaires juteuses» dans ces milieux. Aussi ces audiences se
tiennent au détriment des audiences ordinaires en violation des dispositions
pertinentes de la loi organique portant organisation, fonctionnement et
compétences des juridictions de l’ordre judiciaire à son article 47 qui
déclare « l’itinérance ne peut empêcher le fonctionnement de la juridiction
au siège ordinaire».

6) L’inaccessibilité linguistique de beaucoup de justiciables au procès

Plus souvent, la langue du procès qui est la langue officielle(le


français) donne du fil à retordre aux justiciables qui participent à une
instance pénale sans comprendre du début à la fin ce qui se passe au
prétoire. Même pour les intellectuels, le droit pénal de (forme ou de fond)
métalangage encore largement ésotérique pour la majorité des justiciables,
reste inaccessible. A cela s’ajoutent les difficultés qui accablent les juges
affectés dans ces milieux alors qu’ils ne comprennent pas du tout ou
comprennent à peine les langues locales. Ainsi donc l’organisation des
procès dans la langue du milieu à défaut des langues locales du prévenu est

257 Lire l’article 19 al.4 de la Constitution de la République Démocratique du Congo, du 18 février


2006
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
86

un impératif catégorique. Nous disons avec Nathalie FRICERO que la


simplification du métalangage est donc un objectif de qualité.258

7) L’inaccessibilité liée à la lenteur et la complexité des procédures259

Les procédures judiciaires, lorsqu’elles revêtent un caractère plus ou


moins complexe, dissuadent les justiciables d’y recourir. Il en est de même
de la lenteur des procédures, une des plaies qui infectent la justice
congolaise, frisant le déni de justice. Le système judiciaire se distingue par
sa complexité tant pour ce qui est de la procédure que du droit substantif, et
la confiance de la population envers le système judiciaire est fragile.260 De
nombreuses affaires moisissent à la Cour d’appel et au Tribunal de grande
instance de Goma sans connaitre des décisions. La multiplication des
procédures par les avocats véreux est diriment à la base de la lenteur
observée dans le service publique judiciaire. Ceci explique en partie toute
une panoplie des dossiers disciplinaires ouverts en l’encontre des Avocats
spécialistes en procédure dilatoire devant le Conseil de l’ordre du Barreau
de Goma. C’est le cas par exemple du dossier RD 249 en cause Conseil de
l’ordre contre Me BARA.

8) L’obstacle lié à la corruption généralisée des acteurs du système


judiciaire

Fondamentalement la corruption gangrène la justice congolaise et a


toujours été un détonateur des conflits récurrents dans la Province du Nord-
Kivu. La corruption qui se développe dans un cadre structurel encourageant
les acteurs à inventer des règles qui détournent la justice de sa fonction.261
Le rapport à la justice dépend du poids social et économique et des relations
que l’usager est capable de mobiliser et de mettre à profit dans l’appareil
judiciaire. Tous les acteurs du système judiciaire ne sont pas à l’abri de ce
fléau : le juge, l’Officier du Ministère public, le personnel administratif des
cours et tribunaux, les avocats. Ces derniers sont d’abord perçus comme des
vecteurs de la corruption quand ils incitent les usagers, parties à un procès, à

258 N. FRICERO, La qualité des décisions de justice au sens de l’article 6 §1 de la convention


européenne des droits de l’homme, in colloque sur la qualité des décisions de justice du 8 et 9
mars 2007, Ed. Conseil de l’Europe, Paris, 2007, p.56
259 KIFWABALA TEKIZALA, D. FATAKI wa LUHINDI ET M. WETSH’OKONDA KOSO,
République démocratique du Congo. Le Secteur de la justice et l’Etat de droit, une étude
d’AfriMAP et de l’Open Society Initiative for Southern Africa, OPEN SOCIETY
FOUBDATIONS, juillet 2013, p.133
260 Marc LACOURSIERE, Le consommateur et l’accès à la justice, in Les cahiers de droit, vol.49,
n°1, 2008, p.99
261 MAHAMAN TIDJAN ALOU, LA JUSTICE AU PLUS OFFRANT LES INFORTUNES DU
SYSTEME JUDICIAIRE EN AFRIQUE DE L’OUEST (AUTOUR DU CAS DU NIGER), in
Politique africaine n°83- octobre 2001, p.59
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 87

prévoir la part du juge. Il est actuellement permis d’affirmer avec certitude


qu’aucun magistrat ne rend des décisions judiciaires sans attendre les
parties. Des formules sournoises du genre « … je préfère bouffer du côté du
droit… » sont inventées pour, en réalité, justifier le monnayage des
décisions judiciaires.262 Bref, au Nord-Kivu par moment c’est la position
politique(le pouvoir), la position économique (l’avoir) et la position
identitaire (l’appartenance éthique) qui influent sur certaines décisions
judiciaires. C’est la trilogie de « trois P » que traduit la formule Justice =
pouvoir × avoir × Identité ethnique. Ce qui est étonnant est que la corruption
a pris tellement d’ampleurs que des cercles corruptifs se sont formés autour
du juge. Le juge est soumis aux pressions de son milieu familial et de ses
cercles de solidarité, de l’intermédiation institutionnelle, les juges agissant
sur leurs collègues en charge des dossiers des gens qu’ils connaissent ou en
collusion avec les auxiliaires de la justice (avocats) avec lesquels ils sont
souvent en collusion pour boutiquer des décisions de justice bidons, produits
d’un arrangement préalable fondé parfois sur des bases financières. Les
greffiers jouent un rôle archi important et stratégique qui les place d’emblée
en position d’interface entre les juges et les justiciables. Les justiciables les
sollicitent sans cesse pour intercéder en leur faveur auprès du juge. C’est
donc par leur entremise que beaucoup de transactions corruptives se
négocient. Il se forme une chaine de courtage qui intègre le greffier et un
coutier informel agissant au nom d’un justiciable et enfin l’intermédiation
informelle pilotée par des « avocats sans toges » ou des « moutons noirs »
qui sont extérieurs à l’appareil judiciaire. Leur dénominateur commun c’est
d’assurer aux justiciables d’avoir gain de cause moyennant une
rétribution.263

B. Les obstacles spécifiques à certaines catégories des personnes


vulnérables

Certaines personnes rencontrent beaucoup de difficultés pour défendre


leurs droits devant le tribunal, en raison de leur état de vulnérabilité.

Ces obstructions ne leur facilitent pas l’accès à un procès équitable et


juste. A titre d’illustration, nous pouvons citer les plaintes sans suite des
peuples autochtones devant la police et le parquet, l’accès à la justice
systématiquement contrôlé, si pas strictement limité des femmes et des
enfants, victimes des violences basées sur le genre et autres traitements
cruels, inhumains et dégradants. Devant les femmes se dressent une série
d’entraves à caractère sexiste. La justice reste insaisissable pour la plupart
des victimes de la violence « sexospécifique », du fait des coûts exorbitants

262 ASSOCIATION CONGOLAISE POUR L’ACCES A LA JUSTICE, Rapport annuel 2012 La


justice est privatisée en RD CONGO, Janvier 2013, p.11
263 Lire à ce sujet MAHAMAN TIDJAN ALOU, Op cit, pp.71-77
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
88

de la justice formelle, elle est financièrement inaccessible. En RD Congo,


les mécanismes de la justice formelle se focalisent sur la punition des
délinquants et non sur ce qui arrive aux victimes. Le procès du colonel
Kibibi Mutware en est une illustration ; ce dernier a été condamné à 20ans
de prison sans qu’il ne soit pris en compte les intérêts de la victime.264 Dans
ce cas, les mesures extra- judiciaires restent leur rempart contre la mise à
l’écart des victimes dans le processus répressif, en attendant la mise sur pied
des programmes de réparation. Les réparations doivent inclure le droit à la
vérité. En outre, il existe un manque de prise en charge médicale et
psychologique pour les victimes de la violence « sexospécifique ». Ces
dernières sont ancrées dans certaines cultures discriminatoires, qui
conçoivent mal une action en justice pour une femme, même violentée,
contre son propre mari. Les personnes vivant avec les VIH/ SIDA qui, en
dépit des efforts des ONG œuvrant dans le secteur, sont encore victimes
d’un traitement discriminatoire ainsi que les personnes vivant avec handicap
qui non plus ne peuvent se mouvoir avec aisance et facilité. En raison du
système judiciaire non adaptée à cette dernière catégorie, elle se décourage
pour saisir le tribunal. Outre le manque criant des moyens financiers, la
discrimination et la stigmatisation dont elles sont victimes, les conditions
physiques et matérielles ne sont pas adaptées à leur état. Les palais de
justice ne tiennent pas compte de leur présence et de leur état de
vulnérabilité. Les déplacés de guerre, se trouvant dans un état de détresse
avancée ne bénéficient pas d’une justice équitable. Leur situation est bien
décrite par l’association ACAJ en ces termes « Les déplacés de guerre ont
été plusieurs fois attaqués par des hommes armés malgré leur vulnérabilité
et leur situation humanitaire indescriptible. Ceux de Kanyaruchinya,
Mugunga (à l’ouest de Goma) et Minova (impliquant les FARD CONGO en
fuite) n’ont pas été à l’abri des exactions des hommes armés qui ont même
commis des violences sexuelles sur les femmes et jeunes filles ».265

IV. Juridictions coutumières et mode alternatifs de règlement


des conflits pénaux266
A. Modes alternatifs de règlement des conflits pénaux

Dans l’état actuel de la législation congolaise, sauf à quelques


exception près, à savoir en matière de contestation d’honoraires, les litiges
portant sur la violation du code des investissements, les différends miniers,

264ACORD, ACTIONAID, AXFAM, La promotion du droit à la terre et à la justice pour les femmes
en Afrique, in Conférence sur le droit des femmes à la terre et à la justice en Afrique tenue à
Nairobi, Kenya du 30 mai-02 Juin2011, pp. 27-29
265 ASSOCIATION CONGOLAISE POUR L’ACCES A LA JUSTICE, RAPPORT ANNUEL 2012.

La justice est privatisée en RD CONGO, Janvier 2013, p.5


266 KIFWABALA ET ALII, op. cit., pp135-1 38
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 89

fiscaux, du travail et de l’agriculture, il n’est pas admis des médiations et


des conciliations en matière pénale, mais avec un peu de bémol puisque
pour les infractions dont le caractère bénin est avéré, la transaction
judiciaire est possible devant les Officiers de police judiciaires et Officiers
du Ministère public. (Article 9 du code de procédure pénale).

Sur le même registre, il y a lieu d’ajouter la médiation en matière de


justice pour enfants. Les modes alternatifs ont pour trait commun que l’on
ne cherche pas à régler un litige par un acte juridictionnel ; du point de vue
formel on ne fait pas intervenir une juridiction ; d’un point de vue matériel
on ne se propose pas de déduire une solution de la stricte application de la
loi existante. On cherche plus à éteindre le conflit qu’à le trancher.267 C’est
par la méthode alternative de résolutions des conflits ou de règlement
extrajudiciaire des conflits (REC) ou (alternative dispute résolution- ADR),
très en vogue dans les milieux juridiques américains et qui suscitait un
grand intérêt en Angleterre268, que le système pénal congolais peut gagner le
pari du décongestionnement de cours et tribunaux et son milieu carcéral.

1) La médiation pénale

1. Notion
Comprendre la médiation pénale, c’est chercher d’abord à élucider le
terme médiation. La médiation vient du latin mediatio : entremise, de
mediare : s’interposer.

Au sens général, c’est un mode de résolution des conflits consistant,


pour la personne choisie par les antagonistes (en raison le plus souvent de
son autorité personnelle), à proposer à ceux-ci un projet de solution, sans se
borner à s’efforcer de les rapprocher, à la différence de la conciliation, mais
sans être investi du pouvoir de le leur imposer comme décision
juridictionnelle, à la différence de l’arbitrage et de la juridiction étatique.
Pour Carbonnier, plus vaguement, mission polymorphe (purement
extrajudiciaire ou par côté judiciaire) et polyvalente qui interfère avec la
conciliation dans l’exploration des voies d’apaisement des situations
conflictuelles et la « quête d’une justice alternative ».269 A l’instar de la

267 S. GUINCHARD, G. MONTAGNIER, A. VARINARD, T. DEBARD, Op cit, p.46


268 JENNIFER A. WIDNER, Construire l’Etat de Droit. Francis Nyalali et le combat pour
l’indépendance de la justice en Afrique, Nouveaux Horizons, Paris, 2003, p. 300
269 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, Paris, 2009, p. 583
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
90

transaction, la médiation pénale constitue une mesure alternative à la


sanction pénale. Elle permet d’offrir une réaction sociale face à l’acte
délinquant tout en évitant la lourdeur d’un procès.270 C’est donc une
méthode douce de résolution des conflits pénaux.

La médiation pénale n’est pas encore formellement instituée en RD


CONGO, de manière univoque. Les parquets au Nord-Kivu y recourent
fréquemment de façon informelle pour solutionner quelques litiges pénaux.
En vue d’éviter l’hypocrisie des instances judiciaires, il est de bon aloi de
parer au plus pressé en adoptant au plan de procédure pénale la méthode
alternative de résolution des conflits. Dans un premier temps cette méthode
s’appliquerait au paquet d’infractions dont l’ordre public cède à l’aune des
intérêts privés. On retrouve cette institution dans plusieurs textes épars ne la
prévoyant pas expressis verbis. Selon le petit Larousse illustré 2012, la
médiation pénale est une mesure alternative aux poursuites pénales,
négociée entre la victime d’une infraction et l’auteur de celle-ci, en présence
d’un médiateur mandaté par le parquet.271 Pour procéder à une médiation, le
procureur de la République peut désigner une personne physique ou morale
habilitée. Comme la transaction, la médiation pénale s’inscrit dans le
pouvoir du procureur du Roi de juger de l’opportunité des poursuites. Elle
est toujours facultative et unilatérale.272 Qu’il soit une personne physique ou
morale, le candidat aux fonctions de médiateur doit justifier qu’il n’exerce
pas d’activités judiciaires à titre professionnel, n’a pas fait l’objet d’une
condamnation, d’une incapacité ou d’une déchéance et présente des
garanties d’indépendance et d’impartialité. La loi française n° 98-1163 du
18 décembre 1998 relative à l’accès au droit et à la résolution amiable des
conflits, permet de prendre en charge une médiation pénale au titre de l’aide
à l’accès au droit et la mise sur pied d’une maison de justice et de droit en
charge d’accueil des mesures alternatives de traitement pénal et des actions
tendant à la résolution amiable des litiges.273

Particulièrement, pour l’espace judiciaire congolais, les états généraux


de la justice proposent la revisitation de l’arrêté interministériel portant
composition, organisation et fonctionnement du comité de médiation en
matière de justice pour enfant.274 Il est regrettable que les participants aux
états généraux n’aient pas étendu la médiation à tous les domaines du droit

270 M.A. BEERNAERT, N.C.- BASECQZ, C. GUILLAIN, P. MANDOUX, M. PREUMONT, D.


VANDERMEEFSCH, Op cit, pp.83-84
271 C. GIRAC- MAYNART, Dictionnaire petit Larousse illustré 2012, LAROUSSE, Paris, 2012, p.

671
272 M.A. Beernaert, N.C.- BASECQZ, C. GUILLAIN, P. MANDOUX, M. PREUMONT, D.

VANDERMEEFSCH, Op cit, pp.83


273 S. GUINCHARD, J.BUISSON, Op cit., p. 1021-1022
274 NYABIRUNGU mwene SONGA, Rapport général des états généraux de la justice, RD CONGO,

Kinshasa, Août 2015, p.31


Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 91

pénal comme un mode de règlement des conflits pénaux. En dehors de la


transaction sous forme d’amende, comme l’un des modes alternatifs de
règlement des différends, la médiation, la conciliation ou la réconciliation
ne sont pas de mise dans la procédure pénale congolaise, même la
commission de vérité et réconciliation, pourtant souhaitée par une frange
importante de la population n’a pas trouvé d’élan nécessaire pour son
soubresaut.

2. Les conditions requises pour une médiation pénale


- La médiation pénale ne pourra porter que sur des infractions
bénignes punissables de plus ou moins deux ans de servitude
pénale et sur toute infraction quelle que soit la nature ou le taux
du montant de l’amende,
- La médiation pénale ne peut intervenir qu’avant la saisine du juge
pénal,
- L’accord du présumé auteur de l’infraction doit être requis
préalablement à l’application de la procédure de médiation,
- L’auteur présumé de l’infraction doit s’engager à payer les frais
d’analyse et d’expertise suivant les conditions fixées par le
magistrat instructeur et faire abandon des objets passibles de
confiscation.
3. Les effets de la médiation pénale
L’effet principal de la médiation pénale, lorsqu’elle aboutit à un
règlement à l’amiable c’est l’extinction définitive de l’action publique, la
réparation du dommage subi par la victime, la restauration d’un climat
d’entente entre les protagonistes à la scène pénale. Elle permet aussi le gain
de temps et d’argent. En cas d’échec de la médiation pénale, le ministère
public recouvre sa liberté d’appréciation du sort à réserver à l’action
publique.

Comme souligné déjà, le droit de procédure pénale congolais ne


reconnait pas formellement l’institution de médiation pénale, cependant
dans la pratique, les Officiers du Ministère public recourent à ce mécanisme
pour leur permettre le classement sans suite de certains dossiers pénaux. Il
est souvent ainsi pour les infractions d’émission de chèque sans provision,
d’abus de confiance, d’escroquerie, de vol, de l’infraction de coups et
blessures volontaires simples, coups et blessures involontaires graves,
violation de domicile, des infractions résultant d’accidents de circulation,
etc. Curieusement, beaucoup de ces crimes n’ont rien de caractère bénin.

B. Les juridictions coutumières

Devant les juridictions coutumières c’est en principe la coutume qui


régit les procédures. Elle forme l’ensemble des règles non écrites du droit
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
92

régissant normativement des communautés congolaises depuis des temps


immémoriaux.275Pour recevoir application, conformément à la constitution,
la coutume ne doit pas être contraire à la loi, à l’ordre public et aux bonnes
mœurs. Pour Rubbens les coutumes contraires à l’ordre public universel et
aux principes d’humanité ou d’équité sont écartées au profit de solutions
d’équité.276 Les juridictions coutumières, autre fois juridictions indigènes ou
autochtones sont nanties d’une véritable mission de proximité du point de
vue essentiellement géographique, économique et social.

Les juridictions coutumières, alors qu’elles sont géographiquement


mieux implantées sur l’ensemble du territoire national, ne sont pas prises en
compte dans la réforme judiciaire issue de la loi n°13/011-B du 11avril2013
portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de
l’ordre judiciaire. Elles ne sont pas reprises dans l’ossature judiciaire de la
RD Congo. Certains penseurs appellent à leur disparition tout simplement,
puisque les décrets coloniaux de 1926 à 1959 les créant semblent être
dépassés.277 Avec un peu de largesse, les états généraux de la justice de
2013 ont proposé la modification de l’article 151 pré-rappelés en vue de les
maintenir en attendant l’installation effective des tribunaux de paix.278 Cela
constitue un hiatus, dans l’organisation judiciaire congolaise, car en effet, ce
sont ces juridictions coutumières qui règlent l’essentiel des affaires
particulièrement dans les milieux ruraux où se trouvent la majeure partie de
la population. Aussi voudrais-je le rappeler, les seules juridictions de
proximité susceptible de pallier à la « surannéité » de la carte judiciaire
actuelle, c’est ces juridictions traditionnelles. L’actuelle carte judiciaire du
Nord-Kivu ne prête guerre à une couverture satisfaisante sur l’échiquier
provincial. La suppression des juridictions coutumières au simple motif de
l’installation de tribunaux de paix va accentuer la carence juridictionnelle
existante. Le Rwanda deux fois plus petit que le Nord-Kivu, légèrement
grand que le seul territoire de Walikale (23475km2) avec une faible
différence de 3525km2 , par sa performance effective dans sa politique de
décongestion de l’appareil judiciaire a réussi l’implantation de 119
tribunaux de canton repartis sur une superficie de 27000 km2,279alors qu’en
RD Congo on pense résoudre le problème d’accès à la justice, d’un
« territoire-pays » comme le Walikale, par l’installation d’un seul tribunal
de paix. La légitimité d’un tel tribunal ne tardera pas à s’effriter, à s’éroder,
275 A. RUBBENS, Le droit judiciaire congolais, T3, Instruction criminelle et procédure pénale, PUC,
Kinshasa, 2010, p.39
276 Ibdem
277 T. KAVUNDJA MANENO, Droit judiciaire congolais, T1 Organisation et compétence
judiciaires, 7éme Ed., Fac. Droit UNIGOM, 2014, p.542
278 NYABIRUNGU mwene SONGA, Rapport général des états généraux de la justice, RD CONGO,

Kinshasa, Août 2015, p.20


279 C. PALUKU MASTAKI et C. KIBAMBI VAKE, Droit coutumier en RD CONGO : Principes

d’articulation. Réflexions inspirées par une enquête foncière dans le Masisi, Ed. AAP, Goma,
Avril 2008, p.73
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 93

rattrapé par l’encombrement des dossiers. Pour nous, les juridictions


coutumières doivent être reformées, restructurées quant à leurs
compétences, leur composition et intégrées dans le système judiciaire. Elles
ont l’avantage d’exister dans chaque groupement administratif de la RD
CONGO et donc plus proche de la population que n’importe quelle autre
juridiction. Devant les incohérences de la loi sus rappelée, la proximité
légendaire du système informel de justice traditionnelle, leurs méthodes
douces de règlement des différends en antipode de la justice formelle, sa
couverture partielle, ses méthodes tranchantes, va régenter et modeler pour
longtemps l’accès à la justice dans les zones rurales et c’est en dépit de sa
suppression implicite par la loi n°13/011-B du 11avril2013 portant
organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre
judiciaire. Au Ghana par exemple, un système de justice traditionnelle
viable s’est maintenu malgré son abolition formelle par le régime du
Président Kwame Nkruma.280 Sans prédire le degré de résistibilité de la
population à l’empire de la loi sur l’organisation, le fonctionnement et
compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, ni être le prophète de
malheur, nous pouvons affirmer sans ambages que c’est visiblement le cas
de la RD Congo. Nul n’ignore que même dans la ville de Goma, siège de la
Cour d’appel, du Tribunal de grande instance et du tribunal de paix
nouvellement installé, à côté de ces juridictions de droit écrit(modernes)
subsistent les juridictions coutumières de deux communes de Goma et
Karisimbi ainsi que le tribunal coutumier de la mairie, que sur toute
l’étendue de la Province ces juridictions résistent à toute disparition malgré
l’installation des tribunaux de paix dans chaque territoire. A l’instar de la
plupart des pays africains de la common law, qui admettent sans encombre
l’arbitrage coutumier comme un mécanisme de règlement judiciaire et
l’intégrité de ses décisions garantie par le système étatique formel à travers
la doctrine judiciaire (res judicata), « inductiblement » imposant le principe
non bis in idem, pour les affaires réglées judiciairement, la RD Congo a
l’obligation morale de laisser survivre les juridictions coutumières.
D’ailleurs les états généraux de la justice plaide pour la révision de l’article
151 de la loi n°13/011-B du 11avril2013 portant organisation,
fonctionnement et compétence des juridictions de l’ordre judiciaire, en vue
d’y inclure formellement les tribunaux coutumiers. L’on ne peut prétendre
répondre aux exigences d’une justice de proximité pour une province aux
dimensions d’un pays, avec une superficie imposante de 59631 km2, deux
fois plus grand que le Rwanda, grand que le Togo, avec seulement dix cour
et tribunaux de rang différend(une cour d’appel, trois tribunaux de grande
instance et six tribunaux de paix inéquitablement reparti, ayant leur siège au
niveau des chefs-lieux de territoires et de la province.

280 Open Society Institute


Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
94

Après un passage en revue des obstacles défavorisant le droit d’accès


à la justice en province et l’apologie de la restructuration des juridictions
coutumières ainsi que les mécanismes alternatifs de règlement des procès
pénaux. Enfin une série des recommandations bouclera notre réflexion.

V. Propositions et perspectives d’avenir


Les obstacles parcourus méritent une réponse appropriée à la hauteur
des attentes de la population du Nord-Kivu. Il faudrait absolument repenser
la cartographie judiciaire en remédiant à la distance qui sépare les usagers
du service public de la justice de leurs juges :

A. Pour une justice de proximité : sur le plan structurel, il faut la création


des sièges secondaires des tribunaux de paix, de grande instance et de la
cour d’appel, dans la province du Nord-Kivu :
- Dans le territoire de Walikale, pour le tribunal de paix de Walikale, la
création des sièges secondaires à Hombo, Kibua, Itebero, Osokari et
Pinga. Un siège secondaire du tribunal de grande instance de Goma à
Walikale centre.
- Dans le territoire de Masisi, pour le tribunal de paix de Masisi, la
création des sièges secondaires à Sake, Kitchanga, Bweremana et
Rubaya. Un siège secondaire du tribunal de grande instance de Goma à
Sake ou à Masisi chef-lieu du territoire de ce même nom.
- Dans le territoire de Rutshuru, pour le tribunal de paix de Rutshuru, la
création des sièges secondaires à Nyamilima, Kanyabayonga, Kikuku et
Bunagana. Un siège secondaire du tribunal de grande instance de
Goma à Rutshuru centre.
- Dans le territoire de Lubero, pour le tribunal de paix de Lubero, la
création des sièges secondaires à Mangurujipa, et à Kanyabayonga et
Un siège secondaire du tribunal de grande instance de Butembo à
Lubero centre.
- Dans le territoire de Beni, il faut un tribunal de paix à Owicha et son
siège secondaire à Erengeti, pour le tribunal de paix de Beni ville, la
création des sièges secondaires à Kasindi à défaut d’un tribunal de paix,
un siège secondaire à Kyondo et un siège secondaire du Tribunal de
grande instance de Beni à Kasindi. Après l’installation du tribunal de
paix dans chaque territoire rural, il sera important de pourvoir à chaque
commune urbaine d’un tribunal de paix au moins surtout les communes
de Goma et Karisimbi en ville de Goma. A moyen terme, une cour
d’appel devra être créée pour le « grand nord » de la province du Nord-
Kivu, avec comme siège à Butembo. En attendant l’idée de création
d’un siège secondaire de la cour d’appel de Goma pour la même contrée
mérite tout notre soutien.
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 95

B. Pour la Cour de cassation spécifiquement, il faudrait la multiplication


des audiences foraines dans les provinces, surtout en province du Nord-Kivu
à court terme, la création du siège secondaire de la Cour de cassation à
moyen terme et la création d’une Cour Suprême pour la Province du
Nord-Kivu à long terme.

C. Il faudrait rendre effectif et étendre l’intervention des comités locaux de


pacification et de médiation surtout dans les zones post conflits et dans les
milieux ruraux.

Enfin, il faudrait dès lors édicter les principes directeurs de


changement pour une nouvelle culture d’accès à la justice27:
- Donner priorité au public surtout à celui des milieux ruraux. Celui-ci doit
constituer la cible principale de l’orientation de la reforme afin
d’améliorer son accès à la justice. Comme l’a fait remarquer un
administrateur judiciaire au Canada, nous devons changer notre façon de
faire dans le contexte des tribunaux en se rappelant en permanence que le
système judiciaire existe d’abord pour desservir le public,281 ensuite le
continuum de la justice doit refléter la population qu’il dessert, enfin
faire de cours et tribunaux des centres multiservices de règlement des
différends.282
- Coordonner et faire collaborer les différentes actions des acteurs
intervenant en matière des poursuite pénale surtout la panoplie d’officiers
de police judiciaire appartenant à des multiples services pour un
règlement rapide des différends, surtout ceux susceptibles de recevoir
une issue transactionnelle. L’ouverture, la proactivité, la collaboration et
la coordination doivent animer la façon dont nous abordons l’accès à la
justice pour tous.
- Prévenir et éduquer ; l’on ne peut aujourd’hui se permettre de penser que
l’accès à la justice se réduit à l’accès aux tribunaux et aux avocats. Notre
système de justice doit être profondément orientée vers l’optique de
prévenir lorsque cela est possible, et, lorsque les crimes se produisent,
vers l’optique de fournir à ceux qui éprouvent le besoin de justice, les
informations et les ressources adéquates pour juguler de manière efficace
et efficiente, l’impunité.

Pour ce faire quelques actions sont impératives entre autres :


- L’amélioration des conditions statutaires et matérielles de travail des
magistrats et des auxiliaires de la justice afin d’éviter leur paupérisation,

281 COMITE D’ACTION SUR L’ACCES A LA JUSTICE EN MATIERE CIVILE ET FAMILIALE,


L’accès à la justice en matière civile et famille : Une feuille de route pour le changement, Ottawa-
Canada, Octobre 2013, p.8
282 Idem, pp.15-17 in www.cfcr-fcjc.org
Redéfinir l’accès à la justice en République Démocratique du Congo.
Le droit d’accès au juge dans le ressort de la Cour d’appel du Nord-Kivu
entre mythe et réalité
96

et les prédisposer à éviter le pot de vin dans leur mission de rendre


justice,
- La mise en place d’un fonds d’aide juridique aux niveaux national et
provincial, et le renforcement des mécanismes garantissant le droit à la
victime d’obtenir une indemnisation juste et équitable dont l’alimentation
proviendrait de diverses sources notamment, le budget de l’Etat, les
bailleurs des fonds, etc.
- La poursuite de réforme et le renforcement du secteur de la justice
congolaise en vue de la rendre plus accessible, efficace et indépendante
(faire le nivellement direct du budget du pouvoir judiciaire, multiplier
l’installation des sièges secondaire conformément à la carte judiciaire
proposée supra, améliorer les moyens de logistique et locomotion du
personnel judiciaire, etc.),
- L’assurance-qualité en vue d’améliorer la qualité de la justice, par
ricochet celle des décisions judiciaires et leur exécution, enfin,
- Le renforcement des mécanismes traditionnels du règlement des
différends notamment par la médiation et la conciliation en promouvant
la justice restauratrice.

Conclusion
L’accès à la justice optimale, passe par la revisitation de la carte
judiciaire de la province avec comme visée, le rapprochement des
justiciables des cours et tribunaux. Ce rapprochement doit être ponctué non
seulement par une proximité institutionnelle mais également par une
proximité aux droits : droit à une prompte réparation. Une réparation
considérée dans une approche holistique s’appuie aussi bien sur les
mécanismes de justice formelle qu’informelle. La justice est complexe et
multidimensionnelle, elle ne doit pas se limiter à offrir des procédures
formelles et antagonistes conçues pour constater la culpabilité ou
l’innocence, et pour proclamer des vainqueurs et des perdants. 283 Si la
société congolaise, nord-kivusienne, doit trouver à ses problèmes des
solutions efficaces et durables, notre système de justice devra établir avec la
communauté un partenariat qui transcende les spécialités et les institutions.
La population s’attend plus que jamais à une forme de justice plus axée sur
la solution, avec moins des formalismes. Ceci passe impérativement par
l’intégration dans le code de procédure pénale, la méthode douce de
résolution des conflits ou la médiation pénale dans le cadre institutionnel.
Ceci conduit à la différenciation ou « typologisation » des infractions selon
la gravité, celle-ci restant apprécier en fonction du taux de la peine prévue.
Ainsi donc chaque fois que le parquet se trouvera devant l’hypothèse d’une
283 Morris ROSENBERG, préface, in colloque sur Elargir les horizons. Redéfinir l’accès à la justice
au Canada, du 31 mars 2000, p. i
Revue de la Faculté de Droit de l'Unigom, N°1, 2016 97

infraction à faible peine, il devra mettre en branle la médiation pénale.


Celle-ci permettra de dissiper la lenteur que connaissent beaucoup de
dossiers dans les cours et tribunaux et ainsi désengorger le système
carcéral. L’accès à la justice facilite la mise en balance de beaucoup d’autres
droits fondamentaux. Il est la véritable passerelle pour la réalisation des
autres droits. Ce qui est poursuivi c’est moins la qualité de justice mais bien
la qualité des droits. La justice est faite pour être consommée par ses
usagers ; à l’instar d’une eau pure, elle doit être limpide pour la bonne santé
judiciaire de ses consommateurs. Cependant une chose reste vraie, entre
l’accès à la justice du point de vue institutionnelle ou justice-moyen et
l’accès à la justice comme droit ou justice-fin, il y a encore une zone grise
qu’il faudra réduire ou supprimer pour un avenir judiciaire radieux.

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