MAISSIN, Gabriel. Le Postmodernisme Ou La Logique Culturelle Du Capitalisme Tardif PDF
MAISSIN, Gabriel. Le Postmodernisme Ou La Logique Culturelle Du Capitalisme Tardif PDF
MAISSIN, Gabriel. Le Postmodernisme Ou La Logique Culturelle Du Capitalisme Tardif PDF
Le
postmodernisme
ou
la
logique
culturelle
du
capitalisme
tardif
1
Gabriel
Maissin
Il est paradoxal que l’un des plus grands succès littéraire et
cinématographique de notre époque soit une série de romans
magiques : les aventures du fameux Harry Potter. Le paradoxe
ne tient pas à la qualité intrinsèque de cette œuvre, mais bien au
fait qu’elle surgit dans une période qui a fait du
«désenchantement du monde» sa catégorie centrale. De Marcel
Gauchet à Francis Fukuyama, ils sont légions les auteurs qui
nous annoncent que les temps sont mûrs pour regarder le
monde sans les lunettes des idéologies et des «grands récits».
Démocratie libérale et marché nous offrent le véritable génome
de nos sociétés postmodernes, un décodage plus fin est en
cours, mais l’essentiel est là.
1
A propos de l’ouvrage de Frederic Jameson, Le postmodernisme ou la logique
culturelle du capitalisme tardif, Paris, 2007.
2
Fr. Lyotard, La condition postmoderne, Éditions de minuit, Paris, 1979.
Cette notion de postmodernité a souvent été assimilée à une
sorte de relativisme absolu, mettant toutes les opinions sur pied
d’égalité, affirmant une impossibilité radicale de choix entre
valeurs et à refusant de subsumer quelques différences que ce
soit dans un universel. Or, si cette manifestation de la
postmodernité ne doit pas être niée, elle risque aussi d’en
banaliser la portée. Le postmoderne a une logique qui va bien
au-delà de ce relativisme.
3
Frederic Jameson, Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme
tardif, Paris, 2007
4
E. Mandel, Le capitalisme du troisième âge, Paris, 1972, réédition 1999. Voir
l’analyse dans le n° 42 de Politique (décembre 2005). www.politique.eu.org
5
Déjà publiée dans la New Left Review en 1984
6
«En ce sens le capitalisme a toujours été un drôle de mot – qui est autrement une
appellation assez neutre pour un système économique et social sur les propriétés
duquel tout le monde s’accorde – qui semble vous mettre dans une position
vaguement critique et méfiante, voir carrément socialiste : il n’y a que les idéologues
2
S’interrogeant sur l’émergence et la généralisation de nouvelles
formes de la production littéraire, médiatique ou architecturale,
il souligne la fascination des postmodernes pour «ce paysage
dégradé de la pacotille et du kitsch : la culture des séries TV et du
Reader Digest, la publicité et les motels, les spectacles de second ordre
et les films hollywoodiens de série B, la soi-disant paralittérature avec
ses romans de gare […]». Cette fascination est le résultat de
l’effacement de la vieille opposition (essentiellement
moderniste) entre grande Culture et culture dite commerciale,
la culture de masse. Pour schématiser, si les modernes7
critiquaient les contenus et les formes des produits de
l’industrie culturelle émergente, les postmodernistes, eux, les
«incorporent à leur substance même».
3
élément actif. Proactif même, si nous reprenons cette
terminologie typiquement postmoderne.
4
dysfonctionnements. Il ne s’agissait pas de convaincre de la
supériorité d’un système par rapport à un autre, de défendre un
choix par rapport à un autre, mais de faire admettre qu’il n’y
avait pas de solution en dehors du marché, tout en ne donnant
pas à cette notion une véritable positivité. Même si le marché
idéal – par définition – n’existe pas, mais que l’on peut s’en
approcher par une sorte d’épuration continue : la limitation,
puis la levée des règles et des contraintes qui l’entravent.
Noël
à
Dubaï
…
Enfin, fait remarquer Jameson «la rhétorique du marché fut sans
doute conçue pour assurer un glissement et un déplacement de la
conceptualité de la production vers celle de la consommation». Au
cœur du marché postmoderne, il y a la liberté et le choix. Mais
les deux termes ne sont pas équivalents. Si le choix est
nécessaire pour asseoir le comportement rationnel de l’individu
moderne, il a surtout pour but de le mettre face à ses
responsabilités et aux conséquences de ces choix. Il sera demain
clair que les papy boomers ne doivent pas se plaindre du faible
niveau de leur retraite, s’ils n’ont pas fait le bon choix en
matière d’assurance privée. La liberté est évidemment d’une
autre nature puisqu’elle ne devrait pas systématiquement
comporter cette sanction économique. On fera d’ailleurs
remarquer que la dureté de ce type de raisonnement a amené
dans la dernière période les défenseurs les plus acharnés des
mécanismes marchands, comme les néoconservateurs
américains, à promouvoir un capitalisme compassionnel.
5
Pourtant cette mise en avant de la consommation, basée sur le
choix rationnel des individualités et leurs sobres calculs, entre
également en conflit avec une autre donnée propre à la
postmodernité que sont les formes les plus délirantes de
consommation. En effet, ne peut-on passer un Noël féerique à
Dubaï, sur une île artificielle entièrement réfrigérée, ou au
sommet de la plus haute tour du monde et y visitant le
nouveau musée du Louvre ? Le shopping n’est-il pas une des
activités sociales la plus prisée, après la télévision. «Dans le
postmoderne, c’est l’idée même de marché qui est consommé avec la
plus prodigieuse satisfaction : un bonus ou un excédent du processus
de marchandisation».
Mais quels que soient les succès ainsi engrangés par l’idéologie
du marché, nous ne sommes pas encore arrivés au cœur de
l’affaire. Jameson nous propose alors de ne pas perdre de vue la
version métaphysique la plus forte, la plus large, la plus
invulnérable : celle «qui associe le marché et la nature humaine». En
effet, il n’est pas inutile de rappeler que le prix Nobel
d’économie a été attribué en 1992 à Gary Becker qui soutenait
que «l’approche économique donne un cadre unifié précieux pour
comprendre tous les comportements humains». Cette proposition
contemporaine qui couronne l’édifice idéologique du marché
est cependant présente dès les origines du libéralisme sous la
forme de la main invisible, ce mécanisme interpersonnel, qui a
la vertu de réguler les intérêts et d’endiguer les passions.
6
dictature des marques !) et la production de cette image du
produit représente une part croissante des coûts, atteignant
comme dans le cas des chaussures sportives jusqu’à représenter
90 % !
7
marchandises permet une extension des domaines de
l’accumulation, cette transformation nous donne le sentiment –
à la vue de notre expérience quotidienne – qu’aucune rupture
n’est plus possible. À cet égard, le mérite principal de
«l’économie de marché» est d’avoir fait en sorte qu’il n’y ait
plus de projets possibles10 en dehors du maintien de sa propre
existence.
Gabriel Maissin
Frederic Jameson
Né en 1934, il est actuellement professeur à la Duke University (Caroline du Nord, USA). Après
des études universitaires et un détour par Berlin et Aix-en-Provence, il publie en 1961 sa thèse
de doctorat : «Sartre : les origines d’un style». Il enseignera ensuite au début des années
soixante à l’université d’Harvard. En 1967, il sera nommé professeur à l’Université de Californie
à San Diego. Jameson est considéré comme un des protagonistes majeurs des «Cultural Studies»
aux États-Unis, ce type d’approche au croissement entre la philosophie, la linguistique et la
critique littéraire. Son travail (une vingtaine d’ouvrages) se portera sur des auteurs tels
qu’Ernest Bloch, Gyorgy Luckas, Theodor Adorno, Walter Benjamin, Herbert Marcuse et Sartre.
Son premier ouvrage, non traduit, porte sur les théories littéraires du XXe siècle : Marxism and
Form : Twentieth Century Dialectical Theories of literature.
L’autre caractéristique du travail de Jameson est de situer ses recherches dans le cadre d’une
théorie marxiste. Il considère qu’il est nécessaire d’articuler la pertinence d’une approche
marxiste avec les tendances de la philosophie et de la littérature contemporaine. Le résultat sera
une critique culturelle du capitalisme diamétralement opposée à la vulgate marxiste-léniniste
qui ne voit dans les «superstructures» culturelles que le produit complètement détermine par la
«base» économique. Son approche – qu’il définit lui-même par cette injonction «allways
historicize» (toujours historiciser !) – constitue une véritable histoire de la colonisation de la
culture par le capitalisme contemporain.
Les trois ouvrages qui viennent, enfin d’être traduits, sont le résultat de cette approche.
Le Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, Éditions des Beaux-arts
de Paris, 2007. (Première édition américaine, 1991)
La totalité comme complot, Éditions les Prairies ordinaires, 2007.
Archéologies du futur, le désir nommé utopie, Max Milo, 2007.
10
L’archéologie du futur, second ouvrage qui vient d’être traduit, traite de la
signification de l’utopie comme une façon de penser la différence radicale,
composante et moment nécessaire pour le changement.