El Niño
El Niño
El Niño
retour
12.10.2015, par
Grégory Fléchet
Après cinq ans d’absence, le phénomène El Niño est réapparu dans l’océan Pacifique tropical.
Ce nouvel épisode pourrait affecter de nombreuses régions du globe jusqu’au printemps 2016.
A elle seule, cette indication ne suffit pas à présager de l’arrivée d’un El Niño de grande
ampleur, comme le rappelle Eric Guilyardi, du Laboratoire d’océanographie et du climat :
expérimentations et approches numériques1, à Paris : « Depuis le début des années 2000, la
corrélation entre l’accumulation d’eau chaude dans le Pacifique et le retour d’El Niño est
nettement moins évidente : la circulation atmosphérique joue en fait un rôle prépondérant
dans le déclenchement puis l’évolution des événements les plus récents. »
Résultat : les coups de vents répétés venant de l’ouest provoquent l’écoulement progressif de
ce gigantesque réservoir d’eau chaude vers l’est du Pacifique. Son arrivée le long des côtes
péruviennes peu après Noël coïncide alors avec le paroxysme de la perturbation climatique.
Le surnom d’El Niño – l’enfant en espagnol – attribué par les pécheurs de la région, fait ainsi
référence à la naissance de Jésus. Ce phénomène, de retour tous les trois à sept ans, est
pourtant loin d’être un cadeau béni des dieux. « Cette accumulation soudaine d’eau chaude
près des côtes du Pérou interrompt la remontée d’eaux froides et riches en nutriments
permettant le développement de nombreuses espèces », précise Boris Dewitte, océanographe
au Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales2, à Toulouse.
Dans la zone intertropicale, directement influencée par El Niño, son potentiel délétère ne se
limite pas au milieu marin comme l’explique Boris Dewitte : « En apportant un air plus
chaud et chargé en humidité le long de la côte est du Pacifique, il engendre des pluies
diluviennes à l’origine d’inondations et de glissements de terrain dans le nord du Chili, au
Pérou et en Équateur. » Durant l’automne et au cours de l’hiver, les précipitations sont
également supérieures à la normale sur une grande partie des États-Unis. En Californie, où la
sécheresse sévit depuis quatre ans, on compte beaucoup sur l’arrivée du phénomène pour
réapprovisionner des nappes phréatiques au plus bas. « En s’abattant brusquement sur un sol
souvent laissé à nu par les incendies, ces pluies vont avant tout ruisseler vers les cours d’eaux
accentuant ainsi le risque d’inondation », tempère Eric Guilyardi.
Koronadal, le 5 avril 1998. Distribution de sacs de riz dans cette ville du sud des Philippines
touchée par une grave pénurie alimentaire après une période de sécheresse de neuf mois
causée par El Niño.
AFP PHOTO/REVOLI CORTEZ
Ce scénario catastrophe va-t-il se reproduire cette année ? Selon les derniers bulletins
d’information diffusés par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA),
l’agence américaine chargée de l’étude de l’océan et de l’atmosphère, il y a désormais 95 %
de chance que le phénomène actuel se prolonge jusqu’au printemps 2016. La plupart des
modèles numériques sur lesquels se basent les chercheurs pour prédire son évolution estiment,
quant à eux, que les eaux de surface du Pacifique-Est subiront d’ici à la fin de l’année un
réchauffement moyen de 2,5 °C, du même ordre que celui mesuré en 1997-1998. Malgré cette
apparente similitude, les scientifiques préfèrent rester prudents sur les impacts potentiels de
l’épisode en court. « Certaines perturbations comme l’affaiblissement de la mousson dans le
sud de l’Inde ou en Afrique de l’Ouest doivent être perçues comme une augmentation du
risque qui ne se vérifie pas toujours », illustre Eric Guilyardi. Au cours de l’événement
catastrophique de 1997-1998, les niveaux de précipitations de la mousson indienne sont en
effet restés proches de la normale alors qu’ils diminuèrent de 40 % lors de l’épisode moins
marqué de 2002.
Une certitude tout de même : sous l’effet d’un réchauffement climatique non contrôlé, les
El Niño extrêmes seront plus fréquents. Cela a récemment été confirmé3 par une équipe
internationale dont faisait partie Eric Guilyardi : « Alors que ce type d’événement survient
actuellement tous les quinze ans, nos résultats ont pu montrer sans ambiguïté que cette
fréquence doublerait à compter de 2050 si rien n’est fait d’ici là pour enrayer les émissions
de gaz à effet de serre. » Une raison de plus, s’il en fallait une, de tout mettre en œuvre pour
lutter contre le changement climatique.
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Notes
1. Unité CNRS/UPMC/IRD/MNHN.
2. Unité CNRS/IRD/Cnes/UPS.
3. « Increasing Frequency of Extreme El Niño Events Due to Greenhouse Warming »,
Wenju Cai. et al., Nature Climate Change, 2014, vol. 4 : 111–116.