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Le Banquet PDF

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Forrts Matra

No. 654. arm. E. Rug.K.


389584

1
LE BANQUET

DE PLATON .
100 EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS .

No 39

MO
S RI
MNI
O N O A
N

TER

PARIS. TYPOGRAPHIE DE HENRI PLON ,


IMPRIMEUR DE L'EMPEREUR ,
BUE GARANCIÈRE , 8.
LE BANQUET

DE PLATON

TRADUIT DU GREC

PAR

J. RACINE , MME DE ROCHECHOUART


ET VICTOR COUSIN .

HP

PARIS ,
HENRI PLON , ÉDITEUR ,
8 , RUE GARANCIÈR E.
BRIÈRE , BIBLIOPPILE .
MDCCCLXVIII .

1
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L
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|
AVERTISSEMENT
DE L'ÉDITEUR .

Vingt-trois siècles écoulés depuis le temps


où le divin Platon a vécu ' , n'ont fait qu'ajouter
à l'admiration dont l'antiquité s'était éprise pour
ses ouvrages 2. Son style moyen entre la prose
et la poésie offre des modèles en tout genre
d'éloquence. Ses dialogues ont un charme in
exprimable. Personne mieux que lui n’a su
établir le lieu de la scène et soutenir ses carac
tères. Comme Homère , il a porté aux dernières
limites de la perfection l'imitation de la nature.
Les entrées de ses dialogues sont des chefs
d'oeuvre de vérité pittoresque .
Le Banquet, dont nous publions aujourd'hui
une curieuse traduction due au concours de
trois écrivains célèbres3, offre un remarquable
Platon naquit à Égine, 429 ans avant J. C., et mourut
à Athènes la première année de la 108e olympiade, 347 ans
avant l'ère chrétienne.
? On a de lui treize lettres, un petit nombre de vers et
trente- cinq ouvrages en différents genres.
3 J. Racine, l'abbesse de Fontevrault et Victor Cousin.
11 AVERTISSEMENT
1
exemple de l'adresse avec laquelle ce génie
1
immortel arrivait au but qu'il s'était proposé.
Ce dialogue , dont le sujet apparent est une I
série d'hymnes chantés à l'Amour , a pour I
sujet réel l'apologie de Socrate . Pour la rendre
e
complète , il fallait qu'elle fût délicate et qu'elle
résultât de circonstances naturelles . Dans cette P
vue, qu'a fait l'habile écrivain ? Il avait à éloi. P
gner de Socrate le reproche injuste auquel ses d
liaisons étroites avec Alcibiade l'avaient ex lia
posé . Le crime qu'on lui imputait était de a
telle nature que l'apologie directe eût été une ti
injure, parce qu'elle n'eût rien prouvé : dès el
lors, Platon n'a garde d'en faire le sujet prin A
cipal de son dialogue . Pour vaincre la difficulté P
il la tourne ; il assemble des philosophes dans
un banquet, et il leur fait chanter l'Amour. Au
moment où le repas et l'hymne vont finir, on
entend un grand bruit dans le vestibule ; les
portes s'ouvrent, et l'on voit Alcibiade , cou
ronné de lierre et environné d'une troupe de
joueuses d'instruments. Platon lui suppose cette 11
pointe de vin qui ajoute à la gaieté et qui dis P
pose à l'indiscrétion . Alcibiade entre ; il divise P
sa couronne en deu autres , il en remet une 1
sur sa tête , et de l'autre il ceint le front de li
DE L'ÉDITEUR. 111
Socrate . Il s'informe du sujet de la conversa
ce génie
proposé tion : les philosophes ont tous chanté le triom
t est une phe de l'Amour. Alcibiade chante sa défaite
par la Sagesse , il confesse les efforts inutiles
2 pour
a rendre qu'il a faits pour corrompre Socrate . Ce récit
etqu'elle est conduit avec tant d'art qu'on n'y aperçoit
ins cette partout qu'un jeune libertin que l'ivresse fait
tá éloi. parler , et qui s'accuse sans ménagement des
rrompus et de la débauche
desseins les plus corro
quel ses
ent er la plus honteuse ; mais l'impression qui reste
était de au fond de l'âme , sans qu'on le soupçonne
été une tout d'abord , c'est que Socrate est innocent ,
vé : dès et qu'il est très-heureux de l'avoir été , car
Alcibiade , vain de ses propres charmes , n'eût
et prin
fficulté pas manqué d'en relever encore la puissance ,
s dans s'il lui eût été donné de dévoiler leur effet per
ur , du nicieux sur le plus sage des Athéniens.
Le but est atteint ; Socrate est justifié!
ir, 01
le; les
1 cou
pe de Respecté par le temps , et religieusement
: cette transmis de génération en génération durant
i dis près de vingt siècles , le texte des oeuvres de
livise Platon , recueilli par le célèbre humaniste grec
une Musurus de Crète, fut imprimé pour la première
It de fois à Venise, en 1513, in - folio. Cette édition ,
IV AVERTISSEMENT
sortie des presses d'Alde Manuce, a souvent été féra
reproduite ; et parmi les réimpressions faites de maj
1554 à 1602, il s'en trouve deux accompagnées CTO
de traductions latines . Aucune version n'avait pri
encore été essayée en notre langue , quand , à poi
la fin du dix -septième siècle , à une date qu'on d'e
ne peut rigoureusement préciser , mais qui se
trouve assurément renfermée entre les années de
1678 et 1686 , une femmel aussi distinguée par Bo
son esprit et ses lumières que par sa beauté et let
par sa naissance , eut la pensée de traduire le vel
Banquet, ce chef-d'oeuvre de l'art de composer
et d'écrire .
La noble dame avait- elle l'intention de pu dy
blier son travail ? On doit le présumer, puisque , ce:
peu confiante dans sa connaissance de la langue
grecque , elle envoya sa traduction à Racine ,
pour la revoir et la corriger. C'était beaucoup lon
demander au poëte , car chaque correction
devait nécessiter une explication. Racine pré
tra)
I Marie -Madeleine-Gabrielle DE ROCHECHOUART-MORTE
MART , abbesse de Fontevrault , née en 1645 , morte le
15 août 1704. Elle était soeur du maréchal de Vivonne et
pa
de mesdames de Thianges et de Montespan. Elle savait
très-bien le latin , l'italien et l'espagnol, et avait appris
assez de grec pour traduire Platon , en s'aidant du latin 1
de Ficin ,
DE L'ÉDITEUR .
purentété féra entreprendre une traduction nouvelle ;
sfaites de mais il y renonça bientôt !, et il est permis de
mpagnés croire que la grande austérité de moeurs et de
un n'avait principes dans laquelle il vivait alors entra
quand i pour beaucoup dans la détermination qu'il prit
ate ques d'envoyer à madame de Rochechouart les quel
his qui se ques pages qu'il avait traduites à nouveau , et
s annees de donner simplement son avis sur le reste :
iguée par Boileau fut chargé de cette remise délicate . La
beauté et lettre que Racine lui écrivit à ce sujet est par
aduire le venue jusqu'à nous ; la voici :
omposer
Puisque vous allez demain à la cour, je vous prie
de pu d'y porter les papiers ci-joints : vous savez ce que
c'est. J'avois eu dessein de faire , comme on me le
puisque,
demandoit , des remarques sur les endroits qui me
a langue paroîtroient en avoir besoin ; mais comme il falloit
Racine, les raisonner, ce qui auroit rendu l'ouvrage un peu
aucoup long , je n'ai pas eu la résolution d'achever ce que
rection j'avois commencé , et j'ai cru que j'aurois plus tôt
ne pré fait d'entreprendre une traduction nouvelle. J'ai
traduit jusqu'au discours du médecin exclusivement.
-MORTE Il dit à la vérité de très-belles choses, mais il ne
Dorte le les explique point assez ; et notre siècle , qui n'est
onne et pas si philosophe que celui de Platon , demanderoit
2 savait
appris
u latin * La partie traduite par Racine s'arrête à la page 29
de ce volume, avec le discours de Pausanias.
VI AVERTISSEMENT
que l'on mît ces mêmes choses dans un plus grand
jour. Quoi qu'il en soit , mon essai suffira pour Tra
montrer à madame de Fontevrault que j'avois à
coeur de lui obéir. Il est vrai que le mois où nous Pla
sommes ? m'a fait souvenir de l'ancienne fête des de
Saturnales , pendant laquelle les serviteurs prenoient
avec leurs maîtres des libertés qu'ils n'auroient pas Jell
prises dans un autre temps. Ma conduite ne res
semble pas trop mal à celle-là : je me mets sans
façon à côté de madame de Fontevrault , je prends logo
des airs de maître ; je m'accommode sans scrupule cor
de ses termes et de ses phrases ; je les rejette quand car
bon me semble . Mais , monsieur, la fêle ne durera por
pas toujours , les Saturnales passeront ; et l'illustre Tu
dame reprendra sur son serviteur l'autorité qui lui ter
est acquise . J'y aurai peu de mérite en tout sens : MC
car il faut convenir que son style est admirable ; il ell
a une douceur que nous autres hommes n'attrapons

I Le mois de décembre. Cette lettre , qui figure pre 1


mière dans la correspondance entre Racine et Boileau ,n'a est
pas pu être écrite avant 1678 et n'est pas postérieure à tot
1686. Elle suffit à prouver que Louis Racine s'est trompé
quand il a dit , dans les Mémoires sur la vie de son père de
( OEuvres de Racine , tome V , page 18 de l'édition du to1
Prince Impérial , page 22 de l'édition originale , 1747,
in- 12 ) , que la traduction du commencementdu Banquet
de Platon avait été faite par Racine pendant ses études à
Port-Royal, ou pendant son séjour à Uzès. Racine n'avait
à cette époque aucune liaison avec Boileau , et n'avait 2
point encore eu occasion de connaître madame l'abbesse
de Fontevrault.
DE L'ÉDITEUR . VII
plus grand point ; et si j'avois continué à refondre son ouvrage ,
flira pour vraisemblablement je l'aurois gâté. Elle a traduit
j'avais i le discours d'Alcibiade ' , par où finit le Banquet de
is où nous Platon ; elle l'a rectifié , je l'avoue, par un choix
e fete des d'expressions fines et délicates , qui sauvent en
prenoient partie la grossièreté des idées ; mais avec tout cela
roientpas je crois que le mieux est de le supprimer : outre
e ne res qu'il est scandaleux , il est inutile ; car ce sont les
mets sans louanges non de l'Amour dont il s'agit dans ce dia
je preuds logue, mais de Socrate , qui n'y est introduit que
scrupule comme un des interlocuteurs . Voilà , monsieur, le
iteequand canevas de ce que je vous supplie de vouloir dire
e durera pour moi à madame de Fontevrault. Assurez-la
l'illastre qu'enrhumé au point où je le suis depuis trois
équi lui semaines , je suis au désespoir de ne point aller
lit seps : moi - même lui rendre ces papiers ; et si par hasard
rable;il elle demande que j'achève de traduire l'ouvrage ,
firapons n'oubliez rien pour me délivrer de cette corvée.

ure pre I Ce discours , que Racine juge avec tant de sévérité ,


eau ,n'a est cependant le plus curieux et le plus intéressant de
rieure à tous. Otez- le, et le Banquet devient une conversation sans
trompé motif et sans objet. « Platon , dit Geoffroy, n'a rien écrit
on père de plus gracieux, de plus vif et de plus animé. Le meilleur
ion du ton et la plus grande décence règnent dans les exprés
1747, sions. , Comment donc soutenir qu'il est inutile quand il
inquei fait la base de l'ouvrage et qu'il arrive si naturellement
au but que Platon s'est proposé, la justification de Socrate.
udes à
l'avait Nous avouerons , si l'on veut , que le discours d'Alcibiade
l'avait parle de choses que nos mours ne tolèrent pas ; mais nous
obesse ajouterons qu'il ne faut point oublier qu'elles étaient dans
le génie de la Grèce.
VIII AVERTISSEMENT
Adieu , bon voyage ; et donnez -moi de vos nouvelles me
dès que vous serez de retour. tré
RACINE. n's

Soit que madame l'abbesse de Fontevrault bo


n'eût jamais songé à publier son travail, soit cal
que le jugement sévère de Racine sur le dis CE
cours d'Alcibiade eût fait naître en son esprit
des doutes et des scrupules qu'elle n'eut pas la l'e
force de surmonter malgré sa grande admira
tion pour Platon , la traduction du Banquet ne
parut point de son vivant , et nous pouvons tic
ajouter que la publication faite vingt-huit ans
après sa mort , arrivée en 1704 , n'avait point Je
obtenu son assentiment . UI
Cette édition originale a pour titre : Le Ban at
quet de Platon , traduit un tiers par feu M. Ra à
cine et le reste par madame *** po
C'est un volume in-12 , imprimé en 1732 , ay
à Paris, chez Gondouin , libraire, quai des i
Augustins . Il parut en vertu d'un privilége
accordé , le 19 avril 1732 , au sieur *** , tir
En tête de ce volume , dans une dédicace 50
adressée au marquis de Grave et signée Bous
quet , on lit : « Je suis heureux de publier un
manuscrit tombé il y a plus de vingt ans entre CE
DE L'ÉDITEUR .
s nouvelles mes mains, parmi d'autres écrits d'une dame
très -illustre dont le nom , si j'osois le déclarer,
ICINE n'orneroitpas peu l'ouvrage.
Ici tout est mensonge . D'abord c'est un
aterrault homme considérable dans les lettres qui se
vail, soit cache sous le nom de Bousquet : ensuite c'est
e le dis ce pseudonyme trahissant la vérité quand il
affirme que le manuscrit dont il s'est rendu
n esprit
it pas le l'éditeur est tombé entre ses mains depuis plus
admira de vingt ans.
quet ne Malgré ces petites ruses , malgré ces précau
JOUVONS tions mesquines pour échapper à un reproche
quit ans mérité , l'éditeur pseudonyme a été démasqué.
it point Jean - Baptiste Racine nous a laissé à cet égard
un témoignage irrécusable. Dans les potes ma
je Ban nuscrites sur la vie de son père , qui ont servi
M. Ra à son frère Louis pour rédiger les Mémoires 1
publiés en 1747 , il nous apprend que son père
1732, ayant gardé une copie du Banquet de Platon ,
ai des il la trouva à sa mort parmi ses papiers . « Cette
traduction , disent les notes , n'était pas des
ivilege
tinée à voir le jour , et encore moins à paraître
licace sous le nom de mon père ; mais , en 1732 ,
Bous
er un 1 Page 22 de l'édition de 1747. - Tome V, page 18 des
entre OEuvres de Racine , édition du Prince Impérial.
AVERTISSEMENT
l'abbé d'Olivet étant un jour venu me trouver
chez moi , mit la main dans mes tiroirs , s'em
para du manuscrit du Banquet de Platon , et
sans mon aveu , le porta chez un libraire du
quai des Augustins , pour le faire imprimer . »
Voilà la vérité rétablie touchant l'édition
originale de 1732 .
Cette édition est devenue le point de départ
des études trop longtemps négligées de la phi
losophie de l'un des plus grands écrivains de
l'antiquité , du plus grand peut-être .
Le Discours d'Alcibiade retranché rendait
cette édition incomplète et dépourvue d'intérêt .
Dans celle que nous publions , tout a été
conservé , et le concours de trois illustres tra
ducteurs lui donne un puissant attrait de curio
sité. Leur nom rend tout éloge superflu en ce
qui touche le style et la fidélité.
Racine a traduit jusqu'au Discours de Pau
sanias inclusivement ( pages 1 à 29 ) .
De madame de Fontevrault , qui avait tra
duit l'ouvrage entier , mais qui par déférence
pour l'avis de Racine , avait brûlé le Dis
cours d’Alcibiade , il n'a été conservé que les
Discours d'Éryximaque, d'Aristophane, d'Aga
thon et de Socrate ( pages 29 à 77 ) .
DE L'ÉDITEUR. XI
uver Nous avons emprunté à Victor Cousin , à
' em ce savant traducteur des oeuvres complètes de
1, et Platon , dont les lettres déplorent la perte ré
? du cente , le Discours d'Alcibiade (pages 77 à 99) .
Qu'il nous soit permis de remercier ici pu
tion bliquement M. Barthélemy Saint-Hilaire de
la gracieuse autorisation qu'en sa qualité de
part légataire de Victor Cousin , il a bien voulu
nous donner à cet effet.
phi
; de

dait
rêt.
été
tra
ion
I ce

Zu

ra
ice
is
les
LE BANQUET
OU

DE L'AMOUR .

Premiers interlocuteurs :
APOLLODORE , L'AMI D'APOLLODORE .
Seconds interlocuteurs :
GLAUCON , ARISTODÈME , SOCRATE ,
AGATHON , PHÈDRE , PAUSANIAS ,
ÉRYXIMAQUE , ARISTOPHANE 1 , ALCIBIADE .

APOLLODORE 2.
Je crois que je n'aurai pas de peine à vous faire
le récit que vous me demandez ; car hier, comme
je revenois de ma maison de Phalère 3 , un homme

I On peut être étonné qu'un homme tel qu'Aristophane,


ennemi des philosophes, occupe une place au banquet
philosophique d’Agathon , et rende hommage à la vertu
de Socrate; mais Aristophane n'avoit point encore com
posé sa comédie des Nuées. ( Note de Geoffroy.),
2 Sur Apollodore, voyez le Phédon .
3 Port et bourg de l'Attique , à peu près à vingt stades
d'Athènes.
BANQUET. 1
2 LE BANQUET
de ma connoissance , qui venoit derrière moi ,
m'aperçut , et m'appela de loin , « Hé quoi ! s'écria
« t-il en badinant, Apollodore ne veut pas m’at
« tendre ? » Je m'arrêtai , et je l'attendis .
16 Je vous ai cherché longtemps , me dit-il , pour
« vous demander ce qui s'étoit passé chez Agathon
« le jour que Socrate et Alcibiade y soupèrent. On
« dit que toute la conversation roula sur l'amour,
« et je mourois d'envie d'entendre ce qui s'étoit dit
« de part et d'autre sur cette matière . J'en ai bien
« su quelque chose par le moyen d'un homme à
qui Phénix avoit raconté une partie de leurs dis
u cours ; mais cet homme ne me disoit rien de cer
tain : il m'apprit seulement que vous saviez le
(détail de cet entretien ; contez -le-moi donc , je
« vous prie : aussi bien , à qui peut - on mieux
« s'adresser qu'à vous pour entendre le discours de
« votre ami? Mais dites-moi , avant toutes choses ,
« si vous étiez présent à cette conversation . »
« Il paroît bien , lui répondis -je , que votre
« homme ne vous a rien dit de certain , puisque
« vous parlez de cette conversation comme d'une
« chose arrivée depuis peu , et comme si j'avois pu
(« y être présent. »
« Je le croyois , » me dit-il .
« Comment , lui dis -je , Glaucon ' , ne savez -vous
“ pas qu'il y a plusieurs années qu'Agathon n'a mis
« le pied dans Athènes ? Pour moi , il n'y a pas en
i Frère de Platon.
DE PLATON . 3
a core trois ans que je fréquente Socrate , et que je
« m'attache à étudier toutes ses paroles et toutes
« ses actions . Avant ce temps-là , j'errois de côté et
« d'autre ; et croyant mener une vie raisonnable ,
« j'étois le plus malheureux de tous les hommes .
« Je m'imaginois alors , comme vous faites mainte
« nant , qu'un honnête homme devoit songer à toute
« autre chose qu'à ce qui s'appelle philosophie .
« Ne m'insultez point , répliqua- t-il ; dites-moi
« plutôt quand se tint la conversation dont il s'agit .
« Nous étions bien jeunes , vous et moi , lui dis-je ;
« Ce fut dans le temps qu'Agathon remporta le prix
« de sa première tragedie !; tout se passa chez lui,
« le lendemain du sacrifice qu'il avoit fait avec ses
« acteurs pour rendre grace aux dieux du prix qu'il
« avoit gagné . »
« Vous parlez de loin , me dit-il ; mais de qui
« savez - vous ce qui fut dit dans cette assembléc ?
« Est-ce de Socrate ? »
Non , lui dis-je; je tiens ce que j'en sais de

" Agathon ,poëte tragique et comique , vivoit vers la


quatre-vingt- dixième olympiade. On dit qu'il composa le
premier une tragédie sur un sujet de pure invention ,
quoique ce fùt alors une loi pour les poëtes de choisir tous
leurs sujets dans l'Histoire ou dans la Fable. La pièce
d'Agathon , intitulée la Fleur, réussit ; et cette nouveauté
eut sans doute des imitateurs que nous ne connoissons pas.
Platon a immortalisé Agathon en choisissant la maison de
ce poëte pour son Banquet. On ne sait si c'est ce même
Agathon qu'Aristophane présente dans sa comédie des fêtes
de Cérés comme un poëte efféminé. ( Note de Geoffroy .)
LE BANQUET
« celui-là même qui l'a conté à Phénix, je veux dire
« d'Aristodème , de Cydathènei , ce petit homme
qui va toujours nu - pieds . Il se trouva lui-même
u chez Agathon . C'étoit alors un des hommes qui
« étoient le plus attachés à Socrate . J'ai quelquefois
« interrogé Socrate sur les choses que cet Aristo
« dème m'avoit récitées , el Socrate avouoit qu'il
« m'avoit dit la vérité. »
Que tardez-vous donc , me dit Glaucon , que
« vous ne me fassiez ce récit2 ? Pouvons-nous mieux
employer le chemin qui nous reste d'ici à Athènes?»
Je le contentai , et nous discourûmes de ces choses
le long du chemin . C'est ce qui fait que , comme je
vous disois tout à l'heure , j'en ai encore la mémoire
fraîche ; et il ne tiendra qu'à vous de les entendre :
aussi bien , outre le profit que je trouve à parler
ou à entendre parler de philosophie , c'est qu'il n'y
a rien au monde où je prenne tant de plaisir, tout
au contraire des autres discours . Je me meurs
d'ennui quand je vous entends, vous autres riches ,
parler de vos intérêts et de vos affaires ; je déplore
en moi-même l'aveuglement où vous êtes : vous
croyez faire merveilles, et vous ne faites rien d'utile.
Peut -être vous , de votre côté , vous me plaignez et
me regardez en pitié. Peut-être même avez -vous

Bourg de la tribu Pandionis.


2 Que tardez -vous que : latinisme alors employé par
les meilleurs auteurs , mais qui n'est plus en usage. ( Note
de Geoffroy :)
DE PLATON . 5
ux dire raison de penser cela de moi ; et moi , 'non -seule
homme ment je pense que vous êtes à plaindre , mais je
-même suis très-convaincu que j'ai raison de le penser .
L'AMI 'D'APOLLODORE .
ies qui
quefois Vous êies toujours ' le même ' , cher Apollodore ;
Aristo vous ne cessez point de dire du mal de vous et de
t qu'il tous les autres. Vous êtes persuadé qu'à commencer
par vous , tous les hommes , ' excepté Socrate , sont
des misérables. Je ne sais pas pour quel sujet on
que
mieux vous a donné le nom de furieux ; mais je sais bien
nes? qu'il y a quelque chose de cela dans tous vos dis
hoses cours. Vous êtes toujours en fureur contre vous et
meje contre tout le reste des hommes , excepté contre
noire Sucrate .
dre: APOLLODORE .
arler Il vous semble donc qu'il faut être un furieux et
I n'y un insensé pour parler ainsi de ' moi et de tous tant
tout que vous êtes ?
eurs L’AMI D'APOLLODORE .
hes , Une autre fois nous traiterons cetie question. Sou
lore venez-vousmaintenantde votre promesse , et redites
ous nous les discours qui furent tenus chez Agathon .
ile. APOLLODORE .
set 'Les voici ; ou plutôt il vaut mieux vous faire
JUS cette narration de la même manière qu'Aristodėme
me l'a faite :
« Je rencontrai Socrate , me disoit-il , qui sortoit
bar du bain , et qui étoit chaussé plus proprement qu'à
ple son ordinaire . Je lui demandai où il alloit si propre
et si beau : « Je vais souper chez Agathon , me
6 LE BANQUET
répondit -il. J'évitai de me trouver hier à la fête
« de son sacrifice , parce que je craignois la foule;
« mais je lui promis en récompense que je serois
« du lendemain , qui est aujourd'hui . Voilà pour
( quoi vous me voyez si paré. Je me suis fait beau
(c pour aller chez un beau garçon . Mais vous , Ari
stodème , seriez - vous d'humeur à venir aussi ,
quoique vous ne soyez point prié ? »
(6
Je ferai , lui dis - je , ce que vous voudrez. »
( Venez , dit-il , et montrons, quoi qu'en dise le
proverbe, qu'un galant homme peut aller souper
« chez un galant homme sans en être prié. J'accu
« serois volontiers Homère d'avoir péché contre ce
<< proverbe , lorsque , après nous avoir représentė
· Agamemnon comme un grand homme de guerre,
u et Ménélas comme un médiocre guerrier, il feint
" que Ménelas ' vient au festin d'Agamemnon sans
« être invité, c'est-à-dire qu'il fait venir un homme
« de peu de valeur chez un brave homme qui ne
« l'attend pas . »
« J'ai bien peur, dis-je à Socrate , que je ne sois
« le Ménélas du festin où vous allez. C'est à vous
« de voir comment vous vous défendrez : car, pour
moi , je dirai franchement que c'est vous qui
« m'avez prié. »
« Nous sommes deux , répondit Socrate , et nous

1 Iliade, 11 , v. 408.
? Iliade, x , v. 224. Voyez le Protagoras et le Second
Alcibiade.
DE PLATON. 7
la fête
« étudierons en chemin ce que nous aurons à dire .
foule; « Allons seulement. »
: serois « Nous allâmes vers le logis d'Agathon , en nous
pour entretenant de la sorte . Mais à peine eames -nous
it bear
avancé quelques pas , que Socrate devint tout pen
i, Ari sif, et demcura en la même place sans bouger. Je
aussi, m'arrêtois pour l'attendre ; mais il me dit d'aller
toujours devant , et qu'il me suivroit. Je trouvai la
9

porte ouverte ; et il m'arriva même une assez plai


lise le sante aventure . Un esclave d'Agathon me mena
ouper sur-le-champ dans la salle où étoit la compagnie ,
accil qui étoit déja à table , el qui attendoit que l'on
re ce servít . Agaihon s'écria en me voyant :
sente « O Aristodème , soyez le bienvenu si vous venez
erre, " pour souper ! Si c'est pour affaires, je vous
feint «prie, remettons les affaires à un autre jour . Je
sans « vous cherchai hier partout pour vous. prier d'être
21E « des nôtres . Mais que fait Socrate ? »
i ne « Alors je me retournai, croyant certainement
que Socrate me suivoit . Je fus bien surpris de ne
sois le point voir. Je dis que j'étois venu avec lui , el
ous qu'il m'avoit même invité.
our « Vous avez bien fait de venir, reprit Agathon ;
qui « mais où est- il ? »
« Il marchoit sur mes pas , lui répondis-je , et je
« ne conçois point ce qu'il peut être devenu . »
UC Enfant, dit Agathon, courez vite , allez voir où
« est Socrate ; dites- lui que nous l'attendons. Et
ed

« vous , Aristodėme, placez -vous à côté d'Éryxi


46 maque . »
LE BANQUET
« Un esclave eut ordre de me laver les pieds ; et
cependant celui qui étoit sorti revint annoncer qu'il
avoit trouvé Socratc sur la porte de la maison voi
sine , mais qu'il n'avoit pas voulu venir, quelque
chose qu'on lui eût pu dire.
1 « Vous me dites là une chose étrange , dit Aga
u thon . Retournez , et ne le quittez pas qu'il ne soit
« entré. »
C Non , non, dis-je alors, ne le détournez point :
« il lui arrive assez souvent de s'arrêter ainsi, en
quelque endroit qu'il se trouve . Vous le verrez
bientôt, si je ne me trompe : il n'y a qu'à le
« laisser faire . »
& Puisque c'est là votre avis , dit Agathon , je m'y
« rends . Et vous , mes enfants , apportez-nous donc
à manger : donnez-nous ce que vous avez ; on
« vous abandonne l'ordonnance du repas , c'est un
« soin que je n'ai jamais pris ; ne regardez ici votre
« maître que comme s'il étoit du nombre des con
a viés . Faites tout de votre mieux , et tirez-vous-en
« à votre honneur. »
« On servit. Nous commençames à souper, et
Socrate ne venoit point. Agathon perdoit patience ,
et vouloit à tout moment qu'on l'appelât ; mais
j'empêchois toujours qu'on ne le fît. Enfin , il entra
comme on avoit à moitié soupé. Agathon , qui étoit
seul sur un lit au bout de la table, le pria de se
mettre auprès de lui .
AC Venez, dit-il , Socrate , venez , que je m'ap
proche de vous le plus que je pourrai , pour
DE PLATON . 9
ds; et i tâcher d'avoir ma part des sages pensées que vous
rqu'il « **!venez de trouver ici près : car je m'assure que
n voi “ vous avez trouvé ce que vous cherchiez : autre
relque « ment vous y seriez encore. »
Quand Socrate se fut assis , Plût à Dieu ,
Aga. u dit-il , que la sagesse , bel Agathon , fût quelque
le soit « chose qui se pût verser d'un esprit dans un autre,
« comme l'eau se verse d'un vaisseau plein dans
oint: « un vaisseau vide ! Ce seroit à moi de m'estimer
i, en heureux d'être auprès de vous , dans l'espérance
4 que je pourrois me remplir de l'excellente sagesse
rerrez
là le « dont vous êtes plein : car pour la mienne , c'est
« une espèce de sagesse bien obscure et bien,
emy douteuse ; ce n'est qu'un songe : la vôtre , au
donc contraire , est une sagesse magnifique , et qui
; 01 « brille aux yeux de tout le monde; témoin la
st un gloire que vous avez acquise à votre age , et les
votre << applaudissements de plus de trente mille Grecs ,
con qui ont été depuis peu les admirateurs de votre
LIS -en “ sagesse. »
« Vous êtes toujours moqueur, reprit Agathon ,
r, el " et vous n'épargnez point vos meilleurs amis .
nce, « Nous examinerons tantôt quelle est la meilleure ,
mais de votre sagesse ou de la mienne ; et Bacchus
nura « sera notre juge : présentement ne songez qu'à
étoit " souper. »
e se « Pendant que Socrate soupoit , les autres con
viés achevèrent de manger. On en vint aux libations
'ap ordinaires , on chanta un hymne en l'honneur du
NORT dieu Bacchus ; et , après toutes ces petites cérémo
10 LE BANQUET
199
nies , on parla de boire . Pausanias ' prit la parole :
Voyons , nous dit-il , comment nous trouverons
« le secret de nous réjouir. Pour moi, je déclare
« que je suis encore incommodé de la débauche
C d'hier ; je voudrois bien qu'on m'épargnât aujour id :
« d'hui . Je ne doute pas que plusieurs de la com
pagnie , surtout ceux qui étoient du festin d'hier , qui
« ne demandent grace aussi bien que moi. Voyons
(C
de quelle manière nous passerons gaiement la
a nuit. » your
« Vous me faites plaisir, dit Aristophane , de
« vouloir que nous nous ménagions : car je suis
« un de ceux qui se sont le moins épargnés la nuit
passée . » lint
Que je vous aime de cette humeur ! dit Éryxi TES
maque , fils d’Acuménos 3. Il reste à savoir dans 5093
( This
quelle intention se trouve Agathon . »
« Tant mieux pour moi , dit Agathon , si vous
« autres braves vous êtes rendus; lant mieux pour
« Phèdre et pour les autres petits buveurs , qui ne boire
IDE
forcu
I On ne trouve guère dans l'antiquité sur ce Pausanias
que ce qui est dit dans ce dialogue, et quelques mots du - soil
Protagoras, du Banquet de Xénophon, c. viit; de Maxime
de Tyr, xxvr ; et d'Élien, Hist. var. , II, 21 ; d'après ce der joue
nier, il aurait été l'amant d’Agathon, et se serait retiré avec
lui à la cour d'Archélaüs. (Note de M. Victor Cousin .) ret
2 Le célèbre comique.
3 Acuménos était le plus grand médecin de cette oque.
Son fils suivait la même profession. Voyez le Phèdre et
le Protagoras. V
DE PLATON 11
« sont pas plus vaillants que nous . Je ne parle pas
« de Socrate , il est toujours prêt à faire ce qu'on
a veut. »
(6Mais, reprit Éryximaque , puisque vous étes
« d'avis de ne point pousser la débauche , j'en serai
« moins importun , si je vous remontre le danger
qu'il y a de s'enivrer . C'est un dogme constant
« dans la médecine , que rien n'est plus pernicieux
« à l'homme que l'excès du vin : je l'éviterai tou
« jours tant que je pourrai , et jamaisje ne le conseil
BC
lerai aux autres , surtout quand ils se sentiront
" encore la tête pesante du jour de devant. »
« Vous savez , lui dit Phèdre de Myrrhinos 1 en
« l'interrompant , que je suis volontiers de votre
« avis , surtout quand vous parlez médecine ; mais
“ vous voyez heureusement que tout le monde est
« raisonnable aujourd'hui . »
(C Il n'y eut personne qui ne fût de ce sentiment.
On résolut de ne point s'incommoder, et de ne
boire que pour son plaisir.
CC Puisque ainsi est , dit Éryximaque , qu'on ne
« forcera personne , et que nous boirons à notre
- soif, je suis d'avis , premièrement , que l'on
« renvoie cette joueuse de flûte ; qu'elle s'en aille
« jouer là dehors tant qu'elle voudra , si elle n'aime
« mieux entrer où sont les dames , et leur donner
« cet amusement. Quant à nous , si vous m'en
croyez , nous lierons ensemble quelque agréable

I Voyez le Phèdre.
12 LE BANQUET
« conversation . Je vous en proposerai ' même la
« matière , si vous le voulez . »
« Tout le monde ayant témoigné qu'il ferait
plaisir à la compagnie , Éryximaque continua ainsi :
« Je commencerai par ce vers de la Ménalippe
« d'Euripidel : Les paroles que vous entendez , ce
« ne sont point les miennes ;ce sont celles de Phèdre .
« Car Phèdre m'a souvent dit avec une espèce
d'indignation : « Éryximaque ! n'est-ce pas une
« chose étrange que , de tant de poëtes qui ont fait
« des hymnes et des cantiques en l'honneur de l'a
plupart des dieux , aucun n'ait fait un vers à l'a
louange de l'Amour, qui est pourtant un si grand
« 'dieu ? Il n'y a pas jusqu'aux sophistes , qui com
“ posent tous les jours de grands discours à l'a
louange d'Hercule et des autres demi-dieux , té
« moin le fameux Prodicus 2. Passe pour cela , J'ai 121

s
même vu un livre qui portoit pour titre : l'Éloge

.5
« du Sel, où le savant auteur exagéroit les mer M

23é ==az
« veilleuses qualités du sel , et les grands services
« qu'il rend à l'homme . En un mot , vous verrez 5-5
« qu'il n'y a presque rien au monde qui n'ait eu pr
u son panegyrique. Comment se peut-il donc faire
« que , parmi cette profusion d’éloges, on ait
« oublié l'Amour, et que personne n'ait entrepris

1.I Cette tragédie d'Euripide est perdue.


2 Dans son célèbre apologu moral : Hercule entre la
Volupté et l'Amour (Hercules ad bivium ). XÉNOPH .,
Mem . II, 1. - Cicér . , De officiis , I , 31 .
DE PLATON . 13
tême la u de louer un dieu qui mérite tant d'être loué ? » 1
Pour moi , continua Éryximaque , j'approuve
I ferait « l'indignation de Phèdre . Il ne tiendra pas à
? ainsi u moi que l'Amour n'ait son éloge comme les
inalippe « autres. Il me semble même qu'il siéroit très
des, « bien à une si agréable compagnie de ne se point
<< séparer sans avoir honoré l'Amour. Si cela vous
Phèdre.
« plaît , il ne faut point chercher d'autre sujet de
espere
pas une « conversation . Chacun prononcera son discours
ont fait « à la louange de l'Amour. On fera le tour, à com
ur de la « mencer par la droite . Ainsi , Phèdre parlera le
ers ala « premier, puisque c'est son rang , et puisque aussi
igrand a bien il est le premier auteur de la pensée que je
ii com « vous propose , ”
rs à la « Je ne doute pas , dit Socrate , que l'avis d'Éryxi
111, té. « maque ne passe ici tout d'une voix . Je sais bien
la, J'ai « au moins que je ne m'y opposerai pas , moi qui
l'Eloge « fais profession de ne savoir que l'amour , Je
$ mer « m’assure qu'Agathon ne s'y opposera pas non
(6 plus , ni Pausanias , ni encore moins Aristophane,
ervices
verrez « lui qui est tout dévoué à Bacchus et à Vénus . Je
'ait eu puis également répondre du reste de la compagnie ,
6 quoique , à dire vrai , la partie ne soit pas égale
c faire
« pour nous autres , qui sommes assis les derniers.
an ai)
« En tout cas , si ceux qui nous précèdent font bien
repris « leur devoir, et épuisent la matière , nous en se
u rons quittes pour leur donner notre approbation .
Que Phèdre commence donc , à la bonne heure ,
ntre la « et qu'il loue l’Amour. »
NOPH.,
« Le sentiment de Socrate fut généralement suivi.
14 LE BANQUET
De vous rendre ici mot à mot tous les discours que
l'on prononça , c'est ce que vous ne devez pas
attendre de moi : Aristodème , de qui je les tiens , |
n'ayant pu me les rapporter si parfaitement, et
moi- même ayant laissé échapper quelque chose du
récit qu'il m'en a fait : mais je vous redirai l'essen
tiel . Voici donc à peu près , selon lui , quel fut le
discours de Phèdre :

DISCOURS DE PHÈDRE 1 .

(G C'est un grand dieu que l'Amour, el véritable


ment digne d'être honoré des dieux et des hommes.
Il est admirable par beaucoup d'endroits , mais
surtout à cause de son ancienneté ; car il n'y a point
de dien plus ancien que lui . En voici la preuve :
on ne sait point quel est son père ni sa mère , ou
plutôt il n'en a point. Jamais poëte , ni aucun autre
homme , ne les a nommés . Hésiode , après avoir
d'abord parlé du Chaos , ajoute : ple

La Terre au large sein , le fondement des cieux ; Reply


Après elle l'Amour , le plus charmant des dieux. ber
Hésiode , par conséquent , fait succéder au Chaos la 1

1 Phèdre : c'est le même qui a donné son nom au dia 1


Iogue de Platon intitulé ΦΑΙΔΡΟΣ , Η ΠΕΡΙ ΚΑΛΟΥ(PHEDRE , ថ្មីៗ
ou du Beau) . (Note de Geoffroy .)
DE PLATON 15
cours que Terre et l'Amour. Parménide a écrit que l'Amour
levez pas est sorti du Chaos :
les tiens, 1
L'Amour fut le premier enfanté de son sein " .
mest, et
chose da « Acusilausa a suivi le sentiment d'Hésiode. Ainsi,
l'essen d'un commun consentement , il n'y a point de dieu
elfutle
qui soit plus ancien que l'Amour. Mais c'est même
de tous les dieux celui qui fait le plus de bien aux
hommes ; car quel plus grand avantage peut arriver
à une jeune personne , que d'être aimée d'un
homme vertueux ; et à un homme vertueux , que
d'aimer une jeune personne qui a de l'inclination
pour la vertu ? Il n'y a ni naissance , ni honneurs ,
ritable
ni richesses , qui soient capables , comme un hon
immes.
', mais nête amour, d'inspirer à l'homme ce qui est le
plus nécessaire pour la conduite de sa vie : je veux
apoint dire la honte du mal , et une véritable émulation
reure : pour le bien . Sans ces deux choses, il est impossible
re, ou
7 aulte que ni un particulier, même une ville , fasse
jamais rien de beau ni de grand . J'ose même dire
avoir
que , si un homme qui aime avoit ou commis une
mauvaise action ou enduré un outrage sans le
repousser , il n'y auroit ni père , ni parent , ni
personne au monde , devant qui il eût tant de honte
203 la I Voyez les Fragments de Parménide , par Fulleborn ,
p. 86 ,
dia 2 Historien grec d'Argos , vivait un peu avant l'expédi
CORE, tion de Darius ( 485 avant J. C.) . Selon saint Clément
d'Alexandrie, il n'a fait que mettre Hésiode en prose.
16 LE BANQUET
1
de paroître que devant ce qu'il aime . Il en est de zoning
même de celui qui est ainé : il n'est jamais si L'amour
confus que lorsqu'il est surpris en quelque faute quelle de
par celui dont il est aimé. Disons donc que si par i legare
quelque enchantement une ville ou une armée
pouvoit n'être composée que d'amants , il n'y auroit
point de félicité pareille à celle d'un peuple qui 20:02
auroit tout ensemble et cette horreur pour le vice , ti 3m
et cet amour pour la vertu . Des hommes ainsi qida
unis , quoique en petit nombre , pourroient , s'il de perso
faut ainsi dire , vaincre le monde entier ; car il n'y licet ra
a point d'honnête homme qui osât jamais se montrer
devant ce qu'il aime après avoir abandonné son memes!
rang ou jeté ses armes , et qui n'aimât mieux mourir 1
mille fois que de laisser ce qu'il aime dans le péril , I turéde
ou plutôt il n'y a point d'homme si timide qui ne
devînt alors comme le plus brave , et que l'amour cherche
ne transportât hors de lui-même . On lit dans
Homère que les dieux inspiroient l'audace à quel qil ed
ques-uns de ses héros 1 ; c'est ce qu'on peut dire de UT CE
l'Amour plus justement que d'aucun des dieux. Il Tarent
n'y a que parmi les amants que l'on sait mourir
l'un pour l'autre . petitpas
« Non-seulement des hommes , mais des femmes
mêmes , ont donné leur vie pour sauver ce qu'elles taillant
aimoient . La Grèce parlera éternellement d'Alceste,
fille de Pélias : elle donna sa vie pour son époux,
qu'elle aimoit , et il ne se trouva qu'elle qui osât 4

Illiade, x , 482 ; XY, 262 .


1
DE PLATON . 17
mourir pour lui, quoiqu'il eût son père et sa mère ! .
L'amour de l'amante surpassa de si loin leur amitié,
ite qu'elle les déclara , pour ainsi dire , des étrangers
à l'égard de leur fils; il sembloit qu'ils ne lui
be fussent proches que de nom . Aussi , quoiqu'il se
bit soil fait dans le monde un grand nombre de belles
D actions , celle d’Alceste a paru si belle aux dieux
et aux hommes, qu'elle a mérité une récompense
91 qui n'a été accordée qu'à un très - petit nombre
il de personnes ; les dieux , charmés de son courage ,
l'ont rappelée à la vie ; tant il est vrai qu'un
1 amour noble et généreux se fait estimer des dieux
mêmes !
1 « Ils n'ont pas ainsi traité Orphée : ils l'ont ren
voyé des enfers, sans lui accorder ce qu'il deman
e doit. Au lieu de lui rendre sa femme qu'il venoit
chercher, ils ne lui en ont montré que le fantôme;
$ car il manqua de courage , comme un musicien
qu'il étoit. Au lieu d'imiter Alceste , et de mourir
! pour ce qu'il aimoit , il usa d'adresse , et chercha
l'invention de descendre vivant aux enfers . Les
dieux, indignés de sa lâcheté, ont permis enfin qu'il
pérît par la main des femmes.
« Combien , au contraire , ont- ils honoré le
vaillant Achille ! Thétis , sa mère , lui avoit prédit
que , s'il tuoit Hector, il mourroit aussitôt après ,
mais que , s'il vouloit ne le point combattre , et
1
I EURIPIDE , Alceste , 15, et le fragment de Musonius
dans STOBÉE , Florileg ., 64.
BANQUET.
18 LE BANQUET
s'en retourner dans la maison de son père , il par
viendroit à une longue vieillesse . Cependant Achille dessus
ne balança point: il préféra la vengeance de Patrocle Seurs,
à sa propre vie : il voulut non- seulement mourir
pour son ami ' , mais même mourir sur le corps
de son ami . Aussi les dieux l'ont-ils honoré par DI
dessus tous les autres hommes , et lui ont su bon
gré d'avoir sacrifié sa vie pour celui dont il étoit ide
aimé.
Eschyle se moque de nous , quand il nous dit seruitby
que c'étoit Patrocle qui étoit l'aimé. Achille étoit le
plus beau des Grecs , et par conséquent plus beau barqué
que Patrocle. Il étoit tout jeune , et plus jeune que Tom doi
Patrocle , comme dit Homère 2. Mais véritablement laire, de
si les dieux approuvent ce que l'on fait pour ce qu'on le loze,
aime , ils estiment , ils admirent , ils récompensent parrai,
tout autrement ce que l'on fait pour la personne IN
dont on est aimé. En effet, celui qui aime est Amour
quelque chose de plus divin que celui qui est aimé ; qu'un
car il est possédé d'un dieu : de là vient qu'Achille faatmet
a été encore mieux traité qu'Alceste , puisque les | Quidou
dieux l'ont envoyé , après sa mort , dans les îles lle da
des bienheureux . wamo
Je conclus que , de tous les dieux , l'Amour est lle de
le plus ancien , le plus auguste , et le plus capable populai
de rendre l'homme vertueux durant sa vie , et les mit
heureux après sa mort . »

1 Iliade, xviii, 94. 1 Sat


Lauri
2 Iliade , XI , 786. De naty
DE PLATON . 19
il par « Phèdre finit de la sorte. Aristodème passa par
Achille dessus quelques autres dont il avoit oublié les dis
atrode cours , et il vint à Pausanias , qui parla ainsi :
mourir
? corps
re paso DISCOURS DE PAUSANIAS .
su bol
il étoit « Je n'approuve point , ô Phèdre , la simple
proposition qu'on a faite de louer l'Amour ; cela
nous dit seroit bou s'il n'y avoit qu'un Amour. Mais, comme
étoit le il y en a plus d'un , je voudrois qu'on eût
usbear marqué , avant toutes choses , quel est celui que
ine que l'on doit loner. C'est ce que je vais essayer de
slement faire. Je dirai quel est cet Amour qui mérite qu'on
requ'on le loue , et je le louerai le plus dignement que je
penseni pourrai .
ersonne 12 Il est constant que Vénus ne va point sans
me est l'Amour . S'il n'y avoit qu'une Vénus , il n'y auroit
taimé; qu'un Amour ; mais puisqu'il y a deux Vénus , il
Achille faut nécessairement qu'il y ait aussi deux Amours.
que les Qui doute qu'il y ait deux Vénus 1 ? L'une , ancienne ,
es iles fille du Ciel , et qui n'a point de mère ; nous la
nommons Vénus Uranie. L'autre , plus moderne ,
vur est fille de Jupiter et de Dionée ; nous l'appelons Vénus
pable populaire. Il s'ensuit que de deux Amours, qui sont
e , et les ministres de ces deux Vénus , il faut nommer

Sur les deux Vénus , voyez le Banquet de Xénophon ,


Euripide dans Stolée , Eclog. physic., I , p . 272 ; CICÉR.;
De natura deorum , III , 23.
20 LE BANQUET
l'un céleste , et l'autre populaire . Or, tous les Holence
dieux , à la vérité , sont dignes d'être honorés; parfait1
mais distinguons bien les fonctions de ces deux
Amours. 4201
« Toute action est de soi indifférente , comme ce helle a
que nous faisons présentement , boire , manger, pourles
discourir; rien de tout cela n'est bon en soi ; mais oblesse
le peut devenir par la manière dont on le fait; bon 199poi
si on le fait selon les règles de l'honnêteté , mauvais persoon
si on le fait contre ces règles. Il en est de même carilsne
de l'amour : tout amour, en général , n'est point éprofit
louable ni vertueux , mais seulement celui qui fait surprise
que nous aimons vertueusement. aussitôt
« L'amour de la Vénus populaire inspire des
passions basses et populaires : c'est proprement Képarer
l'amour qui règne parmi les gens du commun . Ils
aiment sans choix , plutôt les femmes que les
hommes , plutôt le corps que l'esprit; et même persone
entre les esprits, ils s'accommodent mieux des in qui
moins raisonnables , car ils n'aspirent qu'à la
jouissance ; pourvu qu'ils y parviennent , il ne Wircet
leur importe par quels moyens . De là vient qu'ils ale ce
s'attachent à tout ce qui se présente , bon ou tersle
mauvais : car ils suivent la Vénus populaire , qui , posen:
parce qu'elle est née du mâle et de la femelle , joint a fair
aux bonnes qualités de l'un les imperfections de populai
l'autre .
« Pour la Vénus Uranie , elle n'a point eu de Tadulat
mère , et par conséquent il n'y a rien de foible en ilsont
elle . De plus , elle est ancienne , et n'a point l'in
DE PLATON . 21
tous les solence de la jeunesse. Or, l'amour céleste est
Onores; parfait comme elle . Ceux qui sont possédés de cet
es des amour ont les inclinations généreuses : ils cherchent
une autre volupté que celle des sens ; il faut une
mme belle ame et un beau naturel pour leur plaire et
nanger, pour les toucher; on reconnoît dans leur choix la
i; mais noblesse de l'amour qui les inspire ; ils s'attachent
uit; bor non point à une trop grande jeunesse , mais à des
nautais personnes qui sont capables de se gouverner :
: meme car ils ne s'engagent point dans la pensée de mettre
i point à profit l'imprudence d'une personne qu'ils auront
qui fait surprise dans sa première innocence, pour la laisser
aussitôt après, et pour courir à quelque autre ;
re des mais ils se lient dans le dessein de ne se plus
rement séparer, et de passer toute leur vie avec ce qu'ils
Ils aiment. Il seroit effectivement à souhaiter qu'il y
ue les eût une loi par laquelle il fût défendu d'aimer des
miéme personnes qui n'ont pas encore toute leur raison ,
des afin qu'on ne donnât point son temps à une chose
si incertaine : car qui sait ce que deviendra un
il ne jour cette trop grande jeunesse , quel pli prendront
quil et le corps et l'esprit , de quel côté ils tourneront ,
0 vers le vice ou vers la vertu ? Les gens sages s'im
qui, posent eux -mêmes une loi si juste . Mais il faudroit
joint la faire observer rigoureusement par les amants
is de populaires dont nous parlions , et leur défendre
ces sortes d'engagements comme on leur défend
i de l'adultère. Ce sont eux qui ont déshonoré l'Amour ;
е ед ils ont fait dire qu'il étoit honteux de bien traiter
un amant; leur indiscrétion et leur injustice ont
22 LE BANQUET
seules donné lieu à une semblable opinion , qui , à tropfor
la prendre en général , est très- fausse , puisque rien baiteme
de ce qui se fait par des principes de sagesse et l'esperi
d'honneur ne sauroit étre honteux .
Il n'est pas difficile de connoître l'opinion que 9
les hommes ont de l'Amour dans tous les pays de filiats o
la terre , car la loi est claire et simple . Il n'y a que
les seules villes d'Athènes et de Lacédémone où la CELK q
loi est difficile à entendre , où elle estsujette à expli Want Go
cation . Dans l'Elide " , par exemple , et dans la Béotie,
où les esprits sont pesants , et où l'éloquence n'est ww
pas ordinaire , il est dit simplement qu'il est permis des pel
d'aimer qui nous aime . Personne ne va parmi eux à ITO
l'encontre de cette ordonnance , ni jeunes ni vieux ; Bons.)
il faut croire qu'ils ont ainsi autorisé l'amour pour l'ordor
en aplanir les difficultés, et afin qu'on n'ait pas ditqu'
besoin , pour se faire aimer, de recourir à des arti Semer
fices que la nature leur a refusés. Mail
« Les choses vont autrement dans l'Ionie , et dans hoan
tous les pays soumis à la domination des barbares : beaute
car là on déclare infame toute personne qui souffre
un amant. On traite sur un même pied l'amour, la
philosophie , et tous les exercices dignes d'un feroit
honnête homme. D'où vient cela ? C'est que les
tyrans n'aiment point à voir qu'il s'élève de grands
courages, ou qu'il se lie dans leurs États des amitiés permi

I XÉNOPB. , De republ. Lacedem ., II , 113 . SEXT. 11


EMPIR. , Hypot., III, 24. — PLUTARQ. , Lacedæm , instit. des G
STRAB. , X. Porez
DE PLATON . 23
1,4 trop fortes : or c'est ce que l'amour sait faire par
faitement. Les tyrans d'Athènes en firent autrefois
l'expérience : l'amitié violente d'Harmodius et
d'Aristogiton 1 renversa la tyrannie dont Athènes
étoit opprimée. Il est donc visible que dans les
États où il est honteux d'aimer qui nous aime ,
cette trop grande sévéritė vient de l'injustice de
ceux qui gouvernent , et de la lâcheté de ceux qui
sont gouvernés ; mais que, dans les pays , au con
traire , où il est honnête de rendre amour pour
amour, cette indulgence est un effet de la grossièreté
des peuples qui ont craint les difficultés.
« Tout cela est bien plus sagement ordonné parmi
nous. Mais , comme j'ai dit , il faut bien examiner
l'ordonnance pour la concevoir : car, d'un côté , on
dit qu'il est plus honnête d'aimer aux yeux de tout
11 le monde que d'aimer en cachette , surtout quand
on aime des personnes qui ont elles-mêmes de
l'honneur et de la vertu , et encore plus quand la
beauté du corps ne se rencontre point dans ce qu'on
aime. Tout le monde s'intéresse pour la prospérité
d'un homme qui aime ; on l'encourage ; ce qu'on nc
feroit point si l'on croyoit qu'il ne fût pas honnête
5 d'aimer . On l'estime quand il a réussi dans son
$ amour ; on le méprise quand il n'a pas réussi . On
permet à son amant de se servir de mille moyens

I Harmodius et Aristogiton , Athéniens de la famille


des Géphyréens , connus par le meurtre d'Hipparque.
Voyez l'Hipparque, et Thucydide , I , 20.
24 LE BANQUET
pour parvenir à son but ; et il n'y a pas un seul de ME
ces moyens qui ne fût capable de le perdre dans legarde
l'esprit de tous les honnêtes gens , s'il s'en servoit met act
pour toute autre chose que pour se faire aimer : sureus
car si un homme, dans le dessein de s'enrichir, est de
ou d'obtenir une charge , ou de se faire quelque ament
autre établissement de cette nature , osoit avoir de par
pour un grand seigneur la moindre des complai
sances qu'un amant a pour ce qu'il aime ; s'il topoe
employoit les mêmes supplications , s'il avoit la qui le
même assiduité , s'il faisoit les mêmes serments , каде
s'il couchoit à sa porte , s'il descendoit à mille wade
bassesses où un esclave auroit honte de descendre , elåse
il n'auroit ni un ennemi ni un ami qui le laissât en wates
repos : les uns lui reprocheroient publiquement sa d'abor
turpitude , ses bassesses ; les autres en rougiroient , il est
et s'efforceroient de l'en corriger. Cependant tout conda
cela sied merveilleusement à un homme qui aime ; Then
tout lui est permis : non -seulement ses bassesses il'an
ne le déshonorent pas , mais on l'en estime comme beur
un homme qui fait très-bien son devoir. Et ce qui lare
est le plus merveilleux , c'est qu'on veut que les popu
amants soient les seuls parjures que les dieux ne
punissent point ; car on dit que les serments n'en beaut
gagent point en amour : tant il est vrai que les bean
hommes et les dieux donnent tout pouvoir à un leurs
amant ! Il n'y a donc personne qui là -dessus nc
demeure persuadé qu'il est très-louable, en cette l'am
ville , et d'aimer et de vouloir du bien à ceux qui
nous aiment .
DE PLATON. 25
s un seulde * Mais ne croira - t - on pas le contraire , si l'on
perdre du regarde , d'un autre côté , avec quel soin un père
s'en servai met auprès de ses enfants une personne qui veille
uire aimer : sur eux , et que le plus grand soin de ces personnes
s'enrich.t est d'empêcher qu'ils ne parlent à ceux qui les
re quelque aiment? S'il arrive même qu'on les voie entretenir
osoit avoir de pareils commerces , tous leurs camarades les
complai accablent de railleries , et les gens plus âgés ni ne
aime; si s'opposent à ces railleries , ni ne querellent ceux
I avoit le qui les font. Encore une fois , à examiner cet
sermeos usage de notre ville , ne croira - t -on pas que nous
t á milli sommes dans un pays où il y a de la honte à aimer
escendre, et à se laisser aimer ? Voici comme il faut accorder
laissát et toutes ces contrariétés . L'amour , comme je disois
iementy d'abord , n'est de soi-même ni bon ni mauvais :
giroient, il est louable , si l'on aime avec honneur ; il est
dast toet condamnable , si l'on aime contre les règles de
wi' aime; l'honnêteté. Il y a de la honte à se laisser vaincre
Jassesses à l'amour d'un malhonnête homme; il y a de l’hon
comme neur à se rendre à l'amitié d'un homme qui a de
i cequi la vertu . J'appelle malhonnête homme cet amant
que les populaire qui aime le corps plutôt que l'esprit ; son
ieur ne amour ne sauroit être de durée , car il aime une
is n'en beauté qui ne dure point ; dès que la fleur de cette
jue les beauté est passée , vous le voyez .qui s'envole ail
rà un leurs , sans se souvenir de ses beaux discours et de
sus ne toutes ses belles promesses. Il n'en est pas aiņsi de
I cette l'amant honnête : comme il s'est épris d'une belle
us qui ame , son amitié est immortelle , car ce qu'il aime
est solide et ne périt point.
26 LE BANQUET
« Telle est donc l'intention de la loi établie
parmi nous : elle veut qu'on examine avant de s'en partie
gager, et qu'on honore ceux qui aiment pour la tense,
vertu , tandis qu'on aura en horreur ceux qui ne
recherchent que la volupté ; elle encourage les sophie
jeunes gens à se donner aux premiers et à fuir
les autres ; elle examine quelle est l'intention de de las
celui qui aime , et quel est le motif de celui qui se l'aime
laisse aimer. Il s'ensuit de là qu'il y a de la honte que !
à s'engager légèrement ; car il n'y a que le temps Telur
qui découvre le secret des caurs . tous
(C Il est encore honteux de céder à un homme
TROT
riche , ou à un homme qui est dans une grande sono
fortune , soit qu'on se rende par timidité , ou qu'on Tertu
se laisse éblouir par l'argent , ou par l'espérance que !
d'entrer dans les charges : car outre que des raisons table
de cette nature ne peuvent jamais lier une amitié àce i
véritable et généreuse , elles portent d'ailleurs sur dese
des fondements trop peu durables . tions
« Reste un seul motif, pour lequel , selon l'esprit
de notre loi , on peut accorder son amitié à celui ul
qui la demande : car tout de même que les bas que
sesses et la servitude volontaire d'un homme qui hont
aspire à se faire aimer ne sont point odieuses , et hont
ne lui sont point reprochées, aussi y a - t- il une poig
espèce de servitude volontaire qui ne peut jamais door
être blâmée : c'est celle où l'on s'engage pour la reco
vertu. Tout le monde s'accorde en ce point , que si qu'il
un homme s'attache à en servir un autre , dans
part
l'espérance de devenir honnête homme par son eo
DE PLATON. 27
a loi etabli moyen , d'acquérir la sagesse , ou quelque autre
avant dese partie de la vertu , cette servitude n'est point hon
ment pour le teuse , et ne s'appelle point une bassesse .
ceux qui se « Il faut que l'amour se traite comme la philo
ncourage 2 sophie ,' et que les lois de l'un soient les mêmes
its et que les lois de l'autre, si l'on veut qu'il soit honnête
intention & de favoriser celui qui nous aime ; car si l'amant et
celui quise l'aimé s'aiment tous deux à ces conditions , savoir,
de lahonte que l'amant , en reconnoissance des honnêtes fa
ue le temps veurs de celui qu'il aime , sera prêt à lui rendre
tous les services qu'il pourra lui rendre avec hon
un home neur ; que l'aimé , de son côté , pour reconnoître le
unegrand soin que son amant aura pris de le rendre sage et
3,, 02 qu'en vertueux , aura pour lui toutes les complaisances
l'esperan: que l'honneur lui permettra ; et si l'amant est véri
des raisons tablement capable d'inspirer la vertu et la prudence
ine amict à ce qu'il aime, et que l'aimé ait un véritable desir
illeurs se de se faire instruire ; si , dis -je , toutes ces condi
tions se rencontrent , c'est alors uniquement qu'il
on l'esprit est honnête d'aimer qui nous aime .
tie'à celui « L'amour ne peut point être permis pour quel
e les bas que autre raison que ce soit. Alors il n'est point
imme qui honteux d'être trompé ; partout ailleurs il y a de la
cuses, el honte , soit qu'on soit trompé , soit qu'on ne le soit
--il are point : car si , dans l'espérance du gain , on s'aban
21jamais donne à un amant que l'on croyoit riche , et qu'on
pour le reconnoisse que cet amant est pauvre en effet, et
, que si qu'il ne peut tenir parole , la honte est égale de
e, dans part et d'autre . On a découvert ce que l'on étoit ,
par son et on a montré que , pour le gain , on pouvoit tout
28 LE BANQUET
faire pour tout le monde . Et qu'y a - t-il de plus iuque
éloigné de la vertu que ce sentiment ? Au contraire , - cessé.
si , après s'être confié à un amant que l'on auroit Jef
.cru 'honnête homme , dans l'espérance d'acquérir la
veriu par le moyen de son amitié , on vient à recon vala
noître que cet amant n'est point honnête homme, Snie:
et qu'il est lui-même sans vertu , il n'y a point potre
de déshonneur à êirc trompé de la sorte ; car on odel'ei
a fait voir le fond de son cæur, on a montré que cesser
pour la vertu , et dans l'espérance de parvenir à
une plus grande perfection , on étoit capable de tuse
tout entreprendre ; et il n'y avoit rien de plus glo J'a
rieux que d'avoir cette passion pour la vertu. phanie
(G il s'ensuit donc qu'il est beau d'aimer pour la Somn
vertu . C'est cet amour qui fait la Vénus céleste , et
qui est céleste lui-même, utile aux particuliers et
aux républiques , et digne de leur principale étude , DI
qui oblige l'amant et l'aimé de veiller sur eux
mêmes , et d'avoir soin de se rendre mutuellement • Pa
wanne
vertueux . Tous les autres amours appartiennent à
la Vénus populaire. devoir
« Voilà , ô Phèdre , tout ce que j'avois à vous
dire présentement sur l'amour. » perila
tris pa
« Pausanias ayant fait ici une pause ( car voilà seuleme
de ces allusions que nos sophistes enseignent), c'étoit
à Aristophane à parler ; mais il en fut empêché par TOW
un hoquet qui lui étoit survenu, apparemment pour fansle
avoir trop mangé. Il s'adressa donc à Éryximaque ,
médecin , auprès de qui il étoit , et lui dit :
« Il faut où que vous me délivriez de ce boquet , le mada
DE PLATON . 29
.] de plin " ou que vous parliez pour moi jusqu'à ce qu'il ait :
contract « cessé. »
l'on aura « Je ferai l'un et l'autre , répondit Éryximaque;
acquetila * car je vais parler à votre place , et vous parlerez
atarecta u à la mienne , quand votre incommodité ' sera
: honet « finie : elle le sera bientôt , si vous voulez retenir
уа рай « votre haleine , et vous gargariser la gorge avec
e , ar « de l'eau . Il y a encore un autre remède qui fait
ontréque « cesser infailliblement le hoquet , quelque violent.
arrenri It qu'il puisse être , c'est de se procurer l'éternuement
pable de « en se frottant le nez une ou deux fois , »
plus ghe « J'aurai exécuté vos ordonnances , dit Aristo
«« phane , avant que votre discours soit achevé.
r pour le « Commencez1 . »
leste, et
uliers et
le etude. DISCOURS D'ÉRYXIM AQUE.
ur eur
« Pausanias a dit de très--belles choses ; mais ,
Hlement
comme il me semble qu'il ne les a pas assez appro
Olegt
fondies, et qu'il ne les a que commencées , je crois
à TOUS devoir les achever . J'approuve fort la distinction
qu'il a faite des deux amours ; mais je crois décou
r rail vrir par la médecine que l'amour ne réside pas
seulement dans l'ame des hommes , pour la porter
c'était
à la recherche de la beauté : je suis persuadé qu'il
iépar se trouve encore dans plusieurs autres choses , tant
pour dans le corps des animaux que dans les productions
que,
1 Ici finit la traduction de Racine , et commence celle
Tuệt, de madame de Rochechouart.
30 LE BANQUET
de la terre , et , pour ainsi dire , dans toute la na est régli
ture . Ce dieu se montre grand et admirable en tout corde e
parmi les hommes et parmi les dieux . Je tire de la eatreter
médecine la première preuve de cette doctrine, afin peut, et
d'honorer mon art . bitsl,oi
« Les parties de nos corps qui sont saines , et viame
celles qui sont en mauvaise disposition , consistent Tamera
en des choses dissemblables , et diffèrent par con pour as
séquent dans leurs desirs . L'amour donc qui réside
dans un corps qui jouit de la santé est autre que reputati
celui qui se trouve dans un corps malade , et la la méde
maxime que Pausanias a établie touchant la com
plaisance qui est due à un ami vertueux , et la outeri
résistance à celui qui est animé d'une passion dé kuange
réglée , cette maxime , dis -je , doit être pratiquée
par un savant médecin à l'égard de ce double * de men
amour que nous établissons dans les corps , en sui lamusi
vant la pente des bons temperaments , et en com cliteai
battant ceux qui sont dépravés . C'est en cela que
consiste tout l'art de la médecine : car, pour le
dire en peu de mots , la médecine est une science
par laquelle on découvre l'inclination des corps à siabst
rechercher les aliments , et à se soulager de la qu'elle
réplétion ; et le médecin qui sait le mieux discerner demeu
en cela l'amour réglé d'avec le vicieux doit être baitngque
estimé très-habile . Mais une autre grande marque
de son savoir et de son industrie est de disposer
tellement des inclinations du corps , qu'il puisse sigue.S
les changer selon le besoin ; arracher ce que nous Terms
avons appelé amour vicieux , introduire celui qui
DE PLATON . 31
oute la ni est réglé où il se trouve nécessaire , établir la con
ble entu corde entre les qualités qui se combattent , et les
e tiredel entretenir dans une mutuelle correspondance. On
ctrine, si peut , en effet, regarder comme ennemies ces qua-.
lités, lorsqu'elles sont contraires les unes aux autres,
saines, & comme le froid l'est au chaud , le sec à l'humide ,
consiste l'amer au doux , et les autres de même espèce . C'est
par cus pour avoir trouvé le moyen de mettre l'union entre
quitect ces contraires , qu'Esculape , qui est en si grande
autre que répulation parmi nous , a été appelé l'inventeur de
de, et de la médecine , ainsi que chantent les poëtes , et que
It la com je le crois . J'ose donc assurer que la médecine est
UI, eth gouvernée par le dieu dont nous avons entrepris la
ussion de louange.
pratiquée « Si l'on veut y faire attention , on reconnoîtra
? doubt de même sa puissance dans la gymnastique , dans
, en su la musique , dans l'agriculture : c'est ce qu'Héra
en todo clite a peut-être senti , quoiqu'il ne se soit expliqué
cela que qu'avec obscurité , en disant que ce qui se combat
pour soi - même produit l'accord . Sur quoi il donne
science l'exemple de l'harmonie qui procède de la lyre . Il
corps i est absurde que l'harmonie ne soit pas d'accord , ou
: de la qu'elle soit formée de dissonances en tant qu'elle
scerner demeure telle ; mais apparemment Héraclite enten
it étre doit que des choses qui étoient contraires , comme
narque le ton grave et l'aigu , il se formoit une harmonie ,
sposer après les avoir mises d'accord par l'art de la mu
puisse sique . Sans cet art de mettre d'accord les contraires,
DOU l'harmonie ne se formeroit jamais : car, étant une
i qui consonnance et un accord , elle ne peut pas se
32 LE BANQUET
former des choses opposées , tant qu'elles demeu ces de
rent opposées . C'est de cette manière que les lon cine, e
gues et les brèves , qui diffèrent entre elles , com paisqa
posent la mesure lorsqu'elles sont accordées. Ainsi, Serenc
la musique accorde les sons différents, comme la Nté de
médecine réconcilie les humeurs qui se font la lesfois
guerre ; et cet amour ne peut-il pas être appelé un e froi
amour mutuel , que cette science produit entre les fasemt
sons et les mesures , en discernant la manière dont sobie
ils doivent être assemblés? Le pouvoir de l'amour salatai
se reconnoît aisément dans cet assemblage ; mais Contrai
la distinction de ces deux amours ne s'y remarque maladi
que dans l'usage de cette science par rapport aux
hommes ; ou en inventant , et c'est ce qui s'appelle intemp
composition ; ou en se servant à propos de cette moissa
même composition , et c'est ce qui s'appelle disci фурте
pline . Pour cela il est besoin d'une grande atten l'appel
tion , et d'un maître très-habile. Montes
Appliquons ici la maxime qui a déja été établie, 4 mo
qui est de favoriser les personnes modestes, et celles des hos
Teatr
qui sont en chemin de le devenir, afin d'entretenir e
en eux l'amour légitime et céleste de la muse Ura la piété
nie . Pour celui de Polymnie , qui est vulgaire , on
n'en doit user qu'avec une grande retenue , en sorte
que l'agrément qu'on y trouve ne puisse jamais
porter au déréglement. La même circonspection Weir[ eបa
est nécessaire dans notre art, afin d'accorder l'usage Grigali
des viandes qui flattent le goût dans une si juste bezient
mesure , qu'elles ne puissent pas être nuisibles à la bien et
santé. Nous devons donc distinguer soigneusement Metal
DE PLATON. 33
les demos ces deux amours dans la musique , dans la méde
je les les cine , et dans toutes les choses humaines et divines ,
lles, con puisqu'il n'y en a aucune où ces deux divinités ne
lees,dies se rencontrent. Elles se trouvent aussi dans la diver
comme sité des saisons qui composent l'année : car toutes
se font le les fois que ces qualités dont je parlois tout à l'heure,
appeles le froid , le chaud, l'humide et le sec , contractent
I entrela ensemble un amour réglé , et composent une har
nière date monie juste et tempérée , l'année devient fertile et
e l'amw salutaire aux plantes et à tous les animaux , qui au
contraire sont infectes de peste et de toute sorte de
remanak maladies , lorsque le mauvais amour domine dans
sport22 ces mêmes qualités , lequel produit aussi toutes les
sappels intempéries qui agitent l'air el qui corrompent les
de cette moissons . La connoissance de ces choses , celle du
lle disci mouvement des cieux et du partage de l'année ,
le atte ? s'appellent astronomie . De plus, les sacrifices ,
toutes les choses où la divination est employée , en
etablie. un mot , tout ce qui concerne la communication
etcelles des hommes avec les dieux , n'ont pour but que
streteni d'entretenir l'amour réglé qui est le fondement de
se Ura la piété , puisque les actions impies , telles que les
uire, on omissions des devoirs envers les parents vivants et
on sorte morts , et l'abandon du service des dieux , ne vien
jamais nent que de ne pas cultiver cet amour divin , et de
pection s'être abandonné à son contraire . L'emploi de la
I'usage divination est d'observer ces amours , par où clle
ijuste devient l'instrument du commerce qui est entre
es all Dieu et les hommes . C'est donc la divination qui ,
ement en examinant et en conservant ces amours, devient
BANQUET , 3
34 LE BANQUET
l'instrument de l'amitié qui est entre les dieux et pour
les hommes : car elle discerne ce qu'il y a de juste атес
et d'illicite dans les affections humaines . Ainsi, i dot
il est vrai de dire en général que l'Amour est puis TOUS
sant , et que sa puissance est universelle. Mais ce 1 été
qui met le comble à cette puissance , et ce qui vous Vo
prouve une parfaite félicité, c'est quand il s'ap phan
plique au bien , et qu'il est réglé par la justice et edire,
la tempérance , tant à notre égard qu'à l'égard des train
dieux , nous faisant vivre en paix les uns avec les fort
autres , et nous conciliant la bienveillance des dieux, chose
dont la nature est si relevée au-dessus de la nôtre . VO
J'omets peut-être beaucoup de choses qui pourroient
contribuer à la louange de l'Amour ; mais ce n'est Appli
ITA
pas volontairement. C'est à vous , Aristophane , à
faire entrer dans votre éloge ce qui manque à aparol
celui-ci . Si c'est pourtant par une autre voie que "Pent
yous voulez honorer le dieu , vous êtes libre de la
prendre . Commencez donc , puisque votre hoquet
est cessé. »
* Aristophane répondit : DI
Il est cessé , en effet; mais ce n'a pu être que
u par l'éternuement : et j'admire qu'un mouvement
« comme celui-là , accompagné de bruits et d'agita ede :
« tions ridicules , puisse convenir à un corps dont que cell
A
« l'amour réglé ( pour parler dans vos termes) fait hommme
« le tempérament et la liaison . » s
isla
« Prenez garde , Aristophane, à ce que vous faites,
« dit Éryximaque. Vous êtes sur le point de parler, ples, et
u et vous plaisantez à mes dépens. Votre raillerie pomt en
DE PLATON. 36
s dieure pourroit bien m'obliger à observer votre discours
a dejust « avec un esprit de censure , pour peu que vous
y donniez de matière . C'est volontairement que
'est pas « vous vous exposez à ce péril , qu'il vous auroit
Mais e « été libre d'éviter, »
qui nous « Vous avez raison , Éryximaque, répondit Aristo
phane. Oubliez , je vous prie , ce que je viens de
justice et dire , et ne m'examinez point à la rigueur : car je
egard des crains , non pas de faire rire , qui seroit une chose
avecle « fort convenable à ma Muse , mais de dire des
lesdieni, « choses qui soient dignes de moquerie . »
la notre « Vous prétendez échapper, reprit Éryximaque ,
ourroien « après avoir le premier lancé vos traits contre moi .
sce Appliquez- vous à ce que vous allez dire , comme
phane,i si vous deviez rendre compte de chacune de vos
(
jaunque i * paroles . S'il m'en prend envie , je vous traiterai
11
soie que * peut-être avec plus d'indulgence.
ore del Aristophane commença ainsi :
: hoquet

DISCOURS D’ARISTOPHANE .
étre que
iyenler
« Je me propose de suivre une autre méthode
d'agiza
ps thout que celle de Pausanias et que la vôtre , en traitant
es) fait de l'Amour. Il me semble que jusqu'ici tous les
hommes ont ignoré la puissance de ce dieu : car
s'ils la connoissoient , ils lui élèveroient des tem
faites:
ples, et lui offriroient des sacrifices , ce qui n'est
parler
point en pratique , quoique rien ne fût plus conve
36 LE BANQUET
nablel : car c'est celui de tous les dieux qui répand Messi
le plus de bienfaits sur tous les hommes ; il est
leur protecteur et leur médecin , et leur fait trouver 2.se
la félicité, après les avoir soulagés de leurs maux. Heat de
Je vais essayer à vous faire connoître cette puis tasali
sance . Vous enseignerez aux autres ce que vous la terre
apprendrez de moi sur ce sujet.
« Il faut commencer par connoître quelles étoient This pri
autrefois les passions de l'homme , et sa nature, qui aler
différoit beaucoup de ce qu'elle est aujourd'hui. Il Ces me
y avoit alors trois sortes d'hommes , les deux sexes tilears
qui subsistent encore , et un troisième composé qui ‫܂‬deܶ‫ܐܶܐ‬mo‫݂ܠ‬i‫ܳܕ‬
les renfermoit tous deux . Ce dernier a été détruit : ‫ܐ‬
il s'appeloit androgyne, et ce nom infame est la Jupiter
seule chose qui en reste . Tous les hommes généa hirep
ralement étoient d'une figure ronde , avoient deux pas sa
visages opposés l'un à l'autre , tenant à une seule poeroi
tête qui étoit ronde aussi , quatre bras, quatre pieds, Be TOC
et tout le reste multiplié dans la même porportion . lecule
Leur situation étoit droite comme la nôtre ; ils lopite
n'avoient pas besoin de se tourner pour suivre wurte :
tous les chemins qu'ils vouloient prendre , et quand les
ils vouloient rendre leur marche plus prompte, de
ils s'appuyoient de leurs bras aussi bien que de deu
leurs pieds , par un mouvement circulaire sem
blable à celui d'une certaine danse où , s'appuyant
1 On pourrait croire , d'après ce passage , que l'Amour ils
n'éta pas une divinité positive de la mythologie païenne, sey
mais une simple création poétique. (Note de M. Victor
Cousin .)
DE PLATON . 37
quirépand successivement sur la tête , les pieds et les mains ,
mes, ilest on imite le mouvement d'une roue . La différence
fait trourer qui se trouve entre ces trois espèces d'hommes
leurs mart vient de la différence de leurs principes . Le sexe
cette pus masculin est produit par le soleil , le féminin par
e que tou la terre ; et celui qui ei composé de deux , par la
lune , qui participe de la terre et du soleil . Ces
elles étoient trois principes leur avoient communiqué leur figure
vature,qui et leur manière de se mouvoir, qui est sphérique .
vurd'hui.1 Ces mêmes causes rendoient leurs corps robustes ,
deus seres et leurs courages élevés , ce qui leur inspira l'audace
omposé qui de monter au ciel , et de combattre contre les
le detrai: dieux, ainsi qu'Homère l'écrit d'Éphialtès etd'Otos !.
ame est Jupiter examina avec les dieux ce qu'il y avoit à
omes gélico faire pour arrêter cette entreprise. L'affaire n'étoit
oient deu pas sans difficulté : car une telle insolence ne
une seule pouvoit être soufferte ; mais d'autre part les dieux
atre pieds ne vouloient pas , en détruisant les hommes , abolir
orportia. le culte qu'ils ne peuvent recevoir que d'eux. Enfin ,
nôtre ;il Jupiter prit une résolution qu'il déclara de cette
nr suivre sorte : « J'ai trouvé ,, dit-il , un moyen de conserver
d
1 et quan « les hommes , et de les rendre plus retenus ; c'est
promple, « de diminuer leurs forces : je les séparerai en
1 que de « deux ; par là ils deviendront foibles , et nous
ire sedi « aurons encore un autre avantage , qui sera
appuyant << d'augmenter le pombre de ceux qui nous servent ;

el'Amour « ils marcheront droit , soutenus de deux jambes


u seulement ; et si , après cette punition , leur
paienne,
W. Victor
HOMÈRE , Odyssée, xi , v. 307.
38 LE BANQUET
-« audace impie subsiste encore , je les séparerai Dezta
« de nouveau , et ils seront réduits à n'avoir plus diend
CCqu'un seul pied . il com
« Après cette déclaration , le dieu fit la séparation
qu'il venoit de résoudre , et il la fit de la manière
quc l'on fend les aufs lorsqu'on veut les saler, ou I wioné
talment
qu'avec un cheveu on les divise en deux parties
égales . Il commanda ensuite à Apollon de guérir
les plaies , et de placer le visage des hommes du tonepa
côté que la séparation avoit été faite , afin que la moitiéd
vue de ce châtiment les rendît plus modestes .
adese
Apollon obéit , et ramassant les peaux coupées , il ws
Dailies
les réunit toutes à la manière d'une bourse que
l'on ferme , ainsi que cela paroît encore. Il les polil bomme
avec un instrument semblable à celui dont se
servent les cordonniers , et laissa seulement quel quiain
ques plis qui sont comme des cicatrices quc l'homme deux
ne peut regarder sans se souvenir de son ancien 10016
crime . Cette division étant faite , chaque moitié sembl.
cherchoit à rencontrer celle qui lui étoit propre : les hi
et s'étant trouvées toutes les deux, elles se joignoient Lesse
avec une telle ardeur, dans le desir de rentrer en die
dans leur ancienne unité , qu'elles périssoient dans propi
cet embrassement, oubliant toutes les fonctions
nécessaires à l'entretien de la vie . Quand l'une des
moitiés périssoit , l'autre qui restoit en cherchoit
une autre , à laquelle elle s'unissoit de nouveau ; et n'en
cela arrivoit indifféremment aux deux sexes . Ainsi , tiqu
le genre humain alloit bientôt être détruit , si met
Jupiter, touché de ce malheur, n'eût fait un chan
DE PLATON . 39

les separera gement à la conformation de ces moitiés , par le


à n'avoir par moyen duquel cette union ne fut plus un obstacle
à la continuation de l'espèce , non plus qu'aux
-la separatist autres soins nécessaires pour vivre . C'est de là
de la manis qu'a pris naissance l'amour mutuel , qui , par
i les saler, die l’union étroite qu'il met entre deux personnes qui
deux parties s'aiment , rétablit en quelque sorte leur nature
op de gréir dans son ancienne perfection . Chacun de nous n'est
i hommes de donc pas un homme parfait, mais seulement une
afin quele moitié de ce qu'il étoit originairement : moitié qui
is modeste a été séparée de son tout de la même manière que
nous voyons séparer une sole ou une plie . Ces
moitiés cherchent toujours leurs moitiés ; et c'est
bourse que
. Il lespoli d'ou procède la différence des inclinations . Les
lui dont & hommes qui recherchent les femmes, et les femmes
ment quel qui aiment les hommes , sortent de ce composé des
ucl'home deux sexes , nommé androgyne. Les autres , qui
son anch n'étoient composés que d'un sexe , cherchent leur
que moi semblable. Cette inclination a de bons effets parmi
les hommes , parce que , les portant dès leur jeu
vit propre
joignoient nesse à converser avec ceux qui sont plus avancés
de rentrer en âge , ils se forment à la vertu , et se rendent
oient dans propres aux emplois de la république . Dans un âge
fonction mûr ils ont à leur tour les mêmes attentions pour
l'une des la jeunesse qui s'attache à eux . Ils sont d'autant
cherchait plus maîtres de leur consacrer leurs soins , qu'ils
uvean ;et n'en sont point détournés par les embarras domes
ºs. Ainsi, tiques : car ils aiment le célibat , et ne se sou
truit, si mettent au mariage que lorsqu'ils y sont invités par
in char la loi . C'est bien tort que la jeunesse de ce
40 LE BANQUET
caractère est blamée , puisqu'au contraire ce n'est plissen
que par grandeur d'ame et par générosité qu'ils dévelo
recherchent leurs semblables , dans l'espérance d'y de lem
trouver les mêmes qualités . lapers
« Toutes les fois que quelqu'un rencontre sa Want 21
moitié , il demeure saisi et agité d'une ardeur véhé peate
mente ; et la séparation d'un objet si cher, quand premie
même elle ne dureroit qu'un moment , lui cst d'une Douse
douleur insupportable . Les délices que de vrais damise
amants trouvent à être ensemble n'ont point une amour
source déshonnête . Ce qu'ils desirent l'un de l'autre l'on fi
deron
n'est pas si commun , et ne peut s'exprimer : ils
se le font comprendre par des signes obscurs , que faute
leur mutuelle affection leur rend intelligibles. Et me 51
si Vulcain , leur apparoissant avec des instruments bien
de son, art , leur disoit : Qu'est-ce que vous Tamo
« demandez réciproquement ? » et que les voyant any d
hésiter, il continuât à les interroger ainsi : « Ce rendo
« que vous voulez , n'est-ce pas d'être tellement de 10
« unis ensemble , que ni jour ni nuit vous ne soyez
jamais l'un sans l'autre ? Si c'est là ce que vous bomb
desirez , je vais vous fondre, et vous mêler de ?
« telle façon , que vous ne serez plus deux per
« sonnes , mais une seule , non-seulement pendant Dotoi
« cette vie , mais encore dans le tombeau. Voyez Cette
donc, encore une fois, si c'est là le sujet de vos louet
desirs , et ce qui peut vous rendre parfaitement DOUS
« heureux, » Si , dis- je , Vulcain leur tenoit ce dis lem
cours , il est certain qu'aucun ne refuseroit son et si
offre, ni ne rechercheroit autre chose pour l'accom lan
DE PLATON . 41
raire ceva plissement de ses desirs , jugeant que Vulcain a
érosite you développé ce qui de tout temps étoit caché au fond
:spérancedi de leur ame , ce desir d'un mélange si parfait avec
la personne aimée , qu'on ne composât plus qu'un
rencontre 1 tout avec elle : desir qui n'est autre chose qu'une
ardeur vel pente naturelle à rétablir notre nature dans sa
cher, qui première perfection. Car, comme je l'ai déja dit ,
luiestd'o nous étions autrefois un composé parfait , qui a été
ue de tra divisé pour punir notre injustice ; et l'on appelle
amour l'inclination que l'on a , et les efforts que
it point es
ndel'autre l'on fait pour rejoindre ces deux parties . Nous
primer :1 devons donc prendre garde à ne commettre aucune
oscurs,que faute contre les dieux , de peur d'être exposés à
ligibles. El une seconde division . Tachons d'obtenir d'eux le
Ostrument bien que nous cherchons par l'inspiration de
que rou l'Amour, auquel on ne sauroit résister sans résister
les rojas aux dieux mêmes : amour qui , si nous nous le
isi : 14 rendons favorable , nous fera trouver cette partie
tellement de nous-mêmes nécessaire à notre bonheur : grace
très - rare , et qui n'est accordée qu'à un petit
sne sopa
que Fox nombre .
méler de Mais , au reste , qu'Éryximaque ne s'avise pas
eus per de critiquer ces dernières paroles , comme si elles
pendant notoient Pausanias et Agathon. Peut-être ont- ils
1. Vores cette origine mâle et généreuse que nous avons
de rog louée tantôt. Quoi qu'il en soit , je suis certain que
itemen nous serons tous heureux , tant les hommes que les
ce disa femmes, si nous suivons les impressions de l'Amour,
oit son et si nous jouissons de ses faveurs , recouvrant par
accom là notre ancienne nature .
42 LE BANQUET
« Cet état étant parfaitement heureux , on ne peut Socra
nier que ce qui en approche le plus , qui est de iserica
rencoutrer un ami capable de remplir le cæur, ne • Perpl
soit ce qu'il y a de meilleur et de plus desirable ; 1i augm
et en louant Dieu de ce bonheur, c'est Amour que arec
nous louons , et auquel il est bien juste que nous IVO
rendions graces , puisque non-seulement il nous uchani
assiste dans le temps présent , en nous donnant ce deval
qui nous convient , mais qu'il nous fait espérer atten
encore que , si nous sommes fidèles au service des jaro
dieux , il rendra notre bonheur complet , en remé ‫وه‬
diant aux défauts de notre nature , et la rétablis asi je
sant dans sa première perfection. pelit
« Voilà , Éryximaque, ce que j'avois à dire sur "Jai y
l'Amour. J'ai mis au jour des idées différentes des TODO
vôtres ; mais je vous conjure , encore une fois , de Sans
ne point faire la critique de mon discours, afin de ne tasse
rien dérober du temps qui nous reste pour entendre A
les autres , ou plutôt pour entendre Agathon et pas
Socrate , les deux seuls qui aient à parler . »
« Je vous obéirai , dit Éryximaque , et d'autant COM
« plus volontiers que votre discours m'a charmé,
CC mais à un tel point que , si je ne connoissois
« combien sont éloquents Socrate et Agathon en doi
« matière d'amour, je craindrois fort qu'ils ne per
« demeurassent court, la matière paroissant épuisée de
« par tout ce qui a été dit jusqu'à présent. Je ne les
ja laisse pas cependant d'attendre encore beaucoup *S01
« d'eux .
« Vous vous êtes très - bien tiré d'affaire , dit qu
DE PLATON . 43
I, OD BEper Socrate ; mais , si vous étiez à ma place , vous
1, qui esti u seriez dans la crainte , Éryximaque , et dans la
le coeur, perplexité où je suis présentement ; et ma crainte
s desirable augmentera encore quand Agathon aura parlé
1 Amour fa u avec cette éloquence qui lui est ordinaire . »
te que no « Vous voulez , ô Socrate , dit Agathon, m'en
ent il now « chanter par vos flatteries, afin que je tremble
donnante « devant vous , en m'imaginant que cette assembléc
ait espére « attend d'aussi grandes choses de moi que si
service de « j'avois à paroître sur un théâtre. »
enfees « J'aurois bien peu de mémoire , reprit Socrate ,
a retabe « si je vous soupçonnois d'être intimidé par une
petite troupe de gens tels que nous : vous que
à dire si « j'ai vu paroître hier sur la scène tragique , envi
rentesde u ronné des comédiens , et qui avez récité vos vers
le fois, & « sans aucune crainte devant une si nombreuse
afin des « assemblée .
entendre Ah ! je vous prie , répondit Agathon , ne croyez
;athon 1 pas , Socrate , que je sois tellement enivré du
« théâtre et de ses applaudissements , que j'ignore
d'autant « combien le jugement d'un petit nombre de sages
charme, « est préférable à celui de la multitude , »
apoisas « Je serois bien injuste , reprit Socrate , si je
thone « doutois de votre discernement , et si je n'étois
uük persuadé que vous trouvant avec un petit nombre
épaises « de personnes qui vous parofiroient sages , vous
Je at « les préféreriez au vulgaire . Mais peut-être ne
aucoup u sommes-nous pas de ces sages ; car enfin nous
« étions hier mêlés avec le vulgaire . Mais , supposé
re, di u que vous vous trouvassiez avec ces mêmes sages ,
44 LE BANQUET
« craindriez-vous de faire quelque chose qu'ils. hué l'A
fateurs
“ pussent désapprouver ? »
bait con
Oui , certainement, je le craindrois , » répondit
baner es
Agathon .
nature
« Et n'auriez- vous pas la même crainte avec les
« personnes vulgaires ? » reprit Socrate. 2xele
premier
« Phèdre prit la parole là-dessus , et dit à Aga coanoiti
thon :
bence
« Mon cher, si vous continuez à répondre à
borbeni
« Socrate , il ne se mettra pas en peine du reste :
ül est
« car il est content pourvu qu'il ait quelqu'un avec
(C qui disputer, principalement quand c'est une de tous
“ personne qui a de la beauté . Je prends grand wit si
savoir,
plaisir à entendre discourir Socrate ; mais je ne Cestige
« dois pas souffrir que ce que nous avons entrepris Vatersi
u à l'honneur de l'Amour demeure imparfait. Que
halinat
« chacun achève donc dans son rang de louer ce
« dieu . Après cela vous disputerez tant qu'il vous toujour
l'altach
plaira. »
« Vous avez raison , Phèdre , dit Agathon : rien nc Je
avancée
« m'empêche de parler, puisque en effet je pourrai
Amou
« d'autres fois rentrer en dispute avec Socrate.
woatien
« J'établirai donc d'abord le plan de mon discours,
dieus,
u et puis je commencerai . »
qu'Hési
tienne
DISCOURS D'AGATHON .
qu'ils 1
kéner
« Il me paroît que ceux qui ont parlé jusqu'ici
ont plutôt célébré les bienfaits de l'Amour, et le plutôt
bonheur qu'il procure aux hommes , qu'ils n'ont pas ver
DE PLATON. 45

those qui loué l'Amour même . On a bien dit de quelles


faveurs il est la source , mais on ne l'a pas encore
- répondi fait connoître lui-même . La bonne méthode de
louer est pourtant d'exposer d'abord quelle est la
ite avecle nature du sujet que l'on loue , et de passer ensuite
aux effets dont il est la cause. Il faut donc dire ,
premièrement , quel est ce dieu , et faire ensuite
dir a les
connoître les faveurs qu'on reçoit de lui. Je com
épondre i mence par assurer non -seulement qu'il jouit du
du reste bonheur attaché à la nature diyine , mais encore
Tu anand ( s'il est permis de le dire ) qu'il est le plus heureux
c'est en de tous les dieux , parce qu'il n'y en a point qui
ads gran soit si beau ni si excellent que lui . Voulez - vous
nais je
savoir, Phèdre , pourquoi je le crois le plus beau ?
i entrepris C'est qu'il est le plus jeune . On le voit bien par
rfait. Qui l'aversion qu'il a pour la vieillesse , et par son
: louere inclination pour la jeunesse , qui l'accompagne
pu il roes toujours : car, suivant l'ancien proverbe, chacun
s'attache à son semblable .
:riende « Je conviens de plusieurs choses que Phèdre a
*: pourTi avancées ; mais je ne saurois lui accorder que
Socrate l'Amour soit plus ancien que Saturne et Japet. Je
liscours, soutiens , au contraire , qu'il est le plus jeune des
dieux , et qu'il est toujours jeune . Dans tout ce
qu'Hésiode et Parménide nous rapportent de l'an
cienne histoire des dieux ( supposé qu'elle soit telle
qu'ils nous la racontent ) on ne remarque aucun
n1squia événement qui ne puissc être attribué à la Nécessité
1, et le plutôt qu'à l'Amour. En effet, les dieux n'en seroient
$ non pas venus entre eux à des divisions, à des violences,
46 LE BANQUET
et à ces mutilations honteuses qu'on leur attribue , strom
s'ils avoient eu l'Amour parmi eux . L'amitié et qu'elle
la paix y auroient régné, ils auroient été tran preuve
quilles et unis comme ils l'ont été depuis que nafasan
l'Amour leur a fait sentir son pouvoir. Il est donc
certain qu'il est jeune , et de plus il est tendre et offense
délicat. Il faudroit un Homère pour exprimer cette ayat
tendre délicatesse . Homère dit qu'Até ou la Cala 11.sou
mité est une déesse qui ne s'appuie point sur la aucune
terre , mais qu'elle marche sur la tête des hommes ! atec I
Il donne par là à conjecturer clairement combien de l'a
elle est délicate. J'aurois besoin d'user de quelque selon1
expression semblable , pour faire connoître que yena?
l'Amour est encore plus délicat et plus tendre , nest
puisque la tête méme seroit trop rude pour lui , et TALL
qu'il s'arrête non-seulement sur des choses déli surle
cales , mais même sur celles qui le sont le plus ,
telles que l'ame et l'esprit des hommes etdesdieux. ACT
Encore fait- il un choix entre ces esprits , car il Tamo
rejette ceux qu'il trouve grossiers . Mais outre qu'il Partage
ne s'attache qu'aux ames les plus délicates , il les IS
pénètre de toutes parts , y entre et en sort sans en
être aperçu ; ce qui est encore une preuve de sa
souplesse et de sa subtilité. On ne peut pas douter Vamo
de sa beauté , puisqu'il y a une guerre perpétuelle
entre la Laideur et l'Amour. Il est fleuri et parfumé
comme les fleurs mêmes , avec lesquelles il se
plaît si fort, qu'il ne s'arrête qu'aux objets où elles nauce
WIDC
I HOMÈRE , Iliade , XIX , v. 92.
DE PLATON. 47
uratte. se trouvent, et qu'il s'en éloigne en même temps
L'amice a qu'elles. On pourroit apporter plusieurs autres
it ete tra preuves de la beauté de ce dieu, si celles-ci n'étoient
suffisantes.
depuis que
Il est diz « Parlons de sa vertu. Il ne peut recevoir aucune
st tendre e offense de la part des hommes ni des dieux ; et aussi
rimer& n'y a-t-il aucun d'eux qui soit offensé par lui : car
ou la Cala s'il souffre, ou s'il fait souffrir les autres , c'est sans
sint sur le aucune contrainte , la violence étant incompatible
hommes! avec l'Amour. Tous ceux qui éprouvent le pouvoir
combie de l'Amour s'y sont soumis volontairement. Or,
selon les lois , on ne commet point d'injustice en
le queis
joitre prenapt ce qui est cédé de bon gré. Mais l'Amour
is tendre n'est pas seulement juste , il est encore tempé
jur lai, et rant; car la tempérance est une vertu qui domine
oses deli sur les voluptés. Et y a-t-il une volupté plus puis
sante que celle dont l'Amour est le maître ? Si
t leplus,
des dient donc toutes autres voluptés sont plus foibles que
is, car i l'Amour, il faut que l'Amour ait la tempérance en
utre qui partage.
es, illes « Sa force n'est pas moins aisée à prouver . Elle
1 sans a est telle , que Mars même ne lui résiste pas : car on
ire des ne dit pas que Mars retient l'Amour, mais que
$ douler l'amour de Vénus retient Mars . Ainsi , surmonter
petaell celui qui surmonte les autres , n'est- ce pas être le
parfume plus fort de tous ?
's il * « Après avoir parlé de la justice , de la tempé
où elles rance et de la force de ce dieu , il reste à faire
connoître sa sagesse . Pour honorer donc mon art ,
comme Éryximaque a voulu honorer le sien , je
48 LE BANQUET
dirai quel'Amour possède si excellemment la poésie,
qu'il la communique à qui il lui plaît. En effet,
quiconque est inspiré de l'Amour devient aussi
poëte , quand même son esprit seroit naturellement
grossier . Et si l’Amour fait les poëtes , il est indu
meme
bitable qu'il est poëte lui-même , puisqu'on n'en
seigne point ce qu'on ne sait pas , comme on ne
donne point ce qu'on n'a pas . Qui doute que la
production des animaux ne soit l'ouvrage de l'A
mour , et un effet de sa sagesse ? Mais cette même
sagesse ne nous donne -t-elle pas aussi tous les arts ?
et celui qui a l'Amour pour maître n'excelle - t-il
pas bientôt en quelque art que ce soit ? Au con
traire , ne voit-on pas languir dans l'obscurité tous
ceux que ce dieu n'anime pas ? Apollon lui-même dou
est disciple de l'Amour , puisque sans lui il n'auroit idan
pas inventé la manière de tirer de l'arc , la méde iles
cine et la divination . Tous les autres dieux inven « То
teurs des arts , comme les Muses , Vulcain et for
Minerve , en sont de même redevables à l'Amour.
C'est lui qui a aussi enseigné à Jupiter l'art de
gouverner les hommes et les dieux . Ainsi , les
affaires des uns et des autres sont conduites par
l'Amour, c'est-à-dire par l'impression de la beauté :
car ce qui lui est contraire ne peut jamais attirer
l'Amour . Avant que ce dieu eût paru , , il s'est est
commis plusieurs actions cruelles et indignes parmi
les dieux , ainsi que je l'ai remarqué au commen
cement de ce discours . On appelle ce temps le
règne de la Nécessité . Mais aussitôt que le desir
DE PLATON. 49

nent lapeste des belles choses eut fait naître ce dieu dans le
lit. Em cli, monde , toutes sortes de biens se répandirent fant
devient 298 dans le ciel que sur la terre . Il me semble donc ,
laturellema Phèdre, que j'ai eu raison d'avancer que ce dieu
, ilest ind est très -beau et très-bon , et qu'il communique ces
squ'on n'e mêmes avantages aux autres. Je puis autoriser mes
omme w pensées sur ce sujet de certains vers qui me revien
oute qael nent dans l'esprit, et dont voici le sens :
rage de// « C'est ce dieu qui procure la paix aux hommes ,
cette més « qui apaise les vents , qui répand la sérénité sur
jus les art ! « la surface de la mer, et qui fait reposer les
excelle-M « humains tranquillement. C'est ce même Amour
1 du qui enseigne la politesse, et qui concilie l'amitié
scurite mouw « entre les hommes , en les assemblant dans unc
i lui-mény « douce société. Il est notre maître et notre chef,
iln'aurai « dans les danses et les sacrifices qui se célèbrent
lameile « les jours solennels. Il adoucit les naturels féroces .
Por inter « Toute haine est chassée , et toute amitié est
Vulcain el « formée par lui . Il est favorable, bienfaisant,
i l'Amour « admiré des sages , agréable aux dieux , l'objet des
r l'are di « desirs de ceux qui ne le possèdent pas encore ,
Jinsi, les « un trésor précieux à ceux qui le possèdent , le
(
uites par père des délices , des doux charmes, des agré
abeaute « ments , des tendres voluptés ; il s'intéresse aux
us attirer bons, et méprise lesméchants. C'est de lui qu'on
,il s'e " est secouru ', protégé et gouverné dans les travaux
« et dans toutes les actions de la vie. Enfin , il est
essparsi
ommel la gloire des dieux et des hommes. Il doit être
« suivi et célébré avec des hymnes par ceux que
emps « lui-même a instruits des divins chants dont il se
le desis
BANQUET. 4
50 LE BANQUET
« sert pour répandre la douceur parmi les dieux et sen :
6 parmi les hommes , » téte
( A ce dieu charmant, ô Phèdre , je consacre ce
Poit
discours , que j'ai entremélé de choses badines et el
sérieuses , selon la portée de mon esprit. » hon
(C Tous les conviés donnèrent un applaudissement
général à Agathon , et jugèrent qu'il avoit parlé
d'une manière digne du dieu et de lui . Après quoi lona
Socrate s'étant tourné vers Éryximaque :
N'avois -je pas raison , lui dit-il , de prévoir que .com
l'éloquence d'Agathon épuiseroit la matière et ne
« me laisseroit plus rien à dire ? » qu'o
« Vous avez bien conjecturé, répondit Éryxi des
«C maque , de l'éloquence d'Agathon , mais très -mal choi
« de la vôtre , si vous avez cru pouvoir en man slap
“ quer. » met
Qui est-ce , répondit Socrate , qui ne seroit pas ، Wai
« intimidé aussi bien que moi , ayant à parler après " pas
« un discours si parfait, admirable en toutes ses det
( t parties , mais principalement sur la fin , où il lone
« paroît une élévation et une élégance qu'on ne 1 soit
« sauroit considérer sans étonnement ? Je me trouve ou la
« si éloigné de pouvoir parvenir à cette perfection , Ces
« que , me sentant saisi de honte , j'aurois quitté TA
« la place , si j'en avois eu la liberté : car je sais
« ce que j'ai éprouvé avec Gorgias ?; et, me sou + ខួu០
rear,
loue
I Gorgias le Léontin , sophiste et orateur célèbre , qui
passe pour être l'inventeur du nombre oratoire, et de l'art
d'improviser. T
LOT
DE PLATON . 51
les dies a # venant de ce que rapporte Homère touchant la
“ tête de la Gorgone ?, j'ai pensé qu'Agathon lan
consaare « çoit sur moi l'élégance de Gorgias , qui m'alloit
badides a en quelque sorte pétrifier, en me réduisant à un
« honteux silence . J'ai reconnu en même temps
udissemes « combien j'élois téméraire , lorsque je me suis
avoit par engagé avec vous à rapporter en mon rang les
Aprèsquat louanges de l'Amour, et que je m'étois vanté
« d'être savant dans cette matière , puisque j'ignorois
préroirga « comment il faut louer quelque sujet que ce soit.
itière ete 4 J'avois été jusqu'ici assez stupide pour croire
« qu'on ne peut faire entrer dans les louanges que
lit Énui « des choses véritables , entre lesquelles il falloit
s trespa - choisir les plus belles , et les placer de la manière
en mar « la plus convenable . Fondé sur cette opinion , je
* me fiois à ma capacité, et croyois pouvoir réussir .
seroit pa « Mais enfin j'ai reconnu que cette méthode n'étoit
rlerapres pas bonne , et qu'il falloit attribuer toutes sortes
outes se « de perfections au sujet que l'on a entrepris de
UK louer, soit qu'elles lui appartiennent en effet ,
A,
qu'on u soit qu'elles ne lui appartiennent pas , la vérité
e front u ou la fausscté n'étant en cela de nulle importance.
•fection, « C'est ainsi que vous attribuez toutes choses à
3 quitte « l'Amour. Vous le faites si grand , et la cause de
Je said « si grandes choses , qu'il est impossible que les
le sou ignorants ne le croient très-beau et très-bon :
« car, pour les gens éclairés , cette manière de
« louer ne leur imposera jamais. Elle m'étoit tout
vre,qui
del'art
I HOMÈRE , Odyssée, XI , v. 632 et suiv.
52 LE BANQUET
« à fait inconnue , lorsque je vous ai donné ma
parole. C'est donc seulement ma langue et non
« pas mon esprit qui a pris cet engagement 1. Aussi
« me seroit-il impossible de le remplir à votre
manière ; mais j'y satisferai à la mienne, si vous
« le voulez; et, selon ma coutume , je ne m'atta
cherai qu'à dire des choses vraies, sans me
« donner ici le ridicule de prétendre disputer d'élo
« quence avec vous . Voyez , Phèdre , si vous serez
« content d'un éloge qui ne passera pas les bornes
« de la vérité , et dont le style sera simple . »
(C J'approuve fort , répondit Phèdre , et toute
« l'assemblée approuve de même que vous parliez
u comme il vous plaira. »
Permettez -moi, Phèdre , reprit Socrate , de
« faire quelques questions à Agathon , afin qu'étant
« éclairé par lui , je puisse parler avec plus d'assu
« rance , >>
(6 Très-volontiers, » répondit Phèdre.
Après quoi Socrate commença..

DISCOURS DE SOCRATÉ.

« Je trouve , mon cher Agathon , que vous vous


êtes fait un plan très-juste , en vous proposant
de montrer quelle est la nature de l'Amour, et
ensuite quelles sont ses opérations. Mais après les
1 Allusion au vers 612 de l'Hippolyte d'Euripide.
DE PLATON . 53
donde magnifiques louanges que vous lui avez données,
je vous prie de me dire si cet amour est l'amour
vent !, de de quelque chose ou de rien : car si, en vous parlant
lir à Four d'un père, je vous demandois de qui donc est-il
De, sa père , votre réponse , pour être juste , devroit être
ne ma qu'il est père d'un fils ou d'une fille : n'en convenez
$105 vous pas ? »
puter do* Oui, sans doute , » dit Agathon .
Foussera « Souffrez done, ajouta Socrate , que je vous
lesborze fasse encore quelques interrogations, pour vous
de. découvrir mieux ma pensée. Un frère est-il frère de
quelqu'un ? »
pussparlie Oui, » répondit Agathon .
* Est- ce d'un frère ou d'une sour ? »
scrate,. « Ce peut être de l'un et de l'autre. »
in qu'étant * Tachez donc , reprit Socrate , de nous montrer
lus d'aster si l'amour est l'amour de quelque chose ou de
rien . »
* De quelque chose , certainement. »
« Retenez bien ce que vous avancez là - dessus.
Mais , avant que d'aller plus loin , dites-moi encore
si l'amour desire la chose dont il est amour. »
E. « Il la desire beaucoup. .
« Mais, reprit Socrate , est-il possesseur de cette
Ous rog chose qu'il desire ? ou plutôt ce qu'il desire n'est-il
roposant pas hors de lui ? »
lour, Vraisemblablement, reprit Agathon , il n'a pas
prés les - la chose qu'il desire. »
Vraisemblablement ? Pour moi je trouve que
de. ee n'est pas dire assez . Il faut nécessairement que
54 LE BANQUET
celui qui desire manque de la chose qu'il desire. Un
homme , par exemple , qui est grand et qui est fort,
desire-t-il la grandeur et la force ? »
« Il me paraît , répondit Agathon , que cela ne
u sauroit être : car on ne manque pas de ce qu'on
possède. >
Vous avez raison , reprit Socrate : car, s'il arri
voit que celui qui jouit de la force , de la santé , de
l'agilité , desirât ces sortes de choses , il faudroit
avouer qu'il desire ce qu'il possède . Prenons bien
garde à ceci . Vous trouverez que dans le temps
qu'on est possesseur d'une chose, on la possède
nécessairement , soit qu'on le veuille , soit qu'on
ne le veuille pas . Or, qui est celui qui , ayant cette
chose , s'aviseroit de la desirer ? Peut-être nous
objectera -t-on qu'une personne qui seroit riche et
saine pourroit dire : « Je souhaite les richesses et
« la santé , et par conséquent je desire ce que je
possède . » Mais ne lui répondrions-nous pas :
« Votre desir ne peut tomber que sur l'avenir :
« car, puisque vous possédez ces choses présente
« ment , il est certain que vous les avez sans que
« votre volonté soit la cause de cette possession .
« Vous voyez donc bien que , lorsque vous dites ,
« je desire une chose que j'ai , cela signifie , je
« desire d'avoir à l'avenir ce que je n'ai pas besoin
« de desirer présentement , puisque je l'ai. »
« A ce que vous dites là , reprit Agathon , je ne
« vois rien à répliquer. >>
« Tout amour , continua Socrate , a donc pour
DE PLATON . 55
ildesire. I objet ce que l'on ne possède pas encore : de même
qui esthit que toute personne qui desire ne desire que ce
qu'elle n'a pas encore , ne souhaite d'être que ce
que cela qu'elle n'est point , et de posséder que ce qui lui
de ce que manque. »
« Il est vrai , » dit Agathon .
tar, s'il a Repassons, ajouta Socrate , tout ce que nous
la sante, & venons de dire. Prémièrement, l'amour est amour
il fandri de quelque chose; en second lieu , d'une chose qui
renons bid lui manque. »
18 le tray « J'en conviens , » dit Agathon .
la postala Souvenez -vous, reprit Socrate , quelles sont ces
soit qala choses que vous avez dit être l'objet de l'amour. Si
vous voulez , je vous en ferai souvenir. Vous avez
-étre 100 dit, ce me semble, que tout ce que les dieux ont fait
pit riched n'a pour principe que l'amour des belles choses ,
ichesses & parce que le contraire du beau ne peut jamais être
ce que j l'objet de l'amour ? N'est-ce pas ce que vous disiez ? »
ous pain * Cela même , » répondit Agathon .
l'areniz: « Selon vos propres paroles , l'amour a donc
presents pour objet la beauté, et non pas la laideur ? Or, ne
: sans quat sommes -nous pas convenus que l'amour desire les
ossession choses qu'il n'a pas ? Nous en sommes convenus .
rus dites, L'Amour donc est privé de beauté. »
zniſ,e i « Il faut nécessairement le conclure. »
as besoin « Hé bien donc , appelez-vous beau ce qui est
privé de beauté ? »
o, je « Non , certainement , » répondit Agathon.
« S'il est ainsi , reprit Socrate , assurez -vous que
l'Amour est beau ? »
1с роші
56 LE BANQUET
« J'avoue, répondit Agathon , que je n'avois pas
bien compris ce que je disois de sa beauté. »
« Vous parlez sagement , reprit Socrate. Mais
continuez un peu à me répondre. Vous paroît-il
que les bonnes choses soient belles ? »
« Il me le paroît. »
C Si donc l'Amour est privé de beauté , et que le
beau soit inséparable du bon, il est donc aussi privé
de la bonté. »
« Il en faut demeurer d'accord , Socrate , car il
« n'y a pas moyen de vous résister. »
« O mon cher ami ! ce n'est pas à Socrate qu'il est
impossible de résister, c'est à la vérité. Mais il est
temps que je quitte Agathon , et que j'adresse la
parole à tous les conviés. Je vous rapporterai donc
ce que j'ai ouï dire à Diotime sur le sujet de
l'amour. Elle étoit savante sur cette matière et sur
plusieurs autres , et pénétroit même jusque dans
l'avenir. Ce fut elle qui prescrivit aux Athéniens
les sacrifices qui suspendirent dix ans une peste
dont ils étoient menacés. Je tiens d’elle tout ce que
je sais sur l'Amour. Je vais essayer de vous rap
porter les instructions qu'elle m'a données; et pour
ne point m'écarter de votre méthode , Agathon,
j'espliquerai d'abord ce que c'est que l'amour, et
ensuite ses effets. J'avois dit à Diotime presque les
mêmes choses qu'Agathon vient de dire : « Que
« l'Amour étoit un dieu puissant , bon et beau ; »
et elle se servoit des mêmes raisons que je viens
d'employer contre Agathon , pour me prouver
DE PLATON . 57
n'arais po que l'Amour n'étoit ni beau ni bon. Je lui répli
inte, quai :
crate. Ma * Qu'entendez - vous, Diotime? Quoi! l'Amour
USs parsili a seroit- il laid et mauvais ? »
- Parlez-moi juste, me répondit-elle. Croyez-vous
* que tout ce qui n'est pas beau soit nécessairement
é, etqui laid ? »
aussi park « Je le croyois ainsi , » lui répondisnje.
C
Et croyez - vous, ajoutá -t-elle , qu'on ne puisse
rale, ari 4 manquer de science sans être absolument igno
u rant? N'avez - vous pas pris garde qu'il y a un mi
ate quüle « lieu entre la science et l'ignorance, qui est d'opi
Mais il the per avec vraisemblance , et de tenir à la vérité
adrese « sans pourtant la connoître avec certitude ? Cela
rterai dar * ne se peut appeler science , puisqu'elle doit être
e sujete « fondée sur des raisons certaines ; ce n'est pas une
iére etsa ignorance non plus : car ce qui participe au vrai
sque ne peut , avec justice ,recevoir ce nom . Ainsi, il y
Athéniens « a une opinion droite qui tient le milieu entre la
une per a science et l'ignorance . »
putceque « J'avouai à Diotime qu'elle disoit vrai.
FONS Tap « Ne condamnez donc pas , reprit-elle, tout ce
16* quin'est pas beau à être laid , et tout ce qui n'est
i; et pour
Agatheo « pas bon à être mauvais ; et convenez , par les
mour, u raisons que nous venons de dire, que , pour avoir
esque li " reconnu que l'Amour n'est ni beau ni bon , vous
4 n'êtes pas dans la nécessité de le croire laid et
u mauvais . »
beau;
je viens « Mais pourtant, lui répliquai-je , tout le monde
r
proute « est d'accord que l'Amour est un grand dieu. »
58 LE BANQUET
« Par tout le monde , entendez -vous, Socrate,
« les savants ou les ignorants ? »
« J'entends tout le monde, lui dis-je , sans excep
« tion . »
« Comment , reprit- elle en souriant, pourroit-il
" passer pour un grand dieu parmi ceux qui ne le
a reconnoissent pas même pour un dieu ? »
Qui peuvent être ceux-là ? » dis - je.
« Vous et moi , » répondit-elle .
Comment , repris-je, pouvez -vous assurer que
« je vous aie rien dit d'approchant? »
« Je vous le montrerai aisément, dit-elle. Répon
« dez -moi, je vous prie . N'assurez-vous pas que
« tous les dieux sont beaux et heureux ? Oseriez
« vous priver quelqu'un des dieux de ces attri
« buts ? »
ec Non , par Jupiter ! » lui répondis -je.
N'appelez-vous pas heureux ceux qui possèdent
« les belles et bonnes choses ? »
« Ceux-là seulement. »
Mais, dans vos discours précédents , vous avez
u établi que l'Amour desiroit les belles et les
« bonnes choses , et que le desir étoit une marque
« de privation . 22
« Je l'ai établi en effet. »
- « Comment donc , reprit Diotime, se peut-il faire
que l'Amour soit dieu , étant privé de tous ces
a biens ? »
« Il faut que j'avoue que cela ne se peut , '
répondis - je.
DE PLATON. 59
« Ne voyez-vous donc pas bien que vous ne
pensez pas que l'Amour soit un dieu ? »
, as Quoi ! lui répondis-je , est -ce que l'Amour est
« mortel ? »
,POUNTER « Je ne dis pas cela. »
ut quiset « Mais enfin , Diotime, dites-moi, qu'est-il dónc ? »
(«6 C'est , Socrate, ce qu'on appelle un démon ,
1, « une nature qui tient le milieu entre les dieux et
« les hommes . »
Quelle est , lui demandai-je , la puissance d'un
assurer « démon? »
« D'être l'interprète et l'entremetteur entre les
elle. Repe « dieux et les hommes , en portant au ciel les voeux
vus pas que les hommes y adressent , et rapportant aux
.. !Osent
e ces att « mêmes hommes les ordonnances des dieux tou
« chant le culte qui leur est dû . Cet être entretient
« une communication mutuelle entre les parties de
e. K« l'univers les plus séparées , et doit être regardé
i posséder
« comme le lien qui unit ce grand tout. C'est de
'« ces démons que procèdent la divination , les
TOUS srd enchantements, la magie , tout ce qui concerne
les et in les sacrifices et les fonctions des prêtres . C'est
le mange u encore par leur moyen que les songes mystérieux
« et autres avertissements des dieux nous sont
envoyés , la nature divine ne se communiquant
<<point immédiatement
ut-il fair aux hommes . Celui qui
tous « est savant dans toutes ces choses, est appelé d'un
« nom qui signifie heureux et sage ; et les autres, qui
* excellent dans les arts mécaniques , sont appelés
peut,
a mercenaires . L'Amour est un de ces démons , qui
60 LE BANQUET
sont en grand nombre , et de plusieurs sortes. »
« De quels parents tire - t - il sa naissance ? » dis-je DKK
à Diotime. 'pi
« Je vais vous le dire , répondit-elle , quoique le "AT
&C récit en soit long :
« A la naissance de Vénus il se fit un souper où ' pa
« tous les dieux assistèrent, et en particulier Poros,
^ fils du Conseil et dieu de l'Abondance . Le repas
(6 fini , la Pauvreté étoit venue en chercher des
4 débris , et se tenoit à la porte , d'où elle apercut
« Poros endormi dans le jardin de Jupiter, après
« s'être rempli de nectar, parce que le vin n'étoit
“ pas encore en usage. Pressée de son indigence, tei
« elle desira le commerce de ce dieu , et chercha ishte
« les moyens de le surprendre. Elle alla donc
« auprès de lui ; et c'est de ces deux principes si
" opposés que l'Amour prit naissance. Il est attaché
4 à Vénus , parce qu'il a été conçu le jour qu'elle tela
# est née. Il desire la beauté, parce que cette
« déesse est belle . Fils de la Pauvreté , et fils du
* dieu de l'Abondance , il tient du naturel de l'un
# et de l'autre. Suivant celui de sa mère , il est
« indigent; et bien loin d'être beau et délical,
« comme plusieurs le pensent, il est maigre, mal ét
4 propre , marche nu - pieds, et sans habits , est
« attaché à la terre malgré ses ailes , sans maison ni
« demeure fixe, couchant à l'air , aux portes, et dans CO
« les places publiques . Mais tenant aussi de son
AC père, il recherche ce qui est beau et bon ; il est 91
hardi et industrieux dans cette poursuite , inven
DE PLATON. 61
Xurs i « tant sans cesse des artifices et des expédients
ince ?, die « nouveaux, il s'étudie à la philosophie et à la
NG
prudence; c'est un éloquent sophiste , et le plus
:, quoiques grand de tous les enchanteurs. De sa nature
« il n'est ni mortel ni immortel, mais il s'éteint
insouper le « par sa propre indigence , et il recommence à
ulier Part « vivre par l'abondance qu'il tient de son père. Il
ce. Lerege « s'éteint et se ranime quelquefois en un même
«« jour. Il acquiert sans cesse et dissipe de même :
hercher :
elle aperty « ainsi il n'est ni riche ni pauvre. Il tient aussi
« le milieu entre le savoir et l'ignorance : car
upiter, at
1000 « les dieux étant sages par leur nature , ne peu
1 indigeae « vent philosopher , et n'ont point à desirer la
et chart * sagesse. Les gens qui sont dans l'autre extrémité
e alla das « ne philosophent pas non plus : car le caractère
principes « de la parfaite ignorance , et son plus pernicieux
il estattad effet , c'est de persuader à ceux qui n'ont point
jour grics u la sagesse qu'elle ne leur manque pas , et de
que se « leur ôler par là le desir de la rechercher, parce
set fils de qu'on ne desire jamais les choses dont on croit
trelde la « être possesseur, *
tére, ils It Qui donc, Diotime , sont ceux qui s'appliquent
et delic * à la philosophie , puisque vous excluez de cette
is « étude les sages et les ignorants ? »s
igr,e ma
bi
ha , ts « Un enfant le comprendroit , répondit- elle. Ce
maison « sont ceux qui tiennent le milieu entre ces deux
:S, etany « contraires , et l'Amour est de ce nombre . La
si de stat “K sagesse tient rang entre les plus belles choses
02 ;ilu qui sont l'objet de la recherche de l'Amour. De
e, inter « là concluóns nécessairement que l'Amour est
62 LE BANQUET
* philosophe , et qu'ainsi il tient le milieu entre meit:
« les sages et les ignorants. Il ressemble donc à dema
« son père , qui est sage et opulent , et à sa mère , រ post
qui n'a ni l'une ni l'autre de ces deux qualités.
( GVoilà , mon cher Socrate , quelle est la nature
a des démons . De la manière dont vous aviez parlé
« de l'Amour , il paroît que vous le conceviez plutôt
« comme la chose aimée , que comme celle qui
« aime ; et cela supposé , il n'est pas surprenantque
« vous ayez donné dans l'erreur de croire l'Amour
« très-beau : car ce qui est aimable est en effet beau, quis
« délicat et parfait. V
« Vous raisonnez si bien , Diotime , qu'il faut CE
« convenir de ce que vous dites . Mais l'Amour 12000
« étant tel , ajoutai-je , de quelle utilité peut-il être possi
« aux hommes ? » Ide
« C'est , Socrate , ce que je vais , répondit-elle , «Р
« m'efforcer de vous apprendre. Suivant la défini
« tion que nous avons donnée de l'Amour et de son itouj
lo
« origine , nous avons établi qu'il s'attache aux
« belles choses ; mais si quelqu'un vous demandoit aux
pourquoi s'attache - t - il aux belles choses; ou Je
« pour parler avec plus de clarté , qu'est -ce qu'il
« en desire principalement , que répondrions
« nous ? De les posséder. Cette réponse attire une
« autre question , pour savoir ce qui arrive de cette out 1
( possession.
« Je ne vois pas présentement , Diotime , ce que
« je pourrois dire là-dessus, »
« Si l'on changeoit de terme , reprit- elle, et qu'en que]
DE PLATON . 63
nilieu am « mettant le bon à la place du beau , on vous
ble feat? demandât que desire celui qui aime les bonnes
à samer « choses ? D'en être possesseur. Et qu'arrivera -t- il à
a qualitas « celui qui possédera ces bonnes choses ? »
« La réponse , lui dis- je , est plus facile de cette
ariezpas « manière : il lui arrivera d'être heureux, »
eviez plzi « Il est vrai , répondit Diotime : car tous ceux
? celle qui sont heureux ne le sont que par la possession
16des bonnes choses. Cela termine la question ,
renantque
re l'Amour « n'étant pas besoin de rechercher pourquoi celui
effet hem qui veut être heureux desire la félicité. »
Vous avez raison , » lui dis-je.
<<
qu'il fait Croyez - vous, Socrate , reprit- elle , que cet
« amour des bonnes choses , et ce desir de les
pest-ilény « posséder, soient communs à tous les hommes ? » .
« Je le crois , » répondis-je.
undit-ell, Pourquoi donc , Socrate , ne disons-nous pas
* que tous les hommes aiment ? et puisqu'ils aiment
ila delici
K
r et desu toujours , et les mêmes choses, pourquoi donne
tache au « t -on le nom d'amants aux uns , sans le donner
lemandet « aux autres ? »
loses, a « Je m'en étonne , » lui dis-je .
st-cequ'il « Ne vous en étonnez point , Socrate : c'est que
ondrions * ce nom , qui conviendroit à la rigueur à tous les
ittire une « hommes , n'est pourtant attribué qu'à ceux qui
de cette « ont un amour d'une certaine espèce , et qu'il y a
d'autres termes particuliers pour désigner ceux
, ce que qui aiment d'une autre sorte . »
« Éclaircissez -moi cela , je vous en prie , par
etgulen quelque exemple .
64 LE BANQUET
« En voici un , reprit -elle : le mot faire, comme
vous savez , a une vaste sigoification : il exprime
u en général ce qui fait passer du non - être à l'être.
« Tout exercice des arts est action , et tout agent
« est facteur, s'il est permis de se servir de ce
« terme. »
« Vous avez raison , " lui répondis-je.
« Vousvoyez cependant que chaque art et chaque
« action donne son nom particulier à celui qui la
produit , et que le mot général faire n'a été
appliqué qu'à ceux qui composentdes vers : poésie
signifiant action , et poëte celui qui agit. I en
« est de même de l'amour : car, en général, le
« desir du bien et de la félicité, qui est commun à
« tous les hommes, n'est autre chose que ce grand
« et décevant amour ; mais le desir de ces bonnes
« choses , qui porte les rechercher dans les
richesses , dans les arts , et dans les sciences ,
« n'est point appelé amour, non plus que ceux qui
« s'y attachent ne sont point appelés amants, mais
« prennent les noms particuliers de ces arts et de
« ces sciences qu'ils ont acquises. Il n'y a qu'une
« -seule espèce d'amour qui garde son nom , et qui
« fasse appeler amants ceux qui la suivent, »
« Vous parlez très - bien , Diotime . »
Quelques - uns , reprit - elle , croient que c'est
« aimer que de rechercher la moitié de soi-même;
« et pour moi j'assure que la moitié de soi-même,
« ni le tout , ne sont aimables qu'autant que le bon
« s'y trouve en quelque manière. En effet , lorsque
DE PLATON . 65
dire, aur « les mains et les pieds se trouvent mauvais et nui
: ilempris sibles , ne se résout-on pas à s'en défaire ? On
étrealle « n'aime pas une chose parce qu'elle est à soi ,
1 toat are « mais parce qu'elle est bonne , si ce n'est que
sertit del u l'on s'approprie tout ce qui paroît bon , et que
« l'on regarde comme étranger ce que l'on croit
. « mauvais . Puisqu'en un mot les hommes n'aiment
rtetchat
uc« que ce qui est bon , il n'y a que le bon qui soit
celui qui « l'objet de l'amour des hommes . N'êtes-vous pas
are BS # « de cet avis , Socrate ?
vers:per « Certainement , Diotime . »
வர்,1 « Il faut donc dire simplement que les hommes
general, u aiment ce qui est bon , »
Icoming « Il est vrai . »
ue ce grand « Ne faut- il point ajouter, reprit-elle , qu'ils
ces beer 11desirent de le posséder ? »
r dans « Il le faut. »
3 science « Et non-seulement qu'ils desirent de le posséder ,
18 CED « mais de le posséder toujours ? »
( G Toujours. 27
iarts atk OG L'amour donc en général est l'inclination qui
g a quiet a fait desirer à chacun de posséder toujours ce qui
30 , elpo « lui paroît bon . »
21,1 Il n'y a rien de plus vrai , » répondis -je .
AC Après avoir connu que l'amour est universel ,
que ce « il faut voir quelle est la manière , l'usage et les
01-mise * conditions qui déterminent à l'appeler Amour ,
oi-même « Ne pouvez-vous point le dire , Socrate ? »
ne le haut 16 Si j'étois capable de donner cet éclaircissement ,
, Jorge « lui répondis-je, je ne serois pas venu m'instruire
BANQUET. 5
66 LE BANQUET
6 auprès de vous , et je ne serois pas aussi sarpris
« que je le suis de votre savoir. »
* Je vous l'expliquerai donc. C'est une production
“ causée par le goût pour la beauté tant spirituelle
« que corporelle. »
Il faudroit un devin , répondis- je, pour déve
lopper cette énigme : je ne l'entends en aucune
façon. »
* Je vais parler plus clairement. Tous les hom
« mes , Socrate , ont dès leur naissance une dispo
« sition à produire ; elle se manifeste avec l'âge;
u elle réside dans l'ame aussi bien que dans le
u corps ; elle ne peut jamais avoir la laideur pour
objet. Par là les hommes sont perpétués ; et cet
« effet, quoique corporel , est un ouvrage divin ,
* par lequel un animal , qui de soi est mortel,
« devient immortel dans son espèce. Mais cet
« ouvrage ne se peut accomplir que dans un sujet
« convenable ; et ce ne peut être par conséquent
6 la laideur, qui n'a nulle convenance avec la
a nature divine ; au lieu que la beauté s'y accorde
(C parfaitement, et n'est beauté que par cet accord ,
« comme la laideur n'est laideur que par sa disso
« nance avec la Divinité , s'il est permis de parler
ainsi . La beauté préside donc à la naissance des
« hommes avant les Parques et Lucine . D'où il
u s'ensuit que ce qui est disposé à produire ressent
« de la joie et du soulagement en s'approchant du
« beau , et éprouve un effet contraire qui arrête sa
a fécondité, lorsque par quelque contrainte il se
DE PLATON 67
is aussisep * trouve uni à la laideur. Ainsi , plus ces produc
« tions sont avancées , plus le sujet qui les renferme
uneprodatis « cherche avidement la beauté, comme la seule
tant spiritus « chose qui peut soulager son tourment , et accom
« plir son ouvrage . Voilà , Socrate , ce que c'est que
e, pourde « l'amour, et non pas , comme vous croyez , un
ids en alt simple desir de la beauté. Il est immortel en
quelque sorte , puisque c'est par lui que l'animal ,
Tous les her « mortel de lui-même , parvient à l'immortalité ;
ce nedis car cette immortalité est un bien : et suivant nos
e avec le principes, l'amour est le desir par lequel chacun
gue• dass ! « cherche à s'unir inséparablement au bien . »
laideurque « Voilà ce que m'enseigna Diotime , dans la con
iétués; ete versation que j'eus avec elle touchant l'amour ;
srage dire et , continuant à m'instruire , elle me fit cette ques
tion :
« A quelle cause ,Socrate , attribuez -vous ce desir
20s un k et cet amour ? Ne voyez - vous pas avec quelle
consépais « ardeur et quelle véhémence tous les animaux sont
Ice atac / « portés au soin de conserver leur espèce ; combien
s'y acordo « ils travaillent pour fournir la nourriture à leurs
cet account petits; avec quelle audace ils combattent pour les
IT $8 « défendre contre des ennemis qu'ils redouteroient
departes « en toute occasion , et comme ils s'exposent à la
ssance de « faim et à la mort pour les conserver? Si cela
« n'arrivoit que parmi les hommes , on l'attribueroit
re ressen « au raisonnement ; mais pour les bêtes , qui en
ochantde u sont privées , d'où leur peut venir, à votre avis ,
arrées * un si grand amour ? »
inte il* * Je ne saurois vous le dire , » lui répondis-je.
68 LE BANQUET
Croyez -vous, reprit-elle , être savant en amour,
(C quand vous ignorez une pareille chose ? »
« Je connois fort bien , Diotime , que j'ai besoin
« d'être instruit ; et c'est pour cela , comme je vous
« l'ai déja dit , que je suis venu à vous , Je vous
conjure donc de m'apprendre , non-seulement le
point dont il s'agit , mais encore tout ce qui
regarde l'Amour. »
« Vous n'avez point sujet de vous étonner, reprit
li Diotime , si vous croyez sa nature telle que nous
« l'avons tantôt définie . Suivant les autres prin
cipes dont nous sommes aussi convenus , toutes
« les choses mortelles tendent de tout leur pouvoir
a à l'immortalité , laquelle ne se peut acquérir que
u par génération qui substitue le jeune à la place
« du vieux : et cela n'arrive pas seulement dans
« les sujets qui se succèdent les uns aux autres ;
« mais chaque sujet particulier, quoique estimé le
« même dans toute sa durée , devient différent par
« la succession des ages ; il a l'un à mesure qu'il
« se dépouille de l'autre , et parvient ainsi jusqu'à
« la vieillesse . Mais outre ce changement, il s'en
« fait encore un continuel dans toute la matière
qui se renouvelle sans cesse : en sorte qu'un
animal , par exemple , en conservant les mêmes )
« apparences , ne conserve ni le même sang , ni la
« même chair, ni les mêmes os, parce que les petites
parties qui les composent s'écoulent sans cesse ,
« et qu'il en survient aussi sans cesse de nouvelles ,
<< qui prennent leur place . L'ame est sujette à ces
DE PLATON . 69
« vicissitudes aussi bien que les corps : ses moeurs ,
1ose }, « ses coutumes , ses opinions , ses desirs , ses goûts ,
que j'ai beau « ses douleurs, ses craintes, éprouvent de fréquentes
comme jena révolutions ; et ce qui est de plus surprenant , ses
Fous, Je to « connoissances mêmes n'en sont pas exemptes :
-seulement i « non-seulement les unes s'évanouissent pour faire
: toute « plače à d'autres , mais la même ne subsiste pas
« toujours dans un état semblable : car méditer
tonner, ich « n'est autre chose que se rappeler des idées qui
elle queo « ne sont plus présentes , et qui par conséquent
autres prou « sont sorties de l'esprit ; et la mémoire , qui
Fenus,tout Uappartient cette fonction , fait renaître les sciences
K
leur pouto qui avoient été éteintes par l'oubli . De cette ma
acquérirga « nière l'être mortel se conserve toujours , non pas
le à lapla par une ferme subsistance , comme l'être divin ,
lement dan “ mais par une succession qui ne souffre aucune
als autre “ perte sans la réparer, et qui introduit toujours
de estine'i « des choses nouvelles à la place de celles qui
K
lifferent par s'échappent . Voilà , Socrate , comme une nature
resuree qui K périssable participe à l'immortalité , que la Divi
insi juspai u nité possède par elle-même . Voilà d'où part ce
penchant à produire son semblable , seule res
la mater « source contre la mortalité attachée à la nature
orlee qui « humaine . »
les mémon “ O sage Diotime ! m'écriai-je , transporté d'ad
2013, n ' « miration , faut-il croire tout ce que vous venez de
les petites « me dire ? »
ins (ext A quoi elle repartit comme un savant sophiste :
ourelles N'en doutez nullement , Socrate , car si vous
« aviez voulu examiner le desir de gloire dont tous
70 LE BANQUET
u les hommes sont possédés , vous vous trouveriez
stupide de n'avoir pas compris de vous-même les
« choses que je viens de vous expliquer. Ne voyez
« vous pas combien les hommes desirent de se
« rendre recommandables à la postérité , combien
« ils travaillent pour acquérir une gloire future ? Car
« c'est encore plus par ce motif que par amour
« pour leurs enfants qu'ils amassent des richesses,
qu'ils affrontent les périls , et qu'ils s'exposent
« à la mort. Pensez -vous qu'Alceste eût souffert la
« mort pour son cher Admète , qu'Achille l'eût
« cherchée pour venger Patrocle , et que votre
« Codrus s'y fût dévoué pour conserver le royaunie
« à ses enfants , s'ils n'avoient été poussés par
(6« l'espérance de la mémoire glorieuse que ces
06 généreuses actions leur devoient acquérir parmi
« les hommes ? Assurément c'étoit , continua-t-elle ,
« c'étoit par là qu'ils étoient animés ; et plus les
" personnes sont vertueuses , plus elles ressentent
« ce desir, qui n'est autre chose que le desir de
« l'immortalité. Les hommes matériels et grossiers
« espèrent conserver leur mémoire , et acquérir le
( bonheur de l'immortalité par le moyen de leurs
06 enfants ; et c'est ce qui leur fait rechercher les

1 Codrus fut , comme on sait , le dernier roi d'Athènes.


Son dévouement procura la paix à sa patrie attaquée par
les Héraclides et les Doriens ; mais il eut aussi pour effet
d'assurer à ses descendants , pendant une longue suite
d'années , la dignité d'archonte, qui n'était guère moindre
que celle des anciens rois. ( Note de Victor Cousin .)
DE PLATON . 71
ous there « femmes. Pour ceux qui font plus de cas de la
008-mengo « fécondité de l'ame que de celle du corps , il ne
er, Nemore « s'affectionpent qu'aux productions qui lui con
asirent des * viennent : je veux dire la prudence et les autres
rite, combe « vertus dont les poëtes peuvent être appelés les
efuture:6 pères et les inventeurs . La plus excellente de
epar 207 « toutes ces vertus , c'est la prudence , par laquelle
esriches « les affaires publiques et particulières sont gou
&
Is s'especes vernées , et qui produit la tempérance et la jus
it soufferti « tice . Celui donc qui a en soi la semence des
Achille lit « vertus , et qui par conséquent participe la
que han « nature divine , n'a pas plutôt atteint l'âge de
lerox200 a connoître le trésor dont son ame est remplie ,
« qu'il desire de le répandre au dehors , et qu'il
pousses pour
se que lo w cherche avec ardeur quelqu'un à qui il puisse
rerin para « le communiquer. La beauté, est une des princi
nua-t-ell pales choses qui attirent cette communication ; au
B/i plustede « lieu que son contraire y est un obstacle , comme
rescen « nous l'avons déja dit plusieurs fois. Si une belle
e desired « ame docile et généreuse se trouve unie à un beau
igrossieri « corps , ces deux beautés , concourant ensemble ,
cqueris « ont des charmes incroyables ; et celui qui s'attache
i deleur « à un objet si parfait devient éloquent en sa pré
rcher les " sence , et se sent porté avec une ardeur infinie à
« lui enseigner la vertu. Étant parvenu à cette
liaison , il enfante , pour ainsi dire, les belles
aquéepar « idées qu'il a conçues depuis longtemps , et qui
pour el e
que soit « lui sont plus chères lorsqu'elles lui deviennent
emoich « communes avec cet ami qu'il ne perd point de
u vue , même quand il est absent. En cultivant
72 LE BANQUET
« ensemble ces connoissances , leur amitié devient tảvà
« d'autant plus étroite que ce sont des enfants titel
« de leur esprit , infiniment plus nobles que ceux :))
« du corps . Il n'y a personne qui ne dût choisir Ters
« ces enfants -là préférablement aux autres , surtout droi
« s'il examinoit ceux qu'Homère et Hésiode ont lem
laissés , lesquels , étant immortels , ont aussi clan
(G acquis une gloire et une mémoire immortelle à
qui
« ces excellents hommes . Quels sont aussi , à votre 2011
« avis , les enfants que Lycurgue a laissés aux Lacé
( C démoniens , qui ont été les libérateurs de leur
C patrie et de presque toute la Grèce ? Solon n'est
*que
« il pas de même honoré parmi vous pour être 1cipi
« l'auteur de vos lois ? Et ne révère - t-on pas plu แs'at
C sieurs grands hommes dans le reste de la Grèce , et 1
« et parmi les Barbares, pour les excellents ouvrages Der
<< qu'ils ont laissés , et qui sont la semence de ide
« toute vertu? C'est à cause de ces enfants de leur TAP
esprit qu'on leur a élevé des temples et institué sil
« des sacrifices : honneurs que les enfants qui pro poi
u cèdent du corps n'ont jamais attirés à leurs pères. de
« Peut- être votre esprit pénétrera-t-il aisément dans isal
u ce que je vous ai déclaré des mystères de l'Amour ; ses
« mais si vous vouliez aller jusqu'à leur source , et
pénétrer ce qu'ils renferment de plus sublime , je cation
« doute qu'il vous fût facile d'y parvenir. Je ne de
« laisserai pas de vous le déclarer, et de vous aider cott
« autant que je pourrai dans cette découverte . C'est
onle
i ll y avait trois degrés dans l'initiation : 1 ° la purifi Cous
DE PLATON . 73
tiedena « à vous à seconder mes efforts , et à écouter atten
« tivement ce que je vais vous dire .
s que ten « Il faut premièrement que celui qui s'achemine
dit chest « vers cet amour céleste , et qui y est conduit par le
« droit chemin , s'accoutume dès sa jeunesse à con
esiode ಡಿ templer les beautés matérielles , et à en connoître
001 285 la nature et les rapports ; qu'il conçoive que celle
imortelle! qu'il aimera en particulier n'est qu'une espèce des
« autres beautés corporelles , dont la beauté univer
3201 Las u selle est le genre , et qu'en suivant cette beauté
is dela u universelle il y auroit de l'absurdité à croire
olon n'est « que tout ce qui est beau n'en est pas une parti
( cipation . Cette connoissance empêche
pour que l'on ne
a pas plo « s'attache trop ardemment à un objet particulier,
· la Grer « et tourne toutes les affections vers cet objet gé
15OUTTA « néral. On s'élève ensuite à connoître que la beauté
u de l'ame est plus excellente que celle du corps ,
ats deles « et qu'elle doit lui être préférée : en sorte que ,
et instant « si l'on rencontre un jeune homme qui en soit
<<
3 qui po pourvu , quoique d'ailleurs il ne possède aucune
urs pero « des graces extérieures , on ne doit pas laisser de
penedor « s'affectionner à lui , et d'employer ses soins et
l'Amour « ses instructions à rendre son ame encore plus
burce,
blime , cation ou introduction aux mysteres , κάθαρσις ou προτέλεια και
Je ne ce degré est ici représenté par la polémique de Diotime
jus aider contre les fausses idées de Socrate ; 20 les petits mystères,
Huunois, savoir la doctrine spéciale que vient d'exposer
e! C'est Diotime ; 3v enfin les grands mystères , téma xai LTÓT FIXA ,
où les dernières révélations avaient lieu. ( Note de Victor
purit Cousin .)
74 LE BANQUET
parfaite. Par là on s'approche de la beauté inya
« riable qui réside dans les lois et dans les devoirs,
« en comparaison de laquelle celle du corps, qui
« est sujette au changement , est méprisable. On
« l'admire ensuite dans les sciences : et alors , bien
« loin d'être assujetti , comme un esclave, aux
« charmes de quelque jeune personne , on se plonge
u dans la beauté universelle , comme dans une
u mer, où par une vue directe on puise les con
« noissances et les raisons que la philosophie four
« nit abondamment , desquelles étant pleinement
imbu , on n'est plus occupé que d'une science
unique , qui est celle du beant . Appliquez ici ,
« Socrate , toute la pointe de votre esprit. Quiconque
« a suivi cet ordre que je viens de marquer, et ,
« après avoir parcouru ainsi tous les degrés de beauté,
« est arrivé au terme de l'amour, contemple cette
« beauté admirable de la nature : beauté qui est
« subsistante par elle -même , n'étant point sujette
« à finir, comme elle n'a jamais eu de commence
« ment , ne pouvant recevoir ni accroissement ni
« diminution ; dont la perfection est entière et ia
« variable ; qui n'est suspendue dans aucun temps,
« ni affoiblie par le défaut d'aucune partie ; qui
« ravit infailliblement tous ceux qui la connoissent,
« sans qu'il soit possible que les goûts soient par
66 tagés sur son sujet, comme ils le peuvent être
« sur les objets fragiles et composés , qui sont beaux
« en quelques parties et défectueux en d'autres , et
K qui ne subsistent pas toujours dans le même état;
DE PLATON . 75
labeaute ir « beauté universelle , qui ne peut être représentée
ins les deras « à l'esprit sous aucune image, telle que seroient
da corps, i « de beaux yeux ou de belles mains ; ni même
reprisable « comme un beau discours, un beau raisonnement,
etalors, die « ou quelque science que ce soit; beauté qui
esclave, a « n'est affectée en particulier ni à un animal, ni
!,Onseplant u à la terre , ni au ciel , ni à quelque être séparé ,
ne danse « mais qui doit être conçue simplement en elle
qise les « même , sans aucun mélange ; existant indépen
osophiekur « damment de tout, et exempte de toute altération ;
1pleine « se communiquant aux natures particulières , sans
l'upe sciai
(« que leur changement ni leur ruine lui apporte ni
ppliquer i dommage ni augmentation. Celui qui étant épris
1.Quicunt « d'un amour légitime s'en sert comme d'un moyen
marquer,el " pour parvenir à connoître cette souveraine beauté,
ésde bezete « est arrivé au but où il doit tendre . C'est par cette
temple i « voie qu'on peut s'instruire dans la doetrine de
zute que u l'Amour, soit qu'on se conduise soi-même, ou
Doint sujet qu'on soit guidé par un autre . On s'attache à des
commer a beautés particulières , pour s'élever comme par
issement 1 degrés à la beauté universelle . Après l'avoir ad
Hiere als « mirée dans un corps particulier, on la reconnoît
cun temp « dans toutes les beautés corporelles . On passe
parie; FFs a ensuite à l'esprit : et on voit que c'est cette même
vonoise « beauté qui se répand dans les lois , dans les dis
oientpas « cours , dans l'acquit des devoirs , et dans toutes
eremt ár (G« les choses dépendantes de l'esprit , qui sont trou
sont beaut avées belles. De là on s'élève aux sciences particu
autres, Ulières , d'où on parvient enfin à celle qui a le
lême dans - beau pour objet, et qui nous rend capables de
76 LE BANQUET
« le contempler . C'est dans cette occupation que que m
« les hommes doivent passer leur vie ; et si jamais vous !
u vous y parvenez , Socrate , dit la sage Diotime , que w
u vous avouerez que l'or et les choses estimées les sembl
plus précieuses , que méme ces jeunes gens , dont TOUS
« vous et tant d'autres paroissez enchantés , et que IS
« vous voudriez ne jamais quitter un moment , que en loi
« tout cela n'est rien en comparaison du beau con quely
« sidéré en lui-même . O le merveilleux spectacle discor
« que cette beauté divine , pure , simple , entière , dite,
parfaite , sans mélange de corps ni de couleurs, lapor
« et inaccessible à toutes les misères qui corrom blés,
« pent les biens terrestres ! Quelle opinion auriez Rens
« vous d'une vie qui seroil employée à cette con Escla
templation ? Ne pensez-vous pas que l'æil qui est sice
capable d'apercevoir le beau ne conçoit pas seu dites
« lement l'image des vertus , mais les vertus mêmes? {
« Car les ombres ne conviennent plus à qui a alteint VO
« la réalité. L'homme arrivé à cel état produisant grane
« et nourrissant la veriu , devient ami de Dieu , ment
u et obtient l'immortalité, si quelque personne
« humaine y peut prétendre . » Sess
« Tels furent les discours de Diotime . J'en suis ters
demeuré convaincu : et ils me portent à persuader
;Tal
aux hommes , autant que je puis , qu’un amour Tiele
légitime est le moyen le plus sûr et le plus facile
pour les conduire à l'heureusc immortalité. L'Amour
est donc infiniment digne d'être honoré. Je l'honore "]
moi-même , et y exhorte les autres de tout mon CO
pouvoir. Je viens de lui donner toutes les louanges Song
DE PLATON . 77

recupati que mon esprit m'a pu fournir. Voyez , Phèdre , si


e;et sijamus vous les jugez dignes d'être admises entre les éloges
Sage Diver que vous avez exigés ; ou si ce que j'ai dit ne vous
is estiméesby semble pas éloge , donnez- leur tel autre nom qu'il
les gens, de vous plaira',
lantes, el « Socrate ayant ainsi parlé , chacun se répandait
moment,fi en louanges , et Aristophane se disposait à faire
du beaude quelque observation , parce que Socrate , dans son
eu1r spertai discours , avait fait allusion à une chose qu'il avait
ple, enitt dite , quand soudain on entendit un grand bruit à
de couleurs laporte extérieure, que l'on frappait à coups redou
qui corre : blés , ét on put méme distinguer la voix de jeunes
pion aura gens pris de vin et d'une joueuse de flûte.
à celle de Esclave , s'écria Agathon , qu'on voie ce qu'il y a ;
l’ail quis si c'est quelqu'un de nos amis , faites entrer : sinon ,
:oitpasdei dites que nous ne buvons plus, et que nous reposons .
"tus mémo « Un instant après , nous entendîmes , dans la cour,
quiaanter la voix d'Alcibiade , à moitié ivre , et qui faisoit
produisar grand bruit en criant : Où est Agathon ? Qu'on me
ide Dier mène auprès d’Agathon !
personer « Alors la joueuse de flate , et quelques autres de
ses suivants , le prenant sous le bras , l'amenèrent
. J'en sai vers la porte de la salle où nous étions . Alcibiade
persuake s'y arrêta , la tête ornée d'une épaisse couronne de
violettes et de lierre et de nombreuses bandelettes .
plusfacile Amis , je vous saluc , dit - il . Voulez - vous
L'Amour
el'horar 1 Ici finit la traduction de madame de Rochechouart ,
toat in et commence celle de Victor Cousin , que nous reprodui
louaregos sons dans la forme adoptée par l'auteur.
78 LE BANQUET
admettre à boire avec vous un buveur déjà passa *P
blement ivre ? ou faudra - t-il nous en aller après maila
avoir couronné Agathon ? car c'est là l'objet de m'app
notre visite . Hier il ne m'a pas été possible de moins
venir, mais me voici maintenant avec mes bande te pri
lettes sur la tête , pour en orner celle du plus sage place'
et du plus beau des hommes , s'il m'est permis de d'Aris
parler ainsi . Vous moquerez- vous de mon ivresse?
Riez tant qu'il vous plaira , je sais que ce que je TOUT
dis est la vérité. Çà , expliquez-vous ; entrerai-je à
cette condition , ou n'entrerai-je point ? Voulez de ct
vous boire avec moi , ou non ? » emba
« .Alors on s'écria de toutes parts pour l'engager welc
à entrer. Agathon lui-même l'appela. Alcibiade, regar
conduit par ses compagnons , s'approcha; et , tout
occupé d'ôter ses bandelettes pour en couronner mille
Agathon , il ne vit point Socrate , qui pourtant se want
trouvait vis-à-vis de lui ; et il s'alla placer auprès prene
d'Agathon , précisément entre eux deux . Socrate quela
s'était un peu écarté , afin qu'il pût se mettre là. mode
Dès qu'Alcibiade fut placé , il fit ses compliments à porte
Agathon , et lui ceignit la tête. Esclaves, dit celui Sérite
ci , déchaussez Alcibiade : il va rester en tiers avec
nous sur ce lit " . Volontiers , mais quel est donc 2008
notre troisième convive ? reprit Alcibiade . En même Tenge
temps il se retourne et voit Socrate . A son aspect , tipua
il se lève brusquement , et s'écrie :

1 Dans les repas des anciens, les lits étaient ordinaire Wies
ment de trois places.
DE PLATON . 79

adéjàfent « Par Hercnle ! qu'est ceci ? Quoi! Socrate , te


n alleraus voilà encore ici à l'affût? pour me surprendre en
m'apparaissant au moment où je m'y attends le
possibleé moins ! Mais qu'es-tu venu faire aujourd'hui ici , je
c mesbeste te prie ? ou bien pourquoi te vois- je établi à cette
du plasia place ? Comment au lieu de taller mettre auprès
st1 pereisid d'Aristophane ou de quelque autre bon plaisant ou
mion irreal soi-disant tel , t'es-tu si bien arrangé que je te
le cee query trouve placé auprès du plus beau de la compagnie ?
Au secours , Agathon ! s'écria Socrate . L'amour
entrera
n1? Voule de cet homme n'est pas pour moi un médiocre
embarras , je t'assure . Depuis l'époque où j'ai com
ur l'enguje mencé à l'aimer, je ne puis plus me permettre de
Alcibiad regarder un beau garçon ni de causer avec lui sans
ha; er, thene que , dans sa fureur jalouse , il ne vienne me faire
I couron mille scènes extravagantes , m'injuriant, et s'abste
pourtanti nant à peine de porter les mains sur moi . Ainsi ,
acer aupni prends garde qu'ici même il ne se laisse aller à
II. Soon quelque excès de ce genre, et tâche de nous raccom
metrele moder ensemble , ou bien protége-moi s'il veut se
plismensi porter à quelque violence ; car il m'épouvante en
, dit cela vérité avec sa folie et ses emportements d'amour. »
I tiers are Non , dit Alcibiade , poiot de réconciliation entre
elest door nous deux , je trouverai bien l'occasion de me
En meny venger de ce trait. Quant à présent , Agathon , con
on aspet, tinua-t-il, rends-moi quelqu'une de tes bandelettes :
j'en veux couronner cette tête merveilleuse que

ordimit 1 Allusion à la chasse dont parle Socrate au commen


cement du Protagoras.
80 LE BANQUET
voici , pour qu'il n'ait pas à me reprocher de ne
l'avoir pas couronné ainsi que toi , lui qui dans les
discours est vainqueur de tout le monde, non pas , ma
comme tu l'as été avant - hier, en une occasion
seulement, mais en toutes . En parlant ainsi , il
détacha quelques bandelettes , les plaça sur la tête
de Socrate , et se remit sur le lit. Dès qu'il s'y fut
placé : Eh bien , dit- il , mes amis , qu'est- ce ? Il
me semble que vous avez été bien sobres. Mais
c'est ce que ne prétends pas vous permettre : il
faut boire , c'est notre traité. Je me constitue moi cas,
même président , jusqu'à ce que vous ayez bu sée,
el
comme il faut. Agathon , fais -nous venir, si tu l'as ,
mou
quelque large coupe . Mais non , cela n'est pas
nécessaire : esclave , apporte -moi ce , vasel que
Cessi
voilà . Et en parlant ainsi , il en montrait un qui
pouvait contenir plus de huit cotyles ?. Après l'avoir et q
Our
fait remplir, il le vida le premier, et le fit ensuile
servir à Socrate . Au moins , s'écria- t-il , qu'on sa
10151
n'entende pas malice à ce que je fais là ; car ame
Socrate aurait beau boire autant qu'on voudrait , dispi
il n'en serait jamais plus ivre pour cela. L'esclave
ayant rempli le vase , Socrate but. Alors Éryxi 2018
MOR
maque prenant la parole : Voyons un peu , Alci
de
biade , que voulons-nous faire ? Resterons-nous là
c'est
à boire , sans parler ni chanter ? et ne ferons-nous Pour
que 1
1 Littéralement psychtère, vase pour rafraîchir la bois Troi
son. TIMÉE, Lexique , p . 278. MOERIS et Suidas.
2 Le cotyle répondait à peu près à notre demi-setier.
DE PLATON . 81
her der que nous remplir de vin tout uniment comme des
ui dansla gens qui ont soif? — Alcibiade répondit : 0 Éryxi
, DORP maque , digne fils du meilleur et du plus sage père ,
& Origa salut ! - Salutà toi aussi , reprit l'autre ; mais enfin ,
11 alos, que ferons nous? — Nous ferons tout ce que tu nous
$surla liste prescriras. Il est juste qu'on fasse ce que tu ordonnes :
pulssi
l'est-ce? Car un médecin vaut lui seul plus que beaucoup d'autres "
bres, de En CC
Ainsi , fais - nous savoir tes intentions .
rmeltie . cas , écoute-moi , dit Éryximaque. Avant ton arri
stineme
vée , nous étions convenus que chacun à son tour,
IS ayer h en commençant par la droite , parlerait sur l'A
; situla.
mour du mieux qu'il le pourrait , et célébrerait
n'est pas ses louanges . Nous avons tous pris la parole suc
vase'que cessivement : il est juste que toi qui n'as rien dit ,
ait un et qui n'en as pas moins bu , lu la prennes à ton
près l'apred
fit ensuite tour. Quand tu auras fini, tu prescriras à Socrate
ce qu'il doit dire après loi ; lui de même à son
-il, quia voisin de droite , et ainsi de suite . Tout cela est
is la; at
voudrai à merveille , dit Alcibiade ; mais qu'un homme ivre
L'esclari dispute d'éloquence avec des gens sobres et de
sang-froid , la partie ne serait pas égale . Et puis ,
rs ÉTT
mon cher, tout ce qu'a dit tout à l'heure Socrate
ier, de
de ma jalousie t'a - t - il persuadé? ou sais- tu que
!S-Dons /
c'est justement tout le contraire qui est la vérité ?
Toas. Pour lui , si je m'avise de louer en sa présence qui
que ce soit , autre que lui-même , homme ou dieu ,
ir la il voudra me battre . - Allons , s'écria Socrate , ne

Réminiscence d'HOMÈRE , Iliade , x1, v. 614.


BANQUET. 6
82 L'E BANQUET
cesseras - tu pas de blasphémer ? - Par Neptune!
ne t'y oppose point, reprit Alcibiade , je jure que
je n'en louerai pas d'autre que toi en ta présence .
- Eh bien , dit Éryximaque , à la bonne heure !
Fais-nous donc l'éloge de Socrate , - Quoi ! tout
de bon ? Éryximaque, me conseilles - tu de tomber
sur cet homme-là , et de le châtier en votre pré
sence ? - Holà ! jeune homme , dit alors Socrate ,
que penses-tu faire ? me persifler, sans doute ; expli
que-toi . — Je ne dirai que la vérité , Socrate ; vois
si tu veux y consentir. Oh ! pour la vérité , jc
consens que tu la dises , et je l'exige même. – My
voici tout prêt , dit Alcibiade . Pour toi , je t'engage ,
si ce que je dis n'est pas vrai , à m'interrompre tant
qu'il te plaira , et à relever mes mensonges . Du moins
n'en dirai-je aucun sciemment. Que si , dans mes
souvenirs , je passe d'une chose à l'autre sans beau
coup de suilc , ne faut pas t'en étonner . En l'état
où je suis , il n'est pas trop aisé de rendre compte
clairement et avec ordre de tes originalités .
« Or, mes chers amis, afin de louer Socrate, j'aurai
besoin de comparaisons : lui croira peut-être que
je veux plaisanter ; mais rien n'est plus sérieux , je
vous assure .

DISCOURS D'ALCIBIADE .

« Je dis d'abord qu'il ressemble tout à fait à ces


Silènes qu'on voit exposés dans les ateliers des
sculpteurs et que les artistes représentent avec une
DE PLATON . 83
flûte ou des pipeaux à la main , et dans l'intérieur
ejuare desquels, quand on les ouvre , en séparant les
i presente deux pièces dont ils se composent , on trouve ren
ane heur fermées des statues de divinités . Je prétends ensuite
Qizoil.com qu'il ressemble particulièrement au satyre Mar
de cook syas ?. Quant à l'extérieur, Socrate , toi-même , tu
votre partie ne contesteras pas que cela soit vrai ; pour les autres
3 Sarat traits de ressemblance , écoute ce que j'ai à dire .
lute;el N'est-il pas certain que tu es un effronté railleur ?
crate : Si tu n'en convenais pas , je produirais mes témoins,
i verit, Et n'es-tu pas aussi joueur de flûte ? Oui , sans
me. -Y doute , et bien plus étonnant que Marsyas . Celui- ci
e l'enfant charmait les hommes par les belles choses que sa
ompres bouche tirait de ses instruments , et autant en fait
*.Du mois aujourd'hui quiconque répète ses airs ; en effet, ceux
, dans Di que jouait Olympos , je les atıribue à Marsyas , son
sans hem maître . Qu'un artiste habile ou une mauvaise
: Onlar joueuse de flûte les exécute , ils ont seuls la vertu
re como de nous enlever à nous- même , et de faire recon
tes. naître ceux qui ont besoin des initiations et des
ate, j'auto dieux ; car leur caractère est tout à fait divina . La
t-être que
érieur,i I Sur Marsyas et Olympos , musiciens phrygiens, voyez
le Minos , les Lois , III. PLUTARQUE , Sur la musique.
2 Le sens de cette phrace peut paraître obscur, parce
qu'il expose des idées fort étrangères aux nôtres. Pour en
E. rendre l'intelligence plus facile, Geoffroy l'a traduite ainsi :
Les airs de Marsyas ont un caractère divin ; ils indi
faitaces quent, par leur action sur les auditeurs , ceux qui doi
liers de vent être admis au commerce des dieux , et initiés à
afect leurs mystères.
84 LE BANQUET
seule différence , Socrate , qu'il y ait ici entre homo
Marsyas et toi , c'est que sans instruments , avec moi
de simples discours , tu fais la même chose . Lors mes ]
que nous entendons tout autre discoureur, même Alhen
des plus habiles , pas un de nous n'en garde la bien 1
moindre impression . Mais que l'on t'entende ou échap
toi - même ou seulement quelqu'un qui répèle tes jusqu'
discours , si pauvre orateur que soit celui qui les auprès
répète , tous les auditeurs , hommes , femmes , ou éprou
adolescents , en sont saisis et transportés. Pour de la1
moi , mes amis , n'était la crainte de vous paraître est en
totalement ivre , je vous attesterais avec serment consci
l'effet extraordinaire que ses discours m'ont fait et a pou
me font encore . En l'écoutant , je sens palpiter mon guité
caur plus fortement que si j'étais agité de la manie rité;;
dansante des corybantes ; ses paroles font couler honte
mes larmes , et j'en vois un grand nombre d'autres jaime
ressentir les mêmes émotions . Périclès et nos autres mond
bons orateurs , quand je les ai entendus, m'ont conta
paru sans doute éloquents , mais sans me faire de so
éprouver rien de semblable ; toute mon âme n'était homu
point bouleversée ; elle ne s'indignait point contre
elle - même de se sentir dans un honteux esclavage , el sui
tandis qu'auprès du Marsyas que voilà , je me suis maint
souvent trouvé ému au point de penser qu'à vivre de 41
comme je fais , ce n'est pas la peine de vivre . Tu puis 1
ne saurais , Socrate , nier qu'il en soit ainsi , et je Socra
suis sûr qu'en ce moment même , si je me mettais le fa
à t'écouter, je n'y tiendrais pas davantage , et que
j'éprouverais les mêmes impressions. C'est un
DE PLATON. 85
10 en homme qui me force de reconnaître que , manquant
ents, 24 moi-même de bien des choses essentielles, je néglige
ose.La mes propres affaires pour me charger de celles des
Athéniens . Il me faut donc malgré moi m'enfuir
1 garded bien vite en me bouchant les oreilles comme pour
plende a échapper aux sirènes ' , si je ne veux pas rester
repele to jusqu'à la fin de mes jours assis à la même place
lui quidem auprès de lui . Pour lui seul dans le monde , j'ai
Om , éprouvé ce dont on ne me croirait guère capable ,
de la honte en présence d'un autre homme or , il
isparait est en effet le seul devant qui je rougisse . J'ai la
Cserne conscience de ne pouvoir rien opposer à ses conseils,
our faire et pourtant de n'avoir pas la force , quand je l'ai
piler mat quitté , de résister à l'entraînement de la popula
ela sua rité ; je le fuis donc ; mais quand je le revois , j'ai
vor cooke honte d'avoir si mal tenu ma promesse , et souvent
&d'autres j'aimerais mieux , je crois , qu'il ne fût pas an
70sautres monde , et cependant si cela arrivait , je suis bien
#s, m'bu convaincu que j'en serais plus malheureux encore ;
me han de sorte que je ne sais comment faire avec cet
homme-là .
7 con * Tels sont les prestiges qu'exerce , et sur moi
sclavage, et sur bien d'autres , la flûte de ce satyre . Sachez
: me can maintenant combien ma comparaison est juste , et
de quelles merveilleuses qualités il est doué. Je
ivre. To puis vous assurer que personne ici ne sait ce qu'est
Socrale ; mais puisque j'ai commencé, je veux vous
mentais le faire connaître . Vous voyez combien Socrate
et que
est 1 Allusion tirée d'Homère, Odyssée, XII , v. 47.
86 LE BANQUET
montre d'ardeur pour les beaux jeunes gens, comme ce deri
il est constamment auprès d'eux , et à quel point il Ilfaut
en est épris ; vous voyez aussi que c'est un homme prélez
qui ignore toutes choses , et n'entend rien à quoi repren
que ce soit ; il en a l'air au moins. Tout cela n'est-il Je
pas d'un Silène ? Tout à fait. Mais ce n'est là que mattei
l'enveloppe, c'est le Silène qui couvre le Dicu. geare i
Ouvrez- le : quels trésors de sagesse , mes chers aimé o
convives , n'y trouvez -vous pas renfermés ! Il faut sais de
que vous sachiez qu'il lui importe fort peu que l'on demeu
soit bean : il méprise cela à un point qu'on ne à son
saurait croire : il ne se soucie pas plus qu'on soit le pro
riche , ou qu'on possède aucun des avantages en messa
viés du vulgaire . Il regarde tous ces biens comme chose.
de nulle valeur, et nous-mêmes comme rien ; il támes
passe sa vie à se moquer de tout le monde et dans mes a
une ironie perpétuelle . J'ignore si d'autres ont yu , qu'ain
quand il parle sérieusement et qu'il s'ouvre enfin , quer
les trésors sacrés de son intérieur ; mais je les ai fois c
vus, moi, et je les ai trouvés si précieux , si divins , del'is
si ravissants , qu'il m'a paru impossible de résister dent
à Socrate . M'imaginant qu'il en voulait à ma beauté, pas
je crus m'aviser d'une heureuse pensée et d'un finit
admirable projet : je me flattai qu'avec de la com
plaisance pour ses desirs , il ne manquerait pas de SOTU
me communiquer toute sa science. Aussi bien étais-je un 1
excessivement prévenu en faveur des agréments de pro
ma personne. Dans cette idée , renonçant à l'usage Lor
où j'étais de ne me trouver avec lui qu'en présence étai
de l'homme chargé de m'accompagner , je renvoyai tra
DE PLATON . 87
03. Come ce dernier, et nous nous trouvâmes seuls ensemble .
elpoisid Il faut ici que je vous dise. la vérité tout entière :
prêtez-moi donc toute votre attention , et toi , Socrate ,
en a que reprends-moi si je mens .
ela n'est « Je me trouvai donc en tête-à-tête avec lui : je
est laque m'attendais qu'il ne tarderait guère à engager ce
le Dia genre de propos que tout amant adresse à son bien
mes cher aimé quand il est seul avec lui , et je m'en réjouis
sais déjà. Mais il n'en fut rien absolument. Socrate
u quela demeura toute la journée , s'entretenant avec moi
qu'on a à son ordinaire, et puis il se retira. Après cela , je
paon sen le provoquai à des exercices de gymnastique : je
Hlages et m'essayai avec lui , espérant gagner par là quelque
Is com chose. Nous nous exercâmes souvent, et nous lut
tâmes ensemble sans témoins . Que vous dirai-je ,
• rien;1
le et dans mes amis ? je n'en étais pas plus avancé . Voyant
' ODIT qu’ainsi je n'obtenais rien , je me décidai à l'atta
rre enhe quer vivement , à ne point lâcher prise ayant une
je les ai fois commencé , et à savoir enfin à quoi m'en tenir.
sidirit , Je l'invitai à souper comme font les amants qui ten
e register dent un piége à leurs bien -aimés. Il ne se rendit
abeant pas d'abord à mes instances ; mais avec le temps il
et de finit par céder . Il vint , mais aussitôt après le repas
lacomo il voulut s'en aller . Je le laissai sortir, par une
itpas de sorte de pudeur. Mais une autre fois je lui tendis
nétaisaje un nouveau piége , et , après qu'il eut soupé , je
nenud prolongeai notre entretien assez avant dans la nuit .
i l'usage Lorsqu'ensuite il voulut se retirer, j'alléguai qu'il
presente était trop tard pour retourner chez lui , et le con
renvoyai traignis de rester. Il se coucha donc sur le lit, tout
88 LE BANQUET
proche du mien , le même sur lequel il avait soupé ; d'ur
personne , excepté nous , ne dormait dans cet ap Com
parlement. sopł.
Jusqu'ici il n'y a rien encore qui ne se puisse ler
raconter en présence de tout le monde. Pour ce qui jest
suit vous ne l'entendriez pas de ma bouche ; mais d'au
d'abord le vin , avec ou sans l'enfance, dit la vé prof
rité , selon le proverbel ; ensuite , dissimuler un leur
trait admirable de Socrate , après avoir entrepris
son éloge , ne me semblerait pas juste . D'ailleurs , que
je suis un peu dans la disposition des gens qui ont ne f
été mordus par une vipère ; ils ne veulent , dit -on, mes
rendre compte de leur accident à personne , si ce leich
n'est à ceux qui en ont éprouvé un pareil , comme
étant seuls en état de concevoir et d'excuser tout ce donc
qu'ils ont fait et dit dans leurs souffrances ?. Et moi, mes
qui me sens mordu par quelque chose de plus dou que
loureux et dans l'endroit le plus sensible , au cour, trou
dois-je dire , ou à l'âme ou comme on voudra l'ap en
peler, moi mordu et piqué par la philosophie, plus pour
poignante que le dard d'aucune vipère , pour une amis
áme jeune et bien née , el capable de lui faire faire tion
et dire mille folies ; en me voyant en présence d'un puis:
Phèdre , d'un Agathon , d'un Pausanias, d'un Aris refu:
todème , d'un Aristophane , ai - je besoin d'ajouter Crai
2
i Allusion à ce proverbe : Le vin et l'enfance disent tan
erite. Frai
> Il s'agit de mille extravagances superstitieuses que de
l'on employait pour conjurer le mal,
DE PLATON . 89
aitsoupe d'un Socrate el de tous les autres , tous atteints
$s cetapo comme moi de la manie et de la rage de la philo
sophie , je ne fais aucune difficulté de vous racon
se paik ter à tous ce que j'ai fait ; car vous excuserez ,
vurcega j'espère , et mes actions d'alors et mes paroles -
d'aujourd'hui. Mais pour les esclaves , pour tout
diela mia profane et tout homme sans culture , mettez sur
mulera leurs oreilles une triple portel .
entrepen Quand donc , mes amis , la lampe fut éteinte et
'ailleurs que les esclaves se furent retirés , je jugeai qu'il
is qui wa ne fallait point biaiser avec lui , et que je devais
, dit-da, m'expliquer franchement. Je le poussai un peu , et
De, si lui dis : Socrate, dors-tu ? — Pas tout à fait, répondit
il . Eh bien , sais-tu ce que je pense ? — Quoi
1001 donc ? Je pense , repris-je , que tu es le seul de
Ermy, mes amants qui soit digne de moi ; et il me semble
plusde que tu n'oses m'ouvrir ton coeur . Pour moi, je mo
au cur . trouverais fort déraisonnable de ne pas te complaire
dra l'ap en cette occasion comme en toute autre où je
pourrais t'obliger, soit par moi-même , soit par mes
hie, plus amis . Je n'ai rien tant à coeur que de me perfec
pour ux
uire faire tionner , et je ne vois personne dont le secours
nce din puisse m'être en cela plus utile que le tien . En
refusant quelque chose à un homme tel que toi , je
craindrais bien plus d'étre blâmé des sages que je
l'ajouter
i Dans le début de quelques pièces orphiques , on de
ce disent mande queles portes soient fermées aux profanes. Voyez
Frag. Orph . p. 441 , 450 ; HERMANN ; Le Scholiaste
uses the de Sophocle ; OEdipe à Colone , v. 9 ; Suidas , verb.
βέβηλος .
A
90 LE BANQUET
ne crains d'être blâmé du vulgaire et des sots en
t'accordant tout. A ce discours il me répondit avec
ee ton d'ironie qui lui est familier : Oui da , mon (
cher Alcibiade, tu ne me parais pas mal avisé , si
ce que tu dis de moi est vrai , et si je possède en
effet la vertu de te rendre meilleur ; vraiment tu
as découvert là en moi une beauté merveilleuse et
bien supérieure à la tienne ; à ce compte , si tu
veux faire avec moi un échange , tu m'as l'air de
vouloir faire un assez bon marché; tu prétends
avoir le réel de la beauté pour son apparence , til
me proposes du cuivre contre de l'ord . Mais , bon
jeune homme , regardes- y de plus près : peut-être
te fais - tu illusion sur le peu que je vaux . Les yeux
de l'esprit de commencent guère à devenir plas
clairvoyants qu'à l'époque où ceux du corps s'alfai
blissent , et cette époque est encore bien éloignée
pour toi . Lå dessus je repris : De mon côté ,
Socrale , c'est une affaire arrangée : je ne t'ai rien
dit que je ne pense ; c'est à toi de voir ce que la
jugeras le plus à propos et pour toi et pour moi .
Très-bien parlé! répondit-il . Ainsi nous verrons,
et nous ferons ce qui nous paraîtra le plus à propos
pour nous deux sur ce point comme sur tout le reste.
« Cela dit de part et d'autre , je crus que le trait
que je lui avais lancé avait atteint son but, je me
lève donc , et sans lui laisser rien dire de plus ,

Locution proverbiale quifait allusion à l'échange des


armes entre Diomède et Glaucus dans l'Iliade, VI, ¥. 286.
DE PLATON . gi
dessata enveloppé dans ce manteau que vous me voyez ,
Jordi 27 car c'était en hiver, m'étends sous la vieille
li da, 10 capote de cet homme-là , et jetant mes deux bras
a/ arise , autour de ce divin et merveilleux personnage , je
possede e passai près de lui la nuit entière . Sur tout cela ,
raiment Socrate , tu n'as qu'à dire si je mens ! Eh bien ,
eillense # après de telles avances de ma part , voilà comme
pie, sit il a triomphé du pouvoir de ma beauté , comme
29/air & il l'a dédaignée et honnie. Et pourtant je ne la
!ρτορικό croyais pas sans quelque valeur, ô juges : c'est à
urence ,1 votre tribunal que je soumets cette insolence de
Wais,kuri Socrale. Sachez-le donc , par les dieux ! par les
pellede déesses ! je me levai d'auprès de lui tel , ni plus ni
Lespremi moins , que si je fusse sorti du lit d'un père ou d'un
frère aîné.
enirplus
assabi K Depuis cette époque , dans quelle
situation
eloige d'esprit n'ai-je pas då me trouver, je vous le
on corte demande , moi qui d'un côté me voyais humilié ,
t'ai ries et qui de l'autre admirais son caractère , sa tempé
: quel rance , sa force d'âme , et me félicitais d'avoir ren .
ur , contré un homme dont je ne croyais pas pouvoir
jamais trouver l'égal pour la sagesse et l'empire
propus sur lui - même ; de sorte que je ne pouvais en
lerest. aucune manière ni me fâcher, ni me passer de sa
Jetrai compagnie , et que je ne voyais pas davantage le
,je me moyen de le gagner, car je savais bien qu'à l'égard
:plus, de l'argent il était invulnérable ? plus qu'Ajax ve

nge de I Voyez sur le refus que fit Socrate des présents d’Al
cibiade , ÆLIEN , Var. Hist., IX , 29 .
92 LE BANQUET
l’était contre le fer, et je le voyais m'échapper du de por
seul côté par on je m'étais flatlé qu'il se laisserait plus ais
prendre ! Ainsi je restais embarrassé, plus asservi au poit
à cet homme qu'esclave ne le fut jamais à son maître ,
et je n'allais plus qu'au hasard . condui
« Telle fut la première époque de mes relations VC
avec lui . Ensuite nous nous trouvâmes ensemble à courag
l'expédition contre Potidée , et nous y fûmes de la Taur la
même chambrée . Dans les fatigues, il l'emportait medite
non - seulement sur moi en fermeté et en constance, la plat
mais sur tous nos camarades. S'il nous arrivait chail,
d'avoir nos provisions interceptées et d'être forces dans !
de souffrir de la faim , comme c'est assez l'ordinaire gens
en campagne , les autres n'étaient rien auprès de lesun
lui pour supporter cette privation. Nous trouvions le ma
nous dans l'abondance , il était également unique après
par son talent pour en user ; lui qui d'ordinaire pagac
n'aime pas à boire , s'il y était forcé, il laissait en elait
arrière tous les autres buveurs ; et ce qu'il y a de la nt
plus surprenant , nul homme au monde n'a jamais de si
vu Socrate ivre , et c'est ce dont il m'est avis que solei
vous pourrez bien avoir la preuve tout à l'heure. il se
Fallait-il endurer la rigueur des hivers , qui sont
très - durs dans ces contrées -là , ce qu'il faisait C'es
quelquefois est inouï. Par exemple , dans le temps Cett
de la plus forte gelée , quand personne n'osait sortir l'ho
du quartier, ou du moins ne sortait que bien vêtu , Toy
bien chaussé , les pieds enveloppés de feutre et de par
peaux d'agneau , lui ne laissait pas d'aller et de
venir avec le même manteau qu'il avait coutume ral
DE PLATON . 93
rapper de de porter, et il marchait pieds nus sur la glace
:laisverzi plus aisément que nous qui étions bien chaussés ;
au point que les soldats le voyaient de mauvais
Damaire wil , croyant qu'il les voulait braver. Telle fut sa
conduite .
; relaticas « Voici encore ce que fit et supporta cet homme
isemblea courageux , pendant cette même expédition ; le trait
mes dela vaut la peine d'étre écouté . Un matin il se mit à
emperti méditer sur quelque chose , debout et immobile à
Oustan la place où il était. Ne trouvant pas ce qu'il cher
i amma chait , il ne bougea point , et continua de réfléchir
tre fort dans la même situation . Il était déjà midi : nos
ordinaire gens l'observaient et se disaient avec étonnement
uprésde les uns aux autres que Socrate était là rêvant depuis
DOVOD le matin . Enfin , vers le soir, des soldats ioniens ,
1 unique après avoir soupé , apportèrent leurs lits de cam
ordinant pagne en cet endroit , afin de coucher au frais ( on
uissaites était alors en été ) , etd'observer si Socrale passerait
Isade la nuit dans la même posture . En effet, il continua
1jamais de se tenir debont jusqu'au lendemain au lever du
avis que soleil . Alors , après avoir fait sa prière au soleil ,
l'heure il se retira .
qui som « Voulez-vous maintenant le voir dans les combats ?
faisait C'est encore une justice qu'il faut lui rendre . Dans
temp cette affaire dont les généraux m'attribuèrent tout
itsorti l'honneur, je ne dus mon salut qu'à lui , qui , me
1 retu voyant blessé , ne voulut jamais m'abandonner, et
e et de parvint à sauver et mes armes et moi des mains
et de de l'ennemi . J'insistai bien alors auprès des géné
raux , Socrate , pour qu'on te décernât les récom
LE BANQUET
penses militaires destinées au plus brave : c'est
encore un fait que tu ne pourras pas me contester
ni traiter de mensonge ; mais les généraux , par
égard pour mon rang , voulant me donner le prix,
tu te montras toi-même plus empressé qu'eux à me
le faire accorder à ton préjudice. Une autre circon
stance où la conduite de Socrate mérite d'être
observée , c'est la retraite de notre armée quand
elle fut mise en déroute devant Delium . Je m'y
trouvais à cheval , lui en oplitel . La troupe s'était
déjà fort éclaircie , et il se retirait avec Lachès. Je
les rencontre , et leur crie d'avoir bon courage,
que je ne les abandonnerai pas. Ce fut là pour
moi une plus belle occasion encore d'observer
Socrate que la journée de Potidée : car ici j'étais le
moins exposé , me trouvant à cheval. Je remarquai
d'abord combien il surpassait Lachès en présence
d'esprit : de plus , je trouvai qu'il marchait , pour
parler comme toi , Aristophane , là , tout comme
dans nos rues d'Athènes , l'allure superbe et le
regard dédaigneux " . Il considérait tranquillement
et les nôtres et l'ennemi , et montrait au loin à la
ronde par sa contenance un homme qu'on n'abor
derait pas sans être vigoureusement reçu . Aussi se
retira - t- il sans accident lui et son compagnon : car
celui qui montre de telles dispositions dans un

1 Fantassin pesaniment armé.


· Expressions appliquées à Socrate par le cheur des
Nuées d'Aristophane, v. 361 .
DE PLATON . 95
combat n'est pas d'ordinaire celui qu'on attaque ;
ne met on poursuit plutôt ceux qui fuient à toutes jambes .
Berau « Il serait facile de rapporter à l'éloge de So
aer lepri crate un grand nombre d'autres faits non moins
queur de admirables : peut- être cependant trouverait - on à
Areas ciler de la part d'autres hommes de pareils traits
de vertu. Mais ce qu'on ne peut assez admirer en
lui , c'est de ne ressembler à personne , ni parmi
im . Jedi les anciens , ni parmi nos contemporains . Au per
oupe se sonnage d'Achille , par exemple , on pourrait assi
Laches de miler Brasidas ' ou tel autre ; Périclès à Nestor ou
A CONTAR à Antenor ; et il ne manque pas d'autres modèles
int la pili pour de pareils rapprochements . Mais une telle
d'obieta originalité , un tel homme , de tels discours, on
cij'etaista aurait beau chercher, on ne trouverait rien qui y
remarju ressemblât , ni chez les anciens ni chez les mo
eprestar dernes , parmi les hommes du moios; pour les
hait,por Silènes et les Salyres , à la bonne heure; il y a lieu
à le mettre en parallèle avec eux , et pour sa per
rbe al sonne et pour ses discours ; car c'est un fait que j'ai
juillene oublié de dire en commençant, que ses discours
loisir ressemblent aussi à merveille aux Silènes qui s'ou
naker vrent. Quand on se met à l'écouter, ce qu'il dit
Aussie paraît d'abord tout à fait burlesque : sa pensée ne
, 200,0 se présente à vous qu'enveloppée dans des termes
dans et des expressions grossières , comme dans la peau
d'un impertinent satyre . Il ne vous parle que d'ânes

sbæar de I Général lacédémonien , tué à Amphipolis , dans la


guerre du Péloponnèse. THUCYDIDE , V , 6 .
96 LE BANQUET
bardés , de forgerons, de cordonniers , de cor
royeurs , et il a l'air de dire toujours la même
chose dans les mêmes termes : de sorte qu'il n'est
pas d'iguorant et de sot qui ne puisse être tenté
d'en rire . Mais que l'on ouvre ses discours , qu'on
pénètre dans leur intérieur, d'abord on reconnaîtra
qu'eux seuls sont remplis de sens , ensuite on les
trouvera tous divins , renfermanı en eux les plus
nobles images de la vertu , et embrassant à peu
près tout ce que doit avoir devant les yeux qui
conque veut devenir un homme accompli .
Voilà , mes ainis , ce que je loue dans Socrate,
et ce dont je me plains ; car j'ai joint à mes éloges
le récit des injures qu'il m'a faites. Et ce n'est pas
moi seul qu'il a ainsi traité ; c'est Charmide , tils
de Glaucon ; Euthydème, fils de Dioclès ; et nombre
d'autres qu'il a trompés en ayant l'air de vouloir
être leur amant , et auprès desquels il a joué plutôt
le rôle du bien-aimé. Et toi , à ton tour, Agathon ,
si tu veux m'en croire , tu ne seras pas la dupe de
cet homme-là ; mais ti te tiendras sur tes gardes,
prenant conseil de ma triste expérience , et tu ne
feras pas comme l'insensé , qui , selon le proverbe ,
ne devient sage qu'à ses dépens .
« Alcibiade ayant cessé de parler, on se mit à rire
de sa franchise , et de ce qu'il paraissait encore
épris de Socrate . Celui-ci prenant la parole :
Je soupçonne , Alcibiade , dit- il , que tu as été
« sobre aujourd'hui; sans quoi tu n'aurais jamais si
habilement tourné autour de ton sujet en t'effor
DE PLATON . 97
de oro « çant de nous donner le change sur le vrai motif
« qui t'a fait dire toutes ces belles choses , et que
quil cielo « tu n'as touché qu'incidemment à la fin de ton
elre test discours : comme si l'unique dessein qui l'a fait
118,928 parler n'était pas de nous brouiller, Agathon et
Conan « moi , en prétendant , comme tu le fais , que je
die oula « dois t'aimer et n'en point aimer d'autre , et
s lesplus qu'Agathon ne doit pas avoir d'autre amant que
int iper « toi . Mais l'artifice ne t'a point réussi ; et on voit
* ce que signifiaient ton drame satirique et tes
« Silènes . Ainsi, mon cher Agathon , tâchons qu'il
Socrate u ne gagne rien à toutes ces manœuvres , et fais en
" sorte que personne ne nous puisse détacher l'un
; n'estpas « de l'autre. 1) En vérité , dit Agathon , je crois
mide, que tu as raison , Socrate ; et justement il est venu
I nomor se placer entre toi et moi pour nous séparer, j'en
e roule suis sûr . Mais il n'y gagnera rien , car je vais à
l'instant me placer à côté de toi . (C Fort bien !
oné plati
Agalbos reprit Socrale ; viens te mettre ici à ma droite . ”
dupe di 0 Jupiter , s'écria Alcibiade , que n'ai-je pas à
sgandes endurer de la part de cet homme ! Il s'imagine
er ta pouvoir me faire la loi partout . Mais pour le moins ,
rørerbe cher maître , permets qu'Agathon se place entre
nous deux . Impossible , dit Socrate . T'u viens
bilan de faire mon éloge ; c'est maintenant à moi de
I enant « faire celui de mon voisin de droite . Si Agathon
e: u se met à ma gauche , apparemment il ne fera pas
« de nouveau mon éloge avant que je me sois ac
jamaisrsi quitté du sien . Consens donc , mon cher, à le
It'etto « laisser faire , et n'envie pas à ce jeune homme
BANQUET . 7
98 LE BANQUET
« les louanges que je lui dois et que je suis impa
tient de lui donner. » O Alcibiade , s'écria
Agathon , il n'y a pas moyen que je reste ici , et je
m'en vais décidément changer de place , afin d'être
loué par Socrate . Voilà ce qui arrive toujours,
dit Alcibiade . Où que se trouve Socrate , il n'y a
de place que pour lui auprès des beaux jeunes gens.
Voyez quel prétexte naturel et plausible il a su
trouver pour avoir Agathon auprès de lui !
« Alors Agathon se leva pour s'aller mettre auprès
de Socrate ; mais en ce moment une foule joyeuse
se présenta à la porte , et , la trouvant ouverte au
moment où quelqu'un sortait, s'avança vers la com
pagnie et prit place à table, Dės ce moment , grand
tumulte , plus d'ordre : chacun fut obligé de boire
à l'excès . Éryximaque , Phèdre et quelques autres
s'en retournèrent chez eux , ajouta Aristodème ! :
pour lui , le sommeil le prit , et il resta longtemps
endormi ; car les nuits élaient longues en cette'sai
son . Il s'éveilla vers l'aurore , au chant du coq , et
en ouvrant les yeux il vit que les autres convives
dormaient ou s'en étaient allés. Agathon , Aristo
phane et Socrate étaient seuls éveillés , et buvaient
tour à tour de gauche à droite dans une large coupe.
C'est, comme on l'a vu au commencement, le person
nage de qui Apollodore tient toutes les circonstances de
son récit. Dans l'original ce récit est constamment pré
senté sous la forme indirecte, à laquelle la langue grecque
se prête bien mieux que la nôtre. Littéralement la formule
générale est : Aristodėme me raconta que... et que.
DE PLATON . 99
sus En même temps Socrate discourait avec eux . Aris
todème ne pouvait se rappeler cet entretien , dont
eia,el il n'avait pas entendu le commencement à cause du
ahin den sommeil qui l'accablait encore ; mais il me dit en
: toujours gros que Socrate força ses deux interlocuteurs à
reconnaître qu'il appartient au même homme de
DOAR PER savoir traiter la comédie et la tragédie , et que le
vrai poëte tragique qui l'est avec art est en même
i! temps poëte comique , Forcés d'en convenir, et ne
treapoi suivant plus qu'à demi la discussion , ils commen
ejores çaient à s'assoupir. Aristophane s'endormit le pre
arente mier, ensuite Agathon , comme il était déjà grand
oslacon jour. Socrate , les voyant ainsi endormis tous les
01,grand deux , se leva et sortit avec Aristodème, qui l'ac
de bevine compagna selon sa coutume : il se rendit au Lycée ,
es 2900 et , après s'être baigné , y passa tout le reste du
odéme! jour comme à l'ordinaire, et ne rentra chez lui que
ingten vers le soir pour se reposer.
cette
1000,ITA "
CORV
LON
beraien FIN DU BANQUET DE PLATON ,
ecoupe
persar

ent parts
grecque
formule
.
!

1
{
1

Yoit dans le bulletin du bibliophile

de Bachener, deux articles de Me?

Pierre Climent Susle banqual de

Platon er sur l'obbesse de fontevrault.

l'un Contredis l'autre , àun an

d'intervalle .

zier
oferi
le per a paru dans le node r 1869;
156
har dans le no de
févrie 187
r 0

mtclement cite l'opinion três ferieuse

émise par le coordinal de flewey sur les


mérites et l'érudition tres réelle de la se

Se fonterrault .
M! Pienze clement esrdecede en
janvier 1871, pendant le siège de Paris
Gabrielle de Rochechouati

possédait dans sa bibliothèque

bel exemplaire en grand papier


Du Platon de 1578 , de henri Estienne

avec la traduction latine de Jean de

Sezzed, en zegap VILLE


feu fer Grille, 'Angenbetriyant à MS Paul Lacroise,
en 1846, qu'il possédait cet exemplaire duPlaton
guc-latin ayan't appartenu a l'Abbesse de fonteyzoulting

Let au 15 novembre . dit de l'amour ,par Deschanel


Se bien qu'on a
Paris, 1858 , pet.in 16. Collection. Hetzel .
pages 18 a 45, l'auteur donne une analyse your

Spirituelle du bonquet de Platon..

. Michelet appelle le Banquet deFlaton


.ILI
livro xustizennent licencrux .
w
(pur
enne

Lacroix,
alter
evraukt:
r
Serda

el

nalyre

Platon
Sese

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