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L'armée Romaine D'afrique

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LARME ROMAINE DAFRIQUE

ET

LOCCUPATION MILITAIRE DE LAFRIQUE


SOUS LES EMPEREURS

PAR

Ren [Louis Victor] CAGNAT


Parties I et II.

Imprimerie nationale : E. Leroux


1913
Livre numris en mode texte par :
Alain Spenatto.
1, rue du Puy Griou. 15000 AURILLAC.
alainspenatto@orange.fr
ou
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PRFACE.

Le volume en tte duquel figurent ces quelques lignes de pr-


face ne pourrait pas tre une rimpression pure et simple de ce-
lui qui a paru sous le mme titre en 1892, tant depuis cette po-
que les dcouvertes et les travaux drudition se sont multiplis.
Ainsi, pour citer seulement quelques exemples caractristiques,
on a fouill mthodiquement le camp de Lambse, que lon stait
jusqualors content de piller pour en extraire des pierres, dans
le Sud tunisien, les officiers des Affaires indignes ont explor un
grand nombre de postes militaires le long de lantique limes de
la Tripolitaine ; M. von Domaszewski, reprenant une partie des
questions abordes par moi dans le livre II, a donn des ludes trs
fouilles sur la religion de larme romaine et lorganisation des
cadres dofficiers et de sous-officiers ; M. Pallu de Lessert a publi
ses Fastes des provinces africaines, et lAcadmie de Berlin une
Prosopographia Imperii romani. Jai donc t oblig de modifier
beaucoup de dtails, den ajouter beaucoup dautres : le lecteur
sen rendra compte aisment. Par contre, jai supprim toutes les
listes de gouverneurs, dofficiers, de principales, de soldats, que
javais insres dans la premire dition. Pour les gouverneurs et
les officiers, je viens den dire la raison : on trouvera maintenant
leurs noms dans des livres spciaux, que je naurais pu que co-
pier ; pour les sous-officiers et les soldats, jai pens quon pouvait
encore se servir des listes anciennes et sy reporter : les lacunes ne
sont ni assez considrables, ni assez graves pour quil mait paru
ncessaire dencombrer le prsent volume de ces additions.
Jai apport aussi quelques changements lillustration ; l,
pareillement, jai d tenir compte des fouilles rcentes, renoncer
certaines vues actuellement renouveles, certains plans mainte-
nant inexacts, et les remplacer par des reprsentations conformes
ltat prsent de nos connaissances.

Janvier 1912.
INTRODUCTION.

En lan 146 avant Jsus-Christ, Carthage tombait, aprs une


dfense acharne, aux mains de Scipion milien ; la ville tait pille,
puis livre aux flammes ; un vaisseau charg de butin prcieux fai-
sait voile vers lItalie et remontait le Tibre(1). Le peuple pouvait
se livrer lallgresse et le vainqueur monter au Capitole : Rome
venait de supprimer sa rivale. Mais il ne suffisait point davoir an-
nihil la puissance punique, il fallait lempcher de se relever ou
de passer en dautres mains, il fallait, suivant la forte expression de
Mommsen(2), garder le cadavre : telle tait la consquence invita-
ble de la victoire. Comment allait-on procder ? Les commissaires
envoys en Afrique par le Snat eurent rsoudre cette question
dlicate.
A vrai dire, ce ntait pas la premire fois que lon envisa-
geait Rome une pareille ventualit. On sen tait dj mu la
fin de la deuxime guerre punique, et si lon navait pas ananti
Carthage ce moment, cest que lon avait recul devant la prise
de possession du pays. Que ferons-nous, disait en plein Snat
un des orateurs qui y prirent la parole cette occasion(3) ? Adjoin-
drons-nous le territoire carthaginois au domaine public ? Mais les
revenus que nous en tirerons seront absorbs par lentretien des
garnisons que nous serons obligs dy laisser en permanence ; car
il faudra de grandes forces pour contenir tant de peuples sauvages,
devenus ainsi nos voisins. tablirons-nous des colonies au sein de
cette Numidie si peuple ? Mais, ou bien elles seront dtruites par
les Barbares, ou, si elles parviennent les subjuguer, elles aspire-
ront lindpendance. Mieux vaut donc laisser vivre Carthage.
____________________
(1) App., Pun., 132 et suiv.
(2) Rom. Geschichte, V, p. 623 (t. XI, p. 255 de notre traduction).
(3) Appian., Pun., 61.
VI INTRODUCTION.

Ce raisonnement tait bon alors. En dtruisant Carthage,


Scipion trancha la question : il ny avait plus dsormais hsiter ;
il fallait, de toute ncessit, occuper lAfrique ; on pouvait seule-
ment tenter de diminuer les risques de loccupation. On rduisit en
province le territoire carthaginois ; on se garda pourtant de savan-
cer trop loin dans lintrieur des terres, prcisment pour ne pas
se heurter aux nations barbares qui y taient tablies : une ligne
trace de Thabraca (Tabarca) Thenae (Henchir-Tina) marqua la
limite occidentale et mridionale du territoire romain. Au del, le
pays fut abandonn Massinissa, lalli de la Rpublique contre
Carthage(1). En apparence, le Snat rcompensait ainsi les services
passs de ce prince ; en fait, il lui en imposait un nouveau, qui tait
dpargner Rome des contacts dangereux et le soin de dfendre
ses frontires africaines. Ds le dbut de la conqute, il appliquait
cette maxime qui, toujours et partout, inspira sa politique colo-
niale : il faisait des rois de la contre, comme dit Tacite, des ins-
truments de servitude(2). Sauf le territoire de Carthage, le reste de
lAfrique, ce qui devait tre plus tard la Numidie et la Maurtanie,
ntait donc encore que pays de protectorat. La situation devait
rester la mme pendant cent ans.
La province dAfrique fut spare matriellement du royau-
me voisin par un foss que Scipion fit creuser(3), lexemple de ce
____________________
(1) Strab., XVII, 3, 15 : ,
, ,
; Sall., Jug., 19 : Bello Jugurthino pleraque
ex punicis oppida el finis Carthaginiensium quos novissime habuerant po-
pulus romanus per magistratus administrabat ; Gaetulorum magna pars et
Numidia usque ad flumen Mulucham sub Jugurtha erant. Mauris omnibus
rex Bocchus imperitabat, praeter nomen cetera ignarus populi romani.
(2) Tac., Agric., 14 : Vetere ac jampridem recepta populi romani
consuetudine ut haheret instrumenta servitutis et reges. Aussi les troupes
que les rois de Numidie devaient entretenir taient-elles trs importantes.
Strabon (XVII, 3, 13) nous apprend que Micipsa pouvait mettre sur pied
20,000 hommes et 10,000 chevaux.
(3) Plin., Hist. nat., V, 25 (dit. Jan) Ea pars quam Africam appella-
vimus dividitur in duas provincias, veterem et novam, discretas fossa inter
Africanum sequentem et reges Thenas usque perducta.
INTRODUCTION. VII

quavaient fait avant lui les Carthaginois(1), la limite du territoire


romain. La direction de ce foss de frontire a t tudie avec soin
depuis quelques annee(2), et lon est arriv en dterminer le trac
avec quelque approximation. Ce nest point le lieu dentrer ici dans
le dtail cet gard ; le fait seul est retenir. Il est intressant de voir
les Romains, ds le dbut de leur tablissement en Afrique, tablir
ainsi un limes autour de la rgion dont ils se rservaient la posses-
sion : cest un systme quils emploieront jusqu la fin de lEmpire.
Sans doute, ce foss primitif tait un obstacle destin marquer la
limite du sol romain plutt quun retranchement militaire, et navait
rien de commun avec celui que lon creusa plus tard dans les diff-
rentes provinces, en Bretagne, en Germanie et mme en Afrique, et
que lon borda de forteresses ; mais le dernier naquit du premier :
car on ne put videmment laisser longtemps le foss de Scipion sans
surveillance, sous peine de le voir violer chaque jour.
A la suite de la bataille de Thapsus, Csar tendit les limites de
lAfrique romaine en y englobant la Numidie(3). A quelles consid-
rations obit-il quand il se rsolut la cration de cette Afrique nou-
velle, comme on disait alors ? Faut-il faire de cette mesure le rsultat
dune politique voulue, grande et librale, et dire, avec certains his-
toriens(4), que civiliser et latiniser lAfrique compta dsormais parmi
les soucis du gouvernement romain ? Ou bien Csar comprit-il seule-
ment que le moment tait venu de supprimer, autant quon le pouvait,
____________________
(1) Phlegon. Tralliani fragm., 47 ( d. Mller : Fragm. historic. graec.,
III, p. 622) ; App., Punic., 54. Sur les fosses puniques, voir Tissot, Gogra-
phie compare de la province romaine dAfrique, I, p. 532 et suiv.
(2) Cf. Tissot, op. cit., II, p. 3 et suiv. ; R. Cagnat, Comptes rendus de
lAcad. des Inscr., 1894, p. 43 et suiv. ; St. Gsell, Rec. de mmoires publis
au XIVe Congrs des Orientalistes, p. 349 et suiv. ; L. Poinssot, Comptes ren-
dus de lAcadmie des Inscr., 1907, p. 466 et suiv. ; de Pachtere, ibid., 1910,
p. 315 et suiv.
(3) De bell. Afric., 97 : Ex regno provincia facta, atque ibi Crispo
Sallustio proconsule cum imperio relicto, ipse Zama egressus Uticam se re-
cepit. Cf. Dio, XLIII, 9 ; Appian., Bell. civ., II, 100
.
(4) Cf. Mommsen, Rm. Geschichte, V, p. 624 (t. XI, p. 256 de notre
traduction).
VIII INTRODUCTION.

ces rois allis qui, au lieu de se contenter de dfendre la provin-


ce africaine contre les ennemis du dehors, prenaient parti dans les
querelles intimes de la Rpublique ? Cest ce que lhistoire peut
difficilement dmler. Il ne serait pas tonnant pourtant que, dans
cette circonstance, le souvenir de Juba et de ses lphants et t
dun certain poids dans la dtermination du vainqueur de Thapsus(1).
Quoi quil en soit, partir de lanne 46 avant Jsus-Christ, Rome
entra directement en contact avec les tribus insoumises du Sud.
Dsormais, la partie du pays quelle regardait comme sienne
stendit, du moins en thorie, depuis le cours infrieur de lAm-
sagas (Oued-el-Kbir) jusquau pied de lAurs, lOuest, jusqu
Capsa (Gafsa) et Tacapas (Gabs), au Sud ; le territoire de Cirta,
cd Sittius, forma quelque temps une enclave dans la Numidie(2).
Les auteurs ne signalent plus ds lors, avant les grandes rformes
territoriales dAuguste, que des changements passagers et sans im-
portance.
Pour garder ce territoire, restreint dabord, plus tendu ensuite,
Rome fut oblige dy entretenir un corps doccupation. Elle procda
en Afrique comme ailleurs : tous les ans, le Snat mettait la dis-
position du gouverneur les forces ncessaires la dfense du pays,
avec largent destin les alimenter. On nenvoyait pas, cela va de
soi, chaque anne des lgions nouvelles ; on y laissait celles qui te-
naient dj la campagne, en comblant les vides que faisaient les ma-
ladies, la guerre ou le dpart de ceux qui avaient achev leur temps
de service(3). En outre, les chefs de corps compltaient leurs armes
avec des auxiliaires quils levaient dans la province mme et quils
____________________
(1) Tissot (Gogr. compare de lAfrique, p. 23) dit trs justement,
mon sens : Lappui que le parti pompien avait trouv en Afrique dcida
Csar modifier la situation politique que Rome avait respecte pendant un
sicle.
(2) Appian., Bell. civ., IV, 54. Cf. Mela, I, 7,3 ; Plin., Hist. nat., V, 22.
(3) Mommsen, Staatsrecht, III, p. 1071et suiv. Cf. Willems, le Snat
de la Rpublique romaine, p. 622 et suiv. ; et p. 646 ; Madvig, ltat romain
(traduction franaise), III, p. 65 et suiv. Ainsi, lors de la guerre de Jugur-
tha, larme romaine retourne en hiver dans la province (Sall., Jug., 39, 44),
mais on la complte par des leves faites en Italie (27,43, 84).
INTRODUCTION. IX

demandaient surtout aux villes libres : ils leur faisaient ainsi payer
leur autonomie(1).
Dans les circonstances difficiles, et lAfrique eut traver-
ser sous la Rpublique des crises frquentes et terribles, quand
on avait combattre un roi de Numidie soulev, comme Jugurtha,
ou les paves dun parti vaincu en Europe, mais non encore abattu,
comme les troupes de Marius ou celles de Pompe, le nombre des
soldats engags pouvait tre considrable, surtout lorsquil sy joi-
gnait des secours fournis par un Bocchus, un Hiarbas ou un Juba.
Les historiens nous ont transmis quelques chiffres, qui donneront
une ide de limportance des armes africaines en pareil cas. Quand
Pompe fut envoy par Sylla contre Domitius Ahenobarbus, il arriva
avec six lgions entires ; son ennemi avait, de son ct, des forces
imposantes(2). Csar en amena avec lui le mme nombre, lorsquil
vint combattre le parti pompien, et, en outre, 2,000 cavaliers(3) ; il
ne tarda pas recevoir de Sicile des renforts qui doublrent leffec-
tif de ses troupes, sans compter lappoint que Sittius et Bocchus lui
apportrent(4) ; ses adversaires disposaient dun chiffre de soldats
suprieur encore. Labienus, dans le rcit de la guerre dAfrique qui
nous a t conserv, aurait eu douze lgions, augmentes de cava-
liers germains, gaulois et africain(5), ainsi que des auxiliaires fournis
____________________
(1) Willems, op. cit., p. 638. Cest ainsi quAttius Varus, qui stait
rfugi presque seul en Afrique, put se constituer une arme de deux lgions,
parce quil savait comment on en usait pour y lever des soldats : nominum
et locorum notitia et usu ejus provinciae nactus aditus ad ea conanda, quod
paucis ante annis ex praetura eam provinciam obtinuerat. (Caes., De bell.
civ., I, 31.)
(2) Plutarch., Pomp., II :
,

t , .
(3) De bell. Afric., 2.
(4) Ibid., 33, 44, 53. Cf. Stoffel, Hist. de Jules Csar, II, p. 283.
(5) De bell. Afric., 19 : Quod triennio in Africa (Labienus) suos mili-
tes consuetudine retentos, fideles sibi jam effecisset ; maxima autem auxilia
haberet Numidarum equitum levisque armaturae. Praeterea ex fuga proelio-
que Pompeiano Labienus, quos secum a Brundisio transportaverat, equites
X INTRODUCTION.

par Juba, qui sont valus, dans un autre passage du mme ouvra-
ge(1), quatre lgions, un nombre considrable de cavaliers et une
grande quantit dirrguliers. Appien attribue Scipion huit l-
gions, 20,000 cavaliers et des auxiliaires(2) ; Juba, 30,000 fantas-
sins, 20,000 chevaux et bon nombre darchers(3). Il est vrai quil
prsente ce total de soldats non pas comme un chiffre officiel, mais
comme celui que lon attribuait Scipion dans le camp de Csar ;
mais, quelque exagr quon veuille le considrer, il nen reste pas
moins certain que larme des Pompiens tait trs puissante. Plus
tard, quand Lpide, aprs la bataille de Philippes, vint prendre pos-
session de lAfrique occupe par Sextius, il tait accompagn de six
lgions d Antoine, quil grossit ensuite par un recrutement local(4).
Il est certain quen temps ordinaire on nentretenait pas en Afri-
que un nombre de soldats aussi important : larme du pays se rduisait
un effectif normal beaucoup plus faible, duquel malheureusement
____________________
Germanos Gallosque, ibique postea ex hybridis libertinis servisque conscrip-
serat, armaverat, equoque uti frenato condocuerat. Praeterea regia auxilia,
elephantes CXX, equitatusque innumerabilis ; deinde legiones conscriptae
ex cujusque modi generis amplius XII milibus. Le texte de ce passage a
donn lieu de nombreuses observations. M. Wlfflin (C. Asini Polionis de
belle Africo, p. 33 et 34), reprenant une opinion de Juste Lipse, le regarde
comme entirement interpol. Il se demande (p. 34, notes) sil ne faut pas
considrer milibus comme une faute pour militibus. Il est sage de ne pas faire
fonds sur ce texte.
(1) Ibid., I. Au chapitre 48, on lit que Juba, laissant une partie de ses
troupes pour tenir tte Sittius, vint soutenir Scipion cum III legionibus,
equitibusque frenatis DCCC, Numidis sine frenis, peditibusque levis arma-
turae grandi numero, elephantisque XXX.
(2) Lauteur du De bello Africo (ch. I) donne 10 lgions Scipion ; cf. le ch. 20.
(3) App., Bell. civ., II, 96 :
( )
,
,
, .
(4) App., ibid., V, 53 : ... ...
, .
Velleius Paterculus dit, dautre part (II, 80) : Acciverat gerens contra Pom-
peium bellum ex Africa Caesar Lepidum cum XII semiplenis legionibus.
INTRODUCTION. XI

les auteurs ne parlent pas souvent ; car les troupes qui ne prennent
pas part des vnements remarquables nattirent gure lattention
des historiens. Orose seul y a fait allusion dans un passage de ses
Histoires(1). Il raconte que, lors de la peste dont lAfrique souffrit
en 125 avant Jsus-Christ, la suite dune invasion de sauterelles
et dune disette qui en fut la consquence, 30,000 soldats prirent
Utique ; et il ajoute que ce rassemblement de jeunes hommes tait
recrut pour assurer la garde de la province tout entire. Ce chiffre
ne laisse pas que dtre fort lev, et il le parat dautant plus, au
premier abord, que, ainsi que nous ltablirons dans ce travail, lar-
me rgulire de Numidie, lpoque impriale, tait loin dtre
aussi nombreuse. Mais il faut songer que les Romains venaient
peine de prendre pied en Afrique en 125, et que, au dbut de toute
conqute, le vainqueur doit entretenir des forces imposantes dans
le pays soumis, sil vent que la victoire y porte des fruits dura-
bles ; cest cette priode de loccupation que les demi-mesures
sont surtout dangereuses. Au reste, sous la Rpublique, les auteurs
ne regardaient point 30,000 hommes, composs pour la moiti de
citoyens romains, pour lautre moiti dallis, comme une grosse
arme ; ctait l leffectif habituel, cette poque, des provinces
pacifies, ou plutt peu prs soumises(2), et lAfrique tait consi-
dre comme telle(3).
On aimerait savoir si le chiffre donn par Orose fut aug-
ment dans la suite, surtout lorsque, aprs la victoire de Thapsus et
lextension de la province romaine qui en fuit la suite, on eut d-
fendre le territoire contre les invasions du Sud ; mais je nai trouv
____________________
(1) Oros., V, II, 4 : Apud ipsam vero Uticam civitatem triginta milia
militum quae ad praesidium totius Africae ordinata fuerant, extincta atque
abrasa sunt. Quae clades tam repentina ac tam violenta institit ut tunc apud
Uticam sub una die per unam portam ex illis junioribus plus quam mille
quingentos mortuos datos fuisse narretur.
(2) Cest ainsi que Cicron avait avec lui, en Cilicie, 12,000 lgion-
naires, 2,500 cavaliers et un effectif peu prs gal dallis fournis par le
roi Dejotarus (Ad Attic., V, 18, 2). Cf. Willems, le Snat de la Rpublique
romaine, p. 646, note 4.
(3) Cf. ibid., note 2.
XII INTRODUCTION.

nulle part de renseignements ce sujet. Je ne saurais dire davantage


suivant quels principes les soldats taient rpartis dans ltendue
des rgions soumises, si les lgions, par exemple, taient disper-
ses sur plusieurs points, ou si elles taient concentres dans une ou
deux villes de la cte ou de lintrieur, la garde des endroits exposs
ou mal pacifis tant confie aux auxiliaires. Sur tous ces dtails,
qui auraient pour nous un grand intrt, on consulterait en vain les
auteurs ; on ne pourrait les demander qu des inscriptions ; or lon
nen a encore recueilli quune ou deux en Afrique qui remontent
lpoque rpublicaine, et elles nont point rapport larme.
On voit cependant assez clairement que les vtrans taient
appels jouer un certain rle dans la dfense du territoire. Il suffit,
pour sen convaincre, de remarquer que les deux seules colonies
mariennes connues jusquici, Uci Majus(1) et Thibaris(2), sont prci-
sment situes la frontire de lAfrique et de la Numidie, non loin
de ce foss trac par Scipion en 146, qui formait encore la limite de
la province lpoque de Marius ; ce nest assurment pas l leffet
du hasard ; et ces points ont d tre choisis parce quils taient alors
dexcellentes positions militaires(3). De mme, lorsque Csar quitta
lAfrique aprs Thapsus, il licencia ses vtrans, au dire de Dion
Cassius(4), cest--dire, suivant toute vraisemblance, quil leur donna
des terres dans le pays ; il nest pas douteux, sil en fut ainsi, quil les
ait tablis de prfrence dans des rgions o ils pouvaient tre utiles
ltat. Peut-tre est-ce de la sorte quil colonisa(5), du moins en partie,
____________________
(1) Colonia Mariana Augusta Alexandriana Uchitanorum Majorum
(C. I. L., VIII, p. 1487 ; A. Merlin et L. Poinssot, Les inscriptions dUchi
Majus, nos 32, 40, 42, 44, 49, 53). On sait que Marius avait tabli ses v-
trans dans le pays (Aur. Vict., De vir. ill., 73 : L. Appuleius Saturninus...
ut gratiam Marianorum militum pararet legem tulit ut veteranis centena agri
jugera in Africa dividerentur ). Cf. De bell. Afric., 35, 56.
(2) Ann. pigr., 1902, 48.
(3) Uci Majus occupait une situation trs forte, sur un plateau mi-
cte du Djebel-Gorra. Cl. Tissot, Gogr. de lAfrique, p. 537 et suiv., et A.
Merlin et L. Poinssot, op. cit., p. 16 et suiv.
(4) Dio, XLIII, 14.
(5) On peut regarder, daprs M. Kubitschek, comme colonies de C-
sar les villes qui, portant le titre de Julia, sont inscrites dans une des tribus
INTRODUCTION. XIII

les villes importantes de la cte(1), ainsi que celles de la valle de la


Medjerda et des rgions voisines, qui gardaient les communications
entre Carthage et Cirta, comme Simitthu(2). En tout cas, la colonie quil
envoya relever Carthage tait en partie compose de vtrans(3).
Il est naturel de supposer qu cette poque les villes et les
villages de la province taient pour la plupart fortifis, aussi bien
sur le bord de la mer que dans lintrieur des terres, la cte ntant
gure plus sre que le reste du pays. Dun ct, en effet, on avait
redouter la piraterie qui ne disparut jamais compltement de la
Mditerrane, mme aprs la chasse que Pompe donna aux corsai-
res ; de lautre, on tait oblig de se tenir en garde contre les atta-
ques des insoumis ou contre celles des armes ennemies lorsquon
stait prononc, de gr ou de force, pour un des partis qui se dis-
putaient, sur la terre dAfrique, la prsance Rome. Et, en fait,
les auteurs ou mme les inscriptions nous ont gard ce sujet des
renseignements prcis. Par exemple, le continuateur anonyme de
Csar cite quelques-unes des places fortes qui, vers le milieu du 1er
sicle avant Jsus-Christ, couvraient le littoral Clupea (Klibia),
Neapolis (Nabel)(4), Hadrumetum(Souse)(5), Leptis Parva (Lamta)(6)
____________________
Horatia, Cornelia et Quirina. Pour celles qui sont inscrites dans la tribu Ar-
nensis, on doit conserver des doutes (Imperium romanum tributim discriptum,
p. 138). La question est, dailleurs, trs difficile rsoudre. Sur les coloniae
Juliae dAfrique et leur attribution Csar ou a Auguste, voir E. Kornemann
dans le Philologus, LX, p. 415 et suiv., et dans la Realencyclopdie de Pauly-
Wissowa, IV, col. 533 ; et W. Barthel, Zur Gesehichte der rm. Stdte in
Africa (1904), p. 29 et suiv.
(1) Col. Jul. Curubi (tribu Arnensis) : C. I. L., 980. Cf. plus bas,
p. XVIII, note 2 : col. Jul. Neapolis (tribu Arnensis) : C. I. L., VIII, 968 ;
Clupea : Cf. Eph. epigr., II, p. 113.
(2) Col. Jul. Numidica Simitthu (tribu Quirina) : C. I. L., VIII,
14612 et 22197.
(3) Strab., XVII, 3, 15 :
. Cf. Plutarch.,
Caes., 57 :
.
(4) De bell. Afric., 2.
(5) Ibid., 3 et 5.
(6) Ibid., 7 et 29.
XIV INTRODUCTION.

et mentionne, sans les nommer, dautres postes fortifis qui


schelonnaient sur la cte entre Nabel et Monastir(1). Nous savons
dautre part, par une inscription(2), quen 709 de Rome les duumvirs
de Curubi (Kourba) firent ou plutt refirent entirement en pierres
de taille le mur de la ville, qui avait eu souffrir, sans doute, dans
la guerre entre les Csariens et les Pompiens. Entre 706 et 708, il
avait dj fallu y excuter des rparations, relever des tours, percer
des poternes, creuser les fosss(3). Un autre texte pigraphique, de
la mme poque peu prs, nous apprend quil existait sur le terri-
toire de Carthage quatre-vingt-trois castella(4) ; ces postes fortifis
formaient videmment tout autour de la capitale, et des distances
diffrentes, une ceinture dfensive.
Cest ainsi que lon protgeait alors toutes les cits importan-
tes : on avait soin de jeter dans le pays, du ct o pouvait venir le
danger, des fortins avancs assez nombreux et assez solides pour
le conjurer. Nous en avons la preuve pour Sicca Veneria. Au nord
du Kef, la route qui donnait accs dans la valle de la Medjerda
tait barre, un passage naturellement difficile, par le castellum
de Nebbeur (Henchir-Sidi-Merzoug), localit qui portait encore ce
titre sous lEmpire(5), tandis que la voie qui menait vers Carthage
passait au pied de celui dUcubi (Henchir-Kaoussat), tablissement
fortifi devenu postrieurement une ville assez florissante(6). Ce
systme fut, de mme, appliqu par Sittius dans le territoire quil
reut de la reconnaissance de Csar ; sur les diffrents chemins qui
____________________
(1) De bell. Afric., 2 et 6.
(2) C. I. L. VIII, 977 : C. Caesare linp(eratore) co(n)s(ule) II [II] ; L.
Pomponius L. I(ibertus) Malc[io] duovir murum oppidi totum ex saxo qua-
drato aedific(andum) coer(avit).
(3) Ibid., 24099 : P. Attius P. f. Vaarus Ieg. pro pr., C. Considius
C. f. Longus Ieg. pro pr. murum, turres, posteicuus, fossam faciundum
coer(averunt).
(4) C. I. L., X, 6104 M. Caelius, M. I(ibertus), Phileros, accens(us)
T. Sexti(i) imp(eratoris) in Africa, Carthag(ine) aed(ilis), praef(ectus) j(ure)
d(icundo) vectig(alibusque) quinq(uennalibus) Iocand(is) in castell(is)
LXXXIII.
(5) C. I. L., VIII, 15721, 15722 et 15726.
(6) Ibid., 15669.
INTRODUCTION. XV

conduisaient Cirta slevaient une srie de castella dont les


noms ont t retrouvs : Subzuar(1), Arsacal(2), Mastar(3), Sigus(4) et
dautres encore. Il ny avait pas, en effet, dautre procd pour as-
surer aux grandes villes la scurit dont elles avaient besoin ou, du
moins, pour leur donner le temps, au moment du pril, de se mettre
sur la dfensive. Aussi, aprs lavoir abandonn pendant les trois
premiers sicles, o toute la surveillance se porta la frontire, on
y revint aprs Constantin et surtout aprs Justinien. Il ntait pas
alors de ville africaine dont les abords lointains ou immdiats ne
fussent protgs par de petites enceintes souvent improvises. Tous
ceux qui ont visit les ruines dAlgrie et de Tunisie ont t frapps
de cette particularit.
En somme, on connat fort mal encore la faon dont la pro-
vince dAfrique tait occupe sous la Rpublique. Arrivera-t-on ja-
mais sen faire une ide plus nette ? On ne peut gure lesprer ;
car il nest pas probable quon trouve beaucoup dinscriptions de
cette poque, ni que le sol, tant de fois remani depuis vingt sicles,
permette jamais aux chercheurs de saisir des traces certaines des
camps ou des forteresses qui sy levaient alors.

La premire mesure que prit Octavien, aprs la bataille dActium,


fut de rendre la Numidie au fils de Juba 1er(5). Sil agit ainsi, ce nest
videmment pas quil entendt restreindre les possessions romaines
en Afrique, ou renoncer des droits acquis, mais seulement pour se
dcharger momentanment du soin de la dfense et de la garde des
frontires mridionales. Le contact direct du territoire romain avec
celui des Gtules navait sans doute pas t sans entraner certains
chocs ; aprs avoir fait appel leur concours pour les opposer Juba(6)
____________________
(1) C. I. L., VIII, 19216. Cf. Rec. de Constantine, XII (1868), p. 398.
(2) C. I. L., 6041. Cf. Rec. de Constantine, loc. cit., p. 80.
(3) C. I. L., VIII, 6356. Cf. Rec. de Constantine, IV (1858-1859), p. 156.
(4) C. I. L., VIII, 19121.
(5) Dio, LI, 15 :
,
.
(6) De bell. Afric., 55.
XVI INTRODUCTION.

et leur avoir appris ce quils savaient, du reste attaquer la


Numidie, il avait bien fallu rprimer leurs incursions ; il fallait sur-
tout exercer ds lors, de ce ct, une surveillance active. Octavien,
qui navait point encore le loisir de soccuper de lorganisation des
provinces, prfra attendre quelques annes avant de rgler dfini-
tivement la situation de lAfrique, et rserver jusque-l ses troupes
pour tenir tte dautres difficults. Le fils de Juba fut charg de
lintrim. lev en Italie, il apportait dans le pays des habitudes
romaines et un esprit de soumission absolue ; on pouvait lui confier
sans crainte les destines de la Numidie. Le proconsul dAfrique
tait l, dailleurs, pour le rappeler au devoir et lui prter main-
forte, au besoin(1).

Mais les choses devaient forcment se rgulariser quelques


annes plus tard, lorsquOctavien, qui venait de recevoir, avec
limperium, le titre dAuguste, crut le moment venu de dposer le
pouvoir exceptionnel reipublicae constituendae qui lui avait t ac-
cord prcdemment et procda la rorganisation administrative
du monde romain. Il avait ce moment sous son autorit toutes les
provinces(2) ; il les rendit au Snat pour les partager immdiatement
avec lui (27 ans avant Jsus-Christ).
Les provinces armes , celles qui, exposes aux attaques
des ennemis, avaient besoin dtre gardes par des troupes perma-
nentes, devinrent le lot de lempereur, investi du commandement
suprme de toutes les armes. Le Snat eut pour sa part les provin-
ces pacifies.

LAfrique ne pouvait gure tre comprise dans cette dernire


catgorie, puisquelle tait dj et allait bientt devenir davantage
encore une rgion frontire. Et pourtant elle chut en partage au Snat
et forma, comme la province dAsie, qui tait dans une situation toute
____________________
(1) Il semble, en effet, quil ait eu soutenir le roi dans sa lutte contre
les ennemis du Sud. Les Fastes triomphaux signalent, en 726, le triomphe de
L. Autronius Paetus ex Africa . On na pas gard dautre souvenir du fait
que cette sche mention.
(2) Cf. Mommsen, Res gestae Divi Augusti (d. 1883), p. 147.
INTRODUCTION. XVII

diffrente, un gouvernement proconsulaire. Les considrations qui


dictrent cette mesure exceptionnelle ont t sans doute multiples ;
mais si lon se rappelle que lAfrique, au temps mme dAuguste,
fournissait Rome les deux tiers de sa consommation de bl(1),
on comprendra aisment quil ne fallait pas laisser entre les mains
du prince, en lui livrant cette province, la possibilit daffamer la
capitale par caprice ou par ambition. Auguste lui-mme, qui tenait
essentiellement ne pas se donner les dehors dun despote, dut tre
le premier le reconnatre et le proclamer.
Cependant le pays tait loin dtre soumis : aux populations
de lintrieur encore demi indomptes et toujours prtes remuer
se joignaient les Barbares du dehors, contre lesquels il ntait pas
de dfense naturelle au Sud, et qui trouvaient dans le dsert, en cas
de dfaite, un refuge impntrable o ils pouvaient reprendre de
nouvelles forces. Il fut donc ncessaire dy tablir une arme per-
manente sous les ordres du proconsul, anomalie qui ne se retrouve
dans aucune autre partie de lEmpire. Le proconsul dAfrique est le
seul qui, disposant de forces imposantes, ne tienne pas son pouvoir
de lempereur, mais du peuple(2).

Presque aussitt (25 ans avant Jsus-Christ) et pour compl-


ter cette mesure, Auguste reprit la Numidie au roi Juba et lannexa
la Proconsulaire, autour de laquelle elle est appele dsormais
former une ceinture militaire. Cest ainsi quelle sera considre
pendant tout lEmpire, mais surtout au dbut : on soccupera de
dfendre et de garder solidement la Numidie pour couvrir lAfrique
propre et les colons qui y deviendront de jour en jour plus nom-
breux.
Quant la Maurtanie, Auguste ne prit pas sur lui immdiate-
ment le fardeau de loccuper militairement. Il la donna au roi Juba II,
en compensation de la Numidie, avec les honneurs de la royaut et les
____________________
(1) Josphe (Bell. Jud., II, 16, 4) value la quantit de bl fourni an-
nuellement par lAfrique 40 millions de modius.
(2) M. Mommsen suppose que le proconsul prtorien de Cyrnaque
a eu aussi, pendant quelque temps, la mme prrogative. Cf. Res gestae Divi
Augusti, p. 170.
XVIII INTRODUCTION.

charges quelle entranait. Cest Juba qui dut protger dornavant


le pays contre les attaques du dehors et les rvoltes de lintrieur(1).
Lourde tche laquelle il put suffire grand peine ! Sous son fils
seulement, la Maurtanie sera rduite en province romaine, ce qui
entranera pour lempereur la ncessit de dfendre lui-mme le
territoire.

Ds lors, le nord de lAfrique sera occup entirement par les


armes de lEmpire. La prise de possession de la Maurtanie est la
dernire consquence de la destruction de Carthage. Rome chercha
sy soustraire aussi longtemps quelle le put ; mais il lui fallut
bien enfin la subir aprs deux sicles.
Cest larme rpandue sur cette immense tendue de terrain
lpoque impriale, ce sont les moyens employs par les Romains
pour la protger et la tenir en paix, que je me suis propos dtudier
dans ce travail. Il y a longtemps que ce sujet a appel lattention des
archologues africains : les uns ont cherch dans les auteurs et dans
les inscriptions des renseignements sur les troupes tablies dans
le pays ou disperses sur la frontire ; les autres ont relev, sur le
terrain, la trace des camps, des forteresses, des voies militaires, de
tout ce qui tmoignait ou tmoigne encore de lactivit et de lner-
gie dployes par les troupes impriales. Mais on na pas encore
essay de runir en un seul ouvrage tous les renseignements crits
sur les pierres ou parpills sur le sol de lAfrique du Nord. Il ma
paru que le moment tait venu de tenter une pareille entreprise, le
nombre des textes et des faits sur lesquels on peut raisonner tant
dj considrable pour lAfrique seule, et lorganisation de larme
romaine tant, dautre part, assez connue pour que lon puisse r-
soudre par analogie les difficults dont les documents africains ne
donnent point la clef. Pour mener bonne fin mon essai, non seu-
lement jai consult les auteurs, trop rares malheureusement, qui
ont fait allusion lhistoire militaire de lEmpire pendant les quatre
premiers sicles de notre re, et les recueils pigraphiques, mais
____________________
(1) Tac., Ann., IV, 5 (dans lnumration des forces militaires de lEm-
pire) : Mauros Juba rex acceperat, donum populi romani.
INTRODUCTION. XIX

aussi jai dpouill un grand nombre douvrages o je croyais pou-


voir trouver des renseignements sur ltat des ruines romaines en
Algrie, surtout au moment de la conqute. De plus, jai t mme,
dans mes explorations, dtudier sur place quelques-uns des camps
ou des fortins que jaurai loccasion de dcrire ; pour les points que
je nai pu visiter ou lorsque mes relevs mont paru dfectueux,
jai trouv parmi les archologues africains, toutes les fois que je
les ai interrogs, lobligeance la plus grande et le concours le plus
empress. Je me ferai dailleurs un devoir de leur exprimer ma gra-
titude, dans ce travail, toutes les fois que jaurai citer des faits
dont je leur suis redevable.
Jai arrt mon tude linvasion des Vandales, parce que
cet vnement marque le dbut dune re toute nouvelle, et que
le mode doccupation militaire inaugur cette poque, et surtout
aprs la conqute de lAfrique par Justinien, na rien de commun
avec celui quon suivait aux premiers sicles. Il y a, dans cette p-
riode postrieure de la dfense de lAfrique, les lments dune
tude absolument distincte, pour laquelle les documents abondent,
mergeant encore de tous cts la surface du sol(1).
Je nai pas la prtention davoir puis le sujet : bien des d-
tails restent incertains, quune tude plus pntrante ou des trou-
vailles futures permettront de fixer ; jespre pourtant avoir trac un
cadre gnral assez complet, pour que les dcouvertes que lavenir
nous rserve y trouvent tout naturellement leur place.
____________________
(1) Cest ce qua fait M. Diehl dans son travail remarquable, LAfrique
byzantine.
BIBLIOGRAPHIE(1).

Archives des Missions scientifiques et littraires.


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H. AUCAPITAINE. Les Confins militaires de la Grande-Kabylie sous la
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res de la Socit des Antiquaires de France, 2e srie, t. I, p. 30 et suiv.)
VON DOMASZEWSKI. Die Rangordnung des rmischen Heeres. Bonn,
1908, in 8. (Bonner Jarbcher, CXVII.)

(1) On ne trouvera indiques dans cette bibliographie que les ouvrages les plus
importants que jai consults. Les autres seront cits dans les notes chaque fois que loc-
casion se prsentera.
XXII BIBLIOGRAPHIE.

VON DOMASZEWSKI. Die principia des rm. Lagers. (Neue Heidel-


berger Jahrbcher, IX, 1899, p. 148 et suiv.)
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denzblatt der Westdeutschen Zeitschrift, XXI, 1902, p. 21 et suiv.)
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TH. MOMMSEN. Rmische Geschichte, t. V, p. 629 et suiv. (t. XI, 250
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AZEMA DE MONTGRAVIER. Observations sur les antiquits militaires
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tudes historiques (dans les Projets de colonisation de De la Moriciere et
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tudes dhistoire et darchologie sur linvasion de lAfrique septentrio-
nale par les Romains. (Mmoires de la Socit archologique du Midi de la
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Fastes des provinces africaines. Paris, 2 vol. in-4, 1896-1901.
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P. RAGOT. Le Sahara de la province de Constantine. (Voir Recueil de la
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ques et littraires, 1re srie, t. II [1851].)
Recueil de la Socit archologique de Constantine. (Voir Annuaire.)
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Paris, 2 vol. in-4, 1884-1888. (Atlas par M. Salomon Reinach.)
Recherches sur la gographie compare de la MaurtanieTingitane. (M-
moires prsents par divers savants lAcadmie des Inscriptions et Belles-
Lettres, 1re srie, t. IX, p. 139 et suiv.)
XXIV BIBLIOGRAPHIE.

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jura. Paris,
1868, in-8.
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tiones in honorem Mommseni, Berlin, 1877, p. 190 et suiv.), traduit en fran-
ais par H. Thdenat sous le titre : tude sur le camp et la ville de Lambse.
(Voir Bulletin des Antiquits africaines, 1884.)
LIVRE PREMIER

LES GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE


3

LARME ROMAINE DAFRIQUE


ET
LOCCUPATION MILITAIRE DE LAFRIQUE
SOUS LES EMPEREURS
_____________________________________________________

LIVRE PREMIER.
LES GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE.
___________

CHAPITRE PREMIER.

DEPUIS LE COMMENCEMENT DU RGNE DAUGUSTE JUSQU LA FIN


DU RGNE DHADRIEN.

On a peu de dtails prcis sur les guerres qui marqurent


le rgne dAuguste en Afrique ; nous avons pourtant conser-
v, pour cette poque, le souvenir de soulvements parmi les
peuplades habitant au sud de la province ; ils semblent avoir
eu plus dimportance que les historiens ne leur en attribuent.
Cest Dion Cassius qui nous parle le plus longuement de ces
mouvements ; encore ny consacre-t-il que quelques lignes.
Il sexprime ainsi : Les Gtules, irrits contre le roi Juba et
se refusant subir leur tour le joug des Romains, se rvol-
trent contre lui, ravagrent le territoire voisin de leurs pays
et turent plusieurs des gnraux qui leur furent opposs ; en
un mot, leur puissance saccrut un point tel que leur soumis-
sion valut Cornelius Cossus les ornements du triomphe et
un surnom(1).
____________________
(1) Dio, LV, 28.
4 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Il rsulte de ce passage de Dion que la cause de la guerre


fut prcisment la prise de la Numidie par les Romains et le
don fait Juba de la Maurtanie, et que les peuples soulevs
furent les Gtules. Sous ce nom, on comprenait lensemble
de toutes les populations de mme race occupant les hauts
plateaux et les contres sahariennes, au sud de la Maurtanie,
de la Numidie et mme de la province dAfrique propre(1).
Lloignement o elles vivaient des habitants du Tell, les dif-
ficults que leur pays offrait des expditions, et plus encore
leur nature rude et ombrageuse, leur ont toujours permis de
rester dans une indpendance peu prs complte lgard
de lEmpire romain. Descendants directs, dit Tissot(2), des
aborignes du Sahara, les Gtules forment une catgorie dis-
tincte dans lethnographie africaine. Tandis que les Libyens
de la zone maritime sont plus ou moins pntrs par les l-
ments trangers qui stablissent successivement en Afrique,
les Gtules, par leur position gographique, chappent ces
influences extrieures et ne se croisent gure quavec les
races sahariennes. Aussi voyons-nous se produire entre les
branches issues dune mme souche, ds les premires pages
de leur histoire, une opposition qui saccentue de sicle en
sicle, mesure que le dveloppement de lune contraste da-
vantage avec limmobilit de lautre, et qui ne seffacera en
partie que lorsque, spare par linvasion arabe et surtout par
lislamisme du monde europen, auquel elle devait sa civili-
sation relative, la rgion du littoral retombera dans la barbarie
do lautre nest jamais sortie.
____________________
(1) Vivien de Saint-Martin, Le Nord de lAfrique dans lantiquit grec-
que et romaine, p. 128 ; Ragot, Le Sahara de la province de Constantine (Re-
cueil de la Socit archologique de Constantine, XVI, 1873 - 187, p. 126
et suiv.) ; Tissot, Gographie compare de la province romaine dAfrique, I,
p. 447 ; La Blanchre, De rege Juba, regis Jubae filio, Paris, 1883, ch. III.
(2) Tissot, Gogr. compare de lAfrique, I, p. 447.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 5

Dans quelle partie de la Gtulie commena le mouve-


ment ? Cest ce que les auteurs ne nous ont pas indiqu dune
faon prcise, mais ce quil nest pas impossible pourtant de
conjecturer : le passage de Dion Cassius que nous avons rap-
port plus haut prouve quil dut prendre naissance dans les
contres o les Gtules taient directement en contact avec les
Romains et le roi Juba, cest--dire au sud-ouest de la Numi-
die, dans le Hodna, et au midi de la Maurtanie. On verra plus
loin que lagitation ne tarda pas se propager vers lEst.
Que les Gtules se soient soulevs de leur plein gr et
par haine du roi Juba, vassal de Rome, ou quils aient t
excits la rvolte par des mcontents, partis de la Maurta-
nie lavnement du nouveau souverain, qui auraient essay
dexploiter dans leur intrt personnel lhumeur indomptable
de ces barbares, toujours est-il que Rome prouva de ce ct
de cruels embarras. Les autres crivains qui nous ont parl
de cette guerre nous apprennent que les Gtules entranrent
bientt avec eux les Musulames(1). Il est assez difficile de dire
au juste quel tait, surtout ce moment, le pays occup par
les Musulamii ou Misulani(2) : on na, ce sujet, que des ren-
seignements dune poque postrieure et dont plusieurs sem-
blent contradictoires au premier abord(3). Nanmoins nous
admettons ici, avec M. Toutain(4), dont les conclusions ont t
confirmes par des dcouvertes ultrieures, quils occupaient
les hauts plateaux qui stendent aux environs de Tbessa, de-
puis Guelma et Khamissa, au Nord, jusquau del de Thala,
____________________
(1) Florus, IV, 12, .40 ; Oros., VI, 21.
(2) Tissot hsite identifier ces deux noms de peuples (Geographie
compare de lAfrique, I, p. 453).
(3) Plin., Hist. nat. (d. Ian), V, 4,30 ; Ptolem., IV, 3, 24; Tac., Ann.,
II, 52 ; Tab. de Peutinger (d. Miller), II, 5 et III, I ; C. I. VIII, 270 et 10667 ;
Ann, pigr., 1898, 39 ; 1907, 19 et 20.
(4) Mm. de la Soc. Des Antiq. de France, LVII, p. 271 et suiv.
6 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

lOuest (1). Tout le pays au midi de la Maurtanie et de la Nu-


midie tait donc soulev ; et les rebelles menaaient non pas
seulement les tats du roi Juba, que Rome lui laissait le soin
de dfendre, mais mme les possessions de lEmpire. Aussi
les Romains nhsitrent pas envoyer des troupes contre
eux ; et comme leffervescence des tribus souleves augmen-
tait avec limpunit, la direction des oprations fut confie
des gnraux expriments.
Le premier dont le nom nous ait t conserv est le pro-
consul L. Sempronius Atratinus. On ne sait rien de la faon
dont il mena la guerre ; on a gard seulement le souvenir du
triomphe quil reut la suite de ses succs(2), succs plus
brillants sans doute que dcisifs, car son successeur, L. Cor-
nelius Balbus, fut oblig de se mettre en campagne ds son
entre en fonctions. Mais ce nest pas contre les Gtules eux-
mmes, quil sentait peut-tre abattus pour quelque temps, ou
quil laissait ses gnraux le soin de contenir, que semble
stre port leffort de ses armes. Il est probable que les Ga-
ramantes avaient fait cause commune avec les Gtules. On
croit que les Garamantes formaient deux groupes de popula-
tions distinctes, dont lun occupait le Fezzan et avait Garama
pour capitale, et lautre, beaucoup plus nombreux, habitait la
rgion des Syrtes(3). En gagnant le pays des Garamantes, la
rvolte devenait plus redoutable encore, puisquelle embras-
sait ds lors tout le sud des possessions africaines de Rome.
____________________
(1) Cf. sur la situation de cette peuplade : Wilmanns, Eph. epigr, II,
p. 278 ; Tissot, Gogr. compare de lAfrique, I, p. 455 ; Mommsen, Rm.
Geschichte, V, p. 634, note 2 (XI, p. 270, note 1 de notre traduction).
(2) C. I. L., I 2, p, 50 (an. 733).
(3) Vivien de Saint-Martin, Le Nord de lAfrique, p. 50 et suiv. Cet
auteur est mme plus prcis encore ; il pense que les Garamantes de la
rgion littorale devaient tre cantonns vers les montagnes qui dominent
la Syrte, peut-tre dans le Oudi Cadma, immdiatement au-dessous des
monts Gharin, trois ou quatre journes au sud de Tripoli
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 7

Aussi Cornelius Balbus rsolut-il de frapper un grand coup


de ce ct. Il marcha contre les Garamantes, soit seul, soit
en combinant ses mouvements avec ceux du proconsul de
Crte et de Cyrnaque, P. Sulpicius Quirinius(1), sempara
dun grand nombre de villes dont lnumration nous est don-
ne par Pline lAncien(2) et rpandit au loin la terreur du nom
romain. Les honneurs du triomphe furent la rcompense de
cette heureuse expdition(3).
La pointe hardie faite par Cornelius Balbus ramena-t-elle
le calme dans toute lAfrique ? On ne saurait gure ladmettre,
en prsence des textes auxquels nous avons fait allusion plus
haut et surtout du passage prcis de Dion ; cet historien, en
effet, prsente les victoires de Cossus dont nous allons parler
comme ayant mis fin la guerre commence lors de lavne-
ment de Juba ; et le tmoignage des autres auteurs, sans tre
aussi formel, permet daccepter cette assertion. Il est probable
que, pendant toute cette priode, les peuplades des Gtules et
des Musulames qui, au dire dOrose, navaient dautre tactique
que de se rpandre en bandes dsordonnes de tous les cts(4)
et contre lesquels il ny avait pas de guerre possible, hormis
de leur donner la chasse comme des animaux, revenaient
chaque anne sur le territoire romain, mettant tout au pillage
pour se retirer au bout de quelque temps devant des forces su-
prieures et se rfugier dans le dsert, o lon ne pouvait gu-
re les poursuivre. De semblables incursions qui constituaient
____________________
(1) Florus, IV, 12, 41 : Latius victoria patet. Marmaridas atque Ga-
ramantas Quirinio (Augustus) subigendos dedit. Potuit et ille redire Marma-
ricus ; sed modestior in una aestimanda victoria fuit. Cf. Mommsen, Res
gestae Divi Augusti (d. 1883), p. 170 et 171.
(2) Plin., Hist. nat., V, 5 : Omnia armis romanis superata et a Corne-
lio Balbo triumphata.
(3) C. I. L., I 2, p. 50 (an. 735).
(4) Oros., VI, 24 : Musulamios et Gaetutos latins vagantes coer-
cuit
8 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

un tat de guerre permanent ne prtaient cependant pas des


faits darmes importants ; cest ce qui expliquerait que les tex-
tes ne fassent aucune allusion lhistoire militaire de lAfri-
que pendant les vingt dernires annes du 1er sicle avant
J.-C. Peut-tre, pourtant, faut-il placer cette date la mort des
gnraux romains laquelle Dion Cassius fait allusion.
Pour le dbut de lre chrtienne, au contraire, nous pos-
sdons des tmoignages prcis : en lan 3, le proconsul L.
Passienus Rufus reut les ornements du triomphe et le titre
dImperator la suite de succs remports en Afrique(1).
Enfin, en lan 6, le proconsul Cn. Cornelius Cn. f. L. n.
Lentulus Cossus(2) parvint mettre fin la terrible agitation
qui secouait la province depuis plus de trente ans(3). Aussi lui
accorda-t-on le titre dImperator et le surnom de Gaetulicus(4).
Le roi Juba, qui avait t lauxiliaire des Romains pendant
toute cette lutte et dont les troupes avaient aid Rome tenir
tte lennemi sur une frontire trs tendue, reut lui aussi,
cette occasion, les ornements du triomphe, qui figurent,
____________________
(1) Nous en avons pour preuve non seulement un passage de Velleius
Paterculus (II, 16 ): Quem honorem (ornamenta triumphalia) ante paucos
annos Passienus et Cossus... in Africa meruerant , mais encore une inscrip-
tion dAfrique on lit : lunoni Liviae Augusti sacrum, L. Passieno Rufo
imperatore Africarn obtinente , etc. (C. I. L., VIII, 16456) ; et des monnaies
frappes sous le proconsulat du personnage, qui portent au revers la lgende :
L PAS ... RVFVS IMP . ( Mller, Numismatique de lAfrique ancienne,
suppl., p. 44).
(2) Mommsen, Rm. Geschichte, V, p. 630, note 1 (XI, p. 265, note 1,
de notre traduction), distingue ce proconsul du L. Cornelius, consul en 722.
(3) Oros., VI, 21 : In Africa Musulamios et Gaetulos latius vagantes
Cossus, dux Caesaris, artatis finibus, coercuit atque romanis limitibus abs-
tinere metu coegit. Florus, IV, 12, 40 : Sub meridiano tumultuatum ma-
gis quam bellatum. Musulanos atque Gaetulos, accolas Syrtium, Cosso duce
compescuit. Vell. Paterculus, loc. cit.
(4) Vell. Paterc., loc. cit. : Sed Cossus victoriae testimonium etiam
in cognomen filii tulit . Florus, loc. cit. : Unde illi Gaetulici nomen.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 9

ct de la Victoire, sur les monnaies de ce prince frappes


cette anne-l(1).
De tout ce qui vient dtre dit il rsulte que, pendant la
plus grande partie du rgne dAuguste, lAfrique fut conti-
nuellement expose aux incursions des Barbares ; que si les
gnraux romains y remportrent dimportants succs, leurs
victoires furent parfois balances par des revers ; et que la
paix y fut rtablie seulement au prix de grands efforts.
Les huit dernires annes dAuguste semblent, au
contraire, avoir t exemptes de tout souci du ct des pro-
vinces africaines.
Ds les premires annes de Tibre, les populations du Sud
se soulevrent de nouveau. Le chef de linsurrection, nous dit
Tacite(2), tait un Numide nomm Tacfarinas, qui avait autrefois
servi comme auxiliaire dans les troupes romaines et qui avait
ensuite dsert. Cet aventurier rassembla dabord quelques
bandes de brigands et de vagabonds quil menait au pillage ;
puis il parvint leur donner une sorte dorganisation militaire,
en former une infanterie et une cavalerie rgulires(3). Bientt,
de chef de bandits, il devint gnral dune nombreuse arme :
____________________
(1) Mller, Numismatique de lAfrique ancienne, III, n 70. Cf. 65,
67 ; L. Dieudonn, Rev. numism., 1908, p. 354, nos 30 33. Voir aussi La
Blanchre, De rege Juba, p. 27
(2) Tac., Ann., II, 52. Aurelius Victor, (Epit. XI, 4) dit seulement,
propos de cette guerre : Gaetulorum (Tiberius) latrocinia repressit.
(3) Tac., loc. cit. : per vexilla et turinas componere . Le vexillum
est ltendard de la turma, dans la cavalerie. Dans les troupes dinfanterie,
on ne trouve de vexilla que lorsque des fractions de troupes sont envoyes
en dtachement et formes temporairement en petits corps ; en ce cas, elles
ont pour enseigne un vexillum. Cf. Mommsen, Eph. epigr., IV, p. 370, et von
Domaszewski, Die Fahnen im rm. Heere, p. 24 et suiv. ; cf. p. 76 et suiv. Le
rapprochement des deux mots dans le passage de Tacite laisse supposer, sils
doivent tre pris dans leur sens strict, que Tacfarinas organisa la fois des
groupes de fantassins trop peu nombreux pour mriter le nom de cohortes, et
des pelotons de cavalerie plus importants.
10 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

les Musulames prirent les armes sous son impulsion et entra-


nrent les tribus maures qui touchaient leur pays. Celles-ci
avaient pour chef Mazippa. Nous avons dit plus haut que les
Musulames habitaient la rgion avoisinant lAurs, vers le
nord-ouest ; la Numidie et une partie au moins de la Maur-
tanie taient donc en feu. Les deux chefs, continue Tacite, se
partagent larme : Tacfarinas garde llite des soldats, tous
ceux qui taient arms la romaine, pour les rompre la dis-
cipline et les habituer au commandement ; Mazippa, avec les
troupes lgres, porte dans les possessions de lEmpire le fer
et la flamme.
Comme toutes les rvoltes qui ne sont pas touffes
ds le dbut, le mouvement provoqu par Tacfarinas al-
lait bientt prendre de grandes proportions. Dj les Cini-
thiens, nation assez considrable, faisaient cause commune
avec lui. Or les Cinithiens, suivant Plotme(1), habitaient
les bords de la petite Syrte(2) ; par consquent, aprs stre
tendu louest vers la Maurtanie, le mouvement avait
gagn tout le sud de la province dAfrique. Et ce ntaient
plus, comme sous Auguste, les habitants du Sahara ou de la
partie des hauts plateaux voisine du dsert qui se portaient
la guerre : linsurrection triomphait dans les pays mme
qui, nominalement du moins, taient soumis la domina-
tion romaine.
Il fallait, sans perdre de temps, faire face au danger qui
menaait la province. Furius Camillus, proconsul dAfrique,
forme un corps expditionnaire avec la lgion IIIe Auguste et
les auxiliaires disponibles, et marche a lennemi : il navait
quune poigne dhommes en comparaison de la multitude
de Numides et de Maures quil fallait combattre. Ce que le
____________________
(1) Ptolem., IV, 3, 22, 27. Cf. Plin., Hist. Nat., V, 4, 30.
(2) Cf. Tissot, Gogr. compare de lAfrique, I, p. 453.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 11

gnral apprhendait le plus tait que la crainte ne pousst les


rebelles luder le combat. Il nen fut rien pourtant Tacfari-
nas accepta la bataille(1) ; les Numides furent compltement
dfaits(2). Tibre se hta dannoncer ce succs au Snat, avec
force loges pour le vainqueur, qui lon dcerna les orne-
ments du triomphe(3). Ces vnements se passaient en lanne
17. Juba II avait, de son ct, pris part la guerre soit per-
sonnellement, soit par les contingents quil avait fournis
larme du proconsul(4).
Tacfarinas vaincu stait retir dans le dsert o il rparait
ses forces en attendant loccasion. On pouvait, Rome, croire
sa soumission ; en ralit, il prparait une nouvelle attaque.
Elle se produisit en lanne 20(5) ; comme la premire fois, et
suivant lternelle tactique des nomades africains, il procda
dabord par de simples incursions dans la campagne, par des
pointes dont la rapidit mme assurait le succs. Puis il sen-
hardit, saccagea des bourgades, razziant tout ce quil trouvait et
faisant parfois mme de grosses prises. On nessayait pas de le
poursuivre, ou, si lon y songeait, on nen avait pas les moyens.
Dailleurs ce ntaient l que des escarmouches sur la frontire ;
les Romains ne croyaient pas encore devoir intervenir. Pour-
tant il leur fallut bientt reconnatre dans ces incursions rapides
le prlude doprations plus srieuses. Une cohorte, soit une
cohorte dtache de la lgion dAfrique, soit une cohorte de
____________________
(1) La lgion tait au centre ; les troupes lgres et deux divisions de
cavalerie auxiliaire formaient les ailes : ctait la disposition rglementaire
de combat.
(2) Tac., Ann., II, 52 : Fusi Numidae, multosque post annos Furio no-
mini partum decus militiae ; nam post illum recuperatorem urbis, filiumque
ejus Camillum, penes alias familias imperatoria laus fuerat.
(3) Tac., loc. cit.
(4) Ses monnaies portent, cette anne-l, une Victoire au revers (Mller, Nu-
mism. de lAfrique ancienne, III, n 69). Cf. La Blanchre, De rege Juba, p. 72.
(5) Tac., Ann., III, 20.
12 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

citoyens romains(1), occupait un fortin lev prs du fleuve


Pagida, que certains ont identifi tort avec loued Tazzout
de Lambse(2). La garnison tait sous les ordres dun com-
mandant nomm Decrius, militaire plein dnergie et dex-
prience, qui regardait comme un affront dtre ainsi assig
par des Barbares. Il exhorte sa troupe offrir le combat en
rase campagne aux Numides, et la range en bataille devant le
camp. Ds le premier choc, la cohorte plie. Decrius se jette
au milieu des traits et des fuyards et, arrtant les porte-ensei-
gnes, leur reproche de tourner le dos des dserteurs et des
brigands indisciplins, eux, des soldats romains. En mme
temps, couvert de blessures, un il crev, il retourne len-
nemi et continue de se battre avec intrpidit jusqu ce que,
abandonn des siens, il tombe mort sur la place. Malgr le
courage du commandant, le fortin fut pris, et le succs dut
encore ajouter laudace de Tacfarinas et des siens.
____________________
(1) Les soldats de cette cohorte taient assurment des citoyens ro-
mains, puisque, comme on le verra la page suivante, ils taient passibles de
la bastonnade, non des verges (cf. Mommsen, Eph. epigr. VII, p. 465).0n a
trouv dans une des ncropoles de Hadra deux pitaphes, qui remontent aux
premiers temps de lEmpire, relatives des soldats dune cohorte XV, ct
dpitaphes contemporaines de lgionnaires (C. I. L., VIII, 23252, 23255).
(2) Pour ceux qui admettent la synonymie du Pagida et du ruisseau qui
coule Lambse, le fait rsulterait (Ragot, Rec. de la Soc. de Constantine,
XVI, 1873-1874 p. 165 et 164, daprs Guyon ; Tissot, Gogr. compare de
lAfrique, I, p. 54) dun passage de Ruinart (Acta primorum martyrum, d.
1713, p. 223 et seq.). On a cru y lire que les martyrs Jacques et Marien fu-
rent envoys au gouverneur de la province qui tait Lambse, quils furent
condamns ds le lendemain de leur arrive et que lexcution eut lieu dans
une valle travers laquelle coule le Pagida ; or les dtails donns par Ruinart
sur cette valle sappliqueraient parfaitement la valle de loued Tazzout, qui
passe Lambse. Mais la mention du Pagida ne se rencontre pas dans Ruinart.
M. Salomon Reinach a consacr rfuter lhypothse du docteur Guyon une
Note instructive (Tissot, Gogr. compare de lAfrique, II, p. 786). Mommsen
(Rm. Geschichte, V, p. 634, note I, et tome XI, p. 270, note 1, de notre traduc-
tion) dclare avec raison la position du Pagida tout fait incertaine.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 13

Quand le proconsul L. Apronius (18-21 aprs J.-C.) fut


instruit de cet chec, il comprit que le moment tait venu
dentrer lui-mme en campagne(1). On fit venir de Pannonie la
lgion IXe Hispana(2) pour soutenir la IIIe Augusta. Puis, afin
deffacer par un acte de rigueur la fcheuse impression que
la panique de la cohorte aurait pu laisser parmi les troupes,
il infligea celle-ci une punition exemplaire et laquelle on
navait recours que dans les cas les plus graves. A lexemple
de Csar, dAntoine, dAuguste mme, qui avaient d quel-
quefois en venir cette extrmit(3), il fit dcimer les coupables
; ceux que le sort avait dsigns prirent sous le bton. Puis,
ayant par ce trait de svrit relev le moral des soldats, il en-
voya des colonnes contre les rebelles. Ceux-ci, qui espraient
sans doute enlever successivement les camps tablis le long
des frontires avec autant de facilit quils lavaient fait pour
celui du Pagida, avaient investi la place de Thala. Il y avait en
Afrique deux villes de ce nom. Lune tait situe lendroit on
slve aujourdhui le village du mme nom, quelques kilo-
mtres de Hadra, non loin de la frontire tunisienne(4), on a
dcouvert dans ce village des inscriptions militaires, certaine-
ment antrieures lpoque des Flaviens(5), qui permettent de
supposer quil y avait sur ce point une garnison tablie dans la
premire moiti du 1er sicle ; lautre, dont lemplacement
na pas encore t dtermin(6), se trouvait quelque part au sud
____________________
(1) Tac., Ann., III, 21.
(2) Tac., Ann., III, 9 ; cf. IV, 5.
(3) Dio, XLI, 35 ; XLIX, 27, 38 ; Frontin, Stratag., IV, I, 37 ; Suet., Aug.,
(4) Cl. C. I. L., VIII, p. 69.
(5) Ibid., n 502, 503, 504, 23296.
(6) Cf. C. I. L., VIII, p. 28 et 1174. La Thala de M. Pellissier (Rev.
archol., 1847, p. 399), avec les gommiers qui lentourent, na pas t re-
trouve par les explorateurs qui lont cherche depuis (Tour du monde, 1875,
1er semestre, p. 310). M. Chevarrier place cette ville 20 kilomtres plus au
sud et lidentifie avec Henchir-Feguira-Alima, au sortir de la plaine de Segui
14 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

dans la direction de Gafsa ou de Gabs. Il est probable que


cest contre la premire que se porta leffort de Tacfarinas.
Un dtachement de vtrans, au nombre de cinq cents seule-
ment, dfit les troupes ennemies et les fora de lever le sige.
Dans ce combat, dit Tacite(1), Helvius Rufus, simple soldat,
mrita les distinctions accordes ceux qui ont sauv un ci-
toyen : Apronius lui donna des dcorations exceptionnelles
pour un soldat, un collier (torques) et une lance dhonneur
(hasta) (2) ; Tibre y ajouta une couronne civique que le pro-
consul, quoiquil en et le droit, navait pas voulu prendre sur
lui daccorder. Autant le gnral stait montr svre punir
la cohorte qui avait lch pied devant lennemi, autant, pour
soutenir la confiance des troupes, il tenait rcompenser les
traits de courage qui se produisaient.
Nous retrouverions un souvenir de ces faits, sil faut en
croire de Saulcy(3), sur un sesterce de bronze portant au droit
le nom de C. Gallius C. f Lupercus, triumvir montaire, et au

revers les mots ob civis servatos dans une couronne de chne ;


sur chaque face, on voit de plus la contremarque APRON.
____________________
(Archives des missions scientifiques, 3e srie, V, p. 245) ; M. Dupaty de Clam
lui assigne lemplacement de Henchir-Cherchara, dans le Bled-Thala (Rev.
de gogr., 1889, p. 346 et suiv. ; cf. p. 437 et suiv.).
(1) Tac., Ann., III, 21.
(2) Les simples soldats ne recevaient pas dhabitude de hasta ; il fallait
au moins tre centurion pour y avoir droit (Marquardt, Staatsverwaltung, II
[2e dit.], p.579 et note 2. Il en est de mme de la couronne.
(3) Rev. archol., 1878 (XXXVI), p. 176 et suiv.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 15

Cette pice serait une monnaie contremarque par le gn-


ral L. Apronius pour la solde de ses troupes, et le choix du
type serait en relation avec les rcompenses accordes Hel-
vius Rufus. Si la seconde de ces hypothses doit tre regar-
de comme inadmissible, la premire, au contraire, parat trs
vraisemblable. On sait en effet que, au moins au 1er sicle, on
laissa aux gnraux la permission dappliquer sur des mon-
naies dj frappes une contremarque leur nom, destine
donner temporairement ces monnaies une valeur de n-
cessit.(1). Ce qui ajoute encore la vraisemblance de cette
opinion, cest quon a trouv en Afrique mme, Carthage,
dans lun des cimetires des affranchis et esclaves impriaux
attachs au bureau du procurateur, le plus ancien, une mon-
naie de bronze identique(2).
Les Numides, de leur ct, taient abattus par leur chec ;
de plus, malgr la demi-ducation militaire quils avaient re-
ue de leur chef, ils ntaient pas faits pour assiger des pla-
ces. Tacfarinas le comprit et changea sa faon dagir ; il porta
la guerre sur plusieurs points la fois, dispersant son arme
par petits corps, qui se drobaient devant les Romains quand
ils taient presss de trop prs, pour revenir la charge ds
que ceux-ci staient retirs ; ctait renouveler lancienne
tactique de Jugurtha, la seule qui convnt des Numides en-
core mal disciplins. Tant quil suivit ce plan, il se joua des
ennemis, qui se consumaient en vaines poursuites. Mais bien-
tt il se trouva embarrass du riche butin quil avait fait, et
se vit oblig de sassujettir des campements fixes : il tait
____________________
(1) Fr. Lenormant, La monnaie dans lantiquit, II, p. 363 ; E. Babe-
lon, Trait des monnaies grecques et romaines, I, p. 649 ;
(2) Jai pris ce renseignement dans une note du R. P. Delattre (Papiers
Renier, dossier L, liasse 18). Il a bien voulu me dire que cette pice avait t
vole en 1881 avec la plus grande partie de la collection numismatique du
muse de Carthage.
16 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

alors dans les plaines voisines de la mer qui stendent au sud


de la Tunisie(1). Ds lors, larme romaine retrouvait sa sup-
riorit. Le fils du proconsul L. Apronius Caesanius, qui avait
suivi son pre en Afrique soit comme tribun lgionnaire, soit
comme officier dordonnance (contubernalis), se mit la tte
dune colonne volante compose de cavalerie, de cohortes
auxiliaires et de dtachements lgionnaires quon avait for-
ms des hommes les plus agiles ; il surprit lennemi, latta-
qua et remporta sur lui un tel succs, que Tacfarinas, pour la
deuxime fois, se vit contraint de se rfugier en toute hte dans
le dsert, o il tait certain de ne pas tre poursuivi. En rcom-
pense, L. Apronius, le pre, obtint les ornements du triomphe ;
on lui dcerna mme une statue o il tait reprsent couronn
de laurier(2). Quant au fils, qui navait pas encore lge lgal
pour exercer une magistrature, il fut honor dun sacerdoce, le
septemvirat epulonum(3). Ce dtail nous a t conserv par une
curieuse inscription relative a ce personnage : cest un monu-
ment consacr par L. Apronius Caesanius Vnus Erycine, o
il clbre en vers la victoire remporte par lui. On y lit(4) :
[L. Apronius L. f. Caesia]nus VII vir[epulo
nu]m Veneri Erucinae [d(onum)] d(at).
____________________
(1) Tac., Ann., III, 21 : postquam deflexit ad maritimos lotos .
(2) Tac., Ann., IV, 23, dit en parlant de Camille, comme dApronius et de
Blaesus : Nam priores duces ubi impetrando triumphalium insigni sufficere res
suas crediderant, hostem omittebant ; jamque tres laureatae in urbe statuae.
(3) De son ct, Juba II, dont les troupes ntaient sans doute pas res-
tes inactives pendant ces oprations, taisait figurer cette anne-l une Vic-
toire au revers de ses monnaies. (Mller, Numism. de lAfrique ancienne, III,
n 76, 78. Cf. p. 123 et La Blanchre, De rege Juba, loc. cit.)
(4) C. I. L., X, 7257. On voit par ces vers que L. Apronius Caesanius
consacra la desse, outre la premire prtexte quil avait endosse cousine
septemvir (II), limage de son pre avec les armes quil portait dans le com-
bat contre Tacfarinas (III) ; et que le pre et le fils runis lui offrirent une
statue de Tibre. Cf. le commentaire de Mommsen la suite de linscription,
et Eph. epigr., II, p. 264 et suiv.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 17

I. [A patre hic missus Libyae procon]sule bella


[Prospera dum pugnat, cecidit Maurus]ius hostis.

II Felicem gladium [tibi qui patrisque dicavit]


Aproni effigiem, [natus belli duce], duxque(1)
Hic idem fuit ; hic j[usto] certamine vi]ctor
Praetextae positae [causa, pariterque re]sumptae,
Septemvir puer han[c genitor quam rite r]o[g]a[r]at,
Caesar quam dedera[t, vestem tibi, sancta, rel]i[q]ui[t].

III. Divor[um]
Mut[ua]
Filius Aproni, majo[r quam nomine factis],
Guetalas gentes q[uod dedit ipse fugae]
Effigiem cari genitor[is, diva, locavit],
Aeneadum alma paren[s, praemia justa, tibi]

Armaque quae gessit : scuto [per volnera fracto]


Quanta patet virtus ! ens[is ab hoste rubet]
Caedibus attritus, consummatque [husta tropaeum]
Qua cecidit [f]os[s]u[s] barbar[us ora ferus].

IV. Quo nihil est utrique magis vener[abile signum],


Hoc tibi sacrarunt filius atqu[e pater].
Caesaris effigiem posuit p[ar cura duorum] :
Certavit pietas, su[mma in utroque fuit].
[Curante] L. Apronio [L. l(iberto)].

Cependant la guerre tait loin dtre termine. L. Apro-


nius ne prit peut-tre pas les prcautions ncessaires pour em-
pcher le retour des agressions. Toujours est-il que, en lanne
21, Tacfarinas faisait une nouvelle apparition la tte de troupes
fraches dans les pays soumis la domination romaine. Il en
____________________
(1) Bcheler (Carmina epigraphica, II, 1525) restitue, pour ces trois
derniers vers :
[Dum miscet Numidis prosternitur imp]ius hostis.
Felicem gladium [tibi qui sacramque dicavit]
Aproni effigiem, [miles bonus, o dea] duxque, etc.
18 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

tait mme venu, dit Tacite, un tel excs dinsolence, quil


osa envoyer des dputs Tibre pour lui signifier quil et
lui cder de bonne grce des terres lui et son arme,
sans quoi il le menaait dune guerre interminable. Cette
demande jette un grand jour sur les causes qui poussaient les
Musulames et, sans doute, plus dune autre tribu voisine de
la province romaine entreprendre la lutte contre lEmpire ;
ils ne faisaient pas la guerre pour reconqurir ou dfendre
leur indpendance ; ce ntaient point non plus des hordes
insoumises qui se refusaient tout compromis avec Rome ;
ils entendaient seulement ne pas tre exclus jamais par les
nouveaux matres du pays des plaines fertiles o ils avaient
coutume de revenir chaque anne, une certaine saison, cher-
cher leur nourriture et celle de leurs troupeaux ; ils taient
mme tout prts stablir dans la province, sy installer
en permanence labri des armes romaines : cest dailleurs
ce qui arriva dans la suite. Mais Tibre ne pouvait accepter
la proposition quelque peu arrogante de son ennemi, et, sil
voulait rester fidle la maxime romaine, il ne devait point
traiter avec lui avant den tre victorieux. Aussi sindigna-t-
il de laudace de Tacfarinas : Il rougissait pour lui-mme
et pour le peuple romain, nous dit Tacite, de ce quun d-
serteur, un brigand, ost le traiter dgal gal. Q. Junius
Blaesus, qui venait dtre nomm proconsul, reut lordre
dagir avec vigueur : il pouvait essayer de gagner la masse
des rebelles, en offrant leur grce tous ceux qui mettraient
bas les armes, mais il fallait quil sempart de leur chef,
quelque prix que ce ft(1). Le rsultat de cette politique ne
se fit pas attendre : la promesse de lamnistie enleva Tac-
farinas un grand nombre de ses soldats(2). Quand Blaesus
____________________
(1) Tac., Ann, III, 35 et 73.
(2) Ibid, 74.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 19

vit son ennemi ainsi affaibli, il employa pour le combattre la


tactique mme quil avait apprise de lui. Tacfarinas, en effet,
sentant ses troupes incapables de rsister larme romaine,
mais excellentes pour le pillage, avait eu soin de les disperser
en petites bandes qui faisaient dans le pays de subites incur-
sions, puis se retiraient en vitant le combat, de sorte que,
pendant que les Romains se portaient contre lune dentre el-
les, une autre faisait son apparition sur un point oppos de
la frontire. De son ct, le proconsul forma trois corps qui
prirent trois routes diffrentes. A gauche, Cornelius Scipion,
lgat de la lgion IXe Hispana, avec cette lgion(1), dfendait
le territoire de Leptis et se tenait prt couper aux ennemis la
retraite chez leurs voisins les Garamantes ; le fils de Blaesus,
droite, couvrait le pays des Cirtsiens ; au centre, le gnral,
avec des troupes dlite, ayant pour base doprations The-
veste (Tbessa), quartier gnral de la lgion IIIe Auguste(2),
disposait dans tous les lieux avantageux des fortins et des
postes. Il formait ainsi, comme on le voit, une longue et puis-
sante ligne de dfense.

De la sorte, lennemi tait tenu en chec de toutes parts et


si bien enserr, que, de quelque ct quil se tournt, il trouvait
toujours un dtachement de Romains en face ou sur les flancs.
On arriva par cette mthode lui tuer beaucoup de monde.
Alors Blaesus, poussant plus loin son systme, partagea cha-
que corps en plusieurs troupes et mit la tte de chacune del-
les des centurions dune valeur prouve ; il garnit toute la
____________________
(1) Tac., Ann., III, 74 Tres incessus, totidem agmina parantur ; ex
quis Cornelius Scipio legatus praefuit, qua praedatio in Leptinos et suffugia
Garamantum. Cf. C. I. L., V, .4329 : P. Cornelio Len[tulo] Scipioni
legato Ti. Caesaris Aug. leg. VIIII Hispan.
(2) Cf. Mommsen, C. I. L., VIII, p. 860, et ce qui sera dit plus bas du
camp de Theveste.
20 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

frontire de postes avancs. Quant la Maurtanie, on voit,


par le silence mme de Tacite, que le soin de la couvrir tait
laiss Juba. La campagne dt termine sans grands enga-
gements et lennemi repouss de tous les cts, Blaesus neut
garde, comme lavaient fait ses prdcesseurs, de retirer son
arme et de la faire hiverner dans lancienne province (Africa
vetus) ; au contraire, il construisit des camps retranchs tout
le long de la Frontire, les fit occuper par des soldats arms
la lgre et habitus au dsert, et put ainsi, malgr la saison,
poursuivre Tacfarinas de campement en campement. On par-
vint mme capturer son frre ; aprs quoi, le gnral sem-
barqua et vint Rome recevoir le titre dImperator(1) avec les
ornements du triomphe, qui ne lui furent accords, parat-il,
quen considration de Sjan, son neveu(2). Ce dpart avait
lieu trop tt pour la scurit de la province.
Wilmanns a suppos(3) que le succs de Blaesus ne fut
pas aussi complet que Tacite se plat le dire et, que, pour
dtacher de la cause de Tacfarinas une partie de ses soldats, le
proconsul avait t oblig de leur faire des concessions de ter-
res dans la province. Cest ainsi que ceux des Musulames dont
le territoire stendait aux environs du saltus Beguensis, entre
Hadra et Sbitla(4), auraient t danciens partisans de Tacfa-
rinas. On aurait donc t contraint de leur accorder ce quils
demandaient par la bouche de leur chef au dbut de la cam-
pagne, et ce qui leur avait t dabord refus. Cest pour cela
que Tibre naurait pas jug Blaesus digne du triomphe ; mais
____________________
(1) Tac., Ann., III, 74.
(2) Ibid., 72 : Neque multo post Caesar cum Junium BIaesum, pro-
consulem Africae, triumphi insignibus attolleret, dare id se dixit honori Se-
jani, cujus ille avunculus erat. Cf. Velleius, II, 125 : (Blaesus) ornamenta
triumphalia cum appellatione imperatoria meruit.
(3) Eph. epigr., II, p. 276 et suiv.
(4) C. I. L., VIII, 270
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 21

Tacite naurait pas compris la cause vritable de la mauvaise


humeur du prince.
Je ne saurais, pour ma part, admettre lhypothse de
Wilmanns. Si, comme il a t dit plus haut, le pays o se
trouvait le saltus Beguensis faisait partie du territoire de par-
cours des Musulames, ce nest pas Blaesus qui les y fixa ;
ils y taient tablis depuis longtemps. Mais, en supposant
mme que Wilmanns ait raison sur ce point, est-il certain que
le proconsul ait agi en cela contrairement aux intentions de
lempereur ? Navait-il pas lautorisation daccorder lam-
nistie ceux qui poseraient les armes, et cette amnistie nen-
tranait-elle pas presque forcment avec elle le droit de sta-
blir dans la province
Ntait-ce mme pas une grande habilet disoler ainsi
au milieu dune contre pacifie une fraction importante dun
peuple remuant, dont on pouvait tirer dexcellents contin-
gents auxiliaires(1) ? Si Tibre, en accordant Blaesus les
honneurs du triomphe, dclara quil le faisait seulement par
gard pour Sjan, cest que Blaesus navait accompli que la
moiti des instructions quil avait reues. Il lui avait ordonn
de semparer de Tacfarinas, quelque prix que ce ft, et Tac-
farinas tait encore la tte des rebelles. On allait bientt
sen apercevoir.
Un vnement inattendu et une imprudence du gouver-
nement romain vinrent rallumer la guerre.
Le roi Juba II, le fidle alli de Rome, qui dans toutes les
luttes prcdentes avait contenu les Maures et dlivr lEmpire
du soin de surveiller la partie occidentale de lAfrique romai-
ne, venait de mourir, et le trne tait chu son fils Ptolme(2).
____________________
(1) C. I. L., VIII, 4879 : C. Cornelius C. f. Papir. Flaccus, praef. Co-
hor. I. Musulam
(2) Tac., Ann., IV, 23.
22 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Celui-ci navait aucune des qualits de Juba ; ds le dbut


de son rgne, les affranchis staient empars du pouvoir, ne
laissant leur souverain que lapparence de la royaut. Aus-
sitt les Maures mcontents se soulevrent et sunirent Tac-
farinas.
En mme temps, par une fcheuse concidence, Tibre
donnait lordre la lgion IXe. Hispana de quitter lAfrique
et de regagner ses anciens quartiers de Pannonie. P. Cornelius
Dolabella, le nouveau proconsul (23-24), comprenait bien
combien cette mesure tait dplorable, mais il nosait pas re-
tenir la lgion, craignant plus de dsobir au prince, nous dit
Tacite, que daffronter les hasards des combats.
Tacfarinas se hta de tirer parti de cette faute(1) : il r-
pandit de tous cts le bruit que lEmpire tait dchir par
dautres guerres et que, pour y faire face et sauver ltat, il
avait fallu dgarnir lAfrique. On le crut, et le nombre de ses
partisans sen augmenta.
La situation tait critique. Tous les Numides qui ntaient
pas tenus en respect par des garnisons romaines staient levs
la voix de Tacfarinas ; les indigents, les sditieux de la pro-
vince staient joints eux. Le roi des Garamantes mme, sans
se mler directement la lutte avec son arme, avait envoy
des troupes lgres qui faisaient nombre. Enfin les Maures
rvolts formaient une multitude puissante, prte toutes les
audaces. Le sud de lAfrique romaine tait donc soulev de-
puis les colonnes dHercule jusqu la grande Syrte. Fier dun
tel accroissement de forces et esprant, sans doute, intimider
les Romains par son audace, Tacfarinas vint mettre le sige de-
vant une ville que Tacite nomme Tubuscum. Cet ethnique tant
inconnu, le mot semble bien altr. Comment faut-il le corri-
ger ? Dans la premire dition de ce livre, javais propos dy
____________________
(1) Tac., Ann., IV, 24.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 23

reconnatre la ville de Tupusuctu, cit dont les ruines existent


encore dans la valle du Nasavath (Oued-Sahel), une quin-
zaine de kilomtres au sud-ouest de Bougie. M. Toutain(1) a
combattu cette opinion, et propos la correction Thubursicum,
ce qui palographiquement est prfrable. Il sagit, suivant
lui, de Thubursicum Numidarum, aujourdhui Khamissa, aux
sources de la Medjerda. La question ne saurait tre rsolue
dune faon certaine. Quoi quil en soit, heureusement pour
les armes romaines, la place put rsister aux premires at-
taques de Tac-farinas, ce qui donna Dolabella le temps de
marcher son secours avec les troupes dont il pouvait dis-
poser. Quand les Numides apprirent quil savanait contre
eux, sachant bien quils ne pourraient soutenir le choc de lin-
fanterie romaine, ils se htrent de lever le sige et allrent
camper prs dun chteau demi ruin et brl jadis par
eux-mmes, nomm Auzia, au milieu dpaisses forts o
ils se croyaient en sret (2). On lidentifie dhabitude avec
Aumale, ce qui nest pas hors de doute.
Dolabella ne se presse pas de les poursuivre. Il com-
mence par fortifier les postes quil juge avantageux de ce
ct, puis, afin de ne pas tre pris revers, il sassure la fi-
dlit des Musulames, en faisant trancher la tte des chefs
les plus influents, qui commenaient remuer. Enfin, suivant
en cela lexemple de son prdcesseur, il renonce former
de ses troupes un seul corps darme et rpartit ses soldats
en quatre colonnes, dont les auxiliaires fournis par Ptol-
me, sous la conduite de chefs indignes, devaient appuyer
les mouvements ; lui-mme dirige lensemble des oprations.
Alors, pour frapper un coup dcisif, il gagne Auzia marches
forces, surprend lennemi et le taille en pices. Tacfarinas
____________________
(1) Mm. De la Soc. des Antiquaires, LVII, p. 280.
(2) Tac., Ann., IV, 25.
24 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

tombe bless mortellement pendant la bataille. La guerre tait


termine (an 24)(1).
Ainsi prit fin, par la mort de son chef, la lutte la plus
srieuse que les Romains aient eu soutenir en Afrique de-
puis Jugurtha. Elle avait dur sept annes conscutives (17-
24). De tous les proconsuls qui avaient combattu Tacfarinas,
Dolabella tait peut-tre le seul qui ft vraiment digne des
ornements du triomphe : ce fut le seul auquel cet honneur fut
refus(2). On a vu dans cette injustice, avec raison, ce semble,
une premire atteinte porte par la jalousie de lempereur aux
prrogatives du proconsul.
La dfaite de Tacfarinas eut, pour lextension de la puis-
sance romaine en Afrique, une consquence importante dont
Tacite ne parle point, et que nous ne connaissons que depuis
peu.
Jusqu cette poque, les territoires situs au sud de la
voie romaine de Theveste Tacapas par Capsa taient rests
indpendants ; loccupation ne stendait pas sur les rgions
dsertiques, voisines des chotts, o Tacfarinas vaincu trouvait
chaque anne se rfugier et rparer ses forces. La tactique
constante quil suivit et les ressources quil rencontra dans
ces contres daccs difficile ouvrirent les yeux des autori-
ts romaines : elles virent le danger quil y avait ne point
avoir en mains de pareils territoires et prirent des mesures en
consquence.
M. le Commandant Donau a dcouvert rcemment, dans le
pays qui stend immdiatement au nord du Chott-el-Fedjed et
____________________
(1) Sur cette guerre voir aussi Cantarelli, Tacfarinata (Atene e Roma,
1901), p. 3 et suiv.
(2) Tac., Ann., IV, 26 : Dolabellae petenti abnuit triumphalia Tibe-
rius, Sejano tribuens, ne Blaesi avunculi ejus laus obsolesceret. La victoire
fut en effet si complte, que les Garamantes envoyrent des dputs Rome
pour implorer leur pardon (Tac., ibid.).
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 25

que lon nomme le Chareb, comme aussi entre le Chott-Teba-


ga et le Djebel-Tebaga, toute une srie de bornes limitatives
portant des chiffres et des indications prcises(1) ; elles nous
enseignent quen lan 29/30, sous le troisime proconsulat de
Vibius Marsus et par les soins de la lgion IIIe Auguste, lem-
pereur fit dresser le cadastre du terrain, conformment un
plan bien arrt, le decumanus qui servit de base cette op-
ration passant quelque distance au sud de Gabs(2). Il faut
en conclure qu la fin de la guerre de Tacfarinas ces contres
furent annexes aux possessions romaines et, comme telles,
rduites ltat dagri vectigales ; do la ncessit den fai-
re le recensement afin dtablir nettement le tribut quelles
devaient payer annuellement. Les bornes dcouvertes par le
commandant Donau sont le signe matriel de la mainmise sur
le pays ; elles nous montrent quel fut de ce ct lpilogue de
la guerre si longue et si difficile, soutenue par les troupes de
lEmpire contre les bandes de Tacfarinas.
Du ct de lOuest, au contraire, rien ne fut modifi. Les
oprations termines, le jeune roi Ptolme reut une ambas-
sade du Snat, qui, suivant un antique usage, lui apporta les
prsents de Rome, le bton divoire et la toge brode, en le
saluant des titres de roi, ami et alli du peuple romain (fin de
lt ou automne de lan 24)(3). On avait encore besoin de lui
pour dfendre la frontire occidentale des possessions romai-
nes contre la turbulence des Maures.
La fin du principat de Tibre et celui de Caligula ne furent
____________________
(1) C. I. L. VIII, 22786.
(2) Sur tout ceci cf. Toutain, Le cadastre de lAfrique romaine (Mm.
prsents par divers savants lAcad. des Inscr.), XII, P. 341 et suiv. ; Bar-
thel, Wochenschrift fr klass. Philologie, 1909, p. 1257 et suiv, et Rmische
Limitation in der Provinz Africa, 1911, p. 60 et suiv..
(3) Cf. pour cette date ce que jai crit, propos dune monnaie de
Ptolme nouvellement dcouverte Aflou, dans le Bulletin archologique
du Comit des travaux historiques, 1889, p. 390.
26 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

marqus par aucun nouveau soulvement. Du moins, ni les


historiens, ni les textes pigraphiques ne nous en ont gard le
souvenir. Mais, sous Caligula, il se passa deux vnements de
la plus haute importance pour lhistoire militaire de lAfrique
romaine.
En 37 aprs J.-C., lempereur enleva au proconsul le
commandement de larme dAfrique et le confia un lgat
indpendant de ce proconsul pour les choses militaires, sur
lequel il comptait exercer une influence plus directe et quil
nommait lui-mme. Cest l un fait tellement connu, quil
est inutile dy insister : il est rapport par Tacite et Dion Cas-
sius(1). Les deux historiens, cherchant le motif qui a pu inspi-
rer cette mesure, avancent que la crainte seule fit agir Caligu-
la : il redoutait, disent-ils, que quelque proconsul dAfrique,
sappuyant sur larme quil commandait, ne se prt rver
un empire indpendant et ne tentt quelque coup daudace.
Il et, du mme coup, arrt les envois de bl de lAfrique et
affam Rome.
Il faut le reconnatre, cette crainte navait rien que de
trs fond, et Caligula nest pas si fou que le dit Tacite davoir
pris des prcautions contre un vnement qui et t gros de
consquences. Il ne faisait, au reste, que reprendre en cela la
politique dAuguste et corriger une anomalie qui navait plus
de raison dtre. Nous avons dj dit que, dans toute ltendue
de lEmpire, Auguste avait eu soin de garder pour lui toutes
____________________
(1) Tac., Hist., IV, 48 : C. Caesar turbidus animi et M. Silanum
obtinentem Africain metuens, ablatam proconsuli legionem misso in eam
rem legato tradidit ; aequatus inter duos beneficiorum numerus, et mixtis
utriusque mandatis discordia quaesita auctaque pravo certamine. Dio,
DIX, 20 : (L. Piso) ,

,
.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 27

les provinces exposes lennemi, afin davoir le comman-


dement direct des armes dont il tait le gnral en chef ;
lAfrique seule faisait exception : bien quappartenant au S-
nat, elle possdait une arme doccupation. Cette situation
tait ncessaire au dbut de lre chrtienne, o la paix tait
encore mal assure dans la province romaine ; mais elle de-
vait disparatre le jour o le territoire soumis serait nettement
spar du pays ennemi ; or, ce jour tait arriv. Tacite, qui en
gnral est plus favorable au Snat qu lempereur, blme la
mesure prise par Caligula et prtend quen agissant ainsi, on
cherchait crer entre le proconsul et le lgat une dsunion,
quune rivalit malheureuse ne fit quaugmenter dans la suite.
Le reproche est mal fond. Il tait utile pour la scurit g-
nrale que les deux pouvoirs fussent spars et que celui qui
devait tenir en respect les bandes du dsert net pas la clef
des greniers de Rome. La rivalit qui clata entre les deux
gouverneurs fut la consquence ncessaire de cette mesure ;
elle fut fcheuse ; mais combien la runion des deux gouver-
nements en une seule main et pu tre funeste lEmpire et
au monde romain tout entier !
On sait dailleurs que, nominalement et par respect pour
le Snat, la Numidie ne forma pas une province part jusquau
temps de Septime Svre : ce ntait quun des diocses de la
province dAfrique(1). Le proconsul eut droit au mme nombre
de beneficiarii que le lgat, ce qui indique quil conservait, du
____________________
(1) On a donn de nombreuses preuves de ce fait. Nous en ajoute-
rons une nouvelle que nous navons rencontre nulle part. Sur les monnaies
commmoratives de voyage dHadrien dans les provinces dAfrique (Cohen,
Monnaies impriales, II, p. 116, nos 136 et suiv. ; p. 185, nos 952 et suiv.), on
lit MAVRETANIA ou AFRICA ; mais le mot NVMIDIA ny parat pas. Or
nous savons par des documents officiels que lempereur visita la Numidie,
puisque nous possdons en partie lallocution quil adressa aux troupes de
larme doccupation.
28 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

moins en principe, une autorit sur les troupes(1) : on ne ren-


contre de beneficiarii qu ct des personnages revtus de
commandements militaires(2).
En pratique, le proconsul ne garda auprs de lui et sous
ses ordres directs que les soldats qui lui taient ncessaires
pour relever son autorit et assurer dans sa province lex-
cution de ses volonts(3) ; larme eut pour chef le lgat de la
lgion qui, en dfendant la Numidie des incursions ennemies,
assurait la scurit de la province proconsulaire et, ce qui en
tait la consquence, lalimentation de Rome.
Caligula ne se contenta pas davoir pris sa charge la
garde de la Numidie ; il enleva la Maurtanie la dynastie
indigne quAuguste y avait tablie et la rduisit en province.
Pour accomplir son dessein, il manda auprs de lui le roi Pto-
lme (an 40), le fit jeter en prison et tuer(4). Dion Cassius
donne entendre que cet assassinat eut pour motif le dsir
que les richesses du prince inspiraient Caligula(5). Il est per-
mis de croire que lempereur avait aussi un autre mobile. Le
moment semblait arriv de semparer du pays, devenu mr
pour la domination romaine. Loccupation en fut dcide et,
sans plus tarder, mise excution. Le moyen employ tait
brutal, mais il tait sr : le pays, priv de son roi, sans prten-
dant lgitime, revenait Rome. Dsormais aussi, Rome devra
fournir la province de garnisons et en dfendre les frontires ;
ce sera une lourde tche qui ne lui laissera pas de rpit jusqu
la fin de lEmpire.
____________________
(1) Nous verrons mme plus loin (p.32) le proconsul Galba, extra
sortem electus ad ordinamIam provinciam , se mettant la tte dune exp-
dition contre les insoumis du Sud, en 45.
(2) Cf. De Ruggiero, Dizion epigr., I, p. 992 ; Pauly-Wissowa, Realen-
cyelopdie, III, col. 271.
(3) Cf. Eph. epigr., IV, p. 536.
(4) Dio, LIX, 25 ; Senec., De tranq. anim., II ; Suet., Calig., 26.
(5) Dio, loc. cit. : .
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 29

Loccupation se fit, comme Dureau de la Malle la sup-


pos dans un livre plein de faits, paru presque au dbut de la
conqute dAlgrie(1), par des troupes envoyes dEspagne.
Cette province tait alors occupe par trois lgions : la IVe
Macedonica, la Xe Gemina et la VIe Victrix(2). Pour la der-
nire, nous navons gard aucun texte qui nous permette de
supposer quelle ait particip la prise de possession du pays ;
mais il nen est pas de mme pour la Xe Gemina et pour la IVe
Macedonica : suivant toute vraisemblance, elles furent appe-
les cette poque en Maurtanie, sans doute avec un certain
nombre de leurs auxiliaires. On possde lpitaphe dun sol-
dat de la Xe Gemina, M. Junius Capito, de Lindos, qui prit
sans doute An-Temouchent au cours de cette expdition(3),
et une inscription grave en lhonneur dun des tribuns qui
commandaient alors la IVe Macedonica, Julius Camillus (4).
____________________
(1) Recherchez sur lhistoire de la partie de lAfrique septentrionale connue sous
le nom de Rgence dAlger lpoque de la domination romaine, Paris, 1835, I, p. 10.
(2) Cf. Pfitzner, Geschichte der rm. Kaiserlegionen, p. 103. Comme nous
nadmettons pas avec lui que la IXe Hispana ft ce moment en Espagne, la garnison
se rduit trois lgions. Voir aussi Marquardt, Staatsverwaltung, II, p. 446.
(3) C. I. L., VIII, 21669. Si la patrie de ce soldat est non Lindos, mais,
comme on le suppose au Corpus, Lindus en Bretagne, le texte serait naturel-
lement dune poque plus basse.
(4) C. I. L., XIII, 5093. [C.] Jul. C. f. Fab. Camillo [s]ac. Aug.
mag., trib. mil. [l]eg. IIII Maced., hasta pura [e]t corona aurea donato [a] Ti.
Claudio Caesare Aug. [i]ter. cum ab eo evocatus [i]n Britannia millitasset,
[c]ol. Pia Flavia Constans Emerita Helvetior., ex. d. d. Cf. 5094. Ainsi ce
personnage, aprs avoir t dabord tribun de la lgion IVe Macedonica, re-
prit du service lors de la guerre de Bretagne et y obtint pour la seconde fois
des dcorations militaires. Il en avait donc dj reu antrieurement, comme
tribun de la lgion IVe Macedonica ; ce ne peut tre que dans la guerre de
Maurtanie, la seule que Claude ait faite prcdemment. Dailleurs ce prince
eut, propos de cette guerre, les ornements du triomphe (Suet., Claud., 17 ;
Dio, LX, 8), et lon sait quen pareille occasion on distribuait gnralement
des dcorations ceux qui staient le plus distingus. De plus, la lgion
IVe Macedonica nayant pas pris part lexpdition de Bretagne, il ntait
plus tribun de la lgion ce moment. Cf. Pritzner, Geschichte der rm.
30 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Le prfet de Btique, Umbonius Silo, tait charg de fournir


de bl larme expditionnaire(1).
Cependant le meurtre de Ptolme avait soulev un mou-
vement insurrectionnel dans le pays. Sous prtexte de venger
la mort du roi, un de ses affranchis, nomm Oedemon, se
mit la tte dune arme dindignes, et la rvolte gagna de
proche en proche tous les Maures, mme ceux de lAtlas(2).
Claude venait de monter sur le trne. Il envoya contre eux
un consulaire, M. Licinius Crassus Frugi, qui figure dans une
inscription sous le titre de legatus Ti. Claudi Caesaris Aug.
Germanici Mauretania(3). On na pas gard de son expdition
en Maurtanie dautre souvenir que ce texte pigraphique ;
mais on doit admettre quil y remporta quelques succs, sil
est vrai, comme le suppose Henzen, quil obtint la suite de
cette campagne les ornements du triomphe(4).
Toutefois, en 42, les Maures ntaient pas encore enti-
rement pacifis : C. Suetonius Paulinus, qui tait de rang pr-
torien, fut charg de conduire les oprations. Non seulement il
____________________
Kaiserlegionen, p. 26 ; Stille, Historia legionum, p. 46, note 9.
(1) Dio, LX, a. il nenvoya pas a larme dEspagne pendant ses oprations
en Maurtanie les rations de vivres suffisantes et fut ensuite puni par Claude pour
cette ngligence, qui pouvait compromettre le succs de la campagne.
(2) Plin., Hist. nat., V, I, 11 : Romana arma primum Claudio prin-
cipe in Mauretania bellavere, Ptolemaeum regem a C. Caesare interemptum
ulciscente liberto Aedemone. Aurelius Victor (Epit., XI, 5) dit seulement :
Mauri provinciis accessere . Cf, De Caes., IV, 2 (plus bas, p. 32, note 3).
(3) C. I. L., VI, 31721.
M LICINIVS COS LEG
M F MEN TI CLAVDI CAESARIS
CRASSVS FRVGI AVG GErMANICI
PONTIF PR VRB IN MauretaniA
Le mot M[auretani]a est le seul qui puisse remplir convenablement la
lacune de la dernire ligne.
(4) Cf. Bullett., 1885, et Pallu de Lessert, Fastes des provinces africai-
nes, p. 471.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 31

rtablit le calme dans la partie septentrionale du pays, mais il


poursuivit les rebelles, qui se retiraient devant lui, jusquau
pied du mont Atlas(1). Il est jamais regrettable pour la go-
graphie et lhistoire militaire de lAfrique que nous nayons
pas conserv le rcit quil avait crit lui-mme de ses cam-
pagnes, au dire de Pline. Nous savons seulement quil par-
vint lAtlas en dix jours de marche et que, sans doute pour
punir quelque peuple du dsert qui avait soutenu les Maures,
il poussa plus avant encore jusquau fleuve Ger, le Guir ma-
rocain(2) ; ce fleuve prend sa source dans le versant sud du
nud principal de lAtlas, dont le versant oppos donne nais-
sance la Mloua(3) . Son successeur(4), galement un ancien
prteur, Cn. Hosidius Geta, acheva luvre de pacification
quil avait commence, en battant par deux fois le roi des
Maures, Sabalus, et en le poursuivant jusque dans le dsert.
Dion(5) raconte que le gnral avait fait prendre ses hom-
mes toute leau quils pouvaient porter avec eux, le chameau
____________________
(1) Dio, LX, 9 ; Plin., Hist. nat., V, I, 14 et 15 : Suetonius Paul-
linus primus Romanorum ducum, transgressus quoque Atlantem aliquot
milium spatio, prodidit de excelsitate guidera pis quae caeteri.. . decumis se
eo pervenisse castris, et ultra ad fluvium qui Ger vocetur per... loca inhabita-
bilia fervore, quamquam hiberno tempore expertum. Cf. Solin., Polyhist.,
24 Suetonius quoque Paulinus summam huic cognitioni imposuit manum,
qui ultra Atlantem firmus et paene solus Romana signa circumtulit.
(2) Vivien de Saint-Martin, Le Nord de lAfrique, p. 107. Cf. Tissot,
Gogr. compare de lAfrique, I, p. 88 et 89.
(3) Dureau de la Malle, Recherches sur lhistoire de la partie de lAfri-
que septentrionale, etc., p. 13, avance que cest Suetonius Paulinus ou ses
successeurs immdiats qui avaient construit dans les hautes valles de la
Mloua, aux environs dAksabi-Surfa, cette ligne de forteresses dont les
ruines, avec des inscriptions en caractres inconnus, excitaient encore, au
temps de Lon lAfricain, lattention des Mogrbins, qui y reconnaissaient
louvrage des Roumi . Il est peine besoin de dire que cette assertion est
absolument sans fondement.
(4) Cf. Pallu de Lessert, Fastes, I, p. 476.
(5) Dio, LX, 9.
32 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

ntant pas encore employ comme bte de somme cette po-


que(1), mais que nanmoins, au bout de peu de temps, leur r-
serve se trouva puise, si bien quils commencrent souffrir
horriblement de la soif. Savancer et revenir en arrire taient
galement impossibles. Une pluie abondante tombe du ciel,
la suite dincantations magiques, ajoute Dion, leur permit de
se dsaltrer et de renouveler leur provision ; lennemi, pouss
dans ses derniers retranchements, fit sa soumission.
Cest ce moment, la fin de 42 ou plutt en 43, que la
Maurtanie fut en ralit divise en deux parties, Maurtanie C-
sarienne et Maurtanie Tingitane(2). Chacune de ces provinces
eut son procurateur, agent direct de lempereur, et son arme.
Lorganisation militaire de lAfrique est ds lors accom-
plie : les choses resteront jusqu Diocltien dans ltat o
elles se trouvaient en 43 de J.-C.
Pendant que les oprations dont nous venons de parler
taient conduites en Maurtanie par les lgats de lempereur,
la Numidie, de son ct, commenait sagiter et les tribus
du dsert menaaient de renouveler leurs incursions(3). El-
les furent vaincues, suivant Dion(4). Et pourtant nous savons
quen 45 la situation tait encore la mme, puisque Galba,
alors proconsul dAfrique(5), qui, par exception, prit le com-
mandement de larme, fut oblig dintervenir et de dployer
une grande nergie contre les rebelles(6).
____________________
(1) Tissot, Gogr. compare de lAfrique, I, p. 351 ; Mommsen, Rm.
Geschichte, V, p. 654 (XI, p. 300, de notre traduction).
(2) On sait que lre maurtanienne se compte de lanne 40, la pre-
mire o le pays neut plus de rois indignes.
(3) Aur. Victor, De Caes., IV, 2 : A meridie Mauri accessere provin-
ciis, demtis regibus post Jubam ; caesaque Musulamiorum manus ; Epit.,
XI, 5 : Mauri provinciis accessere ; caesa Musulamiorum manus est.
(4) Dio, LX, 9.
(5) Pallu de Lessert, Fastes, I, p. 123.
(6) Suet., Galba, 7 et 8.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 33

Il est rest peut-tre de la lutte quil soutint pendant deux


ans un souvenir lointain : parmi les vchs de Numidie, on
en connat un qui portait encore, au temps de saint Cyprien(1),
le nom de Castra Galbae, mais on ne sait pas o tait si-
tue cette localit. Il reut, en rcompense de ses services en
Afrique et de ceux quil avait antrieurement rendus en Ger-
manie, les ornements du triomphe et un triple sacerdoce : il
fut nomm XV vir sacris faciundis, sodalis Titius et sodalis
Augustalis(2). Tant dhonneurs accords la fois peuvent faire
supposer que la rvolte avait t srieuse.

Grce ces succs, le pays semble avoir joui dune gran-


de tranquillit pendant la fin du rgne de Claude et durant
celui de Nron ; tout au plus peut-on saisir la trace de quel-
que chauffoure entre les troupes rgulires et des bandes de
pillards, comme celle dans laquelle prit ce L. Flaminius dont
ou a retrouv lpitaphe Chemtou(3).
A la mort de Nron commence pour tout lEmpire une
priode de troubles que les historiens et surtout Tacite nous
ont raconte avec beaucoup de dtails : Galba, Othon, Vitel-
lius se disputent lEmpire, et le pouvoir passe successivement
dans leurs mains pour se fixer, la fin, entre celles dun qua-
trime comptiteur, Vespasien. LAfrique se ressentit naturel-
lement de ces secousses.
A peine Galba stait-il fait proclamer en Espagne, que le
lgat de Numidie(4), L. Clodius Macer, entreprit de se crer une
province indpendante. Plutarque prtend quil stait mis par
____________________
(1) Cyprian., Sentent. episcop., n 7 (III, p. 440, d. Hartel). Ce souve-
nir, toutefois, repose sur une identification de noms qui, il faut le dire, nest
pas absolument certaine.
(2) Suet., Galba, 8.
(3) C. I. L., VIII, 14603. Date du monument : 52-57.
(4) Tac., Hist., I, 7, 37, 73 ; Suet., Galba, II ; Plutarch., Galba, 6, 13, 15.
34 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

ses cruauts et ses rapines dans une situation telle quil ne


pouvait ni garder le pouvoir, ni le dposer(1). Lentreprise tait
dautant plus aise quil aurait t, aprs quelques succs, en
mesure daffamer lItalie, tandis que ses troupes taient as-
sures davoir des vivres en abondance. Il se proclama donc
proprteur dAfrique(2), faisant renatre ainsi son profit un
tat de choses que lEmpire avait depuis longtemps aboli. La
lgion quil commandait, la IIIe Auguste, se dclara pour lui :
nous en avons pour preuves les monnaies quil fit frapper pour
la solde de cette lgion et au revers desquelles on lit : LEG III
LIB AVG(3). Bientt il leva, semble-t-il, une nouvelle lgion
et des cohortes qui en formaient les auxilia ; et, lexemple
des gnraux de la fin de la Rpublique, qui donnaient aux
lgions quils commandaient une numrotation spciale sans
considrer le rang quelles tenaient dans lensemble de lar-
me romaine, il lappela legio I Macriana liberatrix(4). Galba,
sans doute pour empcher la sdition de gagner les Maurta-
nies et pour y concentrer des forces imposantes dans les mains
dun seul homme, runit les deux provinces sous le comman-
dement du procurateur de la Csarienne, la plus voisine de la
Numidie ; il se nommait Lucceius Albinus. La garnison des
Maurtanies comprenait alors dix-neuf cohortes, cinq ailes
de cavalerie et un grand nombre de troupes auxiliaires leves
dans le pays (numeri)(5). En mme temps il chargea un de
ses procurateurs, Trebonius Garucianus, dassassiner Clodius
____________________
(1) Plutarch., Ioc. cit. :

.
(2) Mller, Numismat. de lAfrique ancienne, II, p. 170.
(3) Cohen, Monnaies impr., I, p. 317, nos 3, 4, 5.
(4) Ibid., nos 1 et 2. Cf. Tac., Hist., II, 97. La question sera discute
plus longuement dans une autre partie de ce travail.
(5) Tac., Hist., II, 58.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 35

Macer, ce qui fut fait sans retard(1). La lgion Macrienne et


ses auxiliaires furent licencis(2) ; la IIIe Auguste se soumit
sans rsistance, se contentant, nous dit Tacite, dun prince
quelconque, aprs lexprience quelle avait faite dun matre
subalterne(3) .
Aucun vnement ne signala la fin du rgne de Galba ni
celui dOthon ; mais quand celui-ci eut t tu et que Vitellius
fut matre de lEmpire, le procurateur des Maurtanies, Luc-
ceius Albinus, essaya son tour de se dclarer indpendant.
La Numidie avait alors comme lgat Valerius Festus, parent
de Vitellius, qui avait embrass son parti. Il ne fallait donc pas
songer tenter la fidlit de la IIIe Auguste. Albinus tourna
ses regards vers lEspagne, dont il ntait spar que par un
dtroit, et se porta vers la Tingitane, pour se prparer passer
la mer. Mais M. Cluvius Rufus, lgat de Tarraconaise, alarm
par ces prparatifs, fit approcher de la cte la lgion Xe Gemi-
na, comme sil mditait lui-mme une descente en Afrique(4) ;
de plus, il envoya en Maurtanie des centurions pour conci-
lier Vitellius lesprit des Maures, ce qui ne fut pas difficile :
on leur reprsenta la puissance de larme de Germanie qui
avait proclam le nouvel empereur ; on grossit, si on ne le
rpandit pas, le bruit quAlbinus, ddaignant le titre de pro-
curateur, prenait les marques de la royaut et le nom de Juba.
____________________
(1) Tac., Hist., I, 7 ; Plutarque (Galba, 15) lappelle Trebonianus. On
a quelquefois regard ce personnage comme un procurateur de la Maur-
tanie Csarienne (C. I. L., p, XX). Cette opinion est inadmissible, puisque
Lucceius Albinus avait t envoy en Csarienne par Nron et quil y tait
encore cette poque. Trebonius Garucianus est non pas un gouverneur de
la province, mais un des procurateurs particuliers de lempereur.
(2) Tac,, Hist., II, 97 : In Africa legio cohortesque dilectae a Clodio
Macro, mox a Galba dimissae.
(3) Tac., Hist., I, (,Africa ac legio in ea, interfecto Clodio Macro,
contenta qualicumque principe post experimentum domini minoris.
(4) Ibid., 8 : Hispaniae praeerat Cluvius Rufus. Cf. II, 58.
36 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Les Maures, ainsi gagns, abandonnent la cause de Lucceius


Albinus ; ses plus zls partisans, un prfet de cavalerie et
deux prfets de cohorte sont massacrs ; lui-mme est gorg
au moment o, cherchant gagner la Maurtanie Csarienne
par mer, il dbarque sur le rivage(1). La tentative avait chou,
et lAfrique tait soumise Vitellius.
Cependant Vespasien venait dtre salu empereur
dOrient ; Vitellius se hta daugmenter larme qui soutenait
sa cause, en faisant venir des renforts un peu de tous les cts.
Comme il se croyait sr de lAfrique, parce que Valerius Fes-
tus, son parent, gouvernait la Numidie et aussi parce que son
proconsulat y avait laiss dexcellents souvenirs(2), tandis que
celui de Vespasien lavait rendu odieux(3), il voulut utiliser la
lgion de Macer, rcemment licencie, ainsi que les cohortes
qui formaient ses auxilia(4). On ne sait pas sil la laissa dans
le pays pour en augmenter la garnison en attendant les vne-
ments, ou sil lappela en Europe afin de remplacer dans leurs
quartiers permanents les corps quil dirigeait contre Vespa-
sien. Ce quil y a de certain, cest que cette lgion nouvelle
disparut lors de la rorganisation de larme de Vespasien,
soit que celui-ci lait licencie de nouveau, soit quil en ait
vers les soldats dans quelquun des corps qui lui taient de-
meurs fidles.
Sur ces entrefaites, Valerius Festus, qui tenait mnager
lavenir, se dclarait en secret pour Vespasien, tout en gardant
lapparence de la fidlit envers Vitellius(5). Ds quil apprit la
dfaite de celui-ci, Crmone, il jeta le masque. Le proconsul
____________________
(1) Tac., Hist., II, 59 : Dum e Tingitana provincia Caesariensem petit,
(2) Ibid., 97. Vitellius avait t proconsul dAfrique en 60-61. Cf. Pal-
lu de Lessert, Fastes, I, p. 138.
(3) Cf. Pallu de Lessert, ibid.
(4) Tac., Hist., II, 97: Legio cohortesque dilectae a Clodio Macro,
mox a Galba dimissae, rursus jussu Vitellii militiam cepere.
(5) Ibid., 98.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 37

Pison tait regard comme oppos Vespasien ; on avait mme


essay de le rendre criminel pour avoir ensuite un prtexte
le faire disparatre. Valerius Festus envoya quelques soldats
auxiliaires qui lassassinrent. Puis il se rendit au camp de la
lgion IIIe Auguste, o il punit quelques hommes et en r-
compensa dautres, sans motifs, afin de paratre avoir touff
une rvolte.
Enfin, pour se faire pardonner srement le pass par des
services clatants, il emmena ses troupes contre les tribus du
Sud. Il y avait, ce moment, un diffrend entre les gens dOea
et ceux de Leptis(1). Ils avaient commenc par se voler rci-
proquement des grains et des bestiaux, ce qui devait, au reste,
arriver frquemment entre voisins ; puis, peu peu, laffaire
stait aggrave ; les habitants dOea avaient appel leur aide
les Garamantes, et ceux-ci, envahissant le territoire de Leptis,
tenaient les habitants enferms et tremblants dans la ville. Va-
lerius Festus se hta de profiter de loccasion qui lui tait of-
ferte : il conduisit une colonne contre les Garamantes, les mit
en fuite et leur reprit une bonne partie du butin quils avaient
fait(2). Il trouva mme, et cest l le service le plus signal que
cette expdition semble avoir rendu, une route nouvelle pour
pntrer chez les Garamantes, route plus courte et plus prati-
cable que celle quon avait suivie jusqualors(3). Il pouvait se
____________________
(1) Tac., Hist., IV, 4, 50.
(2) A cette priode appartient une inscription de Bracciano (Ann. pi-
gr., 1896, 10) ainsi conue : Publio L. f. Fa[b.] Memoriali [p]raef. Fa-
brum [pra]ef. gentis Numidar. dilictat. [tir]onum ex Numidia lecto[r.] Ieg.
Aug. in Africa. Le personnage fut procurateur de Sardaigne au dbut du
rgne de Vespasien, avant 72 (cf. C. I. L., X, 8038). Il est possible que la
leve laquelle ce texte fait allusion ait t ncessite par la campagne de
Tripolitaine.
(3) Plin., Hist. nat., V, 5 : Ad Garamantas iter inexplicabile adhuc
fuit, latronibus gentis ejus puteos qui sont non alte fodiendi, si locorum no-
titia adsit, arenis operientibus. Proxumo bello quod cum Oeensibus gessere
38 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

vanter, avec quelque apparence de vrit, auprs de Vespa-


sien davoir dfendu la province la fois contre les ennemis
du dedans et contre ceux du dehors. On lui tint compte de ses
services, puisquil arriva au consulat en 71(1).
Sous Vespasien, la paix ne parat pas avoir t trou-
ble en Afrique ; on put occuper les soldats des travaux
dans le pays. Cest cette poque, ainsi que le prouvent des
textes pigraphiques, quon pera en Numidie la route de
Theveste Hippone pour rendre plus faciles par le Nord les
communications entre la lgion et la mer(2), et la route de
Carthage Hippone, avec postes fortifis pour en assurer la
scurit(3).
Sous Domitien, en revanche, il fallut de nouveau recourir
aux armes. Tout dabord, la Maurtanie fut le thtre dun soul-
vement dont deux inscriptions nous permettent de souponner
limportance. La premire, trouve depuis longtemps Ami-
terne, nous fait connatre la carrire dun personnage dordre
snatorial nomm Sentius Caecilianus(4). On y lit : [Sex.? Se]
ntio Sex. f. Caeciliano [x. viro st]I. iud. tr. mil. Leg. VIII. Aug. [q.
pro. pr]aet. aed. pl. prae[t. leg. l]eg. XV Apollinar. [item leg. III
Au]g. leg. pr. pr. utriusq. Mauretan. cos. arbitratu [a]e uxor,
et Atlantis lib. Mommsen lattribuait lpoque o la lgion IIIe
____________________
initiis Vespasiani imperatoris, compendium viae quatridui deprehensum est.
Hoc iter vocatur : Praeter caput Saxi.
(1) C. I. L., V, 531 (cf. la note de Mommsen la suite de linscrip-
tion) ; Klein, Fasti consulares, p. 43. Le nom complet du personnage est C.
Calpetanus Rantius Quirinalis Valerius, P. f. Festus.
(2) C. I. L., VIII, 10119 (an 75).
(3) C. I. L., VIII, 10116 (an. 76). Cf. Tissot, Le bassin du Bagradas, p.
87 et suiv. Linscription cite ici a t trouve non pas sur un pont, comme il
est dit au Corpus, mais sur une minence o tait tabli un poste fortifi ; ce-
lui-ci avait pour objet de protger le pont voisin jet sur loued Bja et gardait
le dfil resserr que traversait cet endroit la route de Carthage Hippone.
(4) Ibid., IX, 4194.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 39

Auguste fut licencie, cest--dire au milieu du IIIe sicle(1).


Jai discut cette opinion, aprs dautres, dans la premire
dition de ce livre(2) et jai montr, ce que je ne rpte pas,
pourquoi le personnage devait appartenir, au contraire, au 1er
ou au IIe sicle. Depuis lors, il a t trouv plusieurs exemplai-
res de bornes-limites qui sparaient autrefois lAfrica nova de
lAfrica vetus(3) et qui furent tablies ou plutt rtablies sous le
rgne des Vespasien, aux environs de lanne 75(4). Or sur ces
bornes apparat, ct du nom du consulaire Rutilius Galli-
cus, celui de Sentius Caecilianus, prteur ; il y figure, sui-
vant toute vraisemblance, comme lgat de Numidie(5). Cest
au mme titre quil est mentionn sur une borne milliaire de la
route de Tbessa Carthage(6), o M. Hirschfeld a restitu de-
puis longtemps le nom de Vespasien(7). Il ne reste plus de dou-
te sur le temps o vivait le personnage. Si donc linscription
dAmiterne, aprs avoir rappel sa lgation de Numidie ([item
III. Au]g.), le qualifie de leg. pr. pr. utriusq. Mauretan., titre
absolument extraordinaire et dont il nest pas dautre exemple
certain connu(8), cest quil se passait ce moment, en Maur-
tanie, des vnements pareillement extraordinaires, et quon
jugea ncessaire, pour y faire face, dy envoyer des renforts
____________________
(1) C. I. L., VIII, p. XX et suiv. Naturellement, il ne restituait pas
comme nous : [item leg. III Au]g.
(2) Voir p. 284 et suiv. M. Pallu de Lessert (Fastes, I, p. 323 et suiv.) a
repris la question aprs moi et conclu dans le mme sens.
(3) C. I. L., VIII, 23084, 25967.
(4) Cf. ce que jai dit ce sujet, Comptes rendus de lAcad. des Ins-
cript., 1894, p. 46 et suiv.
(5) Ex auct. Imp. Vespasiani, fines... derecti... per Rutilium Gallicum
cos. pontif, et Sentium Caecilianum praetorem legatos Aug. pro pr.
(6) C. I. L., VIII, 22172.
(7) Sitzungsber. der Akad. Zu Berlin, 1889, p. 431, note 92.
(8) La restitution du C. I. L., IX, 4194, propose par M. von Domaszewski
(Philologus, LXVI, p. 168), qui attribue le mme titre un certain Fabius Postu-
minus (Prosop. imp. rom., II, p. 50, n. 45), ne saurait tre tenue pour certaine.
40 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

commands par des officiers de rang snatorial, cest--dire


emprunts une ou plusieurs lgions. Ds lors il fallait, pour
commander en chef au-dessus deux, quelquun qui ne ft
pas un simple chevalier comme les gouverneurs ordinaires de
Maurtanie ; do le choix de Sentius Caecilianus, prtorien
en passe de devenir consul, pour prsider aux destines des
deux provinces menaces(1).
La seconde inscription, assez rcemment dcouverte(2),
conduit la mme conclusion, en nous faisant connatre un des
chefs secondaires de lexpdition, le chevalier C. Velius Rufus.
On y lit qutant tribun de la XIIIe cohorte urbaine, laquelle,
on le verra plus loin, tenait alors garnison Carthage, il fut dux
exercitus africi et mauretanici ad nationes quae sunt in Maure-
tania comprimendas. Cette fois, le tmoignage est formel et le
soulvement de la Maurtanie nettement spcifi. Mommsen
rapportait le fait la fin du rgne de Vespasien ou au dbut de
celui de Domitien(3). M. Ritterling, qui a serr la question de
plus prs, lattribue aux environs des annes 80-85(4).
Tandis quon guerroyait ainsi louest des possessions
romaines en Afrique, des vnements analogues se produi-
saient au sud-est. Le souvenir nous en a t conserv par Zo-
naras. Cet historien raconte(5) quun certain nombre de peuples
____________________
(1) M. Pallu de Lessert (Fastes, l, p.328) exprime lide que le titre de
leg pr. pr. utriusq. Mauretan. pourrait dsigner une mission en Maurtanie
analogue celle que le personnage avait exerce en Numidie, cest--dire
relative au recensement ou la dlimitation de territoires contests. Ce nest
pas lavis gnral. Cf. Ritterling, Jahreshefte des oesterreich. Instit. In Wien,
VII, 1904, Beiblatt, col. 28, et von Domaszewski, Philologus, LXVI, p, 168.
(2) Ann. pigr., 1903, 368.
(3) Sitzungsber. der Akad. zu Berlin, 1903, p. 817 et suiv.
(4) Loc. cit.
(5) Zonaras, Ann., XI, 19 :
.

.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 41

tributaires se soulevrent alors contre les Romains cause de


la violence avec laquelle on en exigeait de largent. Parmi eux
taient les Nasamons(1). Il faut donc supposer qu la suite de
quelquune des expditions diriges contre eux prcdem-
ment(2), un tribut leur avait t impos : cest l un fait dont il
nest question nulle part ailleurs. Les Nasamons rvolts tu-
rent ceux quon avait envoys pour percevoir limpt ; le lgat
de Numidie, Flaccus, marcha contre eux, mais fut dfait, et son
camp mme fut emport. Heureusement pour Rome, les Bar-
bares y trouvrent des provisions en abondance, et surtout du
vin dont ils burent jusqu senivrer. Ds que Flaccus fut ins-
truit de lvnement, il revint, les surprit et les tua tous, mme
ceux qui ntaient pas en ge de porter les armes : ce qui faisait
dire Domitien, en plein Snat, quil avait ananti les Nasa-
mons(3). Certains auteurs, qui ne croient pas cette allgation
quelque peu audacieuse, pensent quils furent simplement re-
fouls dans le dsert et chasss du pays quils occupaient, sur
le littoral de la grande Syrte, lest de la Tripolitaine(4). Suivant
eux, les Nasamons auraient donn naissance la grande tribu
berbre des Nefzaoua(5). Ceci se passait vers 85 ou 86(6).
____________________
, .
, ,
.
.
(1) La chronique dEusbe cite aussi les Daces (an. 86) : Nasamones
et Daci dimicanles adversum Romanos victi.
(2) Voir, par exemple, une allusion la rpression dune rvolte des
Nasamons dans le discours que Josphe (Bell., Jud., II, 16) attribue au roi
Agrippa (an. 65).
(3) Zonaras, loc. cit. Cf. Dionys. Perieg., v. 208 et suiv.

, .
(4) Scylax, Peripl. 109. Cf. Tissot, Gogr. compare de la province
romaine dAfrique, I, p. 443.
(5) Vivien de Saint-Martin, LAfrique du Nord, p. 48.
(6) St. Gsell, Essai sur le rgne de Domitien, p. 235.
42 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

A la mme poque se placent aussi deux expditions im-


portantes auxquelles larme dAfrique fut appele. La pre-
mire fut peut-tre conduite par le lgat de Numidie Flac-
cus, dont le nom vient dtre prononc. En effet, Ptolme
raconte, daprs Marin de Tyr(1), quun gnral quil nomme
Septimius Flaccus, parti de la Libye , savana vers les
thiopiens par une marche de trois mois au del du territoire
des Garamantes. Le mme gographe ajoute dailleurs que la
chose nest pas admissible telle quelle est rapporte, et quil
doit y avoir l quelque grosse exagration(2). Mais le fait en
lui-mme doit tre retenu et mrite considration.
La seconde, sil faut vritablement la distinguer de
lautre, aurait t dirige par un gnral nomm Julius Mater-
nus. Il quitta Leptis Magna, poussa dabord jusqu Garama,
sy runit au roi des Garamantes et, appuy par larme de ce
prince, parvint, aprs une marche de quatre mois, jusquen
thiopie, au pays dAgysimba, que M. Vivien de Saint-
Martin identifie avec loasis dAsbn, sur les confins du Sa-
hara et du Soudan(3). On ne sait pas qui est le Julius Maternus
qui conduisit cette campagne ; mais il est probable, puisquil
partit de Leptis qui appartenait la province dAfrique, que
ctait un proconsul dAfrique ou un lgat de la lgion de Nu-
midie. On ignore galement la date exacte de lexpdition ; on
doit la placer, sans doute, dans les quinze dernires annes du
____________________
(1) Ptolem., I, 8, 4 :
,
,
,

,
,

(2) Ibid., I, 8, 5.
(3) Vivien de Saint-Martin, LAfrique du Nord, p. 215 et suiv.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 43

1er sicle, comme la pens M. Vivien de Saint-Martin,


lpoque o Marin de Tyr publia son uvre se plaant elle-
mme entre la mort de Pline et la fin du 1er sicle, et les faits
contemporains quil Mentionne se renfermant, par suite, dans
une trs courte priode(1).
Ce quil y a de particulirement intressant dans ces
expditions pour loccupation militaire de lAfrique, cest
quelles taient faites, la seconde du moins, de concert avec
le roi des Garamantes et presque pour son compte, contre des
peuples soumis son autorit. Rome avait donc fait alliance
avec ce roi(2) ; ctait se mnager au sud de ses possessions
extrmes un alli puissant qui les gardait contre les invasions
possibles, loin de songer jamais les menacer lui-mme.
La tranquillit des frontires, du ct des chotts et de
la Tripolitaine, tait, au reste, devenue complte. Aussi put-
on dplacer le quartier gnral de la lgion IIIe Auguste et
le porter de Theveste plus louest, prs de lAurs, occup
par des populations encore insoumises(3). En mme temps,
comme les communications taient plus faciles sur le littoral,
grce la scurit du pays, on construisait une route qui unis-
sait Tacapas (Gabs) Leptis Magna (Lebda) ; Nerva tait
alors consul pour la troisime fois (an 97)(4).
Les historiens ne citent aucun fait de guerre en Afrique
____________________
(1) Cette date serait encore confirme, suivant quelques-uns (Mannert,
Gogr. des tats barbaresques, traduction Marcus, p. 119), par le fait que
Masyus, roi des Nsamons, serait venu voir Domitien aprs sa dfaite. Mais
le texte de Dion sur lequel ils pensent pouvoir appuyer cette assertion et o
Orsini ( , p. 400, n 49) lisait , porte, en
ralit, (cf. ldition de Reimar, II, p. 1104-1105). Voir aussi St.
Gsell, Essai sur le rgne de Domitien, p. 236.
(2) Cest ainsi quen Syrie les Romains avaient soin de prendre sous
leur protection les chefs nomades qui occupaient le Grand dsert. Cf. Wad-
dington, Inscr. de Syrie, 2196.
(3) C. I. L., VIII, p. XXI. Cf. ce qui sera dit plus loin sur cette question.
(4) Ibid., 10016,
44 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

sous Trajan(1). Les inscriptions nous apprennent seulement


quil fit rparer la route militaire qui conduisait de Theveste
(Tbessa) Thelepte (Friana)(2) et quil cra celle qui condui-
sait de Theveste Mascula (Kenchela)(3). Cest galement lui
qui fonda en lanne 100 la colonie de Thamugadi (Timgad),
peut-tre pour y installer des vtrans(4).
Dun autre texte on peut conclure quil commena ou,
du moins, organisa solidement loccupation du Sud. La limite
qui sarrtait auparavant au nord de lAurs fut porte au sud :
la preuve en est que sous Trajan fut btie la forteresse de Ad
Majores(5) (Besseriani). Les populations indomptes de lAurs
taient ainsi prises entre deux routes militaires fortifies, celle
de Thamugadi Theveste, et la grande ligne de communication
de la Maurtanie et du Sahara, la voie de Sitifis (Stif) Ad
Majores par Zarai (Zraa) et le sud de lAurs. Peut-tre aussi,
comme le pense M. Gsell, fit-il tracer, paralllement loued
Djedi, un foss destin marquer la fin du territoire romain de
ce ct. Enfin, au sud de la province dAfrique, il avana la
ligne doccupation jusquau del du chott el-Fedjedj et relia la
nouvelle frontire lancienne par des voies militaires garnies
de fortins. Nous reviendrons plus loin sur ces dtails.
On na aucun renseignement sur ce qui se passa en Mau-
rtanie cette poque ; il semble pourtant stre produit, du ct
de la Tingitane, quelques complications, puisquon y rencon-
tre, sous Trajan, un procurateur portant le titre de procurator
____________________
(1) On ne sait pas au juste quelle poque appartient lpitaphe dun
soldat de la lgion IIIe Augusta defunctus in pugna sub Lucilio centurione
inter Aras et Vatari (C. I. L., VIII, 22899). M. Gauckler (Comptes rendus de
lAcad. Des Inscr., 1896, p. 226 et suiv.) estime que le texte pourrait tre du
Ier sicle aprs J.-C.
(2) C. I. L., VIII, 10037.
(3) Ibid, 10186 ; cf. 10210.
(4) Ibid., p. 259.
(5) Ibid., 2478,
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 45

pro legato(1). On a fait remarquer avec raison(2) combien cette


appellation est insolite ; que, de plus, au mme moment, on
trouve un subprocurator Mauretaniae Tingitanae(3), fonction-
naire dont la titulature, comme la charge, sont exceptionnel-
les, et lon a conclu de ce rapprochement que le premier des
deux avait sans doute un pouvoir militaire plus tendu que
les procurateurs ordinaires, le second soccupant de ladmi-
nistration civile et financire de la province. Que ce procura-
teur pro legato ait concentr entre ses mains le gouvernement
militaire des deux provinces, ou quil ait command des ren-
forts lgionnaires venus dEurope, dEspagne par exemple,
on peut admettre, en tout cas, que le pays tait, ce moment,
agit par quelque rvolte dont le souvenir ne nous a pas t
conserv.
Le dbut du rgne dHadrien fut marqu par une cam-
pagne assez importante contre les Maures. Le nom de Lusius
Quietus, le gnral bien connu du temps de Trajan, a t ml
tort ce soulvement par certains auteurs, sur la foi dune
phrase assez obscure de lHistoire Auguste(4). Ce fut Marcius
Turbo qui fut charg de rduire linsurrection(5). Il passa en
Maurtanie aprs avoir termin la guerre en Cyrnaque et en
gypte, o les Juifs rvolts avaient tout mis feu et sang,
et dirigea les oprations contre les rebelles (vers lan 118),
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9990.
(2) Pallu de Lessert, Bull. des Antiquits africaines, 1885, p. 72.
(3) C. I. L. III, 6065.
(4) Vita Hadriani, 5 : Lusium Quietum, sublatix gentibus Mauris
quos (sic) regebat ... exarmavit. Les autres documents que nous avons sur
Lusius Quietus ne permettent pas de conclure quil ait pris part au soulve-
ment des Maures. Encore moins fut-il gouverneur de Maurtanie, comme on
la dit (Duruy, Hist. des Romains, d. in-4, V, p. 10). Voir sur cette phrase
lexplication de Borghesi, uvres, I, p. 500.
(5) Vita Hadr., 5 : Marcio Turbone, Judaeis compressis, ad depri-
mendum tumultum Mauretaniae destinato.
46 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

probablement avec le titre de procurateur des deux Maurta-


nies(1) car ce ntait quun chevalier.
Nanmoins le pays remuait encore quatre ans aprs, en
lan 122, lorsque Hadrien tait en Espagne(2). Alla-t-il lui-m-
me le soumettre, comme on la dit quelquefois(3), ou, ce qui
est plus probable(4), les Maures furent-ils vaincus par le pro-
curateur du pays, cest ce que le texte de son biographe ne per
met pas de dcider absolument. Pourtant il faut reconnatre,
avec Mommsen(5), que la premire de ces opinions, qui sem-
blerait prfrable tout dabord, soulve de grosses difficults
pour la suite des voyages dHadrien.
Il nest plus question de rvoltes ni en Maurtanie, ni
dans le reste de lAfrique postrieurement lan 122, pendant
tout le reste du rgne de ce prince.
Sous lui, la lgion IIIe Auguste, appele Lambse
par Trajan, stablit dans le beau camp o elle devait rester
jusqu la fin de lEmpire(6). Plusieurs routes militaires furent
construites cette poque, notamment la grande voie de Car-
thage Theveste(7), qui, se continuant par la voie de Theveste
Lambse prcdemment trace, mettait en communication
la rsidence du proconsul et celle du lgat de Numidie.
____________________
(1) Cf. Pallu de Lessert, Fastes, I, p. 481.
(2) Vita Hadr., 12 : Germanis regem constituit, motus Maurorum
compressit et a senatu supplicationes emeruit.
(3) J. Drr, Die Reisen des Kaisers Hadrian, p. 37 et suiv.
(4) W. Weber, Untersuchungen zur Gesch. des Kaisers Hadrianus, p.
117.
(5) C. I. L., VIII, p. XXI, note 4.
(6) Cf. plus bas lhistoire de la lgion.
(7) C. I. L. VIII, 10048 et suiv.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 47

CHAPITRE II.

DEPUIS LE RGNE DANTONIN LE PIEUX JUSQU LARRIVE DES VANDALES.

Avec Domitien staient termines les guerres contre


les Gtules et les peuplades rpandues au sud des provinces
dAfrique et de Numidie. Les unes avaient t refoules dans
le dsert, les autres staient soumises aux Romains, dautres
enfin avaient t transportes de gr ou de force au milieu des
possessions de lEmpire, o elles formaient des enclaves sous
la surveillance des autorits romaines. Elles fournissaient, la
fois, des bras la culture et des auxiliaires la lgion. Sous
Nerva, Trajan et Hadrien, loccupation militaire de la frontire
mridionale de la Numidie stait consolide et la lgion avait
t dfinitivement fixe Lambse, mi-route entre les Gtu-
les soumis et les Maures quil fallait maintenant soumettre.
Telle fut, en effet, la grande occupation des empereurs
suivants. La lutte commena ds le rgne dAntonin le Pieux.
Capitolin nous a gard le souvenir du fait(1) ; mais, suivant son
habitude, il mentionne seulement en quelques mots lexisten-
ce et le rsultat de la guerre. Grce des textes pigraphiques,
nous pouvons nous faire une ide plus complte de limpor-
tance des oprations et des forces militaires qui y furent em-
ployes. Larme qui tait charge de garder la Maurtanie
tant insuffisante pour tenir tte aux bandes insaisissables des
Maures(2), on appela des secours de Syrie, dEspagne et des
____________________
(1) Vita Pii, 3: Per legatos suos plurima bella gessit, Mauros ad
pacem postulandam coegit.
(2) Pausanias, VIII, 43, 3: ...
,
.
48 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

rgions danubiennes. Du premier de ces pays on fit venir un


dtachement de la lgion VIe Ferrata, qui y tait campe. On
trouve ce dtachement occup, en 145, tracer dans lAurs
une route stratgique(1), soit quil ait opr de ce ct pour
empcher linvasion des bandes du dsert en Numidie et cal-
mer leffervescence des montagnards, soit quil ait remplac
Lambse une partie de la lgion IIIe Auguste envoye en Mau-
rtanie contre les rebelles. En Tingitane, et pour prendre de
flanc les Maures, des renforts emprunts larme dEspagne
guerroyaient sous la conduite dun chevalier appel T. Varius
Clemens(2). La Pannonie Suprieure fournit, de son ct, en tout
ou en partie, deux ailes de cavalerie, la Ve Hispanorum Ara-
vacorum et la IIIe Augusta Thracum ; la Pannonie Infrieure,
la 1re Flavia Britannorum, miliaria civium romanorum, la 1re
Thracum veterana sagittariorum et la 1re Augusta lturaeorum
sagittariorum(3) ; peut-tre avec quelques dtachements lgion-
naires, tirs des mmes provinces (1re Adjutrix, IIe Adjutrix)(4).
____________________
(1) C. I. L., VIII, 10230. Cf. 2246, add. et 2490. Henzen (Annali, 1860,
p. 54) croit mme quun dtachement de la lgion IIIe Cyrenaca de Bostra
fut appel en mme temps.
(2) C. I. L., III, 5212 et suiv. : T. Vario Clementi proc(uratori) provincia-
rum... Mauretaniae Caesar(i)ens(is), Lusitainae, Ciliciae, praef(ecto) eq(uitum)
al(ae) Britannic(ae) miliar(iae), praef(ecto) auxiliorum in Mauretaniam Tingi-
tanam ex Hispania misso[rjum , etc. Cf. le commentaire du Corpus.
(3) C. I. L., III, p. 2213 (Dipl. C). Imp. Caesar Divi [Ha]dri[ani] f. Divi
T[rajan]i Parthic. nep. Divi Nervae [pro]nep. T. [Aelius Had]ri[a]nus Anto-
ninus Aug. Pius [pont.] max. [trib.] pot. XIII, imp. II cos VI p. [p.] equitib.
qui militaverun[t i]n alis v [quae] appell. I Hispanor. Arav[a]co[r]. et III Aug.
Thrac. Sagit. Quae sunt [i]n [P]ann. Su[p]e[rior.] sub Claudio Maximo, item
I Fla[via] Britann. c. r. et I Thrac.veter. sag[it.] et I Aug. Iturcor sagit. quae
sunt in [P]ann. Inferior. sub Cominio Secundo quin[is] et vicenis plurib. stip.
emer. d[i]m[iss.] h[o]nest. miss. per Porcium Vetus[tin]um proc. cum essent
in expedition. Mauretan. Caesarens. (1er aot 150.)
(4) Cf. Bormann, Arch. epigr. Mittheil., XVI (1893 ) p. 255 ; Jne-
mann, De legione romana I Adjutrice, p. 82 et suiv., p. 135 et suiv. ; Gndel,
De legione romana II Adjutrice, p. 55.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 49

La prsence de ces divisions supplmentaires indique claire-


ment que la lutte tait srieuse et quon voulait infliger aux
ennemis une grande dfaite. Cest ce qui arriva, puisque, sui-
vant Pausanias(1), ceux-ci furent repousss aux extrmits de
la Libye et jusque vers lAtlas. La rgion septentrionale tait
donc dlivre des envahisseurs.
La date laquelle il convient de placer ces vnements
nest pas exactement connue. Certains auteurs ont cru pouvoir
avancer, en se fondant sur des monnaies dAntonin le Pieux
dates de lan 139(2), que les oprations avaient commenc
ds cette poque. Mais les lgendes et les reprsentations qui
se trouvent sur ces monnaies ne permettent pas den tirer une
pareille dduction(3). La prsence du dtachement de la VIe
Ferrata dans lAurs, en 145, est, plus instructive. On peut en
conclure que lexpdition avait commenc avant cette date et
durait encore ce moment. On arrive au mme rsultat ou du
moins un rsultat analogue, si lon tudie la suite des fonctions
de T. Varius Clemens, rappeles sur les monuments cits plus
haut. En effet, ce personnage fut procurateur de Maurtanie
vers 152(4) ; or, entre sa mission militaire en Espagne et sa nomi-
nation au gouvernement de la Maurtanie, il avait t succes-
sivement prfet dune aile de cavalerie, procurateur de Cilicie
et procurateur de Lusitanie, ce qui porte lan 148 au plus tard
lenvoi de secours dEspagne en Afrique pour la guerre des
____________________
(1) Pausanias, VIII, 43, 3:
, .
(2) Cohen, Monnaies impr, II, p. 323, n 551 ; ANTONINVS AVG
PIVS P P. Tte laure droite. R MAVRETANIA COS II S C. La Mau-
rtanie en habit court, debout gauche, tenant un panier et une haste baisse.
Cf. 552 et 553.
(3) On trouve, la mme date, des monnaies analogues pour plusieurs
provinces, notamment pour lAfrique: Cohen, Mon. imp., II, p. 272, n 21, et
273, nos 22 et 24.
(4) C. I. L., VIII, 2728. Cf. Pallu de Lessert, Fastes, I, p. 488.
50 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Maures, en supposant que les charges de Varius Clemens se


soient succd sans intervalle peut-tre 146 ou 147, sil y a
eu entre chacune de ces fonctions quelque interruption. Enfin on
notera que le diplme militaire mentionn ci-dessus est de lan-
ne 150. Dautre part, en 152, ltat de la Maurtanie tait bien
troubl, puisquun ingnieur lgionnaire, envoy de Lambse
Bougie pour les besoins du service, fut dvalis en route avec
son escorte et ne put chapper qu grand peine la mort(1).
On peut donc placer la guerre faite contre les Maures
sous Antonin le Pieux entre les annes 144 et 152(2).
Le rsultat de ces diffrentes oprations combines
semble avoir t assez important, au moins vers le sud de
la Numidie. Pour la premire fois, lAurs, que jusque-l on
avait surveill par le Nord sans y pntrer, fut srieusement
occup ; et des perces furent ouvertes travers ce pt mon-
tagneux, qui permettaient den assurer la soumission.
La guerre ne recommena, ou du moins lon ne retrouve
la trace dune nouvelle lutte que vingt-cinq ans plus tard. L. Ve-
rus tait mort depuis quelque temps dj et Marc Aurle restait
seul matre de lEmpire, quand une rvolte gnrale des Mau-
res se produisit. Cette fois, ils ne se contentrent pas de troubler
les possessions romaines de Maurtanie : ils passrent la mer
et se rpandirent en Btique(3). Afin de faire face au danger,
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2728. Il faut remarquer que le personnage dvalis
nest pas un simple particulier voyageant pour ses besoins, et quon peut
attaquer avec quelques chances dimpunit, mais un ingnieur de la IIIe l-
gion envoy officiellement Bougie avec une escorte. Laudace de lattaque
indique que le pays tait dans une situation trs anormale.
(2) Les conclusions de M. J. Mesk (Der mauretanische Feldzug unter
Antoninus Pius dans le Wiener Eranos, 1909, p. 246 et suiv.), qui assigne la
campagne, peu importante, dit-il, lanne 148-149, auraient t diffrentes si
lauteur avait tenu compte du diplme militaire cit p. 48, note 3.
(3) Vita Marci, 21 : Cum Mauri Hispanias prope omnes vastarent,
res per legatos bene gestae sunt. Ce ntait probablement pas la premire
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 51

lempereur fut oblig denvoyer des troupes dans cette dernire


province, qui devint alors impriale pour quelque temps(1). En
mme temps, une colonne tait dirige vers la limite extrme
des hauts plateaux pour protger la Numidie de ce ct ; elle
tait forme, suivant toute vraisemblance, dun dtachement de
cavalerie de la lgion IIIe Auguste, ainsi que de cavaliers de la
cohorte des Cominagniens et de laile Flavienne, et comman-
de par un dcurion lgionnaire. On a retrouv prs de Gryville
un monument pigraphique(2) laiss par cette colonne lors de
son passage. Comme toujours, lavantage resta aux Romains ;
comme toujours, les Maures ne se soumirent quen apparence.
Sous Commode, une autre rvolte se produisit, qui fut de nou-
veau rprime. On na gard aucun dtail sur le soulvement, que
lon connat seulement par une phrase dun biographe(3). Quelques-
uns croient que le souvenir en a t conserv aussi par quelques m-
dailles(4). Ces faits militaires se placeraient vers lanne 178.
____________________
fois que le fait se produisait, car le pote Calpurnius, qui vivait au temps de
Nron (Teuffel, Geschichte der rm. Literatur, 3e dit., II p. 235 et suiv. ; cf.
surtout 2) dit dj, en parlant de la Btique :
Trucibus obnoxia Mauris
Pascua Geryonis.
(1) Vita Severi, 2 : Pro Baetica Sardinia ei attributa est quod Bae-
ticam Mauri populabantur. Cf. Marquardt. Staatsverwaltung, I, p. 257 ;
Gellens Wilford, Le cursus honorum de Septime Svre (Bull. des Antiquits
africaines, 1883, p. 370 et 371), et J. Klein, Die Verwaltungsbeamten der
Provinzen, p. 115 (anc. 173).
(2) C. I. L., VIII, 21567 (anne 174). Cest une ddicace une divinit
locale par le dcurion Catulus.
(3) Vita Commodi, 13: Victi sunt sub eo tamen... per legatos Ma-
ori. Cest sans doute cette guerre que lait allusion une inscription ddie
un personnage du nom de L. Julius Veh[il]ius Gratus Julianus pra[ep].
vexillationis per Achaiam et Macedoniam et in Hispania adversus Castabo-
cas et Mauros rebelles . (C. I. L., VI, 31856.) Cf. Arch. epigr. Mittheil. aus
Oesterreich, 1890, p. 189 et suiv.
(4) Cohen, Monnaies impriales, III, p. 329, n 754: L AVREL COM-
MODVS AVG GERM SARM. Son buste jeune laur, drap et cuirass,
52 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Sil en est ainsi, on peut se demander sil ne convient pas


dattribuer la mme poque deux inscriptions trouves en
Espagne et relatives une nouvelle invasion des Maures dans
le pays(1). Dans ces deux documents, il est question dun per-
sonnage nomm C. Vallius Maximianus, qui aurait rtabli la
paix en Btique et dlivr dun long sige le municipe de Sin-
gilia Barba. M. Hbner, sappuyant surtout sur la palographie
des textes, leur a assign comme date le rgne simultan de
Marc Aurle et de L. Verus, et les a rapports la guerre des
Maures sous Marc Aurle, dont nous avons parl plus haut.
Mais dautres auteurs ont fait remarquer, avec raison, que
cette guerre navait eu lieu quaprs la mort de L. Verus ; or,
dans linscription de Singilia Barba, Vallius Maximianus est
appel proc(urator) Au(gustorum duorum). Il faut donc que
ces inscriptions aient t graves une poque postrieure. La
date de 178 conviendrait parfaitement, puisque, ce moment,
Marc Aurle et Commode partageaient la puissance tribuni-
ce et le nom dAuguste. Capitolin, il est vrai, dans la vie de
Marc Aurle, ne fait pas allusion cette seconde campagne ;
mais cest, dit-on, quil a indiqu en une seule phrase(2) les
deux expditions contre les Maures qui auraient eu lieu sous
le rgne de ce prince : la premire, alors quil occupait seul
____________________
droite. R TR P II IMP II COS P P S C. Castor (ou Maure) debout
gauche devant son cheval, tenant une haste de la main gauche. Cf. ibid., n
760 : mdaille identique sauf le revers, o on lit: TR P III IMP II COS P
P ; n 761, o lon voit Rome en habit militaire, debout gauche, tenant une
Victoire et une haste ; p. 274, n 356, o le revers porte MAVRETANIA S
C, et o la reprsentation est analogue celle du n 754.
(1) C. I. L., II, 2015: G. Vallio Maxumiano proc. Augg. e. v., ordo
Singil. Barb. ob municipium diutina obsidione et bello Maurorum liberatum
patrono. Ibid., 1120 : C. Vallio Maximiano proc. Provinciar Mauretan.
Tingitanae, fortissimo duci, res. p. Italicens. ob merita et quod provinciam
Baetic. caesis hostibus paci pristinae restituerit.
(2) Vita Marci, 21.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 53

lEmpire, vers 173, la seconde aprs quil leut partag avec


Commode(1).
Au cas on lon nadmettrait pas cette solution, il faudrait
rejeter cette deuxime invasion des Maures en Btique sous
le principat de Svre et de Caracalla (198-209), puisque la
palographie des inscriptions nous empche de descendre au
del. Mais aucun des biographes de Svre et de Caracalla,
aucun monument pigraphique ou numismatique ne nous
ayant conserv le souvenir dun soulvement des Maures
cette poque, il nous parat plus rationnel dattribuer les v-
nements que nous signalent les inscriptions dEspagne au r-
gne de Marc Aurle et de Commode.
Il faut ajouter ici que celui-ci prit, dans la dernire partie
de son rgne, des mesures importantes pour assurer la pacifi-
cation du pays. Il fit relever les ouvrages militaires dgrads
par le temps et en construisit de nouveaux(2).
Les auteurs nont signal aucune guerre en Afrique sous
le rgne bien court de Pertinax.
On sait que Septime Svre, Africain lui-mme, fit tout
pour assurer au pays la paix et labondance ; aussi nest-il
pas un empereur qui ait t aussi chri des habitants et qui
ait vu slever en son honneur autant de monuments publics
et privs. Son rgne est aussi lpoque o les inscriptions de
toute sorte se multiplient dans les villes du littoral comme
dans celles de lintrieur. On devrait donc tre bien rensei-
gn sur les particularits de son principat, surtout sur cel-
les qui sont relatives lAfrique. Pourtant, malgr le grand
nombre de documents que lon possde, cest peine si lon
y trouve la mention directe ou indirecte de quelque fait mi-
litaire.
____________________
(1) Cest lopinion de M. Hirschfeld (Wiener Studien, VI, p. 123).
(2) C. I. L., 8702, 22629, burgis novis provincial munita (an. 183-185).
54 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Ds son avnement et alors quil tait encore en lutte


avec ses comptiteurs, Svre, nous dit son biographe sans
prciser davantage, envoya des lgions de secours en Afrique
pour empcher Niger denvahir le pays(1). Plus tard, il eut se
mesurer avec les bandes du dsert. Il parat que la Tripolitaine
fut purge par lui de celles qui la dvastaient et qui en trou-
blaient la scurit : Spartien nous apprend que Tripoli retrouva
alors des jours plus heureux(2), et des inscriptions signalent au
sud de la province lexistence de postes fortifis dont la fonda-
tion remonte cette date(3). Ce serait lui, suivant M. Gsell, qui
aurait organis loccupation de la frontire de ce ct.
Il y eut en mme temps, semble-t-il, des mouvements en
Maurtanie. Cest du moins ce que lon peut conclure du fait
que deux procurateurs du pays, Cn. Haius Diadumenianus et
Q. Sallustius Macrinianus, furent successivement chargs dun
commandement extraordinaire et appels runir sous leur
autorit les deux provinces de Csarienne et de Tingitane or-
dinairement spares administrativement(4). Nous avons dj
eu plus haut loccasion de dire quun semblable cumul ne peut
gure se comprendre que par la ncessit o lon se trouvait,
flans certains cas, de concentrer en une seule main la direction
____________________
(1) Vita Severi, 8: Ad Africam tamen legiones misit, ne, per Lybiam
atque Aegyptum, Niger Africam occuparet ac populum romanum penuria rei
frumentariae perurgeret.
(2) Vita Severi, 18: Tripolim unde oriundus erat, contusis bellicosis
gentibus, securissimam reddidit.
(3) C. I. L., VIII, 6. (Voir ce qui sera dit plus bas des camps de Bon-
djem et de Siaoun). Il est difficile de dcider si certaines monnaies portant
la lgende AFRICA ont quelque rapport avec ces faits. (Cohen, Monnaies
impriales, VI, p. 6, n 25 et suiv.)
(4) C. I. L., VIII, 9366 (an. 209/211 ) ; suiv.) ibid., 9371 (an. 210). A
la mme priode, un prolgat de Tingitane, C. Julius Pacatianus, combattait
sans doute victorieusement en Espagne et recevait de la ville dItalica les
honneurs dune statue Vienne, sa patrie. (C. I. L. XII, 1856).
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 55

des oprations et le commandement des troupes doccupation


affectes aux deux pays.
Peut-tre aussi les Maures passrent-ils de nouveau
en Espagne, sil faut, avec Mommsen(1), tirer cette conclu-
sion dune inscription trouve Tarragone, et o lun des
plus grands gnraux de lpoque, Tib. Claudius Candidus,
est appel leg(atus) Aug(ustorum duorum) pr(o) pr(aetore)
provinc(iae) H(ispaniae) c(iterioris) et in ea dux terra mari-
que adversus rebelles h(omines) h(ostes) p(opuli) r(omani(2).
Enfin je rapporterais assez volontiers la mme srie de
soulvements, bien quon puisse la faire remonter beaucoup
plus haut, lincursion en Csarienne des Baquates, popula-
tion de la Maurtanie Tingitane(3), qui nous est signale par
un texte pigraphique dcouvert Tns(4). On a suppos que
cette incursion stait produite par mer(5).
De tous ces renseignements, dont le rapprochement ne
laisse pas que dtre assez frappant, il semble bien rsulter
que la fin du rgne de Septime Svre a t trouble par un
nouveau soulvement en Maurtanie, ou plutt par une re-
prise des hostilits avec ces populations toujours insoumises,
qui ne reculaient jamais que dans lintention de regagner le
terrain perdu la premire occasion favorable. A en juger par
les documents qui nous permettent de la deviner, cette lutte
rclama lhabilet de gnraux expriments.
Sous Svre Alexandre, il est galement question dopra-
tions, diriges en Tingitane par Furius Celsus ; nous en ignorons
____________________
(1) Rm. Geschichte, V. p. 639, note 3 (XI, p. 373, note 1, de notre traduction.
(2) C. I. L. II, 4114.
(3) Itin. DAntonin, au dbut. Cf. Tissot, Gogr. compare de lAfri-
que, I, p.463.
(4) C. I. L., VIII, 9663: C. Fulcinio, M. f(ilio) Quir(ina tribu) Optato
flam(ini) Aug(usti) II vir(o) q(uin)q(uennali) qui inrup[ti]one Baquatium
co[l]oniam tuitus est
(5) Mommsen, Rm. Geschichte, loc. cit.
56 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

la date et le dtail(1). On continua aussi fortifier la ligne de


dfense au sud de la Tripolitaine(2).
Nous arrivons maintenant une priode de lhistoire
dAfrique profondment trouble, o les luttes contre les in-
vasions venant du dsert se compliquent de guerres intestines
plus terribles encore que les premires.
La rvolution qui appela Gordien lEmpire et celle qui
len priva sont bien connues et ont t maintes fois racontes.
Nous navons nous occuper ici que pour examiner les faits
darmes auxquels elle donna lieu et le rle quy jourent les
troupes dAfrique. Cette rvolution prsente avec celles qui
agitrent le monde romain la mme poque une diffrence
notable : ce nest point un soulvement militaire, une conspi-
ration de soldats portant leur gnral lEmpire pour en tirer
un don de joyeux avnement et battre monnaie de leur zle(3) :
cest une rvolte de paysans et de gros cultivateurs. Maximin
avait nomm procurateur du fisc en Afrique un personnage
avide et brutal, dont les exactions avaient soulev tout le pays.
Un jour quil se trouvait Thysdrus (el-Djem) avec le pro-
consul(4), tous deux sans doute en tourne, un certain nombre
de jeunes gens, suivis de leurs fermiers et de leurs esclaves,
____________________
(1) Vita Alexandri, 58 Actae sunt res feliciter et in Mauretania Tin-
gitana per Furium Celsum. Vers cette date se placerait, suivant certains
auteurs, une expdition heureuse dirige contre les Musulames et plusieurs
autres tribus par un gouverneur de Maurtanie, Claudius Constans (C. I. L.,
VIII, 20863 ; cf. Gsell, Ml. de Rome, 1894, p. 344.
(2) C. I. L., VIII, 1 et 2.
(3) Lassertion dEutrope (IX, 2) : Senior Gordianus, consensu mi-
litum princeps fuisset electus , est dmentie par tous les autres tmoi-
gnages, sauf celui dAurlius Victor (De Caes., 26) qui ne semble pas plus
acceptable : Repente Antonius Gordianus, Africae proconsul, ab exercitu
princeps apud Thysdri oppidum absens fit. Le rcit dHrodien doit tre
pris en plus grande considration. (Cf. Henzen, Annali, 1860, p. 59).
(4) Daprs Hrodien (VII, 4-6), toute la scne parait stre passe
Thysdrus mme ; Capitolin (Vita Gordiani, 7 et suiv.) dit que le meurtre du
procurateur eut lieu prs de Thysdrus et la proclamation du nouvel empereur
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 57

pntrrent dans la ville, cachant des armes sous leurs vte-


ments ou munis de ceux de leurs instruments de culture qui
pouvaient leur en tenir lieu, et mirent, mort le procurateur.
Le crime accompli, il fallait ou entrer en lutte avec le procon-
sul, qui ne pouvait faire autrement que de chtier les coupa-
bles, ou le gagner : ce dernier parti tait le plus sr. On le salua
empereur, malgr sa rsistance, et on le ramena en triomphe
Carthage. Avec lui marchaient quelques soldats, sans doute
ceux qui formaient son escorte et celle du procurateur(1), et
les jeunes gens qui lavaient lev lEmpire, accompagns
probablement de leurs partisans. (Ides de fvrier(2), mars(3), ou
commencement davril 238(4).)
Arriv Carthage, Gordien envoya une dputation au
____________________
dans la ville. Daprs le mme auteur (Vita Maximini, 14), les deux faits se
produisirent prs de Thysdrus.
(1) Il est question de ces soldats avec quelque prcision dans Hro-
dien, lorsquil raconte le massacre du procurateur. Les soldats qui taient
autour de lui, dit-il (ch. 4, 6), ayant tir lpe et voulant venger sa mort, les
paysans les chassrent coups de bton et de hache. Ces soldats apparte-
naient peut-tre la cohorte urbaine qui avait un dtachement Carthage
(voir plus bas). Capitolin (Vita Gordiani, 7) semble prtendre, au contraire,
que les soldats aidrent les rvolts tuer le procurateur : Adjunctis sibi
plerisque militibus occiderunt . Ailleurs (Vita Maximini, 14), les deux ver-
sions sont mlanges, autant quon peut le conclure, dun texte certainement
corrompu : Hic (procurator) per rusticanam plebem deinde et quosdam mi-
lites interemptus est per eos (corr. pulsis ?) qui rationalem in honorem Maxi-
mini defendebant. Quant aux soldats qui formaient lescorte du proconsul, il
est impossible de ne pas admettre a priori leur prsence auprs de Gordien ;
de plus, elle est prouve par le fait quon aurait arrach, pour le couvrir, en
le saluant empereur, la pourpre des vexilla (Capitol., Vita Gordiani, 8) : un
vexillum suppose une vexillatio. Ce sont eux, je pense, que Capitolin signale
sous le nom de protectores (Vita Maximini, 41) parmi ceux qui accompagn-
rent Gordien dans sa marche sur Carthage.
(2) Joh. Mller, De M. Antonio Gordiano III Romanorum imperatore,
Mnster, 1883, in-8, p. 1 et 11 ; cf. von Rohden, dans Pauly-Wissowa, Rea-
lencycl, col. 2630 et 2631.
(3) Seeek, Rhein. Museum, XLI (1886), p. 161 et suiv.
(4) Lhrer, De C. Julio Vero Maximino Rom. imper., Mnster, 1883, in-8, p. 42.
58 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Snat qui, flatt de cette dfrence, le reconnut immdiate-


ment.
Cependant llvation de Gordien tait luvre de
lAfrique proconsulaire seule : la Numidie et la Maurtanie
navaient pas t consultes ; or Maximin y avait des amis
dvous. Du nombre tait Capellien, personnage dordre s-
natorial, suivant Hrodien, le seul auteur qui nous donne
son sujet des renseignements peu prs comprhensibles, et
gouverneur de la Numidie, qui disposait par consquent de la
lgion IIIe Auguste et de ses auxiliaires(1). Gordien le rvo-
qua. Au lieu de se soumettre, Capellien marcha contre Car-
thage avec larme rgulire ; une lutte sengagea o les trou-
pes qui combattaient pour les nouveaux empereurs, bien que
suprieures en nombre(2), furent crases. Les deux Gordien
trouvrent la mort pendant ou aprs la lutte ; ils avaient rgn
vingt jours. Maximin tait redevenu seul matre de lEmpire.
Comme toujours en pareil cas, une raction terrible se pro-
duisit les proscriptions, les meurtres, le pillage des villes et
des temples marqurent le triomphe de Capellien(3).
Cependant Maximin ne tarda pas prir, sous les murs
dAquile, de la main de ses propres soldats. Pupien qui lavait
____________________
(1) Sur les textes relatifs Capellien et la faon dont ils ont t inter-
prts, voir plus bas le chapitre relatif lhistoire de la lgion IIIe Auguste.
(2) On peut, peu prs, tablir quelles taient les forces dont les Gor-
dien disposaient ; comme soldats rguliers, ils navaient gure que le d-
tachement qui tait mis la disposition du proconsul par le gouverneur de
Numidie, celui de la cohorte urbaine qui tait caserne Carthage et la mi-
lice municipale de cette ville, sil y en avait une. Mais les habitants avaient
aussi pris les armes, ou du moins staient arms de tout ce quils trouvaient,
poignards, haches, pieux, morceaux de bois pointus ; ctaient eux, au dire
dHrodien (VII, 9, 6), qui formaient le gros des forces que les Gordien op-
posrent larme de Capellien.
(3) Hrodian., VII., 9, 11 ; Vita Maximini, 19 ; Vita Gordiani, 15, 16 ;
C. I. L., VII, 2170 : Aemilius Severinus qui et Phillyrio v(ixit) a(nnis)
XLVI p(lus) m(inus) et pro amore romano quievit ab hoc Capeliano captus.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 59

vaincu et son collgue Balbin, que le Snat avait reconnus


la mort de Gordien 1er, ne lui survcurent pas longtemps, et
le pouvoir passa entre les mains du jeune Gordien III, petit-
fils du proconsul qui avait si misrablement fini sous les murs
de Carthage.
Cest cette date que la lgion IIIe Auguste disparut de
lAfrique o elle tait installe depuis deux cent cinquante
ans. Nous chercherons plus loin quel moment prcis elle
quitta la province, et nous verrons si elle y fut remplace par
une autre lgion.
Lavnement de Gordien III tait salu de tous cts
dans le pays par des cris de joie ; mais, cette poque o
lEmpire semblait la proie du plus audacieux, on ne pouvait
gure compter sur la fidlit de tous. Un nouveau proconsul
dAfrique, Sabinien, voulut en 240 se faire proclamer empe-
reur. Gordien fit appel, suivant son biographe, au procurateur
de Maurtanie: celui-ci marcha la tte de ses troupes contre
Sabinien, et les Carthaginois le lui livrrent pour obtenir leur
pardon(1).
Pendant la priode de troubles dont nous venons de ra-
conter rapidement les principaux vnements et dans les an-
nes qui suivirent immdiatement, il nest nulle part question
dexpditions diriges contre les Barbares, bien que ltat des
provinces africaines et les rvolutions dont elles taient le
thtre leur offrissent une excellente occasion de recommen-
cer leurs incursions.
On peut peut-tre conclure de certains indices(2) que
loccupation romaine stait avance vers le Sud, ce qui dut
ncessiter des combats contre les Maures ; mais on en est r-
duit sur ce point de simples conjectures. Dans le nord de la
____________________
(1) Vita Gordiani, 23.
(2) La Blanchre, Voyage dtude dans la Maurtanie Csarienne (Ar-
chives des missions scientifiques, 3e srie, X, p. 77).
60 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

province, au contraire, trois inscriptions signalent la paix qui r-


gnait alors et la confiance quelle inspirait aux populations(1).
Il faut arriver lanne 253 pour trouver des documents
prcis. A cette poque clata dans toute lAfrique une insur-
rection qui fut certainement trs srieuse. Nous en trouvons
des traces dans une lettre de saint Cyprien aux vques de
Numidie, o il dplore la captivit des fidles prisonniers des
Barbares(2), et dans le bulletin de victoire rdig lanne sui-
vante par un procurateur de Maurtanie, M. Aurelius Vitalis :
celui-ci sunit un dcurion de laile des Thraces pour rendre
grce aux dieux immortels : ob barbaros cesos ac fusos .
Linscription a t trouve An-bou-Dib et est date des ides
daot(3). Au mme soulvement se rapporte aussi peut-tre
lloge dcern sur sa tombe un citoyen dAuzia, comman-
dant dun corps de cavalerie maure, qui y est appel defen-
sor provinciae suae(4) . Ce monument na t ddi que le
16 fvrier 255, pour une raison particulire mentionne dans
linscription ; mais les faits quil nous rvle sont, au plus
tard, de 254(5). Ainsi, en Maurtanie comme en Numidie, on
avait lutter, cette date, contre les Barbares.
____________________
(1) C. I. L., VIII, 20487 (An-Melloul) ; 20602 (Bel-Imour) ; Ml.
Perrot, p. 37 (Kherbet-Ksar-Tir). Ces trois textes portent la formule : nunc
reparatis ac fotis viribus, fiducia pacis hortante (date : 240/ 244).
(2) Cyprian., Epist., LXII (p. 698, d. Hartel).
(3) Ibid., 20827.
(4) C. I. L., VIII, 9045: P. Ael(io), P. f(ilio) Q(uirina tribu) Primiano
eq(uiti) r(omano) pr(ae)p(osito) vex(illationi) eq(uitum) Mauror(um) defen-
sori prov(inciae) suae... P. Aelius Primus dec(urio) col(oniae) Auz(iensis) prius
morte praeventus quam ded(icaret) pat(ri) piissimo ; Ael(ia) Audi f(ecit) f(ilia)
p(atri) d(e)d(icavit)que XIII kal. Mar(tias) (anno) pr(ovinciae) CCXVI.
(5) La destruction des murailles de Rapidi peut, comme le pense M.
Masqueray (Bullet. de Corr. afric., I, p.255 et suiv.), tre de cette poque,
mais il est vident quelle peut aussi tre rapporte il une poque postrieu-
re ; il est impossible de se prononcer sur de semblables dtails, quand on ne
possde pas de documents prcis qui permettent de les dater.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 61

Ceux qui se sont occups de cette insurrection(1) veu-


lent quelle ait eu pour cause le rappel de la lgion XXIIe
Primigenia qui, depuis 238, aurait camp en Maurtanie,
Cartennas (Tns) ou ailleurs(2). Le dpart de cette force im-
posante aurait laiss supposer aux indignes que Rome ve-
nait dprouver en Europe une dfaite gnrale, et permis
quelques meneurs ennemis de la domination romaine dexci-
ter les esprits et de soulever les populations. On ne peut pas
contredire absolument celte hypothse, bien quon y sente
un souvenir de ce qui stait pass lpoque de Tacfarinas et
de ce qui sest produit plus dune fois dans lAlgrie moder-
ne, plutt quune opinion tablie sur des arguments positifs
; mais on peut tout au moins y faire de srieuses objections.
Le rappel de la lgion XXIIe Primigenia nayant t, dans
cette hypothse, que le rsultat du retour de la IIIe Auguste
Lambse, il est peu probable que la Maurtanie ait t impru-
demment dgarnie tout coup du ct de la frontire et mme
lintrieur, et que, par suite, les indignes aient eu le loisir
de prter loreille aux discours des sditieux ; en outre, leffet
moral que pouvait produire le rappel de la XXIIe lgion tait
compens par celui que le retour de la IIIe avait d causer.
Les troubles de 253 sont donc bien plus vraisemblablement
le rsultat dune de ces pousses de Barbares, comme il sen
produisait de temps autre au sud du territoire romain, quel
que ft ltat du corps doccupation.
Vers la fin de lanne 253, la lgion IIIe Auguste tait
rentre dans son quartier de Lambse(3) ; elle avait repris ses
anciennes habitudes, occup de nouveau tous les postes de la
____________________
(1) Masqueray, loc. cit., p. 255.
(2) Sur cette question controverse, voir plus bas le chapitre relatif
la composition de larme de Maurtanie.
(3) Voir plus bas lhistoire de la lgion IIIe Auguste et ce qui sera dit
sur la date exacte de sa reconstitution.
62 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

frontire ; elle tait prte entrer en campagne, si son inter-


vention devenait ncessaire.
Cest ce qui ne tarda pas arriver(1). Dans le massif du Ba-
bor, ou aux environs, cest--dire entre loued Sahel et loued
el-Kebir, habitaient des montagnards appels Babares, dont
nous trouverons encore plus loin la mention. Quatre chefs de
ce peuple, quatre rois, comme il est dit dans linscription qui
nous transmet le fait(2), sunirent entre eux pour envahir la Nu-
midie ; ils se joignirent aux Quinquegentanei, runion de cinq
tribus dont le nom particulier comme la position ont donn
lieu de nombreuses discussions. Le cosmographe Ethicus
les place entre Bougie et Dellys(3), cest--dire entre le Djur-
jura et la mer, et les auteurs les plus srieux qui on t crit sur
la question(4) sont peu prs daccord pour comprendre sous
ce nom : 1 les Masinissenses (auj. les Msina ou Imsissen, sur
la rive droite de loued Sahel) ; 2 les Tyndenses, qui auraient
occup le territoire des Fenaa, des Beni-Oughli et des At-
Ameur ; 3 les Isaflenses (auj. les Flissa) ; 4 les Jubaleni,
qui seraient les Zouaoua du Djurjura ; 5 les Jesalenses ou
Jesaleni, qui auraient occup le pays louest des Zouaoua(5).
____________________
(1) Le soulvement de 253-254 est-il le mme que celui qui donna lieu
la grande expdition de 259, termine par la chute de Faraxen ? Autrement dit, la
rvolte dura-t-elle pendant cinq ans en Maurtanie ? Cest ce que ceux qui se sont
occups de la question, M. Masqueray, (Bulletin de, Corr., afric., I, p. 255 et suiv.
et, daprs lui, M. Jullian (Bull. des Antiq. afric., I, 1881, p. 275) nhsitent pas
admettre. Mais rien ne le prouve. En ralit, elle y tait toujours latente et se mani-
festait de temps autre, suivant les circonstances, par des clats soudains.
(2) C. I. L., VIII, 2615. Le texte de linscription ligure la note 3 de la
page suivante.
(3) Geogr. Min. (Ed. Riese), p. 88 : Rusiccade, Calli (= Chullu), Sal-
dis, Quinquegentiani, Rusucurra, Tipasa , etc.
(4) Berbrugger, poques militaires de la Grande-Kabylie, Alger, 1857,
in-12, p. 217 et suiv. ; Poulle, Rec. de Constantine, XII, p. 706 et 707. Cf.
Marquardt, Staatsverwaltung, I, 483, note 9, qui donne sur le nom mme des
dtails intressants,
(5) Cf. Tissot, Gogr. compare de lAfrique, I, p. 464. Toutes ces identifications
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 63

Ces tribus jourent un grand rle dans les guerres postrieures


que nous aurons raconter. De plus, Babares et Quinquegen-
tanei entranrent avec eux un chef de tribu nomm Faraxen,
qui leur apporta lappui de ses bandes (gentiles Fraxinenses).
Celles-ci occupaient, suivant M. Masqueray(1), le massif des
Beni-Abbs et ntaient pas, comme la avanc M. Berbrug-
ger(2), les anctres des Beni-Fraoucen, une des principales tri-
bus de la Grande-Kabylie. Toute cette foule envahit la Numi-
die. Le lgat tait alors C. Macrinius Decianus. Les Babares,
plus rapprochs de la frontire orientale, entrrent sans doute
les premiers en campagne ; ils suivirent la valle de loued
Endja, affluent de loued el-Kebir, qui passe presque au pied
du Babor, et pntrrent jusqu Mila. Le lgat les y dfit
compltement ; ils se replirent alors sur la Maurtanie. Une
seconde rencontre eut lieu sur la frontire des deux provinces,
et lavantage resta aux Romains pour la deuxime fois. Peu
aprs, les Quinquegentanei et Faraxen, qui eux aussi avaient
envahi la Numidie sans quon puisse dire par quel ct, fu-
rent pareillement dfaits(3).
Cest alors, sans doute, quintervint un certain Q. Gar-
gilius Martialis dAuzia (Aumale), dont nous avons conserv
lpitaphe. A la tte de la cavalerie lgre quil commandait (co-
hors, singularium, vexillatio equitum Maurorum), il poursuivit
____________________
reposent sur des similitudes avec certains noms modernes dont il ne faut ni
rabaisser, ni exagrer la valeur.
(1) Bull. de Corresp. Afric., I, p. 257.
(2) poques militaires de la Grande-Kabylie, p. 212 ; Cat, Essai sur la
province romaine de Maurtanie Csarienne, p, 72.
(3) C. I. L., VIII, 2615 : J(ovi) O(ptimo) M(aximo) ceterisq(ue) diis
deabusq(ue) immortalib(us), C. Macrinius Decianus v(ir) c(larissimus) leg(atus)
Aug(ustorum duorum) pro pr(aetore) provinc(iarum) Numidiae et Norici, Bavaribus
qui adunatis IIII regibus in prov(inciam) Numidiam inruperant primum in regione
Millevitana iterato in confinio Mauretaniae et Numidiae, tertio Quinquegentaneis
gentilibus Mauretaniae Caesariensis item gentilibus Fraxinensibus qui provinciam
Numidiam vastabant, capto fainosissimo duce eorum, caesis fugatisque.
64 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Faraxen avec ceux qui laccompagnaient et fut assez heureux


pour sen emparer et le mettre mort ; mais ce succs eut un
triste lendemain : le vainqueur tomba bientt aprs dans une
embuscade de Babares et y prit(1).
La chute de Faraxen est, au plus tard, de 260(2) ; mais
elle peut tre de 259, ce qui place le soulvement que nous
venons de raconter dans les annes qui prcdent. Les dif-
frentes dfaites que subirent les rebelles leur ayant t in-
fliges par le mme lgat, il est peu probable que lirruption
des Babares en Numidie ait t beaucoup antrieure 258 ; il
tait trs rare, en effet, quun lgat de Numidie restt plus de
trois ans la tte de la province, mais il arrivait frquemment
quil y demeurai beaucoup moins longtemps(3).
Lpitaphe de Q. Gargilius Martialis prouve que la mort
de Faraxen ne mit pas immdiatement fin la guerre(4).
Il est remarquer que ce soulvement des Maures est tout
fait diffrent de ceux que nous avons eu loccasion de signa-
ler jusquici : ce nest pas une incursion de pillards cherchant
forcer les lignes romaines pour butiner et regagner ensuite le
dsert ; si la rgion montagneuse quhabitaient les populations
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9047 : Q. Gargilio Q. f(ilio) Q(uirina tribu) Mar-
tiali eq(uiti) romano) praep(osito) coh(ortis) sing(ularium) et vex(illationi)
[e]q(uitum) Mauror(um) in territorio [A]uziensi praetendentium, dec(urioni)
duarum col(oniarum) Auziensis et Rusguniensis e pat(rono) prov[inciae], ob
insignem in cives amorem et singularem erga patriam adfectionem et quod
ejus virtute ac vigilantia Faraxen rebellis cum satellitibus suis fuerit captus
et interfectus, ordo col(oniae) Auziensis insidiis Bavarum decepto p(ecunia)
p(ublica) f(ecit) D(e)d(icata) VIII kal. Apr. (anno) pr(ovinciae) CCXXXI
(26 mars 260). A ce mme soulvement se rapporterait, suivant M. Hron de
Villefosse, un texte trs mutil de Lamoricire (C. I. L., VIII, 21724), rela-
tant la victoire dun prfet en 257.
(2) Cest la date qui est donne au n 9047 du Corpus.
(3) Voir plus bas ce qui sera dit du lgat de Numidie.
(4) Sur cet pisode de lhistoire militaire dAfrique, on peut voir aussi,
dans les Leipziger Studien de 1887, p. 319 et suiv., un travail de M. Cichorius
Gargilius Martialis und die Maurenkriege unter Gallienus.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 65

insurges ntait pas absolument soumise, du moins tait-elle


situe en plein pays conquis et, par consquent, troitement
surveille. Si donc une prise darmes aussi importante que
celle de 258/260 a pu se produire, cest quil y avait quelque
cause grave ces vnements. On a fait remarquer(1) quelle
concidait avec la perscution de Valrien, dont beaucoup de
victimes eurent souffrir en Afrique(2). Il nest pas impossible
que le mcontentement des chrtiens ait trouv un cho chez
les populations de la montagne, toujours prtes relever la
tte.
Pendant prs de trente ans, il nest plus question dans
lhistoire de rvoltes en Afrique ; ce nest pas quelle ft com-
pltement labri des dsordres, car les Francs, aprs avoir
travers la Gaule, envahirent lEspagne et se portrent de
l en Maurtanie, comme le raconte Aurelius Victor(3), sans
quon sache comment ils en furent chasss ; mais il semble
quil ny ait pas eu dans cette priode de grand soulvement
combattre(4). A peine trouve-t-on une ou deux fois une allu-
sion lAfrique, dans les maigres histoires qui nous ont gard
le souvenir de ces poques troubles ; les inscriptions sont
galement muettes ce moment, Une seule fait exception :
il y est question dune expdition dirige contre les tribus
de lAurs, sans doute, ou des contres mridionales de la
Numidie, par un certain Flavius Leontius, vir perfectissimus,
____________________
(1) Ragot, Rec. de Constantine, XVII, 1875, p. 210.
(2) Cf. les actes proconsulaires du martre de saint Cyprien et quelques-
unes de ses lettres. Voir sur celte question : P. Monceaux, Histoire littraire
de lAfrique chrtienne, II, p. 232 et suiv.
(3) De Caes., 33. Cf. Morcelli, Afr. christ., II, p. 161, qui rapporte le
fait lanne 266. M. Pallu de Lessert a consacr trois pages cette question
(Rec. de Constantine, XXV, 1888, p. 154 et suivantes).
(4) Cf. Vita Saturnini, 9 : Ego a Mauris obsessam Africam reddidi.
Cette phrase, prononce par Saturnin lui-mme, ne doit pas tre prise la
lettre ; mais elle dnote au moins des troubles passagers.
66 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

dux per Africam. Linscription qui nous fait connatre ce


menu fait(1) semble tre postrieure lanne 283, o le pre-
mier praeses civil apparat en Numidie, et antrieure Dio-
cltien.
Peu de temps aprs que celui-ci fut mont sur le trne, la
Maurtanie fut de nouveau agite par une insurrection, plus
violente encore que les prcdentes. Suivant Eusbe(2), le
mouvement aurait commenc vers 289. Une premire campa-
gne, qui parat avoir eu pour thtre la valle de loued Sahel,
ravage par les rvolts, fut assez heureuse, et lon put croire
un instant que la paix tait rendue lAfrique(3). Nanmoins
la guerre allait continuer ; on possde des textes dats de 29(4)
et de 292(5), desquels il rsulte clairement que la situation tait
toujours la mme ; elle stait mme fortement aggrave, et
toutes les frontires taient attaques. Un certain prtendant,
Julianus, sur lequel on na aucune autre donne, profitait du
dsordre gnral pour afficher ses ambitions(6). Cest alors que
Diocltien, partageant lEmpire avec Maximien, lui confia le
soin de gouverner lItalie et lAfrique et de ramener le calme
____________________
(1) C. I. L., VIII, 18219. Voir, pour la date de ce texte, ce qui sera dit plus bas des
ducs.
(2) Chr. Can., p. 187. (Ed. Schne.)
(3) C. I. L., VIII, 9041 [Jub]ente divina ma[je]state Diocletiani [et Maxi]miani
Augg. pontem belli saevitia destructum nune reddita pace per Aurelium Lituam v. p. p. p.
N. restitutum instantia, Flavi disp. [e]or et Julior... (anno) pr. CCLI (an. 290). Cest
peut-tre cette date quil convient de rapporter la destruction des murs de Rapidi. (Ibid. ;
VIII, 20836.)
(4) Mamertin, Panegyr. Genet., 16 : Sed etiam sub ipso lucis occasu, qua Tin-
gitano littori Calpetani montes obvium latus in Mediterraneos sinus admittit Oceanum,
ruunt omnes in sanguinem suum populi Cf. 17 : Furit in viscera sua gens effrena
Maurorum.
(5) Oros.. Hist., VII, 25 : Carausio rebellante... cum et Africain Quinquegentanei
infestarent hoc periculo Diocletianus permotus Herculeum ex Caesare fecit Augustum,
Constantium vero et Maximianum Galerium Caesares legit.
(6) Aur. Victor, De Caes., 39 : Africam Julianus ac nationes Quin-
quegentanae graviter quatiebant. Cf. Pallu de Lessert, Fastes de Numidie,
p. 169 et suiv.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 67

dans cette dernire province. Lennemi y tait, comme par


le pass, cette runion de tribus qui occupaient le Djurjura
et les plaines situes entre loued Sahel, loued el-Kebir et
le Hodna, cest--dire les Quinquegentanei et les Babares ;
mais cette fois les Babares du Babor avaient trouv des allis
dans ceux de leurs frres qui campaient au sud des chotts, et
il fallut aller les chercher ou les poursuivre jusque-l. Cest
le gouverneur Aurelius Litua qui conduisit lopration(1).
Il remporta un succs complet, razzia les rebelles et revint
Csare sans avoir fait de pertes sensibles. Restaient les
Quinquegentanei. Rassemblant toutes les troupes cantonnes
en Maurtanie dont il pouvait disposer (tam. ex Mauretania
Caesariensi quam etiam de Sitifensi), il marcha contre eux, en
tua un grand nombre, fit beaucoup de prisonniers, leur enleva
un riche butin et rentra vainqueur pour la seconde fois dans
sa province(2). Les dates quil faut assigner ces deux campa-
gnes sont assez difficiles dterminer exactement, mais il est
vraisemblable quon doit les placer en 291 ou dans les annes
qui suivent immdiatement(3).
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9324 ; Jovi Optimo Maximo ceterisque Dis im-
mortalibus gratum referens quod erasis funditus Babaris transtagnensibus se-
cunda praeda facta salvus et incolumis cum omnib. Militibus dd. un. Diocle-
tiani et Maximiani Augg. regressus [C.], Aurel. Litua v(ir) p(erfectissimus)
p(raeses) p(rovinciae) M(auretaniae) C(aesariensis) votum libens posui.
(2) C. I. L., VIII, 8924 : J(ovi) O(ptimo) M(aximo) Junoni ceteris-
que diis immortalibus gratiam referens quod coadunatis secum militibus dd.
nn. invictissimorum Augg. tam ex Mauret. Caes. quam etiam de Sitifensi
adgressus Quinquegentaneos rebelles caesos multos etiam et vivos adpre-
hensos sed et praedas actas repressa desperatione eorum victoriam reporta-
verit Aurel. Litua v(ir) p(erfectissimus) p(raeses) p(rovinciae M(auretaniae)
Caes(ariensis).
(3) Il est impossible de supposer ces victoires antrieures lanne
290, o, suivant une inscription dj cite (p. 67, note 3), la paix semblait
rendue lAfrique. En effet, en 288, le gouverneur de Maurtanie tait en-
core Flavius Pecuarius (C. I. L., VIII, 8474). Aurelius Litua ne lui succde
quen289, et il tait encore en charge aprs le partage de lEmpire, au 1er mars
68 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Ce nest point dire que le calme ft rtabli : la rvolte


tranait en longueur. Aussi Maximien, aprs sa campagne de
Gaule et de Germanie, o il se trouvait en lanne 296, alors que
Constance tait en Angleterre(1), passa-t-il lui-mme en Afrique
pour mettre fin aux troubles. Sil faut en croire lauteur de son
pangyrique et les historiens de cette poque, qui semblent tous
dailleurs avoir puis la mme source, il pntra dans les mon-
tagnes inaccessibles o lennemi tait retranch, len dlogea et
le rduisit accepter ou demander la paix. Il dporta mme
quelques-uns des rebelles dans dautres parties du pays(2). Ces
succs doivent se placer dans les annes 297 et 298(3).
____________________
292 (Ibid., 20215). Ses victoires sont donc ou de 289-290 ou de 292 et des
annes suivantes. Nest-il pas bien plus naturel de les rapporter une date on
nous savons, par dautres sources, que la Maurtanie tait en feu, que de les
accumuler dans lanne 289 ?
(1) Schiller, Geschichte der rm. Kaiserzeit II, p. 133 et suiv.
(2) Incerti panegyricus Maximiano et Constantino, 8 (prononc en 307) :
Tu ferocissimos Mauritaniae populos inaccessis montium jugis et naturali mu-
nitione sedentes expugnasti, recepisti, transtalisti ; Eutrop., IX, 23 : Maxi-
mianus quoque Augustus bellum in Africa profligavit, domitis Quinquegentianis,
et ad pacem redactis. Cf. Zonaras, XII, 31, qui est une copie dEutrope ; Oros.,
Hist., VII, 25 : At Maximianus Aug. Quinquegentianos in Africa domuit ;
Eumen., Or. pro restaurandis scolis, 21 : Aut te, Maximiane invicte, perculsa
Maurorum agmina fulminantem. On possderait daprs M. Jullian (Bull. des
Antiquits africaines, II, p. 270) la tombe dun soldat de la troisime cohorte
prtorienne venu en Afrique avec Maximien (C. I. L., VIII, 21021).
(3) Incerti panegyricus Constantio Caes., 5 : Reservetur nuntiis
jamjamque venientibus Mauris immissa vastatio. On pense que ce pan-
gyrique a t prononc en 297, parce que lauteur y parle des victoires de
Diocltien en gypte, qui sont de 277 daprs Eusbe, mais non pas de celles
de Galre sur les Perses quon rapporte aussi la mme anne. (Cf. Tille-
mont, IV, p. 37.) Eutrope (IX, 23) prsente galement la guerre de Maur-
tanie comme contemporaine de lexpdition de Diocltien contre Achille,
Alexandrie. Il convient sans doute de placer la mme poque plusieurs
bulletins de victoire rdigs par des gouverneurs de, Maurtanie la suite
de succs dont il nest pas possible de dterminer la date exacte : 1 C. I. L.,
VIII, 21486 ( Affreville) : ob prostatam gentem Bavarum Mesegneitsium
praedasque omnes ac familias eorum abductas ; 2 Rec. de Constantine,
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 69

En mme temps, il marchait contre un autre peuple dont


on ne connat pas la position exacte, mais qui habitait sans
doute du ct des Syrtes, les Hasguas ou Hilaguas(1) ; on dit
que lexpdition ne russit pas(2).
Nanmoins la paix semblait rendue la malheureuse
Afrique(3), et Maximien pouvait aller tranquillement Rome
partager les honneurs du triomphe avec Diocltien (an 303(4).
Il donna des ordres pour quaprs son dpart on achevt son
uvre de pacification, pour que les dsastres que la guerre
avait causs fussent rpars(5) et des mesures de prcaution
prises pour lavenir. Cest ainsi quil fit tablir des greniers
Tupusuctu(6), afin dassurer dsormais le ravitaillement des
troupes qui devaient surveiller la Kabylie. En mme temps,
____________________
XLII (1906, p. 112 ; Bavaribus rebellibus et in [p]riori praesidatu [e]t post in du-
catu ; cf. le commentaire de. M. Gsell ; 3 Bull. du Comit, 1907, p. CCXXIX :
Bavarrungentes quorum omnis multitudo prostrata est, interfectis Taganin Masmule
et Fa. em regibus, adprehensis etiam Afra A a con[I]ectis regalibus...
(1) Cf. Tissot, Gogr. compare de la province dAfrique, I, p. 68.
(2) Corripus, Johann., I, 478.
(3) Sur cette guerre des Quinquegentanei et la date quil convient de lui
assigner, cf. Poulle, Rec. de Constantine VI, p. 172 et suiv., et XX, p. 260 et
suiv. Voir aussi Schiller, op. cit., II, p. 136.
(4) Un texte hagiographique (Passio S. Tipasii veterani dans les Analecta
Bollandiana, IX, p. 116 et suiv.) raconte, pour le besoin de sa cause, que Maxi-
mien, seul avec sept hommes, dfit les Quinquegentanei et leur inspira une telle
crainte, quils lui demandrent aussitt la paix. Les pangyristes de lempereur
nont jamais t jusque-l.
(5) C. I. L., VIII, 20836: [Imp. Caes. C. Val. Aur.] Diocletianus et
[Imp. Caes. M. Aur. Val. M]aximianus et [Flavius Val. Constant]ius et Ga-
ler. Val Maximianus municipium Rapidense ante plurima tempora rebellium
incursione captum ac dirutum restituerunt curante U[l]pio Apollonio v. e.
p(raeside) p(rovinciae) Mauretaniae C(aesariensis)..
(6) C. I. L., VIII, 8836, Tupusuctu : [DD. nn. Diocletianu]s et Maxi-
mianus seniores Aug. et [dd. nn. Constantius et Maximianus In]victi Imperato-
res et [Severus et Maximianus nobili]ssimi Caesares [quo tempore d. n. Maxim]
ianus Invictus senior Aug. feliciter [comprimens turbas Quinquage]ntaneorum
ex Tubusuctitana [regione copiis juva]retur, horrea in Tubusuctitana [civitate
fieri] praeceperunt anno pro(vinciae) CCLXV (an. 304).
70 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

il compltait par des soldats prouvs les cadres de lar-


me(1).
Le rgne de Diocltien est marqu par la rorganisation
des provinces africaines dont nous aurons reparler plus lon-
guement dans la suite de ce travail. Le seul fait sur lequel
nous voulions insister ici est la division de la Maurtanie en
deux portions : la Stifienne, avec Stif comme capitale, et
la Csarienne, avec Csare pour chef-lieu. En mme temps,
les procurateurs de ces deux provinces nont plus soccuper
que du civil, le gouvernement militaire tant rserv des
officiers particuliers. Aurelius Litua est le dernier praeses,
daprs les inscriptions, qui ait eu un pouvoir militaire entre
les mains, et encore ne la-t-il longtemps conserv que pour
lui permettre de terminer une campagne quil avait heureu-
sement commence. Aprs lui, tous les praesides que nous
rencontrons sont des magistrats civils, et lautorit militaire
est passe en dautres mains(2),
La date de cette sparation de la Maurtanie Csarienne
en deux parties est, comme celle des expditions dAurelius
Litua, imparfaitement connue. Elle se place vraisemblable-
ment en 293(3).
Aprs labdication de Diocltien et de Maximien, lAfrique
chut Constance Chlore ; celui-ci en abandonna dadministra-
____________________
(1) Le texte hagiographique prcdemment cit nous apprend ( 4 et 5)
quon rappela au service A cette poque les vtrans et quon les versa dans
leurs anciens corps : Modo praeceptum venit imperatorum nostrorum Dio-
cletiani et Maximiani ut omnes veterani ad signa propria revocarentur. Cet
ordre est prsent par lhagiographe comme venu en mme temps que celui qui
ordonnait de poursuivre les chrtiens. La crainte de voir le pays se soulever,
propos de la perscution, fut peut-tre la vraie raison de cette mesure,
(2) Cf. pourtant ce qui sera dit plus bas propos dun gouverneur nomm
Claudius, cit dans le rcit du martyre de saint Tipasius.
(3) Cf. Poulle, Rec. de Constantine, 1862, p. 180 et 181, et XVIII, 1876-
1877, p. 495. Jai trait, de mon ct, question dans les Mlanges Havet, p. 70
et suiv.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 71

tion Galre, qui la plaa sous lautorit de Svre. Mais,


ds lanne suivante, Maxence, fils de Maximien, le vain-
queur des Quinquegentanei, le pacificateur de lAfrique,
se fit dclarer empereur. Cependant linfluence de Galre
continuait dominer dans le pays, et lon ne voulut pas re-
connatre le nouvel Auguste ; ceux quil avait envoys en
Afrique et Carthage pour y porter ses images trouvrent
une vive rsistance, surtout parmi les soldats. Maxence r-
solut de les y obliger par la force. Apprenant quil allait ar-
river avec une arme, les troupes voulurent se retirer vers
Alexandrie : elles espraient sans doute y rejoindre les sol-
dats de Maximin Daza, ami de Galre ; mais, ainsi que M.
Poulle(1) la suppos avec vraisemblance, elles furent sans
doute arrtes en Tripolitaine par les garnisons locales fid-
les Maxence ; elles revinrent Carthage aussi hostiles ce
prince quelles en taient sorties. Cette sdition, toute mili-
taire, navait pas empch le reste du pays de se soumettre
lempereur Zosime, qui raconte ces vnements(2), nindi-
que pas clairement quels taient ces soldats de Carthage (
).
Il y avait alors dans la ville, comme vicaire dAfrique, un
personnage nomm Alexandre. Maxence ne savait sil tenait
pour lui ou pour Galre ; aussi, avant de passer en Afrique, lui
demanda-t-il de lui donner son fils en otage. Cette demande,
o Alexandre voyait un pige, fut repousse. En mme temps
courait le bruit, vrai ou faux, que des missaires de lempe-
reur taient venus pour tuer le vicaire et nattendaient quune
occasion favorable. Il nen fallut pas davantage : cdant aux
sollicitations de ses troupes, celui-ci revtit la pourpre (308)(3).
____________________
(1) Rec. de Constantine, XVIII, 1876-1877, p. 474.
(2) Zosim., Hist., II, 12.
(3) Cf., sur la question, J. Maurice, Mm. de la Soc. des Antiquaires de
France, LXI, 1900, p. 1 et suiv.
72 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Quelques-uns pensent que toutes les provinces de lAfrique


septentrionale, mme les Maurtanies, lavaient reconnu ;
mais cette assertion soulve de grosses difficults(1). En tout
cas, ce fut seulement en 311, au printemps, que Maxence,
occup dautres soins jusqualors, se dcida reconqurir
lAfrique. Il rassembla quelques troupes, peu importantes
dailleurs, parat-il, et les envoya contre lusurpateur sous la
conduite de Rufius Volusianus, son prfet du prtoire, et de
Znas, gnral expriment(2). Les soldats dAlexandre se d-
bandrent au premier choc, lui-mme fut pris et trangl. A la
suite de cette victoire, le pays fut durement trait par le vain-
queur : les plus belles villes, Carthage et Cirta notamment(3),
furent pilles et incendies, cette dernire aprs un sige assez
srieux(4). Maxence se fit dcerner les honneurs du triomphe
pour ses succs en Afrique, o il navait point paru ; mais ses
rigueurs lavaient rendu odieux toute la population.
Aussi lorsque, deux ans aprs, la lutte clata entre lui et son
collgue Constantin, la sympathie des Africains tait acquise
celui-ci. Maxence pouvait bien disposer officiellement de
lAfrique et de ses ressources militaires considrables, de ses
bls et de ses soldats ; il pouvait aligner quarante mille Maures
____________________
(1) Poulle, Rec. de Constantine, XVIII, p. 1875-1876-1876. Les rai-
sonnements sur lesquels M. Poulle a tabli cette conclusion sont trs instruc-
tifs ; le fait est certain pour lAfrique, o il a t trouv des bornes milliaires
au nom dAlexandre (C. I. L., VIII, 21959, 27183), et pour une partie de la
Numidie, la partie septentrionale, dont Cirta tait la capitale. Mais si lauto-
rit de ce tyran stait tendue sur les provinces militaires de lAfrique, com-
ment concevoir sa dfaite si rapide et la lchet de ses troupes en prsence
dun ennemi peu nombreux
(2) On aimerait savoir le rle que joua dans cette guerre larme
permanente de lAfrique ; mais il ne faut pas demander des dtails prcis aux
auteurs qui nous ont gard le souvenir de ces vnements.
(3) Zosim., Hist., II, 12 14 ; Aurel. Vict., De Caes., XL, 17, 19 ; Epit., 40.
(4) Poulle, loc. cit.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 73

et Numides, dont la valeur, au reste, na pas empch au pont


Milvius(1) la victoire de Constantin ; mais sa dfaite nen fut pas
moins accueillie avec joie en Afrique(2). De son ct, Constan-
tin, afin de donner satisfaction la haine des habitants envers
son rival, envoya sa tte Carthage ; ctait lui promettre,
ainsi qu toute la province, le repos auquel tous aspiraient.
Il nen fut rien pourtant ; car un nouveau genre de maux
sabattit sur le pays : aux discordes politiques succdrent
les discordes religieuses, et lon dut avoir recours aux armes
pour les calmer.
Le schisme des donatistes(3) venait dclater. Issu de la
jalousie de certains membres du clerg et envenim par lani-
mosit dune femme, le donatisme navait pas tard devenir
un parti puissant dans lglise dAfrique. En vain deux conci-
les successifs, tenus le premier Rome en 313, le second
Arles en 315, avaient condamn les schismatiques ; en vain
lempereur lui-mme avait, lanne suivante, confirm la sen-
tence des conciles, croyant puiser ainsi toutes les mesures de
pacification envers les deux partis opposs : les partisans de
Donat ne voulurent se soumettre ni lautorit ecclsiastique,
ni la dcision impriale. Ds lors, le schisme religieux deve-
nait une rvolte politique que lempereur tait tenu de rpri-
mer. Il commena par menacer les rebelles de peines svres
sils ne rentraient pas dans le devoir, et recommanda au vicaire
dAfrique, Celsus, de procder envers eux avec une extrme
____________________
(1) Zosim., Hist., II, 14.
(2) On conserve au muse dAlger un bas-relief o lon a cru voir une
commmoration de la victoire du pont Milvius. (Cf. G. Doublet, Muse dAl-
ger, 1890, p. 42, avec un fac-simil du monument.) M. Gsell a prouv quil
y avait l une erreur (C. I. L., VIII, 20941).
(3) Voir, sur les origines de ce schisme, L. Duchesne, Le dossier du
Donatisme, (Mlanges de Rome, X, 1890, et Histoire ancienne de lglise,
II, p. 101 et suiv.)
74 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

duret(1). Ils furent poursuivis, et les plus influents du parti se


virent condamns lexil.
Ces mesures furent insuffisantes : les dissensions per-
sistrent. Un instant, les catholiques et les autorits muni-
cipales, forts de lappui de lempereur, crurent pouvoir, par
la rigueur, venir bout de toutes les rsistances, mais les
donatistes nen furent que plus endurcis dans leur rvolte ;
ils ne craignirent pas dopposer la force la force. On vit se
produire des scnes de dsordre ; le sang ne tarda pas cou-
ler. Lapparition des circoncellions vint encore augmenter
le trouble. On appelait ainsi des bandes de pillards qui par-
couraient les campagnes, rpandant partout le meurtre et la
terreur. En passant de la classe claire o il avait pris nais-
sance la classe infrieure qui en tait larme, le schisme
dgnra encore : il devint une rvolte sociale. Les esclaves,
les colons, les petits propritaires, ruins par les exigences
du fisc et les malheurs de lpoque, saisirent cette occasion
pour soutenir par la violence leurs revendications et, cou-
vrant dun prtexte religieux une insurrection toute tempo-
relle, ils devinrent la terreur des populations tranquilles et
laborieuses : ils assommaient tous ceux quils rencontraient,
coups de bton, aux cris de Deo laudes ! On conoit que les
empereurs durent intervenir pour arrter cet tat de choses,
et lon trouve dans les auteurs ecclsiastiques, plusieurs
reprises, la mention de luttes entre les circoncellions et les
troupes dAfrique.
Cest ainsi quen 320 le comte Ursacius envoya des soldats
pour les chtier ; on na aucun dtail sur les faits eux-mmes,
mais le nom de ce comte tait rest clbre chez les donatistes
comme celui dun perscuteur ; ils racontaient mme quil avait
____________________
(1) Patr. Lat. (Ed. Migne), VIII, p. 489 et 490 = XLIII, p. 789
et 790.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 75

t massacr par les Barbares dans un combat et que son corps,


demeur sans spulture, avait t la proie des chiens et des
oiseaux(1). Cette lgende, qui trahit de la part de ses auteurs
un ressentiment personnel, a cela dintressant quelle nous
fait peut-tre connatre, en mme temps que les rigueurs du
comte Ursacius contre les schismatiques, une nouvelle incur-
sion des Barbares sur le territoire romain.
Une seconde leon aurait t inflige aux donatistes par
un certain Grgoire dont les uns font un comte dAfrique(2),
les autres un prfet du prtoire(3). Cette leon parat avoir t
plus dure que la prcdente(4).
Plus tard encore, probablement aprs la mort de Constan-
tin, dautres svirent de nouveau contre eux ; cest dabord
Lonce, dont on ne connat que le surnom(5), puis le comte
Taurin qui, sur lappel mme des vques donatistes, envoya
des soldats dans les marchs et les foires o les circoncellions
avaient lhabitude de venir en grand nombre porter le dsor-
dre ; on cite surtout le massacre qui en fut fait, en Numidie,
un endroit nomm Octaviensis(6).
Enfin, en 348, Constance ayant envoy deux personnages,
Paul et Macaire, distribuer des aumnes dans les trois provin-
ces et travailler effacer autant que possible toute trace des d-
sordres qui sy taient produits, les circoncellions ne craigni-
rent pas de sopposer laccomplissement de leur uvre dans
les environs de Baga. Les mandataires de lempereur se virent
____________________
(1) Tillemont, Mm. pour servir lhistoire ecclsiastique, VI, p. 101.
Cf. Pallu de Lessert, Fastes des provinces africaines, II, p. 233 et suiv.
(2) Saint Optat (Ed. Migne, Indices).
(3) De Vit, Onomasticon, s. v. Cf. Pallu de Lessert, op. cit., p. 236, note 1.
(4) Optat, De schismo Donat., III, 10, 67.
(5) Tillemont, op. cit., p. 107 ; daprs Optat, op. cit., III, 1, 51 ; cf. 10,
67. Cf. Pallu de Lessert, op. cit., p. 174.
(6) Optat, De schismo Donat., III, 4, 60 ; Tillemont, op. cit., p. 98. Cf.
Pallu de Lessert, op. cit., p. 240.
76 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

obligs de faire appel au comte Sylvestre et lui demandrent


protection ; celui-ci leur envoya des soldats. Mais les dona-
tistes se montrrent aussi insoumis en prsence dune force
arme quils lavaient t lgard de Paul et de Macaire ;
ils maltraitrent mme quelques-uns des cavaliers qui avaient
pris les devants. Le reste de la troupe, violemment irrit dune
telle attaque, nhsita pas chtier par les armes ceux quils
taient seulement appels contenir. Le massacre, pourtant,
ne fut pas trs sanglant, de laveu mme des donatistes(1).
Quelque peu nombreux que soient les documents relatifs
la rpression par les armes des donatistes et des circoncel-
lions, quelque peu prcis mme quils puissent paratre, ils
suffisent donner une ide trs nette de lagitation intrieure
du pays ce moment. Elle subsista longtemps encore aprs la
date o se placent les vnements qui viennent dtre mention-
ns, de telle sorte que lEmpire avait lutter la fois contre les
ennemis du dehors, qui essayaient chaque instant de forcer
la frontire ou de secouer le joug du protectorat romain, et les
ennemis du dedans, qui ne restrent certainement pas tran-
gers toutes les insurrections de cette malheureuse poque(2).
Lanne 364 et les annes suivantes furent marques
par les incursions des Austuriens en Tripolitaine(3). Les tribus
auxquelles Ammien donne ce nom et que Corippe nomme
____________________
(1) Optat, De schismo Donat., IV, 61, 62. ; Tillemont, op. cit., p. 113
et suiv.
(2) On a conserv au Code Thodosien (VII, 4, 2 et 3) deux lois, dates
des annes 355 et 357 et relatives lalimentation des troupes en Afrique.
Godefroy a voulu voir une relation entre ces constitutions et les troubles que
nous allons maintenant raconter ; il se peut quil ait raison, mais lAfrique
tait assez agite de toute faon cette poque pour que lempereur ait eu
besoin dorganiser plus fortement que jamais loccupation militaire du pays.
Cf., sur des mesures analogues prises en 361 par Gaudentius, charg dune
mission spciale par Constance : Ammian., XXI, 7.
(3) Ammian., XXVI, 4, 5.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 77

Austures(1), habitaient dans le voisinage dOea et de Leptis


Magna(2). Ctaient, comme toutes les populations des fron-
tires, des Barbares vivant de vol et de pillage(3). Sous Jovien,
ils firent une premire invasion dans le territoire de Leptis, de-
meurrent trois jours aux environs de la ville, tuant tous ceux
quils rencontraient ; au bout de ce temps, ils se retirrent,
emmenant avec eux les prisonniers dont ils staient empars.
Les habitants de Leptis implorrent alors les secours du comte
Romanus, nouvellement promu au commandement des trou-
pes dAfrique. Celui-ci ne leur refusa pas son appui, mais il y
mit comme condition quils fourniraient ce qui tait ncessaire
lexpdition, des provisions de toute nature et quatre mille
chameaux. Les Leptitans ne pouvaient suffire de pareilles
exigences, le comte se retira avec son arme sans chtier les
Barbares(4). Aussi, ds lanne suivante, alors que Valentinien
venait de monter sur le trne, les Austuriens reparurent ; cette
fois, ils tendirent leurs dprdations sur le territoire dOea
aussi bien que sur celui de Leptis. En vain les habitants de
ces deux villes en appelrent lempereur en lui dnonant la
conduite du comte Romanus. Des hommes de confiance furent
envoys pour examiner laffaire ; mais le comte sut gagner tous
les dlgus du prince, et Valentinien ne put arriver dmler
la vrit(5). Les Austuriens en profitrent pour revenir impun-
ment une troisime fois attaquer les territoires quils avaient
dj ravags ; aucune crainte ne les retenant plus, ils massa-
crrent un grand nombre dhommes(6), couprent les arbres et
____________________
(1) Johann., II, 89 et suiv.
(2) Tissot, Gogr. compare de lAfrique, I, p.469.
(3) Ammian., XXVIII, 6, 1 : In discursus semper expediti, veloces,
vivereque adsueti rapinis et caedibus.
(4) Ammian., XXVIII, 6, 5.
(5) Ammian., ibid., 7. 10, 13 ; cf. XXVII, 9, 1 et 2.
(6) Ammian., XXVI, 4, 5 : Hoc tempore... per universum orbem... gen-
tes saevissimae limites sibi proximos persultabant ; Austuriani Mauricaeque
78 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

les vignes et emportrent tranquillement tout le butin quils


avaient t obligs de laisser dans leurs prcdentes incur-
sions (365 ou 366).
En mme temps, ou du moins fort peu de temps aprs, une
grande agitation, qui dgnra en rvolte ouverte, se produisait
lextrmit oppose des possessions africaines, en Maurtanie(1).
Les causes de cette insurrection ont sans doute t multi-
ples ; plusieurs lments diffrents conspirrent pousser les
Maures la rvolte. Ammien Marcellin(2) et les autres auteurs
qui nous ont laiss le rcit ou le rsum de cette guerre nhsi-
tent pas en rejeter toute la responsabilit sur le comte Roma-
nus quils accusent davoir amen ces difficults, comme ils
lui reprochrent davoir, par son inertie et sa cupidit, favoris
les incursions des Austuriens ; ils traduisent videmment, en
cela, lopinion des contemporains, celle de lempereur et de
son entourage. Suivant eux, Romanus entretenait des divisions
dans la famille du roi Firmus, un de ces roitelets , que lEm-
pereur tolrait encore en Maurtanie, quil protgeait aussi
pour sen faire des instruments de domination ; le comte sou-
tenait contre lui son frre Sammac, dans un intrt personnel
et pour assurer la fidlit des troupes auxquelles il command
ait, peut-tre aussi par politique, afin de maintenir Firmus
dans lobissance par la crainte constante de se voir dtrner.
Celui-ci, pour mettre fin la rivalit dun frre, fit assassiner
Sammac ; ce fut le dbut dune guerre sourde entre Firmus et
____________________
aliae gentes Africam solito acrius incursabant. On possde la tombe dun
personnage, M. Lollius Sabinus, qui mourut Arbal vi Bavaru(m) . Elle
est date de 166 (C. I. L., VIII, 21644) Une seconde tombe trouve au mme
endroit, et qui peut tre de la mme poque, signale le mme fait pour un
autre homme (C. I. L., VIII, 21644 ; Une seconde tombe trouve au mme
endroit, et qui peut-tre de la mme poque, signale le mme fait pour un
autre homme (C. I. L., VIII, 21630).
(1) Ammian., XXVIII, 5, 2 et suiv.
(2) Voir linscription cite la page 84, note 1.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 79

le comte Romanus, ce dernier accusant avec acharnement le


roi maure auprs de lempereur et touffant ou arrtant, grce
ses relations la cour, les protestations de laccus. Pouss
bout par de telles manuvres, Firmus finit par se soulever et
par dclarer la guerre lEmpire. Ce rcit doit tre vridique ;
mais on peut se demander aussi si le roi ne trouvait pas dans
ltat des esprits en Maurtanie, ce moment, un terrain tout
prpar pour une rvolte. Il faut remarquer que linfluence
de Donat avait spar lAfrique en deux camps ennemis : les
uns, partisans de lorthodoxie, taient appuys par lautorit
impriale, comme nous lavons dit plus haut ; les autres, qui
staient jets dans le schisme et se sentaient tenus pour des
ennemis publics, devaient tre disposs se laisser emporter
aux partis extrmes avec toute lardeur que les dissensions
religieuses inspirent aux esprits, mme les phis calmes. Com-
bien cette ardeur ne devait-elle pas saccrotre, alors que la
revendication religieuse se doublait dune revendication de
race, et quil sagissait non plus seulement de faire triom-
pher des ides abstraites, mais de prendre une revanche des
dfaites passes et des perscutions essuyes ! Les donatis-
tes taient, en grande partie, composs dindignes pour qui
le schisme avait t loccasion attendue de protester contre
une servitude impatiemment supporte, et qui nourrissaient
au fond du cur lespoir de secouer le joug quelque jour. Ils
firent donc alliance avec Firmus, comme Firmus avec eux ;
ils lui donnrent une nombreuse arme quil navait point et
un excellent recrutement indigne qui lui tait indispensable
pour soutenir la lutte ; lui, leur fournit le chef militaire dont
ils avaient besoin(1).
____________________
(1) Cette union entre les donatistes et Firmus nous est surtout rvle
par des passages de saint Augustin (Epist., 87) : Memento quod de Rogaten-
sibus (cest-a-dire des sectateurs de Regains, vque de Cartennas) non dixe-
rim qui vos Firmianos appellare dicuntur, sicut nos Macarianos appellatis.
80 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Ainsi, vengeance personnelle, passions religieuses, re-


vendications dindpendance, tout concourait soulever la
Maurtanie contre lEmpire et prparer une lutte terrible. Fir-
mus se revtit de la pourpre(1) ; un tribun de cohorte auxiliaire
lui mit sur la tte un collier en guise de couronne, et, fort de la
sympathie quil trouvait autour de lui, des alliances quil avait
lies avec les tribus maurtaniennes, il commena la guerre.
Caesarea (Cherchell) fut prise et brle(2) ; Icosium (Alger),
pill(3) ; Tipasa, assig, inutilement il est vrai(4) ; Cartennae
____________________
Neque de Rucatensi episcopo vestro, qui cum Firmo pactus perhibetur incolumi-
tatem suorum ut ei portae aperirentur et in vastationem darentur catholici et alia
innumerabilia. Rogatus de Cartennas, ayant quitt le donatisme, fut perscut
par ses anciens compagnons de schisme, avec laide de Firmus, Cf. August.,
Contra litter. Petiliani, 83, et In Parmen., I, 10. La trahison de deux corps de
troupes auxiliaires, les Constantiani pedites et les equites cohortis IV Sagittario-
rum (Not. Dign., Oc., V, 102, 252, et VII, 150 ; VI, 29, 72, et VII, 191) appar-
tenant larme dAfrique, et par consquent recruts parmi les indignes, qui
passrent Firmus, doit tre sans doute attribue e des motifs religieux.
(1) Ammian., XXIX, 5, 48 et 49 ; Zosim, IV, 16,4 ; Aur. Vict., Epit.,
XLV, 7. M. Seeck (Pauly-Wissowa, Realencyclopdie, VI, col. 2383) veut
que le nom de Firmus ait figur sur une inscription de Guelma (C. I. L., VIII,
5338) qui dbute ainsi : perpetui victoris semper Aug. ordo Kala-
mensis . Cest une conjecture assez incertaine.
(2) Oros., Hist., VII, 33, 5.
(3) Symmach., Epist., I, 58.
(4) Catalogus codicum hagiographicorum latinomun qui asservantur in bi-
bliotheca nationali Parisiensi, I, p. 351 et suiv. (Passio Sanctae, Salsae, 13, daprs
la recension de Mgr Duchesne, quil a bien voulu nous communiquer) : Illis enim
temporibus quibus provinciam totam Firminianae labes tyrannidis devastarat, in-
censis finitimis civitatibus, quarum [qui fuisset splendor] aggere ruinarum et solis
dabatur existimare cineribus, velletque sibi imperii dominatum contra jus fasque
degener vindicare gentilis civitatem Tipasitanam, quam nullo potuit dolo deci-
pere, apertus jam et publicus hostis aggreditur. Cinxere turmatim muros catervae
praedonum ; hostis numerosus campos implevit, valles texit, colles operuit, flu-
mina proclusit, fontes abstinuit, montium concava et praerupta vestivit. Totis per
octo dies pugnatum est cominus armis, adpositis machinis, turribus adhibitis et
scalis admotis ; ad desiderium suae sitis qua civium sanguinem crudeliter sitiebat,
pervenire non potuit Denique eadem die noctuque certatum est, et elisis illis
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 81

(Tns) dvaste(1) ; et la consternation se rpandit dans toute


la province.
A la nouvelle de ce mouvement, Valentinien envoya en
Afrique son meilleur gnral, le comte Thodose, pre du
Thodose qui devait tre plus tard empereur (an 372). Ce-
lui-ci namena avec lui que peu de troupes ; Ammien(2) nous
apprend que ctaient des auxilia comitatensia, et Zosime(3)
quils avaient t emprunts la Msie suprieure et la Pan-
nonie : cest que larme dAfrique tait presque suffisan-
te pour faire face aux difficults, pourvu que lon prt soin
den complter les effectifs. Une loi fut porte en ce sens,
que nous avons conserve au Code Thodosien(4) ; il y est dit
que, contrairement la rgle gnrale, les membres des offi-
cium des diffrents gouverneurs civils et militaires pourront
tre admis dans larme active et que ceux qui, au moment
de la promulgation de la loi, se trouveront dtachs en mis-
sion temporaire dans un numerus ou dans une lgion, devront
tre incorpors dans ces troupes sils sont capables de porter
les armes. Enfin, dfense expresse est faite de dtourner un
seul soldat de son service militaire pour lattacher lofficium
dun gouverneur, soit en Byzacne, soit en Tripolitaine, cest-
-dire dans les pays situs lest des pays soulevs.
Le premier acte de Thodose, qui prit terre en Afrique
prs dIgilgili(5), fut de retirer au comte Romanus la direction
____________________
famosis regibus, quos in auxilium suum contra cives adsciverat, victus confu-
tatusque revertitur et ab obsidione murorum... fugatur.
(1) August., Contra epist. Parmeniani, I, 10, 16, et 11, 17 ; Contra
litteras Petiliani, II, 83, 184. Rogatus, alors vque de Tns (Epist., 87, 10),
fut perscut.
(2) Ammian., XXIX, 5, 4.
(3) Zosim., IV, 16.
(4) Cod. Theod., VIII, 7, 12 et 13 ; cf. le commentaire de Godefroy.
(5) Lidentification de tous les renseignements gographiques et to-
pographiques donns par Ammien a dj t plusieurs fois tente. Je citerai
82 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

des oprations. Il lenvoya organiser la garde des postes for-


tifis et des frontires du ct de la Csarienne, sauf le faire
arrter ensuite, ainsi quun nomm Vincentius, coupable de
lavoir aid dans ses exactions et den avoir partag avec lui
le bnfice. Puis il se dirigea vers Sitifis (Stif), qui devait
tre la base de ses oprations pendant toute la campagne et
prpara son plan dattaque.
Apprenant que Thodose avait dbarqu, et effray, dit
Ammien, de sa rputation militaire, Firmus chercha gagner
du temps et vint demander la paix. Thodose ne la refusa pas,
mais il posa comme condition que le roi donnerait des otages.
Puis, sans attendre sa rponse, et pour ne pas lui laisser le temps
____________________
notamment : Dureau de la Malle, Recherches sur lhistoire de la partie de lAfri-
que septentrionale, etc., p. 54 et suiv. ; L. Lacroix, Histoire de la Numidie et de la
Mauritanie (Paris, 1844, in-8, p. 84 et suiv.) ; Berbrugger, Les poques militaires
de la Grande-Kabylie, p. 216 et suiv. ; Ed. Cat, Essai sur la province romaine de
Maurtanie Csarienne (cf. lIndex des localits, p. 304) ; Gsell, Rec. de la Soc.
arch. de Constantine, XXXV (Souvenir du Cinquantenaire), p. 2.1 et suiv. Mal-
gr ces recherches et malgr les dcouvertes qui se font journellement en Afrique,
bien des dtails restent encore douteux. La question ne pourra tre dfinitivement
rsolue que le jour o des documents pigraphiques prcis auront apport la lu-
mire sur les points obscurs. Jusque-l, on est oblig de sappuyer sur : 1 le rcit
dAmmien et la suite des oprations de Thodose ; or ce rcit est mutil, les noms
gographiques souvent incertains et litinraire suivi par le gnral romain trs
difficile fixer ;n 2 la similitude des noms anciens avec les noms modernes, prin-
cipalement pour ce qui a rapport aux tribus maures mentionnes par lhistorien ;
mais est-on bien certain que cette similitude ne soit pas souvent plutt apparente
que relle ? 3 sur la supposition que les tribus berbres qui rpondent aux gentes
dAmmien nont pas chang de cantonnement depuis Firmus, ce qui peut tre
considr comme trs douteux. Certaines de ces tribus ont pu non seulement mi-
grer delles - mmes, mais tre dplaces doffice par lautorit romaine, comme
il tait arriv aprs la guerre des Quinquegentanei de Maximien. On court donc
le risque, en suivant cette mthode, dattribuer aux tribus maures qui soutinrent
la cause de Firmus une position trs diffrente de celle quelles occupaient vrita-
blement. Il faut user de la plus grande rserve dans lidentification des renseigne-
ments gographiques fournis par Ammien. Je nindiquerai dans le texte que les
synonymies qui me paraissent certaines, et je rejetterai en note les suppositions
plus ou moins vraisemblables des divers auteurs modernes.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 83

de traner en longueur les ngociations, il se porta un point


nomm statio Panchariana(1), peut-tre sur la route de Lam-
bse, o il passa en revue les troupes dAfrique, relevant leur
courage et assurant leur fidlit par ses exhortations et ses
promesses ; de l il revint Stif, recruta des troupes indi-
gnes(2) quil unit celles quil avait amenes dEurope et se
mit en marche. Quant aux vivres, ses soldats en trouveraient,
disait-il, dans les champs et les greniers de lennemi.
Il savana ainsi jusqu Tupusuctu (Tiklat), dans la
valle de loued Sahel. L il reut une deuxime ambassade
de Firmus, qui ne lui amenait pas dotages et quil renvoya.
Lexpdition allait commencer.
Les Tyndenses(3) et les Masinissenses(4) soutinrent le
premier choc ; ils taient conduits par deux frres de Firmus,
Maczezel et Dius. Ceux-ci furent vaincus, et leur territoire
ravag ; on rasa une proprit qui avait appartenu cet autre
frre de Firmus, Sammac, dont il a dj t question, et qui
avait sans doute t confisque aprs son assassinat, le fundus
____________________
(1) Berbrugger (poques militaires de in Grande-Kabylie, p. 220)
lidentifie lendroit appel Kannas, prs de loued el-Kebir, entre Djijelli
et. Collo. DAvezac (Afrique ancienne, p. 233, note) et M. Poulle (Recueil de
Constantine, VII, 1863, p. 137) y voient, avec un peu plus de vraisemblance,
la Baccarus de la Table de Peutinger sur la route de Constantine.
(2) Godefroy veut rapporter ce recrutement dindignes la loi adres-
se Mauris Sitifensibus par Valentinien et Valens (Cod. Theod., VII, 1,
6), qui donne de grands avantages ceux qui serviront cinq ans dans les
troupes romaines. Mais on ne sait pas exactement quelle date attribuer ce
document. Cf. ldition de Mommsen, I, p. 310.
(3) Ces peuples auraient occup le territoire des Fenaa, des Beni-
Oughli et des At-Ameur (Berbrugger, op. cit., p. 222 ; Poulle, Recueil de
Constantine, XIII, 1869, p. 706). En tout cas, comme les Masinissenses, ils
habitaient la rgion situe entre Tiklat et Akbou.
(4) Ce seraient les Msisna, tribu berbre tablie aujourdhui dans langle
form par le confluent de loued Sahel et de son affluent de droite, loued Akbou
(Carette, tudes sur la Kabylie, p. 374 ; Berbrugger, loc. cit. ; Poulle, Recueil de
Constantine, VII, 1863, p.137 ; Tissot, Gogr. compare de lAfrique, I, p. 452).
84 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

de Petra(1) ; loppidum Lamfoctense(2), situ sur le territoire


de ces peuples, fut pris ; Thodose y installa des magasins de
vivres. Une pointe de Maczezel, qui vint livrer un nouveau
combat avec des troupes fraches, fut galement repousse ;
ctait l une suite dchecs capable de dcourager Firmus.
Aussi demanda-t-il de nouveau la paix, ou plutt il la fit de-
mander par des vques, sans doute des donatistes, qui ame-
nrent en mme temps des otages. Comme prcdemment,
Thodose ne repoussa pas ces avances, mais sans montrer
dempressement. Alors le roi vint, en personne, supplier son
vainqueur ; celui-ci exigea que Firmus livrt quelques-uns
de ses parents qui resteraient au camp romain, la place des
otages quil avait fournis, que la ville dIcosium ft rendue et
que tous les captifs fussent mis en libert.
Il se rendit de l Tipasa dabord, o il reut une ambas-
sade suppliante de la tribu des Mazices(3), quil repoussa, puis
____________________
(1) Cette proprit, fundus Petrensis, tait situe au lieu dit Mlakon,
25 kilomtres environ vol doiseau au sud-ouest des ruines de Tiklat. Cest
ce que nous apprend une inscription trouve cet endroit (Gsell, Comptes
rendus de lAcadmie des Inscript., 1901, p. 170 et suiv.) :
Praedium Sammacis
Praesidium aeternae firmat prudentia pacis,
Rem quoque romanam fida tutat undique dextra
Amni praepositum firmans munimine montent
E cujus nomen voritavit nomine Petram.
Denique finitimae gentes deponere bella,
In tua concurrunt cupientes foedera, Sammac,
Ut virtus comitata fidem concordet in omni
Munere, Romuleis semper sociata triunfis,

(2) Localit totalement inconnue. M. Poulle (Recueil de Constantine,


VII, p. 139) lidentifierait volontiers la ruine de Mesnaoua, chez les Beni-
Oughli, sur lAgzer-Amnoua, environ deux lieues du village de Bou-Melal.
(3) Peuplade habitant lest de Tipasa, daprs Dureau de la Malle
(op. cit., p. 58) ; dans le massif montagneux qui sparait la Numidie de la
Sitifienne et o la Table de Peutinger place la station de Mons, suivant Tissot
(Gogr. compare de lAfrique, I, p. 452), Une autre fraction tait tablie
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 85

Cherchel quil trouva presque rduite en cendres. La, premi-


re et la deuxime lgion(1) y furent installes provisoirement
pour en relever les ruines et prserver la rgion de nouvelles
attaques.
Cependant il apprend que Firmus, sous lapparence dune
feinte soumission, mditait une nouvelle rvolte et ne cher-
chait quune occasion pour tomber sur lui limproviste. Il
se porte aussitt Zuccabar (Miliana), ville adosse au mont
Transcellensis(2) (aujourdhui le Zaccar). L il rencontre deux
corps appartenant larme dAfrique, qui avaient embrass
le parti de Firmus, la quatrime cohorte des Sagittarii et la l-
gion Flavia Victrix Constantina ; il tait ncessaire de les pu-
nir svrement. Thodose, lexemple des anciens gnraux,
nhsite pas le faire : les chefs et les soldats sont mis mort
ou soumis de cruels supplices. Puis, pour ter Firmus le
moyen de recommencer la guerre en lui enlevant toutes ses
ressources, le gnral prend dassaut le fundus Gaionatis(3) o
les Maures staient fortifis et en rase les murailles, savan-
ce vers le castellum Tingitanum(4) (Orlansville), attaque les
____________________
dans le nord de la Tingitane, daprs Ptolme. La position des Mazices
dAmmien est dautant plus difficile dterminer, que ce mot avait fini, ds
lpoque romaine, par dsigner une grande partie des tribus indignes (Tis-
sot, op. cit., I, p. 392).
(1) II est malais de dire quelles taient cette premire et cette deuxi-
me lgion, dans lignorance o lon est de larme dont elles faisaient partie.
Si ctaient des troupes appartenant la garnison dAfrique, ce pouvait tre,
par exemple, la I Flavia Pacis et la II Flavia Virtutis, signales dans le pays
par la Notice des Dignits. Voir plus bas le chapitre relatif larme doccu-
pation du pays au Bas-Empire.
(2) Mercier, Bull. archologique du Comit des travaux historiques,
1888, p. 96. Cf. Cat, Essai sur la province romaine de Maurtanie Csa-
rienne, p. 21. La position de Zuccabar dtermine celle de cette montagne. M.
Lacroix (Numidie et Mauritanie, p. 87) en fait le Djebel-Doui.
(3) Localit absolument inconnue.
(4) Identification certaine ; cf. Gsell, Atlas arch. de lAlgrie, XII, n 174.
86 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Mazices dans le mont Ancorarius(1) et les met en fuite. Il en-


tre ensuite dans le pays des Musones(2) qui staient dclars
contre lEmpire, et arrive jusquau municipe Addense, dont
lemplacement est inconnu. Mais la il se trouve en prsen-
ce de tribus nombreuses, prtes toutes les audaces, dont la
haine du nom romain tait entretenue par largent de Cyria,
sur de Firmus. Il ntait alors la tte que de trois mille cinq
cents hommes ; la prudence lengageait reculer, lhonneur
lui dfendait de se retirer sans combattre. Il se dcide pour-
tant pour ce dernier parti et bat en retraite, serr de prs par
les ennemis. Heureusement, une panique sempare de ceux-
ci, et larme romaine peut sortir des passes difficiles o elle
stait engage. Aprs stre arrt quelque temps au fundus
Mazucanus(3), Thodose arrive en fvrier la ville de Tipata,
dont on na pu encore dterminer la position (4) (an 374).
Le sjour assez long quil fit dans cette place lui permit
de travailler en secret, par des agents, les allis de Firmus. R-
pandant parmi eux les menaces, les promesses et largent, il les
____________________
(1) Djebel-Ouarsenis, daprs la carte de Nau de Champlouis, Lacroix
(Numidie et Mauritanie, loc. cit.) et Cat (op. cit., p. 21). M. Mercier (loc. cit.)
se refuse admettre cette identilication.
(2) Peut-tre la tribu que Julius Honorius dsigne sous le nom de Musuni
ou Musunei. La Table de Peutinger les place entre la station dAd Oculum Ma-
rinune et Stif, un peu au sud (II, 2 et 3).
(3) Lemplacement de ce fundus serait chercher entre Tipasa et Auzia,
daprs Dureau de la Malle, (Recherches sur lhistoire de la partie de lAfrique
septentrionale, etc., p. 59, note 5), qui fait justement remarquer quun des frres
de Firmus sappelait. Mazuca, et que ce bienfonds devait tre un domaine lui
appartenant. M. Mercier (loc. cit., p. 97) est tent de lidentifier avec le Douar-
Mazouna des Mchaia, sur la voie romaine de Castellum Tingitanum Arsena-
ria. M. Gsell (Rec. de Constantine, XXXV [Souvenir du Cinquantenaire], p. 22
et 32) le place quelque part dans la valle du Chlif.
(4) Dureau de la Malle, Berbrugger et ceux qui les suivent admettent ici
une faute dans Ammien, et lisent Tipasa ce qui parait tout dabord presque
vident. Mais les manuscrits sont formels, sauf un o on lit Stiparam ; aussi Tis-
sot (Gogr. compare de lAfrique, I, p. 465) conserve-t-il la leon Tipata ,
sans pouvoir identifier cette localit.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 87

amena peu peu la soumission, si bien que le roi se vit succes-


sivement abandonn des Baiurae, des Cantauriani, des Avasto-
mates, des Cafaves et des Davares(1). Aussi prit-il peur : malgr
les ressources dont il disposait encore et qui lui permettaient de
prolonger la lutte, il se rfugia dans les monts Caprarienses(2),
au milieu de rochers inaccessibles ; il livrait la vengeance
des Romains tous ceux quil avait compromis et son camp, qui
fut linstant occup par les soldats de Thodose. Une partie
des rebelles furent tus, les autres faits prisonniers ; le pays fut
ravag et les tribus soumises des chefs prouvs.
Ce ntait point assez : il fallait forcer lennemi dans sa
retraite. Sans sarrter aux prils de lentreprise, le gnral ro-
main marcha vers les monts Caprarienses ; cette nouvelle,
Firmus abandonna tous les objets prcieux quil avait empor-
ts avec lui, et, accompagn seulement de quelques esclaves,
senfuit au plus vite, laissant larme romaine engage dans un
pays difficile, au milieu de tribus menaantes ou franchement
hostiles, celle des Abennae(3) surtout, qui, posts sur les hau-
teurs, cherchaient lanantir. Thodose dut rtrograder, mais
en bon ordre ; grce son nergie, la discipline se maintint
dans les rangs de ses troupes ; les soldats, forms en bataillon
____________________
(1) Entre Auzia et Tipasa, suivant Dureau de la Malle (op. cit., p. 60),
Tissot (loc. cit., p. 465) Fait trs justement remarquer que la position de ces
tribus ne sera fixe que le jour o celle de Tipata sera dtermine. Il propose de
corriger Davares en Bavares, ce qui est videmment assez tentant. Les Baiurae
sont peut-tre les Baniuroi de Ptolme (IV, 2) et les Banuri de Pline (Hist. nat,
V, 2 ). Cf. Dessau, dans Pauly-Wissowa, Realencyclopdie, s. v.
(2) Montagnes voisines du pays des Abani ou Abennae ; Dureau de la
Malle ne propose pas de synonymie, non plus que les autres auteurs que jai
consults. Les Caprarienses, montes sont les Caprarii Julius Honorius (Tissot,
loc. cit., p. 465). M. Gsell (loc. cit., p. 40) est port croire que les monts Ca-
prarienses taient trs loigns du lieu des oprations prcdentes ; il les place-
rait entre le Hodna et le Sahara.
(3) Suivant Tissot (loc. cit., p. 465), leur nom se serait perptu dans celui des
Ait-Abena ; ils auraient habit le massif montagneux au nord-ouest de Msila.
88 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

carr, rsistrent toutes les attaques et lui permirent de ga-


gner la civitas Contensis(1), o. Firmus avait enferm des pri-
sonniers romains, quil dlivra.
Sur ces entrefaites, il apprit que le roi maure stait retir
chez les Isaflenses(2) avec, son frre Mazuca. Aussitt il enva-
hit leur pays et leur livra une grande bataille ; la supriorit de
la tactique assura lavantage aux Romains : bon nombre den-
nemis furent tus ; Firmus, aprs avoir plus dune fois cherch
la mort dans le combat, schappa grce la rapidit de son
cheval, tandis que son frre tombait bless entre les mains des
troupes impriales. Tout le pays fut ensuite pill et dvast, pour
punir les habitants de lappui quils avaient donn lennemi
de Rome. De l Thodose, poursuivant sa campagne, pntra
chez les Jubaleni(3) ; mais, effray de la hauteur des monta-
gnes et craignant de sengager dans des gorges et des dfils
o les embuscades taient si aises, il se retira prudemment
et revint au castellum Audiense(4), o il reut la soumission
____________________
(1) Position inconnue.
(2) Ils habitaient peut-tre les plaines de Cartoula, au-dessous du Djur-
jura (Dureau de la Malle, op. cit., p. 63) ; Berbrugger en fait les anctres des
Flissa (op. cit., p. 218). Cf. Poulle (Rec. de Constantine, XIII, 1869, p. 706), et
Tissot (loc. cit., p. 465 )
(3) Les Jubaleni auraient habit le grand Atlas au-dessous de Titteri, tan-
dis que les Isaflenses auraient occup les valles situes entre cette chane et le
Djurjura (Dureau de la Malle, op. cit., p. 64). Berbrugger (op. cit., p. 219), rap-
prochant ce nom de larabe djebalin montagnards , les identifie aux Zouaoua.
Cf. Poulle, loc. cit. Ce seraient, daprs Tissot (loc. cit.), les Ouled -Djebora des
environs de Bougie. M. Gsell (loc. cit., p. 25) les place aux environs du dfil
des Portes de Fer et des Gorges de Palestro.
(4) Le castellum Audiense dAmmien correspond pour Berbrugger (op.
cit., p. 225) la citadelle dont on voit les traces Aoun-Bessem. Auzia aurait
t dtruite dans la rvolte de 297, et aurait cess ds lors dtre le chef-lieu du
limes Auziensis. La question est trs discutable. Cf. Masqueray, Bull. de corr.,
Afric., I, p. 225 et suiv. Un seul fait est certain : cest que Auziensis et Audiensis
sont un seul et mme mot, le z et le d devant un i permutant trs souvent dans la
prononciation et lorthographe africaines (C. I. L., VIII, p. 1109). Nous revien-
drons plus loin sur la question du limes Auziensis.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 89

des Jesalenses(1) ; ceux-ci offrirent de fournir larme ro-


maine des contingents auxiliaires et des vivres.
Il sen fallait pourtant que tous ces succs partiels mis-
sent fin la guerre ; car Firmus vivait encore, et il lui suffisait
de se montrer sur un point pour y ranimer la rvolte. Tho-
dose ne pouvait regarder sa tche comme termine. Camp
prs du castellum Medianum (Bordj-Medjana)(2), il essaya
dabord des ngociations, mais inutilement. Pendant quil
en attendait le rsultat, il apprit que le roi tait revenu chez
les Isaflenses ; aussitt il envahit de nouveau leur territoire.
Un grand combat sy livra ; mais le gnral fut trahi par une
partie de ses troupes et dut se replier sur le castellum Duo-
diense ou mieux Auziense cest--dire sur Aumale(3). Les Je-
salenses, qui, oubliant la foi promise aux Romains, avaient
dj combattu toute la journe avec les Isaflenses, linquit-
rent encore dans son mouvement de retraite et lattaqurent
mme pendant la nuit. Repousss, ils retournrent dans leur
pays o Thodose les poursuivit vigoureusement, opration
brillante mais sans consquence dcisive : leur territoire ra-
vag, il revint Stif, aprs avoir travers la Maurtanie
Csarienne.
La guerre tranait en longueur, et lattachement in-
branlable des Maures pour Firmus pouvait faire craindre que
les hostilits ne durassent indfiniment. Heureusement pour
____________________
(1) Dureau de la Malle (op. cit., p. 64, daprs Shaw) fait des Jesalen-
ses les Ouled-Eisa, vers le Titteri-Dech. M. Poulle suppose quils taient ta-
blis louest des Zouaoua (Rec. de Constantine, loc. cit.). Tissot pense que,
comme les Jubaleni et les Isaflenses, il faut les placer au sud-ouest ou au sud
de Cherchell (loc. cit., p. 465). Suivant M. Gsell (loc. cit., p. 44), Isallenses
et Jesalenses doivent tre cherchs dans le voisinage dAumale.
(2) M. Gsell (loc, cit., p. 42) dclare cette synonymie inacceptable ; il
incline croire que le castellum Medianum tait dans la rgion dAumale.
(3) Cette leon a t adopte par Garthausen ; mais il y a des variantes
dans les manuscrits Uodiense, Audiense.
90 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

lEmpire, la trahison vint au secours des armes romaines.


Le roi des Isaflenses, Igmazen, contre lequel Thodose en-
treprit une nouvelle campagne, heureuse cette fois, comprit
quil avait tout perdre soutenir plus longtemps la cause
de Firmus, tout gagner au contraire pouser la querelle de
Rome. Laccord fut conclu dans une entrevue quil eut avec
le gnral ; en mme temps, ils convinrent qu lavenir, afin
de ne pas veiller les soupons des Maures et de Firmus, leurs
relations se continueraient par lentremise de Masilla, un des
principaux chefs des Mazices. Ainsi firent-ils ; ils sarrt-
rent un plan habile qui fut fidlement suivi : les Isaflen-
ses, conduits plusieurs fois une dfaite voulue par leur roi,
commencrent se dcourager ; Firmus, pris lui-mme din-
quitude devant lchec multipli de ses plus fidles soutiens,
songea senfuir ; mais il saperut quil tait surveill de si
prs par les soins dIgmazen, que toute retraite tait impos-
sible. Un seul parti lui restait prendre sil ne voulait point
tre fait prisonnier : profitant du sommeil de ses gardiens, il
se pendit. Son corps fut apport Thodose, camp prs du
castellum Subicarense(1).
Celui-ci, aprs avoir expos le cadavre du roi in vue de
tous, pour que lidentit en ft reconnue, revint Stif avec
tout lappareil du triomphateur (an 375). La guerre avait dur
trois annes entires(2). Grce au rcit dAmmien, que nous
venons de rsumer, nous pouvons nous rendre un compte
exact de la gravit de la rvolte(3).
____________________
(1) On a voulu identifier ce lieu avec le Rusubbicari de Itinraires
(Dureau de la Malle, op. cit., p. 65). Le fait peut tre contest ; il nest pas
probable, en effet, que Thodose ft alors au bord de la mer. Cf., sur ce d-
tail, Gsell, loc. cit., p. 45.
(2) Une inscription de Canosa (C. I. L., IX, 333) clbre Thodose
cujus virtute, felicitate, justitia, et propagatus terrarum orbis et retentus .
(3) Sur la guerre de Firmus, voir, outre le rcit dAmmien ( XXVIII,
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 91

Firmus mort, les montagnards rvolts rentrrent de tous


cts dans lobissance, et la situation redevint calme en Mau-
rtanie. Du moins navons-nous gard le souvenir daucun
soulvement cette poque ; il est vrai que lon ignore peu
prs compltement ce qui se passa en Afrique pendant les an-
nes qui suivirent, jusquau moment o Gildon fut nomm au
gouvernement de la province, cest--dire peu prs jusqu
lanne 386(1). Ce Gildon tait encore un frre de Firmus.
Lors de linsurrection de celui-ci, il avait combattu dans les
rangs de larme romaine(2) et avait rendu de grands services
Thodose par sa connaissance du pays et les relations quil
y entretenait. Nanmoins dix ans scoulrent entre la chute
de Firmus et le jour o Gildon fut mis la tte de lAfrique.
Les raisons dun pareil retard sont inconnues et lon pourrait
presque sen tonner, tant le choix de Gildon tait naturel :
ctait flatter les Maures qui ne voyaient pas sans un certain
orgueil un de leurs chefs tabli comme gouverneur de toute
lAfrique et qui pouvaient presque se croire revenus au temps
bien loign dj de lindpendance ; ctait, en mme temps,
les tenir dans la plus dure servitude, en leur donnant comme
matre un des leurs, habitu leurs ruses, qui, aprs avoir tra-
hi les siens pour lempereur, ne devait gure esprer soutenir
son autorit que par une extrme fermet.
____________________
6, 26 ; XXIX, 5, 2 et suiv. ; XXX, 7, 10 : Oros., Hist., VII, 33, 5 et suiv. ;
Aurelius Victor, Epit., XLV, 7 ; Claudian., De Bel. Gild., 350 et suiv. ; Zo-
sim., IV, 16.
(1) Claudien (De Bel. Gildonico, 152) dit quil fut gouverneur pendant
douze ans, et saint Augustin, en parlant dOptat, vque donatiste, son fa-
vori, laccuse davoir fait gmir lAfrique durant dix ans (In Parmen., II, 2).
Cependant, sil est vrai, comme le croient certains auteurs, que lusurpateur
Maxime sempara de lAfrique en 388 (Tillemont, Hist. des empereurs, V, p.
285), il faut admettre soit que Gildon fut vaincu ou gagn par lui, soit quil
ne fut tabli dans sa charge quaprs la mort de ce tyran.
(2) Ammian., XXIX, 5, 6, 21, 24.
92 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Gildon fut donc nomm la dignit exceptionnelle de


comes et magister utriusque militiae, titre sous lequel on le
trouve dsign dans le Code Thodosien(1). La province mi-
litaire trs importante quon avait constitue en sa faveur lui
donnait une puissance considrable, qui lui permettait de d-
fendre victorieusement lAfrique contre les ennemis de lin-
trieur et de lextrieur, mais qui pouvait devenir dangereuse
pour lEmpire, au cas o Gildon viendrait se rvolter ; cest
ce qui ne tarda pas arriver. Aprs avoir, pendant douze an-
nes, maintenu le pays dans lobissance(2), il ne put rsister
lambition de se rendre indpendant et denlever lAfrique
lempire dOccident. Lorsquen 393 Thodose marcha contre
Eugne, Gildon ne lui envoya pas, malgr les ordres quil
avait reus, les secours que lempereur lui demandait ; il vou-
lait pouvoir se tourner, suivant les circonstances, du ct du
vainqueur ; peut-tre mme songeait-il profiter de la guerre
civile, pour travailler sa propre grandeur(3). Cest ce qui ar-
riva peu aprs : la mort de Thodose, il abandonna toute
rserve, se dclara ouvertement contre Honorius, lui refusa
obissance et rattacha lAfrique lempire dOrient, en re-
connaissant la souverainet dArcadius(4) : cette soumission
un prince plus loign, plus faible, et par suite moins capable
de rprimer les carts du gouverneur dAfrique, tait en ra-
lit un premier pas fait vers lindpendance.
Il y avait, pour lempire dOccident, dans la possession
de lAfrique, une question de vie ou de mort : depuis la spa-
ration des deux empires, cette province fournissait elle seule
____________________
(1) Cod. Theod., IX, 7, 91.
(2) Claudian., De Bel. Gildon., 152. Il tait dailleurs alli Thodose,
sa fille ayant pous le neveu de lempereur, Nebridius (Hieronym., Epist.,
79 : ad Salvinam).
(3) Claudian., De Bel. Gild., 246 et suiv.
(4) Oros, VII, 36, 3 ; cf. Zosim., V, 11.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 93

le bl dont Rome avait besoin, lgypte ayant t destine


lalimentation de Constantinople(1). Si lAfrique se rattachait
lempire dOrient et quon ne la fort pas rentrer dans
le devoir, Rome devenait la proie de la famine et de tous les
excs quelle entrane aprs elle(2). Honorius ne pouvait donc
pas hsiter entreprendre la lutte. La rvolte de Gildon se
produisit la fin de lautomne de lanne 396(3) ; un sna-
tus-consulte le dclara ennemi public(4). Aussitt on leva des
troupes(5) et, comme il retenait les convois de bl dAfrique,
on prit des mesures pour assurer malgr lui lalimentation
de Rome(6) ; ceci se passait en 397. La guerre commena ds
quon eut rassembl des forces suffisantes. La direction en
fut confie au frre mme de Gildon, Maczezel, dont il a dj
t fait mention dans la guerre de Firmus. A cette poque il
combattait contre les Romains ; aprs la mort de Firmus, il
tait demeur en Maurtanie, la tte du parti hostile Rome
et Gildon, que la perte de son chef avait abattu, mais non
pas annul. Gildon, peine matre du pouvoir, avait conspir
contre les jours de Maczezel ; celui-ci, pour sauver sa vie,
stait rfugi Rome ; mais il laissait en Afrique ses deux
fils, qui payrent pour lui et furent mis mort par ordre de
leur oncle(7). Il existait donc entre les deux frres une haine
implacable, et il tait impossible de mettre la tte de lar-
me romaine un ennemi plus acharn contre Gildon, en mme
temps quun homme plus habitu au pays et ses habitants.
Gildon avait t arm par Rome contre Firmus ; Maczezel,
____________________
(1) Claudian., De Bel. Gild., 61.
(2) Ibid., 17.
(3) Ibid., 66.
(4) Claud., In laud. Stilichonis, I, 325 et suiv.
(5) Symmach., Epist. ad Stilich., IV. 4 ; Zosim., V, 11.
(6) Symmach., loc. Cit.; Claudian., De Bel. Gild., 66 ; In Eutrop, 371; In
laud. Stilich., I, 219; Cod. Theod., II, 14, 2; VII, 13, 12; cf. 13 et 14; XIII, 5, 26;
XIII, 9, 3; XIV, 15.
(7) Oros., VII, 36, 4 et suiv. ; Claudian., De Bel. Gild., 390 et suiv.
94 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

son tour, allait tre utilis contre Gildon ; cest ainsi que, mme
cette poque de dcadence, les Romains restaient fidles leur
ancienne politique, qui leur avait toujours russi en Afrique.
Maczezel partit de Pise(1) avec une arme emprunte
lItalie et lEspagne, qui, suivant Orose(2), tait peu consi-
drable : elle ne comprenait que cinq mille hommes. On sait
par Claudien de quels corps exactement elle se composait(3),
ce qui nous conduit peu prs au mme total. On y comptait
en tout sept lgions ou numeri : les Herculii, les Jovii, les
Nervii, les Felices, une legio Augusta, les Invicti, les Leones.
De son ct, Gildon avait rassembl des troupes trs nom-
breuses. Maure et paen, protecteur dclar des circoncellions
et des donatistes, il reprsentait deux principes ou plutt deux
intrts puissants : il eut pour lui tous ceux qui rvaient lin-
dpendance nationale et la lutte contre la religion officielle de
lEmpire ; les motifs qui avaient fait natre la rvolte de Fir-
mus encouragrent et soutinrent celle de Gildon(4). On parle
de soixante-dix mille hommes rangs sous son drapeau(5), en
comptant les Gtules et les Africains de toute sorte accourus
son aide(6). Il est plus que probable que ce chiffre est trs
exagr ; mais le fait reste le mme. La lutte, nanmoins, ne
____________________
(1) Claudian., De Bel. Gild., 485.
(2) Oros VII, 36, 6. Zosime parle de .
Mais son tmoignage na pas grande autorit. Cf., sur cette question de dtail,
Ed. Vogt, kritische Bemerkanyen sur Geschichte des Gildonischen Krieges
(Festchrift der Trierer philolog. Versammlung), p. 70 et suiv.
(3) Au sujet de ces troupes expditionnaires, voir plus bas le chapitre
relatif larme dAfrique au Bas-Empire.
(4) Sur les causes de laccession si prompte de lAfrique entire
lusurpation de Gildon et de sa soumission plus prompte encore Honorius,
cf. Dureau de la Malle, Recherches sur lhistoire de la partie de lAfrique
septentrionale, etc., p. 34.
(5) Oros., VII, 36, 6 : Quinque milibus, ut aiunt, militum contra sep-
tuaginta milia hostium . Cf. ibid., 12.
(6) Claud., ln laud. Stilich., I, 250 et suiv.
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 95

fut pas de longue dure : ces troupes innombrables furent vain-


cues sur les bords dun ruisseau, lArdalio (aujourdhui, oued
Hadra)(1), entre Theveste (Tbessa) et Ammaedara (Hadra). Gil-
don put gagner le rivage de la mer o il sembarqua ; rejet par
la tempte Thabraca, il fut fait prisonnier par les habitants et
se donna la mort (an 398)(2). On possde encore une inscription
qui fut grave Rome, au forum, la suite de cette victoire(3).
Ses biens et ceux de ses partisans furent confisqus : ils taient si
abondants, que lon fut oblig de crer un fonctionnaire spcial
pour sen occuper, le comes patrimonii Gildoniaci(4).
La rvolte de Gildon est le dernier fait de guerre im-
portant de cette poque sur lequel nous ayons gard quelque
dtail. Les vnements qui se produisirent postrieurement
nous ont t conservs par des sources fort incompltes ; une
histoire militaire suivie des provinces africaines pendant les
vingt premires annes du sicle ne saurait donc tre racon-
te. Trois dtails seulement peuvent tre signals.
En lanne 399 fut rendue une loi(5), adresse au prfet du
prtoire dItalie, Messala, dont dpendait le diocse dAfrique.
Cette constitution fait allusion des troubles soulevs par les
Saturiani, brigands, semblables aux sauterelles qui dvastent
____________________
(1) Oros., VII, 366 et suiv. Pour lidentification du nom, voir Tissot, Go-
gr. compare de lAfrique, I, p. 56.
(2) Claudian., In Eutrop., 373. Cf. au sujet de cette guerre : Godefroy,
ad Cod. Theod., VII, 8, 7 ; Tillemont, Hist. des empereurs, V, p. 493 et suiv. ;
Lebeau, Hist. du Bas-Empire (d. 1827), III, p. 470 et suiv, ; Gibbon, Hist. de la
dcadence et de la chute de lEmpire romain (trad. Guizot), V, p. 412.
(3) C. I. L., VI, 1187 : (In marmoribus sex equestribus statuis supposi-
tis) : Imperatoribus invictissimis felicissimisque ad. nn. Arcadio el Honorio
fratribus senatus populusque romanus vindicata rebellione et Africae restitu-
tione laetus. Sur le monument o le texte figurait, voir Hlsen, dans les R-
mische Mittheil., X, 1895, p. 52,
(4) Cod. Theod., VII, 8, 9 ; Not. Dignit., Oc., XII, 5.
(5) Cod. Theod., VI, 19, 1. Cf. le commentaire dtaill dont Godefroy a
fait suivre le texte de la constitution.
96 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

les moissons , dit Synesius(1) ; ils pillaient les campagnes et


emmenaient les cultivateurs en captivit. Godefroy croit quil
est question dans ce passage des Austuriani, dont nous avons
dj rencontr le nom plus haut. On fut, parait-il, oblig de les
combattre vigoureusement, et on en eut raison. Ce ntait l,
somme toute, quune incursion analogue celles qui staient
produites tant de fois depuis que Rome avait pris possession
de la province.
En 409, au contraire, lAfrique fut menace dun danger
plus srieux. Attale venait dtre reconnu empereur dOcci-
dent Rome, sur lordre dAlaric(2) ; afin de sassurer la pos-
session du pays, et surtout afin de couper les vivres Hono-
rius, quil avait supplant, il se hta de faire traverser la mer
un corps de troupes. Le comte Hraclien, qui commandait
cette poque, le repoussa(3).
Bientt le mme Hraclien, dont la fidlit lEmpire
avait t pourtant rcompense, fut entran son tour la
rvolte. Il prit le titre dempereur (413) et se prpara enva-
hir lItalie la tte de ses troupes dAfrique(4), laissant dans le
pays son gendre Sabinus. Mais, au moment o il marchait sur
Rome, et aprs un premier combat malheureux, il abandonna
ses soldats et revint Carthage sur un seul vaisseau. A peine
dbarqu, il fut mis mort(5).
____________________
(1) Ep., 37. Cf. Ep., 57 et 58, et Philostorgius, Hist. eecles., II, 8, qui
nomme ces barbares : .
(2) Zosim., VI, 7 ; Sozomen., IX, 8 et 9 ; Philostorgius, XII, 3.
(3) Oros., VII, 42 10 ; Zosim., VI, 8 et suiv. Cf. Gibbon, Hist. de la
dcadence et de la chute de lEmpire romain (trad. Guizot), VI, p. 66 et suiv.
Sur la terreur inspire Honorius par cette entreprise dAttale en Afrique,
voir le commentaire de Godefroy au Code Thodosien, VII, 15.
(4) Oros., VII, 42, 13.
(5) Oros., ibid., 14. Cf. Prosper et Idace, Chron., ad an. 413. Toute
cette histoire dHraclien a t longuement tudie par M. Pallu de Lessert
(Fastes, II, p. 267 et suiv.).
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 97

Nous arrivons ainsi jusqu lanne 427, on une mis-


rable intrigue de cour enleva lAfrique lEmpire dOcci-
dent(1). Le gouvernement de la province tait alors entre les
mains du comte Boniface, vaillant soldat, qui avait fait ses
preuves contre les Maures, alors quil ntait encore que tri-
bun et prpos la garde de la frontire(2). Le pays, confi
sa vigilance, paraissait donc assur contre toute attaque. Mais
il avait dans le gnral Atius, favori de Placidie, un ennemi
puissant et dloyal. Celui-ci engagea limpratrice rappeler
Boniface auprs delle, laccusant de conspiration ; en mme
temps il conseillait Boniface de dsobir aux ordres de lim-
pratrice, qui en voulait, lui disait-il, sa vie. Boniface, fort
de cet avis, se prpara la rsistance ; ce que limpratrice
ne manqua pas de regarder comme la preuve de ses mauvais
desseins(3). On envoya des troupes contre lui (an 427) ; les
premiers engagements lui furent favorables ; mais il ne pou-
vait pas se faire illusion sur le succs final dune lutte o il
combattait avec des armes ingales, ni sur le sort qui latten-
dait aprs sa dfaite. Dautre part, mari la fille du roi des
Vandales, il avait de ce ct un appui assur : il nhsita pas
demander du secours aux Barbares ; telle est du moins lac-
cusation que Procope porte contre lui(4). Ceux-ci rpondirent
aussitt cet appel et dbarqurent en Afrique(5). Les Maures
qui, la nouvelle de la rvolte de Boniface, staient soulevs
____________________
(1) Voir cc sujet surtout : Tillemont, Hist. des empereurs, VI, p. 193 ;
Lebeau, Hist. du Bas-Empire, VI, p. 18 et suiv. ; Gibbon, op. cit., VI, p. 105 et
suiv. ; Pallu de Lessert, Fastes, II, p. 281 et suiv. ; Seeck, s. v Bonifacius ,
dans Pauly-Wissowa, Realencyclopdie, III, col. 699.
(2) Prosper, Chron., ad an. 422 et 424 ; Augustin., Epist., 220).
(3) Prosper, Chron., ad an. 427.
(4) Procop., De Bel. Vand., I, 3. Certains auteurs rvoquent en doute cette asser-
tion. Voir, par exemple, Ranke, Weltgeschichte, IV, 279 ; et, daprs lui, Bury, A histoty
of the later Roman Empire, London, 1889, I, p. 169, note 1.
(5) Jornand De Reb. Geth., 33, 167, 169 ; Cassiodor., Chron., ad an. 427.
98 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

de tous cts, parce quil tait ds lors incapable de les com-


battre, les donatistes pour lesquels des ariens taient de pr-
cieux allis contre les catholiques, tout ce que la province
contenait dlments dangereux se rangea du ct des enva-
hisseurs, que rien ne pouvait plus arrter. En vain, en 430,
Boniface, rconcili avec limpratrice, essaya-t-il de rpa-
rer le mal quil avait fait et de chasser les Vandales(1) ; en
vain lui fournit-on une arme puissante recrute de tous c-
ts, mme en Orient ; il tait trop tard. Boniface, vaincu, dut
se rembarquer pour lItalie, laissant sa province aux mains
des vainqueurs impitoyables quil y avait lui-mme intro-
duits(2). LAfrique tait perdue pour lEmpire romain et la
civilisation.
Avec larrive des Vandales se termine la priode de loc-
cupation militaire du pays que nous nous proposons dtudier
dans ce travail.
Quand on embrasse dun coup dil cette suite de guer-
res et dexpditions dont nous venons de retracer brivement
lhistoire, on est surtout frapp dun fait : cest que, pendant plus
de quatre sicles que Rome a occup les provinces africaines,
elle eut perptuellement combattre ; si elle parvint de bonne
heure conqurir lAfrique propre, la Numidie et les Mau-
rtanies, jamais elle narriva les pacifier entirement. Sans
doute, les vnements auxquels elle dut faire face neurent pas
tous la mme gravit ; ct de luttes longues et difficiles, qui
rclamrent lhabilet des gnraux les plus exprimentes, on
en trouve qui semblent stre termines avec un moindre ef-
fort(3) ; sans doute aussi, les ennemis changrent avec le temps ;
____________________
(1) Augustin, Epist., 222, 224, 229 et 230.
(2) Procop., De Bel. Vand., I, 3.
(3) Il faut observer pourtant que la gravit des vnements rsulte sur-
tout pour nous du plus ou moins de renseignements que nous possdons leur
sujet. Sans Tacite et Ammien Marcellin, la guerre de Tacfarinas et celle de
GUERRES DAFRIQUE SOUS LEMPIRE. 99

mais quelle que soit leur nature, quils se nomment Gtules,


Maures, Garamantes, Austuriens, Baquates, Babares ou Cir-
concellions ; que le chef de la rsistance ait t un hros afri-
cain, un Tacfarinas, un Faraxen, un Firmus, ou un Romain
rvolt, comme Claudius Macer, Sabinien ou Alexandre, la
consquence fut la mme pour Rome : elle ne put jamais d-
poser les armes. Dans cette partie de lEmpire, autant et plus
peut-tre que dans bien dautres provinces, il lui fallut entre-
tenir une arme nombreuse et solide, toujours prte entrer
en campagne contre les ennemis du dehors ou chtier ceux
du dedans. On verra dans le livre suivant comment elle rus-
sit la constituer.
____________________
Firmus ne nous paraitraient peut-tre pas beaucoup plus importantes que le
soulvement des Maures sous Antonin, ou linsurrection que comprima le
procurateur Aurelius Litua, On ne peut juger sainement des choses, quand
les points de comparaison sont diffrents.
100 ARME ROMAINE DAFRIQUE.
LIVRE II

LARME DOCCUPATION JUSQU DIOCLTIEN


LIVRE II.

LARME DOCCUPATION JUSQU DIOCLTIEN.

Larme doccupation dAfrique tait divise en trois


corps darme :
Arme dAfrique et de Numidie(1) ;
Arme de Maurtanie Csarienne(2) ;
Arme de Maurtanie Tingitane(3) ;
Chacun de ces corps darme, qui avait pour mission de
garder une partie diffrente du pays, possdait des effectifs
spciaux et tait command par un chef particulier, relevant
directement de lempereur. Ces effectifs suffisaient, en temps
ordinaire, assurer la scurit de lAfrique septentrionale.
Lorsque les soulvements et les incursions quils avaient
combattre embrassaient la fois plusieurs provinces, ils agis-
saient de concert et combinaient leurs mouvements. Cest ain-
si que, sous le rgne dAntonin le Pieux, les troupes de Numi-
die et celles de Maurtanie concoururent calmer lagitation
redoutable qui rgnait dans le pays(4) ; plus tard, sous Septime
Svre, les deux Maurtanies furent runies pendant quelque
temps sous un mme commandement pour assurer lunit
daction des deux corps darme(5) ; un demi-sicle aprs,
____________________
(1) Exercitus, Africae (C. I. L., V, 531 ; VIII, 17891) ; Exercitus qui est in
Africa (Ibid., XI, 5211) ; Leg. III Augusta et exercitus africanus (Ibid., 3718).
(2) Exercitus mauretanicus (Cohen, Monnaies impriales, II, p.156,
nos 575 et 576).
(3) C. I. L., VIII, 9990 (inscription trouve Tanger mme) : P.
Besio Betuiniano... proc. prolegato prov. Mauretaniae Tingitanae exacti
exercitus.
(4) Voir plus haut, p. 47.
(5) Ibid., p. 54.
104 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

vers 260, la lgion IIIe Auguste marchait contre les rebelles


du Babor, tandis que les troupes de Maurtanie les prenaient
revers(1). Si nous connaissions plus fond lhistoire des guer-
res dAfrique sous lEmpire, nous pourrions certainement
constater le mme fait plus souvent encore.
Mais si lennemi tait particulirement nombreux et
acharn, si la situation devenait critique et quil semblt im-
possible de rtablir le calme avec les forces dont on disposait
dans le pays, on appelait des troupes de secours qui passaient
la mer et venaient appuyer leffort des corps darme afri-
cains. Jai fait allusion plusieurs fois, dans le livre prcdent,
larrive de semblables renforts, et il en sera question ci-
dessous avec plus de dtail. Il suffit de rappeler ici le fait en
quelques mots.
De ces corps darme, le seul qui contnt des lgionnaires
tait celui de Numidie ; il tait compos de la lgion IIIe Augus-
te et de ses auxiliaires, en tout environ douze mille bommes(2).
Ceux de Maurtanie runis comptaient, en lanne 70(3), cinq
ailes et dix-neuf cohortes, cest--dire peu prs quinze mille
____________________
(1) Voir plus haut, p. 63.
(2) On ne connat pas bien la force dune lgion au Ier sicle. Au second
sicle, daprs Hygin, si son trait appartient, comme le veulent quelques-uns
(Von Domaszewski, Hygini Gromatici liber de munitionibus castrorum, Lei-
pzig, 1887, p. 69 et suiv.), lpoque de Trajan et non pas la premire moi-
ti du IIIe sicle, ainsi que le pensent dautres auteurs (Jung, Wiener Studien,
1889, p. 153 et suiv.), chaque cohorte comporte 480 hommes, lexception de
la premire, dont leffectif est double (Hygin, op. cit., 3) ; par suite, leffectif
total de la lgion serait de prs de 5,300 hommes. Nous trouvons, pour leffec-
tif lgionnaire, 5,000 hommes du temps de Svre Alexandre (Vita Alex., 50) ;
Suidas indique le nombre 6,000 (II, 59, d. Bernh.), ainsi que Vgce (I, 17 ; II,
2), Servius (Ad Aen. VII, 274), Isidore ( Orig., IX, 3, 46), et Lydus (De Mag., I,
46). Cf. Mommsen, Arch. epigr. Mittheil. aus sterreich, VII, p. 138 et suiv. ;
Marquardt, Staalsverwaltung, II, p. 455, note 6. Cest donc une moyenne de
5,500 quil faut prendre. Les auxiliaires formaient un total au moins gal celui
des lgionnaires (Tac., Hist., I, 59 ; Suet., Tib., 16).
(3) Tac., Hist., II, 58.
ARME DOCCUPATION JUSQU DIOCLTIEN. 105

hommes(1) ; et il ny a aucune raison de supposer que ce chif-


fre ait diminu postrieurement(2). A cette valuation il faut
ajouter leffectif fourni par les tribus indignes, les goums
de lpoque, qui sont quelquefois mentionnes ; on ne peut
gure se rendre compte du nombre dhommes quelles four-
nissaient, mais il est probable quil pouvait, en cas de besoin,
tre fort lev. De plus, les ctes taient dfendues par une
flotte spciale, de second ordre sans doute, mais suffisam-
ment puissante pour opposer aux entreprises des pirates une
rsistance victorieuse.
Cest avec ces forces qui, somme toute, ne sont pas consi-
drables si lon rflchit ltendue du pays dont elles avaient
la garde, et qui sont, en tout cas, infrieures celles que nous
entretenons aujourdhui en Algrie et en Tunisie(3), que Rome
occupa toute lAfrique depuis le golfe de Tripoli jusqu la
cte occidentale du Maroc, et cela pendant plus de quatre cents
ans. Le rsultat est assez remarquable pour quil vaille la peine
de chercher dans le dtail quels furent les moyens employs
____________________
(1) Mommsen (Rm. Geschichte, V, p. 636, note 3 = XI, p. 273, note 1,
de notre traduction) arrive au nombre de 15,000, en supposant que le quart de
ces troupes taient des ailes ou des cohortes miliariae, les autres tant seule-
ment composes de 500 hommes. Ce calcul est trs modr et le rsultat est
plutt au-dessous quau-dessus de la vrit.
(2) Sous Trajan, le diplme militaire de Cherchell (C. I. L., VIII, 20978)
mentionne, pour la Maurtanie Csarienne seule, trois ailes et dix cohortes.
(3) Actuellement, les forces doccupation de lAlgrie et de la Tunisie,
daprs le tableau demplacement des troupes, sont les suivantes : 1 Infanterie :
4 rgiments de zouaves, 10,000 hommes ; 4 rgiments de tirailleurs, 20,000 ; 2
rgiments trangers, 6,000 ; 5 bataillons dinfanterie lgre, 4,500 ; en tout, 40,500
fantassins ; 2e Cavalerie : 6 rgiments de chasseurs, 5,000 hommes ; 4 rgiments
de spahis, 3,200 ; 4 compagnies sahariennes, 1,250 ; 3 compagnies de remonte,
350 ; en tout, 9,800 cavaliers ; 3 Artillerie : 4 groupes de campagne, 2,000
hommes ; 4 Gnie : 6 compagnies, 1,000 hommes ; 5 Train des quipages :
2,000 hommes ; 6 Sections dadministration, infirmiers et gendarmerie : 3,100
hommes. Le total de nos troupes dans lAfrique du Nord slve donc aujourdhui
58,000 hommes environ, sans compter les goumiers ni les marins.
106 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

pour lobtenir. Nous examinerons donc successivement ici la


composition et les effectifs de chacun des corps de lAfrique
romaine ; nous retracerons, autant que nous pourrons le fai-
re, lhistoire des diffrentes troupes dont ils se composaient ;
nous exposerons leur organisation, leur administration. Ce
sera tenter une tude la fois gnrale et particulire, et tou-
cher une suite de questions qui intressent en mme temps
lhistoire militaire de lEmpire romain et celle des provinces
africaines.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 107

PREMIRE PARTIE.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE

CHAPITRE PREMIER.
COMPOSITION DE LARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE.

Le corps doccupation dAfrique et de Numidie se com-


posait de la lgion IIIe Auguste et de ses auxiliaires(1), sans
compter les troupes indignes que fournissaient les tribus du
pays.
Le nombre des inscriptions et des documents de toute
nature relatifs la lgion est considrable. Sur les auxiliaires,
nous possdons aussi un certain nombre de renseignements ;
mais la difficult est de reconnatre, parmi les ailes, les cohor-
tes et les numeri dont le souvenir nous a t gard par les
monuments, ceux de ces corps qui taient attachs la lgion
comme auxiliaires ordinaires et ceux qui sont venus en Afri-
que temporairement, avec des lgions de secours. Dans bien
des cas, on peut arriver seulement des probabilits.
La liste des corps auxiliaires qui paraissent avoir sjour-
n en Numidie plus ou moins longtemps, et qui seront tudis
ci-dessous, est facile dresser : elle contient cinq ailes, douze
cohortes et trois numeri :
Ala Flavia.
Ala Num idica.
Alapa
____________________
(1) Tac., Hist., IV, 48 : Legio in Africa auxiliaque ; C. I. L., VIII,
2637 : Legio III Aug. et auxilia ejus .
108 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Ala I Augusta Pannoniorum.


Ala Siliana.
Cohors II Flavia Afrorum.
Cohors II miorum
Cohors I Chalcidenorum equitata.
Cohors XV civium romanorum.
Cohors VI Commagenorum equitata.
Cohors VIII Fida.
Cohors I Flavia equitata.
Cohors II Hispanorum equitata.
Cohors V Hispanorum.
Cohors VII Lusitanorum equitata.
Cohors II Maurorum.
Cohors II Gemella Thracum equitata.
Numerus Colonorum.
Numerus Palmyrenorum sagittariorum.
Vexillatio militum Maurorum Caesariensium.

Il nest pas douteux que ces divers corps auxiliaires nont


pas occup le pays tous en mme temps ; sauf deux ou trois
dont on a une plus grande quantit de documents, et de do-
cuments dats, ce qui permet daffirmer quils sont demeurs
attachs la lgion pendant tout lEmpire, les autres se sont
remplacs ou sont venus en Afrique des poques diffren-
tes. Un nombre aussi grand de troupes auxiliaires, qui repr-
sentent un total de 12,000 ou 13,000 hommes au minimum,
aurait t dailleurs trop considrable, compar leffectif
lgionnaire, tant donne, du moins, la proportion ordinaire
que les Romains observaient sous lEmpire entre le total des
hommes dune lgion et celui des auxiliaires qui lui taient
affects ; car, nous lavons dj indiqu plus haut, si nous rai-
sonnons par comparaison avec les autres armes de lEmpire,
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 109

il ne nous est pas permis de croire que la somme des forces


auxiliaires en Numidie ait dpass de beaucoup 6,000 hom-
mes. Malheureusement, dans bien des cas, nous ne pouvons
pas fixer dune faon suffisamment prcise la priode o cha-
cun de ces corps stationnait dans le pays.
Ce qui frappe le plus quand on examine la liste des auxi-
liaires connus de Numidie, cest moins leur nombre que la
quantit de cohortes montes qui sy rencontrent : sur onze
cohortes, six au moins avaient un effectif mixte. Des corps de
cette espce taient partout fort utiles : linfanterie formait un
noyau solide, capable dattaquer avec succs ou de rsister
fermement au choc des assaillants ; la cavalerie fournissait
des claireurs, des courriers : elle reprsentait la partie mobile
de la cohorte qui devait, en plus dun cas, prvenir lattaque
ou achever la victoire.
Mais en Afrique, o lennemi tait essentiellement fugi-
tif et insaisissable, o lon avait affaire des troupes de ca-
valiers qui, comme les Arabes de nos jours, tombaient lim-
proviste sur un point mal gard, saccageaient tout ce quils
rencontraient et se retiraient la hte, des troupes mixtes
taient particulirement prcieuses ; car il fallait entretenir,
dans les postes avancs, et des hommes monts toujours prts
prendre la campagne et un ensemble de fantassins aguerris
contre lesquels leffort du nombre vint se briser. Les cohor-
tes equitatae rpondaient ce double besoin ; de l, la place
considrable quelles occupaient dans le total des troupes du
pays.
Outre la mention de la lgion et de ses auxiliaires, nous
trouvons encore, dans les documents relatifs la Numidie, la
trace de troupes de secours, appeles ou cres certains mo-
ments critiques pour renforcer le corps doccupation. Mais il faut
avouer que ces traces sont souvent assez incertaines ; on peut
bien constater la prsence de lgions, de cohortes, dailes, mais il
110 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

est impossible, la plupart du temps, de prciser la date et le


motif de leur venue. Nous avons runi ici tous les renseigne-
ments relatifs aux lgions autres que la IIIe Auguste et nous
avons divis ces lgions en trois troupes : dans le premier,
nous avons compris celles dont la prsence en Numidie est
assure et peut tre rapporte une date plus ou moins pr-
cise ; le second renferme les lgions au sujet desquelles nous
navons que des renseignements vagues ; le troisime, cel-
les dont la prsence en Afrique nest pas certaine(1). Pour les
cohortes auxiliaires de secours qui ont pu venir dans le pays
en mme temps que des dtachements lgionnaires ou isol-
ment, la question est beaucoup plus dlicate encore ; en fait,
et dans ltat actuel de nos connaissances, on ne peut pas les
distinguer des auxiliaires ordinaires de la lgion, par la raison
que ces derniers nous sont trs insuffisamment connus ; cest
pour cela que nous nen parlerons pas cette place. Lnum-
ration que nous avons donne au commencement de ce chapi-
tre renferme tous les corps auxiliaires dont nous avons gard
quelque souvenir ; dans le paragraphe qui leur sera consacr
plus loin, nous indiquerons ceux qui pourraient tre regards
comme des troupes de passage.

Legio IX Hispana. Nous savons que cette lgion fut


envoye en Afrique loccasion de la guerre de Tacfarinas(1).
Elle quitta, en 20, la Pannonie o elle avait ses quartiers dhi-
ver, et vint se mettre la disposition du proconsul L. Apro-
nius(2). Celui-ci lui confia la dfense du territoire de Leptis et le
soin de couper la retraite Tacfarinas dans le cas o il voudrait
____________________
(1) Voir plus haut, p. 13.
(2) Tac., Ann. III, 9. Dans ce passage lhistorien raconte quen lanne
20 Pison rejoignit, sur la voie Flaminienne, une lgion qui se rendait de Pan-
nonie Rome, pour passer de l en Afrique.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 111

se retirer chez les Garamantes, tandis que lui-mme agirait di-


rectement contre les rebelles. La campagne victorieusement
termine, elle fut charge de couvrir la frontire avec la IIIe
Auguste(1), jusquau jour o Tibre, croyant le pays suffisam-
ment pacifi, lui donna lordre de repasser la mer (an. 24)(2).
Le lgat qui la commandait en lanne 22, alors quelle tait
engage dans la lutte contre Tacfarinas, P. Cornelius Lentulus
Scipio, est mentionn dans un texte de Brixia(3).

Legio VI Ferrata. La prsence dun dtachement de


la lgion VIe Ferrata doit tre rapporte au rgne dAntonin
le Pieux. On le trouve occup, en lan 145, tracer une route
stratgique travers lAurs(4). Nous avons racont plus haut(5)
comment les Maures se rvoltrent cette poque, continent
larme de Maurtanie fut insuffisante soutenir leur choc et
comment on fit venir des troupes de renfort la Fois de Syrie,
dEspagne et des rgions danubiennes. La lgion VIe Ferrata
parait avoir t envoye eu Numidie soit pour empcher lin-
vasion des bandes du dsert par le Sud, soit pour remplacer
la lgion IIIe Auguste oprant du ct de la Maurtanie. Jai
adopt pour cette guerre la date 144-152.

Legio I Macriana Liberatrix. Lorsque, la mort de N-


ron, Clodius Macer se rvolta et voulut se rendre indpendant
en Afrique, il lui fallut prendre certaines mesures militaires pour
assurer sa domination. La cration dune lgion quil nomma
____________________
(1) Tac., Ann., III, 74.
(2) Ibid., IV, 23. III, 74.
(3) C. I. L., V, 4329 ; cf. Tac., Ann.,
(4) C. I. L., VIII, 10230 : Imp. Caes. T. Aelio Hadriano Antonino
Aug. Pio p. p. IIII et M. Aurelio Caesare II cos. per Prastina(m) Messalinum
leg. Aug. pr. pr. Vexil leg. VI Ferr. via(m) fecit (an. 145). Cf. ibid., 2490.
(5) Voir plus haut, p. 47 et suiv.
112 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

legio I Macriana Liberatrix(1) ; ne nous parat pas douteuse, mal-


gr lautorit de ceux qui ont ni cette cration. Cette lgion ne
vcut que fort peu de temps : elle disparut avec celui qui lavait
leve. Nous serons oblig de revenir plus loin sur cette question,
en faisant lhistoire de la lgion IIIe Auguste, avec, laquelle celle
de la lgion 1re Macrienne est intimement lie ; il suffit davoir
indiqu ici la conclusion laquelle nous nous sommes arrt.

Legio VII Gemina. La lgion VIIe Gemina est la lgion


dEspagne(2) ; il est donc tout naturel quon ait fait appel elle,
en cas de danger, pour protger lAfrique, et cela peut-tre plus
dune fois. Elle a laiss surtout des traces de son sjour Lam-
bse, o nous possdons les tombes de quatre de ses soldats(3) ;
malheureusement, lpoque de ce sjour au pied de lAurs est
assez difficile dterminer(4). Henzen ne sest pas prononc
sur ce dtail(5) ; Mommsen, dans la prface du VIIIe volume du
Corpus, parle du IIe sicle plutt que du IIIe , et la mention,
sur les pitaphes de Lambse, de la patrie des soldats, qui est
____________________
(1) Cohen, Monnaies impriales, I, p. 317 et 318 ; Mowat, Le mon-
nayage de Clodius Macer, p. 17 et suiv.
(2) Grotefend (Pauly, Realencyclopdie, s. v legio) ; Pfitzner, Ges-
chichte der rm. Kaiserlegionen, p. 245 ; R. Cagnat (Saglio, Dict. des Antiq.
grecques et romaines, III, p. 1083).
(3) C. I. L., VIII, 3075: Dis M. sacrum. C. Carminius Vales mil. leg.
VII G. F. c(enturia) Laecani anno(rum) XXX, militavit annos VIIII ; hic sep.
ex caution. testamento suo [fact]a heredis.... ; ibid., 3226 : Dis Mani[bus].
T. Riburrinius Gal. Fuscus Lugo mil. leg. VII G. [F.] c(enturia) Passiniana
annorum... stip. VIII h. s. est ; ibid., 3245 : C. Stabilius Pom. Maternus
Juliobriga mil. leg. VII G. F. c(enturia) Aprini an. XXX. stipend. XIII ; St.
Valerius Fla[vius] Val[erianus pat. fec.] ; ibid., 3268 : D. Manibus sa-
crum. L. Valerius Gal. Rufinus leg. Ju mil. Leg. VII G. F. c(enturia) L.
Egnati militavit annis VIIII, vixit annis XXVIII h. s. e.
(4) Lpithte Felix que la lgion porte depuis Vespasien (Pfitzner, op.
cit., p.245 ; Cagnat, loc. cit., p. 1084) prouve seulement que ces inscriptions
sont postrieures au rgne de cet empereur.
(5) Annali, 1860, p. 55.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 113

gnralement omise dans les inscriptions funraires partir


de la fin du IIe sicle, rend en effet cette opinion vraisem-
blable. Cependant la question nest pas aussi aise rsou-
dre quon pourrait le-croire. On a trouv en effet, parmi les
pitaphes des officiales du procurateur, Carthage, celles de
deux soldats de la lgion VIIe Gemina(1). Cela conduit na-
turellement supposer que ces soldats avaient t envoys
en mission Carthage auprs du procurateur ou du procon-
sul, alors que la lgion tait en Afrique, quils y avaient t
surpris par la mort et quon les avait enterrs dans le ter-
rain rserve aux fonctionnaires impriaux. Par suite, lge
de ces tombes donnerait la date du sjour de la lgion dans
le pays. Or Mommsen a prouv(2) que le cimetire o ces
tombes ont t dcouvertes remonte au 1er sicle et a ser-
vi encore pendant les dix premires annes du IIe ; aprs
quoi, ce cimetire tant rempli ou peu prs, on en cra un
second. En consquence, la lgion VIIe Gemina aurait s-
journ en Numidie vers la fin du 1er sicle ou au dbut du
sicle suivant. Mais, dautre part, cette poque, le camp de
Lambse nexistait point, et bien moins encore ces ncropo-
les si nettement dlimites de chaque ct des voies partant
du camp, o ont t rencontres les quatre pitaphes rap-
peles plus haut. Si donc les pitaphes de Carthage sont de
la mme poque que celles de Lambse, cest--dire du IIe
sicle, il faut croire que les soldats de la lgion VIIe Gemina
envoys en mission Carthage y ont t enterrs dans un ci-
metire dj plein, qui sest rouvert pour eux par exception ;
____________________
(1) C. I. L., VIII, 12590 : D. M. s. Flavius Fraternus mil. leg. VII. G.
F. c(enturia) Apuloni vixit an. XXVIII, mil. an. VIIII. H. s. e. Valerius Flavus
c(enturia) primi pili heres f. c. ; ibid., 24682 :Dis Manibus A. Julio Ingenuo
mil. leg. VII G. F. vixit annis XXXXIII, mil. an. XXI, Flavius Marinus heres
ejus ei posuit.
(2) C. I. L., VIII, p. 1335.
114 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

si les tombes de ces soldats sont du 1er sicle, cest quils


sont venus Carthage dEspagne, garnison habituelle de la
lgion VIIe, pour un motif qui nous chappe, ou que cette
lgion a envoy deux fois des dtachements en Afrique, une
premire fois la fin du 1er sicle ou tout fait au dbut du
IIe, par exemple propos de troubles dans les Maurtanies(1),
et ensuite dans le courant du IIe sicle ; cest ce moment
quelle aurait camp Lambese(2).
Le nom de la lgion VIIe Gemina figure encore, non plus
en Numidie mais en Maurtanie, sur un texte de Cherchell(3),
grav en lhonneur dun personnage nomm Sex Cornelius,
Sex f., Fab(ia), Clemens, co(n)s(ularis) et dux trium Dacia-
rum, par un certain Avidius Valens, qui tait attach la l-
gion ; ltat de dgradation de la pierre ne permet pas de sa-
voir quel grade avait le ddicant. Mais, malgr la prsence au
bas de cette inscription du nom dun soldat ou dun officier de
la lgion, il ny a rien en tirer sur le sjour du corps en Afri-
que ; et comme on ignore, de plus, quel titre un monument
a pu tre lev dans Cherchell un dux des trois Dacies, on
peut admettre toutes les hypothses imaginables relativement
celui qui a fait les frais de linscription. Reste un teste mutil
de Stif, mentionnant un porte-enseigne de la mme lgion ;
la date nen saurait tre fixe, mme approximativement(4).
Legio XVII Primigenia. Nous aurons nous occuper
plus loin, propos des troupes de Maurtanie, du sjour de la
____________________
(1) Voir pins haut, p. 45.
(2) On y a trouv des briques lgionnaires portant son estampille : C.
I. L., VIII, 22631, 32. Il en sera donn plus bas un fac-simil. Cf. aussi une
tombe de Timgad leve son esclave Aggrippa par un centurion de la VIIe
Gmina, Cl. Quintus.
(3) C. I. L., VIII, 20994. Cornelius Clemens fut dux Daciarum en 170
(C. I. L., III, 7505).
(4) C.I. L., VIII, 20365.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 115

lgion XXIIe Primigenia en Afrique. Mommsen(1) a mis lide


quil est contemporain des rgnes de Gordien III et de ses suc-
cesseurs jusqu Valrien. Cest pendant cette priode que Ju-
lius Bassus, centurion de la lgion, aurait lev Lambse
deux tombes, lune pour un de ses affranchis, lautre pour sa
nourrice(2). On verra combien cette hypothse est incertaine.
Legio IV Flavia. Philippeville a fourni lpitaphe dun
soldat de la lgion IVe Flavia(3) de Msie Suprieure (4), mais
il est impossible de la dater, et par suite de savoir quelle oc-
casion ce corps vint en Numidie. Ou a trouv aussi la mention
de la mme lgion Arzeu(5), en Maurtanie.
Legio V Macedonica. On peut en dire autant de la
lgion V Macedonica, dont la prsence en Numidie et sp-
cialement a Lambse est assure(6). Elle appartenait aussi
larme de Msie, mais la Msie Infrieure(7).
Legio III Cyrenaica. Henzen(8) a rapport la prsence
en Afrique dun soldat de la lgion IIIe Cyrenaica, dont on a
retrouv lpitaphe prs de Constantine(9), la guerre des Mau-
res dAntonin. Il suppose que cette lgion, cantonne Bostra,
en Arabie, avait envoy une vexillation en menue temps que sa
____________________
(1) C. I. L., VIII, p. XXII.
(2) Ibid., 2888, 2889.
(3) Ibid., 7981. Il faut rapprocher de ce texte lpitaphe dun eques singu-
laris de Msie Suprieure, tu en Afrique et enterr Lambse : ibid., 3050.
(4) Pfitzner, op. cit., p. 235 ; R. Cagnat (Saglio, Dict. des Antiq. grec-
ques et romaines, III, p. 1080).
(5) C. I. L., VIII, 9762.
(6) C. I. L., 3097 tombe dun soldat ; 2867: tombe faite sa femme par un
frumentaire (?) de la lgion. Cf. 9632 ( Affreville) : tombe dun centurion.
(7) H van de Werd, tude historique sur trois lgions romaines du
Bas-Danube p. 9 et suiv.
(8) Annali, 1860, p. 54.
(9) C. I. L., VIII, 5678 : Q(uirina tribu) Romano mil leg. III Cyrenaicae.
116 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

voisine de Syrie, la VIe Ferrata ; et, lappui de cette opi-


nion, il cite des textes pigraphiques o lon trouve plusieurs
dtachements de lgions, campes dans la mme province ou
dans des provinces voisines, runies sous le commandement
dun seul chef. Cest en effet une hypothse, que vient ap-
puyer en quelque sorte lindication de la tribu sur lpitaphe
de ce soldat de la IIIe Cyrenaica, mort en Numidie ; mais ce
nest quune hypothse trs fragile.

Legio III Gallica. La lgion IIIe Gallica, campe en


Syrie(1), est rappele sur six textes funraires de Lambse ou des
environs(2). Ces pitaphes sont celles de soldats qui taient atta-
chs la IIIe Auguste au moment de leur mort, mais qui, aupara-
vant, avaient servi dans la IIIe Gallica (translatus, contributus
ex legione III Gallica in legionem III Augastam). Deux faons
dexpliquer cette permutation soffrent tout dabord lesprit :
ou bien la IIIe Auguste avait envoy un dtachement en Orient
pour quelque guerre ; ce dtachement ayant eu souffrir pen-
dant lexpdition, les vides en auraient t combls au moyen
de soldats emprunts la IIIe Gallica, qui faisait campagne
avec elle ; puis le dtachement, ainsi complt, serait revenu
en Afrique ; ou bien la IIIe Gallica aurait prt secours, en
Numidie mme, la IIIe Auguste par lenvoi dune vexillation
____________________
(1) Cf. Saglio, Dict. des Antiq. grecques et romaines, III, p. 1080.
(2) C. I. L., VIII, 2904 : Dis Manib. sacr.... Julius C. fil. domo Arethu-
sa Livianus vet. ex aquilif. leg. III Aug. Severiae translatus ex leg. III Gallic.
se vivo... fecit ; ibid.,, 3049: D. M. s. P. Aul. Apolinario mil. ieg. III Aug.
ex III Gall. ; vix. ann. XLVII, mil. XXV ; ibid., 3113 : D. M. s. C. Fl. Sigi
mil. leg. III Aug. ex III Gall. ; vixit an. XL ; ibid., 3157 : C. Jul. Nestor
vet. pater contributus ex leg. III Gallicae (sic) in leg. III Aug. ; ibid., 4310
(prs de Ksour-el-Ghennaia ; Jul. Valens vet. natio. Sur. prob. in III Gall.
missus de leg. III Aug. ; Ann. pigr., 1898, 13 ; Aufidio Lucio o l[eg. III
Aug. proba]to in III Gallica.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 117

qui aurait t verse ensuite dans les cadres de la lgion


dAfrique.
M. Henzen sest prononc pour la premire supposi-
tion(1). On pourrait croire, dit-il, quune vexillation de la
lgion IIIe Gallica a t envoye pour renforcer les colon-
nes expditionnaires formes par la lgion IIIe Auguste et
ses auxiliaires, loccasion de la guerre des Maures, sous
Antonin, si cette supposition ntait rendue impossible
par lpithte de Severia, attribue dans un de ces textes
la lgion Auguste, ce qui nous reporte au rgne de S-
vre Alexandre Mais nous navons aucune donne sur la
venue de la lgion IIIe Gallica vers cette poque, et nous
ignorons que des mouvements se soient produits alors en
Afrique. Nous savons, au contraire, que la lgion de Numi-
die prit part la campagne de Caracalla en Orient et que,
lui mort, elle soutint la cause dlagabal ; il est donc plus
probable que, loccasion de son expeditio orientalis, la
lgion IIIe Auguste fit des pertes sensibles et fut compl-
te avec des soldats emprunts la IIIe Gallica. , Cette
conclusion repose sur des faits et sur des textes dont on ne
peut sempcher de reconnatre la valeur. Cependant, pour
qui examine les consquences pratiques quelle entrane,
elle nest pas sans soulever de grosses objections. On com-
prendrait difficilement quune vexillation de la lgion IIIe
Auguste, combattant dans une expdition ct de la IIIe
Gallica, ait pu tre complte avec des soldats emprunts
cette dernire : cet t dgarnir et dsorganiser un tout au
profit dun dtachement ; mais on comprendrait plus diffi-
cilement encore que, la guerre finie, on et song transpor-
ter en Afrique, aux frais de ltat, des soldats de Syrie qui
taient leur vraie place dans leur ancien quartier gnral,
____________________
(1) Annali, 1860, p. 35.
118 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

au lieu de ramener seulement en Numidie le dtachement de la


IIIe Auguste, quelque rduit quil ft, sauf combler les vides,
au retour, par des recrues africaines. Cette combinaison aurait
t contraire aux intrts du trsor et ceux de larme. Il est
facile, par contre, de voir lavantage quoffre, sous le rapport
administratif, lautre supposition : une vexillation de la lgion
IIIe Gallica est en Afrique ; au lieu de la renvoyer en Orient,
on la verse dans les rangs de la lgion de Lambse ; on cono-
mise des frais de transport et la mesure est sans inconvnients
pour larme de Syrie, puisquil suffit de quelques conscrits
pour remplir le vide temporaire quy a produit labsence de la
vexillation. Cest donc bien plutt la lgion IIIe Gallica qui est
venue en Numidie. A cela, il ny a quune objection faire :
sous Caracalla, lagabal et Svre Alexandre, il ne semble
pas quil y ait eu en Afrique de soulvement suffisant pour
ncessiter lenvoi de troupes de renforts. Il y a l une grave
difficult. Aussi pourrait-on songer une troisime solution
que, du reste, M. Henzen a t le premier signaler(1). On vit
se produire en Syrie, lpoque dlagabal, un mouvement
analogue celui qui devait clater en Afrique, quelques an-
nes plus tard : un lgat se prit rver la pourpre impriale(2)
et entrana la lgion dans sa rbellion. Pour la punir, lempe-
reur la licencia et fit marteler son nom sur toutes les inscrip-
tions qui le portaient(3). Mais, nous le dirons plus loin pour la
IIIe Auguste, licencier une lgion ntait point en renvoyer
les soldats dans leurs foyers : ctait les verser dans des corps
dune fidlit assure jusqu leur vtrance. Telle fut certai-
nement la punition qui fut inflige aux lgionnaires rebelles
de la IIIe Gallica. Il se peut quils aient t, en grande partie,
____________________
(1) Bullet., 1865, p. 58.
(2) Dio, LXXIX, 7.
(3) C. I. L., III, 186, 206, etc. Cf. le commentaire la suite de cette
dernire inscription.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 119

envoys en Afrique, au milieu des soldats les plus dvous


Septime Svre et sa dynastie qui existassent dans tout
lEmpire.

Leqio I Italica. Deux tuiles relatives cette lgion


passent pour avoir t trouves en Afrique. Lune est conser-
ve au muse de Saint-Germain(1) ; lautre, qui est au muse
de Constantine, porte, daprs la copie de Wilmanns : LEG
Z IIA.I(2) ; cest par suite dune conjecture que lon restitue
LEG I ITAL, et en se rfrant la tuile de Saint-Germain.
Mais, tous renseignements pris(3), on ignore absolument la
provenance de cette dernire, qui a sans doute t apporte
des bords du Danube. La prsence de la 1re Italica en Afrique
est plus que douteuse.

Legio II. On a trouv Philippeville(4) lpitaphe dun


soldat de la lgion II, mais la pierre est endommage : le nu-
mro de la lgion et son identification restent incertains.

Lejio III Italica. La lgion IIIe Italica vint-elle en


Afrique ? On nen aurait pour preuve que lpitaphe dune
jeune tille de douze ans et demi dont le pre tait centurion
dans ce corps. La tombe a t leve, Lambse, par le pre
et la mre(5). Mais un centurion en expdition ne se fait pas
suivre de sa famille ; il est probable que cet officier, antrieu-
rement attach larme dUrique, stait mari dans le pays,
puis que, nomin dans un autre corps darme, il avait laiss
sa femme et sa fille Lambse, en attendant quil pt y revenir
____________________
(1) C. I. L., VIII, p. 910 (praefatio).
(2) C. I. L., VIII, 10474, 13. Trouve Lambse.
(3) Les recherches que M. Salomon Reinach a bien voulu faire mon
intention nont amen aucun rsultat.
(4) C. I. L., VIII, 7982.
(5) Ibid., 2953.
120 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

par permutation ou par avancement. La lgion IIIe Italique


appartient larme de Rtie(1).

Legio III Parthica. Deux tombes de Lambse, faites


lpoque de Svre Alexandre, nous ont conserv le nom de
centurions appartenant la lgion IIIe Parthique. Les pita-
phes qui sy lisent sont rdiges de la mme manire : elles
relatent les diffrentes lgions o ces officiers ont t suc-
cessivement incorpors ; tous deux avaient servi dans la IIIe
Auguste avant dtre transfrs dans la IIIe Parthique. Dans
les deux cas, le monument a t lev par la femme du centu-
rion. Ni lun ni lautre de ces textes ne prouve que la lgion
IIIe Parthique soit venue dans le pays. On ne peut expliquer
la prsence dune tombe leur nom dans les cimetires de
Lambse que de deux faons : ou bien ces officiers avaient
acquis, pendant leur sjour en Numidie, un terrain o on leur
a lev ensuite un monument funraire, quoiquils fussent
peut-tre enterrs ailleurs(2) ; ou bien, ce qui est plus vraisem-
blable encore, ils taient morts en Afrique avant davoir pu
rejoindre leur nouveau poste. La similitude de carrire des
deux centurions et la ressemblance de leurs pitaphes nest
due, sans doute, quau hasard(3).
____________________
(1) Cf. R. Cagnat (Saglio, op. cit., III, p. 1080).
(2) On sait quon levait souvent un cnotaphe des dfunts, assez
loin mme de lendroit o ils taient enterrs. Cf., par exemple, C. I. L., II,
271 et 379.
(3) C. I. L., VIII, 2877 : D. M. T. Fl. Virilis o leg. II Aug., o leg. XX
V. V., o leg. VI Vic., o leg. XX V. V., o leg. III Aug., o leg. III Parth. Sever.
VIII hast. post. vixit annis LXX, stip. XXXXV. Lollia Bodicca conjux et
Flavi Victor et Victorinus fili heredes faciendum curaver. ; ibid., 2891 :
D. M. s. I. Bassus Sulpicianus o leg. II Tr. For. Item o leg. XXII Pg. P. F.,
item o leg. XIII Gem., item o leg. III Aug. P. V., item o leg. III Parthicae Se-
verianae vix ann. LIIII milit. ann. XXXVII. Julia Saturnina uxor dulcissimo
marito bene merenti fecit ; curante I. Basso Donato procurat.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 121

Legio VI Victrix. Cest une des lgions de Bretagne.


Il en est deux fois question dans les textes pigraphiques de
Numidie, sur une borne de Timgad(1) et sur une tombe de
Bou-Zioun(2). Il ny a rien en conclure sur le passage dun
dtachement de la lgion en Afrique.

Legio XX Valeria Victrix. La prsence en Afrique de


la XXe Valeria Victrix, ou tout au moins dun de ses dta-
chements, parat peu probable, bien que lon ait rencontr
Lambse ou aux environs deux monuments o elle figure : un
vu aux Dii Mauri pour le salut de Svre Alexandre par un
centurion(3), et une tombe leve sa sur par un bnficiaire
du lgat de la lgion(4).
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2401.
(2) Ibid., 5180 : Tombe de T. Flavius Ingennus, soldat m(issus) ex
[leg.] VI Vi[ctr.] P. F. provincie Britannie Inferioris. Le texte est du IIIe
sicle.
(3) Ibid., 2638 ( Lambse) : Pro salute d. n. Severi Alexandri Pii
Felicis Aug. Dis Mauris M. Porcius Easuctan (sic) o leg. XX Val. V. Severae,
v. s. I. a. On remarquera que le ddicant porte un surnom dorigine punique
Iasuctan ; cest un Africain.
(4) Ibid., 2080 ( Ksar-el-Birgaoun) : [D. Man. s. An]ne[ia]e Su[rae]
vix. annis... [Anneiu]s Vi[ctor] bene[f. legati] leg. XX Va[l. Vict.] ex provin-
cia Britannia Super. sorori castissim[a]e monument. fecit.
122 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

CHAPITRE II.

LE COMMANDANT EN CHEF DE LARME DE NUMIDIE.

I. LE PROCONSUL.

Le commandant en chef du corps doccupation de Nu-


midie, ou plutt dAfrique, fut dabord le proconsul(1). Nous
avons dj signal le fait prcdemment, en exposant lorga-
nisation tout fait exceptionnelle donne au pays par Auguste.
Nous avons montr les diffrents proconsuls, dont le nom nous
a t gard, en lutte avec les nomades du dsert, et nous avons
racont leurs oprations, notamment contre le rebelle Tacfari-
nas(2). On voit le proconsul, cette poque, exercer toutes les
prrogatives dun chef darme : cest lui qui fait les leves
dans le pays(3) ; qui punit les soldats et, suivant les traditions des
gnraux rpublicains, fait dcimer les troupes coupable(4) ;
qui, par contre, dcerne des rcompenses et des dcorations
militaires la suite de succs(5) ; cest encore lui qui contre-
marque les monnaies destines la solde des troupes(6) ; qui
nomme les officiers, qui prend les dispositions ncessaires
la dfense du pays et ordonne dlever des redoutes aux points
menacs(7) ; cest lui, enfin, qui reoit les honneurs du triomphe
____________________
(1) Tac., Hist., IV, 48 : Legio in Africa auxiliaque tutandis imperii
finibus sub divo Augusto Tiberioque principibus proconsuli parebant.
(2) Cf. p. 9 et suiv.
(3) C. I. L., VIII, 14603 ; cf. Eph. epigr., IV, p. 537.
(4) Tac., Ann., III, 21 ; cf. plus haut, p. 13.
(5) Tac., loc. cit. ; voir aussi plus haut, p. 14.
(6) Voir plus haut, p. 14.
(7) Voir p. 20.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 123

quand la guerre sest heureusement termine(1). Tous ces


dtails caractrisent nettement la situation des proconsuls
dAfrique au dbut de lEmpire. Il est inutile dinsister plus
longuement su ce point.
Le titre officiel des proconsuls dAfrique cette poque
est proconsul provinciae Africae. Ce sont des snateurs, de
rang consulaire, choisis parmi les deux plus anciens consulai-
res prsents Rome au moment du tirage au sort des provin-
ces(2). Lintervalle qui scoulait, pour un personnage, entre le
consulat et le proconsulat dAfrique, jusqu lanne 37, est
trs variable ; le moindre que nous connaissions est de quatre
ans(3), le plus considrable est de quatorze ans(4).
Les documents que nous possdons sur lpoque ant-
rieure Caligula sont trop restreints pour nous permettre de
connatre les auxiliaires que les proconsuls dAfrique em-
ployaient pour exercer leur commandement. Nous ne pou-
vons mme pas dresser une liste de ces gnraux ; il faut es-
prer que les dcouvertes futures permettront de combler les
nombreuses lacunes quelle prsente.

2. LE LGAT.

En lanne 37, le pouvoir militaire suprme fut retir au


proconsul par Caligula(5) et confi un de ses lgats(6), que lem-
____________________
(1) Voir p. 7, 8, 11, 16, 20.
(2) Waddington, Fastes de le province dAsie, p. 5.
(3) L. Domitius Ahenobarbus fut consul en 738 et proconsul en 742. ;
cf. Waddington, op. cit., p. 96.
(4) M. Junius Silanus fut consul en 19 aprs J.-C. et proconsul en 33.
(5) Cf. plus haut, p. 26 et suiv.
(6) Tac., Hist., IV, 48 : Ablatam proconsuli legionem misso in eam rem
legato tradidit. Cf. Dio, LIX, 20 :
(Piso)
. .
124 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

pereur se rserva de nommer directement. On a fait plusieurs


fois remarquer quen thorie le lgat ntait point, de ce fait,
indpendant du proconsul, et que la province militaire de Nu-
midie, ceinture de la province civile dAfrique contre les inva-
sions des tribus du Sud, nen tait pas dtache officiellement(1).
Cest l, en effet, une consquence qui ressort des textes que
lon possde. Il nen est pas moins vrai, en laissant de ct tou-
tes les subtilits qui masquaient imparfaitement les desseins
de lempereur, qu partir de cette date le proconsul ne fut plus
que par extraordinaire le chef des troupes dAfrique(2). Cest au
lgat de Numidie, sous quelque nom quon le dsigne dans les
textes, que lautorit militaire est confie ; dsormais on peut le
considrer comme le vritable commandant de larme dAfri-
que, ou, pour lappeler de son vrai nom, de Numidie. Il porte le
titre de legatus Augusti pro praetore provinciae Africae(3), abr-
g souvent en legatus Augusti pro praetore(4), ce qui indique trs
bien sa soumission directe lautorit impriale. Mais comme,
en thorie, ce nest quun des lgats du proconsul, on se sert par-
fois de termes qui dterminent plus nettement la nature de ses
fonctions : on le nomme legatus Augusti pro praetore legionis III
Augustae(5), ou legionis III Augustae et exercitus africani(6) (qui
est in Africa(7)), ou encore legatus Agusti pro praetore exercitus
____________________
(1) Mommsen, Berichte der schs. Gesellschaft der Wissenchaften,
1852, p. 213 et suiv. ; C. I. L., VIII, p. XVI ; Eph. epigr., IV, p. 536 ; .Henzen,
Annali, 1860, p. 26.
(2) On peut citer, par exemple, Galba, qui fut envoy comme pro-
consul en Afrique, extra sortem ad ordinandam provinciam barbarorum
tumultu inquietam . (Suet., Galb., 7.)
(3) C.I.L., XI, 5210 : praetorius legatus provinciae Africae lmp. Cae-
sar. Aug. (sous Vespasien ) ; ibid., VIII, 2747 (an 150) ; ibid., 7036 (sous
Antonin le Pieux).
(4) Cest le terme dont on se sert habituellement. Cf. C. I. L., VIII, p. 1065.
(5) C. I. L., VIII, 10296 (sous Hadrien) ; 2736 (an 140) ; 2582 (an 176-180), etc.
(6) Ibid., XI, 1318.
(7) Ibid., V, 531 (sous Vespasien) ; XI, 5211 (id.).
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 125

provinciae Africae(1) ; parfois aussi lon indique que son auto-


rit ne stend que sur une partie de lAfrique, sur la province
militaire : legatus Augusti provinciae Africae dioeceseos Nu-
midiae(2). A partir de Septime Svre seulement, alors que la
Numidie est devenue une province part, on trouve les ex-
pressions : legatus legionis III Augustae, praeses provinciae
Namidiae(3), ou legatus Augusti pro praetore provinciae Na-
midiae(4). La diversit de ces titres prouve combien on tait
embarrass pour qualifier la position exceptionnelle de ce
personnage. Quant la mention de la lgion IIIe Auguste, et
plus encore de larme doccupation dAfrique, elle suffirait
prouver, dfaut de tout autre renseignement, quil est le
gnral en chef, revtu de lautorit suprme dans le pays. On
remarquera, que sur les documents militaires de cette poque,
mme sur ceux que lon a retrouvs dans lintrieur de la pro-
vince civile dAfrique, le proconsul nest jamais mentionn,
mais bien le lgat, et le lgat seul(5).
Cependant, par dfrence sans doute envers le Snat et
le proconsul, son reprsentant, et pour mnager la transition,
Caligula et ses successeurs immdiats naccordrent pas au
lgat de Numidie, la situation qui aurait convenu un gou-
verneur indpendant. Les premiers lgats de la lgion IIIe
Auguste jusqu Hadrien ne diffrent en rien des autres lgats
lgionnaires : comme eux, ce sont dhabitude de tout jeunes
prtoriens qui sont envoys en Afrique au sortir de leur pr-
____________________
(1) C. I. L., VIII, 17891 ; Cf. Ann. pigr., 1908, 237.
(2) Ibid., VI, 1406 (fin du IIe sicle).
(3) Ibid., X, 6569 (sous Septime Svre). Cest une inscription bilin-
gue. Le texte grec porte:
.
(4) Ibid., VIII, 2392 (sous Svre Alexandre) ; 2615 (an 253 ?)
(5) Ibid., 10116 (inscription dun castellum lev sous Vespasien non
loin de Bja) ; 10048, 10065, 10081, etc. (milliaires de la voie de Thveste
Carthage).
126 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

ture(1), ou mme des questoriens(2) ; ils continuent donc tre


choisis parmi des snateurs dun rang trs infrieur celui
du proconsul. A partir du milieu du IIe sicle, au contraire,
les empereurs donnent plus dimportance aux lgats de Nu-
midie: on appelle au commandement de larme dAfrique
de vieux prtoriens, et ceux-ci arrivent au consulat soit im-
mdiatement en quittant leur lgation(3), soit mme pendant
quils lexercent(4).
On comprend aisment pourquoi il tait utile den-
voyer la tte de la lgion de Lambse un chef expriment.
Ailleurs, un lgat lgionnaire navait soccuper que de sa
lgion et des auxiliaires qui y taient attachs ; le pouvoir
suprme sur la province, avec le soin de la tenir en tat de
dfense et les soucis de la guerre, appartenaient au lgat pro-
prteur commandant en chef, qui avait toutes les lgions du
corps darme sous ses ordres ; en Numidie, au contraire, o
il ny avait quune lgion, tout tait concentr entre les mains
dun seul homme, la fois chef de corps et gnral darme.
A une position exceptionnelle, il fallait des hommes dune
haute autorit.
On a cru longtemps que la dure des fonctions du lgat
de Numidie tait une priode triennale, commenant au mois
de juillet dune anne pour se terminer au mois de juillet, trois
ans aprs. Cette conclusion, fonde sur un trop petit nombre
dexemples, a t reconnue inexacte. La liste des lgats donne
par M. Pallu de Lessert prouve quil ny avait pas, ce sujet,
de rgle fixe. Il est, en effet, de lessence mme de pareilles
fonctions dtre entirement soumises au bon plaisir imprial
____________________
(1) C. I. L., V, 531 ; XI, 5210 (le personnage nest que prteur dsign).
(2) Ibid., 5211 : praetor designatus, leg. pr. pr. ad exercitum qui est
in Africa et absens inter patricios relatus.
(3) C. I. L., VIII, 2361, 2392, 2588, 2589, 2654, 7036, 10114, 11891, etc.
(4) Ibid., 2553, 2740, 2742, 2743, 2749, etc.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 127

qui nomme aux commandements et en relve, suivant les be-


soins du service. Les lgats pouvaient rester un an seulement
en fonction, comme Caelius Optalus(1) ; trois ans, comme L.
Munatius(2) Gallus, L. Novius Crispinus Martialis Saturni-
nus(3), et bien dautres sans doute ; ou mme davantage, com-
me Q. Anicius Faustu(4), qui semble tre demeur cinq ans
au moins en Numidie. A mesure que lon mettra au jour de
nouveaux documents et que lon pourra prciser la priode de
gouvernement de chaque titulaire, on se convaincra de plus
en plus quaucune loi constante na prsid la dure des
fonctions du lgat.

A partir du rgne de Gallien, sil en faut en croire Aure-


lius Victor, les personnages dordre snatorial furent exclus
du commandement des armes(5). Cette mesure ne fut sans
doute pas applique tout dun coup dans toutes les provinces,
puisque, en lanne 268, qui est la dernire du rgne de Gal-
lien, il y a encore Lambse un lgat proprteur de Numidie
qui prside la reconstruction du Praetorium(6) ; mais il parat
bien avoir t le dernier. Ds lors, le lgat est remplac la
tte de la lgion par le praefectus legionis ; la tte du corps
darme de Numidie, par celui-ci sans doute en temps ordi-
naire, et, dans les circonstances critiques, par un personnage
plus important que lon trouve une ou deux fois mentionn
avec le titre de dux per Africam(7). Il en sera question plus bas
propos de larme doccupation du pays aprs Diocltien.
____________________
(1) Pallu de Lessert, Fastes dAfrique, I, p. 378.
(2) Ibid., p. 340.
(3) Ibid., p. 360.
(4) Ibid., p. 406.
(5) De Caes., 33, 34 : Senatum militia vetuit, etiam adire exercitum.
(6) C. I. L., VIII, 3671 (cf. addit.).
(7) II ne faut pas confondre ce dux per Africam avec celui qui est mentionn
128 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

3. LTAT-MAJOR DU LGAT.

De tout temps, les gnraux ont eu auprs deux, pour


assurer le bon fonctionnement des services confis leur soin,
en paix comme en guerre, des aides spciaux sur lesquels ils
se dchargent des dtails et des menues besognes. Il en tait
ainsi lpoque impriale, et la Numidie na pas fait exception
la rgle commune ; mais l, nous nous trouvons en prsence
dune situation particulire. Dans les provinces o campaient
plusieurs lgions, ce qui est le cas le plus frquent, il y avait
auprs du gnral en chef un tat-major, qui tait celui du
corps darme, et auprs de chaque lgat lgionnaire un tat-
major particulier, propre la lgion quil commandait. En Nu-
midie, au contraire, o lempereur nentretenait que la lgion
IIIe Auguste, le commandant de cette lgion tait en mme
temps celui du corps darme, si bien que le mme person-
nage avait sous lui deux tats-majors, le premier pour laider
dans lexpdition des affaires qui intressaient lensemble
des troupes doccupation, le second pour rgler en sous-ordre
celles qui ne concernaient que la lgion. Cette dualit, qui,
dans la pratique, tait sans doute fort attnue et bien moins
absolue quailleurs, ne se traduit par aucun signe extrieur sur
____________________
dans le texte suivant (C. I. L., III, 4855) : Memoriae Val. Cl. Quinti p.
p. leg. II Ital., duci leg. III Ital., duci et praep. leg. III Aug viro innocen-
tissimo. Celui-ci, qui parait tre un commandant intrimaire de la lgion
appel remplacer le chef ordinaire mort ou absent, semble bien appartenir
aussi lpoque o la lgion avait sa tte un prfet, avant cette date, on
aurait eu recours, pour tenir lieu du lgat, un tribun, un personnage dordre
snatorial, mais il na rien de commun avec un chef darme. Son titre de
praepositus indique une commission temporaire, et le titre de dux ; sexpli-
que par le fait quil occupe une position plus leve que ne le comporte son
grade. Cf. sur ce titre une remarque de Mommsen a la suite dun travail de
M. von Sallet, Die Frsten von Palmyra, Berlin, 1866, in-8 ; et une note du
mme dans les Gesammelte Schriften. VI, p. 204.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 129

les monuments relatifs aux officiers et sous-officiers attachs


lun et lautre des tats-majors ; ainsi les bnficiaires sap-
pellent de mme, quils dpendent du lgat de Numidie ou du
lgat de la IIIe Auguste : ils se nomment beneficiarius consu-
laris, si le lgat est consul ou de rang consulaire, ce qui arrive
assez souvent, ainsi quil a t dit plus haut, partir de la fin du
IIe sicle, ou beneficiarius legati, si le lgat nest que de rang
prtorien. Ce nest point une raison pourtant pour que nous
ne fassions pas ici de distinction entre les deux sortes dtat-
major, ce qui noffre pas de difficult depuis que Mommsen(1)
et surtout M. von Domaszewski(2) ont dress la liste des diff-
rents auxiliaires qui composaient chacun deux.
Daprs eux, on rencontre auprs des commandants de
corps darme les attachs suivants :
cornicularii, haruspices,
commentarienses, interpretes,
speculatores, victimarii
beneficiarii, librarii,
quaestionarii, exacti,
frumentarii, immunes,
stratores, exceptores,
singulares,

auxquels il convient dajouter les speculatores et les quaes-


tionarii.
Auprs des lgats lgionnaires, au contraire, on ne trou-
ve que ceux-ci :
cornicularii, statores,
beneficiarii, stratores,
librarii, exacti,
actarii, immunes.
notarii,
____________________
(1) Eph. Epigr., IV, p. 533 et suiv.
(2) Die Rangordnung des rm. Heeres (Bonner Jahrbcher, CXVII.).
130 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

La comparaison de ces deux listes prouve que si les


cornicularii, les beneficiarii, les stratores, les librarii et les
exacti sont communs aux deux espces dtat-major, les com-
mentarienses, les frumentarii, les exceptores, les singulares,
les immunes, les speculatores, les quaestionarii, les interpre-
tes, les haruspices et les victimarii sont propres celui des
gnraux en chef. Cest ce quil ne faudra pas perdre de vue
en tudiant, comme nous allons le faire, par catgories, les
diffrents officiers ou sous-officiers dtat-major dont les tex-
tes pigraphiques de Numidie nous ont gard le souvenir.
AUXILIAIRES DU COMMANDEMENT.
Beneficiarii(1). On nest pas renseign exactement sur
les fonctions rserves aux bnficiaires, sous-officiers qui,
sans sortir des cohortes lgionnaires(2), taient attachs la per-
sonne du lgat ; il est probable quelles dpendaient en grande
partie de sa volont. De mme quil les choisissait son gr(3)
dans les diffrentes troupes du corps darme(4) ou dans la l-
gion, de mme il les employait, suivant les besoins du service,
diffrentes besognes : la police(5), la garde de la prison(6), au
commandement de postes dtachs(7), ladministration(8), ou
____________________
(1) Cf. de Ruggiero, Dizion epigr., s. v.
(2) C. I. L., VIII, 2567 (coh. 1), 2568 (coh. IX).
(3) Veget., II, 7 : Beneficiarii ab eo appellati quod promoventur bene-
ficio tribuni. Ce renseignement de Vgce sapplique son poque, o les
tribuns sont chefs de la lgion ; mais ltymologie du mot nen est pas moins
claire, mme pour les temps antrieurs.
(4) On a peut-tre un exemple, en Afrique, dun beneficiarius emprunt
une cohorte auxiliaire (C. I. L., VIII, 2226 : Dec. coh. Hispanor. ex b. leg. ).
Il semble pourtant que ce soit l une exception.
(5) Tertull., De fuga in persec., 13. Cf. de Ruggiero, loc. cit., et Hirsch-
feld, Sitzungsber der Berlin, Akad., 1891, p. 863.
(6) C. I. L., III, 3412.
(7) ibid., VIII, 10716, 10717, 10723, etc. Ce parat mme avoir t une
des attributions les plus ordinaires des bnficiaires.
(8) Cf. von Domaszewski, Rhein. Mus., 1893, p. 346, note 2. Sur un bas-
relief dAumale, un bnficiaire tient en main un coffret garni dune anse (R.
Gagnat, Strena Helbigiana, p. 38).
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 131

mme des soins qui regardaient son service personnel(1). Le


nombre de ces bnficiaires tait assez considrable : dans
une liste militaire de Lambse, on trouve trente sous-officiers
dsigns sous ce titre(2).
Immunes. Les immunes(3) taient des bnficiaires de
rang infrieur(4) employs aux critures(5).
Singulares. Les singulares formaient un petit corps
part auprs des commandants darme(6). Leur nom de singu-
lares, qui rpond notre terme militaire isols , et labsence
de singularis legati dans les listes lgionnaires de Lambse
qui sont toutes dresses par cohortes, rendent cette supposi-
tion trs vraisemblable. Ctaient des soldats dlite, toujours
aux ordres du commandant en chef et formant autour de lui
une garde du corps(7). Nous trouvons Lambse un eques ex
singularibus(8) et un pedes singularis(9).
____________________
(1) Domicurius ejus : C. I. L., VIII, 2797 ; a curis : Ibid., XII, 3168, 5878
; cf. Dio, LXXVIII, 13. Voir sur ce point von Domaszewski, Die Rangordnung
des rm. Heeres, p. 68, et von Prernerstein, Klio, III, p. 34.
(2) C. I. L., VIII, 2586.
(3) Ibid., 2564, 2618, et R. Cagnat, Muse de Lambse, p. 65.
(4) Cf. Cauer, Eph. epigr., IV, p. 409. Cet auteur fait justement remarquer
quen gnral les principales, les commis dtat-major et les spcialistes sont
dits immunes, cest--dire exempts de corves, par opposition aux combattants,
mais que certains parmi eux portent plus spcialement ce titre.
(5) Cf. une inscription de Carnuntum (Ann. pigr., 1905, 241), ddie Miner-
vae et Genio immunium. Minerve est ici la patronne des commis aux critures.
(6) Cf. Mommsen, Eph. epigr., IV, p. 404, et von Domaszweski, Die
Rangordnung, p. 35 et suiv.
(7) Lydus, De Mag., III, 7 : , ,
. Le mme auteur donne
sur lorigine de lappellation singularis une explication trange :
. Il a pourtant entrevu la vrit ; car il
dit, une ligne plus bas : .
(8) C. I. L., VIII, 3050.
(9) Ibid., 2911. La tombe est faite par son frre, qui tait beneficiarius
consularis.
132 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Stratores. Pour se rendre compte des fonctions d-


volues aux stratores, il suffit de se reporter aux textes des
auteurs ; on y voit que les Romains appelaient de ce nom des
cuyers, des ordonnances chargs de prsenter aux gnraux
leur cheval et de les aider y monter(1).
Ces cuyers ne cessaient pas pour cela dtre inscrits
dans leffectif des cohortes lgionnaires ; sur un texte dAfri-
que, par exemple, lun deux figure parmi les principales de la
cohorte VIIIe et deux autres dans la cohorte IXe(2) ; nous avons
dj fait la mme observation propos des bnficiaires.
Mais ct de ces stratores, de rang infrieur, qui
veillaient sur lcurie du lgat, les inscriptions nous signalent
des centurions(3) et peut-tre mme des dcurions(4) qui ce
titre est accord. Il est vident que ces derniers ne remplis-
saient pas la fonction infime rserve aux cuyers dont il a t
question plus haut. On a suppos quils taient leurs chefs(5),
ce qui est vraisemblable.

Speculatores. Les speculatores paraissent avoir t sur-


tout chargs non pas du service de courriers, comme on la dit
quelquefois(6), mais bien plutt de laccomplissement ou de la
____________________
(1) Vita Caracallae, 7 : Cum ilium in equum strator ejus leveret
Ammian., XXX, 5 : Cum... oblatus non susciperet, equus, anteriores pedes
praeter morem erigens in sublime..... dexteram stratoris militis jussit abscidi
quae eum insilientem jumento pulsarat consueto. Cf. Cod. Theod., VI, 30.
Les stratores taient attachs spcialement aux chefs militaires ; les gouver-
neurs civils, proconsuls ou procurateurs ny avaient pas droit. (Dig., I, 16, 4,
1 ; Nemo proconsulum stratores suos habere potest. ) Mais des soldats
dtachs des provinces voisines ou fournis par des municipalits pouvaient,
daprs le mme passage du Digeste, leur en tenir lieu.
(2) C. I. L., VIII, 2568 ; cf. ibid., 2567 (coh. II) et 2569 (ch. III).
(3) Ibid., II, 4114 ; VIII, 2749, 7050 (primipilaris).
(4) Ibid., VIII, 9370.
(5) Mommsen, Eph. epigr., IV, p. 409.
(6) Marquardt, Staatsverwaltung (2e d.), I, p. 460 ; surtout daprs Tite-
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 133

surveillance des sentences capitales(1). De deux inscriptions


trouves lune Aquincum(2) et lautre Carnuntum(3), il r-
sulte quil y avait dix speculatores par lgion, chacune des
cohortes fournissant probablement un speculator ltat-ma-
jor du corps darme. Linscription de Lambse qui en men-
tionne le plus ne contient que quatre noms(4) ; il ny a natu-
rellement aucune consquence tirer de l sur le nombre des
speculatores attachs au lgat de Numidie(5).

Cornicalarii. On connat mal les fonctions confies aux


corniculaires. Du Cange(6) admet que ctaient des greffiers(7) ;
mais cette opinion repose surtout sur une fausse tymologie
donne par Cassiodore(8) et sur un texte de Julius Firmicus(9), qui
nous les prsentent comme exceptores earum sententiarum quae
de hominum capitibus proferentur. Nous ne possdons aucun
texte antrieur qui nous fixe sur le rle des corniculaires mili-
taires ; par contre, nous voyons, dans le Code Thodosien, les
____________________
Live (XXXI, 24 : Speculator hemorodromos vocant Craeci ) et Tacite (Hist., II, 73).
(1) Senec., De ira, I, 16, 15 ; Evang. Marci. VI, 27 ; Dig., XLVIII, 20, 6.
Cf. von Domaszewski, Rhein. Mus., 1890, p. 211, et Die Rangordnung, p. 32.
(2) C. I. L., III, 3524.
(3) Ibid., 4452. Cf. ibid., II, 4122, et XI, 395.
(4) Ibid., VIII, 2586. Cest une liste de principales qui imagines sacras
aureas fecerunt.
(5) M. von Domaszewski (Rhein. Mus., loc. cit.) croit que si les six autres specu-
latores ne figurent pas sur cette inscription, cest quils taient dtachs Carthage pour
le service du proconsul, puisque, daprs les rglements mme de Caligula (cf. plus
haut, p. 27), celui-ci avait droit au mme nombre dauxiliaires militaires que le lgat.
(6) Glossar., s. v.
(7) Cf. Pottier, dans le Dictionnaire des antiquits grecques et romaines de
M. Saglio, s. v Cornicularius ; Brescia, dans le Dizion. epigr. de M. de Ruggiero,
et Fiegel, dans Pauly-Wissowa, Realencyclop., s. v.
(8) Cassiod., Var., XI, 36 : Praefuit cornibus secretarii praetoriani.
On croit que le cornicularius sappelait ainsi parce quil portait son casque un
ornement en forme de cornette (Liv., X, 44). Cr. larticle Corniculum dans le Dic-
tionnaire des antiquits grecques et romaines de M. Saglio.
(9) Jul., Firm., III, 6.
134 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

corniculaires prendre dans les greniers publics les provisions


payes comme salarium au gouverneur(1). Ils avaient eux-m-
mes des aides, qui taient des soldats de la lgion(2). M. von
Domaszewski admet que leur nombre rglementaire tait de
trois, et que, si lon nen rencontre que deux dans lofficium
du lgat de Numidie(3), cest que le troisime tait dtach
Carthage auprs du proconsul(4).

Quaestionarii. Pour rendre la justice, ou plutt pour


informer les affaires de son ressort, le lgat de Numidie em-
ployait un certain nombre de quaestionarii. On les trouve si-
gnals sur deux textes de Lambse(5). Le premier nous ap-
prend quils taient au moins au nombre de cinq. Dans une
autre inscription(6) figure un principalis, dont le titre, indiqu
par labrviation AD QS, pourrait bien tre celui de ad quaes-
tiones. Marquardt nadmet pas que ces sous-officiers aient eu
le droit de mettre les accuss la question, les lgionnaires
tant des citoyens romains que lon ne pouvait torturer(7) ;
mais tel nest pas lavis de Mommsen(8). Dans quelque sens
quil faille prendre le mot quaestio(9), la fonction des quaes-
tionarii tait certainement celle de juges dinstruction.
____________________
(1) Cod. Theod., VII, 4, 32 ; mais il sagit dans ce texte du corniculaire
attach lofficium dudit gouverneur.
(2) C. I. L., VIII, 1875: Fl. Januarius adjutor ofici corniculatioru(m) ; Homul-
lius Saturninus mil, leg. III Aug. com[man(ipulari)?] fec. Cf. ibid., III, 1471, 3543.
(3) Ibid., VIII, 2586.
(4) Die Rangordnung, p. 30.
(5) C. I. L., VIII, 2586 et 2751.
(6) Ibid., 2568.
(7) Cf. Marquardt, Staatsverwaltung, II, p. 552.
(8) Eph. epigr., IV, p. 421 : At quaestionarii ex legionibus cum non
reperiantur nisi apud legatos cos qui provinciae pracessent, ad sola judicia de
militibus facienda non recte referuntur, ut mittam vel inter milites multos fuisse
non cives romanos.
(9) Sur le sens juridique du mot quaestio, voir une longue note de Momm-
sen dans son Droit pnal romain (I, p. 168, note 3),
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 135

EMPLOYS AUX CRITURES.

Outre les attachs dtat-major que nous venons de


mentionner, il y avait, dans les bureaux du commandant en
chef, comme dans ceux du lgat lgionnaire, des officiers et
des sous-officiers dont le rle tait de rdiger et de conserver
les diffrents actes militaires relatifs au commandement ou
ladministration. Vgce nous donne sur ces actes quelques
renseignements(1) : Totius legionis ratio dit-il sive ob-
sequiorum, sive militarium munerum, sive pecuniae, quotidie
adscribitur actis majore prope diligentia quam res annonaria
vel civilis polyptychis adnotatur. Quotidianas etiam in pace
vigilias, item excubitum sive agrarias de omnibus centuriis et
contuberniis vicissim milites faciunt ; nomina eorum qui
vices suas fecerunt brevibus inferuntur. Quando quis com-
meatum acceperit, vel quot dierum annotatur in brevibus. Il
semble, daprs ce passage, que ces actes militaires taient de
deux sortes ; les uns relataient les faits intressant la lgion
et le service lgionnaire ; ctait sur eux, par exemple, quon
inscrivait les noms des soldats de garde aux portes ou dans
lintrieur du camp ; les autres taient rservs la comptabi-
lit : ou y indiquait tous tes dtails relatifs la solde et len-
tretien du corps. Nous retrouverons parmi les soldats affects
au bureau du lgat de Numidie des employs appartenant aux
deux catgories. Malheureusement, il est assez difficile de les
distinguer les uns des autres ; la classification suivante ne
peut tre considre que comme provisoire.
____________________
(1) Veget., II, 19. On sait que les papyrus dgypte nous ont conserv
plusieurs spcimens de ces pices darchives militaires. Voir surtout J. Nico-
le et Ch. Morel, Archives militaires du Ier sicle, et Mommsen, Eph., epigr.,
VII, p. 456,
136 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Commentarienses. Les commentarienses ne pou-


vaient tre chargs que de la rdaction des commentarii. On
appelait ainsi des livres o les particuliers, les administra-
tions publiques et municipales, les collges sacerdotaux, les
bureaux de lempereur, inscrivaient jour par jour les faits et
les documents dignes dtre conservs dans les archives(1).
Les commentarii militaires taient donc, par analogie, les re-
gistres o lon relatait non seulement les vnements de la
journe avec tous les menus dtails de service ou de compta-
bilit, mais encore et surtout les ordres suprieurs ports au
rapport . Ces commentaires formaient des dossiers, auxquels
on pouvait avoir recours dans la suite, soit pour y trouver des
prcdents, soit pour reconstituer lhistoire de chaque corps
darme ou de chaque corps de troupe. Il y avait deux com-
mentarienses auprs du lgat de Numidie(2), dont lun plus
spcialement attach au tribun semestris(3) ; un troisime tait
affect lofficium du proconsul(4).

Notarii et exceptores(5). Les notarii et les exceptores


taient plutt des secrtaires employs par les gnraux pour
prendre note de leurs ordres et rdiger les instructions desti-
nes aux soldats. Il est assez difficile dtablir entre ces deux
sortes de greffiers une diffrence. Les uns et les autres exis-
taient larme de Numidie : Lambse, on a trouv la tombe
dun notarius legati (6) ; on ny a pas rencontr dexceptores,
mais il en est question dans une inscription dAn-Zou(7) o la
____________________
(1) Cf. H. Thdenat, dans le Dictionnaire des antiquits grecques et romaines de
M. Saglio, s. v Commentarium ; de Ruggiero, dans le Dizion. epigr., s. v. Commentarii ;
von Premerstein dans Pauly-Wissowa, Realencyclop., s. v Commentarii
(2) C. I. L., VIII, 2586.
(3) Cf. von Domaszewski, Die Rangordnung, p. 31.
(4) ibid., p. 63.
(5) Cauer, Eph. epigr., IV, p. 432 et suivantes.
(6) C. I. L., VIII, 2755.
(7) Ibid., 10723 : ......lianes b(ene)f(iciarius) [et] exceptores [ex]ipleta statione
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 137

lgion envoyait rgulirement un certain nombre dhommes,


ce qui prouve que ces commis rdacteurs accompagnaient les
dtachements, o leur prsence tait juge ncessaire auprs
du chef de poste.

Actarii. Les actarii ou actuarii avaient pour mission


de composer les acta, cest--dire de noter sur des registres
tous les dtails du service journalier ; ils diffraient des com-
mentarienses en ce que leur besogne tait surtout adminis-
trative ; ils se distinguaient des librarii en ce quils ne soc-
cupaient pas des comptes(1). Aurelius Victor nous les dpeint
comme chargs surtout du service des approvisionnements(2).
Le Code Thodosien nous en apprend encore plus leur su-
jet(3) : on y voit que, au IVe sicle, ils avaient pour mission
dmettre les bons de vivres ncessaires la nourriture des
troupes, en prenant pour base renseignements le registre des
prsents au corps. Ces renseignements permettent de se rendre
compte de la nature gnrale de leurs fonctions. Les listes de
Lambse contiennent de nombreuses mentions dactarii(4).

Exacti. Elles signalent aussi des exacti(5). Quelques


____________________
cum suis omnibus v, s. l. m.
(1) Cauer, Eph. epigr., IV, p. 429 ; De Ruggiero, Dizion. epigr., I, p. 55.
(2) Aur. Vict., De Caes., XXIII, 13 : Annonae dominans (genus) eoque
utilia curantibus et fortunis aratorum infestum.
(3) Cod. Theod., VII, 4, 11, Cf. le commentaire de Godefroy.
(4) Par exemple : C. I. L., VIII, 2554, 2626. Dans cette dernire inscrip-
tion, o toutes les fonctions des personnages sont reprsentes par des sigles, on
trouve devant dix noms labrviation EX A que lon peut expliquer par ex acta-
rio, malgr les scrupules de Wilmanns (cf. le commentaire la suite du texte) ;
devant deux autres noms on lit EX A L ; L. Renier a lu ex a(ctario) l(egati).
Mais rien nautorise supposer quil y ait eu dautres actarii que ceux du lgat,
et par suite on ne voit pas pourquoi, dans le mme texte, on aurait employ deux
sortes de sigles pour dsigner la mme fonction.
(5) Ibid., 5362 (exactus consuluris ?) ; 2977 (exactus clarissimi viri) ; 2956
(miles exactus leg. III Aug.) ; 4240 (exactus ad praeterium ?) ; 2567 (exactus).
138 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

auteurs les considrent comme identiques aux actarii, en sap-


puyant sur le fait que le mot actum entre dans la composition des
deux termes(1). Cest une opinion que lon ne peut pas partager,
en prsence dune inscription de Rome o il est fait mention
dun actarius cum immunibus et librariis et exactis(2), et dune
autre de Lambse, o on lit... actarius, item librari et exacti leg.
III Aug.(3). Il y a l une diffrence de dtail qui nous chappe.
Peut-tre les uns taient-ils seulement dun rang suprieur aux
autres. Linscription de Lambse laquelle il vient dtre fait
allusion donne une liste dexacti comprenant 21 noms.

Librarii. Les comptes taient tenus par les librarii.


Aucun doute nest possible sur la fonction de ces soldats dadmi-
nistration. Vgece nous apprend(4) quils taient appels libra-
rii quod in libros referrent rationes ad milites pertinentes ;
et son tmoignage est confirm par celui de Festus(5), qui dit :
Librari qui rationes publicas scribunt in tabulis . De plus, on
les trouve mentionns propos de certains services particuliers,
qui font mieux ressortir encore leur caractre de comptables :
le Digeste(6) nous signale des librarii horreorum, depositorum,
caducorum. ll est frquemment question de librarii sur les mo-
numents de Lambse(7). Le nombre de ceux qui taient attachs
au corps darme et la lgion devait tre assez considrable,
____________________
(1) Cf. Marquardt, Staatsverwaltung, II 2e dit.), p. 551 ; de Ruggiero,
Dizion. epigr., p. 56. Il est vident que exactus est form de ex et actum. (Cf.
Mommsen, Annali, 1853, p. 73.)
(2) C. I. L., VI, 301.
(3) Ann. pigr., 1898, 108, 109).
(4) Veget., II, 7,
(5) Festus, p. 333.
(6) Dig., L, 6, 7.
(7) Cf. C. I. L., VIII, Indices, p. 1080. Les librarii se nommaient aussi,
du moins dans certains cas, cerarii. Dans deux textes de Lambse (Ibid.,
2985 et 2986), le mme soldat est appel une fois librarius , lautre fois
cerarius . On a trouv Msad la mention de cerei (Ann. pigr.,1906,124).
1906, ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 139

le service de comptabilit tant trs important et trs vari ;


mais on na pas ce sujet de document concluant(1). Nous fe-
rons remarquer en finissant que, si lmission de mandats, leur
ordonnancement et la comptabilit du corps darme taient
entre leurs mains, il nen tait pas de mme du maniement
des fonds ; celui-ci tait rserv, ainsi quil sera expliqu plus
loin, des esclaves de la maison impriale.
____________________
(1) Le texte le plus important sur la question est une liste trouve
Lambse (ibid., 2626) ; cest lalbum dun collge de vtrans ; malheureu-
sement, les abrviations qui y sont employes pour indiquer les fonctions que
les membres du collge exeraient autrefois dans la lgion sont prsentes
sous une forme tellement abrge, que lexplication en reste, pour la plupart,
incertaine. Si, dans cette inscription, la lettre L, place ct dun nom, doit
sinterprter par librarius, le collge aurait contenu vingt-neuf librarii, dont
un attach au lgat et trois aux tribuns. Les auteurs du Corpus hsitent ad-
mettre un nombre aussi considrable de librarii pour une seule lgion. Mais
il ne faut pas oublier que lon est ici en prsence de vtrans entrs successi-
vement dans le collge et qui, par consquent, ntaient pas tous au service
en mme temps.
140 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

CHAPITRE III.

LA LGION IIIe AUGUSTE.

1. HISTOIRE DE LA LGION(1).

La lgion IIIe Auguste est une de celles quAuguste


conserva quand il tablit larme permanente. Mais on ne sait
pas, dune faon prcise, quelle poque remonte sa cra-
tion. Mommsen(2) pense quelle fut peut-tre tablie par C-
sar pendant les guerres civiles ; il admet aussi, et M. Fiegel
se range cet avis(3), quelle faisait partie des troupes dOc-
tave avant son avnement lEmpire. Lorsque, dans la suite,
matre du pouvoir suprme, celui-ci voulut organiser larme
impriale, il aurait gard les trois lgions dsignes par le nu-
mro III quil avait trouves constitues son avnement(4),
et se serait content de les distinguer par des surnoms diff-
rents. On comprend aisment quil ait donn, dans ce cas,
celui dAugusta une lgion qui servait sa cause depuis un
certain nombre dannes.
Fut-elle tablie tout dabord en Afrique ? Cest un fait qui
a pour lui toutes les probabilits. Il est certain seulement quel-
le y tait dj en garnison sous le rgne dAuguste(5), et quon
la trouve, la mort de ce prince, occupe tracer une route
____________________
(1) Cf. Mommsen, C. I. L., VIII, p. XIX ; Fiegel, Historia legionis III Augus-
tae (Berlin, 1882, in-8). Voir aussi de Ruggiero, Dizion. epigr.., I, p. 815.
(2) Res gestae Divi Augusti (5e edition), p. 74, et surtout C. I. L., VIII,
p. XIX.
(3) Fiegel, op. cit., p. 7.
(4) La IIIe Cyrenaica aurait t une lgion leve par Lpide en Afri-
que, et la IIIe Gallica aurait appartenu larme dAntoine. cf. Mommsen et
Fiegel, loc. cit.
(5) Tac., Hist., IV, 48 ; Dio, LV, 23.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 141

entre Tacapas(Gabs) et le camp dhiver du corps darme


dAfrique(1). Quelques annes aprs, nous la voyons engage
dans la lutte contre Tacfarinas(2), que nous avons raconte
grands traits un peu plus haut ; elle formait la partie la plus
solide et la plus nombreuse des troupes que les proconsuls ro-
mains opposaient lenvahissement des nomades du Sud : ce
fut elle qui remporta sur le chef rebelle une victoire dcisive.
Lorsqu la mort de Nron lEmpire est sur le point de
se disloquer, un usurpateur parait en Afrique, Clodius Macer,
dont il a dj t question. La tentative de ce personnage,
qui se rattachait peut-tre un dernier rveil du parti rpubli-
cain(3), est un des pisodes importants de lhistoire de larme
de Numidie ; nous avons indiqu dans notre livre premier
quel en fut le rsultat et comment Clodius Macer prit avant
davoir pu jouer un rle srieux dans les affaires gnrales de
lEmpire. Il nous faut ici nous occuper particulirement de la
part que la lgion IIIe Auguste prit cette rvolte.
Clodius Macer tait lgat de la lgion(4) ; de gr ou de
force, elle dut donc servir son ambition ; ce sujet, il ny a
aucun doute garder. Une question plus controverse est celle
de savoir si la Auguste est la mme que la legio I Macriana Ii-
beratrix, autrement dit si Clodius Macer ne fit que changer le
surnom et le numro de son ancienne lgion sans en crer une
nouvelle, ou si, au contraire, trouvant insuffisantes les forces
dont il disposait, il crut ncessaire, pour mener bonne fin
____________________
(1) C. I. L., VIII, 10018, 10023 : Imp. Caes. Augusti f. Augustus trib.
pot. XVI ; Asprenas cos. procos. viam... muniendam curavit ; leg, III Aug.
La date de linscription se place entre la mort dAuguste et le jour o il reut
lapothose.
(2) Tac., Ann., II, 52.
(3) Schiller, Rm. Geschichte, I, p. 366 et 367.
(4) Sutone (Galba, 11) le nomme legatus ; les autres auteurs ne lui
donnent aucun titre. On admet en gnral, et nous lavons admis plus haut,
quil tait lgat de Numidie.
142 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

son projet ambitieux, de constituer une lgion supplmentaire


avec les lments que le pays lui fournissait.
La premire thorie a t soutenue par un certain nombre
dauteurs, en particulier par Mommsen, qui a dvelopp cette
opinion dans la prface du Corpus(1). Suivant lui, la rforme
de Clodius Macer ne porte que sur les noms : un personnage
qui cherchait se rendre indpendant du pouvoir central, un
proprteur dAfrique, ne pouvait conserver la lgion quil
commandait lpithte quelle portait prcdemment ; aprs
donc lavoir nomine dabord legio III Augusta liberatrix(2),
il lappela bientt I Macriana liberatrix(3). Il ny a jamais eu
en Afrique cette poque quune seule lgion, mais dsigne
successivement par des numros et des surnoms diffrents(4).
Une telle assertion a soulev des contradictions ; le plus
ardent champion de la thse contraire est M. L. Cantarelli : il
soutient(5) que Clodius Macer eut son service deux lgions
distinctes, la IIIe Auguste, la vieille lgion africaine, et une
seconde, de cration nouvelle, la I Macriana liberatrix ; il
ajoute que cette dernire seule fut licencie au moment o
lon mit mort le lgat rebelle, tandis que la premire conti-
nuait tre charge de la garde du territoire africain. Le fait
vaut la peine dtre examin avec quelque dtail.
Les textes sur lesquels on peut appuyer la discussion
sont de deux sortes : les uns sont fournis par les monnaies, les
autres par Tacite. Je les rapporterai ici, pour plus de clart, les
uns et les autres.
____________________
(1) C. I. L., VIII, p. XX.
(2) Cohen, Monnaies impriales, I, p. 317, nos 3, 4, 8.
(3) Ibid., nos 1, 2, 7.
(4) M. Fiegel, op cit., p. 16, rie se prononce pas nettement sur cette
question.
(5) Bullett. della conmissione archeologica comunale di Roma, 1886,
p. 117 et suiv.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 143

1 MONNAIES.

Monnaies de la lgion IIIe Auguste(1).

a. L. CLODI MACRI S C
Tte de lion.
b. L CLODI MACRI LIBERA S C
Tte de lAfrique.

R. LEG III AVG LIB


Aigle entre deux enseignes.

Monnaies de la lgion Ire Macrienne(2).

L CLODI MACRI S C
Figure en pied de la Libert.
R. LEG I MACRIANIA LIB
Aigle entre deux enseignes.

2e TEXTES DE TACITE(3).

Africa ac. tegio (ms. legiones) in ea, inledecto Clodio Macro, contenta
(mati-campa, principe post experimenturn domini minoris(4).
In Africa. legio oltortesre delectac a Clodio Macro, mol.. a Galba
dimissae, rusas jussn Vitelliimilitiam coepere(5).

Lexamen des monnaies rapportes plus haut ne permet


pas de conclure. Que lon admette lhypothse dune seule
____________________
(1) Mller, Numismatique de lAfrique ancienne, II, p, 171, nos 385-
392 ; Cohen, Monnaies impriales, I, p. 317, n 5 ; cf. 3, 4, 6, 7 ; Mowat, Le
monnayage de Clodius Macer (Rivista italiana di numismatica, 1902), p. 19,
nos 15 26. Nous reproduisons dans le teste les trois types caractristiques.
(2) Mller, op. cit., p. 171, nos 383-384 ; Cohen, loc. cit., n 8 ; cf. 1,
2 ; Mowat, loc. cit., p. 17, nos 12 14.
(3) Cf. Plutarch., Galba, 15.
(4) Tac. Hist., II, 97.
(5) Ibid., I, 11.
144 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

lgion, ou quau contraire on en veuille distinguer deux, les


lgendes montaires pourront tre invoques avec la mme
autorit.
En est-il de mme des textes de Tacite ? Le premier
contient une difficult grammaticale qui lui enlve une par-
tie de son poids : le mot legiones, au pluriel, y semble irr-
gulier ; aussi Lipsius a-t-il corrig et crit legio. Ceux qui,
avec lui, adoptent le singulier font observer que le pluriel
rendrait la phrase incorrecte(1). Les autres, ceux qui prf-
rent garder la leon legiones, justifient le fminin singulier
contenta par lide dominante de la phrase, qui est Africa(2).
Si lon pouvait se rendre entirement cette manire de voir
et accepter le pluriel legiones, le problme serait rsolu ;
mais il nen est point ainsi. Dautre part, la correction legio
nest pas probante : car on peut supposer indiffremment ou
bien que la lgion Macrienne avait dj t licencie au mo-
ment o se place Tacite et quil ne restait plus alors en Afri-
que que la lgion IIIe Auguste, ou bien quil ny a jamais
eu dautre lgion que cette dernire aux ordres de Clodius
Macer.
Lautre texte de Tacite est vraiment, le seul qui puisse
clairer la question. Si lon admet, en effet, que la lgion dont
il y est parl est la IIIe Auguste, ou se heurte deux difficults.
En premier lieu, il serait inexact de dire que la IIIe Auguste
et ses auxiliaires avaient t dilectae par Clodius Macer. Le
dilectus est la forme de recrutement normale ; or la IIIe
Auguste tait constitue depuis longtemps. Il se peut, il est vrai,
et cela est mme probable, que le lgat ait fait des leves pour
complter leffectif de la lgion et de ses cohortes, mais cette
supposition ne suffirait pas expliquer lexpression de Tacite.
____________________
(1) Cf. Mommsen, C. I. L., VIII, p. XX.
(2) Cf., par exemple, ldition Meiser (1884), p. 238.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 145

Une reconstitution de la lgion et son changement en Ia Ma-


criana ne justifieraient pas non plus entirement cette phrase.
En second lieu, si la IIIe Auguste et ses auxiliaires avaient t
licencis par Galba et rtablis seulement par Vitellius, lAfri-
que se serait trouve pendant quelque temps sans garnison
srieuse, et cela au moment o lEmpire tait en feu et o
Lucceius Albinus allait se rvolter en Maurtanie ; et pour-
tant la Numidie ne fit pas cause commune avec elle(1). Il y a l
un dtail qui mrite considration.
Si lon suppose, au contraire, que la 1re Macrienne est
indpendante de la IIIe Auguste, on comprendra que la pre-
mire puisse tre dite dilecta par Clodius Macer avec ses
auxiliaires. Elle aurait t licencie immdiatement aprs
le meurtre de lusurpateur ; puis Vitellius, ayant eu besoin
de complter la lgion dAfrique ou dautres corps darme,
aurait rappel sous les drapeaux ces effectifs, en tout ou en
partie, et les aurait verss dans des cadres dj existants(2). Il
nest pas tonnant, avec cette hypothse, quil ne soit question
nulle part ailleurs de ces anciens soldats de Clodius Macer ;
une fois incorpors dans une lgion ou dans des cohortes, ils
navaient plus rien qui les distingut de tous les autres(3).
Il nous semble donc probable que la IIIe Auguste est
____________________
(1) On peut supposer, il est vrai, que lAfrique fut alors occupe par des
troupes appeles dailleurs ; mais, supposition pour supposition, il vaut mieux
choisir la plus simple. Dailleurs, le moment et t, on lavouera, mal choisi pour
dgarnir dautres pays.
(2) Cantarelli a fort bien tabli, mon sens, que les expressions de Tacite :
Rursus jussu Vitellii militiam coepere nimpliquent pas la reconstitution dune
lgion indpendante avec ses auxiliaires ; elles peuvent et doivent plutt senten-
dre dune dispersion des soldats dans des cadres dj forms (loc. cit., p. 112),
(3) Parmi les pitaphes de soldats ns en Afrique que lon a rencontres,
et qui appartiennent dautres lgions que la IIIe Auguste, il nen est aucune qui
puisse certainement tre rapporte cette poque ; mais il est vident que largu-
ment quon croirait pouvoir tirer de ce silence est sans valeur, les inscriptions de
lpoque de Nron tant relativement assez rares, et quil peut tre rfut un jour
ou lautre par quelque dcouverte.
146 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

tout fait indpendante de la 1re Macrienne(1) ; elle fut quelque


temps en rvolte contre le gouvernement central, sous linfluen-
ce de Clodius Macer, laquelle elle ne put pas se soustraire ;
mais, aprs la mort violente de ce personnage, elle rentra sans
tarder dans le devoir(2). Elle se consacra ds lors pendant long-
temps la tche qui lui incombait, la dfense du territoire
africain : elle prit part toutes les guerres qui agitrent lAfri-
que pendant les trois premiers sicles et accomplit un certain
nombre de travaux que nous signalerons leur place.
Le voyage de lempereur Hadrien en Afrique et sa visite
au camp de Lambse, o les troupes venaient de sinstaller,
furent pour la lgion un vnement important quil ne faut
point ici passer sous silence. Avant les fouilles faites il y a
douze ans Lambse par M. labb Montagnon on ntait pas
daccord sur la date laquelle eut lieu cette visite impriale(3).
On sait maintenant que ce fut en 128.
Le prince vint Lambse vers le 1er Juillet(4). Ce jour-l,
il passa en revue la lgion, la fit manuvrer devant lui et lui
adressa un ordre du jour que nous avons conserv en partie. Ce
____________________
(1) M. Mowat est arriv au mme rsultat par ltude attentive des
monnaies de Clodius Macer (Le monnayage de Claudius Macer, p. 30 et
suiv.). Il croit pouvoir affirmer que la lgion I Macriana avait pour emblme
une Libert, et la lgion III Auguste une Victoire.
(2) Cf. sur la legio I Macriana, outre les auteurs dj cits : Pfitzner,
Geschichte der rm. kaiserlegionen, p. 48 ; Grotefend, dans la Realency-
clopdie de Pauly, s. v legio ; Marquardt, Staatsverwaltung, II, p.149, note
2 ; Schiller, Geschichte der rm. Kaiserzeit, I, p. 367. Ce dernier suppose
que Clodius Macer leva deux lgions nouvelles aprs avoir licenci la IIIe
Auguste, ce qui complique encore la question sans aucune ncessit, et ne
repose sur aucun texte probant.
(3) Jai expos dans la premire dition de ce livre (p. 154 et suiv.) les diff-
rentes opinions qui staient produites cet gard. La question tant rsolue mainte-
nant par un document positif, il est inutile dinsister sur ces ttonnements.
(4) Ann. Npigr., 1900, 34: Imp. Caesar Trajanus Hadrianus Augus-
tus legionem suam III Augustam exercitationibus inspectis adlocutus est
Torquato II et [Lib]one cos. k. Julis.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 147

document a t retrouv, grav sur la base dune colonne mo-


numentale, avec les autres allocutions prononces ailleurs par
lempereur devant les diffrents auxiliaires de la IIIe Augus-
te(1). Nous transcrivons ici une traduction des parties qui nous
en sont parvenues. On verra combien Hadrien avait cur
davoir une arme exerce, et quelle comptence il possdait
dans les choses militaires(2).
Le dbut de linscription inscrit sur la face du monu-
ment contient le discours de Lambse : Aux pili. Point
(3)

nest besoin que vous plaidiez votre cause. Toutes les excuses
quon pouvait allguer en votre faveur, mon lgat lui-mme
me les a exposes. Il ma fait observer quune de vos cohortes
tait absente, celle que vous avez envoye auprs du procon-
sul, ainsi que cela se fait chaque anne, tour de rle ; quil
y a moins de trois ans vous avez fourni vos frres de la IIIe
lgion(4), pour complter leur effectif, une cohorte et quatre
hommes par centurie ; que vous tes disperss de tous cts
pour la garde de la province ; que, depuis un demi-sicle, deux
fois vous avez chang de garnison et deux fois construit un
camp nouveau. Vous seriez donc bien excusables nos yeux
davoir interrompu longtemps vos exercices ; mais il ne parat
____________________
(1) Sur ce monument, cf. hron de Villefosse, Strena Helbigiana, p.
122 et suiv., et Festchrift zu O. Hirschfelds sechzigst. Geburtstage, p. 192 et
suiv. ; C. I. L., VIII, suppl. p. 1724.
(2) C. I. L., VIII, 2532 = 18042 ; Ann. pigr. loc. cit. Cf. sur cet ensem-
ble de discours, qui nous est parvenu en fort mauvais tat : Dehner, Hadriani
reliquiae, Bonn, 1883, dont nous avons admis gnralement les restitutions,
plus heureuses que celles de Wilmanns, et accept les explications pour les
passages obscurs ; Plew, Quellenuntersuchungen zur Geschichte des Kai-
sers Hadrian, Strasbourg, 1890, p. 65 et suiv. ; Cantarelli, Gli scritti latini di
Adriano imperatore, 1898, p. 25 et suiv.
(3) Hron de Villefosse, Festchrift, p. 125, et C. I. L., VIII, 18042, A b.
(4) Il sagit de la lgion IIIe Gallica ou de la lgion IIIe Cyrenaica,
dont la IIIe Auguste avait t appele complter leffectif, on ignore quel-
le occasion.
148 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

pas quil en ait t ainsi et vous navez vraiment nul besoin de


solliciter mon indulgence. Vous avez fait preuve en tout de la
plus grande vigueur, et lorsque vous avez dfendu le vallum
et(1) Puis venaient sans doute les allocutions adresses
aux principes et aux hastati. De celles-ci il reste seulement
quelques mots : Les tribuns ont pris, ce semble, grand soin
de vous. Les primi ordines et les centurions ont t comme
toujours agiles et vaillants.

Parlant ensuite aux cavaliers lgionnaires(2), lempereur


leur disait :
Cavaliers lgionnaires,
Les exercices militaires ont en quelque sorte leurs
lois ; si peu quon y retranche ou quon y ajoute, on enlve de
la valeur la manuvre ou bien on la rend trop difficile ; et
augmenter la difficult, cest sacrifier llgance. Vous avez
fait pourtant le plus difficile des exercices difficiles, qui est
de lancer le javelot(3) avec la cuirasse Je vous flicite de
votre ardeur
Le reste du discours est perdu, sauf peut-tre un passage trs
incertain(4) : Vous avez eu raison dagir vigoureusement. Vous
avez bien fait aussi de ne pas envoyer de secours pour dgager
le signum, puisque lennemi lavait dj pris et que vous ne pou-
viez revenir toujours la charge. Lessentiel tait dempcher las-
saillant de dpasser lespace rserv aux officiers (scamna).
____________________
(1) [Omnia strenue fecistis, eum et de fende]retis va[llum ] , Dehner.
(2) C I. L., VIII, 18042, Ba.
(3) M. Dehner, sautorisant dun passage dArrien (Tactic., 37), restitue :
Jaculationem perageretis [petrinam. Gratiam laud]o Wilmanns restituait : pe-
rageretis. [Neque factum solum laud]o . M. Plew (op. cit., p. 74) nadmet pas la
restitution petrina ; elle na pas t admise non plus par le Corpus (p. 1726).
(4) Ibid., C a. On ne sait pas si ce passage sadresse des cavaliers ou
des fantassins. Les arguments produits dans lun ou lautre sens ne sont pas
probants. Cf Cantarelli, op. cit., p. 32, qui les a rsums. Les restitutions en
sont trs problmatiques ; on saisit peine le sens gnral.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 149

Sur les cts du monument figuraient les discours adres-


ss aux diffrentes troupes auxiliaires de Numidie. A droite,
on lisait dabord celui qui fut tenu devant la IIe cohorte mon-
te dEspagnols (coh. II Hispanorum equitata).
Le fragment qui suit en faisait partie, daprs Schmidt(1) :
Les fortifications que dautres auraient mis-plusieurs
jours faire, vous les avez leves en un seul. Vous avez
bti un mur solide, tel quon en construit pour les camps
dhiver, dans le mme temps, peu sen faut, quon dresse un
mur de gazon, dont les mottes, coupes toutes sur le mme
modle, se transportent aisment, se manient de mme, et
se prtent aux constructions par leur mollesse et la rgulari-
t naturelle de leurs formes ; et pourtant, vous naviez sous
la main que des pierres normes, pesantes, ingales, quil
est difficile de porter, de soulever et de mettre en place sans
que leurs ingalits se contrarient lune lautre. Vous avez
tabli un foss selon les rgles, en creusant le gravier dur
et rugueux, puis vous lavez aplani en le ratissant. Aprs
avoir fait approuver votre travail de vos chefs, vous tes
rentrs au camp ; vous avez pris en toute hte votre nour-
riture et vos armes ; alors vous tes alls soutenir les ca-
valiers quon avait lancs sur lennemi et qui revenaient
grands cris
Len-tte de cette allocution porte : K IVL-COH II His-
panorum eq. La pierre tant brise gauche, on peut lire:
k(alendis) J(uliis) ou [a(nte) d(iem)..] k(alendas) J(ulias).
Lempereur harangua donc la cohorte soit le 1er juillet,
Lambse, en mme temps que la lgion, soit quelques jours
auparavant, dans une autre localit nous inconnue
Peut-tre doit-on rattacher au mme discours un autre
____________________
(1) C. I. L., VIII, 18042., D. M. Dehner croit quil tait adress un
ensemble de troupes, lgionnaires ou auxiliaires, runies.
150 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

fragment qui aurait vis plus spcialement les cavaliers de la


cohorte. On en dchiffre encore neuf lignes :
Je loue mon lgat Catullinus de vous avoir impos cet
exercice, qui offre limage dun combat vritable, et de vous
y avoir rompus de telle sorte que je puisse vous fliciter. Vo-
tre prfet Cornelianus a bien fait son devoir. Je naime pas les
manuvres en ordre dispers ; Caton, mon auteur favori, tait
de cet avis(1). Il faut que le cavalier savance toujours cou-
vert, et quil soit prudent dans la poursuite ; car sil ne voit
pas o il va, ou sil ne peut plus retenir son cheval, il tombera
dans quelque chausse-trape Pour une attaque, il faut serrer
les rangs.
Venait enfin la harangue adresse une autre cohorte,
campe Zara, au plus tard aux nones de juillet. Il nen reste
que des dbris insignifiants.
Du ct gauche du monument, nous navons conserv
que les deux assises suprieures. On y lit deux allocutions da-
tes du 12 ou du 13 juillet et intressant, lune, les soldats de
laile 1re des Pannoniens(2), lautre les cavaliers de la cohorte
VIe des Commagniens(3), runis pour la circonstance dans la
localit o campait le dernier de ces corps de troupes :
Le 3 (?) des ides de Juillet. Aile 1re des Pannoniens.
Vous avez obi en tout la rgle : vous avez couvert le champ
de manuvre de vos volutions ; vous avez lanc le javelot et
non sans lgance, bien que vous eussiez en mains des traits
courts et rudes ; plusieurs dentre vous ont mme fort bien jet
____________________
(1) C. I. L., VIII, 18042, C b. Contrari discursus non placent mih[i
neque Catoni qui meus] est auctor. Mommsen ; Contrari discursus non
placent mih[i Caveat temere, M. Cato] est auctor. Wilimanns ; Contrari
discursus non placent mih[i. nec. Augusto, qui novae artis] est auctor
Dehner.
(2) Cf. Hron de Villefosse, Festchrift, p. 196.
(3) C. I. L., ibid., An.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 151

la lance ; vous avez excell ici dans les sauts dagilit, hier
dans les sauts de vitesse. Si sur quelques points vous tiez
rests au-dessous de ce qui convient, je signalerais votre in-
friorit ; si vous aviez dpass le but, je vous lindiquerais. Il
nen est rien : la rgularit remarquable de toute la manuvre
en a assur lagrment. Mon lgat Catullinus donne galement
ses soins tous les travaux auxquels il prside. Votre prfet
semble soccuper aussi de vous avec beaucoup de sollicitude.
Comme congiaire, je vous accorde vos frais de route : vos
exercices, vous les ferez dans les champs de manuvre des
Commagniens.

Cavaliers de la cohorte VIe des Commagniens


Il nest point ais des cavaliers de cohorte de plaire par
eux-mmes ; mais il leur est moins ais encore de ne point
dplaire, quand on les voit manuvrer aprs une aile de ca-
valerie, qui couvre plus de terrain, o les tireurs sont plus
nombreux, les conversions droite plus frquentes, les char-
ges plus nourries, les chevaux plus beaux, les armes plus
clatantes, le taux de la solde tant plus lev. Eh bien !
vous avez su par votre ardeur viter la mdiocrit, tant vous
avez accompli avec vigueur ce quon vous demandait de
faire. Vous avez, de plus, fort habilement lanc des pierres
avec la fronde, et combattu le trait la main ; enfin vous
avez saut avec aisance. Je reconnais l le zle tout particu-
lier de mon lgat Catullinus, qui vous a rendus tels que je
vous ai vus.

La lgion III Auguste dut son loignement des autres


provinces de lEmpire et la ncessit de sa prsence en Afri-
que dtre peu employe dans les diverses parties du monde ro-
main. Cependant, dans certains cas particuliers, elle fut appele
fournir des secours au dehors. Cest ainsi quelle envoya un
152 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

dtachement lors de la guerre de L. Verus contre Vologse ;


nous possdons lpitaphe dun soldat defunctus in Parthia,
qui ses frres, un porte-enseigne et un soldat de la lgion,
avaient lev un cnotaphe dans le cimetire de Lambse(1).
Elle participa aussi lexpdition de Marc-Aurle contre les
Quades et les Marcomans, une des plus difficiles de lpoque.
Elle eut pour chef, dans cette guerre, un chevalier Ti. Plautius
Felix Ferruntianus, dont on a retrouv le nom Mactar, sur
une base votive(2).
On ne connat pas exactement la part que prit la lgion IIIe
Auguste aux vnements de la fin du IIe sicle ; mais ou peut
affirmer quelle embrassa trs rapidement le parti de Septime
Svre. Lorigine seule du nouvel empereur suffisait lui conci-
lier laffection des troupes dAfrique, recrutes alors presque
exclusivement dans la province, et sa victoire sur ses comp-
titeurs devait tre regarde comme un triomphe pour le pays
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2975. Les auteurs du Corpus attribuent cette exp-
dition de Parthie lpoque de Septime Svre. M. Fiegel (op. cit., p. 17)
la place sous le rgne de L. Verus, parce que la lgion ne porte pas sur cette
pitaphe les surnoms de Pia Vindex, quelle a reus au dbut du rgne de
Septime Svre. Nous nous rangeons cet avis. Mais quant au texte de Lu-
cien, quil cite ce sujet (Quomodo sit hist. conscrib., 31), il y est bien plutt
question de la lgion IIIe Gallica de Syrie ou de la IIIe Cyrenaica dArabie.
Les Maures qui sont mentionns ct de la lgion dans le mme passage
( ) sont des trou-
pes libres, un numerus, mais non une cohorte auxiliaire.
(2) C. I. L. VIII, 619. On suppose que le nom de Commode figurait
autrefois aux dernires lignes de cette inscription avant le martelage qui les a
fait disparaitre, parce que la tribu est indique la seconde ligne et quon lit
la huitime la mention de dons militaires ; ces deux particularits permettent
de croire que le texte est antrieur Septime Svre. Il est tout naturel, ds lors,
de considrer la guerre des Marcomans rappele la huitime ligne comme
celle qui eut lieu sous Marc-Aurle. Cest sans doute aussi loccasion de cette
expdition que vint sur les bords du Danube un soldat de la lgion Auguste,
nomm Julius Rogatus, qui fut ensuite vers dans lgion II Adjutrix et qui,
devenu vtran, leva en 211 un autel Aquincum (C. I. L., III, 10419).
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 153

tout entier. Il est mme probable que la lgion combattit vi-


goureusement dans larme de Septime Svre contre Pes-
cennius Niger et quelle mrita, cause de son dvouement,
le surnom de Pia Vindex, quelle porte sur les monuments
depuis lanne 198(1).
Le rgne de Septime Svre parat stre pass, pour la
lgion IIIe Auguste, dans un grand calme : cest le moment o
elle lve Lambse les grandes constructions dutilit publi-
que dont les ruines imposantes subsistent encore aujourdhui.
Elle fut cependant dsigne, vers 190, pour dtacher en Asie
une vexillation qui prit part la guerre de Msopotamie et as-
sista peut-tre au sige dHatra. La guerre acheve, les soldats
qui la composaient rentrrent en Numidie(2). On signale, vers la
mme poque, la prsence dun dtachement en tenue de cam-
pagne Mna, dans lAurs(3) ; cela prouve tout au plus quil
y a eu dans ce pt montagneux, toujours insoumis, quelque
mouvement ou au moins quelque crainte de mouvement. Ce
dtachement tait, dailleurs, peu nombreux ; il se composait
____________________
(1) Schiller, Rm. Geschichte, II, p. 709, note 3. M. Fiegel (op. cit., p.
9, note 20) propose, pour lorigine de ce surnom, une autre explication. Il rap-
pelle que, daprs le biographe de Didius Julianus (ch. 5), le Snat envoya aux
troupes des legati consulares qui suaderent ut Severus repudiaretur et is esset
imperator quem senatus legerat ; il remarque, dautre part, que lun de ces
dputs tait Vespronius Candidus, que lon trouve la tte de la lgion vers
182 ; il en conclut que larme dAfrique elle-mme ne fut pas exempte de ces
sollicitations et sut y rsister. Vespronius Candidus ayant t lgat de Numidie
dix ans avant lpoque o il fut charg dune mission auprs des troupes, il est
vident quon ne saurait tirer de ce rapprochement aucune consquence, relati-
vement la nature des soldats quil essaya de concilier Didius Julianus.
(2) Ann. pigr., 1895, 204 ; cf. R. Cagnat, Mm. de la Soc. des Antiquaires de France,
LIV, p. 33 et suiv., et Muse de Lambse, p. 58 et suiv. ; Dessau, Klio, 1908, p. 459.
(3) C. I. L., VIII, 2465 : J. O. M. Jun(oni) reg(inae), Min(ervae), Marti
vict(ori) Auggg... vexill(atio) leg. III Aug. morans in procinct(u), cur(ante), Ae-
milio Emerito dec(urione) al(ae) I Pan(noniorum), Saturni(no) et Gallo cos, V
n(onas) Maias . Sur le sens de lexpression in procinctu , cf. Tac., Hist., III,
2 ; Plin., Hist. nat., VI, 19, 66 ; Dig., XXXVII, 13.
154 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

sans doute de quelques cavaliers lgionnaires unis un gros


de cavalerie auxiliaire(1).
En lan 216, la lgion envoya encore une vexillation
en Asie, pour participer la guerre de Caracalla contre les
Parthes. On connat les vnements tragiques qui signalrent
cette expdition : aprs quelques succs, le prince fut tu par
son prfet du prtoire, lAfricain Macrin, qui se fit proclamer
aussitt empereur sa place. Mais celui-ci ne tarda point
se rendre odieux larme. Une partie des soldats reconnut
lagabal. Les deux rivaux se rencontrrent prs dAntioche,
et la bataille se termina par la dfaite de Macrin ; lagabal
vainqueur resta seul matre de lEmpire. Il nest gure dou-
teux que le dtachement lgionnaire de la IIIe Auguste se soit
dclar pour celui-ci sans hsitation, la famille de Septime
Svre jouissant en Afrique dune immense popularit. En
tout cas, le rsultat de cette campagne dAsie ne fut pas pour
lui dplaire, puisquil est qualifi de trs heureux sur lins-
cription qui nous en a gard le souvenir(2).
Les quinze annes qui suivirent furent en effet parmi les
plus heureuses, sinon les plus heureuses quait connues lAfri-
que : la prosprit du pays est complte, les constructions de
toute nature sy multiplient et les villes arrivent une une au
____________________
(1) Le fait que le chef de ce dtachement est un dcurion de laile des
Pannoniens semble bien indiquer quil se compose de cavaliers et que les
lgionnaires y sont en minorit.
(2) C. I. L., VIII, 2564 : [Pro salute Imp. Caes. M. Aureli Antoni-
ni ] duplari leg. III Aug. Antoninianae devoti numini majestatique eorum,
regressi de expeditione felicissima orientali. Ce dtachement devait tre
assez considrable ; le nombre des duplarii, cest dire des soldats privi-
lgis, mentionns dans le texte mutil, est de 109 ; il manque au moins
quinze noms par colonne, et il y a quatre colonnes. Le nombre total des du-
plarii, dans cette vexillation, tait donc, en supposant quils aient tous pris
part lrection du monument et quil ny en ait pas eu dautres que ceux qui
y figurent, denviron 169.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 155

rang de municipe ; car les armes doccupation ont assur la


tranquillit sur la frontire, provisoirement du moins, et tout
ce qui survivait dlments indignes tend sassimiler peu
peu, sous linfluence de plus en plus puissante de la civilisa-
tion romaine.
Cet ge dor de lAfrique impriale se termine avec le
dernier descendant de Septime Svre, Svre Alexandre ;
la priode des troubles et des agitations va commencer pour
elle. Jai racont plus haut les vnements qui marqurent
cette poque, la proclamation de Gordien 1er Thysdrus et
le soulvement de la province proconsulaire en sa faveur, sa
dfaite et sa mort Carthage, les vengeances exerces par
Maximin contre ses partisans et la chute de ce dernier, bien-
tt remplac par Gordien III. Il faut examiner ici quelle fut la
part prise par la lgion tous ces vnements.
Il est certain quelle resta entirement trangre la rvo-
lution qui fit du proconsul Gordien un empereur, bientt accla-
m du Snat(1). Mais, le fait accompli, se soumit-elle au nouveau
prince ou resta-t-elle fidle lancien ? La plupart des auteurs
les plus autoriss qui se sont occups de ces faits penchent pour
la dernire alternative(2). Elle avait alors sa tte un lgat, du
nom de Capellien, tout dvou Maximin. Le premier acte de
Gordien fut de lui enlever le commandement ; cette nouvel-
le, celui-ci marcha en toute hte contre llu de lAfrique et de
Carthage, et Gordien dfait strangla. Il ne parat pas que la
____________________
(1) Le texte dAurelius Victor (De Caes., 26) : Gordianus ab exer-
citu princeps ..... absens fit est sans valeur ct de tous les autres textes
contradictoires que lon possde sur la question.
(2) Borghesi, uvres, III, p. 66 et suiv. ; Henzen, Annali, I860, p. 58
et suiv. ; Mommsen, C. I. L., VIII, p. 20, note 2. L. Renier (Archives des mis-
sions, srie I, vol. p. 174 et suiv. ; cf. p. 476) a mis le mme avis, bien quil
diffre dopinion sur un point important que nous examinerons plus loin. Cf.
aussi Schiller, Rm. Geschichte, II, p. 789.
156 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

lgion elle-mme ait pris part la lutte, mais elle semble avoir
obi assez docilement linfluence de son lgat. Cest pour
la punir de cette docilit, qui amena le succs passager de
Maximin, que Gordien III, demeur seul matre de lEmpire,
laurait licencie. Telle est lopinion gnralement admise.
Elle sappuie moins sur des textes prcis quon ne saurait at-
tendre des historiens de cette poque, que sur les donnes
quelque peu confuses qui rsultent de leur comparaison.
Aussi sest-il trouv des auteurs pour mettre en doute,
au moins partiellement, ces assertions. On sest demand sur-
tout quelle tait au juste la position officielle de Capellien.
Herodien(1) dit ce sujet :

.

, .
.
Capitolin(2), de son ct, sexprime ainsi, dans la vie de
Gordien : Dum haec aguntur in Africa contra duos Gordianos,
Capellianus quidam, Gordiano et in privata vita semper adver-
sus et ab ipso imperatore jam, cum Mauros Maximini jussu
regeret, veteranus dimissus, conlectis Mauris et. tumultuaria
manu, accepto a Gordiano successore, Carthagrinem petit.
Dans la vie de Maximin(3), les faits sont rapports peu
prs de mme : Sed Gordianus in Africa primum a Capel-
liano quodam agitari coepit, cui Mauros regenti successorem
dederat.
De ces trois textes, le seul qui contienne des expressions
un peu prcises est celui dHrodien. Il nous apprend que le
____________________
(1) Herod., VII, 9.
(2) Vita Gordiani, 15.
(3) Vita Maximini, 19.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 157

personnage appartenait lordre snatorial et quil gouvernait


la Numidie(1) ; cest donc quil tait lgat de Numidie et de la
lgion IIIe Auguste. Les textes de Capitolin(2), au contraire,
feraient plutt supposer que ce personnage tait soit comman-
dant dun territoire annex(3), soit procurateur de Maurtanie ;
cest ce qua avanc autrefois M. Pallu de Lessert(4), non sans
quelque hsitation, il est vrai. Depuis, ce dernier est revenu
lopinion commune(5).
La solution dpend de limportance que lon doit attri-
buer au tmoignage des deux historiens. Or il nest pas dou-
teux que Capitolin a emprunt son rcit sinon Hrodien
lui-mme, du moins la mme source que lui ; mais il en a
us bien plus maladroitement encore quHrodien : il a gard
les expressions vagues, comme Mauros regebat (
) ou Capellianus quidam (
), et il a omis les dtails qui pouvaient fournir quelque
donne positive ; on ne retrouve ceux-ci que dans Hrodien(6).
En prsence de renseignements de cette nature, le choix ne
doit pas tre douteux : il ne faut accorder aux biographies de
Capitolin que la crance quelles mritent, et ne point hsiter
considrer Capellien comme un lgat de Numidie.
____________________
(1) On peut stonner des expressions embarrasses quHrodien em-
ploie pour dsigner la Numidie ; mais que doit-on attendre de plus dun auteur
qui dit, en parlant de Gordien, proconsul dAfrique, et par suite rsidant
Carthage : Il quitta Thysdrus et revint
?
(2) Dans le texte tir de la vie de Gordien, il semble quil y ait des
interpolations. La plus grave est lintroduction du mot veteranus, qui doit
tre une glose suggre par le mot dimissus mal compris. La phrase accepto
a Gordiano successore fait aussi double emploi ; Mommsen propose de la
supprimer. Cf. Script. historiae Augustae (d. Peter), II, p. 38,
(3) L. Renier, Archives des Missions, srie I, vol. II, p. 175.
(4) Bull. des Antiquits africaines, 1885, p, 104 et suiv.
(5) Fastes, I, p. 438.
(6) Cf. ce sujet Lcrivain, tudes sur lHistoire Auguste, p. 288.
158 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Si lon en faisait un procurateur de Maurtanie, on se


heurterait une grosse difficult que M. Pallu de Lessert a
bien sentie. Quel aurait t en effet, dans ce cas, le rle de
la lgion IIIe Auguste ? Favorable Gordien, elle laurait
assurment dfendu et, par l, aurait fait chouer la tenta-
tive de Capellien en lui barrant la route de la province pro-
consulaire ; dfavorable, elle ne serait gure reste simple
spectatrice des vnements qui se passaient Carthage. De
toute faon, on ne comprendrait pas son abstention dans une
circonstance aussi grave et son effacement devant larme
de Maurtanie, sa voisine. Pour supprimer cette difficult,
M. Pallu de Lessert a suppos que la lgion avait t licen-
cie ds le rgne de Maximin et par ce prince mme, cause
de lhostilit plus ou moins ouverte quelle lui tmoignait.
Le fait naurait rien dtonnant, puisque la famille de Sep-
time Svre jouissait en Afrique dune grande popularit et
que le meurtrier du dernier prince de cette famille ne pouvait
qutre odieux aux Africains ; mais, de plus, il serait prouv
par un monument pigraphique trouv non loin de Lambse,
o le nom de Maximin est martel(1). Ce serait l un signe de
cette animosit des soldats contre le nouvel empereur. Enfin
le silence des historiens, qui ne nomment pas la troisime l-
gion propos des vnements de lpoque, serait encore une
preuve lappui de cette thorie.
A vrai dire, ces arguments ne sont pas convaincants. Ni
Hrodien, ni Capitolin nont coutume de prciser les troupes
qui prennent part aux faits de guerre quils racontent ; ils se
servent presque toujours de termes vagues, comme ,
, numerus, milites.
Quant au martelage du nom de Maximin sur linscription
____________________
(1) C. I. L., 2675 (Lambse) : M. Aurelius Sabinus praefect, leg. III
Aug. P. V. Maximianae.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 159

de Lambse, il nest nullement prouv quil faille le faire re-


monter la premire priode du rgne de cet empereur, plutt
qua celle qui suivit immdiatement sa mort et o son sou-
venir fut aboli dans la plus grande partie de lEmpire(1). En
Afrique, le nom de Maximin put tre martel deux poques
diffrentes, soit la suite de la rvolution qui porta Gordien
1er au pouvoir, soit aprs la mort de Maximin, lavnement
de Gordien III. Cest la premire date quil faut rapporter
les martelages quon remarque sur les monuments pigra-
phiques de la Proconsulaire(2), la seule province qui se ft
ouvertement dclare pour Gordien ; et la preuve en est que,
sur quelques-uns dentre eux, les noms de Maximin ont t
regravs postrieurement, videmment aprs la victoire de
Capellien(3). Mais cest la seconde que jattribuerais plus
volontiers le martelage observ sur un texte de Zara(4) et sur
celui de Lambse, auquel il a t fait allusion par M. Pallu
de Lessert. La lgion avait tout intrt faire disparatre sans
retard le surnom de Maximiana sur un monument lev prs
de son camp(5), et dtruire par l un souvenir ladieux qui
laccusait auprs de la famille des Gordiens.
____________________
(1) En Espagne, le nom de Maximin na pas t martel sur les milliaires
qui datent de son rgne (C. I. L., II, 4731, 4816, 4826, 4834, 4853). Dans les
autres provinces, au contraire, il semble avoir t gnralement effac (ibid.,
III, 3708, 3722, 3732, 3739, 3740, 5983 ; V, 7989 : IX, 3014 ; X ; 6811, etc.)
Cf. Vita Maximini, 26, 5 : Eraso nomine Maximinorum, appellatisque Divis
Gordianis. Il est remarquable pourtant que sur la seule inscription de Rome on
figure le nom de Maximin, ce nom nest pas effac (C. I. L., VI, 1085).
(2) C. I. L., VIII, 757, 10047, 10083, 10095.
(3) Ibid., 757, 10047, Cf. Letronne, Rev. arch., I, p. 821 ; Mommsen, C.
I. L., VIII, 757, et Indices, p 1048.
(4) Ibid., 4515.
(5) Les noms de Maximin sont aussi martels sur deux inscriptions de
Lambse (ibid., 1240, et Bull. archol. du Comit, 1908, p. 238, note 3 ; cest
par erreur que ce dtail a t omis dans cette dernire publication). Sur tous les
autres monuments de Numidie et de Maurtanie, on les a respects (ibid., 9039,
160 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Ce quil y a dassur, cest que la plupart des textes pi-


graphiques officiels relatifs la lgion IIIe Auguste, antrieurs
la lutte de Maximin et de Gordien, offrent cette particula-
rit significative que le nom de la lgion y a t martel, puis
grav nouveau : ce fait indique quelle fut licencie cette
poque et quon la raya des cadres de larme pendant un
certain temps. On attribue gnralement cette mesure svre
Gordien III, ainsi que je lai dj dit plus haut(1).
On ne trouve plus, ds lors, la mention de la lgion IIIe
Auguste pendant quinze ans, ni Lambse, ni ailleurs. Il est
probable que les soldats licencis furent verss dans dautres
lgions, peut-tre, comme il a t dit, dans celles de Germanie ;
ce nest l quune conjecture(2), mais elle paratra vraisemblable
si lon songe que le service sur le Rhin tait particulirement
dur, et pouvait, comme tel, tre impos titre de punition(3).
Tous les auteurs sont daccord pour reconnatre que la l-
gion fut rtablie par Valrien, la suite de son succs sur mi-
lien. Les anciens soldats de la IIIe Auguste se seraient trouvs
parmi ces troupes rassembles en Rtie dont parle Aurelius
Victor(4). Pour exciter leur zle, le nouvel empereur leur aurait
promis de les rendre leur ancien campement sils rempor-
taient la victoire, et la mort dmilien, survenue vers la fin de
lt 253(5), en lui assurant lEmpire sans contestation, laurait
mis dans lobligation de tenir sa parole. La lgion aurait donc
____________________
10152, 10203, 10214, 10215, 10254, 10459). Il en est de mme, ce qui peut
paraitre plus extraordinaire, sur plusieurs bornes Milliaires de la Proconsu-
laire (ibid., 10021, 10075).
(1) Renier, Archives des missions, sr. I, vol. II, p. 178 ; Henzen, An-
nali, 1860, p. 58 ; Mommsen, C. I. L., VIII, p. XX.
(2) Mommsen, C. I. L., VIII, p. XXl.
(3) Tac., Hist., II, 80 : Germanica hiberna, caelo ac laboribus dura.
(4) De Caes., 31 : Milites qui contracti undique apud Raetias ob ins-
tans bellum morabantur.
(5) Cf. Schiller, Rm. Geschichte, I, p. 818.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 161

t immdiatement reconstitue. Ds la fin doctobre de cette


anne, elle avait repris possession non seulement du camp
de Lambse, o elle recommenait sa vie dautrefois(1), mais
mme des anciennes positions stratgiques quelle gardait au
sud de lAurs(2).
Elle reprit aussi ses anciens surnoms ; et, pour indiquer
nettement le service quelle avait rendu Lempereur, elle
fut autorise y ajouter une seconde fois lpithte caract-
ristique de Pia Vindex. Cest pour cela quelle figure sur une
inscription avec les titres de legio III Aug. iterum Pi[a, iterum
Vindex](3). Elle garda ces noms jusqu lpoque de Diocl-
tien, o elle reut ceux de Pia Fidelis(4).
Elle demeura campe Lambse jusqu la fin du IIIe
sicle. Nous avons conserv un certain nombre de documents
qui nous permettent den saisir de loin en loin la prsence,
sinon den retracer lhistoire, mme grands traits. Elle dut
prendre part la campagne dirige vers 260 contre les Ba-
vares et leurs allis, qui avaient fait irruption en Numidie,
puisque le lgat qui la commandait cette poque clbre,
dans une inscription, son triomphe sur ces barbares et sur les
bandes de Faraxen(5). Elle se trouva aussi sans doute mle
plus dune expdition contre les insoumis du Sud ; mais on
na encore ce sujet que des renseignements bien vagues(6).
____________________
(1) C. I. L., VIII, 18072 : Tabularium principis renovatum.
(2) Ibid., 2482 : [Vexi]llat. mill[iaria] leg. III Aug. [re]stitutae e Raet(ia)
Gemell(as) regressi die XI kal. Nove(mbres) Volusiano II et Maximo cos. Cf.
2634.
(3) Ibid., 2852 ; cf. addit.
(4) Ibid., 2576, 2577. On ignore tout fait quelle occasion elle reut
le surnom de Constans qui semble figurer sur une brique de Lambse (ibid.,
22631, 16) et celui de Perpetua, qui existe peut-tre sur une autre brique
(ibid., 22631, 23).
(5) Ibid., 2615. Voir plus haut, p. 63, surtout note 3.
(6) Ibid., 2980 : C[enturio] Ieg. III A[ug.qui in] congre[ssione
hostium] dimica[ns occidit] ; 18275 : mi[l. l]eg. III Aug. P. V. qui [i]n
162 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Wilmanns a cru pouvoir tirer dun document quil a ren-


contr Lambse(1) la preuve que la lgion avait quitt son
ancien campement au temps de Diocltien. Ce document,
malheureusement, est trs mutil, et quelque ingnieuses,
quelque probables mme que soient les restitutions quil en
a proposes, on ne saurait les tenir pour certaines. Un fait in-
dubitable, cest quelle tait encore tablie au pied de lAurs
entre 289 et 293, sous le praeses Aurelius Maximianus(2),
puisque le prfet fit rparer cette poque les aqueducs du
camp(3) ; mais, partir du dbut du IVe sicle, les inscriptions
de Lambse ne parlent plus de la lgion(4). Elle sjournait ce-
pendant encore en Afrique ; nous verrons plus loin ce quelle
devint au Bas-Empire.
2. LES LGATS DE LA LGION.

Les lgats de la lgion IIIe Auguste, tant en mme temps


commandants du corps darme, nous navons rien ajouter
ici ce qui a t dit plus haut leur sujet.
3. LES TRIBUNS DE LA LGION.

On sait que, sous la Rpublique, il ny avait ni lgats l-


gionnaires, ni prfet du camp ; tout le pouvoir, dans la lgion,
tait donc entre les mains des tribuns militaires qui la comman-
daient tour de rle(5). Sous lEmpire, au contraire, la cration
____________________
congression[e] host. Dimicans obit ; 18275 : [leg. Aug.] pr. pr. cos d[esig.]
in ejus regio[ni(bus)] rebus adver[sus] barbaros pr[os]pere gest[is].
(1) C. I. L., VIII, 2718 ; cf. tude sur Lambse (traduct. Thdenat), p.
31 et 32.
(2) Pallu de Lessert, Fastes, II, p. 307 et suiv.
(3) C. I. L., VIII, 2572.
(4) Les deux plus rcentes sont deux bases leves en lhonneur de
Maximien (ibid., 2576) et de Constance Csar (ibid., 2577).
(5) Cf. Marquardt, Staatsverwaltung, II (2e dit.), p. 364.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 163

de deux officiers suprieurs en grade diminua beaucoup les


attributions des tribuns. On a fait observer dj, et avec rai-
son, qu cette poque ils taient devenus surtout des admi-
nistrateurs(1). Cest ce qui explique la prsence auprs deux
de bureaux et demploys.
On sait aussi quil existait sous lEmpire plusieurs sor-
tes de tribuns(2) :
Les tribuni laticlavii, jeunes gens de famille snatoriale,
mais de rang questre, qui faisaient leur apprentissage du m-
tier militaire dans les lgions(3) ; ctait eux principalement
qutaient confies les fonctions administratives(4).
Les tribuni angusticlavii, officiers sortis du rang ou jeu-
nes chevaliers ayant, le plus souvent, pass dj par le com-
mandement dune cohorte auxiliaire, sur qui retombait plutt
le service militaire effectif ;
Les tribuni semestres, personnages qui ne se destinaient
pas poursuivre la carrire et qui rentraient dans la vie prive
aprs un service de six mois(5). Ils taient attirs larme par
la considration qui sattachait au titre de tribun(6) et par les
appointements quil procurait(7). Certains pensent quils com-
mandaient la cavalerie lgionnaire(8).
____________________
(1) Geppert, De tribunis militum in legionibus Romanorum (Berlin,
1872), p. 44.
(2) Cf. Marquardt, Staatsverwaltung, II, p. 367 et suivantes.
(3) Tac., Agric., 5 : Nec Agricola ... ad voluptates et commeatus titu-
lum tribunatus et inscitiam retulit ; sed noscere provinciam, nosei exercitui,
discere a peritis, sequi optimos.
(4) Mommsen, Eph. epigr., IV, p. 394, note.
(5) Cf. Mommsen, Berichte der phil. hist. Klasse der Schs. Gesells-
chaft der Wissenschaften, 1852, p. 249 et suiv. ; Marquardt, Staatsverwal-
tung, II, p. 368.
(6) Plin., Epist., IV, 4, 2 ; Juv., Sat., VII, 88.
(7) Ces appointements sont, daprs le texte du marbre de Thorigny
(B, I. 16), de 25,000 sesterces par an, que lon touchait bien quon ne restt
que six mois au service.
(8) Von Domaszewski, Die Rangordnung des rm. Heeres, p. 47.
164 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Nous trouvons ces trois sortes de tribuns dans les ins-


criptions relatives la IIIe Auguste.
Les auxiliaires attachs aux tribuns portent peu prs les
mmes noms que ceux que nous avons dj signals auprs
des lgats ; nous les mentionnerons successivement :
AUXILIAIRES DU COMMANDEMENT.

Beneficiarii. On rencontre, dans la lgion IIIe Augus-


te, des beneficiarii auprs des tribuns laticlaves(1) et auprs
des tribuns semestres(2). Les premiers sont au nombre de onze
ou douze dans une ddicace faite Lambse par le cornicu-
larius et les beneficiarii tribuni laticlavii(3) ; les derniers pa-
raissent au nombre de cinq dans une ddicace analogue, dj
plusieurs fois cite(4). Quant ceux que lon trouve dsigns
sous le titre de beneficiarii tribuni tout court(5), on peut se de-
mander sils taient attachs un tribun dordre snatorial ou
un tribun dordre questre ; la premire supposition est la
plus vraisemblable(6).
Secutores. On a cru relever dans certains textes la
mention dun secutor tribuni(7), qui serait un singularis de
rang moins lev(8). A Lambse, il est question une seule fois
dun secutor, qui est qualifi de duplarius(9).
____________________
(1) C. I. L. VIII. 2551, 2861, 2862, 2892.
(2) Ibid., 2586.
(3) Ibid., 2551.
(4) Ibid., 2586.
(5) Ibid., 2564, 2567, 2815, 2822, 2839, 2846, 2847, 2876, 2972, 2993,etc.
(6) Cest lavis de Mommsen, qui nadmet point la prsence de b-
nficiaires auprs des tribuns angusticlaves. Daprs lui, le droit davoir des
ordonnances de cette espce aurait t rserv aux membres de lordre s-
natorial (Eph. epigr., IV, p. 394, note 1). M. von Domaszewski est dun avis
diffrent (Die Rangordnung, p. 40).
(7) Eph. epigr., IV, p. 406, IV ; von Domaszewski, op. cit., p. 41.
(8) Lange, Hist. mutat. rei milit., p. 50.
(9) C. I. L., VIII, 2564 : Julius Victor seq. d.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 165

Les tribuns navaient pas de stratores, et pourtant il nest


pas douteux quils fussent monts(1). Leurs cuyers taient
soit des soldats ordinaires, soit des valets.

Cornicularii. Le tribun laticlave seul, suivant Momm-


sen(2) et von Domaszewski(3) aurait eu un cornicularius. Sil
faut regarder le corniculaire comme un greffier qui assiste
lofficier son tribunal, le cornicularius tribuni tait un auxi-
liaire indispensable lorsque, suivant lexpression de Macer,
le tribun avait rprimer les dlits secundum suae auctorita-
tis modum(4). Parmi les corniculaires connus de la lgion IIIe
Auguste, trois sont appels cornicularius tribuni laticlavii(5),
et un quatrime est nomm cornicularius tribuni, sans autre
dsignation(6).
EMPLOYS AUX CRITURES.

Commentarienses. Le seul commentariensis dAfri-


que dont le nom nous soit parvenu est mentionn dans une
ddicace laquelle nous avons fait souvent allusion(7).
Librarii. Enfin il est peut-tre question, dans un texte
trs difficile expliquer, o les fonctions sont indiques seule-
ment par des sigles, dun librarius laticlavii et dun librarius
semestris(8). Il ny aurait rien l que de trs naturel. Une des
____________________
1) Tac. Ann., I, 67 : Equos dehinc, orsus a suis, legatorurn tribunoru-
mque tradit.
(2) Eph. epigr., IV, p. 394, note 1.
(3) Die Rangordnung des rm. Heeres, p. 39 et note 3.
(4) Dig., XLIX, 16, 12, 2. Cf. Tac., Ann., I, 44 ; Quint., Decl., III, 9 ;
Veget., II, 9 ; Isid., Orig., IX, 3, 29. Voir aussi Geppert, De trib. mil., p.47 et 48.
(5) C. I. L., VIII, 2551, 2774, 2930.
(6) Ibid., 4642.
(7) Ibid., 2586. Le commentariensis tribrini tait, suivant von Domas-
zewski, attach au tribunus semestris. (Voir plus haut, p. 136.)
(8) Ibid., VIII, 2626, 18099.
166 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

fonctions les plus importantes des tribuns tant de surveiller


les distributions de bl aux soldats, de vrifier la bonne qualit
du grain et dempcher toute fraude dans la livraison comme
dans la rpartition(1), un comptable leur tait ncessaire pour
assurer le contrle.
4. LE PRFET DU CAMP.

Nous navons rien de particulier signaler sur les pr-


fets du camp de la lgion IIIe Auguste. Ce que Wilmanns(2) a
expos relativement au praefectus castrorum en gnral, et
sa transformation une certaine poque en prfet de lgion,
sapplique la lgion du Numidie comme aux autres(3). Mais
nous possdons sur les diffrents services qui dpendaient,
Lambse, du prfet du camp certains dtails quil nous faut
mentionner cette place.
Un texte de Vgce(4), que confirment quelques phrases
parses dans les auteurs et un grand nombre dinscriptions,
permet dtablir la nature de la mission confie au praefectus
castrerum : Occupatus (erat), dit Vgce, non mediocribus
causis, ad quem castrorum positio, valli et fossae aestimatio
pertinebat. Tabernacula vel casae militum impedimentis om-
nibus nutu ipsius curabantur. Praeterea aegri contubernales et
medici, a quibus curabantur, expensae etiam ad ejus industriam
pertinebant. Vhicula, sagmarii, necnon etiam ferramenta qui-
bus materies secatur vel caeditur, quibusque aperiuntur fossae,
contexitur vallum, aquaeductus, item ligna vel stramina, arietes,
onagri, ballistae, ceteraque genera tormentorum ne deessent
aliquando procurabat. Le praefectus castrorum tait donc la
____________________
(1) Dig., loc. cit. : Frumentationibus commilitonutn interesse, fru-
mentum probare, mensorum fraudem coercere.
(2) Eph. epigr., I, p. 81 et suiv.
(3) Voir plus haut, p. 127.
(4) Veget., II, 10.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 167

tte de tous les services intrieurs destins assurer lentre-


tien du camp, des difices ou baraquements quil contenait et
du matriel lgionnaire. Chacun de ces services particuliers
tait confi, en sous-ordre, des officiers ou des sous-offi-
ciers particuliers qui taient mis sa disposition par le lgat.
Les spcialistes chargs de tracer le camp sont appels
par les auteurs metatores ou mensores ; car il rgne entre ces
deux mots, dans les textes littraires, une certaine confusion.
Cest ainsi que Vgce(1) nomme metatores ceux qui praece-
dentes locum eligunt castris, et mensores ceux qui in castris
ad podismum demetiuntur loca in quibus tentoria figant vel
hospitia in civitatis praestant, tandis que Lydus(2) donne du
mot metatores la traduction , mot qui quivaut au
sens de mensores, tel que le dfinit Vgce. Presque tous les
crivains qui se sont occups de ces deux sortes de spcia-
listes tombent dans la mme confusion(3). Voici la solution
qui apparat aujourdhui la suite de recherches et de d-
couvertes nouvelles. Les inscriptions ignorent le mot metator
et ne connaissent que des mensores ; aussi M. von Domas-
zewski a-t-il pu soutenir quil ny avait pas de militaires qui
portassent le titre de metator, la fonction que le nom impli-
que rentrant dans les attributions des centurions, chargs de
tout temps de surveiller ltablissement du camp(4). Quant aux
mensores, il faut en distinguer deux catgories : les mensores
frumenti, dont il sera question plus loin, et les mensores agra-
rii(5). Ces derniers sont des soldats qui font office de four-
riers, de gomtres, darpenteurs dans toutes les occasions o
____________________
(1) Veget., II, 7.
(2) De mag., I, 46.
(3) Cf. larticle Castrorunt metator, dans le Dictionnaire des antiqui-
ts grecques et romaines de M. Saglio, et ce que jai crit larticle Mensor
du mme dictionnaire.
(4) Pauly-Wissowa, Realencyclop., s. v Castrorum metator.
(5) C. I. L. VI, 3606.
168 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

il en est besoin. Une liste de mensores trouve Lambse(1)


contient neuf noms, auxquels ont t ajouts ensuite, dune
autre main, dabord quatre noms, puis trois. La raison de ces
additions et lpoque o elles se sont produites chappent ; on
ne saurait donc rien conclure sur le nombre de ces spcialis-
tes dans chaque lgion, dautant plus que sur une autre pierre,
trouve celle-ci Semendria, on lit onze noms(2). On mettait
videmment leur disposition des quipes de soldats, fournis
par la lgion, qui, par l mme, passaient pour un temps sous
lautorit du prfet. De mme, quand on envoyait des dtache-
ments pour ouvrir des routes ou pour construire des ponts, cest
le prfet qui rpartissait la besogne entre les hommes et veillait
son excution(3). Il jouait le rle de commandant du gnie.
Parmi les diffrents difices du camp soumis son auto-
rit, il faut mentionner en premier lieu, aprs les baraquements
ou les casernes, que Vgce cite dans le passage rapport plus
haut et que les fouilles de Lambse ont fait dcouvrir, les ta-
blissements pnitentiaires. Dans chaque camp, il y avait une
prison(4), dont la surveillance appartenait un officier nomm
optio carceris(5), analogue nos capitaines commandants de
prisons. Quand la fonction ntait pas confie un option, elle
pouvait tre, et le fait devait se produire assez frquemment,
attribue un homme de confiance du lgat, un beneficiarius(6)
____________________
(1) Ann. pigr., 1904, 72 ; cf. Carcopino, dans le Bull. arch. du Comit,
1904, p. 212 et suiv.
(2) C. I. L., III, 8112. A ce sujet, on a insr au Corpus la remarque
suivante : quorum (= mensorum) numerus cohortium numero conveniet si
in cohorte prima duos mensores fuisse statuemus. Cette supposition nest
pas confirme par la liste de Lambse.
(3) Tac., Ann., I, 20 ; XII, 38.
(4) Tac., ibid., I, 16 ; Juv.,VI, 561. Cf. les inscriptions cites aux notes
suivantes.
(5) C. I. L., VI, 531 ; IX, 1617 ; cf. de Ruggiero, Diz. epigr., s. v Carcer.
(6) C. I. L., III, 3412.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 169

ou un frumentarius(1). La prison du camp de Lambse na pas


encore t reconnue.
Des textes de toute sorte prouvent aussi que chaque camp
possdait un hpital(2) ; le fait est indubitable, en particulier
pour le camp de la IIIe Auguste(3). Le service mdical y tait
confi soit un des mdecins de la lgion, soit un mdecin
spcial. Car les gens du mtier sont davis(4) quaussi bien
lpoque romaine que de nos jours, la prsence dun mdecin
spcial attach lhpital tait indispensable au bon ordre du
service autant qu lintrt des malades. Parmi les mdecins,
il faut faire une place part aux oculistes, qui ont laiss, com-
me preuve de leur existence dans les camps, quelques-uns de
ces cachets dont ils se servaient pour estampiller leurs colly-
res(5). On dit que Lambse en a fourni un, au nom de C. Asut.
Amandus(6). La police, la surveillance et ladministration de
ltablissement taient dvolues deux officiers hors cadres,
qui portaient le titre doptiones valetudinarii(7). Le soin des
malades incombait des infirmiers militaires(8). Ce sont eux,
sans doute, que lon trouve dsigns sous le nom de capsarii(9) ;
les capsae taient les caisses dans lesquelles on conservait les
____________________
(1) C. I. L., III, 433.
(2) Dig., L, 6, 7 ; Veget., II, 10 ; Hygin., De mun. Castror., 4 ; C. I. L.,
IX, 1617 ; cf. ce qui a t crit de lhpital de Novaesium, dans les Bonner Ja-
hrbcher, CXI, CXII, p. 180 et suiv.
(3) C. I. L., VIII, 2553, 2563.
(4) Briau, Du service de sant militaire chez les Romains, p. 29 et suiv.
(5) Grotefend, Die Stempel der rm. Augenrtze, p. 8, note 7, et p. 66. Cf.
Galien, XII, 786 (d. Khn) : . Un ca-
chet doculiste a t trouv dans le camp de Saalhurg. (Esprandieu, Signacula
medicorum oculorum, n. 25.)
(6) Esprandieu, ibid., n. 15. La provenance de ce cachet, dont on a perdu
la trace, nest peut-tre pas absolument certaine et la lecture en est quelque peu-
douteuse.
(7) C. I. L VIII, 2553 (cf. Ann. pigr., 1906, 9), et 2563 ; IX, 1617 ; Dig., L, 6, 7.
(8) Dig., ibid.
(9) Dig., ibid. ; C. I. L., VIII, 2553 (cf. Ann. pigr., 1906, 9 : optiones
170 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

instruments de chirurgie, les pansements, les mdicaments.


Leur mission demandait une certaine prparation technique ;
et cest pour cela quon trouve mentionns dans les textes des
discentes capsariorum.
De lhpital on peut rapprocher le veterinarium, o
taient soignes les btes blesses ou malades(1). On a rencon-
tr plus dune fois la mention de medici veterinarii(2), mais
pas en Afrique ; par contre, une inscription de Lambse cite,
ct des optiones valetudinarii, des pequarii, ce qui revient
au mme(3).
Lhpital nous amne aussi naturellement nous occuper
dune autre construction qui en tait, pour ainsi dire, lannexe,
des thermes. Partout o il y avait agglomration dhommes
et, puisquil nest question ici que de larme, agglomration
de soldats, on peut tre assur quil existait des thermes. Les
textes pigraphiques les signalent frquemment(4), et toutes
les fois quon a fouill un camp permanent on en a rencontr
des traces. Les soldats valides y trouvaient une distraction et
un traitement indispensable lhygine, les malades un com-
plment aux soins quils recevaient lhpital. A la tte de cet
tablissement tait un officier, qui portait, du moins Rome
et chez les vigiles, le titre de optio balnearii(5) ou a balneis. A
Lambse, on ne mimait quun ad balneas, si cest ainsi quil
faut expliquer, dans une liste militaire, les sigles A D B, qui
____________________
valetud(inarii) duo [medici, capsari] pequari, librarius et discentes capsariorum.
(1) Hygin., De mun. castror., 4. On croit avoir retrouv Novaesium
le veterinarium (Bonner Jahrbcher, CXI-CXII, p. 53), mais il ny a l quune
simple prsomption.
(2) Dig., L, 6, 7 ; C. I. L., V, 2183 ; C. I. Gr., 1953, 5117.
(3) C. I. L., VIII, 2553 ; cf., XIII, 7965 : medico peq(uario) .
(4) Ibid., III, 789, 1374, 7473, 10489 : VII, 273, 287, 445, 984 ; VIII,
287, 445. Cf. Marquardt, Staatsverwaltung, II, 2e dit., p. 551, note 17, et de
Ruggiero, Diz. epigr., s. v Balneum.
(5) C. I. L., VI, 1057, 1058.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 171

indiquent la fonction dvolue un soldat ou un sous-officier


nomm Q. Orches ... Saturninus, de Cuicul(1). Vgce ne parle
pas des thermes lgionnaires dans le texte cit plus haut, mais
il fait mention des aqueducs du camp, qui ont avec les ther-
mes un rapport troit. On trouvera plus bas, dans le chapitre
qui sera consacr au camp de Lambse, la description et le
plan des thermes de la lgion IIIe Auguste.
Il nous reste tudier deux difices dune tout autre es-
pce, larmamentarium et la la fabrica. Le premier, larsenal,
o lon amassait les provisions darmes expdies des ateliers
impriaux, les machines de guerre et leurs munitions, devait
exister dans tous les lieux de garnison importants ; Lambse
en possdait un, qui sera dcrit plus loin dans le dtail. La
surveillance de ldifice, peut-tre en rparation ou en trans-
formation cette poque, tait confie, la fin du IIe sicle de
notre re, loption directeur de lhpital(2) ; cest sans doute
l un fait exceptionnel et dont il ny a aucune consquence
tirer pour lorganisation habituelle de larsenal.
Une des chambres du monument servait, au IIIe sicle,
de bureau et de salle de runion aux gardes darmement, custo-
des armorum, ou par abrviation armorum, cits frquemment
dans les listes militaires de Lambse. Ceux-ci, on le sait, taient
rpartis dans les diffrentes cohortes(3) et placs sous les ordres
des centurions(4). Responsables des armes affectes chaque
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2568.
(2) Ibid., 2563 : Domui divinae Augg[g]. L. Caecilius Urbanus opt(io)
val(eludinarii) cur(ator) operi arm(amentarii) posuit. On remarquera quil
nest pas question dans ce texte dun officier charg du commandement de
larsenal, mais dun curator operi(s). Le cumul des deux fonctions est ici trs
instructif ; il prouve que la surveillance du personnage ne stendait que sur
la partie matrielle du service.
(3) Ibid., VIII, 2567 ( coh. II et coh. III) ; III, 11218.
(4) Ibid., XIII, 6710 (an 205) ; C. I. L., Supplem. italica, I, 190 ; Ann.
pigr., 1905, 237.
172 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

centuries(1), ils taient chargs den surveiller lentretien, de


veiller ce quelles fussent toujours en bon tat, et, en cas de
perte ou davarie, de les faire remplacer ou rparer. Cest le
rle de nos officiers ou sous-officiers darmement rgimen-
taires. Leur nombre parat avoir t relativement assez lev.
On a trouv, dans la salle de runion dont je viens de parler,
trois listes de custodes armorum(2). La premire, date du r-
gne de Septime Svre et de ses fils, contient 62 noms ; la
seconde, du temps de Svre Alexandre, en renferme 32, et
la troisime, contemporaine de Gallien, 32 ; mais, pour cette
dernire, il y a quelques rserves faire(3). M. von Domas-
zewski en conclut que leur nombre a diminu au cours du
IIIe sicle. Au temps de Septime Svre, il y en aurait eu un
par centurie, soit 59, auxquels il faudrait ajouter trois gardes
supplmentaires, soit affects aux deux premires centuries
plus nombreuses que les autres, soit chargs de lquipement
des cavaliers. Ultrieurement, on naurait gard quun cus-
tos armorum par manipule, sauf pour la premire cohorte, o
chaque centurie aurait eu le si en, soit 27 + 5(4).
Les rparations ou la fabrication dans un cas urgent taient
confies la fabrica, latelier lgionnaire(5). Sil faut en croire
Vgce, les fabri lgionnaires auraient t soumis au praefectes
fabrum, et il faut avouer que cette allgation parat au premier
abord toute naturelle. Cependant, malgr lautorit de tous
____________________
(1) Dig., XLIX, 16, 14, 1 : Arma alienasse grave crimen est... Tironi
in hoc crimine facilius parcetur ; armorumque custodi plerumque ea culpa
imputatur si arma militi commisit non suo tempore.
(2) Ann. pigr., 1902, 11 et suiv. ; Gsell, Bull., arch. du Comit, 1902,
p. 322 et suiv.
(3) La gravure de la liste ayant t faite par plusieurs mains diffrentes
et les noms tant spars par quatre blancs qui les divisent en cinq groupes,
on peut se demander si tous ces custodes armorum sont contemporains.
(4) Die Rangordnung, p. 44.
(5) Veget., II, 9 ; Dig., L, 6, 7.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 173

ceux qui lont admise et en particulier de Borghesi(1), on ne


laccepte plus aujourdhui : on a reconnu que le praefectus
fabrum, quon trouve frquemment mentionn sur des ins-
criptions aux deux premiers sicles, navait pas de fondions
militaires(2). En consquence, le chef suprme des ouvriers de
la fabrica ne peut gure tre que le praefectus castrorum ; et
lon sen convaincra aisment en rapprochant le passage o
Vgce numre les fonctions de ce personnage de celui o il
donne la liste des ouvriers militaires de la lgion(3). Si le pr-
fet avait pour mission de tenir en tat les voitures du train, les
outils, les machines de guerre et les dfenses du camp, il fallait
bien quil et sa disposition latelier capable de les fabriquer
ou de les rparer. Loptio fabricae signal par le Digeste(4) tait
lofficier directeur de latelier, sur qui retombait le soin des
dtails ; le doctor fabrum en tait le contrematre(5).
Les seuls ouvriers militaires que les inscriptions dAfri-
que nous fassent connatre sont les poliones (fourbisseurs), qui
figurent sur plusieurs textes de Lambse, ct dun discens
polionem. On en rencontre, par exemple, dans une liste de sous -
____________________
(1) uvres, V, p. 206 et suiv.
(2) Cf. Mommsen, Hermes, I, p. 6o et 61 ; C. I. L., III, 6687 ; Mau, Der
praefectus fabrum, p. 10 et suiv. ; C. Jullian, dans le Dict. des Antiq. gr. et rom., s.
v labri ; Alb. Bloch, Le praefectus fabrum, Louvain, 1905, p. 35 et suiv. ; Kor-
nemann, dans la Realencyclop. de Pauly-Wissowa, s. v Fabri (VI, col. 1923).
(3) Veget., II, 10 : Vehicula, sagmarii, necnon etiam ferramenta qui-
bus materies secatur vel caeditur, quibusque aperiuntur fossae , item arie-
tes, onagri, ballistae, ceteraque genera tormentorum ne deessent aliquando
procurabat (praefectus castrorum) ; ibid., II, 11 : Habet Iegio fabros ti-
gnarios, structores, carpentarios, ferrarios, pictores, reliquosque artifices ad
hibernorum aedificia fabricanda, ad machinas, turres ligneas ceteraque
praeparatos, qui arma, vehicula, ceteraque genera tormentorum vel nova fa-
cerent, vel quassata repararent. Seeck (Pauly-Wissowa, Realencyclop., s.
v Fabricenses) naccepte mme pas sur ce point le tmoignage de Vgce.
Cest dpasser la limite du scepticisme.
(4) Dig., L, 6, 7. Cf. C. I. L., III, 8202.
(5) Ibid., 10516.
174 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

officiers et de spcialistes(1) qui prirent part la campagne


dOrient sous Caracalla ; ce qui prouve que le personnel de
la fabrica, ainsi quil est naturel, suivait, en partie du moins,
la lgion ou ses dtachements. Cest pour cela quHygin lui
rserve, dans le trac du camp, une place part(2). Il se pour-
rait pourtant que les poliones, comme les custodes armorum,
aient t attachs aux cohortes et aux centuries, pour assurer
lentretien journalier des armes.
Il nest point question, Lambse, dans les inscriptions,
de magasins de vivres (horrea) ; cependant de telles construc-
tions(3) existaient assurment dans le camp, bien que, parmi
les difices qui y ont t mis au jour, aucun ne puisse tre re-
gard indubitablement comme un grenier.
Nous ne rencontrons non plus, dans les inscriptions africai-
nes, aucune mention de salles dexercices ou de manges, com-
me on en voit signals ailleurs(4). Il est vrai que des difices de
cette sorte ne sont vraiment utiles que dans les pays du Nord.
Ltat-major particulier des prfets du camp se compo-
sait des mmes auxiliaires peu prs que celui des lgats(5) :
ils avaient un greffier (cornicularius)(6), des bnficiaires(7) et
des comptables (librarii)(8) pour la besogne administrative(9).
Le prfet du camp de Lambse aurait mme joui, cet
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2564.
(2) De munit. castror., 4.
(3) Le Digeste fait mention, parmi les spcialistes, dun horrei libra-
rius ( L, 6, 7).
(4) C. I. L., III, 6025 ; VII, 287, 445 ; XIII, 6672.
(5) Cf. .Mommsen, Eph. epigr., IV, p. 534 : Praefectus legionis a
legato legionis ita differt ut legatus provinciae a procuratore praeside ; honor
minor est, vis imperii eadem.
(6) Ann. pigr., 1889, 60. Cf. C. I. L., III, 1099, 6023 a
(7) C. I. L., VIII, 2568, 2784, 28 : 3, 2937 ; Ann. pigr., 1895, 204.
(8) Ann. pigr., 1099, 60.
(9) Veget., II : Espensae etiam ad Ejus industriam pertinebant.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 175

gard, suivant une thorie de M. von Domaszewski (1), dune


situation privilgie, rsultat de la situation spciale faite au
lgat. Dans les pays o le commandant en chef tait distinct
des commandants lgionnaires, le lgat de chaque lgion avait
sous lui un corniculaire particulier prpos au tabularium le-
gionis ; mais en Afrique, o gnral en chef et lgat de la l-
gion taient un seul et mme homme, le tabularium legionis
aurait relev du prfet du camp(2). Son tat-major, de ce fait,
aurait compris deux corniculaires, le sien et le corniculaire de
la lgion.
5. LES CENTURIONS, LES DCURIONS ET LES OPTIONS, LES VOCATS.

Centurions. On ne peut que rpter ici ce qui a t dit


propos du prfet du camp. Les textes relatifs aux centurions
de la lgion Auguste ne nous donnent aucun renseignement
qui permette dtablir la moindre diffrence entre eux et les
officiers du mme grade appartenant dautres armes. En
Afrique, comme ailleurs, les centurions viennent un peu de
tous les points du monde romain, suivant les hasards de la
fortune et de lavancement. Quelques-uns sont originaires du
pays(3) ; ce sont ceux qui, ayant fait leur carrire dans la l-
gion comme soldats et comme sous-officiers, y ont t promus
au grade suprieur et y occupent encore, au moment o sont
gravs les textes qui nous les font connatre, les postes les
moins levs du centurionat(4). Mais la plupart de ceux dont
____________________
(1) Die Rangordnung, p. 38.
(2) Ann. pigr., 1895, 205, et 1898, 108.
(3) M. Furius Candidus, de Thveste (C. I. L., VIII, 2878) ; L. Rutilius
Paulinus, fils dun dcurion dHadrumte (2968) ; L. Tannonius de Lam-
bse (2980) ; L. Antonius Felix, de Carthage (C. I. L., III, 6185) ; C. Julius
Quadratus, de Cirta (ibid., VIII, 2890).
(4) Pour le second de ceux qui sont cits dans la note prcdente, cest
un fait certain : il est appel decimus pilus, cest--dire sans doute decimus
pilus posterior, puisque le mot prior nest pas mentionn.
176 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

la patrie est indique sont trangers lAfrique(1) : ceux-l sont


les officiers incorpors la IIIe Auguste alors quils avaient dj
le titre de centurion, et ayant appartenu antrieurement dautres
lgions(2). Comme ailleurs, aussi, nous trouvons en Afrique des
centurions dtachs soit la tte de certaines troupes auxiliai-
res(3), soit dans des positions particulires ; par exemple, ils com-
mandent de petites colonnes expditionnaires(4), sont la tte de
postes dtachs(5) ou conduisent des travaux militaires(6).
Nous ne nous tendrons donc pas sur les centurions de
la lgion IIIe Auguste. Il est pourtant impossible de ne point
rappeler, en passant, deux monuments de la plus grande im-
portance pour ltude du centurionat romain sous lEmpire,
qui ont t prcisment trouvs Lambse.
Le premier de ces documents, longuement comment par
____________________
(1) Jai relev, pour les centurions, les indications de patries suivan-
tes : Ostie (C. I. L., VIII, 2825) ; Alba Pompeia (1839) ; Pelagonia ( 2865) ;
Cologne (2785, 2907 ; Ibid., II, 484) ; Clunia ( Ibid., VIII, 2807) ; Ratiaria
(271) ; Aquincum (2826) ; Viminacium (3001) ; Csare de Palestine (2808)
Antioche (2997). Une inscription mentionne comme patrie la province de
Msie, Mysia (2786).
(2) C. I. L., VIII, 2786 : Centurion n en Msie, qui fut successive-
ment centurion dans les lgions I Italica, XX Valeria Victrix, VII Claudia et
III Augusta ; 2907: Centurion n Cologne, qui fut successivement centu-
rion dans les lgions VI Victrix, XX Valeria Victrix, II Augusta, III Augusta ;
3001 : Centurion n Viminacium, qui fut successivement centurion dans
les lgions VI Victrix, II Adjutrix, VII Claudia, II Augusta, VIII Augusta, XV
Appolinaris, XII Fulminata, VII Claudia, IV Flavia, III Augusta.
(3) Par exemple, le numerus Palmyrenorum (C. I. L., VIII, 2494, 2496,
2497). Pour ces diffrentes positions en dehors de la lgion IIIe Auguste, voir
Mller, Abcommandierte Centurionen (Philologus, 1882, p. 482 et suiv.) ; G.
H. Allen, Centurions as substitute commanders of auxiliary corps ; Cagnat,
dans le Dizion. epigr. de M. de Ruggiero, s. v Centurio.
(4) C. I. L., VIII, 2786 : Tombe dun centurion qui est appel debel-
lator hostium provinciae Hispaniae et Mazicum regione Montensium .
(5) Ibid., 3, 2482, 10990.
(6) Ibid., 2494 ; un centurion, prpos au numerus Palmyrenorum,
construit un burgus ; cf. 3, 10990, 11048.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 177

Mommsen(1), est linscription qui figurait dans le tabularium


principis(2) ; elle nous fait connatre les cinq centurions de la
premire cohorte une poque et leurs cinq options une
autre, de telle sorte quelle tablit dune faon premptoire
ce fait, dj affirm par Vgce(3), savoir que la premire
cohorte dune lgion, bien que double en effectif des autres,
ne comportait que cinq centurions au lieu de six, du moins
partir dHadrien, et par consquent cinq options. Il faut ajou-
ter que cette thorie, longtemps admise, malgr un texte de
Tacite qui semble la contredire(4), a t rcemment amende
dans le dtail par M. von Domaszewski(5). Daprs ce savant,
la premire cohorte ne comprenait en effet que cinq centuries,
mais elle comptait six centurions cependant, dont les deux
premiers portaient pareillement le titre de primus pilus ; le
second de ceux-ci, seul, tait la tte de la premire centurie ;
lautre navait pas de commandement effectif et tait quel-
que chose comme le chef dtat-major du lgat. A ce titre, il
navait pas besoin de lieutenant (optio).
Le second document(6) est plus important encore : on y lit
les noms des centurions de la lgion IIIe Auguste en lan 162,
rpartis par cohorte. Cest prcisment dans ce texte quil est
fait mention de deux primipiles en tte de la premire cohorte.
Cette inscription a galement donn lieu un travail de
Mommsen(7). Comme les conclusions quil en tire nont pas
trait spcialement la lgion dAfrique, il ny a point lieu dy
insister plus longuement.
____________________
(1) Eph. epigr., IV, p. 226 et suiv. ; V, p. 392 et 393.
(2) C. I. L., VIII, 2555 ; 18072:
(3) Veget., II, 8.
(4) Tac., Ann., I, 32 : Sexageni singulos ut numerum centurionum
adaequarent.
(5) Die Rangordnung, p. 91 et 115.
(6) C. I. L., VIII, 18065.
(7) Bull. des Antiquits africaines, 1884, p. 281 et suiv.
178 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Si le premier centurion de la premire cohorte lgion-


naire, le primipile, tait revtu de fonctions exclusivement
militaires, ce qui explique quon ne trouve jamais la mention
de bureaux ou demploys dadministration lui attachs,
le centurion qui venait immdiatement au-dessous, le prin-
ceps praetorii, avait surtout un rle administratif(1). Nous
en avons, pour lAfrique spcialement, une preuve formelle
dans la premire des deux inscriptions de Lambse dont il
a t question plus haut, celle qui est relative au tabularium
principis. Puisque cet officier avait sa disposition un dpt
darchives et de pices officielles, cest quil concentrait tou-
tes les signatures de la lgion : ctait le chef de lofficium du
commandant en chef. Voil pourquoi son nom figurait ct
de celui du lgat sur le matriel lgionnaire(2), et pourquoi
il avait des bureaux composs de soldats dadministration,
dauxiliaires (adjutor), dont le titre vritable tait librarius.
Ces teneurs de livres taient au nombre de deux ; du moins,
tel est le nombre de ceux qui figurent sur le document prcit
de Lambse.
A ct (les centurions, il faut nommer les candidati(3). On
nommait ainsi ceux des principales que le gnral proposait
au choix de lempereur pour le grade de centurion. Le mot
de candidat a encore la mme valeur de nos jours dans le
langage militaire. Les listes de principales qui ont t dcou-
vertes Lambse en mentionnent un certain nombre(4).
____________________
(1) Veget., II, 8 : Ad quem prope omania quae in legione ordinata
sunt pertinent. Cf. Mommsen, Eph. Epigr., IV, p. 233.
(2) Cf. Notizie degli scavi, 1887, p. 209 et suiv. ; R. Cagnat, Observa-
tions sur une plaque de bronze dcouverte Crmone (Rec. arch., 1887, XI,
p. 29) ; Mommsen, Korrespondenzblatt der Westd. Zeitschrift, 1888, p. 59.
(3) Cf. Arch. Epigr. Mittheil. aus sterreich, 188, p. 23.
(4) C. I. L., 2569 (2 sur 41), 2568 (5 sur 86) ; cf. 2801, 2866, 18086 (4
sur 56). Le sens de candidatus aprs Diocltien nest pas le mme. Il dsigne
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 179

Options. Les lieutenants des centurions portaient le


nom doptiones. Nous possdons, pour la lgion IIIe Auguste,
une liste de ces officiers(1) qui nest autre que lalbum du collge
militaire quils constituaient : elle se compose de 64 noms. Or,
comme il ny avait que 59 centuries dans la lgion, on ne voit
pas trop comment il aurait exist concurremment 64 options.
On a donn de ce fait deux explications. La premire est due
Mommsen(2). Quand il la mise, on ne connaissait encore
quincompltement linscription du tabulariam principis ; il
avait donc pu supposer avec quelque vraisemblance quil y
avait, pour la premire cohorte, non seulement cinq options,
mais encore cinq adjutores, ce qui donnait pour cette cohorte
dix options ou assimils. En ajoutant les six options affects
chacune des neuf autres cohortes, on obtenait le chiffre total de
64. Aujourdhui que linscription du tabularium principis est
entirement reconstitue, il est assur que les adjutores prin-
cipis taient des librarii ; on ne peut donc plus accepter cette
thorie, et il faut chercher une solution diffrente. Wilmanns
a exprim ce sujet une autre conjecture(3). Il a fait remarquer
que, dans cette liste de 64 options que nous possdons, il y a
un nom martel et trois autres qui sont accompagns des d-
signations centurio, cornicularius et actarius, ce qui indique
que ces officiers avaient t promus un autre grade ; en les
retranchant de la liste totale, on arrive au nombre de 60 qui re-
prsente, daprs Wilmanns, le nombre des centurions, et par
suite celui des options de la lgion IIIe Auguste. Cette conclu-
sion ne saurait pas non plus tre adopte, puisque le nombre
des centurions lgionnaires commandant des centuries est,
____________________
des soldats particuliers appartenant la garde impriale (cf. Mommsen, Ge-
sammelte Schriften, VI, p. 231, note 1).
(1) C. I. L., VIII, 2554.
(2) Eph. epigr., IV, p. 228.
(3) C. I. L., VIII, 2554.
180 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

nous lavons dit, de 59 et non de 60. Il faut donc supprimer


encore un nom de cette liste, si lon veut ramener le nombre
des options celui des centurions. On ne peut songer admet-
tre ici, comme la fait Mommsen pour la liste des centurions
de lan 162 dont nous avons parl plus haut, que, sans quon
lait spcifi, lun des officiers mentionns ntait plus au ser-
vice cette poque ou avait t nomm un grade suprieur,
puisque lon sest donn la peine dindiquer en marge ceux
de ces options qui avaient eu un avancement et la nature de
cet avancement. On doit tourner autrement la difficult.
On pourrait supposer que, parmi ces 60 officiers qui for-
maient le collge des options, il y a un option qui tait charg
de fonctions spciales, par exemple un optio balnearii(1). Mais
cette supposition il y a plus dun empchement : le plus grave
est que ces options dadministration, dont le nombre tait trs
suprieur lunit (optio valetudinarii, optio carceris, optio fa-
bricae, etc.), paraissent avoir appartenu dautres collges que
celui des options de combat(2). Il vaut mieux chercher ailleurs
une solution. On remarquera que la partie suprieure droite
de la face gauche de cette liste est brise ; rien nempche de
croire que lun des six premiers noms qui y figurent, et dont la
fin a disparu, tait suivi dune dsignation de grade autre que
celui doption et que, par suite, lun des officiers mentionn
cet endroit, ayant eu un avancement, doit tre ray de la liste.
Nous ne serions plus alors en prsence que de 59 options.
____________________
(1) Mommsen pense quil y avait, dans les lgions, deux genres dop-
tions, ceux qui, attachs chaque centurie, faisaient partie du cadre de com-
bat lgionnaire, et ceux que lon affectait des services spciaux, unique-
ment en vue de ladministration militaire : les seconds nauraient rien eu de
commun avec les premiers (Eph. epigr. IV, p. 449).
(2) C. I. L., VIII, 2553 (cf. Ann. pigr., 1906, 9). Ce texte est le rgle-
ment dun collge on les deux options valetudinarii sont runis aux pequarii,
au librarius et aux discentes capsariorum.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 181

Il faut, en parlant des options, faire une place part


loptio equitum, au sujet duquel M. von Domaszewski a mis
une thorie toute nouvelle(1). Pour lui, la cavalerie lgionnai-
re, sous lEmpire, avait subi de grands changements : son
rle tait rduit ou, si lon veut, lev celui de cavalerie
dtat-major du lgat . Aussi navait-elle plus de dcurions.
Le chef suprme en tait le tribun semestris ; le chef imm-
diat, loptio equitum, dont le nom devait figurer en tte sur
une scola mutile trouve Lambse(2) o se lit toute la srie
des equites. A cette poque, chaque cavalier tait, ainsi quil
tait de rgle chez les prtoriens(3), rattach une centurie
particulire(4).
Evocatus. La grande liste des centurions, trouve
Lambse, dont il a t question plus haut, contient le nom
dun officier supplmentaire qui porte le titre devocatus.
On sait ce qutaient les vocats lpoque impriale(5).
Mommsen la nettement tabli. Ils faisaient partie de la gar-
nison de Rome. Ils taient recruts non pas comme on faisait
pour les vocats de la Rpublique, dans tous les corps indis-
tinctement, mais parmi les troupes tenant garnison dans la
capitale ou aux environs, dans les cohortes prtoriennes sur-
tout, mais aussi dans les cohortes urbaines et mme, au IIIe
sicle, dans la lgion IIe Parthique(6). Dautre part, du texte de
____________________
(1) Neue Heidelberger Jahrbcher, IX, p. 150 ; Die Rangordnung, p. 47.
(2) C. I. L., VIII, 2562 ; cf. Besnier, Ml. de lcole fran. de Rome,
1897, p. 8 et suiv. ; 1899, p. 236 et suiv.
(3) Domaszewski, Die Rangordnung, p. 23.
(4) Par l sexplique une inscription, qui avait fort embarrass les
commentateurs (Dehner, Hadriani reliquiae, p. 41, note 1), o il est question
dun cavalier de la lgion de Lambse, appartenant la centurie de Julius
Candidus (C. I. L., VIII, 2593).
(5) Cf. Mommsen, Eph. epigr., V, p. 142 et suiv.
(6) Jai rsum les faits dans larticle Evocatus du Dict. des Ant. gr. et rom. de
M. Saglio. Cf. aussi Fiebiger, dans Pauly-Wissowa, Realencyclop.,VI, col. 1150.
182 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Lambse, que lon doit rapprocher de certains autres(1), il r-


sulte que, si leurs fonctions les attachaient Rome, ils taient
aussi souvent envoys en mission auprs des lgions disper-
ses dans les provinces, raison dun par lgion. Ceci est
admis par tous.
La difficult commence lorsquon veut se rendre compte
du rle qui leur tait attribu. Les documents rassembls par
Mommsen et ceux qui ont t publis depuis nous montrent
les vocats comme des hommes de confiance de lempereur,
employs par lui diffrentes besognes. A Rome ou en Italie,
ils semblent surtout occups dadministration, par exemple de
la direction dune prison(2), ou denqutes judiciaires(3). Parmi
ceux que nous trouvons dans les lgions, lun est dsign com-
me instructeur(4) lautre comme occup des subsistances(5).
Aussi, pour les uns, lvocat est-il un agent administratif
de lempereur(6), tandis que les autres lui dnient cette qualit,
tiennent pour extraordinaires toutes les fonctions de cette sor-
te qui pouvaient lui tre attribues et affirment que lenvoi des
vocats aux lgions avait pour raison dtre dunifier linstruc-
tion des hommes, conformment aux rgles adoptes dans le
prtoire imprial(7). La question nest assurment pas soluble
pour linstant, et le texte de Lambse napporte cet gard
aucun claircissement. On doit seulement en conclure, ce qui
____________________
(1) C. I. L., III, 3470, 3565 ; XIII, 6828, 6801.
(2) Ibid., XI, 19.
(3) Ibid., 2755.
(4) Ibid., III, 3470 : Exercitator leg. II Adj.
(5) Ibid., VI, 2893 : Pavit leg. X Gem . Le librator Nonius Datus, si-
gnal sur une pierre de Lambse (C. I. L., VIII, 2728), nest pas un evocatus
Augusti ; cf. Mommsen, loc. cit., p. 145 note 6. Quant celui qui, toujours
Lambse, aurait t curator tabularii (C. I. L., VIII, 2852), je nen fais pas
tat, la restitution du texte propos par M. von Domaszewski (Die Rangord-
nung, p. 231) tant tout fait hypothtique.
(6) Fiebiger, loc. cit.
(7) Von Domaszewski, op. cit., p. 77.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 183

est confirm par ailleurs(1), que lvocat dune lgion prenait


rang aprs le dernier des centurions.

6. LES SOUS-OFFICIERS ET LES SPCIALISTES.

Au-dessous des centurions et ct des options, on trou-


ve cits dans les inscriptions dAfrique un certain nombre de
sous-officiers ou de soldats dlite (principales), de grades
diffrents(2), qui taient attachs la lgion Auguste.
Nous les rassemblerons dans ce paragraphe(3), en don-
nant, au sujet des fonctions de chacun deux, les renseigne-
ments strictement ncessaires.
COMBATTANTS.

Fanfare. La fanfare lgionnaire se composait de trois


sortes dinstruments(4) : la trompette droite (tuba), le cor (bucina)
et la corne (cornu) ; ces deux derniers ne diffrent pas beaucoup
lun de lautre pour la forme(5). Vgce(6) a expliqu trs claire-
ment quel tait lusage de chacun deux. Les textes de Lambse
____________________
(1) C. I. L., XIV, 2258, et peut-tre XIII, 6081.
(2) Sur la hirarchie de ces principales, voir le travail souvent cit dj
de M. von Domaszewski, Die Rangordnung des rm. Heeres ; et G. H. Allen,
The advancement officers in the Roman army (Supplem. papers of the American
school of classical studies in Rome II, 1908), p. 1 et suiv.
(3) II ne sera pas question ici des duplicarii ou duplarii titres qui corres-
pondent non pas des fonctions, mais une situation privilgie sous le rapport
de la solde. Cf. leur sujet Vgce (II, 7).
(4) Cf. Marquardt, Staatsverwaltung, II, 2e dit., p. 452.
(5) Cf. le Dictionnaire des Antiquits grecques et romaines de M. Saglio,
aux mots Bucina et Cornu (avec les diffrentes reprsentations figures insres
dans le texte).
(6) Veget., II, 22 : Tubicen ad bellum vocat milites et rursum receptui canit.
Cornicines quotiens canunt, non milites sed signa ad eorum obtemperant nutum. Ergo
quotiens ad aliquod opus exituri sunt soli milites, tubicines canunt ; quotiens moven-
da sunt signa, cornicines canunt ; quotiens autem pugnatur, et tubicines et cornicines
pariter canunt. Cf. von Domaszewski, Die Fahnen im rm. Heere, p. 6 et suiv.
184 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

contiennent la mention de ces trois sortes de musiciens. Le


rglement du collge des tubicines(1) nous apprend que, sous
le rgne de Septime Svre et de ses fils, ceux-ci taient au
nombre de 37, que le chef de musique portait le titre doptio
et que le premier de la srie tait appel princeps. M. von
Domaszewski(2) suppose quil tait personnellement attach
au lgat, dont il avait transmettre les ordres. Le rglement
des cornicines(3), trs semblable au prcdent, et de la mme
poque, contient seulement 36 noms, dont celui de loptio. Le
mme M. von Domaszewski admet que trois de ces joueurs
de cor taient attachs aux equites, les 32 autres tant rpartis
au nombre de 5 pour les 5 centuries de la premire cohorte et
de 27 pour les 27 manipules des autres(4). Dans un troisime
document, o se lisent les noms des principales revenus de
lexpdition dOrient(5), nous comptons, sur 105 militaires,
trois tubicines, deux cornicines et deux bucinatores, ce qui
nous indique la fois et leur hirarchie et peut-tre aussi la
proportion suivant laquelle ils taient distribus dans les l-
gions ; enfin, de deux autres listes de principales(6) il ressort
que les musiciens taient rpartis dans les diffrentes cohor-
tes(7), ce qui paratra tout naturel, si lon se rappelle quelle
place importante tait rserve aux sonneries dans les exerci-
ces militaires et dans les mouvements des troupes(8).
Porte-drapeaux. Le signifer tait lofficier charg de
porter le signum de la centurie. Le rle des signa dans la tactique
____________________
(1) Klio, VII, p. 183 et suiv.
(2) Die Fahnen im rm. Heere, p. 44.
(3) C. I. L., VIII, 2557. Cf. peut-tre un d(iscens) c(ornicinem): R. Cagnat,
Muse de Lambse, p. 67.
(4) Loc. cit. ; cf. Die Religion des rm. Heeres, p. 86.
(5) C. I. L., VIII, 2564.
(6) Ibid., 2568 et 2569.
(7) Coh. IX : 1 tubicen, 1 cornicen (2568) ; Coh. III : 1 tubicen (2569).
(8) Veget., II, 2, et III, 5: per haec agnoscit exercitus utrum stare vel pro-
gredi an certe regredi oporteat .
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 185

tait considrable : ils assuraient la solidit de chaque compa-


gnie en formant un point dappui solide la ligne de bataille(1) ;
ils guidaient les mouvements des soldats dans les marches et
dans le combat(2) ; ctaient autant de signaux qui transmet-
taient aux yeux les ordres des chefs(3). Aussi le signifer tait-il
un des plus levs en grade parmi les officiers infrieurs(4). Il
fallait, pour tre nomm ce poste, un srieux apprentissage ;
nous en avons pour garant le nombre relativement important
des lves porte-enseignes que les inscriptions dAfrique nous
ont fourni. Une telle ducation tait dautant plus ncessaire,
que les signiferi ayant, dans le camp, la garde des conomies
dposes par les lgionnaires sous la protection des signa(5),
il leur fallait connatre, outre la thorie militaire, les rgles de
la comptabilit. Cest pour cela que lon trouve ct deux
des adjutores, ainsi quil rsulte dune inscription de Lamb-
se(6). Le mme document nous apprend aussi que les signferi
pouvaient tre chargs, en outre, de services administratifs :
nous y voyons deux dentre eux prposs la surveillance du
march. Le plus lev en dignit des signiferi portait, comme
chez les tubicines, le titre de princeps(7).
____________________
(1) Domaszewski, Die Fahnen im rm. Herre, p. 22 et 23.
(2) Les soldats devaient rester groups autour du signum. et ne jamais
sen carter: Caes., Bel. Gal., V, 16 ; VI, 34 ; aussi habituait-on les tirons le
suivre toujours : Liv., XXIII, 35 ; Tac., Ann., II, 45, etc.
(3) On connat les expressions signa tollere, movere, constituere, inferre,
convertere, retro referre, pour indiquer les diffrents mouvements des troupes.
(4) Cauer, Eph. epigr., IV, p. 472.
(5) Veget., II, 20 : Haec ratio apud signiferos... in cofino servabatur.
Et ideo signiferi non solum fideles sed etiam litterati homines eligebantur,
qui et servare deposita scirent et singulis reddere rationem.
(6) C. I. L., VIII, 18224. J. O. M. p. p. Flavi Studiosi, Sabinius In-
genuus et Aurelius Sedatus sig. leg. III Aug. agentes cura(m) macelli v. I. a.
s. cum azutoribus suis.
(7) Ibid, 4333 : militia(m) leg(ionariam) princ(eps) sig(nifer) explevit
(lecture de M. von Domaszewski).
186 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Les discentes signiferum taient, comme les signiferi


eux-mmes, qui leur servaient sans doute dinstructeurs, r-
partis dans les diffrentes cohortes(1).
Laigle jouait, pour lensemble de la lgion, le rle qui
tait attribu au signum pour la centurie : il transmettait aux
yeux les ordres du primipile ; de l lobligation faite celui-
ci de dfendre toujours laigle(2). Ctait en outre, plus encore
que chez nous le drapeau, lobjet dun culte religieux ; on lho-
norait comme une divinit, proprium legionis numen, suivant
lexpression de Tacite(3), qui protgeait la lgion et dont la perte
tait un dsastre en mme temps quun dshonneur. On com-
prendra donc facilement pourquoi lofficier charg de le porter
tait choisi parmi les plus valeureux et les plus distingus : il lui
fallait assez dexprience pour savoir guider la lgion sous les
inspirations du primipile, assez de bravoure pour pouvoir d-
fendre le dpt qui lui tait confi. Aussi arrivait-il quon passt
immdiatement du grade daquilfer celui de centurion(4).
Laquilifer tait, naturellement, suprieur au signifer(5).
On narrivait ce poste quaprs sy titre prpar par une
ducation technique ; cest ce quindique la prsence de dis-
centes aquiliferum au camp de Lambse(6).
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2562 (Coh. VIII : 1 signifer, 3 discentes ; Coh. X : 3
discentes) ; 2569 (Coh. III : 2 discentes ; Coh. IV 1 discens).
(2) Val. Max., I, 6, 11 : Aquilarum altera vix convelli a primipilo po-
tuit. Tac., III, 22 : lpsam aquilam Atilius Verus, primipili centurio, multa
cum hostium strage et ad extremum moriens servaverat.
(3) Ann., II, 17.
(4) C. I. L., XII, 2234 ; XIII, 6952.
(5) Ibid., V, 3375, 5832.
(6) Ibid., VIII, 2568, 2988. On sest quelquefois appuy, pour prouver
que la fonction daquilifer tait une des plus humbles, sur une inscription de
Grenoble o lon avait, cru lire : [Tempore] quo militare coepit aquilifer
factus est . M. Hirschfeld (C. I. L., XII, 2234), la suite de M. Seeck, admet,
avec la plus grande vraisemblance : Eodem consule quo militare coepit . Ce
texte appartient donc la catgorie peu nombreuse des inscriptions o les mi-
litaires indiquent la date de chacune de leurs promotions. (Cf. surtout C. I. L.,
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 187

Les imaginiferi, au contraire, qui taient chargs de por-


ter les images de lempereur(1), navaient aucun rle dans la
tactique ; leur fonction tait beaucoup moins importante que
celles du signifer ou de laquilifer. Les inscriptions de Lam-
bse nous en signalent quelques-uns, mais sans nous rien ap-
prendre leur sujet. On peut remarquer quils ne sont pas
cits dans les quelques listes militaires de la IIIe Auguste que
nous possdons. Ce silence mme, dailleurs, est instructif,
car il confirme un dtail dj connu. Vgce nous apprend,
en effet(2), que limaginifer avait rang parmi les soldats de la
premire cohorte ; or on na pas encore rencontr, Lambse,
de liste comprenant leffectif de la premire cohorte. Dans les
documents relatifs dautres lgions, au contraire, o cette
cohorte est mentionne(3), il est question dimaginiferi.
On sait que le vexillum tait lenseigne donne tout d-
tachement lgionnaire, comme symbole de lunit tactique.
Lofficier charg de porter le vexillum se nommait vexillarius.
Les cavaliers, formant dans la lgion un groupe distinct des
fantassins, avaient par suite, eux aussi, pour drapeaux des vexil-
lum. Quatre inscriptions de Lambse mentionnent des vexil-
larii. Lun deux est qualifi de vexillarius equitum ; sa nature
nest donc pas douteuse. Quant aux trois autres, il est trs vrai-
semblable quil faut les considrer aussi, avec M. von Domas-
zewski(4), comme des vexillaires de cavalerie ; car les textes qui
les signalent ont t trouvs au quartier gnrai de la lgion, o
des dtachements dinfanterie, ayant leur enseigne spciale,
____________________
XII, 2602.) Ici, ce qui a frapp t rdacteur de linscription, constatation, dailleurs,
assez purile, cest que lofficier qui y figure avait t promu aquilifer, non pas
lanne o il avait commenc servir (eisdem consulibus), mais sous des consuls
dont lun figurait dj parmi ceux de lanne o il tait entr en service.
(1) Veget., II, 7.
(2) Id., II, 6.
(3) C. I. L., III, 6178, 6180.
(4) Die Fahnen, p. 26, note 1.
188 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

ne pouvaient gure exister. Sur la liste des equites lgionnai-


res dj mentionne plus haut(1), ils sont au nombre de trois.
Tessraire. Le tesserarius, dont nous trouvons une quin-
zaine dexemples pour la lgion IIIe Auguste, faisait loffice de
notre sergent-major : il allait tous les jours au rapport chez le
chef de la lgion, recevait de lui les ordres et les transmettait
aux intresss ; le mot dordre lui tait remis inscrit sur une tes-
sre, quil faisait circuler dans les centuries ; do son nom(2).
Dans une numration de principales trouve Lamb-
se(3), o les diffrents sous-officiers mentionns sont rpartis
par cohorte, la cohorte ne contient vingt-six noms, sur les-
quels on compte deux tesserarii ; cette particularit semble
confirmer lopinion de ceux qui croient lexistence dun tes-
serarius par centurie dans les lgions, lexemple de ce qui
se produisait pour les troupes de la garnison de Rome(4).
Magister campi. Ce sous-officier instructeur tait at-
tach spcialement aux cavaliers(5). On ignore le rle de Ihas-
tilarius, qui est cit la suite et avant les simples equites sur
la liste de Lambse(6).
Armatura. Un album de vtrans, groups en collge,
fournit pour la lgion dAfrique la mention dun armatura et
dun discens armaturae(7). Un autre texte pigraphique nous fait
connatre que les armaturae en service actif constituaient aussi
un collge(8). Mommsen a dmontr(9) quon doit entendre par
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2562.
(2) Liv., XXVII, 46 ; CL Veget., II, 7.
(3) C. I. L., VIII, 2568.
(4) Cf. Cauer, Eph. epigr., IV, p. 452.
(5) C. I. L., VIII, 2562.
(6) Ibid.
(7) Ibid., 2618
(8) Ann. pigr., 1908, 9.
(9) Jahrbcher des Vereins von Alterthamsfr. im Rheinlande, 1880 p.53, note 1.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 189

ce titre, qui napparat quau IIIe sicle, un genre de soldat


particulier, exerc rapidement et pouvant instruire les re-
crues ; cest ce que Vgce indique fort clairement deux
reprises(1).
SERVICES AUXILIAIRES.

Gnie. Pour dresser le plan et surveiller la construction


des monuments ou des baraquements dont larme romaine a
couvert le monde, et dont la lgion IIIe Auguste spcialement
nous a laiss tant de souvenirs, il fallait des hommes prpa-
rs par des tudes thoriques, des spcialistes. On les trouve
dsigns sous divers titres(2). Ceux que nous rencontrons en
Afrique sont des architecti et des libratores.
Larchitectus tait, comme son nom lindique, spcia-
lement charg de la construction et de lamnagement des
btiments levs par les soldats. Nous nen possdons pour
la Numidie quun seul exemple, sur une pitaphe(3) ; le dfunt
y est appel miles, ce qui nous indique ou que les architecti
ntaient point dun rang lev, ou, sil y en avait plusieurs
sortes, que celui dont nous avons la tombe appartenait la
catgorie des plus humbles. Le nombre des documents rela-
tifs aux architectes militaires tant trs restreint, lon ne peut
encore que constater leur sujet des faits particuliers(4).
Ils avaient naturellement leur disposition des ouvriers
militaires de tous les corps dtat, parmi lesquels il convient de
donner une mention toute spciale ceux qui fabriquaient les
tuiles et les briques ; car le nombre des tuiles marques les-
tampille de la lgion IIIe Auguste, qui jonchent le sol du camp
____________________
(1) Veget., I, 13 ; II, 23.
(2) Dig. L, 6, 7.
(3) C. I. L., VIII, 2580.
(4) Cf. Hbner, Jahrbcher des Verens von Alterthumsfr. im Rhein-
lande, 1865, p. 146 et suiv.
190 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

de Lambse, est considrable. Nous en reproduirons plus bas


les types les plus intressants.
Le librator tait un soldat dlite ou un sous-officier, la
plupart du temps, daprs M. von Domaszewski, un evoca-
tus(1), qui faisait loffice de gomtre arpenteur. Nous pos-
sdons fort peu de documents sur ce genre de spcialistes.
Les deux seuls textes o il soit question deux propos de
lgions viennent prcisment dAfrique. Lun nest quune
pitaphe(2) ; lautre, au contraire, est des plus curieux(3). Il
nous apprend que le procurateur de Maurtanie, voulant faire
construire un aqueduc pour amener Saldae (Bougie) les eaux
des montagnes voisines, pria son collgue, le lgat de Numi-
die, de lui envoyer un librator. Celui-ci -vint en effet, dressa
les plans et installa les deux quipes douvriers qui devaient
travailler aux deux extrmits du canal, avancer lune vers
lautre et se retrouver mi-route ; mais il tomba malade et dut
retourner Lambse. Aprs son dpart, les travaux continu-
rent si maladroitement, quil fallut le rappeler ; il fut oblig
de revenir et de rparer les fautes qui avaient t commises en
son absence.
Corps de sant. Nous avons dit plus haut, dans le pa-
ragraphe relatif au prfet du camp, quil y avait sans doute des
mdecins spcialement attachs aux hpitaux ; il existait en
outre un service de sant lgionnaire(4). Les mdecins qui le
composaient, et que nous appellerons du nom moderne m-
decins de corps , taient chargs de passer la visite des malades
____________________
(1) Von Domaszewski, Die Rangordnung des rm. Heeres, p. 76.
(2) C. I. L., VIII, 2934 : D. M. s., Lollius Victor librator leg(ionis) III
Aug(ustae).
(3) ibid., 2728.
(4) Cf. Briau, Du service de sant militaire chez les Romains, et Las-
sistance mdicale chez les Romains ; Marquardt, Staatsverwaltung, II, 2e
dit., p. 555.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 191

dans la tente, de les y traiter quand la maladie tait lgre(1) et,


dans le cas contraire, de les faire transporter lhpital ; com-
me aussi daccompagner les lgionnaires dans les manu-
vres, dans les marches, dans les expditions, afin de donner
les premiers soins aux malades et aux blesss. Le nombre
des mdecins de cohortes nest pas connu, et les inscriptions
de Lambse ne peuvent servir le fixer. Le titre de medicus
ordinarius, que portent deux de ceux quelles nous signalent,
a t expliqu par Mommsen : il indique nettement la qualit
militaire des mdecins ainsi dsigns(2).

Commis aux vivres. Une liste de soldats diviss en


cohortes fait mention, dans la quatrime cohorte, dun pecua-
rius(3). On pourrait supposer que les fonctions de ce person-
nage avaient quelque rapport avec lalimentation des troupes.
La lgion possdait, ainsi quil sera dit plus loin, une certaine
tendue de terrain autour du camp de Lambse, un territoire
o elle trouvait le bois pour la cuisine et le chauffage, le foin
pour les chevaux et des pturages pour les bestiaux. Javais
donc autrefois mis lide que les pecuarii taient chargs
de lentretien, de laccroissement et de ladministration du
troupeau lgionnaire ; mais la prsence de pecuarii ct de
mdecins et dinfirmiers dans un des collges militaires de
Lambse engage plutt y voir, avec M. von Domaszewski,
des vtrinaires(4).
En tout cas, ils nont rien de commun avec les bouchers,
lanii, que le Digeste seul nous fait connatre(5).
____________________
(1) Plin., Paneg., 13 ; Vita Alexandri, 47.
(2) Eph. epigr., IV p. 530 : Significant qui se dicunt medicos ordina-
rios legionis ... se merere in numeris.
(3) C. I. L., VIII, 2568 ; cf. 2553.
(4) Ibid., 2553 : Optiones valetudinarii pequari, librarius, etc.
(5) Dig., L, 6, 7 .
192 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Ministres du culte. Les ministres du culte attachs au


lgat de la lgion taient les haruspices et les victimaires : les
premiers, chargs de lexamen des entrailles des victimes et
de linterprtation des prsages(1) ; les seconds, de la partie
matrielle des sacrifices. Ces deux sortes de prtres figuraient
certainement parmi le personnel de la lgion IIIe Auguste.
Dans un texte dj souvent rappel, o sont mentionnes un
certain nombre de catgories de sous-officiers de la lgion(2),
le dernier cit est un haruspex. Il semble en rsulter quil ny
en avait quun seul par lgion. Une autre inscription, trs frag-
mente, signale peut-tre un victimurius(3).
FONCTIONS INDTERMINES.

Marsi. Deux textes de Lambse mentionnent un mar-


sus ; lun deux prit part lexpdition dOrient, lpoque de
Caracalla et dlagabal(4). Il est particulirement difficile de
saisir le sens exact de ce mot, qui se rencontre seulement dans
les textes dAfrique et que la plupart des dictionnaires ignorent.
On sait pourtant que les Marses passaient pour avoir, comme
les Psylles de la Marmarique, le don de charmer les serpents
et de gurir leurs morsures(5) ; le nom de marsus tait de mme
devenu synonyme de charmeur (6). Doit-on croire que, dans
larme dAfrique, plus expose que les armes dEurope ren-
contrer des scorpions et des serpents, il y avait des soldats qui
____________________
(1) Cic., De divin., II, 12-32. Cf. Marquardt, Staatsverwaltung, III, p.
393, et Bouch-Leclercq, Histoire de la divination, IV, p. 1 125.
(2) C. I. L., VIII, 2586. Un autre haruspex est mentionn sur une liste
que jai publie dans le Muse de Lambse, p. 67.
(3) Ibid., 18085.
(4) Ibid., 2564, 2618.
(5) Plin., Hist. nat., VII, 2, 2 ; XXI, 13, 45 ; XXV, 2, 5 ; XXVIII, 3, 6 ;
Aul. Gell., XVI, 11 ; Solin., 2 ; Isid Orig., IX, 2, 88 ; Fronto De bell. Parth.,
p.322, d. Mai.
(6) Cf. Du Cange, Gloss., s. v.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 193

faisaient profession de soigner ceux de leurs camarades qui


avaient t piqus par quelque reptile(1) ?
Les fonctions de plusieurs autres principales sont en-
core bien plus incertaines. Lune est reprsente par labr-
viation CAS(2) on la rapproche du mot KAST qui dsigne
aussi une fonction militaire, sur un autre monument pigra-
phique(3). Mais, dans ce dernier document, il semble bien quil
soit question dun prfet du camp, soit que le mot praef. ait
t oubli par le graveur, soit que le mot kastrorum seul ait
pu avoir le mme sens, comme armorum a celui de custos ar-
morum. Pour labrviation CAS, au contraire, il ne faut point
penser une interprtation de cette nature ; rien ne prouve
mme que ce groupe de lettres ne constitue pas une suite de
sigles, au lieu de former les trois premires lettres dun mot.
Mme incertitude pour les fonctions attribues dautres sol-
dats et qui soffrent sous les formes abrviatives : AE(4), C(5),
C(6), DE ou DF(7), LADOFD(8), LARE ou LAPF(9), L C, L
F(10), L Q(11), L S(12), P(13) et peut-tre VO(14).
____________________
(1) On se rappellera que Caton, dbarqu Cyrne et voulant rejoindre
par terre Scipion et Attius Varus qui tenaient la campagne dans la Proconsulaire,
emmena avec lui des Psylles pour gurir ses soldats de la morsure des serpents.
(Plutarch., Cat., 66.)
(2) C. I. L., VIII, 2568.
(3) Ibid., III, 3468.
(4) Ibid., VIII, 2626.
(5) Ibid., 18087.
(6) Ibid.
(7) Ibid., 2626. Renier explique ces lettres nigmatiques par d(ispensator
fisci), Wilmanns par d(uplarius) f(rumentarius). Ni lune ni lautre de ces solutions
ne sont satisfaisantes.
(8) Ibid. ; cf. 18099.
(9) Ibid.
(10) Ibid. On a propos trois explications : l(ibrarius) c(aducorum), Renier
; l(ibrarius) c(ohortis), Henzen ; l(ibrarius) c(apsarius), Wilmanns.
(11) Ibid.
(12) Ibid.
(13) Ibid., 18084.
(14) Ibid. 2626.
194 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

CHAPITRE IV.

LES AUXILIAIRES DE lARME DE NUMIDIE.

Nous avons numr ci-dessus tous les corps auxiliai-


res qui paraissent avoir appartenu plus ou moins longtemps
larme de Numidie, cavaliers et fantassins. Il convient ici
dtudier successivement chacun de ces corps et dexposer
ce que les documents pigraphiques nous apprennent sur leur
histoire. Jindiquerai en passant pourquoi certaines autres
troupes dont les noms figurent sur des inscriptions de Numi-
die ont t omises dans la liste.
1. HISTOIRE DES TROUPES AUXILIAIRES DE NUMIDIE.

AILES.

Ala Flavia. Lala Flavia est connue par quatre inscrip-


tions, dont deux ont t trouves en Numidie, Zara(1) et An-
Zoui(2), la troisime dans la Proconsulaire(3) et la quatrime en
Maurtanie(4). De ces textes il rsulte que laile appartenait au
corps doccupation africain. Il faut se garder de la confondre
avec les autres ailes portant le mme surnom, non seulement
avec celles qui sont distingues dans les inscriptions par un
numro dordre, mais mme avec lala Flavia miliaria, qui
faisait certainement partie de larme de Rtie(5) et qui, dans
____________________
(1) C. I. L., VIII. 4510.
(2) Ibid., 17633.
(3) Ibid., 21429.
(4) Ibid., 21567 ; Cf. aussi 21814.
(5) C. I. L., XIV, 2287 = VI, 3255 : T. Flavius Quirinus eq. sing. lec-
tus ex exercitu Raetico ex ala Flavia P(ia)F(ideli) miliaria.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 195

un texte plus prcis, est dsigne sous le titre de ala I Flavia


miliaria(1). Cest un corps de cavalerie propre larme de
Numidie, dont il nest fait mention nulle part ailleurs quen
Afrique. Son origine ne remonte pas plus haut que lpoque
de Vespasien et de ses fils, ainsi que lindique son surnom.
Une inscription nous la montre en 174, Aflou, occupe
combattre victorieusement une rvolte des Maures(2) avec
la cohorte des Commagniens dont il sera question plus bas.
Des trois autres documents o elle figure, le premier est du
temps de Caracalla(3) ; le second et le troisime ne portent pas
de dates, mais ils sont assurment peu prs de la mme p-
riode.

Ala Gallorum. Lpitaphe de Mdaourouch qui en fait


mention ne permet pas de conclure que le corps soit jamais
venu en Afrique(4).

Ala Numidica. Nous navons conserv, relativement


lala Numidica, que deux inscriptions, dont aucune na t
dcouverte en Afrique. Lune vient de Troade(5) : elle est ddie
un personnage qui fut successivement tribun de la lgion IIIe
Auguste, praefectus fabrum et prfet de laile numidique, par
quarante-quatre cits africaines dont il avait fait le recensement.
Nous ne serions pas autoriss conclure de ce texte la prsen-
ce de laile dans le pays, le personnage ayant pu tre charg du
____________________
(1) Vaders, De alis exercitus romani, Halle, 1883, p. 22. et suiv. ; Ci-
chorius, dans Pauly-Wissova, Realencyclopdie, I, col. 241.
(2) C. I. L., VIII, 21567.
(3) Ibid., 4510.
(4) Gsell, Rech. arch. en Algrie, p. 372, n. 256 : Ti. Clau[dius] f.
Cresce[ns]., ala Gal[lo]rum .
(5) C. I. L., III, 388 : Q. Lollio Q. l. Ani. Frontoni trib. mil. leg.
III Aug. praef. fabr. tert. praef. equitum alae Numid. II vir pont. civitates
XXXXIIII ex provinc. Africa quae sub eo censae sunt.
196 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

recensement comme tribun militaire(1) ou mme comme prae-


fectus fabrum(2), aussi bien que comme prfet de cavalerie, si
le mme corps ne figurait aussi sur un monument de Rome
ainsi conu(3) :
ANO EX HISP CITER
praef. Coh. I astur. et GALLAEC IN MAVR
praef. coh. comm AG IN CAPPAD
trip. coh. mil. Equi T C R IN CAPPAD
praef. Alac nu MIDIC IN AFRICA
praef. alae I hisp. au RIANAE IN RAETIA
IXV

La restitution de ce texte mutil, dont toute la partie gau-


che a disparu, comporte quelques incertitudes : mais lensem-
ble est suffisamment clair ; il parat certain que lavant-der-
nire ligne se rapporte prcisment lala Numidica rvle
par le texte de Troade ; il faut admettre quelle tait campe
alors en Afrique.
La date de ces deux textes, qui permettrait de fixer celle
du sjour de la cohorte en Numidie, ne peut tre tablie que
trs approximativement.
Pour linscription de Troade, la prsence de la tribu, lab-
sence dpithtes au surnom de la lgion et la mention de la
charge de praefectus fabrum(4) nous limitent aux deux premiers
sicles ; pour celle de Rome, le mot Africa, et non Numidia, op-
pos Mauretania, nous indique une poque antrieure aussi
au IIIe sicle. De plus, la dernire ligne, il semble bien tre
____________________
(1) On connat dautres cas o des tribuns militaires ont t chargs du
recensement dans les provinces (C. I. L., VI, 1462 : tribuno laticlavio l[eg.] VII
Gemin. at census accipi[en]dos civitatium XXII... Vasconum et Vardulorum ).
(2) Nous avons aussi plusieurs exemples de praefecti fabrum appels une
semblable fonction ; cf., ce sujet Mau, Der praefectus fabrum, p. 116, note 82.
(3) C. I. L., VI, 3654.
(4) Mau, op. cit., p. 7.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 197

question de lala I Hispanorum Auriana et de son sjour en


Rtie ; or cette aile tait cantonne en Rtie pendant les deux
premiers sicles(1) ; cest la encore une indication chronologi-
que qui confirme les prcdentes. Mme conclusion propos
de la cohorte monte des citoyens romains qui tait en Cap-
padoce sous Marc Aurle(2).
Ala pa Une aile de Parthes(?) ou dEspagnols ([His]
pa[norum]) figure sur un fragment minime du discours dHa-
drien(3).
Ala I Augusta Pannoniorum. La prsence de lala I
Augusta Pannoniorum dans larme de Numidie est absolu-
ment certaine. On en a trouv des traces en plusieurs endroits du
pays, et un texte de Fermo nous indique bien nettement quelle
tenait garnison en Afrique(4). Nous avons gard sur son compte
plus de documents que sur les deux ailes dont il a t question
prcdemment. Un petit nombre de ces documents sont da-
ts : lon par le nom de lempereur Trajan et par une allusion
sa victoire Parthique (an 118)(5), le second par la mention des
consuls de lan 120(6), et le troisime par les noms des consuls
de 198(7). Quand jaurai ajout quelle faisait partie des corps
que lempereur Hadrien harangua en 128, lors de son inspec-
tion en Afrique(8), on ne pourra plus hsiter admettre que
____________________
(1) Tac., Hist., III, 5, 9 et suiv. ; pipi. Dipl. mil, XXV (an 107), LXXIII (an 166).
(2) Ann. pigr., 1910, 161.
(3) Bull. archol. du Comit, 1899, p. CCXIII, n. 36.
(4) C. I, L., IX, 5363 : L. Volcacio A. f. Vel. Primo praef, coh. I No-
ric. in Pannonia trib. milit. leg. V Macedonicae in Moesia, praef. alae I
Pannonior. in Africa.
(5) Ibid., VIII, 2354.
(6) Ibid., 20144.
(7) Ibid., 2464.
(8) Voir Hron de Villefosse, Festschrift Hirschfeld, p. 196. Cf. C. I.
L., VIII, 2690.
198 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

laile des Pannoniens resta dans le pays pendant toute la du-


re du IIe sicle. Elle y tait encore dans la suite(1).
Sil faut assigner, avec M. Hbner, aux tombes de deux
cavaliers de cette aile la date du 1er sicle(2), elle y serait ve-
nue bien auparavant(3). Mais il parat y avoir, admettre sans
restriction cette opinion, une difficult, cest que lon trouve,
au 1er sicle, la mention dailes de Pannoniens portant ga-
lement le numro un dans dautres provinces que lAfrique.
Un diplme militaire signale le sjour dune ala I Panno-
niorum en Msie Infrieure en 99, et un autre la prsence
dune ala I Pannoniorum Tampiana dans larme de Breta-
gne, pour lanne 103(4). Cette difficult, pourtant, nest pas
aussi grave quelle le semble tout dabord. On peut, en ef-
fet, liminer sans hsitation toute identification entre lala
Pannoniorum de Numidie et lala Pannoniorum Tampiana
de Bretagne ; le surnom seul de cette dernire prouve quil
ny a entre ces deux troupes rien de commun(5). Quant
laile de Msie, bien quelle noffre, dans les dnominations,
____________________
(1) Un actuarius de cette aile figure sur un texte du IIIe sicle rcemment
trouv Djemila (Journal officiel, 13 janvier 1911 [annexe], p. 79, n. 3).
(2) Lun ( C. I. L., VIII, 6309) se nomme Ti. Claudius, Mantai f., Cilius ;
M. Hbner le considre, ainsi que son camarade Boutius, Ceii f. (ibid., 6308),
comme du Ier sicle (Herms, 1881, P. 572).
(3) Le texte de Fermo, cit plus haut, nous apprend, de son ct, que
laile des Pannoniens tait en Afrique une poque o la cohorte Ire des Nori-
ques tait en Pannonie et la lgion Ve Macdonique en Msie ; ces deux rensei-
gnements concordent avec ceux que nous avons dj, sans nous permettre de
prciser davantage : la lgion Ve Macdonique occupait la Msie au IIe sicle
et passa en Dacie sous Septime Svre (C. I. L., III, p. 161), et la cohorte des
Noriques tait campe en Pannonie pendant les deux premiers sicles. Cf. Ci-
chorius, dans Pauly-Wissowa, Realencycl., IV, col. 319.
(4) Dipl., XXXI et XXXII.
(5) On a voulu trouver dans deux textes dAn-Foua (C. I. L., VIII, 6308
et 6309) la preuve que lala Pannoniorum dAfrique tait la mme que lala
Tampiana de Bretagne. Dans ces deux textes, on lit: ALAE PANNONIORVM
T. Renier interprtait : Tampianae ; Henzen, aprs stre rang cette lecture, la
rvoque en doute (Annali, 1860, p. 69, note 1), faisant remarquer avec raison
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 199

aucune diffrence extrieure qui permette de la considrer


comme un autre corps que celle de Numidie, il se pourrait
bien cependant quil en ft ainsi. Les exemples sont frquents
de cohortes et dailes portant le mme numro et qualifies par
le mme nom de peuple, sans pourtant tre identiques. En tout
cas, la forme des caractres, sur les deux tombes mentionnes
plus haut, accuse plutt le premier sicle que le second.
Il est donc assur que cette aile comptait parmi les auxi-
liaires ordinaires de larme de Numidie : les cavaliers qui
en faisaient partie taient envoys en dtachement avec les
lgionnaires(1) ; en 198, une vexillation de la lgion, poste
dans lAurs, tait commande par un dcurion de laile(2).
On possde, sur un monument dAn-Foua(3) o lon
suppose sans preuve bien concluante quelle tint peut-tre
garnison pendant quelque temps, la reprsentation dun cava-
lier de laile des Pannoniens. Il est figur courant droite et
foulant aux pieds de son cheval un ennemi renvers. Mais la
sculpture est tellement grossire, quon ne saisit aucun dtail
ni darmement ni de costume. Nous navons pas cru nces-
saire den donner ici la reproduction.

Ala Siliana, Cette troupe campait en Afrique au 1er si-


cle. Elle fut appele en gypte par Nron(4), puis envoye dans
____________________
quun mot aussi peu usit que Toampiana ne saurait gure sabrger. Lhis-
toire connue de lala Tampiana (Cichorius, loc. cit., I, col. 1254) ne permet
pas, au reste, de croire quelle ait jamais camp en Afrique. Schmidt dit, avec
raison : ala Pannoniorum I.
(1) C. I. L., VIII, 18025.
(2) Ibid., 2464 (Cf. 2466) : J. O. M. Jun. reg. Min. Marti vict. Aug.
pro salute Impp. L. Septimi Severi Pii et M. Aureli Antonini Augg. et [P.
Sept. Getae] vexill. [leg. III Aug.] P. V. morans in procinctu, cur. Aemilio
Emerito dec. al. I Pann., Saturni(no) et Gallo cos, v n(onas) Maias, v. s.
(3) Ibid., 6309.
(4) Tac., Ann., I, 70 : Proconsulem Vittelium Siliani in Africa habuerant.
200 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

les provinces danubiennes(1). Un vtran de lala Siliana est


mentionn sur une pitaphe trouve Chemtou(2).
COHORTES.

Coh. II Flavia Afrorum. Il nest fait mention quune


seule fois de ce corps dans une inscription du Sud Tunisien ;
il parat avoir tenu garnison Siaoun avec un numerus sous
Septime Svre(3).

Coh. II Amiorum. Cette cohorte, inconnue totale-


ment, ne figure en Afrique que sur un seul texte trouv prs
de Tbessa, une pitaphe(4). La tombe a t faite par un soldat
de la cohorte pour sa mre. Cette inscription ne prouve donc
nullement la prsence du corps en Numidie : le fait est possi-
ble, on ne saurait en dire davantage.
La cohors I Amiorum (ou mieux Hamiorum) sagittario-
rum tait une troupe de Bretagne(5).

Coh. I Chalcidenorum equitata. La cohorte premire


des Chalcidniens tait campe Bir-oum-Ali, sur la route de
Tbessa Gafsa, en 163 et 164. Elle y a laiss des traces de
son passage que jai toutes releves : des pitaphes, des ex-
voto, un autel la discipline militaire, deux bases M. Aurle
et L. Verus(6), et peut-tre le castellum de Tamesmida, situ
non loin de l(7), qui remonte, sans contredit, une excellente
____________________
(1) Cichorius, dans Pauly-Wissowa, Realencycl., I, col. 1260.
(2) C. I. L., VIII, 25646.
(3) Ann. pigr., 1909, 104
(4) C. I. L., VIII, 10654.
(5) Hassencamp, De coh. Roman. Auxiliariis, p. 53 ; Cichorius, loc.
cit., IV, col. 294.
(6) C. I. L., VIII, 17585 et suiv.
(7) Voir plus bas ce qui sera dit propos de ce fort, dont le plan a t
relev par M. Saladin.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 201

poque. Or une inscription et un diplme militaire nous font


connatre une cohorte I Flavia Chalcidenorum equitata sagit-
tariorum qui campait en Syrie en 157(1) et en 162(2) ; la ntre,
en 163 peut-tre, en 164 srement, tait installe en Afrique,
o elle nous est signale, dautre part, par un texte de Rome
relatif un de ses prfets, T. Staberius Secundus(3). Tant que
lon ignorait la date de ce dernier texte, on pouvait se deman-
der, comme je lai fait dans la premire dition de ce livre,
sil ne sagissait pas, dans ces diffrents cas, dune mme co-
horte qui aurait quitt la Syrie vers 163 pour venir augmenter
leffectif de larme dAfrique(4). Mais un diplme militaire
rcemment trouv nous apprend que le prfet T. Staberius Se-
cundus vivait la fin du 1er sicle de notre re ; il comman-
dait la cohorte des Calchideni en Afrique, antrieurement
lanne 78(5). Il sensuit que les deux corps sont distincts lun
de lautre et ont exist simultanment, lun en Syrie, lautre
en Numidie(6).

Coh. XV civium romanorum ? Deux pitaphes trouves


Hadra(7), qui remontent assurment au 1er sicle, signalent
une cohorte XVe, sans autre complment. Peut-tre est-ce une
____________________
(1) Ann. pigr., 1900, 27= 38.
(2) C. I. L., III, 129 : Imp. Caes L. Aurelio Vero Aug.... coh. I FI.
Chal. e[q.]. sa[g.].
(3) Ibid., VI, 3538 : Tito Staberio, T. f. Quir. Secundo praef. coh.
Chalciden. in Africa, praef. equit. alae Moesicae Felicis Torquatae.
(4) Cette hypothse nest pas admise par M. Cichorius (loc. cit., col.
269 ; il ne croit pas quune troupe ait pu tre retire la Syrie pour tre ex-
pdie eu Afrique durant la guerre Parthique, Pour lui, il sagirait donc de
deux cohortes de Chalcidniens, lune campe en Afrique, lautre en Asie.
(5) Ann. pig., 1906, 99, l. 20 : D. Novio Prisco L. Ceionio Commodo
cos. (an. 78), alae Moesicae cui praest T. Staberius T. f. Qui. Secundus.
(6) Il ny a rien tirer, cet gard, ainsi que javais cru pouvoir
lavancer ailleurs, dun texte dEl-Kantara (Ann. pig., 1896, 35.
(7) C. I. L, VIII, 23232, 23255.
202 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

cohorte de citoyens romains. Elle campa sans doute Am-


maedara, ct de lgionnaires lpoque des Flaviens.
Coh. VI. Commagenorum equitata. Une des parties de
lallocution dHadrien larme dAfrique est adresse la co-
horte VIe des Commagniens(1) ; celle-ci faisait donc partie des
auxiliaires ordinaires de la lgion, et cela probablement ds le
1er sicle(2). Le mme document nous apprend que ctait une
cohorte mixte, compose dinfanterie et de cavalerie. Nous la
trouvons, lanne 174, en expdition au sud de la Maurtanie(3)
et, en 177-180, occupe El-Outaa construire un amphith-
tre(4) ; elle y tenait peut-tre garnison cette date(5).
Coh. VIII Fida. Elle est mentionne sous Gallien,
propos de la construction dun fortin dans le Sud Tunisien.
Peut-tre avait-elle un second surnom plus caractristique qui
a t omis sur le texte(6).
Coh. VIII Flavia equitata. Cette troupe tait, elle aussi,
un des auxiliaires de la lgion ; comme la cohorte des Comma-
gniens, la cohorte I Flavia equitata eut lhonneur dtre ha-
rangue par Hadrien(7). Wilmanns la conjectur, et sa conjec-
ture a t confirme par une trouvaille postrieure(8) ; comme
elle, elle tait mixte, compose de cavaliers, et de fantassins ;
____________________
(1) C. I. L., VIII, 18042.
(2) La Commagne ayant t conquise sous Vespasien, les cohortes de
Commagniens ne sont pourtant pas antrieures au rgne de ce prince.
(3) C. I. L., VIII, 21567.
(4) Ibid., 2488.
(5) On e trouv aussi lpitaphe dun soldat de cette cohorte Zara
(ibid., 4526).
(6) Ibid., 22765.
(7) Ibid., 18042,
(8) M. Hron de Viliefosse a signal parmi les fragments minimes
du discours dHadrien les lettres eQ II Fl (Bull arch. du Comit, 1899, p.
CCXIV, n. 42).
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 203

comme elle, elle ne remonte pas plus haut que Vespasien ou


les princes de sa famille, ainsi que le prouve son surnom Fla-
via ; comme elle enfin, elle a laiss Zara la tombe dun de
ses soldats(1), ce qui ne prouve pas, du reste, son sjour habi-
tuel sur ce point.
Coh. II Hispanorum equitata. Il est absolument cer-
tain que la seconde cohorte des Espagnols a tenu garnison
en Afrique. Nous la trouvons deux fois mentionne, dans un
vu fait par un de ses dcurions(2) et sur la tombe dun offi-
cier du mme grade(3). Le premier de ces textes nous apprend,
de plus, que ce dcurion tait un ancien bnficiaire du lgat
de Numidie, ce qui permet davancer que la cohorte tait un
des auxiliaires de la lgion. Elle est mentionne galement
dans le discours dHadrien(4).
La cohors II Hispanorum de Numidie tait, comme les
prcdentes, compose dun effectif mixte de cavaliers et de
fantassins.
Coh. V Hispanorum. La cohorte cinquime des Es-
pagnols ne figure que sur une inscription dcouverte Lam-
biridi(5) ; il semble y tre dit quelle faisait partie des troupes
de Msie Suprieure. Dans ce cas, elle serait venue en Nu-
midie avec quelque lgion de Msie, peut-tre la lgion IVe
Flavienne, dont nous avons parl plus haut, pour appuyer la
lgion IIIe Auguste et ses auxiliaires dans un moment diffi-
cile ; cest durant cette expdition que serait mort le dcurion
rappel dans le texte de Lambiridi desideratus in acie .
____________________
(1) C. I. L., VIII4527.
(2) Ibid., 2226.
(3) Ibid., 2787.
(4) Ibid., 18042 D.
(5) C. I. L., VIII, 4416 : Aurelio Marco dec. (coh.) V Hisp. proyinciae
Moesiae Sup. desiderato in acie. Aurelius Suruclio dup. fr[a]tri bene mere(nti).
204 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Coh. VII Lusitanorum equitata. Il rsulte dun texte


pigraphique relatif au grand-pre de la femme de Pline le
Jeune, Calpurnius Fabatus, que la septime cohorte des Lu-
sitaniens tenait garnison en Afrique vers le milieu du 1er si-
cle(1). Comme son nom se lit An-Zoui(2), Khenchela(3) et
surtout Lambse(4), sur deux textes funraires, on est tent
de supposer quelle na jamais quitt lAfrique pendant les
premiers sicles de lEmpire. Il nen est rien cependant ; car
elle tait en Rtie en 107(5) et en 166(6). Il faut donc supposer
que la cohors VII Lusitanorum passa de Numidie en Rtie
vers la fin du 1er sicle, et quelle y revint un sicle plus tard.
Linscription de Julius Fabatus serait contemporaine de son
premier sjour ; les autres, et certainement celles de Lam-
bse, seraient postrieures son retour. Cette cohorte tait
galement une cohors equitata(7).
Coh. II Maurorum. Il faut aussi compter la deuxime
cohorte des Maures, du moins au IIIe sicle, parmi les auxiliai-
res de la lgion ; un ex-voto nous montre un des centurions de
cette cohorte charg en 208, de commander un dtachement l-
gionnaire qui avait t envoy, pour quelque travail sans dou-
te, une petite distance de Lambse(8). Mais il est surprenant
____________________
(1) C. I. L., V, 5267: [L.] Calpurnius L. f. Ouf. Fabatus. trib. iterum leg.
XXI Rap., [pr]aef. cohortis VII Lusitanorum et nation. Gaetulicar. sex quae sunt in
Numidia. Le personnage mourut, on le sait, en 104, dans un ge fort avanc. Cf.
Tac., Ann., XVI, 8, et Plin., Epist., IV, 1 ; V, 12, etc., et surtout. X, 121.
(2) C. I. L., VIII, 17631.
(3) Ibid., 17673.
(4) Ibid., 3147 = 2887 et 3101: Q. Domitio, Pollia, Castris, Sardonico mil.
coh. VII Lusitanorum.
(5) Dipl. mil., XXXV.
(6) Ibid., LXXIII.
(7) C. I. L., VIII, 3147 (tombe dun cavalier de la cohorte). On pourrait bien
supposer que la cohorte des Lusitaniens de Rtie est diffrente de celle de Numidie
; mais, comme le fait observer M. Cichorius (loc. cit., col. 313), il serait tonnant
quil et exist deux cohortes lusitaniennes portant un numro aussi lev que VII.
(8) Ibid., 4323.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 205

que nous ayons gard si peu de souvenirs dun corps qui fut
ds le dbut, ainsi que son nom lindique, recrut en Afrique
et qui, par consquent, doit remonter au 1er sicle.

Coh. II Gemella Thracum equitata. Plusieurs textes(1)


nous font connatre cette troupe qui semble avoir tenu garni-
son, peut-tre seulement, il est vrai, pendant quelque temps,
en Numidie, Mascula(2). Elle na rien de commun avec la
cohors II Thracum de Jude et de Bretagne, ni avec la cohors
II Augusta Thracum de Pannonie : le surnom de Gemella
quelle porte le prouve trs nettement(3).
NUMERI.

Numerus Colonorum. Cette troupe nest cite quune


fois, propos de la construction dun fortin dans le Sud Tuni-
sien, sous Septime Svre(4).
Numerus Palmyrenorum sagittariorum Herculis. Les
soldats du numerus Palmyrenorum ont laiss dans les inscriptions
de Numidie des souvenirs assez nombreux, tous ou presque tous
au dfil dEl-Kantara, quils avaient pour mission de garder
partir du milieu du IIe sicle. Ce sont dabord des ddicaces au
dieu de leur pays, Malagbel, ou dautres divinits(5), puis des
tombes avec des pitaphes bilingues, latino-palmyrniennes(6)
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2251 et 5885(?) ; Ann. pigr., 1894, 872. Le premier
de ces textes est lpitaphe dun cavalier nomm T. Flavius Bitus. M. Keil
(De Thracum auxiliis. Berlin, 1885, p. 57) suppose, avec quelque vraisem-
blance, quil tenait son gentilice de lun des empereurs Flaviens. Le texte
serait donc de la fin du Ier sicle.
(2) Cf. Gsell et Graillot, Ml. de Rome, XIII, p. 36.
(3) Cf. Cichorius, loc. cit., col. 338.
(4) Ann. pigr., 1909, 104.
(5) C. I. L., VIII, 2497, 8795, 18007, 18008.
(6) Ibid., 2515, 3917 (cf. addit.),
206 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

ou simplement latines(1). Lune delles, date de lan 462 de


lre des Sleucides, cest--dire de 150 aprs Jsus-Christ,
nous apprend que le numerus tait dj tabli en Afrique
cette poque(2) ; cest la seule qui ait t trouve Lambse.
Les documents dats dcouverts El-Kantara sont du temps
de Caracalla(3) et de Svre Alexandre(4). Cette troupe sjour-
na donc au moins un sicle en Numidie. Il est noter quelle
est appele dans quelques textes numerus Herculis, dnomi-
nation que lon emprunta au lieu o elle tait campe, le cal-
ceus Herculis ; mais ce ntait l quun surnom, qui disparat
dailleurs avec Caracalla sous lequel il tait apparu(5).
Les soldats qui composaient le corps ont toujours t des
Palmyrniens, et llment africain ne semble pas sy tre intro-
duit ; le premier texte dat qui nous fasse connatre ce numerus
est une tombe palmyrnienne(6), et le dernier, qui est contempo-
rain de Svre Alexandre, une ddicace Malagbel(7).
Il est question, sur des inscriptions de Dacie de date in-
certaine, dun numerus Palmyrenorum, qui parat avoir t
tabli dans la province(8). Il est assez difficile de croire que les
Palmyrniens de Dacie et ceux de Numidie appartinssent la
mme troupe et, par suite, quils aient camp dans le premier
pays ayant dtre envoys dans le second : ce sont bien plutt
la deux numeri distincts, employs la mme poque dans
deux corps darme diffrents.

Vexillatio militum Maurorum Caesariensium. Le rgiment


____________________
(1) C. I. L., VIII, 2505 ; Rec. de Constantine, XXIII (1899) p. 432.
(2) Ibid., 3917.
(3) Ibid., 2494, 2496, 18007.
(4) Ibid., 8795.
(5) Ibid., 2494, 2496.
(6) Ibid., 3917 (cf. addit.).
(7) Ibid., 8795.
(8) Ibid., III, 837, 7693,7994 ; 14216.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 207

de cavalerie qui sappelait ainsi tait, comme le nom lindi-


que(1), camp dordinaire Casaerea (Cherchell). On croit
quil fut envoy pour occuper le camp de Lambse, alors que
la lgion licencie tait employe hors de lAfrique(2) ; mais on
ignore sil fut form alors Cherchell, pour une courte priode,
ce qui est bien possible, ou sil existait dj dans larme de
Maurtanie, auparavant. De toute faon, il na appartenu que
temporairement aux troupes doccupation de la Numidie.
2. PERSONNEL DES TROUPES AUXILIAIRES DE NUMIDIE.

Lensemble de tous les auxiliaires de Numidie tait sous


les ordres du lgat de la lgion : cest lui qui leur assignait
les diffrents postes quils devaient occuper(3), qui rglait leurs
exercices(4) et leurs travaux(5), et qui proposait lempereur
pour lavancement les soldats et les officiers mritants(6). Peut-
tre lui fournissaient-ils, comme la lgion, des bnficiaires(7).
Mais chacun deux avait naturellement des officiers qui
lui taient propres.
AILES.

A la tte des ailes de cavalerie taient, on le sait, des


prfets chargs du commandement et de ladministration du
____________________
(1) Cf., sur la valeur des ethniques dans les noms des numeri, les r-
flexions de Mommsen (Gesammelte Schriften, IV, p. 108).
(2) C. I. L., VIII, 2716 ( Lambse): Imp. Caes. M. Antonio Gor-
diano Pio Felici Invicto Aug. vexillatio militum Maurorum Caesariensium
Gordianorum devotorum numini majestatique ejus.
(3) C. I. L., VIII, 17587, 17588.
(4) Ibid., 18042.
(5) ibid., 2488 : Imp. Caesares..... amphiteatrum restituerunt per coh. VI
Commag. A. Julio Pompilio Pisone Laevillo leg. Aug. pr. pr. Cf. 2494, 10733.
(6) Ibid., 21567 (vu accompli par un dcurion qui est devenu centu-
rion lgionnaire sur la prsentation dun lgat).
(7) C. I. L., VIII, 2226. Cf. plus haut, p. 130.
208 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

corps. Ils taient seconds par vingt-quatre dcurions, si laile


tait une aile milliaire, par seize seulement, si elle se com-
posait seulement de cinq cents hommes. Extraordinairement,
les prfets sont remplacs par des curatores.
On sait aussi(1) quils avaient sous leurs ordres des auxi-
liaires du commandement et des employs aux critures,
comme les officiers lgionnaires. Il nen est question que
dans trois inscriptions africaines ; et encore deux dentre elles
appartiennent-elles la Maurtanie(2).
Les inscriptions relatives aux ailes de Numidie sont
particulirement pauvres en renseignements sur le personnel
dofficiers et de sous-officiers qui les composaient.
COHORTES.

Les commandants ordinaires des cohortes auxiliaires


taient des prfets ou des tribuns : des prfets dans la plupart
des cas(3), des tribuns quand la cohorte se composait de mil-
le hommes et ntait pas, pour une raison qui nous chappe,
maintenue au rang de cohorte de deuxime classe(4).
____________________
(1) Cf. von Domaszewski, Die Rangornung, p. 55.
(2) Journal officiel, 13 janvier 1911 (annexe), p. 79, n. 3 : Pompo-
nius Saturninus actuarius ala Panoniorum ; C. I. L., VIII, 9764 : librarius.
Cf. aussi 21814, o il semble tre question dun singularis du prfet de laile
dite Flavia.
(3) Henzen croyait que les prfets taient attribus eux cohortes qui ne
portaient pas le numro I (Bonner Jahrbcher, XIII, p. 52, et Annali, 1858, p.
17 et suiv.), les cohortes primae ayant leur tte un tribun. Les textes relatifs
aux troupes dAfrique seuls se chargent de rfuter cette thorie: la cohorte I
Chalcidenorum eq. est. commande par des prfets (Eph. Epigr., VII, p. 311
et suiv.) ; mais les exemples quon pourrait puiser ailleurs sont innombra-
bles : Coh. I Aquitanorum (C. I. L., VII, 176 ; X, 5831) ; I Biturigum (ibid.,
II, 4203) ; I Astyrum (ibid., VIII, 9047) ; I Fida Vardulorum (ibid., 5532).
(4) Grotefend (Philolog. XII, p. 484 et Bonner Jahrbcher, XXXII, p.
61 et suiv.) a avanc que les cohortes milliaires taient commandes par des
tribuns et non par des prfets. Il y a, en effet, un certain nombre dexemples
qui paraissent confirmer cette thorie : Coh. Claudia (C. I. L., V, 898) ; Coh. II
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 209

Prfets ou tribuns ont entre leurs mains la destine de


leur troupe ; ils y tiennent la place quoccupe le lgat la tte
de sa lgion ; leur personne sont attachs des principales et
des commis dtat-major. ; les seuls mentionns pour lAfri-
que sont des bnficiaires(1) et un corniculaire(2). Sous leurs
ordres, si les cohortes ne comprennent que des fantassins, ce
qui tait rare en Afrique, sont rangs six ou dix centurions,
suivant leffectif ; si les cohortes sont composes de fantassins
et de cavaliers, trois dcurions et six centurions, ou six d-
curions et dix centurions, selon quelles comptent cinq cents
ou mille hommes(3). Pour administrer leur corps, ils ont leur
disposition des sous-officiers et des commis ; il tait essentiel,
en effet, que les cohortes, tout en dpendant de la lgion la-
quelle elles taient unies, pussent jouir dune vie propre. On se
convaincra aisment de cette ncessit si lon rflchit au rle
qui leur tait rserv dans la dfense de la Numidie.
NUMERI.

Les commandants ordinaires des numeri sont des praepo-


siti ou des curatores(5) ; la tte dune troupe irrgulire, il ne
(4)

____________________
Aug. Dacorum eq., (ibid., III, 6450) ; Coh. I co Delinatarum (ibid., III, 1979,
6374) ; Coh. I Nervana Germanor. eq. ( ibid., VII, 1066) ; Coh. I Ael. His-
pan. eq. (ibid., VII, 954, 965) ; Coh. I Aelia sagittariorum (ibid., III, 645,
5647). Cependant certaines cohortes milliaires ont leur tte des prfets:
par exemple, la coh. II Tungrorum eq. (ibid., VII, 879, 882), la coh. I Fida
Vardullorum (ibid. 1096), etc.
(1) C.I. L., VIII, 9057, 20577,21567.
(2) Inscription indite de Stif: L. Aelius Ae[l]i[a]nus cornicularius
coh. Spanorum.
(3) Cf. Marquardt, Staatsverwaltung, II, 2e d., p. 470 ; von Domas-
zewski, Hygin. liber de munit. castor., p. 50 ; Mommsen, Eph. epigr., VII, p.
462 ; Fiebiger, dans Pauly-Wissowa, Realencycl., IV, col. 2352.
(4) Numerus, Surorum (C. I. L., II, 1180), Sarmatarum (ibid., VII, 218), Tre-
verorum (ibid., XIII, 7613), Seiopensium (ibid., 6605) ; cf. C. I. L., XI, 3104.
(5) Numerus exploratorum Batavorum (ibid., XIII, 8825), Brittonum
(ibid., 6502, 6606), exploratorum Nemaningensium (ibid., 6629).
210 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

peut y avoir quun dlgu. Mais lorsque, par suite des chan-
gements dans lorganisation sociale et militaire de lEmpire,
ces corps se rapprochrent des autres auxiliaires et devinrent
peu peu leurs gaux, on remplaa les prposs et les
curateurs , qui ntaient jamais que des chefs demprunt,
par des chefs propres, qui prirent le nom de tribuni(1) ou de
praefecti(2), lexemple de ce qui se passait dans les cohortes
et dans les ailes ; ces titres, qui commencent apparatre ds
la fin du IIe sicle(3), se perptuent jusquaux derniers temps
de lEmpire, o ils sont dun usage constant(4). Les inscrip-
tions dAfrique nous permettent de saisir sur le fait, par un
exemple frappant, cette transformation des numeri : tous les
commandants du numerus Palmyrenorum qui datent du IIe
sicle ou du dbut du IIIe sont des centurions de la lgion IIIe
Auguste, dtachs temporairement la tte du corps ; un seul
de ceux que nous connaissons porte le titre de tribunus : il est
certain quil est dune date plus rcente(5).
____________________
(1) Numerus Britannorum (C. I. L., II, 1396), exploratorum Breme-
niensium (ibid., VII, 1037).
(2) Numerus exploratorum Divitiensium (ibid., 6814), exploratorum
Germanicorum (C. I. Gr., 6771).
(3) C. I. L., III, 1391 (an 186).
(4) Mommsen, Gesammelte Schriften, VI, p. 273 et suiv. Cf. plus bas
la partie de ce livre relative larme du Bas-Empire.
(5) C. I. L., VIII, 11343 : Splendidissimus Sufetulensis ordo M. Val-
gio M. f. Quir. Aemiliano eq. r. tribuno. n. Palmurenorum ob eximiam in rem-
publ. suam liberalitatem titulum hac aeternitate signavit. La mention de la
tribu dans cette inscription ne permet pas de la placer beaucoup aprs le rgne
de Caracalla, bien quil ny ait pas l une rgle pigraphique absolue ; mais
la formule finale, prtentieuse et embarrasse, empche de lattribuer au d-
but du IIIe sicle. On se lappellera que Palmyre reut le titre de colonie vers
lpoque de Caracalla. (Dig., L, 15, 1, 5.) La transformation du numerus
nest peut-tre pas sans rapport avec celle de la ville dont il portait le nom.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 211

CHAPITRE V.

GARNISON DE CARTHAGE.

Pour terminer lnumration des forces militaires romai-


nes en Afrique proconsulaire et en Numidie, il reste quelques
mots dire des dtachements qui campaient Carthage et pr-
taient main-forte au proconsul ou au procurateur imprial.
On sait depuis longtemps que, bien que dpourvus de
commandement militaire et tenant leurs pouvoirs du Snat
seulement, les proconsuls pouvaient avoir et avaient souvent
sous leurs ordres, en permanence, un certain nombre de sol-
dats(1) ; mais la nature de ces soldats est encore assez mal d-
finie, faute de documents, pour la majorit des provinces pro-
consulaires(2). LAfrique est peut-tre la seule pour laquelle
on possde des renseignements quelque peu prcis.
Le proconsul dAfrique, ainsi que nous lavons vu plus
haut, demeura, jusquau rgne de Caligula, gnral en chef de
larme doccupation. Postrieurement, le commandement des
troupes passa au lgat de Numidie ; mais on ne pouvait pas, ne
ft-ce qu cause des intrts qui lui taient confis, laisser un
aussi grand personnage(3) sans soldats pour appuyer son auto-
rit. On dtachait donc de la lgion voisine un certain nombre
dhommes et on les mettait sa disposition ; il les envoyait sur
____________________
(1) Dig., I, 16, 4, 1 : Nemo proconsulum stratores suos habere po-
test, sed vice eorum milites ministerio in provinciis funguntur.
(2) Cf. Marquardt, Staatsverwaltung, I, p. 547, surtout la note 10. M.
Mommsen (Eph. epigr., IV, p. 536) est assez dispos croire que les milices
municipales taient appeles jouer un certain rle auprs des proconsuls.
(3) Non seulement le proconsulat dAfrique tait une fonction rserve
de vieux consulaires, mais ctait aussi une des mieux rtribues ; elle com-
portait un traitement dun million de sesterces par an (Dio, LXXVIII, 22).
212 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

les points du pays o leur prsence tait reconnue ncessaire


pour assurer la scurit(1). Le nombre de ces soldats tait, au
temps dHadrien, de six cents environ, chiffre qui reprsente
leffectif dune cohorte. Chaque cohorte passait une anne
Carthage et tait releve lanne suivante par une autre(2).
Ctait elle qui fournissait les membres de son officium : il
se composait, daprs M. von Domaszewski, de six specu-
latores, un cornicularius, un commentariensis et des equites
singulares(3). On conoit aisment quon plat auprs dun
gouverneur aussi considrable non pas des auxiliaires, mais
des lgionnaires, des citoyens romains.
La garde du proconsul pouvait aussi, ainsi quil est
ais de le comprendre, tre emprunte aux dtachements l-
gionnaires qui furent envoys de loin en loin pour renforcer
larme doccupation de Numidie ; cette combinaison avait
lavantage de rserver pour les oprations militaires toutes
les cohortes de la lgion IIIe Auguste, habitue mieux que
toute autre aux difficults de la guerre africaine(4).
Mais le proconsul ntait pas le seul fonctionnaire de Car-
thage qui et besoin de troupes : le procurateur de lempereur,
spcialement charg de faire valoir les proprits impriales et
den encaisser les revenus, devait avoir aussi sa disposition
une force arme capable dappuyer ses rclamations. Et, de
fait, les pitaphes trouves dans le plus ancien cimetire des
officiales de Carthage ont permis Mommsen(5) davancer que,
____________________
(1) C. I. L., VIII, 14603 : L. Flaminius L. f. Arn. mil. leg. III Aug.... in prae-
sidio ut esset in saltu Philomusiano ab hostem in pugna occisus (an 52/57 ).
(2) Ibid., 18042 . Quod cohors abest quae omnibus annis per vices in
officium proconsulis mittitur.
(3) Die Rangordnung, p. 63.
(4) Lorsque la lgion VII Gemina vint Lambse, cest peut-tre elle,
ainsi quil a t indiqu plus haut (p. 113), qui fut charge de fournir la garde
du proconsul (C. I. L., VIII, 12590).
(5) Eph. Epigr., V, p. 117 et suiv.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 213

ct des soldats de la lgion de Numidie, dautres militaires


encore campaient dans la capitale de la Proconsulaire. Il a
remarqu en effet, parmi ces pitaphes, celles dun soldat de
la premire cohorte urbaine, qui dailleurs a laiss delle en
Afrique des souvenirs assez nombreux(1) ; et il en a conclu,
avec la plus grande vraisemblance, que ce corps avait sjour-
n Carthage une certaine poque. La comparaison des ins-
criptions africaines o cette cohorte est mentionne avec les
inscriptions lyonnaises o elle figure galement lui a permis
de prciser davantage. Vespasien, dit-il(2), en rorganisant
les cohortes urbaines, eut en vue dassurer la garnison non
pas seulement de Rome, mais aussi de Lyon et de Carthage. Il
affecta donc ces deux villes les deux cohortes qui portaient
les numros I et XIII : la premire fut sans doute envoye
Lyon(3), la treizime Carthage(4) ; puis, au second sicle, les
deux corps semblent avoir permut. La 1re cohorte serait alors
venue Carthage ; cest ce que prouvent la fois linscription
funraire trouve dans la ncropole des officiales, qui est du
temps de Trajan(5), et les inscriptions relatives des soldats de
la XIIIe cohorte, releves Lyon, qui appartiennent la mme
poque(6). Les proprits impriales avaient considrablement
____________________
(1) C. I. L., VIII, 8395 ( Satafi) ; 2890 ( Cirta) ; 16333 (dans le Sra-
Ourtan) ; 15875 ( Sicca) ; 14402 ( Vaga) ; 4679 ( Madauros). Outre la
tombe trouve dans le cimetire des officiales (C. I. L., VIII, 12592), on a
dcouvert Carthage les pitaphes suivantes, relatives des soldats de la Ire
cohorte urbaine : ibid., 1024, 12592, 24619, 24631, 24633 (ces deux derni-
res dans le cimetire des officialles).
(2) Eph. epigr, V, p. 12o.
(3) Les inscriptions de Lyon qui mentionnent la coh. I Urbana sont du
Ier sicle: C. I. L., XIII, p. 250.
(4) On a trouv en Afrique sept inscriptions relatives la coh. XIII Ur-
bana : Bull. arch. du Comit, 1910, p. CCXLIV ; C. I. L., VIII, 1025, 1026,
24683, 24684 ( Carthage), 1583 ( An-Galian) et 11107 ( Arch-Zara).
(5) Ibid., 12592. Sur la date de ce cimetire, cf. Mommsen, ibid., p. 1335.
(6) C. I. L., XIII, loc. cit.
214 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

augment depuis Nron, celui-ci ayant confisqu son profit


dimmenses tendues de terrain(1) ; Vespasien, lun des empe-
reurs les plus financiers et mme, prtend-on, les plus intres-
ss que Rome ait connus, dut prendre des mesures pour tirer
de ces proprits tous les revenus possibles ; de l lenvoi
dune cohorte attache spcialement au procurateur et char-
ge de faire respecter ses ordres dans tout le pays(2).
Depuis lors, on a recueilli Carthage, soit lemplacement
du cimetire des officiales, soit ailleurs, de nouveaux docu-
ments relatifs ces deux cohortes(3). On a mme pu dterminer
lemplacement de la caserne, quelles occupaient. M. Gauc-
kler(4) a dblay, an sommet de la colline de Bordj-Djedid, les
restes dune construction byzantine, leve lemplacement
et avec les dbris dune construction romaine antrieure. Il y
a recueilli un certain nombre de plaques de marbre fragmen-
tes, qui ne sont autre que des morceaux de listes militaire(5) :
on y lit la mention de la coh. I Urbana(6). Il en a conclu avec
vraisemblance que cette troupe avait ses quartiers sur le pla-
teau mme de Bordj-Djedid, situation leve, essentiellement
____________________
(1) Plin., Hist. nat., XVIII 6, 35 : Sex domini semissem Africae pos-
sidebant cum interfecit eos New princeps.
(2) Ces soldats taient envoys par le procurateur partout o leur pr-
sence tait ncessaire. Ce sont eux qui allrent chtier les colons du saltus
Burunitanus, quand ceux-ci osrent se plaindre lempereur (C. I. L., VIII,
10570 : Verum etiam hoc ejusdem Alli Maximi [c]onductoris artibus gra-
tiosissimi (procurator tuus) indulserit ut missis militib(us) in eu]ndem sal-
tum Burunitanum ali[os nos]trum adprehendi et vexari, alios vinc]iri, nonul-
los cives etiam ro[manosl virgis et fustibus eflligi jusse[rit]. De l aussi
les diffrentes mentions de la cohorte trouves sur diffrents points du pays.
(Voir en outre les notes 1 et 4 de la page 213.)
(3) Elles sont cites dans les notes qui prcdent.
(4) Comptes rendus de lAcad. des Inscr., 1904, p. 695 et suiv. ; cf.
Merlin, Bull. de le Soc. des Antiquaires, 1906, p. 374 et suiv.
(5) C. I. L., VIII, 24561, 24619 24628.
(6) Ibid., 24361 : Cons[tantino C]onstant... [c]oh. I Urb
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 215

stratgique et qui a constitu de tout temps le centre de la


dfense de Carthage. Quelques-uns de ces fragments appar-
tiennent la fin du IIIe sicle et au dbut du IVe(1) ; ce qui
prouve que, jusqu la basse poque, la garnison de Carthage
est demeure ce quelle tait aux premiers sicles(2).
On comprend alors pourquoi une rue de la ville se nom-
mait, daprs lAppendix Probi, le vicus castrorum(3) : cest
celle qui menait la caserne de la cohorte ou en tait voisine.
Il est possible quil y ait eu encore Carthage un groupe
de prtoriens dtachs, que le gouvernement central rpartis-
sait sur diffrents points de lAfrique pour assurer la scurit.
Les deux exemples que nous connaissons se rapportent des
soldats de la VIe cohorte prtorienne(4).
____________________
(1) C. I. L. VIII, 24621 (an 287-308) ; 24561 (note prcdente).
(2) Par l est rfute lhypothse de M. Hirschfeld (Sitzungsber, der
Berlin. Akad., 1891, p. 860 et 861), qui se demandait si la cohorte urbaine
navait pas disparu de Carthage lpoque dHadrien, pour tre remplace
par une cohorte de la lgion IIIe Auguste.
(3) G. Paris, Mlanges Renier (Bibliothque de lcole des Hautes
tudes, LXXIII, p. 304 et suivantes) ; De Rossi et Gatti, Miscellanea di noti-
zie per la topografia e la storia dei monumenti di Roma (Rome, 1889, in-8,
p. 51). Ces trois savants pensent que le vicus castrorum cit dans lappendix
Probi doit tre cherch Carthage et non Rome ; la partie du livre o il est,
mentionn aurait sans doute t compose Carthage, et cela avant la fin du
IIIe sicle.
(4) Ann. pigr., 1909, 157 ( El-Djem ) ; C. I. L., VIII, 25438 (statio-
narius ripae Uticensis) ; cf. 23120.
216 ARME ROMAINE DAFRIQUE.
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 217

DEUXIME PARTIE.

ARME DE MAURTANIE CSARIENNE.

CHAPITRE PREMIER.

COMPOSITION DE LARME DE MAURTANIE CSARIENNE.

Nous avons dit, au dbut de ce livre, que les forces


de Maurtanie Csarienne ne se composaient que de trou-
pes auxiliaires, tandis que celles de Numidie comprenaient
des lgionnaires. Cest un fait sur lequel les documents que
nous avons conservs ne laissent aucun doute. Mais, comme
le pays ntait pas beaucoup moins tendu que la Numidie,
comme surtout il tait beaucoup moins soumis et quil fallait
y entretenir de tous cts des garnisons, on avait t oblig
dy appeler et dy maintenir un nombre de cohortes et dailes
suprieur celui des troupes auxiliaires tablies dans la pro-
vince voisine. Au dbut du IIe sicle, o les inscriptions nous
apportent des renseignements nombreux, nous voyons quil y
avait, rparties entre la frontire de Numidie et celle de Tin-
gitane, au moins trois ailes, dont une comptait mille hommes,
six cohortes(1) et trois numeri ou vexillationes, cest--dire
peu prs huit mille hommes, ce qui reprsente certainement
un chiffre infrieur la ralit.
Pour le moment, on peut dresser des troupes maurta-
niennes, en excluant toutes celles dont le passage ou le sjour
____________________
(1) Le fait est prouv par un diplme militaire de Cherchel, que Waille
a dcouvert (C. I. L., VIII, 2O978).
218 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

dans la province ne sont pas suffisamment prouvs, la liste


suivante :
Ala I Flavia Britannorum miliaria civium rornanorum.
Ala I Contariorum.
Ala I Hispanorum Aravacoram.
Ala I Augusta Ityraeorurn sagittariorum.
Ala Miliaria.
Ala II Nerviana Aug. fidelis miliaria.
Ala I Aug. Parthorum.
Ala I Thracum veterana sagittariorum.
Ala II Thracum Augusta.
Ala III Augusta Thracum sagittariorum.

Cohors II Breucorum.
Cohors II Brittonum.
Cohors Cirtensium.
Cohors I Corsorum c(ivium) r(omanorum).
Cohors VI Delmatarum equitata.
Cahors VII Delmatarum equitata.
Cohors II Gallorum.
Cohors I Flavia Hispanorum.
Cohors I Musulamiorum.
Cohors I Aug. Nerviana velox.
Cohors II Nurritanorum.
Cohors Pannoniorum.
Cahors II Sardorum.
Cohors Singularium.
Cahors IV Sygambrorum (ou Sugambrorum).
Vexillatio equitum Maurorum.
Numerus exploratorum Pornariensium.
Numerus Raetorum gaesatorum.
Numerus Surorum.

Herzen a longuement insist jadis sur le caractre de


ces troupes(1). Il a dabord, grce un groupement habile des
____________________
(1) Annali, 1860, p. 75.
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 219

renseignements fournis par les inscriptions, tabli que la ca-


valerie tait beaucoup plus nombreuse que linfanterie(1). Le
fait est, par lui-mme, trs vraisemblable, et nous avons vu
quil en tait ainsi en Numidie. Pourtant la liste que nous
venons de dresser et do nous avons limin comme in-
certains, ou mme trangers au pays, plusieurs des corps
quHenzen avait attribus la garnison de Maurtanie, ne
confirme quimparfaitement lobservation quil avait formu-
le, le nombre des ailes tant trs faible relativement celui
des cohortes. Il est vrai que la plupart des cohortes maur-
taniennes pouvaient tre munies de cavalerie (equitatae), ce
que nous ne savons que pour quelques-unes dentre elles ;
en ce cas, la cavalerie serait, en effet, prpondrante. La se-
conde remarque dHenzen est, en revanche, indiscutable : la
majorit de leffectif du corps doccupation tait forme de
soldats arms la lgre : lanciers, claireurs, archers, Par-
thes, Thraces, Dalmates, Maures, Musulames, Sardes ; tou-
tes troupes appropries au pays quelles taient appeles
dfendre, au genre dennemis quelles avaient pour mission
de combattre : des corps pesamment arms eussent t un
contre-sens en Maurtanie.

Nous ne pouvons que rpter ici ce qui a dj t indi-


qu propos de la Numidie. Quand des circonstances parti-
culirement difficiles et le fait semble stre produit assez
frquemment en Maurtanie rendaient ncessaire lappel
de renforts, on faisait venir, pour y tenir tte, soit des dtache-
ments lgionnaires, soit des corps auxiliaires emprunts aux
garnisons des autres provinces. Malheureusement, et la mme
remarque a t faite propos de larme de Numidie, il nest
pas ais de reconnatre la date laquelle il convient de placer
____________________
(1) Cf. C. I. L., VIII, p. XXII.
220 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

les documents pigraphiques qui nous les font connatre ; et


ces documents mmes ne sont pas assez explicites pour pou-
voir tre toujours accepts comme des indices certains du s-
jour des corps en Maurtanie.
Nous savons que la conqute du pays fut faite par des
troupes venues dEspagne, surtout par la lgion IVe Mace-
donica(1). Nous avons dj fait allusion plus haut ce dtai(2).
Dautres lgions ont laiss dans les inscriptions quelque trace
de leur sjour, de leur passage ou de la venue accidentelle de
quelquun de leurs soldats ; ce sont : deux lgions de Panno-
nie, la I Adjutrix et la II Adjutrix, la X Gemina, dEspagne,
une de Msie Infrieure, la XI Claudia, peut-tre une de Bre-
tagne, la VI Victrix, enfin des lgions de Germanie Suprieure
et de Germanie Infrieure, la XXII Primigenia et la I Miner-
via. Il est regrettable quaucun des textes relatifs ces lgions
ne soit dat, ce qui permet peine darriver, pour la plupart
dentre eux, un rsultat probable.
Legio I Adjutrix. Nous avons trois tombes de soldats
de cette lgion ; deux dentre elles ont t trouves Cherchel(3)
et une troisime Carthage(4). Celle-ci a t rencontre dans le
second cimetire des officiales du procurateur, qui est, comme
on le sait, du milieu du IIe sicle(5). Il est donc possible que ce
soit la date, au moins approximative, de cette tombe ; ce serait
aussi celle de la venue de la lgion dans le pays. Elle campait
cette poque en Pannonie Suprieure(6). On a suppos quelle
____________________
(1) C. I. L., XIII, 5093.
(2) Voir p. 29.
(3) C. I. L., VIII, 9376, 21049.
(4) C. I. L., VIII, 12877 ; D. M. Julius Felix m(iles) leg. I Ajutricis
pius v. a. LV, m. X.
(5) Cf. Mommsen, ibid., p. 1335.
(6) Jnemann, De legione romana I Adjutrice, p. 75 et suiv. ; cf. p. 82
et suiv. ; 135 et suiv. Aussi lun de ces soldats est-il un Pannonien. (C. I. L.,
VIII, 9376 : C. Cusonnius Viator, miles leg. I Adjutr nation. Pan. )
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 221

avait envoy un dtachement en Afrique, lors du soulvement


des Maures, sous Antonin le Pieux(1).
Legio II Adjutrix. Il en est de mme de la lgion II
Adjutrix(2), qui campait cette poque Aquincum en Pan-
nonie Infrieure(3). Outre deux pitaphes de vtrans enterrs
Chemton et Lambse(4), on a trouv Tns deux tombes,
lune dun centurion(5) et lautre dun soldat(6) qui faisait par-
tie de sa centurie.
Legio IV Flavia. Elle est mentionne sur deux pi-
taphes, lune de Saint-Leu(7), lautre dAlger(8). Peut-tre un
dtachement vint-il en Afrique pour quelque expdition.
Legio X Gemina. An-Temouchent a fourni la tombe
dun soldat de cette lgion. Jai dit plus haut quil tait peut-
tre venu en Maurtanie lors du soulvement qui suivit la
mort de Ptolme(9).
Legio XI Claudia. La lgion XIe Claudia a aussi, sans
doute, sjourn en Maurtanie. La prsence de deux pitaphes d-
couvertes au Vieil-Arzeu(10) ne pourrait gure sexpliquer autre-
ment. A partir de Trajan, elle campa en Msie Infrieure(11). Cest
certainement cette priode de son existence quappartiennent
les deux tombes africaines(12) ; M. van de Weerd estime quelles
____________________
(1) Cf. plus haut, p. 48.
(2) Ibid.
(3) Cf. Gndel, De legione II Adjutrice, p. 45 et suiv.
(4) C. I. L., VIII, 14605 et 3066.
(5) ibid., 9660.
(6) Ibid., 9653.
(7) Ibid., 9762.
(8) Bull. arch. du Comit, 1909, p. CLXXX.
(9) Plus haut, p.29.
(10) C. I. L., VIII, 9761, 9765( ?).
(11) Van de Weerd, tude histor. sur trois lgions rom. du Bas-Danube, p. 184 et suiv.
(12) Dans la premire inscription (9761), il est dit que le soldat est natif de
222 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

sont contemporaines du rgne dAntonin le Pieux. Un autre


texte relatif la mme lgion, qui a t dcouvert Aquile,
nous fait connatre un soldat mort en Maurtanie, mais il est
dune date postrieure Diocltien ; il en sera question pro-
pos de loccupation du pays au Bas-Empire.
Legio XIV Gemina. Un fragment insignifiant de tom-
be, recueilli Cherchell, en fait mention(1). On ne saurait faire
tat dun dbris aussi misrable.
Legio XXII Primigenia. Legio I Minervia. Pour
les lgions de Germanie, surtout pour la lgion XIIIe Primi-
genia, le doute ne parat pas possible. Tns a fourni quatre
pitaphes de soldats de cette lgion, trs caractristiques(2).
La prsence de ces textes dans cette ville et leur rdaction(3)
ne sauraient sexpliquer si lon ne suppose pas quun dta-
chement de ce corps a sjourn en Maurtanie. Mommsen a
mis a ce sujet(4) une hypothse qui a t adopte par les uns(5)
et vivement combattue par les autres(6). Daprs lui, la lgion
XXIIe Primigenia aurait t appele en Afrique lpoque du
____________________
Flavia Siscia ; le texte est donc postrieur aux Flaviens ; dans la seconde
(9765), le dfunt, originaire de Poetovio (Colonia Ulpia Trajana), se nomme
M. Ulpius, ce qui indique une poque plus tardive que Trajan.
(1) C. I, L., VIII, 21057.
(2) C. I. L., 9655, 9656, 9658, 9659.
(3) Lorsquun corps est camp en permanence dans un pays et que les
soldats ont pu sy constituer une famille, les tombes militaires sont leves
par quelquun de la parent du mort, pre ou mre, frre ou sur, femme ou
enfants ; lorsque, au contraire, une troupe est seulement de passage dans une
province, les soldats qui viennent mourir sont enterrs par les soins de leurs
compagnons darmes ou de ceux de leurs camarades quils dsignent comme
hritiers. Or, sur les quatre textes de Tns, on lit la formule H F C (heres
faciumlum curavit), et aucun parent du dfunt nest mentionn.
(4) C. I. L., VIII, p. XXI.
(5) Cf. Boissire, Algrie romaine, II, p. 506.
(6) Cat., Bull. de corr. Africaine, 1885, p. 282 et suiv.
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 223

licenciement de la lgion IIIe Auguste et aurait tenu momen-


tanment dans le pays la place de lancienne lgion africaine
; non point, pourtant, quelle ait camp en Numidie, Lam-
bse, car elle ne semble pas avoir quitt la Maurtanie ; mais
ce serait cette dernire province qui aurait t, cette date, le
centre de loccupation militaire de lAfrique. La consquence
dune telle mesure aurait t aussi la disparition momentane
du procurateur de Maurtanie, quaurait remplac un lgat
proprteur.
Je reviendrai plus loin sur cette dernire question ; je
nai ici examiner que les faits relatifs la lgion XXIIe
Primigenia. Mommsen a admis que la lgion entire stait
transporte en Afrique au moment de la disparition de la
IIIe Auguste, et sans doute ds que le corps eut t licenci
(an 238). Or, depuis que cette hypothse sest produite, on
a trouv Mayence(1) un ex-voto dat de la fin de juin ou
du 1er juillet 242, dont lauteur est prcisment un lgat de
la lgion XXIIe Primigenia. Mayence tant le lieu de cam-
pement de la lgion, il nest pas douteux quelle ait encore
sjourn cette date en Germanie. Par l se trouve quelque
peu branle lassertion de Mommsen ; il faut donc ou la re-
jeter entirement, ou tout au moins ne laccepter que pour la
priode postrieure 242(2).
Mais, si lon se range ce dernier parti, on doit se deman-
der ce qui advint de lAfrique pendant les quatre annes qui
suivirent le licenciement de la lgion et quelles mesures prit
lempereur pour assurer sans retard la scurit du pays, alors
que le dpart de la lgion pouvait prcisment rveiller laudace
des indignes et amener quelque trouble. Il me semble que lon
____________________
(1) C. I. L., XIII, 6763.
(2) On remarquera quen cette anne il y a encore un lgat de Numi-
die. (Voir Pallu de Lessert, Fastes des provinces africaines, I, p. 442.)
224 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

peut rpondre cette question sans abandonner entirement


le systme de Mommsen, qui a pour lui sinon des preuves ir-
rfutables, du moins une certaine vraisemblance ; il suffit dy
apporter quelques modifications.
La prsence de soldats de la XXIIe Primigenia en Mau-
rtanie est indubitable. Il y a plus : elle est confirme par celle
de troupes auxiliaires de Germanie Suprieure, quil tait tout
naturel denvoyer en expdition avec leurs frres darmes,
les lgionnaires. Ces corps auxiliaires sont le numerus Divi-
tiensis et le numerus Melenuensium. Le numerus Divitiensis
nous est connu, en dehors de lAfrique, par une inscription
de Thrace et par quelques autres de Germanie(1). Plusieurs de
ces documents tant du IIIe sicle, le prsence du numerus
en Germanie cette date est probable ; mais comme un de
ses soldats est venu mourir Aumale vers la mme poque(2),
rien nempche de supposer quil accompagna temporaire-
ment les hommes de la XXIIe Primigenia envoys en Mau-
rtanie pendant labsence de la lgion IIIe Auguste. Quant au
numerus Melenuensium, il figure pareillement sur linscrip-
tion de Thrace dj cite et sur une inscription africaine(3) ;
leur contenu prouve que, comme le prcdent, il appartenait
la garnison de Germanie Suprieure.
On pourrait donc admettre, avec Mommsen, que, ds
lavnement de Gordien III, la lgion IIIe Auguste fut supple
par des soldats de la XXIIe Primigenia, mais sans que cette l-
gion tout entire se soit transporte en Afrique. Il se peut fort
bien que lon nait envoy en Maurtanie quun dtachement,
____________________
(1) Cf. Ihm (Pauly-Wissowa Realencyclop., V, col. 1239).
(2) C. L L., VIII, 9059 ( Aumale) : Tombe dun miles n(umeri) Di-
vitiensis G(ermaniae) S(uperioris)
(3) Ibid., 9060 (mme provenance) : Titulus Itamonis, Ituveri, ex
p(rovincia) G(ermania) S(uperiore), n(umeri) Melenuens(ium),
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 225

peut-tre considrable, doubl dauxiliaires. Le dpt de la


lgion et une partie de leffectif seraient, dans cette hypoth-
se, demeurs en Germanie avec le lgat ; et lon naurait point
stonner de voir celui-ci consacrer un ex-voto, Mayence
mme, en lan 242.
On pourrait aussi rapporter la mme priode les pita-
phes, trouves galement Tns, qui mentionnent des soldats
de la lgion 1re Minervia de Germanie Infrieure(1). Ces textes
sont identiques comme rdaction ceux qui nous ont gard le
souvenir de la XXIIe Primigenia ; il ny a aucune raison pour
les en sparer, il semble y en avoir quelques-unes pour les y
runir ; dautant plus qu ct de cette lgion de Germanie
Infrieure, on trouve la trace dauxiliaires appartenant la
mme province, un miles Germaniae Inferioris(2) et un soldat
du numerus exploratorum Batavorum(3), troupe mentionne
dj par un monument de Hollande(4). Les deux inscriptions
qui les font connatre proviennent de An-Temouchent (Albu-
lae). On comprendrait fort bien que, pour complter leffectif
insuffisant fourni par la vexillation de la XXIIe Primigenia, on
ait fait venir un dtachement de la 1re Minervia : ctait un pro-
cd auquel on avait recours bien souvent et dont nous avons
conserv plus dun exemple(5). Une semblable combinaison
offrait limmense avantage de ne pas amener de perturbation
dans le systme depuis longtemps tabli des corps darme :
une portion de la lgion restait au dpt, prte se recons-
tituer, sil tait besoin, au moyen de leves extraordinaires,
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9654 et 9662.
(2) Ibid., 9798.
(3) Ibid., 21668 : Julius Adventus (e)splorator Bata(v)orum.
(4) Ibid., XIII, 8825.
(5) Ibid., III, 1980 : vexill. leg. II Piae et III Concordiae, ped. CC ;
Ibid., XI, 1196 : vexill. leg. trium, leg. IV Mac., leg. XXI Rap., leg. XXII
Pr. ; Lejay, Inscriptions antiques de la Cte-dOr, 219 : vexill. legionum
VIII, XI, XIV, XXI , etc.
226 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

et tous les services accessoires y demeuraient galement ; la


partie mobilise emmenait seulement avec elle ceux qui lui
taient ncessaires pour la campagne. Ces deux vexillations
runies pouvaient reprsenter peu prs une force quiva-
lente celle de la IIIe Auguste.
Cette organisation offrait aussi un autre avantage. Si la
lgion XXIIe Primigenia ft venue tout entire, il et t im-
possible de laisser la tte du pays un procurateur de rang
questre et de lui donner autorit sur le lgat et les tribuns de
la lgion, personnages dordre snatorial ; il fallait de toute
ncessit le remplacer par un snateur, par un lgat. Cest
en effet la conclusion laquelle Mommsen est arriv, et que
nous discuterons plus bas. Au contraire, des dtachements l-
gionnaires pouvaient tre et taient parfois runis sous les
ordres dun chevalier(1). Ds lors, rien ne sopposait ce que
le procurateur de Maurtanie demeurt la tte du pays ; il
suffisait que les vexillations lgionnaires ne continssent pas
des officiers de rang snatorial, ce qui tait ais obtenir si
lon avait soin de nenvoyer comme tribuns en Maurtanie
que des angusticlaves.
En rsum, la venue de la lgion XXIIe Primigenia tout
entire bouleversait la fois lorganisation de larme de Ger-
manie Suprieure et celle de la Maurtanie ; lenvoi dune
vexillation de ce corps grossi dun dtachement de Germa-
nie Infrieure napportait le trouble nulle part. Entre les deux
mesures il ny avait donc gure hsiter, et les quelques do-
cuments que nous avons cits plus haut permettent de penser
que lempereur nhsita point en effet.
Il est bien vident, dailleurs, que le systme de Mommsen,
mme modifi comme je lai fait, est loin de simposer, et que
des dtachements de larme de Germanie ont pu tre appels
____________________
(1) C. I. L., II 3272 ; VIII, 619 ; Ann. pig. 1903, 368.
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 227

en Afrique loccasion dautres vnements militaires. De-


vant lignorance o nous sommes de la date laquelle il
convient de placer les pitaphes de Tns et aussi, somme
toute, de bien des complications survenues en Maurtanie au
cours des trois premiers sicles, il nest pas possible dtre
affirmatif sans tmrit(1).

Legio XXX Ulpia Victrix. On a dcouvert Cherchell


lpitaphe dun soldat de la lgion XXXe(2) ; elle aussi tait
une lgion de Germanie(3).
____________________
(1) Cest ce qui est advenu M. Jnemann dans son excellente disser-
tation sur la lgion I Adjutrix (p. 82 et suiv.). Il a rapport lexpdition mau-
rtanienne dAntonin le Pieux toutes les inscriptions des lgions de Germa-
nie et du Danube dcouvertes en Maurtanie (I Minervia, XXII Primigenia,
I Adjutrix, II Adjutrix, IV Flavia et XI Claudia). On lui a fait observer avec
raison que dun rapprochement gographique des inscriptions, il ne rsulte
pas ncessairement un rapprochement chronologique . (Van de Weerd, tu-
de historique sur trois lgions romaines du Bas-Danube, p. 202).
(2) C. I. L., VIII, 21053.
(3) Cf. O. Schilling, De legionibus Romanorum I Minervia et XXX
Ulpia, p. 53 et suiv.
228 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

CHAPITRE II

LE COMMANDANT EN CHEF DE LARME DE MAURTANIE CSARIENNE.

I. LE PROCURATEUR.

Nous avons racont plus haut la suite de quels vne-


ments, en lanne 40 la Maurtanie avait t runie lEmpire.
A partir de cette date, le gouvernement suprme de la provin-
ce et le commandement des forces militaires qui loccuprent
furent confis un personnage de rang questre, reprsentant
direct de lempereur : un procurateur(1). Le pays ntait, en
effet, et ne pouvait tre, quune province procuratorienne :
ctait une rgion barbare, impropre encore lassimilation,
dont lempereur devait prendre la gestion et les charges com-
me successeur des rois indignes. Il y avait entre la Numidie
et la Maurtanie une diffrence capitale : la premire formait
la ceinture de la grande province dAfrique, le plus bel apa-
nage du Snat et le grenier de Rome ; une lgion et, par
suite, un lgat proprteur ntaient pas de trop pour la garder
des invasions du Sud. La Maurtanie ntait quune suite de
postes avancs vers loccident ; militairement, elle et pu tre
rattache la Numidie ou lEspagne ; on prfra en faire un
tout indpendant ; mais on ne lui donna que le chef quelle
mritait, un chevalier.
Toutefois ce personnage tait un des plus hauts fonction-
naires de lordre : de mme que le lgat prtorien de Numi-
die arrivait au consulat soit immdiatement aprs, soit mme
____________________
(1) Cf. Pallu de Lessert, Les gouverneurs des Maurtanies (Bulletin
des Antiquits africaines, 1885, p. 95 et suiv.).
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 229

pendant son commandement(1), il ntait pas rare de voir le


procurateur de Maurtanie slever, aussitt aprs son gou-
vernement, aux postes les plus recherchs et les plus rtribus
de la carrire questre. Nous connaissons en effet, par les ins-
criptions, le cursus honorant de quelques-uns des procurateurs
de Maurtanie, et lexamen de tous les documents amne la
mme conclusion. Lun, T. Varius Clemens, aprs avoir pass
par les milices questres, est successivement procurateur de
Cilicie, de Lusitanie, de Maurtanie et de Rtie(2) ; un second,
Sex. Baius Pudens, aune carrire analogue(3) ; un troisime, P.
Aelius Peregrinus, arrive, en quittant la Csarienne, la charge
de a cognitionibus auprs de lempereur(4), de mme quun autre
procurateur, T. Flavius Serenus(5). A peu prs la mme poque,
un personnage du nom de C. Octavius Pudens est promu du
gouvernement de la Maurtanie au poste de a censibus(6). En-
fin un contemporain de Diocltien, Aelius Januarius, couronne
une vie bien remplie, consacre tout entire des procuratles,
par la fonction de praeses Maaretaniae Caesariensis(7).
De plus, le procurateur de Maurtanie avait, du moins
lpoque de Diocltien, le titre de perfectissime(8), ce qui le
rangeait parmi les grands fonctionnaires de lordre questre
et lui assurait un traitement dau moins 200,000 sesterces(9).
____________________
(1) Voir plus haut, p. 126.
(2) C. I. L., III, 5211-5216 (vers 150).
(3) Ibid., IX, 4964.
(4) Ibid., VIII, 9360 = 20942.
(5) Ibid., 9002.
(6) Ibid., 9370.
(7) Ibid., II, 4135.
(8) VIII, 8474 (an 288), 20215 (an 292 et suiv.). Antrieurement, il na
que le titre de vir egregius (Ibid., 9367, 8809, 20827, 20996).
(9) Le procureur a cognitionibus et le procurateur a censibus, qui lui
taient suprieurs, avaient droit un traitement annuel de 300,000 sesterces
(Liebenam, Die Laufbahn der Procuratoren bis auf die Zeit, Diocletians,
Ina, 1886, p. 127). Le procurateur de Btique, qui lui tait infrieur, et celui
230 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Rien de plus naturel, dailleurs, que de donner cette pla-


ce aux chevaliers les plus prouvs ; il tait peu de provin-
ces qui demandassent autant de capacits, surtout militaires,
dont les habitants fussent aussi remuants et dont les voisins
se montrassent aussi menaants. Limportance de la position
rsultait de sa nature mme.
Il est assez difficile de dire combien de temps les procu-
rateurs de Maurtanie demeuraient habituellement en charge.
On sait que la dure du gouvernement des reprsentants de
lempereur dans les provinces ntait gnralement soumis
aucune rgle ; que les uns gardaient plusieurs annes de suite
les mmes fonctions, tandis que les autres en taient relevs
au bout dun an : il fallait tenir compte en cela de diverses
considrations qui nous chappent absolument aujourdhui,
et dont le prince seul tait juge. Il devait en tre ainsi pour les
procurateurs de Maurtanie ; mais les documents que nous
possdons ne nous permettent gure de nous faire une ide
nette ce sujet. Ce quon peut affirmer, cest que plusieurs
dentre eux sont rests dans la province plus dun an de suite,
par exemple Lucceius Albinus, qui, nomm gouverneur vers
la fin du rgne de Nron, garda sa charge sous Galba, Othon,
Vitellius et ne quitta la place que parce quil stait rvolt et
quil fut mis mort(1). On a cit aussi le nom de P. Aelius Pere-
grinus, qui tait peut-tre procurateur en lan 201(2), mais qui
ltait certainement vers 209(3). Il en est de mme dAurelius
Litua, le vainqueur des Quinquagentanei, qui, en 290, portait
dj le titre de praeses provinciae(4) et qui tait encore la tte
____________________
de Bretagne, qui lui tait peu prs gal (voir le tableau dress par M. Lie-
benam, op. cit., p. 134 et 135), touchaient 200,000 sesterces. (Ibid., p. 125.) Cf.
aussi Hirschfeld, Die Kaiserl. Verwaltungsbeamtem, 2e dit., p. 435 et suiv.
(1) Tac, Hist., II, 58. Cf. Pallu de Lessert, Fastes, I, p. 478.
(2) C. I. L., VIII, 9030. La lecture du gentilice nest pas certaine.
(3) Ibid., 8991.
(4) Ibid., 9041.
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 231

de la province aprs le partage de lEmpire entre Diocltien


et Maximien(1).
La rsidence du gouverneur de Maurtanie tait Caesa-
rea (Cherchell), lancienne loi, que le roi Juba II avait choi-
sie pour en faire sa capitale, lorsquil reut la Maurtanie en
change de la Numidie quil gouvernait prcdemment(2). On
sait le dveloppement quil lui donna, les monuments de toute
sorte quil y leva, les statues quil y fit venir de la Grce, de
lItalie mridionale et mme de lgypte(3) ; ce fut assurment
une des villes les plus florissantes de lAfrique, la plus vrai-
ment belle peut-tre et la phis riche en uvres dart(4). Quand
le royaume de Maurtanie fut annex lEmpire, la ville de
Csare demeura la capitale de la nouvelle province, laquel-
le elle donna son nom : ctait le sige dsign du gouverneur
romain ; elle le demeura pendant toute la dure de lEmpire.
Nous nen voulons comme preuve que les inscriptions de tou-
te sorte qui ont t rencontres Cherchell et qui y supposent
la prsence du procurateur : bases honorifiques leves par
les troupes de la garnison on par des fonctionnaires(5), monu-
ments indiquant la prsence dequites singulares(6), ex-voto
consacrs par le procurateur lui-mme(7).
En temps ordinaire, le gouverneur de Maurtanie Csa-
rienne navait aucune autorit sur les troupes de la Tingitane ;
cependant, certaines poques o le danger tait plus pressant,
o il semblait ncessaire de concentrer dans les mmes mains la
____________________
(1) C. I. L., VIII, 8924. (Voir plus haut, p. 67, note 3.)
(2) Dio, LIII, 26 ; Strab., VI p. 288.
(3) La Blanchre, De rege Juba, p. 56 et suiv.
(4) Oppidum celeberrimam (Plin., Hist. nat., V, 2, 20) ;
(Ptotem., V, 2, 5 ; urbs opulenta quondam (Ammian., XXIX, 5, 18) etc.
(5) C. I. L., VIII. 9356, 9360, 9366, etc.
(6) Ibid., 9354, 9355.
(7) Ibid., 9324 : erasis funditus Barbaris regressus Aurelius Litua.
232 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

direction suprme des oprations militaires, on investissait le


gouverneur de la Csarienne de pouvoirs plus tendus : il tait
dit alors procurator utriusque Mauretaniae. Tel fut le cas de
C. Sallustius Macrinianus(1) et de Cn. Haius Diadumenianus(2)
au dbut du IIIe sicle ; tel avait t aussi celui de Lucceius
Albinus, sous Galba(3).
A-t-il eu jamais autorit galement sur larme de Numi-
die ? Cest ce qua voulu tablir Mommsen, pour la priode qui
correspond au licenciement de la IIIe Auguste(4). Daprs lui,
cette date, le centre du commandement des troupes africaines
tait en Maurtanie, tandis que le camp de Lambse tait gar-
d par des troupes de larme Maurtanienne. En mme temps
se serait produit un autre changement : le gouverneur suprme
du pays aurait t, cette poque, non plus un chevalier, pro-
curateur de lempereur, mais un snateur, lgat lgionnaire.
Depuis que cette opinion sest produite, on a fait un certain
nombre de dcouvertes qui la contredisent absolument ; si bien
quil est devenu inutile aujourdhui de la discuter(5). Il suffira de
rappeler que lon connat maintenant dune faon certaine le nom
de trois procurateurs de Maurtanie, au moins, contemporains
du licenciement de la lgion : Faltonius Restitutianus, qui exera
la fonction sous Gordien III(6) ; L. Catillius Livianus, qui tait en
charge sous Gordien, puis sous Philippe(7) ; et enfin M. Aurelius
Atho Marcellus, dont le nom figure sur une ddicace aux deux
Philippe(8). La question est, par l, entirement tranche.
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9371.
(2) Ibid., 9366.
(3) Tac., Hist., II, 58.
(4) C. I. L, VIII, p. XX et suiv.
(5) Cf. les objections faites jadis la thorie de Mommsen par MM.
Pallu de Lessert (Bull trim. des Antiq. afr., 1885, p. 72 et suiv.) et Cat (Bull.
de corr ; afr., III, p. 201).
(6) Pallu de Lessert, Fastes des provinces afr., I, p. 515.
(7) Ibid., p. 517.
(8) Ibid., p. 518.
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 233

Vers lpoque de Diocltien, il se produisit, relativement


au commandement du corps darme de Maurtanie Csa-
rienne, un changement considrable, dont il sera question
plus longuement quand nous parlerons de larme dAfrique
au Bas-Empire. Le pouvoir civil fut dsormais spar du pou-
voir militaire. Jusque-l, et quelque titre quil portt, proca-
rator(1), procurator et praeses(2), ou simplement praeses(3), le
gouverneur de Csarienne tait chef militaire en mme temps
que gouverneur civil ; la fin du IIIe sicle, le praeses de
Maurtanie Csarienne cesse dtre, au moins pour quelque
temps, la tte du corps darme.
Comme le lgat de Numidie, comme les autres gouver-
neurs militaires, le procurateur de Maurtanie Csarienne
avait sa disposition des sous-officiers et des soldats qui lui
servaient dauxiliaires dans le commandement ou dans lad-
ministration.
Les quelques documents que nous ayons gards ce su-
jet nous font connatre :
Des beneficiarii(4) ;
Des stratores, dont lun au moins avait, en arrivant
cette charge, le grade de dcurion(5) ;
Des singulares(6) ;
Un quaestionarius(7).
____________________
(1) C. I. L., III, 5211 ; VIII, 8813, 9366, 10351, 20982, 20995, 21007.
(2) Ibid., 8809, 20996. Cf. Henzen, Annali, 1860, p. 45.
(3) Ibid., 9359, 9360, 9367, 9370, 20992.
(4) Ibid., 9380, 20251.
(5) Ibid., 9002 : T. Fi. Sereno p[raesi]di optimo... Pontianus [ex
de]curione a[djutor] et strator ejus. Cf. 9370.
(6) Ibid., 8489, 9292, 9354, 9355, 9763, 21034 (centurio singularium).
(7) Ibid., 20251 : Dis Mauris c[on]servatoribus et Genio Satafis Sal-
lustius Saturninus bf. dup. ex questionario. personnage nayant pas prcis
le chef darme auquel il tait attach, il est vraisemblable que cest celui de
la province o linscription a t trouve, cest--dire de Csarienne.
234 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Nous navons pas dexemples demploys aux critu-


res, mais cest certainement leffet dun hasard malheureux,
puisque, pour le procurateur de Tingitane, nous avons gard
le souvenir dexacti(1).
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9990.
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 235

CHAPITRE III.

LES TROUPES DE LARME DE MAURTANIE CSARIENNE.

I. HISTORIQUE DES TROUPES DE CSARIENNE.

La liste des troupes dont se composait larme de Mau-


rtanie, qui a t dresse au dbut de cette partie, comprend
seulement, ainsi que nous lavons dit, celles dont le sjour
dans le pays est absolument certain. Nous avons expliquer ici
pour quelles raisons nous les y avons admises et pourquoi nous
avons exclu les autres ; ce sera passer en revue tous les corps
dinfanterie ou de cavalerie dont le nom sest rencontr dans
les inscriptions trouves sur le territoire de la Csarienne.
AILES.

Ala Ae Une pitaphe trouve Tns(1) est ainsi


conue : D. M. Geniali, Lecaonis, eq. al. Ae. ; Fl. Super. her.
ejus dedic. curavit. Les auteurs du Corpus ajoutent : Lit-
teris AE nomen alae videtur significari. On pourrait se de-
mander sil ne faut pas lire AF et expliquer Af(rorum) ; mais le
nom du pre de ce soldat, qui nappartient pas lonomastique
africaine(2), donne cette supposition peu de vraisemblance.
Lala Afrorum est, au reste, une troupe de Germanie(3).
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9657.
(2) Il se nomme Lecao (gn. Lecaonis). Il faut noter que, parmi les
cavaliers dalmates que nous mentionnerons plus bas, lun sappelle Licco
(C.I.L., VIII, 9377), lautre Liccaius (ibid., 9384 ) et le troisime Licaus
(ibid., 21040).
(3) Cf. Cichorius, dans PauIy-Wissowa, Realencyclop., I, col. 1223.
236 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Ala I Flavia Britannorum miliaria civium romanorum.


Elle est mentionne sur le diplme militaire de Brigetio,
cit plus haut(1), comme ayant pris part lexpdition dAn-
tonin le Pieux contre les Maures. Ctait une troupe de Pan-
nonie Infrieure. On a rencontr au Vieil-Arzeu, sur la tombe
dun librarius, la mention dune ala Britt veteran (?) ; peut-
tre est-il question, l aussi, de lala I Flavia Britannorum,
mais le texte de linscription est trs incertain(2).
Ala I Contariorum. Les ailes de Contarii, suivant
M. Vaders, se composaient, au moins au dbut, de Sarmates,
dont le contus tait larme spciale(3). Cest une conjecture
acceptable, quoique sans grand fondement. Le mme auteur
croit quil existait deux ailes de Contarii, lala I Contariorum
et lala I Ulpia Contariorum, toutes deux dailleurs campes,
suivant toute vraisemblance, en Pannonie Suprieure(4). M.
Cichorius les considre comme un seul et mme corps(5). En
tout cas, nous trouvons la trace de ces deux ailes sur deux
inscriptions de Maurtanie(6), qui nous indiquent sinon leur
sjour, du moins leur venue temporaire dans le pays(7), une
date quil est impossible de prciser(8).
____________________
(1) P. 42, note 3.
(2) C. I. L., VIII, 9764. M. Cichorius (Pauly-Wissowa, Realencycl., col.
1269) serait tent de regarder lala veterana, mentionne sur une inscription de
Saddar (C. I. L., VIII, 5936), comme identique laile cite dans ce texte.
(3) Vaders, De alis exerc. rom., p. 19. Le contus est signal par Jos-
phe (De Bell. Jud., III, 5, 5) dans larmement de la cavalerie lgionnaire.
(4) Vaders, op cit. p. 18, 19.
(5) Cf. Pauly-Wissowa, Realencyclop., I, col. 1239.
(6) Ala I Contariorum (C. I. L., VIII, 9291 ; Tipasa). Ala I Ulpia
Contariorum (ibid. 21620 ; Arbal).
(7) On remarquera que la leg. I Adjutrix, dont il a t question plus
haut (voir p. 220), campait prcisment en Pannonie Suprieure ; on peut
supposer que lala Contariorum tait un de ses auxiliaires.
(8) M. Jnemann (De leg. I Adjutr., p. 86 et 137) admet lpoque dAn-
tonin le Pieux et du soulvement des Maures.
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 237

Une de ces deux tombes est surmonte dun cavalier


arm, qui veut tre limage du dfunt et qui nous indique ap-
proximativement quel tait luniforme de ce corps. On y voit
un homme mont sur un cheval au galop ; celui-ci est vtu
dune courte tunique manches, recouverte dun manteau at-
tach sur lpaule droite par une agrafe ; le vent sy engouffre
et le relve. Des deux mains il tient une lance bout pointu.
Ce sujet figur existe encore dans les collections du muse
dAlger(1) ; nous ne lavons pas reproduit en fac-simil, parce
quil noffre aucune particularit caractristique.

Ala Gaetulorum. Sur une pitaphe trouve Renault,


il semble quil soit question dun expl. [e]t sig. ale Getule
[t(urma)] Satur(nini)(2) ; mais, en supposant mme quil en
soit ainsi, il ny a rien conclure de cette mention pour le
sjour, mme passager, du corps en Maurtanie(3).

Ala I Hispanorum Aracacorum. Troupe de Pannonie


Suprieure, qui fut envoye sous Antonin le Pieux contre les
Maures. Son nom figure sur le diplme de Brigetio(4).

Ala I Flavia Hispanorum. On a trouv Cherchell la


tombe dun cavalier de cette aile(5). Il est possible que ce soit un
corps de larme dEspagne(6). Dans ce cas, il ny aurait rien de
surprenant ce que cette troupe ait pris part quelque expdi-
tion ou quun soldat ait t envoy Cherchell en mission prs
____________________
(1) Doublet, Muse dAlger, p. 30, n. 1. Jen ai donn la reproduction
dans le Dictionnaire des antiquits grecques et romaines de M. Saglio, s. v
Contus ;.
(2) C. I. L., VIII, 21516 ; en tte figure galement limage du cavalier.
(3) Cf. Cichorius, Pauly-Wissowa, Realencycl., I, col, 1243.
(4) Plus haut, p. 42, note 3.
(5) C. I. L., VIII, 21050.
(6) Cichorius, loc. cit., col. 1248.
238 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

du procurateur, et y ft mort. En tout cas, rien ne nous auto-


rise faire du corps une aile de larme de Maurtanie.
Ala I Augusta Ityraeorum sagittariorum. Mme re-
marque que pour laile des Hispani Aravaci ; mais laile des
Ityrens appartenait la garnison de Pannonie Infrieure(1).
Elle ne vint en Afrique quen passant.
Ala miliaria. Il nen est pas de mme de lala mi-
liaria, qui est qualifie, sur un texte dArles, de ala miliaria
in Mauretania Caesariensi(2), et qui a laiss son nom une
localit de la Maurtanie Csarienne aujourdhui dnomme
Benian(3). On a rencontr sur plusieurs points des tombes de
ses soldats : Benian mme(4), Cherchel(5), Marengo(6),
Saint-Denis-duSig(7) et Saint-Leu(8).
Le texte dArles serait, daprs M. Hirschfeld(9), contem-
porain de Marc-Aurle ; en tout cas, il appartient assurment
la seconde moiti du IIe sicle. Les autres ne sont pas dats.
Nous possdons aussi pour ce corps des reprsentations
figures, mais on ne peut malheureusement en tirer aucun
renseignement utile(10).
Ala II Nerviana Aug. fidelis miliaria. Cette aile fai-
sait partie de la garnison du pays en 107(11).
____________________
(1) Plus haut, p. 42, note 3.
(2) C. I. L., XII, 672.
(3) Notit. episc. Maur. Caes., 33 : Episcopus Alamiliariensis ; C. I.
L., VIII, 31572. Voir le prambule du paragraphe, p, 2042.
(4) ibid.., 21568.
(5) Ibid., 9389, 21029, 21036.
(6) Ibid., 20932.
(7) Ibid., 9750.
(8) Ibid., 21617, 21618.
(9) Philologus, 1870, p. 79.
(10) Donati, Thesaur., 296, 8 ; C. I. L, VIII, 21617.
(11) Dipl. mil. de Cherchel (C.I. L., VIII, 20978).
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 239

Ala 1 Aug. Parthorum. Lala Parthorum appartenait


galement au corps doccupation habituel de la Maurtanie(1) ;
elle a laiss des traces Sidi-Ali-ben-Youb(2), Hadjar-er-
Roum(3), Saint-Leu(4), Tlemsen(5), Arbal(6) et Cherchell(7) ;
les textes trouvs Sidi-Ali-ben-Youb nous apprennent quelle
avait son camp sur ce point sous Septime Svre. Mais elle tait
certainement tablie dans le pays ds le dbut du IIe sicle(8) ;
elle y demeura non seulement au IIIe(9), mais mme au IVe(10).
Jai reproduit sur la planche ci-jointe (n 1) la reprsen-
tation dun cavalier de ce corps, trouve Saint-Leu ; je la
dois lamiti de feu le commandant Demaeght. On y voit un
personnage debout, tenant de la main gauche une lance et de
la main droite un bouclier rond (parma), orn en son centre
dun umbo. Il est difficile dimaginer quelque chose de plus
grossier que cette sculpture, qui est videmment luvre ma-
ladroite dun ouvrier indigne ou dun soldat.
Ala Gemina Sebastene. Il est probable que cette aile
campait aussi en Maurtanie(11) ; toutes les inscriptions qui la
mentionnent viennent de Cherchell.
Ala Thracum. Ala II Augusta Thracum Pia Fidelis.
____________________
(1) Dipl. milit. de Cherchel.
(2) C. I. L., VIII. 9827, 9828.
(3) Ibid., 9838.
(4) Ibid., 21619.
(5) Ibid., 21779.
(6) Ibid., 21629.
(7) Ibid., 9371, 21064.
(8) Dipl. mil. de Cherchel.
(9) C. I. L., VIII, 9827 (201), 9371 (entre 209 et 211).
(10) Ibid., 21639 (an 355).
(11) C. I. L., VIII, 9358, 9359, 21039, 21044. Le n 9359 nous fait connatre
un prfet de laile qui lve une statue un procurateur de Maurtanie ; le n 9358
mentionne un officier qui parait avoir t prpos ce corps, en tant que prfet de
laile des Thraces ; au n 21039, il est question dun dec. alae Sebastenae Severia-
nae itemq. decurio splendidissime col. Caesarens.
240 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Comme laile des Parthes, laile des Thraces est souvent men-
tionne sur les inscriptions maurtaniennes : An-bou-Dih(1),
Aumale(2), Sour-Djouab(3), Berouaghia(4), Hadjar-er-
Roum(5), Miliana(6) et surtout Cherchell(7). Tantt elle est
appele, de son nom complet, ala II Augusta Thracum(8) ; tan-
tt, au contraire, on la dsigne sous la forme abrviative : ala
Thracum(9), qui peut nous tonner aujourdhui, mais qui ne
trompait personne alors, puisque ctait la seule aile des Thra-
ces campe dans le pays. Quelques-uns des textes relatifs ce
corps sont du 1er(10) et du IIe sicle(11) dautres du IIIe(12). Il faut
en conclure quil occupa la Maurtanie pendant tout lEmpire.
On a suppos quil y tait venu en lanne 40(13) ; mais ce nest
l quune hypothse, qui ne parait pas suffisamment tablie.
Ala I Thracum Mauretana. M. Mowat a mis lide
que cette aile de Thraces avait t, dans le principe, forme
en Maurtanie, au moyen dauxiliaires recruts en Thrace(14) ;
____________________
(1) C. I. L., VIII, 20827.
(2) Ibid., 9045.
(3) Ibid., 9203,
(4) Ibid. 9238 (?).
(5) Ibid. 10949.
(6) Ibid., 9615.
(7) Ibid. 9358, 9370, 9380, 9390, 21024, 21026, 21030, 21035, 21059.
Cf. le diplme militaire de Cherchel.
(8) Ibid., 9358, 9390, 21024, 21030, 21059.
(9) Ibid., 9615, 10949. 21026, etc. Lpithte Augusta figure dans un texte
(ibid., 9358) ; Pia Fidelis, sur deux monuments de Rome (ibid., VI, 1725 a, 1675 b).
(10) Ibid., 21024. Le nom du soldat est Ti. Claudius Congonetiacus, et
ceux de ses trois hritiers, Ti. Claudius Viator, Ti. Claudius Clemens et Claudia
Extricata. M. Keil (De Thracum auxiliis, Berlin, 1885, p. 32) place ce texte aprs
lanne 58 et vers cette date. Linscription du Corpus n 9390 serait, daprs cet
auteur, de la mme poque peu prs.
(11) Cf. le diplme de Cherchel et un papyrus de Berlin (Eph. epigr., VII, p. 456 et suiv.).
(12) C. I. L., VIII, 9370 (entre 209 et 211), 9045 (an 255), 20827 (an 254).
(13) Keil, op. cit., p. 32.
(14) Bull. epigr., 1886, p. 245.
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 241

par suite, elle aurait appartenu, pendant quelque temps du


moins, larme de Maurtanie, puis aurait t dtache et en-
voye en Jude pour cooprer la rpression de la rvolte des
Juifs en 70. On la trouve, en effet, en Orient en 86(1), et elle y
a toujours sjourn depuis lors. Mommsen, au contraire, croit
que le surnom de Mauretana a t donn laile pour perp-
tuer le souvenir de quelque action dclat accomplie par elle
en Maurtanie(2). En consquence, il admet quelle vint dans
la province une certaine date, que lon ne peut fixer, mais
ny resta que pendant la dure dune expdition. Comme elle
portait dj en 86 le nom de Mauretana, quelle ne saurait
avoir acquis dans la campagne de Jude, on a suppos quelle
lavait gagn dans la guerre qui suivit la mort de Ptolme,
et qui est la plus dure de celles qui se firent en Maurtanie au
1er sicle, avant Vespasien(3).
COHORTES.

Cohors II .Breucorum. Un ex-voto Isis(4), trois tom-


bes(5), deux milliaires(6) et un diplme militaire(7) nous offrent
le nom de la cohors II Breucorum. Ces monuments sont, lun
du dbut du IIe le sicle, les autres du IIIe sicle ; parmi ceux-
ci, le plus rcent est de 286(8). La cohorte campait, cette
poque, Souik, tablissement auquel elle avait donn son
nom(9), et dont il sera plus longuement question ailleurs.
____________________
(1) Elle tait en Jude en lan 86 (Dipl. mil., XIX) ; en 199, on la trouve
au camp de Raml, en gypte (C. I. L., III, 14). Cf. Cichorius, dans Pauly-Wis-
sowa, Realencycl., I, col. 1264.
(2) Hermes, 1884, p. 40, note 4.
(3) Cf. Keil, De Thracum auxiliis, p. 11 et 12.
(4) C. I. L., VIII, 21560.
(5) Ibid., 9391, 21561, 21562 (?).
(6) Ibid., 22598, 22599.
(7) Dipl. mil. de Cherchel (ibid., 20978).
(8) Ibid., 22599. Cf. 21560 (an 243) et 22598 (an 270).
(9) Ibid., p. 2040.
242 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Cohors II Brittonum. Ce corps de troupes tait en


Maurtanie en 107(1).

Cohors Cirtensium. Il parat probable que cette co-


horte est une ancienne troupe indigne qui subsista sous son
nom primitif aprs lannexion de la Numidie, et particulire-
ment de Cirta, la province dAfrique. Mais, au lieu dtre
transforme en lgion, comme il arriva pour les soldats du
roi Dejotarus (legio XXII Dejotariana), elle ne constitua
quune cohorte auxiliaire, ou peut-tre mme un numerus,
auquel on aurait appliqu ici abusivement le titre de cohorte.
Si le rapprochement fait au Corpus(2) entre une inscription
dAffreville, la seule qui nous la mentionne(3), et un texte de
Constantine(4) a un fondement srieux, le soldat qui figure sur
ce dernier monument aurait appartenu au mme corps. Il vi-
vait, semble-t-il, au dbut du 1er sicle, puisquil ne porte pas
de surnom sur son pitaphe. Mais il ny a l quune hypothse
trs incertaine.
On ignore quelle division de larme de lAfrique du
Nord cette cohorte tait attache ; nous lavons cite parmi
les troupes de Maurtanie, cause du lieu o lon en a ren-
contr la trace.

Cohors I Corsorum c(ivium) r(omanorum). Elle faisait


partie, en 107, du corps doccupation(5).

Cohors VI Delmatarum equitata. Cohors VII Delmata-


rum equitata. Cest Cherchell qui a fourni tous les documents
____________________
(1) Dipl. mil. de Cherchel, loc. cit.
(2) C. I. L., Indices, VIII, p. 1076.
(3) Ibid., 9631.
(4) Ibid., 7082 : Q. Rusticelius Arniese militis c(enturia) Vituli. H. s. e.
(5) Dipl. mil. de Cherehel, loc. cit.
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 243

relatifs ces deux corps : lpitaphe dun cavalier de la sixi-


me cohorte(1) et celles de deux cavaliers de la septime(2).
La priode o il convient de placer les textes qui nous
signalent ces deux cohortes, et qui paraissent tre contem-
porains, car ils offrent absolument les mmes caractres, ne
saurait tre prcise absolument ; mais on peut arriver des
probabilits. Dans toutes ces pitaphes est mentionne, aprs
le nom et la filiation des cavaliers, qui sont originaires de
Dalmatie, la turme laquelle ils appartiennent ; dans deux
dentre elles mme(3), la patrie est signale. Ces dtails sont
lindice dune poque relativement ancienne. La palographie
des inscriptions amne aux mmes conclusions : elle indique
la fin du 1er sicle(4).
Enfin les trois cippes prsentent une particularit remar-
quable : on y voit limage du dfunt. Tte nue, sur un cheval ga-
lopant droite ou gauche, il est revtu dune cotte de mailles
(lorica squamata) et dune tunique qui descend jusquau mi-
lieu de la cuisse ; son bras gauche est arm dun bouclier
oblong ; sa main droite, dune grande lance dont il transper-
ce un ennemi couch terre. Ctait l videmment un type
conventionnel(5) qui na pas de valeur pour lhistoire particu-
lire du soldat dont il dcorait la tombe, mais dont il est peut-
tre permis de tirer des renseignements sur le costume des ca-
valiers dalmates employs dans larme de Maurtanie. Nous
donnons deux de ces reprsentations (nos 2 et 3) sur la planche
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9377.
(2) Ibid., 9384 21040 ; cf. 21058.
(3) Ibid., 9377 et 9384.
(4) Hbner Exempla script. epigr., p. 153. On remarquera pourtant que
le nom de ces cohortes ne figure pas sur le diplme militaire de Cherchel.
(5) On en connat un certain nombre dexemples dans toutes les parties
de lEmpire romain, notamment en Germanie (Duruy, Hist. des Romains, d.
in-4, IV, p. 117 ; VI, p. 449 et 454 ; Lindenschmit, Tracht und Bewaffnung
des rm. Heeres, pl. VIII, 1). Nous avons dj signal le mme sujet propos
dune tombe milliaire de Numidie.
244 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

annexe la page 239. La seconde nous a t communique


par MM. Audollent et Letaille, la premire par feu Waille,
professeur lcole des lettres dAlger(1).
Cohors II Gallorum. Ce corps tenait garnison en
Maurtanie au dbut du IIe sicle(2).
Cohors I Flavia Hispanorum. Il est certain quune
cohorte dEspagnols faisait partie du corps darme de Csa-
rienne. Nous en avons pour preuve, outre le diplme militai-
re de Cherchell, un texte martel de Miliana(3), qui est dune
date inconnue, une ddicace de Cherchell au procurateur P.
Aelius Peregrinus, son suprieur, par un prfet de la cohorte
I Flavia Hispanorum (209-211)(4) une base dAumale ddie
Q. Gargilius Martialis, qui y est appel tribunus co(hortis)
Isp(anorum) provinciae Mauretaniae Caes. (an 260)(5), et
une pitaphe de Stif(6). Un autre texte honorifique dHen-
chir-Kasbat mentionne un centurion de la cohors I Hispano-
rum, contemporain de Trajan ou dHadrien(7) ; mais peut-tre
sagit-il ici dun corps dEspagnols diffrent. Il faut remarquer
que la 1re cohorte, dite Flavienne, mentionne dans les textes
de Cherchell, est sous les ordres dun prfet(8) ; la seconde,
celle dAumale, qui na pas de surnom, est commande par
un tribun. La diffrence tient-elle ce que le corps a subi une
transformation postrieure Caracalla, ou ce quil ne sagit
pas dans les deux textes de la mme cohorte ? Cest ce quil
est difficile dlucider.
____________________
(1) Cf. Gauckler, Muse de Cherchel, pl. III, 1.
(2) Dipl. mil. de Cherchel, loc. cit.
(3) C. I. L., VIII, 9612.
(4) Ibid., 9360.
(5) Ibid., 9047.
(6) Cf. plus haut p. 209, note 2.
(7) C. I. L., VIII, 12370 Cr. aussi peut-tre le n 23453, I. 4.
(8) Ibid., 9360.
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 245

Cohors I Musulamiorum. Cette cohorte faisait par-


tie du corps doccupation de Maurtanie, comme le prouvent
une inscription de Khamissa, qui nous en fait connatre un
commandant(1) et le diplme militaire de Cherchell. Elle tait
videmment recrute parmi les Musulamii de Numidie.
Cohors I Aug.Nerviana velox. Elle tenait garnison en
Maurtanie en 107(2).
Cohors I Nurritanorum. Mme observation(3). Un de
se s prfets figure sur une inscription de Batna(4).
Cohors I Pannoniorum. Mme observation(5). On la
retrouve encore dans le pays lpoque de Septime Svre et
de ses fils(6).
Cohors II Sardorum. Deux points ont fourni des ins-
criptions relatives la seconde cohorte des Sardes, Hadjar-er-
Roum et Sour-Djouab ; il en rsulte que le camp de cette co-
horte tait auprs de lune ou lautre de ces villes ; les auteurs
du Corpus se sont prononcs pour la premire(7), tout en recon-
naissant qu Sour-Djouab il y avait aussi un poste de ce corps
de Sardes(8). Cest lopinion quil faut adopter : dans la dernire
de ces localits, en effet, on na encore trouv jusquici que des
tombes de soldats(9) ; Hadjar-er-Roum, au contraire, o exis-
tait un camp retranch trs important, un monument a t ddi
Gta par la cohorte entire(10) et trois ex-voto ont t offerts
____________________
(1) C. I. L., VIII, 4879 : Cohor. I Musulam. in Maur.
(2) Dipl. mil. de Cherchel, loc. cit.
(3) Ibid.
(4) C. I. L., VIII, 4292.
(5) Dipl. mil. de Cherchel, loc. cit.
(6) C. I. L., VIII.
(7) Ibid., p. 788.
(8) Ibid., p. 841.
(9) Ibid., 9198, 9200, 9202, 9207.
(10) Ibid., 9833 (entre 201 et 209).
246 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Diane(1), Nmsis(2), et aux Dii Mauri(3) par un prfet et deux


praepositi. Ces derniers documents datent du commencement
du IIIe sicle ; cest donc cette poque que lon peut tre
assur de la prsence de la cohorte en Maurtanie. Mais elle
y tait campe sans doute antrieurement(4), et elle y demeura
encore dans la suite. On a rencontr la mention de ce corps
Guelma sur deux pitaphes(5), An-Temouchent(6) et An-
Khial, o lun de ses commandants surveilla lrection dun
monument consacr au dieu Ausliva(7).
Cahors I Aelia singularium. Nous avons parl plus
haut des equites singulares attachs lofficium du procura-
teur. Nous sommes ici en prsence dune cohorte auxiliaire
vritable(8). On a suppos que ce nom lui avait t donn par-
ce quelle tait compose de soldats appartenant diffrentes
nations(9). Il serait plus juste de dire, ce qui revient du reste au
mme, quelle tait forme, du moins lorigine, de soldats
emprunts diffrents corps. On conoit qu un moment
donn on ait constitu avec les meilleurs soldats dun certain
nombre de cohortes auxiliaires une cohorte dlite, laquelle
le nom demeura attach, mme aprs que le mode de recrute-
ment en eut t modifi postrieurement.
Le seul document dat relatif la cohorte est de 160(10).
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9831.
(2) Ibid., 10949 (an 208), 21721 (an 220).
(3) Ibid., 21720 (du temps de Svre Alexandre).
(4) Pourtant elle ne figure pas sur le diplme militaire de Cherchel.
(5) C. I. L., VIII, 5364 ; Comptes rendus de lAcad. dHippone, 1891,
p. XV, n 5.
(6) C. I. L., VIII, 21667 (vexillarius).
(7) Ibid., 21704.
(8) Ce qui prouve bien que les soldats de cette cohorte diffrent des
singulares du procurateur, cest que lun deux porte le titre de bnficiaire :
ex cortis singularium beneficiarius (C. I. L., VIII, 9058).
(9) Schnemann, De coh. Rom. auxil., p. 37, et surtout la note 3.
(10) C. I. L., VIII, 9047.
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 247

Elle semble avoir t campe Aumale do proviennent tou-


tes les inscriptions qui nous la font connatre(1).

Cohors Surorum. Une pitaphe trouve Cherchell


fait mention dune cohors Surorum(2). videmment, cette co-
horte na rien de commun avec la cohors I miliaria nova Su-
rorum sagittariorum de Pannonie Infrieure(3). Cest proba-
blement le mme corps de troupes que celui qui porte, dans
dautres textes pigraphiques dAfrique, le nom de numerus
et dont nous aurons nous occuper plus loin (p. 251).

Cohors IV Sygambrorum (ou Sugambrorum). On ne


sait pas quel endroit campait la cohors IV Sygambrorum :
on a trouv des traces de sa prsence Cherchell(4), Auma-
le(5) et Saint-Denis-du-Sig(6) ; mais aucun de ces documents
ne prouve le sjour de la cohorte sur lun de ces divers points.
Il ny a pas douter pourtant que ce ft une troupe ordinaire
du corps de Maurtanie. Elle sy rencontre au dbut du IIe
sicle(7), et y tait encore assurment au milieu du IIIe(8).
NUMERI.

Numerus Ambov Ce nom nest cit que sur un texte,


qui nous fait connatre un ex praeposito de ce corps, en 242(9).
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9054, 9055, 9058 ; 20753.
(2) Ibid., 20834 : C. Julius Dapnus chorte Surorum ; Ann. pigr.,
1892, 13.
(3) Schnemann, op. cit., p. 40. Cette cohorte nova serait, daprs Ci-
chorius (Pauly-Wissowa, Realencyclop., IV, col. 334), la fille de la premire.
(4) C. I. L., VIII, 9363, 9393 ; 20999. Dipl. mil. de Cherchel, loc. cit.
(5) Ibid., 9045.
(6) Ibid., 21604.
(7) Ibid., 9363, 1370 ; Dipl. mil. de Cherchel.
(8) Ibid., 9045 (an 255).
(9) Ibid., 9745.
248 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Il nen rsulte pas que le numerus ait t tabli, mme tempo-


rairement, dans le pays.
Vexillatio equitum Maurorum. Recrute parmi les
Maures, cavaliers aussi habiles sinon aussi renomms que les
Numides, la vexillatio equitum Maurorum semble avoir eu
comme lieu de garnison la ville dAumale et son territoire :
les deux inscriptions qui en font mention ont t dcouvertes
sur ce point(1), et lune delles donne ces cavaliers lpithte
de in territorio Auziensi praetendentes. Ils ont t mls sans
doute plus dun vnement dont la Maurtanie fut le th-
tre ; on les trouve tout particulirement occups, en 260,
couvrir la ville dAumale contre les bandes de Faraxen et
poursuivre ce chef redout, dont la capture fut un de leurs
titres de gloire. Peut-tre doit-on identifier ces cavaliers avec
les equites Audienses, mentionns sur un texte tout fait in-
certain du temps de Septime Svre(2), bien que lendroit o
ce texte a t trouv et la prsence ct deux dune vexilla-
tion de la lgion du IIIe Auguste fassent plutt songer un
corps de Numidie qu une troupe de Maurtanie(3).
Une grande inscription de Cherchell(4) nous apprend
quun des procurateurs de Csarienne avait t, au dbut de sa
carrire questre, praepositus equitum itemque peditum junio-
rum Maurorum. Il est assez difficile de dcider sil sagit, dans
ce document, de deux corps diffrents dont le premier serait
identique aux equites Mauri dAumale, et le second une trou-
pe de fantassins ; ou si, au contraire, nous sommes en prsence
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9045, 9047.
(2) Ibid., 3796 ( Msad).
(3) Le numerus Mauretanorum Tibiscensium, mentionn sur un monu-
ment de Cherchel (ibid., 9368) est un corps de Maurtaniens camp Tibis-
cum, en Dacie, et non pas en Afrique. Cf. Mommsen, Gesammelte Schriften,
VI, p. 109, note 1.
(4) C. I. L., VIII, 20996.
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 249

dun seul corps form dun effectif mixte et distingu de la


vexillatio equitum Maurorum par lpithte de juniores.

Exploratores Batavi. An-Temouchent a fourni lpi-


taphe dun certain Julius Adventus, splorator Bataorum(1). Or
on trouve des exploratores Batavi en Germanie lpoque de
Septime Svre(2). La troupe vint-elle en Maurtanie loc-
casion de quelque expdition, ou passa-t-elle, au IIIe sicle,
dune faon dfinitive en Afrique(3) ? Je pencherais plutt pour
la premire solution.

Numerus exploratorum Germ(anicorum). Une pita-


phe, dcouverte pareillement An-Temouchent(4), fait men-
tion dun soldat de ce corps. Il est impossible de savoir o il
campait ; les traces pigraphiques qui en ont t dcouvertes
Marseille(5) et prs de Printhe, en Thrace(6), ne prouvent
rien cet gard. Il peut fort bien navoir fait quune appari-
tion en Maurtanie.

Ala exploratorum Pomariensium. Il est tout fait


contraire aux habitudes romaines quune aile soit dsigne par
le nom de la ville o elle campe ; cest toujours le nom du peuple
chez qui elle est leve qui sert la dnommer. De plus, partout
o il est question dexploratores, on les trouve constitus en
numeri, jamais en alae(7). Il est donc probable que le mot ala est
____________________
(1) C. I. L., VIII, 21668.
(2) Ibid., XIII, 8825 (an 198-209).
(3) Cest lavis de M. M. Bang (Die Germanen in rm. Dienst, p. 52).
(4) Ann. pigr., 1901, 59 bis : D. M. Ulpi Queti mil. n. expl. Germ... cui
Fl. Victorinus sec(undus) he(res) sepul. f. c. Ce texte parait tre du IIe sicle.
(5) Inscr. gr. rom., I, 10. .
(6) C. I. L., III, 14207, 10. Tombe dun soldat.
(7) Exploratores Divitienses (C. I. L., XIII, 6814, 7054) ; Exploratores
Bremenienses (VII, 1030, 1037) ; Exploratores Nemaningenses (ibid., 175) ;
250 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

employ abusivement dans les inscriptions dAfrique(1) pour


dsigner les exploratores Pomarienses, et que nous sommes
en prsence dun numerus. Le titre de praefectus tant parfois
attribu aux chefs de numeri partir du IIe sicle(2) et particu-
lirement pour les exploratores(3), sa prsence dans les deux
textes de Tlemsen nest un argument ni dans un sens, ni dans
lautre.
Les monuments qui contiennent le nom de cette prten-
due aile, deux ex-voto au dieu local Aulisva, peut-tre trois(4),
sont de la premire moiti du IIIe sicle (entre 222 et 244).
Numerus Gaesatorum. Les Gaesati, ainsi nomms
du gaesum dont ils taient arms, taient des troupes leves
en Rtie ; deux inscriptions, lune de Bretagne(5), lautre de
Saintes(6), les nomment Raeti Gaesati. Un corps de Gsates
tait en Maurtanie vers lan 150, o nous le trouvons occu-
p, avec un dtachement des soldats de la flotte, la construc-
tion dun tunnel(7), sous la direction dun librator de larme
de Numidie. Il nen est plus question postrieurement dans
lpigraphie maurtanienne.
Numerus Osdroenorum. Une seule tombe contient la
mention des Osdroeni ; encore la lecture du mot nest-elle pas
assure(8). Leur prsence, mme temporaire, en Afrique nest
donc rien moins que certaine.
____________________
Exploratores Germanici (voir les notes prcdentes). Cf. Mommsen, Ge-
sammelte Schriften, VI, p. 108.
(1) C. I. L, VIII, 9906, 9907.
(2) Voir plus haut, p. 210.
(3) C. I. L. XIII, 6814 ; C. I. Gr., 6771.
(4) C. I. L., VIII, 9906, 9907 ; 21774(?).
(5) Ibid., VII, 1002.
(6). Ibid., XIII, 1041.
(7) Ibid., VIII, 2728. Cf., sur ce numerus, Mommsen, loc. cit., p. 147, et Walt-
zing, Les Gsates (Bull. de lAcad. royale de Belgique, 1901, p. 788 et suiv.).
(8) C. I. L., VIII, 9829,
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE. 251

Numerus Ques Troupe dont le nom mme est in-


certain(1).

Numerus Surorum. Il y avait en Dacie un numerus Su-


rorum sagittariorum(2) ; il ne semble pas que ce soit le mme
que le numerus Surorum qui, au IIIe sicle, tait tabli en
Maurtanie Csarienne et qui y avait dj donn son nom, au
temps dAlexandre Svre, la localit appele aujourdhui
de celui dune sainte arabe, Lalla-Maghnia(3) ; cest l qutait
son camp et que lon a trouv la plupart des inscriptions rela-
tives ses officiers et ses soldats(4). Les autres proviennent
de Cherchell, sige du gnral en chef(5).
____________________
(1) C. I. L., VIII, 21019 : Aelius [F]elix eq. ex n. ques
(2) On y a trouv quatre textes relatifs ce corps (ibid., III, 1593 =
8032, 8074, 28 ; 12601 a et b (an 133), 12605.
(3) Ibid VIII, 10468, 10469, 10470.
(4) Ibid., 9962, 9964. Cf. les textes cits la note prcdente.
(5) Ibid., 9381, 21017.
252 ARME ROMAINE DAFRIQUE.
ARME DE MAURTANIE TINGITANE. 253

TROISIME PARTIE.

ARME DE MAURTANIE TINGITANE.

COMPOSITION, COMMANDANT EN CHEF ET PERSONNEL DE LARME


DE TINGITANE.

De mme que la Csarienne, la Maurtanie Tingitane


ntait dfendue que par des troupes auxiliaires et non par une
lgion. Mais comme la civilisation romaine tait bien moins
rpandue encore dans cette province que dans sa voisine de
lEst, et plus forte raison quen Numidie, au point que des
parties entires du pays taient laisses en dehors de loccupa-
tion, ainsi quon le verra plus bas, les troupes ny taient pas
aussi nombreuses quen Csarienne. Cest, du moins, ce que
lon peut conjecturer avec vraisemblance(1), malgr la raret
des documents que nous possdons encore sur le Maroc.
Ce que nous savons parfaitement, cest que la contre tait
pour ainsi dire une zone de dfense tablie entre lEspagne et les
populations insoumises de lAfrique septentrionale ; larme
de Tingitane ntait, en fait, quune avant-garde de celle dEs-
pagne. Aussi voyons-nous plus dune fois les soldats dEspa-
gne passer la mer pour porter secours ceux de Tingitane(2), ou
____________________
(1) Sous le Bas-Empire, ainsi quil sera dit plus loin, larme de la
Tingitane, telle que nous la connaissons par la Notice des Dignits, compte
environ 9,000 hommes, tandis que celle dAfrique (Numidie avec la moiti
de lancienne Csarienne) en compte prs de 22,000.
(2) C. I. L., 5125 : T. Vario Clementi praef. auxiliorum in Maureta-
niam Tingitanam ex Hispania missorum.
254 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

larme de Tingitane envoyer des secours en Espagne(1) ;


les deux corps darme ont le mme ennemi : les Maures(2).
Lunion de ces deux provinces est telle, quau IIIe sicle la
Tingitane est appele sur une inscription : Provincia Nova
Hispania Ulterior Tingitana(3). Cette simple dnomination
est, elle seule, aussi instructive que les textes les plus d-
velopps.
Nous avons dj indiqu plus haut le lien qui unissait,
aux deux premiers sicles, larme de Tingitane et celle de
Csarienne, et nous avons cit quelques-uns des cas o elles
furent toutes les deux runies aux mains dun seul procura-
teur. Nous navons pas y revenir ici.

Le commandant en chef de larme de Tingitane tait


un personnage de lordre questre, un procurateur ; comme
en Csarienne, un chevalier suffisait une arme dauxiliai-
res. Mais il nest pas probable quil ft aussi lev en grade
que son collgue. Cest l pourtant une question que lon ne
peut gure trancher, cause du petit nombre et de la pauvret
de nos documents sur les procurateurs de Tingitane. On sait
seulement quils taient viri egregii, et suprieurs aux procu-
rateurs de Macdoine, de Lusitanie(4), peut-tre de lEspagne
Ultrieure(5) et des Alpes Cottiennes(6) ; ce qui ne leur don-
ne pas une place bien haute dans la hirarchie des fonction-
naires de lordre questre. Ceux dentre eux qui portent sur
____________________
(1) C. I. L., II, 1120 (cf. 2015) : C. Vallio Maximiano proc. prov...
Mauretaniae Tingitanae, resp. Italicensium quod provinciam Baeticam,
caesishostibus, paci pristinae restituerit ; ibid., XII, 1856 : C. Julio Paca-
tiano proc. pro legato Mauretaniae Tingitanae, col. Italica.
(2) Calpurn., Eclog., IV, 40 ; Vita Marci, 21, 22 ; Vita Saturnini, 9, etc.
(3) Rev. Arch., 1887 (X), p.282 et suiv., et pl. XIX ( = C. I. L., VIII, 21813).
(4) C. I. L. II, 1120.
(5) Ibid., VIII, 21813.
(6) Ibid., XII, 1856.
ARME DE MAURTANIE TINGITANE. 255

les inscriptions le titre de pro legato sont dun ordre plus le-
v.
Leur rsidence tait la ville de Tanger, o a t trouve
la seule inscription vraiment importante relative un procura-
teur, un texte honorifique grav aux frais des exacti du corps
doccupation(1).
Deux des gouverneurs dont les noms figurent dans les
Fastes de la province(2) portent le titre de pro legato ; ce sont
: P. Baesius Betuinianus, du temps de Trajan(3), et C. Julius
Pacatianus, contemporain de Septime Svre(4). On peut se
demander quelle est la valeur de ce titre et sa raison dtre. M.
Pallu de Lessert dit ce sujet(5) :
Il y a peut-tre lieu de faire entre le procurator utrius-
que Mauretaniae et le procurator Augusti pro legato Tingita-
nae une diffrence indique par lnonc de leur titre. Tandis
que le premier runissait le pouvoir civil et le pouvoir mili-
taire des deux provinces, le second, au contraire, ne cumulait
que les pouvoirs militaires. Ainsi P. Baesius Betuinianus, pro-
curator Augusti pro legato Mauretaniae Tingitanae, investi
du gouvernement civil de la Tingitane, aurait eu en outre le
commandement des forces militaires des deux provinces, le
procurator de la Csarienne ayant d mettre ses troupes sa
disposition et ne conservant que ladministration civile.
Cette assertion contient une part de vrit : il est certain
que le procurator pro legato de Tingitane navait pas le pouvoir
civil en dehors de cette province ; mais il me parat tmraire
daffirmer que son pouvoir militaire stendt sur les deux
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9990.
(2) Cf. la liste de ces gouverneurs dans les Fastes des prov. afr. de M.
Pallu de Lessert, I, p. 531 et suiv.
(3) C. I. L., VIII, 9990.
(4) Ibid., XII, 1856.
(5) Cf. Bulletin des Antiquits africaines, 1885, p. 102.
256 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Maurtanies ; rien dans les deux documents qui nous ont


conserv ce titre ne nous autorise laffirmer. Sil avait sous
ses ordres des troupes dun autre pays que la Tingitane, cest
plutt lEspagne quil faudrait songer.
Il semble bien, en effet, que le titre de pro-lgat
suppose simplement la prsence de dtachements lgionnai-
res(1) rangs temporairement sous le commandement dun
chef dordre questre. On conoit aisment que, lorsque le
gouverneur de Tingitane tait oblig de passer la mer avec
une partie de son arme pour prendre revers les Maures
rpandus dans la Btique, cest que la situation y tait trs
grave. On avait alors besoin dy concentrer des troupes so-
lides et nombreuses, et lon devait faire appel le plus sou-
vent des lgionnaires emprunts larme de Tarraconaise.
Or, en pareil cas, si le commandement de ces dtachements
tait confi au procurateur de Tingitane, celui-ci ne pouvait
gure lexercer quavec un titre plus lev que celui quil
portait dordinaire ; cest dans de telles circonstances, sans
doute, que la province de Btique cessait pour un temps
dtre snatoriale et que le pouvoir du proconsul et de ses
assesseurs tait suspendu(2). La position du gouverneur de
Tingitane tait videmment la mme lorsque les dtache-
ments lgionnaires, au lieu de demeurer en Espagne, pas-
saient la mer pour sunir aux troupes du pays. Et, de fait, les
seuls documents qui fassent mention du titre de pro legato
sont assez caractristiques et nous permettent de nous re-
prsenter le personnage qui le porte comme un chef mili-
taire dont lautorit stend sur les deux provinces : lun est
____________________
(1) Telle est aussi lopinion de M.Hirschfeld (Sitzungsberichte der
Kais. Akad. der Wissenschaften, 1889, p. 431 ).
(2) Vita Severi, 2 : Pro Baetica Sardinia ei attributa est quod Baeti-
cam Mauri populabantur. Cf. Marquardt, Staatswewaltung, I, p. 249, note
4, et 257, note 1.
ARME DE MAURTANIE TINGITANE. 257

cette inscription, grave aux frais des exacti de larme de


Tingitane, dont il a t question plus haut ; lautre, laquelle
nous avons fait galement allusion, est due aux habitants de
la ville dItalica ; elle nous apprend quils avaient choisi pour
patron un procurateur de Tingitane ; la raison de ce choix
tait, suivant toute vraisemblance, quil leur avait rendu des
services signals dans un moment o la ville tait fortement
expose.
Si, au contraire, pour des motifs semblables, un des
gouverneurs de Maurtanie runissait les troupes de Csa-
rienne et de Tingitane, mme pour se porter en Espagne, il
devait prendre non pas le titre de pro-lgat, mais celui de
procurator utriusque Mauretaniae, qui suppose une arme
compose seulement dauxiliaires. Le titre de procurateur
suffisait chacun des gouverneurs de Maurtanie, et par
suite celui qui runissait les deux pays sous ses ordres ;
celui de pro-lgat tait ncessaire qui devait exercer une
autorit voisine de celle dun lgat, gouverneur de province
arme.
Il est certain que le gouverneur de Maurtanie Tingitane
avait sa disposition des bureaux pour laider dans ladmi-
nistration et le commandement, comme ses collgues de Nu-
midie et de Csarienne. On nen a trouv encore aucune trace,
en dehors de la mention des exacti signals dj ci-dessus.

Larme doccupation est nomme une fois dans une


inscription(1). Nous ne connaissons que bien peu des corps
qui la composaient :

LAla mi ;
LAla Hamiorum ;
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9990,
258 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

La cohors I Asturum et Gallaecorum ;


Et une cohors III (sans autre qualificatif).
Ala mi. Aile qui figure sur un texte mutil de Tan-
ger(1).
Ala Hamiorum. Elle est deux fois mentionne par les
inscriptions, Tanger(2) et Ksar-el-Kebir(3).
Coh. I Asturum et Callaecorum. Il existait dans lar-
me romaine non seulement des cohortes Asturum, mais
aussi des cohortes Asturum et Callaecorum, cest--dire des
cohortes qui, primitivement du moins, avaient t recrutes
dans les deux provinces voisines simultanment. La seconde
de ces cohortes est bien connue(4). La premire campait dans
lIllyricum lanne 60(5) ; elle passa en Maurtanie Tingitane
la fin du 1er ou au dbut du IIe sicle. Le fait rsulte de deux
inscriptions trouves, lune en Espagne(6), lautre Rome(7).
Le texte dEspagne a t corrompu par ceux qui lont copi.
On y lit :
FLAMiN PERPET TRIBVN MILIT
COHORT ASTVR GALLAECIAE
ET -MAVRETAN TINGIT

M. Hbner interprte : cohor. I Astur et Callaec(orum)


____________________
(1) Ann. pigr., 1909, 71 : nius Dex[ter] sesquae[pli]carius
ala mi, natione... utenus.
(2) C. I. L., VIII, 21814a : D. M vellico mil. n. Germ [in?)1
alam Hamiorum [alae ejus]dem item signifero [alae ejusdem.
(3) Ann. pigr., 1906, 119: Valerius Abdas imaginif. abc Hamior.
Cateidenus.
(4) Dipl. milit. XIII, XVII, LXVIII, LXXIV (en Pannonie).
(5) Ibid., II.
(6) C. I. L., II, 4211. Le personnage auquel le monument est ddi fut
nomm chevalier par lempereur Trajan.
(7) Ibid., VI, 3654.
ARME DE MAURTANIE TINGITANE. 259

Mauretan. Tingit. ; cest une lecture trs vraisemblable. Pour


le texte de Rome, dont les trois premires lignes portent(1) :
....................ANO EX HISP CITER
....................GALLAEC IN MAVR
....................AG IN CAPPAD

on a restitu, au Corpus, la seconde ligne, les mots coh. I


sans chercher dautres complments ; il faut crire : [praef.
coh. I Astur. et] Callaec. in Maur., ainsi que le prouve une
inscription, dcouverte dans les ruines dAn-Chkour, qui
nous donne le nom dun des prfets de ce corps, Aelius (ou
Flavius) Neon(2). L tait peut-tre son camp.
On remarquera, en outre, quau temps de la Notice des
Dignits, on trouve en Tingitane une cohors III Asturum, qui
est peut-tre aussi mentionne sur une inscription grecque
dpoque antrieure(3) ; quoi il faut, ce semble(4), joindre un
corps dexploratores camps au sud de Sala sur un point que
lItinraire dAntonin nomme Exploratio ad Mercurios(5).
____________________
(1) La dernire ligne du texte, qui se complte en entier, prouve quil
manque une quinzaine de lettres au dbut de chaque ligne. Pour la restitution
complte, voir plus haut, p. 196.
(2) C. I. L., VIII, 21820 : [Ge]nio lo[ci] ... I. Neon praef. [coh.] I
Astur et Call[aec.] [p]raetorium..... composuit et fecit.
(3) Le Bas-Waddington, 104 : [ ] [ ]
[..] [] .
(4) Cf. Tissot, Acad. des Inscript., Mmoires des Savants trangers,
IX, 1878, p. 282.
(5) Bien entendu, la mention dun cavalier de lAla Gemelliana, na-
tif de Tingitane, sur une inscription de Carthage (C. I. L., VIII, 24635), ne
prouve rien. Cette troupe appartenait larme de Rtie.
260 ARME ROMAINE DAFRIQUE.
TROUPES IRRGULIRES DE LARME DAFRIQUE. 261

QUATRIME PARTIE.

LES TROUPES IRRGULIRES DE LARME DAFRIQUE.

Toutes les troupes dont il a t question jusquici : l-


gions, cohortes ou ailes auxiliaires, numeri mme, taient des
troupes rgulires leves par le gouvernement imprial, en-
tretenues par lui et telles que lon en rencontre dans toutes les
parties de lEmpire.
Ces troupes nous lavons fait remarquer formaient
en somme un effectif qui, tout imposant quil semble au pre-
mier abord, tait en ralit trs insuffisant pour occuper srieu-
sement limmense territoire qui stendait de la grande Syrte
locan Atlantique ; jamais les Romains nont pu, avec une
trentaine de mille hommes, garnir en mme temps la frontire
mridionale et surveiller les pts montagneux, mal soumis,
de lintrieur. Cest surtout en Maurtanie que cette impos-
sibilit est manifeste ; car, de ce ct, on avait combattre
non seulement lennemi du dehors qui reprenait loffensive
de temps autre, mais encore et surtout lennemi du dedans,
toujours prt relever la tte, comme lont t longtemps nos
Arabes algriens. De l la ncessit de multiplier les postes
dobservation et de garde, et par suite dentretenir un nom-
bre de dfenseurs beaucoup plus considrable que celui que
formaient les troupes rgulires. A une double tche il fallait
suffire en doublant les effectifs. Aussi fut-on oblig davoir
recours certaines milices auxiliaires locales, assez analo-
gues nos goums .
On aimerait tre renseign dans le dtail sur lexistence
262 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

et sur lorganisation de ces troupes irrgulires, qui ont cer-


tainement jou un rle important dans loccupation de lAfri-
que ; mais les auteurs ne nous parlent presque jamais de lar-
me romaine sous lEmpire, plus forte raison se taisent-ils
sur ces corps indignes, qui navaient point, leurs yeux, le
mme intrt quaux ntres. Les inscriptions mme les igno-
rent presque. Nous devons les deviner plutt que nous ne
pouvons prtendre les connatre.
Pourtant, quelque rares que soient nos renseignements,
ils nen sont pas moins prcis et instructifs. Tacite, qui nous
donne le dnombrement de larme des Maurtanies en 70,
nous apprend quil y avait alors sous les ordres du procura-
teur, outre les ailes de cavalerie et les cohortes dinfanterie,
un grand nombre de Maures(1). Lusius Quietus, le gnral bien
connu de Trajan, avait commenc par commander des troupes
de cette sorte, quil avait leves lui-mme dans la tribu dont il
tait le cad (2). En 128, les Zimizes taient chargs de gar-
der un fortin auprs dIgilgili(3). Enfin, lpoque de la guerre
de Firmus, nous voyons le comte Thodose faire appel plus
dune fois des auxiliaires indignes(4). Nous pouvons donc
tre assurs qu toutes les poques les Romains ont employ
des milices locales en Maurtanie. Nous sommes loin davoir
autant de documents pour la Numidie, ce dont on peut conclure
____________________
(1) Tac., Hist., II, 58 : Ingens Maurorum numerus per latrocinia et
raptus apta bello manus. Cf. IV, 50 : Equites in necem Pisonis mittit. llli
raptim vecti et magna pars Pisonis ignari, quod Poenos auxiliares Mauros-
que in eam caedem delegerat.
(2) Dio, LXVIII, 32 : ; The-
mistius, Or, 16, p. 205 :
. Cf. Momm-
sen, Hist. romaine, XI, p. 275, note 2 de notre traduction.
(3) C. I. L., VIII, 8369.
(4) Ammian., XXIX, 5, 8 : Dux concitato indigena milite cum eo
quem ipse perduxerat. Cf. 5, 44 : Gens Jesaliensium... voluntaria auxilia
praestare spondens.
TROUPES IRRGULIRES DE LARME DAFRIQUE. 263

peut-tre que ce genre de milices y tait moins employ. Au


reste, cest l une particularit qui a dj t signale et qui est
commune toutes les parties du monde romain : les milices
locales se rencontrent surtout dans les provinces o la civili-
sation tait peu avance, et parmi celles-ci, dans les provinces
procuratoriennes(1). Nanmoins on doit croire que la Numidie
nen tait pas tout fait prive ; car on y trouve, comme en
Maurtanie, des praefecti gentium, dont lune des fonctions
principales devait tre prcisment de lever ces milices et de
les commander.

Ces praefecti gentium(2) sont connus par sept textes pi-


graphiques du 1er ou du IIe sicle :

1 C. I. L., V, 5267 : [L.] Calpurnius L. f. Ouf. Fabratus VI vir, III vir


i. d. praef. Fabr.., trib. iterum leg. XXI Rapac., [pr]aef. cohortis VII Lusitan.
[et] nation. Gaetulicar. sex quae sunt in Numidia, [f]lam. Divi. Aug., patr.
munic. t. f. i. (3).

2 Ann. pigr., 1896, 10 : Publilio L. f. Fa[b.] (ou Fa[l.]) Memoriali


[p]raef. fabr., [p]raef. coh. III [C]yreneicae sagittarior., [tr]ib. milit. leg. X
Fretensis, [pra]ef. gentis Numidar., dilictat. [tir]onum ex Numidia Iecto[r.],
[leg.] Aug. in Africa, item..., item Ferrat[ae] (4).

3 C. I. L., VI, 3103 2 : Soli, Lunae, Apollini, Dianae, Ti. Claudius


____________________
(1) Mommsen, Gesammelte Schriften, VI, p. 150.
(2) Sur les praefecti gentium, cf. parmi les travaux les plus rcents :
J. Maurice, Mm. des Antiq. de France, LV, 1894, P. 31 et suiv. ; Schulten,
Rhein. Museum, L, 1895, p. 509 et suiv., surtout p. 543 ( lopinion duquel,
dailleurs, je ne saurais me rallier) ; Vaglieri, Notizie degli Scavi, 1895, p.
342 et suiv. ; Ruggiero, Dizion. epigr., s. v gens (III, p. 484).
(3) Ce texte date du 1er sicle. Cf. ci-dessus, p. 204.
(4) Le personnage fut procurateur de lempereur Vespasien en Corse.
Cf. Prosop. imp. rom., III, p. 107, n. 784.
264 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Polio proc. Aug. XX hereditatium, proc. Alpium Graiarum, flamen Car-


mentalis, [praef.] gentium in Africa, praef. alae. Flaviae militari[ae] (1).

4 C. I. L., VIII, 5351 : T. Flavio. T. f. Quir. Macro. II vir., fla-


mini perpetuo Ammaedarensium, praef. gentis Musulamiorum, curatori
frumenti comparandi in annona[m] urbis facto a divo Nerva Trajano,
proc. Aug. praediorum saltum Hiponiensis et Thevestini, proc. Aug.
provinciae Siciliae ; munici[pes] municipi (2),

5 C. I. L., VIII, 9327 : Diis Mauricis, M. Pomponius Vitellianus


tribus militiis perfunctus, proc. Aug. ad curam gentium, praef. classis
Germanicae (3).

6 C. I. L., VIII, 10500 (cf. p. 2113) : L. Egnatuleio P. f. Gal.


Sabino pontific. Palatuali, proc. Aug. XXXX Galliarum, proc. Aug. ad
epistrategian Thebaidos, proc. Aug. ad census accipiendos Macedoniae,
praef. gentis Cinithiorum, trib. Ieg. IIII Scythicae, tr[ib. leg...] Gemi-
nae, flam., aug. c[ol...], Egnatuleia P. f. Sabina f[ratri], L. Egnatuleius
Sabinus t[utori...], Calidius Proculus avoncu[lo] (4).

7 C. I. L., VIII, 9195 : [D]iis deabusque consecratis u[niversis],


numini Jovi[s], Silvan[o], Fortunae, Victoriae Caesss, Diis Mauris, M.
Furnius Donatus eq. [r.], fl. p. p., ex praef. g(entis ?) Masat or i ..
cum suis fecit e[t dedicav]it (5).
____________________
(1) Le personnage est mentionn par Pline le Jeune (Epist., VII, 31).
(2) Inscription contemporaine de Trajan.
(3) Inscription antrieure Septime Svre cause de la mention des
tres militiae, qui fait place, au IIIe sicle, aux quatuor militae.
(4) Ce texte appartient probablement au IIe sicle ; il est postrieur la
date o Thysdrus devint colonie, date qui serait le IIe sicle, suivant le Cor-
pus (VIII, p.12), ou le rgne dAuguste, suivant M. Kubitschek (Imper. ro-
man. tributim discriptum, p. 137), et probablement antrieur au IIIe, cause
de llgance des lettres, qui sont fort belles. La mention de la tribu conduit
peu prs la mme conclusion, comme aussi le fait que les milices questres
gres par le personnage sont des tribunats lgionnaires. Cf. Hirschfeld, Die
Kaiserlich. Verwaltungsbeamten, p. 420, note 1.
(5) Le mot Caesss, martel, date ce texte du rgne de Septime Svre
et de ses fils.
TROUPES IRRGULIRES DE LARME DAFRIQUE. 265

On voit que ces diffrents personnages sont dsigns,


tantt comme praefecti gentis ou gentium, tantt comme pro-
curatores ad curam gentium, titres qui doivent tre considrs
comme quivalents, ne serait-ce que parce que le rang de ceux
qui les portent est exactement le mme : les uns comme les
autres sont des chevaliers romains, ayant obtenu ou exerant
encore un de ces commandements que lon dsignait sous le
nom de milices questres . La seule diffrence qui existe
entre ces deux expressions, cest que lune est plus prcise
que lautre. Le titre de praefectus est gnralement accompa-
gn du nom de la tribu ou des tribus sur lesquelles le prfet a
autorit ; ce qui narrive pas pour le titre plus comprhensif
de procurator ad curam gentium.
Il est vident que ces officiers avaient autorit sur les tri-
bus indignes(1) ; mais cette autorit nest dfinie nulle part. On
serait tent de les rapprocher des praepositi limitum du Bas-
Empire : on saisirait ainsi le dbut dune institution qui aurait,
dans la suite, pris un certain dveloppement, ou plutt sur la-
quelle nous aurions plus de donnes pour lpoque postrieure
Diocltien. Il semble pourtant que ce rapprochement soit plutt
apparent que rel. Les renseignements que lon possde sur les
gentes dAfrique et qui sont, pour la plupart, contemporains
des inscriptions cites plus haut, cest--dire du IIe sicle
nous les montrent non seulement tablies la frontire, mais
aussi rparties dans lintrieur du pays et mme dans la province
snatoriale dAfrique, soit quelles y fussent fixes depuis long-
temps, soit quelles y eussent t transplantes ou admises par
les Romains victorieux. Tissot a consacr quelques pages ces
tribus africaines et leurs diffrents emplacements(2) ; on y voit,
____________________
(1) Servius, ad Aen., IV, 242 : Praefecti gentium Maurarum cum
fiunt virgam accipiunt et gestant.
(2) Gographie compare de la province dAfrique romaine, I, p. 449
et suiv.
266 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

par exemple, que les Nattabutes, sous Commode, occupaient


au sud de Guelma les environs dOum-Guerriguech(1) ; que les
Suburbures, au temps de Caracalla, habitaient la rgion entre
Constantine et Stif(2). Il y avait des Numidae auprs du Kef,
Henchir-Guergour, lpoque de Tibre(3) ; plus tard, on en trou-
ve dautres prs de Thubursicum Numidarum(4) et aussi dans les
plaines de Zouarin(5), toutes rgions parfaitement pacifies et
loignes du limes. De mme, parmi les tribus nommes dans
les inscriptions relatives aux praefecti gentium, il en est qui
taient tablies assez loin de la frontire. Si les Cinithii, voisins
de la petite Syrte, et les nationes Gaetulicae du texte n1, peu-
vent tre considres comme des tribus du limes, il nen est pas
de mme des Musulamii. Ils habitaient, au moment o a t r-
dig le texte n 4, au dbut du sicle, les plaines qui stendent
entre Guelma et Thala(6). La Table de Peutinger(7) nous montre
mme une fraction de la tribu fixe entre Stif et Cirta.
Par consquent, la fonction du praefectus gentis existait
mme en dehors de la zone frontire. M. Henzen a prononc
depuis longtemps, propos de ces prfets(8), le mot d officiers
de bureaux arabes , qui me parat caractriser trs heureuse-
ment les fonctions qui leur taient confies. Il a montr, au reste,
que ce ntait pas l une singularit dans le monde romain(9) et
quon pouvait signaler des officiers de mme espce en M-
sie et en Triballie, dans les Alpes-Maritimes(10) et sur dautres
____________________
(1) C. I. L., VIII, 4826.
(2) Ibid., 10335. Cf. ce que jai crit ce sujet dans les Mlanges Boissier,
p. 99 et suiv.
(3) C. I. L., VIII, 15775.
(4) Ibid., 4484 ; Ann. pigr., 1905, 10 et 11.
(5) C. I. L., VIII, 16352.
(6) Cf. plus haut, p. 5.
(7) Table de Peutinger (dit. K. Miller), II, 5, et III, 1.
(8) Annali, 186o, p. 52.
(9) Ibid., p. 51.
(10) C. I. L., V, 1838, 1839 : Praef. civitatium Maesiae et Triballiae, praef.
civitatium in Alpibus Marituinis.
TROUPES IRRGULIRES DE LARME DAFRIQUE. 267

points encore, o lempereur devait faire administrer militai-


rement certains districts, cause de la nature remuante des ha-
bitants(1). En Afrique, les gentes ne pouvaient pas videmment
tre laisses elles-mmes ; leurs chefs indignes devaient avoir
besoin de la mme surveillance que nos cads ou nos cheiks ;
ctait aux officiers romains mis leur tte que revenait le soin
de les maintenir dans le devoir. En mme temps, ils avaient
sassurer que la tribu remplissait les obligations qui lui taient
imposes par Rome, cest--dire quelle payait les impts ou
fournissait les contingents demands. Il est assez remarquable
que, parmi les quatre gentes o les inscriptions nous signalent
des prfets, deux donnaient larme des troupes auxiliaires
rgulires ; car on connat des alae Gaetulorum(2) et une co-
hors Musulamiorum(3). Le recrutement de ces troupes devait
tre une des principales fonctions des prfets ; le texte cit
plus haut sous le n 2 est, cet gard, particulirement intres-
sant, puisquil nous montre un prfet de la gens des Numides
faisant fonction de dilectator tironum en Numidie. Quand la
tribu ntait pas appele fournir directement des soldats
larme romaine, on sadressait elle indirectement ; on y or-
ganisait des escadrons on des compagnies dirrguliers qui,
un moment donn, marchaient avec larme doccupation du
pays(4) et qui pouvaient mme tre envoys hors dAfrique en
expdition(5). Ces milices avaient aussi comme mission, tout
____________________
(1) Sur le titre de praefectus donn en pareil cas aux procurateurs, voir,
outre le travail dHenzen, Mommsen, Staatsrecht, III, p. 557, et note 3 ; Hirsch-
feld, Die kaiserlich. Vewaltungsbeamten, p.382 ; Schulten, Rhein. Museum, L,
p. 543 ; Waltzing, Muse belge, 1902, p. 98 et suiv.
(2) Plus haut, p. 237.
(3) Plus haut, p. 245.
(4) Nous voyons figurer dans lordre de bataille que nous a conserv Arrien,
pour lan 137 et pour la province de Cappadoce, les troupes allies,
( , 7, 14, 29). Cf. Mommsen, Gesammelte Schriften, VI, p. 148.
(5) Cest ainsi quon trouve des cavaliers Maures dans larme de Trajan
en Dacie (Dio, LXVIII 32 ; cf. Frhner, La colonne Trajane, d. in-8, p. 113) ;
268 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

naturellement, celle de protger le pays o la tribu tait ta-


blie, soit dune faon permanente, comme les Zimizes qui
avaient la garde dun fort voisin dIgilgili(1), soit en cas de
besoin, si la contre venait tre attaque par les tribus voi-
sines. Une inscription nous a gard le nom dun personnage,
M. Aurelius Honoratianus, qui se mit la tte des Suburbures
dans un cas pareil et dfendit sa gens avec succs(2).
Ainsi larme doccupation du pays et surtout, sans dou-
te, celle de Maurtanie se compltaient dun effectif nom-
breux dirrguliers qui, sans avoir des cadres solides taient
du moins assez organiss pour pouvoir tre levs en cas de
besoin et prendre la campagne(3). La colonne Trajane nous a
gard limage des cavaliers Maures que commandait Lusius
Quietus dans la guerre de Dacie ; nous avons reproduit ci-con-
tre le fragment du monument o ils sont figurs(4). On les y voit
charger lennemi sur leurs petits chevaux, quils montent sans
selle et sans bride, lafricaine(5) ; ils ont pour tout vtement
une pice dtoffe enroule autour du corps de faon former
____________________
dans celle de Marc-Aurle (Lucian., Quomodo historia sit conscribenda, 31),
dans celle que Macrin envoya contre lagabal, proclam empereur mse
(Dio, LXXVIII, 32), et dans celle de Svre Alexandre (Herodian., VII, 2, 1,).
(1) C. I. L., VIII, 8369
(2) Ibid., 8270 : M. Aur. Honoratiano, Concessi filio, Suburburi, defen-
sori gentis, viro forti ac fidelissimo. A ct de cela, nous voyons les Austuriens,
au temps dAmmien, faire des incursions en Tripolitaine et pousser jusquaux por-
tes de Leptis Magna, sans quon ait de forces locales srieuses leur opposer.
(3) Sur les milices de cette sorte, dans tout le monde romain, voir Momm-
sen, Gesammelte Schriften, VI, p. 145 ;J. Jung, Wiener Studien, 1889, p. 153 et
suiv. ; A. Stappers, Les milices locales de lEmpire romain (Revue belge, 1903,
p. 198 et suiv., 301 et suiv. ; 1905, p. 5 et suiv.).
(4) Les clichs qui ont servi excuter lhliogravure appartiennent au Mu-
se de Saint-Germain. M. Salomon Reinach a bien voulu mautoriser en profiter.
(5) De Bell. Afric., 19 : Numidae sine frenis ; Luc., Phars., IV, 682:
Et gens quae nudo residens Massylia dorso
Ora levi flectit frenorum nescia virga.
Cf. aussi Virg., Aen., IV, 41 : Numidae infreni et Oppian., Cyneg., I. 289 ; IV, 47.
TROUPES IRRGULIRES DE LARME DAFRIQUE. 269

une sorte de tunique courte, attache sur chaque paule par


une agrafe et serre la taille : cest le costume que les Ara-
bes de la campagne portent encore aujourdhui ; cest ga-
lement celui que les graveurs ont attribu la Maurtanie
sur les mdailles qui la reprsentent(1). Mais ce qui les ca-
ractrise surtout, ce sont les boucles de cheveux frises qui
retombent tout autour de leur tte(2). Comme armes, ils nont
quune lance, sans doute autrefois peinte sur le marbre de la
colonne, aujourdhui efface, et un petit bouclier. Tels taient
assurment les goumiers que lEmpire employait en Mau-
rtanie.
Mais il pouvait arriver aussi que des villes fussent obli-
ges de tenir tte des attaques, soit que lincursion des enne-
mis ft tellement rapide que les troupes impriales neussent
pas le temps de la prvenir, soit que le pays entier ft soulev,
et par suite les troupes rgulires occupes ailleurs. En pareille
circonstance, il fallait bien que les habitants prissent part la
dfense. On a souvent cit(3) et jai eu moi-mme loccasion
dtudier(4) un passage de la loi municipale de la colonia Geneti-
va(5), qui autorise, dans des cas analogues, le magistrat suprme
armer les citoyens et les incolae, et en prendre le comman-
dement. Cette disposition lgale reut assurment plus dune
____________________
(1) Cf. Cohen, Monnaies impriales, II, p.323, nos 551, 551, 552, 553.
(2) Strab., XVI, p. 28 : .
(3) Giraud, Les bronzes dOsuna, p. 26 ; cf. Remarques nouvelles sur les
bronzes dOsuna, p. 23 et suiv. ; Duruy, Hist. des Romains (in-4), VI, p. 667.
(4) De municipalibus et provincialibus militiis in imperio romano, p. 51.
(5) Lex col. Genet., CIII : Quicumque in colonia Genetiva duumvir
praefectusve j. d. praeerit, cum colonos incolasque contributos quocumque
tempore coloniae finium tuendorum causa armatos educere decuriones cen-
suerint... it ei sine fraude sua facere liceto. Eique duumviro aut quem duumvir
armatis praefecerit idem jus eademque animadversio esto uti tribune militum
populi romani..., itque ei sine fraude sua facere liceto jus potestasque esto,
dum it quit major pars decurionum decreverit qui tum aderunt fiat.
270 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

fois son application en Afrique, surtout en Maurtanie, o des


soulvements et des incursions, ou, pour employer le langage
des inscriptions, le tumultus gaetulicus(1) tait constamment
craindre.
Les cits mme de la cte y taient exposes, tmoin Car-
tennas, qui fut surprise un jour par une irruption des Baquates
de Tingitane(2) et qui dut son salut la rsistance quopposrent
les habitants, sous les ordres dun des duumvirs, C. Fulcinius
Optatus(3). Des faits analogues se sont produits en Algrie(4) !
Sil en tait ainsi dans les parties relativement civilises de
la province, quelle ne devait pas tre lincertitude au milieu de
laquelle vivaient les colons et les grands propritaires habitant
les montagnes et les contres encore sauvages de lintrieur !
Aussi leur avait-on octroy le droit de fortifier leurs domaines
et de sy crer comme des camps retranchs(5). Nous dcrirons
____________________
(1) C. I. L., VIII, 6958.
(2) Sur lemplacement quoccupaient les Baquates, cf. C. I. L., VIII,
9663 ; Tissot, Gographie de lAfrique romaine, I, p. 463.
(3) C. I. L., VIII, 9663: C. Fulcinio M. f. Quir Optato flam. Aug. II vir
qq. pontif. II vir augur aed. qu[ae]stori qui inrup[ti]one Baquatium co[l]oniam
tuitus est. [tes]timonio decreti ordinis et populi, Cartennitani et incolae primo
ipsi nec ante ulli, acre conlato. On remarquera que le monument est lev
par les habitants et les incolae, ce qui rpond parfaitement au paragraphe de
la lex col. Genetivae, cit plus haut. On a voulu voir dans une inscription de
Sidi-Brahim (C. I. L., VIII, 21452) la trace dun fait analogue, mais telle nest
pas la porte du document. Cf. le commentaire qui suit le texte au Corpus.
(4) Sans remonter plus haut que la rvolte de 1871, na-t-on pas vu
envahir alors par les Arabes un grand nombre de villes, mme de la cte,
comme Bougie et Djijelli, et les habitants obligs de recourir aux armes ?
(5) C. I. L., VIII, 8209 (entre Constantine et Mila) : ln his praediis
Caeliae Maximae c. f. turres salutem saltus ejusdem dominae meae consti-
tuit Numidicus ser. act. Ibid., 21531 : In his praediis M. Aureli Vasefanis
v. p. castram selle cuiusque commodum laboribus suis filiis nepotibusque
suis abituris perfecit. Coepta nonas Februarias, [a]n. p. ccc. Le fundus
cit par Ammien Marcellin (XXIX, 5, 25), muro circumdatus valido, est une
ferme fortifie de cette sorte.
TROUPES IRRGULIRES DE LARME DAFRIQUE. 271

plus loin en dtail quelques-unes de ces habitations, sur les-


quelles La Blanchre a appel le premier lattention(1). Il
convient de rechercher ici seulement quels taient les dfen-
seurs chargs de protger ces fortifications prives. La Blan-
chre a parfaitement reconnu que tous ces postes dissmins
dans le pays nont pas pu tre occups par les troupes rgu-
lires ; mais il lui semble difficile que lempereur nait pas
tenu lensemble de ces fortins dans sa main , et il entrevoit
comme une combinaison de lindpendance seigneuriale et
du commandement imprial (2), ce qui revient dire que les
colons ou les serviteurs des grands propritaires devaient tre
constitus en une force peu prs permanente et rgulire,
cest lexpression propre de La Blanchre , sur laquelle
le gnral en chef avait quelque autorit, de faon pouvoir,
un moment donn, lui assigner un rle dans la dfense g-
nrale dune rgion. Il est difficile de condamner absolument
cette conception, faute de preuves contraires formelles ; mais
il ny a, semble-t-il, aucune raison non plus pour ladopter.
Une organisation comme celle que conoit La Blanchre
me semble mme assez contraire toutes les habitudes du r-
gime imprial. Les empereurs nont laiss se former, dans les
provinces, des troupes armes, gardes civiques, municipales
ou de quelque nom quon les appelle, que le moins possible
et lorsquils ne pouvaient lempcher ; on est tonn du petit
nombre de milices de cette sorte que lon rencontre dans toute
ltendue de lEmpire(3) ; il y a l non leffet du hasard, mais
le rsultat dun systme trs voulu et trs suivi. En ralit, on
____________________
(1) Voyage dtude dans une partie de la Maurtanie Csarienne, p.
116 et suiv.
(2) Ibid., p. 123 et 124.
(3) Cf. mon travail sur les milices municipales et provinciales dj
cit, et ce que jai crit ce sujet dans le Dict. des Antiq. de M. Saglio, s. v
Militiae municipales.
272 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

redoutait toujours des rvoltes, et lon tenait ne point leur


laisser, si elles clataient, la possibilit matrielle de russir.
Comment supposer, ds lors, quon ait tolr dans des pays
moiti soumis la prsence de forces quasi-militaires per-
manentes, entre les mains de propritaires ou de seigneurs
qui pouvaient, un moment donn, faire alliance avec des
rebelles ? Cet t exposer la province des dangers autre-
ment plus srieux que le soulvement de quelques tribus
mcontentes ou lincursion de pillards. Mais, dun autre
ct, il fallait que les colons exposs en premire ligne
ces mouvements ou ces incursions pussent se dfendre en
attendant larrive des troupes rgulires. Pour cela, il suf-
fisait videmment que la maison du matre ft solidement
btie et quon y tint toujours amasss des armes, des muni-
tions et des approvisionnements. Ctait l une permission
que lempereur devait aisment accorder, mais quil fallait
lui demander(1).
En temps ordinaire, il tait assez de quelques gardes pour
faire la police du domaine et donner la chasse aux maraudeurs ;
ds quil survenait une alerte srieuse, les paysans se rfugiaient
dans la maison fortifie du propritaire avec les troupeaux ;
chacun sarmait, les gardes prenaient la direction de la troupe,
et lon tenait tte comme on pouvait aux agresseurs, jusquau
moment o le poste le plus voisin, prvenu par un systme de
signaux dont nous parlerons plus loin, accourait au secours
des assigs. Cest ainsi que les colons se sont dfendus long-
temps en Algrie et quon se dfendrait encore au besoin. Il
____________________
(1) On sait que dfense tait faite aux particuliers de porter des
armes sans la permission de lempereur (Cod. Theod., XV, 15, avec le
commentaire de Godefroy. Cf. Synesius, Epist., 107:
). Les Africains nont eu le droit davoir des
armes, tous sans exception, qu larrive des Vandales, en 440 (Novel.
Theod., 20).
TROUPES IRRGULIRES DE LARME DAFRIQUE. 273

nest pas de grand propritaire europen qui nait dans sou


Bordj une douzaine de fusils avec une provision de cartou-
ches, pour faire le coup de feu contre les Arabes et rsister
jusqu ce quon puisse lui prter main-forte. Mais on na ja-
mais accord des colons la permission denrler et dentre-
tenir des forces permanentes, mme minimes. Une semblable
autorisation dpasserait de beaucoup les droits de la dfense
et serait une grave imprudence. Il nest pas probable que, plus
que nous, les Romains ne laient jamais commise.
En rsum, les seules milices irrgulires qui aient exis-
t en Afrique, lpoque romaine, taient les goums indig-
nes. Les citadins ou les colons ne sarmaient quen face de
dangers tout fait exceptionnels et pour un temps trs court ;
ces troupes, sans organisation durable, disparaissaient avec le
pril qui les avait fait natre.
274 ARME ROMAINE DAFRIQUE.
ESCADRE DAFRIQUE. 275

CINQUIME PARTIE.

LESCADRE DAFRIQUE.

I. COMPOSITION DE LESCADRE.

Les ennemis venant du Sud et ceux qui habitaient dans


lintrieur du pays soumis ntaient pas les seuls que les Ro-
mains eussent combattre en Afrique : il y avait aussi les pi-
rates de la cte, et, par-dessus tout, ceux du Rif en Tingitane,
que lon ne parvint jamais soumettre. Il ntait pas rare de les
voir slancer sur mer et profiter dun moment favorable pour
oprer une descente soit la cte de Maurtanie(1), soit sur celle
de la Btique, plus riche encore(2). Aussi lEmpire se trouva-t-
il oblig dentretenir de ce ct une flotte, pour couvrir par le
Nord les provinces africaines, comme il les gardait par le Sud,
et pour pouvoir jeter un moment des troupes aux points me-
nacs. Lescadre dAfrique tait lauxiliaire obligatoire de lar-
me doccupation ; elle continuait sur mer luvre accomplie
sur terre par les garnisons de Numidie et surtout de Maurta-
nie. On a mis au Corpus(3), au sujet de cette escadre, la sup-
position, assez tentante au premier abord, que ce pouvait tre
la classis nova Libyca, signale dans un texte pigraphique(4).
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9663.
(2) Calpurnius, Egl., IV, 40 : trucibus obnoxia Mauris ; C. I. L.,
II, 4114 : leg. Augg. pr. pr. provinc. H(ispaniae) C(iterioris) et in ea dux
terra marique ad-versus rebelles h(omines) h(ostes) p(opuli) r(omani) . Cf.
Mommsen, Hist. rom., XI, p. 278, note 1 de notre traduction.
(3) C. I. L., VIII, p. XXII.
(4) Ibid., 7030 (entre les annes 180 et 188).
276 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Mais Ferrero, qui lon doit sur cette question un travail dfi-
nitif(1), a fait observer que la flotte nomme libyque devait
tre bien plutt destine garder la cte du pays appel pro-
prement Lybie, cest--dire la rgion qui stend entre lAfri-
que propre et lgypte, la Cyrnaque et la Marmarique, et
que lon aurait certainement distingu par lpithte Africana
ou Numidica une escadre qui aurait crois sur les ctes de
Numidie ou dAfrique. On comprend que lon dsigne par le
nom de Libya, dans une pitaphe versifie, le pays africain
en gnral, mme la Maurtanie(2) ; mais, dans le langage ad-
ministratif, ce mot ne pouvait sentendre que dune province
spciale, celle qui une telle dnomination tait officiellement
applique(3). Il faut dailleurs noter que le texte qui nous fait
connatre la flotte libyque est unique, quil a t trouv
Constantine, cest--dire loin de la mer, et, ce qui est plus gra-
ve encore, quil dsigne cette flotte sous le nom de nova. Le
document tant de lanne 180, lexistence de lescadre quil
nous rvle ne peut gure remonter plus haut que le milieu du
IIe sicle ; par suite, sil ny en avait pas dautre pour garder la
cte dAfrique, celle-ci serait demeure pendant un sicle et
plus sans dfense. Ce sont l des faits qui mritent rflexion(4).
____________________
(1) Ricerche nuovo intorno all ordinamento delle armate, p. 58 et
suiv. ; Bull. des Antiquits africaines, 1884, p. 157.
(2) Inscriptions trouves Cherchel : C. I. L., VIII, 21031 : Baetica
me genuit telus ; cupidus Libuae cognoscere fines, Caesarae(am) veni. ;
21303 : [h]unc Libuae genuit tellus eademq[ue recepit].
(3) La cration des provinces de Libya Superior et Libya lnferior re-
monte Diocltien (cf. Marquardt, Rm. Staatsverwaltung, II, p. 457) ; mais
Ferrero pense avec raison que le pays se nommait ainsi, gographiquement
du moins, ds le IIe sicle.
(4) La classis libyca na rien de commun non plus, ainsi que la tabli
Ferrero (Bull. des Antiq. afric., 1884, p. 177), avec la flotte que Commode
institua pour le transport du bl dAfrique Rome, substituant ainsi, comme le
prouve une inscription dOstie, une institution dtat ce qui tait auparavant
abandonn A linitiative prive. Cf. Audollent, Carthage romaine, p. 359.
ESCADRE DAFRIQUE. 277

Dun autre ct, parmi toutes les inscriptions africaines


relatives des flottes autres que celles de Misne, de Ravenne,
de Pannonie ou de Germanie, qui nont videmment jamais
t employes dfendre lAfrique, neuf ont t trouves
Cherchell et deux Bougie(1) : ce nest certes pas leffet du
hasard, ces deux villes tant des ports importants aussi bien
lpoque romaine quaujourdhui. Or ces textes ne contien-
nent la mention que de deux flottes, celle de Syrie et celle
dAlexandrie. Tantt ces deux flottes sont runies, comme
dans les inscriptions relatives aux amiraux, dans celle de Ae-
lius Marcianus, praepositus classis Syriacae el Augustae(2), et
dans celle de Ti. Claudius Priscianus, qui est dit praepositus
classibus(3) ; tantt, au contraire, elles sont cites lune lex-
clusion de lautre, ce qui arrive lorsquil est question dof-
ficiers ou de soldats ; ainsi nous connaissons la tombe dun
Crescens Silvani, miles classis Syriacae(4), et celle dun Ti.
Claudius Aug. I. Eros, trierarchus liburnae Nili, exactus clas-
sis Augustae Alexandrinae(5). En rapprochant tous ces faits,
Ferrero a tabli ce qui parat hors de doute que la flotte qui
dfendait lAfrique ntait pas une flotte spciale, mais une
division des flottes de Syrie et dAlexandrie, dont chacune
concourait former lescadre africaine. De l ces pitaphes
de soldats et dofficiers appartenant aux deux flottes, trouves
ct lune de lautre ; de l aussi le titre donn lamiral
commandant, qui, au lieu dtre un praefectus comme tous les
autres, est appel praepositus : un prpos est, nous lavons
dj dit, un chef provisoire et irrgulier.
Un des textes mentionns plus haut nous fait connatre
____________________
(1) Elles sont rassembles dans le travail de Ferrero (Bull. des Antiq.
afric., 1884, p. 173).
(2) C. I. L., VIII, 9358.
(3) Ibid., 9363.
(4) Ibid., 9385.
(5) Ibid., 21025.
278 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

un trirarque de la flotte dAlexandrie qui se nommait Ti.


Claudius, Aug. l., Eros(1). Ctait donc un affranchi imprial. En
supposant que lempereur dont il tait prcdemment esclave
ft Nron, le dernier empereur qui se soit appel Ti. Claudius,
linscription serait au plus tard du temps des Flaviens, et par
suite la cration de lescadre dAfrique serait au moins de cette
poque ; mais il se peut quelle soit antrieure. Aussi M. H-
ron de Villefosse a-t-il suppos(2) qu la mort de Ptolme,
ou peut-tre au dbut du rgne de Claude, une division de la
flotte dAlexandrie avait t envoye sur les ctes de Maurta-
nie pour appuyer larme romaine pendant les deux annes de
lutte qui prcdrent la pacification du pays : telle serait lori-
gine de la flotte permanente de Maurtanie(3). La flotte de Syrie
nous tant dj connue sous Hadrien(4), on peut croire que la
flotte mixte africaine existait, dans ltat o nous la trouvons
plus tard, au moins depuis le dbut du 1er sicle.
Du fait que tous les textes africains relatifs cette esca-
dre ont t trouvs en Maurtanie, et que le plus grand nombre
dentre eux sest rencontr Cherchell, o lon signale des sta-
tues leves deux amiraux, il rsulte que la flotte tait sous
lautorit du gouverneur de la Maurtanie Csarienne(5), cest-
____________________
(1) C. I. L., VIII, 21025.
(2) Bull. des Antiq. Afric., 1882, p. 20.
(3) La Blanchre (De rege Juba, p. 151) conjecture, au contraire, que
la flotte romaine de Maurtanie ne fut dabord que la flotte des rois du pays
transforme par les Romains.
(4) C. I. L., VIII, 8934 : Sex. Cornelio Sex. f. Arn. Dextro proc.
Asiae... praef. classis Syr(iacae) donis militaribus donato a Divo Hadriano
ob bellum Judaicum, praef, alae I Aug. Gem. Colonorum patrono colo-
niae, P. Blaesius o leg. II Trajan. Fortis adfini piissimo. Ce personnage a
sans doute fait partie de la flotte de Syrie au moment de la guerre de Jude ;
mais cest plutt comme prfet de lala colonorum quil a t dcor.
(5) On remarquera que, pour percer laqueduc de Bougie, le procu-
rateur de Maurtanie fait appel des hommes de la flotte ; cest dj une
preuve quils taient rangs sous ses ordres (C. I. L., VIII, 2728).
ESCADRE DAFRIQUE. 279

-dire quelle tait charge de protger surtout la partie occi-


dentale de la Mditerrane, la seule qui ft srieusement ex-
pose. Comme les ctes de la Numidie et de la Proconsulaire
navaient gure craindre dattaques par mer, il tait inutile
de leur affecter une escadre particulire ; au besoin, en cas de
danger inattendu, le lgat de Numidie pouvait faire appel
son collgue de Maurtanie et obtenir de lui lenvoi de quel-
que navire.
Il nest pas sans intrt non plus de remarquer et
cette observation confirme les prcdentes que les deux
seuls amiraux que nous connaissions avaient t auparavant
officiers dans les troupes de Maurtanie. Le premier, Ti. Cl.
Priscianus(1), avait command la cohorte des Sicambres ; le
seconde(2), laile des Thraces et laile Gemina Sebastene. On
choisissait donc, semble-t-il, pour mettre la tte de lesca-
dre, un officier qui connaissait le pays et les ennemis quil
tait expos combattre.
Cette division, destine surtout la poursuite des pirates
et la surveillance des ctes, bien plus quau combat, devait
tre videmment compose de croiseurs rapides et non de gros
vaisseaux ; aussi les seuls officiers dont on ait trouv la trace
sont-ils des trirarques, qui commandaient, comme on le sait,
les trirmes et les liburnes, tandis que les capitaines des quadri-
rmes, des quinqurmes et des hxres se nommaient navar-
ques(3). De mme, le seul navire qui soit signal est une liburne,
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9363 : Ti. Cl. Prisciano... proc. provinciae Q... n...
iorius Severus praef. Coh. Sigambrorum praepositus classibus.
(2) Ibid., 9358: P. Aelio P. fil. Palatina Marciano praef. al. II Aug.
Thracum, praeposito al. Gemin. Seba[sten.] praeposito classis Syriacae et
Augustae praef. classis Moesinticae, C. Caesius Marcellus veter. ex dec. al.
II Thracum.
(3) Cf. Mommsen, dans le C. I. L., X, 3340 ; Ferrero, Lordinamento
delle armate, p. 39.
280 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

le Nil, de la flotte dAlexandrie(1). Dailleurs, le port militaire


rserv la division navale maurtanienne ne pouvait gure,
comme on va le voir, donner accs de gros vaisseaux.
Toute flotte, en effet, a besoin dun port dattache o
elle puisse se rfugier, le cas chant, pour se mettre labri
du gros temps, pour rparer ses avaries ou refaire ses appro-
visionnements, et qui soit le centre du commandement et de
ladministration. Ce qui vient dtre dit sur les textes relatifs
lescadre de la Maurtanie prouve que son port dattache
tait Cherchell. Le fait rsulte aussi de lexamen de la ville
antique et de ses restes. On y a signal depuis longtemps les
traces dun vaste port(2) ; le plan en est figur sur la planche ci-
jointe. Nous lavons dress en partie laide de celui que Ra-
voisi a donn dans son ouvrage(3), en partie daprs les rele-
vs faits en 1841 par Richard, chef de timonerie, capitaine du
____________________
(1) C. I. L., VIII, 21025.
(2) Cf. surtout de Verneuil et Bugnot, Rev. afric., 1870, p. 134 et suiv. Jai
retrouv dans les papiers indits de L. Renier (dossier XLI, liasse 17) une lettre
signe D, qui contient quelques renseignements sur les ports de Cherchel ; en
voici les parties les plus importantes :
Le port antique occuppait (sic) le mme emplacement que le port actuel
: il tait divis en deux parties, un port extrieur et un port intrieur qui com-
muniquait avec le premier par un goulet fort troit, quon a retrouv en 1847,
lors de ltablissement du port actuel Le port extrieur tait form par deux
jettes (sic) : lune, celle de lest, partait du rivage en face du bureau arabe, se
dirigeait au nord-ouest et allait sappuyer un massif rocheux qui existe encore
en partie ; lautre, beaucoup moins longue, partait de lilot et courait au nord-est
vers un autre massif, qui sert aujourdhui de musoir la jette nouvelle.
Llot qui abrite ces deux ports tait aussi garni de fortifications dont on
a retrouv les vestiges en construisant la plage et la batterie actuelle, qui occup-
pait lemplacement dun fort lev au XVe sicle et dtruit en 1849.
A louest, vis--vis la proprit du capitaine Thiry, des substructions
encore trs apparentes dans la mer font penser beaucoup de personnes que l
existait aussi un port destin aux barques ou autres btiments lgers ; mais cela
parait fort obscur, vu que cette partie de la cte, ouverte aux vents douest et
sud-ouest, na jamais pu offrir dabri sr aux navires.
(3) Explor. scient. de lAlgrie (architecture), vol. III, pl. XXIV. La plan-
che XXV contient une vue du port vers 1840.
ESCADRE DAFRIQUE. 281

Massufran, et en 1843 par Giret, ingnieur des Ponts et Chaus-


ses(1). Ces travaux permettent de se rendre compte de la fa-
on dont le port de Cherchell tait amnag.
Comme celui de Carthage(2), il tait double, ou plutt il
existait deux ports distincts, le port marchand et le port mili-
taire. Pour construire lun et lautre, on avait tir parti dune
petite le qui stendait en face de la ville et formait un abri
naturel. Sur le plan dress par Ravoisi, cette le est rattache
au continent par une langue de terre ; mais la transformation
est due prcisment lensablement des ports depuis lan-
tiquit. Laspect seul du terrain le prouve, et lon ne devrait
pas hsiter admettre le fait, mme si les auteurs anciens
comme Strabon(3) et les voyageurs modernes comme Shaw(4)
nen portaient pas tmoignage.
Le port marchand avait t tabli entre cette le, que lon
a appele depuis lot Joinville, et la cte ; vers le Nord-Ouest,
il tait demi ferm par une jete dont Ravoisi a trouv lex-
trmit parfaitement visible sur un rocher voisin de llot, et
vers le Nord-Est par une autre, presque perpendiculaire la
premire, tablie sur une ligne de roches qui affleurent encore
aujourdhui en certains endroits(5). En ralit, il tait fort ex-
pos aux vents du large.
Le port militaire, au contraire, beaucoup plus petit, tait
trs bien abrit. Il ne communiquait avec le port marchand
que par un goulet assez troit (Ravoisi lui donne 10 m. 20,
____________________
(1) Ces documents lont partie des archives du Service hydrographi-
que de la Marine ; ils mont t obligeamment communiqus.
(2) Cf. Tissot, Gogr. de lAfrique romaine, I, p. 598, et Audollent,
Carthage romaine, p. 198 et suiv.
(3) Gogr., XVII, 3, 12, p. 831 : ...
.
(4) Voyage dans la rgence dAlger (trad. Mac-Carthy, 1831), p. 270.
(5) Revue africaine, 1870, loc. cit.
282 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

tandis que le plan de Giret indique peu prs 15 mtres) ; il


navait rien craindre des vents du Nord, du Nord-Est et du
Nord-Ouest, llot dans lequel il savanait comme un coin le
protgeant entirement de ce ct. A lOuest, un mur den-
ceinte, fortement tabli sur le rocher, le dfendait des coups
de mer. Les fondations de ce mur existaient encore en 1843 ;
les soubassements se distinguaient trs nettement de ceux qui
appartenaient la ligne intrieure des quais.
La forme du port tait celle dun hexagone trs irrgu-
lier. Shaw nous apprend quil existait tout autour des monu-
ments, dont il a aperu les dbris sous leau et dont il attribue
la destruction un tremblement de terre(1) : ctaient les restes
de larsenal et des magasins de la flotte. Les quelques traces
que Ravoisi et Giret en ont pu relever sont tout ce quon en
connatra jamais ; car la construction du port moderne a fait
disparatre le peu que le temps avait pargn. La profondeur
moyenne du bassin tait, suivant les uns, de 3m, 20(2) suivant
les autres, de 2m, 50 seulement(3). Ce dernier chiffre, qui est
tabli sur des sondages trs soigneusement faits et transmis
officiellement, mrite la prfrence.
____________________
(1) Shaw, op. cit., p. 270 : Le Cothon, qui communiquait avec la partie
occidentale du port, sert confirmer cette tradition ; car, quand la mer est basse
et calme, ce qui arrive souvent aprs les vents du Sud et dEst, on voit que le
fond de ce bassin est parsem de grosses colonnes et des fragments de murailles
qui ne peuvent y avoir t transports que par quelque grande commotion ter-
restre. Cf. Revue afric. (loc. cit.). Je pense que les assertions contenues en
abrg dans ce dernier article sont surtout le rsultat des dragages faits en 1847,
quand on creusa le port actuel. MM. de Verneuil et Bugnot nous apprennent
quon rencontra alors les carcasses de deus galres romaines, enfouies sous le
sable, qui ne tardrent pas tomber en pourriture au contact de lair.
(2) Rev. afric., loc. cit.
(3) Rapport de la Commission nautique cre en 1844 (Archives du
Ministre de le Marine) : La lance traverse successivement des couches de
galets, gravier, sable et vase, et ne rencontre largile et le tuf qui formaient
probablement le fond de lancien bassin romain, qu une profondeur varia-
ble de 2 m. 10 2 m. 70.
ESCADRE DAFRIQUE. 283

Enfin on a signal, sur llot, des travaux de dfense qui


compltaient larmement du port militaire sa partie septen-
trionale(1).
Grce ces renseignements, si incomplets quils soient,
on pourrait peut-tre arriver se faire une ide(2) de limpor-
tance numrique de lescadre maurtanienne. En effet, il est
probable que le port de Cherchell devait tre suffisant pour
abriter cette escadre en cas de gros temps, les dimensions dun
port de guerre tant proportionnelles la flotte quil est destin
contenir ; le nombre de btiments que lon peut y faire entrer
nous donnera donc, approximativement du moins, celui des
vaisseaux de guerre que les Romains affectaient la dfense
de la cte. Or ces vaisseaux, nous lavons vu, ntaient pas
des trirmes, mais des liburnes deux rangs de rame ou mme
des bateaux plus petits. En adoptant les calculs de Graser(3),
et en admettant que les diffrences en longueur et en largeur
entre les liburnes et les trirmes taient les mmes que celles
qui existaient entre les trirmes et les quadrirmes et entre les
quadrirmes et les quinqurmes(4), on trouve quune liburne
devait mesurer 52 mtres de long sur 6 m, 50 de large. Des
btiments de cette taille ne pouvaient trouver place dans le
____________________
(1) Rev. afric., loc. cit.
(2) Je tiens prvenir le lecteur que pour cette partie de mon tra-
vail, qui rclame des connaissances toutes particulires, jai pris lavis et les
conseils clairs de M. le commandant Guyou, membre de linstitut.
(3) Graser accorde la trirme (De veterum re navali, p. 20) une lon-
gueur trs suprieure celle que lui reconnat M. Cartault (La trirme ath-
nienne, p. 245).
En adoptant le systme du premier, nous serons donc plutt au-dessus
de la vrit quau-dessous.
(4) Daprs Graser (op. cit., p. 41), la quinqurme mesure 61 mtres
de long, la quadrirme 58 mtres et la trirme 55 : le vaisseau diminuait donc
de 3 mtres par chaque rang de rame que lon supprimait. De mme, la quin-
qurme tait large de 10 mtres, la quadrirme de 8 m. 50 et la trirme de 7
mtres : soit 1 m. 50 de moins quand on descendait un type infrieur.
284 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

port de Cherchell, ailleurs que vis--vis la passe, accosts par


larrire au quai. Si donc lon tient compte de la distance quil
tait ncessaire de laisser entre chaque bateau accost pour
permettre les mouvements, soit un mtre, nous arrivons au
chiffre de treize liburnes, qui est videmment un minimum.
Nous nentendons donc pas donner ce rsultat plus dimpor-
tance quil ne convient(1) ; il faut pourtant reconnatre quun
pareil nombre de croiseurs tait suffisant pour permettre la
flotte maurtanienne de remplir le rle qui lui tait attribu
dans la dfense de lAfrique.
Au chef de lescadre de Maurtanie taient attachs des
employs du commissariat, chargs des critures ; naturel-
lement, quelques-uns dentre eux figurent sur des textes d-
couverts Cherchell. Ce sont : un commissaire, ayant grade
de trirarque, Ti. Claudius Aug. I. Eros, que nous avons dj
cit(2), et un employ infrieur, Insteius Victorinus, scriba
classis(3).
____________________
(1) On sait combien sont peu prcis les documents que nous avons
gards sur les vaisseaux romains et combien les auteurs modernes diffrent
entre eux sur les dtails. Cf. larticle de M. Cecil Torr, dans le Dict. des Antiq.
gr. et rom. de M. Saglio, s. v Navis.
(2) C. I. L., VIII, 21025. Comme ce personnage est nomm, sur lins-
cription, exactus classis Aug. Alexandrinae et non classium, si lon admet
qu cette poque lescadre de Maurtanie tait dj forme de vaisseaux
dtachs de la flotte dAlexandrie et de celle de Syrie, il faut supposer que ce
commissaire tait charg de la partie des critures relative aux navires de la
division dgypte. Sa situation nest pas aise dfinir. Cf. Ferrero, Ricerche
nuovo, p. 29
(3) C. I. L., VIII, 9379.
RGIME ADMINISTRATIF DE LARME DAFRIQUE. 285

SIXIME PARTIE.

RGIME ADMINISTRATIF ET LGAL DU CORPS DOCCUPATION.

Nous avons examin, dans les cinq parties prcden-


tes, la composition de larme doccupation dAfrique ; nous
avons numr les diffrents corps qui la constituaient, nous
avons tudi leur histoire et leurs effectifs. Nous nous som-
mes ainsi rendu un compte aussi exact que possible de lim-
portance de cette arme, et par suite de la facilit avec la-
quelle elle avait pu tenir tte victorieusement, pendant toute
lpoque impriale, aux populations insoumises ou rebelles
de lAfrique septentrionale.
Il convient maintenant de pntrer dans la vie intime de
cette arme. LEmpire avait recruter les conscrits destins
complter ses cadres, en assurer la subsistance, les utili-
ser, rgler lexistence journalire des officiers et des soldats
pour le plus grand profit de la domination romaine ; de plus,
il avait intrt leur rendre la vie des camps non seulement
supportable, mais agrable, la leur faire dsirer mme, en y
attachant certains privilges inconnus aux professions autres
que le mtier des armes, ou en supprimant les inconvnients
que celui-ci entrane toujours avec lui. De l une srie de dis-
positions administratives et de rglements, dont ltude for-
mera le complment de tout ce qui a t dit jusquici.
La force de larme romaine dAfrique sexpliquera plus
aisment encore, quand on saura de quels lments elle tirait son
recrutement et avec quelle facilit elle suffisait ses besoins ;
286 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

quand on comprendra bien lamour quprouvaient pour leur


camp et leur mtier des hommes qui y trouvaient, sans parler
de la considration toujours attache la qualit de soldat,
la libert dadorer leurs dieux, une vie de famille, la facilit
de sassurer pour lavenir une spulture honorable, sils ve-
naient mourir au service, ou une retraite assure, sil leur
tait donn de vivre jusque-l.
RECRUTEMENT DE LARME DAFRIQUE. 287

CHAPITRE PREMIER.

RECRUTEMENT DE LARME DOCCUPATION.

Pour fixer le mode de recrutement de larme doccupa-


tion, il est ncessaire de distinguer la lgion IIIe Auguste des
corps dauxiliaires ; le recrutement de la lgion se rattache
troitement au systme gnral du recrutement lgionnaire
dans tout lEmpire ; celui des auxiliaires, moins bien connu
dailleurs, est plus indpendant et peut tre tudi en lui-
mme.
I. LGION IIIe AUGUSTE(1).

On possde fort peu de dtails sur la lgion dAfrique


au 1er sicle. Son quartier gnral et les postes dont elle avait
fournir la garnison ont t souvent et violemment transforms
depuis, et les documents qui pourraient nous clairer sur sa
composition ce moment ont, pour la plupart, disparu. Nous
ne connaissons de cette poque que onze soldats dont la patrie
soit indique sur les inscriptions. Trois sont originaires dIta-
lie : le premier dAquae Statiellae(2), le second dIguvim(3), le
troisime dOstra(4) ; trois taient ns en Aquitaine, Augus-
tonemetum(5) et Bordeaux(6) ; quatre en Lyonnaise, Lyon(7),
Augustodunum(8) et Autricum(9) ; un onzime venait de
____________________
(1) Cf., pour la question du recrutement de larme dAfrique, le tra-
vail capital de Mommsen, Gesammelte Schriften, VI, p. 20 et suiv.
(2) C. I. L., VIII, 502 = 23294.
(3) Ibid., 23296.
(4) Ibid., 23295.
(5) Ibid., 16549.
(6) Ibid., 2103 ; inscription indite
(7) Ibid., 23253 ; inscription indite dHadra.
(8) Ibid., 16550.
(9) Ibid., 1876.
288 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Belgique, tant dAndematunnum(1). Il parait donc certain,


bien que cette conclusion sappuie sur un nombre de textes
trop restreint, que, pendant toute cette priode, la lgion se
recrutait dans les provinces occidentales de lEmpire. Cest
sans doute par exception et pour des cas particuliers quon
avait recours au recrutement local(2).
Pour lpoque suivante, les documents deviennent trs
nombreux, si bien que lon suit aisment les changements
apports successivement dans la composition du personnel
lgionnaire en Afrique. Mommsen a mme pu, grce cette
abondance de textes, remonter aux lois qui ont rgl le re-
crutement, lpoque impriale, dans tout le monde romain.
Nous navons pas ici dpasser les limites de lAfrique ro-
maine.
Les renseignements les plus prcieux et les plus
concluants qui nous aient t conservs ce sujet se peuvent
tirer des listes lgionnaires retrouves en certain nombre
Lambse. Ces listes sont, pour la plupart, des catalogues de
soldats qui ont achev leur temps de service, et qui, avant de
quitter le camp, lvent un monument honorifique lempe-
reur dont ils tiennent leur cong.
La plus recule en date remonte sans doute, ainsi que le
pense Mommsen, la fin du rgne dHadrien ; il est difficile,
au reste, quil y en ait beaucoup de plus anciennes, la lgion
nayant occup le camp de Lambse que sous ce prince. Elle
est ainsi conue(3) :
...........ius Severus Arado.
Aemilius Martialis Apamea.
Claudius Crispus Sido(nia).
____________________
(1) C. I. L., 16553.
(2) Ann. pig., 1896, 10 : dilictat. [tir]onum ex Numidia lecto[r. leg.]
Aug. in Africa (cf. plus haut, p. 263).
(3) C. I. L., 18084.
RECRUTEMENT DE LARME DAFRIQUE. 289

Julius Agrippa. Tripoli.


Julius Proculus Sidonia.
....dius Gaianus Epipa.
[Ju]lius Julianus Nic(omedia).
....[Ma]ximus Pareth(onio).
Marcianus Nic(omedia).
...............................................
....ntianus Cl. Tol(omaide).
....[Fort]unatus Kar(thagine).
....[V]alens Sido(nia).
....[Th]eodorus Cirt(a).
....ianus Laud(icea).
....mus Castris.
....cus Kar(thagine).
....Arellianus Zeug(mate).
....Macrianus. Cirt(a)
....[Pr]oculus Kart(hagine).
....[Qui]ntullus Nico(media).
....Severus. Gazza.
....[V]alens Cyr(enis).
....[Cl]emens Gatal(is).
....lianus Si[do(nia)]?
..............................................
....cti us Sido(nia)?
....minus Marciano(poli).
....[C]alicles. Nic(omedia).
....s Antiochus. Prusia(de).
....[S]anctus. Nic(omedia).
....s Fronto Sid(onia).
....[S]everus. Gen
....us Valens Hip(pone).
....us Marianus Sir[mio?].
....ius.......anus ?
....us. Sid(onia).
....ava Damas(co).
....Valens. Hip(pone).
290 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

....us Tolomaide.
....rhyto Ant(iochia).
ius Lucianus Cl[audi]opol(i).
anius Longus. Apam(ea).
[Ae]milius Bassus Apam(ea).
....[Gr]acilis. Cast(ris).
[A]nicius Niger Plus(iade).
[Me]mmius Macrinus. Laud(icea).
....Marcellus. Larisa.
nianus Severus Tolom(aide).
[Am]monius Valens Sid(onia).
[Co]rnelius Sabinus. Nico(media).
[A]ntonius Priscus. Ant(iochia).
[A]emilius Secundus Thev(este).
Q. Domitius .....
C. Numonius Pot. .....
T. Axius Sabinus. .....
T. Fl. Safidianus Caesa(rea).
Q. Otacilius Ma Kart(hagine).
T. Papius Fl. Nicom(edia).
Ti. Cl. Tyro.
...................................
....[Mess]alla Cl. Tol(omaide).
Prusi(ade).
[C. Ju]lius Antoninus Kas(tris).
Ti. Cl. Julianus Tyro.
L. Cl. Agrippa. Nicom(edia).
C. Manilius Rufus Prusia(de).
C. Sempronius Maternus Luga[d(uno)].
L. Antonius Victor Scythop[oli].
C. Vibius Celer Nicom(edia).
M. Appius Soss[ianus]. Nicom(edia).
....Fabricius
............................................
C. Julius Proculeianus. ?
T. Flavius Victorinus Damasc[o].
RECRUTEMENT DE LARME DAFRIQUE. 291

Q. ..Apuleius Martialis Kar(thagine)


M. Domitius Valens Helio(poli).
M. Sossius Macrinus Nicom(edia).
P. Lucceius Marcianus Id.
L. Gellius Felix Kar(thagine).
C. Publicius Ingenu(u)s Hippo(ne).
M. Antonius Bassus. Apame[a].
Ti. Cl. Restitutus. Tolo(maide).
C. Marius Pedo Sido(nia).
M. Pompeius Maximus Tolom(aide).
....Stertinius Maximus Nicom(edia).
....Cornelius Magnus ?
M. Livius Theopompus Sidon(ia).
L. Antistius Lucianus. Nicom(edia).
L. Minucius Paulus Id.
C. Annius Valens Capito(liade).
....Cl. Arellianus ?
C. Julius Rogatus Pa(piria) Hadr(umeto).
M. Atilius Saturninus Heliop(oli).
T. Fl. Valens Tolom(aide).
Q. Decrius Severus Nicom(edia).
C. Valerius Rufus Anth(edone).
C. Lucceius Hermianus Kastris.
M. Statius Maximus. Nic(omedia).
Q. Caesonius Augurinus ?

Cette liste comprend, on le voit, des Julius, des Claudius,


des Flavius ; on ny rencontre pas dUlpius, ni, plus forte
raison, dAelius. Il est donc probable, considrer seulement
ces faits, que les soldats dont les noms y figurent sont entrs
au service vers la fin du rgne de Nerva ou au dbut de celui
de Trajan.
La prsence du nom de Marcianopolis parmi les villes qui
y sont rappeles permet mme de prciser davantage et exclut
292 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

la priode antrieure lanne 100(1). Or, parmi tous les soldats


qui composent cette liste, dix-sept sont originaires dAfrique,
un de Cyrne, six dgypte, une soixantaine dOrient (Syrie,
Bithynie ou provinces voisines), un de Msie Infrieure, un
de Gaule ; les autres, une dizaine environ, viennent de villes
indtermines.
Il sest donc fait, cette date, un double changement.
Les provinces occidentales de lEmpire ne fournissent plus
une seule recrue la lgion cest lOrient, lEurope ou
lAsie grecques quon fait appel pour remplacer lOccident
latin et lAfrique est admise fournir un certain nombre de
soldats la lgion qui loccupe. Ces deux modifications dans
le systme de recrutement de la lgion dAfrique sexpliquent
aisment. Mommsen a montr(2) qu partir de Vespasien, les
Italiens, qui depuis Auguste formaient une partie considrable
des effectifs des lgions dOccident, avaient t tenus systma-
tiquement lcart de ces lgions. Par suite, il fallait demander
aux autres provinces occidentales les contingents que lItalie
fournissait jusqu ce moment, cest--dire augmenter les char-
ges dune partie de lEmpire, alors que lautre ntait pas plus
impose en hommes que par le pass, ou bien, si lon vou-
lait viter cet inconvnient, dcharger lOccident au dtriment
de lOrient ; cest, en effet, le parti auquel on sarrta ; et voil
pourquoi larme dAfrique salimenta dsormais, pour quel-
que temps du moins, de recrues orientales: En mme temps,
la province se romanisait davantage ; Cillium(3), Ammaedara(4)
____________________
(1) On saccorde faire de la fondation de Marcianopolis, comme
de celle de plusieurs autres villes sur le Danube, une mesure qui se rattache
troitement la conqute de la Dacie. Elle serait donc, au plus, contempo-
raine de cette conqute (De la Berge, Essai sur le rgne de Trajan, p. 62 ;
Schiller, Geschichte der rm. Kaiserzeit, I, p. 550).
(2) Gesammelte Schriften, VI, p. 37 et 38.
(3) C. I. L., VIII, p. 33.
(4) Ibid., p. 50.
RECRUTEMENT DE LARME DAFRIQUE. 293

avaient le titre de colonie depuis les Flaviens ; Hadrumte(1),


Thamugadi(2), probablement Theveste(3) et peut-tre Capsa(4) le
recevaient sous Trajan ; une ville commenait se dvelopper
autour du camp de Lambse(5) ; bref, aux peuplades insoumi-
ses, aux Africains demi civiliss qui couvraient le pays au
temps dAuguste, avait succd, sous linfluence des armes et
de la colonisation, une population quasi-romaine, o lon pou-
vait trouver sinon autant de citoyens quil en fallait pour com-
plter les cadres lgionnaires, du moins un nombre considra-
ble dhommes aptes le devenir, si lempereur avait besoin de
les appeler sous les armes. Il tait donc tout naturel quune part
srieuse ft faite lAfrique dans le recrutement de la lgion.
Dornavant les Africains ne seront pas, comme le soldat de
Chemtou, lectus a M. Silano(6), ou les tirons levs en Numidie
par Publilius Memorialis(7), une exception dans la lgion IIIe
Auguste : ils formeront une part considrable de leffectif.
Une seconde liste(8), o lon trouve un grand nombre de
P. Aelius, cest--dire de soldats entrs au service sous Ha-
drien, nous montre quelle place fut accorde cet lment
africain. Voici les noms qui y sont inscrits et les villes qui ont
fourni les recrues :
......[Satur]ninus Ha(drumeto).
....................................................Solva.
......[S]arapio. Cas(tris).
......ius R ogatus. Kar(thagine).
......eus Maximus. Th(eveste?).
......ius Lucanus Kar(thagine).
......[A]elius Arruntian(us) Had(rumeto).
____________________
(1) C. I. L., VIII, p. 14.
(2) Ibid., p. 259.
(3) Ibid., p. 215.
(4) Ibid., p. 22.
(5) Ibid., p. 283.
(6) Ibid., 14603.
(7) Plus haut, p. 263, note 2.
(8) C. I. L., VIII, 18085.
294 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

......[Do]mitius Saturnin(us) Theveste).


Aelius Bitus Napoca.
Aelius Sarapio. Cas(tris).
P. Aelius Sotas Id.
L. Licinius Maximus Nap(oca).
T. Flavius Tarsa Id.
P. Aelius Seranus Cas(tris).
M. Antonius Donatus Thy(sdro).
T. Aelius Soter ?
Aelius Mucatra ?
......? Cas(tris)
......us Id.
......itrius Nap(oca).
......toclus Lep(ti).
......[M]aximus Sav(aria).
......catus Nap(oca).
Castris.
......min(us) Nap(oca).
......ulin(us) Cas(tris).
......o Nap(oca).
......us Id.
......[Fu]scus The(veste).
......s Nap(oca).
......s Id.
..................................................
......? Cas(tris).
..................................................
P. Aelius Marcellus Ju.
P. Aelius Serenus T..
P. Aelius Dassius Cas(tris).
P. Aelius Junio. Nap(oca).
P. Aelius Didymus Cas(tris).
P. Aelius Perigrin(us) Ha(drumeto).
P. Aelius Theodorus Cas(tris).
P. Aelius Maximus Id.
P. Aelius Serapio Id.
RECRUTEMENT DE LARME DAFRIQUE. 295

P. Aelius Nig[ri]nus Nap(oca).


C. Julius Di[o]dorus Cas(tris).
P. A[el]ius Do[na]tus. Napoca.
......cius [Mar]tialis Kar(thagine).
......[AIex]ander Cas(tris).
......[Cl]emens Nap(oca).
......[Eut]rofus Na[p(oca)].
......ilius Nap(oca).
......Placentus Id.
......[I]ngenus Kar(thagine).
......mporus Cas(tris).
......[P]udens Em(ona).
......[Se]verus Naragg(ara).
......[R]ufinus Tel(epte).
......[A]mpliatus Kar(thagine).
..................................................
......[Di]oscorus Cas(tris).
......[Ger]manus Id.
......[Dio]dorus Id.
......itus Nap(oca).
......Dignus Id
......s Lucianus Lamasba.
......D .... us. Castris.

A cette liste, il faut ajouter onze soldats dont le nom tait


Aelius, mais dont le surnom est aujourdhui illisible.
Sur soixante et un soldats dont la patrie est mentionne
dans cette numration, trente-six appartiennent lAfrique ;
le reste est originaire de Dacie, de Msie ou des autres provin-
ces danubiennes. Sous le rgne dHadrien, lOrient continue
donc alimenter la lgion dAfrique ; mais on lui demande
moins quautrefois.
Bientt mme, on trouvera dans le pays de quoi complter
les effectifs lgionnaires. Il existe, en effet, une liste date de
296 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

lan 166(1) o se lisent encore, en entier ou en partie, les noms


de trente soldats entrs au service en 140 et 141, cest--dire
deux et trois ans aprs la mort dHadrien :
Cas(tris).
inus Id.
......us Max(ula).
......? Kar(thagine).
......atus As(suribus).
......tus Cir(ta).
......? Cas(tris).
C. Julius..... us Id.
..................................................
M. Antonius Saturninus Thy(sdro).
C. Julius Victor Tha(mugadi).
Q. Laelius Faustus Am(maedara).
Q. Valerius Felix Cas(tris).
M. Antonius Vitalis K(arthagine).
C. Caecilius Victor Cas(tris).
C. Julius Antiochanus Id.
..................................................
L. Papirius Faus[tinus] K(arthagine).
T. Flavius Victor Id.
T. Flavius Rusticus Thy(sdro).
M. Trebellius Faustinus K(arthagine).
M. Aelius Rogatus Cas(tris).
Q. Lartidius Vitalis Am(maedara).
S. Carminius Victor Utic(a).
T. Silicius Fortunatus Cas(tris).
Q. Vettius Laetus K(arthagine).
A. Marcius Saturninus Sic(ca).
C. Atinius [Ex]tricatus Id.
L. Vedius Polio Cas(tris).
L. Sextius Januarius Had(rumeto).
____________________
(1) C. I. L., VIII, 18067.
RECRUTEMENT DE LARME DAFRIQUE. 297

Tous ces soldats, sans exception, sont dAfrique ou de


Numidie.
Le fait nest point, au reste, particulier la lgion africai-
ne. Mommsen(1) a dmontr qu partir du rgne dHadrien, il
en tait ainsi dans toutes les provinces : chaque arme se re-
crutait sur place. Pendant un sicle et demi, le monde romain
avait t militairement divis en deux grandes armes, images
fidles des deux lments dont la juxtaposition momentane
formait lEmpire : larme dOrient et larme dOccident ;
partir du milieu du IIe sicle, il y aura autant darmes dis-
tinctes que de provinces militaires particulires. Toutes les
listes de soldats que nous possdons saccordent prouver
que lAfrique est dsormais presque exclusivement appele
composer la lgion doccupation :

C.I.L., VIII, 18087. Sur plus de soixante-quinze soldats


dont la patrie est mentionne, un seul peut-tre est tranger
lAfrique. Linscription serait de la deuxime partie du IIe
sicle.
Ibid., 2568. Un seul lgionnaire, sur quatre-vingt-deux, est n hors
dAfrique.

Ibid., 18068. Liste qui renferme 91 noms ; tous les soldats sont origi-
naires dAfrique. (Date de leur entre en service, 173.)

Ibid., 18086. Vingt-cinq noms dont la patrie est signale. Tous les sol-
dats sont Africains.

Ibid., 2565, 2566, 2(67, 2569 ; R. Cagnat, Muse de Lambse, p. 65.


Tous les soldats mentionns sont Africains(2).
____________________
(1) Gesammelte Schriften, VI, p. 39.
(2) Il conviendrait de citer encore un grand nombre de fragments trou-
vs dans les dernires fouilles du camp de Lambse, sils taient moins mi-
srablement fragments.
298 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Il convient cependant dajouter que, et l on trouve,


dans les inscriptions dAfrique la mention de quelques l-
gionnaires venus dOrient(1) ou mme dOccident(2) ; mais le
nombre en est infime, en comparaison de celui des lgionnai-
res ns en Afrique.
Dans les catalogues utilitaires qui viennent dtre cits
ou mentionns, un grand nombre de soldats sont dsigns
comme ns dans le camp mme de la lgion (Castris)(3). Cette
habitude dappeler ainsi au service des jeunes gens rompus
ds leur enfance aux traditions, sinon aux exercices, du mtier
lgionnaire avait t, semble-t-il, introduite en gypte depuis
longtemps par les rgiments macdoniens des Ptolmes, et
stait rpandue de l dans larme romaine(4). En Afrique,
nous voyons que le procd tait dj usit lpoque de Tra-
jan(5) ; mais le nombre de ces enfants de troupe tait en-
core relativement faible : il ne dpassait pas le vingtime du
nombre total des recrues.
Ltablissement de la lgion Lambse et le dvelop-
pement rapide de la ville voisine augmentrent sensiblement
cette proportion. En 166, on trouve que, sur vingt-huit soldats
qui signalent leur patrie, dix sont originaires du camp : soit
____________________
(1) Dacia (C. I. L., VIII, 17622) ; Napoca (3021) ; Thracia (3198) ; Dyr-
rachium (3079) ; Sardes (3017) ; Cilicia (3159, 2886) ; Syria (3207, 3225) ;
Berytus (3278), Cibessos (3028) : Apollonia ? (2840) ; Beroea (3175).
(2) Campania (Ibid., 2801, 3026) ; Opitergium (2983) : Sardinia
(3185) ; Lusitania (3182) ; Claudia Ara (3099).
(3) Il ne faut pas confondre les soldats ns Castris et ceux ns Lam-
baese. Les derniers sont des enfants de citoyens romains habitant le muni-
cipe de Lambse, par exemple de vtrans ; les premiers, au contraire, sont
des fils de soldats fixs dans le camp, parce quils sont encore au service
(Wilmanns, tude sur le camp de Lambse, trad. Thdenat, p. 22).
(4) Mommsen, Hist. rom., XI, p. 210 de notre traduction ; Lesquier,
Rev. de philologie, 1904, p. 31 et 32.
(5) C. I. L., VIII, 18084.
RECRUTEMENT DE LARME DAFRIQUE. 299

environ le tiers du chiffre total(1). Toutes les listes militaires de


Lambse, qui sont certainement, par suite du lieu o elles ont
t trouves, postrieures au rgne dHadrien, conduisent aux
mmes conclusions. Trois dentre elles nous donnent la mme
proportion : un tiers(2). Sur les autres, au nombre de quatre,
abstraction faite des leves antrieures Hadrien ou contem-
poraines de ce prince, la moiti des lgionnaires est issue du
camp. Il y a l un fait trs intressant constater et qui caract-
rise le recrutement de la fin du IIe et du IIIe sicle. Nous avons
vu plus haut qu partir du rgne dHadrien, la lgion nem-
prunta plus gure qu lAfrique les lments ncessaires son
renouvellement annuel, limitant au pays quelle tait charge
de dfendre le cercle o elle puisait ses recrues ; elle ne tarda
pas restreindre ce cercle encore davantage, mesure quelle
trouvait dans la ville qui slevait ct delle, et quelle ali-
mentait, un plus grand nombre de conscrits prts entrer dans
ses rangs. Cette transformation du mode de recrutement de la
lgion tait une consquence ncessaire de la permanence du
camp de Lambse, et lempereur ne pouvait quen favoriser
le dveloppement, puisque, de la sorte, les oprations du di-
lectus taient simplifies, les enrlements remplacs par des
engagements volontaires et les vides du corps combls par des
conscrits dj initis par tradition de famille aux habitudes de
la vie militaire et aux exigences de la discipline.
Dun autre ct, les jeunes soldats qui pntraient ainsi
dans les rangs de la lgion y trouvaient un avantage considra-
ble : ils devenaient citoyens romains(3) ; et la perspective de cette
____________________
(1) C. I. L., VIII, 18067. Le n 18087, qui, daprs Joh. Schmidt, serait peu
prs de la mme poque, donne une proportion beaucoup plus faible : 1/40.
(2) Ibid., VIII, 2567, 18068, 18085.
(3) Voir, sur cette question, Wilmanns, tude sur le camp de Lambse
(trad. Thdenat), p. 23 et suiv., et surtout Mommsen, Gesammelte Schriften,
VI, p. 29, note 4. Cf. aussi C. I. L., III, p. 1212.
300 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

condition, dont leur naissance les cartait, tait bien faite pour
les tenter. En effet, par suite des lois qui rglaient le mariage
des lgionnaires, lois que nous tudierons plus loin(1), les fils
de militaires encore au service ne pouvaient tre considrs
comme des enfants lgitimes, en droit romain, sans pourtant
tre entirement assimilables aux spurii ordinaires : ctait
une classe denfants illgitimes part, il est vrai, mais qui,
comme tous les autres, ne pouvaient hriter de leur pre la
cit romaine. Or les empereurs avaient le privilge daccor-
der le jus civitatis qui bon leur semblait ; et ce privilge,
ils lexeraient surtout pour rendre le recrutement plus ais
et introduire dans les lgions ceux des provinciaux qui leur
paraissaient le plus propres y prendre place. Il tait ds lors
tout naturel que ces enfants de troupe fussent les premiers
bnficier de la faveur impriale. Par l, le prince rparait,
son plus grand profit, la fausset de la situation que la loi
crait aux lgionnaires et leurs enfants.
Lassimilation entre ces fils de soldats et les provinciaux
levs par le prince au rang de citoyens romains ntait pour-
tant pas absolue ; ils se distinguent de ces derniers en deux
points.
En premier lieu, quand ils deviennent citoyens, ils ne
prennent pas le gentilice imprial, conformment la loi g-
nralement suivie en pareil cas, mais bien celui de leur pre ;
et leur prnom est le prnom paternel(2). Parmi les lgionnaires
____________________
(1) Voir p. 368 et suiv. Nous suivons sur ce point la doctrine de Momm-
sen. Elle e t vivement combattue (cf P. Tassistro, Il mairimonio dei soldati
romani, p. 9 et suiv. : bibliographie du sujet), sans quon ait pu expliquer
dune faon satisfaisante toutes les particularits, surtout pigraphiques, qui
simposent lattention.
(2) Cf., ce sujet, Mommsen, loc. cit., qui voit dans cette similitude
lindice dune filiation factice. Je nai pas trouve parmi les soldats de la l-
gion III Auguste un seul exemple de lgionnaire, fils de lgion naire, dont le
prnom ft diffrent de celui de son pre.
RECRUTEMENT DE LARME DAFRIQUE. 301

de cette espce dont le nom nous a t conserv, en Afrique, il


nen est presque pas qui portent le prnom et le gentilice dun
des empereurs du IIe sicle ou du dbut du IIIe, bien quils
appartiennent certainement cette poque. Le fait est surtout
frappant dans les cas o lon a mentionn, mitre lorigine du
soldat, sa filiation ou sa tribu. Ainsi lun se nomme Cornelius
C. f. Antulus(1), un second M. Valerius M. f. Secundus(2), un
troisime Q. Julius Q. f. Fortunatus(3), un quatrime C. Steius
C. f. Saturninus(4), un cinquime C. Cassius Quadratus(5), un
sixime C. Julius Firmus(6), un septime Q. Geminius Roga-
tianus(7). On peut voir dans cette exception la rgle gnrale
un privilge tout spcial, accord cette sorte de recrues
cause de la condition particulire de leurs pres(8), qui consti-
tue, elle aussi, une exception.
Mais, et cest l la seconde particularit qui les distin-
gue, la faveur de lempereur ne va point jusqu les autoriser
faire suivre leurs noms de la tribu paternelle, ce qui les aurait
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2565.
(2) Ibid., 2994.
(3) Ibid., 3151.
(4) Ibid., 3247. Ce C. Steius a un frre non lgionnaire qui se nomme C.
Julius Pontius, cest celui qui lui a lev la tombe, et qui, par consquent,
porte un gentilice diffrent du sien. Cela tient ce quil na pas t lgitim par la
faveur impriale ; par suite, il na droit quau nom de sa mre, qui tait sans doute
une Julia.
(5) Ibid., 2618.
(6) Ibid.
(7) Ibid.
(8) Linscription qui porte au Corpus le n 2848 est intressante rappro-
cher des documents cits dans le texte. Elle porte : D M. S. L. Cornelio Catoni
c(enturioni) leg. III Aug. qui et Caligatus, stip. XIII. M. Corneli(us) Cat(o) q(ui) et
Aurassius filiatrum. Le sobriquet du pre, Aurassius, indique quil tait originaire
des environs de Lambse ou tout au moins dun village de lAurs. Dautre part,
lpithte de filiaster, qui est donne au fils dans linscription, prouve que ce ntait
pas un enfant lgitime ; nanmoins il a le gentilice de son pre. On peut croire que
ce dernier tait attach la lgion quelque titre et que L. Cornelius Cato fut admis
au service par faveur impriale, au mme titre que les enfants des lgionnaires.
302 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

manifestement identifis des enfants lgitimes ; elle ne


leur impose pas davantage linscription dans la tribu do le
prince est issu, comme il est de rgle pour ceux dont le bon
plaisir imprial fait des citoyens : ils sont tous rangs dans la
tribu Pollia(1). Wilmanns(2) et Mommsen(3) ont signal le fait,
et ce dernier la expliqu par ltymologie mme de Pollia :
cest un mot de bon augure ; ceux qui sont inscrits dans cette
tribu doivent avoir pour apanage la force et le courage. On
sait le rle que jouaient, dans le recrutement, du moins au
temps de la Rpublique, des considrations de cette sorte, et
que les premiers noms tirs au sort par les consuls devaient
tre des noms dheureux prsage, comme Salvius, Valerius
ou Statorius(4). Il ny a rien dtonnant ce que le mme prin-
cipe ait t appliqu sous lEmpire, dans un cas peu prs
analogue.
Cest ainsi que la lgion de Lambse put ouvrir peu
peu ses rangs aux enfants de ses propres soldats. Nous avons
fait remarquer plus haut que le nombre en tait dj assez im-
portant dans la seconde moiti du IIe sicle.
Les facilits que lempereur Septime Svre accorda aux
lgionnaires et la vie de famille quil leur permit de mener au
service favorisrent singulirement les unions entre les sol-
dats et les femmes de Lambse ; par suite, on vit augmenter
encore le nombre de ces enfants de lgionnaires, si aptes au
mtier des armes.
On sexplique facilement ds lors comment, au dbut
du IIIe sicle, la moiti des conscrits est forme de soldats de
____________________
(1) Cf. la liste de ces sottes denfants de troupe dans Kubitschek, Im-
perium romanum tributim discriptum, p. 262.
(2) tude sur le camp de Lambse, p. 282.
(3) Gesammelte Schriften, VI, p. 29, n.4 ; C. I. L., III, p. 1212 ; cf. aussi
Bormann, Archeol., epigr. Mittheil. aus Oesterreich, 1886, p. 226 et suiv.
(4) Cic., De divinat., I, 102 ; Festus, s. v Lacrinus.
RECRUTEMENT DE LARME DAFRIQUE. 303

cette espce. Le recrutement rgional dHadrien a fait place,


en partie, un recrutement local(1).
Il nest gure possible, faute de documents, de suivre au
del du rgne de Svre Alexandre les modifications du recru-
tement de la lgion de Lambse. Tous les habitants du monde
romain, ou, pour le moins, ceux qui vivaient dans les cits,
tant citoyens depuis lordonnance de Caracalla, on perdit
lhabitude ce moment de marquer sur les listes militaires la
patrie et la tribu des soldats, si bien que nous sommes privs
de documents sur la question. Mais on peut tenir pour assur
que le recrutement ne fut point modifi ; la mesure dicte
par lempereur ne fit que supprimer les empchements lgaux
qui limitaient nagure le nombre des engags volontaires et
le choix des officiers de recrutement. LAfrique continua cer-
tainement se suffire elle-mme et Lambse fournir une
bonne part des soldats son antique lgion.

AUXILIAIRES.

Il est admis aujourdhui(2), et le fait est dailleurs vident,


que les diffrents noms des ailes ou des cohortes nous font
connatre la nature des soldats qui formaient leffectif de cha-
que troupe au moment de sa formation et au dbut de son exis-
tence. Si lon examine sous ce point de vue la composition des
troupes auxiliaires dAfrique que lon peut affirmer avoir tenu
garnison dans le pays, on est tonn du petit nombre dailes
____________________
(1) Cest l, si je ne me trompe, lorigine de ces familiae mifitum
dont la mention figure au Code Thodosien (VII, 14, 17 et 28 ; cf. les com-
mentaires de Godefroy). Il rsulte de ces passages que les familiae sont des
enfants de troupe, levs dans le camp, ayant droit des rations comme
les soldats et forms la carrire des armes par un officier charg de leur
conduite.
(2) Cf. Mommsen, Gesammelte Schriften, VI, p. 57 ; cf. p. 94.
304 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

ou de cohortes qui ont t leves sur place. On ne trouve,


dans larme de Numidie, que deux corps dont le nom soit
emprunt des peuples africains : lala Numidica et la cohors
Maurorum ; une aussi en Maurtanie, la cohors Musulamio-
rum. videmment, tous ceux des indignes que lon croyait
devoir utiliser la dfense locale taient incorpors, au d-
but de la conqute, ces troupes de formation particulire,
assimilables nos goums dAlgrie et de Tunisie, dont nous
avons signal plus haut lexistence.
Parmi les corps auxiliaires de Numidie dont les noms
sont significatifs, deux appartiennent lEspagne : une co-
horte dEspagnols et une de Lusitaniens ; un la Pannonie,
lala Pannoniorum ; et deux lAsie : la cohorte des Chalci-
dniens et celle des Commagniens. Dans larme de Mau-
rtanie, il existe encore plus de diversit ; les pays les plus
voisins, Espagne, Corse et Sardaigne, ont fourni trois corps :
une cohorte dEspagnols, une cohorte de Corses et une co-
horte de Sardes ; la Germanie et la Gaule, deux corps : deux
cohortes de Gaulois et de Sygambres ; la rgion du Danube
a donn une aile de Thraces, deux cohortes de Dalmates, une
de Pannoniens et une cohorte de Breuques ; la Bretagne, une
aile de Brittones ; lAsie, des ailes de Parthes et de Sbast-
niens. On ne voit pas la loi qui a pu prsider cette rparti-
tion. Un seul fait est vident, cest que les Africains sont en
minorit.
Les choses se modifirent-elles dans la suite et ces
diffrentes troupes, tout en gardant leur nom, virent-elles
changer leur composition au profit de llment africain ?
Cest l un point quil serait intressant dlucider. Malheu-
reusement, les donnes que nous possdons sont trs incom-
pltes.
En runissant tous les documents o des soldats auxiliai-
res figurent avec la mention de leur patrie, ou bien dans lesquels
RECRUTEMENT DE LARME DAFRIQUE. 305

ils portent un nom qui permet de conjecturer leur origine, on


narrive qu dresser la liste suivante :
NUMIDIE.

1. Ti. Claudius, Mintai? f., Cilius, Lisitanus(1) Ala Pannoniorum.


2. Boutius, Ceii f (2) Id.
3. T. Flavius Bitus(3) Coh. II Thracum.
4 a in o, Bes[sus?](4) Coh. II Thracum.
5. Q. Domitius Polia Castris Sardonicus(5). Coh. VII Lusitanorum.
MAURTANIE.

6. Ti. Claudius Congonetiacus, natione Biturix(6) Ala II Thracum.


7. Saccus, Cancesis(7) Id.
8. L. Terentius Secun[dus, natio]ne Noricus(8) Coh. II Breucorum.
9. Dazas, Sceni f., Maezeius(9) Coh. VI Delmatarum.
10. Licaus, Carui f., natione Maezeius(10) Coh. VII Delmatarum.
11. Licaus, Iauletis f.(11) Id.
12. Licco, Burnonis f., Pannonius(12) Coh. I Pannoniorum.
13. Abillahas, Rummei(13) Coh. Sardorum.
14. Trasfudo(14) Id.
15. Lovessius, Maximi f., Bracaraugastanus(15) Coh. VI Sygamborum.

On voit que la moiti peu prs de ces soldats sont origi-


naires du pays dont le corps a reu le nom, lautre moiti tant
____________________
(1) C. I. L., VIII, 6309.
(2) Ibid., 63o8.
(3) Ibid., 2251.
(4) Ibid., 5885.
(5) Ibid., 3101.
(6) Ibid., 21024.
(7) Ibid., 9390.
(8) Ibid., 9391.
(9) Ibid., 9377.
(10) Ibid., 9384.
(11) Ibid., 21040.
(12) Ibid., 21041.
(13) Ibid., 9198.
(14) Ibid., 5364.
(15) Dipl. de Cherchel (Ibid., 20978).
306 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

recrute sur diffrents points de lEmpire. Un seul semble tre


natif de Lambse ; peut-tre, pourtant, est-il dAlexandrie(1). Il
semble donc, au premier abord, que lAfrique soit entirement
exclue du recrutement des auxiliaires. Mais on remarquera que
ceux de ces textes que lon peut dater, du moins par conjecture
(1, 2, 3, 6, 9, 10, 11), appartiennent, sauf un (n 15), la fin
du 1er sicle ou au dbut du IIe(2). Le seul autre, au contraire,
qui soit assurment postrieur Hadrien(n 5) est aussi le seul
quon puisse supposer avoir mentionn un Africain. Dautre
part, dans aucune des inscriptions relatives des auxiliaires,
quon peut dire plus tardives que le milieu du 1er sicle, il
nest fait mention de la patrie des soldats ; les noms quils por-
tent ce moment ne prouvent rien non plus, car ce sont pour la
plupart des noms latins(3). On est, par suite, conduit supposer
que le recrutement des auxiliaires se faisait, cette poque,
comme celui des lgionnaires, en Afrique : ce serait prci-
sment parce quils ne venaient plus de provinces loignes
quils auraient cess dindiquer leur origine sur leur tombe ;
tout le monde savait quils taient ns dans le pays.
Il se serait donc pass dans les provinces africaines ce
qui se passa dans les autres parties de lEmpire. Au 1er sicle
et au dbut du IIe, il aurait t dangereux de lever des auxi-
liaires dans les rgions o les troupes stationnaient ; ceut t
____________________
(1) C. I. L., VIII, 3101. Q. Domitius Sardonicus, Polia, Castris, avait
un frre dont lpitaphe est grave ct de la sienne, et o on lit : D. Do-
mitio Sardonico, Polia, Alecxandria.
(2) Cf., pour la date de ces diffrents textes, ce qui a t dit plus haut,
p. 197 et suiv. ; p. 235 et suiv.
(3) Deux noms, pourtant, sont assez caractristiques : celui dun cava-
lier de lala miliaria, qui a vcu peut-tre, il est vrai, au dbut du IIe sicle,
sa mre tant une Flavia ; il se nommait Longinus Muzerun, surnom qui est
sans doute africain (cf. le nom de ville Muzuc, le nom dhomme Mazuca, les
ethniques Mazices, Musones) ; et surtout celui dun cavalier du mme corps
surnomm Africanus ; encore ce cognomen est-il assez commun, mme en
dehors de lAfrique.
RECRUTEMENT DE LARME DAFRIQUE. 307

introduire dans larme des lments de rvolte, ou tout au


moins dindiscipline. Mais, vers le milieu du IIe sicle, alors
que les provinces taient gagnes presque entirement la
civilisation romaine, et surtout au IIIe sicle, il ny avait plus
que des avantages recruter les corps auxiliaires sur place,
comme on le faisait pour les lgions(1). On le comprit, et la
conscription locale devint sans doute une pratique gnrale,
mme pour les ailes et les cohortes.

La situation est un peu diffrente pour les numeri. En


Numidie, comme en Maurtanie, on trouve des corps de for-
mation locale : en Numidie, la vexillatio militum Maurorum ;
en Maurtanie, les equites Mauri et les exploratores Poma-
rienses ; mais en mme temps, dans la premire province,
il y avait un numerus Palmyrenorum, et dans la seconde un
numerus Surorum. Llment tranger parat donc avoir t
appel fournir les effectifs de certains numeri, qui consti-
tuaient, dailleurs, une minorit.
Il est assez difficile de savoir si la composition de cel-
les de ces troupes qui ntaient pas leves originairement en
Afrique sest modifie avec le temps. La seule pour laquelle
on possde un nombre suffisant de textes est le numerus Pal-
myrenorum. Tous les soldats que lon connat, soit par des
ex-voto, soit par des pitaphes, tant des Palmyrniens(2), et
cela jusque dans le milieu du IIIe sicle, on doit croire que
Palmyre na pas cess de fournir des contingents au corps,
pendant lEmpire. On ne peut rien dire sur la composition du
numerus Surorum de Cherchell(3).
____________________
(1) Cf. Mommsen, Gesammelte Schriften, VI, p. 94 et suiv.
(2) C. I. L., VIII, 2505, 2515, 3917, 8795.
(3) Deux dtails pourraient pourtant faire supposer que le numerus a
continu se recruter en Syrie. Un des soldats de ce corps se nomme C. Julius
Dapnus, cest--dire porte un cognomen grec et frquent en Asie (C. I. L.,
308 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

En rsum, partir du milieu du IIe sicle, on cessa,


quelques exceptions prs, dintroduire dans larme de Nu-
midie, comme dans celle de Maurtanie, des lments tran-
gers et lon emprunta au pays les recrues ncessaires au corps
doccupation. Les destines des provinces africaines furent,
ds lors, entirement confies aux Africains.
On sait que le recrutement de larme romaine tait as-
sur soit par les gouverneurs de provinces chefs darme, soit,
lorsquil y avait lieu des leves importantes, par des agents
spciaux nomms dilectatores. Nous connaissons prcisment
un fonctionnaire de cette nature pour lAfrique(1). Lorsque le
proconsul tait gnral en chef, ctait naturellement lui que
revenait le soin de surveiller le recrutement ; cest ainsi que M.
Silanus avait prsid la leve dont faisait partie L. Flaminius,
mort aux environs de Chemtou(2). Postrieurement, cet office
revint au lgat de Numidie. Mais on continua demander des
conscrits lAfrique(3) propre. Fallait-il, pour les enrler, sol-
liciter lautorisation du Snat qui appartenait la province ou
celle du proconsul, reprsentant du Snat ? Ou bien tait-il
intervenu ce sujet un arrangement entre le Snat et lempe-
reur ? Cest ce quil ne semble pas possible de dcider(4).
En Maurtanie, les procurateurs chefs darme taient
naturellement chargs du recrutement.
____________________
VIII, 21038) ; lautre est frre dun duplicarius classis, qui tait peut-tre
Syrien, puisque la flotte de Maurtanie tait compose en partie de navires
emprunts la division de Syrie (Ibid., 21017).
(1) Ann. pigr., 1896, 10 : dilictat[or] tir[onum] ex Numidia
lec[to(rum)] .
(2) C. I. L, VIII, 14603.
(3) Cf. les listes mentionnes plus haut ; on y lit les noms de Carthago
(C. I. L., VIII, 2565, 2567, 2568) ; Hadrumetum (ibid., 2565, 2568) ; Utica
(ibid., 2565, 2567) ; Thelepte (ibid., 2565, 2568, 2569) ; Thuburbo (ibid.,
2567. 2568), etc.
(4) Cf. Mommsen, loc. cit., p. 74 et suiv.
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 309

CHAPITRE II.

SERVICES ADMINISTRATIFS DU CORPS DOCCUPATION.

A la fin de la Rpublique, les fournitures faites par ltat


en vivres, en habillement, en armes taient dduites de la
solde paye chaque lgionnaire(1). II en fut de mme sous
lEmpire. A la mort dAuguste, les lgions de Pannonie sou-
leves ne se plaignaient-elles pas, au dire de Tacite(2), des re-
tenues opres en vue du vtement et de larmement ? Il est
vrai quil nest point question, dans ce texte, de la nourriture ;
mais elle est nettement spcifie dans un autre document dat
du rgne de Domitien, qui est un relev de comptes de deux
lgionnaires dgypte(3). On y voit que, sur la solde paye
lun deux tous les quatre mois, et se montant 248 drach-
mes, ltat prlevait 10 drachmes pour le foin consomm par
les chevaux de la cavalerie et les btes de somme attaches
aux troupes, 80 drachmes pour la nourriture (in victum), 12
drachmes pour les chaussures (caligas et fascias), et, pour les
vtements, une somme variable dont le total forme 206 dra-
chmes pour lanne ; soit un peu moins du tiers de la totalit
alloue chaque homme annuellement.
Peut-tre ultrieurement les armes, lhabillement et la
nourriture furent-ils dlivrs gratuitement aux lgionnaires(4) ;
____________________
(1) Cf. Marquardt, Saatsverwaltung, II, p. 94, et les notes ; Liebenam,
dans PauIy-Wissowa, Realeacycl., VI, col. 1672.
(2) Tac., Ann., I, 7 : hinc vestem, arma, tentoria... redimi.
(3) Voir Nicole et Ch. Morel, Archives militaires du Ier sicle ; cf.
Mommsen, Gesammelte Schriften, VI, p. 123 et suiv. ; R. Cagnat, Journal des
Savants, 1900, p. 375 et suiv. ; von Premerstein, Klio, III (1903), p. s et suiv.
(4) On sait que les prtoriens touchaient le bl gratuitement depuis
Nron (Tac., Ann., XV, 72 ; Suet., Ner., 10) ; mais les historiens ne parlent
pas des lgionnaires.
310 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

autrement, Svre Alexandre naurait pas pu dire ses soldats


mutins quil ne leur convenait pas de murmurer contre celui
qui annonam, qui vestem, qui stipendia vobis adtribait (1) ;
encore que ce texte et les textes analogues(2) puissent se com-
prendre de fournitures faites bas prix et non gratis.
La mesure stendait aussi aux troupes auxiliaires. Le
discours prononc Lambse par Hadrien(3) nous apprend, en
effet, que les cavaliers auxiliaires payaient eux-mmes leurs
armes et leurs chevaux, du moins cette poque(4).
Mais, bien quil prlevt une retenue sur les fournitu-
res faites aux troupes, ltat nen avait pas moins la charge
de runir ces fournitures et de les rpartir entre les diffrents
corps : cest ce service de lintendance quil faut tudier ici.

SERVICE DES VIVRES.

Il y a, dans la fourniture des vivres, une distinction ca-


pitale tablir : il faut examiner successivement la mthode
suivie en temps de paix et les procds auxquels on a recours
en temps de guerre.

Fourniture des vivres en temps de paix. Toutes les pr-


cautions taient prises, en temps de paix, pour assurer lalimen-
tation des troupes. Il existait, dans chaque province de lEmpire,
____________________
(1) Vita Alesandri, 53, 9 ; cf. 52 : Miles non timet, nisi vestitus, arma-
tus, calciatus et satur. Texte qui parat, dailleurs, assez altr.
(2) Veget., II, 20 : Nam cum (milites) publica sustententur annona,
ex omnibus donativis augetur eorum pro mediatate castrense peculium ; cf.
19 : imperatoris militem qui veste et annona publica pascebatur.
(3) C. I. L., VIII, 18042 : Equorum forma, armorum cultus pro sti-
pendi modo. Cf. Dehner, Hadriani reliquiae, p. 19.
(4) Cf. aussi Faym towns. p. 252, n. CV, col. II, l. 18.
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 311

des magasins o lon avait soin dentasser des provisions de


bouche destines aux soldats et du fourrage pour les btes.
Les chefs qui, comme Timsithe, le beau-pre de Gordien
III, avaient souci des intrts de leurs troupes et de la scurit
de lEmpire(1) en amassaient mme beaucoup plus quil ntait
ncessaire pour lentretien de leur corps, afin de parer toute
ventualit(2). Cest, en effet, un principe de bonne adminis-
tration militaire que les magasins doivent toujours tre large-
ment pourvus non seulement en vue de lexcution normale
du service de paix, mais surtout en prvision de la guerre. Il
importe dtre toujours prt entrer en campagne ; il faut, le
jour o larme doit tre mobilise, quelle puisse tre munie
sans retard de tout ce qui lui est indispensable pour vivre et
pour combattre.
Ces magasins nous sont surtout connus par le Code Tho-
dosien, do lon peut tirer leur sujet, pour le IVe sicle, des
renseignements prcieux(3) ; mais il en est aussi question dans
les auteurs dune poque antrieure. Spartien nous raconte avec
quelle sollicitude Hadrien soccupait des dpts de vivres(4),
les inspectant dans ses voyages et veillant ce quils fussent
toujours bien approvisionns ; Lampride nous en parle dans
la vie de Svre Alexandre(5), Capitolin dans celle de Gordien
III(6) ; Ammien Marcellin, de son ct, y fait plus dune fois
____________________
(1) Vita Gordiatti, 28.
(2) Veg., III, 3 : De copiis expensisque sollers debet esse tractatus
ut pabula, frumentum ceteraeque annonariae species quas a provincialibus
consuetudo deposcit maturius exigantur, et in opportunis ad rem gerendam
ac munitissimis locis amplior semper modus quam sufficit adgregetur. Quod
si tributa deficiunt, prorogato auro comparanda sunt omnia.
(3) Cod. Theod., VII, 4, avec les commentaires de Godefroy.
(4) Vita Hadriani, II, 1 : Laborabat ut condita militaria diligenter
agnosceret, reditus quoque provinciales sollerter explorans, ut [si] alicubi
quippiam deesset, expleret.
(5) Vita Alexandri, 45.
(6) Vita Gordiani, 28.
312 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

allusion(1). On les trouve dsigns sous le nom de condita mi-


litaria(2) par Spartien ; ailleurs, ils portent le nom dhorrea(3)
ou mme de mansiones(4), quand ils taient tablis aux gtes
dtapes importants.
De tout temps, des magasins de cette sorte ont donc exis-
t : on ne peut, au reste, concevoir autrement lalimentation de
grandes armes permanentes. On y runissait tout ce que rcla-
maient la nourriture des hommes et lentretien des troupes(5) :
dabord du bl, qui tait le fonds mme de lalimentation des l-
gionnaires romains, et qui se mangeait sous forme de bouillie(6),
de pain frais(7) ou biscuit(8), du lard, trs employ dans la
consommation(9), du sel(10), du vinaigre, que lon mlangeait
leau pour en faire une boisson rafrachissante(11), de lorge,
de la paille et du foin pour les btes de somme(12). Quant au
____________________
(1) Ammian., XVII, 1 et 9 ; XVIII, 2 ; XXI, 16.
(2) Vita Hadriani, II, 1.
(3) Cod. Theod., VII, 4, 1, 5, 13, 16, 32.
(4) Vita Alexandri, 45 et 47 ; Cod. Theod., VII, 1, 12, 25. Sur le sens pro-
pre de mansio, voir le commentaire de Godefroy au Cod. Theod., XI, 1, 9.
(5) Cf. sur les vivres destins aux troupes un article de M. Masquelez, dans
le Dictionnaire des antiquits grecques et romaines de M. Saglio, s. v Cibaria
militum, qui a utilis les travaux de ses prdcesseurs, surtout ceux de Le Beau
(Mmoires de lAcadmie des Inscriptions et Belles-Lettres, XLI, p. 129 et suiv.).
(6) M. Gauldre-Boilleau (Ladministration militaire dans lantiquit, p.
XXXIX, document D) indique la recette pour fabriquer cette bouillie.
(7) Vita Pescennii, 10 ; Vita Aurel., 9 ; Ammian., XXV, 2 ; Cod. Theod.,
VII, 4, 6, etc. M. Masquelez (loc. cit.) a remarqu que la quantit de bl attribue
journellement au lgionnaire tait Ia mme que la quantit donne aujourdhui
nos soldats, mais le rendement en pain tait moindre, par suite de linfriorit de
la manutention. Chaque homme avait droit, par jour, 1,167 grammes de pain.
(8) Vita Pescennii, 10 ; Cod. Theod., VII, 4, 4, 6, 28. Cf. le commentaire
de Godefroy au Cod. Theod., VII, 4, 6, et les textes cits ce sujet, surtout
Scriptores rerum byzant., I, p. 146, et Suidas, s. v .
(9) Vita Hadriani, 10 ; Vita Cassii, 5 ; Cod. Theod., VII, 4, 2.
(10) Veget., III, 3.
(11) Vita Gordiani, 28 ; Cod. Theod., VII, 4., 6.
(12) Vita Gordiani, 28 ; Ammian., XIV, 213 ; Veget., III, 3.
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 313

vin, il ne sintroduisit que postrieurement dans lordinaire


du soldat ; mais il y tint bientt une grande place(1).
Je ne sache pas quon ait rencontr en Afrique quelque
magasin de cette sorte ; si lon en a dcouvert, on ne la pas
signal(2). Mais il nen est pas de mme dans dautres pays ;
ainsi lon pourrait prendre, sinon comme type, au moins
comme spcimen, les horrea Hadriani de Myra, en Asie Mi-
neure.
Ldifice se compose de huit salles parallles, dont les
six premires mesurent 32 mtres
de long et les deux dernires sont un
peu plus courtes ; il est entirement
bti en pierres de taille parfaitement
agences. On pntrait dans chacune
des salles par une porte assez large,
surmonte de deux petites fentres
accouples, destines sans doute laration plus encore qu
lclairage de ldifice. A droite et gauche de la faade, une
petite chambre fait saillie sur la surface de ldifice ; une porte
cintre y donnait accs. Ces annexes taient des bureaux pour
les comptables ou des logements pour les gardiens(3). Il est
noter que le monument nest pas vot et quil ne se compose
que dun seul tage. La faade est surmonte dun fronton
aujourdhui en grande partie dmoli, mais dont le dessin est
encore parfaitement net.
____________________
(1) Veget., loc. cit. ; Vita Pescennii, 7 et 10 ; Cod. Theod., VII, 4, 6 et 25.
(2) On a pourtant cru trouver des traces de greniers importants dans le
sud de la Tunisie (Comptes rendus de lAcadmie des Inscriptions et Belles-
Lettres, 1889, p. 210) ; mais rien nest moins certain que cette attribution.
(3) Petersen et von Luschan, Reisen in Lykien, II, p. 41 et pl. XXXIX.
Linscription grave sur la faade du monument, qui a t publie depuis
longtemps (C. I. L., III, 232 = 6738), ne laisse aucun doute sur sa destina-
tion ; elle porte : Horrea Imp. Caesaris Divi Trajani Parthici f. Divi Nervae
nepotis Trajani Hadriani Augosti cos III.
314 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Un monument du temps de Trajan, tout fait analogue


pour la disposition comme pour la destination, existait dans
le mme pays, Patara, et a t dcrit dans le mme travail(1) ;
il ne sera pas inutile den rapprocher le plan de celui que nous
avons reproduit la page prcdente(2). L encore, on se trou-
ve en prsence de huit salles parallles ; chacune est munie
dune porte large de 2 mtres, au-dessus de laquelle souvre
une fentre moins gran-
de. La seule diffrence
sensible qui existe entre
ces magasins et ceux de
Myra, cest quils sont
vots.
Il y a dans cette similitude plus que leffet du hasard :
ctait videmment l le type adopt pour les horrea en Asie
au IIe sicle ; il tait conu en vue de rpondre aux ncessits
du climat et dassurer la meilleure conservation possible des
denres que lon y amassait, surtout des crales. Il ne parat
donc pas trop hardi de supposer la mme disposition aux hor-
rea des provinces africaines dont le climat est peu prs le
mme ; et je suis persuad que, le jour o lon dcouvrira des
magasins que lon puisse reconnatre comme tels par suite de
documents positifs, on les trouvera analogues ceux dont il
vient dtre question(3). Il ne faudrait point chercher longtemps
pour en rencontrer de pareils parmi les magasins arabes, suc-
cesseurs des magasins romains, dont les villes commerantes
dAlgrie ou de Tunisie sont pourvues.
____________________
(1) Petersen et von Luschan, op. cit., p. 116 ; pl. LXVIII.
(2) Cf., pour dautres reprsentations, larticle Horrea dans le Diction-
naire des antiquits grecques et romaines, de M. Saglio.
(3) Il est vident que la vignette qui figure dhabitude sur la Table de
Peutinger, ct de la mention horrea, ne peut fournir aucun renseignement :
cest une reprsentation purement conventionnelle.
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 315

Mais si lon na pas encore signal en Afrique ddifices


que lon puisse regarder certainement comme des horrea, on
connat, par les auteurs ou les monuments pigraphiques, lem-
placement de quelques-uns de ceux qui y ont exist ; ce sont :
Dans la Proconsulaire, un horreum publicum prs de
Testour(1), les horrea dHergla (Horrea Caelia) prs dHadru-
mte(2), ceux de Carthage(3) et ceux dUtique(4) ;
Dans la Numidie, ceux de Djemila(5) et de Philippeville(6) ;
Dans la Maurtanie, ceux de Muslubium, entre Choba et
Bougie(7), ceux qui taient situs dans les environs de Stif(8),
les horrea Aninicensia(9), signals par la Notice des vchs, et
ceux de Tiktat (Tupusuctu), mentionns par une inscription(10).
Ce nest point dire pour cela que tous ces magasins fus-
sent destins lalimentation des troupes : en Afrique, la ques-
tion est plus complique que partout ailleurs. On sait en effet,
par un texte de Josphe auquel il a dj t fait allusion(11), que
cette province fournissait Rome les deux tiers de sa nourriture
annuelle ; il fallait donc que les provisions entasses pour tre
expdies en Italie fussent amasses quelque part, en atten-
dant leur embarquement. De l ces grands magasins de la cte:
____________________
(1) C. I. L., VIII, 25895.
(2) Table de Peutinger, VI, 2 (d. Miller) ; Itin. dAntonin, p. 52, 56,
58 (dit. Fortia dUrban).
(3) Ammian., XXVIII, 1, 7.
(4) C. I. L., VIII, 13190 (horrea Augustae).
(5) Journal officiel, annexe, 13 janvier 1911, p. 80, n. 17.
(6) C. I. L., VIII, 19852.
(7) Itin. dAntonin, p. 4 ; Table de Peutinger, II, 5. Cf. Anonym. Ra-
ven, V, 4 (Muslubion orea).
(8) Itin. dAntonin, p. 7. Cf. C. I. L., VIII, 8425, 8626.
(9) Not. episc., 7. Cf. aussi Coll. Carth., 198.
(10) C. I. L., VIII, 8836.
(11) Joseph., Bell. Jud., II, 16, 6, en parlant de lAfrique :
, ,

.
316 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

ceux dUtique, de Carthage, o se concentraient tous les bls


de la valle du Bagradas et du pays qui forme aujourdhui la
Tunisie septentrionale ; ceux dHergla, o affluaient les pro-
ductions de la Tunisie centrale et mridionale ; ceux de Phi-
lippeville, dont le port, autrefois comme aujourdhui, avait
une grande importance, et ceux de Muslubium, voisins de
Bougie. Dans ces magasins, les bls et les provisions de tou-
te nature taient runis bien plutt pour assurer securitatem
populi romani ac provincialium, comme il est dit dans un des
textes qui nous les font connatre(1), que pour lalimentation
du corps doccupation. Il serait pourtant tmraire daffir-
mer quils nont pas pu avoir les deux destinations, au moins
dans certains cas ; les codes ne connaissent point de termes
diffrents pour distinguer ces deux sortes de dpts : ce sont
tous des horrea publica ou fiscalia(2) ; et cest la mme sour-
ce qui les alimente, puisque le fisc fait les frais de lannone
civile comme de lentretien des troupes(3). Il est cependant
naturel de supposer et certains textes qui vont tre cits
permettent de lavancer que les magasins approvisionns
en vue de la nourriture des soldats taient plus rapprochs de
leur lieu de campement, et par suite disposs dans lintrieur
du pays.
On peut croire que les horrea voisins de Stif ont eu cette
____________________
(1) C.I.L., VIII, 19852.
(2) Cod. Theod., VII, 4, 16 et 32 (greniers militaires) ; XII, 6, 16 ; XV,
1, 12 (greniers pour lalimentation de Rome). Cf. Godefroy, ParatitIon ad
Cod. Theod., XI, 14. Daprs Marquardt (Staatsverwaltung, I, p. 468, note
6), les greniers dHergla servaient aussi alimenter la lgion dAfrique, gr-
ce aux routes qui traversaient la province, joignant Hadrumte Lambse.
(3) Cf. Marquardt, op. cit., II, p. 133. M. Hirschfeld (Annona, dans le
Philologus, 1870, p. 70 et 81) admet que, dans les provinces du Snat, pour
les fournitures de bl faites au service de lannone, le fisc payait une somme
dargent laerarium, en change du bl livr en nature par les provinciaux.
Il se peut quil en ait t de mme pour lannone militaire en Afrique.
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 317

destination. Ils taient tablis, ainsi que nous lapprennent


deux inscriptions(1), dans un terrain trs bois, au centre de
vastes domaines appartenant lempereur : ctaient donc ou
des dpts de vivres militaires, ou des magasins destins
lexploitations des proprits impriales, peut-tre les deux
la fois. On ne peut rien avancer au sujet des horrea Acininen-
sia, qui ne sont connus que par une mention fugitive dans la
Notice des vchs. Quant aux greniers de Tupusuctu, leur des-
tination est certaine : ils constituaient des rserves destines
assurer lalimentation des troupes de Maurtanie et formaient
un centre de ravitaillement pour les corps expditionnaires du
Djurjura, comme pour la garnison du territoire militaire de
Tupusuctu ; mais ils ne furent tablis que relativement tard,
aprs la victoire de Maximien contre les Quinquegentanei,
dans le dessein de rendre permanent, sans doute, un dpt de
provisions form temporairement pendant la guerre et dont
lempereur avait senti la ncessit pour lavenir(2).
Quoi quil en soit, et quelque catgorie quils appartins-
sent, les greniers des provinces se remplissaient assurment de
mme, cest--dire de trois faons. Tantt on achetait les den-
res aux populations par lintermdiaire de commissaires sp-
ciaux, nomms pour la circonstance(3) cest un procd sur
lequel nous aurons revenir plus loin propos des provisions
faites en vue dune expdition ; tantt, et ctait le systme
____________________
(1) C. I. L., VIII, 8425, 8426 : Caput saltus Horreorum.
(2) Ibid., 8836 : [Dd. nn. Diocletianu]s. et Maximianus seniores
Aug.. . [quo tempore d. n. Maxim]ianus invictus senior Aug. feliciter [com-
primens turbas Quinquege]ntaneorum ex Tubusuctitana [regione copiis juva]
retur horrea in Tubusuctitana [civitate fieri praceperunt], anno pro(vinciae)
CCLXV.
(3) Veget., III, 3 : Quod si tributa deficiunt, prorogato auro com-
paranda sunt omnia ; cf. Marquardt, Staatsverwaltung, II, p. 133 ; Plin.,
Panegyr., 29 : Emit fiscus quidquid videtur emere ; inde copiae, inde an-
nona.
318 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

le plus usit de beaucoup, on demandait comme impt aux


provinciaux, en nature, la nourriture des troupes(1).
Ce dernier tait encore en vigueur au Bas-Empire ; il en
est souvent question au Code Thodosien(2). Voici comment les
choses se passaient cette poque. Ctait aux gouverneurs des
provinces (judices, rectores) quil appartenait de rquisitionner
auprs des habitants les vivres militaires(3). Ceux-ci devaient
les porter au magasin le plus rapproch deux(4) ; par suite, ceux
qui habitaient le voisinage de la mer les conduisaient aux ports
dembarquement(5), ceux qui taient tablis dans lintrieur du
pays les versaient aux horrea du centre(6), et ceux qui vivaient
prs de la frontire alimentaient les magasins de vivres crs
dans les fortins ou dans les camps qui la dfendaient(7). Cest
l une organisation toute logique, qui ntait trouble que par
suite de manuvres illicites(8), analogues celles que Verrs(9)
et dautres aprs lui(10) navaient pas craint demployer pour
tirer bnfice de la fourniture du bl par les provinciaux.
Ceux des agents du gouverneur qui jouaient le rle prin-
cipal dans cette rquisition de vivres militaires portaient le
nom de primipilares ; leur fonction propre tait de veiller ce
____________________
(1) Vita Alexandri, 53 : Certe campidoctores vestri (vocem) vos do-
cuerunt contra Sarmatas et Germanos ac Persas emittere, non contra eum
qui acceptam a provincialibus annonam, qui vestem, qui stipendia vobis ad-
tribuit. Veget., III, 3 : Frumentum ceteraeque annonariae species quas a
provincialibus consuetudo deposcit.
(2) Cod. Thod., VII. 4 : De erogatione mititaris annonae ; cf. les com-
mentaires de Godefroy et le Paratitlon.
(3) Ibid., 4, 26.
(4) Ibid., 4, 15 ; XI, 1, 21, et 22.
(5) Ibid., XI, 1, 22 ; XIII, 5, 35 ; 9, 2.
(6) Ibid., VII, 1, 12 ; XI, 1, 22.
(7) Ibid., VII, 4, 15 ; XI, 1, 21 et 22. La loi 21 apporte quelques restric-
tions cette coutume.
(8) Cod Theod., XI, 1, 9.et 11.
(9) Cic., in Verr., II, 81 et suiv. ; cf. 188 et suiv.
(10) Tac., Agric., 19.
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 319

que les livraisons fussent opres en temps et au lieu conve-


nables(1), et surtout de faire verser dans les magasins de la
frontire les vivres ncessaires lalimentation des garni-
sons(2). Il faut bien remarquer que ces primipilares nont rien
de commun avec les primipiles lgionnaires(3), que ce ne sont
aucunement des soldats, et que la leve de lannone destine
larme, aussi bien que son transport dans les greniers mili-
taires, ne dpendent absolument en rien de lautorit militaire.
Il est difficile de croire que la mthode suivie sous le Haut-
Empire ft trs diffrente de celle que je viens dexposer en
quelques mots.
Il faut seulement observer quau temps o furent ren-
dues les lois insres au Code Thodosien, les troupes taient
rparties sur tous les points du territoire romain, de telle sorte
quil devait y avoir des magasins militaires aussi bien dans
lintrieur du pays que sur les frontires ; antrieurement, au
contraire, les forces armes tant masses aux frontires, toute
lannone militaire ou presque toute devait y tre accumule.
Si donc, cette poque, cet impt tait galement demand
tous les provinciaux et quils dussent le conduire eux-mmes
dans les greniers de larme, il en rsultait, pour ceux qui
taient dans le centre du pays ou au bord de la mer, un surcrot
de corve, qui tait pargn au contraire aux habitants voisins
des frontires. Peut-tre, pour viter cet inconvnient, faisait-
on porter lannone militaire par les contribuables aux magasins
les plus rapprochs de leur domicile, do lon se chargeait
de les charrier jusquaux horrea de larme ; peut-tre cette
annone tait-elle leve de prfrence dans les rgions voisi-
nes des frontires, lannone civile tant perue plutt dans
le reste du pays ; il devait y avoir, dans la pratique, quelque
____________________
(1) Cod. Theod., VIII, 4, 19.
(2) Ibid., 4, 6.
(3) Cf. sur la question Alb. Mller, Philologus, 1908, p. 134 et suiv.
320 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

moyen de rsoudre la difficult au mieux des intrts de ltat


et de ceux des particuliers.
On aimerait connatre aussi les personnages auxquels
incombait, aux premiers sicles de notre re, le service dvolu
postrieurement aux primipilares ; mais on na pas de donne
prcise sur la question. Cependant on ne peut sempcher de
songer ces soldats que lon rencontre dans les provinces,
dsigns sous le titre de frumentarii.
Les fonctions des frumentarii ont donn lieu de longues
discussions(1) ; il est tabli aujourdhui(2) quils formaient,
Rome, un corps spcial compos de soldats dlite emprunts
aux diffrentes lgions, dont ils gardaient toujours le numro
pour indiquer lattache qui les unissait leur ancien corps ; de
Rome, ils taient envoys en mission par lempereur dans les
diverses parties de lEmpire ; or lun deux est dit, dans une
inscription, missus in legionem II Italicam ad frumentarias res
curandas(3). On peut, il est vrai, faire une objection la suppo-
sition que nous mettons ici : toutes les fois quil est question
de frumentarii dans les textes, sauf dans celui qui vient dtre
cit, on les voit employs comme courriers ou comme agents
de police(4), et cela aussi bien dans les provinces dpourvues de
garnisons(5) que dans les pays militairement occups ; si bien
____________________
(1) Voir les Comptes rendus de lAcadmie des Inscript. et Belles-Let-
tres, 1875, p. 14.4, et Henzen, Bullett., 1851, p. 113 121.
(2) Henzen, Bullett., 1884, p. 21 29 ; Marquardt, Staatsverwaltung,
II, p. 491 et suiv. ; Vaglieri, dans le Dizion. epigraf. de M. de Ruggiero, s. v ;
Fiebiger, dans Pauly-Wissowa, Realencyclop., s. v Frumentarii.
(3) C. I. L., VI, 3340.
(4) Cf. Hieronym., in Abdiam, 1 : Eos quos nunc agentes in rebus vel
veredarios appellant, veteres frumentarios nominabant ; Vita Hadr., 4 ; Vita
Claud., 17, 1 ; Aur. Victor, De Caesaribus, 39, 44. Lun deux est mme charg
de la prison (C. I. L., III, 433).
(5) Dalmatie (C. I. L., 1980) ; Asie Mineure (ibid., 433) ; Afrique (Cy-
prian., Epist., LXXXI. Les manuscrits donnent commentarios ; frumentarios
nest quune correction).
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 321

que lon a conclu de cette observation, avec une forte vrai-


semblance, que les frumentarii taient une troupe de police,
Rome comme en province. Toutefois on a admis que, pri-
mitivement, ils avaient t chargs de quelque service relatif
aux subsistances, do ils auraient tir leur nom ; mais on
estime quils ont t ensuite dtourns vers dautres emplois.
Lobjection est grave ; pourtant il ne me parat pas quelle
soit absolument convaincante ; car cette dualit de fonctions
se rencontre prcisment pour les primipilares du Bas-Empi-
re : le Code Thodosien nous les montre employs galement
comme stationnarii, cest--dire comme policiers(1). Pourquoi
nen aurait-il pas t de mme prcdemment pour les fru-
mentarii(2) ? Nous navons, dailleurs, que fort peu dexem-
ples de frumentaires en Afrique(3).
Lexistence dun magasin o sont accumuls des vivres et
des provisions de toute sorte suppose celle dun comptable qui
en est responsable ; il na pas intervenir dans les achats ou les
____________________
(1) Cod. Theod. VIII, 4, 2. On leur dfend, par cette loi, de retenir les
coupables et davoir plus de deux esclaves pour soigner leurs chevaux. Gode-
froy fait observer, dans le commentaire, quils avaient besoin de montures pour
leurs perquisitions et leur surveillance ; il est vident quil leur en fallait gale-
ment Pour escorter les convois. Les frumentarii, employs comme courriers et
policiers, taient galement monts. Cf. Marquardt, op. cit., p. 492, note 3.
(2) Il est trs intressant de remarquer que, dans notre arme, la gen-
darmerie est charge du service de certains convois aux armes actives, en
mme temps que de la police des troupes et du maintien de lordre, le
soin dassurer la rgularit des transports tant, somme toute, une partie de
la police militaire. Voir ce sujet, par exemple, Delaperrierre, Cours de l-
gislation et dadministration militaires (2 dit.), I, p. 333.
(3) A Tbessa existe la tombe dun [Ce]nturio [frum]entarius [leg]
II Adj., probatus in legione Aug. (C. I. L. VIII 16553) on notera toutefois
que le mot frumentarius nest quune restitution, dailleurs probable ;
Lambse, on a rencontr deux fois la mention dun frumentarius : lun (ibid.,
VIII, 2825), dabord centurion de la lgion in` Auguste, a t ensuite, comme
centurio frumentarius, exercitator singularium imperatoris il a t, com-
me le prcdent, dtach de la lgion et envoy Rome ; lautre est un
322 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

rquisitions, non plus que dans les transports des denres au


magasin, mais il doit soccuper de la rception des fournitu-
res, de leur conservation, de leur transformation, au besoin,
et de leur distribution. Un agent de cette sorte est une nces-
sit administrative ; il ne manquait assurment pas auprs des
armes romaines. Mais, l encore, cest pour le Bas-Empire
que nous avons le plus de renseignements. A cette poque,
ces comptables portaient le nom de susceptores, procurato-
res, ou mme praepositi horreorum ; ils recevaient des pro-
vinciaux les species annonariae que ceux-ci apportaient et
leur en donnaient un reu ; puis ils les livraient aux troupes,
sur le vu de pices rgulires qui dgageaient leur responsa-
bilit envers ltat(1). Ctaient, eux aussi, des fonctionnaires
absolument trangers larme(2).
Antrieurement, cet office ne pouvait gure tre confi qu
des employs des bureaux du fisc imprial, des affranchis ou
esclaves de lempereur, attachs au procurateur de la province
o les magasins taient tablis. On trouve pourtant au Digeste(3)
la mention de librarii horreorum militaires ; ils sont cits parmi
les soldats qui sont dispenss des corves et des exercices. Il
devait y avoir entre ces librarii et les comptables dont nous ve-
nons de parler cette diffrence que les premiers taient attachs
aux magasins du camp mme, ceux o taient enferms les
vivres dj livrs lautorit militaire, tandis que les autres se
rencontraient dans les magasins, plus considrables, dpendant
de lautorit impriale reprsente par le procurateur.
Il reste maintenant chercher laide de quelles formalits
____________________
frumentarius leg. v Macedonicae, enterr Lambse (ibid., 2867) et qui, par
suite, doit tre considr comme mort en mission prs de larme de Numi-
die. Cest le seul qui nous intresse ici.
(1) Cf. les notes de Godefroy au Cod. Theod., t. II, p. 255 (dit. de
Leipzig, 1743), et les lois mmes du Code (VII, 4, si et 24).
(2) Ibid., XII, 6.
(3) Dig., L., 6, 7.
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 323

et par quels agents le bl et les vivres de toute sorte taient


touchs aux magasins et livrs aux troupes. Cest une question
qui intresse, dune faon gnrale, ladministration de lar-
me romaine au temps de lEmpire. Pour llucider, il faut en-
core examiner ce qui se passait aprs Diocltien, puis remon-
ter de l, autant que possible, aux premiers sicles aprs J.-C.
Le Code Thodosien nous apprend trs clairement comment
on procdait. Les bons de vivres, rdigs par les soins des ac-
tuarii ou actarii, comptables attachs chaque corps(1), taient
ensuite soumis lapprobation dun agent nomm subscriben-
darius(2), qui y mettait son visa et y ajoutait, au nom du gou-
verneur, comte ou duc, un ordre de fourniture ladresse du
susceptor. Le subscribendarius tait donc une sorte de contr-
leur, qui sassurait que la rquisition ntait pas suprieure au
rglement et en autorisait la livraison. Les actuarii devaient
aussi fournir au susceptor une pice journalire ou au moins
rdige tous les deux jours, un bordereau, lui indiquant la tota-
lit et le dtail des vivres demands pour la consommation des
hommes, ce qui constituait un dossier lappui des bons mis
par eux et viss du subscribendarius(3). Ces bons taient remis
alors aux officiers de troupes qui dlguaient un ou plusieurs
optio(4) pour percevoir les vivres accords eux et leurs hom-
mes. Ces mesures, qui avaient pour effet dempcher autant
que possible les erreurs et les fraudes, semblent indispensables
____________________
(1) Voir plus haut, p. 137.
(2) Cod. Theod., VII, 4, 13. cf. Godefroy, ibid., II, p. 255.
(3) Ibid., VII, 4, 11 : Susceptor antequam diurnum pittacium authen-
ticum ab actuariis susceperit non eroget ; quod si absque pittacio fuerit eroga-
tio, id quod expensum est, damnis ejus subputetur... Nec prius de horreis spe-
cies proferantur et maxime capitationis quam, ut dictum est, ad diem pittacia
authentica fuerint prorogata (an 364) ; Cod. Theod., VII, 4, 13: Actuartii per
singulos vel ut multum binos dies authentica pittacia pro rogent ut hoc modo
inmissis pittaciis species capitum annonarumve ex horreis proferantur.
(4) Cod. Theod., VII, 4, 1 et 24.
324 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

toute bonne administration ; on peut donc presque affirmer


quil en tait ainsi sous le Haut-Empire, mais il nest gure
possible de prciser, daprs les quelques documents que nous
possdons, comment les choses se passaient au juste.
Nous avons expliqu plus haut que les actarii existaient
dj avant Diocltien : nous les avons signals aussi bien dans
la lgion IIIe Auguste que dans les corps auxiliaires ; il est
donc tout naturel de supposer que ctait eux quil apparte-
nait dtablir les bons de vivres pour les troupes auxquelles
ils taient attachs.
Relativement au personnage qui remplissait loffice r-
serv plus tard au subscribendarius, on ne sait rien.
Enfin, quel tait lofficier qui, au Haut-Empire, taient
rserves les fonctions dvolues aux optiones par le Code
Thodosien ? Sans doute ceux qui sappelaient dj ainsi
cette poque, et peut-tre surtout loption du princeps prae-
torii, lequel avait, on le sait, la haute main sur les services
administratifs de la lgion. Nous ne trouvons ni dans les ins-
criptions ni dans les textes des auteurs aucune donne pour
rsoudre la question ; mais les papyrus dgypte nous mon-
trent plus dune fois des options intervenant pour prendre
possession des vivres destins leurs troupes(1). Il faut ajou-
ter cependant que, dans dautres documents de mme sorte,
ce rle est confi non plus des options, mais dautres
grads, tesserarius, duplicarius, sesquiplicarius, signifer,
exceptor, etc.(2).
Tels taient, suivant toute apparence, les moyens employs
pour assurer aux corps darme dAfrique le bl et les autres
comestibles ncessaires son alimentation. Il reste pourtant
____________________
(1) Par exemple, Oxyrh. Pap., I, n. 43 ; IV, n. 735 ; Wilken, Gr. Ostr.,
1129 1146.
(2) Oxyrh. Pap., I, 43 ; Berl. gr. Urk., III, 807 ; Ml. Nicole, p. 76.
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 325

quelques mots dire relativement aux distributions de viande


frache. Afin den assurer la rgularit, on entretenait autour
des camps des troupeaux de bestiaux (animalia militaria). Il
est question de ce fait plusieurs fois dans les auteurs(1). Des
soldats surveillaient ltat des animaux dont ils avaient la res-
ponsabilit ; en particulier, ils prenaient soin quon les me-
nt patre dans les prairies voisines des camps, sur les ter-
res assignes aux lgions autour de lendroit o elles taient
campes, sur le territorium legionis, dont il est question dans
deux inscriptions(2). Il est certain que lAfrique ne faisait pas
exception la rgle gnrale : il y avait, aux environs de
Lambse, une rgion militaire rserve aux besoins de la l-
gion IIIe Auguste. Nous trouvons dans les documents relatifs
larme africaine des particularits qui ne sexpliquent que
dans cette supposition ; nous allons en signaler une quelques
lignes plus bas, et nous aurons en mentionner dautres pro-
pos des vtrans. Ce territoire stendait vraisemblablement,
au Nord, au moins jusqu An-Zana et Seriana, au Sud, sur
les pentes septentrionales de lAurs. Cest dans ces plaines,
aujourdhui presque incultes, mais o les troupeaux des in-
dignes trouvent encore vivre que lon envoyait patre les
moutons et les bufs destins lalimentation des troupes.
Ainsi ce troupeau ne cotait rien nourrir ; et, bien conduit,
il se multipliait de lui-mme, fournissant la lgion de la
viande frache en abondance.
On peut croire quil en tait de mme pour les cohortes
et les ailes, et quelles aussi avaient, dans le voisinage de leur
____________________
(1) Cf. Tac., Ann., XIII, 55 : Quotam partem campi jacere in quam
pecora et armenta militum aliquando transmitterentur. Cf. Cod. Theod.,
VII, 7, 3.
(2) C.I. L. III, 10489, avec le commentaire de Mommsen ; Eph. epigr.,
VII, 986. Ailleurs, on trouve la mention de prata legionis : C. I. L., II, 2916,
5807 ; III, 10489, 13250. Cf. Schulten, Das territorium legionis (Hermes,
XXIX, p. 481 et suiv.).
326 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

camp, un espace rserv plus ou moins tendu o elles pou-


vaient entretenir des troupeaux.
Dans les postes dtachs, surtout dans ceux qui taient
retirs et daccs difficile, la viande de boucherie tait rem-
place sinon compltement, du moins en partie et pour les of-
ficiers, par celle des animaux que lon pouvait tuer la chas-
se. Le Digeste mentionne, parmi les immunes de la lgion,
des chasseurs(1) ; et lon a constat la prsence de deux vena-
tores immunes dans un dtachement lgionnaire appartenant
larme de Msie(2). Si lo nen a pas encore rencontr en
Afrique, ce ne peut tre quun pur hasard : le gibier de toute
espce est encore trop abondant dans le pays pour que cette
ressource alimentaire ait t nglige autrefois(3).

En temps de paix, lalimentation des chevaux et des b-


tes de somme tait fournie aux troupes par les mmes m-
thodes administratives que celle des hommes: elle venait des
magasins de la province. Il suffit, pour sen convaincre, de
parcourir le Code Thodosien(4) ou mme de se rappeler le
nom de Paleae donn un magasin dIsaurie au temps dAm-
mien Marcellin(5). Mais on pouvait procder galement dune
autre faon : il ressort dun texte trouv non loin de Lambse
que la lgion sapprovisionnait parfois sur place de fourrage,
en faisant faucher pour son usage le foin et lherbe qui pous-
sait sur le territoire dont elle avait la jouissance.
On comprend que si ce territoire tait trs tendu, comme
____________________
(1) Dig., L, 6, 7 (6).
(2) C. I. L., III, 7449 ; cf. 8672.
(3) Dans une garnison de Germanie, on voit un centurion faire clore
un parc pour en lever : Deanae sacrum. A. Titius Se verus. leg. VI. Vict. P.
F. idemque vivarium saepsit. (C. I. L., XIII, 8174.)
(4) Cod. Theod., VII, 4 ; par exemple, loi 9.
(5) Ammian., XIV, 2, 13.
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 327

nous le pensons, il y avait l une source dconomie impor-


tante pour le Trsor(1).
Les troupes en marche ne sapprovisionnaient naturelle-
ment pas, mme en temps ordinaire, comme elles le faisaient
quand elles taient au repos : il en est de mme dans les armes
modernes, et il ne peut gure en tre autrement. Sans doute,
les soldats emportaient avec eux une partie de leurs vivres ;
mais ils pouvaient aussi, dans bien des cas, sen remettre pour
le ncessaire aux habitants des territoires quils traversaient,
surtout quand les dtachements taient peu nombreux. On
rquisitionnait donc, par lintermdiaire des magistrats mu-
nicipaux(2), non seulement du bl, mais encore de lhuile, du
sel, du bois pour cuire les aliments, de la paille pour les ani-
maux(3) ; et ces rquisitions taient soit considres comme
prestations, et par suite dfalques de limpt total payer par
la localit, soit rembourses(4). Dans tous les cas, les soldats
navaient pas le droit, de leur autorit prive, ainsi que cela
se conoit, de demander aux habitants plus que la loi ne leur
accordait, cest--dire que lhospitalit dans les maisons(5).
____________________
(1) Cf. C. I. L., VIII, 4322 : Ddicace Septime Svre, Caracalla et
Gta par une vexillation de la lgion morantes ad fenum sec(andum). Cest
ainsi que, plus tard, sous le gnral Voirol, un camp fut tabli sur les bords du
Hamise (Medjerda Suprieure), pour protger la fenaison des belles prairies
quil arrose (Plissier de Raynaud, Annales algriennes, t. II, p. 81).
(2) Sic. Flac., De condic. agror., p. 165 (d. Lachmann) : Quoties
militi praetereunti aliive cui comitatui annona publica praestanda est, si ligna
aut stramenta deportanda, quaerendum quae civitates quibus pagis hujusmodi
munera praebere solitae sint. Cf. Cod. Theod., VII, 9, 2, et le commentaire
de Godefroy.
(3) Cf. Sic. Flac., ibid., et Cod. Theod., VII, 9, 1, 2, 3.
(4) Les papyrus dgypte contiennent cet gard des dtails prcis.
(5) Cod. Theod., VII, 4, 12, 9, 3 et 4 ; Vita Aureliani, 7 ; Vita Pescennii,
23. Cf., au sujet des logements militaires, Cod. Theod., VII, 8 (de Metatis) et
Cod. Just., L, 4, 3, 13 et 14 (Ulpien). Voir galement Waddington, Inscrip-
tions de Syrie, 1906 (a).
328 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

videmment, celui qui logeait un soldat pouvait, de son plein


gr, lui donner un supplment de nourriture, ou mme des
douceurs, comme un matelas pour passer la nuit(1) ; mais ce
devait tre par leffet dun acte volontaire ; il tait absolument
dfendu aux troupes dexiger ces libralits et, plus encore,
dastreindre les htes des corves ou des besognes servi-
les(2). Les lois qui se succdent ce sujet en Afrique, depuis le
Haut-Empire(3) jusquau Ve sicle(4), prouvent que ces dispo-
sitions, parfaitement quitables, ont toujours t en vigueur ;
mais on voit aussi par l quelles ntaient pas respectes et
que le passage des troupes tait bien souvent une occasion
dabus et dexactions(5).

Fournitures de vivres en temps de guerre. En temps


de guerre, lorsquune expdition entranait les troupes loin de
leur centre de ravitaillement et que leffectif du corps doccu-
pation dune province augmentait, par suite de lenvoi dans le
pays de dtachements trangers, souvent nombreux, il fallait
faire face une situation nouvelle, beaucoup plus dlicate
que lancienne, par de nouvelles combinaisons.
La premire mesure qui simpose, en pareil cas, au service
des subsistances, est la cration de magasins dans le voisina-
ge du terrain de la lutte : cest le seul procd dont on dispose
pour pouvoir fournir rapidement larme expditionnaire
les moyens dexistence qui lui sont indispensables, et dont
labondance et la bonne qualit dcident bien souvent du sort
dune campagne. Les Romains, au temps de la Rpublique, ne
____________________
(1) Cod. Theod., VII, 9, 2 et 3.
(2) Operam (Vita Pescennii, 23) ; servitium ;C. I. L., VIII, 15868).
(3) C. I. L., VIII, 15868.
(4) Cod. Theod., VII, 8, 10 (an 413), 12 (an 414) ; 4, 33 (an 414).
(5) Infausta hospitalitatis praebitio (Cod. Theod., VII, 8, 12).
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 329

manquaient pas dagir ainsi(1) ; nous pouvons tre assurs quil


en tait de mme sous lEmpire. Nous en avons pour garants,
en Afrique, les horrea de Tupusuctu, dont nous avons parl
plus haut, que lempereur Maximien rendit permanents, aprs
sa victoire sur les Quinquegentanei, parce quil en avait tir
le meilleur profit pendant la guerre, et dautres encore(2). Ces
magasins temporaires taient surtout remplis au moyen de r-
quisitions spciales, faites dans les provinces de lEmpire qui
ntaient point exposes des attaques la mme poque et qui
taient riches en bls. La Numidie et la Maurtanie tant en-
toures par lEspagne, la Sicile et lAfrique propre, on ntait
gure embarrass, et lon sadressait, suivant les cas, dun ct
ou de lautre. Au moment de la conqute de la Maurtanie, les
troupes en expdition dans le pays furent alimentes par les
soins du gouverneur de la Btique(3). Ce nest point parce que
le corps darme engag en Maurtanie venait dEspagne : les
lgions dEspagne, au dbut de lEmpire, comme plus tard,
nont jamais t campes en Btique(4), et par suite il ny avait,
dans cette province, aucun magasin lgionnaire. Le choix du
gouverneur de Btique, en cette occasion, sexplique tout na-
turellement, dun ct par la proximit de cette province et du
thtre des oprations militaires, de lautre par les difficults de
communication et linscurit des routes cette poque entre
la Maurtanie et lAfrique propre, o il et t possible aussi
____________________
(1) Cf. Langen, Die Heeresverpflegung der Rmer, I, p. 16 et suiv.
(2) Ammian., XXIX, 5, 13. Il est dit dans ce passage que Thodose
prit loppidum Lamfoctense, ubi abunde rei cibariae copiam condi effecit
ut, si pergens interius alimentorum offenderet penuriam, juberet a propinquo
convectari.
On voit quelques-uns de ces magasins figurer sur les colonnes Trajane
et Antonine (cf. Sal. Reinach, Rpertoire de reliefs grecs et romains, I, p.
332, n. 7, et p. 294, 1 et 2).
(3) Dio, LX, 24.
(4) Cf. Masquardt, Staatsverwaltung, I, p. 256.
330 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

de sapprovisionner. Plus tard, au contraire, on put et lon


dut sadresser surtout cette dernire province. Jai copi,
aprs dautres, un texte malheureusement mutil o il parat
tre question dun personnage important dune municipalit
africaine, chevalier romain, missus ad com[parationem fru-
menti in provin]ciam ob bellum Maurorum(1). Cest le seul
document de cette nature que nous puissions apporter jusqu
prsent(2), mais le fait nen parait pas moins certain : cest
une ncessit de la situation. Il faut ajouter que les provisions
taient amasses dans les greniers en temps de guerre, com-
me elles ltaient en temps de paix, par les soins dun agent
dordre relativement infrieur et entirement aux ordres de
lempereur, parfois dun procurateur comme le procurator
ad solaminia et horrea dun texte de Mactar(3), parfois dun
personnage important du pays, de rang questre, comme ce-
lui dont jai parl quelques lignes plus haut, ou comme ce
C. Valerius Marianus de Tridentum, honores omnes adeptus
Tridenti... adlectus annonae legionis in III Italicae(4), jamais
par un officier du corps mobilis. L encore, il y a sparation
absolue entre lintendance et le commandement(5).
Les vivres, ainsi runis proximit des corps expdi-
tionnaires, taient envoys aux troupes et ports leur suite
sur des voitures ou dos danimaux. Ce nest point ici la pla-
ce dexaminer dans le dtail les diffrents modes de transport
usits par larme romaine, et dtudier dune faon gnrale
____________________
(1) C. I. L., VIII, 12066.
(2) Un texte de Bja fait peut-tre allusion une mission analogue (cf. ibid.,
14400) ; mais il sagit, dans lespce, dune guerre de Germanie.
(3) Ibid., 619 et le commentaire. Solatia ou solamina est synonyme de an-
nonaria subsidia. Cf. Henzen, Bullett., 1863, p. 208.
(4) C. I. L., V, 5o36.
(5) Quand lexpdition doit tre trs importante et, par suite, ncessite des
approvisionnements considrables, lintendant porte le titre de praepositus copia-
rum. Tel est le cas de Ti. Claudius Candidus, qui est signal par un texte dEspagne
bien connu (C. I. L., II ? 4114). Cf. Cucq, tudes dpigraphie juridique, p. 70.
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 331

lorganisation du train des quipages. Une seule particularit


intresse lAfrique, qui est de savoir si le chameau tait em-
ploy en pareil cas, et partir de quelle poque il le fut. Ceux
qui se sont occups de cette question(1) ne croient pas que cet
animal ait t introduit dans les convois militaires avant le IVe
sicle. Ils font remarquer que le premier texte o il en soit fait
mention comme bte de charge se rencontre dans Ammien
Marcellin(2) : cest celui o il est dit que les habitants de Leptis,
ayant implor le secours du comte Romanus, celui-ci leur fit
demander 4,000 chameaux pour porter les vivres de ses trou-
pes ; ils ajoutent qu partir de cette date, il en est plusieurs
fois parl dans les auteurs(3). Cest l une opinion laquelle il
me semble difficile de souscrire absolument. videmment, en
41/42, au moment de lexpdition de Ch. Hosidius Gta dans
le dsert de Maurtanie(4), le chameau tait inconnu de larme
romaine, sans quoi on sen ft servi pour le transport de leau,
au lieu de la faire porter par des soldats ; videmment aussi,
les preuves directes manquent pour lAfrique jusqu la fin du
IVe sicle(5) ; mais ne serait-il pas possible dy suppler par des
____________________
(1) Tissot, Gogr. de la province dAfrique, I, p. 350 et suiv. ; Momm-
sen, Hist. romaine, XI, p. 300 de notre traduction. M. Salomon Reinach, qui a
repris son tour la question, propos dune terre cuite dont je parlerai plus bas,
se montre moins affirmatif (cf. Collections du Muse Alaoui, 1re srie, p. 33
et suiv.) ; il ne sarrte pourtant aucune conclusion ferme : La question est
nettement pose, dit-il, mais les matriaux font encore dfaut pour la rsoudre
dune faon prcise.
(2) Ammien., XXVIII, 6, 5.
(3) Vict. Vit., I, 2, 6 ; Procop., De Bell. Vandal., I, 8.
(4) Dio, LX, 9.
(5) Il faut pourtant remarquer quHygin donne place des chameaux
dans son camp : 29 (d. Domaszewski) : Nationes Cantabri, Gaetuli (ms.
Getati ; la correction est de Mommsen, Gesammelte Schriften, VI, p. 107), Pal-
myreni, Daci, Brittones... in retentura ponemus, camelis (ms. camillos) cum
suis epibatis (ms. ebimmatis) singulis pedes v adsignabimus. La prsence des
Palmyrniens, qui, on se le rappelle, avaient un numerus en Afrique, et des G-
tules, ct de la mention des chameaux, est significative. Le camp que dcrit
332 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

considrations dune autre nature ? Dans dautres parties de


lEmpire, cet animal tait employ par les soldats ; en Syrie,
Corbulon sen tait servi lanne 62 de notre re(1) ; en Arabie,
bien avant les basses poques, il y avait dans le corps doccu-
pation permanent du pays une ala dromaderiorum(2) qui sub-
sista jusquau temps de la Notice des Dignits(3) ; et, dans la vie
de Svre Alexandre, Lampride parle de chameaux attachs
aux convois lgionnaires comme dun moyen de transport fort
connu(4). Or, du jour o les Romains commencrent se servir
de cette bte de somme, il ne se peut pas quils naient pas t
frapps des avantages quelle prsente sur le cheval et le mulet
dans certains terrains, de sa force et de laisance avec laquelle
elle porte jusqu 300 kilogrammes, de sa sobrit qui est une
conomie considrable pour une arme, de la facilit avec
laquelle elle se passe de boire pendant six ou sept jours, du
peu de soin quelle demande, puisquil est inutile de ltriller,
de la rsistance de sa peau qui ne scorche pas sous les far-
deaux ; bref, de toutes les qualits qui lont fait si fort apprcier
____________________
Hygin tant au plus tard du milieu du IIIe sicle (Jung, Wiener Studien, XI, p.
153 et suiv.), et sans doute du IIe (Domaszewski, op. cit., p. 69 et suiv.), les
renseignements quil nous donne sont assez importants dans le cas actuel. Mal-
heureusement, le texte de son ouvrage est trs corrompu.
(1) Tac., Ann., XV, 12 : comitabantur exercitum... magna vis camelorum
onusta frumento
(2) C. I. L., III, 93 : M. Caecilio Fusciano Crep[e]reiano F[l]or[i]
ano leg(ato) Aug(usti) pr(o) p(r)(aetore)... e(q)(uites) sing(ulares) exerc(itus)
Arab(ici), item drom(aderii). La date de la lgation de M. Caecilius Fuscia-
nus est inconnue (Liebenam, Die Legaten in den rm. Provinzen, p. 48), mais le
texte est crit, litteris bonis et a t rencontr ct de deux autres qui sont
du temps de Marc-Aurle (ibid., 92 et 96). On peut croire quil est peu prs
contemporain.
(3) Notit. Digit. (Or.), XXXIV, 33.
(4) Vita Alexandri, 47 : Quamvis et illic mulis eosdem atque camelis
adjuverit. Il nest pas question, dans ce passage, dune expdition particu-
lire ; lemploi du chameau comme bte de somme y est prsent comme une
faon habituelle de procder. On peut penser pourtant quelle fut surtout usite
dans la campagne de Svre Alexandre en Asie.
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 333

de nos corps expditionnaires et des officiers les plus renom-


ms de larme dAlgrie(1). Dun autre ct, le chameau tait
certainement employ par les indignes de lAfrique romaine
comme moyen de transport vers le IIe sicle de lre chrtien-
ne ; il ny a pas lieu den douter depuis quil a t dcouvert
Souse, dans des tombeaux de cette poque(2), une figurine de
terre cuite reprsentant un personnage assis sur un chameau
charg de cruches(3). Il ne semble donc pas vraisemblable que
les Romains se soient privs, en Numidie et en Maurtanie,
jusquau IVe sicle, dun auxiliaire aussi prcieux pour leurs
convois militaires, alors quils lemployaient ailleurs et que
les habitants du pays, dont ils se servaient assurment comme
convoyeurs, lemployaient ct deux(4). Si les crivains ne
nous ont pas signal ce fait avant le IVe sicle, cest quils
nont point t amens en parler ; mais leur silence nest
point, mon sens, une preuve certaine que le chameau ft
inconnu larme dAfrique avant cette poque.
Les vivres que les armes expditionnaires tiraient des ma-
gasins tablis sur leurs derrires, et qui leur taient amens par
des convois militaires, ntaient pas les seules ressources dont
disposassent les troupes en campagne : elles se procuraient aussi
____________________
(1) Carbuccia, Du dromadaire comme bte de somme et comme ani-
mal de guerre. Paris, 1853,
(2) Bull. archol. du Comit des travaux historiques, 1889, p. 110 et
suiv. ; Catalogue du Muse Alaoui I, p. 139, n. 64 66 ; cf. p. 144, n. 113.
(3) Collections du Muse Alaoui, 1re srie, p. 33 et suiv. ; M. Salomon
Reinach y discute lopinion que jmets ; ici (p. 42 et suiv.).
(4) JI parait mme que certaines tribus africaines, parmi lesquelles on
cite les Mazices, se servaient de chameaux pour le combat. Cf. Veget., III, 23
(d. Lang) : Camelos aliquantae nationes apud veteres in acie produxerunt et
Urcilliani intra Africam vel ceteri Mazices, hodieque producunt. Mais le mot
Mazices est une correction : les manuscrits donnent Mazetes, Macetes, Mancizes.
Il est vident que ce texte, qui a gravement souffert, nest pas dcisif. Voir aussi
sur la question Flamand, De lintroduction du chameau dans lAfrique du Nord
(extrait du tome II des Notes du XIVe Congrs international des Orientalistes).
334 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

souvent de quoi vivre sur le pays ennemi. La vieille maxime


de Caton(1) : Bellum se ipsum alet, a toujours trouv et trou-
vera toujours son application en temps de guerre. Il est vrai
que ce procd dalimentation tait moins ais mettre en
pratique dans la Numidie et la Maurtanie, habites en par-
tie par des nomades, que dans bien dautres contres(2). Sans
doute, les troupes dAfrique ne sinterdisaient pas, comme
ces soldats que lon voit sur la colonne Trajane(3), de mois-
sonner les champs de lennemi, mais elles ne pouvaient et ne
devaient point compter exclusivement sur cette ressource. El-
les se servaient, comme on a toujours fait, des deux systmes
et suivant les circonstances(4).

VTEMENTS.

Nous possdons sur le service de lhabillement militaire


dans larme romaine impriale, et spcialement en Afrique,
fort peu de donnes ; ce que nous en savons nous a t conserv
par le Code Thodosien(5), et ne sapplique en consquence qu
la fin du IVe sicle et au dbut du Ve. A cette poque, le vtement
des soldats tait fourni comme impt par les provinciaux(6) ;
mais le mode de fourniture semble avoir vari suivant les pays.
____________________
(1) Liv., XXXIV, 9, 12.
(2) Pourtant, au temps de la guerre de Firmus, le comte Thodose ne
se fit pas faute de recourir ce mode dalimentation (Ammian., XXIX, 5, 10,
15, 16, 44). Il empchait les troupes de se fournir de vivres avant le dpart,
messes et condita hostium virtutis nostrorum horrea esse fiducia memorans
speciosa . Cest une fire parole que Bugeaud aurait pu prononcer quand il
chargea le capitaine de Martimprey dapprovisionner les magasins de Mas-
cara en coupant les moissons des Arabes (cf. C. Rousset, Conqute de lAl-
grie, I, p. 87).
(3) Sal, Reinach, Rp. de reliefs grecs et romains, I, p. 359, n. 87.
(4) Cf. Langen, Die, Heeresverpflegung des Rmer, p. 17.
(5) Cod. Theod., VII, 6 (De veste militari).
(6) Cf. Godefroy, ad Cod. Theod., VII, Paratitlon.
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 335

Tantt les contribuables payaient en nature : les vtements,


aprs avoir t soumis lexamen de qui de droit, taient trans-
ports dans les magasins spciaux, do ils taient livrs aux
troupes(1) ; tantt, au contraire, ils payaient en argent : dans ce
dernier cas, ltat versait une certaine somme entre les mains
de chaque officier ou sous-officier, qui se chargeait lui-mme
dacqurir ses vtements, et rservait le reste de largent aux
ateliers impriaux, lesquels, en change, livraient aux simples
soldats des habillements tout confectionns(2). La seule loi du
Code Thodosien qui sapplique lAfrique(3) ne mentionne
que la fourniture directe des vtements militaires par les habi-
tants. On pourrait citer encore quelques textes de basse po-
que(4) qui font galement allusion au service de lhabillement
des armes, mais ils ne nous en apprennent pas davantage.
Pour le Haut-Empire, on a peu de donnes prcises. On
sait seulement que ltat fournissait aux soldats(5) les vte-
ments contre retenue. Il est probable que dj, cette poque,
ils taient demands sous forme dimpts aux provinciaux. De
plus, il ne semble pas quils aient t confectionns dans les
corps de troupe par les ouvriers de compagnie, sans quoi lon
trouverait la mention de ces ouvriers sur les inscriptions, et
surtout dans le passage du Digeste(6) qui numre les diffrents
mtiers reprsents dans la lgion : ils taient donc soit livrs
tout achevs par les contribuables, soit achets par adjudica-
tion, soit faits dans des ateliers impriaux, comme au Bas-Em-
pire, On sait quaujourdhui on a renonc, dans notre arme,
____________________
(1) Cod. Theod., VIII, 5, 33.
(2) Cod. Theod., VII, 6, 5.
(3) Ibid., 6, 1 : Vir spectabilis proconsul Africae moneatur
(18 avr. 365).
(4) Ammian., XXI, 6 ; Chrysost., Homel. in Philipp., 9, 3 ; Veget., II, 19.
(5) Cf., plus haut, p. 309.
(6) Dig., L, 6, 7.
336 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

confectionner les vtements dans des ateliers rgimentaires,


cause des inconvnients que prsente ce systme.

ARMES.

Il nen tait pas tout fait de mme, et il nen pouvait


pas tre de mme, pour les armes : la fabrication des armes
de guerre demande une habilet professionnelle toute parti-
culire et, de plus, la surveillance de ltat, en pareil cas, doit
tre plus svre encore que pour le vtement. L encore, cest
au Code Thodosien et aux auteurs du Bas-Empire quil faut
recourir, si lon veut arriver une solution quelque peu pr-
cise. La matire premire des armes tait fournie comme im-
pt par les provinciaux(1), par ceux surtout, videmment, qui
habitaient des pays riches en mtaux et spcialement en fer(2).
On aimerait savoir si, lpoque antrieure, les empereurs
ne prlevaient pas sur les produits des mines de fer quils
possdaient en si grand nombre(3) une partie plus ou moins
considrable pour la fabrication des armes de leurs soldats ;
mais je ne connais aucun texte qui autorise cette conclusion,
Do quelle vnt, cette matire premire tait verse des
usines (fabricae), o elle tait traite et transforme ; ces ate-
liers de fabrication taient rpartis entre les diffrentes pro-
vinces et avaient leurs spcialits. Les ouvriers qui y taient
employs portaient le nom de fabricenses ; il en est plusieurs
fois question au Code Thodosien, qui leur consacre un titre
particulier(4). La Notice des Dignits, de son ct, indique le
nom dun certain nombre de villes o des ateliers de cette sorte
____________________
(1) Cod. Theod., X, 22, 2 : fabricis non pecunias pro speciebus sed
ipsas inferri praecipimus . Voir le commentaire de Godefroy.
(2) Cf. Basil., Epist., 110.
(3) Cf. le Diz. epigr. de M. de Ruggiero, s v Ferrariae.
(4) Godefroy, ad Cod. Theod., X, 22, 1.
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 337

taient tablis, en Asie, dans le Pont, en Thrace, en Illyricum,


en Italie et en Gaule(1). Nulle part il nest question de lAfri-
que ce propos. Il semble donc quil ny ait pas eu de fabri-
ques darmes dans les provinces africaines, du moins cette
poque, et que les armes de larme doccupation lui aient t
apportes doutre-mer, de Gaule ou dItalie(2).
Mais, ct de ces usines rgionales, il y avait au dpt
de chaque lgion, et cela ds les premiers sicles de lEmpire,
des ateliers spciaux destins surtout, semble-t-il, lentre-
tien et la rparation des armes, mais qui, cela se comprend,
taient organiss de faon pouvoir en fabriquer, si par suite
des ncessits de la guerre ou de circonstances particulires,
on ne pouvait recourir aux arsenaux chargs dalimenter tout
lEmpire. Pour les armes, comme pour tout le reste, la lgion
devait pouvoir suffire ses besoins(3). Nous avons dj parl
plus haut de ces ateliers, et nous avons rapport les textes
qui en font mention. Nous avons vu quils sappelaient aussi
fabricae, que les ouvriers qui y taient employs portaient le
nom de fabri et formaient des corporations(4).
Il en est ainsi chez nous, o lartillerie est charge de la
fabrication des armes et des munitions, mais o lexcution
des rparations est confie, dans les corps, des chefs armu-
riers commissionns par le ministre de la guerre.
____________________
(1) Notit. Dign. (Or.), XI, 18-39 ; (Oc.), IX, 16-39.
(2) On sadressait lItalie pour la fabrication des armes, bien avant
quelle et des troupes doccupation. Cf. un texte de 242, cit plus haut (C. I.
L., 6763), o il est question darmes fabriques Milan en vue dune guerre :
missus in re[g(ionem) Tra]nspad(anam) tir(onibus) legend(is) et arm(is)
fabicandis) in [urbe Me]diol(anio). II est probable quil sagit l dune ex-
pdition contre les Perses.
(3) Veget., II, 9: Habebant (legiones) etiam fabricas scutarias. lori-
carias, arcuarias, in quibus sagittae, missilia, cassides omniaque armorum
genera formabantur. Le Digeste cite parmi les immunes (L, 6, 7) les fabri
sagittarii, arcarii, bucalorum structores, etc.
(4) Cf. plus haut, p. 172 et suiv.
338 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

SOLDE.

Nous navons pas rechercher ici quel tait le montant


de la solde des diffrentes troupes de larme dAfrique ; il
ny avait cet gard, que nous sachions, aucune diffrence
entre le corps doccupation dAfrique et celui des autres pro-
vinces militaires. Il nous faut examiner seulement comment
tait organis le service de la trsorerie militaire en Numidie
et en Maurtanie.
Certaines classes de soldats avaient pour fonctions, ainsi
quil a t dit plus haut, lmission des mandats, lordonnan-
cement, la comptabilit ; mais il nen tait pas de mme du
maniement des fonds : il tait rserv des esclaves et des
affranchis de lEmpereur(1). On connat plusieurs de ces em-
ploys de trsorerie: un tabularius, affranchi(2), un arkarius(3)
et des dispensatores(4), qui sont des esclaves. Ils formaient
eux tous lofficium rationum signal sur un autre texte(5). Le
chef du bureau tait probablement le tabularius ; le dispensa-
tor recevait les mandats, les vrifiait et en autorisait le paye-
ment ; larkarius leffectuait non pas directement chaque
soldat, sans doute, mais ds officiers trsoriers qui taient
chargs de toucher les sommes convenues et de rpartir lar-
gent entre les intresss.
____________________
(1) On sait que la familia castrensis, dont on a trouv deux fois la men-
tion Lambse (C. I. L., VIII, 2702. et 18250) na rien de commun avec lad-
ministration militaire, mais est attache lintendance du palais imprial. Cf,
Em. Fairon, La ratio castrensis (Revue belge, 1898) et Hirschfeld, Die
Kaiserlichen Verwaltungsbeamten, p. 313 et suiv.
(2) C. I. L., VIII, 3290. Un autre texte deLambse (ibid., 2852)
mentionne un tabularius castrensis ou a tabulario castrensi ; mais, ainsi
quil est dit dans la note prcdente, il na point soccuper de la lgion.
(3) C. I. L., VIII, 3289: ark[arius] leg. ejusdem .
(4) ibid., 3288 : disp(ensator) Ieg. III Aug. ; 3289, 3291.
(5) Ibid, 3292.
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 339

On comprend trs bien que lempereur nait pas voulu


laisser entre les mains des lgats darme les sommes consi-
drables qui taient ncessaires la solde et lentretien des
troupes sur la frontire. Les gnraux en chef eussent trouv
dans cette abondance de ressources pcuniaires une facilit
trop grande pour se rvolter et pour soutenir ensuite la lutte
contre lautorit impriale. En Afrique surtout, le grenier
dabondance de Rome , une pareille organisation et t sin-
gulirement dangereuse. Le prince fournissant sur le fisc les
fonds destins aux armes, il tait tout naturel quil intervnt,
par ses agents directs ou responsables, dans la rpartition de
ces fonds et dans leur payement.

Ce point tabli, il reste examiner comment largent


arrivait dans les caisses destines la solde de la lgion
ou des auxiliaires. tait-il envoy dItalie, ou trouvait-on
quelque moyen de se procurer sur place le numraire n-
cessaire ? Cette dernire solution, qui est la plus vraisem-
blable parce quelle est la plus simple, doit assurment tre
adopte. Le procurateur de lempereur centralisait tous les
revenus de la province et, par suite, encaissait des sommes
considrables dont il navait videmment pas lemploi to-
tal dans son administration ; il disposait dun excdent de
recettes, quil pouvait soit diriger vers lItalie, soit utiliser
sur place, pour faire face aux dpenses qui incombaient
lempereur en Afrique. La plus importante tant lentretien
du corps doccupation, on comprend aisment quil verst
dans le trsor militaire les sommes ncessaires pour la solde
et la subsistance des troupes. Les procurateurs de Numidie
et de Maurtanie agissaient sans doute de mme ; et lon
arrivait ainsi trouver, sans sortir du pays, largent destin
larme qui loccupait.
Dans le cas mme o les revenus des domaines impriaux
340 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

et les encaissements oprs par tous les agents financiers du


prince taient insuffisants pour faire face aux dpenses mili-
taires, le procurateur de Carthage avait encore dautres res-
sources sa disposition. Il est possible, en effet, quil y ait
eu dans cette ville, non seulement partir dAurlien(1), sous
lequel les preuves commencent se produire, mais aupara-
vant et pendant toute la dure de lEmpire(2), un atelier mo-
ntaire. Or, dans les provinces, les tablissements de cette
sorte taient sans doute soumis lautorit du procurateur
imprial(3). Ds lors, pour parfaire les fonds ncessaires au
payement de larme, le procurateur de Carthage naurait eu
qu sadresser lhtel montaire quil dirigeait. Ctait une
ressource qui pouvait tre utilise galement pour le corps
doccupation des Maurtanies.
En somme, on peut penser que le numraire destin la
solde de larme dAfrique tait fourni par lAfrique mme,
comme les vivres ncessaires son alimentation. Lavantage
pratique de ce procd administratif na pas besoin dtre d-
montr.

REMONTE.

Sur le service de la remonte dans les armes romaines,


nous ne possdons aucun document antrieur au Code Tho-
dosien. L, nous trouvons quatre titres relatifs ce service(4). Ils
nous apprennent qu cette poque, les chevaux ncessaires aux
troupes taient demands comme impt aux provinces, mais
____________________
(1) Cf. Cohen, Monnaies impriales, VI, p. 175 ; Babelon, Instruc-
tions pour la recherche des antiquits dans le nord de lAfrique, p. 192.
(2) Babelon, Trait des monnaies grecques et romaines, I, p. 999.
(3) Lenormant, La Monnaie dans lantiquit, III, p. 203.
(4) Cod. Theod., VI, 31 ; VIII, 23 ; XI, 17 et 18. Voir ce sujet les
commentaires de Godefroy.
ADMINISTRATION DE LARME DAFRIQUE. 341

que, dans certains cas, il tait permis de verser, au lieu de la


prestation en nature, une somme dargent dtermine ; ltat
se chargeait, avec cette somme, dacqurir les chevaux ou les
btes de somme quil jugeait ncessaires aux besoins des trou-
pes(1). Les animaux fournis par les provinciaux taient soumis,
avant dtre accepts, lexamen dagents spciaux de lem-
pereur qui portent dans le Code le titre de stratores(2).
Il paratrait bien tonnant que les mmes procds
naient pas t employs antrieurement pour assurer la re-
monte. Les provinces fournissaient les vivres et les vtements
des troupes ; il tait tout naturel quon leur demandt aussi les
montures et les btes de somme, et cela surtout en Afrique o
les chevaux taient nombreux et fort estims(3), o, par suite,
ltat avait tout intrt puiser et pouvait tre assur de trou-
ver toujours les animaux dont il avait besoin.
Quel que ft le mode administratif employ, la rcep-
tion ou lacquisition des chevaux et des btes de somme de-
vait tre subordonne lapprciation dun spcialiste, dun
officier de remonte. Par analogie avec ce qui se passait au
Bas-Empire, on est tent dattribuer cet office au chef des
stratores du lgat de Numidie et de celui de Maurtanie.
____________________
(1) Cf. le ParatitIon de Godefroy au Code Thodosien, liv. VII.
(2) Cod. Theod., VI, 31., avec le commentaire de Godefroy.
(3) Tissot a rassembl (Gographie de lAfrique romaine, I, p. 354 et
suiv.) tout ce que lon sait, peu prs, sur le cheval africain ; il fait allusion
(p. 362) la prestation en nature dont il est ici question, et rapporte, daprs
le Code, les prix auxquels taient estims par ladministration militaire les
chevaux africains au IVe sicle : 467 fr. 44 sous Valentinien et Valens ; 407
fr. 60 sous Honorius, ou, conformment une autre loi du mme empereur,
366 fr. 84 pour la Numidie et 305 fr. 70 pour la Byzacne et la Tripolitaine.
342 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

CHAPITRE III.

LE CULTE DES DIEUX DANS LE CORPS DOCCUPATION DAFRIQUE.

Le principe dorganisation romaine qui faisait du corps


darme un ensemble complet, et qui lavait pourvu de tout
ce qui tait ncessaire en assurer le fonctionnement, sap-
pliquait aussi la religion : on avait voulu quil transportt
son culte avec lui comme il transportait ses machines et ses
ateliers. Ctait l une consquence moins peut-tre des mer-
veilleuses institutions militaires de Rome, que de sa religion
mme. Une des conditions les plus caractristiques de cette
religion tait, en effet, comme la fait remarquer Wilmanns(1),
que toute divinit tait rigoureusement attache au sol ; pour
lenlever dun lieu et la transporter dans un autre, on exigeait
des crmonies minutieuses. Or le camp tait, par sa nature
mme, perptuellement mobile ; il tait donc impossible quon
y honort des dieux qui ne fussent pas mobiles eux-mmes ; et
des dieux de cette sorte taient inconnus au panthon romain.
De l un culte spcial pour les militaires, restreint un petit
nombre de divinits, protectrices de larme, du courage, de
la discipline.
Mais il est ais de comprendre que la pit ou la supersti-
tion des soldats ne sen contentt pas en temps de paix et dans
les camps permanents. On stait accoutum, avant dentrer au
service, honorer dautres dieux, ceux du peuple romain, qui
avaient conquis avec lui tout lunivers, ceux que lon voyait
____________________
(1) tude sur le camp el la ville de Lambse (trad. Thdenat), p. 15.
RELIGION DE LARME DAFRIQUE. 343

chrir dans sa province, dans sa cit, dans sa famille ; on en


conservait le culte sous les drapeaux. De plus, on trouvait
dans le pays o lon tenait garnison des divinits locales, dont
on apprenait bien vite connatre les vertus particulires et
la protection desquelles on pouvait avoir recours. Ltat
navait aucun motif pour mettre obstacle ces dvotions : les
rglements militaires les ignoraient, mais ne les interdisaient
pas : chefs et soldats restaient libres de manifester ouverte-
ment leurs prfrences religieuses(1).
Le culte rendu aux dieux par larme dAfrique doit
donc tre tudi sous deux aspects, ou plutt on doit distin-
guer deux cultes diffrents : le culte officiel, conforme aux
prescriptions militaires, qui nest que la manifestation dun
rglement gnral, et qui, par suite, est commun tous les
corps darme ; et le culte priv des officiers et des soldats,
qui variait dans chaque troupe avec les lments qui la com-
posaient, avec la rgion quelle occupait, avec maints vne-
ments particuliers.
Le premier de ces cultes tait restreint, naturellement,
un trs petit nombre de divinits. La plus importante tait le
Gnie de lempereur ou des empereurs rgnants, dont les ima-
ges taient portes ct de laigle, dans les lgions ; ct des
enseignes, dans les cohortes auxiliaires(2) ; et, dans les ailes,
sur le signum rgimentaire lui-mme. Le culte de lempereur
Rome et dans les provinces est un fait trop connu, pour quil
soit utile dy insister(3) ; ladoration du prince par les soldats
nest quune des formes de lapothose impriale, celle que
____________________
(1) Cf., sur les cultes militaires en gnral, von Domaszewski, Die
Religion des rm. Heeres, 1895.
(2) Ibid., p. 1 et suiv.
(3) Voir, par exemple : Boissier, La Religion romaine (d. in-12), I, p.
170 et suiv. ; E. Beurlier, Le culte imprial, Paris, 1891 ; Toutain, Les cultes
paens, 1907, I, p. 43 et suiv.
344 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

nous comprenons peut-tre le mieux avec nos ides moder-


nes ; car le nom de lempereur, gnral en chef de toutes les
armes, auquel on rapportait toutes les victoires, ne faisait en
somme que rsumer pour les soldats les ides de discipline,
de devoir et de patrie. On sait que ces images taient figures
sur des mdaillons que lon fixait la hampe des enseignes(1).
Les troupes, mme en marche, mme la guerre, emportaient
donc toujours leurs dieux avec elles, et chaque soldat les avait
constamment devant les yeux(2).
Dans les camps permanents, cette dvotion aux empe-
reurs prenait un plus grand dveloppement : on leur levait des
bases avec inscriptions et on leur consacrait des statues. On a
retrouv dans lenceinte du camp de Lambse des ddicaces
impriales en grand nombre, dont la plus ancienne remonte
lanne mme o la lgion IIIe Auguste sy tablit(3), tandis
que la plus rcente se place la fin du IIIe sicle(4). Tous ces
monuments ont la mme origine et la mme raison dtre. Il
en tait ainsi dans tous les camps et dans toutes les forteresses
de lAfrique : en 163 ou 164, la 1re cohorte des Chalcidniens
ddiait, Bir-oum-Ali, deux statues L. Vrus et Marc-
Aurle(5) ; Altava, la IIe cohorte des Sardes rendait le mme
____________________
(1) Von Domaszewski, Die Fahnen im rm. Heere, p. 70. On a publi
dans le Bull. de lAcad. dHippone (1883, p. 146 et suiv., cf. pl. XII) une peti-
te tte dempereur laure, qui pourrait tre celle de Gta. On la donne comme
ayant appartenu jadis un signum ; mais cette attribution nest rien moins
que certaine. M. de Cardaillac a signal une douille de hampe de drapeau
en bronze, trouve au champ de manuvre de Tlemsen (Bulletin de la Soc.
dOran, 1891, p. 123 ; cf. les ligures 5 et 6 de la planche annexe). On y voit
trois mdaillons orns de ttes, qui pourraient tre des effigies impriales. La
nature de cet objet est galement trs douteuse.
(2) Veget., II, 6 : imagines imperatorum, hoc est divina et praesentia signa.
Cf. C. I. L., III, 3526 : Excubitorium ad tutelam signor. et imagin. sacrar.
(3) C. I. L., VIII, 2533.
(4) ibid., 2576, 2577.
(5) Ibid., 17586, 17588.
RELIGION DE LARME DAFRIQUE. 345

honneur Gta, avant mme quil ft empereur(1). Il nest pas


de poste gar dans le dsert ou dans les montagnes qui net
son Augusteum, grand ou petit ; car il fallait pouvoir rendre
un culte digne de lui celui qui, une fois revtu du titre
dAuguste, tait pour tous ses sujets comme un dieu prsent
et corporel(2) .
A ct des empereurs et de leurs images portes sur les
enseignes, les soldats adoraient aussi laigle lgionnaire et les
signa, que certains appellent propria legionum numina(3) .
Les auteurs, aussi bien que les textes pigraphiques, nous pa-
rient souvent du culte des drapeaux ; ils les dsignent comme
des objets sacrs(4) auxquels on levait des chapelles(5) et qui
mritaient des offrandes(6).
Nous navons gard de cette religion en Afrique, ma
connaissance, en dehors du sanctuaire du camp de Lambse,
quun seul document : une ddicace faite Mars et Pgase
par des soldats du poste dEl-Kasbat(7). Pgase doit tre regar-
d dans ce texte non comme la divinit de lOlympe grco-
romain, qui na rien de commun avec larme, mais comme
un symbole qui figurait aux enseignes de la lgion ou de quel-
que corps auxiliaire(8).
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9833.
(2) Veget., II, 5. Dans cette catgorie de textes religieux doivent entrer des
ddicaces des divinits abstraites, comme est lAeternitas Augustorum dune
inscription de Lambse (Comptes rendus de lAcad. des inscr., 1902, p. 45).
(3) Tac., Ann., II, 17 : Sequerentur romanas aves (aquilas), propria
Iegionum numina ; Tertull., Apolog., 16 : Religio Romanorum tota cas-
trensis signa veneratur, signa jurat, signa omnibus diis praeponit. Cf. Ad
Nationes, I : Castrensis religio signa adorat, signa dejerat, signa ipsi Jovi
praefert.
(4) Sacratae aquilae : Val. Max., VI, 1, 11. Cf. Tac.. Ann., I, 39.
(5) Dio., XL, 18, 1 ; Herodian, IV, 5 ; 5 ; V, 8, 6.
(6) C. I. L., III, 6224 : Aquilae sanctae signisque legionis.
(7) Ibid., VIII, 17977.
(8) Pgase est reprsent sur les monnaies de Gallien comme le symbole
346 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Le culte du drapeau est insparable de celui de la disci-


pline ; aussi cette desse avait-elle ses dvots et ses autels. On
en a retrouv trois en Afrique, lun Lambse(1), un second
Hadjar-er-Roum(2), au campement de la IIe cohorte des Sar-
des, et le troisime Bir-oum-Ali(3), o tait cantonne la 1re
cohorte des Chalcidniens. En ce dernier endroit, jai rencon-
tr lautel de la discipline ct de deux autels levs Marc-
Aurle et L. Verus, sur un point isol, au centre de ruines ;
le hasard seul ne les y avait pas runis. Les autres provinces
de lEmpire ont aussi fourni des documents de cette sorte(4).
On ne stonnera pas de voir figurer galement parmi les
divinits adores dans les camps les dieux protecteurs du lieu
o ils taient tablis des corps qui y avaient une installation
permanente. A Lambse, on honorait le Gnie de la lgion IIIe
Auguste(5), celui de Lambse(6) le Genius loci(7), les Dii Campes-
tres(8), cest--dire les esprits protecteurs de la plaine o sle-
vait le camp, et enfin, ce qui revient au mme, le Gnie de ce
camp(9). AAn-Zou, une ddicace fait mention du Genius exer-
citus(10) et du Genius stationis Vazaivitanae(11) ; An-Kebira,
un temple est lev aux Genii Satafis(12). Il ne pouvait gure en
tre autrement, dans un temps o tout ce qui existait avait son
____________________
de la lgion I Adjutrix et comme celui de la lgion II Adjutrix (cf. Cohen, Monnaies imp-
riales, V. p. 386, n 451 ; p. 387, n. 465 ; p. 388, n. 469). Il figure aussi sur un bas-relief du
British Museum (Bruce, Lapidar. septentr., n. 33), ct du Capricorne, comme emblme
de la lgion II Augusta.
(1) C. I. L., VIII, 18058.
(2) Ibid., 9832.
(3) Ibid., 17585.
(4) Ibid., VII, 896.
(5) C. I. L., VIII, 2527.
(6) Ibid., 2528.
(7) Numini Fortunae sanctae et Genio loci (indit).
(8) C. I. L., VIII, 10760 ; cf. 2635.
(9) Ibid., 2529 ; Ann. pigr., 1904, 71. Cf. les dun
texte dAngleterre (Cagnat et Toutain, Inscr. gr. rom., I, 1).
(10) C. I. L., VIII, 17721.
(11) Ibid., 17624, 17625.
(12) Ibid., 20251.
RELIGION DE LARME DAFRIQUE. 347

gnie tutlaire, les tres aussi bien que les choses, les ru-
nions dhommes comme les groupes ddifices(1). Le Gnie
de la lgion ou celui du camp taient, pour les militaires, ce
qutait pour les habitants des villes le Gnie de la cit.
Et puisque ce dernier donnait place, ses cts, des
gnies protecteurs de parties de la cit, il ny avait pas de rai-
son pour que les soldats se bornassent au culte de la lgion ou
du camp ; chacune des divisions de la lgion, chacun des di-
fices du camp pouvait et devait avoir son dieu protecteur ; et
lon est arriv ainsi crer une infinit de dieux militaires de
second ordre, qui ntaient en somme que les diffrents frag-
ments de divinits plus comprhensives. De l le Gnie de la
centurie(2), celui du tabularium principis(3), celui de la schola
des beneficiarii(4), des bureaux des tribuns(5) et dautres enco-
re, dont on a trouv les noms inscrits sur des bases Lambse
ou ailleurs.
Il fierait pourtant inexact de croire que les grands dieux
du panthon romain soient rests absolument exclus du culte
officiel des armes, ou, tout au moins, que les soldats se soient
abstenus de leur dresser des autels dans le camp, alors que ce
camp avait un caractre de permanence trs accentu. Il en
fut des dieux lgionnaires comme du camp lui-mme : leur
mobilit demeura un principe, comme la mobilit du camp en
tait un ; mais, alors que le dernier tait viol dans la pratique,
il tait bien difficile que le premier ne ret pas lui-mme
quelque atteinte. Mars, le dieu militiae potens, comme il est
appel sur un texte de Lambse qui lui a t consacr par un
____________________
(1) Servius (ad Georg., I, 302) sexprime ainsi : Genium dicebant
antiqui naturalem deum uniuscujusque loci vel rei aut hominis.
(2) C. I. L., VIII, 2531 ; cl. R. Cagnat, Les deux camps de la lgion IIIe
Auguste, p. 55, a, b, c.
(3) C. I. L., VIII, 18060.
(4) lbid., 10717.
(5) Ann. pigr., 1898, 12.
348 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

primipile(1), est celui quil est le plus naturel de voir honorer


dans lenceinte du camp(2) ; Minerve y trouve aussi sa place,
mais ct du Gnie du tabularium(3) et comme patronne des
employs dtat-major, des scribes(4). On peut stonner davan-
tage quAurelius Decimus, gouverneur de Numidie, y ait ddi
un autel Pluton ou Janus pour le salut de Carin et de Num-
rien ; mais si le fait parat trs douteux(5) pour ce personnage, il
est certain pour un nomm C. Julius Victor, qui tait armatura
dans la lgion(6) au temps de Septime Svre et de son fils.
Il faut enfin ajouter cette liste dautres divinits, com-
me la Victoire(7) ou la Fortune(8), qui ont un rapport vident
avec larme.
Tous ces monuments, tant levs dans le camp, tmoi-
gnent dun culte officiel. Ce culte avait, on le sait, ses prtres
comme il avait ses dvots : les haruspices et les victimaires,
dont il a t question plus haut, en assuraient la rgularit,
les uns en oprant les sacrifices, les autres en interprtant les
prsages qui venaient se produire pendant les crmonies.
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2634.
(2) Ibid., 18061. Cf. 2536, 10716, 10718-10722, 17624, 17625 ; Bull. arch.
du Comit, 1904, p. 201. Tous les textes de cette sorte trouvs An-Zoui, sont
consacrs Mars, Mars Victor ou Gradivus Pater. A El-Kasbat, un autel avait t
lev Mars Augustus dans le castellum mme. Cf. C. I. L., VIII, 17977.
(3) Ibid., 18060.
(4) Ibid., 2536 ; Ann. pigr., 1899, 89 ; 1902, 12 et 13 ; cf. von Domas-
zewski, Die Religion des rm. Heeres, p. 29.
(5) C. I. L., VIII, 2630. La premire ligne du texte porte : I PATRI. Wil-
manns propose de lire soit ianI PATRI, soit ditI PATRI, soit mme numinI PATRI,
ce qui ferait de cette inscription une ddicace Carus divinis, puisquelle est faite
pro salute et incolamitat[e d]d. nn. impp. [Carini et Numeriani]. Mais cette der-
nire restitution est bien difficile admettre ; les deux autres sont trs incertaines,
et lon pourrait fort bien restituer aussi, par exemple, MRTI PATRI. Mars reoit
lpithte de pater sur les inscriptions (C. I. L., III, 1600) et chez les auteurs ( Aul.
Gel., V, 12, 5 ; Macrob., Satur., I, 12, 8. etc.).
(6) Ann. pigr., 1908,9 : Jani patro .
(7) Ibid., 1899, 88 ; C. I. L., VIII. 18231. Cf. von Domaszewski, op. cit., p. 37.
(8) Fortuna Sancta (indit) ; Fortuna Redax, 18059 ; cf. 2482, 2593.
RELIGION DE LARME DAFRIQUE. 349

Mais en dehors de leurs cantonnements, dans les villes


ou les villages voisins, dans la campagne, les soldats de lar-
me africaine ne se faisaient pas faute de porter leurs homma-
ges ou leurs ex-voto bien dautres divinits encore. Celles
pour lesquelles ils paraissent avoir eu un culte particulier sont
assez varies ; elles peuvent se diviser en plusieurs catgories
parfaitement reconnaissables.
En premier lieu, on doit placer les divinits purement
romaines, comme Jupiter, Neptune, Minerve, Esculape. On a
conserv des traces nombreuses de leur culte, ce dont on ne
saurait tre surpris. Quels dieux les officiers et les soldats de
Rome auraient-ils honors, aprs les dieux purement militai-
res, de prfrence ceux de la patrie ? On lve des autels
Jupiter de tous les cts, Ain-Zou(1), Mna(2), Lambse(3),
El-Mader(4), Bir-oum-Ali(5), Taoura(6) ; cest lui que les
gnraux remercient au retour dune expdition heureuse, car
cest le roi des dieux, le souverain du ciel et de la terre(7) ;
cest lui que les soldats rendent grces, quand une pluie fa-
vorable, prsage dabondantes moissons, signale larrive de
lempereur Hadrien, car il commande en matre aux lments(8).
Junon participe au culte de son divin poux(9). Neptune a son
temple Lambse, au-dessus de la source dAn-Drinn(10) ; les
lgionnaires, mme loigns du camp, ne loublient pas dans
leurs vux(11). Minerve, elle aussi, est honore dun temple
____________________
(1) C. I. L., VIII, 17721.
(2) Ibid., 2465, 2467.
(3) Ibid., 2611 et suiv. ; cf. 2579 b ; Ann. epigr., 1904, 70 ; 1907, 7.
(4) Ibid., 4322.
(5) Ibid., 17586.
(6) Ibid., 4642.
(7) Ibid., 18219 : Deorum principi, gubernatori omnium rerum, caeli terrarum-
que rectori. Cf. 20827.
(8) Ibid., 2609 : tempestatiumpotenti.
(9) Ibid., 2465.
(10) Ibid., 2652, 2653, 2654.
(11) Ibid., 18008. Sur Neptune dieu des sources en Afrique, cf. Toutain, Les cultes
paens, I, p. 373.
350 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Lambse(1), et quand celui-ci a besoin de rparations, cest un


centurion qui en fait les frais(2). Mercure est uni sur des ex-
voto avec Mars, Jupiter, le Gnie de larme et les divinits
locales, AnZou(3) et El-Kantara(4) ; il figure ct du dieu
Motmanius, Lambse(5), et seul sur une ddicace qui parait
avoir t trouve Biskra(6). Un prfet du camp, qui Liber
est apparu en songe, lui adresse une prire en vers ioniques
et lui demande deux grces : voir Rome et obtenir de lavan-
cement(7) ; et, au temps de Gallien, un primipile lui dresse un
autel(8). La lgion lve un sanctuaire Silvain sur le Djebel-
Asker(9). Le plus original, sinon le plus imposant des temples
de Lambse, est vou au culte dEsculape et du Salut, dont les
statues existent encore aujourdhui(10). Diane trouve un dvot
dans un centurion princeps(11), avec la Victoire et la Fortune.
Cette numration, qui est loin dpuiser la liste des divi-
nits romaines, suffit nanmoins prouver la part importante
qui leur tait faite dans le culte de larme dAfrique. Il ne faut
pourtant pas se faire illusion : cette dvotion pour les dieux du
panthon romain est surtout chre aux officiers, et aussi, bien
qu un moindre degr, aux sous-officiers, ceux par cons-
quent qui ne sont pas originaires dAfrique ou qui se sont dj
plus ou moins dnationaliss par leur contact avec des compa-
gnons darmes issus dailleurs. Parmi les ddicaces aux divi-
nits grco-romaines qui proviennent de militaires, cinq sont
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2611.
(2) Ibid., 2647 ; cf. 2645.
(3) Ibid., 17721, 17624.
(4) Ibid., 2498.
(5) Ibid., 2650.
(6) Ibid., 2486.
(7) Ibid., 2632.
(8) Ann. piqr., 1904, 71.
(9) Ibid., 2951. Cf., 2579 c et. 18239, un ex-voto consacr par les centurions de la lgion.
(10) Ibid., 2579 ; cf. 2624. La description de ce temple dEsculape a t faite par
M. Gsell, Les monuments antiques de lAlgrie, I, p. 140 et suiv.
(11) Ibid., 18231.
RELIGION DE LARME DAFRIQUE. 351

dues des lgats de Numidie, une un tribun, sept la lgion


IIIe Auguste, une au prfet de la lgion, une un prpos de co-
horte auxiliaire(1), une douzaine des centurions isols ou runis
et des sous-officiers. Par contre, on ne peut signaler que deux
ex-voto consacrs par un groupe de quelques soldats. Les trou-
pes auxiliaires ne sont pas reprsentes dans cette srie de ddi-
caces, ce qui est un fait digne de remarque. Le culte de Jupiter et
des autres dieux de lOlympe reste donc particulier la lgion
et mme aux lments vraiment romains quelle contient. Le
soldat est surtout attach des dieux locaux ou africains.
La mme observation peut sappliquer aussi aux divinits
orientales dont on trouve la mention dans les monuments mili-
taires ; elles ont pour adeptes des officiers de la lgion, et excep-
tionnellement des soldats auxiliaires originaires dAsie. Jupi-
ter Optimus Maximus Dolichenus est honor Lambse par le
lgat Sex. Julius Major, contemporain de lempereur Hadrien,
qui lui fait lever un temple aux portes mmes du camp(2) ; par
les tribuns Septimius Maximus(3) et T. Memmius Ulpianus(4) ;
par les prfets T. Flavius Maximus(5) et M. Aurelius Justus(6) ;
par le centurion Valerius Rufus et par deux signiferi(7) ; Jupiter
Optimus Maximus Heliopolitanus a pour dvots un autre pr-
fet de la lgion, P. Seius Rufus(8), et un centurion qui avait servi
auparavant dans des lgions de Syrie(9). Le temple dIsis et de
Srapis fut construit, grce la main-duvre lgionnaire, par
____________________
(1) Cest une base Nmsis leve Hadjar-er-Roum, par un prpos la co-
horte des Sardes, en 208 (C. I. L., VIII, 10949).
(2) Ibid., 18212, cf. 2680. Toutes les ddicaces Jupiter Dolichenus ont t trou-
ves au mme endroit, au sud-est des thermes du camp. Les substructions mises au jour
sont dune belle poque.
(3) Ibid, 2622.
(4) Ibid., 2623.
(5) Ibid., 2624.
(6) Ibid., 18222.
(7) Ibid., 1.8223 et 18224.
(8) Ibid., 2628.
(9) Ibid., 2627.
352 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

toute une suite de lgats ; le premier de la srie, celui qui


importa le culte Lambse, ne nous est pas connu ; mais on
peut penser quil tait originaire dgypte(1). Ce sont aussi les
lgats qui agrandissent le temple dEsculape, en y ajoutant
toute une suite de chapelles consacres leurs dieux natio-
naux(2). On possde la prire versifie que lun deux, qui tait
de Risinnium, adressait Medaurus, le patron de la cit :
Maenia qui Risinni Aecia, qui colis arcem
Dalmatiae, nostri publice Lar populi,
Sancte Medaure domi et sancte hic(3).

Un autre, qui tait sans doute de Sinuessa, avait apport


Lambse la dvotion aux sources de son pays, les Aquae
Sinuessanae(4). Le culte de Mithra, dont on ne trouve du reste
que des traces assez tardives, sest galement, semble-t-il,
limit aux officiers ; le temple de cette divinit Lambse
avait t lev par un centurion de la lgion(5) ; des ex-voto
lui avaient t consacrs, dans cette ville, par un prfet du
camp(6) ; Sidi-Okba, par un prfet de la cohorte qui y tenait
garnison(7) ; Msad, par un centurion lgionnaire et un d-
curion de laile des Pannoniens(8). Il faut galement citer une
ddicace au Deus Bonus Puer, pour le salut dAurlien, due
un prfet de la lgion(9).
La seule divinit trangre qui des monuments aient
t ddis par de simples soldats(10) est le dieu palmyrnien
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2630.
(2) Ibid., 2581, 2582, 2583. Cf. Wilmanns, tude sur Lambse (trad. Thdenat) p. 22.
(3) Ibid., 2581.
(4) Ibid., 2583.
(5) Ibid., 2676.
(6) Ibid., 2675.
(7) Ibid., 2483.
(8) Ibid., 18025.
(9) Ibid., 2665.
(10) Ou ignore absolument si lex-voto Epona trouv Orlansville (Gsell, Rev.
arch., 1900, II, p. 266) a t ddi par des soldats.
RELIGION DE LARME DAFRIQUE. 353

Malagbel ; le numerus Palmyrenorum dEl-Kantara lui garda,


pendant toute la dure de lEmpire, une fidlit parfaite(1).
Au contraire, les sous-officiers el les soldats, surtout ceux
des cohortes auxiliaires, honoraient de prfrence les divini-
ts locales ou les divinits africaines, celles quils voyaient
adorer autour deux par des gens de leur condition et dont ils
entendaient vanter chaque jour la puissance, surtout celles qui
taient associes dans leur cur au souvenir du pays natal.
Mais il leur manquait, pour leur marquer leur attachement,
un lment important : largent ; cest certainement la raison
pour laquelle nous ne trouvons quun nombre assez restreint
de ddicaces consacres des divinits de cette espce.
Parmi les plus vnres, on peut mettre au premier rang
celles qui prsidaient aux sources. La raret de leau en Afri-
que, comme dans tous les pays chauds, explique amplement
cette dvotion. Les Nymphes avaient, Lambse, leur statue
dans le Nymphaeum bti par la lgion(2) ; un lgat du nom de
Laetus les a clbres en vers(3). A El-Mader, un dtachement
de lgionnaires, envoy pour rcolter du foin, a uni leurs noms
celui de Jupiter(4) ; Henchir-Hammam prs de Mascula, un
tribun laccouplait celui dun serpent, habitant sans doute la
fontaine voisine dont il passait pour tre le gardien(5). Ailleurs,
nous voyons les soldats honorer dautres dieux locaux, par
exemple Hercule(Melkart). Celui-ci avait donn son nom la
station de la Table de Peutinger dite Calceus Herculis (El-Kan-
tara) ; cest lui, suivant la lgende, qui avait dun coup de talon
ouvert dans la montagne le dfil clbre, nomin aujourdhui
Foum-el-Sahara ; aussi son culte tait-il trs rpandu dans la
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2497 et 8795 (cf. les additamenta).
(2) Ibid., 2658. Cf. Renier, Archives des Missions, 1854, p. 324.
(3) C. I. L., VIII, 2662.
(4) Ibid., 4322.
(5) Ibid., 17722 : Nurnini Nympharurn et Draconi .
354 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

contre. Les troupes romaines ne manqurent pas de le cl-


brer ; et non seulement celles qui campaient habituellement
cet endroit, comme le numerus de Palmyrniens(1) qui sappe-
lait aussi, pour cette raison, numerus Herculis(2), mais mme
les lgions trangres au pays que les hasards de la guerre
amenaient dans ces rgions(3).
A cette catgorie de divinits il faut rattacher aussi le
Gnie de Lambse, celui de la statio Vazaivitana, dont il a t
question plus haut, le Genius loci dun texte dAn-Chkour,
prs de Volubilis en Tingitane(4), comme aussi tous les dieux
anonymes, que les ddicants qualifient de Dii conservatores(5)
ou de Numen Sanctum(6), et dont ils ne connaissaient mme
pas toujours exactement le sexe(7).
Quant aux divinits indignes adores par les soldats, on
peut les diviser en deux classes, suivant la religion laquelle
elles appartiennent. En tte figurent les deux grands reprsen-
tants du panthon punique, Baal et Tanit, en latin Saturne et
Caelestis ; tantt ils taient runis dans un commun hommage,
comme sur une pierre dAn-Zou(8), tantt ils taient invoqus
sparment, comme dans une inscription de Lambse(9). Nous
avons nomm prcdemment lHercule phnicien, Melkart.
Llment berbre est reprsent, de son ct, par toute
une suite de dieux grands et petits, les Dii Mauri(10), dont le nom
se retrouve aussi bien en Numidie quen Maurtanie : le dieu
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2496, 2498.
(2) Ibid., 2494, 2496.
(3) Ibid, 2491 ( Vexillatio leg. VI Ferratae).
(4) Ibid., 21820.
(5) Ibid., 17620.
(6) Ibid., 21567
(7) Ibid. : sive Deo, sive Deae .
(8) Ibid., 2226.
(9) Ibid., 2666.
(10) Ibid., 2638, 2639, 2640, 20251.
RELIGION DE LARME DAFRIQUE. 355

Aulisva, clbr Tlemsen(1) et aux environs(2) ; le dieu Tha-


sun ou Thasunus, cit dans un texte dAflou(3), qui le qualifie
de genius summus, et le dieu Jorchobol ou Torchobol, dAn-
Zou(4).
La srie des dieux honors par larme dAfrique pour-
ra saugmenter de nouvelles dcouvertes ; les lments dont
elle se compose resteront les mmes. En ralit, et cest la
conclusion qui rsulte tout naturellement de ce chapitre, il
ny a pas de culte spcial larme dAfrique, non plus qu
aucun corps darme. La dvotion aux dieux militaires est
commune tous et prescrite par les rglements mmes ; en
dehors delle, il ny a que des manifestations prives, varia-
bles suivant la nature, lorigine ou la volont des officiers et
des soldats.
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9906, 9907.
(2) Ibid., 21704.
(3) Ibid, 21567.
(4) Ibid., 17721.
356 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

CHAPITRE IV.

LES TRAVAUX DE LA PAIX.

Ctait une maxime reconnue par tous les gnraux ro-


mains et dont on trouve souvent lexpression chez les auteurs,
quun soldat doit toujours sexercer sil veut tre la hauteur
de la tche qui lui incombe. Neque enim longitudo aetatis
dit Vgce aut annorum numerus artem bellicam tra-
dit ; sed, post quanta volueris stipendia, inexercitatus miles
semper est tiro. On avait donc soin de tenir toujours les sol-
dats en haleine, en les obligeant des travaux continuels(1).
En premier lieu, on leur imposait des exercices militai-
res proprement dits.
On assouplissait leur corps par la gymnastique et diff-
rents exercices(2). On les formait aller au pas, car il est de
la plus grande importance dans les marches, comme sur les
champs de bataille, que tous les soldats gardent svrement
leur rang ; on sait par Vgce(3) que le pas militaire tait
de vingt milles (30 kilom.) en cinq heures, de quatre milles
(6 kilom.) lheure par consquent, le pas acclr tant de
vingt-quatre milles (35 kilom. et demi) en cinq heures ;
puis on les faisait courir, afin de les habituer se jeter sur len-
nemi avec plus de violence, devancer leursadversaires sur
____________________
(1) Epit., II, 23.
(2) Senec., Epist., 18: Miles in media pace decurrit sine ullo hoste,
vaIlum jacit et supervacuo labore lassatur, ut sufficere necessario posit ;
Tertull., ad Martyr., 5 : Etiam in pace labore et incommodis bellum pati jam
ediscunt, in armis deambulando, campum decurrendo, fossam moliendo.
(3) Veget., I, 9.
TRAVAUX DE LARME DAFRIQUE. 357

les positions favorables, mener rapidement une reconnais-


sance, poursuivre les fuyards.
Par lexercice du saut, ils se prparaient surmonter les
difficults qui pouvaient se prsenter eux dans le combat,
traverser des fosss, franchir des obstacles. Par celui de
la nage(1), ils apprenaient passer les rivires l o les ponts
avaient t rompus, ne point tre arrts par les torrents que
lhiver fait natre en quelques heures dans les pays mridio-
naux. On regardait mme ce dernier exercice comme si impor-
tant, que les valets darme eux-mmes y taient dresss(2).
A plus forte raison habituait-on les soldats au maniement
des armes : pe, javelot, arc, fronde ; on les faisait tirer la
cible ; on leur donnait des leons descrime. Lennemi tait
figur par un pieu fortement fix en terre et haut de six pieds(3)
(1m, 75) ; le soldat savanait contre lui, couvert de son bou-
clier et arm de son pe, et lui portait successivement tous les
coups quenseignaient les traditions de lcole : il essayait de
frapper tantt la tte, tantt aux jambes ; il faisait des feintes
de ct, lassaillait de face en vitant de se dcouvrir, se d-
robant droite et gauche ou se reculant, suivant la mthode
employe par lennemi pour se dfendre. Le mme pieu servait
de cible aux javelots, aux pierres ou aux balles de fronde(4).
Les cavaliers apprenaient de plus, comme il est naturel,
sauter cheval soit sans armes, soit avec armes, et cela
mme avant de commencer lquitation proprement dite.
Aprs les mouvements de dtail venaient les mouve-
ments densemble : on faisait faire aux hommes ce que nous
____________________
(1) Veget., 1, 10.
(2) Idem, loc. cit.
(3) Idem, I, 11, 14 ; cf. II, 13 ; Juven., IV, p. 247 et suiv. Les auteurs
font souvent allusion cet exercice : Sallust., Fragm., II, 11 ( dit. Dietsch) ;
Onosander., Strat., X, 1, 4 ; Leo, Tact., VII ; 18.
(4) Veget., I, 17, 18 ; II, 23.
358 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

appellerions aujourdhui lcole de compagnie ou lcole de


bataillon ; ils marchaient en ligne de bataille, chaque soldat
restant loign de son voisin de la distance rglementaire ; ils
doublaient les files (aciem duplicare) et les ddoublaient, se
formaient en carr (quadratam aciem constituere), en cercle
(instituere orbem) ou en coin (in trigonum, quem cuneum vo-
cant(1)). Ils prenaient ainsi lhabitude de ces mouvements par
cohortes et par centuries, o lessentiel tait de rester troite-
ment group autour du fanion, signe de ralliement et marque
extrieure de lunit tactique(2). Parfois mme, on les divisait
en deux sections qui marchaient lune contre lautre et se li-
vraient bataille ; cest ce que lon nommait decursio(3).
De plus, trois fois par mois, fantassins et cavaliers faisaient
une promenade militaire : le rglement remontait aux premiers
empereurs et avait t fix par des constitutions dAuguste et
dHadrien(4). Ces promenades en armes taient, on le com-
prend, un des exercices les plus propres endurcir le soldat et
le prparer aux marches forces que lon pouvait tre amen
lui imposer tout coup, si quelque Tacfarinas venait fran-
chir le limes et tenter un coup daudace sur le pays acquis la
domination romaine. Les fantassins parcouraient dix milles(15
kilom.) au pas militaire avec armes et bagages, partie lallu-
re ordinaire, partie lallure acclre. Les cavaliers devaient
faire le mme chemin, diviss par turmes et chargs de leurs
____________________
(1) Veget., I, 26.
(2) Idem, II, 23.
(3) Liv., XL, 6 : Mos erat... decurrere exercitum et divisas bifariam
duas acies concurrere ad simulacrum pugnae. Voir aussi Suet., Ner., 7 (cf.
Eckhel, Doct. Num. vet., VI, p. 271 et 503, o il commente une monnaie de
Nron avec la lgende DECVRSIO) ; et Vita Maximini, 6, 2.
(4) Veget., I, 27 : Praeterea et vetus consuetudo permansit et divi
Augusti atque Hadriani constitutionibus praecavetur, ut ter in mense tam
equites quam pedites educantur ambulatum ; hoc enim verbo hoc exercitii
genus nominant.
TRAVAUX DE LARME DAFRIQUE. 359

armes, poussant des reconnaissances sur les flancs de larme


en marche, poursuivant lennemi ou se retirant devant lui, ou
encore soutenant par un simulacre de charge les efforts de lin-
fanterie. On savanait ainsi travers plaines, valles et colli-
nes, afin que les hommes fussent placs dans des conditions
semblables celles quils taient exposs trouver la guerre(1).
Ce sont des manuvres de cette sorte que les soldats de
la IIIe Auguste et ses auxiliaires excutrent en prsence de
lempereur Hadrien, lors de son voyage dinspection gn-
rale en Afrique, et qui leur valurent lordre du jour si flatteur
dont jai donn plus haut la traduction(2).
On demandait aussi aux corps de troupes des exercices
dun autre genre. Dans nos armes, les travaux de fortification
et de terrassement sont rservs en gnral larme du gnie,
qui fait bien souvent appel, pour laider, lentreprise prive ;
les fantassins ne sont appels manier la pelle et la pioche
quen cas de guerre ou dexpdition. A Rome, sous lEmpire,
il ne semble pas que le gnie formt une spcialit(3) : lgion-
naires et auxiliaires devaient, presque chaque jour, fournir
____________________
(1) C. I. L., VII 18042 (Discours dHadrien aux cavaliers espagnols) :
Exercitatio quae veram dimicationis imaginem accepit.
(2) Voir p. 147 et suiv.
(3) Plusieurs inscriptions nous ont conserv la composition de dta-
chements militaires chargs de travaux spciaux. La plus clbre est peut-
tre celle de Coptos (C. I. L., III, 6627) ; on y voit que, pour faire la route du
dsert entre ce point et la mer Rouge, on avait envoy des soldats emprunts
aux deux lgions et aux troupes auxiliaires campes alors en gypte, sans
que laptitude spciale de ces soldats paraisse en avoir dirig le choix. Dans
un texte de Bougie (cf. C. I. L., VIII, 2728), les militaires chargs de travaux
sont des classici, qui, moins que dautres, devaient tre exercs aux terras-
sements, et des gsates. On pourrait citer aussi des textes dauteurs, qui tous
conduiraient la mme conclusion, par exemple un passage de Josphe o
il est dit que, comme on ne pouvait aborder Jotapat et que le chemin tait
inaccessible la cavalerie, Vespasien envoya des fantassins et des cavaliers
pour aplanir la route (De Bell. Jud., III, 7, 3).
360 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

des travaux manuels de toute sorte et particulirement ta-


blir autour du camp des fortifications passagres ou durables.
Par suite, il leur fallait acqurir lhabitude des ouvrages de
terrassement, apprendre creuser des fosss(1), lever des
retranchements en gazon ou en pierre(2), tablir la chausse
dune voie ; bref, se prparer aux travaux multiples qui assu-
rent aux armes la possession tranquille des pays occups ou
en prparent la dfense.
Cest grce tous ces exercices que les soldats du corps
dAfrique furent capables non seulement de conqurir les
provinces africaines, mais encore de les transformer et de les
gagner peu peu la civilisation. Pour se rendre compte de
lactivit dploye par les lgionnaires et les auxiliaires du
corps doccupation, il suffit, mme sans sattacher aux guer-
res et aux expditions de toute nature dont il a t question au
livre premier, dexaminer la liste des travaux dont les textes
pigraphiques nous ont gard le souvenir. Tout incomplte
quelle est encore, elle est dj considrable(3).
Les plus importants sont naturellement ceux quexcuta
la lgion de Numidie ; ou plutt, les constructions quon lui
doit sont celles dont nous avons gard le plus de souvenirs.
____________________
(1) Senec., Epist., 18 ; Tertull., ad Martyr., 5.
(2) C. I. L., VIII, 18042 (voir plus haut, P. 149).
(3) Si ce travail ntait pas limit larme dAfrique, il faudrait citer
un grand nombre de constructions dues la main militaire dans tout lEm-
pire. On peut consulter ce sujet un ouvrage spcial : W. Harster, Die Bau-
ten der rmischen Soldaten zum ffentlichen Nutzen, Spire, 1873, in-4 ; et
R. Cagnat, dans le Dictionnaire des Antiquit, grecques et romaines de M.
Saglio. s. v Manus militaris. Les meilleurs gnraux avaient pour maxime
quil faut toujours occuper les hommes, et, sils ne pensaient pas tous avec
Probus (cf. Vita Probi, 20) que le soldat annonam gratuitam comedere non
debet, ils taient au moins persuads que des travaux continuels fortifiaient
la discipline et endurcissaient les soldats (cf. Liv., XXXIX, 2, 6 ; Frontin.,
Strat., IV, 1, 15 ; Tac., Ann., XI, 20 ; XIII, 53, etc.).
TRAVAUX DE LARME DAFRIQUE. 361

Le premier ouvrage qui simposait aux soldats tait la construc-


tion mme du camp. Ds quils arrivent Lambse, ils se mettent
luvre(1), et le travail est achev en 129, quand Hadrien vient en
Afrique ; ils le rpareront, dans la suite, toutes les fois quil sera n-
cessaire : en 172/175, o les remparts et les tours ont besoin dtre
relevs(2), puis en 177/180(3), enfin aprs le grand tremblement de
terre de 267, qui causa tant de dsastres en Afrique(4).
Ce sont les lgionnaires qui amnent dans lenceinte du
camp leau ncessaire leur alimentation(5), qui captent la sour-
ce dAn-Drinn et btissent ct le temple de Neptune(6), ainsi
que le Septizonium et le Nymphaeum voisins(7) ; ce sont eux
aussi qui relient le camp aux villes dalentour, et en premier
lieu la cit de Lambse, par de grandes voies bien dalles, que
lon admire encore aujourdhui, surtout par la via maxima Sep-
timiana, faite sous Septime Svre(8) et rpare dans la suite(9) ;
ce sont eux encore qui lvent dans le camp les difices destins
leurs besoins ou leurs plaisirs, le prtoire(10), les thermes(11) et
toutes les constructions dont il sera question plus bas.
Ce sont eux, enfin, qui dcorent la ville de Lambse,
laquelle ils ont donn naissance, de ses plus beaux difices, de
ceux qui feront son ornement jusqu la fin de lEmpire. Ils la
dotent darcs de triomphe(12), de temples consacrs Esculape(13),
____________________
(1) C. I. L., VIII, 18042 : Sed et nova (castra) fecistis, dit Hadrien aux lgionnai-
res de Lambse.
(2) Ibid., 2546.
(3) Ibid., 2548 ; cf. 2736 et 2752.
(4) Ibid., 2571 ; cf. 2580, 2481.
(5) Ibid., 2572.
(6) Ibid., 2652 (an 248), 2654.
(7) Ibid., 2657, 2658.
(8) Ibid., 2705 (198/212).
(9) Ibid., 2718.
(10) Ibid., 2571.
(11) Toutes les briques qui ont t employes dans la construction des thermes
portent la marque lgionnaire (voir plus bas).
(12) Ibid., 2698, 18247 (188/192).
(13) Ibid., 2579 et suiv.
362 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Isis et Srapis(1), Silvain(2), de thermes et de bien dautres


constructions dont on na pas pu encore tablir la nature(3).
Pour couronner leur uvre, devant le temple principal de la
ville, ils rservent un espace vide qui sera le forum, et que
lattachement et la reconnaissance de plusieurs dentre eux
peupleront des statues de leurs lgats(4).
Il suffit, au reste, dune promenade dans les ruines de
Lambse pour tre matriellement convaincu du nombre
considrable ddifices construits par la lgion en cet endroit.
Le sol est littralement jonch de briques et de tuiles, toutes
estampilles du numro lgionnaire, qui, par consquent, sont
le produit de son industrie et ont t utilises par elle. On en
trouve dans lenceinte du camp, surtout dans les environs des
thermes, o elles ont t employes en grand nombre, aussi
bien qu lextrieur, prs de lamphithtre, au forum, dans
le mur qui le limite et dans les constructions adjacentes, dans
les assises des petites chapelles latrales du temple dEscu-
lape et des thermes voisins ; bref, tout le plateau o slevait
Lambse en fournit, et, chaque fois que lon fouille un di-
fice, on est sr den rencontrer parmi les dbris. La varit
des types destampilles que lon y relve est un fait digne de
remarque(5) : la forme des lettres accuse toutes les poques
depuis le IIe sicle jusquau IVe (voir la planche annexe) ;
ce nous est une preuve indubitable que lactivit dploye par
la lgion ne sest jamais ralentie.
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2630 (an 158). )
(2) Ibid., 2651.
(3) Ibid., 2706 (198/212).
(4) Ibid., 2730 2754.
(5) M. Pallu de Lessert en a insr une grande varit dans son petit
travail : Les briques lgionnaires de lAfrique romaine (Revue de lAfrique
franaise, 1888, p. 206 et suiv. Cf. mon Anne pigraphique, 1888, n. 148).
Cest grce son amabilit que jai pu runir les fac-simils des estampilles
que je reproduis sur la planche ci-jointe : il a bien voulu mettre tous ses es-
tampages ma disposition.
TRAVAUX DE LARME DAFRIQUE. 363

Nous la voyons sexercer pareillement dans toute lten-


due de la Numidie. Les lgionnaires de la IIIe Auguste et leurs
frres les auxiliaires btissent ou entretiennent, sur les limes,
les fortins qui le gardent(1) et les postes avancs qui le relient
aux villes de lintrieur de lAfrique(2). Ctait l proprement
leur tche, et ils ny ont point failli(3). De mme, ils tracent
des routes travers la province, celle de Thveste Gabs,
par exemple, ds le dbut de lEmpire(4), et celle de Thveste
Carthage en 128(5), pour ne parler que de celles que les ins-
criptions nous font connatre premptoirement ; ils jettent des
ponts sur les rivires(6) ; ils font ce que nos troupes devaient
faire plus tard dans les mmes endroits : ils essayent de rendre
habitables tous ces postes dtachs, sems dans les pays les
moins salubres et les plus sauvages ; ils sy construisent des
maisons et des casernes, quils se transmettent de dtache-
ment en dtachement(7) ; ils approprient les sources pour leurs
besoins(8) ; ils pensent aussi leurs plaisirs et lvent des am-
phithtres auprs de leur lieu de campement(9). Parfois mme,
lempereur fait appel leur activit pour tablir des centres de
____________________
(1) C.I.L., VIII, 2494 ( Lorth-Bordj) ; 2482 ( El-Kasbat ; voir plus bas
la description de ce poste).
(2) Ibid., 6 ( Bondjem) ; 3 ( Gharia-el-Gharbia ) ; 1 ( Ghadams, cf.
10990) ; 11048 ( Ksar-Gheln). Voir aussi ma remarque la suite du texte.
(3) Nous dcrirons ces diffrents postes dans le livre suivant de ce travail.
(4) C. I. L., VIII, 10018 et 10023.
(5) Ibid., 10048 et suiv.
(6) Ibid., 10117 (inscription du pont de Trajan Chemtou) : [Imp. C]
aesar [Tr]ajanus pont. [ma]x. trib. pot. XVI imp. VI cos. VI p. p. [pon]tem
novum a fundamentis [op]era militurn suorum fecit.
(7) Ibid., 2729 :
Maenia quisq[ue] dolet nova condere successori
Inculto maneat lividus hospitio.
Cf. C. I. L., III, 7512 : T. Fl. Apollinaris praef. alae I Dardan. qui et domum a
solo [s]umptibus suis fecit [ad]ventantibus [c]ollegis.
(8) Ibid., VIII, 17727 : M. Aurelius Antonius et Geta aquas Flavianas
vetustate conlap[sas per opera]tionem militum suor(um) restitue[runt].
(9) Ibid., 2488.
364 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

civilisation dans les contres nouvellement pacifies : cest


la lgion IIIe Auguste que Timgad doit son existences(1).
Les autres corps darme dAfrique, de leur ct, se
consacrent, dans les Maurtanies, des travaux semblables.
Nous voyons des soldats de la flotte avec des gsates occups,
en 147/152, percer un aqueduc aux environs de Bougie(2) ;
nous trouvons en 184/192 les troupes employes, par ordre
du procurateur, rparer des tours ruines ou en btir de
nouvelles dans les environs dAumale(3) ; An-Chkour, au
centre de la Tingitane, une cohorte dAstures lve un prae-
torium(4) ; ailleurs, la quatrime cohorte des Sicambres est
charge de mener bonne fin une construction dont la nature
nous chappe(5). L, du reste, plus encore quen Numidie, la
main militaire tait ncessaire pour doter le pays de routes
et douvrages de toute sorte, les indignes tant presque les
seuls habitants et la colonisation civile nayant gure pouss
plus loin que la bande voisine du littoral.
Si lon songe maintenant que ces travaux ntaient que
lemploi des loisirs laisss larme dAfrique par les soulve-
ments des indignes et les incursions des voisins, on compren-
dra quelle vie de travail la discipline romaine faisait aux sol-
dats lgionnaires ou auxiliaires, et lon ne stonnera pas que
des troupes ainsi exerces et tenues en haleine aient pu tre la
hauteur des difficults auxquelles elles avaient faire face.
Ce serait pourtant une erreur de croire que la vie du soldat
romain au camp ft aussi dure sous lEmpire quauparavant.
On avait apport quelque temprament la svrit des murs
antiques, qui, vrai dire, allait seffaant de jour en jour, mme
____________________
(1) C. I. L., VIII, 17842, 17843.
(2) Ibid., 2728.
(3) Ibid., 20816.
(4) Ibid., 21821.
(5) Ibid., 21604.
TRAVAUX DE LARME DAFRIQUE. 365

la fin de lpoque rpublicaine. Le temps ntait plus o le


soldat couchait sur la terre et reposait sa tte sur une pierre. On
peut le regretter, avec les auteurs de lpoque, qui ne laissent
jamais chapper ce thme de facile dclamation ; mais il faut
surtout le constater et bien se rendre compte que les conditions
des armes permanentes ne sont pas et ne peuvent pas tre les
mmes que celles des armes terme. Les soldats staient
donc proccups dassurer leurs aises, autant que faire se
peut dans un camp : ils avaient des lits pliants, pour les pou-
voir transporter avec eux dans les marches, des matelas et des
oreillers(1). Surtout ils entretenaient prs deux des esclaves qui
faisaient leur place toutes les corves pnibles. Cet usage,
qui existait dj sous la Rpublique(2), avait pris sous lEmpire
un grand dveloppement ; il tait dailleurs favoris par ltat,
qui donnait certains soldats double ration (duplicarii(3)), aux
autres une ration et demie (sesquiplicarii(4)), pour leur per-
mettre de nourrir, soit seuls, soit en commun avec un de leurs
compagnons darmes, l ordonnance qui les servait. Mais
ceux mmes qui narrivaient point au grade de duplicarius ou
de sesquiplicarius ne se privaient pas dune pareille facilit.
Le soldat avait des conomies ; ce quil possdait en arri-
vant au corps sajoutaient ce quil acqurait par hritage une
fois larme(5), le produit de sa solde et surtout les libralits
____________________
(1) Amm. Marcell., XXII, 4 : Et non saxum erat ut antehac armato cu-
bile, sed pluma et flexiles lectuli. On se plaignait dj de ce relchement
lpoque dHadrien, qui essaya de le corriger (Dio, LIX, 9 ; Vita Hadriani, 10).
(2) Les calones taient, mme de ce temps, un embarras pour les ar-
mes (cf. Sall., Jug., 44 ; De Bell. afr., 17).
(3) Ces soldats privilgis se nomment duplarii (C. I. L., VIII, 2564, 2895,
2921, 2816), duplicarii (Varr., De Ling.lat., V, 90) ou duplares (Veget., II, 7).
(4) Veget., loc. cit.
(5) On trouve souvent dans les inscriptions la mention de soldats qui
dsignent comme hritiers des compagnons darmes. Cf. Juven., Sat., XVI,
51 et suiv., et Dig., XLIX, 5.
366 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

impriales ; il se crait ainsi une fortune plus ou moins consid-


rable, que la loi reconnaissait et protgeait contre toute attein-
te ; il en disposait librement, mme alors quil tait encore en
puissance paternelle, et nul ny pouvait toucher que lui : ctait
ce quon appelle le peculium castrense(1). Sur ses conomies, il
achetait des esclaves(2), mme des servantes(3), et se crait ainsi
une domesticit militaire, sur qui il se dchargeait de toutes les
besognes serviles, du soin de ses bagages(4) comme de celui de
ses armes(5). Lusage en entra mme tellement dans les murs,
qu la fin du IVe sicle ltat prenait soin lui-mme de trans-
porter par la poste les valets darme de cette sorte(6). Il faut
pourtant remarquer que les inscriptions ne mentionnent que
fort peu desclaves appartenant des simples soldats(7) ; et, en
____________________
(1) Dig., XLIX, 17, 11 : Castrense peculium est quod a parentibus vel
cognatis in militia agenti donatum est, vel quod ipse filiusfamilias in militia ad-
quisivit, quod, nisi militaret, adquisiturus non fuisset. Paul., Sentent., III, 4,
3 : Filiusfamilias qui militavit de castrensi peculio tam communi quam proprio
jure testamentum facere potest. Castrense autem peculium est quod in casiris
acquiritur vel quod proficiscenti ad militiam datur. Cf. sur la question une thse
de droit assez complte Plaisant, Du pcule castrense , Paris, 1880.
(2) Cod. Theod., VII, 1, 3 : Dig., XLIX, 6. Cf. Veget., I, 10 ; C. I. L., X,
6095 ; Eph. epigr., VII, 1002.
(3) Dig., XXIII, 2, 45, 3 ; Eph. epigr. II, 796: Grate qui futues Grega(m)
ancilla(m) Lupi optionis legionis secundes. Il est question, il est vrai, dans ce
texte, dun option.
(4) Veget., III, 6.
(5) De l le mot galearii, que lon fait venir de lhabitude o taient ces
valets de porter les casques de leurs matres. Cf. le commentaire de Saumaise
la vie dHadrien (Hist. Aug., p. 35), en remarquant toutefois que le vers de
Properce que Saumaise cite lappui de son opinion est, en ralit, un vers de
Tibulle et na pas le sens quil lui prte.
(6) Cod. Theod., VII, 1, 3 : Quicumque miIitum ex nostra auctoritate
familias suas ad se venire meruerint non amplius quam conjugia, liberos, servos
etiam de peculio castrensi emptos, neque adscriptos censibus, ad eosdem Excel-
lentia Tua dirigi faciat.
(7) Cf., par exemple, C. I. L., X, 6095 : Victori Juli Marciani mil. frum.
servo ; Eph. epigr., VII, 1002 : D. M. Victoris, natione Maurum, [a]nnorum
XX, libertus Numeriani [e]quiti[s] ala I Asturum ; C. I. L., III, p. 959, XXV :
acte dachat dune esclave par un soldat de la lgion XIII Gemina.
TRAVAUX DE LARME DAFRIQUE. 367

Afrique, on ne trouve signals desclaves militaires que


prs des centurions(1) et dans la domesticit de vtrans(2). On
doit en conclure que, si en thorie le droit tait gal pour tous,
en fait, les officiers en usaient beaucoup plus que leurs subor-
donns, ce qui est tout naturel.
____________________
(1) C. I. L., VIII, 18317 et 18319 (dans ce dernier texte, la sigle > sem-
ble avoir t omise).
(2) Ibid., 3016, 3021, 9375.
368 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

CHAPITRE V.

TAT CIVIL DES SOLDATS.

Les soldats tant appels vivre dans un tat exception-


nel, on a t oblig, de tout temps, de modifier leur profit les
rgles du droit commun, soit pour leur interdire certains actes
incompatibles avec la dignit ou la profession militaires, soit
pour leur rendre possibles certains autres, malgr les difficul-
ts matrielles cres par cette profession mme. Il y a donc
eu, et il y aura toujours pour le militaire, un tat lgal distinct
de celui des autres citoyens.
Lensemble de ces dispositions juridiques, Rome,
pourrait fournir matire de longues dissertations ; mais si
ces discussions doivent trouver place dans un travail gnral
sur larme romaine(1), elles ne sauraient tre signales autre-
ment quen passant, dans une tude qui nembrasse quune
partie minime de cette arme. Il nous suffira donc dexaminer
le sort que ltat faisait au soldat sous le rapport du mariage,
parce que certains dtails qui se rencontrent dans les textes
pigraphiques de Numidie ou de Maurtanie seraient incom-
prhensibles sans cette tude, et que la facilit accorde aux
soldats de ce ct a entran dans lorganisation mme de
larme dAfrique des changements considrables.
____________________
(1) Ce travail est encore faire. On trouvera de nombreuses consti-
tutions relatives au droit militaire dans le Digeste XLIX, 16 (De re militari),
17 (De castrensi peculio), et dans dautres passages encore. Voir, pour
lpoque postrieure, Godefroy, ad Cod. Theod., VII (Paratitlon, t. II, p. 260
de ldition de Leipzig, 1736).
TAT CIVIL DES SOLDATS AFRICAINS. 369

Nous avons t amen, au premier chapitre de cette partie,


parler des lois qui rglaient le mariage des soldats romains
et examiner les consquences qui en rsultaient pour le
recrutement de la lgion, mais nous navons fait ces lois
quune courte allusion, nous rservant dy revenir ici. On
peut en effet, concevoir, relativement la condition du sol-
dat sous les armes plusieurs systmes, qui ont t ou sont
encore tous reprsents dans notre arme. En premier lieu,
le militaire peut tre condamn au clibat pendant toute la
dure de son service, quelque longue quelle soit : cest ce
qui se passe dhabitude dans les armes permanentes, ce qui
existait chez nous, par exemple, sous le second Empire. On
peut aussi permettre au soldat le mariage, mais sans lauto-
riser la cohabitation permanente avec sa femme ; tel est le
cas de nos gardes municipaux. Enfin on peut lui accorder le
droit de se marier et de cohabiter avec sa femme, sauf pen-
dant les heures de service : ainsi sont traits les hommes de
la rserve de larme active et de larme territoriale, qui
sont plutt, au reste, des civils ; les gendarmes et, pour reve-
nir lAfrique, les spahis tablis en smala. Mais, en gnral,
on considre le mariage comme incompatible avec le mtier
des armes, lesprit de famille tant contraire lesprit mili-
taire et crant au soldat des liens qui nervent le courage et
corrompent la discipline.
Dun autre ct, quand le service militaire est de trs
longue dure, comme il ltait Rome sous lEmpire, il est
invitable que le soldat, malgr les lois prohibitives, se cre,
dans la province o il tient garnison, des liens plus ou moins
semblables ceux du mariage, qui amnent la plupart du
temps la naissance denfants.
La question du mariage des soldats a donc une grande
importance non seulement pour les soldats eux-mmes dont
le genre de vie peut tre par l absolument modifi, mais aussi
370 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

pour leur famille qui, suivant les rglements dicts sur la


matire, sera tenue pour lgitime ou pour illgitime, qui, par
suite, participera la condition de tous les citoyens ou sera
considre comme exclue de la socit rgulire. Cette ques-
tion, plusieurs fois tudie, a t rsolue, par ceux qui sen
sont successivement occups, dune faon diffrente(1). Ce
sera une raison de plus pour lexaminer nouveau, laide
surtout des documents pigraphiques africains qui sont pleins
de renseignements ce sujet.

OFFICIERS SUPRIEURS.

Les officiers suprieurs de la lgion ou des troupes auxi-


liaires pouvaient tre maris. Il aurait t bien difficile de ne
pas admettre le fait pour les plus levs de ces officiers, lgats
lgionnaires ou procurateurs chefs darme, qui narrivaient
leur haute situation qu un certain ge et aprs avoir pass
par diffrents postes de la vie civile ; autrement il et fallu ou
nappeler aux grades suprmes que des clibataires, ce qui
aurait priv ltat de concours prcieux, ou interdire le ma-
riage presque tous les snateurs et chevaliers, du moins pen-
dant une grande partie de leur existence, ce qui et t aussi
____________________
(1) Les auteurs qui ont abord ce sujet les premiers sont MM. Momm-
sen (C. I. L., III, p. 905 et suiv. ; Gesammelte Schriten, VI, p. 29, note 4) ; Wil-
manns (tude sur le camp et la ville de Lambse, p. 21 ) ; et Mispoulet (Revue
de philologie, 1884, p. 113 et suiv., cf. tudes dinstitutions romaines, p. 229
et suiv.). Le premier croit que le lgionnaire navait pas le droit de se marier
au service, le second quil avait le droit de contracter un quasi-mariage, et le
dernier que rien ne lempchait de prtendre au conubium, comme tous les
citoyens romains. Lopinion de Mommsen a t de nouveau dveloppe par
M. P. Meyer (Der rm. Konkubinat, 1895, p. 100 et suiv.) ; par contre, elle
est vivement combattue par M. P. Tassistro (Il matrimonio dei soldati romani,
1901), lequel conclut la libert absolue du droit matrimonial pour les soldats
romains. La question est encore trs obscure. Jai donc maintenu dans ce pa-
ragraphe les opinions que javais exposes dans la premire dition.
TAT CIVIL DES SOLDATS AFRICAINS. 371

absurde que peu ralisable. Rien ne les empchait mme de


se marier pendant la dure de leur commandement ; tout au
moins, aucun texte ne permet de croire le contraire ; un pareil
cas tait rare, sans doute, mais il est bien vident quil pou-
vait se produire et quil se produisait.
Il en tait de mme pour les tribuns militaires, les com-
mandants de cohortes et dailes auxiliaires. Ceux-l sont, au
reste, nettement spcifis dans un texte du jurisconsulte Paul,
au Digeste(1) : on y voit seulement quil leur tait interdit de
prendre femme dans la province o ils tenaient garnison,
moins quils ne fussent eux-mmes originaires de cette pro-
vince ; encore, au cas o ils contractaient une liaison de cette
sorte, se transformait-elle, sils le voulaient, leur sortie du
service, en un mariage lgal, si bien que les enfants ns post-
rieurement taient considrs comme lgitimes(2). En ralit, et
abstraction faite des enfants quils pouvaient avoir tant enco-
re larme, ils avaient la possibilit, sinon le droit, de sunir
pendant leur temps de service avec qui bon leur semblait.
Mais le mariage dun officier nentrane pas forcment
la cohabitation ordinaire avec sa femme. Cest ainsi que,
sous la Rpublique, les officiers, mme le gnral en chef,
ne pouvaient amener leurs pouses larme(3), la prsence
au camp ou auprs du camp de femmes lgitimes tant consi-
dre comme contraire la discipline et au bon ordre. Sous
lEmpire, la rgle sadoucit : il est certain que les femmes des
____________________
(1) Dig., XXIII, 2, 63 : Praefectus cohortis vel equitum aut tribunus
contra interdictum ejus provinciae duxit uxorem in qua officium gerebat.
(2) Ibid., 65, 1 : Mihi placere etsi contra mandata contractum sit
matrimonium in provincia, tamen post depositum officium, si in eadem vo-
luntate perseverat, justas nuptias effici, et ideo postea liberos natos ex justo
matrimonio legitimos esse.
(3) Serv., ad Aen., VIII, 688 : Mulier castra sequebatur quod ingenti
turpitudine apud majores fuit.
372 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

officiers pouvaient accompagner leurs maris et stablir dans le


voisinage du camp. La tolrance stendit dabord au gnral
commandant larme. Auguste, malgr sa svrit, permit aux
lgats dtre en famille pendant les mois dhiver, o lon ne
pouvait songer tenter de longues expditions(1), et son exemple
fut suivi par ses successeurs(2). A Lambse, les soldats levrent
des statues aux femmes de leur lgat en plus dune occasion(3) ;
ce qui suppose quils les connaissaient, peut-tre mme quils
en avaient reu quelque bienfait, cest--dire quelles taient
tablies auprs deux. Les officiers dordre infrieur imitrent
en cela lexemple de leur chef. Nous en avons pour preuve,
en Afrique, plusieurs pitaphes trouves dans les cimetires
de Lambse. Lune delles contient lloge versifi dEnnia
Fructuosa, marie Aelius Proculinus, tribun de la lgion IIIe
Auguste, qui mourut auprs de son mari, victime dun mal-
fique(4). Une autre nous apprend le nom dune jeune femme,
originaire dAfrique sans doute ; elle avait suivi son poux en
Dacie, o il avait t envoy comme tribun ou comme prfet
dun corps auxiliaire, et y avait succomb(5). Une troisime,
que jai copie Bir-oum-Ali, campement de la 1re cohorte
des Chalcidniens, mentionne la femme dun prfet de cette
____________________
(1) Suet., Aug., 24.
(2) Idem, Calig., 25.
(3) C. I. L., VIII, 2739, 2740 (statues de Numisia Celerina, femme
de D. Fronteius Frontinianus) ; 2746 (statue de Statia Agrippina, femme de
Modius Justus) ; 2748 (statue dAelia Prospera, femme de C. Pomponius
Magnus).
(4) Ibid., 2756 : Ennia hic sita est Fructuosa quae non ut meruit
ita mortis sortem retulit : caminibus defixa jacuit per tempora muta, ut ejus
spiritus vi extorqueretur quam naturae redderetur Aelius haec posuit Pro-
culinus ipse maritus, legionis tantae tertiae Augustae tribunus.
(5) Ibid., 2772 : Flaviae Juliosae conjugi M. Servilius Fortunatus a
militiis qui per maria et terras retulit reliquias conjugis ex provincia Dacia.
Cf. aussi lpitaphe dun enfant de neuf ans, faite par son pre, tribun mi-
litaire, Lambse (ibid., 2770).
TAT CIVIL DES SOLDATS AFRICAINS. 373

cohorte(1). Une quatrime provient de Cherchell : elle figurait


sur la tombe leve sa femme par T. Herclanius Clemens,
prfet de lala miliaria(2). On pourrait aisment augmenter les
exemples, si lon en cherchait ailleurs quen Afrique. Ils suf-
fisent tablir ce que nous avons avanc. Les officiers sup-
rieurs avaient le droit de contracter mariage et mme de co-
habiter avec leurs femmes, autant du moins que les exigences
du service le permettaient.
OFFICIERS INFRIEURS, SOUS-OFFICIERS ET SOLDATS.

Pour les officiers infrieurs(3), y compris les centurions(4),


jusquau simple soldat, cest--dire pour tous ceux qui par-
couraient une carrire exclusivement militaire et restaient de
longues annes au service, la question est moins aise r-
soudre. Il faut distinguer entre les lgionnaires et les auxiliai-
res, cest--dire entre les citoyens romains et les prgrins.
LGIONNAIRES.

Les diplmes militaires qui sont, pour la connaissance


de ltat civil des auxiliaires, une source de renseignements
prcieux, nous manquent presque entirement pour les lgion-
naires(5). Il faut donc faire appel des documents moins prcis,
____________________
(1) C. I. L., VIII, 17589.
(2) Ibid., 21036.
(3) M. Meyer (op. cit., p. 104 et suiv.) admet que les centurions et les
principales avaient dj au IIe sicle, certainement depuis Septime Svre, le
droit de justum matrimonium .
(4) La condition des centurions est assimilable, sur beaucoup de points,
celle des soldats ; ce sont, eux aussi, des milites (C. I. L., VIII, 1891) ; ils ob-
tiennent lhonesta missio (C. I. L., VIII, 2818), comme le plus humble de leurs
subordonns.
(5) On sait que les seuls diplmes que lon possde ont trait aux lgions I et II
Adjutrix, formes, lorigine, de prgrins ; la mme remarque sapplique cet extrait
de diplme militaire, concd un soldat gyptien de la lgion X Fretensis, enrl en 69
pour la guerre de Jude (Ann. epigr., 1910, 75), qui a t publi tout rcemment.
374 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

et qui ne sont pas sans offrir des contradictions, du moins ap-


parentes. Le texte sur lequel on sappuie gnralement, com-
me tant le plus probant, est un passage de Dion Cassius(1) :
Claude, dit-il, ,
, , ,
. On y joint aussi deux autres textes, lun
de Tacite(2), lautre de Tertullien(3). Mais ces textes, il faut le
reconnatre, sont loin dtre aussi concluants et peuvent fort
bien sentendre non pas dune interdiction lgale, qui aurait
empch les soldats de se marier au service, mais dune impos-
sibilit matrielle o ils se seraient trouvs de prendre femme
cause de leur genre de vie. Dans ces conditions, il est sage de
ne point faire usage de ces documents. Reste le passage de Dion
Cassius, dont le sens ne saurait tre douteux. En vain a-t-on
voulu(4) lentendre de la cohabitation avec une femme et y voir
lassertion que la vie commune tait impossible aux militaires ;
il ny a pas moyen de se mprendre sur la signification des mots
, qui ne peuvent se traduire que par lexpression
franaise se marier . Dion a voulu dire que, les soldats ne
pouvant pas lgalement prendre femme, Claude leur concda
nanmoins les privilges accords aux hommes maris, cest-
-dire, comme on la fort bien expliqu(5), quil les exempta
____________________
(1) Dio, LX, 24, 3.
(2) Ann., XIV, 27 : Veterani... neque conjugiis suscipiendis, neque
alendis liberis sueti.
(3) Exhort. ad castit., 12 : Perierunt caelibum familiae, res spado-
num, fortunae militum aut peregrinantium sine uxoribus.
(4) Mispoulet, Revue de philologie, 1884, p. 119.
(5) Idem, ibid. Wilmanns voyait, dans ces ,
lautorisation donne aux lgionnaires de vivre en concubinat, sans que cet tat
illgal entrant pour les enfants irrvocablement lillgitimit. Cest donc un
fait acquis, dit-il (tude sur Lambse, p. 23), les soldats citoyens, une po-
que quelconque, mais probablement la mme poque et par le mme dcret
de Claude qui leur confrait les privilegia maritorum, pouvaient, une fois
TAT CIVIL DES SOLDATS AFRICAINS. 375

des dchances qui, daprs les lois Julia et Papia Poppaea,


frappaient le clibat. De ce texte il rsulte donc que les mili-
taires en activit, et non pas seulement les simples soldats, ne
pouvaient pas contracter dunions conformes la loi romaine ;
ce qui ne sapplique naturellement quaux citoyens romains et
par consquent aux lgionnaires. Mais le mme texte contient
aussi un autre enseignement, qui est que les soldats pouvaient
en ralit sunir des femmes pendant leur temps de service ;
seulement cette union, contracte en dehors de la loi, navait
pas le caractre dun justum matrimonium, dun conubium :
la femme ntait en ralit, en droit strict, quune concubine,
et les fils, que des enfants illgitimes. La preuve en est quils
ne pouvaient point tre inscrits dans la tribu de leur pre, ainsi
quil a t dit plus haut, et quils ne recevaient son gentilice que
sils entraient eux-mmes dans une lgion(1). Sils avaient t
considrs comme issus du mariage lgal, dit Mommsen(2), ils
auraient d tre inscrits dans la tribu de leur pre. La tribu Pol-
lia, qui leur est commune tous, doit tre regarde comme une
tribu personnelle, destine rendre possible le service lgion-
naire des recrues qui navaient pas droit une autre tribu. Le
fait que ces castrenses obtiennent, au moment de leur entre
au service, la faveur dune tribu spciale prouve donc que le
soldat ne peut contracter de mariage lgal.
On a fait cette thorie plusieurs objections. Les unes ne
____________________
pour toutes, obtenir la lgitimation des enfants issus de leur commerce avec
les citoyennes romaines et reconnus par eux. Cette opinion nest accepte
ni par Mommsen (Gesammelte Schriften, VI, p. 29), ni par M. Mispoulet
(loc. cit., p. 120).
(1) Voir p. 300 et suiv. Pour les ii principales et mme les simples
soldats, M. Tassistro cite (p. 38 et suiv.) un certain nombre dinscriptions o
les enfants, non soldats eux-mmes, portent le gentilice du pre, non de la
mre. Il en conclut que ce sont des enfants issus de conubium. Ne peut-on
trouver du fait une autre explication ?
(2) Loc. cit., note 4.
376 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

reposent que sur des raisonnements a priori(1) et des concep-


tions personnelles ; les autres sappuient sur des textes juridi-
ques ou pigraphiques ; nous nous occuperons surtout ici de
ces dernires.
On a dabord rappel le grand nombre dinscriptions
militaires, spcialement dinscriptions funraires africaines,
o lon trouve mentionne la femme du soldat ; cette femme
y est toujours appele uxor, conjux ou sponsa, non concubi-
na ; le soldat y est trait de conjux, de maritus, de sponsus(2).
Par consquent, dit-on, on ne peut douter que nous soyons en
prsence de vritables mariages. Mais nest-ce point accor-
der ces mots une valeur lgale quils navaient pas dans la
pratique ? Les lois elles-mmes ne gardaient pas toujours une
telle rigueur dexpressions, puisque le mot uxor figure sur les
diplmes militaires(3) propos de femmes prgrines unies
des prgrins, et qui, par consquent, ne sont pas maries
suivant la loi romaine.
En serait-il autrement, quon ne pourrait pas raisonna-
blement demander des pitaphes la svrit dans la rdac-
tion quon est en droit dattendre dcrivains spciaux ou de
____________________
(1) M. Mispoulet, par exemple (loc. cit., p. 114), pense que le clibat
na pu tre impos 200,000 hommes par Auguste, linspirateur des lois
Julia et Papia Poppaea. Si les soldats navaient pas pu se marier, conti-
nue-t-il, il et fallu ncessairement, sous peine dinjustice, les relever des
dchances prononces contre le clibat. Or rien dans les recueils juridiques
ne peut faire songer une exception de ce genre. Mais M. Mispoulet avoue
lui-mme que de tels mariages nont pas pu tre frquents, cause de la
condition mme des soldats, et que les clibataires taient en majorit parmi
les militaires, si bien que linjustice dAuguste envers les lgionnaires est
peu prs aussi choquante avec le systme de M. Mispoulet quavec celui qui
a t expos plus haut. De toute faon, Auguste a impos le clibat 200,000
hommes, lgalement ou en fait.
(2) Voir C. I. L., VIII, p. 329 et suiv., o sont runies les inscriptions
de cette sorte trouves Lambse.
(3) Cum uxoribus quas tunc habuissent.
TAT CIVIL DES SOLDATS AFRICAINS. 377

documents officiels. Ce quune pitaphe rvle, et rvle uni-


quement, cest lusage journalier, les habitudes de la vie pri-
ve ; or personne ne stonnera et le contraire seul serait
tonnant que les soldats aient donn leurs compagnes des
titres auxquels elles navaient pas droit, mais qui les rehaus-
saient leurs yeux et tmoignaient dune plus vive affection.
Une autre objection, plus grave en apparence(1), est tire
de quelques textes du Digeste qui supposent les soldats ma-
ris. La majorit de ces textes peuvent bien, dit-on, sexpliquer
comme la fait Mommsen(2), en supposant le mariage contract
antrieurement au service militaire. Cependant il serait ton-
nant que cette hypothse ft sous-entendue dans tous les cas(3) ;
et elle ne lest pas, en effet. Trois de ces lois nont de sens que
si le soldat peut se marier, et se marie, tant au service.
Le premier est de Papinien(4). La dot paye ou promise
un filiusfamilias, dit-il, ne fait pas partie du peculium cas-
trense. Or, pour que cette question puisse se poser, il faut que
la dot soit constitue pendant que lintress forme son pecu-
lium castrense, cest--dire pendant quil est soldat ; il faut
donc que le mariage se fasse cette poque. Le second est
dUlpien(5). Il tablit quune esclave achete sur le peculium
castrense dun soldat et affranchie par lui pour devenir sa
femme ne peut se marier ensuite un autre sans son consen-
tement. La mention du peculium castrense entrane encore ici
____________________
(1) Mispoulet, loc. cit., p. 118 et 119.
(2) C. I. L., III, p. 906, note 2.
(3) Le fait est indubitable pour un texte de Gaius (Dig., XXIV, 61, 1)
et pour un autre dUlpien (XLIX, 17, 6) ; pour quelques-uns, par exemple :
Dig., XXIX, 1, 7, 8, 9, 15, 15, 16, 28, 33, etc. ; XLIX, 17, 7, 8, 13, 16 ;
XXIV, 1, 32, 8,il ny a aucune preuve ni dans un sens, ni dans lautre.
(4) Dig., XLIX, 17, 16 : Dotem filiofamilias datam vel promissam in
peculio castrensi non esse respondi.
(5) Ibid., XXIII, 2, 45, 3 : Si filiusfamilias miles) castrensis peculii
ancillam manumiserit competere ei hoc jus.
378 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

comme consquence que le mariage sest fait pendant le


temps du service militaire. Enfin, dans un troisime texte,
celui-ci emprunt Papinien(1), on lit : Le fils en puissance
de pre ne peut pas contracter mariage (matrimonium), mme
tant soldat, sans la volont de son pre. Ce texte est encore
plus probant que les prcdents. Donc, conclut-on, les tmoi-
gnages des jurisconsultes nous indiquent que la loi permettait
au soldat comme au civil de se marier.

Le dernier de ces textes est le plus embarrassant, et la


conclusion quon en tire simposerait en effet, sil fallait en-
tendre le mot matrimonium, qui y est employ, du mariage
romain ; mais on peut le prendre dans un sens moins prcis ;
et il a t plusieurs fois employ, mme dans les lois, pour
signifier une union non conforme au droit et aux rglements.
Cest ainsi quen parlant des officiers qui sunissent une
femme originaire de la province o ils tiennent garnison,
ce qui, au dire de Papinien(2), empche toute union lgale en
ce cas, le jurisconsulte Paul a crit : Etsi, contra man-
data, contractum sit matrinionium(3). Et ce qui prouve bien
que le mot ne doit pas tre pris dans le sens de conubium,
cest que le mme auteur ajoute que ce matrimonium peut se
transformer postrieurement en justae nuptiae.
Un autre exemple non moins concluant se rencontre dans
les diplmes militaires adresss aux troupes de Rome, o il
est dit(4) : Jus tribuo conubii dumtaxat cum singulis et pri-
mis uxoribus, ut etiam si peregrini juris feminas matrimonio
suo junxerit. On est donc en droit de refuser lexpression
____________________
(1) Dig., XXIII, 2, 35 (Papinianus libro sexto responsorum) : Filius-
familias miles matrimonium sine patris voluntate non contrahit.
(2) ; Dig., XXIII, 2, 63. (Voir plus haut, p. 442, note 2.)
(3) Ibid., 2, 65, 1.
(4) C. I. L., III, p. 905.
TAT CIVIL DES SOLDATS AFRICAINS. 379

matrimonium dans le texte cit plus haut le sens de conu-


bium. Que si lon apportait, pour combattre cette opinion, des
exemples o le terme matrimonium est pris comme synony-
me de conubium, largument ne serait pas suffisant encore :
car le conubium entrane le matrimonium, mais la rciproque
nest pas vraie.
Quant la mention de dot dans le passage de Papinien
dont il a t question ci-dessus, elle ne prjuge rien sur la qua-
lit du mariage ; car les unions non romaines peuvent com-
porter la constitution dune dot, comme il rsulte de passages
formels insrs au Digeste(1).
Les textes sur lesquels sappuient ceux qui croient la
possibilit pour le lgionnaire de contracter mariage au service
sexpliquent donc tout naturellement, si lon ne force pas le sens
des mots. Il est vident que des unions militaires se produisant
forcment, par la nature des choses, et ntant pas assimilables
absolument aux unions illgitimes(2) que venaient contracter
ceux qui il tait loisible den former dautres, la loi avait d
soccuper de cette situation singulire et empcher les troubles
quelle pouvait apporter aux rglements gnraux tablis au su-
jet du mariage. De l ces trois ordonnances, la premire dcla-
rant que la dot donne un soldat encore en puissance paternelle
ne fait pas partie de son peculium castrense, et par consquent
quelle nest pas soumise aux exceptions juridiques dont b-
nficie ce pcule ; la seconde, quune affranchie achete sur le
peculium castrense, tant la proprit dun soldat, sil en fait sa
femme (ou, pour parler exactement, sa concubine), elle ne peut
____________________
(1) Dig. XXIII, 2, 61 Dote propter illicitum matrimonium caduca fac-
ta ; ibid., 63 (il sagit du cas o un officier pouse une femme de la province
o il tient garnison) : Quod (testamento) relictum est, potest mulier conse-
qui ; pecuniam tamen in dotem datam mulieris heredi restitui necesse est.
(2) Cest pour cela, ainsi que le fait remarquer M. Mispoulet ( loc. cit.,
p. 118, n. 3), quau Digeste, au titre De concubinis, il nest jamais question
des militaires.
380 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

pas se marier un autre, moins que le soldat ne renonce


elle ; et la troisime, quun soldat en puissance paternelle a
besoin de lautorisation de son pre pour contracter le seul
mariage quil puisse esprer, tant au service, et ne peut pas
profiter de sa qualit de lgionnaire pour se soustraire ce
devoir.
De tout ce qui prcde il rsulte que, si les lgionnai-
res navaient pas le droit de former des unions conformes au
droit romain commun, ils sunissaient nanmoins avec des
femmes prgrines ou citoyennes romaines, qui habitaient la
province o ils tenaient garnison, et souvent mme les villes
voisines des campements. Mais ils navaient pas, naturelle-
ment, lautorisation de les amener avec eux dans lenceinte
du camp, ni dhabiter avec elles en dehors ; ils ne jouissaient
de ces unions que dans les limites o la tolrance des chefs
les y autorisait.
Malgr ces empchements, le nombre des mariages en-
tre les lgionnaires et les femmes des provinces augmentait
de jour en jour. Wilmanns a fait remarquer que les pitaphes
de Lambse, qui sont en grande partie du IIe sicle, ne lais-
sent aucun doute ce sujet(1). Elles contiennent, avec le mme
dveloppement que celles du municipe voisin, lnumration
des parents du soldat tous les degrs ; elles nous donnent
lide de familles tablies depuis longtemps cet endroit et se
renouvelant par des mariages frquents avec les lgionnaires.
Une telle situation explique une rforme de lempereur
Septime Svre, dont le souvenir nous a t conserv par H-
rodien(2). Celui-ci, parlant des innovations introduites dans
larme par cet empereur, en 197, aprs la dfaite de Clodius
Albinus, nous apprend quil augmenta les rations de vivres
____________________
(1) tude sur le camp et la ville de Lambse, p. 12.
(2) Herod., III, 8.
TAT CIVIL DES SOLDATS AFRICAINS. 381

( ) des soldats, quil leur permit de porter lan-


neau dor, rserv jusque-l aux deux premiers ordres de
ltat, et quil leur accorda le droit de cohabiter avec leurs
femmes ( ). Cette dernire disposition est
dune importance capitale : elle modifia profondment la
vie des lgionnaires. Le camp cessa dsormais dtre pour
eux ce quil avait t depuis le dbut de lEmpire : une cit
commune, laquelle ils sattachaient parce quils y passaient
presque toute leur existence dhommes et quelle crait en-
tre eux un lien puissant ; ce ne fut plus, du moins pour bon
nombre dentre eux, les gens maris, quun lieu dexercices
o ils se retrouvaient une partie du jour, pour le quitter autant
quon le leur permettait. Leur vraie demeure tait maintenant
la ville voisine, o ils possdaient femmes, parents et enfants.
Wilmanns, qui le premier a compris la porte du texte dH-
rodien(1), en a exagr la porte en avanant qu partir de
cette poque le camp de Lambse avait commenc semplir
de constructions parasites, notamment de salles de runions
pour les sous-officiers, qui avaient occup la place rserve
prcdemment au campement des hommes ; les fouilles r-
centes, loin de confirmer cette manire de voir, ont prouv(2)
que les casernes y ont exist jusqu la fin de lEmpire ; mais,
ramen des proportions moindres, le fait nen semble pas
moins parfaitement admissible.
En mme temps, la ville de Lambse tait relie au camp
par une grande voie dalle, qui facilitait les communications(3).
Naturellement, cette cohabitation des soldats et des citoyens ne
fut pas sans donner une grande importance la cit ; elle sem-
bellit de monuments(4) quelle dut, pour la plupart, au travail
____________________
(1) Wilmanns, loc. cit.
(2) Voir plus bas la description du camp de Lambse.
(3) C. I. L., VIII, 2705.
(4) Ibid., 2585, 2657, 2658, 2671, 2705, etc. (Voir plus haut, p. 361.)
382 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

des lgionnaires. Dsormais, plus que jamais elle ne vcut


que de llment militaire(1).
Tous ces dtails runis nous permettent de nous repr-
senter trs nettement la condition des lgionnaires au IIe si-
cle, en Afrique. Ils nont plus rien de commun avec les sol-
dats originaires de Gaule ou dItalie, que nous voyons, au 1er
sicle, camps Thveste ou guerroyant contre Tacfarinas ;
ceux-l sont encore les successeurs des lgionnaires de la R-
publique ; lAfrique nest pour eux quun champ de bataille ;
quand ils y meurent, ils nont aucun parent prs deux pour
leur lever une tombe(2).
Les autres ressemblent bien plutt une arme territoriale.
Ils sont tous ns dans le pays ; quelques-uns, un grand nombre
mme, sont fils de lgionnaires et ont grandi prs du camp(3).
Une fois enrls, ils se marient ; ils tablissent leur femme
Lambse et habitent avec elle toutes les fois que les ncessits
du service ne les rclament pas ; ils ne la quittent gure que
lorsquils prennent part des expditions ou sont envoys dans
des postes dtachs. En ralit, leur vie est une vie de famille
autant quune vie militaire. Il est vrai que les mariages quils
ont ainsi contracts ne sont pas conformes au droit romain ;
mais les effets de cette situation irrgulire sont moins fcheux
pour eux que pour les autres hommes : leurs fils seront faits
citoyens en entrant dans la lgion(4) ; leurs filles se marieront
des lgionnaires, comme si elles taient issues de parents unis
en justes noces(5). Si leur mariage manque de la sanction lgale,
____________________
(1) Lambse devint municipe sous Commode (Gsell, Atlas archol.
de lAlgrie, XXVII, p. 15). Cf. C. I. L., VIII, 18247 (inscription antrieure
lanne 191).
(2) Ibid., 1875, 1876, 10626.
(3) Cf. plus haut, p. 297 et suiv.
(4) Ibid.
(5) C. I. L., VIII, 3015 : D. M. s. L. Aelio Leonidi mil. leg. III Aug....
L. Antonius Felix veter. genero inerenti.
TAT CIVIL DES SOLDATS AFRICAINS. 383

il ne leur en assure pas moins ce quils considrent bon droit


comme un bien prcieux une existence plus facile et un int-
rieur qui leur fait supporter patiemment les inconvnients du
service militaire. Aussi ltat nhsite-t-il pas, au IIIe sicle,
augmenter le nombre des annes de service ; le lgionnaire
restera au corps dornavant au moins vingt-cinq ans(1).
Cette tolrance de Septime Svre et de ses successeurs
amena sans doute, peu peu, un changement dans la loi, et il
dut tre permis postrieurement aux soldats de contracter, au
service, un mariage lgitime. On la dit depuis longtemps(2), en
se fondant sur un passage du Code Thodosien(3). Cependant,
bien lexaminer, ce texte na pas la valeur absolue quon
lui prte dordinaire. Les rglements relatifs au mariage des
lgionnaires ont d tre modifis au IVe sicle ; mais rien ne
le prouve dune faon indubitable.

AUXILIAIRES.

Ltat civil des auxiliaires nous est parfaitement connu,


grce aux nombreux diplmes militaires qui ont t trouvs
dans les diffrentes parties du monde romain. Il suffira dex-
poser en deux mots ltat de la question.
Les auxiliaires ntant pas des citoyens romains, il ny
a pas lieu dexaminer quel genre de mariage ils pouvaient
contracter ; on peut seulement se demander si la loi les autori-
____________________
(1) Mommsen, Eph. epigr., IV, p 510, note 1. Au dbut du rgne de
Septime Svre, la dure du temps de service est strictement de vingt-cinq
ans en Afrique (C. I. L VIII, 18068).
(2) Mommsen, C. I. L., III, p. 909, note 1.
(3) Cod. Theod., VII, 1,3 : Quicumque militum ex nostra auctoritate
familias suas ad se venire meruerunt, non amplius quam conjugia, liberos...
Excellentia Tua dirigi faciat. Il peut fort bien sagir ici de mariages contrac-
ts avant lentre au service. Cf. ibid., XIII, 6 et 7.
384 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

sait en contracter un quelconque. Les diplmes militaires,


aussi bien que les pitaphes, permettent de rpondre par laf-
firmative.

Les premiers, en effet, font constamment allusion aux


uxores des auxiliaires, et admettent par consquent quils
peuvent tre maris(1) ; bien plus, quelques-uns dentre eux
contiennent le nom de la femme, ct de celui du mari et
avant ceux des enfants(2). Quant aux pitaphes, elles nous
montrent des unions contractes entre soldats auxiliaires et
femmes prgrines, ouvertement(3). Les auxiliaires ont donc
eu, tout dabord, une position plus franche que les lgionnai-
res, par cela mme quils navaient pas attendre de la loi
romaine la conscration de leur mariage. Les unions que les
militaires citoyens romains formaient au service ntaient pas
celles auxquelles ils auraient pu aspirer, sils navaient pas
t enrls ; mais les non-citoyens, quelle quet t leur pro-
fession, nauraient jamais pu prtendre une union diffrente
de celles quils contractaient larme.
Ce nest point dire pour cela que les rglements mi-
litaires tolrassent la cohabitation des auxiliaires et de leurs
femmes plus quils ne la permettaient aux lgionnaires, du
moins ny a-t-il aucun texte ni aucune raison qui autorise cette
supposition, mais on peut croire que la rforme de Septime
Svre, mentionne plus haut, stendit aussi aux auxiliaires.
Si le passage dHrodien qui la mentionne semble sappliquer
____________________
(1) La formule habituelle est : Imperator... conubium dedit cum uxo-
ribus quas tunc habuissent cum est civitas iis data. Cf. C. I. L., III, p. 907.
(2) Cf., par exemple, Dipl. mil., III : Cattao Bardi f. Helvetio (gregali
alae Gemellianae), et Sabinae Gammi filiae uxori ejus Helvetiae, et Vinde-
lico f. ejus, et Materionae filiae ejus.
(3) En Afrique, on a des pitaphes faites des auxiliaires de larme
par leurs femmes : C. I. L., VIII, 9055, 9198, 9204, 21029, etc.
TAT CIVIL DES SOLDATS AFRICAINS. 385

surtout aux soldats des lgions(1), il est probable, nanmoins,


que le bnfice accord aux uns ne put tre refus aux autres ;
un changement analogue dut donc se produire plus ou moins
rapidement dans le sort des fantassins et des cavaliers des
cohortes et des ailes.
On sait quen recevant lhonesta missio, les soldats des
troupes auxiliaires voyaient leur mariage ex jure gentium
transform en conubium romain. Cest un fait trop connu pour
quil soit utile dy insister.
____________________
(1) Il y est dit que les soldats eurent, ds lors, la permission de porter
lanneau dor qui tait linsigne des deux premiers ordres. Il est bien difficile
dadmettre que cette permission sappliqut aux auxiliaires, qui taient des
prgrins.
386 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

CHAPITRE VI.

LA CAISSE DPARGNE ET LES COLLGES MILITAIRES.

Ltat ne se contentait pas de fournir au lgionnaire les


objets ncessaires lexistence et dadoucir autant que possi-
ble, en sa faveur, les exigences de la discipline : il prvoyait
pour lui lavenir et lassurait.
En premier lieu, il tait tabli que ceux qui auraient ac-
compli leur temps de service auraient droit une retraite(1).
Mais tous les militaires ntaient pas certains darriver jusque-
l ; ils pouvaient contracter au camp ou la guerre des mala-
dies ou des infirmits, recevoir des blessures qui les rendaient
impropres au mtier des armes et les faisaient rformer. Il
fallait donc envisager le cas o le soldat serait oblig de quit-
ter larme avant le moment de la libration. De l des insti-
tutions de prvoyance sur lesquelles Vgce nous a conserv
de prcieux renseignements : Illud vero, dit-il(2), ab antiquis
divinitus institutum est ut ex donativo, quod milites conse-
quuntur, dimidia pars sequestraretur apud signa et ibidem
ipsis militibus servaretur, ne per luxum aut inanium rerum
comparationem ab contubernalibus posset absumi. Plerique
enim homines et praecipue pauperes tantum erogant quan-
tum habere potuerint. Sepositio autem ista pecuniae primum
ipsis contubernalibus docetur adcommoda ; nam, cum publi-
ca sustententur annona, ex omnibus donativis augetur eorum
pro medietate castrense peculium. Miles deinde, qui sumptus
____________________
(1) On sait quelle slevait, pour les lgionnaires, 12,000 sesterces
(Dio, LV, 23).
(2) Veget., II, 20.
COLLGES MILITAIRES EN AFRIQUE. 387

suos scit apud signa depositos, de dese rendu nihil cogitat, ma-
gis diligit signa, pro illis in acie fortius dimicat, more humani
ingenii ut pro illis habeat maximam curam in quibus suam
videt positam esse substantiam. Denique decem folles, hoc
est decem sacci, per cohortes singulas ponebantur, in quibus
haec ratio condebatur. Addebatur etiam saccus undecimus,
in quem tota legio particulam aliquam conferebat, sepultu-
rae scilicet causa, ut, si quis ex contubernalibus defecisset,
de illo undecimo sacco ad sepulturam ipsius promeretur ex-
pensa. Haec ratio apud signiferos, ut nunc dicunt(1), in cofino
servabatur. Et ideo signiferi non solum fideles sed etiam lit-
terati homines eligebantur, qui et servare deposita scirent et
singulis reddere rationem.
De ce passage de Vgce il rsulte quil existait au camp
deux caisses distinctes, dont le contenu, proprit du soldat,
tait soumis la surveillance de ltat, mais dont la destina-
tion tait trs diffrente.
La premire tait analogue notre caisse des retraites.
Afin dobliger le soldat lconomie, on le contraignait d-
poser entre les mains des signiferi la moiti de ce qui lui reve-
nait chaque donativum, pour ne le lui rendre, suivant toute
vraisemblance, moins de raisons majeures, quune fois son
service termin. On lui versait alors, non pas, comme cela se
pratique, une somme annuelle fixe, ni une somme proportion-
nelle son temps de service, mais la somme mme quon lui
avait retenue, sans intrts, semble-t-il.
Cette somme pouvait atteindre un chiffre relativement
assez lev. Les empereurs, en effet, distribuaient des donativa
aux troupes non seulement lors de leur avnement, ce qui tait
____________________
(1) Lincise ut nunc dicunt ne sexplique gure dans ce passage. Je
suppose que le texte de Vgce portait : Signiferos [vel], ut nunc dicunt,
[draconarios]. Cf. II, 7 : Signiferi qui signa portant, quos nunc dracona-
rios vocant.
388 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

presque la rgle(1), mais dans mainte occasion : propos


dvnements qui intressaient la famille impriale(2), quand
il fallait apaiser des rvoltes militaires(3), ou pour fter des
succs(4) ; les plus gnreux, ou ceux qui voulaient sattacher
plus fortement larme, renouvelaient leurs prsents tous les
ans(5) ; les autres ne le faisaient que tous les cinq ou mme tous
les dix ans(6). Le montant des donativa tait galement varia-
ble. Au dbut de lEmpire, chaque soldat recevait un cadeau
considrable : en 708, Rome, Csar donna son arme, par
tte, 500 deniers(7) ; Auguste, en 711, distribua chacun de ses
soldats 2,500 deniers(8) ; en 718, 500 deniers(9) ; en 724, 250
deniers(10). Tibre, au dbut de son rgne, accorda aux vingt-
cinq lgions, conformment la teneur du testament de son
prdcesseur, 75 deniers, cest--dire 300 sesterces par tte
de lgionnaire(11). Les soldats de Germanie et de Pannonie
reurent mme, cette occasion, une gratification double(12).
Postrieurement, limportance des sommes distribues varia
avec les diffrents empereurs et les circonstances de leur av-
nement, mais elles restrent toujours trs leves(13). En ajou-
tant ces libralits successives les unes aux autres, on arrivait
constituer pour chaque soldat un certain capital. La preuve
en est que Domitien, craignant de voir ces caisses de dpts
____________________
(1) Suet., Claud., 10 ; Joseph., Ant. Jud., XIX, 4, 2 ; Dio, LXI, 13 ; LXV, 22 ; Vita
M. Anton., 7, etc.
(2) Tac., Ann., XII, 41 ; Suet Ner., 7 ; Dio,LIX, 2, LXV, 22 ; Vita Hadriani, 23
; Vita Severi, 16, etc.
(3) Tac., Hist., IV, 36 ; Dio, LVII, 5 ; LXXVIII, 19.
(4) Cf. Suet., Calig., 46 ; Herod., IV, 3, 6.
(5) Dio, LX, 12.
(6) Dio, LXXVI, 1 ; Vita Diadum., 2.
(7) Idem, XLIII, 21.
(8) Idem, XLVI, 47.
(9) Idem, XLIX, 14.
(10) Idem, LI. 17.
(11) Tac., Ann., I, 8 ; Dio, LVI, 32.
(12) Dio, LVII, 5, 6.
(13) Cf. Marquardt, Staatsverwaltung, II, p. 140 et 141 ; et Thdenat, dans le Dic-
tionnaire des antiquits grecques et romaines de M. Saglio, s. v Donativum.
COLLGES MILITAIRES EN AFRIQUE. 389

trop pleines dargent, et par suite un trsor de guerre la dis-


position dun chef darme ambitieux, limita la somme que
chaque homme pouvait y verser(1).
A ces rserves provenant des libralits impriales
sajoutait une partie de la solde annuelle attribue aux hom-
mes, celle qui restait disponible, toutes dpenses de vivres,
de vtements ou autres, retenues leur compte(2). Ce reliquat
tait, suivant un papyrus militaire de Genve, dj plusieurs
fois cit, mis in deposito(3) : ctait autant de plus que le soldat
avait plac, ou plutt que ltat avait plac pour lui la caisse
dpargne et quon inscrivait son avoir(4).
Une semblable rglementation, si favorable au soldat,
tait galement, au dire du mme Vgce, un moyen dassu-
rer la fidlit des troupes, puisquon les intressait la dfen-
se des enseignes et quon rendait la dsertion prjudiciable,
mme matriellement, qui aurait abandonn le service. On
a suppos aussi que ces dpts dargent facilitaient les op-
rations de la trsorerie militaire(5) en mettant sa disposition,
pour un temps, des sommes considrables ; mais rien, dans le
texte de Vgce cit plus haut, nautorise laffirmer. Il sem-
ble au contraire que ces sommes constituaient au moins
en thorie un dpt sacr auquel nul ne pouvait toucher, et
dont les signiferi(6) avaient la responsabilit ; ils employaient
____________________
(1) Suet., Domit., 7 : Nec plus quam mille nummos a quoquam ad si-
gna deponi (prohibuit), quod L. Antonius apud duarum legionum hiberna, res
novas moliens, fiduciam cepisse etiam ex depositorum summa videbatur.
(2) Nicole et Morel, Archives militaires du Ier sicle ; von Premers-
tein, Die Buchfhrung einer aegypt. Legionsabteilung (Klio, 1903), p. 12.
(3) Reliquas deposuit (II, 21) ; habet in deposito (I. 31).
(4) L. 10 et suiv. : ...reliquas deposuit dr. LXVI, et habuit ex priore
dr. CXXXV[1], fit summa CCII ; cf. l. 22 et suiv.
(5) Gauldre-Boileau, Ladministration militaire dans lantiquit, p. 289
(6) M. Mommsen pense que le titre de praepositus reliquationi, qui se
rencontre deux fois dans les inscriptions (C. I. L., VIII, 1322, et VII, 138),
390 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

comme auxiliaires des librarii depositorum, qui sont signals


au Digeste(1).
Quand le soldat mourait au service, cette petite fortune
qui, ainsi que le dit Vgce, faisait partie de son peculium
castrense, passait, comme celui-ci, son pre(2), ou aux hri-
tiers quil avait eu soin dinstituer par testament(3).
La seconde de ces caisses avait une tout autre destina-
tion : elle servait procurer une spulture honorable aux sol-
dats morts larme. Elle navait comme ressources que de
faibles cotisations(4), quon demandait tous les lgionnai-
res(5). Cest l une organisation remarquable, qui rappelle cel-
le des collges funraires ; elle faisait de la lgion, en quelque
sorte, une socit dassurance en cas de dcs.
Vgce ne dit pas, du moins dune faon positive(6), si les
____________________
dsigne lofficier qui avait la mission dadministrer la totalit de ces reliquats
(Bonner Jahrbcher, 1880, page 55). Il aurait centralis les comptes que tenaient
les signiferi avec laide des librarii depositorum. Une inscription rcemment
trouve (Ann. pigr., 1910, 36) ne permet pas daccepter cette explication. Le
praepositus reliquationi est le commandant des troupes laisses au dpt.
(1) Dig., L, 6, 7 .
(2) Ibid., XLIX, 17, 2. Cf. Plaisant, Du pcule castrense , p. 38 et suiv.
(3) Dig., XLIX, 17, 20.
(4) On lit, sur le papyrus militaire de Genve (I. 19 : ad signa), que
la somme mise de ct cette intention par un des soldats, en un an, est de 4
drachmes sur 744 qui constituent la solde totale. Elle est prleve sur le second
versement de lanne gyptienne, celui qui correspond la priode de quatre
mois (1er janvier, 1er mai).
(5) On connait, par les pitaphes du cimetire de Lambse, le prix de quelques
tombes leves des sous-officiers, ce chiffre varie entre 1,000 ( 272 fr.) et 2,000 ses-
terces (544 fr.) Cf. C. I. L., VIII, 2783, 2787, 2815, 2823, 2845, 2886, 2981. Mais
il faut remarquer que ce sont des tombes de sous-officiers et non de soldats, et que,
de plus, si lon sest donn la peine den indiquer la valeur, cest quelle prouvait la
gnrosit des ddicants et leur attachement au mort. Le prix moyen dune spulture
de simple soldat tait certainement fort infrieur. On ne trouve aucun renseignement
ce sujet dans la srie des tombes dcouvertes Lambse.
(6) Le mot contubernales, dans Vgce, sapplique gnralement, mais
pas exclusivement, aux simples soldats. Parfois il dsigne implicitement les
COLLGES MILITAIRES EN AFRIQUE. 391

simples soldats taient seuls admis profiter de cette institu-


tion, ou si les bienfaits sen tendaient aussi aux sous-officiers.
La seconde supposition parat pourtant fort invraisemblable,
puisque, partir du IIIe sicle, ceux-ci sorganisrent en col-
lges, surtout en vue de pourvoir leur spulture, ainsi quil
va tre dit. Il est donc presque certain que, du moins partir de
Septime Svre, les sous-officiers navaient rien de commun
avec la caisse de prvoyance lgionnaire(1). Les inscriptions
funraires, celles surtout des cimetires de Lambse, qui se
sont rencontres en si grand nombre, devraient nous clairer
sur ce dtail(2) : il nen est rien. Quelles soient leves des
officiers ou des soldats, les pitaphes sont toutes rdiges de
mme ; nulle part, mme sur celles des simples lgionnaires,
____________________
sous-officiers, ainsi quon le verra en comparant entre eux les passages sui-
vants : Epit., II, 10 : Praeterea aegri contubernales et medici a quibus curaban-
tur ; II, 12 : Tribuni vel praepositi contubernales sibi creditos sub oculis suis
juberent quotidie meditari ; II, Centurio eligendus est qui con tubernales
suos ad disciplinam retineat ; III, 10 : Sciat nominatim quis comes, quis
tribunus, quis domesticus, quis contubernalis quantum posait in bello .
(1) Cette distinction entre les simples soldats et les sous-officiers permet
peut-tre de comprendre comment Marcien a pu dire, sous le rgne de Cara-
calla, alors que, daprs les inscriptions, il existait dans lenceinte du camp des
salles de runion pour les collges de sous-officiers et de spcialistes : Man-
datis principalibus praescribitur praesidibus provinciarum ne milites collegia
in castris habeant (Dig ., XLVII, 22, 1). Une sorte de collge funraire exis-
tant depuis longtemps entre les soldats des lgions, et cela officiellement, ltat
navait aucune raison de tolrer des associations parmi eux, ni les soldats aucun
prtexte lgitime den tablir.
(2) La seule preuve que lon pourrait trouver sur les tombes de Lambse
contre la participation des sous-officiers la caisse de spulture est la prsence
de trois monuments faits par le dfunt lui-mme, de son vivant, et par cons-
quent ses frais (C. I. L., VIII, 2856, 2965?, 2986). Rien de pareil ne se rencon-
tre pour les simples soldats. Une seule fois, un soldat a prpar sa tombe (ibid.,
3172) ; mais il a perdu son fils tant au service (ibid., 3271), et par suite a t
oblig, par les circonstances, de penser sa dernire demeure ; il est tout naturel
quil ait song reposer auprs de son enfant, quoi que la lgion dt faire pour
lui aprs sa mort. Joint cela que le fils tait dj lui-mme un soldat et que la
spulture a pu tre paye par la caisse lgionnaire.
392 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

il nest question, ni directement, ni mme indirectement, de


somme paye par une caisse de bienfaisance. Quand on y
trouve un renseignement, cest le nom du parent, de lhritier
ou de lami qui sest charg de lrection du monument, aprs
avoir touch sans doute la prime funraire(1).
Les quelques mots contenus dans le texte de Vgce sont
donc les seules donnes que nous possdions sur les mesures
dictes par un rglement, quil qualifie dancien, pour assu-
rer une spulture aux simples soldats.
Pour les sous-officiers, au contraire, cest lpigraphie
qui est notre guide unique(2). Les inscriptions nous montrent
____________________
(1) Il nest mme jamais fait mention, dans lpitaphe de commilitones
(au pluriel), de contubernales, encore moins de collegae. La plupart des inscrip-
tions contiennent, au-dessous du nom du dfunt, celui du parent, de lhritier,
du compagnon darmes ou de lami qui a veill lrection de la tombe et a pu
en fournir, en partie, largent. Quelques-unes ne portent aucune autre indica-
tion que celle du nom et de lge du dfunt ; il serait tmraire de tirer quelque
conclusion de ce silence, car les exemples en sont frquents sur les tombes de
toute nature et dans toute ltendue de lEmpire romain. Les ddicants mention-
ns sur les pitaphes de Lambse se dcomposent de la faon suivante : 28 tom-
bes sont faites par les hritiers, 24 par la femme, 23 par le frre, 5 par le pre,
5 par des personnages dont la parent avec le dfunt nest pas mentionne, 5
par le fils, 4 par la mre, 4 par la sur, 3 par un camarade, 2 par un municeps, 1
par une concubine, 1 par le beau-frre, vtran. 1 par le neveu, 1 par un homme
dont la relation avec le mort nest pas spcifie, 1 par le dfunt mme (voir la
note prcdente). A Tbessa, camp de la lgion au Ier sicle, 3 tombes sont
faites par un camarade, 1 par lhritier, une cinquime, qui est leve par un
parent du dfunt, le pre, est dpoque postrieure et peut tre celle dun soldat
originaire de Tbessa. A Cartennas, o campa quelque temps un dtache-
ment de la lgion XXIIe Printigenia, peut-tre pendant le licenciement de la
lgion IIIe Auguste, les quatre pitaphes connues portent le nom de lhritier.
De mme pour la 1re Minervia : 2 tombes sont leves par lhritier.
(2) Voir, sur ces collges : L. Renier, Archives des missions scientifiques,
1851, p. 219 ; Wilmanns, tude sur Lambse, p. 20 et 21 ; Boissier, tude sur
quelques collges funraires (extrait de la Rev. arch., 1872 [XXII], p. 91 et
suiv.), et La religion romaine (d., 1878), II, p. 297 ; M. Cohn, Zum rm. Ve-
reinsrecht, Berlin, 1873, in-8, p. 109 et suiv. (Ueber die Collegia militum) ;
Marquardt, Staatsverwaltung, ll, p. 63 ; Liebenam, Zur Geschichte und Organi-
COLLGES MILITAIRES EN AFRIQUE. 393

les officiers infrieurs, sous-officiers et spcialistes de lar-


me romaine sorganisant partout en collges partir de la fin
du IIe sicle. La liste de tous les collges militaires connus a
t dresse par M. Waltzing(1), il est inutile de la reproduire
ici ; il suffira que nous nous limitions ceux qui existaient
dans le corps doccupation de lAfrique.
Nous y trouvons groups en associations les officiers,
sous-officiers et principales suivants :
Cavaliers lgionnaires(2) 198
Officiales du lgat(3) Rgne dlagabal ou de
Svre Alexandre.
Officiales des tribuns(4)
198.
Officiales du prfet du camp(5)
Rgne de Septime Svre.
Commis aux critures du tabularium legionis(6). Idem
Commis aux critures du tabularium principis(7). Idem.
Signiferi(8)
Tesserarii(9) 198.
Optiones(10) 198 ?
Cornicines (11)
203
Tubicines (12)
203 ?
Armaturae (13)
Rgne de Septime Svre.
____________________
sation des rm. Vereinswesens, Leipzig, 1890, p. 297 et suiv. (Anhang I : Die
Militrvereine) ; Waltzing, Corporations professionnelles chez les Romains,
I, p. 308 et suiv., et Diz. epigr. (de M. de Ruggiero), II, p. 349 et suiv.
(1) Op, cit., III, p. 374 et suiv. ; IV, p. 136 et suiv.
(2) C. I. L., VIII, 18045 ; Ml. de Rome, 1897, p. 144.
(3) C. I. L., VIII, 2586.
(4) Ibid., 18040 ; cf. 18078 et Ann. pigr., 1898, 12.
(5) Ibid., 1899, 60.
(6) Ibid., 1898, 108, 109.
(7) Ibid., 18072 ; cf. 18060.
(8) Ibid., 2561 = 18073.
(9) Ibid., 2552 = 18070.
(10) Ibid., 2554.
(11) Ibid., 2557.
(12) Ann. pigr. 1907, 184.
(13) Ibid., 1908, 9.
394 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Mdecins et infirmiers(1) 199.


Armorum custodes(2). 200.
Mensores(3)
Duplarii(4) 201 et 218-222.

Aucun de ces documents nest antrieur 198, cest-


-dire au rgne de Septime Svre ; ils sont tous peu prs
de la mme date ; cest donc lpoque de ce prince quil
faut faire remonter lorganisation de ces collges. Certains le
considraient, on le sait, comme le corrupteur de larme(5).
Nous avons vu plus haut ce quil avait fait pour adoucir aux
soldats la rigueur du clibat, insparable de ltat militaire, et
pour attnuer les effets des unions irrgulires quils contrac-
taient ; ce nest pas la seule mesure analogue quil ait adop-
te(6). Nous ne nous tromperons donc pas en lui attribuant
aussi cette innovation et en comptant la cration des collges
de sous-officiers au nombre des rformes quil imagina pour
amliorer le sort des militaires.
A cette poque, tout le monde romain tait rempli dasso-
ciations qui taient presque toutes des associations funraires ;
il en existait mme en Afrique(7), dont les lgionnaires nigno-
raient pas lutilit ; tout auprs deux, les vtrans taient or-
ganiss en socits de cette sorte(8), et, l o elles existaient, les
____________________
(1), C. I. L., VIII, 2553 = 18047 ; Ann. pigr., 1906, 9.
(2) Ann. pigr., 1902, 11, 12 et 13.
(3) Ibid., 1904, 72.
(4) Ibid., 1895, 204 ; Cf. C. I. L., VIII, 2654.
(5) Herodian., III, 8, 5 : ...
.
(6) Idem, ibid.
(7) Cf. le relev des inscriptions dAfrique relatives aux collges fu-
nraires, dans Traugott Schiess, Die rm. Collegia funeraticia, p. 139 ; voir
aussi Toutain , Les cits romaines de Tunisie, ch. VIII, p. 275 et suiv. : les-
prit dassociation dans lAfrique romaine.
(8) Ceci sera expliqu plus longuement dans le chapitre suivant, relatif
aux vtrans.
COLLGES MILITAIRES EN AFRIQUE. 395

curies municipales en tenaient lieu dans chaque cit(1). Il tait


tout naturel quils souhaitassent avoir le mme privilge.
Lempereur ne vit pas dinconvnient grave raccorder aux
sous-officiers et aux principales. Il alla plus loin : il laissa les
collges militaires sinstaller dans les camps et sy btir des
salles de runion, estimant sans doute quil serait plus facile
dempcher les abus de natre si les assembles des collges
se tenaient ouvertement sous lil des officiers, que si elles
se runissaient dans les villes voisines, o la surveillance tait
plus difficile.
Cest ainsi que slevrent Lambse, autour de la se-
conde cour du prtoire, toute une suite de scholae. On leur
donna la forme de basiliques, cest--dire celle dun rectan-
gle, dont une des faces est arrondie en abside ; lintrieur, on
les orna des statues et des images impriales qui en faisaient
autant de chapelles consacres au culte des empereurs, et lon
grava sur la paroi postrieure la loi fondamentale du collge,
avec les noms des officiers et sous-officiers qui avaient pris
part la fondation de la socit.
On a retrouv quelques-uns de ces rglements : ils nous
permettent de saisir, dans ses dtails, lorganisation de ces col-
lges et de nous rendre un compte exact de leur vritable but. Le
plus important est celui des cornicines ; il est ainsi conu(2) :

Pro felicitate et incolumitatem saeculi dominorum nn[n.] Augg[g.] L.


Septimi Severi Pii Pertinacis Aug. et M. Aurelii Antonini Aug. [et L. Septimi
____________________
(1) Voir, sur lorganisation des curies africaines en collges : C. I. L.,
VIII, 15683, et Joh. Schmidt, dans le Rhein. Museum, 1890, p. 599 et suiv. ;
Toutain, op. cit., p. 279 et suiv.
(2) C. I. L., III, 2557. Cf. les notes qui suivent le texte. M. Cohn donne
des sigles qui se lisent dans cette inscription une explication toute diffrente,
mais beaucoup moins acceptable (Zum rm. Vereiusrecht, p. 129).
396 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Getae Caes(aris)] Aug. et Juliae Augustae matris Aug[g.] et castrorum et


[Fulviae Plautillae Aug.] Antonini Aug. n. [conjugis], cor(nicines) leg. III
Aug. P. V.

(Suivent 36 noms.)

Scamnari n(omine) dabunt col(legae) qui fac(ti) fuer(int) denarios DCCL.


Si qui d(e) col(legis) tram(are) pro(ficiscetur), cum pers
acc(ipiet) viat(icum) pro(cessus) m(iles) denarios cc, eq(ues) a(utem) [dena-
rios] D. Item vetranis anularium nom(ine) denarios D.
Item si qui ex col(legio) amplio(re) grad(u) prof(ecerit) accipiet) denarios D.
Item si qui obitum naturae red(diderit), acc(ipiet) her(es) ips(ius) sive
proc(urator) denarios D.
Item, quod abom(inamur), si q(uis) locu(m) su[um] ami(serit) accipiet
denarios CCL.
Ei s(cilicet) t(antum)m(odo) qui arc(a) solu(ti) sunt.
Et si quis de tironib(us) ab hac die satis arcae fec(erit), accipiet quit-
quit debet(ur).
Lex facta XI kal. Sept. [Plautiano] II et Geta. II cos. (a. 203).

Le rglement du collge des tubicines est tout fait le


mme(1) et de la mme poque.
[Pr]o felicitat(e) et incolumitat[e sa]eculi domin(orum) nnn. Auggg
[L. Se]ptimi Severi Pii Pertin(acis) Aug(usti) [et] M. Aurel(i) Anton(ini)
Aug(usti) [et. L. Septimi Getae Caes(aris)] Augg. [et] Juliae Aug(ustae)
matr(is) Aug(usti) n(ostri) cas[t(rorumque) t]ub(icines) leg. III Aug. P. V.
q(uorum) n(omina) sub[s(cripta sunt)].

Suivent les noms :

[Sc]amnari n(omine) dabun[t colle]gae q(ui) fac(ti) fuer(int) denarios


DCCL.
[A]nulari n(omine) [in]stituim(us) ve[tran(is) m]ission(e) accep(ta) in
si[ngul(os) denarios D].
____________________
(1) R. Cagnat, Klio, VII (1907), p. 183 et suiv. ; Ann. pigr., 1907, 184.
COLLGES MILITAIRES EN AFRIQUE. 397

Vel si qui de co[llegis p]rofec(erit) per d. ac[ci(piet) denarios D.


[It]em si qui de col(legis) tr[am(are) prof(iciscetur) cu]m pers
ac(cipiet) viat(icum) p[ro(cessus) miles denarios cc

Le collge des optiones se donnait, vers la mme date(1), un rglement


analogue. On y lit(2) :

Pro salute Augg. optiones scholam suam cum statuis et imaginibus do-
mus [di]vinae item diis conservatorib(us) eorum ex largissimis stipend[ii]s et
liberalitatib(us) quae in eos conferunt fecerunt, curante L. Egnat[i]o Myrone
q(uaestore) ; ob quam sollemnitatem decreverunt uti collega proficiscens ad
spem suam confirmandam accipiat sestertium VIII mil(ia) n(ummum) ; ve-
terani quoque missi accipiant kal(endis) lan(uariis) anularium singuii ses-
tertium VI mil(ia) n(ummum). Quae anularia sua die quaestor sine dilatione
adnumerare curabit.

Deux autres fragments appartiennent, lun au collge


des tesserarii(3), lautre celui des optiones valetudinarii, pe-
quari, librarias et dicentes capsariorum(4). Le premier est de
lanne 198, le second de 199 ; ils sont conus peu prs dans
les mmes termes que le prcdent(5) :
D

[Imp. Caes. L. Septimio Se]vero P[i]o Pertin. Arab[ico Adiabenico


Parthico maximo Aug. et M. Au]relio Antonino Aug. Par[th. Brit. Germ. et
Juliae Augustae matr]i Aug[g]. et castrorum ded[icante Q. Anicio Fausto leg.
Augg. pr. pr. cos.] des. tesserarii leg. III Aug. P. [V. scholam ex largissi-
mis stipendiis fecerunt] ob quam sollemnitatem [decreverunt ut iis qui ex eo
____________________
(1) L. Renier (Archives des missions, 1851, p. 219) lattribue avec
assez de vraisemblance lanne 198 et lpoque o Caracalla venait de
recevoir le titre dAuguste.
(2) C. I. L., VIII, 2554.
(3) Ibid., 2552, 18070.
(4) Ibid., 2553 ; cf. aussi Ann. pigr., 1906, 9.
(5) Cf. un quatrime rglement de collge, trs mutil et dune rdac-
tion semblable : C. I. L., 2556.
398 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

colle]gio dimitentur singulis anular[i nomine dentur ... sestertium... mil(ia)


n(ummum), cur]ante C. Julio Tertullo [q]ues[tore].

E
lmp. Caess. L. Septimio [Severo Pio Pertinaci Aug. et
M.] Aurelio Antonin P[io Aug. et L. Septimio Getae Caes.]
et Juliae Aug. matri Aug[g]. et castror[um, dedicante Q.
Anicio] Fausto cos. ampl(issimo), ex largissimis stip[endiis
quae in] eos conferunt fecerunt optiones valetud(inari) duo
Caecil(ius) Ur[banus et medici ?]... pequari, librarius et
discentes capsariorum leg. III Aug. P. [V. ob quam so]lemni-
tatem decreverunt universi arca(m) habere et so[ciis... qui ex]
eodem colleg(io) dimittentur anulari n(omine) singulis ses-
tertium II m(ilia) n(umrnum) da[re...], item discentib(us) pro
port(ione) scamnari sui sestertios co n(ummos)...
Le rglement des commis du tabulariurn legionis porte(1) :
F
Tabularium legionis cum imaginibus domus divinae ex largissimis sti-
pendis et liberalitatibus quae in eos conferunt fecerunt L. Aemilius Cattianus
cornicular(ius) et T. Flavius Surus actarius item Iibrar(i) et exacti leg. III
Aug. P. V. q(uorum) n(omina) subjecta sunt ; ob quam sollemnitatem decre-
tum est ut si qui in locum corniculari legionis vel actari missi emeriti substi-
tutus fuerit, det ei in cujus locum substitutus est anulari nomine denarios ;
item si qui in locum cujusque librari substitutus fuerit, det scamnari nomine
collegis denarios ; et si qui ex eodem coliegio honestam missionem mis-
sus fuerit, accipiat a collegis anulari nomine denarios DCCC, item si qui ex
collegis profecerit accipiat denarios D.

Les officiales du prfet avaient le rglement suivant(2) :


G
Scola[m cu]m imaginibus [domus divinae ex larg]issimis stipendiis
[et liberalita]tib(us) quae in eos conferunt [fecerunt o]fficiales Aeli Saturnini
____________________
(1) Ann. pigr. 1898, 108.
(2) ibid., 1899, 60.
COLLGES MILITAIRES EN AFRIQUE. 399

[p]raef(ecti)leg. III Aug. P. V. [M. Ba]ebius Speratus cornicul(arius) [item


librari quor]um nomina subjecta sunt [ob quam sollemnit]atem decreve-
runt anulari n(omine) veteranis suis [item iis qui pr]oficient singulis corni-
culario sestertium IIII m(ilia) n(ummum) [nulla dila]tione facta numerari
et libraries

Dans la salle du collge des gardes darmement tait af-


fich ce qui suit(1) :
H

Imp. Caess. L. Septimio Severo Pio Pertinaci Arab(ico) Adiab(enico)


et M. Aurelio Antonino [et L. Septimio Getae] Augg[g] et Juliae Aug(ustae)
matri Aug. n. et castr(orum), dedic(ante) Q. Anicio Fausto consulari, armo-
rum custodes ob sollemnitatem decreverunt ex arca sua veteranis qui de
eodem collegio dimittentur anulari n(omine) singulis denarios millenos et
quingentos et qui ad uberiorem locum se transulerint singulis denarios mille-
nos.

A quoi il faudrait encore ajouter le rglement dun col-


lge de duplarii (?), constitu au retour de lexpdition mso-
potamique(2), sil contenait des indications plus prcises que
la phrase suivante, rajoute aprs coup sur la pierre :
I

[Secundum] legem scholae [collegis] prioribus denarios c quaestor


[numerare debebit].

On voit que tous ces rglements sont trs semblables, mais


ingalement dvelopps(3) ; leur comparaison permet cependant
____________________
(1) Ann. pigr., 1902, 10 et 147 b.
(2) Ibid., 1895, 204 : Dessau, Klio, 1908, p. 462.
(3) On sait que les statuts de collges que nous possdons ne sont pas
tous des statuts complets et rgulirement diviss comme ceux qui rgissent
nos socits actuelles. On se contentait souvent dindiquer les points princi-
paux ; pour le reste, on se rfrait la coutume ou aux rglements connus de
collges semblables.
400 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

de se rendre compte assez exactement de lorganisation de


ces socits.
On payait, pour en tre membre, une cotisation qui porte
le nom caractristique de scamnarium, parce quelle confre le
droit de sasseoir sur les bancs disposs tout autour de la schola
du collge(1). La phrase qui se lit la fin du rglement des cor-
nicines : Ei scilicet tantummodo qui arca soluti sunt , indi-
que que cette cotisation ne se versait pas ou pouvait ne pas se
verser en une fois ; on avait videmment un certain temps pour
se librer ; et ctait toute justice, tant donne llvation de la
taxe dentre qui montait 750 deniers chez les cornicines, et
qui devait tre plus importante encore dans les autres collges,
puisque les sommes comptes aux ayants droit sont plus consi-
drables(2). On doit supposer que, par analogie avec ce qui se
passait pour les autres associations romaines(3), dont nous pos-
sdons les statuts, le scamnarium se composait de deux parties
distinctes : une somme rclame chaque membre lors de son
entre dans lassociation et une suite de cotisations, mensuelles
sans doute, qui compltaient le premier versement.
Les nouveaux venus et les lves (tirones, discernes)
jouissaient de la mme facilit que leurs ans (lois A et D),
ds quils avaient vers le droit dentre (si satis arcae fece-
rit), et proportionnellement leur mise de fonds (pro portione
scamnari sui).
____________________
(1) Voir ce qui sera dit plus bas sur la disposition de ces difices dans
la description du camp de Lambse.
(2) Personne ne stonnera de constater avec M. von Domaszewski
(Die Rangordnung, p. 71) que les diffrentes primes payes aux membres
des divers collges sont proportionnelles au degr quoccupent dans la hi-
rarchie militaire les membres de ces collges et, ce qui revient au mme,
leur solde.
(3) Cf., par exemple, lorganisation du collge de Diane et dAntinos
(C. I. L., XIV, 2112) : Quisquis in hoc collegium intrare voluerit dabit ka-
pitulari nomine HS c n(ummos), item in menses sing. a(sses) v.
COLLGES MILITAIRES EN AFRIQUE. 401

Cette cotisation, encaisse par les soins du trsorier


(quaestor) cit dans les lois C, D et I, servait :

1 A fournir aux membres les moyens de travailler leur


avancement ;
2 A assurer ceux qui sortent du collge pour un motif
quelconque une certaine somme dargent dont ils ont la libre
disposition.
La premire clause, qui, la vrit, nous parat singu-
lire, avec nos ides actuelles de discipline et de hirarchie,
nest nonce que dans la loi C. Loption qui se dplace pour
faire des dmarches ad spem suam confirmandam , cest-
-dire en vue dtre promu un grade suprieur, reoit du
collge 8,000 sesterces (2,175 fr.). Cette somme parat, au
premier abord, trs considrable ; on stonnera moins de son
importance, si lon songe que les options arrivaient directe-
ment au grade de centurion(1). Lavancement tait assez beau
et les profits attachs aux postes convoits assez levs pour
que lon ne regardt point aux frais lorsquil tait question
dobtenir une telle nomination ; et dailleurs, il sagissait de
traverser la mer et daller jusqu Rome obtenir de lempe-
reur sa promotion.
Cest aussi ce qui explique pourquoi, dans les autres col-
lges o les intrts des membres ntaient pas les mmes, il
nest point fait mention dune clause de cette nature.
En revanche, toutes ces lois sont unanimes dclarer
que les associs recevront, leur sortie du collge, une som-
me dargent. Les unes le disent en quelques mots : Ceux qui
quitteront le collge recevront, aux calendes de Janvier (loi C)
____________________
(1) Cf. Von Domaszewski, Die Rangordnung, p. 41 ; ou do le nom
doptio spei ou doptio ad spem ordinis, qui figure sur les inscriptions (C. I.
L., III, 12411 ; V, 7004 ; VIII, 18085).
402 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

et sous le nom danularium(1), la somme de sesterces. Les


lois C et E stipulent que cet anularium sera pay aux vt-
rans, mais elles ne mentionnent aucun des autres cas o les
intresss pourraient tre amens quitter le collge. Les r-
glements A et B, au contraire, entrent dans un certain nombre
de dtails instructifs. Ils reconnaissent plusieurs catgories:
on cite dabord ceux qui peuvent tre promus dans un autre
corps darme et qui, comme tels, sont appels traverser la
mer ; ceux-l, outre la somme laquelle ont droit ceux qui
quittent le collge, 500 deniers (5.44 fr.), reoivent des frais
de route (viaticum processus) de 200 deniers (217 fr.)(2), les
____________________
(1) Le mot anularium est assez difficile expliquer. Mommsen a fait
remarquer depuis longtemps que, suivant Hrodien (III, 8, 5), Septime Svre
accorda aux soldats le droit de porter lanneau dor, privilge rserv jusque-l
aux chevaliers. Sans doute faut-il entendre par l non pas les soldats en activit,
mais les vtrans. La prime qui leur tait verse Lambse, au sortir du service,
aurait t, pour ainsi dire, la somme destine acheter lanneau auquel ils vont
avoir droit. Cf. sur lanularium : Besnier, Ml. de lcole de Rome, 1899, p.
209, et von Domaszewski, dans la Realencyclop., de Pauly -Wissowa s, v.
(2) Cette premire disposition du rglement est prsente en abrg, et
les abrviations en sont trs obscures. L. Renier lisait : Cum pr(ofecturi) s(int)
acci(pient) viat(orium) pro m(ari) X CC eq(ue) a(bsentia) r(egressi) D , ce
qui est aussi linterprtation dHenzen (Inscript. select., 7420 avv). M. Cohn,
de son ct, propose, ce qui est tout fait inadmissible (op. cit., p. 129) : Si
qui(s) d(e) col(legio) tram(are) pro(ficiscetur), (cum) p(lebis) r(eipublicae) s(it),
acc(ipiet) viat(icum) pro m(ense) X CC e(t) q(uaestor) a(rcae) r(eipublicae) D .
Lexplication du Corpus est plus acceptable ; elle a t adopte par les rudits
les plus comptents : Dessau (Inscr. lat. sel., 2354), Waltzing (Assoc. profess.,
III, p. 379), von Domaszewski (Die Rangordnung, p. 230), Elle contient cepen-
dant un dtail bien singulier ; cest la distinction matrielle, qui ne parait que
dans ce paragraphe entre le cavalier et le fantassin. Peut-on admettre que le fan-
tassin, appel dans un autre corps darme et oblig de traverser la mer pour sy
rendre, toucht 200 deniers comme frais de dplacement, en plus videmment
de la part qui lui est due son dpart du collge, ce qui lui ferait 700 deniers
percevoir, tandis que le cavalier en toucherait 500 + 500 = 1000, supplment
destin sans doute au transport de son cheval ? Mais de deux choses lune : ou
bien le cheval tait la proprit de ltat, ou bien il appartenait au soldat ; dans
le premier cas, il est vraisemblable que, si ltat ne se chargeait pas du transport
COLLGES MILITAIRES EN AFRIQUE. 403

autres, ceux qui obtiennent un avancement dans la lgion, ne


doivent prtendre qu 500 deniers. Les vtrans, qui forment
la troisime classe cite par le rglement, touchent aussi, au
moment o ils quittent le corps, 500 deniers ; mais, si lon est
dgrad ou renvoy du service, on ne peut rclamer que la
moiti de la somme prcdente. Restent enfin ceux qui meu-
rent en activit, au camp ; ceux-l seront enterrs avec lar-
gent quils auraient reu sils avaient appartenu aux catgo-
ries prcdentes ; leur hritier ou leur procurateur(1) recevra
pareillement 500 deniers(2).
____________________
de lanimal, le cavalier tait dmont son dpart dAfrique pour tre remont
lors de son arrive dans un autre corps ; dans le second cas, ntait-il pas beaucoup
plus simple et plus avantageux pour le soldat de vendre son cheval au dpart, plu-
tt que de le transporter avec lui, souvent des distances considrables ? On peut
se demander si les 500 deniers dont la mention termine le second paragraphe de la
loi ne reprsentent pas la somme laquelle ont droit les membres sortants de las-
sociation, et si le paragraphe ne pourrait pas signifier : le soldat promu touchera
un viaticum de 200 deniers, sans prjudice des 500 deniers qui sont accords
tous, indistinctement, quand on est oblig de se retirer du collge. En tout cas, les
complments de tout ce paragraphe tels quils sont proposs par le Corpus ne sont
pas assez certains pour quon doive les admettre sans restriction.
(1) Par procurateur, il faut entendre celui qui tait le reprsentant finan-
cier du dfunt et de sa famille, qui, dans la circonstance, encaissait largent et se
chargeait de liquider les frais de la spulture. On trouve des procurateurs de cette
espce signals sur les tombes de Lambse (C. I. L., VIII, 2891) : Uxor..... fecit
curant(e) J(ulio) Basso Donato procuratore. Le mort se nommant aussi Julius
Bassus, cest, dans ce cas, trs probablement un affranchi ; (ibid., 2922) : D.
M. C. Juli Lat filia et heres..... fec(it) per Julium Chrysophe[m] libert(um) et
procur(atorem) ; (ibid., 3006) : procurav[erunt] Chresimus lrenaeus libert(i)
ejus. Cf. C. I. L., III, 265 : D. M. Fl. Audacis o. leg. I Adjutric(is) natione
Germanici Julius Fortunatus collega et procur. ejus.
(2) Cest le montant dun enterrement et dune spulture convenables
Lambse ; un vtran avait prvu cette dpense pour ses funrailles, in funus
et monimentum (C. I. L., VIII, 3079). On pouvait dpenser beaucoup plus ou
beaucoup moins. [Voir, aux Indices du Corpus, t. VIII, les prix indiqus par les
inscriptions dAfrique pour les frais de spulture ; la somme la plus faible est de
200 sesterces (54 fr.) ; la plus leve de 80,000 sesterces (21,750f). Le chiffre
de 100,000 (ibid., 3006) est trs douteux, celui de 200,000 (ibid., 2825) doit tre
ray de la liste, tant le rsultat dune erreur.]
404 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Tout ceci peut se rsumer dans le tableau comparatif


suivant, o lon verra la valeur en deniers du droit dentre et
des primes payes dans les diffrents collges de Lambse :

TABULARIUM LEGIONIS OFFICIUM


ARMORUM CORNICULA- LIBRARII PRAEFECTI
DSIGNATION OPTIONES RIUS EXACTI
CUSTODES ACTUARIUS CORNICU-
LARIUS

Scamnarium........................... M
Anularium.............................. MD MD M DCCC M
Dplacement........................... MM
Avancement dans la lgion.... M D M
Mort.......................................
Dgradation............................
VALETUDINARIUM
CORNICINES MEDICI DISCENTES TESSERARII DUPLARII
DSIGNATION TUBICINES ETC.

Scamnarium........................... DCCL
Anularium.............................. D D CCL
Dplacement........................... CC (miles)
D (ecques)
Avancement dans la lgion.... D
Mort....................................... D
Dgradation............................ CCL

Ainsi, quoi quil arrive aux membres de la socit, ils sont


assurs de toucher une prime de 500 deniers, dans le collge des
cornicines et des tubicines, gale ou plus leve dans dautres.
Par l, ce me semble, on peut juger du but que poursuivent les
associs. On a dit que cette institution tait une caisse de retrai-
te(1) ; cest en effet une des fins du collge, mais ce nest pas la
fin dernire, ni la principale. On a avanc aussi que ctait une
____________________
(1) L. Renier, Arch. des Missions, 1851, P. 219.
COLLGES MILITAIRES EN AFRIQUE. 405

uvre dassurance mutuelle contre les risques de toutes sor-


tes que couraient les soldats(1), une uvre de prvoyance et
de solidarit(2) ; cest l une conception qui embrasse toutes
les clauses de ces rglements, sans faire entre elles aucune
classification. On a mis aussi lide que ces collges avaient
essentiellement une importance militaire(3) ; il nest pas nia-
ble que les membres y trouvaient des facilits et des agr-
ments qui les attachaient plus fortement leur mtier, en
augmentant lesprit de corps, et que, par l, cette innovation
servait la cause de larme. Mais toutes ces opinions ne met-
tent pas suffisamment en lumire le caractre funraire de
ces collges, qui nous parat tre le vritable, ainsi que la
dj indiqu M. Boissier(4). Dans les lois A et B, la somme
paye pour les funrailles, le funeraticium des collges fun-
raires, est expressment mentionne ; dans les autres lois, il
nen est pas question ; mais, comme il nest pas admissible
que des associations, qui ntaient pas des socits de capita-
listes, gardassent largent des membres qui mouraient avant
de les quitter, il faut supposer que la mme clause existait,
bien quelle ne figure pas dans les statuts que nous avons. En
se faisant inscrire dans ces socits, on tait donc certain, si
lon venait dcder au service, de se prparer une spulture
honorable.
Il y avait pourtant, entre ces associations militaires et les
collges funraires ordinaires, cette diffrence que dans ceux-
ci on restait jusqu sa mort, tandis quil tait de la nature des
autres quon les quittt, la plupart du temps, au bout de quel-
ques annes ; il ne fallait pas que pour cela ou perdt le fruit
____________________
(1) Cf. Marquardt, Staatsverwaltung, II, p. 219, et M. Cohn, op. cit., p. 130.
(2) Besnier, Ml. de lcole de Rome, 1899, p. 212 et suiv.
(3) Cf. Marquardt, loc. cit., note 5 (ajoute par les nouveaux diteurs
du livre).
(4) Boissier, Rev. arch., 1872 (XXIII), p. 91 et suiv.
406 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

du sacrifice fait en vue de la spulture. Il tait donc vers au


membre qui sortait du collge, soit pour obtenir de lavan-
cement, soit pour passer dans un autre corps, soit parce quil
avait fini son service, la somme laquelle il aurait eu droit
sil tait mort. Lanularium est, comme on la trs bien
dit, lquivalent du funeraticium : cest le funeraticium pay
davance quelquun qui ne peut pas lattendre sur place(1).
Avec cette somme, lassur pouvait et devait la plupart du
temps se faire inscrire dans un nouveau collge, collge mi-
litaire sil restait larme, collge de vtrans sil sen re-
tirait ; ainsi cette mise de fonds quil avait faite lors de sa
rception dans une premire socit, augmente, comme il
est naturel, de souscriptions supplmentaires mesure quil
montait en grade, le suivait sans quil court aucun risque de
ce ct pendant toute sa carrire.

De la sorte, il assurait sa spulture presque en entrant au


corps, et quoi que lavenir lui rservt. Mais, par cela mme
que les associs ntaient point dans les mmes conditions
que les membres des collges funraires ordinaires et quils
avaient certains intrts matriels qui leur taient propres, la
nature de ces socits devait tre un peu diffrente de celle
des autres associations funraires que nous connaissons. Pour
leur donner un caractre moins exclusif, il suffisait daug-
menter la cotisation dentre, ce qui permettait de faire face
la fois et aux frais funraires et toutes les dpenses dautre
sorte contre lesquelles il plaisait aux associs de se garan-
tir. Autant que nous le savons pour le moment, ces dpenses
nont jamais t que les frais de dplacement ncessits par un
voyage Rome pour aller presser son avancement ou pour un
____________________
(1) Boissier, loc. cit.
COLLGES MILITAIRES EN AFRIQUE. 407

changement de corps ; aucun des autres risques auxquels les


officiers, sous-officiers ou spcialistes taient exposs lar-
me ntaient couverts, semble-t-il, par ces assurances.
Quant an surplus de largent que pouvait contenir la cais-
se du collge, et ce surplus tait certainement important(1),
il tait consacr aux besoins de lassociation ou au plaisir
de ses membres, comme dans tous les collges du monde ro-
main : la schola, daprs son tymologie mme, tait un lieu
de loisir et de dlassement ; la caisse du collge servait ren-
dre le dlassement plus complet et le loisir moins inoccup.
Si nous revenons maintenant la double institution dont
Vgce nous a gard le souvenir pour les soldats, et que nous
la comparions celle des collges dofficiers et sous-officiers,
nous serons frapps de la ressemblance quelles prsentent.
Dans les deux cas, il est fait mention dune rserve prle-
ve sur la solde et sur les libralits impriales, et destine
garantir ceux qui lont fournie une somme dargent quils
toucheront un moment donn, au plus tard en quittant le
service, ou une spulture honorable, sils meurent tant en-
core larme. De part et dautre, le militaire est indemni-
s de certaines dpenses inhrentes la carrire et dfendu
contre les risques du mtier des armes. Les petites diffrences
qui se remarquent entre les caisses lgionnaires de Vgce
et les associations de Lambse sont toutes secondaires. En
fait, soldats, officiers ou sous-officiers taient certains que
leur corps serait enterr avec tous les gards convenables, sil
____________________
(1) Dans le collge des conicines, qui se composait de trente-six mem-
bres, on versait 750 deniers lentre et lon nen touchait la sortie au plus
que 700 (voir la note 2 de la page 402, la fin). En supposant que la moiti
des membres ft promue dans un autre corps darme et toucht par cons-
quent une prime leve, lautre restant sur place et ne sortant du collge que
par la mort ou la vtrance, ctait un surplus de 5,400 deniers qui restait
dans la caisse du collge par trente-six, membres qui y entraient.
408 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

leur arrivait malheur au camp ou sur le champ de bataille, ou


bien quils trouveraient, en parvenant lge de la retraite,
une somme dargent suffisante pour assurer leur spulture,
quoi quil pt survenir. Quand la carrire dun soldat tait
termine, ltat ne pouvait plus veiller directement son en-
terrement ; au moins avait-il tout organis pour lui prparer,
ds son entre au service, ou, ce qui revient au mme, pour
lamener se prparer des funrailles et une tombe dignes de
lui et de larme dont il avait fait partie.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 409

CHAPITRE VII.

LES VTRANS.

Aprs avoir suivi le soldat de larme dAfrique dans


toute sa carrire, il convient de ne point le quitter au moment
o il abandonnait le service et dexaminer quelle condition
lui tait faite lorsquil ntait plus sous les drapeaux.
Nul nignore qu la fin de la Rpublique et au dbut de
lEmpire, les gnraux et les empereurs rcompensaient ceux
qui avaient combattu sous leurs ordres en leur attribuant des
terres en Italie, dabord, puis, quand le fond italique fut pui-
s, dans les provinces(1). Cette coutume, dont la fin principale
tait de payer le dvouement dun grand nombre dhommes
aux moindres frais possibles, surtout tant quil restait encore
des portions disponibles de lager publicus, eut des cons-
quences excellentes pour la scurit et la prosprit du monde
romain. Les vtrans agglomrs ainsi sur divers points y for-
maient des centres militaires importants. Ils pouvaient, en cas
de soulvement ou dinvasion, rsister aux premires attaques
de lennemi(2) et donner larme rgulire le temps darriver ;
maris, ils fournissaient ltat des recrues prcieuses, leves
dans le respect de la discipline et dans lamour du mtier des
armes. De plus, ils apportaient dans les pays barbares la civi-
lisation, la faisaient pntrer de proche en proche et gagnaient
____________________
(1) Cf., ce sujet, par exemple larticle Colonia dans le Dictionnaire
des antiquits grecques et romaines de M. Saglio.
(2) Cest ce qui arriva notamment, en Afrique, au moment de la guerre
de Tacfarinas : cinq cents vtrans, enferms Thala, rsistrent victorieuse-
ment au rebelle (Tac., Ann., III, 21).
410 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

pacifiquement Rome ce que le sort des batailles lui avait


conquis.
Aussi lAfrique ne fut-elle pas oublie dans la distribu-
tion du monde aux vtrans. Auguste en envoya en Maurtanie,
sur la cte, lest et louest de Caesarea. Cest cette po-
que que remonte la colonisation de Cartennas(1) par des soldats
dune IIe lgion, de Gunugu par des prtoriens(2), de Saldae par
des retraits dune VIIe lgion(3). Tupusuctu, situe plus lin-
trieur, dans la valle de lOued-Sahel, au pied du massif de
la Grande-Kabylie, position trs importante, reut, la mme
date, une dduction de vtrans(4) ; toutes ces places taient
situes dans une contre encore insoumise. La ville dOppi-
dum Novum, sur le Chliff, dont loccupation marquait un pas
en avant dans la prise de possession du pays par linfluence
romaine, fut postrieurement colonise de la mme faon par
lempereur Claude(5). Ou ct oppos, au sud de la province
dAfrique, nous trouvons le mme systme appliqu ; ici, le
but militaire de linstitution apparat plus clairement encore.
Sous Tibre, les castella de la frontire mridionale taient oc-
cups par des vtrans, vritables colons arms(6) : cest ainsi
qu Thala il y en avait 500, au dire de Tacite ; nous avons gar-
d lpitaphe de lun dentre eux(7). A Sufes, qui commande la
valle de lOued-Rouhia et o il a t trouv une pitaphe ana-
logue, datant peu prs de la mme poque, pareille mthode
____________________
(1) Plin., Hist. nat., V, 2, 20 : Cartenna colonia Augusta ; legio secunda.
(2) Id., ibid. : Item colonia ejusdem deducta cohorte praetoria Gunugu.
(3) Id., ibid. Cf. C. I. L., VIII, 8931, 8933 : Colonia Julia Aug.
Saldant(ium) Septimanorum immunis.
(4) Plin., loc. cit., 21 : Colonie Augusta quae item Suchabar, item Tupu-
suctu. Cf. C. I. L., VIII, 8837 : Colonia Julia Aug. legionis VII Tupusuctu.
(5) Plin., loc. cit., 20 : Ejusdem (Claudii) jussu deductis veteranis Op-
pidum Novum.
(6) Tac., Ann., III, 21.
(7) C. I. L., VIII, 504.
LES VTRANS. 411

avait t suivie(1). A lOuest comme au Sud, les vtrans taient


donc placs, pour ainsi dire, lavant-garde.
Ces dductions continurent encore pendant tout le 1er
sicle ; mais, dans cette priode, on disposa les colons militai-
res lintrieur du pays conquis. Sur le plateau des Hanencha,
la limite de la Numidie et de la Gtulie, comme dit Apule,
la ville de Madaure reut toute une population de vtrans(2). A
lentre de la Maurtanie, dans une partie fertile, entre la chane
des Bibans et celle du Hodna, Nerva tablit Stif une colonie
de cette nature(3). videmment, on voulait ainsi conqurir la
civilisation les rgions dsormais pleinement soumises.
On ne constate plus aucun tablissement officiel de v-
trans partir de Nerva ; mais linvasion de lAfrique par
des soldats retraits ne sen continue pas moins ; seulement
luvre se poursuit en dtail et peu peu. Les inscriptions,
qui sont notre seul guide sur cette question, nous montrent
des vtrans tablis en tous les points du pays.
Les uns sont des soldats originaires dEurope ou dAsie,
qui ont servi dans les troupes du corps darme de Numidie et de
Maurtanie et qui, leur cong obtenu, restent dans la province
et sy tablissent. Tels sont, par exemple : P. Cerennius P. fil.
Quir. Severus de Dyrrachium(4), M. Julius Proculus dAdana(5),
M. Licinius M. fil. Aquila de Bera, ville inconnue, mais proba-
blement trangre lAfrique(6), et M. Nonius Verecundus de
____________________
(1) C. I. L. 11427.
(2) Apul. Apolog., 24 : Victo (Syphace ) ad Masinissam regem munere
populi romani concessimus, ac deinceps veteranorum militum novo conditu
splendidissima colonia sumus. Cette dduction ne peut tre que du 1er sicle
et, an plus tard, de lpoque des Flaviens, car la colonie est inscrite dans la tribu
Quirina ; et cette tribu nappartient quaux empereurs antrieurs Nerva.
(3) Colonia Nerviana Augusta Martialis veteranorum (C. I. L. VIII,
8441, 8467, 8473, 10337, etc.).
(4) Ibid., 3079.
(5) Ibid., 3159.
(6) Ibid., 3175. Cest peut-tre Beroca de Syrie.
412 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Syrie(1), tous lgionnaires de la IIIe Auguste, enterrs Lam-


bse ; Julius Livianus et Julius Valens(2), qui, ns en Syrie et
enrls dans la lgion IIIe Gallica, furent ensuite verss dans
la lgion IIIe Auguste, y reurent lhonesta missio et se fixrent
lun Lambse et le second Ksar-el-Ghennaa ; C. Regilius
Priscus de Vienne, soldat de la 1re cohorte urbaine, campe
Carthage, qui y demeura comme vtran(3) ; Maximus fils
de Zabdibolus de Palmyre, fantassin du numerus Palmyreno-
rum dEl-Kantara, enterr cet endroit(4) ; C. Valerius Longus
dAlexandrie, ancien soldat de la flotte, dtach la division de
Maurtanie, qui se fixa Cherchell(5) ; Lovessius, de Bracara
Augusta(6), retrait dans la mme ville, et M. Ulpius Abelas(7),
peut-tre vtran de la cohorte des Sardes(8), qui reut sans dou-
te lhonesta missio de Trajan et mourut, lui aussi, Cherchell.
Cette liste serait bien plus longue encore, si les soldats avaient
toujours pris soin dindiquer leur patrie sur leur tombe.
Les autres, qui devinrent de plus en plus nombreux partir
du jour o le recrutement fut exclusivement provincial, taient
des Africains. Naturellement, ils ne songeaient point quitter,
leur vtrance, le pays o ils taient ns et quils avaient tou-
jours occup ; quelques-uns retournaient dans leur cit natale(9),
nous en reparlerons plus bas ; dautres se fixaient dans les
localits voisines du camp, o ils staient cr, pendant leur
____________________
(1) C. I. L., VIII, 3207.
(2) Ibid., 2904 et 4310.
(3) Ibid., 1024.
(4) ibid., 2505 ; cf. 18005.
(5) Ibid., 21051.
(6) Ibid., 20978.
(7) Ibid., 9394.
(8) Cf. ibid., 9198 : Abillahas Rummei.
(9) Ainsi sexpliquent les pitaphes de vtrans que lon rencontre au
centre de pays qui nont point t occups militairement sous lEmpire. Certai-
nes pitaphes de cette sorte sont mme caractristiques, par exemple celles qui
figurent au Corpus, t. VIII, sous les nos 2094, 4233, 5209. Cette dernire porte :
C. Julius lus vet dimissus et in civit. sua Tenelio flam. perp.
LES VTRANS. 413

service, soit des relations avec les habitants, soit une famille.
Ainsi se formrent et grandirent peu peu un certain nombre
de centres importants qui succdrent dhumbles bourga-
des, habites primitivement par des indignes, ou mme qui
naquirent par lagglomration seule des vtrans(1). Leur d-
veloppement est ais suivre autour du camp de Lambse.
Dans le bourg mme de Lambse, et ceci est tout naturel,
ils taient dj assez nombreux, sous Antonin le Pieux,
pour former une curie entire(2) ; Markouna (Verecunda),
qui tait comme un faubourg de Lambse, ils se rencontraient
galement en grande quantit(3). Mais cest surtout au Nord
quils stablirent ; ils semblent avoir occup quatre points
principaux : Ksar-el-Ghennaa, El-Mader, Seriana et Zana.
Ksar-el-Ghennaa(4) parat navoir t quune bourgade
qui narriva jamais la condition de municipe, sans doute
parce quelle tait rattache Lambse ou quelque grande
cit du voisinage ; on ny a trouv que des pitaphes ; mais, sur
neuf tombes dhommes, une porte le nom dun soldat et quatre
de vtrans(5) ; ce dtail indique suffisamment quelle tait la
composition de la population. El-Mader (Casae), situe tout
ct, ne constituait dabord, comme le nom lindique, quune
____________________
(1) On ne peut rien avancer de certain au sujet des vtrans tablis dans
le pagus Mercurialis Veteranorum Medelitanorum. On ne sait mme pas au
juste lemplacement de la localit ( C. I. L., VIII, 122 ; Tissot, Gogr. de lAfri-
que, II, p. 591) ; et lon ne connat, de cet endroit, que deux inscriptions, dont
la plus ancienne date de 199 (C. I. L., VIII, 884). Pourtant, du fait que ce ntait
quun pagus au dbut du IIIe sicle (ibid., 885), on doit conclure quil ny a pas
eu dduction de vtrans. Ctait un bourg o venaient se fixer les soldats aprs
leur retraite, sans doute ceux qui taient originaires de la cit laquelle le pagus
tait rattach.
(2) C. I. L., VIII, 18214 et 18234. Les tombes de vtrans sont mention-
nes aux nos 3011 3287.
(3) Ibid., 4238 4248.
(4) Cette ruine est connue aussi sous dautres noms. Cf. Gsell, Atlas arch.
de lAlgrie, XXVII, 135.
(5) C. I. L., VIII, 4306, 4308, 4309, 4310, 4314.
414 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

agglomration de cabanes ; si le bourg devint municipe la


fin de lEmpire, il le dut surtout la prsence des vtrans qui
sy fixrent au IIe et au IIIe sicle. Leurs pitaphes forment la
majorit parmi celles qui y ont t trouves(1). Comme Ksar-
el-Ghennaa, Seriana na fourni que des tombes ; la somme
des dfunts qui ny portent pas de qualifications est un peu
plus considrable que dans les localits prcdentes ; mais
le nombre des vtrans qui figurent sur des pitaphes y est
encore important(2). Quant Zana, le nom seul de la ville, tel
quil nous a t conserv par litinraire dAntonin, Diana
veteranorum, tmoigne de la qualit de ses habitants(3).
Il en tait de mme en Maurtanie ; les villes de la fron-
tire ont d leur naissance aux gens de toute sorte quattirait le
voisinage des camps, et leur prosprit relative aux vtrans
qui sy fixaient. Partout il arriva ce qui se passa Sour-Djouab.
En cet endroit campaient une cohorte de Sardes et peut-tre
une aile de cavalerie. Leur temps de service achev, les soldats
de ces corps allaient stablir dans le bourg voisin, ct des
pagani qui lhabitaient ; ils y formrent bien vite une popu-
lation nombreuse et prirent une grande influence. La preuve en
est que, lorsquen 167 on dut entourer la cit dun mur pour la
mettre labri dun coup de main, toujours possible dans ces
contres, ils en firent les frais avec leurs concitoyens civils ;
mais ce sont eux qui sont cits les premiers sur linscription
grave au-dessus de la porte dentre de la ville(4). Il devait en
____________________
(1) C. I. L., VIII, 4328 4334, 18533 ; Audollent, Mission pigra-
phique en Algrie, nos 129 et 135 ; Rec. de Constantine, XXVII, 1892, p.
216,n 9.
(2) C. I. L, VIII, 4374, 4376, 4377, 4378, 4379, 4380, 18558.
(3) Certains monuments de la ville ont t faits par la lgion (C. I. L.,
VIII, 4590), et deux pitaphes de vtrans de la IIIe Auguste y ont t ren-
contres (ibid., 4605 et 4606).
(4) Ibid., 20834. On a trouv Sour-Djouab trois tombes de vtrans
(ibid., 9199, 9201, 9205).
LES VTRANS. 415

tre ainsi en toute circonstance ; en ralit, ces bourgades for-


maient des annexes des camps.
On peut mme se demander si, en pareille circonstance
et pour les premiers occupants, du moins, ltat ne facili-
tait pas aux vtrans le moyen de se fixer ainsi prs de leur
ancienne garnison, en leur concdant un endroit o ils pou-
vaient lever une maison et peut-tre aussi quelques parcel-
les de terrain cultiver. Les localits o nous trouvons le
plus de vtrans tablis autour du camp de Lambse, Lam-
bse dabord, puis Ksar-el-Ghennaa, Markouna et El-Ma-
der, taient certainement situes sur le territoire de la lgion
dont il a t dj question plus haut. Or un pareil terrain ne
pouvait tre alin pour lusage de particuliers ou de vt-
rans sans une permission de ltat. Celui-ci nhsitait pas
accorder cette autorisation aux marchands et aux artisans
qui suivaient les armes, parce quil avait intrt les attirer
dans le voisinage des troupes(1). Pourquoi nen aurait-il pas
t de mme pour les vtrans, dont la prsence aux environs
du camp tait pour la contre un gage de scurit et de civi-
lisation ? Une semblable mesure devait tre surtout nces-
saire aux frontires mridionales de la Maurtanie, dans des
contres perdues et peu fertiles. On ne voit pas bien autre-
ment ce qui aurait pu engager des soldats qui lhonesta
missio apportait une petite somme dargent, suffisante pour
vivre, habiter des points carts comme An-Teukria(2) ; on
comprendrait aisment, au contraire, que, retenus par lhabi-
tude et malgr la difficult de lexistence dans ces rgions,
ils aient accept dy finir leurs jours, sils taient assurs dy
trouver des avantages matriels. Ce ntait pas une dpense
____________________
(1) Voir, ce sujet, la curieuse inscription relative un march mili-
taire tabli Lambse, sous la surveillance de deux signiferi (plus haut, page
185, note 6).
(2) C. I. L., VIII, 21524. Tombe faite son fils par un vtran.
416 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

pour la caisse de lempereur, puisque le terrain lui appartenait


comme successeur des rois du pays ; et la prsence des vt-
rans aux frontires tait assez prcieuse pour quon lachett
par quelques concessions(1). En tout cas, ltablissement des
vtrans sur le territoire militaire qui entourait les camps sup-
pose lautorisation de ltat.
Si cette coutume dattirer ainsi les vtrans aux fronti-
res, en leur accordant les moyens matriels dy vivre, nexis-
tait pas, ou du moins si lon ne peut pas prouver dune faon
suffisante quelle existt au et au dbut du IIIe sicle, elle
appartient certainement la seconde partie du IIIe sicle. A
lexemple de Svre Alexandre(2), qui avait accord, nous dit
son biographe, des parcelles de terrain conquis aux chefs et
aux soldats prposs la garde du limes (limitanei), la condi-
tion que leurs fils seraient aussi soldats et que ce terrain ne
passerait jamais entre les mains de civils(3), on prit lhabitude
de distribuer ainsi des terres aux vtrans en soumettant leurs
hritiers mles lobligation du service(4). Ces terres taient
franches de tout impt(5) ; de plus, ltat donnait aux posses-
seurs de largent pour acheter les instruments ncessaires
lagriculture(6) ; il leur fournissait gratuitement des animaux et
____________________
(1) Masqueray pense que la partie septentrionale de lAurs tait divise
en latifundia et que des vtrans y avaient t tablis (De Aurasio monte, p. 48
et 52). Le fait est trs admissible ; mais on na pas encore trouv de ce ct de
documents qui le prouvent.
(2) Vita Alex., 58.
(3) Cf. Eph. epigr., IV, p. 150 et suiv.
(4) Vita Probi, 17 ; Cod. Theod., VII, 1, 5 ; 20, 3, 8 et 11 ; 22, 2.
(5) Cod. Theod., VII, 20, 3, 8 et 11. Un fragment de diplme militaire
(Dipl. mil., XXVIII) nous apprend que le mme privilge avait dj t accord
par un empereur de la fin du 1er sicle, probablement Titus, aux vtrans des
cohortes prtoriennes, et une curieuse inscription sur tablette de bois nous a fait
connaitre rcemment que de telles immunits avaient t concdes antrieure-
ment par Domitien des vtrans de larme dgypte (Ann. pigr., 1910, 75).
(6) Cod. Theod., VII, 20, 3.
LES VTRANS. 417

des semences(1) ; eux-mmes navaient payer le cens ni pour


eux, ni pour leurs femmes(2), et pouvaient se livrer au commerce
sans avoir redouter aucune taxe ; ils taient mme exempts
du portorium(3). Par ces lois, les empereurs essayaient dassu-
rer la culture des terres situes aux frontires de lEmpire, la
dfense de ces frontires et le recrutement de larme. Telle
avait toujours t lutilit des tablissements de vtrans ;
mais, tandis quauparavant les consquences rsultaient tout
naturellement de la situation, il fallait dsormais employer la
contrainte ; car la culture et le service le long du limes imperii
devenaient de jour en jour plus difficiles, comme le mtier
militaire moins souhaitable.
En fait, et pour rsumer tout ce qui vient dtre dit, nous
voyons de tout temps, en Afrique, les vtrans installs par
linitiative de ltat ou sinstallant eux-mmes aux fronti-
res, afin dy seconder les troupes actives dans leurs uvre de
conqute et de protection(4).
O quils stablissent en sortant de larme, quils revins-
sent dans leurs villes natales ou quils se fixassent dans des lo-
calits voisines des camps, les vtrans y jouissaient de certains
privilges : sils taient soumis, pour lordinaire, contrairement
ce qui fut dcrt postrieurement pour les limitanei, tous les
impts directs et indirects(5), ils ne pouvaient tre condamns
aux chtiments rservs aux humiliores, aux travaux forcs, aux
btes, au supplice du fouet(6) ; ils taient donc, par rapport aux
____________________
(1) Cod. Theod., VII, 20, 8.
(2) Ibid., 4.
(3) Ibid., 2 et 9.
(4) Cest la tradition que voulait reprendre Bugeaud quand il crivait :
La colonisation ne sarrtera pas plus que la conqute : avec le temps, elle en-
vahira tout. La colonie militaire est son avant-garde la plus vigoureuse, la plus
intelligente, la plus capable de la faire respecter des Arabes. (De la colonisa-
tion de lAlgrie, p. 60.)
(5) Dig., XLIX, 18, 2 1, et 4.
(6) Ibid., 1, 3.
418 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

autres habitants de leurs villes, dans une situation privilgie,


qui leur crait une grande supriorit ; elle se doublait de la
considration qui sattachait leur ancienne profession. Aussi
nest-il pas tonnant de les voir arriver aux honneurs munici-
paux. Non seulement on trouve parmi eux des dcurions(1), ce
qui ne les rendait, aprs tout, que collgues de gens dont ils
taient dj les gaux(2), mais des pontifes(3), des flamines perp-
tuels(4), des diles(5), des duumvirs(6). Ltat leur accordait mme
la fonction de curator reipublicae de leur municipe(7) ; car leur
qualit tait faite pour leur mriter la confiance de lempereur
autant et plus encore que lestime de leurs concitoyens.
Cette position part, comme le souvenir de leur ancienne
confraternit, les conduisait galement se rapprocher les uns
des autres et se former en socits. Nous avons dj rappel
cette curie de Lambse qui se nommait curia Hadriana Felix
veteranorum , et que, par suite, nous devons regarder comme
compose, du moins lorigine, de vtrans(8) ; ctait l une
association essentiellement municipale. On conoit aisment
quavant, dans les cits quils habitaient, les mmes intrts
et des aspirations communes, les vtrans se groupassent en-
semble pour que leur influence ft plus grande au jour du vote.
Mais ils constituaient aussi des associations dune autre espce.
Nous en rencontrons la trace dans les inscriptions, et cela ds le
milieu du 1er sicle(9) ; les exemples en sont nombreux au IIIe,
____________________
(1) Dig., XLIX, 18, 5 ; C. I. L., VIII, 4679, 4874, 9052.
(2) Les dcurions ne pouvaient pas tre condamns non plus aux peines
infamantes (Dig., XLVIII, 19, 9, 11).
(3) C. I. L., VIII, 4436.
(4) Ibid., 4233, 4243, 4679, 4827, 5209.
(5) C. I. L., 4874.
(6) Ibid., 2094, 4436, 4874.
(7) Ibid., 20751.
(8) Cf. plus haut, p. 413, note 2.
(9) C. I. L., III, 4858 (avant Nron). Voir, sur ces collges, L. Halkin, Les
collgues de vtrans, Gand, 1896, surtout p. 13 et suiv.
LES VTRANS. 419

dans toutes les provinces de lEmpire(1). A Lambse mme,


on a trouv deux documents qui ne laissent aucun doute sur
lexistence de collges de vtrans en Afrique. Le premier
est dat de 221-222(2). Cest un autel consacr Jupiter Op-
timus Maximus, conservator Augustorum ; on y lit une lis-
te de soldats sortis du service en 195, 196, 197, 199 et 200,
qui sy qualifient de cultores veterani. Le second(3), du temps
dAurlien, est une ddicace Jupiter Optimus Maximus Ful-
gurator ; il contient toute une liste de vtrans prcde de
len-tte : Album veteranorum.
Il nest pas besoin dexaminer longuement ces textes
pour se convaincre que lon est en prsence de collges fu-
nraires. Le titre de cultores que sy donnent les vtrans, et
qui permet de considrer ces associations comme des colle-
gia Jovis, est caractristique. Mommsen a expliqu depuis
longtemps que les associations de cette sorte se couvraient du
nom dun dieu quelles avaient choisi comme patron, mais
que le culte de ce dieu ntait point le but de leurs runions(4) ;
et il a tabli que le plus grand nombre des socits dont les
membres prennent, sur les inscriptions, le titre de cultores ne
sont en ralit que des collges funraires(5).
____________________
(1) C. I. L., III, 2817, 4858 (Illyricum) ; V, 784, 884 (Italie) ; VII, 105
(Bretagne). Cf. la liste des inscriptions relatives ces collges dans Waltzing,
Associations professionnelles chez les Romains, p. 151 et suiv., et dans Halkin,
op. cit., p. 4 et suiv.
(2) Ibid., VIII, 2618. On y lit, la ligne 35 (b), la mention du caissier de
ce collge.
(3) Ibid., 2626.
(4) De collegiis et sodaliciis Romanorum, p. 92 et suiv. : Dii illi tutelares
collegiorum dit Mommsen similes videntur fuisse sanctis qui olim apud
nostrates collegiis nomina dare solebant, etsi illa ad longe alias res constituta
erant quam ut bonum Nicolaum colerent. Cf. Boissier, La religion romaine, II,
p. 273 ; Rev. arch., 1872 (XXIII), p. 81 94. M Traugott Schiess (Die rm.
Collegia funeraticia, p. 9 et suiv.) est moins affirmatif.
(5) Cest ce que prouvent les lois des collges funraires (C. I. L., VI, 10234 :
loi du collge dEsculape et dHygie ; ibid., XIV, 2112 : loi du collge dAntinos).
420 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

A la vrit, de toutes les tombes de vtrans trouves


Lambse, il nen est quune(1) qui mentionne, parmi les titres
des ddicants, ceux de veterani ; aucune ne parle de colle-
gae ; mais nous avons dj expliqu plus haut, propos de la
spulture des sous-officiers et des soldats, que ce nest point
l un argument dcisif, largent destin aux funrailles tant
vers aux parents ou aux hritiers, qui faisaient inscrire leurs
noms sur lpitaphe, comme sils avaient fait eux-mmes les
frais du monument. Un texte funraire, pourtant, contiendrait
sans doute un renseignement de cette espce, sil tait moins
mutil: on y lit la mention dune somme dargent lgue,
semble-t-il, un collge militaire, peut-tre un collge de
vtrans, pour assurer la clbration dune fte annuelle(2).
Par contre, nous possdons linscription dune tombe leve
par une association de vtrans de Chemtou (Simitthu) un
homme dont la profession nest pas signale sur son pitaphe
et qui tait mort en voyage(3).
Ce quil faut bien remarquer, propos des deux listes de
vtrans trouves Lambse, que nous avons cites plus haut,
cest que ces collges contenaient des militaires de tout rang,
depuis celui de simple soldat(4) jusqu celui de centurion(5).
Dans la seconde de ces listes, les abrviations employes par
le rdacteur du texte sont trop nigmatiques, leur interprta-
tion trop douteuse dans le dtail, pour quil soit prudent de
faire tat du document ; il nen est pas de mme pour la pre-
mire, o les mots sont crits presque toujours en entier.
____________________
(1) C. I. L., VIII, 3228 : C. Rutil(io) Bellico vet. convet. ejus fec.
(2) Ibid., 3284 : [hi]c situs est, [qui tes]tamento [suo.....l]eg. III
Aug. [(tot) milia n(ummum) reliquit ut usuris e]x usuris [ejus summae. ]um
quod [est.. . Septe]mbrium... [p]arentarent.
(3) Ibid., 14608 : L. Silicius Optatus vix. an. I. ; interceptus in itinere.
Huic veterani morantes Simittu de suo fecerunt.
(4) Ibid., 2618, b, I. 9, 40, 43.
(5) Ibid., I. 2.
LES VTRANS. 421

On y trouve mentionnes les fonctions militaires sui-


vantes :

I. 18 : ex armatu(ra).
I. 34: d(iscens) a(rmaturae).
I. 20 : candidatus.
I. 23, 38 : ex candidato.
I. 2 : ex centurione.
I. 7, 12 ; cf. col. c, I. 1 et 2 : ex inmune.
I. 25 : ex marso.
I. 16 : ex polione.
I. 5 : cf. col. c, I. 6 : ex sig(nifero).

Tant quils taient sous les drapeaux, les sous-officiers se


groupaient suivant leurs grades ou leurs spcialits, parce que
ces grades ou ces spcialits craient entre eux des distinctions
trs nettes, aussi bien pour la solde que pour les intrts ; une
fois arrivs la retraite, ils navaient plus de raison pour se
sparer ainsi. La seule proccupation commune qui les invitt
ds lors sunir, en dehors des questions municipales, tait
celle de la spulture. Nous avons dj dit que, en quittant le ser-
vice, simples soldats et sous-officiers touchaient une somme
dargent quils avaient mise en rserve depuis leur arrive an
corps, pour se garder de certains risques et surtout pour couvrir
les frais de leurs funrailles ; vtrans, ils la versaient dans la
caisse dun nouveau collge, dont la destination tait la mme
que ceux auxquels ils avaient appartenu jusque-l ; ainsi se
continuait lassurance quils avaient contracte en vue de leur
spulture leur entre dans la lgion. Les collges funraires
taient, au reste, les seuls dont les vtrans fussent autoriss
par la loi faire partie(1) ; en cela, ils taient entirement as-
simils, et avec raison, tous les autres citoyens de lEmpire.
____________________
(1) Dig., XLVII, 11, 2 : Sub praetextu religionis vel sub specie sol-
vendi voti coctus illicitos nec a veteranis temptari oportet.
422 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Ltat leur facilitait les moyens de se runir leur sortie du


service ; il ne fallait pas que ces facilits tournassent son
dtriment et vinssent entraver luvre de pacification et de
civilisation dont ils taient les agents les plus puissants.

_______________

De tout ce qui a t dit dans cette partie, il rsulte que


la condition du soldat romain dAfrique au IIe et au IIIe si-
cle tait bien diffrente de celle qui tait faite aux lgion-
naires de la Rpublique. Ceux-ci taient des trangers quon
amenait sur le sol africain pour un temps, quon y laissait le
moins possible et qui le quittaient ds que la victoire tait
complte ; ils navaient avec les habitants de la province que
des rapports de vainqueurs vaincus. Les choses ne chang-
rent pas sensiblement sous Auguste et sous ses successeurs
immdiats : malgr ltablissement de troupes permanentes,
larme resta encore cette poque trangre au pays ; ce
fut toujours une arme conqurante. Cependant llment in-
digne commena y pntrer peu peu ; ainsi se prpa-
rait le changement qui se produisit au dbut du IIe sicle.
Hadrien rend, ce moment, lAfrique elle-mme. Dsor-
mais, les Africains veilleront seuls la tranquillit de leur
patrie. Cette transformation en entrane plusieurs autres. Re-
cruts sur place, nourris et entretenus par la province, vivant
au milieu de leurs dieux et de leurs parents, ils ne tardent
pas dsirer davantage. On leur accorde successivement la
permission de se crer une famille, celle de passer au mi-
lieu delle les heures que le service ne rclame pas, celle de
former des socits de plaisir et de secours mutuel ; ainsi se
LES VTRANS. 423

relchent peu peu tous les liens de lantique discipline. On


va mme jusqu leur donner des terres, la sortie du service,
et les moyens de les cultiver. Larme perd ainsi son caractre
dautrefois : elle nest plus quune milice provinciale solde
par ltat.
Il y a, entre les troupes de Marius et le corps doccupa-
tion dAfrique au IIIe sicle, toute la diffrence qui spare
lAfrique numide de Jugurtha de la province romanise et
florissante des Svres.
DEUXIME PARTIE
Par arrt en date du 11 mars 1909, M. le Ministre de
lInstruction publique et des Beaux-Arts a ordonn la rim-
pression et la rvision de lArme romaine dAfrique et loc-
cupation militaire de lAfrique sous les Empereurs, par M.
Ren GAGNAT, membre du Comit des travaux historiques
et scientifiques.
M. Salomon REINACH, membre du Comit, a t char-
g de suivre cette publication en qualit de Commissaire res-
ponsable.
LIVRE III

LOCCUPATION TERRITORIALE DE LAFRIQUE


LIVRE III.

LOCCUPATION TERRITORIALE DE LAFRIQUE.

Nous avons expliqu, au dbut de ce travail, que Rome,


en prenant possession de la province dAfrique, avait hsit
tout dabord sur la politique quil lui convenait dadopter.
Devait-elle restreindre son influence directe la contre voi-
sine du littoral, ou tait-il prfrable pour elle de savancer
hardiment, sans plus tarder, dans lintrieur des terres ? Telle
tait lalternative qui soffrait elle. Cest le premier parti qui
prvalut dans les conseils du Snat. La Rpublique prfra se
tenir sur la rserve, conservant autour de ses possessions afri-
caines une zone de pays soumis gouverne par des rois allis.
Tant que dura cet tat de choses, elle neut point soccuper
de a protection directe et journalire des frontires : son arme
nentrait en campagne que dans des circonstances critiques,
pour combattre les soulvements graves ou les invasions des
tribus rebelles ; la victoire remporte, elle retournait en Italie
ou se retirait dans la partie de lAfrique quelle avait pour
mission de garder en permanence.
Mais Rome comprit, dans la suite, que le procd doc-
cupation restreinte quelle appliquait et quelle rvait dappli-
quer plus longtemps encore tait une conception indigne del-
le ; que le systme de dfense des frontires par procuration ne
pouvait plus tre mis en pratique, et quune puissance militaire
comme la puissance romaine devait tre seule commander
sur la terre africaine. Ds lors, elle se rsolut prendre en mains
428 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

la dfense immdiate des confins, mettre des garnisons aux


endroits les plus menacs, le long des routes les plus suivies
des indignes et aux passages o ils avaient coutume de fran-
chir la frontire, relier ces postes par des voies grandes et
solides, pour faciliter le mouvement des troupes et le trans-
port des vivres de lun lautre ; il lui fallut en mme temps
tablir, en arrire, des camps permanents servant de soutiens
et de points de ralliement tous ces postes dissmins, cen-
tres de commandement et de ravitaillement. Cest cette orga-
nisation du systme dfensif de la frontire ou plutt des dif-
frentes frontires africaines qui formera le sujet de ce livre.
PREMIRE PARTIE.

CAMPS DE LINTRIEUR.

CHAPITRE PREMIER.

ARME DE NUMIDIE.

Larme de Numidie, la plus importante par le nombre


comme par la qualit des soldats, fut appele naturellement
jouer le rle principal dans la protection des provinces ro-
maines dAfrique. Nous avons dj eu loccasion de dire plus
haut que le camp central de la lgion IIIe Auguste, noyau de
cette arme depuis Auguste jusquau Bas-Empire, fut dplac
plusieurs fois. Mommsen a tabli quil fut dabord install
Theveste (Tbessa)(1). Au moment o une telle disposition fut
prise, lEmpire navait pas encore soccuper de la Maurta-
nie ; le pays dfendre stendait donc seulement jusquaux
confins de cette province ; tout leffort militaire devait tre
tourn contre les Gtules de lEst et contre les populations
habitant au sud de la province de Constantine. De l le choix,
pour quartier gnral, de la ville de Tbessa, qui permettait
de stendre lEst jusqu la mer, en coupant la Tunisie ac-
tuelle au nord des Chotts, lOuest jusquaux confins de la
Maurtanie, en suivant le pied septentrional de lAurs et des
montagnes qui limitent au Nord le Hodna.
Ce camp de Tbessa na pu tre retrouv, soit que les restes
____________________
(1) C. I. L., VIII, p. XXI.
430 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

de la ville romaine postrieure en couvrent lemplacement,


soit que lon nait pas encore t conduit lendroit o il
tait tabli(1). Les seules traces qui en aient t mises au jour
jusqu prsent sont peut-tre des briques marques de les-
tampille de la lgion IIIe Auguste ; jen ai reproduit plus haut
le fac-simil. Elles ont t dterres sur la face occidentale
de la muraille byzantine, en avant de la porte de Constan-
tine ; dautres, plus rcemment trouves, se sont rencontres
du ct du Nord, aux environs de la grande basilique ; mais
il est bien vident que, en supposant mme quelles remon-
tent au 1er sicle et quelles naient pas t utilises dans des
constructions postrieures, elles ne fixent pas lemplacement
du camp : la lgion a pu et a d construire des difices en de-
hors de lenceinte de son camp, comme Lambse et ailleurs.
La cit de Thveste lui doit sans doute sa naissance, comme
celle de Lambse, comme toutes les villes voisines des gran-
des agglomrations lgionnaires(2).
____________________
(1) M. le commandant Ab. Farges, qui a tudi et fouill les ruines de T-
bessa avec autant de zle que de succs, nest point arriv se faire une opinion
ce sujet.
(2) Moll crivait en 1858 (Rec. de Constantine, IV, p. 81) les lignes sui-
vantes, quil nest pas inutile de rappeler ici : La position stratgique de Th-
veste tait trs importante : au point de vue offensif, place au pied des derniers
contreforts de lAurs, elle pouvait servir avantageusement de base dopration
pour manuvrer soit au nord, soit au sud de cette chane de montagnes. Cette
position navait certes pas chapp aux premiers gnraux romaine chargs de
la conqute du pays, et il nest pas impossible que cette considration ait t,
dans le principe, une des causes dterminantes de son origine. Daprs cela,
Thveste, comme beaucoup dautres villes, aurait commenc par tre un camp,
passager dabord, permanent dans la suite, transform en cit par un dcret de
Vespasien et lev par un des premiers Antonins au rang de colonie romaine.
Nanmoins, peu de temps aprs la fondation de la ville, cette importance militaire
a d dcrotre rapidement. Au fur et mesure de la pacification du pays, elle se
porta vers Lambse, sans doute parce que ce dernier poste tait plus au centre de
la province et plus rapproch des populations guerrires quon avait combat-
tre Comme position dfensive, un coup dil sur la carte suffit pour montrer
que loccupation de Thveste avec un corps de troupes rgulires devait couvrir
CAMP DE TBESSA. 431

La lgion quitta Tbessa, pour se rapprocher de lOuest,


au plus tard vers lpoque de Trajan(1). La date de ce mou-
vement nest connue que trs approximativement. Hadrien
sadressant aux soldats de la lgion leur dit, dans sa clbre
allocution(2) : Nostra memoria bis non tantum mutastis cas-
tra, sed et nova fecistis. Or Hadrien naquit en 76 aprs J.-
C., et cest en 129 quil adressa ces paroles aux lgionnaires.
Cest donc vers la fin du 1er sicle que se passa lvnement.
On peut en apporter, comme preuves secondaires, la transfor-
mation de Thveste en municipalit de droit romain, qui re-
monte peut-tre cette poque(3), et lorganisation par Trajan
de confins militaires au sud de lAurs(4) ; ces mesures indi-
quent un changement important dans la constitution du syst-
me dfensif de la Numidie. On remarquera que, depuis lan-
ne 40, la Maurtanie avait t rduite en province romaine
____________________
parfaitement Carthage contre toute invasion venant du Sud, soit de la Numi-
die, soit de la Byzacne. On remarquera que ces rflexions viennent dun
homme qui ne connaissait pas tous les textes pigraphiques que nous avons
aujourdhui et qui est arriv, par des observations personnelles toutes techni-
ques, deviner les faits que dautres ont dduits des textes aprs lui.
(1) M. Gsell attribue cette mesure aux Flaviens (Ml. de Rome, XIII, p.
468 ; Atlas arch. de lAlgrie, XXIX, p. 4).
(2) C. I. L., VIII, 2532.
(3) Wilmanns (ibid., p. 215) suppose que Thveste ne doit son titre de
colonie qu Septime-Svre ; cet t attendre bien longtemps, mon sens,
pour accorder cette dignit une ville trs importante, sige dun procurateur
imprial et que la prsence de la lgion devait avoir civilise bien plutt encore
que ses voisines, Hadra, par exemple, ou Cillium, qui furent leves au rang
de colonies par les Flaviens. La tribu dans laquelle les habitants de Thveste
taient inscrits et qui est la tribu Papiria, tant celle de Nerva et de Trajan, cest
lun de ces princes, au dernier de prfrence, que jattribuerais volontiers la
transformation de Thveste en colonie. Wilmanns a rappel lui-mme une ana-
logie quil ne faut pas passer sous silence (tude sur le camp et la ville de Lam-
bse, p. 29) : Cologne reut le titre de municipe lpoque o la lgion qui
y tait campe fut transfre Bonn. M. Kubitschek (Imperium romanum
tributim discriptum, p. 156) rapporte aussi la transformation de Thveste en cit
de droit romain au rgne de Trajan.
(4) Voir plus haut, p. 44.
432 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

et que, par suite, la dfense du territoire maurtanien incom-


bait ds lors exclusivement aux troupes de lEmpire. Il tait
donc indispensable de reporter vers lOccident ltablisse-
ment central duquel dpendait le succs de la rsistance
toutes les invasions. En outre, si lon avait nglig jusque-
l la soumission du massif de lAurs, cest que lon tait
occup combattre les Gtules et les Garamantes, ennemis
plus remuants et plus directement menaants ; ces popula-
tions une fois domptes, ou tout au moins contenues par les
victoires successives des armes romaines et par un systme
dfensif srieusement tabli, il fallait sattaquer maintenant
aux montagnards indpendants, et la premire mesure pren-
dre tait dtablir le quartier central de larme dAfrique
leur porte mme.
On ne connat pas le camp qui remplaa pour quelque
temps celui de Thveste ; on a prononc les noms de Mascula
(Khenchela) et de Thamugadi (Timgad)(1), et lon a fait re-
marquer ce propos que Trajan les runit par une route(2) en
mme temps quil fondait la seconde de ces villes per legio-
nem III Augustam (3) ; vrai dire, ce ne sont point des argu-
ments suffisants. Ce que lon remarque surtout en tudiant les
inscriptions de ces deux cits, cest labsence complte, Ti-
mgad comme Khenchela, de documents militaires : point de
ddicaces faites soit par la lgion, soit mme par des lgion-
naires ; point de tombes de soldats, comme celles que lon a
rencontres Tbessa ; point de ces briques lgionnaires, qui
sont lindice certain dun tablissement un peu solide.
Il y a pourtant, en faveur de Khenchela, une probabilit.
Les deux seuls milliaires qui aient t trouvs sur la route de
cette ville Timgad, et qui sont de lanne 100, comptent le
____________________
(1) Mommsen, C.I. L., VIII, p. XXI.
(2) Ibid., 10186, 10210.
(3) Ibid., 17842-3.
CAMPS DE LAMBSE. 433

nombre des milles partir de Mascula(1). Mommsen(2) en


conclut que ctait l une voie municipale. Mascula, dit-
il, est le point de dpart de la route, et il ny a pas dautre
point de dpart possible, tant donn le nombre des milles
qui est inscrit sur les milliaires ; cest donc que cet tablis-
sement tait dj, en lanne 100, une respublica libera.
Mais il est possible dexpliquer le fait tout autrement :
si la lgion tait fixe cet endroit, on a fort bien pu prendre
pour point de dpart de la route, qui, dans ce cas, serait une
route militaire, le camp lui-mme, comme on lavait fait pr-
cdemment pour Thveste(3), comme on le fit ensuite pour
Lambse(4).
Certains milliaires de Pertinax, o la distance est comp-
te a Lambaese (5), sont rdigs absolument de la mme
faon que ceux de Khenchela : on y lit galement le nom de
lempereur et celui du lgat, lablatif. Il y a l un rapproche-
ment qui mrite considration. Ce serait donc Mascula, plu-
tt quailleurs, que la lgion se serait arrte quelque temps
avant de se fixer Lambse(6).
En tout cas, il parait assur que son tablissement en ce
dernier endroit remonte la fin du rgne de Trajan : le plus
ancien document de Lambse o elle soit mentionne est une
base de lan 123(7), et, malgr des fouilles rcentes qui ont mis
au jour un certain nombre dautres monuments de la mme
____________________
(1) C. I. L., VIII, 10186, 10210.
(2) Ibid., p. 859 ; cf. n 10186.
(3) Ibid., 10018, 10023 : Ex castris hibernis.
(4) Ibid., 10231, 10232 : A castris.
(5) Ibid., 10238, 18242. Ces bornes portant le chiffre LVIIII, il est im-
possible de croire que la ville de Lambse ait fait les frais de la route jusque-
l ; la voie, cet endroit, ne peut avoir t construite que par ltat.
(6) M. Gsell (Ml. Boissier, p. 232, note 5) opine plutt pour les environs
dune ruine situe entre Khenchela et Timgad et nomme Henchir-Ouazen.
(7) C. I. L., VIII, 2591.
434 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

poque, on nen a pas encore trouv dantrieur cette date ;


ce nest probablement pas l leffet du hasard.
Quant au camp lui-mme, lenceinte qui protgeait la
lgion, on ne savait pas au juste, jusqu ces dernires an-
nes, quel endroit de la plaine de Lambse il avait t pla-
c tout dabord. Wilmanns a mis lide(1) que si, ce dont on
ne saurait douter, le camp contemporain dHadrien avait t
lev sur lespace mme que couvrent aujourdhui le prae-
torium et les retranchements qui lentourent, ce camp ne
daterait pourtant que de 128 ou 129 ; antrieurement, les sol-
dats auraient occup un autre emplacement provisoire, limit
par des travaux htifs, que lon nommait avant lui camp des
auxiliaires .
Lors de son voyage Lambse, L. Renier remarqua, en
effet, deux kilomtres louest du prtoire, une enceinte
dont la fortification tait forme, dit-il, par une simple leve
de terre(2) et dans laquelle il dcouvrit, sur le pidestal dune
colonne monumentale, lallocution dHadrien aux troupes
dAfrique.
Il pensa que ce pouvait tre le camp rserv aux auxi-
liaires, lautre tant occup par les lgionnaires. Mais Wil-
manns(3) a fait justement observer que jamais Lambse navait
donn asile dautres troupes qu la lgion ; il nen veut
pour preuve que le nombre minime des pitaphes de soldats
appartenant des cohortes ou des ailes de cavalerie quon y
a releves dans les ncropoles. Il faut donc chercher une autre
solution de cette difficult.
Wilmanns a cru lavoir trouve : La prsence du se-
cond camp est explique, dit-il, par ces paroles de lempereur,
____________________
(1) tude sur Lambse (trad. Thdenat), p. 9.
(2) Archives des Missions scientifiques, 1851, p. 172 (p. 4 du tirage
part du premier rapport) ; cf. 481.
(3) tude sur Lambse, p. 10.
PREMIER CAMP DE LAMBSE. 435

graves en juillet de lanne 128 : La lgion a chang deux


fois de camp et deux fois en a construit un nouveau A mon
avis, lautre camp (celui des auxiliaires) est le camp o la l-
gion fut tablie pendant la construction du nouveau ; aussi il a
t seulement entour de travaux de terre, et non de murailles
comme celui qui le remplaa. La colonne sur laquelle tait
grav lordre du jour de lempereur Hadrien slevait dans le
vieux camp et dut y tre rige peu de temps avant linstalla-
tion des soldats dans le nouveau(1), sans doute pour consacrer
lendroit o, pour la premire fois, la lgion stait tablie sur
le sol quelle ne devait plus quitter.

Mommsen naccepte pas la thorie de Wilmanns ; voici


comment il sexprime(2) : Wilmanns, dit-il, pense que, bien
que la lgion ait t tablie dans le nouveau camp par ordre
dHadrien, celui-ci a prononc son discours dans lancien ;
cela est peu probable. Car lempereur y spcifie nettement
que les soldats ont chang de camp, non quils en change-
ront ; et si, vraiment, ils avaient t installs dans le nouveau
camp avant larrive du prince, cest videmment l quil leur
aurait adress sa harangue.

Cette objection faite par Mommsen au systme de Wil-


manns ne me parat pas convaincante. Si le camp de Lambse,
celui dont les restes existent encore, tait dj termin ou peu
prs, que la lgion y ft dj installe ou non, lors du passage
dHadrien, lempereur sadressant aux lgionnaires, mme
dans le camp provisoire, pouvait leur dire : Nostra memoria
bis non tantum mutastis castra, sed et nova fecistis , sans violer
____________________
(1) Cf. C. I. L., VIII, p. 283 : In quae (nova castra) Iegio videtur
transmigrasse aut eo ipso quo Hadrianus in Africam venit tempore, aut anno
sequente, cum ab anno 129 incipiant monumenta ibi dedicata.
(2) C. I. L., VIII, p. XXI. note 5.
436 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

aucunement la vrit. De Tbessa, ils taient venus quelque


part dans les environs de Khenchela : premier changement :
premire construction du camp ; puis ils staient ports
Lambse : second changement, seconde construction. Lta-
blissement du camp provisoire, o ils taient alors, pouvait
fort bien, par cela mme quil navait quun caractre transi-
toire, ne pas tre tenu pour un travail srieux, et par suite tre
pass sous silence par Hadrien.
Il convient de se rallier lopinion mise par Wilmanns
et de considrer le camp des auxiliaires comme lempla-
cement temporaire quoccupa la lgion en arrivant Lam-
bse.
La trace de cette enceinte dont Delamare avait dress un
plan que L. Renier possdait, daprs son propre aveu, et qui
doit tre encore parmi ceux de ses papiers qui nont pas fait
retour ltat, semblait perdue. Elle a t heureusement re-
trouve assez rcemment par M. labb Montagnon, alors cur
de Lambse, qui y a fait des dcouvertes intressantes(1).
Le camp provisoire de la lgion IIIe Auguste tait si-
tu exactement deux kilomtres louest du btiment ap-
pel Praetorium . Conformment aux prceptes reus
pour ltablissement des camps romains, il occupait un ter-
rain lgrement en pente, du Sud au Nord. Lenceinte formait
un carr de 200 mtres de ct, arrondi aux angles. Elle ne
consiste pas, ainsi que le disait Renier, en une leve de terre
, mais en une maonnerie de moellons, qui ne mesure que
0 m, 60 dpaisseur. Elle est actuellement rase presque au
niveau du sol, ce qui explique les assertions de nos devan-
ciers : cest cette faible lvation du mur, disparaissant sous la
____________________
(1) Cf. Gsell, Bull. archol. du Comit, 1901, p. 320 et suiv. ( qui est
emprunt le plan reproduit ici), et R. Cagnat, Les deux camps de la lgion
IIIe Auguste Lambse (Mm. de lAcad. des Inscr., XXXVIII, Ire partie, p.
225 et suiv.).
PREMIER CAMP DE LAMBSE. 437

vgtation, qui les a induits en erreur. Il nexiste dans cette


enceinte que deux portes au lieu de quatre ; elles regardent
lEst et lOuest ; au Nord et au Sud, le mur est plein.
On na pas dblay lespace entier occup par le camp ;
mais partout o lon a fait des sondages, sauf au centre, on na
rencontr aucune trace de constructions. Aux quatre angles

et, de loin en loin, le long du mur denceinte on a seulement


dcouvert de petites btisses demi-circulaires dont le diamtre
est, en moyenne, de 3 m, 20. M. Gsell(1) pense quelles avaient
un intrt dfensif. Il est probable, crit-il, quelles taient
____________________
(1) Bull. arch. du Comit, 1901, p. 322.
438 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

remplies de terre battue et quelles constituaient des plates-


formes sur lesquelles on plaait des machines. Ceci est as-
surment conforme aux habitudes des Romains : ils avaient
coutume dlever le long du mur denceinte des camps des
tours quidistantes, dont une chaque angle, pour y installer
leurs machines. Jhsite cependant me ranger cette opi-
nion et je croirais volontiers que ces constructions servaient
un tout autre usage. Lintrieur de ces demi-lunes est-trs
dtrior. Jai pu constater nanmoins que le fond de quel-
ques-unes les mieux conserves tait form dune couche
de briques revtue de cet enduit qui, dans les constructions
romaines, caractrise les rservoirs liquides. Jy verrais
donc plutt des bassins. Leau potable devait, au dire de M.
Gsell(1), venir au camp dune source qui nat dans la mon-
tagne environ un kilomtre de l, vers le Sud ; elle se
dversait sans doute dans chacune de ces fontaines. Je dois
ajouter, pourtant, que M. Montagnon na retrouv aucune
trace de la canalisation qui aurait pu lamener, constata-
tion peu concluante, tant donn ltat de conservation de
la construction et labandon du camp ds le milieu du IIe
sicle de notre re. La forme demi-circulaire est, on le sait,
assez frquente pour les bassins et les fontaines ; il serait
plus surprenant quon et adopt cette disposition pour une
plate-forme destine des machines, surtout pour une plate-
forme dont la saillie est tourne vers lintrieur du camp ;
et aussi que lon et appuy la partie circulaire de ces de-
mi-lunes contre la muraille laquelle elles ne se raccordent
que par un point de tangence, au lieu dy accoter la partie
rectiligne pour en assurer la solidit comme par autant de
contreforts.
Cest au centre mme de lenceinte que la fouille a prsent
____________________
(1) Bull. arch. du Comit, 1901, p. 320.
PREMIER CAMP DE LAMBSE. 439

le plus dintrt. M. Montagnon y a dcouvert, reposant sur


un pais blocage, un espace dall des 10 mtres de ct. A
lEst souvre maintenant une excavation qui a mis au jour les
fondements, les coupables sont les chercheurs de pierres ;
la plate-forme se continuait dans cette direction. De lautre
ct de lexcavation on voit deux massifs quadrangulaires
juxtaposs, larges tous deux de 2 m, 95 ; lun est complet et
mesure 2 m, 85 en profondeur ; lautre est moiti dtruit ;
tous deux paraissent tre les soubassements de statues ques-
tres ou de groupes. Du trou lui-mme M. Montagnon a retir
des pierres portant des inscriptions et des fragments dorne-
mentation architecturale, en particulier de feuilles dacanthe ;
dautres gisent encore au fond, trop lourdes pour en tre ais-
ment extraites.
Du moins est-il certain que cest sur cette plate-forme
que reposait jadis le monument o tait inscrite la fameu-
se allocution adresse par Hadrien larme dAfrique. En
quoi consistait au juste ce monument Il est bien difficile de
le dire. L. Renier avait rapport de ses missions un dessin de
la colonne, haute de 1 m, 85, sur le pidestal de laquelle le
discours tait grav(1) ; mais ce dessin est gar. M. Hron
de Villefosse, aprs un examen attentif de tous les fragments
connus, aujourdhui conservs au Muse du Louvre, avait cru
pouvoir se faire une ide approximative de la forme matriel-
le que lensemble affectait(2) ; mais les nouveaux morceaux
dcouverts par M. Montagnon lont oblig, a-t-il bien voulu
me dire lui-mme, renoncer son hypothse.
Il nest pas inutile de faire remarquer combien les dimen-
sions de ce camp sont faibles, compares celles du grand
____________________
(1) Arch. des Missions, 1851, p. 480.
(2) Sur la forme matrielle dun monument de Lambse (Strena Helbi-
giana, p. 122).
440 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

camp voisin ; il est peu prs la moiti de lautre. Ceci se


comprend aisment si lon admet que, dans le second, destin
devenir pour longtemps le sjour de la lgion, on a rserv
plus de place aux constructions intressant le service, aux
magasins, aux annexes et mme au logement des officiers,
toutes installations qui, dans un camp provisoire, pouvaient
et devaient mme tre rduites. Mais, pour restreint que ft
cet espace, il suffisait largement loger la lgion entire. Hy-
gin accorde, en effet, pour le campement dune cohorte un
rectangle de 120 pieds sur 180(1) (35 mtres environ sur 53),
1,855 mtres carrs. La premire cohorte occupant toujours,
daprs Hygin(2), un espace double des autres, la totalit des
dix cohortes devait couvrir une superficie de 20,405 mtres
carrs, un peu plus de deux hectares. Or le camp fouill par
M. Montagnon en compte quatre ; il restait donc pour les of-
ficiers et les divers services la moiti peu prs de lespace
enferm dans lenceinte.

On peut se demander aussi comment il se fait que ce camp


provisoire ait subsist alors que, le camp dfinitif tant termin,
les soldats lavaient abandonn. Il serait naturel quil et t
nivel ou quon let laiss niveler par le temps ; tandis quil
semble bien, au contraire, puisque les parties basses des murs
en sont arrives jusqu nous, quon en ait assur la conserva-
tion, du moins pour lessentiel. La rponse nous est donne par
cette plate-forme qui supportait le monument de lempereur
Hadrien. Aprs le passage de lempereur, et en souvenir de ce
passage, on y leva au centre, lendroit o tait le prtoire, et
do le prince peut-tre avait harangu la lgion, une colonne
commmorative ; ce devint une annexe de lautre enceinte,
____________________
(1) De munit. castr., 2.
(2) Ibid., 3.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 441

rserve sans doute pour certaines crmonies militaires, d-


fendue, en tout cas, par la mmoire dun grand vnement
local et dun des empereurs qui ont le plus fait pour larme
romaine et la prosprit des provinces.

LE GRAND CAMP LGIONNAIRE DE LAMBSE.

Le grand camp lgionnaire, qui remplaa ce camp pro-


visoire, tait, ainsi quil a t dit plus haut, tabli en 128 la
venue de lempereur Hadrien en Numidie ; ce qui est certain,
cest quen 129 un primipile levait une statue lempereur
ct de la chapelle des enseignes(1). Sous Marc-Aurle, il est
dj question de rparations et de constructions des remparts
extrieurs(2).
Ldifice appel communment Praetorium et les sou-
bassements de fortifications qui subsistent actuellement sont
loin de remonter une poque aussi ancienne. La date de la
construction du praetorium est indique par linscription,
malheureusement trs mutile, qui figure au-dessus de la porte
dentre(3). Wilmanns a fort bien remarqu que, le nom et le nu-
mro de la lgion ny tant pas martels, ce texte ne peut tre
que postrieur lanne 253, et que, dautre part, la mention
dun lgat proprteur empche de le faire descendre jusqu
Diocltien. Encore que cette dernire assertion ne soit pas abso-
lument certaine, puisque la dernire ligne ne contient plus que
les lettres R PROV NV, qui peuvent, la rigueur, se restituer
aussi bien en pR= [p]r(aeses) quen leg.pr.pR = [leg(atus) p(ro)
p]r(aetore), lopinion de Wilmanns est trs vraisemblable ;
on peut admettre avec lui que la reconstruction de ldifice et
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2533.
(2) Ibid., 2546, 2548.
(3) Ibid., 2571.
442 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

mme dune grande partie des murs du camp fut ncessite


par un tremblement de terre trs violent qui eut lieu en 267 et
dont le souvenir nous a t gard par certains textes pigraphi-
ques(1). Le caractre des ornements qui surmontent les portes
de ldifice, et notamment de la Victoire qui se remarque au-
dessus de lentre, convient trs bien cette poque de dca-
dence. On utilisa pour cette reconstruction toutes les pierres
que lon avait sous la main, les bases leves aux empereurs(2),
aux lgats(3) et aux dieux eux-mmes(4), surtout ces listes mili-
taires, si prcieuses pour lhistoire de la lgion, dont nous de-
vons en grande partie la conservation cette circonstance(5).
Les derniers princes auxquels la lgion ait lev des mo-
numents sont Maximien et le Csar Constance(6) ; Wilmanns(7)
croit quelle quitta, vers cette poque, les cantonnements de
Lambse quelle occupait depuis prs de deux sicles, et ap-
puie son opinion sur une inscription trs mutile dont il pro-
pose une restitution des plus ingnieuses(8) ; cette preuve nest
pourtant pas suffisante, le texte pouvant donner lieu dautres
essais de restitution.
Jai remarqu, de mon ct, que ldifice dsign jadis
sous le nom de carceres, dont je parlerai plus bas, tait fait en
partie de pierres empruntes, et jy ai signal la prsence dun
texte, contemporain de Diocltien, contenant le nom du prae-
ses Aurelius Diogenes(9). Cette particularit semble indiquer
que le camp fut encore occup aprs Diocltien, puisque les
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2480, 2481 : [terra]e motum quod Paterno et Arce-
silao cos... contigit.
(2) Ibid., 2533, 2534, 2544, 2547, 18063, 18071, 18076, 18078.
(3) Ibid., 2746, 2751, 18083.
(4) Ibid., 2530, 2594, 2636.
(5) Ibid., 2744, 2745, 18067, 18084, 18087.
(6) Ibid., 2577.
(7) tude sur Lambse, p. 31.
(8) C. I. L., VIII, 2718.
(9) Revue archologique, 1889, XIII, p. 10.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 443

difices en furent rpars ; mais rien nempche quil ait servi


alors de garnison dautres troupes qu lantique lgion. Il
est bien difficile de supposer quune position comme Lam-
bse, approprie depuis plusieurs sicles aux besoins dun
corps darme, ait t vacue subitement et sans retour. On
sait dailleurs quavec lpoque de Diocltien commence un
systme doccupation militaire tout diffrent de celui qui tait
adopt antrieurement, et o les troupes taient beaucoup
plus dissmines quauparavant. Cette considration donne
un grand poids lhypothse de Wilmanns.
Il convient maintenant dtudier sur le terrain et dans ses
restes le camp de Lambse, qui est un des exemples les plus
intressants que lAfrique et mme le monde romain nous
aient conservs.
On a gard sur la castramtation romaine de nombreux
renseignements ; depuis Polybe(1) jusqu lempereur Lon(2)
plus dun auteur a fait allusion dans ses crits au trac ou
ltablissement des camps romains(3), et quelques-uns y ont
consacr des travaux spciaux(4). Avec les donnes, parses
chez les uns et rassembles chez les autres, on peut arriver
reconstituer, tout au moins dans ses parties essentielles, le
plan dun camp romain, spcialement lpoque impriale.
Il est vident, comme on la fait ressortir(5), quun camp per-
manent, et pour nous restreindre lAfrique celui de
Lambse, ne peut tre en tout point semblable au camp de
marche dcrit par Polybe ou Hygin ; quentre une enceinte
____________________
(1) Hist., VI, 27-32.
(2) Tact., 11 et 20.
(3) Joseph., Bel. Jud., III, 5 ; Jul. Afric., Cest., VI, 6 ; Veget., surtout
Epit., III, 8.
(4) Hygini Gromatici liber de munitionibus castrorum. Nous citerons
toujours ldition de M. von Domaszewski.
(5) Cf. von Domaszewski, op, cit., p. 39, note 1.
444 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

destine recevoir et protger pendant de longues annes


une lgion sans ses auxiliaires et un camp dispos pour conte-
nir quelques heures plusieurs lgions avec leurs auxiliaires,
il doit y avoir des diffrences importantes. Cependant, en
examinant de prs les deux sortes de camps, on se persuade
aisment quelles ne sont pas capitales et quil est ncessaire
dtudier la constitution des premiers, du moins dans ses li-
gnes gnrales, pour pouvoir se rendre un compte exact de
la disposition des seconds. Cette tude sera dautant plus op-
portune ici que le camp de Lambse est, sur plus dun point,
trac suivant les prceptes donns par les crivains militaires
antiques.
Hygin(1) et Vgce(2) sont daccord pour conseiller au
chef qui dtermine lemplacement dun camp le choix dun
terrain en pente douce. Il y a l une raison surtout militaire ;
cette position permet au gnral de surveiller aisment tout
le camp et aussi le pays dalentour qui stend ses pieds.
Cest, au reste, une ncessit quon a reconnue dans tous les
temps et quels que soient les moyens de dfense ou dattaque
dont on dispose. Mais il faut prendre garde aussi de ne point
appuyer le camp une hauteur qui le domine, et par o len-
nemi pourrait ou surprendre les secrets du campement, ou
mme lancer des projectiles au milieu des troupes au repos ;
il faut viter galement le voisinage dune fort, qui permet-
trait aux assaillants de se masser sans tre aperus, ou dac-
cidents de terrain, qui auraient le mme inconvnient. Il est
ncessaire, en outre, que le camp soit voisin dun fleuve ou
dune source ; mais cette source doit tre parfaitement saine,
et le fleuve assez peu torrentueux pour ne jamais dborder
subitement dans le camp voisin.
____________________
(1) De munit. castror., 56.
(2) Epit., III, 8.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 445

La forme rectangulaire tait la forme la plus usite, celle


qui tait particulirement recommande. Josphe nous repr-
sentait cette disposition comme habituelle, Vgce et Lon
le Philosophe comme prfrable. Hygin, prcisant davanta-
ge, veut que le rectangle, suivant lequel le camp est dispos,
ait une largeur gale aux deux tiers de sa longueur, et Jules
lAfricain nous explique lavantage de cette sorte de cam-
pement : Il est nuisible, dit-il, de donner au camp la forme
circulaire, qui offre lennemi une grande facilit pour len-
tourer, tandis que, sil a une forme rectangulaire, lassaillant
est oblig dtendre davantage ses lignes et de diviser ses
troupes, tout en portant la plus grande partie de ses forces
vers la face quil croit devoir attaquer de prfrence. Ce
nest pas le seul intrt que prsente cette formation de cam-
pement. Outre que les fortifications en ligne droite sont plus
solides et plus faciles excuter que les autres, le campement
en rectangle permet de mettre les bagages et les blesss
labri des attaques et des surprises, en les disposant au cen-
tre du camp, et de conserver toutes les troupes runies dans
la main du commandant. Les Romains avaient parfaitement
compris tous ces avantages, et si la forme rectangulaire tait
la plus gnrale, ctait non seulement parce quelle tait la
plus belle, comme dit Vgce, mais aussi et surtout parce
quelle tait la plus avantageuse(1).
Il fallait, daprs Hygin(2), que les angles de ce rectangle
fussent arrondis. Pour tracer les arcs de cercle qui formaient
____________________
(1) Cette formation de campement tait, au contraire, considre, il y
a peu de temps encore, comme dsavantageuse. Napolon (Prcis des guer-
res de Jules Csar, d. Gosselin, p. 83) nadmettait pas quune arme pt
camper en carr en prsence dun ennemi arm de canons : le ricochet des
boulets devenait alors trs meurtrier. La nature des projectiles employs de
nos jours a, de nouveau, modifi la question du campement.
(2) De munit. castror., 4.
446 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

les quatre coins du camp, on prenait comme centre le point


o se coupaient les lignes de front des cohortes lgionnaires ;
puis, avec un rayon gal la largeur de lintervallum, cest--
dire du chemin militaire qui suivait intrieurement le rempart
sur toute sa longueur, on traait une courbe gale un quart
de cercle. Il y aurait eu, en effet, un certain inconvnient
garder un angle saillant aux quatre extrmits du camp. Cet-
te disposition noffre pas assez de rsistance aux projectiles:
quils frappent de face ou de biais, ils viennent aisment
bout de la saillie, et langle, en sboulant, peut mettre d-
couvert une partie de lenceinte. En mme temps, elle et t
incommode pour la dfense. Les soldats, chargs dloigner
de la fortification coups de traits et de tenir distance les as-
saillants, tirant toujours perpendiculairement la direction de
ce rempart, ne peuvent couvrir de leurs projectiles ou de leurs
flches tout lespace environnant ; il reste forcment, dans les
angles morts forms par le prolongement de chaque face du
camp, une zone assez tendue, o lennemi ne court aucun
danger et par o il sapprochera du vallum sans tre inquit.
En arrondissant langle du camp, on vite ces deux inconv-
nients : on assure la solidit de la muraille contre lattaque, et
lon permet au tir des dfenseurs datteindre lassaillant, de
quelque ct quil se prsente(1).
La castramtation tant, au mme titre que le rite de la
fondation des cits et des colonies, une branche de lart augu-
ral(2), les camps, comme les villes, taient diviss en quatre
____________________
(1) Voir, dans von Cohausen, Der rm. Grenzwall in Deutschland, une
planche o le rsultat du tir dans les deux cas est trs nettement indiqu (pl.
II, fig. 11). Cf. p. 342.
(2) Nissen, Das Templum, p. 23 et suiv. Cf. Hygin, De limit. const.,
p. 180 : Quibusdam coloniis postea constitutis, sicut in Africa Admederae,
decumanus maximus et cardo a civitate oriuntur et per quatuor portas in mo-
rem castrorum ut viae amplissimae limitibus diriguntur.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 447

parties par deux lignes perpendiculaires qui formaient les


grandes voies et dont les extrmits, aboutissant aux quatre
portes du camp, regardaient les quatre points cardinaux : le
cardo maximus et le decumanas ; mais, dans le langage mi-
litaire, le cardo maximus, qui unissait la porte latrale droite
celle de gauche, se nommait via principalis(1), tandis que le
decumanus portait, dun ct du praetorium, entre celui-ci et
la porta praetoria, le nom de via praetoria, de lautre, celui
de via decumana. Le cardo maximus avait la direction Nord-
Sud, et le decumanus la direction Est-Ouest(2).
En thorie, dans la conception dun camp parfaitement
orient, la porte praetoria(3) regardait lEst. Postrieurement,
les considrations militaires primrent toutes les autres et lon
soccupa surtout, lors de ltablissement du camp, de choisir un
emplacement favorable o lon pt rsister aux attaques et qui
offrt en mme temps une base solide pour loffensive. Quelle
fut alors la position de la porte prtorienne ? Il y a, ce sujet,
parmi les auteurs modernes, diffrentes manires de voir(4) ;
mais il ne me parat pas douteux que la vrit ait t tablie par
M. Nissen : du tmoignage formel de tous les crivains anciens,
il rsulte que la porte prtorienne est celle qui regarde len-
nemi(5). Lorsque le camp est tabli sur une pente, ce qui, nous
lavons vu, est la position ordinaire, la porte prtorienne est
____________________
(1) Hygin, De munit. castror., 14.
(2) Frontin, p. 27 ; Sicul. Flac., p. 153 ; Festus, p. 71. Voir Nissen, Das
Templum, p. 15 (cf. p. 26), el Bouch Leclercq, s. v. Augur, dans le Dictionnaire
des antiquits grecques et romaines de Saglio.
(3) Veget., I, 23.
(4) Pour la thorie contraire celle que nous adoptons ici, voir surtout
Hankel, Das rm. Normallager zur Zeit des Polybios (Jahrb. fr Philologie,
CXXXI, 1880, p. 737-763).
(5) Veget., I, 23 : Porta autem quae appellatur praetoria aut orientem
spectare debet aut illum locum qui ad hostes respicit ; Hygin, De mun. cas-
tror., 56 : Porta praetoria semper hostem spectare debet ; Tac., Ann., I, 66 :
Portae (quarum) decumana maxima petebatur, aversa hosti .
448 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

dans le bas(1) ; la porte dcumane, au contraire, par o, du


moins une poque postrieure, on conduisait les soldats au
chtiment, dans le haut(2). La porte prtorienne, qui est relie
au prtoire par la voie prtorienne, fait face lentre de cet
difice.
Le point dintersection du cardo maximus et du de-
cumanus se nommait, dans le langage augural, decussis ;
ctait lendroit o se plaait lobservateur qui voulait inter-
roger les signes clestes. La tente dresse pour labriter sap-
pelait tabernaculum(3). A la guerre, le gnral qui avait, lui
aussi, prendre les auspices, tablissait cette intersection
son quartier gnral ; do le nom daugurale quil recevait
quelquefois. Le terme militaire(4) sous lequel on le dsignait
le plus souvent tait celui de praetorium. Il se trouvait que
la situation du decussis tait, en mme temps, la position la
plus avantageuse pour le commandement, quelle permettait
de surveiller efficacement la plaine qui stendait au pied du
camp, comme le camp lui-mme, et quelle offrait toutes les
conditions de scurit que le gnral a le devoir de rechercher
pour lui-mme ; on neut donc garde dy renoncer : dans tous
les camps romains, le praetorium occupe la mme place.
Le prtoire tait, nous dit Josphe, . On
en a conclu quil prsentait lapparence dun temple(5) ; mais
il est bien difficile daccepter cette explication, dautant plus
quelle na pas t confirme par la disposition des prtoires
dblays dans les diffrents camps romains. Linterprtation de
____________________
(1) Caes., De Bel. Gall., II, 18 et 24 ; Tac., Hist., IV, 30 ; Ammian.,
XXVII, 6, 7 ; Hygin, op. cit., 56, C.
(2) Veget., I, 23
(3) Cic., De nat. Deor., II, 4, 11 ; De divin., I, 17, 33 ; II, 35, 74, etc. ;
Plut., Marcel., 5 ; Liv., IV, 7, 3 ; Servius, ad Aen., II, 178 ; Festus, s. v. Taberna-
culum, p. 356.
(4) Quintil., VII, 2, 28.
(5) Nissen, Das Templum, p. 46.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 449

la phrase de Josphe semble plutt devoir tre cherche dans


lidentification primitive qui existait entre la tente du gnral
et le tabernaculum o lon prenait les augures, et qui se nom-
mait, en langue augurale, templum minus(1). Comme un tem-
ple, le prtoire tait thoriquement orient vers lEst ; comme
un temple aussi, il tait prcd dautels pour les sacrifices(2).
Daprs Hygin(3), le prtoire se divisait en trois parties :
une partie centrale, qui tait proprement la demeure du gn-
ral ; une partie postrieure, nomme posticum(4), et une par-
tie antrieure, qui se composait essentiellement dune grande
place, le forum. A lendroit le plus lev de cette place, cest-
-dire devant lentre du prtoire, tait lautel o le gnral
sacrifiait ; en avant, droite, slevait lauguratorium, ut
dux in eo augurium recte capere possit ; gauche, le tribu-
nal, ut augurio accepto insuper ascendat et exercitum felici
auspicio alloquatur(5) .
Derrire le praetorium, on tablissait le quaestorium(6),
dans laxe de la porte dcumane : cest l quon recevait les
envoys de lennemi, quon enfermait les otages, l aussi
quon dposait le butin.
Les lgats, quand il y avait plusieurs lgions runies dans
le mme camp, ainsi que les tribuns campaient vis--vis le pr-
toire, de lautre ct de la voie principale, dans un espace appel
scamnum(7). Cest l aussi que se trouvaient les salles de rap-
port (scholae) des premires cohortes(8). Il y avait galement,
dans cette partie du camp, des places rserves pour lhpital.
____________________
(1) Festus, p. 157.
(2) On ne voit pas bien ce quon pourrait tirer, pour la connaissance des
prtoires contemporains de lEmpire, du texte de Varron (De ling. Lat., V, 161).
(3) De munit. castror., p. 54.
(4) Ibid., 18, 19.
(5) Ibid., 11.
(6) Ibid., 18.
(7) Ibid., 15.
(8) Ibid., p. 56, et le commentaire de M. von Domaszewski.
450 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

pour les curies destines au traitement des chevaux et des


btes de somme malades et pour les ateliers de fabrication
ou de rparation darmes(1) ; mais les textes qui en font men-
tion ne sont pas suffisamment clairs, si bien que les auteurs
modernes ne sont pas daccord sur leur interprtation, et par
suite sur la place assigne chacun de ces difices(2).
Telle est, dans ses points principaux, la disposition tho-
rique dun camp romain, surtout lpoque impriale, ainsi
quelle rsulte des passages ou des traits que les auteurs ont
consacrs la castramtation. On a retrouv en diffrents en-
droits, soit sur le limes qui formait la frontire militaire de
certaines provinces, soit dans les garnisons importantes des
lgions romaines(3), des restes de camps qui offraient dans leur
ensemble les mmes dispositions. Il est vident pourtant que,
dans un camp servant de casernement, certaines constructions
prennent un dveloppement quelles ne peuvent pas avoir dans
un camp provisoire : ainsi, pour une nuit ou deux, on peut dpo-
ser les vivres terre ou les laisser dans les voitures du train, en
les couvrant de bches qui les prservent de lhumidit ; dans
une enceinte fortifie permanente, il faut, pour les remiser, des
____________________
(1) Hygin, De munit. castror., 6.
(2) Masquelez les place le long de la via sagularis, non loin de la porte
prtorienne, droite et gauche du camp (cf. le plan s. v. Castra, dans le
Dictionnaire de Saglio) ; M. von Domaszewski, droite du prtoire, prs de
la porte principale droite (loc. cit., p. 47 ; cf. le plan de la planche II).
(3) Le nombre des camps romains dont on a reconnu et tudi les res-
tes dans toutes les parties de lEmpire est maintenant considrable, et nous
ne pouvons avoir la prtention de les numrer ici. Si lon veut connatre les
plus importants, et par suite se rendre compte rapidement des similitudes
quils prsentent, comme des petites diffrences que lon y remarque, on
peut consulter : pour le camp dAlbano, sur la voie Appienne, Annali, 1854,p.
102, et Monumenti, pl. IX ; pour ceux de Bretagne, louvrage illustr de Bru-
ce (Roman Wall), et nombre de travaux de dtail, par exemple : Macdonald
et Park, The Roman Forts on the Bar Hill, 1906 ; Haverfield, Arch. Anzeiger,
1909, p. 231. et suiv. ; Macdonald, The Roman Wall in Scotland, 1911 ; James
GRAND CAMP DE LAMBSE. 451

magasins spciaux et bien amnags. Il en est de mme de


beaucoup dautres dtails ; le fait est vrai, en particulier, du
praetorium, que lon devait tcher de rendre aussi conforta-
ble, et aussi lgant mme que possible, et du quaestorium.
De plus, est certains difices qui ne figurent pas dans un camp
dune nuit et qui doivent prendre une place trs importante
dans des castra stativa, les thermes, par exemple ; en campa-
gne, les soldats romains pouvaient et devaient attendre, pour
se baigner, la rencontre dune rivire ou dune ville ; dans un
casernement, il tait de toute ncessit quils eussent des bains
leur disposition ; et ces bains devaient tre levs dans lint-
rieur mme du retranchement, si lon voulait que les officiers
pussent y exercer une surveillance efficace. Aussi en a-t-on
retrouv dans toutes les places fortes quon a fouilles.
Par l mme sintroduisirent, dans lorganisation intrieu-
re des camps permanents, certaines modifications de dtail qui
rsultaient souvent des difficults locales, plus souvent encore
de la volont des ingnieurs de larme, dsireux dapproprier
le camp aux ncessits dune occupation de quelque dure.
Le camp de Lambse na pas chapp, plus que ceux
que lon a tudis dans dautres parties de lEmpire, cette
____________________
Curle, A Roman Fronder post ; the Fort of Newstead, 1911 ; pour lEspagne,
les rapports de M. Schulten sur les camps de Numance (Arch. Anzeiger, 1907,
p. 1 et suiv., Bull. hispanique, 1909, p. 1 et suiv.) ; pour la Germanie, le tra-
vail prcieux de M. von Cohausen (Der rman. Grenzwall in Deutschland,
1884) ; la grande publication de MM. von Sarvey, Fabricius et Hettner (Der
obergermanisch-rtische Limes des Rmerreiches), le livre de M. Jacobi sur
la Saalburg (Das Rmerkastel Saalburg, 1897), celui de MM. Nissen, Knen,
Lehner et Strack sur le camp de Novaesium (Bonn. Jahrbcher, CXI et CXII,
1904) ; pour la frontire du Danube, les fascicules du Der rm. Limes in
Oesterreich ; pour lArabie, le beau volume de MM. Brunnow et von Domas-
zewski (Die Provinz Arabia, II, p. 8, 25, 49, 63, 95 ; III 187). Les plans de
campements africains que jai pu me procurer et que lon trouvera runis dans
la suite de ce travail fourniront galement des comparaisons intressantes.
452 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

ncessit. On y retrouve les dispositions essentielles signa-


les par les auteurs militaires ; mais on y constate aussi des
particularits dignes de remarque.
Il a t dcrit en dtail pour la premire fois par Dela-
mare, dans un mmoire adress la Socit des Antiquaires
de France(1): du poste de Batna o il tait dtach, il avait pu
visiter les ruines de Lambse, trop rapidement pour son dsir,
et y recueillir un certain nombre de faits et dobservations
prcises ; il lui fut donn, dailleurs, de les complter ensuite,
quand il accompagna L. Renier. Ce nest pas que ce point
net jamais t visit auparavant, mais les voyageurs qui y
avaient t amens nen avaient pas compris tout lintrt,
et surtout ils avaient dcrit les restes par eux remarqus en
explorateurs plutt quen archologues ; on pourrait pourtant
signaler quelques dtails utiles dans les courtes notices de
Peyssonnel(2), de Bruce(3) et du docteur Guyon(4). Je ne parle
pas de Shaw(5), qui, nayant pas vu Lambse, a emprunt
Peyssonnel le peu quil en dit(6).
Lors de sa premire mission en Algrie, L. Renier passa
Lambse presque tout le temps quil consacra cette anne-
l lAfrique ; il put tudier loisir le camp de la IIIe lgion,
beaucoup mieux conserv alors quil ne lest aujourdhui ; il
en a laiss une description quon souhaiterait plus longue et
plus complte, mais qui nen contient pas moins de prcieux
renseignements. Il a aussi rapport de son premier voyage des
____________________
(1) Mmoires des Antiquaires de France (2e srie), I, p. 30 et suiv.
(2) Voyages dans les rgences de Tunis et dAlger, I, p. 351 et suiv.
(3) Voyage en Nubie, Introduction, p. 32.
(4) Voyage dAlger aux Ziban, p. 123, et Atlas (partie du Tell, pl. I).
(5) Voyage dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant (p.
146 de la traduction de 1743).
(6) Voir aussi Texier, Revue archol., 1849 (V, 2e partie), p. 417 et
suiv. ; cf. pl. 98. Cette planche est particulirement intressante en ce quelle
donne ltat du monument vers 1849.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 453

plans, des dessins, des vues du camp et du prtoire(1). Rests


indits pendant toute la vie de L. Renier, qui les rservait pour
le grand ouvrage quil se proposait dcrire sur lAfrique ro-
maine, ces documents ne sont pas encore publis.
En 1865, Barnond, directeur de la Maison centrale de
dtention de Lambse, fut charg par le prfet de Constantine
dexcuter des fouilles dans les ruines ; il porta son attention
surtout sur le camp et le prtoire. Ses recherches sont lobjet
dun rapport important qui a t imprim dans le Recueil de
la Socit archologique de Constantine(2).
Dix ans plus tard, Wilmanns, envoy par lAcadmie de
Berlin pour vrifier le texte de toutes les inscriptions romai-
nes de lAfrique septentrionale, passait son tour quelques
semaines au milieu des ruines de Lambse. Le fruit de ce s-
jour et des tudes auxquelles il donna lieu est expos dans sa
dissertation sur le camp et la ville de Lambse, dj plusieurs
fois cite.
En 1885 a paru(3) une description trs fidle de Lambse,
accompagne dun plan habilement excut. Les fouilles qui
avaient t faites les annes prcdentes par le service des
Monuments historiques pour consolider et restaurer les ruines
du prtoire avaient amen de nombreuses dcouvertes, qui
donnent sur lancien camp des renseignements importants ;
elles sont rassembles dans ce travail, plus complet que les
____________________
(1) Voir ses rapports de mission (Archives des Missions scientifiques,
1851, surtout p. 480 et suiv.). Ces dessins dus, les uns Delamare, les autres
au dessinateur qui accompagnait L. Renier, sont : 1 le plan du camp de la
lgion ; le plan du Praetorium avec coupes, lvations et vues ; 3 le
camp des cohortes auxiliaires ; 4 le plan dun difice quil appelle carceres
(voir plus bas) ; 5 un dessin de la colonne monumentale sur le pidestal de
laquelle tait le discours dHadrien. Le plan du camp et les dessins relatifs au
prtoire sont les seuls que ltat possde et que jaie pu consulter.
(2) Rec. de Constantine, X, 1866, p. 239 et suiv.
(3) Ibid., XXIII, 1884, p. 179 et suiv.
454 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

prcdents, mais qui est loin cependant dtre suffisant pour


rsoudre toutes les questions que lon voudrait voir lucider ;
les fouilles, du reste, navaient point t suffisamment pous-
ses pour fournir des rsultats dfinitifs(1). Il fallait, de toute
ncessit, les reprendre et les mener mthodiquement.
Cest ce que comprit fort bien un membre de lcole
franaise de Rome, M. Besnier, actuellement professeur
lUniversit de Caen ; il entreprit des recherches autour dun
monument dont L. Renier avait fait autrefois une prison, que
javais dsign, dans la premire dition de ce livre, comme
une salle de runion destine quelque collge militaire, qui
tait, en tout cas, voisin dune ou deux petites pices termi-
nes en abside, dcouvertes en partie par le Service des Mo-
numents historiques. Deux ans de suite, au printemps, il re-
tourna Lambse, en 1897 et en 1898 ; le rsultat de cette
double campagne fut le dblaiement de tout un quartier, quil
a appel le quartier des scholae et dont il a fait excuter un
projet de restitution par un architecte pensionnaire de lAca-
dmie de France Rome, M. Duquesne. Le tout a t publi
dans un article dont jaurai loccasion de reparler plus loin(2).
Le succs des recherches de M. Besnier, accomplies
peu de frais, grce au bienveillant appui des directeurs de la
Maison centrale, nous confirma dans la pense quune explo-
ration plus tendue serait certainement aussi fructueuse que
facile ; il et t dailleurs trs regrettable de ne pas interroger
le terrain qui stend entre ldifice nomm Praetorium et ce
____________________
(1) Le passage que Tissot a consacr Lambse (Gographie de
lAfrique romaine, II, p. 491 et suiv.) est emprunt au rapport de L. Renier et
au travail de Wilmanns. La description quen a faite Masqueray (De monte
Aurasio, p. 21) est trs courte. Lauteur y adopte presque compltement les
conclusions de Wilmanns.
(2) M. Besnier, Les scholae des sous-officiers dans le camp romain de
Lambse (Mlanges de lcole de Rome, XIX, 1899, p. 199 et suiv. ; pl. VI,
VII, VIII).
GRAND CAMP DE LAMBSE. 455

quartier nouvellement dcouvert qui semblait sy rattacher.


Cest pour relier ces deux ensembles quil fut dcid en 1900
de dblayer lespace intermdiaire qui les sparait. La direc-
tion des travaux, que le Service des Monuments historiques
de lAlgrie, plac sous la direction de M. Alb. Ballu, reprit
sa charge, fut confie au directeur de la Maison centrale
cette poque, M. Courmontagne, qui avait t lun des auxi-
liaires empresss de M. Besnier. Sous son impulsion, toute
la partie centrale du camp fut rapidement mise au jour, et
comme un angle de ldifice quon y trouva stendait sous
son jardin potager, il fit libralement abandon la science de
ce coin de terrain, ce qui permit de complter la fouille.
Depuis lors, le dblaiement na pas cess ; M. Cour-
montagne et, aprs lui, ses successeurs la tte des fouilles
se sont attaqus aux environs des thermes lgionnaires, puis
la partie nord-est du camp, puis la portion nord-ouest, la
partie sud-est tant rserve pour la fin, par suite de consid-
rations matrielles. Quant la partie sud-ouest, il faut renon-
cer la dgager jamais, car la Maison centrale la recouvre
totalement ; il est bien probable, dailleurs, que les travaux
excuts pour en tablir les fondations y ont tout boulevers.
Jai expos le rsultat de toutes ces dcouvertes dans un
mmoire dvelopp(1) auquel je ferai, dans la suite de ce cha-
pitre, de nombreux emprunts.
____________________
(1) Les deux camps de la lgion IIIe Auguste Lambse (Mm. de
lAcad. des Inscr., XXXVIII,
1re partie, p. 219 et suiv.). Cf. aussi sur toutes ces fouilles : Alb. Ballu, Bull.
arch. des Travaux historiques, 1902, p. 342 et suiv. ; 1903, p. CLXXII et
suiv., p. CCXXXII et suiv. ; 1905, p. 82 et suiv. ;
1906, p. 192 et suiv. ; M. Besnier, Mlanges de lcole franaise de Rome,
XIX, 1899, p. 199 et suiv. ; A. von Domaszewski, Die Principia des rm. La-
gers (Neue Heidelberg. Jahrbcher, IX, 1899, p. 148 et suiv.). Die Prin-
cipia el Armamentaria des Lagers von Lambaesis (Korrespondenzblatt der
Westdeutschen Zeitschrift, XXI, 1902, p. 21 et suiv.) ; Hron de Villefosse,
456 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

CAMP.

Le camp de Lambse est situ au pied de la chane des


Aurs, sur les derniers contreforts dune montagne qui sap-
pelle aujourdhui encore Djebel-Askar, cest--dire Montagne
des soldats(1). Suivant les prceptes des spcialistes, il slevait
sur un terrain lgrement en pente ; la partie suprieure tant
une altitude de 1190 mtres et la partie infrieure une alti-
tude de 1172 mtres, il y a une diffrence de 18 mtres entre
les deux. La position en est choisie conformment toutes les
lois formules par les auteurs militaires anciens, assez leve
pour tre trs are et dominer la plaine environnante, assez
abrite par les hautes croupes de lAurs pour ne pas craindre
les vents brlants du Sud, assez dcouverte pourtant pour ne
pas tre expose une surprise de lennemi. A droite et gau-
che, des rivires sans eau pendant une partie de lanne, tor-
rentueuses lpoque des pluies, lOued-bou-Khabouzen ou
Necheb et lOued-Taguesserit, formaient des retranchements
naturels quelque distance de la fortification et permettaient
dalimenter de grandes citernes servant de rserves. De plus,
les premires pentes de lAurs renferment des sources pures et
abondantes, An-Drinn et An-bou-Bennana, captes lpo-
que romaine(2), quil suffisait dun petit aqueduc pour amener et
____________________
Bull. arch. du Comit des Travaux historiques, 1899, p. CXCI et suiv. ; CCXI
et suiv. ; CXCVII et suiv. ; St. Gsell, Bull. arch. du Comit des Travaux histo-
riques, 1901, p. 320 et suiv., 1902, p. 319 et suiv. Les monuments antiques
de lAlgrie, p. 76 et suiv.
(1) Ragot, Rec. de Constantine, XVI, 1873-1874, p. 192. Le souvenir
de la lgion aurait donc persist jusque dans le nom de la montagne au pied
de laquelle elle tait campe.
(2) C. I. L., 2652, 2653, 2654, 2658. Cf. Annuaire de Constantine, III.
1856-1857, p. 157 et suiv.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 457

faire jaillir soit dans le camp, soit dans lespace environ-


nant, ainsi quon le verra plus bas.
Le camp, dont je donne ci-contre le plan aussi com-
plet que possible dans ltat actuel des fouilles, se compose
dun rectangle de 420 mtres de largeur sur 500 mtres de
longueur, orient du Nord au Sud et dont le front est tabli
suivant la pente du terrain. Il est donc conu plutt suivant
les donnes du camp carr de Polybe, que suivant celles du
camp rectangulaire dHygin. Les remparts sont maintenant
presque entirement crouls, mais la partie infrieure en
subsiste partout. Quand L. Renier(1) vint Lambse pour la
premire fois, le mur avait 4 mtres environ de hauteur ; la
maison centrale de dtention tait alors peine commence ;
elle a t leve en partie au dtriment des retranchements
antiques.
Le mur du camp est flanqu de bastions, au nombre de
quatre sur les faces les plus courtes, et de cinq sur les deux
autres ; ils ont ceci de particulier, que leur saillie, presque
nulle extrieurement, est tourne vers lintrieur de la forti-
fication(2). Ces tours, qui se rencontrent dans plus dun camp
romain, ne pouvaient gure servir que de cages descaliers
pour accder la partie suprieure du retranchement ou de
plate-forme pour y installer des machines de guerre.
Les quatre angles du camp taient, eux aussi, flanqus de
bastions, ceux-ci disposs en quart de cercle, suivant les recom-
mandations des crivains militaires anciens(3). Ces derniers
____________________
(1) Archives des Missions, 1851, p. 171 et suiv.
(2) Le fait a dj t signal par Ragot (Rec. de Constantine, XVI,
1873-1874, p. 193, note 4), et par lanonyme cit chez Poulle (ibid., XXIII,
1884, p. 184).
(3) On a trouv, dans les fouilles dun de ces bastions, diffrents pro-
jectiles en terre cuite de la forme et de la dimension dun gros uf de poule
et du poids de 150 grammes environ (Rec. de Constantine, loc. cit., note).
458 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

contenaient des escaliers qui conduisaient au haut du mur, dis-


position parfaitement reconnaissable encore langle nord-
ouest du camp. On sen rendra compte par le plan ci-joint,
que jen ai lev au pas en 1888(1). Le bastion, ainsi quon le

voit, tait divis intrieurement en trois chambres, dont lune,


celle du centre, tait, elle aussi, partage en deux parties par
un mur en blocage. En A sont les restes, parfaitement visi-
bles, dun escalier.
PORTES.

Quatre portes permettaient dentrer dans le camp ou den


sortir. La porte du Sud a disparu sans tre fouille, par suite
de la construction du pnitencier ; il reste les traces des trois
autres.
La porte du Nord, qui souvre exactement au milieu de
la face septentrionale, a t dblaye avec soin. On en verra
la disposition sur le plan gnral du camp.
Cette porte, que je dsignerai, la suite des auteurs qui ont
crit sur Lambse, comme la porte prtorienne(2) , slevait
____________________
(1) Depuis lors, laspect de la fouille sest modifi quelque peu.
(2) Jadmets pour la porte du Nord la dnomination de prtorienne ;
le fait rsulte avec vidence de ce qui sera dit dans la suite, mais on ne saurait
appliquer ici la dfinition de Vgce (I, 23) : Porta praetoria aut orientem
GRAND CAMP DE LAMBSE. 459

encore deux mtres de hauteur en 865 ; aujourdhui, elle est


presque rase.
Elle tait perce de deux ouvertures ingales, dont la
plus troite donnait passage une voie pave et borde de
trottoirs destine aux voitures, la plus large, galement pa-
ve, paraissant rserve aux pitons. Elle formait une double
vote, dont les deux parties communiquaient entre elles par
une autre porte plus petite, souvrant perpendiculairement
laxe des deux autres. Elle tait ferme par des vantaux qui
venaient buter sur un seuil saillant, parfaitement visible en-
core aujourdhui, et dfendue par deux tours demi engages
dans la muraille et renfermant intrieurement un corps de
garde. On distingue en arrire les escaliers qui conduisaient
ltage suprieur. Les architectes qui les ont fouilles pen-
sent, daprs certains fragments trouvs au pied, qu ltage
suprieur ces tours taient relies entre elles par une galerie
claire-voie, continuation du chemin de ronde.
Les portes de lEst et de lOuest prsentent une struc-
ture tout fait analogue, la seule diffrence que les tours
circulaires taient remplaces par des bastions carrs pan
coup. Laspect tait celui quoffre actuellement la porte
dcumane, telle quelle a t reconstruite dans le fort de
Saalburg(1). On a dcouvert en place, au cours des fouilles,
les ferrures infrieures dune des deux parties de la porte
(long. 0m, 80) avec les clous longs de 0m, 15 qui les main-
tenaient.
On ne trouve aucune trace de retranchement au pied du
mur denceinte ; mais cela il ny a rien dtonnant : on ne
____________________
spectare debet aut illum Iocum qui ad hostes respicit ; elle nest tourne ni
vers lEst, ni vers lennemi, qui pouvait arriver Lambse de tous les cts,
except par le Nord ; mais elle tait sur un terrain plus bas que la porte dcu-
mane ; en cela, elle mrite le nom de prtorienne .
(1) Jacobi, Das Rmerkastel Saalburg, pl. VI.
460 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

creusait plus de vallum, sous lEmpire, que dans des circons-


tances tout fait exceptionnelles(1) ; et Vgce(2) nous apprend
que les camps taient dj depuis longtemps dpourvus, son
poque, de fosss et de palissades.
VOIES.

Dans la description de son camp, Hygin donne les r-


gles suivre pour le trac des voies et fixe les mesures quil
convient de donner chacune delles. Suivant lui, la via prin-
cipalis(3), comme la via praetoria(4), doivent mesurer 60 pieds
de largeur, soit 17m, 76 ; cest aussi la largeur quil donne
lintervallum(5). Il nous apprend encore que, pour rendre pos-
sibles les mouvements des troupes et leur faciliter laccs
lintervallum, et par l aux portes, il tait ncessaire de m-
nager dautres grandes voies, parallles soit la via princi-
palis, soit la via praetoria ; ctaient la via quintana(6), qui
longeait la partie postrieure du prtoire et qui devait mesurer
40 pieds (11m. 84), plusieurs via vicinaria(7), plus troites (20
pieds), et une via sagularis, dont les quatre parties formaient
dans le camp un rectangle intrieur avec cts parallles aux
retranchements ; celle-ci tait large de 30 pieds (8 m, 88)(8).
En outre, on pouvait tracer un certain nombre de rues plus pe-
tites pour rejoindre les prcdentes entre elles ; ces dernires
ne mesuraient pas plus de 10 pieds (2 m, 96)(9).
On na pas retrouv Lambse toutes ces voies, et celles
____________________
(1) Joseph., Bell. Jud., III, 5.
(2) Epit., I, 21.
(3) De munit. castr., 14.
(5) Ibid. ; cf. 54.
(6) Ibid., 17.
(7) Ibid., 13, 36 ; cf. p. 59 de ldition von Domaszewski.
(8) Ibid., 20.
(9) Ibid., 36 ; cf. p. 60. Voir aussi le plan restitu que M. von Domas-
zewski a trac la fin de son dition (pl. II).
GRAND CAMP DE LAMBSE. 461

dont on a constat la prsence natteignent pas la largeur


prescrite par Hygin : il ny a pas lieu de sen tonner. Dune
part, le camp dHygin est destin abriter une arme tout en-
tire, compose de trois lgions et de nombreux auxiliaires ;
de lautre, le camp de Lambse est un camp permanent o les
constructions se sont accumules avec le temps, au dtriment
du plan primitif.
Les fouilles ont fait reconnatre deux sortes de voies,
des grandes et des petites.
Les plus importantes sont la via principalis, nettement
divise en dextra et sinistra, et la via praetoria(1). Leur lar-
geur uniforme est de 12 m, 20, soit 41 pieds 2, si lon fait
abstraction des trottoirs sous portique qui les bordaient, ou
de 20 m, 70 (69 pieds 8) avec ces trottoirs. Ni lune ni lautre
de ces mesures ne correspond celle dHygin. La premire
saccorde assez bien avec la largeur de lintervallum cer-
tains endroits ; car il na pas partout la mme dimension :
ainsi, prs de la porte du Nord, entre le rempart et le front
des casernes, on a compt 11 m, 90 (40 pieds 2), ce qui
se rapproche beaucoup du chiffre constat pour la largeur
de la via principalis ; un peu plus loin, lintervallum arrive
jusqu 15 mtres environ ; prs de la porte ouest, il se r-
trcit jusqu 9 mtres. Mais ces diffrences sont, sans dou-
te, leffet de remaniements. Retenons seulement que, sur la
plus grande partie de la face nord, lintervallum a, suivant
la rgle, la mme largeur peu prs que les grandes artres
du camp.
La voie prtorienne, celle qui joignait la porte prtorienne
____________________
(1) Je dois faire observer que ce que nous regardions comme lamorce
de la voie dcumane (Arme dAfrique, 1re dition, p. 526) ntait, en ra-
lit, quune bande de la cour pave du prtoire, limite par des remblais non
encore fouills. Cette voie ne commence que derrire ldifice abside, bti
sur caves, dont je parlerai plus loin, et lon en perd bien vite la trace.
462 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

au prtoire, mesure 143 mtres de long. Elle a conserv abso-


lument intacts dallage et trottoir(1) ; pas une dalle ne manque
son pav, et les sillons tracs par le passage des chariots sont
profondment marqus sur le sol.
Les voies dites principales, cest--dire celles qui ru-
nissaient le prtoire la porte de lEst et celle de lOuest,
mesurent chacune prs de 213 mtres ; elles sont de mme
parfaitement dalles. On a fait remarquer que celle de gau-
che est borde, dans le voisinage immdiat du prtoire, dun
trottoir dans lequel sont engages, distances rgulires, de
larges pierres de taille qui font saillie sur la ligne droite et qui
devaient supporter soit des colonnes, soit des statues .
Wilinanns a dj observ(2) que la proportion des distan-
ces entre le prtoire et les portes prtorienne et dcumane ne
diffre que trs peu de celle qui est indique dans le trac du
camp de Polybe(3).
Une autre voie importante longe le ct oriental du pr-
toire et, plus loin, le ct occidental des thermes, perpendicu-
lairement la via principalis. Elle mesure 9 m, 50 de large,
soit 32 pieds 09, ce qui est peu prs la largeur de la via sa-
gularis dHygin, et, avec le portique qui la borne lOuest,
13 m, 28, soit 44 pieds 80.
Les autres voies, quelles soient parallles la via princi-
palis, comme celle qui passe entre le logement des officiers et les
casernes, ou perpendiculaires cette voie, sont beaucoup plus
____________________
(1) Il est remarquable que la premire pierre du dallage droite et
gauche de la route forme en mme temps la bordure du trottoir, par une l-
gre saillie de 0 m. 20.
(2) tude sur le camp de Lambse (trad. Thdenat), p. 9, note 1.
(3) Cf. les plans dresss par Masquelez dans le Dictionnaire de Saglio,
s. v Castra, et Nissen, Das Templum, pl. I. Daprs ces plans, la proportion,
pour le camp de Polybe, est de 27 11 = 378 154 ; dans le camp de Lam-
bse, elle est de 33 14 = 363 154.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 463

troites ; elles dpassent peine 5 mtres (17 pieds environ).


Cest presque le double pourtant de la largeur quHygin attri-
bue aux voies ordinaires(1).
Ces voies secondaires ntaient pas dalles.

PRTOIRE(2).

Tous ceux qui ont visit Lambse connaissent le grand


monument, dont les vues figurent ci-contre et que, depuis L.
Renier, on nomme Praetorium . En ltudiant, dans la pre-
mire dition de ce livre, jtais arriv la conclusion que ce
ntait pas l un massif de maonnerie isol et quil devait se
rattacher un ensemble ; mais jtais loin de croire, pour cet en-
semble, un dveloppement aussi considrable que celui que
les fouilles ont rvl. Dautre part, ds 1898, M. Hettner(3),
la suite de M. K. Schumacher(4), avait mis lide quil fallait
y voir une sorte de salle dentre, donnant accs une cour in-
trieure, la partie centrale de la faade du prtoire, qui devait
se continuer bien au del et rejoindre ldifice abside dont
javais fait une grande schola. Cest aussi le rsultat auquel,
la mme date, arrivait M. Duquesne. A langle nord-est du
____________________
(1) Cf. p. 60 de ldition von Domaszewski.
(2) Je me servirai toujours dans ce chapitre du mot Prtoire, pour d-
signer le grand ensemble de btiments qui occupe la partie centrale du camp,
rservant le mot Praetorium, suivant lusage abusif mais courant, pour ldi-
fice, seul debout aujourdhui, qui en constituait la partie antrieure. Jaurais
pu employer aussi le mot Principia, qui est maintenant souvent adopt lors-
que lon veut dsigner cette partie des camps permanents, la suite des ob-
servations de M. von Domaszewski (Neue Heidelb, Jahrbcher, IX, p. 141
et suiv., surtout p. 145). Jai prfr conserver le mot prtoire, moins solen-
nel, mais plus facile comprendre.
(3) Westdeutsche Zeitschrift, XVII (1898), p. 345.
(4) Im Layer der dritten africanischen Legion (Beilage zar Mnchener
Allgemeinen Zeitung, 1897, n. 29, p. 2).
464 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

quartier des scholae, crit M. Besnier, daprs une note de M.


Duquesne(1), en avant du mur de soutnement, on a consta-
t la prsence de murs orients du Sud au Nord, qui sem-
blent continuer laile orientale du quartier et descendre vers
le soi-disant Praetorium. Peut-tre des murs pareils leur fai-
saient-ils pendant langle nord-ouest, perpendiculaires aux
prcdents. En arrire stendait une large place entoure de
portiques et termine au Sud, un niveau suprieur, par le
quartier des scholae. Le praetorium primitif ainsi reconstitu
dans son intgrit aurait rappel, par sa forme et ses propor-
tions, les parties correspondantes du castellum de Saalburg et
du camp de Niederbiber.

En supposant mme que les fouilles naient pas t


concluantes cet gard, cette restitution des grandes lignes
du prtoire devrait tre regarde aujourdhui comme certai-
ne. Depuis quelques annes, en effet, on a dans toutes les
parties de lEmpire, mais surtout en Allemagne et en Angle-
terre, tudi des camps romains, et lon a presque constam-
ment trouv au centre de chacun deux une construction tri-
partite compose dune entre plus ou moins monumentale
et de deux cours se faisant suite, cest--dire, en attendant
que nous leur donnions leur nom vritable, de ce que lon a
appel, en souvenir des maisons romaines, un atrium et un
pristyle. Jai runi plusieurs exemples caractristiques du
fait dans le Dictionnaire des antiquits grecques et romai-
nes, de Saglio ; je nai point y revenir ici. Les fouilles de
Lambse ont montr une fois de plus quune telle division
tripartite tait la rgle pour les camps importants. Il faut exa-
miner successivement chacune (les parties dont se composait
le prtoire.
____________________
(1) Mel. de Rome, XIX, 1899, p. 255.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 465
466 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

La construction nomme Praetorium est actuelle-


ment une masse rectangulaire isole, de 23 mtres de largeur
sur 36 m, 60 de longueur. Elle est dcore extrieurement
de deux ordres superposs de pilastres et de colonnes isoles
et portes sur des pidestaux trs saillants. Sa faade princi-
pale qui regarde le Nord (voir celle de nos planches o elle
est reprsente) est perce, au centre, dune arcade immense
(7 m, 41), dont la clef est dcore dune Victoire en bas-relief
et flanque, de chaque ct, dun groupe de trois colonnes
corinthiennes ; entre les deux couples les plus voisins de la
porte centrale se remarque, droite et gauche, une niche
qui contenait certainement autrefois une statue. Une inscrip-
tion(1), dont il ne subsiste plus que quelques lettres visibles,
stendait sur la frise de lordre infrieur. Wilmanns(2) a prou-
v quelle remontait lan 268 et relatait la reconstitution du
prtoire en cette anne, au lendemain du tremblement de terre
de 267 ; jy ai dj fait allusion. Jai galement dit que cette
date saccorde parfaitement avec le style des reprsentations
figures qui surmontent les portes. La Victoire, notamment,
qui a t mentionne quelques lignes plus haut, est dune ex-
cution trs mauvaise : la palme quelle tient la main est aussi
haute quelle et presque aussi massive. Deux petites arcades
latrales (2 m, 22 de largeur) et une autre, ouverte ltage
suprieur (3 mtres de largeur), compltent lordonnance de
cette faade. Elles sont surmontes dune main tenant une
couronne.
La faade mridionale(3) est peu prs la rptition de
____________________
(1) Cf. C. I. L., VIII, 2571.
(2) tude sur le camp de Lambse, p. 30 et suiv.
(3) Ltat de cette faade avant les restaurations, trs visibles sur nos
planches, est donn par le dessin insr dans lHistoire des Romains de M.
Duruy. (d. In-4 t. V, p. 23.)
GRAND CAMP DE LAMBSE. 467

celle du Nord : une porte de 5 m, 02, dont larcade est orne


dun aigle ploy, est accoste de deux autres plus petites
(2 m, 60 ), ou se voient des ornements assez effacs, peut-tre
une enseigne au-dessus de celle de droite et une main au-des-
sus de celle de gauche.
Les faces latrales de ldifice sont perces chacune de
quatre portes et ornes de pilastres corinthiens.
Les trois premires portes, en partant de la face nord, for-
ment une faade rgulire compose dune grande baie large
de 7 m, 90, entre deux plus petites de 2 m, 74 ; la quatrime
porte, qui vient ensuite, 3 m, 83. Au-dessus de chacune de
ces portes, sur les clefs de votes, sont reprsents des em-
blmes analogues ceux que nous avons signals dj ; ce
sont :

Face Est. Porte du milieu : personnage effac, dont


on ne voit plus que les deux jambes et un bras.
Premire porte en partant du Nord : enseigne.
Les autres portes sont trs dgrades.

Face Ouest. Porte centrale : personnage nu jusqu


la ceinture et drap au-dessous ; de la main gauche, il tient
une corne dabondance et, de la main droite, un objet dont on
ne peut reconnatre la nature(1). Cest un Genius praetorii ou
un Genius exercitus, divinits allgoriques qui sont gnrale-
ment figures de la sorte.
Les autres portes noffrent aucun ornement.
Le mieux conserv de ces emblmes est lenseigne sculp-
te sur la face orientale ; jen donne ici une reprsentation
excute daprs une photographie que jai prise et daprs
un dessin que L. Renier a rapport de son voyage.
____________________
(1) Cf. Saglio, Dictionnaire des antiquits grecques et romaines, S. V.
468 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

La pointe du bas de la hampe affecte la forme dun tri-


dent, comme dans dautres monuments analogues(1). Sur le
corps mme du vexillum se lit linscription :

LEg
III AV g

Au-dessus se trouve trois fois rpt un grou-


pe de deux anneaux superposs ; il faut y voir
probablement des couronnes, dont chacune est
spare de la suivante par une boule de cuir ou
dtoffe ; on en connat de semblables sur les
reprsentations figures denseignes romaines.
Lextrmit suprieure de la hampe se termine
en pointe.
Au premier tage, au-dessus de chaque porte
centrale, sur les faces sud, est et ouest, il existe de grandes
fentres en tout semblables celle que nous avons signale
au-dessus de la porte dentre, et surmontes, elles aussi, de
mains tenant des couronnes.
Si cette construction est aujourdhui isole, elle ne ltait
point autrefois : ses quatre extrmits taient relies aux
constructions qui bordaient chaque ct de la via principalis, si
bien que les deux grandes artres du camp se croisaient au cen-
tre mme du massif sous lequel elles pntraient. On comprend
ds lors lintrt quoffrent les colonnes qui, sur toutes les faces,
encadrent chacune des portes ouvertes dans ce massif. La plus
ornemente, celle qui tait surmonte de linscription comm-
morative, est celle du Nord, celle qui regarde la porte prto-
rienne du camp. Elle se prsente, je lai dit, sous laspect dune
grande baie encadre de colonnes corinthiennes dgages. et
____________________
(1) Par exemple Bruce. Lapidarium septentrionale, n. 33.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 469

accoste de deux autres, plus troites et moins leves, pa-


reillement encadres ; la largeur de celle du milieu corres-
pond la chausse de la voie prtorienne, les ouvertures
secondaires aux deux trottoirs qui bordaient cette chausse.
On apercevait donc, en arrivant du Nord, une faade tout
fait analogue celle des arcs de triomphe africains trois
ouvertures, tels que celui de Septime-Svre sur la voie
Septimienne, Lambse mme, ou, Timgad, larc dit de
Trajan(1).
Sur les deux faades latrales les trois premires baies,
en partant du Nord, forment un ensemble analogue la fa-
ade septentrionale, avec deux colonnes dtaches rpondant
des pilastres, pour la mme raison, parce quelles donnaient
passage aux deux parties, droite et gauche, de la voie prin-
cipale et aux trottoirs qui la bordaient. La quatrime baie,
plus grande que les ouvertures secondaires, plus petite que
louverture principale, faisait communiquer ce massif avec
deux chambres appartenant la srie des constructions en
bordure de la cour.
Enfin la Faade mridionale tait prcde de deux
immenses colonnes dordre ionique, dont la destination est
maintenant certaine : elles devaient tre surmontes de sta-
tues ou de trophes et encadraient ainsi, pour le spectateur
plac au fond de la cour, soit par elles-mmes, soit par les su-
jets quelles supportaient, en bas la porte, plus haut la fentre,
qui souvraient exactement au-dessus, ltage suprieur.
Ce massif tait donc, en ralit, un arc triomphal quatre
Faces de dimensions considrables. Peyssonnel(2), Shaw(3) et
ceux qui, au dbut de loccupation de lAlgrie, lui avaient donn
____________________
(1) Cf. Gsell, Les monuments antiques de lAlgrie, p.174. et suiv. ; E.
Boeswilwald, Cagnat et Ballu, Timgad, p. 133 et suiv., pl. XVI XIX.
(2) Voyage dans les rgences de Tunis et dAlger, p. 355.
(3) Voyage dans la rgence dAlger (Trad. Mac Carthy), p. 367.
470 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

cette appellation, remplace depuis par celle de Praetorium,


avaient du premier coup devin la vrit.
Ldifice tait-il, la faon des atrium, ciel ouvert au
centre, avec portiques entourant lespace intrieur ? M. Ballu
a tudi la question de prs(1). Il fait observer que les murs
extrieurs du massif ne font pas partie intgrante des construc-
tions adjacentes ; par suite, il tait ncessaire, pour empcher
lcroulement de ces murailles, leves de 15 mtres au-dessus
du sol, quelles fussent relies entre elles par une charpente.
Si lespace, ajoute-t-il, avait d rester dcouvert, on se serait
content de ne monter les murs qu une hauteur modre et
on naurait pas lanc dans les airs des faades ajoures, flan-
ques de deux rangs superposs de colonnes et couronnes
par un entablement qui net rien port. Ltablissement dune
charpente noffrait, au reste, aucune difficult ; car, grce aux
pilastres saillants qui sont disposs dans lintrieur de ldi-
fice, la porte des poutres ne devait tre que de 17 mtres.
La construction, toujours daprs les remarques de M.
Ballu, devait tre couverte dune toiture avec croupes, cest-
-dire au moyen de deux demi-fermes rejoignant la ferme
place sur les piles intrieures de chaque extrmit(2).
Il est vrai quon a dcouvert dans lintrieur quatre gros
blocs, qui semblent, premire vue, tre des bases de co-
lonnes destines soutenir les quatre angles dun portique ;
mais, l encore, lavis de M. Ballu est formel ; ce ne seraient
que des libages supportant soit des colonnes isoles, de peu
de hauteur, soit des statues, soit des trophes(3).
____________________
(1) Bull. arch. du Comit, 1901, p. 343 et suiv.
(2) Il nen reste pas moins que, daprs laveu de ceux qui ont fait les
fouilles, on na pas retrouv de tuiles, ni rien qui provint de la couverture
suppose (Rec. De Constantine, XXIII, 1884, p. 187).
(3) M. Gsell a crit pareillement (Bull. arch. du Comit, ibid., p. 320) ;
Lintrieur tait-il couvert dun toit ? cela est
GRAND CAMP DE LAMBSE. 471

Par cette porte monumentale on pntrait dans la pre-


mire cour, grande place, large de 65 mtres et profonde de 37
m, 70. Sur trois des cts rgnaient des chambres rectangulai-
res, au nombre de treize lEst et lOuest, de huit au Nord ;
la dernire de celles-ci de chaque ct du massif central (A
et A) tait relie ce massif par des murs rass aujourdhui
au niveau du sol, qui constituaient deux pices annexes ayant
leur entre, non point sur la cour, mais sur lintrieur dudit
massif. Au retour dangles, deux couloirs (B et B) offrent la
mme profondeur que les chambres voisines, avec une largeur
moindre (3 m, 33). Ces chambres mesurent au Nord 6 m, 80
de long sur 3 mtres de large, lEst 6 mtres sur 3 m, 75,
lOuest 5 m, 80 sur 3 m, 60. Les murs, pais en moyenne de
0 m, 50, sont de blocage et contrastent singulirement, par
leur construction mdiocre et leur peu dlvation actuelle,
les parties les mieux conserves atteignent peu prs 1
mtre, avec la masse imposante du btiment central. En
avant courait un portique large de 5 m, 20, dont les bases de
colonnes sont encore peu prs toutes en place ; le chapiteau
tait dordre dorique, comme celui qui surmonte les grandes
colonnes ornementales de la cour. M. Gsell(1), sappuyant sur
le fait que, lors des fouilles, on a trouv en avant des cham-
bres des colonnes plus petites que celles du portique, estime
quelles devaient appartenir un ordre suprieur et que, par
suite, un tage devait rgner tout autour de la cour, au-dessus
____________________
fort probable ; car on a peine croire que les parois fort leves de ce rectangle aient
simplement servi former la clture dun espace ciel ouvert. Les extrmits des poutres
matresses de la toiture reposaient vraisemblablement sur les six colonnes engages qui
font saillie lEst et lOuest. Quant aux quatre massifs en pierres de taille dont le bas
subsiste lintrieur de la salle, il est difficile de dire ce quils portaient ; peut-tre taient-
ce simplement des socles de statues. Ils ne sont pas tout fait dans laxe des colonnes
engages et la position des deux massifs du Nord ne correspond pas exactement celle
des deux massifs du Sud.
(1) Bull. archol. du Comit, loc. cit., p. 321.
472 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

des chambres du rez-de-chausse. m. Courmontagne, au


contraire, pense que ces colonnes encadraient les portes des
chambres et les a disposes cette place sur le terrain. Cest
une question qui ne parat pas comporter de solution cer-
taine.
Tandis que le sol des portiques est de terre battue et que
lon ny a pas rencontr, au cours des fouilles, de traces de
mosaques, celui de la cour est couvert dun dallage assez bien
conserv. Sur chacun des trois cts bords par des construc-
tions existe un caniveau, creus dans le dallage mme, o
Leau des toits du portique se dversait pour se perdre dans
des bouches disposes les unes aux angles N.-E. et N.-O. de
la place, les autres sur la face sud du Praetorium (voir le plan).
Elles recevaient pareillement les eaux pluviales qui tombaient
directement sur le dallage, suivant la pente gnrale amna-
ge du S.-O. vers le N.-E. avec une inclinaison totale de 0 m,
12(1). Aux quatre angles de la cour existent des bassins carrs
de 2 m, 40 de ct ; ceux du Nord sont profonds de 0 m, 67,
ceux. du Sud de 0 m. 46(2). Ils taient aliments deau potable,
peut-tre par une conduite venant des thermes(3) ; le trop-plein
____________________
(1) M. Barry, inspecteur des fouilles de Timgad, qui a tudi spciale-
ment toute cette question, sur ma demande et mon intention, ce dont je suis
heureux de le remercier ici, nest pas tout fait de lavis de M. Courmonta-
gne. En tirant, dit-il, une ligne droite de laxe de la porte sud du praetorium
au ressaut de lescalier qui conduit la terrasse situe en face, on a la ligne
de partage des eaux de la cour ; ces eaux, divises par un dos dne qui suit
la ligne droite prcite, scoulent lEst et lOuest pour tre recueillies
par les caniveaux dcrits. Il est cependant exact que les deux rectangles dal-
ls qui restent droite et gauche de la ligne formant dos dne sont plutt
penchs au Nord quau Sud. Lentaille faite en biais dans le dallage (voir le
plan) est de date trs postrieure.
(2) Courrnontagne, Comptes rendus de lAcad. des Inscr. 1902, p. 42.
(3) Voici ce que M. Courmontagne a bien voulu mcrire ce sujet :
Si lon suit la conduite dalle venant des thermes, conduite que jai d-
couverte sur une assez grande longueur, on remarque quelle vient couder
GRAND CAMP DE LAMBSE. 473

se rpandait dans les caniveaux dont il vient dtre question


et coulait de l dans un grand gout, dont des traces ont t
constates sous le Praetorium par M. Courmontagne.
Il semble bien que plusieurs bases honorifiques ou autels
aient t disposs sur cette place. Probablement chacune des
deux grandes colonnes monumentales tait prcde dun
pidestal destin supporter quelque statue ; on en lit la trace
sur le sol. Ailleurs on voit un autel qui avait t exhum lors
des premires fouilles du Service des Monuments historiques
et o sont gravs les mots : Ara disciplinae(1) ; il est plus que
douteux quil soit aujourdhui sa place primitive. Plus loin,
en C, est un socle de 1 m, 50 de ct qui, lui, na pas t d-
plac ; le d en a disparu ou a t emport parmi les pierres
qui composent aujourdhui le muse.
Le fond de la cour est form par un mur de 1 mtre
dpaisseur et de 1 m, 75 de hauteur o vient sappuyer le
bord de la plate-forme constituant la cour suivante. Au pied
du mur rgne une terrasse, large de 9 m, 15, laquelle on
accde par deux marches ; au milieu se dtache une avance,
large de 7 mtres sur 3 m, 10 de profondeur ; le sol nen est
pas dall, mais de terre, du moins en ltat actuel ; il est im-
possible de savoir, dans le dtail, quel tait lamnagement
antique de tout cela.
De chaque ct de la terrasse, deux escaliers de huit mar-
ches permettent daccder ce quon a appel le quartier des
scholae, et qui est en ralit une seconde place, complment
de ldifice.
____________________
angle droit dans le mur de la dernire chambre du portique. L on la perd de
vue ; mais, en dcouvrant le bassin dans langle sud-est, jai trouv un gros
tuyautage en plomb qui ne pouvait servir qu lalimentation de ce bassin
par la conduite. Je ferai observer que cette constatation, valable pour ce
bassin et peut-tre pour celui qui lui fait pendant lOuest, ne prouve rien
pour les bassins du N.-E. et du N.-O.
(1) C. I. L., VIII, 18058.
474 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

La disposition de cette place est fort intressante. A droite,


gauche et au fond sont disposes une srie de pices de for-
me et de grandeur diffrentes. Au milieu de la face sud slve
ldifice(1) que L. Renier appelait carceres que dans la pre-
mire dition de ce livre javais dsign comme une schola(1) ;
M. Besnier, qui en a fait le quaestorium transform ultrieu-
rement en schola(2), en a achev le dblaiement. Il se compose
de deux tages, un rez-de-chausse qui tait lev de quelques
marches au-dessus du sol, et un sous-sol.
Ce dernier, dans lequel on descendait par un escalier de
sept marches, tait divis en cinq chambres votes, fermes
par une porte dont les montants sont encore en place ; les
deux chambres extrmes taient isoles des autres par des
portes latrales. Primitivement, ces chambres prenaient jour
sur lextrieur par des crneaux ; mais, une certaine poque,
on les boucha, soit en fermant le fond des pices laide de
grandes pierres blanchtres toutes diffrentes par leur nature
de celles qui constituent les murs de ldifice, soit en ajoutant
labside en grosses pierres de taille, qui forme actuellement
la caractristique de ldifice. Dailleurs la construction tout
entire a t remanie une date assez tardive : on a trouv,
parmi les pierres utilises au-dessus du sol, des inscriptions
de toutes les priodes ; lune delles, notamment, porte une
ddicace Aurelius Diogenes, gouverneur de Numidie sous
Diocltien, ce qui prouve que le monument a servi mme
aprs le rgne de ce prince, cest--dire aprs le dpart de la
lgion.
Ltage du dessus tait entirement dall ; en le dblayant
on y a recueilli des fragments de stuc color en rouge, qui pro-
venait de la dcoration des murs, un aigle en pierre, qui nest
____________________
(1) Arme dAfrique (1re dition), p. 539.
(2) Ml. de lcole de Rome, XIX, 1899, p. 233.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 475

sans doute pas sans rapport avec la destination de ldifice,


et, dispos au milieu de la pice, un soubassement carr de
0 m, 90, support probable dun autel ou dune base de statue.
Une abside termine la construction du ct du Sud. Celle-ci
est, comme je viens de le dire, une addition postrieure.

Il y avait l, lorigine, un monument rectangulaire, que


lon transforma dans la suite par ladjonction dun mur de
fond demi-circulaire.
A gauche se voit un autre petit difice(2) large de 7 m-
tres et profond de 7 m, 50. Il se termine pareillement par une
abside, cette fois en petit appareil, reli de distance en distan-
ce par des assises de briques. Cette abside a une saillie bien
moindre que celle du btiment voisin.
Vient-ensuite une salle(3) plus petite (4 m. 70 sur 7 m,
50) ; M. Besnier incline croire quelle se terminait aussi en
abside du ct du Sud ; mais il ne reste actuellement aucune
trace de cette disposition.

Au del on a trouv un long couloir(4), qui permettait de


sortir de la place du ct nord et qui donnait accs dans une
pice rectangulaire (9 m, 40 sur 7 m, 50), dnue dabside(5).
On y a dcouvert en place deux bases de colonne, et derrire,
sur une autre base allonge et cintre, analogue aux monu-
ments quon appelle communment scholae, une longue ins-
cription dont il sera question plus loin, ainsi dailleurs que de
toutes celles que les fouilles de M. Besnier ont fournies. De
cette salle on communiquait avec un groupe de trois autres
(6) qui forment langle sud-est de lensemble, et mme avec
une quatrime (8) qui leur fait suite ; ce paraissent tre des an-
nexes de la prcdente (5). En avant de la salle 8 et faisant un
angle droit avec la salle 5, on a rencontr une pice de 5 m, 60
sur 4 m, 80 (7), orne pareillement au fond dune base cintre
476 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

et dont le seuil, lgrement surlev, tait prcd de deux


marches.
Deux autres chambres (9 et 10), la dernire divise en
plusieurs chambrettes, terminaient de ce ct la srie des
constructions qui encadraient la place ; ensuite venait un cou-
loir de dgagement, par o lon sortait sur la rue latrale au
prtoire, ou plutt sur le portique qui bordait cette rue.
La suite des pices que je viens dnumrer se rptait du
ct de lOuest. A droite de ldifice 1, M. Besnier a dblay
une chambre (II), de dimensions identiques la chambre 2
et termine par une abside allonge, saillante de 3 m, 15. La
salle III fait pendant la salle 3, quelle reproduit avec cette
seule diffrence quelle est aussi dcore dune abside de 2
m, 25. A ct souvre un couloir IV, qui rpond au couloir 4.
Langle sud-ouest, qui tait autrefois recouvert par le potager
de la Maison centrale, est fort mal conserv ; en dfonant le
sol pour crer le jardin, on a fait disparatre peu prs tous les
soubassements qui y existaient ; cest peine sil reste quel-
ques traces de murs. Ils suffisent montrer que, dans len-
semble du moins, cette partie du prtoire est semblable celle
qui lui tait symtrique.
Ainsi le fond de cette seconde place tait bord de cham-
bres groupes autour dune pice centrale plus grande quel-
les ; dautres faisaient retour droite et gauche.

Reliant les deux ailes et longeant la faade mridionale


de la place, stendait un portique de 5 m, 40, dordonnance
corinthienne ; douze colonnes le composaient. La base de
chacune est prcde dun soubassement destin suppor-
ter un pidestal de statue, portant une inscription. Lun deux
tait peu prs en place lors des fouilles de M. Besnier, il
a t exhum sous le portique entre la deuxime colonne et
lentre de la chambre 3 ; on y lit une ddicace Antonin le
GRAND CAMP DE LAMBSE. 477

Pieux par un primipile de la lgion(1) (1 m, 30 de hauteur sur


0 m. 83) :
[I]mp(eratori) Cae[s(ari)] T. Aelio Hadriano Antonino Aug(usto)
Pio pontif(ici) maximo frib(unicia) potest(ate) X imp(eratori) II co(n)s(uli)
IIII p(atri) p(atriae) dedi[c]ante L. Novio Crispino leg(ato) Aug(usti) pr(o)
pr(aetore) T. Flavius T. f(ilius) Troment(ina) Firmus Salonap (rimus) p(ilus)
[leg(ionis) III] Aug(ustae). Date : 147 aprs J.-C.

On remarquera la rdaction du texte, qui est assez parti-


culire(2). Or la mme rdaction caractrise deux autres textes
inscrits sur deux pidestaux dcouverts autrefois prs du
Praetorium , dit L. Renier, qui les a publis.

Le premier, assez mutil, porte(3) :


[Imp(eratori) Caes(ari) Divi Trajani Parth(ici) fil(io) Divi Ner]vae
[nepoti Tr]ajano Had[riano Au]g(usto) pont(ifici) max(imo) [trib(unicia) p]
ot(estate) XIII co(n)s(uli) III p(atri) p(atriae) dedicante [Q. Fa]bio Catul-
lino leg(ato) Aug(usti) pro pr(aetore) s. C. f(ilius) Camil(ia) Memo[r Al]
ba Pompeia [p(rimus)p(ilus) Ieg(ionis) III Aug(ustae)]. Date : 129 aprs
J.-C.

Sur lautre (1m, 04 de hauteur sur 0 m, 90)(4), on lit :


Imp(eratori) C[aes(ari)] T. Aelio Ha(driano) Antonino [Aug(usto)
Pio] pont(ifici) max(imo) tr[ib(unicia) pot(estate) VII] co(n)s(uli) III p(atri)
(p(atriae)] dedica[nte] C. Prastina Mess[alino] leg(ato) Aug(usti) pro[pr(ac-
____________________
(1) C. I. L. VIII, 2542 ; Ann. pigr., 1898, 11.
(2) On notera surtout que le ddicant fait mention de sa patrie. A pro-
pos dune inscription de Msie (C. I. L., III, 7591), M. von Domaszewski
(Die Religion des rm. Heeres, p. 19) fait remarquer que le caractre officiel
de linscription rsulte prcisment du fait que lofficier y nomme sa patrie
comme dans les listes militaires. Cette remarque a ici une certaine impor-
tance.
(3) C. I. L., VIII, 2533.
(4) Ibid., 2535. On notera que la base est actuellement endommage.
Elle tait autrefois un peu plus haute.
478 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

[tore)] P. Timinius P. f. Pal[at(ina)] Tertullus Roma p(rimus) p(ilus) leg(ionis)


III Aug(ustae). Date : 144 aprs J.-C.

La similitude de ces inscriptions, graves sur des cubes


de pierre, peu prs de mmes dimensions, invite les rap-
procher ; et, ds lors, il semble bien que les bases proviennent
toutes de la colonnade.
Dautre part, M. Courmontagne a dcouvert, dans une
chambre derrire les scholae , cest--dire non loin de l,
deux morceaux dun texte tout fait semblable aux prc-
dents(1) :
[Imp(eratori) Cae(sari) Divi Trajani Part]hici [f(ilio) Divi Ner]vae
[nep(oti) Traj]ano H[adriano Aug(usto) pont(ifici) max(imo) trib(unicia)
pot(estate..). II, co(n)s(uli) III [de]dicante [P. Cas]sio Secundo [le]g(ato)
Aug(usti) pr(o) pr(aetore) ius C. f. Fabia ens Roma [pr(imus) p(ilus)
Ieg(ionis) III Aug(ustae)]. Date : 138 aprs J.-C.

Enfin M. Besnier signale comme provenant du portique


mme, entre la colonnade et le premier difice louest de la
construction deux tages (II), un autre fragment(2) qui parait
bien se rattacher au mme groupe :
Imp(eratori) Cae(sari) [M. Aur(elio) Com]modo Ant[onino Aug(usto)]
Pio Felici S[armatico Ger]manico M[aximo Bri]tannico [pontif(ici)
max(imo)]

On peut aussi se demander sil ne convient pas de rap-


porter cet ensemble une base haute de 1 m, 32 et large de
0m, 88 qui a t dcouverte rcemment dans les fouilles de la
partie nord-ouest du camp(3) :
Divo Antonino C. Satrius C. f(ilius) Fab(ia) Crescens Roma eq(uo)
____________________
(1) Bull. arch. du Comit, 1904, p. 203.
(2) Ml. de lcole de Rome, XVIII, 1898, p. 459.
(3) Ann. pigr., 1908, 10.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 479

publ(ico) ex trecenario p(rimus) p(ilus) leg(ionis) III Aug(ustae) dedicante


D. Fonteio Frontiniano leg(ato) Augustor(um) pro praet(ore). Date : 160-
163.

Nous aurions donc, en totalit ou en morceaux, cinq,


peut-tre six, des pidestaux qui ornaient la face antrieure du
portique ; deux offrent les noms dHadrien, deux ceux dAn-
tonin le Pieux et le cinquime ceux de Commode ; ils taient
sans doute surmonts des statues des princes.

En tout cas, cette ornementation remonte une poque


antrieure non seulement la rfection du camp en 267, mais
mme lge de Septime-Svre ; si on na pas utilis alors
pour la dcoration de la cour des bases et des statues dj
existantes, ce qui parait peu probable, il faut admettre que
cette cour et le portique figuraient dans le plan primitif de
lenceinte, tel quil fut conu lpoque mme dHadrien. On
notera que lun des textes cits plus haut est de lanne 129,
celle qui suivit le voyage du prince en Afrique et qui est cer-
tainement trs voisine de la date o la lgion sinstalla dans
le nouveau camp.
Ce nest pas un hasard, non plus, si toutes ces statues ont
t leves par des primipiles, ainsi quon le verra plus loin.
Indiquons, pour terminer, dans lalignement des murs qui
bordent au Sud les couloirs latraux, un massif de maonne-
rie (D) en blocage, long actuellement de 4 mtres et large de 1
m, 40. Peut-tre, crit M. Gsell, est-ce la base dune uvre
de sculpture de grandes dimensions.

Le prtoire du camp de Lambse se prsente donc bien


nous comme compos de trois parties qui se faisaient suite :
une grande salle servant dentre et affectant les apparences
dun arc triomphal quatre faces ; une premire cour, au mme
480 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

niveau que lentre et termine au fond par une terrasse ; en-


fin, une esplanade, plus leve, qui constituait la partie pos-
trieure de lensemble. Il faut voir maintenant quelle tait la
destination de ces cours et des salles mnages tout autour
delles. Cest quoi aideront et ce que lon sait aujourdhui
sur les camps romains en gnral et les inscriptions trouves
Lambse depuis un demi-sicle.
Il importe de commencer par la dernire place, celle
quon a appele le pristyle ou le posticum. Au milieu de la
face postrieure slevait, ainsi quil a t dit plus haut, un
difice sur caves, termin en abside. Cest M. Hettner qui, le
premier, a indiqu la nature de cet difice ; il a vu quil fallait
y reconnatre la chapelle des enseignes(1).
On sait, par quelques textes dauteurs(2) et par des ins-
criptions(3), quil existait dans chaque camp un sanctuaire
destin abriter laigle, les enseignes, les images des empe-
reurs ; que les pargnes des soldats y taient dposes sous
leur protection(4) ; et que, pour leur rendre lhonneur religieux
qui leur tait d, comme pour veiller la scurit du lieu, un
poste de garde se tenait en permanence devant la chapelle(5).
Lemplacement dun tel difice a t rvl par les fouilles
faites autrefois au camp de Bremenium, en Angleterre(6). Il y a
t trouv, en effet, la place exacte quoccupe, Lambse,
le petit monument deux tages, une construction avec caves
____________________
(1) Cf. Hettner, Westd. Zeitschrift, 1898, p. 343.
(2) Herod., IV, 4, 5 ; Joseph., Bell. Jud., VI, 6, 1 ; Stat., Theb., X, 176 ;
Tac., Ann. I, 39 ; IV, 2 ; Hist., I, 36 ; Suet., Tib., 48. Tous ces textes sont
cits par M. von Domaszewski, Die Religion des rm. Heeres, p. 9 et suiv.
(3) C. I. L., III, 3526.
(4) Suet., Domit., 7 ; Veget., II, 20. Cf, plus haut, p. 386 et suiv.
(5) C. I. L., III, 3526 ; cf. von Premersten, Klio, III, 1903, p. 43. Cet
rudit admet que le poste charg de veiller sur les signa tait fourni par le
piquet de garde aux principia.
(6) Bruce, Roman Wall, p. 318. Cf. von Domaszewski, op. cit., p. 14.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 481

votes, dans les ruines de laquelle gisait un autel portant


une ddicace Genio d(omini) n(ostri) et signorum coh(ortis)
I Vardullorum et n(umeri) explorator(um) Brem(eniensium)
Gor(dianorum)(1). On en a conclu que l on adorait lempereur
et les enseignes de la cohorte et que, si ltage infrieur tait
dispos en forme de cave, ctait afin de servir de dpt pour le
numraire dont la vnration attache aux signa assurait la s-
curit. Depuis lors on a dcouvert plus dune fois, sur les fron-
tires de lEmpire, en particulier dans les camps de Germanie,
des chapelles analogues, situes de mme sorte ; on y a recueilli
des statuettes impriales ou not des dtails qui viennent confir-
mer ce qui prcde. Ainsi, dans le camp de Saalburg, le fond
du prtoire est occup par une grande pice solidement btie ;
elle contenait une statuette en bronze dAntonin le Pieux(2). A
Butzbach, la mme pice existe, cette fois tablie sur cave(3). A
Murrhardt(4), la ressemblance avec les dispositions observes
Lambse est plus frappante encore : la pice est termine
en abside ; une grande cave stend en dessous, laquelle on
accde par un escalier de cinq marches actuellement(5) ; on y a
recueilli les fragments dun petit autel et le torse dune figure
divine assise. A Unterbbingen(6), mme pice avec abside,
mais prive de cave ; Pfring, par contre, la cave se retrouve,
claire par un soupirail(7). Des constatations analogues ont t
____________________
(1) C. I. L., VII, 1030.
(2) Jacobi, Das Rmerkastell Saalburg, p. 93 et suiv. ; cf. les planches
IV, IX et X. A Theilhofen, on a trouv dans cette pice les restes dune
statue de bronze dempereur (Der obergerm.-rt. Limes des Rmerreiches,
Kastell Theilhofen, p. 7 et pl. IV, fig. 1 et suiv.).
(3) Ibid., Kastell Butzbach, p. 9.
(4) Jacobi, Kastell Murrhardt, p. 7, cf. le plan de dtail de la planche I.
(5) Ibid., cf. la ligure de la page 8.
(6) Ibid. Kastell Unterbbingen, p. 2.
(7) Ibid., Kastell Pfring, p. 8 ; autres exemples Urspring (Kastell Urs-
pring, p. 14 et suiv, et pl. II), Feldberg (Kastell Feldberg, p. 8 et pl. I), etc.
482 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

faites sur la frontire de Bretagne, Housestead(1), Hardk-


notte(2), Gellygaer(3), Bar Hill(4), et ailleurs encore(5).
Il nest donc pas douteux quil faille tenir Lambse la
chambre 1 pour la chapelle des enseignes, et cause de sa
situation et parce quelle possde un sous-sol vot en forme
de cave. Faut-il croire, avec M. Besnier, quavant de rece-
voir cette destination elle servait de qaaestorium(6) ? videm-
ment non, sil est vrai, ainsi que je lai expos plus haut, que
le plan densemble du prtoire tait fix, dans ltat o nous
le connaissons, ds lpoque dHadrien. Hygin(7) plaant le
quaestorium supra praetorium , cest--dire derrire le
prtoire par rapport la porte prtorienne, cet difice, sil oc-
cupait la situation indique par lauteur du De munitionibus
castrorum, doit se trouver quelque part sous la Maison cen-
trale, et la chambre na jamais t que le sanctuaire des signa ;
seulement il na t dcor dune abside quaprs coup.
M. von Domaszewski a donn de cette identification une
autre preuve(8). Jai montr, dit-il, dans mon travail sur la Re-
ligion de larme romaine(9), que la chapelle des enseignes fut,
partir du milieu du IIIe sicle, utilise connue temple de Mars
____________________
(1) Haverfield Romano-british Derbyshire, p. 196, fig. 4, et p. 198, fig. 6.
(2) ibid., p. 192, fig. 2 ; cf. Ferguson, The Roman Fort of Hardknotte, pl. II.
(3) Ibid., fig. 3. et pl. 197, fig. 5.
(4) Macdonald et Park, The Roman Forts on the Bar Hill, p. 33 et suiv.
(5) Par exemple, en Autriche, Carnuntum (Der rm. Limes in Oes-
terreich pl. II). De mme sur le limes dArabie, Leggun (cf. Brnnow et
von Domaszewski. Provincia Arabia, II, taf. XLII).
(6) Ml de lcole de Rome, XIX, 1899. p.233 et 257.
(7) de munit. castror., 18 : Quaestorium... est supra praetorium, in
rigore portae quae a cohortibus decimis ibi tendentibus decimana est appel-
lata. M. von Domaszewski ajoute, propos de ce passage, que lon na
pas la moindre preuve dun quaestorium pour un camp permanent (Neue
Heidelb Jahrbcher, IX, p. 148, note 44).
(8) Ibid., p. 149.
(9) Die Religion des rm. Heeres. p. 31 et 35.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 483

et que, depuis Diocltien, on y adora le Gnie du camp. Or,


prcisment dans les fouilles de la chapelle des signa, on a
dcouvert ou plutt redcouvert un autel au Genius casto-
rum(1), qui avait disparu depuis le voyage de L. Renier et qui a
t insr, daprs lui, au Corpus sous le numro 2529, lequel
est tout semblable un autre autel trouv au mme endroit et
ddie Mars Auguste(2). Si donc le double culte de Mars et
du Gnie du camp tait clbr dans ce sanctuaire, cest que
ctait le sanctuaire des signa.
Lautel dont le soubassement occupe le centre de la pice
est celui sur lequel on sacrifiait aux enseignes et aux empereurs
les jours de fte(3). Ldifice est dun travail plus soign que ses
voisins ; ses murs sont pais et rguliers ; tout cela convient
bien une chapelle importante et une construction qui dpas-
sait sans doute les autres en lvation(4). La solidit relative des
murs du sanctuaire des signa a dj t note ailleurs(5).
Il est ais, ds lors, de comprendre pourquoi toutes les
statues impriales leves devant la colonnade antrieure la
chapelle semblent lavoir t par des primipiles. On sait que le
primipile avait tout particulirement la garde de laigle(6) ; cette
____________________
(1) Besnier, loc. cit., p. 247.
(2) C.I. L., VIII, 2530. Il faut restituer la premire ligne [Mart]i. Cf.
plus haut, page 348 note 5, et von Domaszewski, Die Religion des rm. Hee-
res, page 35, note 152.
(3) Joseph. Bell. Jud., VI, 6, 1 ;Plin., Hist. nat., XII, 23. Cf. le papy-
rus de Berlin, comment par MM. Wilcken (Philol., LIII, 1894, page 83) et
von Domaszewski (Neue Heidelberg. Jahrbcher, IX, p. 159), o est dcrite
une de ces ftes militaires avec sacrifice .
(4) Cest ainsi que la compris avec raison M. Duquesne dans sa resti-
tution (Ml. de lcole de Rome, XIX, 1899, pl. VIII).
(5) Hettner, Westd. Zeitschrift, 1898, p.345, propos du camp de Saalburg.
(6) Cf. Marquardt, Organ. Milit., p. 46, o les textes sont rassembls.
Vgte (II, 8) dit : Centurio primipili qui aquilae praeerat. Cf. C. I. L.,
VIII, 2634 ( Lambse mme) : Sattonius Jucundus p(rimus) p(ilus) qui
primus leg(ione) renovata aput aquilam vitem posuit.
484 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

colonnade tait donc presque une dpendance de son domaine


propre ; ctait lui de lorner dautels et de statues.
Nous ne sommes pas moins bien renseigns sur la des-
tination de la chambre voisine, droite de la chapelle (2).
M. Besnier y a dblay, en avant de labside(1), et sencas-
trant en quelque sorte dans sa concavit, un soubassement de
pierre grossire en forme dhmicycle, encore en place ; sur
ce soubassement reposait une base demi-circulaire, en pierre
de taille, orne de moulures et brise en plusieurs morceaux :
cest la forme ordinaire des monuments qui se rencontrent
dans les scholae(2) Parmi les dblais, on a recueilli quatre
fragments dune pierre cintre(3) qui, joints un cinquime
dj connu, offrent le texte suivant :

Imp(eratori) Caes(ari) M. Aur(elio) Seve[ro Alexandro] Inv[icto Pio


Au]-g(u sto) pont(ifici) max(imo) p(atri) p(atriae) proc(onsuli) Divi Mag(ni)
Anto(nini) [f(ilio)] Divi Pi(i) Sev(eri) [nep(oti)] eq(uites) leg(ionis) III
[Aug(ustae) d(evoti) n(umini) m(ajestati) q(ue)] ejus.

Cette ddicace couronnait le fate de lhmicycle qui,


lui, a disparu. Cet hmicycle portait assurment un rglement
de collge militaire. Par contre, les deux pilastres qui lenca-
draient ont t retrouvs ; lun est connu depuis longtemps(4) ;
lautre est sorti des fouilles de M. Besnier(5) ; on y lit les noms
dun certain nombre de cavaliers, membres du collge. De la
mme chambre doivent provenir :
____________________
(1) Ml. de Rome, XIX, 1899, p. 235.
(2) On sait quils se caractrisent non seulement par leur forme, mais
par la nature de linscription qui y est grave ; on y lit le rglement du collge
militaire dont les runions se tenaient dans la salle o ils slevaient.
(3) Ml. de lcole de Rome, XVII, 1897, p. 444.
(4) C. I. L., VIII, 2562 = 18059. Cf. von Domaszewski, Die Religion
des rm. Heeres p. 88.
(5) Loc. cit., p. 447.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 485

1 Une longue pierre (2 m, 75), qui a t trouve, suivant


L. Renier, derrire le Praetorium ; elle contient une ddica-
ce Septime-Svre et sa famille, par les equites legionis(1) ;
2 Un autel la Fortune Auguste, lev par un cavalier
lgionnaire, dcouvert, dit-on, louest du Praetorium(2) .
Tout cela indique, videmment, que la salle devait servir
aux runions des cavaliers de la lgion.

Dans la chambre qui fait suite (3), M. Besnier a rencon-


tr une ddicace Divo Caro ; sur lautre face de la pierre se lit
une seconde inscription, ainsi conue(3) :
Genio tribuniciali Q. Flavius Balbus tri(bunus) lat(iclavius) mil(itum)
leg(ionis) III Aug(ustae) P(iae) V(indicis).

M. von Domaszewski(4) en conclut avec la plus grande


vraisemblance que ctait le lieu o sassemblaient les commis
dtat-major attachs aux tribuns, non seulement aux tribuns
laticlaves, mais encore aux autres, lexpression Genius tribu-
nicialis ntant exclusive daucune sorte de tribuns. Cest l
quil faudrait replacer sans doute la ddicace, longue de 1 m, 09,
faite Septime-Svre et sa famille par les cornicularius et
beneficiarii tribuni laticlavi(5), il est noter quelle date de la
mme anne que celle des cavaliers lgionnaires rappele plus
haut(6), et aussi, sans doute, une base mutile ddie Gta
par les beneficiarii tribunorum(7). Le fait quelle a t exhume
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2550 = 18045 (date : 198).
(2) Ibid., 2593 : Ael. Severus eq. leg. III Aug. o. luli Candidi-expli-
citus desiderio animi sui aram. Fortunae Aug. I. a. reddidit.
(3) Toutes deux ont t publies par lui dans les Mlanges de Rome,
XVII, 1897, p. 450 = Ann. pigr., 1898, 12.
(4) Neue Heidelb. Jahrbcher, IX, p. 150.
(5) C. I. L., VIII, 2551 = 18040( trouve derrire le Praetorium ; date : 198).
(6) Voir note
(7) C. I. L. VIII, 18078 (mme date).
486 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

dans les fouilles de la porte du Nord prouve seulement quou


la utilise dans la suite des reconstructions, ce dont on a
plus dun exemple dans le camp de Lambse.
La salle 5 a fourni un rglement de collge militaire(1)
prcd de la phrase caractristique :
Tabularium legionis cum imaginibus domus divinae ex largissimis sti-
pendis et liberalitatibus quae in eos conferunt fecerunt L. Aemilius Cattianus
cornicular(ius) et T. Flavius Surus actarius, item librari et exacti leg(ionis) III
Augustae P(iae) V(indicis).

Par l nous apprenons que cette salle tait le dpt des


archives de la lgion et quelle tait ouverte au collge des
commis aux critures attachs ces archives (librarii et exac-
ti) ; du mme collge faisaient partie un cornicularius et un
actarius, que nous retrouverons aussi dans une autre associa-
tion.
Dans les salles suivantes, en allant vers lEst on vers le
Nord, M. Besnier a dcouvert des restes qui nous prouvent
que l encore certains collges se runissaient, mais sans quil
soit possible de prciser quels ils taient(2).
Celles qui occupent le ct ouest de la chapelle des si-
gna ont t fouilles, semble-t-il, depuis longtemps. On y a
rencontr seulement, lors des dernires recherches, dans la
salle V, des restes de mosaques ; dans la chambre VI, un autel
Aeternitati Imp. Auggg. ddi par le caissier dun collge ano-
nyme(3) ; et, dans la salle VIII, un petit hmicycle ; mais on na
pas recueilli dinscriptions typiques comme dans les cham-
bres de gauche ; sans doute elles avaient t mises au jour
autrefois et utilises dans les btiments de la Maison centrale
ou portes au muse ; elles font partie de celles que L. Renier
____________________
(1) Ann. pigr., 1898, 108, 109.
(2) Ml. de Rome, XVIII, 1898, p. 242
(3) Comptes rendus de lAcad. des Inscr., 1902, p. 45
GRAND CAMP DE LAMBSE. 487

nous a conserves avec la dsignation vague derrire le


Praetorium . Le difficile est de les attribuer chacune dune
faon prcise la chambre do elles sont sorties.
La liste des inscriptions de cette sorte dont on ne connat
pas la provenance exacte est la suivante :
1. Qui imagines sacras aureas fecerunt : corniculari, commentarien-
ses, speculatores, beneficiari consularis, quaestionari, beneficiari sexmestris,
haruspex(1). Date: rgne dlagabal ou de Svre Alexandre. Trouve
prs du temple dEsculape, sur une longue pierre qui semble avoir servi de
jambage de porte(2).

2. [Scholam cum im]aginibus fece[runt mil(ites) dupIari] quoru[m


nomina s]ubjecta sunt Aemilius Cattianus cor(nicularii). L b(ene)
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2586.
(2) Il est impossible de ne pas rvoquer en doute cette indication de pro-
venance de mme que celle de linscription n 8. Ce nest pas, dailleurs, la
premire fois que cette remarque est faite (Besnier, loc. cit., p. 219). L. Renier,
dans ce cas et plusieurs autres semblables, aura commis quelque mprise dans
ses notes, ou plutt il surs t induit en erreur par ceux qui lui ont montr les
inscriptions quils avaient dcouvertes ou qui lui ont envoy des renseignements
aprs son retour Paris. Les pierres une fois dplaces, soit pour tre dposes
au Praetorium, qui servit de muse de bonne heure, soit pour tre encastres dans
les murs de la Maison centrale, soit mme pour tre transportes Batna, rien
ntait plus facile que de faire entre elles des confusions ou den oublier la pro-
venance exacte. Pour linscription qui motive cette note, les doutes saugmentent
encore quand on songe la distance qui spare le temple dEsculape, situ sur le
haut de la colline o slevait la ville de Lambse, du camp tabli dans la plaine
(plus dun kilomtre et demi) ; il y avait, entre les deux endroits, tant de beaux
blocs porte des chercheurs de pierres, quon peut vraiment se demander pour
quel motif ceux qui voulaient rparer le temple ou ses environs auraient dpens
leur temps, leur peine et leur argent en allant butiner si loin. Quoi quil en soit, il
est certain que primitivement le rglement des corniculaires et celui des joueurs
de cor ntaient pas affichs au temple dEsculape ; ils figuraient dans quelque
salle de runion de ces collges. Ce serait une absurdit, dit avec raison M.
Domaszesvski (Die Religion des rm. Heeres, p. 80, note 328), dadmettre que
lofficium du commandant ait lev des imagines aureae dans le temple dEscu-
lape ; cen serait une non moindre que le collge des joueurs de cor y et affich
son rglement. Dailleurs, celui des lubicines, qui est presque une rdition de
lautre, a t trouv rcemment dans lintrieur du camp {plus bas, n 9).
488 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

f(iciarii) pra]ef., T. Flavius Surus actar[ius...(1). Date : 195(?) Trouve


par le Service des Monuments historiques, en 1885, et porte au muse du
Praetorium sans indication de provenance.

3. Scola[m cu]m imaginibus sacris fecerunt officiales Aeli Satur-


nini, praef(ecti) leg(ionis) M. Baebius Speratus cornicul(arius) item li-
brari(2). Date : rgne de Septime-Svre. Trouve langle ouest du
quartier des scholae, dans le jardin de la Maison centrale.

4. Ordo f. ? sig(niferorum)(3). Date : ? Trouve prs du Praeto-


rium, sur un pilastre qui semble avoir fait partie dune schola .

5 tesserari leg(ionis)... [scholam... feceru]nt(4). Date 198. Au


Praetorium, sur un fragment de schola.

6. Genio scholae suae P. Aurel.Felix speculator(5). A lest du tem-


ple dEsculape.

7 optiones scholam suam cum statuis et. imaginibus domus [di]vi-


nae fecer(unt)(6). Date : rgne de Septime-Svre, avant 198. Der-
rire le Praetorium.

8 cor(nicines) leg(ionis) Suit le rglement du collge(7). Date :


203 ? Au temple dEsculape.

9... [t]ub(icines) leg(ionis)... Suit le rglement du collge(8). Date


203 ? Trouve dans des constructions langle nord-ouest du camp.

10... C. Julius Victor armatura q(uaestor) f(iscib ?) armaturae(9).


Date : Septime-Svre et ses fils. Dans des constructions prs du bastion
nord-ouest du camp.
A ce collge des armaturae M.v. Domaszewski rattache une inscription(10).
____________________
(1) Ann. pigr., 1895, 205 ; R. Cagnat, Muse de Lambse, p. 58.
(2) Ann. 1899, 60.
(3) C. I. L., VIII, 2561 = 18073.
(4) Ibid., 2552 = 18070.
(5) Ibid., 2603.
(6) C. I. L., 2554.
(7) Ibid., 2557 = 18050.
(8) Ann. pigr., 1907, p. 184.
(9) Ibid., 1908, 9.
(10) C. I. L., VIII, 2636.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 489

Marti et Minervae Aug(ustis) Aurelius Gaius evok(atus) scholae suae


v(otum) s(olvit)l(ibens) a (nimo), parce que lvocat est linstructeur des
armaturae(1).

11. ... fecerunt optiones valetud(inarii) II Caecil(ius) Ur[banus me-


dici, capsari], pequari, librarius et discentes capsariorum(2). Date : 199.
Dans le camp, au sud-ouest du Praetorium ; un morceau servait de
pavement la voie prtorienne, en avant du Praetorium.

12. Liste de mensores sur un pilier de schola (3). Trouve dans la


dernire chambre droite, avant la porte est du Praetorium.

A ces documents il faut joindre le monument demi-cir-


culaire qui porte :
13. [Ta]bularium principis cum im]ag(inibus) d[om]us divinae
option[es coh(ortis) pri]mae de suo feceru[nt](4). Trouv en deux mor-
ceaux, lun au Praetorium , lautre entre lamphithtre et le temple
dEsculape ;

et un second, qui doit en tre rapproch :


13 bis. Genio tabul(arii) princ(ipis) Minervae Augustae(5). Trouv
dans les fouilles des Monuments historiques, en 1885, auprs du Praetorium.

On voit qu considrer seulement les renseignements


de provenance qui nous sont parvenus, on ne saurait rien pr-
ciser pour la place quoccupaient autrefois tous ces textes
derrire le Praetorium . M. von Domaszewski, en tenant
compte de limportance des diffrents collges militaires qui
y sont cits et de la hirarchie tablie entre les divers princi-
pales lgionnaires, est arriv des conclusions qui sont, pour
le moins, fort tentantes(6). Je les rsumerai ici :
____________________
(1) Die Religion des rm. Heeres, p. 33.
(2) C. I. L., VIII, 2553 = 18047 ; Ann. pigr., 1906, 9.
(3) Ann. pigr., 1904, 72.
(4) C. I. L., VIII, 2555 = 18072.
(5) Ibid., 18060.
(6) Neus Heidelb. Jahrbcher, IX, p. 151 et suiv.
490 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Dans la salle II, M. Besnier a rencontr une ddicace


Minerve Auguste, le nom du ddicant tant omis(1). Or Minerve
est invoque dhabitude par les soldats comme prsidant aux
collges de spcialistes qui ont quelque rapport avec lart ou
les lettres, musiciens, scribes, commis dtat-major(2). De plus,
cette salle, par sa situation gauche de la chapelle des ensei-
gnes, ce qui est, on le sait, la place dhonneur convient
au collge des principales les plus haut placs, cest--dire
lofficium des corniculaires du lgat. La pierre o ils figurent
(plus haut, n 1) doit donc tre replace dans cette salle(3).
La salle III devait tre rserve un collge de principales
infrieurs ceux qui occupaient la salle II, mais suprieurs aux
officiales du tribun laticlave, qui se runissaient dans la salle 3.
M. von Domaszewski y place les officiales du lgat, ou plutt
de la lgion, quil reconnat dans les titulaires du texte 2(4).
Les salles de runion de ces quatre collges, qui sont com-
poss des diffrents sous-officiers dtat-major, constituent
ainsi, autour de la chapelle, un groupe bien distinct, spar des
autres pices, droite et gauche, par deux couloirs 4 et IV.
____________________
(1) Ml. de lcole de Rome, XVIII, 1898, p. 458.
(2) Von Domaszewski, Die Religion des rm. Heeres, p. 29 et suiv.
Exemple linscription plus haut, n 13
(3) Cest elle qui est mentionne comme schola par le speculator
auteur de linscription n 6, puisque les speculatores figurent parmi ceux qui
imagines aureas fecerunt.
(4) Neue Heidelb. Jahrbcher, IX, p. 151. Il sexprime ainsi : Dans
un camp lgionnaire on le commandement en chef ne serait pas, comme
Lambse, runi celui de la lgion, ce serait la place pour lofficium du
legatus legionis. Dans mon travail sur la Religion de lanne romaine, jai
signal qu Lambse on avait trouv les restes dune schola dont les princi-
pales rpondent lofficium du lgat lgionnaire cf. p. 153, o il crit : On
remarquera qu Lambse lofficium du prfet est divis en deux : dun ct,
le collge qui forme lofficium du lgat lgionnaire ; de lautre lofficium
normal du prfet, avec cette diffrence que ces bnficiaires figurent dans le
premier collge la place des bnficiaires du lgat lgionnaire.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 491

M. von Domaszewski ne dit pas trs nettement o il ta-


blit le collge des officiales du prfet, connu par le texte n 3,
trouv dans le jardin de la Maison centrale et qui provient
sans doute, par suite, de la partie sud-ouest des constructions.
La seule place qui lui convienne, daprs sa thorie, serait la
chambre III, o est dj log le collge des officiales de la
lgion. Cela pourrait sadmettre la rigueur, le prfet lgion-
naire faisant, Lambse, en partie office de lgat(1).

La chambre 5 tant lemplacement du tabularium legio-


nis, il parat certain quil faut placer le tabularium principis
dans la chambre V, qui lui fait pendant. L se runissaient les
options de la premire cohorte avec leurs adjutores.
Quant aux autres principales signals par les inscrip-
tions non encore localises (nos 4 12), ils se divisent en
deux catgories suivant leur importance :

1 Ceux qui relvent du lgat : aquilifer, imaginiferi, si-


gniferi, optiones, tesserarii, tubicines, cornicines, buccinato-
res, armaturae(2) ;

2. Ceux, de moindre importance, qui dpendent du pr-


fet, mensores, personnel attach au service mdical, ouvriers
mililaires, etc.
Daprs le principe admis par M. von Domaszewski, les
premiers auraient eu leurs salles de runion la gauche de la
chapelle, cest--dire droite du spectateur tourn vers elle,
lOuest ; et les seconds, en face, lEst.
____________________
(1) Cf. la note prcdente. On remarquera pourtant que, dans les
deux textes, les intresss dclarent avoir fait scholam cum imaginibus sa-
cris. Cela parat supposer deux locaux diffrents.
(2) M. von Domaszewski ajoute : armorum custodes (loc. cit., p. 154) ;
on verra plus loin pourquoi je laisse de ct les gardes darmement,
492 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Dans la partie dtruite par suite des travaux de la Mai-


son centrale se seraient donc runies au moins six catgories
de principales :

signiferi (n 4) ; cornicines (n 8) ;
tesserarii (n 5) ; tubicines (n 9) ;
optiones (n 7) ; armaturae (n 10).

Cest de ct quaurait t dispos autrefois le bel h-


micycle, actuellement au Muse du Louvre, qui contient le
rglement du collge des optiones et qui mesure prs de 3
mtres de largeur.
Dans les pices de lEst qui leur faisaient face auraient
sig les collges des optiones valetudinarii, medici, capsa-
rii, pequarii (n 11), des mensores (n 12) et des ouvriers
divers attachs la lgion.
Que lon admette la thorie de M. von Domaszewski, qui
a pour elle son apparence logique et presque mathmatique,
mais qui a linconvnient daccumuler du mme ct de la cour
les scholae de la plupart des collges, leur nombre dpassant
celui des pices disponibles(1) ou que lon suppose une autre r-
partition des associations militaires dans les diffrentes salles,
il nen est pas moins vrai que cette cour postrieure contenait
le sanctuaire des signa et, groups tout autour, des difices qui
servaient la fois de bureaux pour ladministration lgionnai-
re et de chapelles pour le culte de la famille impriale par les
____________________
(1) En se reportant au plan, on verra que, si la partie droite de la cour est
peu prs semblable la partie gauche, on ne dispose gure pour des scho-
lae que de trois pices au plus, ayant une entre indpendante ou pouvant en
avoir une : VII, IX, X. En supposant mme que des principales appartenant
des spcialits trs voisines, comme les cornicines et les tubicines, se soient
runis dans la mme chambre, nous sommes ltroit pour loger tous ces
collges.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 493

collges lgionnaires. Cest donc bon droit que M. von Do-


maszewski lui donne le nom de cour sacre .
Cest encore M. von Domaszewski qui a dtermin la
nature de la cour prcdente, de latrium(1).
Il remarque quon y a trouv, dans la chambre E, lins-
cription suivante(2) :

Imp(eratoribus) Caes(aribus) L. Septimio Severo Pio Pertinaci


Arab(ico) Adiab(enico) et M. Aurelio Antonino [et L. Septimio Getae Cae-
sari] Aug(ustis) et Juliae Aug(ustae) matri Aug(ustorurn) et castr(orum),
dedic(ante) Q. Anicio Fausto cousulari, armorum custodes suit le rgle-
ment du collge et la liste des membres Dedic(ata) Severo et Victo(rino
consulibus). Date : 200 ;

cest--dire une ddicace Septime-Svre et ses fils par les


custodes armorum ; et que dans la mme chambre on a recueilli
un autel hexagonal, consacr Minerve Auguste pour le salut
de Svre Alexandre par les custodes armorum de lpoque,
sur une des faces duquel dautres custodes armorum avaient
grav, au temps de Gallien, une nouvelle ddicace Minerve
Auguste(3), ce qui indique videmment que la salle tait at-
tribue aux gardes darmement lgionnaires au IIIe sicle.
En outre, dit-il, cest du ct oppos de la cour que provient(4)
____________________
(1) Korrespondenzblatt der Westd. Zeitschrift, 1902 p. 21 et suiv.
(2) Ann. epigr., 1902, 11.
(3) ibid., 1092, 12 et 13.
(4) Cette affirmation, toute vraisemblable quelle soit, demande tre
fortement attnue. Lendroit o lautel a t dcouvert ne nous est connu que
par L. Renier, lequel sexprime ainsi : Dans le camp de la lgion, une cen-
taine de mtres au sud-ouest du Praetoriurn, dans une petite salle carre dont
le pav forme une magnifique mosaque reprsentant. dans cinq mdaillons,
les quatre Saisons et le dieu Bacchus. La distance entre langle nord-
ouest de la cour sacre et la face sud du praetorium tant peu prs de 100
mtres, le renseignement transmis par L. Renier, sil est exact, nous inviterait
chercher la salle en question dans les constructions groupes droite de la
chapelle des signa, aujourdhui dis parues, dont nous avons fait, la suite
494 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

un autel, dpos aujourdhui la Bibliothque nationale, o


on lit :
Domui divinae Aug(ustorum (trium) L. Caecilius Urbanus opt(io)
val(etudinarii) cur(ator) operi arm(amentarii) posuit(1).

Linscription est date par le nom de Caecilius Urbanus


(cf. linscr. n 11), de 199, antrieure dun an au rglement du
collge des armorum custodes.
Mais on sait, par une inscription trouve en Angleterre,
que, dans les camps permanents, lpoque impriale, les ma-
gasins darmes et les principia taient runis(2). Or, lorsquil
sagissait des camps de marche, on donnait le nom de prin-
cipia la partie o la via principalis longeait le prtoire et le
campement des officiers suprieurs(3) ; cest donc, dans les
camps permanents, la faade du prtoire avec les btiments
environnants. Autrement dit, les magasins darmes taient
trs rapprochs de la partie antrieure du prtoire. Il est tout
naturel, en consquence, de les placer, Lambse, dans les
chambres qui entourent la premire cour.
M. von Domaszewski aurait pu citer encore lappui de
____________________
de M. von Domaszewski, des scholae. Dautre part, de la mosaque en ques-
tion il nexiste plus que des fragments insignifiants ; mais il en a t pris, au
moment de la dcouverte, une copie de grandeur naturelle, qui est conserve
au Muse de Saint-Germain. M. S. Beinach a bien voulu me dire quelle
mesurait 2 m. 85 de large sur 3 m. 67 de long. Elle se plaait donc dans une
pice rectangulaire plus profonde que large, ce qui est le cas de toutes les
chambres qui entourent lune et lautre cour. Cest un renseignement ngatif.
En somme, mosaque et autel proviennent de la partie occidentale du pr-
toire ; mais on ne saurait dire, daprs les renseignements qui nous ont t
conservs, dans laquelle des deux cours ils ont t rencontrs.
(1) C. I. L., VIII, 2563.
(2) Ibid., VII, 416 : Imp. Caes. M. Antonius Gordianus P. F. Aug.
principia et armamentaria conlapsa restituit.
(3) Frontin., Stratag., IV, 1, 16, 26, 27, 28 ; Liv., VII, 12, 14 ; XXVIII, 25,
3 ; Tac., Ann., I, 67. Cf. von Domaszewski, Neue Heidelb. Juhrbcher, IX, p. 145.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 495

sa conclusion deux autres dcouvertes advenues dans ces


chambres :
Tout dabord il existe, employs comme matriaux dans
les murs, des fragments dinscriptions caractristiques(1).
a. Sixime chambre au sud-est du Praetorium :
arma antESIGNANA XXX
postsignAna XIV

b. Quatrime chambre lest du Praetorium :


arma anteSIGNANA X
postsignAna I

c. Cinquime chambre louest du Praetorium :


arma ANTEsignana
postsIGNana

textes mutils dont le dbut est fourni par un fragment sem-


blable qui gt en avant de la porte orientale du camp :
ARMA ANTESI
POSTSIGNA

et qui sont gravs en belles lettres du IIe sicle. M. Carcopino,


en publiant ces inscriptions daprs ma copie(2), a bien vu que
ces pierres se rapportent des magasins darmes, o celles-ci
taient places dans lordre de leur emploi de combat ; ce sont
les en-ttes des salles ou des armoires o chaque srie tait
renferme . Le fait que la plus grande partie dentre elles se
trouvent aujourdhui encore dans la premire cour du prtoire
permet de croire quelles y figuraient aussi ds le IIe sicle ; el-
les auraient t remployes dans des rparations ultrieures.
____________________
(1) Gsell, Bull. arch. du Comit, 1902, p. 331.
(2) Ibid ., 1903, p. 243.
496 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

En second lieu, en dblayant la chambre qui fait le coin


de la cour au Nord-Est (F), on y a recueilli, ainsi que je lai
expos ailleurs(1), environ six mille balles de fronde en terre
cuite et peu prs trois cents boulets de pierre. L tait donc,
du moins aux derniers temps de loccupation du camp, lar-
senal lgionnaire(2).
Ainsi cest bon droit quon place autour de la cour pave
du prtoire de Lambse les magasins darmes et de projectiles,
les armamentaria. Linscription o Caecilius Urbanus est dit
curator operi armarnetarii semble prouver qu la fin du sicle
on faisait quelque amnagement nouveau de cet armamenta-
rium. On ne stonnera pas de voir une de ces salles utilise
comme chapelle par les armorum custodes ; ils taient l sur
leur territoire. Le bureau qui leur tait rserv dans le camp
on noubliera pas quon y a dcouvert des ddicaces Minerve
avait t transform par eux, au temps de Septime-Svre,
en lieu de runion pour leur collge et en sanctuaire pour le
culte imprial, comme les autres bureaux dtat-major, comme
les tabularium dont il a t question plus haut(3).
____________________
(1) Comptes rendus de lAcad. des Inscr., 1902, p. 43 et suiv.
(2) M. le lieutenant gnral B. Rathgen estime que ces projectiles
sont postrieurs lpoque romaine et appartiennent au plus tt la priode
byzantine (Die Punischen Geschosse des Arsenals von Karthago und die
Geschosse von Lambaesis. Larticle a t traduit dans la Revue tunisienne,
1911, p. 291 et suiv.).
(3) M. von Domaszesvski (Korrespondenzblatt, 1902, p. 23, note 3)
crit, ce propos : Cette pice nest, en aucune faon, la schola des armorum
custodes ; celle-ci tait situe, comme les autres scholae, dans la cour sacre.
Je ne puis massocier cette conclusion. Sans doute, la pierre na pas la
forme incurve propre aux monuments qui meublaient le fond des scholae ;
mais, cela prs, elle leur est tout fait semblable ; elle appartient la mme
catgorie, elle contient le rglement du collge tout comme eux ; tout comme
eux, elle commmore sa fondation. En outre, ce nest pas, comme le dit M.
von Domaszewski (p. 23), une base de statue, mais une dalle plate, qui est en-
core sa place antique, soigneusement encastre dans le mur, fait entirement
GRAND CAMP DE LAMBSE. 497

En rsum, le prtoire de Lambse consistait en une


entre affectant la forme dun immense arc de triomphe
quatre faces, en une premire cour dalle, autour de laquel-
le taient groups les magasins darmes et de munitions, et
en une seconde entoure par la chapelle des enseignes, les
bureaux des principales et les locaux de runion des coll-
ges militaires. Lexistence de ces collges ne remontant pas,
comme on sait, plus haut que le principat de Septime-S-
vre, cette adaptation des locaux ne peut dater du IIe sicle ;
mais les grandes lignes de ldifice appartiennent lpoque
de la fondation du camp, ainsi que certains indices nous ont
permis de le reconnatre ; il y a en, au dbut du IIIe sicle,
changement dans lutilisation de lensemble, non dans son
amnagement gnral.
Il me reste signaler, pour achever la description du
prtoire, deux particularits.
Sur la voie dcumane, lest du Praetorium, on aperoit
dans le trottoir sud un espace dall de faon former un h-
micycle (voir le plan). En avant, du ct de la rue, se voient
sur le pavement des encastrements qui recevaient autrefois les
montants dune balustrade de 6 m, 90 de long ; en avant enco-
re court une rigole qui va rejoindre le ruisseau de la voie. Ces
dtails nous permettent de conclure quil existait jadis, cette
place, une exdre couverte, dont le toit dversait les eaux de
pluie en avant dans la rigole. videmment on ne saurait dire,
avec si peu de renseignements, quoi servait cet dicule. Ce
pouvait tre une chapelle. On pourrait aussi songer liden-
tifier lune de ces scholae dont parle Hygin, ubi munera
____________________
en blocage, du fond de la salle. On ne voit pas pourquoi les gardes darme-
ment auraient eu deux chapelles pour leurs runions, lune dans la cour sa-
cre (schola), lautre dans la seconde cour. Cette constatation saccorde mal
avec la thorie, si sduisante dans sa rigueur, qui accumule toutes les scholae
dans le posticum ; mais il faut bien se rendre a lvidence.
498 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

legionum dicuntur, in scamno legatorum, contra quilam(1).


Daprs cet auteur, il tait de rgle, dans un camp destin
contenir plusieurs lgions, de rserver pour chacune del-
les, en face lendroit o taient dposs laigle et les signa,
prs du lieu de campement du lgat, un espace demi-circu-
laire (schola) o lon venait chercher les ordres de service.
Le mme principe tait appliqu lorsque le camp tait destin
contenir une seule lgion ou mme une troupe moindre. M.
von Domaszewski en a constat deux exemples certains dans
les camps de Masada, prs de la mer Morte. Dans le premier,
qui est un camp lgionnaire, la schola subsiste en face des
ruines de lendroit o campait le commandant en chef ; dans
le second, qui tait destin une cohorte milliaire, en face
du baraquement du prfet(2). Dans le camp de Lambse, o
laigle et les signa taient enferms dans un sanctuaire au
fond de la deuxime cour du prtoire, il est possible que cette
salle de rapport ait t, pour la commodit du service, non
point tablie contra aquilam, cest--dire dans lintrieur du
prtoire, mais maintenue la place ancienne, en dehors. On
notera que, de lautre ct de la voie, on a dblay une mai-
son, assez luxueuse, avec un bassin lgant au centre ; cest,
ainsi quil sera dit plus loin, le logement de quelque officier
suprieur.
Lautre particularit est la suivante. En face de lespace
dall en hmicycle dont il vient dtre question, du ct op-
pos de la chausse, on voit, sur ce qui reste du trottoir, un
carr de 1 m, 90, trs nettement distingu du dallage qui len-
toure ; on dirait lemplacement de quelque tribune. Ici il est
videmment impossible de prciser davantage.
____________________
(1) De munit. castror., 20.
(2) Neue Heidelb. Jahrbcher, IX, p. 145, pl. I et p. 146, pl. II ; Die
Provincia Arabia, p, 226 et suiv. et fig. 1107, 1108 et 1114.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 499

PRAETENTURA.

On donnait ce nom la partie antrieure du camp, celle


qui stendait entre la via principalis et le front o souvrait la
porta praetoria(1). Cest prcisment celle qui, Lambse, na
t couverte par aucune construction ; il a t possible au Ser-
vice des Monuments historiques de la dblayer totalement.
Elle mesure, en chiffres ronds, 106 mtres de longueur
et est divise, ainsi quil a t indiqu plus haut et que lon
peut sen rendre compte aisment en se reportant aux plans
qui accompagnent ce chapitre(2), en deux bandes de profon-
deurs ingales par une voie parallle la via principalis.
La premire, qui mesure 32 mtres, se compose dune
srie de pices desservies par de longs couloirs et groupes
autour de cours ornes de bassins plus ou moins lgants ; il
est vident que lon est l en prsence de maisons ; mais il
parat bien difficile den prciser le nombre : certains murs
sont dtruits ; pour dautres, les ouvertures sont peu nettes. Il
est dailleurs fort probable quelles ont subi plusieurs fois des
remaniements, sans quil soit possible de les distinguer nette-
ment des amnagements primitifs. Il suffira de constater que l
taient disposs des logements. Or, si lon se reporte la des-
cription du camp dHygin, on y voit que lespace qui stend en
face du prtoire, de lautre ct de la voie principale, et auquel
sapplique le nom technique de scamnum(3), tait rserv au
campement des officiers de rang lev, lgats, tribuns des
____________________
(1) Hygin, De munit. castr., 14.
(2) Le premier de ces deux plans partie orientale de la praetentura)
a t dress par M. Courmontagne, le second (partie occidentale) par M.
Barry, inspecteur des fouilles de Timgad, et M. Cavalier, directeur de celles
de Lambse. Ils mont t communiqus aimablement par M. Alb. Ballu.
(3) De munit. castr., 15.
500 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

cohortes prtoriennes, tribuns lgionnaires : il tait naturel


quils campassent dans le voisinage du commandant en chef.
Si la mme rgle tait applique Lambse, et lon ne voit
pas pourquoi elle ne laurait pas t, les logements en bor-
dure de la via principalis taient ceux du lgat, pour lequel
il ny a point apparence dappartements dans le prtoire, des
tribuns, du prfet du camp et peut-tre aussi des centurions
les plus haut placs. La plus soigne de ces maisons parat,
comme je lai dit, celle qui est contigu lentre du prtoire
et qui fait langle de la via praetoria et de la via principalis
dextra(1). Les fouilles nont malheureusement fourni aucun
document pigraphique susceptible de permettre une identifi-
cation certaine de cette suite de constructions.
En avant de ces logements et de lautre ct de la voie
qui les longe au Nord, stendent, droite et gauche de la
voie prtorienne, diffrents difices ou groupes ddifices s-
pars par des rues parallles cette voie.
Ce sont dabord deux grandes constructions dont le plan est
le mme. Chacune se compose de trois longues cours, limites
par des portiques lEst et lOuest, sous lesquelles souvrent
une double srie de chambres assez singulirement disposes
(voir le plan de la praetentura). On pntrait dans ces cours
par leurs extrmits septentrionale et mridionale au moyen
de deux passages, qui dbouchaient, lun sur lintervallum,
lautre sur la voie secondaire parallle, et qui donnaient accs
dans toute une srie de pices diverses et de taille diffrente.
____________________
(1) M. Ballu la dcrite ainsi (Bull. arch. du Comit, 1905, p. 82) :
Elle possde un atrium avec un bassin de 6 mtres de largeur, flanqu
ses quatre angles de colonnes et orn de niches demi-circulaires chacun
de ses axes. A lest de ce bassin, une grande pice, peut-tre un tablinum, et
une suite de chambres, de vestibules, dont une entre sur la voie prtorienne,
donnent limpression que limmeuble tait probablement la demeure dun
haut personnage militaire.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 501
502 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

On a reconnu dans ces constructions les casernements des


lgionnaires ; et cela ne peut faire aucun doute, surtout si lon
se reporte ce qui a t dcouvert ailleurs, par exemple No-
vaesium (aujourdhui Neuss) sur le Rhin, o lon a pu tablir
le plan dun camp lgionnaire assez semblable comme dimen-
sions celui de Lambse(1). L aussi (ainsi quon le verra en
se reportant au plan de la praetentura du camp de Novaesium,

CAMP DE NOVAESIUM. PRAETENTUBA.

que jai fait reproduire pour la clart de ce qui va suivre), en-


tre la via principalis et le rempart o souvre la porte prto-
rienne, stend, droite et gauche, un groupe de trois cours
bordes dune suite de chambres(2), doubles en profondeur. La
dimension de ces cours avec leurs annexes est sensiblement
____________________
(1) Novaesium (Bonner, Jahrbcher, CXI-CXII, 1904).
(2) Mme particularit encore, pour ne citer quune dcouverte r-
cente, Newstead, o la Socit des Antiquaires dcosse a fouill un camp
(J. Curle, A Roman frontier post, p. 64 et suiv.).
GRAND CAMP DE LAMBSE. 503

la mme qu Lambse : 28 mtres sur 53 contre 35 mtres


sur 60.

La question est de savoir quelle fraction de la lgion tait


caserne autour de chacune de ces cours. Sil faut en croire
Hygin, il suffisait une cohorte, pour camper, dun espace de
30 pieds de large sur 720 pieds de long, ou, si lon voulait, de
60 pieds sur 360, ou encore de 120 pieds sur 180(1) ; cest--
dire, pour ne retenir que ces derniers chiffres, de 35 m, 50 sur
53 m, 25. On voit que cest peu prs lespace dont on dis-
posait, Novaesium comme Lambse, pour lensemble des
pices groupes autour dune cour. On serait donc tent de
placer une cohorte dans chacun desdits ensembles. Lexemple
de Novaesium, o aucune partie du camp ntant, comme
Lambse, recouverte de constructions intangibles, on a pu en
tudier la totalit, nous avertit que la thorie dHygin, appli-
cable un camp de marche, ntait pas suivie dans les camps
permanents. L on se donnait plus de latitude et on remplaait
lespace restreint accord aux soldats campant sous la tente
par un terrain plus tendu et par des installations plus confor-
tables. On a, en effet, trouv dans le camp de Novaesium trente
cours semblables celles dont il est ici question, gnralement
groupes par trois, comme Lambse. Ce nombre ne rpond
en aucune faon celui des cohortes dune lgion, qui ntait
que de dix ; mais il est conforme celui des manipules qui la
composaient et dont le total se montait 30, trois par cohorte.
Il est donc assur que chaque cour tait le noyau dune caser-
ne manipulaire ; dans lune campaient les deux centuries de
pili, dans la seconde les deux centuries de principes et dans
la troisime les deux centuries de hastati. Cette constatation
____________________
(1) De munit. castr., 1 et 2.
504 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

nous conduit reconnatre aussi dans les deux grands caser-


nements de Lambse deux casernements de cohortes, diviss
chacun en trois casernes manipulaires.
M. Knen(1), qui nous devons ltude dtaille du camp
de Novaesium, a expliqu la prsence de la double range
de chambres qui se remarque droite et gauche des cours,
en se rfrant un passage dHygin(2). Celui-ci nous apprend
quon augmentait lespace accord dans le camp chaque
tente dune certaine quantit, et que ce supplment de ter-
rain tait destin loger les armes et les btes de somme. M.
Knen admet donc que, de ces doubles pices, celle du fond
tait rserve aux hommes, tandis que celle du devant servait
pour les armes. La disposition assez trange de cette cham-
bre antrieure Lambse, o elle se prsente manifestement
comme une annexe de la chambre postrieure, semble bien
confirmer cette manire de voir.
Quant aux btes de somme, Novaesium, M. Knen les
place dans une srie de box en bois, tablis extrieurement
en bordure de la cour centrale et souvrant sur cette cour. Les
cubes de pierre quon a rencontrs de distance en distance
en avant de la file des chambres, et quil a marqus sur son
plan en faon de colonnade, auraient, selon lui, servi de sup-
ports des poteaux de bois soutenant le toit de ces curies. A
Lambse, si la mme disposition existait, cest sous les deux
portiques latraux, qui, eux, taient de vrais portiques avec
colonnes de pierre, quil conviendrait de loger les btes de
somme ; mais peut-tre les tenait-on enfermes ailleurs ; par
exemple dans quelques-unes de ces pices annexes suppl-
mentaires qui terminent les cours.
____________________
(1) Novaesium, p. 142.
(2) De munit. castr., 1 : papilioni dantur pedes X, armis pedes v, ju-
mentis pedes IX.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 505

Les chambres postrieures sont, Lambse, au nombre


de treize. L encore lexemple du camp de Novaesium nous
fournit un point de comparaison intressant, en nous prouvant
quil ny avait pas cet gard de tradition constante: No-
vaesium(1) les casernes les plus petites comptent dix chambres
de chaque ct(2) ; les casernes plus grandes ou agrandies en
prsentent onze(3) ou douze. Lorsquil y en a dix, cest, pense-t-
on(4), par suite du double principe que la centurie, au IIe sicle,
renfermait 80 hommes et quun contubernium se composait de
8 soldats(5). Chaque salle, dans ce cas, aurait t occupe par un
contubernium. Quant au centurion qui commandait la compa-
gnie, il aurait habit, pense M. Knen, le groupe de pices qui,
prolongeant les chambres, limitaient les cours lune de leurs
extrmits. Il ny a aucune raison pour quil en ft autrement
Lambse. Sur les treize chambres rserves chaque centurie,
dix taient occupes par les hommes, les trois autres tant des-
tines soit des bureaux(6), soit au logement de certains sous-
officiers, soit dautres usages. Les centurions auraient habit
les locaux qui stendent entre les cours et linter-mitant, plus
importants et mieux amnags, semble-t-il, que ceux qui leur
font pendant, au Sud, le long de la voie transversale(7).
Cest ce groupe de constructions quil faut rapporter
certaines inscriptions, appartenant toutes la mme catgorie,
que lon a trouves employes comme matriaux de construc-
____________________
(1) Novaesium, p. 140 et suiv.
(2) Ibid ., p. 142.
(3) A Newstead, on a constat aussi la prsence de onze chambres juxtapo-
ses (cf. J. Curle, op. cit., p. 67). De mme Neuss ; cf. Ox, Bonner Jahrbcher,
CXVIII, p. 87.
(4) Novaesium, p. 142.
(5) Hygin, op. cit., I.
(6) On notera que le nombre des pices antrieures nest que de onze ou douze.
(7) M. Schulten (Arch. Anzeizer, 1911, col. 265 et suiv.) est arriv, aprs
un examen des lieux, aux mmes conclusions, mais avec une prcision dans les
dtails laquelle jhsite ajouter foi.
506 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

tion dans les btisses voisines(1) : ddicaces au Genius centu-


riae par des options ou des vtrans :
a.(2) [Ge]nio > Marti Aug(usto) pro salute dominorum n(ostrorum)
Imp(eratorum) Severi et Antonini Aug(ustorum) [et Getae Ca]es(aris)

b.(3) Genio > Augusto sac(rum), M. Magullius Rufus veteranus leg(ionis


III Aug(ustae) votum solvit laetus libens merito.

c.(4) Genio > sac(rum), T. Terentius Maximus optio fecit.

Ce Genius centuriae qui, nous le savons par plusieurs


textes pigraphiques, tait plac dans une petite chapelle,
la faon des laraires domestiques(5), tait naturellement ador
dans lendroit o campait la centurie ; la preuve en est que,
dans les textes que je viens de transcrire, la centurie du ddi-
cant nest dsigne ni par un numro dordre, ni par un nom
de centurion, ce qui aurait eu lieu si lautel en question avait
t plac dans un sanctuaire consacr une autre divinit ou.
commun plusieurs centuries. Ceux que lon a rencontrs dans
la praetentura proviennent donc, suivant toute vraisemblance,
des casernes qui sy levaient. Lun deux date, comme on le
voit, du rgne de Septime-Svre et de Caracalla (198-209) ;
les suivants ne sont pas dats, mais ils ne me paraissent pas
____________________
(1) On en a dcouvert une autre, toute semblable, prs de la porte sud
du camp (C. I. L., VIII, 2531). Cela nous prouve, ce qui est ncessaire pour
pouvoir loger toute la lgion, quil y avait, sous la partie recouverte par les
constructions de la Maison centrale, des casernes comme celles qui sont d-
crites ici.
(2) Bull. arch. du Comit, 1904, p. 201. Trouve dans une chambre
gauche de la voie est du Praetorium cest--dire entre la via principalis
dextra et les casernes du Nord-Est.
(3) Trouve dans la partie nord-ouest du camp, prs des casernements.
(4) Trouve dans les maisons qui bordent la via principalis sinistra, en-
tre la voie et les casernes du Nord-Ouest, hauteur de la caserne du milieu.
(5) Von Domaszewski, Die Religion des rm. Heeres, p. 103 et suiv.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 507

palographiquement pouvoir tre attribus une poque an-


trieure, sils ne sont pas postrieurs encore.

Lusage des autres difices dblays dans la praetentura


est moins ais fixer.
Contre langle nord-est du camp on a mis au jour une
construction quatre grandes traves, longue de 60 m-
tres, qui souvre au Nord sur lintervallum. Chacune de ces
traves, traverse par une galerie centrale, communique
avec les traves voisines par une large baie. Elle est divi-
se en trois parties de chaque ct de la galerie, et ces di-
visions sont marques par des piles appuyes sur les murs
latraux et prcdes par des colonnes. Lensemble des di-
visions pour chaque ct est donc de douze(1) . M. Ballu a
mis lopinion trs vraisemblable que nous sommes l en
prsence dune curie(2) (voir la figure 1 de la planche ci-
jointe).
A une date postrieure on amnagea, ct et comme
annexe, une sorte de hangar, long lui aussi de 60 mtres, et
soutenu par une srie de douze gros piliers. la mme po-
que, sans doute, on prolongea le mur antrieur de lcurie
droite de lentre, et on le relia au rempart septentrional par
un autre mur o lon disposa une porte. On cra ainsi un cou-
loir qui donnait accs au btiment principal et son annexe,
runis ds lors dans la mme enceinte.
Entre cette construction et les casernes slve un monu-
ment beaucoup plus soign(3). Lentre en est aussi mnage
sur lintervallum ; elle donne accs une avenue longue de
____________________
(1) Ballu, Bull. arch. de Comit, 1905, p. 83.
(2) On y avait dpos, une poque tardive, dans la trave de droite,
langle du Nord-Ouest, un certain nombre de projectiles en terre cuite, qui
ont t retrouvs.
(3) Cf. Ballu, loc. cit.
508 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

30 mtres, accoste droite et gauche dun portique que


soutenaient neuf colonnes, et au fond duquel souvrent cinq
grandes salles juxtaposes. Au bout de lavenue, une autre
court transversalement, longue dune cinquantaine de mtres.
Elle borde une grande cour rectangulaire, entoure de porti-
ques et limite des trois autres cts par trois salles trs allon-
ges qui occupent chacune la largeur ou la profondeur de la
cour. Le sol des salles, comme celui des portiques, tait form
dune mosaque faite de petits cubes de terre cuite rouge.
On na rien trouv, au cours des fouilles, qui indiqua
quelle pouvait tre la destination de cet ensemble. Il est no-
ter seulement que le nombre des salles voisines de lavenue
centrale est de dix, comme celui des cohortes(1). Peut-tre,
dailleurs, nest-ce l quune concidence fortuite.
Il nexiste pas dautres grands monuments dans la partie orien-
tale de la praetentura. Il faut pourtant citer encore, de ce ct :
a. Auprs de la porte prtorienne, une fontaine monumen-
tale large de 4 mtres ; elle est de forme demi-circulaire, et le
____________________
(1) Dans cette hypothse, on pourrait se demander sil ne faudrait pas
replacer dans cet difice les bases publies au Corpus sous les nos 2536
2541, et dont on ne connat pas la provenance exacte. Voici les termes dont
se sert L. Renier pour indiquer le lieu on il les a vues (Arch. des missions,
1851, p. 171) : Cest aussi dans lintrieur du camp quont t trouves les
inscriptions les plus importantes et le plus grand nombre dinscriptions mi-
litaires. Prs de l, jai fait dterrer cinq grandes pierres de forme rectangu-
laire sur chacune desquelles on lit, au milieu dun encadrement simple, mais
de bon got, lune des inscriptions suivantes : COH II, COH III, COH VII,
COH VIII, COH X. Ces pierres taient sans doute destines indiquer, dans
le camp, les quartiers des cohortes dont elles portent le numro. Dans
son Rec. des Inscr. dAlgrie, il dit seulement : Au nord du camp . De cela
il semble ressortir qu son poque ces bases taient quelque part au nord du
camp, mais en dehors. Il est possible quelles aient appartenu autrefois une
construction situe dans la praetentura ; en ce cas, il est difficile de songer
une autre que celle dont il est question ici. La chose est et restera toujours
absolument incertaine.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 509

pourtour en est constitu, suivant lusage, par de belles dalles


places de champ et engages dans une srie de piliers qui les
relient entre elles ;

b. Des latrines adosses la muraille septentrionale, en


face des casernes. Le systme est le mme que celui qui a t
constat si souvent Timgad : un foss profond occupait toute
la longueur de ldifice ; les siges taient tablis au-dessus et
une chasse deau le balayait, emportant lgout tout ce qui
y tombait. Pareil tablissement existe, en pendant, de lautre
ct de la voie prtorienne, en face de lautre caserne.

Dans la partie occidentale de la praetentura, droite de


la voie prtorienne, cest--dire lOuest, M. Courmontagne,
en dblayant deux des chambres qui sappuient contre le mur
des casernements, a dcouvert des fragments dune statue
questre de bronze, un morceau dune jambe de cheval et un
pan de draperie.

A ct de ces pices existe une salle longue de 45 mtres


environ dont la porte regarde le Nord (n 2 de la planche pr-
cdente). Toute la longueur en est occupe par une aire dalle,
plus leve que le sol du reste de la salle, et limite droite
et gauche par un rebord mnag dans la pierre, formant bu-
toir ; lespace qui spare les deux rebords est de 2 m, 80 ; le
milieu de cette sorte de chausse est dpourvu aujourdhui de
dallage sur une certaine largeur. M. Ballu(1) a fait cet gard
un rapprochement curieux. Dcrivant la voie prtorienne et
parlant de la porte nord, il crit : Louverture de droite, en
sortant du camp, offre une particularit intressante ; son dal-
lage est creus sur une largeur de 2 m, 80, de faon former
____________________
(1) Bull. arch. du Comit, 1903, p. CCXXXII.
510 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

une chausse munie dun rebord en pierre qui se prolonge le


long de la voie prtorienne sur une longueur de 43 mtres en-
viron, partir de la porte. Cest par l que passaient les voitu-
res, qui, de la sorte, ne pouvaient dvier du parcours qui leur
tait trac. , Il en conclut que la chausse presque identique
dcouverte dans la salle dcrite ci-dessus avait la mme des-
tination, et que, par consquent, cette salle tait une remise
pour les chariots de larme.
De lautre ct des casernes, on a trouv un difice dune
nature toute diffrente(1). Il nen subsiste plus que le sous-sol
(voir la planche annexe). On y descend par un escalier de 3
mtres de profondeur, conduisant une galerie daccs, qui
limite le monument lOuest ; un autre couloir lui fait pen-
dant lEst. Entre ces couloirs existent des salles longues et
troites spares par des murs ajours de traves. Peut-tre
faut-il voir dans ces caves, jadis votes, des magasins vi-
vres ; les couloirs latraux auraient servi pntrer dans lin-
trieur de ldifice et en assurer laration, la partie sup-
rieure formant plate-forme. Peut-tre aussi faut-il admettre
quelles constituaient un vaste rservoir deau, une srie de
citernes.
A lOuest stend un ensemble, compos dune grande
cour entoure de portiques, sous lesquels souvraient une s-
rie de chambres assez vastes ; elles mesurent toutes 10 mtres
de profondeur, et leur largeur varie entre 8 et 10 mtres. Trois
portiques occupent les cts ouest, sud et est de la cour ; on ne
saurait dire sil en existait un quatrime du ct du Nord ; en
tout cas, les bases des colonnes qui lauraient soutenu nont
pas t retrouves en place. Mais M. Cavalier, quia dirig les
fouilles, estime quelles figurent peut-tre parmi les nombreux
blocs de pierre qui gisent pars un peu partout aux environs. Il a
____________________
(1) Ballu, Bull. arch. du Comit, 1907, p. 252.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 511
512 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

remarqu galement que la caractristique des chambres dis-


poses autour de la cour est la largeur des portes par o lon y
accdait ; elles mesurent plus de 2 mtres, tandis quailleurs,
dans les casernements par exemple, les ouvertures varient en-
tre 0 m, 90 et 1 m, 15. On na dailleurs dcouvert, au cours
des dblais, ni inscription, ni objet qui permette de fixer la
destination de ldifice. Il a quelque ressemblance lointaine
avec la construction du camp de Novaesium laquelle M.
Knen a donn, sans preuves trs fortes, il est vrai, le nom de
valetudinarium(1). Mais on pourrait aussi bien, mieux peut-
tre, le rapprocher dautres difices tout diffrents, par exem-
ple, de certains horrea connus(2).
Le long de la muraille occidentale, on distingue les tra-
ces dune btisse dont la partie postrieure tait adosse au
rempart ; cest videmment une addition de date ultrieure,
comme lcurie qui longe le mur oriental et qui a t dcrite
plus haut. Ce hangar, large de 5 m, 30, se prolonge jusqu
langle nord-ouest du camp. A son extrmit mridionale, il
vient buter contre une sorte de tour qui nest plus aujourdhui
quune plate-forme demi-circulaire avec deux marches et
dont il est impossible de rien dire de prcis.

LATERA PRAETORII.

Le prtoire tait bord de chaque ct de voies qui liso-


laient du reste du camp(3). On na pu dblayer que celle de
____________________
(1) Novaesium, p. 180 et suiv. ; cf. n 105 du plan.
(2) Cf. larticle Horreum dans le Dict, des antiq. de Saglio et surtout
le plan des horrea Lolliana, donn la figure 3892 daprs la Forma Urbis
Romae. Les horrea dOstie, dont M. Carcopino a rcemment publi le plan
(Ml. de lcole de Rome, XXX, 1910, p. 420 et suiv.), prsentent aussi avec
cet difice certaines analogies.
(3) Cf. par exemple le prtoire de Novaesium (Novaesium, pl. III) et
celui de Newstead (J. Curle, A Roman frontier post, p. 43, fig. 2).
GRAND CAMP DE LAMBSE. 513

gauche, celle de lEst, lautre tant recouverte par les jardins


de la Maison centrale. On a constat quelle ntait point dal-
le et quelle mesurait 9 m, 50 de large(1).
Le ct oriental est bord de salles sans communication
avec la rue, qui limitent un grand ensemble ; on y reconnat
aisment des casernements semblables ceux qui occupaient
la praetentura, avec cette diffrence que le groupe de pices
assez simples qui existaient de ce ct, et que nous avons
assignes conjecturalement aux centurions, est remplac par
une suite de pices plus vastes, en particulier par deux gran-
des maisons atrium. Elles taient trs probablement rser-
ves des officiers dun certain grade.

RETENTURA.

La voie qui longeait la partie postrieure du prtoire,


paralllement la via principalis, tait appele dans la lan-
gue militaire via quintana(2). Elle a t reconnue, mais sur un
parcours trs court ; la presque totalit est cache sous des
terrains quil est difficile, sinon impossible, de fouiller.
Lespace compris entre la voie quintana et le rempart
du camp o souvre la porte dcumane constitue la retentura.
Elle est occupe, Lambse comme ailleurs(3), dans la par-
tie mridionale, par des casernements tout semblables ceux
du Nord. Une voie secondaire, courant paralllement la via
quintana, les limite au Nord.
La bande de constructions qui stend entre ces deux
rues se compose elle-mme de plusieurs pts, spars par des
passages: on sen rendra compte aisment en se reportant au
____________________
(1) Ballu, Bull. arch. du Comit, 1903, p. CLXXII.
(2) Hygin, De munit, castror., 17.
(3) Cf. le plan de Novaesium dj cit.
514 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

plan. Derrire le prtoire sont de grands magasins, trs boule-


verss, mais qui se caractrisent encore par une srie de bou-
tiques ouvrant sur la rue, sans portique et surtout par une suite
de douze cuves carres, en briques recouvertes dun enduit de
pltre et de tuileau ; ils mesurent chacun 2 mtres de ct et 1
m, 50 de profondeur. On na point pris, au moment o on les
dblayait, le soin de vrifier quel pouvait tre leur contenu ; il
ny a plus moyen aujourdhui de le constater. Il est permis de
supposer quils renfermaient des grains, la faon des silos
arabes actuels.

En face stendaient les thermes de la lgion. Ils ont t


dblays en partie en 1862 et 1865, par Cherbonneau et Bar-
nond, compltement dgags en 1902 par le Service des Mo-
numents historiques(1). On peut reconnatre parfaitement leur
disposition gnrale, malgr ltat de dgradation extrme o
les ont amens les injures du temps et la ngligence des hom-
mes (voir le plan gnral du camp). Leur agencement ne diff-
re, dailleurs, pas sensiblement de celui quon a constat bien
souvent en Afrique(2), particulirement Timgad. Lentre
donnait sur la rue qui longe la face occidentale ; elle souvrait
sur un grand vestibule par o on accdait aux bains froids avec
leurs piscines. Au centre taient les pices chaudes : laconicum,
orn de huit niches demi-circulaires ; le pav tait en mo-
saque dun riche dessin, adapt la configuration de la salle et
qui se continuait jusque dans les absides, sous la forme dune
coquille dont les nervures taient indiques par des robes de
pierre de diverses couleurs ; caldarium, entour de trois gran-
des baignoires ; tepidarium. Toutes ces pices reposent sur
____________________
(1) Ann, de Constantine, VI, 1862, p. 141 et suiv. ; Rec de Constan-
tine, X, 1866, p. 4 et suiv. ; cf. XXVIII, 1893, p. 96 ; Ballu, Bull. du Comit,
loc. cit.
(2) Cf. Gsell. Monuments antiques de lAlgrie, I, p. 211 et suiv.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 515

un sous-sol form de petites piles en briques(1) fort rappro-


ches les unes des autres et entre lesquelles circulait lair
chaud, entretenant la temprature leve des pices suprieu-
res, quil chauffait encore au moyen de tuyaux de poterie lo-
gs dans lpaisseur des murs et absolument analogues ceux
employs dans nos habitations modernes comme conduits de
chaleur et de fume(2).
Dans une des salles centrales, on rencontra, au cours des
fouilles, une mosaque assez riche en couleurs ; un croquis en
a t publi(3). Son tat de conservation, dit M. Barnond
avec un peu dexagration, lagencement du dessin, la va-
rit des couleurs et le fini de lexcution en font une u-
vre dart du plus haut prix. Elle mesure 7 m, 35 en longueur
sur 3 m, 40 en largeur. Le dessin, compos de rectangles, de
torsades, de losanges et de triangles, se reproduit deux fois
avec quelque varit dans les nuances de la pierre et forme
lencadrement des mdaillons. Celui de droite reprsente
un homme jeune couronn de rayons : cest la tte radie du
Soleil. Dans le mdaillon de gauche, on voit une femme dia-
deme ; ct, lartiste a reprsent un croissant et une torche
enflamme, pour nous bien indiquer que nous tions en pr-
sence de la Lune. On sait que ces deux motifs se rencontrent
trs frquemment en pendants sur les monuments du monde
romain, et particulirement de lAfrique, o ils figurent les
deux grandes divinits du Panthon punique, Baal et Tanit(4).
Il est naturel que les soldats de la lgion, Africains eux-m-
mes, aient reproduit sur le sol de leurs thermes un sujet quils
____________________
(1) Ces briques portent la plupart lestampille lgionnaire. La marque
est toujours la mme ; je lai signale plus haut.
(2) Rec. de Constantine, XXIII, 1884, p. 190.
(3) Recueil de Constantine, X, 1866, pl. XXVII, p. 246 et 247. Cf. de
Pachtere, Inventaire des mosaques de lAfrique, III, n 184.
(4) C. I. Sem., 1, p. 281.
516 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

taient habitus voir journellement autour deux.


Des peintures fresque dcoraient les murailles du fri-
gidarium, et partout o lenduit ntait pas tomb sous laction
de lhumidit, la vivacit des couleurs navait subi aucune al-
tration. Ces peintures, distribues en panneaux, reprsentaient
alternativement des imitations de marbre et des personnages.
Aucun de ces derniers sujets ntait assez bien conserv pour
en relever le dessin(1). Les piscines, de 2 mtres de profondeur,
taient en ciment. Trois marches permettaient dy descendre.
On a trouv dans les inscriptions la mention dun vale-
tudinarium(2), mais on ne saurait dire quel endroit du camp,
ni dans quelles conditions cet tablissement tait install.
On doit se demander encore comment tait assure lali-
mentation en eau de la lgion. A cet gard, il ny a aucun doute :
on avait capt les sources voisines dans les montagnes, et on les
amenait la porte du camp, dans le camp mme, par des conduits
souterrains(3). La lgion fut appele travailler des ouvrages
de cette nature presque aussitt quelle fut tablie Lambse :
la construction du temple de Neptune auprs dAn-Drinn, avec
sa ddicace collectis fontibus et [scatu]riginibus, est du rgne
dAntonin le Pieux(4) ; son embellissement remonte celui de
Marc-Aurle(5) ; le septizonium, o venaient se dverser les
eaux de plusieurs sources, date sans doute aussi de la mme
____________________
(1) Rec. de Constantine, X, 1866, p. 245.
(2) C. I. L., VIII, 2553, 2563.
(3) Il est vident que les thermes de la lgion devaient tre aliments
par des conduits souterrains passant sous le rempart.
(4) C. I. L., VIII, 2652 et 2653.
(5) Ibid., 2654. La source dAn-Drinn a t dblaye pour alimenter le
moulin qui lutilise aujourdhui. On a dcouvert que leau se dversait par un
conduit de 40 centimtres de hauteur sur 25 de largeur ; les parois en taient
faites de maonnerie de briques reposant sur une pierre de taille. La chambre
deau tait garnie dun grillage en bois trs particulier ; elle tait dailleurs
mal btie et devait appartenir, daprs lopinion de Moll, une reconstruction
GRAND CAMP DE LAMBSE. 517

poque(1). Ce nest que sous Svre-Alexandre que ces eaux


ont t dtournes, au moins en partie, pour lalimentation
du municipe de Lambse, alors trs habit, mme par les sol-
dats en activit de service(2) ; jusque-l, les travaux excuts
autour de ces sources devaient profiter la lgion seule, de
mme que cest pour elle et par elle quils avaient t entre-
pris. A ces deux chteaux deau, il faut en ajouter un troi-
sime plus rapproch encore du camp de Lambse et qui, par
consquent, a d tre construit plus forte raison en vue de la
garnison, celui dAn-bou-Bennana. Moll qui le dblaya pour
lusage du pnitencier, en donne la description suivante(3) :
Cette source a un dbit moyen de 1,000 1,100 litres la
minute ; la chambre deau romaine tait rectangulaire ; elle
avait 2 mtres environ de longueur et 1 m, 50 de largeur in-
trieurement ; ses murs en briques et en mortier hydraulique
avaient prs de 1 m, 50 dpaisseur, ce qui nous fait prsu-
mer quelle tait vote, comme lindiquaient dailleurs les
pierres de taille en voussoir qui taient dans la vase mme
de la source. Les pieds-droits taient assis sur dimmenses
pierres de taille ingalement espaces entre elles et runies
par des votes en briques. Cette disposition ingnieuse per-
mettait aux petites sources latrales, trop loignes peut-tre
pour tre contenues dans lintrieur de la chambre deau, de
se dverser dans la source principale.
Le conduit partant de cette chambre deau avait 20 cen-
timtres de longueur et 25 centimtres de hauteur intrieure-
____________________
de lpoque byzantine. Le dbit dAn-Drinn est de 12 13 centilitres la
minute (Annuaire de Constantine, III, 1856-1857, p. 157 et suiv.).
(1) C. I. L., VIII, 2657 ; cf. le commentaire. Il tait situ 200 mtres
environ au nord-est du temple dEsculape, par consquent au milieu mme
des maisons de la ville antique.
(2) Ibid. 2658. Cf. 2659 : Aurellius Severus Alexander Pius Alexan-
drianas (aquas) Lambaesita(nis dedit).
(3) Annuaire de Constantine, III, 1856-1857, p. 157 et suiv.
518 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

ment ; les deux parois taient en maonnerie de briques re-


posant sur une pierre de taille, et le ciel tait une dalle ou
un moellon. Ce conduit se dirigeait vers la partie occidentale
de la ville, en suivant une ligne presque droite ; plusieurs
conduits secondaires venaient y aboutir pour alimenter diff-
rentes fontaines et rservoirs de la ville.
Grce ces amnagements, la garnison de Lambse
tait assure davoir toujours sa disposition une grande
abondance deau pour les diffrents besoins de la vie de gar-
nison. Il est peu de camps romains connus aujourdhui qui
aient eu proximit des sources la fois aussi abondantes et
aussi belles.

Des quatre portes du camp partaient plusieurs voies, dans


toutes les directions. Lune, qui se dtachait de la porte prto-
rienne, se dirigeait vers la ville voisine de Diana ; lautre, qui
avait le mme point de dpart, vers le col de Batna, par o elle
pntrait dans la valle de lOued-Kantara pour gagner le d-
sert. Une troisime menait de la porte au camp dit des Auxi-
liaires . Enfin, de la porte orientale partaient deux autres voies
: lune se dirigeait au Nord-Est et traversait un quartier de la
ville, cest celle de Thamugadi et de Thveste ; lautre
obliquait vers le Sud-Est. A 200 mtres environ du camp, elle
passait entre lamphithtre et des thermes, puis, 800 m-
tres plus loin encore, elle entrait dans la ville proprement dite
en passant sous un arc de triomphe trois baies : cest la voie
Septimienne, mentionne par une inscription(1), qui fut cer-
tainement dalle, sinon trace par la lgion, sous le rgne de
Septime-Svre et de Caracalla, pour rendre plus faciles les
communications entre le camp et la cit voisine. Cette voie
sortait de Lambse par un autre arc de triomphe et rejoignait
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2705.
GRAND CAMP DE LAMBSE. 519

ensuite la voie de Thamugadi. On trouve encore, en plusieurs


endroits, des traces parfaitement distinctes de ces routes ; le
long de leur parcours schelonnaient toute une suite de tom-
beaux plus ou moins soigns, qui en marquent aujourdhui la
direction.
Il faut faire remarquer, en terminant, que le rempart du
camp est distant dun kilomtre environ des premires mai-
sons de Lambse, et en particulier de larc de triomphe de
Septime-Svre, qui indiquait lentre de la cit au Nord.
Dans cet espace, il ny a comme difices quun arc de triom-
phe, celui de Commode, sous lequel passait la voie militaire
menant du camp de Lambse Thveste, lamphithtre et
des thermes, monuments minemment utilitaires et destins
aux soldats autant au moins quaux habitants de Lambse.
Quelques pans de mur droite et gauche paraissent apparte-
nir des constructions peu soignes et dpoque relativement
assez basse. On peut donc croire quau IIe et au commence-
ment du IIIe sicle, ce terrain intermdiaire constituait une
zone militaire o lon ne stablissait pas. La distance dun
kilomtre est celle que lon a note ailleurs, entre les camps
et les villes qui staient formes ct deux. Mommsen ad-
met que ctait l une rgle gnrale(1).
____________________
(1) Gesammelte Schriften, VI, p. 182. Cf. Wilmanns, tude sur Lam-
bse, p. 9.
520 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

CHAPITRE II.

ARME DE MAURTANIE CSARIENNE.

La place qui formait le centre doccupation de la Mau-


rtanie Csarienne, la rsidence du commandant en chef,
tait, ainsi que nous lavons dj dit, la ville de Cherchell. Il
nest pas possible den douter, en prsence du grand nombre
dinscriptions militaires trouves sur ce point, dont le texte
est absolument probant. Ainsi on y a rencontr une ddicace
Svre-Alexandre et Orbiane par les equites singulares
attachs au gouverneur(1), des bases honorifiques leves en
lhonneur des diffrents procurateurs, soit par des officiers de
larme de Maurtanie, soit par des sous-officiers(2) attachs
leur service, sans compter de nombreuses inscriptions rap-
pelant diffrents corps de troupes dissmins dans le pays(3).
Enfin cest Cherchell que les gouverneurs de Maurtanie
victorieux consacraient les ex-voto destins garder le sou-
venir de leurs succs(4).
Il ne sensuit pas pourtant quil y ait eu l une garnison
considrable, masse autour du gouverneur, comme Lam-
bse ; aucun des documents qui nous sont parvenus ne nous
autorise mme le supposer. La situation, dailleurs, tait loin
dtre la mme en Numidie quen Maurtanie. Dans la premire
province, le commandant en chef, tant en mme temps lgat
de la lgion africaine, devait camper au milieu de ses hommes ;
en Maurtanie, il suffisait que le procurateur et auprs de lui,
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9354, 9355.
(2) Ibid., 9359, 9360, 9371.
(3) Ibid., 9358, 9377, 9378, 9380, 9384 ; 21015-21019, 21024, 21026,
21029, 21030, etc.
(4) Ibid., 9324.
CENTRE MILITAIRE DE LA MAURTANIE. 521

avec les quelques soldats destins faire respecter son auto-


rit et faciliter la prompte excution de ses ordres, les for-
ces ncessaires pour occuper solidement le pt montagneux
qui entoure Cherchell, y maintenir une tranquillit absolue
et assurer les communications entre le quartier gnral et les
diffrents postes du pays.
522 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

CHAPITRE III.

ARME DE MAURTANIE TINGITANE.

Le centre du commandement en Maurtanie Tingitane


tait tabli Tanger ; cest l quont t trouves une ddi-
cace un procurateur, manant des exacti exercitus(1) et deux
tombes de cavaliers ; ces documents suffisent prouver la
concentration en ce lieu des services administratifs des trou-
pes de la rgion. Il est certain que la cit moderne a absorb la
plupart des documents dont nous pourrions attendre quelque
lumire sur larme de Tingitane et sur le quartier gnral o
elle sappuyait.
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9990. Cf. les Actes du martyre de saint Marcellin (30
oct. 298), ap. Ruinart, Acta mart., p. 302 : In civitate Tingitana, procurante
Anastasio praeside. Saint Marcellin serait, daprs ces actes, un soldat de
la lgion IIe Trajana.
FRONTIRES DAFRIQUE ET DE NUMIDIE. 523

SECONDE PARTIE.
POSTES TABLIS SUR LES FRONTIRES.

CHAPITRE PREMIER.
ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE.

Larme dAfrique et de Numidie, ou plus simplement


de Numidie, avait pour mission de fournir des dfenseurs
toute la frontire, depuis lextrmit orientale de la province
proconsulaire dAfrique jusquaux limites de la Maurtanie ;
au besoin, elle envoyait des dtachements au sud de cette der-
nire, tmoin celui que nous trouvons en 176 prs de G-
ryville, occup combattre les Maures(1). On peut mme dire
que, militairement, la Maurtanie sarrtait au bord septen-
trional des Hauts-Plateaux ; tout le reste du pays appartenait
larme de Numidie, dont la tche tait ainsi immense.
On peut, grce aux auteurs, aux itinraires et surtout aux
inscriptions, se rendre compte des points principaux occups
par les troupes et suivre la direction de la frontire, ainsi que les
variations quelle subit, mesure que le pays tait gagn la
civilisation romaine. Tout dabord, au dbut de lEmpire, elle
ne descendait pas, lOuest, au-dessous de la ligne qui joint
Tbessa Gabs par Gafsa, puis elle longeait la cte jusqu
____________________
(1) C. I. L. VIII, 21567.
524 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Lebda (Leptis Magna) et jusqu la limite de la Cyrnaque.


Elle fut porte en avant vers la fin du 1er sicle : elle em-
brassa ds lors le pt des Aurs, qui restait soumettre, et
coupa la ligne des chotts pour envelopper les riches oasis du
sud de la Tunisie ; lOuest, elle contournait le Hodna sans
y pntrer, pour atteindre Zraa la frontire de Maurtanie.
Postrieurement, la fin du IIe et au IIIe sicle, les garnisons
romaines pntrrent plus avant encore ; cest probablement
cette poque que remonte loccupation du Hodna par la pla-
ce de Tobna, qui devait rester un centre militaire jusquau bas
Empire, et que la rive droite de loued Djedi fut seme de
garnisons, ce qui rendit possible la colonisation de cette par-
tie extrme du domaine romain en Afrique. Enfin, au mme
temps, des dtachements de la lgion de Lambse dpassent
de beaucoup la ligne des hauteurs qui court travers la Tri-
politaine paralllement la mer, et stablissent Ghadams,
Bondjem, Gharia-el-Garbiia. A ce moment, la puissance
de Rome a atteint son apoge sur la terre africaine : elle nest
plus ds lors assez sre delle-mme pour dissminer ses for-
ces ; elle revient en arrire. Elle ne franchira plus dsormais
la limite quelle occupait au IIe sicle et qui na peut-tre ja-
mais cess dtre la frontire officielle de lEmpire.
Cest celle que nous tudierons ici, nous rservant de
parler au moment favorable des postes fortifis situs au del
ou en de, auxquels nous avons fait allusion dans ce pram-
bule.

1. FRONTIRE DE TRIPOLITAINE.

Le souvenir des postes fortifis de la frontire de Tripo-


litaine a t conserv par lItinraire dAntonin, o la route
qui les relie est qualifie de : Iter quod limitem Tripolitanum
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 525

per Turrem Tamalleni a Tacapis Lepti Magna ducit(1) ; pour


lpoque postrieure Diocltien, on en trouve lnumra-
tion dans la Notice des Dignits(2). Il y avait l, en effet, une
frontire que la nature mme imposait. Lossature gnrale
de lextrme Sud tunisien actuel et de la Tripolitaine, crit
un de ceux qui connaissent le mieux le pays, M. le comman-
dant Donau(3), est dfinie par une coupe verticale suivant une
perpendiculaire quelconque au littoral. Ce profil montre, en
partant du bord de la mer, dabord une plaine que les indig-
nes appellent Djeffara, puis une falaise escarpe qui atteint
600 et 650 mtres daltitude, enfin un plateau ou dos (Dahar)
de pays, qui sabaisse progressivement pour disparatre dans
lErg ou rgion des Dunes.
La direction gnrale de cette falaise, du Nord au Sud,
nest pas parallle la mer ; elle forme, au contraire, une
ceinture entourant la partie orientale de la petite Syrte et le
littoral dentre les deux Syrtes, sur lequel slevaient Sabrata,
Oea et Leptis.
Le fond de ce golfe terrestre, constitu par la monta-
gne, se trouve aux environs de notre poste actuel de Dehibat,
ou mieux du village turc de Nalout(4).
Or si la Djeffara fut occupe, habite, cultive par une
population nombreuse et romanise, la colonisation ne dpassa
gure la falaise abrupte qui domine la Djeffara ; et les dlgus
____________________
(1) Itin. dAntonin (d. Fortia), p. 21. Voir le texte plus bas, p. 749. Sur
cette route et les diffrentes opinions auxquelles elle a donn lieu, cf. Tissot,
Gogr. de lAfrique, II, p. 686 et suiv. ; p. 699 et suiv. ; J. Toutain Ml. de
lcole de Rome, XVIII, 1895, p. 21 et suiv. ; P. Blanchet, Rec., de Constan-
tine, XXXII, 1898, p. 71 et suiv. ; Donau et Le Buf, Bull. arch. du Comit,
1903, p. 289 et suiv.
(2) Not. Dignit., Occ., XXXI.
(3) Bull. arch. du Comit, 1903, p. 391.
(4) A cet endroit, la Djeffara mesure 120 kilomtres environ jusqu la
mer ; Gariana, au sud de Tripoli, elle na plus que 80 kilomtres en profondeur.
526 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

de la puissance impriale tablirent dans le Dahar une srie de


postes fortifis chargs de garantir, en dfendant les dfils de
la montagne, la scurit des colons de la Djeffara contre les
attaques des Gtules de lOuest et des Garamantes du Sud.
Cette ligne de dfense formait une route stratgique
suivant la zone frontire. Cest prcisment celle que nous
indique lItinraire entre Leptis Magna et Turris Tamalleni, et
mme au del de Leptis vers lEst. Mais ici, le pays quelle
traverse est trop peu connu pour quon puisse identifier les
diffrents postes ; plus forte raison ne possde-t-on sur eux
aucun dtail. Il suffira de citer pour mmoire ceux dont les
noms peuvent donner lieu quelque observation.
La dernire station lextrmit orientale de la route,
celle qui tait sur la limite mme de la Cyrnaque, se nommait
Ara Philenorum. Tissot la place Mouktar(1). A 54 kilom-
tres lOuest existait un poste fortifi, appel aujourdhui Te-
ratin, que la Table de Peutinger nomme Turris(2) ; 40 kilom-
tres plus loin, on rencontrait une station nomme Praesidio
et, une vingtaine de kilomtres au del, une autre appele ad
Turrem ; Tissot a plac celle-ci au dfil de Bergaouad, la pre-
mire sur les hauteurs de Iehoudia(3). Dans toute cette partie, la
ligne frontire passait entre le rivage et les dunes de sable qui
viennent aboutir la mer ; le littoral extrme, qui est la partie
habitable du pays, tait donc seul occup par les Romains.
Il en tait ainsi jusqu Leptis Magna. A partir de cette ville,
la frontire sloignait peu peu de la mer, les hauteurs qui
forment la limite naturelle du pays au Sud sen cartant elles-
mmes et la rgion fertile slargissant, ainsi quil a t indi-
qu plus haut. Mais si la direction gnrale du limes nest pas
____________________
(1) Gographie compare de la province dAfrique, II, p. 2 41.
(2) Table de Peutinger (dition Miller), VIII, 2.
(3) Op. cit., II, p. 240.
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 527

douteuse, on ne saurait en dire autant de la situation exacte


de tous les postes signals par lItinraire : ces rgions sont
encore trop mal connues. Nanmoins une suite dexplora-
tions et de recherches rcentes, conduites avec autant de per-
svrance que dhabilet, soit en Tripolitaine, soit dans le
Sud tunisien, ont apport cet gard des renseignements trs
prcieux.

La partie du limes qui traverse la Tripolitaine a t tudie,


autant que faire se peut, par M. Mhier de Mathuisieulx(1). Le
premier poste partir de Leptis Magna quil ait identifi avec
quelque vraisemblance est celui de Thenadassa. La localit,
situe dans la haute valle de lOued-Mader, se nommerait
aujourdhui Anessa. On y voit les restes dun fortin carr,
voisin dune bourgade importante(2). A environ 65 kilomtres
vers le Sud-Ouest existent pareillement des ruines dune cer-
taine importance, appeles Djendouba. Elles offrent ceci de
particulier quelles se trouvent sur lune des routes de pn-
tration vers lintrieur des terres, sur celle qui de Tripoli gagne
le Fezzan en passant par Mizda(3). M. de Mathuisieulx croit
quil faut placer l la Vinaza de lItinraire. Il identifie avec la
moderne Zentan le poste antique de Thenteos, et il faut bien
reconnatre quil y a entre les deux mots une grande ressem-
blance. En tout cas, il est certain qu 6 kilomtres lest du
ksar de Zentan on trouve les ruines dun poste fortifi ; cest un
quadrilatre form par une haute chausse de terre, qui recou-
vre probablement la base dun ancien rempart. Au centre de
ce quadrilatre irrgulier se dresse un castellum en pierres de
____________________
(1) Nouvelles Archives des Missions, XII, 1904, page 1, et XIII, 1905,
pages 73 et suivantes. Cf. le rsum de ces recherches par M. Toutain, dans
le Bull. archol. du Comit, 1905, p. 353 et suiv.
(2) Nouv. Arch des Missions, XIII, fasc. 2, p. 87.
(3) ibid., p. 84 ; cf. XII, p. 16.
528 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

taille, qui mesure 20 mtres de ct ; une porte a encore ses


deux montants debout(1) . Ce serait Slamat ou Slamatin
quil conviendrait de placer le poste de Thamascaltin, et chez
les Tramezin, 10 kilomtres environ au sud-est de Kabao,
celui de Thramusdusim ; il ne reste plus de ce fortin que des
traces confuses(2) ; il porte aujourdhui le nom de El-Ksour.
Les postes suivants, signals par lItinraire, nous conduisent
sur le territoire tunisien actuel ; grce aux reconnaissances
des officiers des Affaires indignes, et surtout aux recher-
ches de M. le commandant Donau, il est possible de se rendre
compte de lemplacement dun certain nombre de ces postes,
et, dune faon plus gnrale, de loccupation militaire du
pays. Labondance des renseignements quils ont recueillis
est mme quelque peu gnante pour suivre sans hsitation
le trac du limes ; de tous cts ils ont signal des fortins et
des centres fortifis dissmins dans la rgion. Qui sont ceux
qui appartiennent au limes ? qui sont, au contraire, ceux qui
taient situs en dehors ? Il ny a aucun moyen certain de le
reconnaitre, en dehors des inscriptions ethniques quon peut
dterrer dans les ruines et qui y sont trs rares, ou de certaines
considrations accessoires.

Dautre part, laspect des fortins ne permet pas de leur


assurer une date prcise or il nest pas douteux quils nap-
partiennent pas tous la mme poque, et certains dentre
eux ntaient que des fermes fortifies, comme la turris Ma-
niliorum dont il sera question plus loin. On risque donc et de
rapprocher lune de lautre des fortifications qui ntaient peut-
tre pas contemporaines, et de prendre pour des castella offi-
ciels des bordjs privs. Reste comme critrium limportance
____________________
(1) Nouv. Arch. des Missions, XII, p. 15 et 16.
(2) Ibid., p. 15.
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 529

des fortins et leur construction sur lesquels M. le comman-


dant Donau nous a fourni de trs utiles renseignements. Il
est, nous apprend-il(1), deux types bien dfinis de construc-
tions fortes entre lesquels aucune confusion nest possible.
Lun, de grand appareil, est employ pour les castella. Les
blocs, extraits le plus souvent peu de distance, sont soi-
gneusement taills, puis mis en place par assises rgulires
et dpaisseur peu variable. Partout lenceinte est dun tra-
vail soign, uvre darchitectes et douvriers habiles, dispo-
sant de bons outils, de chvres, poules, moufles, louves, en
un mot de tout le matriel employ dans les autres rgions.
Lenceinte est bastionne lorsque les dimensions de louvra-
ge le comportent. Elle na quune seule entre, borne par
une porte dfensivement renforce dun ou deux systmes
de blindes horizontales ; mais cette porte nest pas sur la
ligne denceinte ; partout prcde dun couloir dans lequel
lassaillant est oblig de Sengager, une se dresse soit lex-
trmit dun des cts de ce couloir, soit au fond dun coude
qui le prolonge.

Le second type des constructions tudies est notable-


ment infrieur au prcdent, bien quexcut encore par des
maons soigneux. Cest un rectangle, se rapprochant dun
carr de 9, 12, 1 5 mtres de ct. Les angles sont toujours
constitus par des pierres de taille ; en outre, de distance en
distance, des piliers slevant jusquau fate du mur servaient
le jalonner et renforcer la maonnerie faite de moellons
rguliers. Lintrieur de ces fortins tait presque complte-
ment rempli par des habitations, magasins, hangars, curies,
et cette disposition convenait parfaitement au double rle de
soldats colons jou par les limitanei qui les occupaient.
____________________
(1) Bull. arch. du Comit, 1903, p. 339 et suiv.
530 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Ces constatations sont un lment important dont il y a


lieu de tenir compte, mais qui, on le verra, ne suffisent pas
lever toutes les difficults.
Aprs Thramusdusim, en marchant vers le Nord-Ouest,
lItinraire cite la station de Thabunati, dont on na pas en-
core donn didentification assure, et de Ad Augmadum, que
M. le commandant Le Buf place Dehibat(1). Il avoue bien
que, quoiquil existe dans les environs de ce poste un certain
nombre de ruines dinstallations romaines agricoles, on ny
voit pas de traces de fortin ; mais la situation stratgique de
Dehibat et la distance qui spare ce point des autres stations
du limes seraient des arguments suffisants pour justifier las-
similation propose. Trente milles plus loin, le routier signa-
le Tillibari ; la localit se nommerait aujourdhui Remada(2).
M. le capitaine Lecoy de la Marche a signal(3), 400 mtres
louest de loasis, une enceinte rectangulaire trs tendue
de 200 mtres de ct sur 150 mtres. Deux portes existaient
autrefois sur les faces orientale et occidentale ; la porte orien-
tale seule est aujourdhui apparente ; elle donnait accs dans
un rduit de 90 mtres sur 70 mtres ; cest bien l le type
dune ville forte. Le mme officier a visit plus au Nord(4),
Mdina, sur le plateau de Fatnassia, les restes dune autre en-
ceinte dont les cts mesuraient 50 mtres. Du ct du Nord,
une porte, flanque de deux tours saillantes rectangulaires ; au
centre, une construction carre de 18 mtres de ct avec cour
intrieure. La faade seule tait en pierre de taille, les autres
murailles en moellons. Tout autour de la cour taient disposes
des chambres. Ctait l aussi, sans doute, un poste du limes.
____________________
(1) Bull. arch. du Comit, 1903, p. 402.
(2) M. le capitaine Hilaire plaait Ad Augmadum Remada cause de
la ressemblance des ethniques (ibid., 1901, p. 194).
(3) Bull. arch. du Comit, 1894, p. 405.
(4) Ibid., p. 407 (avec un plan).
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 531

Il semble bien que le nom antique de la station de Ta-


lalati se soit conserv dans lethnique moderne Tlalet .
L existe encore, au dbouch de la valle du Tlalet sur la
plaine du Ferdj, et lendroit nomm Ras-el-An, un camp
fort important qui a t fouill successivement par le capi-
taine Lecoy de la Marche(1) et le lieutenant Goulon(2). Il a la
forme dun carr, mesurant 80 mtres de ct, et perc dune
porte cintre sur chaque face. A la porte nord, on a trouv
une inscription(3), qui donne la date de la construction ou de
la reconstruction du castellum et le nom de la cohorte qui y
tenait garnison la fin du IIIe sicle. La porte Est a fourni un
second exemplaire du mme texte. Les murs avaient 1 mtre
dpaisseur. Le plan qui en a t donn nest pas assez com-
plet pour quil ait sembl utile de le reproduire ici : on notera
seulement que cest celui qui caractrise les grands camps
romains.
En quittant le poste de Tlalet, le limes se dirigeait, daprs
lItinraire, vers loasis de Telmin o il aboutissait.
Mais quel tait son trac exact entre ces deux points, en
supposant quil ny ait pas eu plusieurs tracs successifs ?
L commence la difficult. On est peu prs daccord, pour
admettre, dune part, que de Tlalet il remontait jusquau fort
appel aujourdhui Benia des Ouled-Mahdi , qui serait
lancienne Augemmi, et que, de lautre, il longeait le Djebel-
Tebaga depuis la Benia-Ceder (Bezereos ?) jusqu Telmin.
Laccord cesse lorsquil sagit de fixer la direction suivie
par la ligne qui rejoignait les deux Benia (4). M. le commandant
____________________
(1) Bull. arch. du Comit, 1894, p. 400 et suiv.
(2) Ibid., 1903, p. 351 et suiv.
(3) C. I. L., VIII, 22765 : Imp. Caes. P. Licinius Gallienus trib. p.
XII cos. v p. p. procos castra coh. VIII Fidae opportuno loco a solo instituit
operantibus fortissimis militibus suis ex limite Tripolitano (an 263 ?).
(4) Nous ne mentionnerons ici que pour mmoire les suppositions de
532 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Le Boeuf, la suite de Tissot, admet quelle remontait dans


la direction du Nord, vers Zarat, pour tourner ensuite brus-
quement lOuest et atteindre Benia-Ceder(1) ; M. le com-
mandant Donau, au contraire, lincline immdiatement vers
lOuest, par Ksar-Tarcin et Khanefi(2). La premire solution est
inspire par le fait que lItinraire mentionne, parmi les sta-
tions du limes, une Agma. Or il est pareillement fait mention
ailleurs, par les routiers, dune certaine Agma, celle-ci situe
sur le littoral au sud de Gabs. Si les deux Agma se confon-
dent, ce que croit Tissot, il est vident que le limes devait,
aprs Augemmi, gagner le bord de la mer ; si, au contraire, il
y avait deux Agma distinctes, il est bien plus probable quil
sinflchissait, aprs Benia des Ouled-Mahdi, vers le N.-E.
Cest cette dernire opinion qui parait la plus acceptable :
cest celle que nous adopterons ici.
La Benia-bel-Recheb ou Benia des Ouled-Mahdi est, au
tmoignage de P. Blanchet(3), du commandant Donau(4) et du
commandant Le Boeuf(5), un ouvrage de premire importance,
le plus considrable, avec la Benia-Ceder, de tout lextrme Sud
tunisien. Elle affecte la forme dun carr de 40 mtres de ct.
A chacun des quatre angles, un bastion carr avec crneaux
assure le flanquement des faces ; au milieu de celles-ci, mme
disposition, except peut-tre sur la face ouest. Lentre, du
ct oppos lennemi, tait dfendue par deux bastions, en-
tre lesquels un couloir de 2 m, 40 de largeur, qui 8 m, 40 de la
____________________
MM. Toutain (Ml. de lcole de Rome, XV, p. 222) et Blanchet (Recueil de
Constantine, XXXII, 1898, pages 90 et suiv.) antrieures aux recherches fai-
tes sur le terrain par les officiers du Sud tunisien ; ils pensaient que de Ksar-
Tarcine Telmin le limes coupait le pays peu prs en ligne droite.
(1) Bull. arch. du Comit, 1903, p. 398 et suiv.
(2) Ibid., p. 395 et suiv.
(3) Rec. de Constantine, XXXII, 1898, p. 78 et suiv.
(4) Bul. arch. du Comit, 1903. p. 357.
(5) Ibid., p. 348.
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 533

porte tournait angle droit, donnait accs dans la cour int-


rieure et franchissait peut-tre une seconde porte. Cest dans

langle nord de la cour que se trouvaient les logements et ma-


gasins de la garnison(1)
Tout le castellum est bti en pierres normes soigneuse-
ment tailles dans leurs trois dimensions, qui sont : paisseur
constante, 0 m, 49 ; largeur, de 0 m, 50 0 m, 60 ; longueur,
de 0 m, 80 1 mtre et jusqu 1 m, 50. Ce soin dappareillage

explique la conservation remarquable de louvrage. Les pierres


proviennent, parat-il, dune carrire situe assez loin en aval,
____________________
(1) Donau, loc. cit.
534 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

dans la mme valle et que les indignes dsignent sous le


nom de Reha-bel-Recheb.
En avant de cette forteresse, vers le Sud-Ouest, dans la
valle dun affluent de loued Recheb, loued Skiffa, M. le
capitaine Lecoy de la Marche et ensuite P. Blanchet ont not
un ouvrage dfensif qui se rattache au limes : il barre la valle
de la rivire, si bien que Lecoy de la Marche croyait y voir un
barrage ; mais Blanchet(1) fait observer justement quil offre
de grandes similitudes avec un autre morceau de fortifica-
tion dont il sera question plus bas, quun barrage ne comporte
gure la prsence de tours et que le btiment central quon y
remarque ne sexpliquerait gure dans cette hypothse.
Cest, dit-il, un morceau de frontire. La muraille me-
surait 4 mtres la base ; des tours circulaires trois fois plus
larges la dominaient. Une citerne conservait aux dfenseurs

les eaux qui ruisselaient des vallons voisins. Une porte vo-
te, accoste de deux corps de garde, ouvrait le monde romain
____________________
(1) Recueil de Constantine, XXXII, 1898, p. 76 ; cf. Nouv,. Arch. des
missions, IX, 1899, p. 36 et suiv.
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 535

aux caravanes barbares (voir le plan annex, que nous em-


pruntons Blanchet) ; des ouvrages extrieurs, dont il ne reste
quun amas de pierres, semblent en avoir dfendu lapproche.

Des dalles poses de champ, un peu plus loin et prcisment


dans le thalweg de loued formaient une sorte de grille qui
laissait chapper, aux jours de pluie, les eaux inutiles. Et
Blanchet ajoute : Un mur de quelques kilomtres, soud des
deux bouts la montagne, perc dune porte que surveille une
tour et que dfendent des ouvrages extrieurs : telles semblent
avoir t les clausurae sahariennes. Rome dressa ses tours et
ses murailles au creux des ravins qui servaient de passages ;
elle laissa savancer, entre deux, les perons rocheux du pla-
teau ; ce fut une combinaison de fortifications naturelles et
artificielles.
Si les vues de Blanchet sont justes, on voit de quelle im-
portance est louvrage de loued Skiffa pour la connaissance
de la constitution du limes tripolitain.
De la Benia-bel-Recheb la route indique par lItinraire
rejoignait loued Hallouf au nord du Djebel-Assassia et sui-
vait le cours de cette rivire jusquau poste de Ksar-Tarcine(1).
Celui-ci est situ lembranchement de deux pistes, lune
qui remonte le cours de loued et qui est une des principales
voies de pntration entre lextrme Sud tunisien et la rgion
des dunes, lautre qui, redescendant le cours du torrent, relie
____________________
(1) Sur ce fortin, et sa situation cf. Bull. archol. du Comit, 1903, p.
360 et suiv. ; Blanchet, Recueil de Constantine, XXXII, 1898, p. 93 ; Gauc-
kler, Comptes rendus de lAcadmie des Inscript., 1902, p. 323 et suivantes.
536 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

lendroit aux grandes voies commerciales qui joignent Ga-


bs avec le Sahara algrien. Le fortin domine loued dune
hauteur de dix mtres et ses vues stendent du ct du Sud
jusqu 10 kilomtres de distance . M. le lieutenant Tardy
en a donn la description dtaille ; nous la lui emprunterons
ainsi que le plan quil en a dress(1).
Lensemble de louvrage est form dun rduit carr de 15
mtres de ct, entour dune haute muraille servant den ceinte.

Son primtre mesure 110 mtres de longueur ; son trac est


heptagonal, afin de pouvoir pouser la forme du terrain. Les
angles sont arrondis.
Dans la section sud, qui suit la crte de la falaise, est perce
____________________
(1) Bull. arch. du Comit, 1903, p. 361 et suiv.
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 537

une ouverture large de 1 m, 20 ; cest la porte dentre : elle


est oriente dans une direction Sud-Sud-Est.
Le rduit situ au milieu de cette enceinte est galement
orient dans une direction sensiblement Sud-Sud-Est. La porte
dentre est pratique dans une maonnerie demi-circulaire,
dispose en avant de la faade. Cette maonnerie est en partie
dmolie ; toutefois le seuil de louverture qui y tait pratique
est encore visible ; il se trouve en face de la porte perce dans
le mur denceinte. Il a dailleurs une largeur identique.
Un troit couloir de 3 mtres de longueur part de la fa-
ade et conduit la cour intrieure du castellum. Cette der-
nire, de forme rectangulaire, mesure 4 m, 40 de longueur et
3 m, 15 de largeur. Elle tait ferme par une porte qui venait
sappuyer contre deux ressauts pratiqus dans les murs du
couloir, et qui se fermait vraisemblablement laide dun
verrou, dont le logement est encore visible dans le mur. Au
milieu de la cour existe un bloc de maonnerie en forme de
fer cheval, recouvert dun enduit de mortier de chaux. Le
dispositif particulier de cette maonnerie, peine haute de
0 m, 50, semble indiquer quelle devait servir de banc aux
occupants.
Deux portes, et , places lune en face de lautre,
permettent de passer de la cour dans les pices B et D et, par
suite, dans la pice C quaucune cloison ne spare des deux
premires. Chacune de ces chambres prend jour par une fen-
tre donnant sur la cour intrieure.
Si lon franchit le seuil de la porte , on pntre dans
une grande pice occupant toute la face d du rduit. Un es-
calier de 1 mtre de largeur, fait de gros moellons assembls
au bton de chaux et situ dans langle gauche de cette pice,
donne accs sur la terrasse. Cet escalier, qui devait avoir pri-
mitivement neuf marches, nen possde plus que six actuel-
lement.
538 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

La pice C occupe toute la face c du rduit. Le long du


mur de cette face se trouvent disposes des auges en maon-
nerie. Deux dentre elles sont encore en bon tat. Elles mesu-
rent respectivement 0 m, 90 de largeur. La chambre pouvait
donc contenir vraisemblablement douze auges identiques et,
par suite, tant donne la petite dimension de chacune delles,
douze chevaux seulement.
Dans la chambre D, qui occupe toute la face , des auges
sont galement disposes le long du mur. Elles ont une lon-
gueur totale de 8 m, 25. Trois dentre elles sont peu prs
intactes ; elles ont chacune une mme largeur, 0 m, 80. Cette
chambre pouvait contenir dix auges, cest--dire dix chevaux
seulement. Des ossements de brebis, du fumier, des excr-
ments de cheval ont t trouvs sur le sol, au milieu des cen-
dres. Laffectation des chambres C et D parat donc bien net-
tement tablie : elles servaient dcurie et abritaient, outre
quelques animaux domestiques, les chevaux de la garnison.
Elles pouvaient, au maximum, contenir vingt-deux chevaux.
A proximit du castellum, la garnison avait construit
une citerne. La forme en est sensiblement celle dune ca-
rafe. Dans la paroi et au niveau du fond sont pratiqus deux
prolongements en ogive, destins augmenter le volume du
rservoir central. Les dimensions de la citerne sont remar-
quables ; la capacit totale tait environ de 60,000 litres Ce
rservoir, situ dans le lit de loued, tait aliment par loued
lui-mme et les pentes de la falaise soutenant le castellum.
Mais il pleuvait rarement dans la rgion. Il fallait donc que
la citerne ft construite de faon emmagasiner en une fois
un grand volume deau. et pouvoir constituer une rserve
pour le reste du temps.
Une inscription(1) fait connatre le nom du poste, Tibubci,
____________________
(1) C. I. L., VIII, 22763.
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 539

sa nature et ceux qui lont fait construire. Elle indique ap-


proximativement sa date, le rgne de Diocltien(1), ce qui ne
veut pas dire que lendroit nait pas t occup militairement
bien auparavant.
Plusieurs pices de monnaie ont t dcouvertes au cours
des fouilles ; elles datent de Constantin le Grand, de Valenti-
nien II et dEugne ; le fortin ne fut donc pas vacu avant la
fin du IVe sicle, au plus tt.
Leffectif du poste est assez difficile dterminer
exactement. Toutefois, tant donne lexigut des locaux
pouvant servir de logements, il nest gure croyable que
cet effectif dpasst 25 ou 30 hommes. Du reste, dans une
rgion daccs aussi facile que celle qui environne Ksar-
Tarcine, il est certain que la garnison devait se composer
uniquement de cavaliers. Le nombre en est donn approxi-
mativement par le nombre de chevaux que pouvaient conte-
nir les curies, et qui tait au maximum de 22. Un effectif
suprieur et t, dailleurs, difficile ravitailler dans une
rgion aussi lointaine.
La seule forteresse importante quon ait signale jusquici
au nord de Henchir-Tarcine, dans la direction de Benia-Ceder,
est celle dHenchir-Khanefi(2). Construite sur la plate-forme,
incline vers le Sud-Ouest, dune colline rocheuse isole, son
horizon, trs vaste, stend vers le Nord-Ouest, le Sud-Est
et le Sud-Ouest. Elle a la forme dun rectangle de 31 mtres
sur 25 m, 40, sans flanquements, avec entre unique sur la
face sud, ct le plus facilement accessible aux cavaliers ; il
ne semble pas quune route (elle naurait pu tre construite
quen lacets) ait t mnage pour donner des chars accs au
____________________
(1) Gauckler, Centenarius, terme dart militaire. (Mlanges Perrot, p.
125 et suivantes.)
(2) Cf., sur cette ruine, Le Buf et Donau, Bull., archolog. du Co-
mit, 1903, p. 304 et 325.
540 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

castellum ; ils ne pouvaient pas, en tout cas, y pntrer, le cou-


loir dentre paraissant avoir eu seulement 1 m, 50 de large,
la porte elle-mme situe lextrmit de ce couloir ne lais-
sant que 1 m, 35 pour le passage, et tant en outre prcde
dune marche. En revanche, la cour centrale est entirement
entoure de btiments indiquant une garnison normale plus
dense, sinon plus nombreuse que celle dHenchir-Ceder.

Toute lenceinte est encore visible, ne laissant subsis-


ter aucun doute sur le trac gnral.
Le couloir dentre tait ferm son extrmit, et la
porte, prcde dune marche, souvrait gauche, large seule-
ment de 1 m, 35 ; sur ses montants et son linteau tombs dans la
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 541

cour, aucune trace de sculpture ni dinscription, mais, sur la


tranche dune dalle trouve avec ces dbris, un phallus re-
prsent en relief, dune longueur totale de 0 m, 28. Cest le
seul motif de sculpture, avec un livre galement en relief
figur assis, sur le petit ct dun autre bloc, qui ait t trouv
Khanefi dans lnorme quantit de dblais qui en ont t
sortis ou qui ont t fouills.

La pice de gauche en entrant servait vraisemblable-


ment de salle de garde. Son sol, surlev de 0 m, 50 par rap-
port au couloir dentre, est dall, sauf sur une longueur de 1
m. 92, de pierres carres de 0 m, 4o x 0 m, 4o x 0 m, 12. Elle
nest pas rectangulaire. Au cours du dblaiement, des cendres
et des dbris de toutes sortes ont t retirs de cette pice, no-
tamment des fragments de poterie.

Elle ne parat pas avoir eu de communication avec la


suivante, B, situe dans langle sud-ouest et dont laffectation
spciale est bien dfinie. Malgr lpaisseur du mur dencein-
te dj considrable, une maonnerie supplmentaire laug-
mentait et la doublait presque sur les cts ouest et sud qui
atteignent 1 m, 04 ; le sol, plus bas (de 1 m, 05) que celui
de la premire pice, est compltement ciment ainsi que les
parties infrieures des parois.
Ctait donc une citerne pouvant recevoir leau de
pluie tombe sur la superficie du castellum, mais sans doute,
remplie habituellement, par mesure de prcaution, avec de
leau apporte de lextrieur, soit du barrage dHenchir-Sedd,
soit de citernes ou de puits qui nont pas t retrouvs. Ac-
tuellement le point deau le moins loign est Bir-Ghezen,
10 kilomtres au Sud-Ouest.
Des btiments de la face nord, un seul a t dblay.
Cest une curie dont les quatre auges sont intactes et en place.
542 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Entre chacune delles tait dresse une belle pierre, munie dun
anneau dattache taill en relief. Des morceaux de plusieurs
autres auges semblables existaient dans la cour du castellum.
Une fentre, dont les quatre cts du cadre ont t retrouvs
dans les dcombres de cette curie, lclairait et larait ; la
largeur de lappui fait penser quelle souvrait dans le mur
denceinte plutt que du ct cour ; ce nest toutefois quune
hypothse.
Aux environs du castellum, on ne rencontre pas de tra-
ces de constructions contemporaines de louvrage.
La route saharienne qui suivait la plaine surveille par
le poste de Khanefi gagnait ensuite, en 10 milles romains,
le castellum de Benia-Ceder(1), monument militaire dune
grande importance. Le plan ci-joint (voir p. 543), dress
par M. le commandant Donau, montre ses dispositions g-
nrales.
Ldifice mesure une soixantaine de mtres sur quarante
environ ; la porte regarde le Sud-Est. Il tait flanqu de bas-
tions sur deux de ses faces. Louverture totale de lentre est
de 4 m, 35, ainsi que le passage qui la prolonge ; elle ne pos-
sdait pas de moyens de fermeture. Le passage lui-mme, sur-
veill de lintrieur par des crneaux horizontaux placs dans
le mur de gauche, tournait angle droit, laissant entre lui et le
mur denceinte un emplacement libre pour le poste de police ;
il aboutissait ainsi la vritable entre du castellum, E, celle-
ci solidement ferme . Son montant de gauche tait doubl,
lassise infrieure, dune borne qui se rptait droite. En-
tre les deux bornes, louverture utile a 2 m, 40 avec un seuil
form de trois dalles, deux de 0 m, 75, lautre de 0 m, 90 ;
____________________
(1) Donau, Bull., arch. du Comit, 1903, p. 315 et suiv. ; 1904, p. 467
et suiv. Cf. Blanchet, Rec. de Constantine (XXXII), 1898, p. 74 et suiv. (avec
un plan et une vue). Ce castellum tait dj connu deTissot (Geogr. compa-
re de lAfrique, II, p. 690).
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 543

les deux premires donnant passage aux roues des chars, tan-
dis que la troisime prsentait une saillie, contre laquelle ve-
nait prendre appui la porte en bois lorsquelle tait ferme.
Celle-ci avait deux battants dont les pivots verticaux se
logeaient dans les pierres dangle, encore visibles au mme ni-
veau que les dalles du seuil. Enfin des poutrelles horizontales

logeant leurs extrmits dans des matrices tailles dans les


murs latraux achevaient de garantir la puissance dfensive
de cette grande entre donnant passage aux cavaliers et aux
chars.
Les pitons devaient dordinaire entrer dans le castellum
par la petite porte P du poste de police ; elle est encore debout,
et son dispositif indique quici toute considration artistique
544 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

a t laisse de ct pour rechercher un seul but, la rsis-


tance ; les murs sont renforcs et, derrire la porte, des rainu-
res tailles verticalement dans leur paisseur permettaient de
placer, de champ cet endroit, une pile de madriers formant
barricade. Enfin, en avant de cette mme porte, un second
dispositif analogue permettait encore de doubler cette bar-
ricade, lorsquune attaque tait prvue temps. Une longue
dalle formait linteau.

Une fois lentre du castellum franchie, on se trouvait


dans une vaste cour, dont les angles est, ouest et sud taient
occups par des constructions, langle nord restant libre ; et,
vers le milieu de la face nord-ouest, slevait le rduit, as-
surant, grce son relief, le flanquement de cette face d-
pourvue de bastions. Il comprenait le logement de lofficier
commandant le castellum. Les murs actuellement debout ont
encore 3 mtres de hauteur en moyenne ; mais si les premi-
res lignes horizontales de blocs sont parfaitement rgulires,
comme sur tout le pourtour de lenceinte, celles du haut pr-
sentent au contraire des irrgularits choquantes, imputables
seulement des reconstructions tardives. On pntrait dans le
bordj par un couloir non couvert de 2 mtres de large, au fond
duquel deux marches conduisent la porte dentre, qui na
que 0 m, 85 douverture et moins de 2 mtres sous la clef de
vote, celle-ci de plein cintre. Lorganisation dfensive est
semblable celle de la porte P, dcrite plus haut. En outre,
du ct gauche du couloir, des crneaux horizontaux, situs
0 m, 60 du sol, permettaient des archers genoux ou des
hastaires, placs lintrieur, datteindre les assaillants. Ces
crneaux, trs larges du ct intrieur (0 m, 50 sur 0 m, 30),
navaient au contraire sur le couloir quune section de 0 m, 15
sur 0 m, 05.
La porte souvrait sur un atrium qui a conserv en grande
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 545

partie sa disposition primitive ; il tait entour de piliers de


grand appareil, portant de longs blocs formant la fois lin-
teaux de portes et supports de plancher du premier tage ; ils
sont tous rests en place, grce leur poids. Lun deux na
pas moins de 2 m, 75 de long : la large baie quil recouvre
devait donner accs dans la chambre du Nord, non dblaye,
qui tait sans doute une curie, en juger par lexistence
dune auge reste en place et pose 0 m, 70 au-dessus du
sol ; des morceaux de plusieurs autres ont t retrouvs
proximit.

La porte M, trs basse (1 m, 66), donnait accs (larg.


0 m, 90) dans la chambre o se tenaient les dfenseurs de
lentre ; une autre baie en N (larg. 1 m, 10) conduisait dans
une sorte de couloir ferm droite et gauche par des murs
non appareills et qui ont subi des remaniements ; quatre
grosses dalles, actuellement dplaces, devaient constituer
des degrs et font penser quon est en prsence des restes de
lescalier conduisant au premier tage.
De ce dernier, dont lexistence nest pas douteuse, rien
ne subsiste ; les dcombres mmes, abstraction faite des blocs
provenant des gros murs, sont peu volumineux ; on peut en
dduire que toute cette partie du rduit a t entirement d-
blaye une basse poque, puis incompltement et sommai-
rement restaure ; le premier tage na mme peut-tre pas
t relev.
Pour achever la description de lHenchir-Ceder, dont
une partie seulement a t fouille, il faut mentionner encore
les traces des diverses constructions qui, lintrieur, pre-
naient appui contre le mur denceinte et servaient de maga-
sins et de logement pour la troupe.
A 250 mtres au sud de ce fortin, M. le commandant Donau
a signal un petit poste dobservation. Ce poste comprenait
546 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

deux chambres qui communiquaient par une baie et mesu-


raient lintrieur environ 2 mtres sur 3 ; il en subsiste
cinq piliers de grand appareil ; les murs en moellons nont
plus que 0 m, 40 de hauteur. Le rle de ce btiment ne pa-
rat pas douteux. Le castellum, en effet, construit en plaine
au pied dune colline isole qui le domine compltement et
masque ses vues vers le Sud, occupe une position qui serait
inacceptable avec larmement moderne et qui tait dange-
reux lpoque romaine. A dfaut dune vigie sur la colli-
ne, lennemi pouvait arriver 200 mtres du castellum sans
tre signal. Cest dailleurs de ce ct quon prvoyait les
attaques, puisque louvrage est soigneusement fortifi vers
le Sud.
Du poste-vigie il reste trop peu de chose pour que lon
puisse dterminer quels taient ses moyens de dfense, mais
ses dimensions font penser quil nabritait quune petite trou-
pe, charge seulement de fournir et de relever le veilleur per-
manent. On communiquait avec le castellum la rigueur par
la voix, mais plus srement par des signaux.
A un kilomtre au Nord existe, dautre part, un ouvrage,
signal depuis longtemps(1), qui a donn lieu diverses sup-
positions. Depuis que Blanchet et le commandant Donau en
ont fait un examen approfondi, il ne semble plus possible de
garder de doutes sur sa nature ; ctait un morceau de la fron-
tire, comme celui dont il a t question plus haut.
Il consiste en une muraille double dun foss, de 17 ki-
lomtres de longueur, qui court des sommets du Djebel-Teba-
ga jusquaux contreforts occidentaux du Djebel-Melabb, dans
le massif des Matmatas. Il ne faudrait pas croire pourtant que
____________________
(1) Cf. : Tissot, Gogr. de lAfrique, II, p. 690 ; La Blanchere, ibid., p.
820 : Notice descriptive des Itinraires de la Tunisie (rgion sud), p. 79 ; P.
Blanchet, Arch. des missions, IX, 1899, p. 147, avec figure insre dans le
texte.
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 547

cette muraille ft en gros blocs la faon dune fortification


soigne. Ce nest pas un mur bti, mais seulement une le-
ve de terre , dit M. Donau(1). Dans toute sa partie mridio-
nale en particulier, un simple foss a t creus et les dblais
rejets vers lEst, cest--dire du ct de Gabs, lorsquils
ne comprenaient que du sable ; dans les terrains rocheux, au
contraire, les pierres fournies par la fouille taient disposes
de faon former un mur en pierres sches, naturellement
fort irrgulier, comme le trac lui-mme. Le temps a partiel-
lement combl le foss et cras le mur ; aussi, en beaucoup
dendroits, natteint-il plus que 0 m, 5o 0 m, 60. Sa hauteur
primitive pouvait tre de 1 m, 20 1 m, 50.
cheval sur ce foss-limite se voit une construction
dont M. le commandant Donau, aprs lavoir fouille, donne
la description suivante :
Elle avait la forme dun rectangle de 11 mtres sur 5 m,
25, coup en deux par un couloir, large de 3 m, 25, qui ne
parat pas avoir t muni ses extrmits de moyens de fer-
meture.
Les gros murs, bien btis sur leur face extrieure, sont
forms dassises rgulires denviron 0 m, 30 de hauteur ;
ceux qui limitent le couloir central ne comprennent que des
moellons et sont interrompus vers leur milieu, pour donner
accs dans chacune des deux pices que comprenait linstal-
lation. Toutes ces maonneries sont intactes jusqu 1 m, 80
de hauteur, parfois 2 mtres ; pas de trace de fentre ni cr-
neau. Le couloir central se prolonge, en slargissant, par des
alignements de blocs bruts, jusqu une enceinte constitue
par le mme procd, et formant, tout autour de lhabitation,
un terre-plein de 5 6 mtres de largeur. Cest cette plate-
forme quau Nord comme au Sud sattache la clausura.
____________________
(1) Bull. arch. du Comit, 1905, p. 472.
548 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Le couloir a donc exactement laspect dune route, avec


guichet de page, le foss et la leve de terre de la clausura
empchant la circulation dans la plaine. La construction ne
peut gure remonter plus haut que la fin du IIe sicle ou le
dbut du IIIe sicle(1).
En rsum, cet ensemble si caractristique de la Benia-
Ceder, ce foss, cette leve de pierres ou de terre dfendue
par un ouvrage fortifi est tout fait analogue ce que nous
connaissons par ailleurs du limes imperii dans dautres parties
de lEmpire, en Germanie par exemple, et sur les confins danu-
biens(2) : cest le mme systme de sparation matrielle entre
le monde romain et le monde barbare ; cest, comme le foss
de lOued-Djedi, qui sera mentionn plus bas, la confirmation
dun passage bien connu du Code Thodosien(3) : Terrarum spa-
tia quae gentilibus propter curam munitionemque limitis atque
fossati antiquorum humana fuerant provisione concessa(4).
De Benia-Ceder Telmin, le Tebaga formait une frontire
naturelle ; il suffisait de garder les points o un passage pouvait
souvrir aux envahisseurs. M. le commandant Donau(5) a signa-
l sur le parcours du limes, en allant de lEst lOuest, quelques
fortins : Henchir Guedah-el-Baguel, Henchir-Chebib, Hen-
chir Guedah-el-Oudad, Henchir-Remtia, Henchir-el-Esnam,
Henchir-Zazia. Ils sont tous de petite dimension, leurs cts
mesurent t o mtres en moyenne. Celui de Remtia a t fouill.
____________________
(1) M. Donau (loc. cit., p. 474) a constat que le poste a t tabli sur
lemplacement et avec les dbris de matriaux provenant dun mausole ;
sous les fondements mmes on a trouv une lampe queue fore avec la
marque Augendi (Catalogue du Muse Alaoui, suppl. K, p. 204, n. 979).
(2) Cf. larticle Limes imperii du Dict. des antiq. de Saglio III, p. 1255
et suiv.
(3) Cod. Theod., VIII, 15, 1.
(4) il faut noter que les indignes donnent louvrage le nom de Had-
dou, cest--dire la limite .
(5) Bull. arch. du Comit, 1903, p. 308 et suiv.
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 549

Il a la forme dun carr presque parfait (11 m, 60 X 11 m, 75).


Autour de la construction, le sol avait t aplani dans un rayon
de 10 mtres, au niveau du couloir dentre, et les dblais, re-
ports cette distance, formaient une leve de terre limitant
ainsi une esplanade.
Sur la face du Sud, un couloir de 1 m, 44 douverture et
de 2 mtres de long aboutissait la porte A, donnant seule ac-
cs lintrieur, et dont les montants et le seuil sont encore en

place ; dfaut de la hauteur inconnue de cette porte, sa lar-


geur, de moins dun mtre, indique quelle ntait pas destine
des cavaliers, mais pouvait cependant tre franchie par des
animaux de selle ou de trait ; elle souvrait vers lintrieur, en
pivotant sur un axe vertical adhrent la porte, et dont le lo-
gement infrieur est creus dans le seuil, systme primitif de
550 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

fermeture qui est rest en usage chez les indignes ; une


rainure galement taille dans la pierre du seuil et aboutis-
sant au logement du pivot permet, en linclinant, de mettre
la porte en place et de la dcrocher en cas de besoin ; des
loquets horizontaux, dont on voit encore les logements, as-
suraient la fixit de la porte, dont la rsistance une pous-
se extrieure tait garantie par de solides barres de fer ; de
nombreux morceaux de ces dernires ont t retrouvs sur
le seuil mme.
Une fois la porte franchie, on se trouvait dans une cour
de forme rectangulaire sur laquelle souvraient les diverses
chambres. A droite, une porte b munie des mmes moyens
de fermeture que la porte A, mais un peu plus troite, donnait
accs dans la chambre B. Se fermant de lintrieur, elle se
composait de quatre planches verticales, mal menuises, dont
le frottement sur le sol a produit des stries trs nettes, attes-
tant un long usage. Dans le coin nord-est de cette chambre
de 3 m, 70 sur 3 m, 85, le sol est surlev sur une superficie
cimente de 1 m, 60 sur 1 m, 50, dont les bords sont eux-m-
mes en saillie : lit de camp un peu court, fond de rservoir, ou
simplement table destine placer des provisions labri de
lhumidit.
La cour centrale tait double vers la droite dun cou-
loir long et troit sur lequel souvrait la chambre D, intres-
sante seulement par lexistence de la partie infrieure dune
fentre prenant jour sur le couloir.
Les extrmits nord et sud de ce dernier servaient de
cuisine, en juger par les matires animales trouves la sur-
face du sol ancien. Dans la chambre H communiquant avec
la cour par une baie, les cendres de vgtaux (bois, graines de
bl, etc.) sont nombreuses ainsi que dans la chambre C, dont
le sol tait recouvert dune sorte de fumier, et dans la cour
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 551

centrale o lon a de plus trouv des dbris de fer, des clous,


un lingot de plomb mlang de sable, et des dbris de plan-
ches paraissant provenir de troncs de palmiers. Dans les
murs C, les moellons calcaires sont remplacs par de larges
briques de pltre semblables celles que les indignes ont
longtemps employes, et quils appellent gleb ; fabriques
sur place, elles ne portent pas dempreinte spciale ni de
marque, mais quelquefois un demi-cercle ou un ovale trac
par le doigt.
Dans les parties du fortin dcrites plus haut, rien nin-
dique sil possdait, ou non, un tage ; dans langle sud-ouest,
au contraire, on voit nettement lexistence dun rez-de-chaus-
se surlev, sous lequel, au niveau de la cour, rgnait un cel-
lier ou un magasin. Les murs extrieurs et le pilier P suppor-
taient, 1 mtre ou 1 m, 40 au-dessus de terre, des solives sur
lesquelles sappuyait le plancher ou un carrelage en briques
de pltre.
A quelque distance de la construction fortifie, on a d-
couvert une grande citerne qui pouvait contenir prs de 350
mtres cubes ; elle recueillait les eaux de pluie des terrains
voisins. De forme elliptique, elle mesure 10 m, 80 sur le grand
axe ; elle est profonde de 5 mtres.
Avec la Turris Tamalleni se termine, lOuest, le limes
tripolitain. Tissot la place lendroit nomm El-Soma, 6 ou
7 milles louest de Telmin, vers le chott. MM. Donau et Le
Buf sont dun avis diffrent. Suivant eux, Turris Tamalleni
rpond lensemble des villages Rabta, Mansourah, Djedida,
dissmins dans loasis de Telmin, et qui faisaient certaine-
ment partie autrefois dun seul groupement(1). Le castellum lui-
mme se trouvait dans un grand espace nu aujourdhui, connu
dans le pays sous le nom caractristique de Thorra et qui
____________________
(1) Bull. arch. du Comit, 1903, p. 290 et 297.
552 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

borde la principale source de loasis lAn-Rerig ; l existait,


a larrive des colonnes franaises, une caserne de Zouaoua,
dont les ruines furent utilises comme prison jusquen 1890 ;
elle tait entirement btie en pierres romaines de grand ap-
pareil, dailleurs fort mal assembles. La question, dailleurs,
noffre pas grande importance, toute trace du fortin qui consti-
tuait autrefois la turris de Tamallen ayant disparu, et lidenti-
fication de la localit tant certaine.

A la fin du IIe sicle et au dbut du IIIe, la frontire qui


vient dtre dcrite parut insuffisante, ou du moins on jugea
le moment venu de savancer dans lintrieur et de dtacher
de cette ligne une suite de postes avancs quon tablit au
cur mme du pays : par l on assura la tranquillit des villes
de la cte, en portant en avant le centre de rsistance aux in-
vasions, en mme temps que la scurit des communications
entre les oasis quon se dcidait occuper et les villes du lit-
toral auxquelles elles se reliaient naturellement. Ces oasis ont
t, de tout temps, le point de passage des caravanes qui se
rendaient aux ports de Tripolitaine avec les marchandises de
lAfrique centrale. Mommsen fait fort justement remarquer
que le petit dtachement lgionnaire qui, daprs les tmoi-
gnages pigraphiques, tait envoy sur ces points reculs, ne
pouvait tre que le noyau de la garnison, et que celle-ci devait
tre compose de contingents plus considrables fournis par
les provinces soumises. Le centurion, chef de la vexillation
lgionnaire campe en ces endroits, y jouait le mme rle que
nos officiers de bureaux arabes disposs dans lextrme Sud
algrien.
On a retrouv la trace de cette occupation militaire vers
lEst, dans trois oasis : Ghadams (Cidamus), Gharia-el-Ghar-
bia et Bondjem.
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 553

A Ghadams, Duveyrier a relev une inscription, datant


du rgne de Svre-Alexandre(1) ; elle nous apprend que le
dtachement envoy sur ce point y construisit un ouvrage for-
tifi. Duveyrier a bien voulu me dire que ce texte avait t
trouv dans les fondations dun difice romain, 200 mtres
au nord des ruines connues sous le nom d El-Esnam .
Ldifice est ras et de forme peu distincte ; il est probable
nanmoins que ctait l la construction dont il est question
dans le texte(2).
Une inscription tout fait analogue a t dcouverte
Gharia-el-Gharbia par le docteur Barth ; l encore, sous Sv-
re-Alexandre, on leva une fortification pour abriter les quel-
ques lgionnaires camps dans le pays. Barth en a donn une
description prcise avec plan et dessin(3). La porte dentre, qui
subsiste seule aujourdhui, se compose, parat-il, de trois ar-
ceaux en plein centre, flanqus, droite et gauche, de tours

pans coups, comme celles qui gardaient la porte orientale


du camp de Lambse. Les dcombres et le sable ont presque
entirement ferm les ouvertures des trois arceaux ; la partie
suprieure seule sort de terre une certaine hauteur. La porte
centrale, plus leve que les autres, ainsi quon peut le voir par
le dessin reproduit ci-aprs, tait surmonte dune couronne
____________________
(1) C. I. L., VIII, 10990.
(2) Cf. Duveyrier, Les Touaregs du Nord, p. 252 et suiv. M. Per-
vinquire, qui, au cours dune tourne gologique, a examin les lieux r-
cemment avec M. le commandant Donau : est, cet gard, beaucoup moins
affirmatif.
(3) Travels and discoveries in North and Central Africa, l, p. 127 et-
suiv. ; cf. C. I. L., VIII, 3 et 4.
554 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

dans laquelle on lit, suivant Barth : PRO AFR ILL(1), ce qui


na pas de sens. Celle de droite portait un bas-relief indistinct,
o se voient un char et un personnage qui le suit : cest peut-

tre un triomphe. Sur celle de gauche, on remarque deux


aigles, les ailes dployes, de chaque ct dune couronne et
accosts de deux Victoires tenant galement une couronne
la main.
La reprsentation que Barth en a insre dans son livre,
bien quinsuffisante pour les dtails, donne nanmoins une
ide de ltat du monument.
Linscription dont il a t question plus haut, et qui est
aujourdhui encastre dans une tour arabe du voisinage, figu-
rait sans doute autrefois au-dessus de la couronne de larceau
central.
____________________
(1) On se rappellera quau prtoire de Lambse, sur une enseigne et
peut-tre dans des couronnes, on avait grav les trois mots : LEG III AVG
On peut se demander si ce ntaient pas aussi l les lettres traces sur la mu-
raille de Gharia. Barth aurait, en ce cas, interverti lordre. des deux dernires
lignes.
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 555

Le reste de la fortification a compltement disparu sous


les sables ou a t employ par les indignes la construc-
tion du village voisin. Le seul autre monument antique qui
subsiste est une citerne, place langle nord-ouest de la mu-
raille, en dehors de la porte, prs du versant de la rivire, fort
escarp en cet endroit. Les dimensions en sont de 20 mtres
de long sur 27 de large. (Peut-tre, ajoute Barth, la fortifi-
cation na-t-elle jamais t acheve ; car laspect des pierres
intrieurement semble prouver que la porte na pas reu tous
les ornements quon se proposait dy sculpter.
A 20 kilomtres environ lest de ce point, lendroit
nomm Gharia-el-Cherkia, est une autre forteresse, analogue,
parat-il, celle-ci, qui tait destine dfendre une route
voisine conduisant vers Tripoli. Barth ne la pas visite lui-
mme et nen a signal lexistence que sur le rapport de ses
domestiques(1).
Plus lEst encore, dans loasis de Bondjem, existe une
fortification qui remonte au rgne de Septime-Svre. Le ca-
pitaine Lyon la vue le premier et en a donn un dessin et une
courte description(2), Duveyrier, qui a visit le pays son tour,
en 1861, en a lev le plan au pas et la boussole. Il a bien
voulu me le communiquer et mautoriser linsrer dans ce
travail ; cest lui aussi que sont dus en grande partie les ren-
seignements qui suivent.
Cette fortification, qui mesure 144 mtres environ sur 91,
est situe 1,400 mtres du village de Boudjem, vers lEst ;
elle slve sur un plan inclin du Sud-Sud-Ouest au Nord-
Nord-Est, la diffrence de niveau entre le terrain o est tabli le
mur suprieur et celui du mur infrieur tant de 4 mtres. Les
____________________
(1) Op. cit., p. 132 et 133.
(2) Travels in Northern Africa, p. 65.
556 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

quatre portes sont bties en grosses pierres de taille jusqu


la hauteur de 4 mtres ; la partie suprieure est construite de
petites pierres jointes avec du ciment, ce qui peut fort bien,
comme la suppos Lyon, tre le fait de rparations postrieu-
res. Toutes ces portes taient cintres: celle du Nord tait sur-
monte dune inscription que le capitaine Lyon a vue autre-

fois(1), mais qui aujourdhui est tombe et a t ensevelie sous


les sables ; au-dessous figurait un aigle, les ailes ployes.
La porte occidentale est dmolie ; Duveyrier y a dterr une
pierre de taille longue de 2 mtres, avec une inscription en-
tirement semblable celle que lon avait releve la porte
orientale(2). On remarquera que les tours qui dfendaient les
entres sont, cette fois encore, pans coups.
Duveyrier ne croit pas que les murs de la forteresse fus-
sent btis en gros matriaux. Intrieurement, elle tait divise
en quatre parties par les deux grandes voies, se coupant angles
droits, qui sont communes tous les camps. A leur intersec-
____________________
(1) C. I. L., VIII, 6. Ce texte, qui rappelle la construction du camp,
remonte lan 201.
(2) Ibid., 10992.
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 557

tion, qui est lemplacement ordinaire du prtoire, quand il y a


une agglomration de troupes considrable, il semble y avoir
eu une construction assez importante, marque aujourdhui
encore par des pans de mur. et l on remarque les restes de
btisses boules et, vers le Nord, prs de lenceinte, un puits
en pierres de taille.
Au sud du camp tait le cimetire. M. Duveyrier ny a,
malheureusement, pas trouv dpitaphes, ce qui nous aurait
instruits sur la nature de la garnison ; il a remarqu seulement
que la plupart des tombes taient leves en petits matriaux,
procd assez usit dans certaines parties de lAfrique, et sur-
tout dans la Tunisie mridionale.
Il est certain que toutes les pistes suivies par les caravanes
taient ainsi gardes par des forteresses ; et cela non seulement
la limite extrme o elles quittaient le grand dsert pour p-
ntrer dans la rgion des oasis, mais et l sur leur parcours
et spcialement aux points deau qui sont forcment des points
de passage. Ainsi, la route qui de Gharia-el-Gharbia gagnait la
cte Tripoli et qui franchissait le limes Vinaza (Djendou-
ba(1) passait Mizda, o lon a trouv un milliaire au nom de
Caracalla(2), et rencontrait, avant darriver la frontire, deux
fortins situs, lun 33 kilomtres, lautre 15 kilomtres en
avant. Le premier, celui de Skiffa, tait bti en petites pierres
trs rgulires ; il est encore debout dans toute sa hauteur ; les
faces du Nord et du Sud mesurent 10 mtres, les autres 5 m-
tres seulement. Les angles sont arrondis. Les grandes faces sont
perces au centre de deux portes votes(3). Le fort de Medina-
Regada, qui se dressait au centre dune plaine strile, parat
avoir t beaucoup plus important ; on y distingue encore une
____________________
(1) Voir plus haut, p. 527.
(2) Bull. arch. Du Comit, 1905, p. 363.
(3) Mehier de Mathuisieulx, Nouv. Arch. Des Missions, XII, 1904, p. 18.
558 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

enceinte carre, mesurant 40 mtres de ct, construite en


pierres de taille normes(1).
Le fortin dOuams, signal pareillement(2), louest de
Mizda, dans la valle de lOued-Soffedjin, gardait de son ct
un embranchement de la mme piste dirig vers Zentan.
La route de caravanes qui de Ghadams remontait vers
le massif des Matmatas pour atteindre le littoral Gabs ou
aux environs tait barre, une certaine distance en avant du
limes, par le poste de Siaoun(3). Au temps de Septime-Svre,
en 197, le lgat Q. Anicius Faustus y avait tabli un praesi-
dium et lavait fait occuper par une cohorte et un numerus(4).
A ce mme systme de forts dtachs en avant du limes
pour surveiller les routes daccs appartient encore le castel-
lum de Tisavar (Ksar-Ghelane) qui, lui, remonte lpoque de
Commode(5). La description et le plan que jen avais donns
daprs M. le gnral Lachouque, dans la premire dition de
ce livre, ont t complts par M. le lieutenant Gombeaud, qui
a compltement fouill ldifice. Le poste, crit-il(6), mesure
40 mtres sur 30 mtres ; les murs devaient avoir une hauteur
de 4 mtres environ. Le rectangle, arrondi aux quatre angles,
regarde lEst. La porte dentre est construite en pierres de
taille et vote en plein cintre ; elle a 3 mtres de hauteur ;
deux glissires verticales permettent de la fermer laide dune
herse. En arrire de la porte souvrait un couloir de mme lar-
geur, long de 7 mtres, ferm en son milieu par une porte en
____________________
(1) Nouv. Arch. des Missions, loc. cit.
(2) Ibid., XIII, 2e fascic., p. 89 (avec plan).
(3) Cf. Bull. archolog. du Comit, 1907, p. 104 et 1903, p. 396.
(4) Ann. pigr., 1909, 104 ; cf. Merlin, Comptes rendus de lAcad. des
Inscr., 1909, p. 98 : Q. Anicius Faustus cos. de(signatus) praesidium poni
jussit sub cura Aemili Emeriti dec. al. praepositi coh. II FI. Afr. et n. col.
(5) C. I. L., VIII, 11048.
(6) Bull. arch. du Comit, 1901, p. 81 et suiv.
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 559
560 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

bois deux battants, ainsi que le tmoignent deux trous creu-


ss dans la pierre aux extrmits du seuil Si, aprs tre sorti
du couloir dentre, on tourne gauche, on passe successive-
ment devant chacune des vingt chambres dont lemplacement
et les dimensions sont indiqus sur le plan Les escaliers
donnant accs sur les terrasses taient trs troits Cest
dans lensemble des pices a, b, c, d qua t construit, dans
la suite de loccupation, le rservoir R : il avait une conte-
nance dun peu plus de 2,000 litres, ce qui est bien peu, quand
on pense que le castellum comprenait plus de vingt chambres
habitables. Nous supposons que ce rservoir tait, jours
fixes, rempli par une corve qui prenait leau au puits voisin ;
cette eau servait ainsi pendant quelques jours aux besoins des
occupants, sans quils fussent chaque instant obligs daller
200 ou 300 mtres chercher, au pied de la colline, leau qui
leur tait utile.
Le centre du fortin tait occup par un rduit de 12 m, 60
sur 7 m, 40. Les angles sont exclusivement btis en normes
pierres de taille. Le btiment comportait sans doute un tage.
La porte, ouvrant au midi par une baie de 2 mtres, tait for-
me, semble-t-il, de planches relies par trois fortes traver-
ses horizontales ; les logements de ces traverses mnages
dans la pierre des montants permettaient douvrir complte-
ment la porte . Ldifice se compose de trois pices B, C, D,
donnant sur une cour, A. La pice E, qui ntait quadosse au
btiment, constituait une chapelle ; la porte en tait surmon-
te dune ddicace Jupiter et la Victoire(1). Ce ntait point,
dailleurs, le seul sanctuaire tabli Ksar-Ghelane. Trois
constructions ont t trouves en dehors du castellum, une
certaine distance.
____________________
(1) C. I. L., VIII, 22760.
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 561

Ces constructions ntaient pas couvertes et la hauteur de


leurs murs ne dpassait pas 1 m, 60. Des niches taient mna-
ges lintrieur. Dans lune dentre elles, qui tait complte-
ment ensevelie sous le sable, a t dcouvert un autel portant
une inscription ddie au gnie de la localit, Tisavar(1). On a
recueilli en outre les fragments de huit autels semblables, ou
peu prs semblables, au prcdent.
Enfin, une dizaine de mtres lest du fortin, existait
un petit rduit de 9 mtres carrs, peut-tre une curie. Plus
loin, en face de la porte du castellum, se trouvait une s-
rie de petites chambres dont la longueur variait de 1 m, 30
1 m,90, places dans le prolongement les unes des autres,
sans cependant communiquer entre elles : ces pices, gros-
sirement bties, souvraient toutes vers le castellum ; elles
servaient peut-tre la fois de bergeries, dcuries et de pre-
mire ligne de dfense.
Dans le triangle que forme le confluent de lOued-Le-
guen, dont la valle donne accs Bir-Zoumit, et lOued-
oum-Chia, que commande Henchir-Khanefi, on voit les restes
dun castellum construit en grand appareil, situ mi-route
du piton de Mergueb-ed -Diab et du puits de Sidi-Moham-
med-ben-Assa(2). Dans les ruines ont t trouves deux ins-
criptions(3). La premire fait connatre que le castellum fut
construit lpoque de Septime-Svre et de Caracalla par
une vexillation de la lgion Auguste ; la seconde est un ex-
voto Minerve de loption Julius Zeno : il est dat du nom
des mmes empereurs.
Il serait fastidieux de citer ici tous les petits postes for-
tifis que les officiers du Sud tunisien ont nots au cours de
____________________
(1) C. I. L., VIII, 22750.
(2) Sur ces ruines, voir Donau, Bull. arch. du Comit, 1903, p. 325 et
368 ; 1909, p. 35 et suiv.
(3) Ann. pigr., 1909, p. 151 et 152.
562 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

leurs excursions au sud des Chotts ; nous avons mentionn


les principaux.
Les dates quil est permis dattribuer chacun dentre
eux sont trs instructives. De leur rapprochement il ressort
que, autant quon peut le savoir aujourdhui, ce serait Com-
mode quil faudrait faire remonter lorigine de ce systme de
postes avancs, jets le long des routes sahariennes, en Tri-
politaine ; le premier, il aurait senti la ncessit de ces forts
destins assurer les communications travers des territoi-
res toujours insoumis. Septime-Svre, qui eut, au dire de
son biographe(1), chtier svrement les tribus belliqueu-
ses du pays, continua luvre de son prdcesseur ; Svre-
Alexandre la complta en la dveloppant et en plongeant plus
avant dans le dsert ; cest son nom quon lisait au-dessus de
la porte des camps de Ghadams et de Gharia-el-Garbia ; les
ddicaces de Siaoun et de Sidi-Mohammed-ben-Assa et la
borne milliaire de Mizda remontent Septime-Svre et
ses fils.
Ce formidable ensemble de fortifications ne suffisait pas,
semble-t-il, prserver le massif des Matmatas de toute agi-
tation, dautant plus que le pays contenait sans doute en lui-
mme des lments de dsordre quil importait de surveiller.
Il avait donc t jug ncessaire dtablir sur quelques points
bien choisis des postes dobservation et de dfense. Deux de
ces places fortes ont t tudies : Henchir-el-Miad et Hen-
chir-Ras-Oued- el-Gordab.
Henchir-el-Miad(2) est situ 5 kilomtres au nord de
Sidi-Guenaou, sur la route qui, passant par Benia-Ceder, se
dirigeait vers Gabs. Cest un castellum de grand appareil
avec bastions dangle et demi-bastions sur les faces. Il avait
____________________
(1) Vita Severi, 18.
(2) Bull. arch. du Comit, 1903, p. 304 et 334.
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 563

environ 40 mtres de ct ; soigneusement construit et bas-


tionn, il tait en outre protg, 30 mtres de ses faces, par
un foss et une leve de terre. On voit encore debout, sur une
hauteur de 6 mtres environ et surmont de sa corniche, lan-
gle dun de ses demi-bastions.
Le poste de Ras-Oued-el-Gordab, tabli quelque dis-
tance de celui de Tlalet vers le Nord-Est, surveillait la route
de ce dernier point la cte(1).
Ce poste, crit Gauckler, rsumant les renseignements
reus de M. Moreau, occupe une superficie peu prs gale
celle du camp de Ras-el-An ; mais, tandis que ce dernier ne
comporte quun seul groupe de constructions attenant toutes
une mme enceinte carre, qui mesure 80 mtres de ct,
le castellum de lOued-Gordab se compose de plusieurs b-
timents distincts, indpendants du mur de dfense qui les en-
globe. Ceux-ci forment deux groupes spars, construits des
poques diffrentes, et dont lun a complt, sinon remplac
lautre.
Une voie daccs, large de 4 mtres et taille par endroits
en plein roc, mne, par une pente douce, du fond de la valle
au castellum. La poterne dentre est dfendue par une tour de
guet dont lescalier, tournant angle droit, est conserv jusqu
4 mtres de hauteur avec douze marches bien quarries.
Les deux btiments qui se prsentent dabord, construits
flanc de coteau, paraissent tre les plus anciens. Immdiate-
ment aprs la poterne souvre une sorte de caravansrail avec
cour pour les chariots, curie pour les chevaux, corps de gar-
de pour les hommes, muni dun lit de camp en pierre, comme
dans nos bordjs actuels du Sud. A gauche de ce btiment se
dresse le castellum proprement dit, peu prs carr et repro-
____________________
(1) Tribalet, Bull. arch. du Comit, 1901, p. 287, note I ; Moreau, ibid.,
1904, p. 369 ; Gauckler, ibid., p. 144.
564 ARME ROMAINE DAFRIQUE.
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 565

duisant le plan classique du poste de Tisavar, dont il semble


contemporain (fin du IIe sicle de notre re).
Le second groupe de constructions, plus-rcent, uti-
lise les escarpements du sommet de la colline quil couronne.
Il se compose de trois corps de btiments, disposs en fer
cheval autour dune esplanade centrale : 1 le rduit fortifi
proprement dit, contenant les magasins et le trsor : lentre,
souvrant du ct du ravin, est dun accs difficile ; 2 une se-
conde porte contigu celle du castellum permet de pntrer
dans un pavillon plus confortable que les autres constructions
et qui parat avoir servi dhabitation au chef de poste ; 3
enfin un grand btiment rectangulaire, avec cour, sans doute
couverte, un hangar jouant le rle dcurie et trois couples
de chambres, semble avoir abrit le reste de la garnison du
poste : sous-officiers, hommes et chevaux.
Dautre part, les grands propritaires du pays, du moins
au IVe sicle, ne se sentaient pas assez assurs par la pro-
tection militaire officielle contre les coups daudace des tri-
bus voisines, pour ngliger les prcautions dfensives ; ici,
comme de lautre ct des possessions romaines, en Maur-
tanie, on a dcouvert des demeures seigneuriales fortifies,
o les matres, quand ils y sjournaient, leur personnel, leurs
troupeaux, pouvaient trouver un refuge en cas dalerte, en at-
tendant la venue des troupes impriales. La plus importante
que lon connaisse dune faon certaine est le chteau des
Manilii Henchir-Gueciret(1), en plein cur du massif des
Matmatas.
Ldifice couvre une surface sensiblement carre. Les
dimensions totales de louvrage sont : 18 m, 20 X 18 m, 05.
Son orientation est exactement S.-N. ; chaque face correspond
____________________
(1) De Pontbriand, Bull. archol. du Comit, 1903, p. 384 ; Pricaud,
ibid., 1905, p. 259 et suiv.
566 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

par suite lun des points cardinaux. La piste muletire ac-


tuelle de Matmata Mdenine, par Toujane, passe 30 mtres
environ de la face sud. Une partie du mur extrieur a t d-
truite jusquau niveau des fondations ; elle est reprsente en
clair sur le plan de la page suivante. Lautre partie est encore
debout partiellement, ainsi que tous les murs intrieurs dont
la hauteur varie, dans ltat actuel, de 0 m, 80 2 mtres.
Le mur extrieur a une largeur total de 0 m, 80 ; son
parement extrieur est en pierres de taille de 0 m, 50 dpais-
seur moyenne ; son parement intrieur est en maonnerie or-
dinaire de 0 m, 30 dpaisseur, soit au total 0 m, 80. Les murs
intrieurs ont une paisseur de 0 m, 50. Ils sont construits
avec soin par couches de pierres de petites dimensions, mais
sensiblement gales et places peu prs rgulirement
plein sur joint.
Aprs avoir franchi lentre coude angle droit, on
pntre dans une cour intrieure de 8 m, 90 x 8 m, 10, lon
rencontre sept piliers encore debout qui, vraisemblablement,
supportaient un portique tabli sur trois faces de cette cour
intrieure. Quatre portes permettent laccs des diffrentes
pices de la construction : une sur la face orientale, une sur la
face septentrionale et deux sur la face occidentale.
La petite chambre situe dans langle du nord-est de
la cour navait douverture ni sur la cour, ni sur la pice voi-
sine(1). Par la porte de lEst, de 0 m, 90de largeur, on entre
dans un appartement compos de deux pices communiquant
entre elles par une porte de 1 m, 10 de largeur. Les portes de
la face occidentale de la cour donnent accs dans deux ap-
partements, composs galement de deux pices et dont la
disposition est peu prs identique.
____________________
(1) Gauckler, B. arch. de Com., 1905, p. 264, suppose que ce pourrait
tre une citerne.
FRONTIRE DE TRIPOLITAINE. 567

La porte de communication de ces deux dernires


chambres est reste entirement debout.
Par la porte situe au Nord, dont la largeur est de 0 m,
80, on pntre dans une curie de 12 m, 40 de longueur et de
3 m, 55 de largeur. Cette curie est divise en trois compar-

timents, spars par une ligne de trois mangeoires de 0 m,


80 de hauteur. Chaque mangeoire est taille dans une seule
pierre.
En rsum, louvrage comporte : une cour intrieure,
sept chambres, une curie.
M. le lieutenant Pricaud dit avoir dcouvert, 25 mtres
environ de la face mridionale, prs de la piste muletire de
568 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Matmata Mdenine, une petite excavation avec traces de


maonnerie circulaire ; il estime que la citerne du castellum
se trouve en ce point(1).
Et Gauckler ajoute(2) : La porte de ldifice, projete
en avant de lentre, a t retrouve presque tout entire. Elle
tait cintre, et les claveaux taient orns de figures en bas-re-
lief analogues celles qui couronnaient les entres des deux
castella de lOued-el-Gordab, fouills en 1903 par M. le lieu-
tenant Moreau. Ce sont des sculptures indignes dun art ab-
solument barbare, et intressant par cela mme. Il y avait cinq
figures en tout : au milieu un personnage nu, avec un phallus
norme ; il se tient debout sur la jambe droite, la jambe gau-
che releve et ramene en arrire, comme sil tait en marche.
Il dresse la main droite avec le geste habituel dovation, et
prsente de la main gauche une grande palme. A droite et
gauche se tenaient deux chevaux, puis deux Victoires portant
des couronnes.
Au-dessus de larc cintr se lisait linscription qui nous
rvle le nom des seigneurs du lieu(3) : elle remonte assur-
ment au IVe sicle.
Peut-tre faut-il voir des constructions du mme genre
dans les diffrentes turres que citent les Itinraires Turris ad
Algam, Timezegeri turris, peut-tre mme Turris Tamalleni,
dont il a t question plus haut comme dun poste du limes
tripolitain.
____________________
(1) Bull. arch. du Comit, 1903, p. 261 et suivantes.
(2) Gauckler, ibid., 1905, p. 264.
(3) C. I. L., VIII, 22774 : Maniliorum. In his prediis, M. M(anilius)
Ingenus, v(ir) d(evotissimtis), et Arellia Nepotilla, h(onesta) m(atrona),
uxor ejus, et fili, nepotes, pronepotesque eorum vivant, senescant et meliora
perficiant ; turris perfecta disposition[e] eorundem, per instantia(m) Arelli
Vita[li]s, ser(vi) act(oris) eorum, instruentibus a solo Rufin[o,...] Senecione,
quad(ratario) et sig(natore) amatores domus eorum. Ar(e)l(l)iorum.
FRONTIRE DAFRIQUE. 569

2. FRONTIRE DAFRIQUE.

Au Chott-el-Djerid cesse la Tripolitaine et commence


lAfrique propre, dont la limite militaire se termine, lOuest,
Zraa, englobant la Numidie, qui nest, en ralit, que la zone
frontire de la province dAfrique. Entre les deux chotts, le
Chott-el-Djerid et le Chott-el-Gharsa, qui forment eux seuls
la barrire la plus infranchissable que lon puisse souhaiter
aux incursions des nomades, une langue troite de terre peut
donner passage vers le Nord ; l se trouvent les trois oasis
de Nefta, de Tozeur et de Kriz, qui ont t autrefois des vil-
les romaines dune certaine importance et quil tait ais de
dfendre. Malheureusement pour nous, le sable a tout envahi
aux environs, et les souvenirs de loccupation romaine sur ce
point sont sans doute ensevelis une grande profondeur. Les
quelques restes qui en subsistent noffrent aucun caractre
militaire ; mais des inscriptions prcises nous apprennent que
ces tablissements taient, par excellence, du moins au dbut
de lEmpire, des place de dfense. Elles taient relies Gafsa
par des voies stratgiques, gardes par des postes fortifis. La
route de Capsa la Civitas Nybgeniorum (Telmin), tablie au
temps de Trajan(1), tait surveille, au sortir du Djebel-Asker,
par le fortin nomm Ksar-el-Asker ou Ksar-Bchri(2) ; celle
de Capsa Tozuros, par le castellum Thigensium, qui existait
dj au temps de Domitien(3).
____________________
(1) R. Cagnat, Comptes rendus de lAcad. des Inscr., 1909, p. 571. Cf.
Donau, Bull. arch. du Comit, 1904, p. 350 et suiv. ; 1906, p. 242 et suiv.
(2) Bull. arch. du Comit, 1903, p. 336 : cest un rectangle de 9 10
mtres de ct, de bonne construction en grand appareil.
(3) C. I. L., VIII, 23165:... [Domitiano]...c[os VIIII d]esig. x. p. p. [L.]
Javoleno Prisc[o] leg. Aug. pro pr. civitas Tigens. ; 23166 : Imp. Nerva
Caes. Aug. p. m. tr. p. co[s]. III, Q. Fabio Barbaro Valerio Magno Juliano leg.
570 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Au del du Chott-el-Gharsa, le premier point fortifi connu


aujourdhui est celui de Speculum(1) : ctait, comme son nom
lindique, un poste dobservation ; Duveyrier et, daprs lui,
Tissot le placent 18 minutes au del du village de Chebika,
lendroit nomm Kosseir-ech-Chem(2). Cette opinion nest pas
admise par M. Toutain(3) ; il croit quil tait situ peu prs
lissue mridionale de la gorge par laquelle lOued-Seldja
franchit la chane qui stend de Gafsa Tamaghza ou aux
environs des Aoun-Ammeur . Le second est nomm par la
Table de Peutinger ad Turres ; Tissot a identifi ce point avec
un ensemble de ruines qui existent lextrmit mridionale
des Hauts-Plateaux, au point mme o souvre sur le Sahara
la gorge de Foum-en-Ns, et o, par consquent, les noma-
des devaient ncessairement passer pour remonter par l vers
le Nord ; cet ensemble est compos de quatre gisements dis-
tincts : Midas, Kasr-er-Ghoula, Tamaghza et El-Hanout. Les
seules constructions militaires qui soient restes debout sont
une tour romaine carre, assez bien conserve, sur la monta-
gne qui domine la route, 32 minutes au sud-sud-est de Mi-
das, et une enceinte de 25 mtres sur 18, El-Hanout, qui tait
assise sur la pente rocheuse et dominait le dfil(4).
On arrive ensuite, sans intermdiaire, au fort de Besseriani
(ad Majores). Comme loasis voisine qui porte aujourdhui le
nom de Negrine, il se trouve dans une forte dpression de ter-
rain situe louest du Djebel-Madjour, ainsi appel du nom de
la station antique. Baudot, qui a dcrit cette rgion avec le plus
____________________
Aug. pro pr., castellus Thigensium. (An 97.) La station de Thiges ne doit pas
tre place aux ruines appeles Henchir-Thaedgious, dans loasis de Kriz ; il
faut sans doute la chercher du ct de Gourbata. Cf. C. I. L., p. 2348.
(1) Tab. de Peutinger, V, 3.
(2) Tissot, Gogr. de lAfrique, II, p. 682.
(3) Ml. de lcole de Rome, XV, 1895, p. 204.
(4) Tissot, loc. cit.
FRONTIRE DAFRIQUE. 571

grand soin(1), la prsente comme une large coupure dirige


du Nord-Est au Sud-Est, longue de 3 kilomtres environ et
large, sa partie la moins troite, de 700 800 mtres ; les
berges sont pic de chaque ct. Cette coupure, qui donne
passage du Chott-Melghir dans la rgion de Tbessa, ne pou-
vait point tre laisse sans dfense ; cest pour la garder que
les Romains avaient construit, lendroit o il dbouche dans
la plaine saharienne, la forteresse de Besseriani, aujourdhui
presque entirement ruine.
Celle-ci a la forme dun rectangle allong dans la di-
rection Nord-Sud (170 mtres sur 100) ; sur chacune des faces
souvre une porte ; celles de lEst
et du Sud paraissent avoir t plus
importantes que les autres : ce sont
les seules qui conservent des traces
dinscriptions. La porte de lEst est
debout, bien que dans un tat de
conservation trs imparfait. Quatre
tours formaient les angles de la cita-
delle ; des amas de ruines, des bou-
lements plus considrables sur ces
points semblent faire croire quelles
taient leves. Les murs mesurent
de 80 centimtres 1 mtre dpais-
seur ; ils sont appareills avec le
plus grand soin.
Dans lintrieur de ldifice, on voit des traces assez
nettes de constructions, un aqueduc vot, de 1 m, 20 de hau-
teur avec 20 centimtres dpaisseur la clef, parat le traver-
ser du Nord au Sud ; il est bti en ciment et en petits mat-
riaux et devait sans doute amener les eaux des sources de la
____________________
(1) Rec. de Constantine, XVII, 1875, p. 111 et suiv.
572 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

montagne. Le sol de la citadelle slve au-dessus de la plaine


environnante de 50 60 mtres.
La porte de lEst, la seule qui existe encore, est une
vote ronde, basse, forme de voussoirs normes, taills trs
exactement et poss simplement les uns sur les autres, sans
interposition de ciment. Elle na pas de pieds-droits : le plan
de naissance est au niveau du sol, 3 m, 50 au-dessous de la
clef(1). Les inscriptions qui ont pu tre releves, malgr leur
tat de mutilation, devant la porte de lEst et devant celle du
Sud, nous apprennent que cette fortification est luvre de
Trajan et remonte lanne 104(2). Jai reproduit la page
prcdente le plan de Baudot, en le limitant lenceinte de la
forteresse(3).
Le passage que IOued-Djerech ouvre vers le Nord ne
pouvait gure tre laiss sans surveillance ; il tait sans dou-
te confi la garde des garnisons de ad Majores ou de ad
Medias. La route du limes se dirigeait ensuite dans la direc-
tion de lEst vers le poste dad Medias. Autant quil nous
a paru, dit M. le gnral de Torcy(4), cette route, pour bor-
de quelle ait t de bornes milliaires, na jamais d tre,
pas plus quaujourdhui, une chausse entretenue et tablie
daprs le type classique. Trace en ligne assez sensiblement
droite travers le Sahara septentrional qui, dans cette partie,
est une plaine nue si compltement unie, que les cours deau
descendant vers les chotts changent frquemment de lit, elle
____________________
(1) Rec. de Constantine, loc. cit.
(2) C. I. L., VIII, 2478, 2479, 17969, 17671. Cf., sur cette ruine, Mas-
queray (Revue africaine, XXIII, p. 73 et 74 ; De monte Aurasio, p. 29).
(3) Rec. de Constantine, XVII, 1875, pI. XV. Il ne saurait tre question
ici de lenceinte mme qui entourait la ville et qui, daprs la description qui
en a t donne par Baudot (loc. cit.), ne peut tre que byzantine.
(4) Pour la voie romaine qui suivait la frontire de Besseriani Biskra,
jutilise une srie de notes que M. le gnral de Torcy, la suite dune exploration
personnelle, a publies dans le Recueil de Constantine, XLIV, 1910, p. 1 et suiv.
FRONTIRE DAFRIQUE. 573

a d tre une simple piste de caravanes, seulement jalonne


de puits et de postes.
Lad Medias de la Table correspond la ruine actuelle
de Taddert, loigne de Besseriani de 25 kilomtres. M. le
gnral de Torcy a relev sur le sol lemplacement de deux
enceintes formes de murs dune paisseur de 0 m, 80. La
plus petite des enceintes, situe lOuest, et qui forme un
carr rgulier de 50 mtres de ct, contient un puits romain,
encore utilis ; la plus grande, qui mesure 55 mtres sur 50,
avec une porte de 2 mtres de largeur sur le ct Sud, est
250 mtres environ lest de la prcdente(1).
Le poste le plus voisin de ad Medias que signalent les
Itinraires, comme aussi ceux qui ont visit le pays, est celui
de Badis, le Badias de la Table de Peutinger(2). Cette place
tait situe au dbouch de lOued-el-Arab, par le Khanguet-
el-Nadji, ligne importante qui donne accs dans le Tell et que
lon garde de nos jours en occupant la position de Zeribet-
el-Oued(3). ElBekri(4) dit que cette ville se composait de deux
forteresses : lune est encore visible ou, du moins, tait visi-
ble au temps de Ragot, flanque de tours cylindriques ; lautre
devait se trouver, daprs lui, au petit village de Ksar, que les
indignes nomment encore Ksar-Romana . Mais ce qui
prouve, mieux que les quelques restes subsistants de la forti-
fication antique, limportance de la position, cest que la loca-
lit tait alimente par une longue et importante conduite, r-
cemment dcouverte, qui amenait de Khanga-Sidi-Nadji, en
passant par Liana et El-Ksar, les eaux de lOued-el-Arab(5).
____________________
(1) Cf. Ragot, Rec. de Constantine, XVI, 1873-1874, p. 298.
(2) Tab. de Peutinger, IV, 3.
(3) Masqueray, De monte Aurasio, p. 30 et suiv. ; Ragot, loc. cit., p.
294 et suiv. Cet tablissement existait encore au bas Empire.
(4) Description de lAfrique septentrionale (trad. de Slane), p. 175.
(5) Gnral de Torcy, loc. cit., p. 20.
574 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

La valle de lOued-Cder tait garde par Henchir-


Rouaga, celle de lOued-el-Haguef par Henchir-el-Bardou,
poste sans importance ct du prcdent et du suivant,
auquel les Itinraires donnent le nom de Thabudeos(1).
Celui-ci, quon identifie Thouda(2), tait tabli au d-
bouch de lOued-el-Abiod, qui arrose le centre des Aurs et
qui tait, lpoque romaine, un passage assez frquent. L.
Renier, qui a visit ce point en 1851, ny a vu que des fts de
colonnes trs grands et des thermes, mais point de traces de
construction militaire ; il supposait que les pierres de lta-
blissement romain avaient t utilises pour la construction de
la ville de Sidi-Okba, et que celles qui sont restes en place
avaient t peu peu ensevelies sous le sable. A dfaut dautres
arguments, on peut rappeler, pour tablir le caractre militaire
de cet tablissement, une inscription qui provient sans doute
de cette ruine, do elle a t transporte dans loasis de Sidi-
Okba. Elle contient le nom dun prfet de cohorte, M. Messius
Messor, qui se qualifie seulement de praefectus cohortis(3) ;
sil ne sagissait pas de la cohorte campe Thouda, il naurait
pas manqu de prciser le nom du corps de troupes auquel il
appartenait. Cest ce que L. Renier a dj fait remarquer(4).
Biskra, quil nous faut mentionner ensuite, et dont le nom
antique est Bescera ou Vescera, le terme ad Piscinam que ci-
tent les Itinraires vient dune piscine btie autour dune source
deau sulfureuse, dans le voisinage(5), constituait aussi un
poste militaire ; il barrait lentre de la valle de lOued-Abdi,
qui descend du mont Mehmel, dans le pt des Aurs. Sur la
rive gauche de la rivire slevait la ville romaine ; sur la rive
____________________
(1) Tab. de Peutinger, IV, 3.
(2) Ragot, loc. cit., p. 292.
(3) C. I. L., VIII, 2483. Conf. p. 1720.
(4) Archives des Missions scientifiques, 1851, p. 453
(5) Renier, ibid. ; C. I. L., VIII, p. 276.
FRONTIRE DAFRIQUE. 575

droite, la forteresse dont on a retrouv quelques restes, no-


tamment un puits de 20 mtres de profondeur(1). Masqueray
rappel fort propos que, actuellement encore, Biskra est le
point de dpart de toute colonne qui veut envahir lAurs par
lextrmit sud-ouest(2). Un texte pigraphique qui passe pour
avoir t trouv Biskra nous apprend que la garnison tait
fournie, au dbut du IIIe sicle, par le numerus Palmyreno-
rum camp El-Kantara.
La rivire de Biskra ouvre un passage travers les der-
nires pentes occidentales de lAurs, par le col de Sfa ; cest
par l que passait la route antique qui menait de Lambse
Biskra, par l que passe galement la route moderne ; on ne
peut franchir par ailleurs la montagne. Cette route tait gar-
de par toute une srie de postes fortifis qui avaient pour
mission non seulement de fermer le passage aux invasions
du Sud, mais aussi de contenir les tribus insoumises qui habi-
taient lEst lAurs, lOuest le Zab. Le rapprochement de
tous ces tablissements parfaitement connus montre combien
la pacification du pays tait prcaire et combien il tait utile
de se tenir toujours en garde contre le caractre remuant des
habitants. Ce sont, en commenant par le Sud :
El-Outaa. On ne signale pas, sur ce point, de restes de
constructions militaires, mais Renier y a relev une inscription
de laquelle il rsulte que lendroit a t occup, la fin du IIe
sicle, par la cohorte des Commagniens, un des auxiliaires
connus de la lgion IIIe Auguste(3). Le fait mme quil y avait
El-Outaa un amphithtre, et que cet amphithtre tait assez
____________________
(1) Ragot, loc. cit., p. 278.
(2) De monte Aurasio, p. 35.
(3) C. I. L., VIII, 2488 : Imp. Caes. M. Aurelius Antoninus et L. Aure-
lius Commodus Aug. Germanici Sarmatici fortissimi amphiteatrum vetustate
corruptum a solo restituerunt per coh. VI Commag(enorum), A. Julio Pompi-
lio Pisone Laevillo leg. Aug. pr. pr., curante Aelio Sereno praef. (177/180).
576 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

ancien dj pour avoir besoin de rparations sous le rgne


de Marc-Aurle, nous prouve que le poste existait depuis de
longues annes ; cest un de ceux qui ont d tre tablis le
jour o lon songea entourer lAurs dune petite ceinture
de garnisons destines lisoler du reste du pays. Il est bien
vident, dailleurs, que cet amphithtre servait, surtout au
IIe sicle, bien plus au plaisir des soldats qu celui des rares
habitants dEl-Outaa ; ici, comme Lambse, les troupes ont
travaill pour elles plutt que pour les indignes ou les four-
nisseurs qui les accompagnaient.
Ksar-Sidi-el-Hadj. Ctait la station dAquae Hercu-
lius(1). Le nom moderne de cette ruine, autant et mieux que les
murs denceinte quon y voit encore, indiquent quil y avait
l un camp retranch(2).
Henchir-Sella-Ouin. Les ruines de ce poste ont une
certaine importance. On y a relev une inscription(3) qui at-
teste la prsence en cet endroit, au moins pendant quelque
temps, dun dtachement militaire, dune vexillation de la l-
gion VIe Ferrata. On sait, par un autre texte, que la prsence
de cette lgion en Afrique remonte lanne 145(4).
Ruine au sommet du Djebel-Selloum. Sur le haut du
Djebel-Selloum se voit un ancien tlgraphe arien construit
avec dbris dun fort romain(5). Linscription qui en clbrait
lrection a t retrouve au pied de la montagne(6) ; on y apprend
____________________
(1) Ragot, Rec. de Constantine, XVII, 1875, p. 269.
(2) Masqueray, De monte Aurasio, p. 38.
(3) C. I. L., VIII, 2490.
(4) Voir plus haut ce qui a t dit ce sujet, p. 48.
(5) Rec. de Constantine, IX, 1865, p. 157 ; XVI, 1873-1874, p. 266.
(6) C. I. L., VIII, 2495 : Burgum Commodianum s[p]eculatorium
inter duas vias ad salutem commeantium nova tutela constitui jussit [Ti.
Claudi]us [G]ordia[nus].
FRONTIRE DAFRIQUE. 577

quen lanne 188, le lgat de Numidie Ti. Claudius Gordia-


nus fit tablir sur ce point un fortin pour assurer la scurit
des communications et garder le point dintersection de deux
routes galement importantes, celle qui venait du Sahara par
Biskra et celle qui venait du Hodna par Tobna. Les mots nova
tutela qui sy lisent sont une preuve de plus que la garde de
ce pays tait dj organise antrieurement.

Loth-Bordj. Les indignes donnent ce nom un


fortin carr, de petite dimension, mais en assez bon tat de
conservation, situ 7 ou 8 kilomtres de lentre de la gor-
ge dEl-Kantara. L. Renier a copi jadis linscription qui fi-
gurait au-dessus de la porte dentre ; elle donne la date de
la construction de ldifice (212-217) et indique sa destina-
tion(1) ; ctait, comme le prcdent, un burgus speculatorius,
un poste dobservation. Il fut bti par les soins du centurion
lgionnaire qui commandait le numerus Herculis camp El-
Kantara(2).

El-Kantara. Loasis et le dfil quelle occupe tirent


leur nom, ainsi quon le sait, dun magnifique pont romain,
qui tait intact ou peu prs au moment de la conqute de
lAlgrie, mais qui a d tre restaur depuis. La ruine na gar-
d aucun monument qui semble avoir eu une destination mili-
taire ; cependant les inscriptions ne laissent aucun doute sur la
nature de ltablissement : ctait le lieu de campement dun
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2494.
(2) Linscription porte : Burgum speculatorum Anto[ninianorum] ;
les speculatores Antoniniani nappartiennent pas la lgion, comme le
croyaient Renier (loc. cit., p. 443) et dautres aprs lui (Tissot Geogr. de
lAfrique, II, p. 507) ; ce sont les soldats du numerus Herculis dEl-Kantara
dtachs en observation. Burgus speculatorum Antoninianorum signifie fortin
destin servir de poste dobservation au numerus ; cest prcisment lide
quexprime burgus speculatorius, sur linscription du Djebel-Selloum.
578 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

numerus, compos de Palmyrniens, dont nous avons eu loc-


casion dj de parler plusieurs fois(1). La situation dEl-Kan-
tara en fait un point stratgique dune trs grande valeur ; car
le poste antique, comme la ville moderne, tait bti lentre
dun long dfil, do lon dbouche dans la plaine par une
immense coupure ; cest le passage forc de la route, le seul
qui souvre de ce ct vers le Sud : Qui tient El-Kantara com-
mande les communications.

Kherbet-Hanout (les Tamarins). En face du caravan-


srail moderne, Ragot a signal les restes dun tablissement
militaire bti en pierres de taille et mesurant 30 mtres sur 25.
Non loin de l, il a not les assises de deux tours carres de 6
mtres de ct(2).

Henchir-Fegousia. Ragot(3) a vu cet endroit, sur un


mamelon isol commandant la plaine et plac la tte des
eaux, un fortin dont les assises sont encore en place. Celui-ci
figure galement sur un plan de la ruine dress par de Lau-
rire(4).

Ainsi la voie qui menait de Lambse Biskra tait garde


par huit postes, dont quelques-uns sont considrables. Il tait,
en effet, de toute importance dassurer de ce ct les commu-
nications entre Lambse et le dsert : les routes auraient-el-
les t coupes de toutes parts dans lAurs, que rien ntait
perdu tant que la IIIe Auguste pouvait faire passer par l des
colonnes assez nombreuses pour prendre les montagnards
____________________
(1) C. plus haut, p. 205.
(2) Ragot, Rec. de Constantine, XVI, 1873-1874, p. 262.
(3) Ibid., p. 261.
(4) Archives des Missions scientifiques et littraires, 1876 (planche
annexe la page 431).
FRONTIRE DAFRIQUE. 579

revers par le Sud, en mme temps quelle les abordait par le


Nord, et pour garnir toute la frontire du Sahara. Quon sup-
pose, au contraire, ce chemin ferm la lgion, cet t pour
les Romains une situation des plus critiques : on aurait vu les
Sahariens donnant la main aux populations de lAurs, les
gens du Zab et du Hodna venant sunir eux, et larme de
Numidie attaque par des forces considrables ; il y aurait eu
l plus quune insurrection : la conqute de cette portion du
pays et t recommencer. Nous aussi, nous nous sommes
empresss doccuper cette ligne en 1844 ; et cest du jour o
nous lavons tenue solidement, que nous avons pu songer s-
rieusement soumettre les contres quelle traverse et quelle
commande.

A louest de la voie militaire dont il vient dtre question,


le soulvement de lAurs prolonge quelques ramifications
qui, par une lgre courbe, vont rejoindre les montagnes du
Hodna, entourant ainsi la plaine de ce nom. Ctait l, je pense,
la limite de lAfrique romaine au 1er sicle et au dbut du IIe,
une poque o nous navons malheureusement presque pas de
documents crits. Les points stratgiques sur cette ligne sont
lHenchir-Lamridi, qui porte au IIIe sicle le nom de munici-
pium Lambiridi(1), Ksar-Cheddi ou Ksar-Bellezma(2) et Zarai,
aujourdhui Zraa, le premier gardant le passage du Djebel-
Touggour, le second la valle de lOued-Barika, et le troisime
la troue ouverte dans le massif des Ouled-Sellem par lOued-
Taourlalent, qui se jette au Chott-el-Frani. Entre Lamasba et
____________________
(1) Cf. Ragot, loc. cit., p. 234. Il se pourrait qu une certaine date, im-
possible fixer, mais postrieure Marc-Aurle, il y ait eu l le campement
dune cohorte auxiliaire (C. I. L., VIII, 4416).
(2) C. I. L., VIII, p. 445, et Ragot loc. cit., p. 238. Il existe sur ce point
les restes dune grande forteresse ; mais tous les explorateurs saccordent la
faire remonter lpoque byzantine. Cf. Diehl, LAfrique byzantine, p. 251.
580 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Zraa, la Table de Peutinger(1) indique deux stations : ad Cen-


tenarium et Praesidium Suaddurusi, dont les synonymies
modernes nont pas encore t bien tablies, mais dont le ca-
ractre militaire ne peut tre rvoqu en doute(2). Il est pro-
bable quelles taient situes lest et louest de la pointe
septentrionale de lperon form par le Djebel-Bellezma et
les montagnes des Ouled-Sellem(3).
Zarai, au contraire, est bien connu(4). Ctait, au temps
dHadrien, le lieu de campement dune cohorte(5), la cohors
I Flavia equitata suivant les uns(6), la cohors VI Commage-
norum(7) suivant les autres ; car toutes deux ont laiss des
souvenirs de leur passage dans les cimetires de la ville(8). On
peut, du reste, pour accorder ces tmoignages, admettre que
ces deux cohortes formrent successivement ou mme alter-
nativement la garnison locale.
Le terrain est domin par un mamelon qui commande
tout le pays environnant ; ce mamelon est couronn par une
forteresse, bastionne aux angles, dont les murs avaient na-
gure 2 mtres dpaisseur. Daprs Ragot(9), la construction
serait du haut Empire, sauf pour une partie peu importante ; les
Byzantins auraient ajout seulement la forteresse dj exis-
tante un passage vot, qui y donne accs, et un grand mur d-
fensif, qui contourne tout le mamelon. Une source abondante
____________________
(1) Tab. de Peutinger, II, 4 et 5.
(2) La valeur du mot centenarium nest pas douteuse : toutes les fois
quon la rencontr, il sest trouv appliqu une construction militaire. Cf.
Poulle, Rec. de Constantine, XX, 1879-1880, p. 258, et Gauckler, Centenarius,
terme dart militaire (Mlanges Perrot), p. 125 et suiv.
(3) Cf. Tissot, Gogr. de lAfrique, II, p. 485.
(4) Gsell, Atlas archolog. de lAlgrie, XXVI, 69.
(5) Elle est mentionne dans lordre du jour dHadrien (C. I. L., VIII,
2532) ; mais le nom de la cohorte a disparu.
(6) Henzen, Annali, 1860, p. 67.
(7) Hron de Villefosse, Le tarif de Zraa, p. 7.
(8) C. I. L., VIII, 4526, 4527.
(9) Ragot, loc. cit., p. 245.
FRONTIRE DAFRIQUE. 581

jaillit dans cette enceinte. Autour de la ville militaire se forma,


en arc de cercle, la ville romaine, dont les ruines sont encore
trs importantes.

Avec Zarai se termine la srie des tablissements mili-


taires que nous pouvons actuellement signaler sur la limite
mridionale de la province dAfrique vers le IIe sicle. Il
nous faut maintenant revenir en arrire et tudier les diff-
rentes modifications que subit cette limite diverses po-
ques. On les saisira en tudiant la position des divers postes
dont le souvenir nous a t conserv, et dont les lignes suc-
cessives rpondent au progrs et laffermissement de la
conqute.
Nous avons dit plus haut que, pendant le Ier sicle, la
lgion tait tablie Tbessa. Il tait indispensable que ce
centre ft reli aux diffrents ports de la cte orientale, la
seule entirement soumise et romanise cette poque, do
larme pouvait esprer des secours de toute nature. Or le
plus important tait, sans contredit, Hadrumte (aujourdhui
Sousse) ; la route entre Thveste et Hadrumte devait donc
tre solidement occupe. La ligne qui joint ces points extr-
mes et qui coupe la Tunisie en deux parties marque, dailleurs,
la limite de contres absolument distinctes ; au Nord stend
un pays plus montagneux et plus fertile ; au Sud commencent
les plaines sablonneuses qui annoncent le Sahara.
Nous navons gard, cela se conoit, que fort peu de sou-
venirs de cette occupation, qui cessa de bonne heure. Cependant
nous possdons quelques inscriptions quil ne faut point passer
sous silence : dabord lpitaphe dun soldat de la lgion IIIe
Auguste, originaire de Bordeaux(1) et, par suite, appartenant au
Ier sicle ; elle a t dcouverte Ksar-Goura, sur la route de
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2102.
582 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Tbessa Hadra. Il faut en rapprocher plusieurs tombes de


soldats et de vtrans que lon a rencontres soit Hadra
mme(1), soit Thala, non loin de Hadra, vers lEst(2) ; elles
aussi appartiennent incontestablement au dbut de lEmpire ;
elles nous montrent quil y avait l des garnisons assez fortes
et que Hadra comme Thala taient des points stratgiques.
A Sbiba, qui est peu prs la mme hauteur que Thala et
qui garde lentre dune valle assez large, celle de lOued-
Rouia, jai trouv une pitaphe de trs bonne poque, o il est
fait mention du castellum Sufetanum(3),et qui nous prouve que
ce poste fortifi tait occup par des vtrans. La route entre
Thala et Sbiba, que jai parcourue, ne contient actuellement,
il est vrai, aucune trace doccupation militaire antrieure aux
derniers temps de lEmpire, et jen dirai autant de la route qui
relie Sbiba Hadrumte, o je nai rien remarqu non plus
qui doive tre rappel ici(4) ; mais le peu de documents que
nous pouvons citer est suffisant, jusqu nouvel ordre, pour
autoriser une conclusion, si lon songe aux changements que
le pays a subis depuis le IIe sicle.
En avant de cette voie militaire stendait la frontire
telle que nous la trouvons tablie ds le dbut de lEmpire ;
elle suivait une ligne brise qui, partant de Tbessa, passait
Gafsa et se dirigeait de l vers le port de Gabs. De Theveste, la
ligne gagnait Bir-oum-Ali, ou Foum-Tamesmida, deux points
assez voisins, qui ouvrent chacun un passage vers le Nord
travers les montagnes de la frontire dAlgrie et de Tunisie,
et qui sont rests, lun et lautre, nous le savons, militairement
____________________
(1) C. I. L., VIII, 23251 et suiv.
(2) Ibid., 11680, 23269 et suiv. (Voir plus haut, p. 12 et 13.)
(3) Ibid., 11427.
(4) Voir mes Explorations en Tunisie, II, p. 20 et suiv., et Nouvelles
explorations, p. 70 et suiv. On a signal depuis lors un fortin du type clas-
sique Ksar-Makouda, prs dHadjeb-el-Aioun (Gauckler, Bull. arch. du
Comit, 1904, p. 143).
FRONTIRE DAFRIQUE. 583

occups plus tard, cause de leur importance. Les ruines de


Bir-oum-Ali sont actuellement assez indistinctes ; jai tabli
que la cohorte r Chalcidenorum equitata y campait sous Marc-
Aurle(1). A lentre du Foum-Tamesmida, o nous avons s-
journ M. Saladin et moi pendant une journe, nous avons re-
connu la prsence dune grande forteresse avec ses accessoires ;

malheureusement on ny a trouv aucune inscription qui four-


nisse des donnes chronologiques prcises(2). M. Saladin en a
dress un plan que je lui emprunte(3).
____________________
(1) Voir plus haut, p. 200.
(2) On na trouv quune pitaphe dun vtran de la lgion IIIe Augus-
te, fort mal grave.
(3) Description des antiquits de la Rgence de Tunis, I, p. 150. CI.
fig. 269 et suiv.
584 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Comme on le voit, ldifice affecte une forme rectangu-


laire, mais avec ceci de caractristique, que les faces antrieure
et postrieure du fortin sont plus larges que les cts ; les pre-
mires mesurent 90 m, 30 et les secondes 55 m, 70. La porte

dentre dont je donne le dessin, daprs M. Saladin, fait face


au Sud, ce qui indique nettement que de ce ct tait le dan-
ger contre lequel le fortin tait construit ; elle est dfendue
par deux demi-tours octogonales ; chaque angle de la face
principale, par deux tours rectangulaires. Lintrieur est oc-
cup par une suite de btiments, parmi lesquels M. Saladin a
reconnu un pressoir, D, une curie, C, et les soubassements
dune tour de vigie, B, do lon pouvait surveiller le pas-
sage des montagnes au Nord et larrive par le Sud. Contrai-
rement ce qui a t signal pour dautres forteresses dont il
a t question plus haut, les murs taient faits entirement de
pierres de taille jusqu leur sommet, ainsi que le prouve la
prsence, au faite du rempart, de plusieurs merlons encore en
place. La face est perce darchres assez espaces.
En avant de la porte dentre, 700 pas environ, un im-
mense rservoir de 52 m, 30 de diamtre intrieur, tout en
pierres de taille, tait protg par une tour de 6 m, 05 sur 3 m,
50, qui lui tait jointe par un hmicycle dcor dun portique
dordre corinthien ; ce bassin, qui a encore environ 2 m, 50
de profondeur en moyenne, et qui pouvait en avoir le double
FRONTIRE DAFRIQUE. 585

autrefois, qui contenait, par consquent, plus de 10,000 m-


tres cubes deau, tait aliment par des conduites dont lune
est encore visible aujourdhui son dbouch. Entre ce bas-
sin et la forteresse, vingt pas en arrire, on voit les restes
dun difice carr, dont le sommet des murs porte aussi des
merlons et qui avoisine une enceinte rectangulaire en rui-
ne : la nature de cet difice ne saurait tre dtermine sans
fouilles et peut-tre mme ny arriverait-on pas ainsi, mais
son caractre militaire ne peut faire aucun doute. Dailleurs
il nest rien, dans cette ruine, qui semble avoir eu une autre
destination : Henchir-Tamesmida tait un poste fortifi ; ce
na jamais t autre chose. La grandeur du fortin et celle du
bassin prouvent quil tait occup par une garnison dune
certaine importance.
Derrire le fort et dans la direction de la montagne,
lentre du dfil, existe un puits, aujourdhui sans eau, mais
qui en contenait assurment lpoque romaine ; la quantit
quil en pouvait fournir compltait et remplaait peut-tre au
besoin la rserve accumule dans le bassin qui a t dcrit
plus haut.
Le poste suivant tait sans doute tabli Thelepte (F-
riana) ; mais les ruines immenses de cette ville ont t tel-
lement bouleverses et tellement remanies lpoque by-
zantine quil ny reste plus gure de souvenirs des temps
antrieurs. Les inscriptions trs rares que lon possde ne
fournissent aucun renseignement sur ltat de la cit au haut
Empire.
La route, aujourdhui singulirement dserte et sablon-
neuse, qui joint Friana et Gafsa, na gard non plus, que je
sache, aucune trace de fortification ni aucun document mili-
taire contemporains des premiers sicles de notre re. Je dirai
la mme chose de la route de Gafsa Gabs, si soigneusement
586 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

tudie depuis quelques annes par les officiers du Sud tuni-


sien : aucune des ruines de fortins ou dtablissements for-
tifis quils ont signales ne semble remonter une poque
aussi ancienne(1). De Gabs, la voie stratgique gagnait Lebda
par la cte, et non pas en suivant le limes postrieurement
tabli que nous avons dcrit plus haut. La route qui runissait
ces deux points est de lpoque de Nerva au plus tard(2) ; mais
loccupation des points importants qui sy trouvent doit tre
assez antrieure. Nous ne connaissons que deux dentre eux,
que la Table de Peutinger nomme lun Praesidium (Bordj-el-
Biban)(3), 26 milles de Pisida, et lautre Turris ad Algam(4),
prs dOea. A ces deux postes il faut assurment ajouter Sa-
brata, dont le mur denceinte byzantin contient, parat-il, des
restes de fortification dune date fort ancienne(5), et Oea, lun
des plus grands ports du Soudan.
La ligne militaire qui reliait Tbessa Gafsa par Bir-
oum-Ali ou Foum-Tamesmida(6) nenveloppait pas la rgion de
lOued-oum-el-Ksob, dont la valle ouvre un passage ais vers
le Nord ; on fut bientt contraint de fermer aux envahisseurs
cette troue ; de l des tablissements fortifis comme ceux que
nous signalent les Itinraires, celui de Praesidium Diolele, par
exemple(7). On ne sait pas au juste quel endroit il faut placer
____________________
(1) Voir surtout, cet gard, Toutain ; Les nouveaux milliaires de la route de
Capsa Tacape, dans les Mmoires de la Soc. des Antiq. de France, LXIV, p. 153 et suiv.
(2) C. I. L., VIII, 10016.
(3) Tissot, Gogr. de lAfrique, II, p.208 ; Le Buf, Bulletin arch. du
Comit, 1903, p. 280.
(4) Tissot, op. cit., p. 214.
(5) ibid., p. 210.
(6) Au passage du Khanguet-Safsaf, au sud-ouest de Bir-oum-Ali, la
Notice descriptive de la Tunisie, publie par le Ministre de la guerre (rgion
sud, p. 137), mentionne la prsence dun fort plusieurs tages qui serait de
construction espagnole . Ce passage trs difficile, mais trs important, a t
certainement gard lpoque romaine.
(7) Tab. de Peutinger, V, 1. Je ne fais pas mention ici du poste voisin
FRONTIRE DAFRIQUE. 587

cette station de la Table(1), mais il ne me parat pas douteux


quelle gardait lentre de la plaine de lOued-oum-el-Ksob
par le Sud, et quelle tait situe quelque part en avant de la
ligne montagneuse qui runit les hauteurs, voisines de Gafsa
lOuest, la pointe infrieure des Aurs, o nous avons consta-
t la prsence de ad Majores. Cest seulement une poque
postrieure, et lorsque la ligue frontire fut porte au del des
Chotts, quauraient t tablis, suivant moi, les fortins de ad
Turres et de Speculum, dont il a t question plus haut.
Je trouve la confirmation des diffrentes tapes de loccu-
pation romaine de ce ct dans les progrs accomplis peu peu
par les tablissements qui sy levaient : mesure que le pays
se pacifie et que le limes se porte en avant, on les voit sle-
ver au rang de municipe ou de colonie. Ammaedara et Cillium
sont des colonies flaviennes(2) ; Thelepte, qui est inscrite dans
la tribu Papiria(3), a bien pu tre rige en colonie par Nerva ou
Trajan, en mme temps que Capsa, qui avait dj des duumvirs
sous Hadrien(4) ; enfin cest ce dernier qui donne Telmin le
rang de municipe(5). La limite mridionale de la province tait,
ds lors, irrvocablement arrte la ligne des chotts.
Nous avons numr plus haut la srie des postes forti-
fis tablis entre Besseriani et Lambse, et nous avons trac la
____________________
de ad Praetorium ; ce mot parait dsigner, en ce cas, non pas un tablisse-
ment militaire, mais un gte dtape comme on en construisait le long des
grandes routes pour servir dabri aux officiers et aux fonctionnaires en voya-
ge. Cf., au sujet de cette signification du mot praetorium, une inscription trs
caractristique de Thrace (C. I. L., III, 6123, et le commentaire). A Zraa, on
btit une maison de cette sorte alors que toute garnison axait quitt la place,
la ligne frontire ayant t reporte plus au Sud (C. I. L., VIII, 4517).
(1) Tissot, op. cit. II, p. 680.
(2) C. I. L., VIII, p. 33 et 50.
(3) Ibid., p. 30.
(4) Ibid., p. 98.
(5) Ibid., p. 83.
588 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

ligne qui les rejoignait en suivant le pied mridional de


lAurs. Nous avons galement indiqu que le trac de cette
ligne remontait, suivant toute apparence, au commencement
du IIe sicle. Antrieurement cette date, alors que le quartier
gnral de la lgion tait Tbessa, le limes dAfrique sar-
rtait au versant septentrional de lAurs. Les positions gar-
der sur cette route, outre certains points secondaires comme
Henchir-Koua, Henchir Metkids, Henchir- el-Kelb, etc.,
qui ntaient peut-tre pas occups en permanence(1), sont les
suivantes :

An-Zou, jadis Vazaivi. Ce poste est situ sur la rive


gauche dun petit ruisseau. Les btiments dpoque romai-
ne quon y observe aujourdhui sont tous de basse poque,
lexclusion dune construction qui slve au sommet du Dje-
bel-Taddinart, hauteur qui domine Zou lEst, et que M. Far-
ges regarde comme lorigine de ltablissement romain en ce
point(2). Cette hauteur commande, au Nord-Est, les plateaux
successifs par o lon descend vers la plaine. De l on aperoit
jusquau Djaffa ; de l surtout on peut surveiller aisment la
sortie du passage qui souvre entre Cherchar et le plateau des
Nemenchas(3). Lpigraphie nous permet de nous rendre un
compte plus exact de limportance militaire de ce point. En
premier lieu, elle confirme ce que lon peut admettre aussi
daprs dautres considrations, savoir que ce poste existait
dj la fin du Ier sicle, puisque lon y a trouv une ddicace
____________________
(1) Voir, sur ces tablissements, de Bosredon, Rec. de Constantine,
XVIII, 1876-1877, p. 387 et suiv.
(2) Bull. de lAcad. dHippone, 1884, p. 133 et suiv.
(3) Le premier qui ait appel lattention sur ce poste est Masqueray
(Rev. afric., XXII, p. 453). Voir, pour la description du lieu : Gsell, Atlas
Arch. de lAlgrie, XXXIX, 49.
FRONTIRE DAFRIQUE. 589

Domitien postrieure lanne 84(1) ; en second lieu, elle nous


fait connatre quelle tait la garnison du lieu : on y rencontre la
mention frquente de bnficiaires et de corniculaires de la l-
gion IIIe Auguste(2), celle dun centurion de la VIIe cohorte des
Lusitaniens(3), celle dun duplarius de laile Flavienne(4), celle
dun dcurion dune cohorte dEspagnole(5), enfin celle dun
dcurion de cavalerie, dont le corps nest pas mentionn(6) ;
ctaient l les officiers et sous-officiers que le lgat de Numi-
die envoyait avec quelques hommes pour occuper la position. Il
faut surtout remarquer la prsence de lgionnaires cet endroit.
Les termes mmes quon lit sur ces textes : expleta statione ou
exacta statione(7), nous montrent, au reste, que ctait un des
postes habituels que la lgion alimentait, un de ceux auxquels
lempereur Hadrien faisait allusion dans son discours, quand il
disait : Quod multae, quod diversae stationes vos distinent.

Khenchela (Mascula)(8). La position militaire de


Khenchela est capitale : elle garde le chemin direct du Souf
dans le Tell par la valle de lOued-el-Arab ; aussi, toutes les
priodes de la conqute, nos gnraux nont-ils eu garde de
la ngliger et y avons-nous install un centre de commande-
ment(9). On ny a retrouv sur le terrain aucune trace certaine de
____________________
(1) C. I. L., VIII, 17637.
(2) Ibid., 17619, 17622, 17623, 17625, 17626, 17627, 17628, 17634, 17635.
(3) Ibid., 17631.
(4) Ibid., 17633.
(5) Ibid., 2555.
(6) Ibid.
(7) Ibid., 17626 : [J.] O. M [ge]nioque stationis Vazai[v]itanae...
Saturninus [bf.] leg. III Au[g. ex]pleta [s]tatione 17634 : bf. [et] excepto-
res [ex]pleta statione .
(8) Cf. sur cette ruine : Graillot et Gsell, Ml. de lcole de Rome,
XIII, p. 492 et suiv. ; Gsell, Atlas archolog. de lAlgrie, XXVIII, 138.
(9) Recueil de Constantine, XVI, 1873-1874, p. 209 et suiv. ; cf. Mas-
queray, De monte Aurasio, p. 22.
590 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

loccupation militaire romaine au haut Empire(1), mais les ins-


criptions quon a dcouvertes Kenchela mme, ou aux envi-
rons immdiats, ne laissent aucun doute : il y avait l certaine-
ment un dtachement de la lgion IIIe Auguste, du moins au
dbut du IIIe sicle(2), et peut-tre aussi quelques hommes de
la VIIe cohorte des Lusitaniens(3) ; lpitaphe dun soldat de
la cohorte des Thraces permet de croire aussi la prsence de
ce corps cet endroit(4). Or la ville tait inscrite dans la tribu
Quirina ou dans la tribu Papiria(5) ; par suite, son rection en
cit de droit romain remonte sinon aux Flaviens, assurment
Nerva ou Trajan, au plus tard ; ltablissement dun poste
militaire, qui a ncessairement prcd de beaucoup cet v-
nement, est bien du Ier sicle ; on sait dune faon certaine
quil est antrieur Vespasien(6).
Timgad (Thamugadi). La situation de Timgad est ga-
lement une des plus favorables qui existent de ce ct, soit pour
pntrer dans lAurs par le dfil trs resserr de Foum-Kos-
tantina et par la valle de lOued-Abdi, soit pour repousser
les agressions des montagnards ou des Sahariens venus par
ce passage. Cest un des points dappui quont choisis aussi
____________________
(1) Le gnral Duvivier (Recherches et notes sur la portion de lAlgrie au
sud de Guelma, 1841, p. 26) signale au-dessus de Khenchela une ruine de forte-
resse antique quil nomme Henchir-Douain . M. le capitaine Vaissire, qui a
habit longtemps Khenchela comme chef du bureau arabe, a bien voulu mcrire
que cette forteresse romaine a t remplace par un fortin franais, construit ses
dpens ; mais il nose pas allumer quelle remontait au haut Empire.
(2) C. I. L., VIII, 17727 : [per vexilla]tionem militum suorum ; cf.
17725, o le nom de la lgion parat avoir t martel.
(3) Ibid., 17673.
(4) Ibid., 2251.
(5) M. Kubitschek (Imperium romanum tributim discriptum, p. 152) lui
assigne la tribu Papiria.
(6) Les bains des Aquae Flavianac, voisins de Khenchela, dont le nom
est caractristique, ont t amnags, sans doute en 76, par une vexillation de la
lgion IIIe Auguste. (Ibid., 17725.)
FRONTIRE DAFRIQUE. 591

nos chefs de colonnes qui voulaient oprer dans lAurs. On


a souvent rappel linscription qui mentionne la fondation de
la colonie per legionem tertiam Augustam(1), la quatrime an-
ne du rgne de Trajan. Le trac mme de la ville, qui offre
laspect dun camp(2), est un tmoignage clatant de sa des-
tination militaire, du moins au dbut de son existence. Il est
trs probable que ctait dj un poste avant quon y tablt
une colonie au dbut du IIe sicle(3).
A ct de Timgad, il faut peut-tre citer encore Markouna
(Verecunda). Mommsen(4) pense que la ville a pris naissan-
ce, comme Lambse, par suite du sjour, dans le voisinage, de
la lgion ; il apporte lappui de son opinion deux textes iden-
tiques trouvs Markouna, o il est dit que la fondation de la
cit, qui remonte Antonin le Pieux, est due aux lgionnaires
mmes (per legionem III Augustam)(5). Masqueray, sans nier
les consquences quentranent ces inscriptions pour rtablis-
sement mme de la ville romaine, est dispose penser que
Verecunda existait antrieurement comme centre militaire(6),
et quelle jouait louest de lAurs le rle dfensif qui tait
rserv Khenchela du ct de lEst : cette position est, en
effet, la clef dune valle que suivent les indignes pour se
rendre dans la plaine et quil tait fort important doccuper
____________________
(1) C. I. L., VIII, 17842 et 17843.
(2) Cf. Ballu et Cagnat, Timgad, p. 339 et suiv. ; fig. 168.
(3) Certains auteurs ont avanc, sur la foi de L. Renier (Archives ; des
Missions, 1851, p. 184), que la colonie de Timgad fut fonde pour y tablir
des vtrans aprs les victoires de Trajan contre les Parthes (Tissot, Gogr.
de lAfrique, II, p. 487 et 488). Plusieurs considrations sopposent ce que
lon admette cette opinion. Je nen rappellerai ici quune seule, qui est suf-
fisamment concluante : la victoire Parthique est de lanne 116 ; or, Timgad
tait dj colonie depuis seize ans cette poque.
(4) C. I. L., VIII, p. 423.
(5) Ibid., nos 4203 et 4204.
(6) De monte Aurasio, p. 25.
592 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

solidement. An-Zou, Khenchela, Timgad, Markouna for-


maient donc les diffrents anneaux de la chane qui reliait
Tbessa Lambse et qui fermait laccs du plateau central
aux invasions du Sud.

Ainsi, tandis que le pays situ lest et louest de


lAurs tait dfendu par une suite de points fortifis sten-
dant sur une seule ligne et constituant le limes, parce que le
danger ne venait que du Sud et que de ce ct seul il fallait
songer le dfendre, le pt de lAurs tait entour dune
ceinture de postes militaires, ou, si lon veut, la province ro-
maine tait garde en cet endroit par deux lignes parallles :
la premire, au sud de lAurs, faisant rempart contre les no-
mades du dsert ; la seconde, au nord, contre les indignes de
lAurs mme ; car cette rgion, extraordinairement difficile
et habite par des populations indpendantes, formait dans
lintrieur du pays romain une enclave, de soumission dou-
teuse, qui demandait une surveillance constante et solidement
tablie.
Mais cette surveillance mme ne pouvait tre troite que
si la ligne mridionale tait assure de ses communications
avec la ligne septentrionale et ne courait pas le risque dtre
attaque la fois par devant et par derrire. De l, pour les
Romains, la ncessit de pntrer dans lAurs et de garder
militairement les passages que creusent travers la montagne
les diffrentes rivires qui larrosent.
Le premier est celui qui donne accs de Besseriani Tbes-
sa par lOued-Tilidjen. Il tait dfendu par le fortin dUbaze(1)
____________________
(1) Recueil de Constantine, XIX, 1878, p. 19 et 20. M. le gnral de
Torcy (ibid., XLIV, 1910, p. 3) prfrerait placer ce poste six kilomtres plus
au Nord. L aussi il y a les ruines dun castellum de construction trs soigne.
M. Gsell, au contraire, et avec raison, ce semble, maintient la synonymie adop-
te par de Bosredon (Atlas archologique de lAlgrie, XXXIX, 258).
FRONTIRE DAFRIQUE. 593

(Turris Ubaza), sur le plateau des Nemenchas. Voici la des-


cription que de Bosredon a donne de ce chteau fort, appel
mme aujourdhui Torrebaza :

Le mamelon rocheux et trs escarp sur lequel se dres-


sent encore les ruines du poste romain se termine par un pla-
teau de 150 mtres de long sur 60 mtres de large, lev de
80 mtres au-dessus du lit du torrent. Les bords de ce plateau
sont forms de rochers coups pic sur une hauteur de 4 10
mtres et servent de base un vritable castellum. Les deux
petites faces du fort taient dfendues par des tours carres de
6 mtres de ct, qui sont encore en partie debout et montent
en certains endroits jusqu 6 mtres au-dessus de la plate-
forme. Les murs, de 1 m, 40 dpaisseur, sont en petit appareil
irrgulier et ciments avec de la chaux. La construction en est
soigne, homogne et est certainement antrieure lpoque
byzantine. Lentre de la forteresse se trouvait au pied de la
tour mridionale ; laccs en est difficile. Sur le flanc ouest
du mamelon, un niveau infrieur celui du sol, se voient les
restes dune vaste citerne de forme rectangulaire, et couvrant
une superficie de 150 mtres carrs. Les murs extrieurs, sou-
tenus par des contreforts, ont 2 m, 50 dpaisseur et sont btis
en petit appareil. Ils entourent trois bassins vots, solide-
ment maonns avec des briques et du ciment
Du ct du Sahara, lentre du dfil tait garde par
un poste dont les ruines dEl-Ansel indiquent lemplacement.
Lintrieur tait surveill par de petits fortins chelonns de dis-
tance en distance(1). Grce ce systme de dfense, les soldats
qui formaient la garnison de la place ad Majores pouvaient se
____________________
(1) Sur Torrebaza, consulter galement un article de Masqueray (Bull.
de correspond. africaine, I, p. 234) et Tissot, Gogr, compare de lAfrique
romaine, II, p. 534, qui a emprunt sa description de Bosredon.
594 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

relier aisment avec Tbessa, et par suite avec Lambse. La


route qui mne dun point lautre est indique par la Table
de Peutinger.
La seconde voie de pntration travers lAurs, qui
suit la valle de lOued-bou-Doukan et celle de lOued-bou-
Bedjer, tait garde ses deux extrmits par le poste de Va-
zaivi au Nord et celui de ad Medias au Sud.
Vers le milieu de la valle de lOued-bou-Doukan, on
a signal(1) lexistence dun fortin, appel Ksar-el-Assaoui,
deux kilomtres environ en dessous de Sidi-Abid, sur
la rive droite et au bord du ruisseau qui sest chapp de la
plaine de Guest par le Foum-Guentis . Ce fortin serait dune
bonne poque. Son rle parait avoir t de fermer laccs de
la plaine de Guest. Dans cette mme plaine, il existe encore
deux enceintes quadrangulaires, dont lune de 100 mtres de
ct est flanque, du ct du Nord, de deux tours carres ;
mais Masqueray(2), qui les a signales, les croit au plus tt du
IVe sicle.
La troisime voie de pntration, qui ntait autre que
la troue forme travers lAurs par lOued-el-Arab, tait
dfendue au Nord par le poste de Mascula et au Sud par celui
de ad Badias, qui commande lentre de la montagne par le
dfil de Khanguet-Sidi-Nadji.
Quelques fortins qui reliaient ces deux points travers la
montagne ont t nots(3). On a mentionn, en particulier, dans
le Djebel-Cherchai, une citadelle bastionne quil faut ratta-
cher cette ligne dfensive(4), et, 9 kilomtres de Kheirane,
____________________
(1) Cf. Masqueray, Rev. afric., XXII, p. 472.
(2) Rev. afric., XII, p. 469.
(3) Lambin, Bull. archolog. du Comit., 1892, p. 136.
(4) Bull. de lAcad. dHippone, 1890, p. LVIII. Le gnral Duvivier
(Recherches sur la portion de Algrie au sud de Guelma, p. 26) nomme deux
forteresses qui, daprs la carte quil a jointe son livre, paraissent tre situes
FRONTIRE DAFRIQUE. 595

un poste de 25 30 mtres de ct, qui gardait le passage de


la rivire(1).
La valle de lOued-el-Arab est spare de celle de
lOued-el-Abiod par le puissant pt montagneux que lon
nomme Djebel-Ahmar-Khaddou. Il donne naissance plu-
sieurs cours deau qui vont se runir ensuite en un seul, le-
quel se jette lui-mme dans lOued-el-Arab. Sur les bords
de lun deux, non loin dun endroit appel Kimel, en pleine
montagne, les voyageurs ont remarqu les restes dun fort
assez vaste. Il tait destin, suivant Masqueray(2), contenir
les montagnards de lAhmar-Khaddou, sortes de troglodytes
qui, autrefois comme aujourdhui, formaient une population
sauvage et particulirement insoumise.
LOued-el-Abiod ouvre aussi travers lAurs un passa-
ge que les Romains nont pas nglig doccuper ; non contents
den tenir solidement lentre et la sortie par les postes de
Thamugadi et de Thabudeos, ils y avaient trac une voie mi-
litaire(3) dont on a retrouv des traces au dfil de Tighanimin,
et tabli des fortins comme dans les valles voisines. Le plus
important, sans doute, tait celui de Mdina, situ au milieu
dune plaine bien arrose et dans une position militaire de pre-
mier ordre. Ce fortin mesurait 50 mtres de long sur 30 mtres
de large ; il a t signal par Ragot, daprs les renseignements
recueillis par la colonne Bedeau en 1855 ; mais on na pas ce
sujet de dtails plus prcis(4). Ce fortin passe pour appartenir
lpoque byzantine ; rien cependant nest moins certain ; en
____________________
dans cette contre : lune est dsigne sous le nom de Sidjratt-en-Nairdi
lautre sous celui de Ksar-Djiouch. M. le capitaine Vaissire a bien voulu me
dire quil ne croyait pas lexactitude de ces renseignements.
(1) Lambin, loc. cit. ; Gsell, Atlas arch. de lAlgrie, XXXVIII, 93.
(2) De monte Aurasio, p. 47.
(3) C. I. L., VIII, 10230.
(4) Rec. de Constantine, XVI, 1873-1874, p. 162.
596 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

serait-il ainsi, il est plus que probable quil avait succd


une construction plus ancienne ; car il nest gure possible
de comprendre loccupation de la valle de lOued-el-Abiod
sans une forteresse leve en ce point(1).
La valle des Ouled-Daoud est arrose par un affluent
de lOued-el-Abiod et fait, elle aussi, une troue dans la mon-
tagne ; les Romains ne pouvaient gure la laisser sans d-
fense. Aussi y avait-on tabli un poste, que Masqueray a re-
connu dans les environs des villages dInerkeb et dArris(2), et
dautres encore, sans doute, que lon signalera quelque jour.
La valle de lOued-Abdi, qui se prsente ensuite en allant
de lEst lOuest et qui se jette dans lOued-Biskra, est mieux
connue que celles dont il vient dtre question. Masqueray, en
particulier, lui a consacr plusieurs notices(3). Il y a signal tou-
te une suite de fortins plus ou moins considrables : celui qui
commande la valle de lOued-Taga, prs dun bord] arabe ;
puis trois postes entre le Djebel-Mehmel et lOued-Abdi, le
plus grand tant celui qui se remarque Adrar-Amellal ; enfin
la forteresse de Tiksarien Tiksarien signifie en berbre les
deux forts dont les ruines imposantes encore aujourdhui
indiquent limportance lpoque romaine ; elle gardait toute
la valle suprieure de lOued-Abdi. Mais la position la plus
utile occuper tait celle de Mena, situe au confluent de
lOued-Abdi et de lOued-el-Ahmar, son affluent, et qui, par
suite, fermait lentre des deux valles. Lenceinte fortifie qui
sy levait tait tablie sur une colline daccs difficile, o les
indignes ont bti leur village avec les pierres empruntes
____________________
(1) Cf. Masqueray, De monte Aurasio, p. 34, et Note sur les Aou-
ld-Daoud, p. 38. Voir sur Mdina : Gsell, Atlas archol. de lAlgrie,
XXXVIII, 48.
(2) De monte Aurasio, p. 45.
(3) Rev. afric., XXI, p. 109 et suiv. ; Bull. de corr. afric. II, p. 327 et
suiv. ; De monte Aurasio, p. 39.
FRONTIRE DAFRIQUE. 597

la construction antique. Toutes les inscriptions trouves sur ce


point nous indiquent que le poste tait confi la surveillance
dun dtachement lgionnaire(1), morans in procinctu, cest-
-dire toujours en alerte et prt marcher(2).
Ces documents sont de la fin du IIe sicle et du dbut
du IIIe ; ce sont, avec le texte trouv au dfil de Tighanimin,
auquel il a t fait allusion quelques lignes plus haut, les seules
inscriptions dates que lon ait encore signales dans lAurs. Il
semble en rsulter que loccupation solide du massif ne remonte
pas une priode antrieure la seconde moiti du IIe sicle.
Enfin, entre Mena et Biskra, on a signal le fort de Bra-
nis , qui domine lentre de la valle du ct du Sahara ;
(3)

ce fort tait lui-mme soutenu par un autre, situ quelque


distance sur les bords de lOued-el-Outaa(4) ; il est dsign
aujourdhui par le nom de Ksar-el-Djezia(5).
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2465, 2466 et suiv. ; cf. 17952 et suiv.
(2) Sur le sens de cette expression, voir Henzen, Annali, 1860, p. 63.
(3) Masqueray, De monte Aurasio, p. 43.
(4) On rencontre dans le pt de lAurs des tours dcrites par Payen
(Recueil de Constantine, VII, 1863, p. 160 et suiv. ; cf. pl. X XXV et suiv.) et
signales par dautres explorateurs, qui les considraient comme des ouvrages
de fortification. Il existe leur sujet une lettre de Moll dans les papiers de L.
Renier et une autre de Cherbonneau (Papiers indits de L. Renier, VII, 29, et
XLVII, 3). Ces tours ne sont nullement des postes militaires, leur nombre seul
et la faon dont elles sont disposes suffiraient le prouver, ce sont des tom-
beaux circulaires, sorte de cromlechs particuliers lAfrique, dont la prsence
a t constate ailleurs, Tiddi, par exemple (Fraud, Rec. de Constantine,
VIII, 1864, p. 113 et pl. XXVIII). Cest ce que L. Renier a dj tabli depuis
longtemps (Instructions pour la recherche des antiquits en Algrie, 1858, p.
7). Voir aussi Letourneux, Monuments funraires de lAlgrie, p. 313. Je nen
ai fait mention ici que pour combattre lopinion mise quelquefois leur sujet
et leur assigner, une fois de plus, leur vritable destination.
(5) On aimerait savoir o placer deux forteresses que Procope nous
signale (De Bell. Vand., II, 13) comme remontant au haut Empire :

. Cf. ibid., II, 20 :


598 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Cest grce cet ensemble de mesures habiles et ner-


giques que loccupation militaire du pays et en mme temps
la colonisation purent stendre, au sicle, jusquau bord
septentrional des chotts et jusqu lOued-Djedi, quelle ne
dpassa jamais, enveloppant ainsi non seulement le Hodna,
mais aussi les montagnes des Ouled-Nal et du Zab, la date
mme o la limite de la Maurtanie savanait jusquau bord
septentrional des Hauts-Plateaux, aprs avoir franchi la ligne
de hauteurs qui les spare du Tell.
Ce nouveau et dernier progrs de la conqute romaine
a laiss sur le sol des traces que lon a recueillies. A Bir-Mo-
hammed-ben-Youns, au sud-ouest de Ngrin et au nord du
Chott-Asloudj, sur la rive droite de lOued-Djerech, on a re-
trouv les restes dune construction romaine de 55 mtres
et large de 33, btie en pierres bien appareilles qui consti-
tuaient des murs de 0 m, 70 0 m, 80(1) On en a conclu avec
raison quil y avait cet endroit un poste charg de surveiller
les passages qui pouvaient exister entre le Chott-Asloudj et le
Chott-es-Sellem.
Sur lOued-Djedi, on a fait assez rcemment une consta-
tation des plus intressantes(2) : on y a signal, 4 kilomtres
environ au sud de la rivire et courant paralllement elle, des
vestiges trs nets de ce foss-limite dont nous avons dj re-
connu lexistence sur dautres points de la frontire mridio-
nale africaine(3). Le trac en a t suivi pendant une vingtaine
de kilomtres au sud des oasis de Oumach, Mlili et Lioua,
____________________

. Voir, au sujet de ces forteresses et des synony-
mies quon a proposes : Gsell, Atlas arch. de lAlgrie, XXXVIII, 48 et 75.
(1) Parisot, Rec. de Constantine, XXV, 1888, p. 127 et suiv.
(2) Rapports de MM. Verdier et Dinaux, dans lEnqute administrative sur
les travaux hydrauliques anciens en Algrie, publie par M. Gsell, p. 124 et suiv.
133 et suiv.
(3) Voir plus haut, p. 534 et 546.
FRONTIRE DAFRIQUE. 599

jusqu la hauteur de Drah-Remel o parat tre son origine.


Les indignes donnent la longue bande de pierres et de sa-
ble qui en marque la distinction le nom de Bent-el-Kras. Le
foss mesurait jadis une dizaine de mtres de largeur(1) ; les
terres de dblai, rejetes de part et dautre, avaient t am-
nages en talus dun mtre de hauteur. Dans le voisinage,
des intervalles variables selon la disposition du terrain, exis-
tent des mamelons dun diamtre moyen de 10 mtres, runis
le plus souvent par groupes de trois, 100 mtres de distance.
Ils commandent le terrain environnant et portent des amas de
pierres, de moellons et de briques (2) ; on y a vu des restes
de tours signaux. A dautres endroits, et cette fois des in-
tervalles rguliers, des mamelons portent des fondations car-
res de 3 mtres de ct, restes de postes dfensifs. Enfin on a
not, en certains points dont lintervalle parat encore assez
rgulier, que louvrage cesse brusquement pour reprendre 150
mtres environ plus loin (3) ; ces interruptions correspondent
danciens passages par o les caravanes pouvaient franchir
la ligne de dfense. Toutes ces particularits se retrouvent sur
les limes dans dautres provinces : elles caractrisent ce genre
de systme dfensif sur la frontire ; il est tout naturel que les
Romains y aient eu recours dans cette rgion(4). On pourrait
stonner, il est vrai, que disposant dun foss naturel, la ri-
vire mme, ils se soient donn la peine de creuser, quel-
ques kilomtres au del, un foss artificiel ; mais de cela on
a donn lexplication(5) : en premier lieu lOued-Djedi coule
dans un lit trs large, berges variables, qui nest point difficile
____________________
(1) Voir les profils donns par M. Dinaux, p. 134.
(2) Ibid., p. 136.
(3) Ibid., p. 137.
(4) Cest M. Gsell qui ; le premier, a reconnu la vritable nature de
ce quon nommait la Seguia Bent-el-Khras (Mlanges Boisier, p. 227 et
suiv.). Cf. Kornemann dans Klio, 1907, p. 96.
(5) Gsell, loc. cit., p. 230.
600 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

franchir et qui constituait, par suite, une protection insuffi-


sante ; en second lieu, dans un pays o leau, par sa raret, est
particulirement prcieuse, il tait indispensable de sassurer
la possession inconteste du torrent. Cest ce qui explique
aussi pourquoi on avait dispos tout le long de lOuedDjedi,
et mme sur la rive droite, des camps retranchs.
Il faut citer en premire ligne le camp voisin dOurlal,
sur la rive droite de la rivire du ct du dsert, un endroit
appel aujourdhui du nom caractristique de El-Kasbat. Cest
l quon a trouv jadis, devant la porte de louvrage, une ins-
cription ddie la Victoire Auguste par un dtachement de la
lgion, en 253 (vexillatio milliaria legionis III Augustae res-
titutae e Raetia Gemellas regressi)(1). Le P. Delattre la tudi
avec soin(2) ; aprs lui, MM. Audollent et Letaille y ont fait
des fouilles, qui nous ont fix sur les dtails intressants(3). Le
camp mesurait 234 mtres en longueur et 138 en largeur ; il
tait entour de murs de 2 mtres dpaisseur arrondis aux an-
gles. Lemplacement des quatre portes est encore visible, mal-
gr le sable qui les a couvertes. Au centre existait un rduit de
30 pas de ct, entour de contreforts au moins sur deux faces ;
il souvrait lEst. Intrieurement, il est compos dune cour
autour de laquelle rgnent de petites chambres. Les murs de la
cour portent et l des graffites, tracs par les soldats sur len-
duit qui en formait le revtement. On y voit des scnes de la vie
militaire, des chevaux, des chameaux, des caricatures mme,
notamment celles dun empereur ; on y lit aussi de courtes
inscriptions, dont quelques-unes, dit le P. Delattre, paraissent
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2482 ; cf. 17976.
(2) Revue de lAfrique franaise, 1888, p. 175. Cf. Revue de Constan-
tine, XXV, 1888, p. 263.
(3) Cf. Mission pigraphique en Algrie, p. 183 et suiv. ; voir
aussi Dinaux-Gsell. Enqute sur les travaux hydrauliques anciens en
Algrie, p. 131.
FRONTIRE DAFRIQUE. 601

appartenir lcriture punique, dont la plupart sont en cur-


sive ou en onciale ; elles contiennent des noms de soldats(1),
des chiffres, ou de courtes phrases comme la suivante : Abi
tutus ; ibi (=ivi) Badias , qui semble sadresser un compa-
gnon darmes prt partir pour le castellum Badiense. Nous
avons constat, dit le P. Delattre, que le mur de cette caserne
romaine porte jusqu quatre couches denduits superposes ;
chaque couche est galement couvertes de graffites. Mais les
trois enduits primitifs ont t martels pour donner prise ce-
lui qui les recouvrait, de sorte que les graffites y sont beaucoup
plus difficiles dchiffrer que ceux de la dernire couche. Le
mur que nous avons dcouvert porte une srie de cartouches
base rectangulaire et sommet angulaire. Ces cartouches, qui
mesurent, les uns 0 m, 60 de hauteur sur 0 m, 47 de largeur, les
autres 0 m, 40 sur 0 m, 30, renfermaient sans doute autrefois
des tablettes de marbre ou de bronze sur lesquelles taient gra-
vs des rglements militaires. Dautres fouilles analogues,
notamment celles de la caserne des vigiles Ostie, o lon a
not la mme particularit(2), permettent de croire que ces car-
touches taient remplis autrefois dun enduit assez fin et poli
soigneusement ; on y traait la peinture soit les noms des
soldats chargs de tel et tel service, soit des prescriptions mi-
litaires, soit des renseignements relatifs au contenu des cham-
bres aux murs desquelles il taient appliqus.
Les inscriptions trouves El-Kasbat ou Ourlal com-
____________________
(1) C. I. L., VIII, 17978,17979. Le P. Delattre avance que plusieurs
des noms qui figurent parmi ces graffiti ; prouvent que la frontire romaine
savanait jusqu lOued-Djedi ds le commencement de notre re. Je sup-
pose quil fait allusion, par l, aux gentilices Julius et Claudius qui se lisent,
le premier trois fois, le second une seule, parmi les noms inscrits sur la mu-
raille dEl-Kasbat ; mais il est vident que ce ne sont pas l des renseigne-
ments suffisamment probants.
(2) Notizie degli Scavi, 1889, p. 82.
602 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

pltent les renseignements que nous fournit lexamen des rui-


nes. De lune delles(1), il rsulte que la position tait occupe
en 253 par un dtachement de 1,000 hommes emprunts la
lgion de Lambse ; dune seconde(2), qu une poque quil
nest pas possible de dterminer, la garnison comprenait peut-
tre aussi une des cohortes auxiliaires de larme de Numi-
die. Inscription et ruines de forteresse prouvent que le camp
de Kasbat tait de premire importance et formait le centre de
la dfense du pays de ce ct(3).
La rivire, dont il ntait loign que de 300 mtres en-
viron, tait endigue et munie dun barrage qui assurait la
garnison la provision deau dont elle avait besoin.
Les deux rives de lOued-Djedi, depuis le Chott-Mel-
ghir jusquaux Ouled-Djellal, sont couvertes de petits forts
qui se rattachaient au camp dOurlal.
Le P. Delattre(4) signale les postes de Ksar-Gerbania, Ksar-el-
Kababia, Ksar-Guelt-Trasgalla, Ksar-Zaa, entre Mlili et Toual ;
ceux de Dra-er-Remel, Guem, Mza-el-Oucif, Guerba, Guezmir,
Kherbet-el-Ksir, entre Toual et loasis des Ouled-Djellal.
La frontire de ce ct se terminait loasis de Doucen,
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2482 ; cf. 17976.
(2) Revue de lAfrique franaise, 1888, p. 176 ; cf. C. I. L., VIII, 17980.
(3) Cf. Ragot, Rec. de Constantine, XVI, 1873-1874, p. 289. Ctait
aussi lopinion de Dewulf, qui crivait L. Renier le 24 novembre 1868 (Pa-
piers indits de L. Rnier, III, 8) : Jtudie en ce moment lOued-Djdi, limite
probable de loccupation romaine en Afrique. Cette rivire est borde de pe-
tits postes, et au lieu dit Kasbat, au sud dOurlal, se trouvent les ruines dun
immense camp retranch, dont lenceinte en maonnerie est visible sur tous
les points. Ce camp tait susceptible de renfermer une trentaine de mille hom-
mes (sic). Au milieu du camp se trouve un btiment ou plutt un petit fort,
lencontre duquel sappuient, lintrieur et sur tout le pourtour, des votes
qui ressemblent assez bien nos casemates. Cest un camp sans doute quha-
bitait la garde de la frontire, et elle dtachait des garnisons dans les petits
postes qui bordent lOued-Djdi. Cette rivire tait couverte de barrages.
(4) Recueil de Constantine, XXV, 1888, p. 269 et suiv.
FRONTIRE DAFRIQUE. 603

o les Franais, dit Cherbonneau, ont bti un Bordj sur


lemplacement dun fort romain(1) signal peut-tre par deux
inscriptions trouves cet endroit(2) ; il est situ au point de
jonction de lOued-Ceder et dun de ses affluents, dans une
position stratgique excellente. De l on pouvait remonter, en
suivant le cours de lOued-Sadouri et en franchissant les mon-
tagnes du Zab, Mdoukal et Tobna . Il tait soutenu par le
camp de Sadouri, enceinte de 80 mtres de long sur 50 mtres
de large(3). De lautre ct de ce pt montagneux, dans la val-
le de lOued-Char tait tabli le poste de El-Gara. Nous en
avons pour garants plusieurs textes pigraphiques dcouverts
sur ce point, notamment : une ddicace la Fortune, Hygie
et Esculape par le lgat Apronius Pius(4), qui appartient au
IIIe sicle ; une autre consacre Mithra par un lgionnaire, un
dcurion de laile des Pannoniens et un bnficiaire du lgat(5) ;
une troisime, du temps de Gordien, o se lit le nom du nu-
merus Palmyrenorum(6), enfin diverses pitaphes militaires(7).
Les restes qui subsistent aujourdhui cet endroit, et qui ont
t relevs par M. le lieutenant Lassalle, sont ceux dune ville
retranche de basse poque o tout a t boulevers(8) ; ils t-
moignent, au moins, de limportance militaire de la position.
De l, la frontire, suivant M. Gsell, tournant vers le
Hodna, allait rejoindre la ligne Grimidi-Chellala-Saneg (9).
____________________
(1) Rec. de Constantine, XXV, p. 277.
(2) Ibid., XX, 1879-1880, p. 159.
(3) Ragot, ibid., XVI, 1873-1874, p. 290.
(4) C. I. L., VIII, 2782 ; cf. 18018.
(5) Ibid., 18025.
(6) Ibid., 18026.
(7) Ibid., 8784, 18027, 18028 ; Bull. arch. du Comit, 1904, p. CLXI (du
temps de Caracalla), etc.
(8) Bull. arch. du Comit, 1889, p. 393 et suiv.
(9) Mlanges de lcole de Rome, XX, p. 135 ; LAlgrie dans lanti-
quit, p. 27. Sur cette partie du limes, voir encore Blanchet, Bull. archol. du
Comit, 1899, p. 137 et suiv., qui adopte pour limite le cours de lOued-Char.
604 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Mais comme il fallait garder les routes du dsert qui


donnaient accs la province de Numidie de ce ct et les
couloirs tracs entre les monts des Ouled-Nal, ceux du Bou-
Kal et ceux du Zab, un srie de postes fortifis avaient t
disposs en avant du limes aux endroits dsigns par la nature
des lieux ; il se passait de ce ct ce qui a t signal plus haut
pour les oasis de la Tripolitaine : Ghadams, Bondjem, Gha-
ria-el-Garbia.
Cest dabord le camp de Msad, localit sise la pointe
sud-ouest du Djebel-bou-Kal. On y a signal, avec les res-
tes dun grand poste, un certain nombre dinscriptions qui
tablissent le sjour sur ce point, au IIIe sicle, dun dta-
chement lgionnaire et de troupes auxiliaires, non pas, sem-
ble-t-il, pour un temps et en vue dune expdition, mais afin
dassurer dune faon permanente la scurit du pays(1). Un
peu plus vers le Nord, la valle de lOued-Char tait barre
par le poste de lOued-Rich, qui fermait en mme temps la
coule troite ouverte entre le Bou-Kal et les monts du Zab.
De l provient une inscription, malheureusement trs mal co-
pie, qui est nanmoins caractristique : elle semble contenir
une suite de noms termine par une date consulaire(2). Cest
peut-tre une liste militaire analogue celles que lon a re-
cueillies en dautres endroits, par exemple Lambse et
Mena.
Une seconde troue naturelle travers les monts des
Ouled-Nal souvre en face de Laghouat et donne accs, par
Tadmit, Djelfa et Bou-Sada, dans la valle suprieure de
lOuedDermel.
____________________
(1) C. I. L., VIII, 8794 8800 ; cf. 18016 et suiv. Le n 8796 est du
temps du lgat Anicius Faustus (195-201) ; le n 8798 est contemporain de
Caracalla, le n 8705 de Svre-Alexandre. Diffrents fragments rcemment
trouvs remontent lanne 225.
(2) Ibid., 8793 ; cf. 18019.
FRONTIRE DAFRIQUE. 605

Tadmit, o slve aujourdhui un pnitencier, tait un


centre assez peupl, situ sur la rive gauche de lOued-Tad-
mit. Ltablissement antique tait entour dun mur pais
dun mtre ; il tait dfendu, comme le village situ en face,
par une enceinte double muraille, couronnant le fate des pi-
tons au pied desquels lun et lautre taient btis. Les cols qui
pouvaient permettre de tourner ces villes taient gards par
des rduits ou par des espces de tours. En amont du pont
de la route de Takarzane, dit un des rares auteurs qui ont crit
sur cette rgion, on rencontre encore des traces de construc-
tions isoles, une enceinte carre de 100 mtres de ct envi-
ron, et, sur les deux rives de la rivire, des postes destins
protger le bas-fond o les habitants des villes avaient tabli
leurs cultures(1). Ici encore, il faut rpter ce qui a t dit
propos dEl-Gara : si ces ruines sont dpoque assez basse,
ainsi quon peut le croire, elles nen indiquent pas moins que
les Romains avaient reconnu la ncessit doccuper srieuse-
ment ce point.

Djelfa se trouve au nud de plusieurs routes conduisant


les unes au Nord vers Alger et la valle du Cheliff, les autres
lOuest vers les Haut-Plateaux, au Nord-Est vers le Hodna,
au Sud vers lOued-Djedi par le col dIfsi ; cest un centre de
commandement pour tout le pays environnant. Aussi avait-on
eu bien soin dy mettre une garnison. On y remarque un poste
fortifi, large de 40 pas sur 45 de longueur. Au centre est une
cour intrieure entoure, comme latrium des maisons romai-
nes, de nombreuses chambres, dont on peut encore tracer le
plan. Nous avons dj signal la mme particularit ailleurs.
Les murs sont btis en pierres bien appareilles et sans ciment ;
____________________
(1) Gunin, Bull. archol: du Comit, 1889, p.275 et suiv.
606 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

leur paisseur tait de 0 m, 60 environ(1). La construction ap-


partient certainement une bonne poque.
Bou-Sada est galement situe dans une excellente po-
sition, sur la limite sud du Hodna ; au pied coule lOued-Re-
mel. On a signal, dans la partie leve de la ville moderne,
des blocs taills sur lesquels reposent les maisons arabes : ce
sont les restes du fort romain qui gardait le passage(2).
Toutes ces voies de communication militaire, qui re-
liaient lOued-Djedi la ligne des garnisons romaines tablies
plus au Nord, venaient converger dans la plaine du Hodna et
aboutissaient dans le triangle form au Nord par le chott du
Hodna et au Sud par le pied des montagnes des Ouled-Nal et
du Zab. De ce triangle on ne pouvait sortir quen contournant
les chotts lOuest, auquel cas on venait se heurter contre
les postes du limes de Maurtanie que nous tudierons plus
loin, ou en passant lEst entre le grand chott et le petit chott
ou entre ce dernier et les montagnes qui forment la ceinture
orientale du Hodna.
Dans lun et lautre cas, on tait oblig de passer en vue
de Tobna et ensuite de Ngaous, qui toutes deux taient solide-
ment occupes.
Tobna occupe un superbe emplacement entre lOued-Bi-
tam et lOued-Barika, sur le versant occidental dun plateau
do elle domine au loin la plaine. Les Byzantins y construisi-
rent une puissante forteresse o ils amoncelrent, suivant leur
habitude, tous les souvenirs dun ge antrieur : cest ce qui
explique comment lon ny a encore trouv que relativement
peu dinscriptions et presque aucun reste de la ville romaine.
Un seul texte de Tobna(3) contient la mention dun corps de
____________________
(1) Reboud, Rev. Afric., I, p. 27 et 28.
(2) Recueil de Constantine, XV, 1871-1872, p. 346.
(3) C. I. L., VIII, 18638.
FRONTIRE DAFRIQUE. 607

troupes, la lgion IIIe Auguste ; mais il est si mutil quon ne


saurait en tirer raisonnablement aucune consquence. Il suffi-
rait cependant, lui seul et en supposant que nous ne poss-
dions pas dautres textes pigraphiques de la bonne poque,
contredire lopinion de Texier, suivant lequel la ville de To-
bna ne remonterait pas plus haut que Justinien(1).
Ngaous, sur lOued-Barika, commande lentre du
Bellezma ; des ruines assez tendues en subsistent encore
aujourdhui. On y a not dans un rayon de deux kilomtres
les restes dun certain nombre denceintes fortifies. La plus
importante, au lieu dit Kherbet-Hammoud, mesure 50 mtres
de ct et renferme un btiment de 5 mtres sur 4(2).

Telle est, autant quon peut la connatre actuellement, la


srie des diffrents postes dfensifs tablis au sud des posses-
sions romaines en Afrique, que larme de Numidie tait char-
ge de garder. Cette tche tait immense, surtout au IIIe sicle,
la suite de loccupation des oasis du centre de la Tripolitaine
et de la valle de lOued-Djedi ; elle suppose une puissante
organisation militaire, mais elle indique aussi que le pays tait
trs srieusement pacifi. Jamais, avec des troupes rgulires
relativement si peu nombreuses, les Romains nauraient pu
stendre sur un tel espace de terrain et louvrir la civilisa-
tion, du moins en grande partie, sil leur avait fallu lutter la
fois contre les ennemis de lintrieur et contre ceux du dehors.
Cest parce que, loin davoir se proccuper de ce qui se pas-
sait dans la province quils couvraient, ils trouvaient, sur le
territoire occup, avec une population gnralement paisible,
____________________
(1) Rev. arch., 1848, p. 134. Cf., sur la position de cette ville, Gsell,
Atlas arch. de lAlgrie, XXXVII, 10 (avec la bibliographie).
(2) Cf. Poulle, Rec. de Constantine, VII, 1863, p. 7, et Gsell, op. cit.,
XXVI, 161.
608 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

des secours contre les pillards du Sud, quils ont pu mener


bonne fin luvre quils avaient entreprise l comme ailleurs :
la conqute pacifique du pays aprs la conqute guerrire. Il
nen fut pas de mme de la Maurtanie, contre beaucoup
plus sauvage, beaucoup plus rebelle la civilisation.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 609

CHAPITRE II.

ARME DE MAURTANIE CSARIENNE.

Quand on place sur une carte de la Maurtanie les dif-


frents points fortifis dont on a gard le souvenir au haut
Empire, on saperoit immdiatement que loccupation du
pays a t comprise tout diffremment quen Numidie, parce
que lennemi ou plutt les ennemis ny taient pas les m-
mes. En Numidie, ainsi que nous venons de le dire, le pril
ne pouvait gure venir que du Midi ; et, sauf le massif de
lAurs, il nexistait pas de pt montagneux important, asile
de brigands et foyer de rvolte. En Maurtanie, au contraire,
le danger tait triple : lattaque pouvait se produire au Sud,
au Nord et mme au centre. Au Sud, on avait craindre les
incursions des tribus du dsert, au Nord celles des pirates, au
centre les soulvements des montagnards des Bibans et des
Babors, du Djurjura et du massif de la Grande-Kabylie, du
Dahra, de lOuarsenis et du Tessala. De l trois grandes lignes
doccupation militaire, lune suivant la cte, lautre longeant
la crte septentrionale des Hauts-Plateaux, la troisime cou-
rant paralllement la mer, gale distance peu prs des
deux autres, chacune de ces lignes tant, dautre part, relie
la suivante par des lignes peu prs perpendiculaires, qui
suivaient les voies de pntration des diffrents massifs.
La difficult est de savoir quelle date il faut assigner cha-
cune de ces lignes doccupation. La premire, celle qui longe la
cte, a t assurment tablie de bonne heure. Les colonies de
vtrans envoyes par Auguste Igilgili(1), Saldae(2), Rusazu(3),
____________________
(1)-(2)-(3) Plin., Hist. nat., V. 20.
610 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Rusguniae(1), Gunugu(2), Cartenna(3), en sont les jalons primi-


tifs, comme celles de Zucchabar(4) et dOppidum Novum(5),
cette dernire fonde par Claude, sont les premiers chanons
de la ligne intermdiaire ; mais elle ne peut avoir t consti-
tue effectivement que lors de la rduction du pays en pro-
vince romaine, cest--dire vers lanne 40.
La ligne suivante, celle qui, partant de Zraa lEst, se
termine Lalla-Maghnia lOuest, est, dans son ensemble,
trs postrieure. La Blanchre(6) lattribue seulement, du moins
pour la partie occidentale, Septime-Svre, parce que les
inscriptions du IIe sicle y sont trs rares et que lappareil des
fortins qui existent encore, malgr leur beaut, naccuse pas
une poque antrieure. Cette assertion me parat inacceptable
non seulement parce quil est bien difficile de croire que les
empereurs du second sicle naient pas tent dasseoir solide-
ment leur domination dans les grandes valles que suit cette
ligne dfensive, mais aussi et surtout parce que des textes
prcis permettent de faire remonter plus haut ltablissement
dun certain nombre des grands centres qui la constituent.
En premier lieu, il faut se rappeler que toute la plaine qui
stend aux environs de Stif, colonise par Nerva(7), tait occu-
pe par des proprits impriales(8) et que Bordj-bou-Arreridj
confinait aux domaines de Matidie, belle-mre dHadrien(9).
Est-il croyable, que, dans ces conditions, ce pays ait t laiss
____________________
(1-2) Plin., Hist. nat., V, 20.
(3) Idem, ibid., 19.
(4)Idem, ibid., 21.
(5) Idem., ibid., 20.
(6) Voyage dtude dans une partie de la Maurtanie Csarienne (ex-
trait des Archives des Missions scientifiques et littraires, X, 1883, p. 77.
(7) C. I. L., VIII, 8473 : Colonia Nerviana Augusta Martialis vetera-
norum Sitifensium.
(8) Poulle, Rec. de Constantine, XVIII, 1876-1877, p. 625 et suiv.
(9) C. I. L., VIII, 8812 ; cf L. Renier, Rev. arch., 1864, p. 218, et
Poulle, Rec. de Constantine, XVII 1875, p. 427 et suiv.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 611

lui-mme au IIe sicle, du ct de la Maurtanie, alors que


Zraa tait le lieu de garnison dune cohorte de larme de Nu-
midie(1) ? De plus, on lit le nom dHadrien sur une inscription
de cette rgion ; elle nous apprend quil y avait, cette date,
prs de Bord-Medjana, une tribu de Numides dont lempe-
reur fit dlimiter le territoire(2) ; ce fait implique la soumission
de la rgion, et par consquent sa surveillance militaire.
Autres dtails : louest de Bordj-Medjana se trouve
Aumale ; nous savons que ctait, mme avant la guerre de
Tacfarinas, une place forte occupe par les rois du pays(3), ce
quexplique sa position militaire de premier ordre, qui na pas
chapp nos gnraux. Il nest pas possible quon ait attendu
la fin du IIe sicle pour sy tablir solidement, alors surtout
quune route romaine existait dj en 155(4) entre Aumale et
Cherchell. De mme, Sour-Djouab, un peu lOuest encore,
a donn une inscription(5) qui fait remonter la fondation de ce
centre lpoque dHadrien et un milliaire(6), dat du rgne du
mme empereur (anne 124), o sont inscrites les distances de
ce point Aumale, dune part, Berrouaghia, de lautre ; une
grande route existait donc dj dans la rgion pareille date.
Un autre texte pigraphique nous apprend que, sous Marc-
Aurle, la cit tait habite en grande partie par des vtrans,
qui lentourrent de murs(7) ; la prsence de vtrans sur ce
point ne peut sexpliquer que par le voisinage dun camp ou
par une concession de terres ; la premire hypothse me sem-
ble plus vraisemblable ; toutes deux entranent loccupation
sous une forme diffrente.
____________________
(1) Voir plus haut, p. 580.
(2) C. I. L., VIII, 8813, 8814.
(3) Tac., Ann, IV, 25.
(4) C. I. L., VIII, 10439.
(5) C. I. L., VIII, 20833.
(6) Bull. arch. du Comit, 1908. p. 246.
(7) C. I. L., VIII, 20834. Le texte de ces inscriptions sera cit plus loin.
612 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Ce nest pas tout : entre Aumale et Mda, cest--dire


dans la valle suprieure de lIsser, on a trouv linscription
suivante(1) : Imp. Caesar M. Aurel(ius) Commodus Antoni-
nus Aug. P. Germanicu[s] Sarmaticu[s] Britannicus Maximus
securitati provincialium suorum consulens t[u]rres novas ins-
tituit et veteres refecit oper[a] militum [su]orum, Cl(audio)
Perpetuo proc(uratore) suo.
Les mots novae et veteres sont caractristiques. Ce pays
tait donc dj gard militairement avant le rgne de Com-
mode par des postes fortifis.
Il ne faut pas oublier non plus que, dans la valle du
Cheliff, le poste dOppidum Novum tait, depuis le rgne de
Claude, protg par des vtrans(2).
Enfin il a t trouv prs dAn-Tmouchent, qui ne fait
pas, proprement parler, partie de la seconde ligne doccupa-
tion, mais qui nest pas non plus sur celle du littoral, un texte
analogue celui qui a t cit quelques lignes plus haut(3).
L encore, il est question de nouvelles forteresses leves en
Maurtanie par Commode.
De ces remarques et de ces documents on peut conclure,
je pense, que la deuxime ligne doccupation de la Maurta-
nie existait dj bien antrieurement Septime-Svre. Jen
ferais volontiers remonter lorigine Hadrien, dont le nom est
deux fois mentionn sur les inscriptions. La gravit de la r-
volte des Maures au dbut de son rgne rclamait des prcau-
tions militaires srieuses pour lavenir. Le voyage quil fit en
Maurtanie lui dmontra assurment la ncessit de faire sur-
veiller, dune faon ou de lautre, les grandes valles du Sahel,
de lIsser et du Cheliff. Antonin le Pieux et Marc-Aurle, qui,
____________________
(1) C. I. L., VIII, 20816.
(2) Plin., Hist. nat., V, 20.
(3) C. I. L., VIII, 22629.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 613

eux aussi, eurent souffrir de la turbulence des indignes,


durent renforcer la ligne dHadrien : les murailles de Sour-
Djouab en sont une preuve, puisquelles furent leves
adjuvante et curante viro egregio procuratore , comme dit
linscription qui nous en signale la construction(1). Enfin Com-
mode continua luvre de ses prdcesseurs.
Loccupation du pays savanait donc, au dbut du IIe
sicle, jusquau pied des Hauts-Plateaux. Seule la partie oc-
cidentale de la Maurtanie, au sud du Tessala, pouvait tre,
ce moment, soumise de nom plutt que de fait : la route mili-
taire qui joignait Lalla-Maglinia Sidi-Ali-ben-Youb est cer-
tainement antrieure Svre Alexandre, car cet empereur,
daprs le tmoignage formel des inscriptions militaires(2), ne
lit que la rparer (miliaria nova posuit) ; mais peut-tre ne re-
monte-t-elle qu Septime-Svre. Luvre capitale de celui-
ci et de ses fils parat tre, dautre part, davoir sinon achev,
au moins rsolu la prise de possession de lOuarsenis. Deux
faits semblent le prouver: Usinaz, le point le plus oriental que
nous connaissions sur la troisime ligne, tait dfendu par un
fortin en 205(3), et la route qui joignait ce point Altava par
Tiaret existait dj lpoque o Caracalla partageait lEm-
pire avec Septime-Svre(4).
____________________
(1) C. I. L., 20834.
(2) Ibid., 10461 10470.
(3) Ibid., 9228.
(4) Les milliaires trouvs sur cette route entre Timziouin et Tnira (ibid.,
22602, 22604, 22611) nous apprennent que les deux empereurs, en 201, firent
tablir miliaria nova practenturae (22611) ou miliaria novae praetenturae
(22602-22604). La praetentura est le pays qui stend en avant du territoire
romain ; la voie qui le traverse en bordure de ce territoire nest pas diffrente
du limes. Si la leon nova est la vraie, il faut en conclure que la voie existait,
cest--dire que la frontire avait t pousse jusque-l antrieurement ; si, au
contraire, il faut prfrer novae, ou si les deux expressions sont quivalentes,
les milliaires tant nova parce que la praetentura est, elle aussi, nouvelle, ce
serait en 201 que la limite de la province aurait reu cette dernire extension.
614 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Les empereurs suivants maintinrent cette troisime li-


gne et la renforcrent : le IIIe sicle marque le plus grand d-
veloppement de loccupation romaine en Maurtanie, comme
en Numidie.
Il convient maintenant dtudier dans le dtail les diff-
rents postes chelonns sur chacune de ces trois lignes. Nous
nous occuperons dabord de la seconde, qui permettait de sur-
veiller la fois les massifs du Nord et les routes de caravane
par o lon pntrait dans le dsert. Nous y rattacherons suc-
cessivement chacun des pts montagneux qui ncessitrent
le maintien de la premire ou le trac de la troisime.

VOIE MILITAIRE CENTRALE DE LA MAURITANIE.

Le point occidental extrme de la frontire militaire de


Numidie est Zraa, au sud de deux petits chotts dont il gar-
dait le passage ; nous avons vu plus haut quil tait occup
pendant le IIe sicle par une cohorte. Toute la rgion occiden-
tale jusqu Bordj-bou-Arreridj tait, ainsi quil a dj t dit,
couverte par des domaines impriaux. On na trouv, dans
cette rgion, aucun texte pigraphique qui, dfaut dautres
donnes, nous fasse connatre quelques-uns des postes tablis
de ce ct au IIe sicle. Nous ne pouvons donc procder que
par conjecture.
Il est probable que le limes suivait cette poque la route
qui, partant de Zraa, gagnait Stif et de l redescendait vers la
Medjana, en contournant le pied des montagnes. Stif, coloni-
s par des vtrans de Nerva, tait certainement un centre d-
fensif important. Tout autour, des camps volants protgeaient
sans doute les colons de lempereur, qui eux-mmes ne devai-
ent point rester trangers loccupation du pays. Peu peu,
pendant la dure du IIIe sicle, la limite savana vers le Sud :
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 615

labandon de Zraa comme poste militaire, en 202, est signi-


ficatif(1).
Ds lors, les colons de lempereur, laisss leurs seules
forces, furent obligs, pour se mettre labri des pillards des
montagnes voisines, de sentourer de murailles : ceux dAn-
Zada, le chef-lieu des domaines impriaux de ce district,
construisirent un fortin en 213(2) ; ceux de Guellal en 234(3) ;
ceux dAn-Melloul(4), de Kherbet-Ksar-Tir(5), et de Bir-Had-
dada(6), vers la mme date, probablement ; enfin ceux de Cel-
lae, lentre du Hodna, en 243(7). Il est bien vident que si,
une poque antrieure, ils navaient pas t protgs par des
garnisons semes dans le pays, ils nauraient pas attendu au
IIIe sicle pour se retrancher : cest le premier soin que lon
doive prendre, quand on stablit dans une contre peu sre
et que lon est oblig de pourvoir soi-mme sa dfense.
Le premier poste militaire qui nous soit signal entre
Zraa et Aumale est Lemellef, qui est dsign par la Table de
____________________
(1) C. I. L., VIII, 4508.
(2) Ibid., 8426 : [Imp] Caes. M. Au[reli]o Severo An[to]nino Pio
Fel. Aug. d. n. Part. Brit. Max. cos. III coloni Caput saltus horreorum et Ka-
lefacelenses Pardalarienses aram pro salute ejus consecraverunt et nomen
castello quem constituerunt Aureliane[nse] Antonia[nense] posuerunt et d(e)
d(icaverunt). On remarquera que cet tablissement existait dj aupara-
vant, mais ntait pas fortifi ; voir ibid., 8424 : Pro salute Imp. Caesaris
P. Helvi Pertinacis tribunicie potestatis cos. II p. p. coloni d. n. Caput saltus
horreor. Pardalari hanc aram posuerunt an 192.).
(3) C. I. L., VIII, 8701 : Imp. Caesar muros castelli Dianensis ex-
truxit per colonos ejusdem kastelli. Sur ce point aussi, il existait un groupe
de colons antrieurement ; voir ibid., 8702.
(4) Ibid., 20486, 20487.
(5) R. Gagnat, Ml. Perrot, p. 37 et suiv. : Indulgentia novi seculi
lmp. Caes. M. Antoni Gordiani kastellum Vanarzanensem prolatum est.
(6) C. I. L., VIII, 8710.
(7) Ibid., 8777 : Pro salule et incolumitate domini nostri Imp. Caes.
M. Antoni Gordiani Invicti Pii Felicis Aug. totiusque domus divinae ejus
mucus constitutus a solo a colonis ejus castelli Cellensis dicatissime devoti
numini ejus fecerunt (anno) p(rovinciae) CCIIII (an 143).
616 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Peutinger(1) sous le nom de Lemelli praesidium et que saint


Optat appelle castellum Lemellense(2) ; le nom de Lemellef,
dautre part, figure sur une inscription(3). Il slevait len-
droit appel aujourdhui Kherbet-Zembia. La ruine est situe
sur une minence qui domine la partie suprieure du cours
de lOued-Ksob ; elle commande les deux flancs de la val-
le(4), et par consquent dfend lentre de la plaine du ct
o lOued-Ksob fait un passage entre le Djebel-Mzita et les
hauteurs qui environnent Bordj-bou-Arreridj lEst.
A louest de ce point stend le plateau appel Medjana.
Ctait au bord de ce plateau que slevait une autre place
fortifie, nomme Tamannuna(5). On est daccord pour la pla-
cer lendroit nomm aujourdhui Tocqueville(6).
Bordj-Medjana, qui est situ tout ct, parat aussi
avoir remplac un tablissement romain. Le nom de Medjana
se rapproche tout naturellement de celui du Castellum Me-
dianum dAmmien Marcellin(7).
De l, la frontire militaire devait gagner Auzia en suivant
peu prs la direction de la route actuelle de Bordj-bou-Ar-
reridj Aumale. Avant dy arriver, elle passait sous la protec-
tion dune place fortifie que la Table de Peutinger qualifie de
Castra ; lethnique qui prcisait cette appellation figurait sur
le premier segment de la Table, aujourdhui perdu. De plus, la
distance qui spare ce point dEquizetum par Galaxa ntant
____________________
(1) Table de Peutinger, II, 6 ; cf. C. I. L., VIII, 20602.
(2) De schism. Donat., II, 16.
(3) C. I. L., VIII, 88o8.
(4) Rec. de Constantine, V, 1860-1861, p. 225 ; XII, 1868, p. 487 ; XV,
1871-1872, p. 183 ; Gsell, Recherches archologiques en Algrie, p. 273. Ce
dernier auteur place Lemellef 10 kilomtres de l, au lieu dit Bordj-Rhedir
(Atlas arch. de lAlgrie, XVI, 347).
(5) Tab. De Peutinger, II, 2.
(6) Gsell, Ml. de lcole de Rome, XV, 1895, p. 64 et suiv. ; Atlas
arch. de lAlgrie, XXVI, 1942 ; C. I. L., VIII, p. 1942.
(7) Ammian., XXIX, 5, 45.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 617

pas indique, non plus que celle qui la spare dAuzia, il ny


a pas didentification possible entre ce poste et une localit
actuelle.
Au IIIe sicle, quand la ligne de dfense se fut avance
vers le Sud jusquaux monts du Hodna, on dut fortifier surtout
deux points, qui sont dsigns par leur position mme. Nous
les retrouvons, au reste, indiqus par lItinraire dAntonin,
sur la route qui longe la limite septentrionale du Hodna, et
lun deux devint plus tard chef-lieu de limes, au Ve sicle :
ce sont Henchir-Bechilga (Zabi) et Tarmount.
Henchir-Bechilga, o rien ne reste plus debout
aujourdhui(1), slevait un peu en avant du point o lOued-
Ksob souvre un passage travers les monts du Hodna.
Msila, qui la remplac au moyen ge, offre les mmes
avantages.
Tarmount, lentre mme des montagnes, tait aussi
fort heureusement situ. Payen y voyait une position militaire
de premier ordre. Il crivait, en effet, L. Renier(2) : A en ju-
ger par les assises des murailles qui indiquent encore ltendue
de lenceinte, Aras cest la synonymie adopte gnrale-
ment pour cette ruine a d tre une place fort importante :
en effet, par sa situation habilement choisie, cette station de
la grande voie qui reliait Carthage Csare commandait
la fois aux montagnards de lOuennoura et aux populations
agricoles tablies vers la partie occidentale de la vaste plaine
du Hodna, en mme temps quelle couvrait les communica-
tions entre Zabi et Auzea. Les milliaires qui ont t trouvs
aux environs confirment cette opinion, en nous apprenant que
le procurateur de lempereur Svre Alexandre surveilla lui-
____________________
(1) Fraud, Recueil de Constantine, XV, 1871-1872, p. 322 ; Gsell,
Atlas arch. de lAlgrie, XXV, 85.
(2) Papiers indits de L. Renier, I, 41 (lettre du 8 octobre 1861).
618 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

mme la construction de la route qui reliait ce point Aumale


dun ct, de lautre Bechilga(1).
Lune et lautre des lignes militaires dont nous venons
dindiquer la direction gnrale aboutissait Auzia, aujourdhui
Aumale. Cette ville est, en effet, le nud de toutes les com-
munications dans lest de la Maurtanie : il fallait passer par
l, que lon voult aller Constantine ou Lambse, dans le
Hodna ou Cherchell et Bougie. Ctait, de plus, un poste
de surveillance merveilleusement situ en face du massif de la
Kabylie(2). Aussi fut-elle toujours occupe et considre com-
me une position capitale : les Numides lavaient fortifie(3) et
les Romains sy tablirent fortement jusqu la fin de lEm-
pire(4), comme le prouvent les nombreuses inscriptions mili-
taires qui y ont t trouves(5). Ceux qui ont vu les ruines de
Ksour-Ghouzlane, qui est le nom arabe de la localit, avant
la construction de la ville moderne dAumale, les dcrivent
comme dessinant une enceinte peu prs rectangulaire, flan-
que de demi-tours espaces chacune de 4 mtres et perce de
portes au milieu de chaque face. Ils font observer de plus que
cette place tait dfendue de tous cts par des postes dim-
portance variable que jalonnaient les routes diriges de l dans
tous les sens(6). Il est probable que ces restes ne datent que des
bas temps ; mais sils ne nous donnent pas la physionomie de
la place aux premiers sicles de notre re, au moins tmoi-
gnent-ils de son importance stratgique(7).
____________________
(1) C. I. L., VIII, 10432, 10436, per T. Aelium Decrianum procuratorem
summ ; 10438 : curante Sallustio Victore procur. ejus .
(2) Cf. Bull. de corr. afric., I, p. 7 16.
(3) Tac., Ann., IV, 25.
(4) Ammian., XXVIIII, 5, 44, 49.
(5) C. I. L., VIII, 9025, 9045, 9047, 9054-9056, 9058-9060.
(6) De Caussade, Mmoires de la Socit archologique de lOrlanais, I, p.
243 et suiv., surtout p. 247. Citons ici le poste dAn-Hazoun, 10 kilomtres lEst ;
ctait, parait-il, un camp rectangulaire de 80 pas sur 40, construit en grand appareil.
(7) Cf. Gsell, Atlas archol. de lAlgrie, XIV, 105.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 619

A 14 kilomtres louest dAumale slevait un petit


fortin nomm Sour-Direoua, qui mesurait 30 pas dun ct et
20 pas de lautre, et qui tait flanqu de deux tours(1). Il reliait
Aumale Sour-Djouab (Rapidum), la station suivante de la
voie de Stif Cherchell daprs lItinraire dAntonin.
Sour-Djouab tait aussi un poste dfensif puissamment
tabli. Sa position entre deux rivires torrentueuses, qui lui a
donn son nom, et la solidit des fortifications qui entouraient
la ville nous le prouvent surabondamment. Cest un des rares
postes du limes sur lequel nous ayons des donnes certaines
et nombreuses(2) ; aussi ma-t-il paru utile de reproduire ici
(voir au dos) le plan de la ville, tel quil a t dress par M.
Delabarre(3), en rsumant la description des ruines que Mas-
queray y a jointe(4).
Ainsi quon le voit, la ville antique, telle quelle existe
aujourdhui, se composait de trois quartiers, A, B et C, din-
gale tendue et spars les uns des autres par des murailles
qui noffrent pas les mmes caractres.
De la porte P, dit Masqueray, daprs M. Choisnet, lencein-
te se dirige vers le Nord en E ; il nen reste quun premier rang de
pierres de taille, dont la dimension moyenne est de 0 m, 80 1 m-
tre de long sur 0 m, 60 0 m, 80 dpaisseur. Ensuite la direction du
rempart est Nord-Est On remarque lintrieur comme une mu-
raille parallle, distante de 3 m, 50, mais moins leve, ce qui peut
faire admettre une sorte de chemin de ronde. Au point G, le rempart
tourne vers le Sud-Sud-Est. L se trouve un petit bastion de 1 m, 75
davance et de 3 m. 75 de largeur. Cest l aussi que pntre dans la
____________________
(1) II est cit par de Caussade, Mmoires de la Socit archologique
de lOrlanais, I, p. 249.
(2) Cf. Gsell, Mon. ant. de lAlgrie, I, p. 91 et suiv. ; Atlas arch. de
lAlgrie, XIV, 90.
(3) Bull. de corr. afric., I, fasc. v, pl. II.
(4) Ibid., p. 210 et suiv.
620 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

ville la conduite deau qui lalimentait. Leau provenait dune


source loigne dau moins 2 kilomtres et dite aujourdhui

An-Sidi-Sahnoun . Le bastion H a 3 mtres davance sur


3 m. 75 de largeur.
La limite mridionale du quartier A est forme par une
muraille dirige de lEst lOuest et dfendue par cinq bastions.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 621

Au point a, il y a une porte, protge par deux bastions,


qui met en communication le quartier A et le quartier B
Celui-ci est envelopp par une muraille du mme ap-
pareil que la muraille extrieure du quartier A, qui se prolon-
ge en ligne droite vers le Sud-Est, sans offrir la moindre trace
dun chemin de ronde semblable celui que nous avons not
plus haut
La porte serait en c, suivant M. Choisnet.
Le mur qui spare le quartier B du quartier C na ja-
mais dt tre aussi lev que les remparts extrieurs.
La muraille extrieure du quartier C est de beaucoup
la mieux conserve. Le mur a encore 3 m, 80 ; la porte O est
exactement place en face de la porte K Cette porte O tait
accompagne de deux rduits ou corps de garde oblongs atte-
nant la muraille du ct intrieur de la ville.
De l jusquen X, la muraille est de 4 m, 50. Peut-tre
lenceinte tait-elle plus leve sur cette ligne, parce que ce
quartier de la ville ntait protg par aucune dfense natu-
relle.

videmment, daprs le texte mme dune des inscrip-


tions trouves dans les fouilles de la ville par M. Choisnet et
o on lit : Diocletianus et Maximianus municipium Rapidense
ante plurima tempora rebellium incursione captum ac dirutum
ad pristinum statum a fundamentis restituerunt(1) , la fortifi-
cation actuellement existante ne remonte gure qu la fin du
IIIe sicle(2) ; mais, suivant cette inscription mme, il ny a eu
cette date quune reconstruction de ce qui existait auparavant.
Dautre part, on a mis jour dans ces mmes fouilles, dabord
____________________
(1) C. I. L., VIII, 20836.
(2) Il ny a pas tenir compte ici de la sparation de la ville en trois
quartiers, qui est peut-tre dune date postrieure Diocltien. Cf. les r-
flexions de Masqueray ce sujet (loc. cit., p. 249).
622 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

la porte orientale O, un texte contemporain dHadrien(1) et


portant : Imp. Caesar ?... Trajanus Hadrianus trib. pot. VI,
cos III, procos. fecit ; ensuite, devant cette porte O et devant
la porte occidentale P, deux textes peu prs identiques ainsi
conus(2) : Imp. Ca[es. M.] Aurelio A[nt]onino [tribun.
potes]tati[s XXI c]os. III et Lucio Vero t[rib. potes]tatis
XII cos. III, veterani et pagani consistentes aput Rapidum
murum a fu[ndamentis ex lapi]de quad[rat]o extruxerunt pe-
cunia et sumtu omni suo, id est veteranoru[m et paganorum]
intra eund[em] m[u]rum inhabitantium, adjuvante et curante
viro [egregio Baio Pu]dente procuratore Augustorum.
On peut, grce ces documents et en se reportant au plan
de la ville reproduit plus haut, se rendre compte de ce qutait
Rapidum, au IIe sicle(3). Tout dabord, il ny avait l, ct
dune garnison plus ou moins nombreuse, qui y resta durant
tout lEmpire, quune petite agglomration de population,
analogue toutes celles qui se produisaient aux frontires ;
elle stablit au quartier C vers lpoque dHadrien, avec las-
sentiment, peut-tre mme avec lappui de lempereur. Mais
limportance de ce bourg ntait pas suffisante pour quon
songet lentourer dune enceinte solide : un foss en terre
suffisait un tablissement aussi humble ; et-il t trop faible
pour le protger, que les habitants ntaient point assez riches
pour faire les frais dune muraille en pierres, ni lempereur
intress en lever une par la main de ses soldats. Bientt ce
village devint une ville, la population civile, comme le nombre
des vtrans sy tant fortement accrue ; cest alors que com-
mencrent se former les autres quartiers A et B. Cependant
la rgion tait trop peu sre pour que lon ft tent de vivre
____________________
(1) C. I. L., VIII, 20833.
(2) Ibid., 20834 et 20835 (an 167).
(3) Cf. ce qua crit ce sujet Masqueray, loc. cit., p. 235 et suiv.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 623

dans une cit ouverte, mme sous la protection dune garni-


son voisine ; aussi, cinquante ans aprs la fondation de lta-
blissement, les habitants obtinrent-ils des empereurs Marc-
Aurle et L. Verus lautorisation de construire leurs frais un
mur denceinte. Le procurateur de Maurtanie, dont lintrt
tait de voir les villes fortes se multiplier sur le limes, leur
fournit les moyens de mener bien leur entreprise. Ds lors,
lautorit impriale avait sa disposition, de ce ct, une pla-
ce solidement dfendue sur laquelle elle pouvait sappuyer
pour loccupation et la dfense de la rgion(1). Cest pour cela
quelle lentretint et la rpara tant quelle prit souci dassurer
la paix dans lAfrique du Nord.
Ce poste, autant que nous le savons, tait occup par une
cohorte de Sardes(2) et une aile de Thraces(3).
Tandis que Sour-Djouab gardait lentre de la plaine
des Beni-Sliman du ct oriental, loccident nous trouvons
Berrouaghia (Thanaradi)(4). Laspect de cette ville forte tait
assez analogue. parait-il, celle des ruines de Sour-Djouab ;
de Caussade(5) lui donne 400 pas de longueur sur 200 pas de
largeur, et nous apprend que lenceinte, dont les fondements
taient presque intacts lpoque o il crivait, dessinait au
niveau du sol une figure peu prs rectangulaire, divise en
trois parties, lune plus grande que les deux autres ensemble.
Au milieu de cette enceinte jaillissaient cinq sources abon-
dantes.
De l, la ligne militaire atteignait la valle du Chliff, quel-
le suivait pendant la plus grande partie de son cours. On y ren-
____________________
(1) Voir aussi, sur Sour-Djouab, Berbrugger, Revue afric., IV, p. 47 ;
Chabassire, ibid., XIII, p. 315 ; cf. p. 454 et suiv.
(2) C. I. L., VIII, 9198, 9200, 9202, 9207.
(3) C. I. L., VIII, 9203, 9204.
(4) Cf. R. Cagnat, Bull. arch. du Comit, 1908, p. CCXLVI.
(5) Mmoires de la Socit archologique de lOrlanais, I, p. 251.
624 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

contre une srie de postes fortifis, presque tous situs sur la


rive gauche du fleuve : Zuccabar, Tigava castra, castellum
Tingitii Gadaum castra.
Zuccabar slevait mi-cte du Zaccar, le mont Trans-
cellensis dAmmien, dans une excellente position ; elle a t
remplace de nos jours par Milianaa(1). On y a trouv une d-
dicace qui parat maner dune cohorte dEspagnols(2). A Afre-
ville, situ au-dessous dans la plaine, on rencontre aussi quel-
ques tombes de soldats(3) et une ddicace la Victoire(4).
Les castra Tigava taient situs, daprs les Itinraires,
2 milles, cest--dire 3 kilomtres peu prs lest dEl-
Khadra (Duperr), qui correspond, daprs une inscription(5),
lOppidum Novum, colonie de vtrans fonde par Claude(6).
Un peu plus loin, 5 kilomtres environ, on a signal
sur la rive droite du Chliff un fort romain formant un carr
de 50 pas ; lenceinte, qui tait compose de grosses pierres
de taille, prsentait une moulure assez soigne(7). De Caus-
sade place ce fort 1 lieue 3/4 au-dessous de lOued-Bda, et
25 minutes du confluent de lOued-bou-Addou.
____________________
(1) Les auteurs du Corpus, se basant sur la synonymie frappante de Miliana
et de Malliana (Itin. dAntonin, et Augustin., Ep., 236) ou Manliana (Ptolem., IV,
2, 24), identifient ces deux localits, ce qui les conduit placer Zuccabar Afre-
ville (p. 822 ; cf. Berbrugger, Rev. afric., VIII, p. 454 ). Le colonel Mercier, qui a
lev, la tte des brigades topographiques, le plan de tout le pays, nest pas de cet
avis. Il fait remarquer que, daprs Ammien (XXIX, 5, 20), Zuccabar est mi-cte
du mons Transcellensis, ce qui nest pas vrai dAfreville, mais bien de Miliana,
situe mi-cte du Zaccar ; il ajoute que Miliana est une position militaire, ce qui
explique que Thodose sy soit tabli, tandis qu Afreville, en plaine, sa faible ar-
me aurait pu tre surprise et enveloppe ; enfin et ceci est encore trs concluant
il ajoute que la voie romaine, franchissant le col du Gontas, ne passait pas
Miliana, sur la montagne, mais bien Afreville. Il est donc rationnel didentifier ce
dernier point Malliana, station indique par Itinraire, et Miliana Zuccabar.
(2) C. I. L., VIII, 9612.
(3) Ibid., 9631 9634.
(4) Ibid., 9630.
(5) Ibid., 9643.
(6) Plin., Hist. nat., V, 2, 20.
(7) De Caussade, loc. cit., p. 255.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 625

On croit gnralement que le castellum Tingitanum ou


Tingitii, comme lappelle Ammien Marcellin(1), correspond
la moderne Orlansville. La situation de cette ville est, en ef-
fet, trs heureuse(2), et il serait tonnant que les Romains nen
aient pas tir parti(3). Malheureusement, on na pas trouv
Orlansville dinscription qui permette de croire quil y ait
eu, en ce lieu, une garnison au haut Empire ; on ny a jamais
remarqu non plus, mme au dbut de la conqute de lAlg-
rie(4), aucune trace de fortification ni denceinte ; et lon est r-
duit supposer que tout vestige de la forteresse, sil en existait
une, a disparu sous les maisons de la ville qui lui a succd(5).
Gadaum castra nest cit que par lItinraire dAnto-
nin . On a identifi cette localit, en se fondant sur les dis-
(6)

tances indiques par le routier, avec Sidi-Faghoul(7). Demae-


ght(8) prfre la chercher lemplacement de la ville actuelle
dInkermann. Le colonel Mercier, de son ct, la place en
face de Saint-Aim, sur lautre rive de la Djidouia(9) : Il est
absolument logique, dit-il, dadmettre ltablissement dun
camp doccupation ou de dfense au dbouch dune vaste
rgion, peuple de races turbulentes peu soumises, les Mazi-
ces, dont le rle devint considrable lors des revendications
maures contre le bas Empire. Les murs guerrires des indi-
gnes de ces rgions nont pas chang, et les Flittas ont hrit
dune bonne part de la turbulence de leurs anctres.
____________________
(1) Ammian., XXIX, 5, 25.
(2) Gsell Atlas arch. de lAlgrie, XII, 174.
(3) Cest entre Tigava Castra et Orlansville qua t trouv le texte suivant,
o il est fait allusion quelque combat livr de ce ct (C. I. L., VIII, 21497) : Tu
modo, Frumenti, domito virtute rebelli Respicis ac reparas dumis contecta lavacra.
(4) Rev. arch, 1847-1848, p. 659.
(5) La dcouverte dune enseigne (?) reprsentant un lphant (Rev. arch.,
loc. cit., p. 658) nest naturellement daucune importance pour la question.
(6) Itin. dAntonin, p. 9.
(7) Bull. dOran, 1884, p. 295.
(8) Ibid., 1887, p. 264.
(9) Bull. arch. du Comit des travaux historiques, 1888, p. 93.
626 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Quelques milles louest de ce dernier point, la ligne des


postes fortifis quittait la valle du Chliff et continuait sui-
vre le pied des Hauts-Plateaux, gardant lentre des principaux
passages. Aprs Mina, sur la Mina(1), aujourdhui Relizane,
dont le caractre militaire nest dmontr que par sa position,
nous trouvons, sur lHillil, Ballene praesidium(2). Il semble que
lon doive identifier ce point au village de o lon a constat
la prsence de ruines antiques dune certaine importance(3).
Sur lHabra, Perrgaux, tait un tablissement dsign par
les Itinraires sous le nom de Castra nova(4) ; enfin, sur le Sig,
Saint-Denis-du-Sig, slevait, suivant toute vraisemblance,
la Tasacorra de lItinraire(5) ; cette localit a fourni la tombe
dun sous-officier de lala miliaria(6) et la mention dun travail
accompli par la IVe cohorte des Sygambres(7).
Au del, la grande voie militaire de Maurtanie sinfl-
____________________
(1) C. I. L., VIII, p. 829.
(2) M. Mac Carthy (Rev. afric., XXX, p. 353) estimait que Ballene praesi-
dium pourrait tre El-Bordj, 8 kilomtres au sud-ouest dEl-Kalaa ( 20 milles de
Mascara) et 16 milles de Relizane. Dautres prfrent Kalaa (Bull. dOran, 1882,
p. 6). Demaeght, de son ct, admet la synonymie de lHillil (Bull. dOran, 1887,
p. 265). Cf. C. I. L., VIII, p. 2036.
(3) Bull. arch. du Comit, 1885, p. 339 : Dans les fouilles ncessites par
divers travaux, dit le colonel Mercier, on a acquis la preuve que la ville avait t
brle trois fois et rdifie chaque fois sur ses ruines. On a dcouvert des restes
de murs et de portes depuis 1 mtre jusqu 6 mtres de profondeur, en trois assi-
ses, entre chacune desquelles on remarque des lits de cendres et de dbris dune
paisseur variant de 1 mtre 1 m. 50 On a trouv dans les fouilles beaucoup de
jarres et, dans quelques-unes, des provisions de bl. Cf. Demaeght, Bull. dOran,
1887, p. 265, et Gsell, Atlas arch. de lAlgrie, XXI, 29.
(4) Demaeght (Bull. dOran, ibid.) signale sur ce point la substruction dun
mur denceinte. Dautres placent cette station Sidi-lkhelef ou El-Hammam
(Bull. dOran, 1882, p. 6 ; 1884, p. 295). La synonymie de Mascara qui remonte
Mac Carthy (Revue afr., XXXI, p. 2211 est tout fait inadmissible : Mascara est
trop loign du trac de la ligne militaire.
(5) Demaeght, Bulletin dOran, 1887. p. 265 ; cf. 1882, p. 5 ; 1884, p. 295 ;
C. I. L., VIII, p. 2046.
(6) C. I. L., VIII, 9750.
(7) Ibid., 21604.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 627

chissait vers le Sud, passant au pied du Djebel -Tafaroui et du


Tessala, pour gagner ensuite Sidi-bel-Abbs et Sidi-Ali-ben-
Youb (Chanzy).
Ce dernier poste, qui formait un rectangle de 170 m-
tres sur 180, avec une paisseur de murs de 0 m, 80(1), tait
occup, la fin du IIe sicle et au dbut du IIIe, par un corps
de cavalerie, lala I Aug. Parthorum(2). La position, fort heu-
reusement choisie, barrait la valle de lOued-Mekerra, sa
sortie des montagnes.
Plus loin, au point o lIsser et ses affluents suprieurs
souvrent un passage dans les monts de Tlemsen, on avait ta-
bli Lamoricire (Altava) un camp retranch trs important. Il
tait assis sur un plateau rectangulaire de 380 mtres de long
sur 270 de large, do il dominait la valle ; selon lusage, il
tait perc de quatre portes, une sur chaque face du rectangle(3).
____________________
(1) Rev. afric., II, p. 87 et suiv.
(2) C. I. L., VIII, 9827 9829.
(3) De Tugny, Congrs archologique de France, 1853, p. 483. Cf. la
description de Mac Carthy (Revue afric., I, p. 97 et 98) : La partie principale
des ruines tait un vaste rectangle, orient Nord-Sud, de 370 mtres sur 317,
offrant ainsi une superficie denviron 12 hectares. Son angle sud-ouest touchait
la rivire, sur laquelle on avait jet un petit pont dune seule arche, sans doute
pour empcher lennemi, en cas dattaque, de semparer des eaux. Et, afin de
rendre cette protection plus efficace, on avait, dans lintrieur, dtach de la
masse du rectangle, au moyen dun large foss, comme un rduit fortifi do
lon dominait tous les environs quelque distance ; ce rduit avait 70 mtres de
longueur sur 48 de large
Sur trois de ses cts, au Sud, lEst, lOuest, lenceinte en tait for-
me de lignes droites ; au Nord, le dessin en tait, au contraire, trs capricieux
et dcrivait de nombreux angles La ville militaire, place telle quelle est, se
trouve 400 mtres du bord des grands escarpements de tufs qui forment au
Nord la limite de la terrasse, sur laquelle elle tait pompeusement assise.
De Tugny et Mac Carthy signalent, ct de cette ville militaire, une ville
coloniale irrgulire et se dveloppant sur une minence relie au plateau par
une troite bande de terrain . Il existe, dans les Papiers indits de L. Renier
(XX, 10), une lettre de Cherbonneau o il est galement question de Lamori-
cire ; elle ne contient aucun dtail nouveau. La photographie qui y est jointe
est galement sans intrt pour le sujet qui nous occupe.
628 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

On y a trouv un autel la discipline militaire(1), dont nous avons


dj fait mention, et des bases leves aux dieux maures(2),
Nmsis(3) et Gta(4), par la seconde cohorte des Sardes, qui y
tenait garnison au dbut du IIIe sicle, ou par ses officiers.
A lOuest, Pomaria, dans la valle de la Sikak, tait aus-
si un point fortifi(5). On pouvait mme, parat-il, reconnatre
la forme et la situation du camp, il y a une cinquantaine dan-
nes, malgr la prsence, en ce point, de la ville actuelle de
Tlemcen(6). Des exploratores loccupaient au commencement
du IIIe sicle(7).
Enfin, dans la valle de la Mouila, pour surveiller la plai-
ne des Angad et fermer le passage de ce ct, on avait tabli
une troupe de Syriens (numerus Syrorum) ; Lalla-Maghnia
est le nom moderne de la localit. Les traces quon a releves
sur le sol appartiennent une poque trs basse(8) ; mais les
milliaires et les inscriptions quon y a copis sont galement
du IIIe sicle(9).
Ainsi la seconde ligne des postes militaires de Maurta-
nie partait de Zarai et traversait la plaine de Stif, puis la Med-
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9832.
(2) Ibid., 21720.
(3) Ibid., 21721 (an. 208).
(4) Ibid., 9831, 9833.
(5) Ibid., 9908 : [Bal]neum castrorum restitu[tum].
(6) Mac Carthy, Rev. afric., I, p. 94. Cf. L. Bargs, Tlemcen, Paris, 1859,
in-8, p. 162.
(7) C. I. L., VIII, 9906, 9907, 9909. Un texte fait mention aussi de lala
Parthorum (ibid., 21779).
(8) Rev. archol., 1844, p. 182 et 183. Lauteur, M. Callier, signale Lal-
la-Maghnia les traces dun praesidium, circonscrit par une enceinte triangulaire
de 250 mtres sur 225 ; le mur tait en maonnerie de grs sans chaux, de 1 m.
50 dpaisseur. Dans lenceinte, il a relev deux milliaires portant les chiffres II
et III ; ce dernier dtail seul indiquerait une reconstruction postrieure. Dans la
Revue de lAfrique franaise (1887, p. 211), M. Canal parle dun camp retranch
de 400 mtres sur 257, entour dun foss et flanqu de tours carres avec quatre
portes. Je nai trouv nulle part ailleurs la moindre allusion cette particularit.
(9) C. I. L., VIII, 9962, 9964, 9965, 10468 10470.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 629

jana ; Aumale, elle entrait dans la valle de lOued-Sahel ;


elle longeait alors la plaine des Beni-Sliman, suivant le cours
du Chlif jusqu la hauteur de lOued-Riou, contournait les
monts des Beni-Chougran au Nord et lOuest, atteignait la
pointe orientale des monts de Tlemcen et, tournant alors vers
lOccident, prenait une direction presque perpendiculaire
jusqu la frontire actuelle du Maroc.

MASSIF DES BIBANS ET DES BABORS.

La partie orientale de cette ligne dAumale, Stif en-


serrait par k Sud le massif des Bibans et celui des Babors. Des
trois autres cts, ce pays montagneux tait gard galement
par des postes militaires chelonns de distance en distance.
Nous avons peu de donnes sur ceux qui se trouvaient lEst
entre Stif et lOued-el-Kebir (Ampsagas): le seul endroit o
lon constate la prsence de soldats, au haut Empire, est Dje-
mila (Cuicul)(1). Plus tard, la ville de Tucca, situe prcis-
ment lembouchure du fleuve, fut un des chefs-lieux de li-
mes que nous aurons tudier dans le livre suivant ; peut-tre
en tait-il dj ainsi antrieurement.
Au Nord et surtout lOuest, on peut citer quelques-unes
des positions fortifies qui gardaient la rgion. Prs de Djijelli,
nous connaissons un fortin appel castellum Victoriae(2) ; la d-
fense en tait confie une tribu du pays, nomme les Zimizes.
Une voie romaine, longeant la cte, joignait ce poste Bougie ;
____________________
(1) C. I. L., VIII, 21713: Miles morans Coiclo ann. V et menses
VIIII.
(2) C. I. L., VIII, 8369 : Termini positi inter Igilgiltanos in quorum
funibus kastellum Victoriae positum est et Zimiz(es) ut sciant Zimizes non
plus in usum habere ex auctoritate M. Vetti Latronis proc. Aug. qua(m) in
circuitu a muro kast. P. D. (an 128). Le texte a t trouv eu creusant les
fondations de la fortification nouvelle, entre le fort Saint-Ferdinand et lanse
des Beni-Kad.
630 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

on y a signal, prs de Muslubium (Andriech), les restes dune


enceinte et, sur les bords de lOued-Djema, une tour carre
avec une avance assez bien conserve(1). Malheureusement,
on na pas indiqu lpoque de ces constructions.
Non loin de Bougie dbouche la valle de lOued-Sahel,
qui est bien connue. Tupusuctu (Tiklat) et ses restes ont t
souvent dcrits(2) et le cours infrieur de la rivire a fait lobjet
dtudes trs consciencieuses. Tupusuctu, colonie dAuguste(3),
tait situe sur un mamelon lev de 80 mtres au-dessus de la
rivire ; les ruines qui en existent sont celles du bas Empire(4) ;
elles prouvent ce qutablissent dailleurs tous les textes
que ce point na jamais cess dtre fortifi. Tacite le nomme
oppidum(5), et cest encore le terme dont se sert Ammien Mar-
cellin pour le dsigner(6) ; dans la Notice des Dignits, le nom de
la ville est accompagn de la vignette qui sert caractriser les
places fortes(7). Ctait un des centres doccupation obligs dans
la partie infrieure de la valle. A lpoque de Diocltien, on y
tablit des magasins de vivres pour lalimentation des armes
____________________
(1) Bull. archol. du Comit des travaux historiques, 1888, p. 135.
(2) Sur cette ville, voir Meurs, Annales de Constantine, II, 1854-1855,
p. 101, et Devaux, p. 200 ; Melix, Rec. de Constantine, IX, 1865, p. 40 ; Mar-
chand, ibid., XI, 1867, p. 371 ; de Vigneral, Kabylie du Djurjura, p. 115, et plan
XVI ; Poulle, Rec de Const., 1869, p. 707 ; Mercier, Bull. du Comit des travaux
historiques, 1886, p. 473.
(3) C. I. L., VIII, 8837.
(4) Pour moi, dit de Vigneral (op. cit., p. 118), Tubusuptus serait res-
te ville ouverte, si ltat du pays let permis, et son enceinte na jamais t
quune espce de camp retranch, bien plus quune ville forte. Cette enceinte
tait forme dun mur pais en blocage, auquel taient adosses intrieurement
des arcades construites aprs coup qui devaient servir de contrefort au mur et
de soutnement un chemin de ronde Quelques arcades semblent avoir t
des portes. On en reconnait aujourdhui trois sur chacune des faces est et sud ;
la premire de ces faces, dun dveloppement de prs de 800 mtres, a d en
prsenter dautres.
(5) Ann., IV, 24.
(6) Ammian., XXIX, 5, 11.
(7) Not. Dign., Occ., XXX, 8.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 631

expditionnaires de Kabylie(1). Entre ce point et Aumale exis-


tent des traces de fortins : le long de la route de lOued-Sahel,
sur les plateaux de Lota-ou-Alma et de Lota-Ougni(2), au haut
dun des pitons de lIril-Idren, et en face, sur lautre rive de
la rivire(3), au confluent de lIrzer-Illoula et de lIrzer-Tasse-
lent, puis lendroit o slve aujourdhui le village kabyle
de Ighram(4), au bordj des Beni-Mansour et ailleurs encore(5).
En outre, des postes de surveillance taient tablis dans
des positions favorables le long des routes de pntration tra-
ces travers ces contres difficiles ; ces routes sont, pour ne
parler que des principales, au nombre de quatre :
1 De Stif Andriech ;
2 De Stif Tiklat ;
3 De Bordj-Medjana Tiklat ;
4 De Bordj Medjana la valle moyenne de lOued-
Sahel.
Je ne compte pas, dans cette numration, celle de Stif
Choba (Ziama) par Satafi, qui est indique dans les Itinraires(6).
Sur chacune delles, il a t remarqu des fortifications
____________________
(1) C. I. L., VIII, 8836. Cf. plus haut, p. 69.
(2) Bull. archol. du Comit des travaux historiques, 1886, p. 473.
(3) Ibid. : Sur le pilon de lEst, dit le colonel Mercier, on retrouve les
fondations de deux constructions parallles ; sur lautre, on reconnat les tra-
ces dune construction quadrangulaire, un fort, en pierres de taille cimentes.
Daprs la tradition kabyle, cette dernire construction serait un poste romain
solidaire dun autre poste situ sur lautre rive. En effet, sur lautre rive, un
mamelon de Takricht, on trouve, outre un amoncellement de pierres, des murs
en bton ligne parfaitement rgulire, couronnant tout le sommet du plateau.
Une communication souterraine reliait Takricht au fort dIdren, qui nen at-
trait t quune avance. Lorifice du souterrain a t retrouv ldren. Il a, sur
le sol, 80 ou 60 centimtres ; mais lexcavation va en scrasant vers lint-
rieur, et lun reconnat nettement les restes dun escalier en colimaon.
(4) Ibid., p. 475.
(5) Ibid., 1885, p. 355, et pl. X ; cf. 344.
(6) Cosneau, De romanis viis in Numidia, p. 70.
632 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

plus ou moins importantes. La premire passait au col de Ke-


frida, qui tait protg par trois forts ; deux, parfaitement
conservs encore, barraient le col et enfilaient les valles qui
en descendent ; le troisime, presque compltement dmoli
aujourdhui, slevait sur le pic qui domine Kefrida lEst,
la naissance de la croupe dAndriech . Dans ce dernier on a
trouv une inscription(1) avec le nom dAurelius Litua(2).
La seconde suivait, pendant une partie de son parcours,
la valle de lOued-bou-Sellam ; cest sur le bord de cette
rivire qutaient placs deux tablissements, lun lentre
des gorges du Guergour, quil commandait, lautre Matheia,
dans une boucle forme par la rivire ; on a cru y reconnatre
des restes de fortification(3). Plus bas, lentre dun col, sur
le sommet de. Sourirne, on a constat la prsence dun fort
qui parait avoir t trs important, et prs du Djebel-Oubdir,
celle de deux fortins protgeant un amas de ruines nomm
Kherbet-er-Roumi(4).
La route de Bordj-Medjana a Tiklat tait dfendue, au
dfil du Djebel-Tefreg, par un oppidum qua remplac le
village de Kolla ; Azrou- Rifouf, au passage du Tizi-At-
mour et au village de Tissa, par des postes carrs moins im-
portants.
Celle de Bordj-Medjana lOued-Sahel permettait dabor-
der par le Sud le massif des Beni-Abbs. Au col de Teniet-el-
Khmis tait tabli un poste qui commandait le passage ; il
slevait 200 mtres environ au sud-est du col, sur une croupe
qui descend en pente douce dabord, escarpe ensuite vers le
Sud. Les enceintes en sont encore nettement reconnaissables
et lemplacement du rduit est bien indiqu au sommet de la
____________________
(1) C. I. L., VIII, 21215.
(2) Cf. Bull. arch. du Comit des travaux historiques, 1888, p. 135.
(3) Cf. Bull. arch. du Comit des travaux historiques, 1886, p. 134.
(4) Ibid., p.133.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 633

croupe(1) . Un peu plus loin, on a signal la prsence dune


tour(2).
Ces renseignements, qui sont trs incomplets, malgr les
soins apports les recueillir, nous prouvent que les Romains
occupaient fortement le pays non seulement en le surveillant
par lextrieur, mais aussi en y perant des troues et en assu-
rant les communications.
Il faut encore citer, pour achever la liste des positions
fortes tablies dans ces montagnes, celle de Sertei (Kherbet-
Guidra) : les murs en furent btis, sous Svre-Alexandre, par
les habitants eux-mmes ; mais le procurateur de Maurtanie,
Sallustius Sempronius Victor, ne fut pas tranger lentre-
prise(3). L encore, comme Rapidum, comme partout, ltat
poussait les indignes crer des places dfensives.

MASSIFS DE LA GRANDEKABYLIE ET DU DJURJURA.

Le massif de la Grande-Kabylie et loccupation romaine


dans la rgion ont t tudis avec beaucoup de soin et de
comptence par de Vigneral(4). Il suffira de rsumer ici les
conclusions auxquelles il est arriv, en les compltant quand
il y aura lieu par des travaux plus rcents.
La ceinture de postes fortifis qui entourait le Djurjura
et le massif kabyle se composait de trois tronons : le premier
partait de Bougie pour sarrter lentre de la Metidja, un
peu louest de lembouchure de lIsser ; le second, qui faisait
____________________
(1) Bull. arch. du Comit des travaux historiques, 1886, p. 477.
(2) Ibid., p. 467 (carte).
(3) C. I. L., VIII, 8828 : Imp. Caes. M. Aur. Severus Alexander Pius
Felix Aug. muros paganicenses Serteitanis per papul(ares) suos fecit, curante
Sal(lustio) Semp(ronio) Victore procuratore suo, instantibus Helvio Cres-
cente dec(urione) et FI. Capitone pr(incipe)
(4) Ruines romaines de lAlgrie, Kabylie du Djurjura, Paris, 1868, gr. in-8.
634 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

un angle aigu avec le premier, descendait jusqu la hauteur


dAumale par la valle de lOued-Sahel ; le troisime suivait
lIsser et regagnait Aumale. Le second de ces tronons a dj
t dcrit plus haut ; il ne sera question que du premier et du
troisime.
La ligne des postes qui longeait la Kabylie au Nord se
confond avec la voie du cap Matifou Bougie, donne par les
Itinraires(1). De Vigneral la dcrite en dtail(2).
Les points fortifis les plus importants qui y ont t re-
levs sont, en allant de lOuest lEst :

El-Benian-mta-Mers-el-Djinet. Un immense. ro-


cher, appel Settara, dune hauteur de 40 50 mtres et long
de 25 30 sa base, domine les ruines dune ville antique.
Contre ce rocher slevait une vaste enceinte en gros blocs
rectangulaires. Le rocher en formait la face occidentale,
celle qui regardait la mer ; les faces du Nord et du Sud sui-
vaient les rebords du plateau ; celle de lEst faisait face la
montagne(3).

Taksebt. De Vigneral considre tout le sommet du


plateau rocheux de Taksebt comme une ville militaire, sous la
protection de laquelle slevrent les faubourgs qui stagent
sur les pentes. Son opinion a t adopte par le colonel Mer-
cier(4). Les murs denceinte qui entourent encore une partie
du village, dit-il, ne laissent aucun doute sur lexistence an-
trieure, en ce point, dune ville forte o venait se concentrer
____________________
(1) Cosneau, De romanis viis in Numidia, p. 22.
(2) Op. cit., p. 174 et suiv. Cf. Bull. arch. du Comit des travaux His-
toriques, 1885, p. 344 el suiv. ; p. 550 et suiv. ; 1886, p. 446 et suiv.
(3) De Vigneral, op. cit., pl. I, fig. 2 ; Cat, Bull. de corresp. afric., I, p.
441, place la forteresse de Djinet surie sommet du Settara.
(4) Bull. archol. du Comit des travaux historiques, 1885 p. 347.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 635

la dfense de la rgion. On a identifi ce point Iomnium(1).

Benian-mta-Melta(2). La ruine, qui formait un rec-


tangle de 50 mtres environ sur 20, possde encore quelques
traces denceinte.

Azeffoun(3). Le sommet de la hauteur o slve le vil-


lage kabyle de ce nom tait couronn par une citadelle ; elle
prsente la forme gnrale dun rectangle, dont les grands
cts (Est-Ouest) avaient environ 400 mtres de dveloppe-
ment et les petits (Nord-Sud) 200 mtres ... La porte princi-
pale tait situe au Nord, au milieu dune espce de courtine
flanque, de distance en distance, par des tours carres. Le
gnral Thomas considrait cette position comme essentiel-
lement militaire. Cest la ville antique de Rusazu(4).

Sour-Sidi-Khalifa(5). La ruine couvre un espace de 20


30 mtres carrs sur un mamelon a pic du ct de la mer.
Cest, dit Vigneral, une position militaire bien accuse, mais
lenceinte a disparu.

Kerroui. M. Robillard(6) admet quil y avait sur ce


point une tour dobservation avec ses dpendances.

Alouest du massif kabyle, les postes de surveillance avaient


t disposs dans la coupure que forme la valle de lIsser et
____________________
(1) C. I. L., VIII, p. 766 et 1957.
(2) De Vigneral, op. cit., p. 71.
(3) Ibid., p. 66 (daprs le gnral Thomas, Revue afric., II, p. 441).
Cf. pl. XI, fig. 2.
(4) Gsell, Bull. arch. du Comit des travaux historiques, 1911, p. CCII.
(5) De Vigneral, op. cit., p. 73.
(6) De Vigneral, op. cit., p. 139. Cf. Fraud, Revue afric., III, p. 396.
636 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

ses affluents. Takitount, Souma et Akbou (des Zmoul) taient


les plus importants de ceux que lon a relevs dans la rgion
septentrionale.

Akbou. La ruine accuse nettement, daprs de Vi-


gneral(1), un petit fort rectangulaire de 30 mtres de ct sur
20, couronnant le sommet dun gros mamelon conique, escar-
p de toutes parts dune centaine de mtres sur le contrefort
dont il fait partie et de plus de 400 sur la plaine. La position
tait de premier ordre, ayant vue de tous cts. Lenceinte, en
partie debout, de 1 m, 50 2 m, 50, sur la face occidentale,
est encore marque au Nord par un fragment de 3 mtres de
hauteur ; lEst se voit un soubassement en pierres de taille,
et peut-tre des traces de postes. Les murs taient en blocage,
bien construits, relis, des intervalles gaux de 2 m, 50, par
des chaines verticales de pierres de taille.

Souma(2). Les ruines de cet tablissement sont mal-


heureusement assez vagues. Elles paraissent tre celles dun
ancien fort rectangulaire de 50 mtres sur 40. La porte prin-
cipale, large de 4 mtres, tait au milieu de la face orientale ;
lenceinte, forme de gros murs o la pierre de taille devait en-
trer comme lment principal, tait flanque de tours carres.
Ce fort se reliait celui de Takitount, situ peu de dis-
tance.
A lest dAbkou et dans la valle du Chabet-el-Hameur
se trouvent les ruines de Taksebt, chez les At-Meklas(3). Elles
sont situes dans une position trs remarquable. Un fort de
200 mtres environ denceinte occupe tout le plateau hori-
____________________
(1) Op. cit., p. 14.
(2) De Vigneral, op. cit., p. 99.
(3) Ibid., p. 16.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 637

zontal. Le trac en est presque entirement marqu par dpais-


ses murailles de 1 m, 70, en blocage soign et reli par des
chanes de pierres de taille, hautes de 1 mtre 2 mtres. Aux
saillants sont des traces de tours carres. Une avance sur le
col est encore trs nette.
Ces deux positions surveillaient par le Nord le dbouch du
Tizi-Begass, passage principal de la chane des At-Khalfoun.
Au sud de ce col, sur lOued-el-Arba, un autre petit fort,
Takdemt (des At-Khalfoun), compltait la dfense de cette
rgion. Les vestiges de ce fort sont trs nets. Le mur den-
ceinte, de 0 m, 60 dpaisseur, en blocage galement, coup
de chanes verticales de pierres de taille, suivait les contours
irrguliers du plateau(1).
Dans la partie des montagnes situe entre lIsser et
lOued-Djema, il y avait encore dautres postes de surveillan-
ce le long dune route qui, suivant Vigneral, venait de la valle
de lIsser, contournait lHellala et atteignait Aoun-Bessem ;
malheureusement, cet officier ne les a mentionns quen deux
mot(2), cette partie du pays tant en dehors de son travail ;
aucun autre auteur nen a parl.
Aoun-Bessem seul a t tudi. Berbrugger(3), qui veut
en faire le castellum Auziense de Thodose(4), a, le premier, ap-
pel lattention sur ce point(5). Un plan et une description en ont
____________________
(1) De Vigneral, op. cit., 77 : Cette position trs bizarre tait vi-
demment en dehors de toute route possible... Sa seule utilit tait peut-tre
de surveiller, distance, le Tizi-Begras, passage principal de la chane des
At-Khalfoun. Je suis dailleurs trs port ny voir quune maison de com-
mandement btie pour quelque chef indigne. Cf. le plan (pl. XIII, fig. 2
(2) Op. cit., p. r63 : Cette route sinflchissait au Sud-Ouest par
Aoun-Bessem, direction bien marque par plusieurs postes chez les Arib.
(3) poques militaires de la Grande-Kabylie, p. 263 et suiv. Cf. C. I.
L., VIII, p. 769, on cette opinion est rfute.
(4) Ammian., XXIX, 5, 44 et 49.
(5) Revue afric., III, p. 230.
638 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

t donns par Masqueray(1), daprs les relevs de Grenade-


Delaporte. Les restes qui subsistent aujourdhui, et qui sont
ceux dune citadelle(2), semblent bien appartenir une basse
poque, peut-tre mme lpoque byzantine(3) ; mais les ins-
criptions qui ont t trouves Aoun-Bessem ou aux envi-
rons(4) permettent de croire que ce nest quune reconstruction
et quil y avait l, au haut Empire, un poste de quelque impor-
tance. Il tait uni Aumale par un poste beaucoup plus petit,
que de Caussade a vu sur les bords de lOued-el-Akhal(5) ; les
cts en mesuraient 100 pas sur 60.
A ct de ces forts dissmins tout autour du massif ka-
byle, il en existait dautres, sems dans le pays le long des voies
qui le traversaient et qui permettaient dy pntrer. Nous avons
dj signal un fait analogue pour lAurs et pour la chane des
Bibans ; nous aurons le signaler encore plus bas. Le massif
kabyle, pourtant, offre sous ce rapport une particularit trs
remarquable. Tandis que les autres pts montagneux taient
entirement occups lpoque romaine, celui-ci se divisait en
____________________
(1) Bull. de corr. afric., I, p. 225 et suiv. ; cf. pl. I.
(2) Ibid., I, p. 230 La forme gnrale est plutt celle dun pentagone que
dun hexagone. A chacun des cinq points principaux taient des bastions qua-
tre laces bien conus en vue dune dfense srieuse. Dans les intervalles taient
soit un, soit deux bastions trois faces. Le ct ouest est le plus remarquable.
La porte qui sy trouvait trs bien protge du dehors, ne donnait accs
lintrieur que dans une sorte de couloir entre deux corps de garde
A lEst, nous trouvons dabord une porte bastionne qui rpond celle
de lOuest, puis une longue courtine interrompue par le ruisseau qui sort de la
source dite An-Bessem.
(3) Le Corpus (p. 769) voit dans la citadelle de Aoun-Bessem une
reconstruction byzantine. Masqueray (loc. cit., p. 241) Suppose que ce pour-
rait tre un ouvrage antrieur, parce que ce nest pas seulement lpoque
byzantine que les murs ont t forms de dbris dinscriptions. Dautre part,
M. Diehl (Afrique byzantine, p. 261) nadmet pas que les Byzantins aient
jamais srieusement occup lintrieur de la Csarienne et nie quils aient pu
sinstaller Aoun-Bessem.
(4) C. I. L., VIII, 9181 et suiv.
(5) Mmoires de la Socit archologique de lOrlanais, I, p. 247.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 639

deux zones bien diffrentes(1) toute la chane septentrionale qui


longe la mer, au nord du Sebaou, et la partie occidentale des
montagnes qui sont au Sud, tait soumise et pouvait tre oc-
cupe srieusement ; toute la partie orientale et le sommet du
Djurjura taient indpendants et ferms toute influence tran-
gre. Par suite, les Romains staient contents de surveiller
cette seconde zone, en lentourant par le pied dune ceinture de
fortifications, qui tait pour ainsi dire concentrique la gran-
de ligne dont nous avons indiqu plus haut les points princi-
paux ; cette ceinture tait forme au Nord par les postes nom-
breux et considrables de la valle du Sebaou, au Sud par une
suite dtablissements disposs dans la dpression qui spare
le massif de la Grande-Kabylie d u Djurjura et sur les pentes
____________________
(1) De Vigneral dit ce sujet (p. 1 et suiv.) : Une premire zone voisine
de la cte devait tre entirement soumise et trs occupe. Elle sarrtait paral-
llement la mer dans la valle du Sebaou A lOuest, au del des Iflissen-
oum-el-Lil, les affluents de droite de lIsser traversent un pays relativement fa-
cile : l nous trouverons quelques points militaires bien accuss. A Tizi-Rennif,
un fortin gardait la crte basse qui relie les Iflissen aux At-Khalfoun, sparant
les plaines de Dra-el-Mizane et de Bourni du bassin de lIsser. Au del, nous
verrons encore, au pied des grandes artes du Djurjura, divers postes, depuis
400 mtres jusqu 800 mtres de hauteur, commandant les larges valles m-
nages par un bouleversement tout particulier du sol, entre la grande crte et les
massifs intrieurs des Matka et des At-Iraten. Le dernier de ces postes est
Irbir, presque exactement sous le mridien de notre Fort-Napolon ; cette cein-
ture, sensiblement parallle la premire, sarrte un pays trs difficile, do
partent vers le Nord les grands contreforts des At-Yenni et des At-Iraten.
A lEst, loccupation ne semble pas stre tendue au sud de la route
directe sur Bougie par Ksar-en-Kebbouch Pour le massif intrieur, je ne crois
pas loccupation si discute de Koukou.
Ainsi, toute une partie de cette rgion, qui forme sensiblement aujourdhui
le cercle du Fort-Napolon, tait compltement en dehors de laction romaine.
La crte rocheuse du Djurjura, soit par ses neiges, soit par son terrain
mme, est inhabitable : elle a d, tout au plus, servir dasile aux brigands divers
qui nont jamais manqu en Afrique.
Cest lopinion de tous ceux qui se sont occups fond de la question. Cf.
dYanville, Rec. de Constantine, II, 1854-1855, p. 56 ; Berbrugger, Rev. afric., p.
268 ; Mercier, Bull. arch. du Comit des travaux historiques, 1885, p. 354.
640 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

sud-ouest de celui-ci. Quant la zone septentrionale, celle du


littoral, elle tait garde par une srie de fortins disposs le
long de routes perpendiculaires la mer, qui reliaient les posi-
tions importantes de la valle du Sebaou celles de la cte.

1 Postes du Sebaou. Les postes du Sebaou sont as-


sez bien connus, surtout depuis les travaux de De Vigneral.
Pour quelques-uns mme, nous pouvons tablir la synonymie
antique, car la voie sur laquelle ils sont disposs figure dans
les Itinraires(1).
Tamaricetum praesidium est peut-tre Takitount dont
nous avons dj parl.
Castellum Tulei doit tre assurment identifi Diar-
Mami(2). Ces ruines, qui taient encore assez importantes
lpoque de Berbrugger(3), commandent la gorge de lOued-
Chandler.
Nous rencontrons ensuite, en allant vers lEst, Ksar-mta-
bent-es-Soltan, au sud-ouest de Tizi-Ouzou. On y remarque
les vestiges trs nets dun grand poste militaire. Il y avait ici,
dit De Vigneral(4), un fort carr de 45 mtres de ct, flanqu
irrgulirement de tours. La construction en tait soigne ;
les soubassements en maonnerie ordinaire taient surmonts
dassises de gros blocs rectangulaires, bien appareills et as-
sembls sans ciment. La face nord, la mieux conserve, pr-
sente encore sur une assez grande longueur quatre ou cinq
assises en place. A lextrmit nord-est se voient les amorces
dune tour carre de 4 mtres de ct. La face orientale a t
entirement renverse Le milieu de la face ouest tait oc-
cup par une tour carre, en saillie de 4 mtres.
____________________
(1) Cosneau, De romanis viis in Numidia, p. 44 46.
(2) C. I. L., VIII, 9005, 9006.
(3) poques militaires de la Grande-Kabylie, p. 274.
(4) Kabylie du Djurjura, p. 40.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 641

Le poste suivant, Aguemoun, est situ sur un plateau


quil commande(1). Son enceinte, de forme irrgulire, suivait
les contours du plateau, sauf au Sud, o le sol se trouvait de
niveau avec le fort. Son dveloppement tait de 180 mtres
environ.
Bou-Atelli et Oubekkar constituent deux positions assez
voisines lune de lautre. La premire(2) est considre par ceux
qui lont vue, malgr labsence denceinte, sinon comme ex-
clusivement militaire, du moins comme mise en tat de d-
fense et comme la protection de toute la partie voisine de la
valle . La seconde tait couronne dun fortin, qui dessinait
un rectangle de 50 mtres environ sur 20 mtres. De Vigneral
suppose(3) que lon a transport de ce point dans les jardins de
Ourthi-nTaroummant, o elle a t trouve, une inscription da-
te de 328 qui mentionne la construction dun centenarium(4).
Ce centenarium serait prcisment le fortin dOubekkar.
Djemat-es-Saharidj constituait un des tablissements
les plus considrables de la valle du Sebaou. On lidentifie
la Bida de Ptolme, qui parait tre la mme que la Syda de
la Table ou la Bidil de lItinraire dAntonin(5). Mais ctait
surtout une ville de colons. Le vrai poste dfensif tait Iridi,
500 mtres en arrire, 200 mtres plus haut.
Cest le seul ouvrage militaire romain plac au sommet
des grands contreforts, au sud du Sebaou. La forme en est assez
remarquable, tant exactement approprie celle du terrain.
A lintrieur du fort, on voit un rduit rectangulaire dont deux
____________________
(1) De Vigneral, Kabylie du Djurjura, p. 43.
(2) Idem, ibid., p. 88.
(3) Op. cit., p. 89 et 90.
(4) C. I. L., VIII, 9010.
(5) Revue afric., IV, p. 458 ; Recueil de Constantine, XIII, 1869, p.
134 ; C. I. L., VIII, p. 766 et 768 ; Bull. arch. du Comit des travaux histori-
ques, 1885, p. 353. De Vigneral veut quon distingue Bida = Syda de Badil
ou BidiI (op. cit., p. 182).
642 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

faces, celle du Nord-Ouest et celle du Sud-Ouest, ont, lune


7 mtres, lautre 5 mtres de longueur, et sont encore debout
de 0 m, 50 0 m, 80. Les murs en taient ciments intrieure-
ment. Le mur denceinte a 0 m, 60 dpaisseur(1).
Ksar-en-Chebel, au contraire, sur la rive oppose du Se-
baou, doit tre tenue surtout pour une position militaire. On
y distingue encore les restes dun fort carr, de 50 mtres
de ct. Il tait bti dun mur en pierres de taille bien appa-
reilles, sans ciment, ayant une paisseur de 1 m, 50 envi-
ron(2). La face du Sud tait flanque de tours rondes aux deux
extrmits ; une troisime en occupait le milieu ; ces tours
devaient mesurer 7 8 mtres de diamtre. La face occiden-
tale prsentait au centre un saillant de forme triangulaire, de
10 mtres de base sur 6 8 mtres de hauteur. Lentre prin-
cipale souvrait sur la face orientale.
Mais la position capitale de ce ct du massif kabyle tait
peut-tre celle de la ruine qui porte le nom de Ksar-en-Keb-
bouch(3). Ksar-en-Kebbouch, daprs de Vigneral, formait un
grand fort, construit en gros appareil, sans ciment, qui dessi-
ne sensiblement un carr de 40 mtres de ct. Lenceinte est
nette, sauf sur la face sud, et debout en grande partie jusqu
la hauteur de deux ou trois assises. Langle nord-ouest tait
protg par une tour circulaire de 4 5 mtres de diamtre,
en saillie des deux tiers. A langle nord-est slevait une tour
semblable, ferme en arrire par un carr de 5 mtres.
Aux deux tiers de la face orientale se trouvent les dbris
confus dune sorte de tour sans saillie sur lenceinte, montrant
vers lintrieur lamorce dune poterne de 1 mtre de large. La
face du Sud est dans un dsordre complet ; on peut reconnatre
____________________
(1) De Vigneral. Op. cit., p. 56.
(2) Idem, ibid., p. 59.
(3) Idem, ibid., p. 134.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 643

cependant quil ny a pas eu de tours circulaires aux angles.


Sur la face ouest, on remarque, appliques lintrieur de
lenceinte, deux espces de tours carres de 5 mtres ; elles
sont tellement encombres, que rien ny est reconnaissable.
On ne peut pas non plus saisir la trace de lancienne entre ; il
est probable pourtant, dit de Vigneral, quelle se trouvait sur
la face nord que longeait la route.
M. le colonel Mercier a publi, dautre part, un plan de
cette place fortifie
accompagn dune
description(1) qui
ne concorde pas en
tout avec celle que
donne de Vigneral.
Ce nest
plus aujourdhui,
dit-il, quune accu-
mulation de pierres
de taille en nombre
trs considrable,
sous laquelle on re-
trouve le trac des
murs qui, par place,
ont encore 1 mtre
de hauteur au-des-
sus du sol. Cest un rectangle de 40 mtres sur 50 mtres avec
deux tambours ou bastions sur la face qui regarde le Nord. Au
coin sud-ouest, le dallage indique lemplacement dune porte
dentre double couloir. Le coin sud-est se prolonge par une
petite annexe rectangulaire de 10 mtres de ct. Prs de cette
annexe, on retrouve des voussoirs dune porte. Deux ranges
____________________
(1) Bull. arch. du Comit des travaux historiques, 1886, p. 471.
644 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

de pierre arasant le sol partagent le rectangle du Nord au Sud


en trois compartiments, sans doute une cour intrieure et deux
ranges dhabitations.
A 50 mtres environ en avant de langle sud-est est une
source aujourdhui tarie.
Ksar-en-Kebbouch constituait le dernier poste important
de la ligne du Sebaou. Ctait le nud dun embranchement :
il assurait les communications, dun ct avec Bougie par les
crtes, de lautre, directement avec Tiklat ; comme aussi avec
Sour-Sidi-Khalifa et la cte par le plateau fortifi dAkfadou,
le fort de Tala-Kitan et de celui du col du Djebel-Affroun(1).
Cest ce qui lui donnait un intrt considrable.

2 Postes de la rgion septentrionale. Cette ligne de


postes chelonns le long de la valle du Sebaou tait relie
aux principales villes du littoral par de petites routes militai-
res munies de fortins.
Lune mettait Dellys en communication avec Diar-Ma-
mi ; elle est considre par les Itinraires anciens comme la
fin de la voie venant de Calama, lextrmit occidentale
de la Maurtanie. Les ruines de stations fortifies qui y sont
mentionnes sont celles dAn-Ameur et de Koubbet-Acha.
La premire(2) occupe une position dominante do la vue
stend jusque vers Alger ; cest l que de Vigneral place, du-
bitativement il est vrai, les Rapida Castra de lItinraire.
Une autre route joignait Dellys la voie du Sebaou.Elle
____________________
(1) Mercier, Bull. arch. du Comit des travaux historiques, p. 469 et
suiv. On trouvera la plupart des localits signales ici sur la carte que je
donne ci-contre. On peut se reporter, pour la complter, celle qua trace
de Vigneral ; il a eu soin dy distinguer par un signe particulier les tablisse-
ments militaires.
(2) De Vigneral, op. cit., p. 10.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 645

passait Taourga et prs de la hauteur dAzrou. Taourga, que


lon a identifie avec Tigisi(1), se compose de deux parties : la
ville ouverte et la citadelle. Celle-ci occupe la hauteur dAfir,
sur un escarpement vertical dune cinquantaine de mtres ;
lenceinte en existe encore sur plusieurs points, surtout sur la
face nord : elle tait peu prs inaccessible.
En face se trouve un autre poste militaire nomm
AzrounTasiouant ; cest un pic de 200 mtres environ au
Nord sur 600 mtres au Sud ; on y a trouv au sommet des
restes de fortifications. Jamais position stratgique, dit
Aucapitaine, ne fut mieux choisie. La crte dAzrou do-
mine, au Sud, llot montagneux des Ouled-Assa-Mimoun
et commande parfaitement les pays environnants. Du haut
des rochers, on aperoit le pays turbulent des Flisset-oum-
el-Lil ; lil plonge, lOuest, sur le bourg Sebaou, Dra-
el-Kheda et Tazazrat, dominant lentre de la valle des
Amraoua, tandis quau Nord on surveillait la route littorale,
et vers lEst cette portion du pays plat o sont les fermes de
Tikoban et qui stend jusquaux At-Msellem. La nature
avait fait de ce point, lev sur de hautes falaises granitiques
une fortification naturelle, et il fallut peu de chose la main
de lhomme pour achever den faire une forteresse inabor-
dable(2).
Une troisime voie partait de Taksebt pour gagner la val-
le du Sebaou ; elle passait Benian-mta-Tamdil(3), au pied
dune hauteur qui parat avoir t un poste militaire important.
Enfin une autre route menait dAzzefoun au poste de
Chebel ; on y a signal, prs de Tamgout, Daouark, une tour
circulaire mesurant 7 mtres de diamtre. Le mur de la tour
____________________
(1) De Vigneral, op. cit., p. 181, et pl. I, fig. I ; Bull. archol. du Comit
des travaux historiques, 1885, p. 352.
(2) Revue afric., III, p. 238.
(3) De Vigneral, op. cit., p. 44.
646 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

dont il sagit, dit M. Toustain(1), et qui ne slevait pas de plus


de 2 m, 50 au-dessus du sol, est construit en pierres de taille
larges de 0 m, 70 0 m, 80, invariablement hautes de 0 m, 47
et toutes perces dun trou de louve, en juger par celles qui
sont tombes au pied de la construction. On ne remarque pas
de porte cette tour, et aucune pierre nen indique lexistence
par sa taille spciale et bien connue.
Ces dtails sont fort intressants ; car, tant donnes la
forme, la hauteur et la disposition de cette tour, ce ne peut
avoir t quun poste optique destin mettre en communi-
cation Ksar-Chebel avec Azeffoun. On y a trouv une inscrip-
tion qui en fait remonter la construction antrieurement au
rgne de Septime-Svre et nous apprend que cet empereur
la rpara(2).

3 Postes tablis au nord du Djurjura. Ici il ny a pas


chercher une voie sur laquelle schelonnent des postes de d-
fense : il nexistait aucune route dans la dpression qui spare
le massif de la Grande-Kabylie du Djurjura ; mais les Romains
avaient eu soin doccuper et de fortifier les points principaux,
ceux qui commandent les passages et quil fallait fermer pour
empcher les tribus souleves de se runir entre elles ou les
____________________
(1) Revue afric., X, p. 157. De Vigneral ajoute, au sujet de cette tour
(op. cit., p. 63) : Cette tour occupe un mamelon central et trs escarp
vers lEst, sur une petite crte secondaire, parallle au massif principal du
Tamgout, 200 mtres en contrebas. Ce choix a t dtermin sans doute
par la vue de Rusazus de Vigneral identifie Azeffoun Rusazus, p. 177
dans une chappe troite dun col au-dessus du village de El-Kala, au
Nord, et au Sud, par celle de Ksar-en-Chebel, quun sommet intermdiaire
cache la grande crte.
(2) C. I. L., VIII, 8991 : Imp. Caes. L. Septi[mio Seve]ro Pio Per-
tinaci [Aug. Arab. Adia]b. Part. [et] Imp. Caes. M. Aureli[o Anto]nino
Caes. Augg. turr[im] r[u]ina lapsam ex precepto P. Aeli Peregrini v. e. proc.
Auggg. Rusaditani restituerunt. Cf. Bull. arch. du Comit, 1911, p. CCII.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 647

pillards de se rpandre dans le pays colonis. La liste de ces


points serait longue, si lon voulait les numrer en dtail ;
il suffira den rappeler trois, qui sont les plus importants. Le
premier est Tizi-Rnif. De Vigneral(1) y a relev les vestiges
dun poste militaire, marqu en partie par des murs de 0 m, 50
dpaisseur en blocage, avec chanes verticales de pierres de
taille. Ce poste devait avoir 25 mtres de longueur sur 10 de
largeur. La position quil occupe est le passage forc de la
route qui va du Djurjura dans le bassin de lIsser. A Souma-
Iroumien(2), on a constat la prsence dune construction rec-
tangulaire en blocs de pierre taille joints par un mortier trs
dur, qui commandait la large croupe de Tineri et la grande
plaine qui se termine au Nord vers An-Sultan(3). Irbir, qui est
le point le plus oriental de loccupation romaine de ce ct,
est situ 200 mtres environ lest de Tigounseft ; on y voit,
sur un rocher long de 20 mtres et large de 6 ou 7 mtres, un
poste romain bien caractris ; il contenait un rduit construit
en pierres de taille cimentes, auquel on accdait par une fen-
te taille dans le rocher(4). Prs de l, on a, parat-il, trouv
une mdaille portant, dun ct, une effigie dempereur avec
linscription Antoninus, et au revers une femme assise, le bras
gauche appuy sur une sphre, le bras droit tendu en avant.
Cest une monnaie de la seconde moiti du IIe sicle ou du d-
but du IIIe sicle, ce qui est la date approximative de tous les
____________________
(1) De Vigneral, op. cit., p. 78.
(2) Idem, op. cit., p. 82.
(3) Cest ce poste auquel fait allusion, je suppose, le colonel Mercier
(Bull. arch. du Comit des travaux historiques, 1885, p. 355), lorsquil dit
que, dans le territoire des Beni-bou-Rerdane, on a trou en 1883 des fonda-
tions de forme rectangulaire, dans un champ appel depuis des sicles Dou-
ma-Roumi. Elles paraissent, ajoute-t-il, tre celles dun fort qui protgeait
le grand chemin conduisant la valle de Bordj-Borni, par le territoire des
Beni-Koufi, au Teniet-Djadoub, et de l Bordj-Bouira.
(4) De Vigneral, op. cit., p. 84 ; Mercier, Bull. archol. du Comit des
travaux historiques, 1885, p. 354.
648 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

autres documents trouvs dans le pays et lpoque de la plus


grande extension de la puissance romaine en Afrique.

MASSIF DU DAHRA AVEC SES PROLONGEMENTS OCCIDENTAUX.

La ceinture militaire du massif du Dahra tait forme au


Sud, depuis Miliana jusqu Inkermann, par la grande voie
militaire tudie plus haut.
A lOuest, elle longeait la valle du Chliff jusqu son
embouchure : cest l une direction oblige et dont on ne sau-
rait douter, bien que lon nait signal aucune ruine de posi-
tion fortifie de ce ct.
Au Nord, elle suivait la grande voie du littoral de Quiza
Tipasa, qui est indique par lItinraire dAntonin et repro-
duite en abrg par lanonyme de Ravenne(1). On place Quiza,
daprs le tmoignage dune inscription(2), au pont du Chliff,
sur la rive droite du fleuve, 7 kilomtres de son embou-
chure, en un endroit appel Benian. Mela(3) fait de cette ville
un castellum, en quoi ceux qui ont tudi le pays lui donnent
raison : ils saccordent reconnatre que ce devait tre une
place forte(4). Demaeght(5) nous apprend mme que le plateau
o elle slevait est haut de 30 40 mtres au-dessus de la
valle et quil est encore couronn par une paisse muraille
parfaitement visible. On ny a pourtant trouv aucun texte
pigraphique militaire ; mais cette lacune ne prouve rien, le
nombre des inscriptions de cette localit tant minime et les
ruines, qui ne sont pas voisines dune ville moderne, nayant
jamais t srieusement explores.
____________________
(1) Anon. Rav., s 8.
(2) C. I. L., VIII, 9699.
(3) De situ orbis, I, 6, 31.
(4) Bull. archol. du Comit des travaux historiques, 1885, p. 333.
(5). Bull. dOran, 1887, p. 260.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 649

Entre le Chlilf et le cap Magroua, se trouvait Arsena-


ria(1). Le colonel Mercier est davis(2) quil faut chercher cet
ancien oppidum la koubba de Sidi-bou-Rass, distante de la
mer de quatre kilomtres.
Le mme auteur signale, un peu louest du prcdent,
un autre poste, sur une crte rocheuse qui domine lembou-
chure de lOued-Kaddour et commande le passage(3).
Cartennas est la ville moderne de Tns(4). On sait
quAuguste y envoya une colonie de vtrans, ce qui en fit,
ds labord, un tablissement militaire. Postrieurement, le
point fut encore occup, au moins certaines poques. On
y a trouv des pitaphes de lgionnaires, surtout de soldats
de la lgion XXIIe Primigenia, venus de Germanie(5). On y a
dcouvert aussi lpitaphe dun cavalier ; le nom de laile
laquelle il appartenait est incomprhensible(6) ; cest la seule
trace qui nous reste, Tns, de corps auxiliaires, qui pour-
tant taient la garnison habituelle de la Maurtanie. Au reste,
les environs de Tns taient peut-tre plus fortifis que la
ville elle-mme, cit de colons et port de commerce. On a
signal, chez les Beni-Hidja, dans le voisinage de la ville, un
poste charg de la dfense des montagnes(7).
LItinraire dAntonin indique, 18 milles de Tns, vers
lEst, un castellum quil dsigne sous le nom de Lar Castellum.
On na pas encore russi identifier ce poste avec une ruine de
la cte ; certains auteurs pensent mme quil ntait pas situ
____________________
(1) Cf. Mac Carthy, Revue de lOrient, XIII, p. 180 et suiv. ; C. I. L.,
VIII, p. 828.
(2) Bull. archol. du Comit des travaux historiques, 1888, p. 92. Cf.
Cat, Essai sur la province romaine de Maurtanie Csarienne, p. 146.
(3) Bull. archol. du Comit des travaux historiques, 1888, p. 91.
(4) C. I. L., VIII, 9663.
(5) Ibid., 9653, 9654, 9655, 9656, 9659, 21508, etc.
(6) Ibid., 9657.
(7) Berbruger, Revue afr., II, p. 268.
650 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

immdiatement au bord de la mer. Cat le place peu prs


mi-chemin entre Tns et lOued-Dahmous(1).
Azma de Montgravier(2) indique, sur cette rivire, une
ruine nomme El-Bordj, qui, selon lui, commandait lembou-
chure de la rivire. Ce serait le Cartili de lItinraire(3). Ptol-
me ne connat pas ce poste, mais il cite, entre Cartennas et
Gunugu (dans son texte ou ), un point
stratgique auquel il donne le nom de (4) ; il
faut y voir videmment un camp retranch, qui tait occup, au
Ier sicle ou au commencement du IIe sicle, par des troupes
venues de Germanie ou par un corps de Germains auxiliaires.
Cat croit que Cartili serait le nom punique, Castra Germano-
rum le nom romain des ruines de lOued-Dahmous(5).
Gunugu, qui slevait lendroit o lon a bti depuis
la koubba de Sidi-Brahim(6), avait reu, au temps dAuguste,
des vtrans dune cohorte prtorienne. On ny a pas trouv
dinscription militaire, mais ceux qui ont examin les lieux
y ont signal une enceinte ; les murs en formaient une sorte
de polygone irrgulier, suivant les contours du terrain, et la
construction tait faite, partie en pierres de Brand appareil,
partie en blocage(7).
Plus lEst, nous trouvons Cherchell, rsidence du pro-
curateur et centre de larme maurtanienne(8).
Lembouchure de lOued-Nador marque la fin de cette
____________________
(1) Cat, Bulletin de corresp. afric., I, p.136 ; Essai sur la Maurtanie
Csarienne, p. 143.
(2) Mm. de la Soc. arch. du Midi de la France, VII, p. 302.
(3) Rev. afrc., X, p. 268 ; Bull. de corr. afric. 1882, p. 129. 134.
(4) Geog., IV, 2.
(5) Essai sur la Maurtanie Csarienne, p. 141 ; cf. Gsell, Atlas arch.
de lAlgrie, IV, 1.
(6) C. I. L., VIII, p. 2025.
(7) Cat, Bull. de corr. afric., I, p. 131. Cf. Essai sur la Maurtanie C-
sarienne, p. 138 et suiv.
(8) Voir plus haut, p. 520.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 651

ligne dfensive qui, suivant quelques auteurs, avait une im-


portance considrable(1).
La Metidja, qui forme la limite orientale du massif du
Dahra avec ses prolongements, na livr aucune trace doc-
cupation militaire dans sa partie occidentale. Le versant des
montagnes serait explorer cet gard. Le seul point fortifi
quon puisse signaler dans cette rgion est Mouzaaville, que
lon a identifi avec vraisemblance aux Tanaramusa Castra
des Itinraires(2) ; mais ce poste ne se rattache pas au systme
de dfense du Dahra ; sa destination est vidente : il gardait la
____________________
(1) Cf. Azma de Montgravier, loc. cit., p. 301 et suiv. : La route de
Mostaganem Tns, dans un parcours de 40 lieues, suit constamment une
direction stratgique, dessert quatre villes romaines et puis de vingt postes,
dont quelques-uns lurent des castra stativa dune haute importance La partie
de la voie comprise entre Arsenaria et Cartenna mrite toute notre attention.
Les postes fortifis y sont trs rapprochs et forment de petits forts dtachs
peu prs semblables entre eux, quant aux matriaux, la disposition et aux di-
mensions de louvrage ; les dbris accusent la forme carre. Le parement ext-
rieur tait compos de pierres de taille assembles sans ciment ; mais lintrieur
contient des vestiges de votes maonnes, et quelquefois une citerne souter-
raine Les petits forts pourraient recevoir, dans nos conditions rglementaires,
trente hommes de garnison ; mais les grandes forteresses en contiendraient
dix fois plus. Des habitations particulires staient groupes, la suite des
temps, autour des forts principaux et avaient donn naissance des bourgs dont
on voit les ruines et qui avaient reu eux-mmes une enceinte dont les vestiges,
en plusieurs localits, se font voir aussi sur le terrain Au point de vue de lart,
il nous est impossible dattribuer ces constructions lpoque byzantine. M. le
colonel Mercier (Bull. arch. du Comit des travaux historiques, 1888, p. 92 )
ne mentionne sur cette partie de la voie que quatre ou cinq points, dont aucun
ne parat avoir limportance que leur attribue de Montgravier. Il en cite un
lembouchure de lOued-Masseur, et un second prs du Koudiat-nSara, tous
deux assez petits ; il cite aussi une tour de 9 mtres de diamtre entre les embou-
chures du Chabet-RizIam et du Chabet-Taliouin, sur le point culminant de la
falaise : ctait un phare ou un poste optique ; enfin il signale deux autres postes,
lun lembouchure de lOued-es-Sefah, lautre prs de la baie des Mahiness.
(2) Berbrugger, Revue afric. X, p. 353 et suiv. Cf. Cosneau, De romanis
viis in Numidia, 144. Ce nest pas lavis de M. Gsell (Atlas archologique de
lAlgrie, XIV, 1).
652 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

valle de la Chiffa et le passage entre le Mouzaa et les monts


des Beni-Sala.
Dailleurs, il suffisait dassurer de ce ct les communi-
cations entre Cherchell et la Mitidja, dune part, entre Cher-
chell et la valle du Chliff, de lautre. Or la route qui menait
de Cherchell la Mitidja passait par Zurich, quune inscrip-
tion de 195 nous dsigne sous le nom de Castellum(1) ; et la
route de Cherchell au Chliff tait garde de deux cts, son
entre dans les montagnes, par la position forte de Zuccabar
et par celle de Tigava Castra.

Pour complter la dfense du Dahra, les Romains avaient


dispos lintrieur du massif des postes dobservation quil
nous reste numrer. La route de Castellum Tingitanum
Cartennas tait barre par un fort, au col de Sidi-Abd-el-Ka-
der-Heumis ; celle de Castellum Tingitanum Arsenaria tait
surveille par une grande forteresse qui domine le douar Ma-
zouna et o M. le colonel Mercier voudrait voir le fundus Ma-
zucanus dAmmien. Cette forteresse slve sur une hauteur
en forme de trapze, qui mesure 1 kilomtre de longueur et 500
mtres de largeur. Les faces nord-est et ouest sont domines
par des escarpements rocheux inabordables ; la face sud est
forme dun mur avec redans(2). Plus loin, sur une large arte
rocheuse nomme aujourdhui Kala, slevait un tablisse-
ment considrable, dfendu lEst et lOuest par des murs
de 2 mtres dpaisseur, flanquements. Au centre taient
amnages de vastes citernes creuses dans le roc ; sur chaque
paroi rocheuse, au Nord et au Sud, sont taills des escaliers
____________________
(1) C. I. L., III, 9317.
(2) M. le colonel Mercier (Bull. arch. du Comit des travaux
historiques, 1888 p. 97), fait observer que cette position a t pr-
cisment choisie par nos gnraux comme centre de nos oprations
dans cette partie du Dahra.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 653

aboutissant de larges meurtrires qui donnent vue sur les


environs et qui servaient de points dobservation. Enfin un
dernier poste tait situ prs dAn-Timoula.
Ces deux voies, perpendiculaires la cte, taient re-
lies elles-mmes dans leur partie centrale par une voie pa-
rallle la mer qui suivait la crte. On y a trouv des restes
de fortifications : 6 kilomtres au sud-ouest de la Mechta-
Dar-en-Nemeur, une tour ruine ; une autre prs de la Mech-
ta-Souabria, au sud-ouest de Mediouna ; un fortin avec tours
dangle, 4 kilomtres louest de Sidi-Sliman, au nud
principal qui commande tous les passages du pays. Les bri-
gades topographiques nont pas signal de positions fortifies
dans la pointe occidentale du massif(1).

MASSIF DU TESSALA AVEC SES ANNEXES.

Le massif du Tessala tait, lui aussi, entour et sem de


forteresses et de camps retranchs. La grande voie du littoral
le couvrait par le Nord. Parmi toutes les stations que lItin-
raire dAntonin y indiquer(2), une seule porte un nom qui nous
permette de lui attribuer un rle dfensif : cest celle de Castra
Puerum ou Puerorum, que lon place aux Andalouses(3). Les
autres noffrent aucun caractre militaire(4). Portus Magnus fait
____________________
(1) Bull. archol. du Comit des travaux historiques, 1888, p. 94 et suiv.
(2) Cosneau, De romanis viis in Numidia, p. 20.
(3) Demaeght, Bulletin dOran, 1887, p. 257 ; cf. Bull. arch. du Comit
des travaux historiques, 1885, p. 335. De Montgravier (Spectateur militaire,
1863, p. 663) proposait Christel. Sur cette localit, voir Demaeght, Bull. des
antiq. afric., I, p. 268 et 269 ; II, p. 113, et Bull. dOran, 1887, p. 259.
(4) Demaeght a pourtant signal, au pied occidental du Mourdjajo et
gauche de la voie romaine, un fortin perch au sommet dun rocher, que
lon dsigne dans le pays sous le nom de Fort romain . Il nest accessible
que dun seul ct, lEst, par une rampe taille dans le roc. Lentre en est
barre par une paisse muraille qui enveloppe le plateau et dans laquelle on
654 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

exception : on y a trouv un grand nombre de tombes de sol-


dats, mais qui paraissent isoles ; il se pourrait donc que ce
fussent des pitaphes de militaires morts dans le port au re-
tour dexpditions ou avant de sembarquer(1).
Une seconde voie, qui tait peu prs parallle celle-ci,
sparait les montagnes voisines de la mer et spcialement le
massif du Traras de celui du Tessala : cest celle de Calma Ru-
sucurru, qui partait en ralit de Lalla-Maghnia, suivait quel-
que temps la Tafna et gagnait An-Temouchent(2). Ce dernier
poste tait un centre important. Les textes pigraphiques qui
y ont t dcouverts prouvent la prsence en cet endroit dune
garnison de cavaliers(3). A An-Temouchent, la voie se divisait
en deux branches. Celle du Nord suivait, le pied des montagnes
au nord de la Sebkha. On y rencontre la position de Sidi-Lakdar,
1,500 mtres au nord de Bou-Tllis. Un empereur du dbut
du IIIe sicle, lagabal ou Svre-Alexandre, y fit lever un
burgus sur le Koudiat-Sidi-Lakdar, pour protger la plaine
et garder la route qui gagne de l le littoral(4). La branche mri-
dionale, au contraire, longeait la sebkha par le Sud et traversait
la plaine de la Mlta. Le poste dArbal, avec sa garnison de ca-
valiers(5), tait charg dassurer les communications de ce ct.
En outre, M. le colonel Mercier a remarqu(6), prs dArbal,
____________________
remarque les substructions de petits logements adosss an mur avec une
grande citerne vote. A lextrieur, au pied du rocher et prs de lentre, se
trouvent un bassin rectangulaire et des silos (Bull. dOran, 1887, p. 257).
(1) C. I. L., VIII, 9761 9766, 21617 21620.
(2) Cosneau, De romanis viis in Numidia, p. 43.
(3) C. I. L., VIII, 9796. 9797.
(4) C. I. L., VIII, 21662 : Burgum i[n]stitutum per T. Flavium Sere-
num . Les ruines de ce burgus, dit Demaeght (Bull. dOran, 1887, p. 255),
ne prsentent plus quun exhaussement de terrain produit par lamoncellement
des dcombres ; il ny a plus de matriaux antiques la surface du sol.
(5) C. I. L., VIII, 21629.
(6) Bull. archol. du Comit des travaux historiques, 1885, p. 339.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 655

une station mgalithique dont les points culminants sont cou-


verts de tours plus ou moins dtruites. Ce ne sont peut-tre
que des monuments funraires. Lune delles, pourtant, a
conserv ses murs jusqu 1 mtre de hauteur, sa porte den-
tre et la marche qui y donne accs ; il se pourrait que celle-
l, au moins, ait eu une destination militaire.
Au sud du Tessala, les Itinraires nindiquent pas de voie
et les restes romains ne paraissent ni assez nombreux, ni as-
sez importants pour nous permettre de combler cette lacune.
Il nest cependant pas croyable que, de ce ct, on ait nglig
la dfense du pays.
Le sommet du Tessala est couronn par un ouvrage forti-
fi assez important. Il a t signal depuis longtemps(1), mais la
description la plus complte que lon en possde est due M. le
colonel Mercier(2). Celui-ci nhsite pas voir, dans cet ouvrage,
____________________
(1) Rev. afric., II, p. 81 et suiv. : Tous les vestiges doccupation, dit
lauteur, que lon rencontre sur le Tessala, An-Zectita, An-Bent-es-Soultan et
deux autres pitons couverts galement de ruines antiques, sont des points domi-
nants du massif. Ces postes ont lair davoir t autant de vedettes charges de
surveiller la plaine.
(2) Bulletin archol. de Comit des travaux historiques, 1885, p. 343.
Ce fort a, dit-il, la forme dun rectangle peu prs rgulier de 75 mtres de
ct sur 40. Le contour extrieur en est trs net. Les fosss sont creuss dans le
roc vif ou sont revtus de maonnerie cimente. Ils ont 3 mtres de profondeur
et 5 de largeur, except au Nord, o la pente raide de la montagne commence an
pied de lescarpe. Lentre se trouve sur la face est. En franchissant le foss, on
trouve devant soi un mur en briques cimentes, perces de trous espacs de 0 m.
60 0 m. 70, disposs par bandes horizontales espaces de 0 m. 90. En tournant
gauche, on monte une rampe dune dizaine de mtres et lon se trouve sur le
terre-plein On remarque de belles anses de pierres de taille, marquant lem-
placement des tourelles de flanquement, au nombre de six, une chaque angle
et une au milieu de chaque grand ct. Ces tourelles avaient 2 mtres de saillie
en dehors de mur denceinte.
Des vestiges de murs parallles la face ouest indiquent lemplace-
ment probable des casernes ou des magasins. Chacun de ces btiments avait
environ 3 m. 60 de large sur 9 mtres de long. Des alignements semblables
se rencontrent le long des grands cts. Le centre est occup par une chambre
maonne et cimente Prs de lentre se trouve un trou circulaire, orifice
656 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

un fort romain ; dautres ont pens, cependant, que ctait une


construction espagnole(1). A vrai dire, lemploi de la brique
semble assez singulier dans une construction militaire romai-
ne et aucune des forteresses qui ont t releves en Afrique
noffre, ma connaissance, cette particularit ; mais lopi-
nion de M. le colonel Mercier, qui a vu le monument, ne doit
pas tre nglige.
Pour terminer, il faut citer, daprs Montgravier(2), des
routes qui reliaient la grande ligne de postes militaires tablis
au nord des monts de Tlemsen la cte. La premire allait
de Tlemsen Rachgoun en suivant la valle de la Sikak et de
la Tafna ; on ne donne pas de dtails son sujet, mais ctait
certainement une voie militaire. La seconde joignait Lalla-
Maghnia Ndroma et, sans doute, Nemours. Elle tait,
parat-il, borde de fortins dans toute sa longueur(3).
MASSIF DE LOUARSENIS.

La ligne militaire qui longeait, au Nord, le massif de


lOuarsenis et les postes qui y taient tablis ont t tudis
plus haut. Jai dj dit aussi que loccupation du massif avait
t, sans doute, commence par Septime-Svre et continue
par ses successeurs. Cette occupation porta le limes jusquau
bord septentrional des Hauts-Plateaux. La preuve en est que, au
IIIe sicle, les points les plus importants en taient gards par
des garnisons ou par des fortins. On en connat maintenant un
____________________
probable dune ancienne citerne, laquelle aboutit un petit aqueduc partant de
la tourelle mdiane du ct sud.
(1) Revue afr., loc. cit. Cest lavis de M. Gsell (Atlas arch. de lAlgrie,
XXXI, 27).
(2) tudes historiques (dans les Projets de colonisation de De la Mori-
cire et. Bedeau, Paris, 1847), p. 170.
(3) Labb Barges (Tlemcen, p. 162) laisse entendre qu Ndroma il y
avait un camp fortifi analogue celui de Lalla-Maghnia ; mais il ne la pas vu :
il rapporte un renseignement quil a recueilli.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 657

certain nombre. Citons dabord, pour mmoire, un poste prs


de Sada, lentre des montagnes de ce nom. On y voit, 2
kilomtres au sud de Sada, sur un plateau nomm Tidernatin,
une enceinte fortifie que La Blanchre a dcrite et dont il a
donn le plan(1). Elle offre des particularits trs caractristi-
ques : le mur extrieur en est bti de blocs non quarris, qui
indiquent une construction indigne ; lintrieur, les amas de
ruines, dissmins et l, ne semblent pas avoir succd des
maisons : ce sont des tours rondes constituant des greniers ou
de petits abris rectangulaires pour les dfenseurs. Il ny avait
donc pas l de ville forte proprement dite, comme on en a ren-
contr tant en Maurtanie, mais une place darmes, un campe-
ment. Ce campement gardait la valle de lOued-Sada.
Plus loin, lEst, on rencontre un autre poste, celui-ci
trs rgulirement tabli, nomm Benian ; il sappelait jadis
Ala miliaria, du nom du
corps de troupe qui y cam-
pait(2). On distingue encore
lenceinte de la ville qui
avait 240 mtres de ct en-
viron. Les portes en taient
protges par deux tours en
pierres de taille, dune bel-
le construction, qui mesu-
raient 5 mtres de diamtre.
En face existe un monument de 35 mtres de ct, qui occu-
pait une partie du front oriental de la ville. Cest une glise
qui date du Ve sicle ; elle a t fouille par M. Gsell(3).
____________________
(1) Voyagedtude, p. 46 et suiv. ; cf. pl. IV.
(2) C. I. L., VIII, p. 2042.
(3) Cf. sur les ruines : La Blanchre, Voyage dtude, p. 66 et pl. V ;
Gsell. Fouilles de Benian ; Mon. ant. de lAlgrie, I, p. 87 ; Atl. arch. de lAl-
grie, XXXII, 93.
658 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

De lautre ct des monts de Sada, dans la valle de


lOued-el-Abd, slevait, prs de Tagremaret, Henchir-Souik
(cohors Breucorum)(1). La forteresse, dont nous reproduisons
le plan daprs le croquis de La Blanchre(2), tait situe sur
une petite minence. Cest,
dit-il, un rectangle de 145 m-
tres sur 90, avec une tour ronde
de 4 m, 80 chaque angle. Il
devait y avoir deux portes, du
ct du canal, larges de 6 m-
tres. La plus au Nord se recon-
nat assez bien : elle est prot-
ge par la tour dangle nord-est
et une autre semblable le long
de la courtine. Celle-ci est un
mur en gros moellons et mor-
tier assez grossier, mais fort
solide et revtu de pierres de
taille, dont quelques-unes sont
trs grandes ; il a 1 m, 95 2
mtres dpaisseur.
Dans la ruine du fort ont t
trouves des inscriptions qui
nous en font connatre la garnison au IIe sicle : elle tait
compose de la IIe cohorte des Breuques(3). On doit consid-
rer cette fortification comme la plus importante de la rgion,
puisque le camp des Breuques et la ville qui prit naissance
____________________
(1) Gsell, Atlas archolog. de lAlgrie, XXXIIL 23.
(2) Op. cit., p. 69 et 70 ; cf. pl. VII fig. 1.
(3) C. I. L., p. 2040, nos 21560-21562. La dernire de ces inscriptions
est lpitaphe dun centurion qui
Multos domuit stravitque per hos undique montes
Infandos hostes temerataque bella subiit.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 659

ct devinrent le point de dpart des routes qui la reliaient


aux postes voisins(1).
La partie du limes qui stend lEst de Tagremaret a
t tudie de trs prs par M. le lieutenant Fort(2). Parmi les
nombreuses ruines quil a signales, il faut citer :
An-Sbiba, un peu en avant de Frenda. On y a dcouvert
lpitaphe dun duplarius et une ddicace pour le salut et la
victoire de Gordien(3).
Non loin de Sbiba mme, 2 kilomtres lOuest, dans
un lieu nomm Tamgazouth, existent les restes dun fortin
important. Cet ouvrage, perch sur un peron inaccessible,
limitait une surface carre de 90 mtres de ct. Les d-
fenseurs de la forteresse taient aliments en eau potable au
moyen dune grande citerne que remplissait une canalisation
spciale(4) . On a trouv en cet endroit la tombe dun cavalier
et dun dcurion ; le corps auquel ils appartenaient nest pas
mentionn par les pitaphes.
A kilomtres au sud-est de Frendah, 5 kilomtres au sud
dAn-Sbiba, autre poste romain de 15 mtres de ct, flanqu
de quatre tours(5). M. Fort pense que cette construction, sise
lendroit dit An-Gaga, tait un poste dobservation(6).
Enfin, Sidi-bou-Zid, 9 kilomtres lest de Frendah,
le mme officier a not la prsence dune enceinte fortifie de
forme heptagonale, constitue par de gros blocs de maon-
nerie et paisse de 1 m, 40(7). On y a recueilli lpitaphe dun
vtran.
____________________
(1) C.I. L., VIII, 22598, 22599 (a coh. Breucorum) ; 22600 (a Kaput urbe).
(2) Bull. arch. du Comit, 1908, p. 261 et suiv.
(3) C. I. L., VIII, 21557, 21558. Cf. Gsell, Atlas arch., XXXIII, 34.
(4) Fort, loc. cit., p. 270 et fig. 1 ; cf. Gsell, op. cit., XXXIII, 35.
(5) Bull. archolog. du Comit, 1907, p. CCXIV et CCXV.
(6) Ibid. 1908, p. 273.
(7) Ibid., p. 276.
660 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Tiaret, plus au Nord, commande lentre dun passage im-


portant travers lOuarsenis. Un plan des ruines telles quelles
existaient larrive de nos troupes a t donn par le Spec-

tateur militaire en 1843(1). Grce ce document, reproduit


ci-dessus, on peut se rendre compte aisment de la fortifica-
tion de la place. Ctait videmment un centre militaire. On y
remarque trois parties distinctes : la ville elle-mme, dont la
vaste enceinte, flanque de tours, remonte peut-tre seulement
____________________
(1) Spectateur militaire, XXXV (sept. 1843). La notice est de De Mon-
tgravier. Le foss, marqu sur le plan et que jai nglig dindiquer ici, a t
fait par nos troupes, ainsi quil rsulte de la description mme de cet officier.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 661

aux bas temps ; au centre, une forteresse C renfermant un r-


duit D, qui constituait sans doute le castellum primitif. Sauf
certains dtails peu importants, ces ruines rappellent beau-
coup par leur disposition celles de Sour-Djouab et de tous
les postes analogues. Cest ce qucrivait dj, au reste, en
1843, Azma de Montgravier : Les remparts et les tours,
dont on suit parfaitement les traces sur le sol, prsentent le
mme aspect que celui des autres villes romaines de la pro-
vince dOran : ce sont de larges blocs de pierre taills sur une
face et que des crampons en fer runissaient entre eux(1).
A lest de Tiaret slve le plateau du Sersou, compris
entre un affluent du Chliff, le Nahr-Ouassel, et une rivire
qui sy jette, lOued-Belbela. Ce plateau fut, au moins une
certaine poque, surveill du ct du Sud. La Blanchre a
signal(2) sur la rive droite de lOued-Sousselem, mais une
certaine distance, une forteresse nettement caractrise, qui
devait avoir pour mission dassurer la scurit de la rgion ;
lendroit o elle se trouve se nomme Bnia. Elle tait btie
prs dune excellente source ; elle forme un carr peu prs
rgulier de 32 35 mtres de ct, orient exactement par ses
faces. Lentre, dans le ct oriental, est dfendue par deux
bastions carrs de 4 mtres sur 4 m, 50, laissant entre eux un
espace de 4 m, 80 de large. La porte devait avoir 2 mtres de
haut, ou un peu plus, sur une largeur proportionne. Du de-
dans, on va dans les bastions par une ouverture de mtre de
large. Lenceinte est un mur de 3 m, 15 de hauteur au-dessus
du sol actuel, fait de pierres de taille sans mortier et termin
par une corniche trs simple. Les pierres sont bien tailles,
bien ajustes et indiquent une assez bonne poque .
____________________
(1) Cf. sur Tiaret : Demaeght, Bull. dOran, 1887, p.278, et Gsell, At-
las arch. de lAIgrie, XXXIII, 14.
(2) Op. cit., p. 71, et pl. VII, fig. 2.
662 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Sur la rive gauche du Sousselem, six lieues et demie


de Tiaret, de Caussade a remarqu aussi jadis un camp assez
tendu, divis en plusieurs compartiments, et, 3 kilomtres
environ lOuest, un fortin au lieu nomm Dzarrit(1). Ces trois
postes faisaient partie du mme ensemble.
Plus loin, du ct de lEst, on a signal(2) la ferme Ro-
manette les restes dune forteresse importante, quelques
kilomtres au nord-est de Chellala, sur la berge de lOued-
Ouerq. On dit que cette forteresse mesure environ 60 mtres
de longueur et quelle offre encore les traces de plusieurs bas-
tions demi-circulaires. Il semble bien que, comme les prc-
dents, ce fort tait destin surveiller la partie mridionale du
Sersou(3).
Au nord du plateau, dans la valle du Nahr-Ouassel, on
rencontre aussi des traces doccupation militaire, surtout
An-Teukria (Bourbaki), qui se nommait Columnata lpo-
que romaine et qui fut le sige du limes Columnatensis au bas
Empire(4). Cette place est peut-tre contemporaine de celle de
Bnia. Peut-tre aussi ne fut-elle importante quaux derniers
temps, alors que le Sersou tait abandonn lui-mme et que
loccupation sarrtait au Nahr-Ouassel. Lune et lautre hy-
pothses se peuvent dfendre.
La route dAn-Teukria Boghar longeait le pied des
montagnes et suivait la valle de lOued-oum-Djelil. Il y avait
l, dit-on, une vingtaine de kilomtres de Boghar, une ruine
____________________
(1) Mmoires de la Socit archologique de lOrlanais, I, p. 262.
(2) Joly, Bull. archol. du Comit, 1893, P.188 et suiv. ; Gsell,
Ml. de lcole de Rome, XX (1900), p. 140 ; Atlas archol. de l Al-
grie, XXXIV, 57.
(3) M. Gsell y voit une forteresse isole, en avant du limes, servant de
centre de dfense ces pacati qui romanis finibus adhaerent dont parle saint
Augustin (Epist., 199).
(4) C. I. L., VIII, p. 2034 ; voir aussi Gsell, Atlas archolog. de lAlg-
rie, XXIII, 27.
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 663

assez grande, chez les Ouled-Halal. Celui qui la signale la


considre comme celle dun poste dfensif(1).
Cest, avec Boghar(2), le dernier quon rencontre au Sud
de lOuarsenis, le Chliff formant la limite orientale de ce mas-
sif. La ligne qui enveloppe les Hauts-Plateaux en en suivant le
rebord septentrional se prolongeait pourtant plus loin encore.
Un peu lest de Boghar, dans la valle dun petit affluent du
Chliff, on peut signaler le burgus Uzinazensis, bti en 205 par
Septime-Svre et ses fils(3). Les ruines de Saneg o il sle-
vait sont celles dune enceinte ayant la forme dun rectangle
irrgulier de 300 mtres de longueur sur 200 de largeur ; elle
tait forme, nous dit-on, dun mur de 2 mtres dpaisseur
bti en pierres non tailles ; le mme procd de construction
a dj t signal en Maurtanie, notamment Tidernatin.
Plus loin encore vers lEst, au nord dune petite mi-
nence nomme Koudiat-Naja, existe, An-Grimidi, une en-
ceinte rectangulaire de 65 mtres sur 44, avec deux portes,
lune au Nord, lautre au Sud(4) ; par l le limes de Maurtanie
se raccordait la ligne dfensive qui, contournant le Hodna,
protgeait la Numidie par le Sud.
De plus, comme tous les autres massifs que nous avons
____________________
(1) Rev. afric., VI, p. 23 ; cf. II, p. 412.
(2) Ibid., II, p. 486.
(3) C. I. L., VIII, 9228. Cf. sur ce fort : De Caussade, Mm. de la So-
cit archolog. de lOrlanais, I, p. 261, et Berbrugger, Revue afric., II, p.
486. Une autre inscription, trouve lest de Saneg, Touta (C. I. L., VIII,
9127), semble tre peu prs analogue. Elle provient de ruines importantes
qui sont celles dune enceinte tendue, trs irrgulire. Au centre, prs dune
source, existe un fort de forme carre qui parat avoir t construit, crit
De Caussade (loc. cit., p. 260), avec les restes de la ville romaine dtruite. Il
serait donc de trs basse poque. Il est possible nanmoins que cette position
ait t occupe antrieurement avec les points voisins, par exemple le Kef,
Lakhdar, o lon a signal des restes romains. Loccupation a fort bien pu,
au IIIe sicle, stendre au sud des monts du Titeri, par Touta et la valle de
lOued-el-Ham, jusqua Tarmount ou Msila.
(4) Gsell, Atlas arch. de lAlgrie, XXIV, 155 et p. 15 des Additions.
664 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

tudis, lOuarsenis tait solidement occup lintrieur. La


perce que lOued-el-Hammam faisait dans la montagne tait
barre par toute une suite de fortins ou de centres fortifis celui
de Kolia, au sommet dune hauteur inaccessible(1), puis celui
de Kersout, qui se composait dun gros bourg domin et pro-
tg par une citadelle(2). Plus au Nord, Tackelmamet, prs
dHammam-bel-Hanefia, se trouvait une ville forte dont les
restes existent encore, au moins en partie. Ce parat avoir t le
lieu de campement dun numerus dont le nom nest pas enti-
rement connu(3). Enfin, prs de Dublineau, on a signal les res-
tes dun castrum, situ sur le plateau qui domine le village(4).
Mme systme doccupation dans la valle de lOued-
Riou et dans la rgion qui y donne accs. Ainsi, Ammi-
Mousa, une inscription nous a gard le souvenir dun castrum
priv qui ntait pas tranger la dfense de la montagne(5). A
14 kilomtres au nord-est de cette ville, au lieu dit Kaoua ,
on a signal un tablissement de la mme espce, mais plus
considrable(6). Il serait ais den citer bien dautres encore,
car la rgion voisine de Ammi-Mousa est pleine de restes de
fortifications semblables. M. le capitaine Marchand y a re-
lev cent trois ruines romaines, et il a not que les postes non
seulement taient peu loigns les uns des autres, mais aussi
quils taient relis par des tours, de faon se voir et se
porter secours au besoin(7).
____________________
(1) La Blanchre, Voyage dtude, p. 31.
(2) Ibid., p. 30.
(3) C. I. L., VIII, 9765. Cf. La Blanchre, loc. cit., p. 38 et 65.
(4) Demaeght. Bulletin dOran, 1887, p. 271.
(5) C. I. L., VIII, 9725.
(6) La Blanchre, Voy. dtude, p. 116, et Append. c. ; cf. Demaeght,
Bull. dOran, 1887, p. 277. Voir plus loin.
(7) La liste de ces postes, dont les principaux sont : Kherha-bou-Zoula,
Bou-Kebaba et Sedadja, dans la valle du Sensig ; Ksar-Demma et Souma,
dans les hautes valles de lArdjem et du Riou, a t donne par La Blanchre
FRONTIRE DE MAURTANIE CSARIENNE. 665

La partie orientale de lOuarsenis ne parait pas contenir


de fortifications importantes(1).
La voie, marque par une srie de camps et de fortins,
qui couvrait par le Sud le pt de lOuarsenis se prolongeait
lOuest jusqu lOued-Mekerra, o elle rejoignait la gran-
de route militaire dcrite plus haut(2) par les deux postes de
Timziouin (Lucu) et de Haouasedj, lieu situ 2 kilomtres
lest de Tenira (Caputtasaccora). La partie comprise entre
ces deux points a t longuement dcrite par Demaeght(3). Elle
tait empierre et enferme entre des bordures de pierres bru-
tes ou quarries. Des milliaires en jalonnaient le parcours ; les
plus anciens remontent lanne 201, date probable de lta-
blissement de la route ; les plus rcents appartiennent au rgne
de Claude le Gothique(4). La position de Timziouin, dans une
boucle de lOued-Berbour, tait excellente(5). Des fouilles pra-
tiques Haouasedj ont mis au jour les restes dun fortin ; les
pieds-droits de la porte dentre ont t retrouvs(6).
Ainsi, au IIIe sicle, le limes de la Maurtanie stendait
____________________
(Bull. de corr. Afric., I, p. 147 et suiv. ; Voyage dtude, p. 118), et reproduite
par Demaeght (Bull. dOran, 1887, p. 728).
(1) Cf. Gsell, Atlas arch. de lAlgrie, XXIII, 1 5. Jai pu runir les
quelques renseignements complmentaires suivants. Je les emprunte la trs
intressante rponse faite par M. ladjoint de ladministrateur de la commune
mixte de Teniet-el-Had un questionnaire du ministre de lInstruction publique.
Dans la tribu des Beni-Nada, des ruines romaines ont t releves aux lieux
suivants : Berriou, Chteba, Dara, Oredja ; il semble que ctaient l des postes
militaires. Les tribus de Taza, EI-Khemas, Benaouri, Beni-Lent en renferment
danalogues, auxquelles on peut attribuer la mme origine. Kerabeub (limite de
la commune mixte de Teniet-el-Had et de celle des Ouarsenis) renferme une
construction carre de 7 mtres environ, compose de grosses pierres tailles.
(2) Voir p. 614 et suiv.
(3) Bull. arch. du Comit, 1894, p. 311 et suiv.
(4) C. I. L. VIII, p. 2166 et suiv.
(5) Cf. Bull. dOran, 1886, p. 298 et suiv. ; Gsell, op. cit., XXXII, 46.
(6) Demaeght, Bulletin archolog. Du Comit, p. 367. Cf. Gsell, op. cit.,
XXXI, 76 et 79.
666 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

de lEst lOuest sur le bord des Hauts-Plateaux. Mais, en


avant, on trouve encore des centres romains assez importants
et assez peupls. Il fallait bien les protger contre les pillards,
ou tout au moins tenter de le faire. De l des voies qui condui-
saient vers le Midi, pour se perdre dans le dsert, et qui tmoi-
gnaient de lautorit, au moins nominale, de Rome sur les tri-
bus du Sud. On gardait ces voies de loin en loin, comme on le
faisait dans le midi de la Numidie, aux points importants, par
exemple au croisement des routes ou au passage des chotts.
On na pas dcouvert dinscriptions de ce ct, comme on a
eu la bonne fortune den rencontrer Ghadams ou Gharia-
el-Gharbia ; mais on a constat en certains endroits des traces
de postes romains, ce qui, dans lespce, revient peu prs
au mme. Ainsi, Khadra, la pointe la plus mridionale du
Chott-Chergui, existait une construction de forme carre en
pierres de taille(1), qui ne peut tre quun fortin ; il fermait par
le Sud le passage de Sfissifa.
Par ces routes, moiti commerciales, moiti militaires,
la dfense de la Maurtanie se prolongeait au del du limes
jusquau rebord mridional des Hauts-Plateaux. L commen-
aient des contres qui ntaient plus la Maurtanie sans tre
davantage la Numidie, que lEmpire pourtant aimait comp-
ter officiellement parmi ses possessions(2), quil avait fait vi-
siter en courant par ses troupes, au moins au IIe sicle(3), mais
o lon na point encore trouv les traces dune suzerainet
fortement tablie.
____________________
(1) La Blanchre, Voy. dtude, p. 74.
(2) Cf. Mommsen, Hist. rom., t. XI de notre traduction, p. 277 et note 2.
(3) C. I. L., VIII, 21567 (inscription trouve Aflou).
OCCUPATION DE LA MAURTANIE TINGITANE. 667

CHAPITRE III.

ARME DE MAURTANIE TINGITANE.

Il faut rpter, propos de la Maurtanie Tingitane, ce


qui a t dit plus haut de la Csarienne. L aussi, et plus enco-
re quailleurs, larme doccupation avait lutter surtout avec
les indignes du pays soi-disant soumis. Il avait donc fallu
garder non seulement la frontire mridionale dont le trac
ne saurait tre indiqu dune faon prcise pour le moment,
mais aussi le pied des montagnes de lintrieur et les valles
des grands fleuves qui servaient de voies de communication
entre les villes les plus importantes de la rgion.
On devra, sans doute, attendre encore quelque temps
avant de pouvoir dterminer la suite des postes fortifis ta-
blis en Tingitane.
Cependant on peut, ds maintenant, suivre sur la carte
du pays les grandes lignes de loccupation militaire romaine ;
cest un rsultat que la science doit aux recherches de Tissot(1)
et surtout aux courageuses explorations de M. H. de la Mar-
tinire. Je naurais pas pu, pour ma part, runir un nombre
de documents suffisants pour composer le prsent chapitre,
si lamiti de ce dernier navait mis entre mes mains, avec le
plus grand dsintressement, des notes et des croquis dont le
moindre prix est dtre indits.
On croyait rcemment encore, et lon a dit(2), que la Tin-
____________________
(1) Mmoires prsents par divers savants lAcadmie des inscrip-
tions et belles-lettes, IX, p. 139 et suiv.
(2) Cf. Mommsen (Hist. rom., t. XI de notre traduction, p. 274 ) qui
parle surtout daprs Tissot.
668 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

gitane ne comprenait gure que Tingis et son territoire et que


la civilisation romaine navait jamais t jusqu Fs. Si lon
admettait cette opinion, on serait amen restreindre singuli-
rement le rle de larme doccupation ; en ralit, elle naurait
eu qu protger le littoral entre Tanger et Sla, ainsi que les en-
virons de cette premire ville. Le reste du pays aurait t laiss
sans dfense, ou du moins les Romains ny auraient jamais
pntr que par des pointes rapides destines effrayer len-
nemi, mais non le tenir dans une soumission durable.
La carte que M. de la Martinire a bien voulu tracer de
la Tingitane mon intention permettra de voir que la puis-
sance romaine tait plus solidement assise quon ne le pensait
jusquici.
En premier lieu, le passage vers le Nord tait barr, entre
Fs et Sla, par une ligne de postes fortifis dont quelques-uns
sont connus. Tout le versant mridional du Djebel-Zerhoun,
louest de Fs, depuis lAgbat-el-Arabi, o Tissot pense
avoir retrouv Tocolosida, jusqu lextrmit oppose, est
tapiss de ruines romaines qui sont dissmines au milieu des
ksours(1). Au sommet du Djebel-el-Harouchi, M. de la Marti-
nire a dcouvert une grande citadelle ou plutt une enceinte
fortifie dappareil peu soign (voir la figure de la page sui-
vante). Cette construction, dont il a pris rapidement le plan,
est btie en moellons et en excellent ciment. Elle commande
tout le plateau de Fs, et, de la hauteur o elle slve, on d-
couvre aisment les deux grandes villes de la rgion, Fs et
Mekns. Ctait un point capital occuper de ce ct. Mekns
possdait un poste fortifi, on en a trouv les traces sous le
rduit du camp franais actuel(2).
____________________
(1) Sur limportance stratgique du massif du Zerhoun, cf. de la Mar-
tinire, Morocco (Londres, 1889), p. 182 et suiv.
(2) Bull. arch. du Comit, Commission de lAfrique du Nord, 1912,
sance du 13 mars, p. XVI.
OCCUPATION DE LA MAURTANIE TINGITANE. 669

A la partie occidentale du pt montagneux du Zerhoun,


M. de la Martinire a relev galement un ouvrage fortifi,
mais plus petit, qui surveillait la valle dun affluent de lOued-

Chedjira et gardait la route de Fs Volubilis (Ksar-Faraoun)


par le pied de la montagne.
Ce poste de Volubilis, qui sest transform, au IIe et au
IIIe sicle, en une cit puissante, fut dabord, semble-t-il, une
670 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

colonie militaire tablie au pied du Zerhoun(1). Mais lenceinte


qui en reste aujourdhui, construite en pierres de grand appa-
reil(2), appartient une trs basse poque. Le camp primitif a
sans doute disparu, remplac par des constructions florissan-
tes de la cit, moins quil ne soit cach sous les maisons de
la ville voisine de Moula-Idriss, que sa saintet rend impn-
trable aux Europens.
Un peu au Nord se trouve une localit nomme An-
Chkour. Une inscription nous apprend quil y avait l un
praetorium, bti par la main militaire(3).
Plus lOuest, dans le bassin de lOued-Redom, M. de
la Martinire a constat la prsence de fortins solides, che-
lonns sur deux chemins dont lun suit la valle de lOued-
Redom, tandis que lautre longe celle dun de ses affluents ;
celui-ci conduisait de Volubilis vers le Nord-Ouest. M. de la
Martinire y signale un petit fort, une heure vingt minu-
tes louest-nord-ouest de Volubilis ; un second petit fort,
une heure de marche plus loin, et enfin un peu avant le dfil
du Djebel-Outita, nomm Bab-Tisra, une enceinte quadran-
gulaire nettement caractrise, dont la position figure sur la
premire des deux cartes ci-jointes.
Lautre route, qui de Mekns gagnait galement le dfi-
l de Tisra, tait surveille 20 kilomtres environ au nord-
nord-ouest de Mekns, sur le territoire des Guerouan, par
un camp retranch de 48 mtres de ct avec un rduit au
centre. Le passage entre le Djebel-Zerhoun et les montagnes
des Guerouan tait donc dfendu par une suite douvrages
militaires, destins arrter de ce ct leffort des envahis-
seurs.
____________________
(1) Tissot, loc. cit., p. 266.
(2) Tissot, loc. cit., p. 285 ; La Martinire, Journal des savants, 1912,
p. 38 et suiv.
(3) C. I. L., VIII, 21820. Cf. Tissot, loc. cit., p. 294.
OCCUPATION DE LA MAURTANIE TINGITANE. 671
672 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

La route du limes mridional suivait alors, daprs M.


de la Martinire, une direction peu prs perpendiculaire
celle quelle avait jusque-l pour rejoindre le littoral. Il na
pas pourtant rencontr sur cette ligne de constructions mili-
taires comme celles quil a releves prs du Zerhoun. Mais
il ne faut pas oublier que le pays, de ce ct, est absolument
ferm aux Europens et que la tribu des Zemmours, qui oc-
cupe le territoire situ entre lOued-Beht et la mer, est une des
plus sauvages du Maroc. Lexamen de M. de la Martinire na
donc pu tre que trs superficiel et lon ne peut encore rien
avancer de certain sur loccupation militaire de cette rgion.
Au nord-ouest du pays des Zemmours se trouve le sanc-
tuaire de Sidi-Ali-ben-Ahmed, o Tissot(1) a plac la ville an-
tique de Thamusida, connue par les Itinraires. Il existe,
dit-il, en face de Sidi-Ali-ben-Ahmed, sur la rive droite du
Sbou, des vestiges assez considrables dune enceinte btie
en pierres de grand appareil ; ces ruines, qui portent le nom
de Fghana, sont vraisemblablement celles dun poste militai-
re. M. de la Martinire, qui a pu rester Sidi-Ali-ben-Ahmed
plus de temps que Tissot et voir de prs ces ruines, estime
quelles appartiennent une date postrieure lpoque ro-
maine.
A Thamusida passait la voie militaire du littoral de
lOcan dont litinraire dAntonin nous a conserv le trac(2)
dans le dtail, et que Tissot a tudie avec soin. Cette grande
voie tait destine assurer les communications entre la ville
de Tanger et la limite extrme de loccupation romaine au
sud-ouest de la Tingitane, la Sala Colonia et le poste, encore
inexplor, nomm Ad Mercurios.
Le plus grand nombre des stations du routier a t identifi
____________________
(1) Loc. Cit., p. 282.
(2) d. Fortin dUrban, p. 2.
OCCUPATION DE LA MAURTANIE TINGITANE. 673

dune faon, sinon certaine, au moins trs probable, et pres-


que partout on y a relev la trace denceintes fortifies.

Il suffira de rappeler ici les synonymies admises :


Sala = Rbat-Sla.
Thamusida.. . = Sidi-Ali-ben-Ahmed (?).
Banasa = Sidi-Ali-bou-Djenoun.
Frigidae = Souir.
Lixus = Tchemmich.
Tabernae = Lella-Djelaliia.
Zili = Azila.
Ad Mercuri = Ruine prs de lAin-el-Khal.
Tingis = Tanger.

Sala devait tre autrefois un point militaire trs impor-


tant. Voisine du dsert et de la tribu sauvage des Autololes(1),
anctres des Zemmours, il fallait quelle entretnt une garni-
son assez nombreuse et assez solidement tablie pour mainte-
nir les communications entre le nord et le sud de la province
Tingitane(2). Les constructions modernes ont recouvert ou fait
disparatre toutes traces de fortifications antiques.
Nous avons parl, quelques lignes plus haut, de Sidi-
Ali-ben-Ahmed et de lenceinte que Tissot y avait signale.
La station de Frigidae, au lieu dit aujourdhui Souir, pr-
sente tin caractre militaire indubitable. Tissot pense quil ny a
____________________
(1) Plin., Hist. nat., V, 1, 5 : Oppidum Sala infestum Autololum
gente.
(2) Tissot (op. cit., p. 234) dit de la moderne Rbat : Les environs
de Rbat sont souvent dvasts par les incursions des Zars et des Zemmour-
Chleuh, descendants directs des Autololes. La situation de Rbat la condamne
fatalement aux consquences dun dangereux voisinage : le massif inacces-
sible des Zars, projet par lAtlas, stend jusqu lembouchure du Bou-
Ragraz et permet cette farouche tribu dinquiter impunment la route du
littoral, parfois mme dintercepter compltement les communications entre
le nord et le sud de lempire des Chrifs
674 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

jamais eu, sur ce point, autre chose quun poste fortifi. Il y


a signal les ruines dune enceinte rectangulaire exactement
oriente et mesurant 120 pas du Nord au Sud et 96 pas de
lEst lOuest . Les murailles sont construites en pierres de
moyen appareil. Il ne reste gure de cette enceinte quun pan
de 6 ou 7 mtres de longueur et de 1 mtre et demi de hauteur
sur la face mridionale du rectangle. Daprs la tradition lo-
cale, ajoute-t-il, un aqueduc aurait amen autrefois dans les
ruines mmes de Souir les eaux dune source assez loigne
nomme An-Smit (source froide, en berbre).
M. de la Martinire en a lev le plan ; nous linsrons ici :

Lixus, qui a t tudie avec le plus grand soin par le mme


explorateur(1), offre toutes les apparences dune ville forte. Les
____________________
(1) Bull. arch. du Comit des travaux historiques, 1890, p. 135 et suiv.
OCCUPATION DE LA MAURTANIE TINGITANE. 675

murailles remontent, suivant les juges les plus autoriss,


lpoque punique ; les Romains les utilisrent lorsque Claude(1)
y envoya une colonie et les maintinrent en bon tat pendant
tout lEmpire. Lexcellent plan qui en a t donn par M. de
la Martinire(2) permet de saisir, dun coup dil, lensemble
des fortifications.
A Lalla-Djelalia, Tissot(3) a signal un tablissement mi-
litaire considrable. Il nous apprend que les ruines couvrent

lextrmit septentrionale dun plateau. Lenceinte de la ville


antique, parfaitement reconnaissable, prsente un dveloppe-
ment de 975 mtres. Le terrain se relve langle nord-est.
Cest sur cette plate-forme naturelle qutait tabli le castrum,
isol de la ville proprement dite par une ligne de murailles
construites en pierres de grand appareil. Le dveloppement
de lenceinte du castrum est denviron 369 mtres.
Dans lintrieur du castrum slevait un difice dont Tis-
sot a signal la prsence. M. de la Martinire y a fait quelques
fouilles pour en dgager les substructions ; il a pu en dresser le
____________________
(1) Plin., Hist. nat., V, 1, 2.
(2) Loc. cit., pl. VII.
(3) Op. cit., p. 275.
676 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

plan. Ctait un rduit de 16 mtres sur 18, augment, droite


et gauche, de deux salles en saillie, et divis intrieurement
en petites pices disposes sans doute autour dune cour cen-
trale. On remarquera la prsence, dans cette enceinte, dune
construction circulaire de 5 mtres de diamtre ; on peut y
voir une tour de garde, permettant de surveiller le pays envi-
ronnant et la plaine qui stendait au pied du fort.
Ad Mercuri tait aussi une position stratgique fort im-
portante(1). La ville romaine slevait lextrmit du plateau
dEl-Gharbia, dominant les bas-fonds de la valle de lOued-
el-Karroub et commandant toutes les communications vers
le Sud. Actuellement, comme Volubilis, les restes de la cit
civile sont seuls visibles, et lon ne trouve plus de trace du
camp o la garnison sabritait ; le temps et les hommes sont
galement coupables de cette destruction(2).
M. de la Martinire ma signal particulirement un
poste situ mi-route dAd Mercuri et de Tanger, sur lOued-
Mharhar, non loin des collines dAn-Dalia ; il porte le nom de
Souir, comme celui de Frigidae dont il a dj t question plus
haut, mais doit en tre soigneusement distingu(3). Les pierres
de taille y sont en grand nombre, bien que toute construction
nettement dtermine ait disparu. Il commandait le passage
de la rivire, sur laquelle il parat y avoir eu autrefois un pont,
lendroit o la route de Tanger au Djebel-Habib la franchit.
Mais ce qui fait surtout lintrt de cette position, cest que-
le formait la tte dune route militaire perpendiculaire la
voie de Tanger Sala. Cette route suivait la valle de lOued-
____________________
(1) H. de la Martinire, Bulletin archol. du Comit des travaux histo-
riques, 1889, p. 277, et pl. VIII.
(2) Idem, ibid., p. 280.
(3) Le nom Souir signifie petits remparts et se donne, au Maroc,
toutes les ruines romaines dune certaine importance.
OCCUPATION DE LA MAURTANIE TINGITANE. 677

Mharhar, puis remontait celle de lOued-Martil jusqu la


mer ; elle tait destine diviser en deux portions la partie
septentrionale de la Tingitane et surveiller par le Nord et
par le Sud les populations remuantes qui loccupaient, telles
que les Baquales et les Macenites(1). Par l, on prtendait em-
pcher toute communication entre les habitants de lAndjera
ou de lHaouz, voisins de Tanger, et les tribus des massifs
montagneux occups aujourdhui par les Beni-Msaouar et les
Beni-Ider.
Sur cette ligne, on a retrouv, prs de Zinna, un endroit
nomm El-Benian, les restes dune forteresse. Elle for-
mait, crit Tissot(2), un paralllogramme de 130 pas du Nord
au Sud, sur 190 de lEst lOuest. Lenceinte, construite en
pierres de grand appareil, est flanque de quatre tours carres
aux angles et de cinq tours intermdiaires : deux sur le flanc
nord et une sur chacune des autres faces. Elle contient un r-
duit, galement bti en blocs de grande dimension, denviron
50 pas sur 40. Une enceinte secondaire, dune construction
moins solide, parat avoir exist sur le flanc mridional.
Tissot identifie ce poste Dugas, qui est indiqu comme un
des chefs-lieux de limes par la Notice des Dignits(3).
Tels sont les renseignements que lon possde aujourdhui
sur loccupation militaire de la Tingitane au haut Empire. Il
semble en rsulter que, seule, la partie occidentale du pays
tait solidement couverte ; mais cette conclusion est peut-tre
prmature ; des dcouvertes ultrieures pourront la modifier.
Daprs les donnes quil a recueillies, M. de la Martini-
re est trs dispos le croire. Contrairement, en effet, ce que
____________________
(1) Itin. dAntonin, p. 1 (d. Fortia) : A Tingi Mauretaniae, id est ubi
Bacuetes et Bacuetes et barbari morantur.
(2) Loc. cit., p. 307.
(3) Notice des Dignits, Occ. XXVI, 4 et 14.
678 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

pensait Tissot, il admet que la Tingitane tait traverse, pres-


que paralllement la cte mditerranenne, par une voie qui
sparait le Rif des contres environnantes et qui, contournant
le massif du Zerhoun par le Nord, venait aboutir Fez. Cette
route, daprs lui, se dtachait de la voie de Tingis Sala quel-
que part au nord de Tabernae ; elle passait dabord Sakhara,
au pied dune hauteur chez les Beni-Gorfit ; l existerait un
fortin, sil faut en croire les renseignements indignes, dans
lequel on a trouv une monnaie de Claude. La route aurait
remont ensuite vers la montagne sainte de Moula-Abd-es-
Selam o se placerait la colonie militaire de Claude, Babba(1).
Cette portion de la route permettait aux troupes romaines de
contenir par le Sud les populations que la ligne de Ttouan
Soueir surveillait par le Nord.
La direction que suivait la voie entre Balla et Fez est
des plus problmatiques. Vospiciana, mcrit M. de la
Martinire, doit correspondre la ville dAftis, disparue de
nos jours, mais que les gographes arabes ont signale, au
moyen ge, comme contenant des restes romains ; Gilda
serait place sur le territoire des At-Gilda ou Beni-Mes-
gilda, comme le nom lindique ; Prisciana est incontesta-
blement situe sur le fate du Djebel-Moula-bou-Chta, o
nous lavons entrevue.
Ce qui rend vraisemblable lexistence de cette ligne d-
fensive, cest quelle aurait ferm, par le Nord-Ouest, aux
populations du Rif les contres soumises et fertiles de la
Tingitane centrale ; mais il ne faut, jusqu nouvel ordre, en
considrer lexistence que comme une hypothse qui reste
dmontrer.
____________________
(1) Plin., Hist. nat., V, 1, 3 ; cf. C.I. L, VIII, p. 855. Tissot identifie cette
colonie avec le point appel actuellement Es-Seri f. Mais M. de la Martinire
affirme, daprs des renseignements dignes de foi, quil ny a pas de ruine
Es-Serif, tandis quil en existe sur la montagne de Moula-Abd-es-Selam.
OCCUPATION DE LA MAURTANIE TINGITANE. 679

M. de la Martinire suppose mme que de Prisciana par-


tait une route qui rejoignait la Csarienne par Taza et Oud-
jda(1). Cette direction est suivie encore actuellement.

Ainsi, et malgr les doutes trs srieux qui subsistent sur


plus dun point, il semble que la Tingitane ait t garde, sous
le haut Empire : au Sud, entre Fez et Sla, par un limes forte-
ment constitu, qui avait peut-tre mme dtach des postes
avancs sur les routes du Sud(2) ; lOuest, par une suite de
postes chelonns le long du littoral et destins assurer les
communications entre Tanger et Sla ; au Nord, par une ligne
qui rejoignait Ttouan et surveillait les populations mal sou-
mises de la Tingitane septentrionale, peut-tre enfin par une
voie militaire qui suivait le pied du massif du Rif et lisolait
de la partie pacifie de la province romaine.
Nous ajouterons, pour terminer, quen Tigitane comme
ailleurs, ces lignes dfensives taient relies les unes aux
autres par des voies secondaires occupes en certains points.
Cest ainsi que du limes mridional se dtachait une route qui
coupait tout le centre du pays et rejoignait la route du littoral
quelque part au del de Lixus. Le nom de la ville dOppidum
Novum, qui sy rencontrait et o tait campe peut-tre, une
date quon ne saurait fixer exactement, laile des Hamii(3),
nous indique que les stations affectaient un caractre militai-
re. Il tait impossible quil en ft autrement dans une rgion
qui a toujours t parcourue par des pillards et des insoumis.
____________________
(1) Daprs certains auteurs (Bargs, Tlemcen, p. 162), il y aurait eu,
Oudjda, les traces dun camp fortifi, comme ceux de Tlemsen et de Ndroma.
(2) On vient de signaler, 35 kilomtres au sud de Mekns, une ville
romaine militaire ; la localit se nomme Ajoura (Hannezo, Bull. arch.. du
Comit, Commission de lAfrique du Nord, 1912, sance du 13 mars, p.
XVI).
(3) Ann. pigr., 1906, 119,
680 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

TROISIME PARTIE.

LOCCUPATION DU LIMES ET LE SYSTME DFENSIF.

Jai indiqu, dans les deux parties prcdentes, quelle


tait la direction du limes dAfrique ou plutt des diffrents
limes qui furent successivement tablis par les Romains(1).
Il serait intressant de tenter, propos du limes dAfri-
que, un travail analogue celui qui a t fait sur dautres
par exemple sur ceux de Bretagne, du Danube ou de Germa-
nie, de suivre pas pas le trac de la frontire, de voir par
quels travaux de fortification elle tait constitue et comment
les ennemis du peuple romain taient mis matriellement dans
limpossibilit de franchir aisment les limites qui leur avaient
t assignes(2) ; malheureusement et malgr les recherches
techniques faites depuis une vingtaine dannes, ce travail ne
saurait tre encore srieusement entrepris actuellement.
Les observations qui seront faites dans cette partie seront
donc ncessairement incompltes et un peu superficielles.
Dans les autres provinces de lEmpire, la frontire tait
constitue par des limites naturelles, surtout par des fleuves, et,
sur les points o ces limites nexistaient pas, par des limites ar-
tificielles, remparts en pierre, comme en Bretagne, retranche-
ments en terre ou palissades, comme en Germanie. Il dut en tre
____________________
(1) Je rappelle ici ce que Mommsen a trs nettement expos (Hist.
rom., t. IX, p. 154, note 1 de notre traduction) : que le limes dune province,
servant de frontire militaire lEmpire romain de ce ct, est non une ligne,
mais une bande de terrain qui peut avoir une grande largeur.
(2) Tertull., Adv. Judaeos, 7 : ? Maurorum gens et Getulorum barba-
ries a Romanis obsidentur, ne regionum suarum fines excedant.
LOCCUPATION DU LIMES ET LE SYSTME DFENSIF. 681

de mme en Afrique. Toutes les fois quon le put, on profita


des frontires naturelles ; ainsi, au Sud de lAfrique propre et
de la Numidie, on utilisa certainement pour le limes les dif-
frents chotts : Djerid, Gharsa, Melghir, qui formaient, la
fois, un obstacle linvasion et une ligne de dmarcation bien
nette. Mais, la plupart du temps, il semble que la frontire ait
coup ces limites naturelles plutt quelle ne les a suivies ;
parfois mme, alors quon sattendrait la voir profiter dune
ligne tout indique, on constate quelle la laisse en arrire et
lenveloppe ; nous avons dit plus haut quil en tait ainsi sur
lOued-Djedi ; de mme, il nest pas douteux qu un cer-
tain moment, au lieu de sarrter au cours du Chliff, entre le
Dahra et lOuarsenis, la Maurtanie savana jusquau pied
des Hauts-Plateaux ; les forteresses quon a signales dans la
valle de ce fleuve sont toutes sur la rive droite une certaine
distance au Sud.
Il sensuit que le limes devait tre, sur une grande partie,
marqu par une frontire artificielle. Le Code Thodosien nous
apprend qu lpoque de Thodose elle consistait en un foss,
et nous fait entendre que ce ntait point l une nouveaut(1) ;
nous en avons signal deux tronons encore reconnaissables,
lun au sud de la Tunisie, prs du fort de Benia-Ceder(2), lautre
le long de lOued-Djedi(3). On se rappelle que cest aussi par
un foss, creus de Thenae Thabraca, que Scipion avait
indiqu les limites de lAfrica vetus et de lAfrica Nova(4).
____________________
(1) Cod. Theod., VII, 15, 1 (Honorius et Theodosius Augg. Gaudentio
vicario Africae) : Terrarum spatia quae gentilibus propter curam munitionem-
que limitis atque fossati antiquorum humana fuerant provisione concessa.
(2) Plus haut, p. 548.
(3) Plus haut, p. 598.
(4) Plin., Hist. nat., V, 4, 25 : Ea pars quam Africam appellavimus
dividitur in duas provincias Veterem et Novam, discretas fossa, inter Afri-
canum sequentem et reges, Thenas usque perducta. Cf. Tissot, Gogr. de
lAfrique, II, p. 2 et suiv., et plus haut, p. x.
682 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Mais un foss dfensif se double dhabitude dun talus ou dune


muraille ; cest ce qui a t constat sur les deux points qui
viennent dtre cits. En certains endroits mme, la muraille,
perce de loin en loin de portes gardes par des tours, peut
suffire comme signe extrieur de la frontire ; il semble quil
en ait t ainsi dans la valle de lOued-Skiffa(1) ; et il se pour-
rait que quelques-uns des travaux que lon a considrs ailleurs
comme des barrages soient, en ralit, des murs de dfense En
tout cas, ces trop rares exemples suffisent nous indiquer com-
ment tait trac matriellement le limes dAfrique.
De mme, il est possible de faire une ide du systme de
fortifications leves le long de ce limes et de la faon dont
elles pouvaient concourir la dfense du pays.
Sur le limes de Tripolitaine et de Numidie, on rencontre
trois sortes de constructions militaires: le castellum, le bur-
gus et la turris.
La turris parait surtout avoir diffr des deux autres gen-
res de fortification par limportance ; lorsquil ne sagit pas de
fermes fortifies, comme la turris Maniliorum, chez les Mat-
mata, et de semblables turres on ne connat point enco-
re dautres exemples assurs, ce sont des constructions de
forme ronde, semble-t-il, la plupart du temps et dun diamtre,
en gnral, assez petit(2). Cette dernire particularit et le fait
trs caractristique quelles taient souvent voisines de cas-
tella(3) permet de supposer que ctaient moins des enceintes
fortifies que des lieux dobservation ou des postes optiques,
____________________
(1) Plus haut, p. 534.
(2) On a retrouv quelques rares spcimens de ces tours, par ex.emple,
Timezegeri.
(3) A Henchir-el-Baguel, il y a une tour sur le sommet de la colline et,
1500 mtres au Sud-Ouest, une enceinte fortifie (voir p. 553) ; lendroit
qui se nomme encore aujourdhui Torrebaza ( = Turris Ubaza), on ne signale
que les ruines dun castellum, et la Table de Peutinger nomme la station
Ubaza Castellum.
LOCCUPATION DU LIMES ET LE SYSTME DFENSIF. 683

comme ceux dont il sera plus longuement question ci-dessous(1).


Le castellum et le burgus sont, en ralit, des rductions
du camp romain tel que les auteurs militaires le dcrivent, tel
quil a t retrouv Lambse ; ils constituent des places rec-
tangulaires perces de quatre portes, une sur chaque ct, quand
elles sont importantes, dune seule sur la face, quand elles sont
plus petites, et protges dhabitude par des tours droite et
gauche des portes. La forme des tours qui flanquent la forti-
fication nest pas toujours la mme ; pourtant la forme ronde
est la moins frquente. Ces forteresses ont des dimensions trs
variables. Les plus grandes mesurent, comme celle de El-Kas-
bat(2), 234 mtres sur 138, ou, comme celle de Besseriani(3),
170 mtres sur 100, ou, comme celle de Bondjem(4), 144 m-
tres sur 90. Les plus petites ne dpassent pas 100 mtres de
ct : le castellum de Tamesmida a 90 mtres sur 55(5), celui de
Benia-Ceder ne mesure que 60 mtres sur 40(6) ; quelques-unes
sont mme beaucoup moins grandes : le petit fortin de Ksar-
Ghelane ne compte que 30 mtres sur 25(7), et celui dHen-
chir-Remtia que 10 mtres de ct(8). Les quelques chiffres qui
viennent dtre cits et qui ne sont que des exemples pris, pour
ainsi dire, au hasard suffisent prouver galement quil ny
avait aucune proportion fixe entre la longueur des cts de ces
forteresses : elles nont de commun que dtre des rectangles
plus ou moins rguliers. videmment, quand on les construi-
sait, on tait oblig de tenir compte de ltendue du terrain dont
on disposait, comme aussi de limportance et de la nature de la
____________________
(1) Voir plus bas, p. 692.
(2) Voir plus haut, p. 600.
(3) Voir p. 570.
(4) Voir p. 555.
(5) Voir p. 582.
(6) Voir p. 542.
(7) Voir p. 558.
(8) Voir p. 548.
684 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

garnison qui y devait sjourner. Il ne faut pas oublier que ces


castella taient non seulement le lieu de campement dun cer-
tain nombres dhommes, mais aussi des centres dapprovi-
sionnement pour ces hommes mmes et aussi pour les petits
postes voisins quils alimentaient ; il fallait donc y installer
des magasins de vivres, des curies pour les chevaux et les
btes de somme, y crer tous les amnagements ncessaires
la subsistance dune troupe(1) ; on tait amen forcment
par l sinon saffranchir des rgles de la castramtation, au
moins faire plier la thorie devant les exigences de situa-
tions particulires.
De ce qui vient dtre dit il rsulte encore une autre cons-
quence : cest quil est impossible de calculer, daprs lten-
due des forteresses du limes africain, le nombre de soldats
quelles taient destines contenir. Les calculs que dautres
ont essay de faire pour les castella du Rhin, et qui, mme en
ce cas, ne les ont amens qu des rsultats bien incertains,
sont inapplicables pour lAfrique(2).
Il est intressant, par contre, de rechercher comment ces
forteresses taient alimentes deau potable, particularit qui,
dans un pays comme la Numidie ou la Maurtanie, avait une
importance capitale. Malheureusement, on a souvent omis de
signaler ce dtail ; et lon ne peut raisonner que sur un petit
nombre de cas. Quand on avait leau porte, on creusait un
puits soit dans le castellum mme, comme Bondjem, soit
____________________
(1) M. Saladin a relev, dans lintrieur du castellum de Tamesmida,
les traces dun pressoir pour la fabrication de lhuile (en D du plan de la page
583), dune curie (en C) et dun grand nombre de chambres qui servaient
aux diffrents besoins de la garnison.
(2) Le mot centenarium ou centenarius ne signifie pas, comme on
pourrait le croire, fortin destin une garnison de cent hommes, et, par suite,
ne saurait tre invoqu pour le cas qui nous occupe. Cf. Gauckler, Mlanges
Perrot, p. 127.)
LOCCUPATION DU LIMES ET LE SYSTME DFENSIF. 685

lextrieur, comme Tamesmida ; la plupart du temps, on


construisait des citernes o lon emmagasinait leau des pluies
ou des sources voisines. On les amnageait soit lintrieur
du fort, comme Khanefi(1), soit lextrieur : Gharia-el-
Garbia(2), M. Barth en a vu une langle nord-ouest de la mu-
raille ; Torrebaza(3), sur le flanc ouest du mamelon o sl-
ve le fort, on remarque les restes dune vaste citerne de forme
rectangulaire et couvrant une superficie de 150 mtres carrs.
Il en est de mme Tamesmida(4) ; mais l, les ruines qui
entourent la citerne sont particulirement instructives. Nous
avons dj indiqu plus haut que limmense rservoir circu-
laire qui avait t mnag en avant de la citadelle tait pro-
tg par un petit poste fortifi carr : cette disposition prouve
limportance quon attachait, pour la scurit de la garnison,
la possession tranquille de ce rservoir ; lendroit, en effet,
est entirement dpourvu de source, et aujourdhui que ce r-
servoir est sec, ainsi que le puits qui lui faisait pendant sur
la face nord du castellum, on chercherait en vain une goutte
deau potable dans la rgion jusqu Bir-oum-Ali.
Je me hte dajouter que des positions dnues deau
comme celles quoccupait le castellum de Tamesmida sont
des exceptions. Dhabitude, les fortins taient placs prci-
sment aux points deau, surtout dans le Sud, parce que ces
points sont des endroits de passage obligs pour ceux qui
tiennent la campagne et que, lorsquon en est matre, on lest
aussi de tout le pays.
On remarquera dailleurs, ce qui a dj t signal pour
la frontire du Rhin, que les castella ne sont pas toujours pla-
cs dans des positions que nous choisirions aujourdhui. Les
____________________
(1) Plus haut, p. 541.
(2) P. 553.
(3) P. 592.
(4) P. 584.
686 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

auteurs militaires, coin me Vgce(1), conseillent bien de


prendre les hauteurs ou les crtes rocheuses pour les for-
tifier ; mais, en pratique, on agissait autrement : on ngli-
geait bien souvent les points levs pour stablir en plaine
on sur les pentes extrmes des montagnes, sauf tre do-
min par un piton voisin. On se laissait donc guider par
des considrations autres que les considrations purement
stratgiques.
Dans les Maurtanies, le systme de dfense adopt est
un peu diffrent, ce qui tient la nature du pays ; le mode de
surveillance qui convient de grandes plaines ou de lar-
ges valles ne peut tre appliqu avec succs dans une zone
trs montagneuse ; il faut donc multiplier les postes et don-
ner aux habitants la possibilit de se soustraire une attaque
imprvue : de l un lment nouveau qui apparat, ct des
autres, en Maurtanie et qui est presque inconnu en Numidie
au haut Empire : la ville fortifie. Tantt ce sont de gros vil-
lages qui se crent ct des camps et par eux ; les habitants
vivent pendant quelque temps labri du camp voisin, quitte
sy rfugier en cas dalerte ; puis, quand le centre a pris un
grand dveloppement, il faut bien quil se suffise lui-mme:
alors il lve des murs ses frais et dvient place forte ; cest
lhistoire de Sour-Djouab, dHadjar-er-Roum, de Tiaret et de
toutes les villes militaires du pays.
Dautres fois, ces enceintes fortifies sont ce quon pour-
rait appeler dun nom plus moderne, des maisons de com-
mandement . La Blanchre en a signal un exemple auprs
de Sada(2). En temps ordinaire, il ny avait l que quelques
familles charges de garder la ville ; mais ds quun danger
menaait, quune insurrection clatait dans le pays ou que
____________________
(1) pit. IV, I.
(2) Voyage dtude, p. 47.
LOCCUPATION DU LIMES ET LE SYSTME DFENSIF. 687

les tribus du Sud entraient sur le territoire, tous les habitants


y amenaient leurs troupeaux et leurs familles et y trouvaient
un asile contre lennemi, quand ils ne battaient pas la cam-
pagne aux environs. De Montgravier(1) a fait remarquer que,
dans le massif du Dahra, plusieurs des ruines romaines ont
t transformes par nous en maisons de commandement, ce
qui permet de croire que leur destination tait la mme autre-
fois : des prils analogues on fait face par des mesures sem-
blables.

Il a encore t signal en Maurtanie, comme aussi dans


le Sud tunisien, une troisime sorte de fortifications : la ferme
fortifie. On en rencontre des spcimens un peu partout,
Lest comme louest de la province ; nous avons dit que
le pt de lOuarsenis en tait rempli. Les saltus impriaux
taient ainsi dfendus(2), et plus dun de ces postes quon
trouve mentionns par les rcits des voyageurs dans les pro-
vinces dAlger ou dOran ne sont, sans doute, que des tablis-
sements de la mme nature. Quelques-uns sont assez grands.
On peut prendre comme type la ruine qui porte aujourdhui le
nom de Kaoua, dans les environs dAmmi-Mousa(3). Len-
semble, dit La Blanchre, se compose dune maison entoure
dun vaste commun, le tout fortifi comme une citadelle. La
construction est en pierres de taille grosses et bien ajustes ; la
maison est un carr de 40 mtres ; lenceinte totale a environ
300 mtres de dveloppement La maison comprend une
cour intrieure, entoure dun pristyle sur lequel donnent les
____________________
(1) Soc. arch. du Midi de la France, VII. p. 305.
(2) C. I. L., VIII, 8425, 8426, 8701, 20486, 20487, 20602 etc.
(3) Cf. Bulletin de correspondance africaine, I, p. 147 et suiv. ; Voyage
dtude, p. 118 ; Gsell, Monnum. ant. De lAlgrie, I, p. 102.
688 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

portes des appartements et lescalier qui conduisait un tage


suprieur. Les murs ont encore jusqu 7 mtres et plus de
hauteur Sous la cour sont deux grandes citernes de 6 m, 10
sur 3 m, 70, hautes denviron 4 mtres On pntrait dans
la maison par une grande porte en plein cintre. Elle ne don-
nait pas accs dans la cour : un mur len sparait, formant un
vestibule clair dune fentre. A droite taient les curies ;
gauche, une antichambre do partait lescalier conduisant
ltage Devant lentre de la maison est une longue galerie
qui va jusqu la porte de lenceinte, large de 2 m, 50. Une
seconde porte recoupe cette galerie et, entre les deux, droite
et gauche, souvrait une porte menant aux communs. Ceux-
ci enfermaient la maison posant, l o il tait ncessaire, sur
un soutnement de mme appareil Le chteau de Kaoua
est une modification assez simple de la maison romaine pour
les besoins de la dfense. On la, en quelque sorte, enrou-
le sur elle-mme autour de la partie centrale, qui peut servir
comme de donjon. Pas douverture au dehors que la porte ;
pas dentre dans le premier systme, sinon sur lavenue que
ferme une autre porte ; pas de communication entre lui et le
systme intrieur, sinon par cette mme avenue et cette mme
seconde porte. Enfin le grand portail lui-mme ne donne pas
entre dans la cour, mais seulement dans un vestibule dont on
peut faire un cul-de-sac. Tout est combin pour que la dfense
puisse reculer pas pas et conserver jusqu la fin quelques
chances.

Le plan que je donne ci-contre accompagne un article r-


cent de M. Lacave-Laplagne(1), qui reproduit et complte une
description de la localit donne en 1859 par le capitaine du
____________________
(1) Bull. de la Soc. de gogr. dOran, XXXI (1911), p. 35 et suiv.
LOCCUPATION DU LIMES ET LE SYSTME DFENSIF. 689
690 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

gnie Marchand(1). La vue du portail dentre a t excute


daprs une photographie de Demaeght.
Non loin de Kaoua, on a signal(2) une autre maison for-
tifie, appele Ksar-Djerane : fortin rectangulaire bastionn
des quatre cts. La face est relie au plateau qui lie lassise
naturelle, servant de base au chteau, au massif montagneux
par des constructions rattaches entre elles par des murs ext-
rieurs, toutes ces maonneries pousant dans leur orientation
les formes du sol.
Une troisime existe au Nador, entre Cherchell et Tipasa.
De forme peu prs carre (50 mtres de ct sur 43), elle se
termine sur la face antrieure par deux tours rondes. La porte
dentre est flanque de deux tours carres, et est surmonte
dune inscription qui donne le nom du propritaire, M. Cin-
cius Hilarianus(3).
Toutes les fermes fortifies de la Maurtanie ntaient
point aussi importantes ; telles pouvaient tre celles que pos-
sdaient les empereurs ou de grands propritaires(4), mais les
petits colons levaient des fortifications moins ambitieuses.
Cest ainsi que lon a trouv, dans la rgion situe entre Aumale
et Sour-Djouab, diffrents exemples de petits bordjs, dont les
plus grands mesurent 60 mtres sur 30, et les plus petits peu
prs la moiti. Le plan est le mme pour tous : ils affectent
____________________
(1) Cf. aussi Demaeght, ibid., VII (1887), p. 276, et Gsell, Atlas arch.
de lAlgrie, XXII, 63.
(2) Lacave-Laplagne, loc. cit., p. 51 et suiv. ; cf. Gsell, Atlas archol.
de lAlgrie, XXII, 83.
(3) Gsell, Mon. ant. de lAlgrie, p. 100 et suiv., fig. 33 et 34 ; Ballu,
Bull. arch. du Comit, 1910, p. 100.
(4) La Blanchre a cru lire sur la porte dentre de Kaoua, la suite de
la formule chrtienne Spes in Deo, le nom du propritaire : Ferinus (C. I. L.,
VIII, 21533). Un correspondant de Cherbonneau avait dchiffr par erreur :
Spes in Deo perennis.
LOCCUPATION DU LIMES ET LE SYSTME DFENSIF. 691

la forme dun rectangle flanqu dune tour une de ses extr-


mits(1).

Ailleurs, la ferme tait dfendue surtout par sa position.


Le poste dEl-Ksar, sur la commune mixte du Sig, appartient
cette dernire catgorie. II est perch, dit La Blanchre(2),
sur un piton, dans un endroit presque inaccessible. Il consiste
en une cour trace par un mur trs pais qui enveloppe presque
tout le sommet. Dans lintrieur, une maison avec une assez
grande citerne. Jimagine que les murs de la cour taient gar-
nis de hangars intrieurs qui, outre leur utilit comme abris,
servaient remplir la citerne. Sur la crte la plus leve du
rocher sont les traces dune petite construction o je croirais
qutait un fanal, un bcher toujours prt.
Toutes ces fortifications, grandes ou petites, ont la mme
origine et la mme destination(3).
Il est assez difficile de dterminer lpoque de leur
construction ; quelques-unes, celle de Kaoua, par exemple,
sont certainement des bas temps, peut-tre seulement de la
fin du IVe sicle ; mais la rgion nayant jamais t bien sre,
mme auparavant, il a bien fallu sy tenir toujours sur la d-
fensive. Le Bordj est la forme obligatoire de ltablissement
agricole en pays mal soumis.
Naturellement, les enceintes fortifies, grandes et petites,
____________________
(1) Bull. de corresp. afric., I, fasc. 5 ; cf. la planche annexe.
(2) Voyage dtude, p. 65.
(3) Autres exemples dans le Recueil de Constantine, XLIII, (1909), p.
9 et suiv. (Les Haciendas romaines.)
692 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

de la Maurtanie navaient pas de garnison romaine perma-


nente : elles pouvaient servir aux troupes de point dappui
dans leurs oprations ou de refuge en cas dchec ; mais, en
temps ordinaire, elles taient laisses la garde des habitants
ou des colons, qui jouissaient dans cette partie de lEmpire
de privilges refuss ceux qui vivaient ailleurs, labri de
tout pril(1).
Les soldats du corps darme des Maurtanies occupaient
seulement les lignes stratgiques, le limes ou les grandes voies
militaires qui occupaient le pays ; ils taient tablis dans des
castella et des burgi semblables ceux que nous avons men-
tionns propos de la Numidie. On en a retrouv les ruines
sur place Kefrida, Akbou-des-Zmoul, Ksar-mta-bent-es-
Sultan, Benian, Souik, pour la Csarienne ; Souir,
Lalla-Djelalia et sur le territoire des Gurouan, pour la Tingi-
tane, etc. ; on en a aussi relev la mention dans les inscriptions
(castellum, burgus) et dans le nom de stations conserves par
les Itinraires ou les auteurs ecclsiastiques(2).
Ces postes fortifis, dont la caractristique est, comme je
lai dj indiqu, la forme rectangulaire, ont dj t tudis
propos du limes de Numidie ; il est inutile dy revenir ici. Mais
ce quil importe de signaler, cest le systme de tours tablies de
distance en distance sur les points dominants, pour assurer les
communications entre les diffrents postes du limes. Nous en
trouvons quelques exemples en Tripolitaine et en Numidie(3) ;
____________________
(1) Voir plus haut, p. 270 et suiv.
(2) Nous avons dj eu loccasion de signaler plusieurs de ces points
dsigns par les auteurs sous le nom de castellum. Les suivants nont pas en-
core t identifis ; Castellum Jabaritanum (Not. episc. Maur. Caes., 65) ; Mi-
noritanum (Not. episc. Maur. Caes., 31) ; Ripense (ibid., 119) : Tatroportense
(ibid., 94) ; Castra Severianensia (ibid., 73), sans compter les localits appe-
les seulement Castellam sans qualificatif (ibid., 75 ; Not. Maur. Sit., 12).
(3) Par ex.: Bell. arch. du Comit, 1903, p. 338.
LOCCUPATION DU LIMES ET LE SYSTME DFENSIF. 693

mais cest en Maurtanie surtout quelles sont nombreuses,


et tous ceux qui ont visit le pays en ont t frapps(1). Elles
ont t indiques leur place, au chapitre prcdent, au moins
pour la plupart. Il est vident que ces tours, dont le plus bel
exemple est celui de Tamgout dans le Djurjura, constituaient
un rseau tlgraphique. On y pntrait par une porte, ou
mme on y accdait extrieurement au moyen dune chelle,
on montait au sommet et, de l, on se mettait en relation avec
les fortins ou les tours voisines, soit, comme font encore les
Arabes, en y allumant des feux dont la clart pendant la nuit
ou la fume pendant le jour sapercevaient au loin, soit en y
faisant mouvoir des signaux analogues ceux que nous em-
ployons aujourdhui. Vgce fait allusion, quelque part, ce
systme de smaphores(2). Il tait si gnral en Maurtanie,
que les particuliers eux-mmes y avaient recours afin de relier
leurs bordjs aux lignes stratgiques dont ils dpendaient ; pour
eux, aussi bien que pour les troupes du pays, ces tours taient,
comme il est dit dans les inscriptions, la scurit et le salut(3).
Pour complter ltude des moyens de dfense de lAfri-
que romaine, il reste quelques mots dire des routes qui cou-
paient la province en tous sens et permettaient de transporter
facilement les hommes, les bagages, les machines et les vivres
____________________
(1) La Blanchre, Voyage dtude, p. 121, note 3 ; Mercier, Bull. ar-
cholog. du Comit des travaux historiques, 1885, p. 339 : On retrouve
un peu partout, en Algrie et en Tunisie, des traces de tours sur les sommets
commandant les principaux passages de montagnes. Une de celles qui domi-
nent la station mgalithique dArbal a encore des murs de 1 mtre de hauteur,
en belles pierres de taille, avec une porte et une marche descalier.
(2) Vgte, III, 5 : Si divisae sunt copiae, per noctem flammis, per
diem fumo significant sociis quod aliter non potest nuntiari. Aliquanti in cas-
tellorum aut urbiurn turribus adpendunt trabes, quibus aliquando erectis, ali-
quando depositis, indicant quae geruntur.
(3) Turres, salutem saltus (C. I. L., VIII, 19328) ; Securitati pro-
vincialium consulens turres novas instituit et veteres refecit (ibid. 2816).
694 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

dun point un autre. Mais si, lorsquon tudie, comme la


fait Tissot aprs dautres, le systme gnral des voies du
pays, on peut se borner celles qui sont indiques sur les
routiers anciens, parce quelles nous font connatre les sta-
tions les plus importantes et les directions les plus frquen-
tes, il nen est pas de mme quand on entreprend dtudier
les chemins de communication ouverts aux troupes. Ceux-ci
sont, en effet, beaucoup plus nombreux que les voies tra-
ces sur les Itinraires : les Romains eux-mmes ont signa-
l le fait. Ils distinguaient deux sortes de viae, les viae pu-
blicae et les viae militares, celles-l destines la poste et
construites suivant toutes les rgles de lart, celles-ci sou-
vent ardues et mal faites, mais plus courtes(1). Il ne sensuit
pas que les grandes routes rserves la poste ne fussent
pas aussi suivies par les armes en marche ; mais elle ne
formaient quune minime partie de celles qui pouvaient tre
utilises par les soldats. Elles servaient assurment quand il
fallait mettre en mouvement une grande quantit de chariots
ou les bagages de toute une arme ; en temps ordinaire, par-
ticulirement en Afrique, o le cheval et sans doute le cha-
meau jouaient un grand rle, o la lutte contre les rebelles
demandait surtout de la rapidit, on devait couper au plus
court et prendre la traverse. Celui donc qui se restreindrait
aux voies signales par la Table de Peutinger et par lIti-
nraire dAntonin, augmentes de celles que les milliaires
nous font connatre, risquerait de rester bien en de de la
____________________
(1) Cette distinction a t faite par Saumaise et Godefroy, daprs dif-
frents textes : Eumen, Grat. act., 7 ; Hygin, De limit., const., p. 162 ; Dig.,
XLIII, 7, 3, 1 ; Cod. Theod., VII, 5, 3. Mais elle nest pas admise par dautres
commentateurs. Voir ce sujet une longue note dans ldition du Code Tho-
dosien de Godefroy (Leipzig, 1736, p. 531). Sur le caractre des voies mili-
taires, on peut consulter la dissertation spciale de M. F. Berger : Ueber die
Heerstrassen des rm. Reichs, Berlin, 1882, in-4.
LOCCUPATION DU LIMES ET LE SYSTME DFENSIF. 695

vrit. Malheureusement, et par cela mme quelles ne sont


signales par aucun texte prcis, ni par les auteurs, ni par les
monuments pigraphiques, les voies militaires nous chap-
pent pour la plupart, et ce nest que par conjecture que lon
peut indiquer aujourdhui leur existence.
Si lon considre non plus leur destination, mais leur
direction et la nature des contres quelles traversaient, il
est possible dtablir encore, entre les voies de lAfrique,
une autre distinction. Les unes suivaient le limes runissant
entre elles les diffrentes fortifications leves de distance
en distance sur toute sa longueur ; nous avons montr quel-
les staient cres petit petit, mesure que loccupation
gagnait du terrain ; elles permettaient aux garnisons de se
porter secours mutuellement, de se ravitailler et dchanger
leurs effectifs. Dautres servaient joindre les camps cen-
traux au limes ou au littoral ; telles taient celles qui menaient
de Tbessa Hippone, un des grands ports de la Numidie ;
celle qui conduisait de Lambse Carthage, rsidence du
proconsul et sige de toute ladministration dAfrique, ou
encore celle qui permettait de se rendre de Cherchell, dun
ct, vers Aumale, et de lautre dans la valle du Chliff. En-
fin une troisime classe comprend les voies de pntration,
qui donnaient accs aux troupes dans les contres les plus
difficiles, comme lAurs et la Kabylie, ou les plus recules
comme le Souf.
Il est naturel de penser que toutes ces routes stratgiques,
quelque catgorie quelles appartinssent, avaient t faites
par les troupes doccupation et par les soins de lautorit mi-
litaire ; mais lexamen des milliaires quon y a rencontrs ne
conduit pas absolument cette conclusion ; cest un fait que
Mommsen a dj signal(1). Il a remarqu que quelques bornes
____________________
(1) C. I. L., VIII. p. 859.
696 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

seulement portent des renseignements bien prcis ce sujet :


ce sont celles o on lit les noms de la lgion. Ailleurs, on ne
trouve aucune mention analogue, mais uniquement le nom
de lempereur ou des empereurs rgnants. La faon dont ce
nom est prsent sur les milliaires permet cependant de faire
encore quelques distinctions. Quand les dnominations im-
priales y figurent au datif, surtout quand elles sont suivies
du nom dune municipalit, il ny a aucun doute garder :
la voie a t trace ou entretenue au frais de cette munici-
palit. Si elles sont indiques au nominatif, au contraire, on
peut croire que la route a t tablie par lautorit impria-
le, soit avec largent de ltat, soit avec celui des munici-
palits, et par ses soins ; la premire hypothse est surtout
vraisemblable quand le milliaire porte le nom du chef mi-
litaire de la province. Enfin, si le nom de lempereur est
lablatif, comme sur certains milliaires, il est trs possi-
ble, dit Mommsen, que la voie ait t faite par des munici-
palits, et la prsence lablatif du nom du lgat nest pas
une preuve du contraire ; il ne faut pas, lorsquon rencon-
tre un nom de lgat inscrit au bas du milliaire, se persuader
en tout cas que la voie a t tablie par la main militaire et
aux frais de ltat. La raison qui amne Mommsen cette
conclusion, cest que, dans un des textes ainsi rdigs(1), il
est dit que la ville de Cirta a bti les ponts dune route sua
pecunia, Sex. Julio Magno legato Augusti propraetore. Le
fait est indiscutable ; il faudrait ajouter pourtant que cette
mme inscription commence par les mots : Ex auctoricate
Imp. Caesaris Trajani Hadriani. Cest prcisment parce
que lempereur a donn aux habitants de Cirta lordre de
faire ces ponts leurs frais, quils crivirent sur les bornes
____________________
(1) C. I. L., VIII, 10296.
LOCCUPATION DU LIMES ET LE SYSTME DFENSIF. 697

milliaires le nom du lgat qui avait surveill lexcution des


instructions impriales. Sensuit-il que les textes o figure le
nom du lgat doivent tous tre classs dans la mme catgo-
rie, celle des milliaires dus des municipalits, mme lorsque
ces textes ont t trouvs sur des voies certainement militaires
et ne portent inscrit aucun nom de municipalit ? Cest ce qui
est loin dtre dmontr ; et il parat bien que la conclusion de
Mommsen est un peu trop absolue.
Nous regardons, pour notre part, comme faites par lar-
me ou pour les besoins de larme, par lautorit impriale,
toutes les voies dont les bornes milliaires portent soit le nom
de la lgion, soit le nom dun chef militaire, soit le nom de
lempereur, au nominatif ou lablatif, suivi du nom dun
lgat galement lablatif, toutes les fois que le contexte de
linscription ne prouve pas le contraire.
On peut, par suite, en dresser la liste suivante :
Route de Tacapas Leptis Magna par la cte(1). Faite ou plutt
rpare par Nerva.
Route de Theveste Tacapas(2). tablie par Tibre en lan 14.
Route de Gapsa Turris Tamalleni(3). tablie par Trajan.
Route de Carthage , Theveste(4). tablie par Hadrien.
____________________
(1) C. I. L., VIII, 10016 : Imp. Nerva Caes. Aug. cos III p. p.
(2) Ibid., 10018, 10023, etc. : Imp. Caes. Augusti f. Augustus trib.
pot. XVI ; Asprenas cos. procos. VII vir epul[o]num viam ex cast. hibernis
Tacapes muniendam curavit ; leg. III Aug. (fecit). Sur cette route, voir Tis-
sot, Gogr. de lAfrique, II, p. 650 et suiv., Toutain, Mmoires de la Socit
des Antiquaires, LXIV, p. 153 et suiv.
(3) R. Cagnat, Comptes rendus de lAcad. des Inscr., 1909, p. 71 : cf.
Donau, Bull. archol. du Comit, 1904, p. 350 ; 1906, p. 242 ; 1909, p. 277
et suiv.
(4) C. I. L., VII, 10048, 10062, 10065, 22007, 22018, 22022, 22039,
etc. : Imp. Caes Trajanus Hadrianus Aug. pont. max. trib. pot. VII cos.
III viam a Karthagine Thevestem stravit per leg. III Aug. P. Metilio Secundo
leg. Aug. pr. pr.
698 ARME ROMAINE DAFRIQUE.
Route de Carthage Hippo Regius(1). tablie sous Tibre.
Route de Theveste Hippo Regius(2). tablie par Titus en 75.
Route de Theveste Thamugadi(3). tablie par Trajan en 100.
Route dHippo Regius Calama(4). Refaite par Antonin le Pieux.
Route de Lambse ad Piscinam par le dfil de Tighanimin(5).
tablie sous Antonin le Pieux.
Route de Lambse ad Piscinam par El-Kantara(6). Faite ou plutt,
sans doute, rpare en 193, sous Pertinax.
Route de ad Piscinam ad Majores(7). tablie par Trajan en 104/105.
Route de Stif Mons ?(8). Refaite par Septime-Svre en 195.
Route de Stif Zara(9). Refaite la mme date.
Route de Stif Auzia(10). Refaite la mme date. La voie parat
avoir t tablie par Hadrien en 1214(11).
Route dAuzia Rapidum et au del(12). tablie par Antonin le Pieux
en 155.
____________________
(1) C. I. L., VIII, p. 2118.
(2) Ibid., 10119 : Imp. T. C[aesa]r[e] Vespasia[no] Aug. f. imp. x p[on]
t. tr[ib. p]ot. [v] c[os. IIII, C]aesar[e Au]g. [f.] Domitiano c[os.] IIII. [l]eg. [III]
Aug., [P.] Eg[nati]o Cato [leg. Aug. pr]o pr.
(3) Ibid., 10186, 10210 : Imp. Caesar. Divi Nervae fil. Nerva Trajano
Aug. Germanico pont. max. trib. pot. IIII cos. III p. p., L. Munatio Gallo leg.
Aug. pro. pr.
(4) Ibid., 22210 ; Ann. pigr., 1904, 21 : [Imp. Caesar T. Aelius Ha-
drianus Antoninus Aug. Pius pont. max. tribuni]cia potestate XV, cos IIII viam
per Alpes Numidicas vetustate interruptam ponti[b]us denuo fac[tis] paludibus
siccatis labibus confirmatis restituit curante M. Valerio Etrusco leg. suo pr. pr.
(5) Ibid., 10230 : Imp. Caes T. Aelio Hadriano Antonino Aug. Pio p. p.
IIII et M. Aurelio Caesare II cos. per Prastina (m) Messalinum leg. Aug. pr. pr.
vexil. leg. VI Fer(ratae) via(m) fecit.
(6) Ibid., 2237 : Imp. Caes. P. Helvio Pertinace Aug. p. p. trib. p. cos.
II, L. Naevio Quadratiano leg. Aug. pr. pr.
(7) Ibid., 22348, 22349 : Imp. Caesar... Nerva [Tr]ajanus Aug. Ger[man]
icus pont. max. [tr]ib. pot VIIII, imp. IV, cos. V p. p. [L. Minici]o Natale kg.
Aug. pr. pr.
(8) C. I. L., VIII, 10351 : Imp. Caesar L. Septimius Severus trib. pot. III,
imp. IIII cos II procos. miliaria restituit per Cn. Nunnium Martialem proc. suum.
(9) Ibid., 10361 : [per Cn. Nunni]um Martialem [pr]oc. suum.
(10) Ibid., 10364. Mme rdaction que le n 10351.
(11) Ibid., 10363.
(12) Ibid., 10439 : Imp. Caesar T. Aelius Hadrianuus Antoninus Aug.
Pius pon. maximus tri. pot. XVIII, cos. IIII p. p.
LOCCUPATION DU LIMES ET LE SYSTME DFENSIF. 699

Route de Numerus Syrorum Altava et au-del(1). Faite ou plutt


refaite sous Svre-Alexandre.
Route de Lucu Caputtasaccora(2). Faite ou refaite sous Septime-
Svre.
Route de An-Teukria Teniet-el-Had(3). tablie sous Septime-Svre.

Les routes qui composent cette liste ne reprsentent


quune trs minime partie des voies militaires de lAfrique
romaine. Sur les autres, ou bien lon na trouv aucun milliai-
re, ou bien ceux que lon a trouvs et qui sont gnralement
dassez basse poque prouvent que la voie tait entretenue,
ce moment, par les municipalits.
Dans le premier cas, il faut croire que la route tait as-
sez peu importante, en dehors des besoins du service, pour
quelle nait jamais t bien solidement tablie ; tel est le cas,
par exemple, pour les voies de la Kabylie : au dire de De Vi-
gneral(4), elles navaient pas le luxe des grandes voies de la
province de Constantine, elles ne pouvaient tre suivies que
par les pitons ou les btes de somme . Des chemins de cette
sorte taient donc plutt indiqus que construits suivant les r-
gles de lart ; on ne les jalonnait pas par des milliaires comme
les autres. Il en tait de mme des routes de la Tingitane, qui
nont jamais t munies de chausses ; Tissot(5) les compare
____________________
(1) C. I. L., VIII, 10470 : Imp. Caes. M. Aurelius Severus Alexander
miliaria posu(it) per P. Fl. Clemente[m] proc. su[um].. Cf. 10461 et suiv., o
la rdaction est peu prs la mme, mais o on lit, la fin : miliaria nova
posuit per T. Aelium Decrianum proc. suum.
(2) C. I. L., VIII, 22602-22604 ; 22611 :
Imp. Caesar [L.] Septimius Seve[rus et M. Aurelius Anto]ninus... et [P.
Septimius] Geta miliaria novae (ou nova) praetenturae poni jusserunt cu-
rante P. Aelio Peregrino p[r]oc Augg[g] ; coh[o]r. I Pan(noniorum).
(3) Ibid., 22587 Imp. Caesar L. Septimius Severus et M. Aur. Sev.
Antoninus [et L. Sept. Geta ?].
(4) Kabylie du Djurjura, p. 156.
(5) Mmoires prsents par divers savants lAcad. des lnsr., IX, p. 264
700 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

aux pistes arabes actuelles ; elles se traaient au printemps


pour seffacer lautomne, au moment o les communica-
tions devenaient plus difficiles ; mais, telles quelles taient,
elles suffisaient aux besoins de larme. Lessentiel tait quil
y et des ponts jets sur les rivires pour que les troupes doc-
cupation ne fussent jamais arrtes par des crues subites ; et
les Romains navaient pas manqu den construire partout o
la piste rencontrait un cours deau.
Dans le second cas, il faut admettre quaprs avoir fait
crer tout dabord la route par les soldats, ce qui doit tre le
premier soin dune arme qui dsire assurer ses communica-
tions, lempereur laissa aux municipalits qui se servaient el-
les-mmes de ces voies le soin de les entretenir. Il fallait, pour
les besoins de loccupation, quelles fussent en bon tat, mais
il tait de lintrt de lempereur que les frais de lentretien
restassent la charge des communes dont elles traversaient
les territoires.
Nous avons indiqu, dans la liste qui prcde, la date
laquelle chacune de ces voies fut non pas trace la hte,
comme on le fait au lendemain dune conqute, mais tablie
dfinitivement. La plus ancienne remonte lanne 14 : cest
celle qui joignait le quartier gnral de la lgion Tacapas et,
par Tacapas, Leptis Magna, la seule qui, notre connaissan-
ce, date des premiers empereurs. Il faut citer ensuite la route
qui reliait Theveste au port dHippo Regius ; elle est luvre
des Flaviens. Trajan pera, semble-t-il, une route pour joindre
Theveste et Thamugadi le camp de la lgion, transport
alors du ct de Mascula ; il constitua aussi, au pied de la
pente mridionale de lAurs, le long du limes quil porta jus-
que-l, ainsi que nous lavons dit plus haut(1), une grande voie
qui reliait entre eux les diffrents postes de ce limes. Hadrien
____________________
(1) Voir plus haut, p. 44.
LOCCUPATION DU LIMES ET LE SYSTME DFENSIF. 701

runit Carthage, rsidence du proconsul, Theveste et, par l,


Lambse, assurant ainsi un chemin de communication qui
existait certainement avant lui, mais qui ne possdait point
cette belle chausse dalle, encore intacte aujourdhui sur
plus dun point(1). Avec ce prince commencent galement les
constructions de voies militaires en Maurtanie ; la premire
fut certainement la grande voie stratgique qui reliait Stif
Aumale et aux postes de la valle du Cheliff. Son uvre
se continua sous Antonin le Pieux et sous ses successeurs :
Septime-Svre sont dues les routes du sud de lOuarse-
nis. Les empereurs suivants ne firent que des rparations de
routes ; le rseau des voies militaires de la Numidie et de la
Maurtanie tait achev vers le dbut du IIIe sicle.
____________________
(1) Sur cette voie, cf. Tissot, Gographie de lAfrique, II, p. 431 et suiv.
Tous ceux qui ont parcouru la Tunisie ont suivi, au moins pendant quelques
kilomtres, cette grande route que le temps nest pas parvenu dtruire.
702 ARME ROMAINE DAFRIQUE.
LIVRE IV

LOCCUPATION MILITAIRE DE LAFRIQUE APRS DIOCLTIEN


704 ARME ROMAINE DAFRIQUE.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 705

LIVRE IV.

LOCCUPATION MILITAIRE DE LAFRIQUE APRS DIOCLTIEN.

Il est dusage de considrer Diocltien comme lauteur


de rformes importantes dans ltat intrieur de lEmpire. Les
changements que lon attribue cet empereur ne remontent
cependant pas tous son rgne. Quelques-uns sont le fait des
princes qui lont prcd ; dautres doivent tre rapports ceux
qui lont suivi. Mais il nen est pas moins vrai que lpoque de
Diocltien a vu saccomplir une transformation capitale dans
lorganisation et dans ladministration romaines. Larme su-
bit, comme les autres institutions, une modification complte,
et lAfrique en prouva les effets lgal des autres parties
de lEmpire. Cest ce quil convient dexpliquer en quelques
mots avant dtudier loccupation des provinces africaines au
IVe et au Ve sicle, et pour la mieux comprendre.
Il se fit dabord un remaniement dans ltendue et dans la
division des provinces. Lancienne Afrique, avec sa voisine, la
Maurtanie Csarienne, fut dcoupe en plusieurs morceaux.
La nouvelle organisation du pays a t maintes fois dj tu-
die(1), il suffira de rsumer ici ce qui a t crit ce sujet,
Ltat des provinces africaines au temps de Diocltien
est donn par la liste de Vrone de 297. On y lit(2) : Diocensis
Africae habet provincias numero VII : Proconsularis, Zeugi-
____________________
(1) Cf. Tissot, Gogr. de lAfrique, II, p. 37 ; PaIlu de Lessert, Fastes
de la Numidie, p. 171 ; Goyau, Mlanges de Rome, XIII, p. 251 et suiv. ; R.
Cagnat, Mlanges Havet, p. 65 et suiv.
(2) Not. Dign. (d. Seeck), p. 250.
706 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

tana, Byzacena, Numidia Cirtensis, Numidia militiana, Mau-


ritania Caesariensis, Mauritania Tabia insidiana.
Il convient, avant dexaminer les diffrentes parties de
cette phrase, de noter un premier fait : la Tingitane ny figure
pas. A ce moment, en effet, elle ne fait plus partie du diocse
dAfrique, mais bien de celui dEspagne(1). Dailleurs, il en
avait toujours t ainsi dans la pratique, sinon en thorie. La
Tingitane navait jamais t, comme nous lavons dit plus
haut, que la province frontire de la pninsule hispanique,
avec qui elle avait plus de rapports quavec la Csarienne(2) ;
il semble mme quon la nomma parfois Provincia Hispa-
nia Nova Ulterior(3) . La liste de Vrone ne fait, en somme,
quenregistrer un tat de choses tabli depuis longtemps.
On peut aussi liminer de suite une difficult de dtail sur la-
quelle sont daccord tous ceux qui ont examin la question: la
Maurtanie appele par la liste de Vrone Mauretania Tabia
insidiana ne peut tre que la Mauretania Sitifensis(4) .
Mommsen(5) a rapproch avec raison cette numration
des listes analogues donnes par Rufus Festus(6) (an 369), par
____________________
(1) On lit, en effet, dans la partie de la liste de Vrone relative lEspa-
gne : Diocensis Hispaniarum habet provincias numero VII : Beticam, Lusi-
taniam, Kartaginiensis, Gallecia, Tharraconensis, Mauritania Tingitania. Cf.
Rufus, cap. 5 : Trans fretum etiam in solo terrae Africae provincia Hispania-
rum est, quae Tingitana Mauretania cognominatur ; et Not. Dign, XXI.
(2) Mommsen, Hist. rom., t. XI, p. 274 de notre traduction.
(3) C. I. L., VIII, 21813 : provinciae No ulterioris Tin ; cf.
ibid., II, 1970, Hron de Villefosse, Revue arch., 1887 (II), p. 283 et suiv., et
Mispoulet, Revue de philol., 1910, p. 301.
(4) Le mot Insidiana est regard gnralement comme une transcrip-
tion malheureuse de Sitifensis. Quant Tabia, ce ne serait pour les uns quune
rptition de la fin du mot Mauretania ; dautres le rapprochent de lethnique
Zabi qui appartient une ville de la Sitifienne (Jullian, Mlanges de lcole
franaise de Rome, II, p. 86 et suiv.).
(5) Mmoire sur les provinces romaines en 297 (Revue archol., 1866,
II, p. 384 et suiv. ; C. I. L., VIII, p. XVII).
(6) Brev. rer. gest., cap. 4.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 707

Polemius Silvius(1) (an 385-386) et par la Notice des Digni-


ts(2) ; on obtient ainsi le tableau suivant :

LISTE DE VRONE. LISTE DE RUFUS FESTUS.

Proconsularis Zeugitana. Proconsularis.


Bizacena. Byzacium.
Numidia Cirtensis. Numidia.
Numidia militiana. Tripolis.
Mauretania Caesariensis. Mauretania Caesariensis.
Mauretania Tabia insidiana. Mauretania Sitifensis.

LISTE DE POLEMIUS SILVIUS. LISTE DE LA NOTICE.

Proconsularis. Africa.
Bizacium. Byzacium.
Numidia. Numidia.
Tripolis. Tripolitana.
Mauretania Caesariensis. Mauretania Caesariensis.
Mauretania Sitifensis. Mauretania Sitifensis.

Cette comparaison a conduit Mommsen identifier la


Numidia Militiana de la liste de Vrone la Tripolitaine, qui,
dans toutes les autres listes, occupe la mme place, entre la
Numidie et la Maurtanie Csarienne. Il est vrai que, la liste
de Vrone comptant sept provinces et nen nommant que six,
on pourrait supposer quil y a eu omission dune septime qui,
en ce cas, serait certainement la Tripolitaine. Mais ce chiffre
VII nembarrasse pas Mommsen, qui le corrige en VI. Il est
certain quune faute de cette sorte est fort admissible et que,
sans aller bien loin, on peut signaler une erreur identique, dans
le mme document, quelques lignes plus haut, propos de
lnumration des provinces du diocse dEspagne. Tissot,
____________________
(1) Not. Dign. (d. Seeck), p. 256.
(2) Ibid. p. 162 et suiv.
708 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

lexemple de Mommsen, admet quil ny a pas tenir compte


du chiffre VII(1).
Tous les auteurs, cependant, ne sont pas de cet avis.
Quelques-uns maintiennent lexactitude de ce chiffre ; par
suite, ils supposent lomission de la Tripolitaine et accordent
une existence distincte la Numidia Militiana.
La difficult est de savoir ce quil faut entendre par l.
Desjardins(2) et Poulle(3) ont considr ladjectif militiana
comme synonyme de militaris ; il indiquerait, leur avis, la
partie de la Numidie voisine du limes, par opposition avec la
partie septentrionale, voisine de Cirta. Mais il faut reconna-
tre que le mot militiana est au moins trange. Aussi M. Jul-
lian, reprenant une ide quavait eue Mommsen, et quil avait
rejete, a-t-il propos une correction ingnieuse : militiana ne
serait quune mauvaise transcription de la forme limitanea(4).
Cette hypothse semble, en ralit, confirmer la thorie de
Desjardins et Poulle ; en fait, M. Jullian se rapproche plutt
de Mommsen, car il considre la Numidia limitanea comme
la Tripolitaine.
Cest cette dernire opinion que se range peu prs
Tissot(5).
Pour lui, la nouvelle province de Tripolitaine na pro-
bablement pris son nom que lorsque, aprs la rupture du lien
qui lavait momentanment rattache la Numidie, elle a eu
vritablement une existence propre. Le nom de Numidia limi-
tanea, en dautres termes, appartiendrait la priode de tran-
____________________
(1) Gogr. de lAfrique, II, p. 38.
(2) Remorques sur la carrire dun lgat de Pannonie (Revue arch.,
1874 [XXVII], p. 79 et 186).
(3) Recueil de Constantine, XVIII, 1876-1877, P. 494.
(4) Corrections la liste de Vrone (Mlanges de lcole franaise de
Rome, II, p. 84). Cette correction a t adopte par Tissot, op. cit., p. 42. Cf.
aussi Boissire, Algrie romaine, II, p. 537.
(5) Op. cit., p. 39 et suiv.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 709

sition pendant laquelle la confdration des trois villes orien-


tales, Oea, Leptis et Sabrata, na t dtache de la Procon-
sulaire que pour tre mise en relation troite avec la Numi-
die mridionale. Le nom de Tripolitana ne daterait que de sa
complte mancipation .
Mais tous les auteurs qui se refusent croire lexis-
tence dune Numidia Militiana ont nglig, de parti pris, le
tmoignage de trois inscriptions, trouves Timgad, o se lit
le nom de Valerius Florus, avec cette qualification :V P P P
N M(1). Les uns expliquaient : v(ir) p(erfectissimus) p(raeses)
p(rovinciae) N(u)m(idiae), admettant ainsi dans ces textes une
abrviation conue suivant un systme suivi plus dune fois
aux bas temps ; les autres, sur la foi de Wilmanns, croyaient
la ligature des trois premires lettres du mot NVM, sous la
forme NM. Je me suis convaincu, par un examen attentif des
originaux, que le M existait bien rellement(2) et quil tait
spar du N soit par un espace blanc, soit mme par un signe
trs visible. Il faut donc regarder ce M comme le dbut dune
pithte caractristique de Numidia.
Comme, dautre part, on a rencontr deux fois dans
des inscriptions contemporaines le groupe N C qui signi-
fie N(umidia C(irtensis)(3), il parat tout fait probable que
le M dans le groupe N M doit sexpliquer par M(ilitiana),
M(ilitanea), ou, si lon se refuse admettre cette forme bar-
bare, par un mot analogue commenant par un M.
Il y a pourtant cela une objection. Valerius Florus est
connu par dautres documents que les inscriptions de Timgad(4):
____________________
(1) C. I. L., VIII, 2345, 2346, 2347 ; cf. 17813 ; Bull. arch. du Comit,
1907, p. 274.
(2) Il est identique tous les M de linscription ; on en trouvera le fac-
simil la fin de larticle de M. Goyau cit prcdemment.
(3) C. I. L., VIII, 5526, 7965.
(4) Cf. Pallu de Lessert, Fastes des provinces africaines, II, p. 311.
710 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

on sait quil fut lexcuteur de la perscution de Diocltien


en Afrique, et lon peut conclure de certains textes(1) quil
tait alors la tte de la Numidie tout entire. Par suite,
on a le droit de stonner que, sur les bases honorifiques
de Timgad, il se soit fait ou laiss donner un titre qui sem-
blerait restreindre sou pouvoir la partie mridionale de
la province. Lobjection nest pourtant pas irrfutable. On
peut croire que Valerius Florus a exerc la charge de prae-
ses dabord dans la Numidie mridionale cest de cette
priode que dateraient les inscriptions de Timgad et, pos-
trieurement, dans les deux parties de lancienne Numidie ;
ou, si lon nadmet pas celle solution, quil est question de
la Numidia Militiana et de celle-l seulement sur les bases
de Timgad, parce que Timgad est prcisment situe dans
cette rgion de la Numidie(2).
Lexistence de la Numidia Militiana toutes rserves
tant faites dailleurs sur la forme du mot laquelle il me
semble difficile de ne pas croire, en prsence de la lecture
aujourdhui certaine du titre donn Valerius Florus, ne tran-
che pas, au reste, la question. On se trouve toujours plac dans
lalternative, ou de considrer la Tripolitaine comme omise
dans la liste de Vrone, ou de supposer quelle est dsigne
par lexpression de Numidia Militiana.
Si lon prend ce dernier parti, il faudra se persuader que la
Tripolitaine ne fut pas rige en province indpendante sous le
rgne de Diocltien, et que lancien ordre de choses qui en fai-
sait un prolongement et une annexe de la province, dAfrique
____________________
(1) C. I. L., VIII, 6700 : Depositio cruoris sanctorum martyrum qui
passi sunt sub praeside Floro in civitate Milevitana ; ibid., 4324 ( El-Ma-
der). Cf. Optat, De schism. Donat., 3, 8, et August., Contra Crescouium, 3,
27 ; et P. Monceaux, Hist. de lAfrique chrtienne, III, p. 35.
(2) On comprendrait alors comment on rencontre cette poque le
titre de praeses Numidiarum (C. I. L., VIII, 7004 et 7067).
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 711

pour la partie voisine de la cte, de la Numidie pour la rgion


qui confine au dsert, exista encore quelque temps. Dans la
suite, la Numidie militaire aurait t runie la Numidie Cir-
tenne(1), et la Tripolitaine aurait constitu une province civile
et militaire tout fait distincte.
Par consquent, on peut dire que, postrieurement au r-
gne de Diocltien et jusqu linvasion des Vandales, lAfri-
que romaine fut divise en six provinces : Proconsulaire ou
Zeugitane, Byzacne, Tripolitaine, Numidie, Maurtanie C-
sarienne et Maurtanie Sitifienne. Jai essay ailleurs(2) de d-
terminer la date ou plutt les dates o ces diffrentes modifi-
cations soprrent ; la Byzacne aurait t cre en 294/295 ;
cest la mme poque que la Numidie aurait t scinde en
deux parties ; quant la division de la Maurtanie, elle re-
monterait lanne 293. On ne peut rien avancer au sujet de
la Tripolitaine.
Vers le mme temps se produisait un changement consi-
drable dans le systme administratif des provinces de lEmpi-
re, et, par suite, dans celui des provinces africaines : le pouvoir
civil tait spar du commandement militaire. Depuis long-
temps dj, les empereurs avaient essay de rformer ladmi-
nistration dans ce sens ; Alexandre-Svre fut le premier qui
y songea, dit-on(3), et ses successeurs limitrent, du moins
par intervalles(4). En pareil cas, lautorit sur les troupes tait
confie un personnage revtu dun pouvoir exceptionnel,
lautorit civile restant entre les mains du gouverneur ordinaire
pour lequel lappellation gnrale de praeses tend prvaloir.
____________________
(1) On trouve sur les inscriptions le gnitif singulier Numidiae sans
aucun qualificatif en 330. Cf. Pallu de Lessert, Fastes des provinces africai-
nes, II, p. 321.
(2) Mlanges Havet, p. 65 et suiv.
(3) Vita Alex, 24.
(4) Borghesi, OEuv., III, p. 277 ; V, p. 397, 405.
712 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

En Afrique, cette appellation apparat des poques diffren-


tes suivant les provinces.
Le gouverneur de Maurtanie change son titre de pro-
curateur en celui de praeses ds 254(1) ; cependant ce nou-
veau nom nindique pas une modification dans les fonctions ;
Aurelius Vitalis, le premier praeses connu, est encore un chef
militaire : il combat les barbares et les met en fuite. Aelius
Aelianus, un de ses successeurs, qui porte le mme titre(2), est
aussi commandant darme ; enfin, sous Diocltien mme,
Aurelius Litua joue un rle important dans linsurrection des
Quinquegentanei(3). Jusqu Diocltien, donc, les praeses de
Csarienne sont la fois chefs civils et militaires ; la rforme
se prpare ; elle nest point encore accomplie.
En Numidie, au contraire, on signale le titre de praeses
avec M. Aurelius Decimus(4) ds lanne 283. Il dut mme
apparatre plus tt. Du jour o les lgats lgionnaires furent
supprims par Gallien ou ses successeurs immdiats(5), on fut
oblig de pourvoir ladministration civile du pays, confie
jusque-l aux lgats ; si on ne la maintint pas entre les mains
du prfet de la lgion, au moins pendant quelque temps, ce
que rien ne permet daffirmer, il faut bien que lon ait cr
sans tarder un gouverneur civil distinct de ce prfet, un prae-
ses. On na encore aucun document dat, postrieur 268 et
antrieur 283, qui permette de dcider la question. Dans la
suite, on rencontre ct lun de lautre le praeses et le pr-
fet(6), comme les deux reprsentants du pouvoir.
____________________
(1) C. I. L., VIII, 20827.
(2) Ibid., 21486.
(3) Voir plus haut, p. 67.
(4) C. I. L., VIII, 2529, 2530, 4221, 4222, 7002, etc. Cf. Pallu de Les-
sert, Fastes des provinces africaines, I, p. 454.
(5) On attribue dhabitude cette rforme Gallien ; mais nous avons dj
dit quen Numidie, on rencontre des lgats jusquen 268. Cf. plus haut, p. 127.
(6) C. I. L., VIII, 2572.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 713

Cependant le prfet de la lgion ne demeura pas le seul


chef militaire du corps darme. En temps ordinaire, pendant
la deuxime moiti du IIIe le sicle, il suffisait le comman-
der ; mais, en cas de danger particulirement pressant, on
envoyait un chef temporaire qui prenait le titre de dux per
Africam : ctait un personnage de rang perfectissime, tandis
que le prfet de la lgion ntait que vir egregius. Plusieurs
inscriptions nous font connatre des gnraux de cette sorte.
Lun, Flavius Leontius, leva un monument Lambse au
retour dune expdition victorieuse qui ne lentrana peut-tre
pas au del de la Numidie(1). Lautre, au contraire, M. Corne-
lius Octavianus, a laiss deux ddicaces en Sitifienne(2), et, en
effet, le titre qui lui est donn sur un texte de Bichga(3) Dux
per Africam, Numidiam, Mauretaniam, prouve quil fut la
tte des forces de tout le pays, mme des troupes maurta-
niennes, et permet de voir quelle tait limportance du com-
mandement confi sa valeur(4).
Ainsi se prparait lentement lorganisation postrieure.
Cest en effet au mme procd que lon eut recours, aprs
____________________
(1) C. I. L., VIII, 18219 : Jovi Optimo Maximo Deorum principi
gubernatori omnium rerum caeli terrarumque rectori ob reportatam ex Gen-
tilibus Barbaris [vi]ctoriam Flavius Leontius v. p. dux per Africam posuit.
Mommsen attribue ce texte la mme poque que les suivants.
(2) Ibid., 8435 ; Recueil de Constantine, XXX (1895-1896), p. 230 ;
XL (1906), p. 111 et suiv.
(3) Ibid., 12296 : M. Cornelio Octaviano v. p. praef. classis praet. Misen.
duci per Africam Numidiam Mauretaniamque splendidissimus ordo municipi
Bisicensis patrono incomparabili ob merita. Le texte est antrieur Diocltien
cause du singulier Mauretaniam, mais postrieur Septitme Svre, puisquil
y est question de la Numidie. Cf. Ferrero : lscriz. e ricerche nuove, p. 32.
(4) A cette catgorie appartient peut-tre le Firmus, contemporain du
tyran de ce nom, que Vopiscus (Vita Firmi, 3) appelle dux limitis Africani
idemque proconsul . Il est vident que ce personnage na pas pu cumuler
les deux fonctions ; sil ne les a pas exerces successivement, il y a l, dans
lnonc des fonctions, quelquune de ces inexactitudes dont sont coutumiers
les crivains de lHistoire dAuguste.
714 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Diocltien, quand le gouvernement civil fut dfinitivement


confi un fonctionnaire spcial : la direction des armes fut
attribue des duces ; mais, de chefs extraordinaires quils
taient auparavant, ces gnraux devinrent des commandants
rguliers.
Le dux ou dux limitis fut dsormais la tte de toutes les
forces doccupation de la province. En Numidie, il remplaa
lancien lgat proprteur ; en Maurtanie, le procurateur. Nous
en parlerons plus longuement dans la suite, en tudiant suc-
cessivement chacun des corps darme. Il nous suffit davoir
constat ici un double remaniement dans lorganisation des
provinces africaines, modification territoriale qui augmente le
nombre des provinces, modification administrative qui spa-
re le commandement militaire du gouvernement civil. Faut-il
faire remarquer que ces deux rformes sont lies assez troi-
tement, en ce sens que, si lon peut diviser ladministration
civile dune rgion et la rpartir en autant de mains que lon
veut, il nen est pas de mme du commandement militaire
suprme, lequel doit, par sa nature, embrasser lensemble du
pays menac ? Du jour donc o lon tailla plusieurs morceaux
dans lancienne province dAfrique propre, comme du jour
o lon coupa en deux la Maurtanie, il fallait sparer le pou-
voir civil du pouvoir militaire pour viter la division, cest--
dire lamoindrissement de ce dernier.
Mais ces changements ne sont rien en comparaison de
ceux que subit larme romaine. Dans cet ordre de choses, le
bouleversement fut complet : Diocltien et surtout Constantin
modifirent jusquau principe fondamental qui servait de base
lorganisation militaire de lEmpire(1). Jusque-l, on navait fait
____________________
(1) Naudet, Des changements oprs dans toutes les parties de ladmi-
nistration de lEmpire sons les rgnes de Diocltien, etc., II, p. 157 et suiv. ; Ch.
Robert, Coup dil gnral sur les lgions romaines, p. 36 et suiv. ; Marquardt,
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 715

aucune distinction capitale entre les diffrentes troupes ro-


maines : lgions, cohortes auxiliaires ou ailes de cavalerie
avaient concouru peu prs galement, et en tout temps, sui-
vant le rle attribu chacune, suivant le nombre de leurs
effectifs ou la nature de leur armement, la dfense de lEm-
pire ; les lgions taient bien considres, en thorie, comme
suprieures aux auxiliaires, parce que les citoyens romains
taient suprieurs aux prgrins ; mais cette supriorit qui
les gardait de certaines corves disparaissait en prsence de
lennemi : toutes les troupes taient, en ralit, charges pa-
reillement de la dfense de la frontire ; ainsi nous trouvons
les soldats de la IIIe Auguste Ghadams et Gharia-el-Gar-
bia, aussi bien que dans le pt de lAurs, ct des auxi-
liaires de la lgion. A partir de Constantin, on voit apparatre
une conception nouvelle.
Dornavant, dans toutes les provinces, les troupes doccu-
pation se composent de deux groupes tout fait distincts : dun
ct, larme sdentaire des confins, arme territoriale, qui a la
garde du limes en temps ordinaire et qui fournit les contingents
ncessaires la garnison des forteresses ou des camps tablis
contre les ennemis du dehors ; de lautre ct, larme mobile,
dissmine dans lintrieur du pays(1). Celle-ci comprend les mi-
lites palatini et les milites comitatenses(2), cest--dire larme
____________________
Staatsverwaltung, II, p. 611 et suiv. ; Kuhn, Die Verfassung des rm. Reichs,
I, p.135 et suiv. ; Mommsen, Das rm. Militrwesen seit Diocletian (Gesam-
melte Schriften, VI, p. 206 et suiv.).
(1) Zosim., II, 34 :

,
. Cf. Victor, De Caes., 41, 12.
(2) Lorigine et le sens du mot Palatini sont vidents. (Cf. Jullian, Ori-
gine des lgions palatines, dans le Bull. pigr., IV, p. 249 et 251.) Le terme
comitatensis est expliqu par les expressions : In sacro comitatu (C. I. L.,
III, 6494), comitatus noster (Cod. Theod., I, 10, 2 ; XII, 12, 6), et dautres
identiques, qui se rencontrent la mme poque.
716 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

de lempereur, la garde impriale ; celle-l renferme, sui-


vant les uns, les pseudocomitatenses(1), avec les milites ripen-
ses ou riparienses et les milites limitanei ; ces deux dernires
catgories seulement, suivant Mommsen(2). Toutes deux sont
employes, dailleurs, diffremment la dfense de la fron-
tire, larme sdentaire dune faon permanente, larme
mobile par intervalles et dans les cas pressants : alors elle d-
tache des rgiments et des escadrons qui se portent en avant,
qui donnent contre lennemi et qui fournissent leurs com-
pagnons darmes lappoint ncessaire pour le soumettre. La
victoire une fois remporte, larme mobile se replie, aban-
donnant de nouveau aux garnisons du limes le soin de couvrir
le pays quelle les a aides reconqurir ou conserver(3).
Mommsen considre trs justement larme mobile et surtout
les comitatenses qui tiennent garnison dans chaque province
comme la rserve de larme sdentaire de la frontire(4).
Le corps doccupation dAfrique au bas Empire fut
donc, comme partout, divis en deux parties bien distinctes :
les troupes de la frontire et celles de lintrieur. Ce fait est
peut-tre mme plus facile y constater que partout ailleurs.
Les troupes de la frontire taient rparties entre diffrentes
marches militaires dont nous avons conserv le souvenir ; les
autres taient dissmines dans le pays. Malheureusement, il
est assez difficile de se rendre compte, pour cette province en
____________________
(1) Cf. Godefroy, ad Cod. Theod., VII, 1, 18.
(2) Loc. cit., p. 209. Daprs Mommsen (loc. cit., p. 219, surtout
note 4), les pseudo-comitatenses sont des corps primitivement attachs aux
armes sdentaires de la frontire, qui ont t ramens dans lintrieur et as-
simils aux comitatenses.
(3) Cf. Ammian., XXI, 12, 22 et 13, 8 ; XXVI, 6, 12 ; 7, 9 ; XXVII, 10,
6 ; XXIX, 5, 4 9. (Il sagit dans ce passage de lexpdition de Thodose en
Afrique. qui amne avec lui des troupes de Gaule ou dItalie, mais qui runit,
pour marcher en avant, legiones, quae Africam tuebantur... concitato indi-
gena milite ) ; XXIX, 6, 16. Cf. aussi Zosim., IV, 16, 5.
(4) Gesammelte Schriften, VI, p. 237.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 717

particulier, de limportance des forces qui y taient tablies et


de la faon dont ces forces taient groupes. Les inscriptions
de cette poque sont trs clairsemes ; les rcits des histo-
riens, pauvres et sans prcision.
Seul, un document nous claire un peu pour cette prio-
de : cest la Notice des Dignits ; mais, si elle est assez com-
plte pour la province militaire dAfrique, lancienne Afrique
propre, et pour la Tingitane, elle est peu prs muette sur
larme doccupation de la Maurtanie Csarienne et de la
Tripolitaine. Cest pourtant laide de la Notice, malgr tous
ses dfauts de rdaction(1), quil nous faudra aborder ltude
de larme dAfrique au bas Empire. Nous resterons ici fidle
au plan que nous avons suivi plus haut, pour exposer le sys-
tme doccupation aux trois premiers sicles.
____________________
(1) Sur les anomalies de toute sorte qui sy rencontrent, voir Otto
Seeck, Quaest de Notitia, Dignit., 1872, p. 3 et suiv.
718 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

CHAPITRE PREMIER.

LE COMMANDANT EN CHEF.

I. AFRIQUE.

Le commandant en chef de larme dAfrique, aprs Dio-


cltien, porte le titre de comes Iimitis Africae(1) ou comes rei
militaris Africae(2) ; par abrviation, comes Africae(3). On sait(4)
que le titre de comes dsigne non une charge, mais un rang,
tandis que celui de dux est toujours employ pour marquer
une fonction, celle de gnral en chef. Mais les duces sont en
mme temps comites, soit comites primi ordinis, ce qui est le
cas des ducs importants comme celui dAfrique(5), soit comites
secundi ordinis, dignit dordre infrieur. Leur titre complet
tous sans distinction est donc dux et comes. On le simplifie en
nen mentionnant que la premire partie, quand on serait oblig
dajouter comes le qualificatif restrictif de secundi ordinis,
ou en ne gardant que la seconde, quand le titulaire est comte de
____________________
(1) Not. Dignit., Occ., V, 128.
(2) Ibid., I, 30.
(3) Ibid., I, 32 ; V, 128 ; VII, 140, 179 ; Cod. Theod., IX, 42, 18 ; C.
I. L., VIII, 10937. Sur le comte dAfrique, voir Pallu de Lessert, Vicaires
et Comtes dAfrique, Constantine-Paris, 1891, in-8, p. 23 et suiv. On trouve
aussi le titre de comes rei castrensis (Ammian., XXX, 7, 3) : Gratianus...
post dignitatem protectoris atque tribuni comes praefuit rei castrensi per
Africam, unde furtorum suspicione contractus multo postea pari potestate
Brittannum rexit exercitum. Le contenu du texte prouve bien quil sagit ici
du comes Africae. Cest ainsi, dailleurs, quon la compris dhabitude. Cf.
Godefroy, ad Cod. Theod., VI, 14, 1.
(4) Mommsen, Gesamm. Schriften, VI, p. 272.
(5) Cod. Theod., VI, 14, 1 ; C. I. L., VIII, 10937.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 719

premier ordre. Le titre de comes Africae suppose donc celui


de dux limitis de la mme province.
Le comes Ajricae tait vir spectabilis(1) : cest lpithte
que lui donnent le Code Thodosien et la Notice des Digni-
ts, et il semble bien que ce ft la rgle, du moins partir du
rgne de lempereur Constance(2) ; il tait infrieur aux pro-
consuls qui taient, eux, trs voisins en dignit des illustres,
mais suprieur aux autres comtes qui commandaient sur le
continent(3). En somme, cette fonction tait une des positions
militaires les plus leves et les plus honorifiques auxquel-
les ont pt prtendre . Les comtes dAfrique taient presque
gaux, au moins en importance, des magistri militum ; un
moment mme, avec Gildon, le titre leur en fut donn(4).
Leur territoire de commandement tait, en effet, consi-
drable. La province militaire dAfrique stendait lEst
jusquaux confins de la Tripolitaine, cest--dire jusqu lem-
bouchure de lOued-Akarit(5).
AlOuest, du ct de la Maurtanie, la limite est indique par
plusieurs documents trs importants. Les plus concluants sont
des inscriptions, graves jadis sur des bornes places la fron-
tire de lAfrique et de la Maurtanie Csarienne. Elles portent,
les unes, limes provinciae Africae(6) ; les autres(7), limes Mau-
retaniae. Elles ont t trouves dans une ruine, 11 kilomtres
____________________
(1) Cod. Theod., XVI, 2, 31 ; Not. Dignit., Occ., VII, 140, 179.
(2) Ammiam., XXI, 16.
(3) Cod. Theod., VI, 14, 1 : Gradus comitum rei militaris post ductum
militem in Africa. Cf. Godefroy, ad h. l., qui dresse le tableau suivant des spec-
tabiles par ordre hirarchique : 1 proconsules ; 2 primicerii ; 3 magistri ; 4
comites consistoriani ; 5 comites militares nonnulli (Africae) ; 6 praepositi et
tribuni scholarum, comites ordinis primi ; 7 vicarii comitesque alii rei militaris.
(4) Cod. Theod., IX, 7 ; 9 : Idem Augusti Gildoni comiti et magistro
utriusque militiae per Africam (an 393).
(5) Tissot, Gogr. de lAfrique romaine, II, p. 46.
(6) C.I. L., VIII, 20818.
(7) Ibid., 20817.
720 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

dAumale, vers le Nord, sur une colline au pied de laquelle


coule lOued-el-Akhal. Si lon rflchit que le limes Tupu-
suptitanus, qui comprenait la partie orientale du massif, ainsi
quil sera dit plus loin, obissait au comte dAfrique, daprs
la Notice, tandis que le limes Auziensis appartenait au duc de
Maurtanie, on se persuadera que lOued-el-Akhal marque
probablement la limite occidentale extrme de la province
militaire dAfrique de ce ct. De la sorte, toute la Maurta-
nie Sitifienne aurait t dans le territoire de commandement
du comte dAfrique. Et, en effet, plusieurs textes amnent
cette conclusion. Ainsi, lorsque Thodose aborde en Afrique
pour combattre la rvolte de Firmus, il prend terre Igilgili
(Djijelli), qui est en Sitifienne ; la premire personne qui y
vient au-devant de lui est le comte dAfrique Romanus(1). Il
passe en revue, prs de Stif, les troupes du corps darme
dAfrique(2). Plus tard, lorsque Romanus a t remplac, son
successeur se rend en Sitifienne pour y organiser des pos-
tes de dfense(3). De plus, la Notice des Dignits cite parmi
les limites soumis au comte dAfrique, et lui seul, celui de
Tamannuna et celui de Zabi, qui sont incontestablement en
Sitifienne. Enfin, daprs une inscription contemporaine de
Valentinien, cest le comte dAfrique Flavius Victorianus qui
fut charg cette poque de construire un castrum dans le
Djebel-bou-Taleb, au sud de Stif(4).
On peut donc avancer que la province militaire dAfri-
que, aprs Diocltien, comprenait lancienne Proconsulaire,
la Numidie, l Maurtanie Sitifienne et une petite bande de la
____________________
(1) Ammian., XXIX, 5, 5.
(2) Ibid., 9. Il leur donne lordre de se runir prs de la statio Panchariana.
(3) Ibid., 27 : (qui) Romano successerat in Sitifensem Maureta-
niam ire disposito ad agitanda praesidia, ne provincia pervaderetur, ipse
gentem petit Musonum.
(4) C. I. L., VIII, 10937.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 721

Csarienne, dont limportance fut sans doute variable, com-


me il sera dit plus bas.
Le comte dAfrique avait sa rsidence Carthage, ainsi
que Godefroy la dj remarqu(1).
Un passage de la Notice des Dignits(2) nous a conserv
la composition de ses bureaux.
Nous y trouvons le cornicularius, le commentariensis,
les exceptores et les singulares que nous avons signals dans
les bureaux du lgat de Numidie, au haut Empire.
Les fonctions nouvelles sont celles de numerarii, dad-
jutor, de subadjuva et de regerendarius.
Les numerarii sont les quivalents des librarii du haut
Empire ; ils taient chargs de la comptabilit. Leur nom est,
du reste, significatif(3).
Ladjutor, qui tient avec le princeps et le cornicularius
la tte de lofficium, avait surtout comme mission de sur-
veiller lexcution des sentences et des ordres du fonction-
naire auquel il tait attach et den investir les excuteurs des
pouvoirs ncessaires(4). Pour ladjutor du comte dAfrique,
en particulier, on na aucun renseignement prcis.
Le subadjuva est un aide de ladjutor, ainsi que son
nom lindique et comme le prouve un texte du Code Tho-
dosien(5).
____________________
(1) Cod. Theod., XII, 1, 15.
(2) Not. Dign., Oc., XXV, 37 46 : Officium autem habet idem vir
spectabilis comes hoc modo : Principem ex officiis magistrorum militum
praesentalium, uno anno a parte peditum, alio a parte equilum ; cornicula-
rium ; adjutorem ; commentariensem ex officiis magistrorum militum
praesentalium singulos ; subadjuvam ; regerendarium ; exceptores ;
singulares et reliquos officiales.
(3) Godefroy ; ad Cod Theod., VIII, 1, (Paratitlon.)
(4) Cest du moins l lavis de Godefroy, ibid., 4, 10 ; cf. Bethmann-
Hollweg, Rm. Civilprocess, III, p. 146; de Ruggiero, Dizion. Epigraf. s. v.
(5) Cod. Theod., VI, 27, 3, la fin.
722 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Quant au regerendarius, dont la formule a t donne


par Cassiodore(1), ctait une sorte de scribe, qui scripta re-
gereret, seu in codicem referret , dit Du Cange(2).
Daprs le texte mme de la Notice, tous ces officiales
ntaient pas attachs en permanence aux bureaux du comte.
Le princeps, qui est le chef dtat-major(3), venait, une anne,
des bureaux du magister peditum praesentalis, et, lanne
suivante, de ceux du magister equitum presentalis, les sup-
rieurs immdiats du comte dAfrique. Il en tait de mme du
commentariensis et des deux numerarii, qui permutaient cha-
que anne et daprs les mmes principes.
Ces officiales ne, faisaient pas partie, comme au haut
Empire, de larme doccupation : lofficium nest pas port
sur les registres matricules des soldats ; il na pas droit aux
mmes avantages queux(4) ; il forme un corps parfaitement
distinct et en dehors de larme rgulire.
Aussi nest-ce point officium du comte dAfrique qui
est dsign dans le Code Thodosien(5) sous le nom de armata
apparitio. Par ces mots, les empereurs Arcadius et Honorius
font allusion aux soldats qui taient dtachs des troupes can-
tonnes dans le pays et mises la disposition du gnral en
chef. De tout temps il en a t ainsi, et les chefs du corps dar-
me ont eu auprs deux, pour leur faire escorte ou pour assu-
rer lexcution de leurs ordres, un certain nombre dhommes.
Le fait peut tre constat aprs Diocltien. Cest ainsi que,
sous Anastase, les troupes cantonnes dans le pays devaient
____________________
(1) Var., XI, 29.
(2) Glossarium mediae et infimae latinit., s. v.
(3) Sur ces princeps officiorum, qui taient pris parmi les ducenarii
de la schola agentium in rebus, cf. Godefroy, ad Cod. Theod, VI, 28, 1 ; cf.
VI, 28, 6.
(4) Waddington, Inscriptions de Syrie, 1906 (a).
(5) Cod. Theod., XVI, 2, 31.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 723

fournir au duc de Libye 15 hommes pour le service de la cor-


respondance, 5 plantons ou factionnaires et 7 gardes pour la
prison(1). Les auteurs nous parlent quelquefois, propos du
comte dAfrique, de soldats de cette espce(2). Sans comp-
ter ces soldats, lofficium du duc de Libye se composait de
40 personnes. Inutile dajouter que ce nombre variait suivant
limportance des corps darme.
2. TRIPOLITAINE.

En Tripolitaine, le commandant en chef tait un dux(3) :


on lit trois fois ce titre, deux fois au Code Thodosien(4) et une
fois dans la Notice(5),
Gnralement il y avait, dans cette province, sparation
du pouvoir civil et du pouvoir militaire(6) ; il est des occasions
pourtant o ils paraissent avoir t runis(7).
____________________
(1) Waddington, Inscr. de Syrie, 1906, a (I. 29 et suiv.) : [
] [] ,
[] [] [][] []
, [][] []
[], , [
] .
(2) Augustin., Epist., 115 : Raptus est a Florentino quodam comitis
officiali per armatorum manus. Cf. aussi, sur les soldats dtachs auprs du
gnral cette poque : Cod. Theod., VIII, 7, 12 et 13.
(3) Le Valerius Vibianus et lAurelius Quintianus qui firent btir le fortin
de Tibubuci (C. I. L. VIII, 22763), et qui sont videmment des chefs militaires,
portent Je titre de praeses ; cest quils appartiennent une poque o ce titre
na pas encore la signification restrictive de gouverneur civil.
(4) Cod. Theod., XI, 36, 33 ; XII, 1, 133.
(5) Notit. Dign., Oc., XXX.
(6) Cod. Theod., XI, :36, 33 ; Notit. Digit., loc. cit.
(7) Cod. Theod., XII, 1, 133. Une inscription trouve Bou-Ghara (C.
I. L., VIII, 11031, cf. 22768) fait connatre un P. Archontius Nilus v. p. praeses
et comes provinciae Tripolitanae . Mommsen ne veut pas voir dans ce person-
nage un gouverneur militaire, mais un praeses ayant rang de comte de deuxime
ordre (cf. le commentaire la suite de linscription). En ce cas, il ne saurait tre
question, au dbut du texte, de victoires remportes par ce personnage, comme
le laisse supposer la restitution propose aux lignes 1 4.
724 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Comme tous les ducs, le duc de Tripolitaine fut vir per-


fectissimus, au moins jusqu Constance(1). Au temps de la
Notice, il tait spectabilis(2).
Le mme document nous a conserv la composition de
son officium(3) ; il est identique celui du comte dAfrique.
3. MAURTANIE CSARIENNE.

On a encore moins de renseignements sur le comman-


dant en chef de la Maurtanie Csarienne.
Une table de patronat trouve en Espagne le nomme co-
mes et praeses(4), tandis que la Notice lappelle dux et prae-
ses(5). Il parat assur que ces deux appellations sont quiva-
lentes. Le titre de comes a t introduit abusivement dans le
texte dEspagne, comme il est arriv dans certains passages
du Code Thodosien et mme ailleurs(6). Tout duc tant comte,
pour le moins comes minor(7), on peut, la rigueur, substituer
un titre lautre, bien que gnralement cette interversion ne
se produise, comme nous lavons dit plus haut, que pour les
comtes de premier ordre. Aussi admettrons-nous ici que la
Maurtanie Csarienne a toujours eu sa tte un duc, le peu
dimportance du gouvernement de la province cette poque
ne rclamant pas un chef plus considrable.
____________________
(1) Ammian., XXI, 16. M. Jullian (Bull. pigr., 1884, p. 2) place entre 363 et
378 la rforme qui permet aux snateurs daspirer aux commandements militaires.
(2) Oc., XXXI.
(3) Ibid., 32-41 : Officium autem habet idem vir spectabilis dux hoc
modo : Principem ex officiis magistrorum militum praesentalium alteris annis ;
numerarios utrosque ; commentariensem utrumque ; cornicularium ;
adjutorem ; subadjuvam ; regerendarium ; exceptores singulares et
reliquos officiales.
(4) C. I. L., II, 2.210 : Fl. Hygino v. c. comiti et praesidi p. M. C. .
(5) Not. Dign., Oc., XXX. Ailleurs, elle le nomme Dux limitum ou
limitis (I, 38 ; V, 134).
(6) Cod. Theod., VII, 4, 36 ; 9, 2 ; 11, 1 et 2 ; VIII, 5, 49, etc.
(7) Cf. Mommsen, Gesammelte Schriften, VI, p. 272.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 725

On remarquera que, dans les deux cas o il est question de


ce personnage, il cumule les fonctions civiles et les fonctions
militaires, lexemple de lancien procurateur. Dun autre
ct, nous possdons quelques textes relatifs des praesides
qui ne sont point qualifis en mme temps de duces ; mais ces
textes sont tous antrieurs la mort de Constantin(1).
Il est donc probable que, dans la seconde moiti du IVe
sicle, on recommena confier les pouvoirs militaires et les
pouvoirs civils au mme fonctionnaire. Cette combinaison
nest point, dailleurs, propre la Maurtanie Csarienne :
nous lavons dj signale propos du duc de Tripolitaine.
On pourrait en citer encore dautres exemples : celui du gou-
verneur de Sardaigne, que le Code Thodosien nomme, en
382, dux et praeses(2).
On peut conclure de ce fait que le rle militaire attribu
au commandant de la Maurtanie Csarienne avait consid-
rablement diminu cette date : cest ce dont nous trouvons
ailleurs dautres indices. Il parat bien, en effet, que le duc de
Csarienne tait, du moins dans la seconde moiti du IVe si-
cle, plus ou moins dpendant du comte dAfrique(3). Cest ainsi
que trois des chefs-lieux du limes les plus importants du pays,
celui de Bida au centre du massif kabyle, celui de Columnata
au sud de lOuarsenis et celui de Caput Cilani, prs de Mda,
dpendaient la fois, suivant la Notice des Dignits, du comte
dAfrique et du duc de Csarienne(4), cest--dire quen ralit,
____________________
(1) C. I. L., 4135 (sous Diocltien) ; Ibid., 20989 (an 311 ou 312) ;
ibid., 21449, 21450 (entre 333 et 337). Cf. Pallu de Lessert, Les gouverneurs
de Maurtanie, p. 132 et suiv.
(2) Cod. Theod., IX, 27, 3, cf. Cod. Just., VII, 62, 32, 1.
(3) Mommsen a dfi avanc le fait (C. I. L., VIII, p. XXIII), et il ne
semble pas que les objections qui ont t prsentes contre cette opinion
(Pallu de Lessert, op. cit., p. 109 et suiv.) soient assez fortes pour la faire
rejeter.
(4) Not. Dign., Oc., XXV et XXX.
726 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

au moins dans ces rgions, celui-ci tait subordonn celui-


l. Ailleurs, prs de Mouzaaville, en pleine Csarienne, on
a trouv une inscription du milieu du IVe sicle(1) relative
la reconstruction des murs de la place ; elle fut faite, y est-il
dit, daprs les ordres des comtes . Or les comtes, ce sont
videmment, prendre les termes dans le sens le plus simple,
le comte dAfrique et le duc de Csarienne (comes minor).
Ce texte conduit la mme conclusion que les donnes de la
Notice.
Rapproches de ce qui a t dit quelques lignes plus
haut, ces remarques permettent de conclure que le pouvoir du
duc de Csarienne fut restreint dans le courant du IVe sicle
au profit du comte dAfrique, dont lautorit stendit ds lors
directement sur la Sitifienne, comme par le pass, et indirec-
tement sur la Csarienne ; et lon sexplique alors pourquoi,
partir de cette poque, le chef militaire fut en mme temps
charg de ladministration civile du pays.
Les bureaux du duc de Csarienne taient composs
comme ceux du comte dAfrique(2).
4. MAURTANIE TINGITANE.

Au contraire, la Tingitane, qui formait la dfense avance


de lEspagne du ct du Sud et qui, par suite, tait une provin-
ce militaire importante, avait sa tte un comte, cest--dire
____________________
(1) C. I. L., VIII, 9282 : [Sal]vis. dd. nn. [qui nu]ne florent Constan-
tio [Aug. nost]ro hoc [et] Constantio [Caes. nostro] cuncta comitum [execu-
tus] jussa nova moenia [num]ine juvante rel[e]cit [ordo cu]m populo loto [re]
ip. cuncto.
(2) Not. Dignit., Oc., XXX, 20 29 : Officium autem habet idem vir
spectabilis dux et praeses hoc modo : Principem ex officiis magistrorum mi-
litum praesentalium alternis annis ; numerarios duos, singulos ex officiis
suprascriptis ; commentariensem ex officiis suprascriptis al-ternis annis ;
cornicularium ; adjutorem ; subadjuvam ; regerendarium ; ex-
ceptores ; singulares et reliquos officiales.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 727

un dux limitis avec rang de comes primi ordinis(1). Perfectissi-


me comme tous les ducs, jusque vers lpoque de Constance,
le comte de Tingitane tait vir spectabilis au dbut du VIe
sicle(2).
La composition de ses bureaux est la mme que celle de
ses collgues africains(3).
____________________
(1) Not. Dign., Oc., I, 30 et suiv. ; XXVI ; C. I. L., XII, 673.
(2) Not. Dign., Oc., XXVI.
(3) Ibid., 21-30 : Officium autem habet idem vir spectabilis comes
hoc modo : Principem ex officiis magistrorum militum praesentalium, uno
anno a parte peditum, alio anno a parte equitum ; commentariensem, ut
supra ; numerarios duos, singulos ex officiis supradictis ; cornicula-
rium ; adjutorem ; subadjuvam ; regerendarium ; exceptores ;
singulares et reliquos officiales.
728 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

CHAPITRE II.

LARME DOCCUPATION.

PREMIRE SECTION.
ARME MOBILE. SA COMPOSITION. SES VARIATIONS.

I. AFRIQUE.

Ce nest pas avec la mention de trois ou quatre corps de


troupes signals par des inscriptions, ou quelques allusions
obscures chez les auteurs, que lon peut se faire une ide de
larme doccupation de la province militaire dAfrique au
IVe sicle.
Le seul fait quil soit permis davancer est la perma-
nence cette date de la lgion IIIe Auguste : comme on la
retrouve encore signale dans le pays lpoque de la Notice
des Dignits(1), il est certain quelle ne quitta jamais lAfri-
que. Mais on ignore o elle tait campe aprs Diocltien.
Les inscriptions de Lambse postrieures ce prince ny font
plus aucune allusion ; ce qui tendrait tablir quelle avait
quitt son ancien camp. Il faut avouer pourtant quil est dif-
ficile de tirer du silence des quelques textes pigraphiques de
cette priode trouvs Lambse une conclusion ferme(2).
Il nen est, au reste, question nulle part ailleurs, dans les
____________________
(1) Not. Dign., Oc., VII, 151. Les Tertii Augustani sont nomms aussi
dans une loi du Ier aot 321 (Cod. Theod., IV, 13, 3).
(2) Cf., sur cette question, Wilmanns, tude sur Lambse, p. 31 et suiv.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 729

inscriptions, non plus que de ses anciennes troupes auxiliai-


res.
Pour le Ve sicle, on a conserv un document de grande
valeur : cest la liste des lgions, des auxilia et des vexilla-
tiones qui composaient larme dAfrique. Le chapitre de la
Notice o ces corps sont numrs(1) est ainsi conu :

INTRA AFRICAM CUM VIRO SPECTABILI COMITE AFRICAE.

Celtae Juniores. Auxilium palatinum.


Armigeri propugnatores seniores ... Legiones palatinae
Armigeri propugnatores juniores.. . Legiones palatinae
Secundani Italiciani Legio comitatensis.
Cimbriani Legio palatina.
Primani ou leg. I Fl. Pacis(2) Legiones comitatenses.
Secundani ou leg. II Fl. Virtutis(3). Legiones comitatenses.
Tertiani ou leg. III FI. Salutis(4) Legiones comitatenses.
Constantiniani ou leg. II FI. Constantiniana(5) Legiones comitatenses.
Constantiaci ou leg. FI. Victrix Constantina(6) Legiones comitatenses.
Tertioaugustani. Legiones comitatenses.
Fortenses Legiones comitatenses.
Equites Stablesiani Italiciani Vexillationes comitatenses.
Equites Scutarii seniores Vexillationes comitatenses.
Equites Stablesiani seniores ou equites St. Africani(7) Vexillationes comitatenses.
____________________
(1) Oc., VII, 140 152 ; 157 198. Cf. V et VI. On remarquera que les
effectifs monts tiennent une place considrable dans cette liste.
(2) Ibid., V, 249.
(3) Oc., V, 250.
(4) Ibid., 251.
(5) Ibid., 253.
(6) Ibid., 252.
(7) Ibid., VI, 64.
730 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Equites Marcomanni Vexillationes comitatenses.


Equites Armigeri seniores Vexillationes comitatenses.
Equites Clibanarii ou equites
Sagittarii clibanarii(1) Vexillationes comitatenses.
Equites Parthi sagittarii seniores Vexillationes comitatenses.
Equites Cetrati seniores Vexillationes comitatenses.
Equites primo Sagittarii Vexillationes comitatenses.
Equites secundo Sagittarii Vexillationes comitatenses.
Equites tertio Sagittarii Vexillationes comitatenses.
Equites quarto Sagittarii Vexillationes comitatenses.
Vexillationes comitatenses. Vexillationes comitatenses.
Equites Parthi sagittarii juniores Vexillationes comitatenses.
Equites Cetrati juniores Vexillationes comitatenses.
Equites Promoti juniores Vexillationes comitatenses.
Equites Scutarii juniores Vexillationes comitatenses.
Equites Honoriani juniores Vexillationes comitatenses.
Equites Scutarii juniores scholae
secundae ou equites
secund. Scut. juniores(2) Vexillationes comitatenses.
Equites Armigeri juniores Vexillationes comitatenses.

Ce qui donne, au total, une arme (Loccupation compo-


se de :

Trois lgions palatines ;


Huit lgions comitatenses ;
Un auxilium palatin ;
Et dix-neuf vexillationes comitatenses(3).
____________________
(1) Not. Dign., Oc., 67.
(2) Ibid., 81
(3) En admettant les chiffres que donne Mommsen comme reprsen-
tant leffectif de chaque troupe aprs Diocltien (Gesamm. Schriften, VI,
p. 260 et suiv.), on arrive, pour les corps dAfrique mentionns par la Notice,
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 731

Parmi les leqiones comitatenses figure, ainsi quon la


remarqu, la IIIe Auguste.
De toutes ces troupes, trois seulement sont mentionnes
par des inscriptions : les Equites Armigeri juniores, ou plutt
un de leurs prposs, Flavius Nuvel(1), les Equites Stablesiani
et leur prfet Valerius(2) et la lgion secunda Flavia Virtutis(3)
avec son centurion Valentinus. Deux autres sont cites dans
le rcit de la guerre de Firmus par Ammien Marcellin : les
Constantiani et les Equites quarto Sagittarii(4).
Ce sont galement des inscriptions qui nous font connatre
le numerus Hipponensium Regiorum(5), compos dhabitants
dHippone et de la rgion voisine, dont le tribun tait peut-tre
charg de surveiller la cte(6), ainsi quun numerus electorum(7)
____________________
aux chiffres suivants :
3 lgions palatines de, 1000... 3000 hommes.
8 lgions comitatenses de 1000.. 8000 hommes.
1 auxilium palutinum de 500... 500 hommes.
19 vexillationes comitatenses de 500 9500 hommes.
TOTAL 21000 hommes.
Cest un nombre dhommes suprieur celui que nous avons constat
au haut Empire pour la garnison rgulire de la Province dAfrique propre (IIIe
Auguste et auxiliaires).
(1) C. I. L., VIII, 9255. Il est peut-tre question aussi des Armigeri dans deux
autres textes, lun de Miliana (ibid., 9613) lautre de Kemellel (Ann. pigr. 1909, 120).
(2) C. I. L., VIII, 8490 : Valerius Marcellinus eques de subcura Valeri [p]
rae[f]. equitum Sta[bl]esianorum.
(3) C. I. L., VIII, 23181 : Fortunula uxor Valentini centurionis legionis se-
cunde Flavie Virtutis. La lgion II Flavia mentionne sur une brique trouve
dans le fortin de Ksar-Ghelane est peut-tre la mme (C. I. L., VIII, 22631, 33).
(4) Ammian., XXIX, 5, 20.
(5) C. I. L., VIII, 5229 ( Bne) : Buraido milex de num. Hipp. Regi[or(um)]
vixit in pace ann. XL, militabit octodecim, quiebi(t) s(u)b d(ie) tertia n(onas)
Juli(as) indi(c)tione nona. Lemploi de lindiction, comme du reste toute la
rdaction de ce texte, nous prouve que cette inscription appartient bien la priode
post-diocltienne.
(6) Augustin., Epist., 115 : Continuo misi ad tribunum qui custodiendo lit-
tori constitutus est. Saint Augustin signale aussi un castellum Fussala, prs
Hippone (Epist., 209), o le numerus Hipponensium a pu exercer une surveillance.
(7) Ann. pigr., 1901, 113.
732 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

et un numerus bis elect(or)um(1) sur lesquels on na aucun


autre renseignement. Ces trois textes peuvent tre rapports
la fin du IVe sicle ou au dbut du Ve(2).
Il est plus difficile encore de savoir quelles sont les trou-
pes trangres qui vinrent en Afrique porter secours au corps
doccupation dans les circonstances difficiles.
Outre une inscription o figure le nom du numerus Mar-
tensium qui tenait garnison en Gaule(3), on na gard ce sujet
quun seul renseignement prcis(4) dans Claudien. Cet auteur,
numrant les diffrents corps que Macsezel amena avec lui,
sexprime ainsi(5) :
Herculeam suus Alcides, Joviamque cohortem
Rex ducit Superum ; premitur nec signifer ullo
Pondere, festinant adeo vexilla moveri.
Nervius insequitur, meritusque vocabula Felix,
Dictaque ab Augusto legio, nomenque probantes
Invicti, clypeoque animosi teste Leones.

Au premier vers, il est question certainement dHerculia-


ni : ce sont les Herculiani seniores dItalie(6), les Herculiani
____________________
(1) C. I. L., VIII, 17414 : Martis senator de numeru bis elect(or)um fide-
lis vixit in pace ann(i)s LX ; cuiebit sub non(is) Aug(ustis) indic(tione) XV.
(2) On a retrouv dans le cimetire de Concordia, qui date du dbut
du Ve sicle, la mention des Fortenses (Notizie degli scavi, 1887, p. 340) :
Flavius] olus de numero Forten[si]um c i arcam de [p]ro[pr]io ? suo
[sibi posuit. Si quis eam aperire vol]uerit per Comme le numerus tait en
Afrique, cette date, suivant la Notice (Oc., VII, 121), il faut supposer que
ce soldat tait venu Concordia, dtach peut-tre la fabrique de flches
tablie en cet endroit, comme dautres qui sy trouvaient pour le mme motif
et qui y sont morts. (Cf. C. I. L., V, p. 1059.)
(3) Ibid., VIII, 16551 : Val. Vitalis mil. ex n. Martens. de Galles
s(emissalis ?).
(4) Le Aurelius Nigrinus miles moes(iacus) provincie Memesi(ae)
Superioris de Lambse (C. I. L., VIII, 18290) appartient un corps de se-
cours ; mais le nom du corps nest pas mentionn.
(5) De bel. Gild., 420 et suiv.
(6) Not. Dign., Oc., V, 3 = 146 = VI, 4.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 733

juniores taient une troupe dOrient(1). La Jovia cohors qui


vient ensuite peut sentendre de Joviani ou plutt de Jovii.
Les Joviani seniores faisaient partie de la garnison dItalie(2),
de mme que les Jovii seniores(3) ; les Jovii juniores cam-
paient en Illyricum(4), et les Jovii juniores Gallicani en Gau-
le(5). Il est permis dhsiter entre ces quatre troupes. Les Ner-
vii nomms au quatrime vers sont trs difficiles identifier.
En laissant de ct les Nervii dOrient, on a le choix entre les
Nervii de Belgique(6), les Nervii Dictenses de Bretagne(7), les
Sagittarii Nervii dEspagne(8) et les Sagittarii Nervii Galli-
cani de Gaule(9). Les Felices seniores taient camps en Es-
pagne(10), les Felices juniores en Italie(11) ; enfin il y avait des
Felices juniores Gallicani enGaule(12). Pour la lgion dicta
ab Augusto , on peut se demander sil faut entendre par l la
legio II Augusta de Bretagne(13) ou la legio VIII Augusta(14) ta-
blie en Italie ; cette dernire, pourtant, est prfrable. Mme
hsitation pour les Invicti et pour les Leones : les Invicti se-
niores tait en Espagne(15), les Invicti juniores Britanniciani
galement(16) ; les Leones seniores appartenaient larme de
Gaule(17) et les Leones juniores celle dItalie(18).
En rsum, quelque impossible quil soit dtre fix exac-
tement sur la nature des troupes de secours amenes par Mac-
sezel, il est certain quelles appartenaient surtout lItalie et
lEspagne ; quelques-unes ont pu tre empruntes la Gaule(19).
____________________
(1) Not. Dign., Oc., V, 4 = 44. (11) Not. Dign., Oc., V, 32 = 180 =
(2) Ibid., V, 2 = 145 = VII, 3. VII, 23.
(3) Ibid., V, 23 = 168 = VII, 16. (12) Ibid., V, 69 = 217.
(4) Ibid., V, 36 = 184 = VII, 42. (13) Ibid., XXVIII, 19.
(5) Ibid., V, 64 = 212 = VII, 76. (14) Ibid., V, 10 = 153 = VII, 28.
(6) Ibid., XXXVIII, 9. (15) Ibid., V, 34 = 182 = VII, 125.
(7) Ibid., XL, 23. (16) Ibid., V, 57 = 206 = VII, 127.
(8) Ibid., V, 25 = 170 = VII, 121. (17) Ibid., V, 26 = 171 = VII, 65.
(9) Ibid., V, 63 = 211 = VII, 75. (18) Ibid., V, 27 = 172 = VII, 19.
(10) Ibid., V, 31 = 179 = VII, 124. (19) Thodose prit la mer Arles
(Ammian., XXIX, 5, 4).
734 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

De toute faon, il faut reconnatre quon les avait demandes,


ce qui est tout naturel, aux provinces voisines de lAfrique.

2. TRIPOLITAINE.

On na aucun renseignement sur larme mobile de la


Tripolitaine : il nen est question ni dans la Notice des Digni-
ts, ni dans les inscriptions. Au reste, dans un pays qui na
jamais compris quune troite bande de terrain entre la mer et
les dserts, il devait tre presque impossible matriellement
de distinguer les troupes des frontires de celles de lint-
rieur. Il se peut donc que lomission de la Notice soit, non le
rsultat dune erreur, mais bien la constatation dun fait.

3. MAURTANIE CSARIENNE.

On ne peut gure admettre la mme conclusion pour lar-


me mobile de Csarienne, bien que la Notice des Dignits
nen fasse pas, non plus, la moindre mention. Cette lacune est
assurment le rsultat dune omission. Elle est dautant plus
regrettable, quaucun autre document ne nous fait connatre
les forces runies dans le pays au bas Empire(1). Deux textes
pigraphiques, pourtant, doivent tre rappels ici, car ils sem-
blent nous avoir conserv le souvenir de dtachements venus
en expdition dans le pays.
____________________
(1) On peut cependant rappeler deux inscriptions : une, de Cherchel,
qui fait connaitre un eq(ues) ex n(umero) Ques ? peut-tre postrieur
Diocltien (C. I. L., (VIII, 21119) ; et lautre, de Sidi-Ali-ben-Youb, qui est
lpitaphe dun sesquiplicarius Osdroenorum . Il y avait, au temps de
la Notice, des Osrhoeni en Osrhone (Not. Dign., Or., XXXV, 23) ; mais la
date de ce texte pigraphique (C. I. L., VIII, 9829) ne peut tre tablie dune
faon certaine, et le texte mme en est douteux.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 735

Lun, trouv Stif, est un ex-voto consacr Mithra


par les cohortes VIIe et Xe de la lgion IIe Herculia, cre
par Diocltien et qui reut son surnom de Maximien Hercule.
On est tent de rapporter leur prsence en Afrique la guerre
des Quinquegentanei, loccasion de laquelle Maximien lui-
mme, aprs sa campagne de Gaule et de Germanie, passa la
mer(1) pour achever la victoire remporte par le procurateur
de Csarienne, Aurelius Litua. Le monument, qui reprsente
le sacrifice rituel du taureau, suivant le type bien connu, est
dun style si mauvais et dune facture si grossire, que lon
ne saurait prciser quel sicle il appartient(2). La lgion IIe
Herculia est une lgion du Danube(3).
La seconde inscription fait mention dun soldat de la
lgion XI Claudia obitus in Mauretania (4). Elle serait,
daprs Mommsen, du IVe ou au moins du IIIe sicle, com-
me les autres documents relatifs cette lgion dcouverts en
mme temps(5). La lgion XIe Claudia, qui est aussi un corps
des confins danubiens(6), envoya donc, semble-t-il, un dta-
chement en Maurtanie pour quelque expdition dont la date
ne saurait tre prcise.
4. MAURTANIE TINGITANE.

Au contraire, la Notice nous a gard des renseignements


assez prcis sur larme mobile de Tingitane.
____________________
(1) Voir plus haut, p. 68.
(2) La reproduction qui en est donne dans le Recueil de Constantine
(XXII, 1882, pl. XIII) est exacte. Loriginal est aussi sec et aussi barbare que
le dessin le laisse supposer.
(3) Not. Dign., Or., XXXIX, 29 a 31 ; C. I. L., III, 6914 (a Troesmis)
et p.999.
(4) C. I. L., V, 893 : Aurelius Dizo milex leg. XI Claud. vixit ann.
XXVII, milit. ann. quinque ; obitos in Mauretania ; bene merenti cives et
commanipuli de suo fecerunt.
(5) Cf. le commentaire de linscription.
(6) Not. Dign., Or., XL, 33 35.
736 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Elle sexprime ainsi(1) :

INTRA TINGITANIAM CUM VIRO SPECTABILI COMITE.

Mauri Tonantes juniores Auxilia palatina.


Mauri Tonantes seniores Auxilia palatina.
Constantiniani Legio pseudocomitatensis.
Septimani juniores. Legio comitatensis.
Equites Scutarii seniores Vexillationes comitatenses
Equites Sagittarii seniores Vexillationes comitatenses
Equites Cardueni. Vexillationes comitatenses

Daprs ce document, donc, et en supposant que les don-


nes quil contient soient fidles, il y avait dans le pays une l-
gion comitatensis, une lgion pseudocomitatensis, deux auxi-
lia palatina et trois vexillationes comitatenses, sans compter
la garnison des frontires.
Parmi les troupes appeles, en cas de danger, renforcer
larme doccupation, on doit peut-tre signaler, en lanne
298, la lgion ne Trajana. Voici, en effet, ce quon lit dans les
actes des Martyrs(2) :
In civitate Tingitana procurante Fortunato praeside, advenit natalis dies
Imperatoris ; Marcellus quidam ex centurionibus legionis Trajanae(3) re-
jecto etiam cingulo militari coram signis legionis abjecit quoque vitem et
arma Stupefacti sunt autem milites et nuntiaverunt Anastasio Fortunato
praesidi legionis.
____________________
(1) Oc., VII, 135 139, et 207 209. Cf. V, 221 et suiv. ; VI, 63 et suiv.
(2) Ruinart, Act. martyr. (dit. 1753, in-fol., p. 302 et 303).
(3) Un des manuscrits (Cod. Llo) ne porte pas Trajanae ; aussi Surius
(De probatis sanctorum historiis, V. p. 976) supprime-t-il ce nom ; Baronius
(Martyrol., p. 458) fait de mme. Mais, dans ses Annales ecclesiastici (II, p.
686), il fait figurer Trajanae dans le texte.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 737

Si ce texte doit tre accept tel quil vient dtre trans-


crit, ce qui est loin dtre certain(1), car les manuscrits ne
sont pas daccord entre eux, et si, par suite, la lgion Tra-
jana dAlexandrie tait Tanger la fin du IIIe sicle, cest
que lempereur Maximien ly avait appele pour aider la
pacification de la province et maintenir les populations de la
Tingitane pendant quil combattait lui-mme en Csarienne.

5. PERSONNEL.

Nous ne possdons pas non plus de renseignements s-


rieux sur le personnel qui composait les troupes dAfrique.
Aussi suffira-t-il de rappeler en deux mots quelle tait, cette
date et autant quon peut le savoir, lorganisation du com-
mandement dans les troupes mobiles.
A partir de Constantin, la lgion na plus sa tte le
prfet qui la dirigeait depuis Gallien. On en est revenu au
systme rpublicain o la conduite de la lgion ou plutt des
diverses parties de la lgion tait confie aux six tribuns ;
ceux-ci en commandent les diffrents dtachements(2). Lun
deux concentre videmment entre ses mains les pices rela-
tives ladministration de la lgion entire, du moins celles
que la dcentralisation du commandement a laiss subsister.
Le chef dune vexillation porte aussi le titre de tribu-
nus ; mais on trouve galement, moins souvent il est vrai, le
titre plus modeste de praepositus ou celui de praefectus(3).
On peut donc dire qu cette poque les chefs de troupes se
nomment gnralement tribuns.
Au-dessous, on rencontre diffrents officiers sur les fonc-
____________________
(1) Voir la note prcdente.
(2) Mommsen, Gesammelte Schriften, VI, p. 223 et 224.
(3) Cf. ibid, p. 273 et 274, et C. I. L. V, p. 1059.
738 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

tions desquels on na pas malheureusement de donnes suffi-


santes(1). Saint Jrme nous a gard le souvenir(2) de ceux qui
existaient dans la cavalerie :
Fine aliquem, dit-il, tribuniciae potestatis suo vitio re-
gradatum per singula militiae equestris officia et tironis voca-
bulum devolutum. Numquid ex tribuno statim fiet tiro ? Non,
sed ante primicerius, deinde senator, ducenarius, biarcus, cir-
citor, eques, dein tiro.
La position la plus basse tait celle de simple cavalier ;
on devenait ensuite circitor. Godefroy(3) admet que ce nom
tait donn ceux qui recevaient double ration et quon nom-
mait autrefois duplicarius : le circitor naurait t, en ralit,
quun cavalier de premire classe(4). Le biarcus, immdiate-
ment suprieur au circitor, tait, dit-on, commissaire aux
vivres . On se fonde, pour mettre cette opinion, sur lty-
mologie du mot(5). Dans le ducenarius il faut voir, daprs Du
Cange, un officier qui commandait deux centuries(6). Le mme
auteur, rapportant lopinion des hagiographes, fait du senator
lofficier charg de rendre la justice(7). Le primicerius, ainsi
que le nom seul lindique, tait le premier en dignit.
Dans linfanterie, les trois grades les plus levs taient
ceux de ducenarius, de centenarius et de biarcus(8). Dans le
centenarius on doit reconnatre lancien centurion(9), dont le
titre parat navoir t maintenu que pour les lgions(10).
____________________
(1) On en trouvera la liste au Ve volume du Corpus, p. 1059.
(2) Ad Pammachium, contra Johannem Hierosol., 19 (II p. 370, d. Migne).
(3) Ad Cod. Theod., VII, 22, 2.
(4) Cf. Vgce (III, 8), qui les reprsente comme des soldats dlite.
(5) Cf. Du Cange, Gloss., s. v.
(6) Cf. Du Cange, Gloss., s. v.
(7) Ibid., s. v.
(8) Mommsen, C. I. L., V, p. 1059.
(9) Cf. Du Cange, Gloss., s. v. Veget., II, 8 et 13.
(10) Voir linscription cite plus haut, p. 731, note 3.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 739

Les textes du cimetire de Concordia, qui remontent


lpoque dArcadius et dHonorius(1), nous ont aussi conser-
v les titres de semissalis et de magister primus, dont on ne
connat pas la valeur ; celui de campidoctor, qui existait dj
aux premiers sicles et qui dsigne le sous-officier instruc-
teur ; celui de druconarius et celui de semaforus, quivalents
au signifer du haut Empire. Lexpression de signifer se lit
pourtant encore dans certaines inscriptions(2). Ajoutons-y en-
fin, pour clore cette liste, le titre dhexarchus(3) ; la valeur de
ce dernier na pas encore t dtermine.

SECONDE SECTION.

ARME SDENTAIRE DES FRONTIRES.

Larme des frontires se composait de deux sortes de sol-


dats. Les uns, en tout semblables ceux que nous avons numrs
plus haut, rpartis en cohortes, ailes, troupes diverses dinfante-
rie ou de cavalerie, ne diffraient en ralit des troupes mobiles
que parce quils taient sous les ordres immdiats des ducs et
des comtes, et non pas, comme dit la Notice, sub dispositione
viri illustris magistri peditum praesentalis ; ils nappartenaient
point aux palatini ni aux comitatenses et navaient aucune at-
tache directe avec lempereur. On en connat fort peu pour les
provinces africaines. Les autres, sous le nom de limitanei ou de
foederati, formaient une classe particulire de troupes spcia-
lement attaches la garde du limes, et dotes cet effet dune
organisation particulire. A sen tenir aux renseignements que
nous possdons et qui sont probablement fort incomplets, ils
____________________
(1) C. I. L., V, p. 109. Cf. Notizie degli scavi, 1890, p. 169 el suiv. ; p.
339 et suiv
(2) C. I. L., V, 5823.
(3) Ibid., III, 405 ; V, 4376, 5823, 6998, 7000, 7001, 7012.
740 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

paraissent avoir form la presque totalit des soldats chargs


de garder la frontire en Afrique.

I. AILES, COHORTES, NUMERI.

On ne rencontre de numeri quen Tripolitaine et en Tin-


gitane. En Tripolitaine, la Notice des Dignits(1) signale les
milites Fortenses, quil ne faut pas confondre avec la legio
comitatensis Fortensium dAfrique, cite plus haut, et les mi-
lites Munifices. Les premiers taient camps Leptis Magna,
et les seconds un endroit que lon na pas encore identifi.
En Tingitane, il y avait, daprs le mme document(2),
une aile et sept cohortes : lala Herculea, la cohors II His-
panorum, la cohors I Herculea, la cohors I Ityraeorum, la
cohors Pacatianensis, la cohors III Asturum, la cohors Fri-
glensis, et enfin une cohorte dont le nom a t omis sur le ma-
nuscrit. Parmi ces diffrents corps, les uns sont des troupes
locales ou de formation relativement rcente : telles sont la
cohors Pacatianensis campe Pacatiana, et la cohors Fri-
glensis tablie Friglae (Frigidae), ainsi que la cohorte et
laile dites Herculea. Les autres existaient dj au haut Em-
pire ; peut-tre mme faisaient-elles partie des garnisons can-
tonnes antrieurement dans le pays(3). On le saura sans doute
dune faon certaine le jour o le Maroc, mieux connu, aura
livr un plus grand nombre dinscriptions militaires.
____________________
(1) Oc., XXXI, 29 et 30.
(2) Oc., XXVI.
(3) Nous avons signal plus haut ( p.259 ) la prsence possible en
Tingitane dune coh. III Asturum. Quant la cohors II Hispanorum et la
cohors Ityraeorum il y eu avait plusieurs de ce nom dans larme romaine. Il
se peut donc que des corps ainsi dsigns aient figur avant Diocltien parmi
les troupes de Tingitane. M. Cichorius suppose que la coh. II Hispanorum de
Tingitane serait celle de Numidie (voir plus haut p. 203), qui aurait chang
de garnison postrieurement.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 741

2. LIMITANEI.

A ct de ces corps, jai nomm les troupes de frontire


proprement dites, ou limitanei. Leur condition nous est sur-
tout connue par le Code Thodosien, qui a consacr un titre
entier aux terrae limitaneae(1). Or il se trouve que la premire
constitution comprise dans ce titre, la plus importante, est
prcisment adresse au vicaire dAfrique, et par suite dfinit
surtout la condition des limitanei de cette province. Il nous
sera donc facile de nous faire une ide exacte de la faon dont
la garnison des frontires y tait assure de ce fait.
En parlant plus haut des troupes du limes au bas Em-
pire, jai prononc le mot darme territoriale ; cest en effet
celui qui dfinit le mieux les limitanei. Ceux-ci sont bien des
soldats, car ils se battent et vivent sous les armes ; mais ce
sont des soldats dune espce spciale, des soldats-colons ;
jai dj signal ce genre de troupes en parlant des vtrans et
du rle quils taient appels jouer au haut Empire dans la
dfense des frontires.
Ds le temps dAlexandre-Svre(2), on trouve des tablis-
sements de cette espce sur le limes ; mais ce qui ntait alors
quune exception devient la rgle aprs Diocltien ; ce qui ne
sappliquait quaux vtrans stend tous les hommes tablis
aux frontires(3). Sils sont fixs sur le territoire de castra, ce
seront des castriciani(4) ; sils sont voisins dun castellum, ils
____________________
(1) Cod. Thod., VII, 15.
(2) Vita Alexandri, 58.
(3) Sur les limitanei, cf. Godefroy, ad Cod. Theod., VII, 15, 1).
On peut consulter aussi Kuhn, Die Verfassung des rm. Reichs, I, p. 138
et suiv.
(4) Vita Aurel., 26 ; Cod. Theod., VII, 1, 18.
742 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

auront le nom de castellani(1). Mais il ny a l que des diff-


rences de mots : la situation de tous est la mme.
Les limitanci taient propritaires du terrain quils taient
appels garder ; on voyait l un moyen dassurer leur dvoue-
ment lEmpire. Svre-Alexandre, dit son biographe(2),
comprit quils serviraient lEmpire avec plus de cur sils d-
fendaient en mme temps et par l mme leur proprit.
Mais cette proprit nexistait qu la condition formelle
que le dtenteur dfendit le limes(3) ; on ne pouvait la transmettre
ses enfants qu la mme condition(4). A plus forte raison ne
devait-on cder ses droits des trangers que si ceux-ci taient
aptes remplir le rle de soldats(5), ces terres tant le loyer
non de services passs, comme il arrivait pour les vtrans,
mais de services prsents et toujours renouvels. En change
de cette sujtion, les empereurs accordaient ces cultivateurs
____________________
(1) Cod. Theod., VII, 15, 2. Les burgarii, quon pourrait tre tent den rap-
procher, ne sont pas des soldats, mais des esclaves publics attachs la garde des
burgi, aux frontires. Dans un certain sens, ils participent la dfense du limes, et
cest pour cela quil fallait en parler ici. Cf. Godefroy, ad Cod. Theod., VII, 14.
(2) Vita Alexandri, 58.
(3) Cod. Theod., VII, 15, 1 (an 409) : Gaudentio vicario Africae.Terra-
rum spatia quae gentilibus propter curam munitionemque limitis atque fossati
antiquorum humana fuerant provisione concessa, quoniam comperimus aliquos
retinere, si eorum cupiditate vel desiderio retinentur, circa curam fossati tutio-
nemque limitis studio vel labore noverint serviendum ut illi quos huic operi anti-
quitas deputarat. Alioquin sciant haec spatia vel ad gentiles si potuerint inveniri,
vel certe ad veteranos esse non immerito transferenda ; ut hac provisione, servata
fossati limitique, nulla, in parte timoris esse possit suspicio. Cf. Nov. Theod.,
Jun., XXIV, 4 = Cod. Just., XI, 60, 3 : Agros etiam limitaneos universos cum
paludibus onmique jure, quos ex prisca dispositione limitanei milites ab omni
munere vacuos ipsi curare pro suo compendio atque arare consueverant, etsi in
praesenti coluntur, ab his firmiter ac sine ulto concussionis gravamine detineri ;
et si ab aliis possideantur, cujuslibet spatii temporis praescriptione cessante ab
universis detentatoribus vindicatos hisdem militibus sine ullo prorsus, sicut, an-
tiquitus stalutum est, collationis onere volumus adsignari , etc.
(4) Vita Alexandri, 58
(5) Cod. Theod., VII, 15, 2.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 743

arms de srieuses faveurs(1) :les terres du limes ntaient point


frappes dimpt ; elles ntaient greves daucune charge et
nentranaient aucune obligation, hormis celle du service mi-
litaire.
Les troupes sdentaires de la frontire ntaient donc
point, proprement parler, en majorit du moins, une arme,
mais une population en armes qui, pendant la paix, cultivait
la terre et qui se levait la menace dune guerre ou dune in-
cursion ennemie. videmment cette population tait soumise
une discipline, et tenue en temps ordinaire certains exer-
cices.
Il est ais de se figurer quelle tait la constitution de
ces troupes. Les soldats devaient tre groups daprs le
territoire quils occupaient ; les habitants du mme bourg
faisaient partie de la mme compagnie ; on les runissait
plusieurs autres units semblables pour faire un rgiment,
qui entrait lui-mme dans un ensemble pour former une di-
vision.
On a vu une organisation analogue stablir, il y a deux
sicles, sur les confins militaires de la Hongrie. A lpoque du
prince Eugne, pour protger la population de la frontire et lui
donner une certaine consistance, on eut lide de la soumettre
un rgime militaire ; le territoire fut divis en rgiments et en
compagnies ; les habitants furent enrls et des chefs choisis
mis leur tte. En change, on leur concda des terres, mais
la condition de sexercer et de faire le service de la frontire.
L aussi on nexigea presque pas dimpts, au moins en ar-
gent : on demanda surtout des prestations en nature ; le pro-
duit des uns et des autres tait consacr aux frais de lentretien
des troupes et lalimentation de la population locale. Cette
____________________
(1) Nov. Theod., XXIV, 4. Voir la note 3 de la page prcdente.
744 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

organisation durait encore intacte, il y a moins de cent ans(1).


Elle peut donner une ide trs exacte de ce qui existait au
IVe et au Ve sicle sur le limes africain. Justinien, aprs la
conqute du pays, y rtablit des limitanei(2).
On employait aussi la dfense de la frontire, ct des
limitanei, les peuplades voisines, mais non sujettes des Ro-
mains, les foederati(3). Nous avons dj signal ce fait, quand
nous avons parl des milices indignes de lAfrique ; nous
avons vu, mme au haut Empire, les populations africaines
prter leur concours, volontaire souvent, larme doccupa-
tion ou aux troupes en expdition dans le pays(4). Il en fut de
mme aprs Diocltien ; mais la part qui leur est faite dsormais
est plus considrable : la frontire, les fdrs font partie, en
fait, sinon en thorie, de larme romaine ; car cest ltat ro-
main qui leur fournit largent ncessaire leur entretien. Sans
doute il en tait dj ainsi, en quelque sorte, antrieurement.
Quand Lusius Quietus menait ses Maures la guerre de Da-
cie, il fallait bien que lempereur se charget de leur rendre
possibles le dplacement et la vie en pays ennemi ; et si les
Zimizes avaient reu la mission de garder le castellum Victo-
riae prs de. Djijelli, cest sans doute que lon avait trouv
____________________
(1) O. Reclus, Nouvelle gographie universelle, II, p. 280.
(2) Cod. Just., I, 27, 2, 8 : Necessarinm nobis esse videtur ut extra
comitatenses milites per castra milites limitanei constituantur, qui possint
et castra et civitates limitis defendere et terras colere, ut alii provinciales
videntes eos per partes ad illa loca se confrant. Cest un rgime analogue
que Plissier (Quelques mots sur la colonisation militaire en Algrie, Paris,
1847, in-8) et Bugeaud (De la colonisation de lAlgrie, Paris, 1847, p. 45
et suiv.) proposaient dtablir en Algrie. Il sagissait de donner des terres
des soldats quon engageait se marier et qui, tablis en avant du territoire
soumis, seraient chargs de le dfendre en mme temps que dy prparer la
colonisation civile.
(3) Cf. Mommsen, Gesammelte Schriften, VI, p. 225 et suiv..
(4) Cf. plus haut, p. 270 et les textes cits.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 745

quelque moyen matriel dassurer leur dvouement. On navait


pourtant pas song, avant Diocltien, faire de lenrlement
de mercenaires une institution solide. Il en fut tout autrement
dans la suite : les fdrs firent vritablement partie des forces
de lEmpire. Il est vrai quils conservent un semblant dind-
pendance, car ce sont leurs rois ou leurs chefs qui leur payent
leur solde ; mais la solde vient de Rome, comme le comman-
dement, et cest l le point important constater(1).
Ces troupes de fdrs, de gentils, pour employer lex-
pression par laquelle on les dsigne dans les Codes(2), taient
sans doute attaches la protection de la partie du limes la-
quelle ils confinaient(3). Par suite, ils taient soumis au mme
chef que les limitanei dont ils taient voisins : cest l une
combinaison que les besoins de la dfense rendaient presque
ncessaire et quil faudrait admettre, mme si lon ne pouvait
apporter lappui des textes prcis ; ce qui nest pas(4). Car
nous savons que les limitanei taient placs sous les ordres
de praepositi limitum, qui sont mentionns par la Notice des
Dignits(5) et par des inscriptions(6). Les fdrs taient donc,
eux aussi, sous le commandement de ces praepositi, comme
les gentes, au haut Empire, taient soumises des praefecti
gentium, officiers romains.
Les praepositi limitum avaient, les uns le grade de tribun
____________________
(1) Sur cet argent nomm annonae foederaticae, voir Mommsen, loc. cit., p.
229, note 2. Il en est question, pour lAfrique, dans Procope (De bell. Vand., II, 21).
(2) Cod. Theod., VII, 15, 1 ; XI, 30, 62.
(3) Mommsen, loc. cit., p. 230 et 256.
(4) Cette consquence ressort de textes du Code Thodosien, surtout du
passage suivant (XI, 30, 62.) : quando a gentilibus vel a praefectis eorum
fuisset interposita provocatio, sacrum solemniter hoc est proconsularis cogni-
tionis praestoletur examen (ad Diotimum procons. Afric.). Cf., au sujet de ce
passage, Mommsen, loc. cit., p. 230, note 3. Voir aussi le texte de saint Augustin
cit plus bas, (p. 746, note 1).
(5) Oc., XXV, 21-36 ; XXX, 12-19 ; XXI, 18-28, 31.
(6) C. I. L., VIII, 9025, 9755, 9790.
746 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

ou de dcurion(1), les autres celui de centurion(2). Lun deux


porte mme le titre de procurator Augusti(3), comme certains
praefecti gentium(4).
En temps ordinaire, ces officiers avaient prendre les
mesures ncessaires la dfense de la rgion et la police de
la frontire(5) ; en temps de guerre, ils se mettaient la tte des
troupes qui y combattaient. Chacun deux dpendait directe-
ment du commandant en chef, duc ou comte(6).
____________________
(1) August., Epist., 47 : In Arzugibus, ut audivi, decurioni qui limiti
praeest vel tribuno solent jurare barbari, jurantes per daemones suos, qui ad
deducendos bastagas pacti fuerint vel aliqui ad servandas fruges ipsas, singu-
li possessores vel conductores solent ad custodiendas fruges suscipere, quasi
jam fideles, epistolam decurione mittente, vel singuli transeuntes, quibus ne-
cesse est per cos transire. Les Arzuges taient voisins du limes tripolitain
(Oros., I, 2). Cf. Morcelli, Africa christiana, II, p. 342, et De Vit., Onomast.,
s. v. En Tingitane, il semble, daprs la Notice, que chaque circonscription
du limes contint une cohorte ou une aile ct des limitanei et queceux-ci
fussent sous les ordres du prfet de laile ou de la cohorte.
(2) C. I. L., VIII, 9751 : [Cl]od. Lar[g]us c[enturio] pr[aep]osit(us)
l(imi)t(is).
(3) C. I. L., 9790.
(4) On serait tent de rapprocher plus intimement encore ces praepo-
siti limitum des praefecti gentium du haut Empire, et de considrer ceux-ci
comme les prdcesseurs de ceux-l ; certains dtails, pourtant, empchent
lassimilation complte : dun ct, les praefecti gentium se trouvent ailleurs
que sur le limes, et de lautre, les praepositi limitum sont la tte non seule-
ment des tribus voisines de la frontire, mais aussi des troupes rgulires qui
la gardent, ce qui ne parat pas tre le cas des praefecti gentium.
(5) Voir le texte de saint Augustin, cit la note 1.
(6) Not. Dig., Oc., XXV, XXVI, XXX, XXXI. (Ces passages seront
rapports en entier dans le chapitre suivant.)
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 747

CHAPITRE III.

LES LIMITES.

Nous avons pu, grce aux textes pigraphiques et sur-


tout aux renseignements fournis par ltude du pays, tablir
la direction gnrale du limes dAfrique aux trois premiers
sicles de lEmpire.
Pour la priode postrieure Diocltien, nous poss-
dons des donnes non moins importantes : la Notice des Di-
gnits nous fournit tout au long la liste des diffrents camps
de la frontire depuis lextrmit orientale de la Tripolitaine
jusqu celle de la Tingitane, lOccident. Cest l un do-
cument prcieux, et qui serait dune importance capitale sil
ntait pas rempli dincorrections de toute nature. Tel quil
est, il permet de se faire une ide suffisamment nette, dans
lensemble, de la ligne stratgique qui terminait au sud les
possessions de Rome en Afrique et des lignes secondaires
qui sy rattachaient. Nous suivrons, pour numrer la suite
des limites dAfrique, non plus lordre que nous ayons adopt
jusquici dans ce livre et qui est celui des divers chapitres de
la Notice, mais lordre gographique auquel nous nous som-
mes dj astreint en parlant de loccupation du pays avant
Diocltien.
I. TRIPOLITAINE(1).

Le chapitre de la Notice des Dignits relatif la frontire


____________________
(1) Sur les limites de Tripolitaine, voir Bcking, Not. Dign., Oc., II, p.
535 et suiv. ; Barche, Rev. afric., X, p. 7 et suiv.
748 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

tripolitaine au commencement du Ve sicle(1) est ainsi conu :

SUB DISPOSITIONE VIRI SPECTABILIS DUCIS PROVINCIAE. TRIPOLITANAE :

Praepositus lirnitis Talalatensis.


Praepositus lirnitis Tenthettani.
Praepositus lirnitis Bizerentane.
Praepositus lirnitis Tillibarensis.
Praepositus lirnitis Madensis.
Praepositus lirnitis Maccomadensis.
Praepositus lirnitis Tentiberitani.
Praepositus lirnitis Bubensis.
Praepositus lirnitis Mamucencis.
Praepositus lirnitis Balensis.
Praepositus lirnitis Varensis.
Milites Fortenses in castris Leptitanis.
Milites Munifices in castris Madensibus.
Praepositus limitis Sarcitani.

Cette liste contient la srie des chefs-lieux du limes tri-


politain. Il est indispensable, pour se rendre compte de la li-
gne quils tracent travers le pays et pour arriver dtermi-
ner peu prs les points les plus importants, de la comparer
avec la suite des stations de la voie que lItinraire dAntonin
indique entre Tacapas et Leptis Magna, iter quod limitem
Tripolitanum a Tacapis Lepti Magna ducit(2) , et qui se pro-
longeait de l jusqu Arae Philenorum(3).
____________________
(1) Not. Dign., Oc., XXXI, 1-31.
(2) Itin. dAntonin (d. Fortia dUrban), p. 22. Cf. Tissot, Gogr. de
lAfrique, II, p. 697 et suiv.
(3) Itin. dAntonin, p 19. Cf. Tissot, op. cit., p. 222 et suiv. Plus haut,
p. 526 et suiv.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 749

STATIONS. DISTANCES.

TACAPAS - AD AQUAS XVIII


AD AQUAS - AGARIABAS XXX
AGARIABAS - TURRE TAMALLENI XXX
TURRE TAMALLENI - AD TEMPLUM XII
AD TEMPLUM - BEZEREOS XXX
BEZEREOS - AUSILINDI XXXII
AUSILINDI - AGMA XXII
AGMA - AUGEMMI XXX
AUGEMMI XXI - TABALATI XXX
TABALATI - THEBELAMI XXV
THEBELAMI - TILLIBARI XX
TILLIBARI- AD AUGMADUM XXX
AD AUGMADUM - THABUNAGDI XXV
THABUNAGDI - THRAMUSDUSIM XXV
THRAMUSDUSIM - THAMASCALTIN XXX
THAMASCALTIN - THENTEOS XXX
THENTEOS- AURU XXX
AURU - VINAZA XXXII
VINAZA - THALALATI XVI
THALALATI -THENADASSA XXVI
THENADASSA - MESPHE XXX
MESPHE - LEPTIMAGNA XL
LEPTIMAGNA - SEGGERA XX
SEGGERA - BERGE XXIV
BERGE - BASE XXV
BASE - THEBUNTE XXX
THEBUNTE - AUXIQUA XXX
AUXIQUA - ANNESEL XXX
ANNESEL - AUZUI XVIII
AUZUI - ASTIAGI XXV
ASTIAGI - MACOMADIBUS SYRTIS XXX
750 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

En comparant ces deux textes, on reconnat bien vite


quils offrent quelques noms communs. Le limes Talalatensis
est videmment Talalati ; le limes Tenthettanus correspond
Tenteos, le limes Bizerentanus Bezereos, le limes Tilliba-
rensis Tillibari ; les castra Leptitana doivent tre placs
Leptis Magna ; enfin le limes Maccomadensis semble bien ne
pouvoir tre identifi quau Macomades Syrtis de lItinraire.
Par suite, le limes Varensis pourrait tre le point qui y est in-
diqu sous le nom de Base, moins quil ne faille lidentifier
avec le limes Balensis. En dehors de ces synonymies, on ne
peut arriver aucun rsultat certain. Mais, quelque incompl-
tes quelles soient, elles suffisent nous prouver que le limes
tripolitain, au temps de la Notice, suivait la mme direction
quauparavant ; on pouvait, au reste, prvoir facilement le
fait, puisque cette direction rsulte de la nature mme des
lieux(1) ; il nen est pas moins important de le constater.
La comparaison de ces deux documents montre aussi,
lvidence, avec quelle ngligence la Notice des Dignits
a t rdige : lordre gographique suivant lequel se succ-
dent les diffrents limites parat interverti plaisir. Cest une
observation sur laquelle on ne saurait trop insister(2).
Il nest pas possible de marquer ces divers points sur une
carte. Les seuls que lon puisse placer avec quelque certitude
____________________
(1) Tissot, Gogr. de lAfrique, II, p. 698 : Pour rpondre aux n-
cessits qui lavaient fait crer, cette voie ne pouvait suivre que la ligne de
dfense naturelle qui forme, de Kabs Lebda, la longue chane des monta-
gnes des Matmata, du Djebel-Ourhamma, du Djebel-Nefoua et du Djebel-
Tashouna. Cf. plus haut, p. 524 et suiv.
(2) Lordre des limites devrait tre : Bizerentanus, Talalatensis, Tilli-
barensis, Tenthettanus, Varensis, Maccomadensis. On remarquera aussi
que lnumration des praepositi est interrompue entre lavant-dernier et le
dernier limes et quon y a intercal la mention de deux castra, dont lun
(castra Madensia) est sans doute identique un limes cit plus haut, entre le
limes Tillibarensis et le limes Maccomadensis.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 751

sont Maccomades, aujourdhui Mersa-Zafran, au moyen ge,


chez les auteurs arabes, Maghmadas ou Maghmadach(1) ;
Base, en face du mouillage appel Mersa-el-Arar(2) ; Then-
teos, aujourdhui Zentan ; Tillibari, peut-tre Remada ; Tala-
lati, qui semble bien tre la moderne Tlalet, et Bezereos, qui
serait Benia-Ceder(3).
2. AFRIQUE(4).

Les divers chefs-lieux militaires de la frontire africaine


proprement dite, se prsentent, dans la Notice des Dignits,
ainsi quil suit(5) :
SUB DISPOSITIONE VIRI SPECTABILIS COMITIS AFRICAE :

Limitanei.
Praepositus limitis Thamallensis.
Praepositus limitis Montensis, in castris Leptitanis.
Praepositus limitis Bazensis.
Praepositus limitis Gemellensis.
Praepositus limitis Tubuniensis.
Praepositus limitis Zabensis.
Praepositus limitis Tubusubditani.
Praepositus limitis Thamallonensis.
Praepositus limitis Balaretani.
Praepositus limitis Columnatensis.
Praepositus limitis Tablatensis.
Praepositus limitis Caputcellensis.
Praepositus limitis Secundae forum in castris Tillibanensibus.
Praepositus limitis Taugensis.
Praepositus limitis Bidensis.
Praepositus limitis Badensis.
____________________
(1) Tissot, op. cit., 225.
(2) Idem, ibid., p. 227.
(3) Voir plus haut, p. 524, ce qui a t dit du limes de Tripolitaine.
(4) Sur les limites dAfrique, voir Bcking, Not. dign., Oc., II, p. 510 ;
Morcelli, Africa christiana, aux diffrentes localits ; Bache, Rev. afric., IX,
p. 161 et suiv., Masqueray, De monte Aurasio, p. 56 et suiv. ; Poulle, Rec. de
Constantine, XIII, p. 708.
(5) Not. Dign., Oc., XXV, 1-36.
752 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Les rgions o il faut chercher ces diffrentes localits


tant assez bien connues, on peut arriver des identifications,
au moins pour la plupart dentre elles.
On rapproche le limes Thamallensis de la Turris Tamal-
leni de lItinraire et du nom moderne de loasis de Telmin.
Nous avons dj dit(1) que Telmin tait, en effet, un poste for-
tifi de la frontire mridionale. Sa position la limite de la
province dAfrique et de la Tripolitaine explique quil soit
nomm le premier sur cette liste. Ce poste commandait les
abords du Chott-el-Fedjej par le Sud.
Lethnique Montensis ne rpond aucune localit connue
dans le voisinage des Chotts ; cependant il semble prcis par
la mention des castra Leptitana. Sil fallait admettre cette le-
on Leptitana, on ne pourrait gure songer qu Leptis Magna,
comme la fait Masqueray(2), et il faudrait alors admettre quil
y a ici, dans la Notice, une rptition fautive, Leptis figurant
dj parmi les chefs-lieux du limes tripolitain. Il est bien vi-
dent, en effet, quil ne peut tre question de Leptis Parva, qui
est situe un peu au nord de Mahedia, par consquent loin de
la frontire et dans un pays absolument pacifi(3). Mais on peut,
avec M. Seeck, corriger Leptitana en Neptitana. Nefta tait, au
haut Empire, sur la frontire militaire de la province ; il est tout
naturel quelle y ft encore au Ve sicle. Cette correction de-
vient presque certaine si lon rflchit quune ligne tire entre
Telmin, le chef-lieu du prcdent limes, et Badis, le chef-lieu
du suivant, daprs la Notice, passe forcment par Nefta(4).
____________________
(1) Voir plus haut, p. 551.
(2) De monte Aurasio, p. 58.
(3) Cest aujourdhui Lamta. Pancirole et, aprs lui, Bcking p. 521)
admettent la leon de Leptitana, mais ne savent o placer cette Leptis.
(4) Une opinion diffrente, mise par M. le capitaine Vayssire (Comp-
tes rendus de lAcadmie dHippone, 1889, p. LXXII), place le limes Mon-
tensis 1 kilomtre environ au nord de Mdila. Lauteur fait remarquer qu la
hauteur de cette ruine, lOued-Hellal prend le nom de Montana ce serait l un
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 753

Toutefois cette correction nexplique pas le rapproche-


ment, contraire aux faits, semble-t-il, dun limes Montensis et
de castra Neptitana, Nefta tant dans un pays essentiellement
plat. Aussi P. Blanchet en suggr une autre(1). Il a mis lhy-
pothse plausible, bien que tout fait incertaine, quil stait
produit dans la transcription du texte de la Notice une fusion de
deux limes, suivie dune interversion. Il propose donc de lire :
Praepositus limitis Montensis.
Praepositus limitis Thamallensis.
[Milites ] in castris [N]eptitanis.
Le limes Montensis aurait eu pour centre, daprs lui, la
forteresse appele Benia des Ouled-Mahdi, tudie plus haut(2).
Le limes Bazensis est certainement, comme il vient dtre
dit, la station des routiers nomme ad Badias (Badis)(3). Le
changement de di en z ou zi est trs frquent en Afrique(4).
Le limes Gemellensis que Morcelli(5) croyait possible de
placer a lendroit dsign par les Itinraires sous le nom de
Gemellae, entre Sitifis et Nova Petra(6), tandis que dautres(7)
lidentifiaient au Gemellae de la Proconsulaire, entre Thelepte
et Capsa(8), doit tre cherch auprs dOurlal, lendroit qui
____________________
souvenir de la dnomination antique ; de plus, il y aurait Mdila un camp retranch de
forme rectangulaire, avec bastions aux angles, bti en briques. Masqueray y voit plutt
une cit berbre. Lemploi de la brique dans un mur de fortification et lemplacement
de Mdila, qui est en arrire du limes, ne permettent gure daccepter lopinion de M. le
capitaine Vayssire.
(1) Rec. de Constantine, XXXII, 1888, p. 79 et suiv.
(2) P. 532.
(3) Pancirole voulait le placer en Marmarique. Bcking (Not. Dign., II, p.
511) croyait quil fallait lire Ubazensis, ce qui nous reporterait au castellum Ubaza,
entre ad Majores et Theveste. Morcelli (Africa christiana, I, p. 91) a dj rappro-
ch Bazensis de Badias.
(4) C. I. L., VIII, p. 1109. On crivait Azabenicus, Zodorus, Zonysius et
mme Zyonysius,
(5) Africa christiana, I, p. 168.
(6) Itin. dAntonin, p. 8.
(7) Bcking, Not. Dign., II, p. 523.
(8) Tab. de Peutinger, V, 1.
754 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

portait aussi autrefois le nom de Gemellae et qui jouait un


rle au haut Empire, dans la dfense des frontires(1).
Le limes Tubunensis tenait son nom, sans aucun doute,
de la ville de Tabunae, aujourdhui Tobna, dans le Hodna.
Celui qui vient aprs, dans la liste de la Notice, est le li-
mes Zabensis. L encore il ne peut y avoir de doute, car la po-
sition de la ville de Zabi est parfaitement connue. Procope la
signale comme tant au del de lAurs(2) ; lItinraire dAn-
tonin la place 55 milles de Cellae (Kherbet-Zerga) et 26
milles de Tatilti(3) ; et une inscription lidentifie dune faon
indubitable avec Henchir-Bechilga, prs Msila(4). Le chef de
ce limes tait charg de surveiller le Djebel-bou-Taleb, tandis
que celui de Tubunae avait pour mission de contenir la rgion
situe entre Tubunae et Lambiridi(5). De la sorte, la garde du
Hodna tait divise entre ces deux officiers.
Dans lethnique Tubusubditanus, il faut videmment re-
connatre le mot Tupusuctu, qui est donn sous diffrentes
formes plus ou moins fautives dans les auteurs(6). Tupusuctu,
situ au pied des montagnes de la Grande-Kabylie, tait la
clef de la valle du Sahel : loccupation de ce point a toujours
t une ncessit stratgique.
La Notice cite ensuite le limes Thamallonensis. M. Seeck le
rapproche de la civitas Tamallunensis cite par Victor de Vite(7).
Cest l une erreur, cette civitas Tamallunensis ntant autre,
suivant toute vraisemblance, que la Turris Tamalleni dont il a
dj t question(8). Bcking, au contraire, a song la station
____________________
(1) C. I. L., VIII, ), 2482. Voir plus haut, p. 600.
(2) De bel. Vand., II, 20.
(3) Itin. dAntonin, p. 7.
(4) C. I. L., VIII, 8865.
(5) Cf. Masqueray, op. cit., p. 62 et 63.
(6) C. I. L., VIII, p. 751.
(7) Hist. persec. Vand., III, 45 (d. Halm) ; cf. Morcelli, Africa christ.,
I, p. 302.
(8) Vict. Vit. (d. Halm), Index geogr., s. v (p. 77).
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 755

de Thamannuna, sur la grande route militaire de Maurtanie(1).


Cette conjecture, accepte par Poulle(2) et Masqueray(3), est la
plus probable. Mais, en ce cas, il faut admettre quil y a eu in-
terversion dans la liste de la Notice entre ce limes et le prc-
dent, puisque Thamannuna rpond, ainsi quil a t expliqu
plus haut, Tocqueville, situe bien au sud de Tupusuctu.
Avec le limes Tupasuctitanus, nous atteignons la limite
occidentale de la Maurtanie Sitifienne ; les limites suivants
doivent donc tre cherchs, sil ny a pas un trop grand dsor-
dre dans la rdaction de la Notice, jusque dans la Csarienne.
Cest ce quont pens la plupart de ceux qui se sont occups
de la question.
Le limes Balaretanus est encore inconnu. Les uns, com-
me M. Seeck, rappellent ce propos lepiscopus Castelliiaba-
ritanus de la liste des vchs de Csarienne(4) ; mais liden-
tification parat bien peu probable. Dautres citent la ville que
Ptolme(5) nomme et que lon trouve dsigne dans
la liste des vques de Csarienne sous la forme Bapara(6).
Ces rapprochements sont ingnieux assurment ; seraient-ils
vrais, quils napprendraient rien sur lemplacement du limes
Balaretanus, puisque aucun des noms que lon met en avant
nest encore identifi.
Au contraire, le limes Columnatensis est parfaitement
connu, depuis que lon a dcouvert, entre Teniet-el-Had et Tia-
ret, un milliaire au nom de Septime-Svre et de ses fils, portant
lethnique Columnata(7) ; on regarde ce nom comme celui des
____________________
(1) Not. Dign., II, p. 525.
(2) Recueil de Constantine, XIII, p. 708.
(3) De Monte Aurasio, p. 64.
(4) Not. episc. Maur. Caes., 65.
(5) Geogr., IV, 2.
(6) Not. episc., 98. Cf. Masqueray, op. cit., p. 65.
(7) C. I. L., VIII, 22587.
756 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

ruines appeles aujourdhui An-Teukria. Le commandement


militaire de Columnata surveillait le Sersou au Sud et au Nord
et une partie de lOuarsenis.
Rien ne permet de savoir o tait situ le limes Tablatensis.
Il y a galement des doutes sur lidentification du limes
Caputcellensis. On songe dabord tout naturellement lune
des nombreuses localits appeles Cellae(1). Poulle a choisi
celle qui est indique sur la route de Stif Tobna par les
Itinraires(2), et qui se nomme aujourdhui Kherbet-Zerga ;
il y avait en effet, cet endroit, un castellum(3). Mais cette
hypothse se heurte deux difficults : en premier lieu, elle
suppose une interversion dans la rdaction de la Notice, ce
qui est, il est vrai, fort admissible ; en second lieu, et ceci
est plus grave, elle ne tient aucun compte du mot caput
qui figure dans le nom de limes. Il semble bien prfrable,
avec Morcelli(4), de corriger Caputcellensis en Caputcilani.
Le lieu dit Caputcilani est situ, suivant lItinraire dAnto-
nin(5), entre Tinaradi et Sufasar, par consquent sur la grande
route stratgique de Maurtanie. La forme Caputcellensis se
lit dans la Notice des vques de Maurtanie(6). On doit pour-
tant remarquer que lon a trouv non loin de Kherbet-Zerga
une inscription date du rgne de Valentinien, qui signale la
construction dun camp dans la montagne voisine(7).
La ligne suivante, dans le passage de la Notice qui nous
occupe, est certainement corrompue. Le mot Tillibanensibus
rappelle lethnique Tillibanensis que nous avons rencontr
____________________
(1) Cf. Bcking, .Not. Dign., II, p. 529.
(2) Itin. d Antonin, P. 7.
(3) C. I. L., VIII, 8777.
(4) Africa christ., I, p. 120. Cf. Masqueray, op. cit., p. 69.
(5) Itin. d Antonin, p. 7.
(6) Not. Epics., 28.
(7) C. I. L., VIII, 10937 : Fla. Victorianus v. c. prim(i) ordinis comes
Africae castram dedicavit.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 757

plus haut parmi les limites de la Tripolitaine, et le Tillibari de


lItinraire dAntonin ; on ne connat pourtant aucune localit
de ce nom en Csarienne. Quant Secundae forum, sans dou-
te doit-on le corriger en Secundanorum(1). Il sagirait alors de
soldats appartenant une legio secunda.
Bcking(2) a propos pour le limes Taugensis(3) la lecture
Tuggensis. La ville de Tugga ou Tucca est situe lembou-
chure de lAmpsaga, aux confins de la Numidie et de la Mau-
rtanie. Le commandement dont cette ville aurait t le sige
aurait eu pour mission de surveiller, par lEst, le pt monta-
gneux des Babor. Nous avons avanc plus haut quil devait y
avoir, au haut Empire, un centre militaire de ce ct.
Le limes Bidensis tait tabli au cur du pt de la
Grande-Kabylie ; le chef-lieu en tait la ville de Bida (Dje-
maat-Saharidj), qui a toujours form le centre de loccupation
du pays(4). Tous ceux qui se sont occups de la question sont
daccord sur ce point.
Quant au limes Badensis, on ne sait o le placer. Faut-il
croire que cest l une rptition fautive du mot Basensis qui
se lit plus haut ? ou doit-on penser que cet ethnique corres-
pond une ville encore inconnue ? Le problme est insoluble
pour le moment.

3. CSARIENNE.

Quelques-uns des limites que nous venons de citer en der-


nier lieu, bien que dpendant du comte dAfrique, taient, en
ralit, situs en Maurtanie Csarienne. Nous les retrouvons,
____________________
(1) Seeck, ad Not. Dign., p. 175.
(2) Not. Dign., p. 69. Masqueray a suivi cette opinion.
(3) Dans la vignette qui prcde la liste de la Notice, Tangensis est
donn sous la forme Tangensis.
(4) Voir plus haut. p. 641.
758 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

en effet, dans la liste des limites soumis au duc de Csarienne,


telle que la Notice nous la conserve(1) :

SUB DISPOSITIONE VIRI SPECTABILIS DUCIS ET PRAESIDIS


PROVINCIAE MAURITANIAE [ET] CAESARIENSIS.

Praepositus limitis Columnatensis.


Praepositus limitis Vidensis.
Praepositus limitis Inferioris.
Praepositus limitis Fortensis.
Praepositus limitis Muticitani.
Praepositus limitis Audiensis.
Praepositus limitis Caputcellensis.
Praepositus limitis Augustensis.

On voit que trois de ces limites, le limes Columnatensis,


le limes Vidensis (= Bidensis) et le limes Captucellensis, ont
dj t mentionns parmi les postes soumis au comte dAfri-
que. Nous avons essay dexpliquer plus haut, autant quil
est possible de le faire, la raison de cette anomalie apparente,
par une diminution de pouvoir du duc de Csarienne et par sa
subordination, au moins partielle, au comte dAfrique.
Parmi les autres limites de Maurtanie, deux ne peuvent
tre identifis dans ltat actuel de nos connaissances : ce sont
le limes Inferior et le limes Augustensis.
Le limes Fortensis, que Morcelli corrige en Frontensis(2),
tirerait son nom, a-t-on dit, de Fronta, aujourdhui Frenda.
Cest une conjecture plausible(3), sinon certaine, Frenda tant
bien sur la ligne des postes militaires des Hauts-Plateaux.
On a pens que le limes Muticitanus avait pour centre le
____________________
(1) Oc., XXX, 1 19.
(2) Africa christ., I, p. 162.
(3) Delattre, Rev. de lAfrique franaise, 1888, p. 159.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 759

castellum de Muteci, quil faudrait placer An-Aneb, sept


kilomtres de Tissemsil, vers Teniet-el-Had. L, en effet, exis-
tent les restes dune enceinte ; la porte dentre en est surmon-
te dune inscription o lon avait cru lire le nom du castellum :
MVTECI, et la date o il a t fond ou plutt relev (480 aprs
J.-C.(1)). Mais un examen nouveau de la pierre(2) a infirm cette
lecture et, par suite, les conclusions quon avait cru pouvoir en
tirer. Le chef-lieu de ce limes demeure inconnu.
Le limes Audiensis nous reporte au Nord-Est, Auzia(3).
Ici encore, il y a permutation du d et du z. Nous avons fait
allusion plus haut une inscription qui nous fait connatre un
praepositus de ce limes(4).
A en croire la Notice des Dignits, ces trois derniers limites
auraient t subordonns exclusivement au duc de Csarienne.
Il faut pourtant reconnatre que, sil en tait ainsi, il en rsul-
tait matriellement une diversit dorganisation bien difficile
admettre. Comment comprendre, par exemple, que le limes
Caputcellensis, voisin de Mda, ft sous les ordres du duc de
Maurtanie et du comte dAfrique, tandis que le limes Auziensis,
____________________
(1) Delattre, ibid.
(2) C. I. L., VIII, 21530. M. Gsell a lu : FILIVMIIVVVEGI.
(3) Il faut rappeler ici, pour mmoire, que certains auteurs nont pas ad-
mis lidentit dAuzia et du chef-lieu du limes Audiensis. Berbrugger (poques
militaires de la Grande-Kabylie, p. 263 et suiv.) a suppos quAuzia tait d-
truite cette poque et que le centre du limes tait Aoun-Bessem, dont il veut
faire le castellum Audiense de la guerre de Firmus. Il appuie surtout son opinion
sur ce fait que les ruines dAoun-Bessem sont celles dun fort de forme hexa-
gonale et que limage reprsente dans la Notice, en tte de la liste des limites
de Csarienne, offre la mme apparence. On a dj fait remarquer (C. I. L.,
VIII, p. 769) que ces images sont toutes conventionnelles, comme celles de la
Table de Peutinger ; cela est si vrai que, pour les limites communs au duc de
Csarienne et au comte dAfrique, les reprsentations sont diffrentes suivant
le chapitre de la Notice o elles figurent.
(4) C. I. L., VIII, 9025 (trouve 9 kilomtres dAumale) : Victoriae
Aug. sancte deae, L. Julius,.... f., Capito prepositus limitis cum suis omnibus
f. d., (anno) p(rovinciae) CCLXII (a 301).
760 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

qui avait Aumale pour centre et qui, par suite, tait lest du
prcdent, ne dpendait que du duc de Maurtanie, alors que
le limes Tamanunnensis, qui venait immdiatement aprs,
vers lEst, relevait du comte dAfrique ? Y a-t-il omission
dans la liste des limites dAfrique, ou bien celle de Csarien-
ne contient-elle des renseignements dpoques diffrentes ?
Avec un document aussi plein de confusions et derreurs que
la Notice des Dignits, il est permis de tout supposer, sans
quil soit possible, la plupart du temps, de rien affirmer.
Le limes Auziensis termine la liste des circonscriptions
militaires de la frontire indiques par la Notice pour la Tri-
politaine, lAfrique et la Maurtanie Csarienne. On voit, en
se reportant la carte o nous les avons indiques, et en la
comparant celle o nous avons essay de tracer le limes au
haut Empire, que la limite extrme de la domination romaine
avait bien peu recul au dbut du Ve sicle. La ligne stratgi-
que qui joint Arae Philenorum Telmin est la mme quan-
trieurement ; elle na jamais vari. De Telmin Ourlal, sur
lOued-Djedi, le trac de la frontire est encore le mme ; ce-
pendant on peut croire que le mouvement dextension qui, au
Ve sicle, avait permis la colonisation de savancer, appuye
de postes militaires, jusquau Chott-Melghir, sest arrt, et
que les tablissements romains extrmes se sont rapprochs
du pied mridional de lAurs comme au temps de Trajan. Le
limes du IVe sicle gagnait ensuite Tamannuna par Tubunae
et Zabi, ce qui est, peu de chose prs, le trac de la ligne
frontire officielle au dbut du IIIe sicle. Il faut donc admet-
tre qu lpoque de la Notice, le territoire situ au sud du
Chott-el-Hodna, les massifs du Zab et des Ouled-Nal avaient
t laisss sans protection(1).
____________________
(1) Aucun texte pigraphique dat du Ve sicle na t trouv dans ces
rgions.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 761

La surveillance indirecte mais effective que lEmpire y


exerait dans le courant du IIIe sicle, quand la puissance de
Rome se faisait sentir jusqu lOued-Djedi, a sans doute ces-
s la fin du IIIe sicle ou dans le courant du IVe : les troupes
taient trop occupes par les Maures de Sitifienne et de Csa-
rienne pour avoir le loisir denvoyer des dtachements aussi
loin de leurs garnisons habituelles. Dautre part, il faut remar-
quer que le pt de lAurs nest surveill cette date que par
le Sud : il nest question de limites ni lEst, ni au Nord, ni
lOuest, ni au centre, comme il arrivait pour le massif de la
Grande-Kabylie. On peut en conclure que le pays tait, alors
encore, entirement calme(1).
En Maurtanie, la dfense au Ve sicle tait organise
peu prs comme auparavant.
Le massif des Babor et des Biban tait surveill au Sud
par le limes Tamannunensis, lOuest par le limes Tupusucti-
tanus, lEst par le limes Thuggensis. Le pt montagneux de
la Grande-Kabylie tait gard par le limes Bidensis, le massif
de lOuarsenis par le limes Columnatensis, et le limes Fron-
tensis au Sud par le limes Caputcellensis au Nord-Est.
A louest de lOuarsenis, la Notice ne signale pas dautres
limites, ou du moins ceux que nous pouvons identifier se pla-
cent lest ou au sud de ce massif. Si donc lon sen tenait
aux renseignements quelle contient, on pourrait supposer
que le pays tait abandonn lui-mme. Mais il ne parat pas
douteux que le silence de la Notice est le rsultat dun vice
de rdaction : il y a une lacune pour la partie occidentale de
la Csarienne, et cette lacune, malheureusement, ne peut tre
comble.
Tout au plus, pouvons-nous ajouter lnumration des
____________________
(1) Masqueray, De monte Aurasio, p. 72 et suiv.
762 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

limites ci-dessus numrs la mention de deux autres, dont


lun, le limes B(1), ntait peut-tre pas loign dArzeu et
dont lautre avoisinait Arbal(2) ; qui, par suite, surveillaient
le massif du Tessala par le Nord ; encore les inscriptions qui
nous les font connatre ne contiennent-elles pas des rensei-
gnements suffisamment prcis ; on ne doit sen servir quavec
rserve.
En somme, et cette conclusion est capitale , la li-
gne que forment les limites du Ve sicle est peu prs iden-
tique celle de la frontire militaire antrieure ; les camps
importants du haut Empire se sont transforms en chef-lieu
de limites. Ce serait dailleurs une erreur de croire que cette
transformation sest opre lpoque de la Notice. Daprs
certains indices(3), malheureusement trop peu nombreux en-
core, on peut la faire remonter au dbut du IVe sicle.

4. MAURTANIE TINGITANE(4).

Cest encore la Notice des Dignits quil faut consulter


si lon veut connatre les points de la Tingitane qui taient
occups militairement au bas Empire. Elle ne parle pas de
praepositi limitum comme ceux dAfrique ou de Csarienne,
mais seulement de prfets ou de tribuns dailes et de cohortes
auxiliaires, eu indiquant le lieu de leur rsidence. En ralit, il
y a l une diffrence plus apparente que relle, ainsi que nous
lavons dj fait remarquer(5).
____________________
(1) C, I. L., VIII, 9755 : [Cl]od. Lar[g]us c(enturio) pra[ep]osit(us)
l(imi)t(is) B...
(2) Ibid., 9790 et 9791.
(3) Cf. ibid., 9025, qui date de lun 301 (p. 759, note 4).
(4) Sur les limites de Maurtanie Tingitane, voir Tissot, Mmoires pr-
sents lAcadmie des Inscriptions et Belles-Lettres par des savants tran-
gers, IX. p. 307 et suiv.
(5) Voir p. 746, note 1.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 763

Le chapitre de la Notice relatif la Tingitane est ainsi


conu(1) :

SUB DISPOSITIONE VIRI SPECTABILIS COMITIS TINGITANIAE.

Limitanei.
Praefectus alae Herculeae, Tamuco.
Tribunus cohortis secundae Hispanorum, Duga.
Tribunus cohortis primae Herculeae, Aulucos.
Tribunus cohortis primae <et> ltyraeorum, Castrabariensi.
Tribunus cohortis, Sala.
Tribunus cohortis Pacatianensis, Pacatiana.
Tribunus cohortis tertiae Asturum, Tabernas.
Tribunus cohortis Friglensis, Friglas.

Quelques-uns de ces lieux de garnison des troupes tripo-


litaines peuvent tre identifis.
Tamaco parat une forme incorrecte de Tamusida ou de
Tamuda. M. Seeck propose lune ou lautre localit. Tamuda
est prfrable, si lon admet, comme il semble quil faille le
faire, que Duga correspond la ruine situe prs de Zinna,
dont il a t question plus haut(2). Le rapprochement qui se-
rait fait ici de ces deux ethniques indiquerait quil sagit de
la route militaire trace entre Ttouan et Souir. Nous avons
expliqu lintrt stratgique qui sy attachait.
Le nom de lieu qui suit, dans la liste de la Notice, nous
transporte au contraire sur la grande voie du littoral. Aulucos,
ou ad Lucos, variante quon trouve quelquefois, ainsi que la
parfaitement montr Tissot(3), ne dsigne pas une autre ville
que Lixus. Il fait remarquer que le mot Aulucos est presque
identiquement celui par lequel El-Bekri dsigne le fleuve qui
____________________
(1) Oc., XXVI, 1-20.
(2) Voir p. 677. Cf. Tissot, loc. cit., p. 307.
(3) Tissot, loc. cit., p. 308.
764 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

baignait Lixus, Ouaoulokkos. La variante Lucos reproduit non


moins fidlement le nom de Loukkos que porte aujourdhui
lantique Lixos .
Castrabariensi ne peut tre rapproch que de deux mots,
en faisant naturellement abstraction du mot Castra : Banasa
ou Babba. Bcking a corrig Bariensi en Banasensi, et Tissot
a suivi son exemple(1). Mais si lon se reporte aux lgendes qui
accompagnent les vignettes en tte du chapitre de la Notice,
on y trouve la variante Barrensi dans deux manuscrits(2) ; on
est amen par l supposer que la vritable leon est plutt
Babbensi. Or nous avons plac hypothtiquement la ville de
Babba, daprs M. de la Martinire, au Djebel-Moula-es-Se-
lam, identification qui, il faut lavouer, nous entrane bien loin
de la route de Tanger Sla, o sont situes les autres localits
mentionnes par la Notice. La philologie conduit donc plutt
la correction Babbensi, et la gographie la correction Ba-
nasensi.
Sala, qui vient ensuite dans la liste des garnisons subor-
donnes au comte de Tingitane, est bien connue : cest la ville
moderne de Sla ou de Rbat.
Tabernas correspond Lalla-Djelalia et Frigias ou Fri-
glas, qui nest quune altration de Frigidas, doit tre identifi
avec Souir, au sud dEl-Arach. La position seule de Paca-
tiana reste entirement indtermine.
On peut conclure de cette rpartition, avec Tissot, et en
supposant que la Notice des Dignits, telle quelle nous est par-
venue, nous fournisse des renseignements complets sur loc-
cupation de la Tingitane au dbut du Ve sicle, que, contraire-
ment ce qui stait pass pour le reste de lAfrique, la ligne
de dfense cette poque avait t reporte sur le littoral. En
effet, lexception de Babba, dont la prsence au milieu de
____________________
(1) Loc. cit.
(2) Cf. ldition Seeck, p. 177.
OCCUPATION MILITAIRE APRS DIOCLTIEN. 765

cette liste nest pas certaine, on ny trouve aucun des postes


dont nous avons signal lexistence au cur du pays pendant
le haut Empire. Il faut pourtant observer que lon a reconnu sur
divers points, mme dans lintrieur, Volubilis par exemple,
des traces de constructions de basse poque. Ces renseigne-
ments semblent tablir quaux derniers temps de la puissance
romaine, et en dehors de la zone du littoral, toujours occupe,
le pays ntait pas tout fait abandonn lui-mme.

5. ORGANISATION DES LIMITES.

Si la Notice des Dignits permet de savoir, au moins


approximativement, quels taient les diffrents limites de
lAfrique romaine, dautres textes nous apprennent comment
la dfense tait constitue dans chacun deux(1).
Le centre du commandement, le sige du praepositus
limitis, tait un camp (castra), rsidence de ltat-major(2) et
magasin dapprovisionnement(3) pour tout le limes. Quelques-
uns de ces camps ont t mentionns par nous daprs les don-
nes de la Notice, par exemple celui de Leptis en Tripolitaine,
de Nefta en Afrique, de Babba ou de Banasa en Tingitane.
Des castra dpendaient :
Les castella et les burgi qui garnissaient la frontire et
que reliaient des fosss ou des lignes de fortification(4) ;
____________________
(1) Cf. Godefroy, ad Cod. Theod., VII (ParatitIon).
(2) Cf. Mommsen, Gesammelte Schriften, VI, p. 210.
(3) Cod. Theod., VII, 4, 15 : Sicut fieri per omnes limites salubri
prospectione praecipimus, species annonarias a vicinioribus limitibus pro-
vincialibus ordinabis ad castra conferri et invita oneris (corr. peut-tre in ve-
teranis ) castris constituti milites duas alimonarium partes ibidem de conditis
sumant, nec amplius quam tertiam in partem ipsi vehere cogantur.
(4) Ammian., XXX, 7, 6 : Valentinianus utrubique Rhenum cel-
sioribus castris munivit atque castellis ; Cod. Theod., VII, 15, 2 ; 18, 2, et le
commentaire de Godefroy ; Cod. Just., I, 27, 2, 4 : Ubi ante invasionem
766 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Les villes que les ducs et les comtes faisaient fortifier et


qui pouvaient aussi concourir la protection du pays(1) ;
Les tours de garde ou dobservation(2) dont nous avons
expliqu plus haut le rle dans loccupation militaire de lAfri-
que.
Sauf pour la nature des soldats qui tenaient garnison dans
ces diffrents postes, cette organisation rappelle exactement
celle du Haut-Empire, telle quelle apparat constitue, par
exemple, en Maurtanie, sur le bord des Hauts-Plateaux : il
ny a gure de diffrence entre un des limites avec son camp
central et le territoire confi la garde dune cohorte auxi-
liaire, comme celle des Breuci de Tagremaret. Le prfet de la
cohorte des Breuques ntait, en fait, quun praepositus limi-
tis, moins le nom ; lui aussi rsidait dans un camp avec son
tat-major et veillait de l la dfense de la rgion voisine,
rpartissant des dtachements dans les endroits favorables. Il
avait rpondre de ses actes au procurateur de Maurtanie,
comme le praepositus limitis avait le faire au duc ou au
comte. Ce qui a t dit plus haut de la constitution du limes
et de sa dfense aux premiers sicles peut donc encore tre
regard comme vrai pour lpoque postrieure Diocltien.
____________________
Vandalorum et Maurorum respublica romana fines habuerat et ubi custodes
antiqui servabant, sicut et clausuris et burgis ostenditur.
(1) C. I. L., VIII, 9282, Mouzaiaville : (Ordo) cuncta comitum
[exsecutus] jussa nova moenia [num]ine juvante reficit ; Cod. Just., 1, 27 :
Maxime autem civitates, quae prope clausuras et fines antea tenebantur,
festinent comprehendere atque munire.
(2) Cod. Theod., XV, 1, 13. On en trouverait plus dun exemple
dans les inscriptions, si lon voulait chercher des documents en dehors de
lpigraphie africaine.
CONCLUSION.

Le succs nest pas la fin dernire dune conqute ; il ne


se justifie pas par la satisfaction des apptits ou des intrts
du vainqueur : celui-l seul lgitime son triomphe qui le fait
tourner au profit du pays soumis et de la civilisation. Rome
a-t-elle compris ainsi son devoir ? La laborieuse soumission
et la puissante occupation des provinces africaines leur ont-
elles procur un degr de prosprit quelles navaient point
connu jusque-l ?
Les ruines antiques qui jonchent le sol de la Tunisie et
de lAlgrie rpondent loquemment cette question. Point
nest besoin de rappeler longuement le nom des villes qui
slevaient autrefois de toutes parts dans le pays, le nombre
des monuments grands et petits que les voyageurs y ont vus
ou relevs, la multiplicit des voies qui le sillonnaient et dont
la chausse existe encore sur plus dun point, la quantit ex-
traordinaire de bourgs et dtablissements agricoles disperss
dans les campagnes africaines, aussi rapprochs les uns des
autres que le sont aujourdhui les fermes dans nos dparte-
ments les plus peupls. Nul de ceux qui ont parcouru ce qui
fut autrefois lAfrique, la Numidie, ou mme la Maurtanie,
ne mettra en doute un seul instant lintensit de la vie et de
lactivit productrice dans cette partie du monde romain. Il
nest pas jusquaux bouquets doliviers sauvages accrochs
aux flancs des rochers, rejetons dgnrs des cultures ro-
maines, jusquaux pressoirs olives dont les montants sont
encore debout dans les plaines dsertes, jusquaux barrages
768 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

demi crouls dans les petites valles et dans les montagnes,


qui ne tmoignent en faveur du pass.
On doit se garder pourtant dune admiration trop htive.
Les restes imposants qui couvrent le sol de la Tunisie et de
lAlgrie nous font connatre le rsultat auquel les Romains
sont arrivs aprs plusieurs sicles ; ils nous prsentent un ta-
bleau o les diffrents plans sont confondus, o lon ne peut
pas distinguer au premier coup dil lapport de chaque g-
nration et de chaque sicle. Il est donc ncessaire, pour por-
ter un jugement quitable, de remettre toutes choses en place
et dexposer chronologiquement, en quelques mots, ce que
Rome a fait pour les Africains et pour la civilisation, mesure
que sa domination stendait ou saffermissait dans le pays.
Cette esquisse de la colonisation romaine en Afrique formera
le complment naturel de lexpos de loccupation militaire,
qui a fait lobjet de ce travail.
Il faut bien reconnatre que la destruction de Cartha-
ge, dont le joug pesait pourtant lourdement sur les campa-
gnes africaines, na point t pour le pays le dbut dune re
meilleure. Si la Rpublique stait empresse de prendre la
place de sa rivale et de substituer son influence celle que
la ville punique avait exerce autour delle, luvre de des-
truction et pu se changer rapidement en une uvre de vie ;
mais Rome ny songea nullement. Elle ntait pas venue en
Afrique pour conqurir une province ou pour augmenter son
influence par lacquisition de nouveaux territoires : elle avait
voulu seulement supprimer une ennemie redoutable. Celle-
ci disparue, elle neut dautre proccupation que den em-
pcher la rsurrection : les menaces les plus terribles furent
prononces au nom des dieux contre quiconque tenterait de
la relever. Si elle occupa le territoire que possdait Carthage,
cest pour viter quil ne tombt en dautres mains que les
CONCLUSION. 769

siennes, non pour en tirer parti. On peut dautant plus sen


tonner, quil y aurait eu l pour elle un intrt capital : les
proltaires entasss Rome, sans tablissement possible
en Italie, eussent trouv en Afrique un dbouch, et dlivr
ainsi la capitale de leur dangereuse prsence. Que de maux
peut-tre on aurait vits de la sorte ! C. Gracchus ne sy
trompa point : il fit passer la mer six mille Romains ou Ita-
liens et tenta de fonder Carthage une colonie ; mais cette
heureuse mesure ne lui survcut pas : si les colons demeur-
rent o il les avait conduits, Carthage perdit le droit colonial
moins dun an aprs lavoir reu. Quelques annes plus tard,
L. Appuleius Saturninus reprit le mme projet, dans un tout
autre esprit. Il fit octroyer des terres en Afrique aux vt-
rans de Marius ; ce ntait point l, proprement parler, de
la colonisation : la dcision importait surtout aux partis qui
se disputaient le pouvoir en Italie. En somme, bien quil y
et dj quelques lments romains pars dans la province,
sans compter les fonctionnaires et les lgions doccupation,
Rome na rien tent officiellement pendant cent ans pour y
introduire la civilisation : on a eu raison de dire que sa po-
litique en Afrique, cette poque, est faite dtroitesse et
dgosme.
Avec Csar et Auguste commena seulement la colo-
nisation mthodique et suivie du pays, par la cration dun
certain nombre de centres romains, destins moins rcom-
penser des services rendus la guerre ou dcharger lItalie
dun excs de population, bien que ces motifs aient aussi
guid la conduite des princes , qu tablir au milieu de
populations barbares des foyers de civilisation.
Leffort de Csar se porta principalement sur la partie de
la cte la plus voisine de la Sicile et sur les grandes agglom-
rations qui existaient dans la valle de la Medjerda. Il est vrai,
770 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

comme on la fait observer, que les municipalits ainsi ta-


blies furent constitues dabord sur le modle des villes ph-
niciennes, et non sur celui des communes latines ; que les
magistrats quon y rencontre cette date sont des sufftes
et non des duumvirs ; mais il ne faut voir dans ce rgime
quune tolrance habile, destine prparer lassimilation
en mnageant la transition. La preuve en est que peu peu
les titres des magistrats se modifirent, de mme que peu
peu la langue punique cda le pas, pour les relations officiel-
les, la langue latine. Ctait bien en ralit la civilisation
romaine qui simplantait dans le pays, mme lorsquelle se
dissimulait sous des apparences phniciennes. On a tout lieu
de croire que, si la transformation complte des nouvelles
colonies ntait pas acheve la mort de Csar, elle le fut
sous Auguste.
Celui-ci chercha, de plus, tendre linfluence romaine
dans la direction de la Maurtanie, encore insoumise ; de lui
datent les premires communes latines de lOuest : Carten-
nas, Gunugu, Zucchabar, Saldae, Tupusuctu, Igilgili, Babba,
Banasa.
Ses successeurs continurent son uvre, mais lente-
ment, malgr la pacification de jour en jour plus complte de
la contre. Claude, lui aussi, donna le droit romain ou latin
plusieurs villes de Maurtanie : Caesarea Rusucurru, Tipasa,
Oppidum Novum, Tingis, Lixus et peut-tre Volubilis ; il est
vident que la proccupation constante des premiers empe-
reurs tait de prparer les voies lannexion du royaume de
Juba et de Ptolme.
Cette dernire tape de la conqute une fois franchie, on
songea de nouveau lAfrique. Vespasien ou ses fils firent
dAmmaedara et de Cillium des colonies romaines ; Trajan
accorda le mme honneur Stif, aux grandes villes de la cte
CONCLUSION. 771

orientale qui ne le possdaient pas encore, comme Hadrum-


te, Oea, Leptis Magna, et aussi un certain nombre de cits
situes au pied de lAurs : Theveste, Mascula, Thamugadi.
Ainsi, au dbut du IIe sicle, toute ltendue des pro-
vinces africaines tait seme de municipalits rgulire-
ment organises, depuis les Colonnes dHercule jusquaux
confins du dsert. Sans doute, elles taient encore assez ra-
res et comme perdues au milieu des populations barbares
qui les entouraient ; mais leur influence tait dj considra-
ble, surtout dans la province dAfrique propre. Ds le rgne
de Trajan peut-tre, avec Capsa, certainement sous Hadrien,
avec Avitta, Bisica, Telmin, un certain nombre de cits liby-
co-puniques taient assez civilises pour tre transformes
en municipes ; le mouvement ne fit que saccentuer dans la
suite.
Le IIe sicle est vraiment pour lAfrique une poque de
grande prosprit, et dune prosprit toute romaine. Dans les
cits libyco-puniques qui ne sont pas encore mres pour tre
promues au rang de communes de droit romain, aussi bien
que dans les centres berbres, les dieux romains reoivent
des hommages ; les indignes abandonnent peu peu leurs
noms pour se parer de noms latins, qui nen sont souvent que
la traduction exacte : les Namphamo deviennent des Felix, les
Mathan des Datus ou des Donatus, les Gadnaam des Fortu-
natus, les Guer des Hospes, les Ben-Hodech des Januarius ;
lagriculture se dveloppe sous limpulsion des empereurs
eux-mmes, les plus riches propritaires terriens du pays ; les
cits grandes et petites se couvrent de constructions luxueu-
ses, bties suivant les donnes des architectes romains : la
plupart des monuments du forum de Thamugadi datent dHa-
drien, sinon de Trajan ; le plus lgant des arcs de Sufetula
est du temps dAntonin le Pieux, et le beau temple de Thugga
remonte Marc-Aurle. La mme poque voit natre aussi,
772 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

de toutes parts, des bourgades et des villages que les empereurs


du IIIe sicle transformeront en municipalits, et souvrir de
grandes voies de communication travers le pays. LAfrique
jette mme un certain clat littraire avec Apule et Fronton ;
elle fournit des professeurs Rome ; elle lui donnera bientt
des empereurs.
Ce suprme honneur, auquel elle arrive avec Septime-
Svre, y augmenta naturellement encore la vie et la richesse.
Le prince noublia pas sa province natale dans la distribution
de ses faveurs, et celle-ci ne lui mnagea pas, en change,
les tmoignages de sa gratitude. Le nombre des monuments
qui remontent cette priode est considrable, comme aussi
celui des inscriptions quon y grava. A lire tous ces textes
pigraphiques, qui se sont rencontrs mme dans les parties
les plus sauvages et dans les bourgades les plus petites, on
pourrait croire que lAfrique septentrionale est devenue en-
tirement romaine de murs, desprit et de cur. Il nen fut
pas cependant ainsi: elle resta surtout attache lempereur et
sa famille ; la preuve en est quil existait encore, la mort
de Caracalla, malgr la mesure quil avait prise pour ten-
dre largement le droit de cit dans lEmpire, et mme post-
rieurement Svre-Alexandre, beaucoup de centres habits
que lon navait pas encore jugs dignes du titre de municipe.
Leur entre successive dans la cit romaine fut la tche des
empereurs suivants jusqu Diocltien. Ce qui restait encore
faire en ce sens, il ne fallait plus le demander lEmpire
romain vieillissant et affaibli.
Est-ce dire que lAfrique ft assimile et que la solide
occupation militaire, ainsi que les efforts srieux et continus
faits par les empereurs, aient amen avec le temps labsorp-
tion complte du vaincu il Ce serait une grave erreur de le
croire. Si linfluence romaine parvint effacer officiellement
CONCLUSION. 773

les restes de linfluence phnicienne, si les sufftes firent place


partout aux duumvirs, la langue punique ne disparut pas dans
lusage courant ; nous en avons pour preuve tous ces tex-
tes no-puniques que lon a dcouverts et que lon dcouvre
encore chaque jour : ils nous montrent que les descendants
des Carthaginois ne cessrent pas de parler leur langue et de
lcrire. Les plus caractristiques sont assurment ceux que
les habitants de Mactaris gravaient dans leurs cimetires ou
dans leur sanctuaires : plusieurs des dfunts ou des ddicants
portaient des noms romains ; ils taient pourtant si peu ro-
mains, que ces noms-l mme on les crivait en no-punique
sur les pitaphes et les ex-voto. Nous savons, dautre part,
que du temps de saint Augustin, cest--dire la veille de la
conqute de lAfrique par les Vandales, les prtres ne pou-
vaient se faire entendre du peuple quand ils ne connaissaient
pas le punique. Lidiome phnicien ne disparut que dans les
sicles suivants.
Si telle tait la persistance de linfluence carthaginoise
qui, somme toute, tait, elle aussi, une trangre en Afrique,
on ne stonnera pas de voir llment purement africain r-
sister victorieusement aux efforts de la colonisation romaine.
Malgr cinq cents ans de soumission Rome et de rapports
constants avec ses magistrats, ses soldats, ses colons, les Ber-
bres nont jamais rien dsappris, rien abandonn. Jusquau
dernier jour, ils sont rests, du moins dans les parties retires
du pays, surtout dans les montagnes, organiss en tribus avec
un chef et un conseil des anciens ; ils ont continu adorer
leurs dieux : Bacax, Ifru, les dii Mauri ; ils ont gard leur lan-
gue et leur criture, et ils les ont gardes avec un soin si jaloux,
quelles subsistent encore aujourdhui. Ils ont mme conser-
v leur art, sil est permis de se servir de ce mot propos de
productions aussi informes ; on a montr que les bas-reliefs
grossiers que les Africains sculptaient pour leurs divinits
774 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

et pour leurs morts pendant toute la dure de lEmpire


ntaient pas du romain manqu, mais les produits dun art
mi-romain, mi-punique, interprt par des Berbres suivant
les donnes de leurs bauches primitives .
Luvre de Rome en Afrique na donc point t si ache-
ve quelle soit parvenue effacer toute distinction entre les
diffrents habitants du pays. Derrire lAfrique officielle, ou
semi-officielle, avec son rgime administratif man de la m-
tropole, avec ses municipes ou ses colonies, avec son Jupiter
Optimus Maximus et ses Capitoles, avec ses arcs de triomphe
et ses statues drapes la romaine, vit et prospre, grce
Rome, il est vrai, et la faveur de la paix quelle maintient
dans le pays, une population nombreuse et active qui garde
ses lois, ses usages, ses croyances, et ne se rapproche de la
civilisation romaine, laquelle sa nature est trangement re-
belle, que dans les limites de ses besoins trs restreints. Cette
population, cinq sicles doccupation et de protectorat ne sont
pas parvenus lassimiler.
Il y a dans ces constatations de quoi consoler les amis de
lAlgrie et de la Tunisie, de quoi faire rflchir les impatients.
On a souvent compar notre domination dans lAfrique du
Nord celle des Romains ; on nous a cit leur exemple com-
me un modle suivre ; on a prtendu que, forts de leur exp-
rience, nous pouvions marcher hardiment sur leurs traces. On
a oubli dans quelles conditions beaucoup moins avantageu-
ses nous avions entrepris la conqute, organis loccupation,
tent la colonisation. Amens Alger par des circonstances
presque indpendantes de notre volont, nous nous sommes
trouvs engags dans la partie comme malgr nous, la veille
dune rvolution intrieure, qui mit en question la lgitimit
mme de la victoire. Le gouvernement nouveau nosa pas,
pendant quelque temps, pousser vigoureusement les opra-
tions militaires, car il avait compter avec les hsitations des
CONCLUSION. 775

Chambres, avec les garements de lopinion, avec les partis


pris de la presse, et aussi avec les jalousies des nations voi-
sines ; en Afrique mme, nous ne savions pas o trouver de
Massinissa pour nous aider et pour prparer les voies no-
tre occupation ; par contre, les Jugurtha et les Tacfarinas ne
manquaient pas. Au lieu des Libyco-Phniciens, cest--dire
dune population sdentaire, industrielle, agricole, dj civi-
lise, nous rencontrions devant nous des Arabes nomades et
guerriers, des Berbres farouches, des Turcs dpravs, tous
galement hostiles la civilisation europenne et surtout s-
pars de nous par le plus profond des abmes, celui que creuse
la religion. Le sol lui-mme tait presque partout en friche ;
lignorance, la paresse, la corruption rgnaient en matresses
dans toute ltendue de lAlgrie. Et cependant nous avons
fait subir au pays, en quatre-vingts ans, un changement com-
plet. La paix romaine na jamais t plus profonde ni plus
assure que celle dont jouit aujourdhui lAfrique du Nord ;
ladministration vnale des Orientaux nous avons substitu
un rgime plus relev, fait limage du ntre, mais appropri
aux besoins et aux habitudes des administrs ; la colonisa-
tion stend beaucoup plus au Sud, surtout dans la province
dOran, qu lpoque de Septime-Svre ; des centres euro-
pens ont t crs en grand nombre un peu de tous cts ;
des voies de communication ont t Traces, qui rappellent
par leur solidit les grandes routes de lEmpire romain ; les
forts ont t replantes ; lagriculture a trouv dans lemploi
des mthodes nouvelles, que les indignes mmes adoptent
peu peu, des ressources inconnues jusquici aux campa-
gnes africaines ; lindustrie et le commerce ont pris un grand
dveloppement.
Tout cela nest encore quun dbut. Parviendrons-nous ja-
mais transformer la socit indigne assez compltement pour
la pouvoir assimiler, et russirons-nous l o Rome a chou ?
776 ARME ROMAINE DAFRIQUE.

Cest le secret de lavenir. Il faut bien, pour le moment, nous


rendre cette justice, que nous faisons des efforts srieux pour
y parvenir. Les Romains avaient cr des coles pour les en-
fants de la bourgeoisie dans les grandes villes, Carthage,
Madaure, Thagaste ; nous en avons ouvert et nous voulons
en ouvrir partout et pour tous, surtout pour les humbles, qui
ont plus gagner encore que les autres se rapprocher de
nous.
Nous pouvons donc sans crainte, et malgr les fautes
nombreuses quil ne sert rien de cacher, comparer notre oc-
cupation de lAlgrie et de la Tunisie celle des mmes pro-
vinces africaines par les Romains ; comme eux, nous avons
glorieusement conquis le pays ; comme eux, nous en avons
assur loccupation ; comme eux, nous essayons de le trans-
former notre image et de le gagner la civilisation. La seule
diffrence, cest que nous avons fait en moins dun sicle plus
quils navaient accompli en trois cents ans. Que le mrite eu
revienne lpoque doutillage perfectionn o nous vivons,
notre fortune ou, osons le dire, certaines de nos qualits,
tout lavantage est, pour le moment, de notre ct.
TABLE DES MATIRES.
PRFACE......................................................................................................................VII
INTRODUCTION...........................................................................................................IX
BIBLIOGRAPHIE......................................................................................................XXV

LIVRE PREMIER.
LES GUERRES DAFRIQUE. SOUS LEMPIRE.

CHAPITRE PREMIER.

Depuis le commencement du rgne dAuguste jusqu la fin du rgne dHadrien...........3

CHAPITRE II.

Depuis le rgne dAntonin le. Pieux jusqu larrive des Vandales...............................47

LIVRE II.
LARME DOCCUPATION JUSQU DIOCLTIEN.

PREMIRE PARTIE.

ARME DAFRIQUE ET DE NUMIDIE....................................................................107

CHAPITRE PREMIER.

Composition de larme dAfrique et de Numidie........................................................107

CHAPITRE II.

Le commandant en chef de larme dAfrique et de Numidie......................................122


Le proconsul.......................................................................................................122
Le lgat..............................................................................................................123
Ltat-major du lgat...........................................................................................128
778 TABLE DES MATIRES.

CHAPITRE III.

La lgion IIIe Auguste ..................................................................................................140


Histoire de la lgion............................................................................................140
Les lgats de la lgion .......................................................................................162
Les tribuns de la lgion......................................................................................162
Le prfet du camp..............................................................................................166
Les centurions, les dcurions et les options, les vocats....................................175
Les sous-officiers et les spcialistes..................................................................183

CHAPITRE IV.

Les auxiliaires de larme dAfrique et de Numidie......................................................194


Histoire des troupes auxiliaires dAfrique et de Numidie.................................194
Personnel des troupes auxiliaires dAfrique et de Numidie...............................207

CHAPITRE V.

Garnison de Carthage.....................................................................................................211

SECONDE PARTIE.
ARME DE MAURTANIE CSARIENNE..............................................................217

CHAPITRE PREMIER.

Composition de larme de Maurtanie Csarienne......................................................217

CHAPITRE II.

Le commandant en chef de larme de Maurtanie Csarienne....................................228


Le procurateur.....................................................................................................228

CHAPITRE III.

Les troupes de Maurtanie Csarienne..........................................................................235


Historique des troupes de Csarienne.................................................................235
779 TABLE DES MATIRES.

TROISIME PARTIE.

DE MAURTANIE TINGITANE..................................................................................253
Composition, commandant en chef et personnel de larme de Tingitane........253

QUATRIME PARTIE.

Les TROUPES IRRGULIRES DE LARME DAFRIQUE..................................261

CINQUIME PARTIE.

LESCADRE DAFRIQUE............................................................................................275
Composition de lescadre....................................................................................275

SIXIME PARTIE.

RGIME ADMINISTRATIF ET LGAL DU CORPS DOCCUPATION..................285

CHAPITRE PREMIER.

Recrutement de larme doccupation...........................................................................287


Lgion IIIe Auguste............................................................................................287
Auxiliaires.........................................................................................................303

CHAPITRE II.

Services administratifs du corps doccupation...............................................................309


Vivres militaires.................................................................................................310
Vtements..........................................................................................................334
Armes.................................................................................................................336
Solde..................................................................................................................338
Remonte.............................................................................................................340

CHAPITRE III.

Le culte dans le corps doccupation dAfrique..............................................................342

CHAPITRE IV.

Les travaux de la paix....................................................................................................356


780 TABLE DES MATIRES.

CHAPITRE V.

tat civil des soldats......................................................................................................368


Officiers suprieurs............................................................................................370
Officiers infrieurs, sous-officiers et soldats......................................................373

CHAPITRE VI.

Les caisses dpargne et les collges militaires.............................................................386

CHAPITRE VII.

Les vtrans....................................................................................................................409

LIVRE III.
LOCCUPATION TERRITORIALE DE LAFRIQUE.

PREMIRE PARTIE.

CAMPS DE LINTRIEUR..........................................................................................428

CHAPITRE PREMIER.

Arme dAfrique et de Numidie.....................................................................................428


Camp de Tbessa................................................................................................428
Camp dit des auxiliaires Lambse...................................................................434
Grand camp de Lambse.....................................................................................441

CHAPITRE II.

Arme de Maurtanie Csarienne..................................................................................520

CHAPITRE III.

Arme de Maurtanie Tingitane....................................................................................522


781 TABLE DES MATIRES.

SECONDE PARTIE.
POSTES TABLIS SUR LES FRONTIRES..............................................................523

CHAPITRE PREMIER.

Arme dAfrique et de Numidie.....................................................................................523


Frontire de Tripolitaine.....................................................................................524
Frontire dAfrique.............................................................................................569

CHAPITRE II.

Arme de Maurtanie Csarienne..................................................................................609


Voie militaire centrale de la Maurtanie.............................................................614
Massif des Bibans et des Babors...................................................................... 629
Massifs de la Grande-Kabylie et du Djurjura.....................................................638
Massif du Dahra avec ses prolongements occidentaux.................................... 648
Massif du Tessala avec ses annexes...................................................................653
Massif de lOuarsenis.........................................................................................656

CHAPITRE III.

Arme de Maurtanie Tingitane....................................................................................667

TROISIME PARTIE.
LOCCUPATION DES LIMES ET LE SYSTME DFENSIF...................................680

LIVRE IV.
LOCCUPATION MILITAIRE DE LAFRIQUE APRS DIOCLTIEN.

CHANGEMENTS APPORTS DANS LE MODE DOCCUPATION.......................705

CHAPITRE PREMIER.

Le commandant en chef................................................................................................ 718


Afrique...............................................................................................................718
Tripolitaine........................................................................................................718
Maurtanie Csarienne.......................................................................................724
Maurtanie Tingitane.........................................................................................726
782 TABLE DES MATIRES.

CHAPITRE II.

Larme doccupation.....................................................................................................728

SECTION PREMIRE.

Arme mobile. Sa composition. Ses variations.


Afrique...............................................................................................................728
Tripolitaine........................................................................................................728
Maurtanie Csarienne.......................................................................................734
Maurtanie Tingitane..........................................................................................735
Personnel de larme mobile...............................................................................737

SECTION II.

Arme sdentaire des frontires......................................................................................739


Ailes, cohortes, numeri......................................................................................740
Limilanei............................................................................................................741

CHAPITRE III.

Les limites.......................................................................................................................747
Tripolitaine........................................................................................................747
Afrique...............................................................................................................751
Maurtanie Csarienne.......................................................................................757
Maurtanie Tingitane..........................................................................................762
Organisation des limites.....................................................................................765

CONCLUSION.............................................................................................................767
INDEX ANALYTIQUE.................................................................................................777
TABLE DES MATIRES...............................................................................................797
TABLE DES PLANCHES HORS TEXTE.

Arme de Maurtanie (Cavaliers).............................................................239


Colonne Trajane. Cavalerie maure............................................................268
Plan du port romain de Cherchell..............................................................275
Briques lgionnaires de larme dAfrique. Fac-simile........................362
Plan du camp de Lambse.........................................................................437
Porte septentrionale du camp de Lambse.................................................459
Vues du Praetorium de Lambse...........................................................467
Premire cour du Prtoire (Armamentaria)................................................473
Mme cour (ct Est). Bureau des Custodes armorum..............................497
Cour dune caserne.....................................................................................499
Remises et curies......................................................................................507
Grande citerne............................................................................................513
Carte de loccupation de la Tripolitaine.....................................................529
Porte du camp de Bondjem........................................................................557
Carte de la Petite-Kabylie..........................................................................629
Carte de la Grande-Kabylie et du Djurjura................................................633
Carte de la Maurtanie Tingitane, dresse par M. de la Martinire...........667
Carte des contins militaires de lAfrique romaine (IVe et Ve sicles).......747
Carte de loccupation militaire de lAfrique par les Romains...................784

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