La Chimie Dand L Art - EDP Sciences PDF
La Chimie Dand L Art - EDP Sciences PDF
La Chimie Dand L Art - EDP Sciences PDF
et lart
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Christian Amatore
Anne Bouquillon
Sophie Descamps-Lequime
Rose Agns Jacquesy
Koen Janssens
Jean-Claude Lehmann
Michel Menu
Marc Thbault
Bernard Valeur
Philippe Walter
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L I V R E S
La chimie et lart,
Le gnie au service de lhomme
La chimie
et lart,
le gnie au service de lhomme
Christian Amatore, Anne Bouquillon, Sophie Descamps-Lequime,
Rose Agns Jacquesy, Koen Janssens, Jean-Claude Lehmann, Michel Menu,
M.A. THEBAULT, Bernard Valeur, Philippe Walter
Coordonn par Minh-Thu Dinh-Audouin, Rose Agns Jacquesy,
Danile Olivier, Paul Rigny
Imprim en France
ISBN : 978-2-7598-0527-3
Tous droits de traduction, dadaptation et de reproduction par tous procds, rservs pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 nautorisant, aux
termes des alinas 2 et 3 de larticle 41, dune part, que les copies ou
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du code pnal.
EDP Sciences
17, avenue du Hoggar, P.A. de Courtabuf, BP 112
91944 Les Ulis Cedex A, France
Ont contribu la
rdaction de cet ouvrage :
Christian Amatore
cole normale suprieure,
Dpartement de Chimie,
UMR 8640 ENS-CNRS-UPMC,
Paris
Anne Bouquillon
Centre de recherche
et de restauration des Muses
de France (C2RMF),
UMR CNRS 171,
Paris
Sophie Descamps-Lequime
Muse du Louvre,
Dpartement des Antiquits
grecques, trusques
et romaines,
Paris
M.A. THEBAULT
Artiste et professeur
en secteur art espace,
cole nationale suprieure
des arts dcoratifs (ENSAD),
Paris
Bernard Valeur
Conservatoire national des arts
et mtiers, Paris,
Dpartement Sciences et
techniques industrielles
Philippe Walter
Centre de recherche
et de restauration des Muses
de France (C2RMF),
UMR CNRS 171,
Paris
quipe ditoriale
Minh-Thu Dinh-Audouin,
Rose Agns Jacquesy,
Danile Olivier
et Paul Rigny
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Sommaire
11
41
La chimie et lart
LActualit Chimique
veut
contribuer faire connatre
un large public limpact
quont, par leurs rsultats,
les Sciences Chimiques pour
leur vie quotidienne. Dans le
mme objectif, la Fondation
de la Maison de la Chimie
organise des colloques et
autres manifestations scientiques qui traitent chaque
fois dun domaine dapplication particulier (la mer, la
sant, lart et le patrimoine,
lalimentation et beaucoup
dautres champs qui concernent la vie en socit). La
rencontre entre ces deux
initiatives donne naissance
aux ouvrages, cons lditeur EDP Sciences pour ldition et la diffusion, La chimie
et , qui veulent prenniser les enseignements des
colloques. Aprs les premiers
volumes, La chimie et la
mer , puis La chimie et
la sant , cest aujourdhui
La chimie et lart que vous
prsente la collection LActualit Chimique Livres. Mme
sils veulent faire connatre
les apports multiples et
souvent insouponns des
Sciences Chimiques un
vaste auditoire, ces ouvrages
demandent leurs lecteurs
de disposer dune certaine
Avantpropos
La chimie et lart
10
Prface
La chimie et lart
de la cration au service de
lhomme et par lamour du
Beau. Leur rencontre et leurs
changes mutuels, mais
aussi avec les participants
du colloque, sont retranscrits dans les chapitres de
cet ouvrage, dans lesquels
sciences, art et culture sont
intimement mls. Je tiens
tous les remercier pour avoir
accept notre invitation et y
avoir rpondu si gnreusement par de superbes contributions, avec une mention
particulire pour les artistes
qui ont accept de se plier
au jeu inhabituel pour eux de
cooprer troitement avec les
scientiques la rdaction
dun ouvrage destin des
lecteurs non spcialiss.
La Fondation de la Maison
de la Chimie a lobjectif et
la volont dapporter un
large public, et aux jeunes en
particulier, une image aussi
exacte que possible du rle
des sciences de la chimie dans
12
ou
par
un acclrateur
de particules au Louvre
depuis 20 ans
La matire constituant un
objet dart ou darchologie
recle de nombreux indices
trs utiles pour leur tude.
En particulier, sa composition
chimique permet didentier le
matriau, sa provenance, les
recettes de fabrication et ses
ventuelles altrations. Lacclrateur de particules Agla
a t install au Palais du
Louvre Paris (Figure 1) pour
permettre le dveloppement
de lanalyse non invasive des
Agla,
la Beaut
vue la
Science
La chimie et lart
Figure 1
Lacclrateur de particules
Agla trne dans les laboratoires
souterrains du muse du Louvre
et travaille pour donner vie aux
uvres dart.
La naissance
1
dAgla et sa
gestation
Depuis
dcembre
1987
est install au Centre de
recherche et de restauration des muses de France
(C2RMF) un acclrateur
dions qui a t baptis Agla
(Figure 1). Cest le nom
dune des trois Grces de la
Grce ancienne, associe
la beaut, mais cet acronyme
signie galement Acclrateur Grand Louvre dAnalyse
lmentaire. Un tel appareil
permet de mettre disposition des responsables des
collections de muses, des
scientiques et des restaurateurs, un ensemble de
techniques dites danalyse
par faisceau dions nergtiques (Ion Beam Analysis,
IBA), couramment utilises
en physique des solides et des
matriaux, et plus rcemment
en biologie.
14
prsenter une grande sensibilit, augmentant considrablement le nombre dlments chimiques dcels
simultanment, mme ceux
prsents ltat de traces.
Car les plus inmes dentre
elles peuvent se rvler dterminantes pour fournir des
critres de caractrisation de
la provenance, de lpoque ou
de lauthenticit des objets !
permettre deffectuer trs
rapidement ltude de sries
dobjets pour tablir des
rapprochements
chronologiques, technologiques ou
esthtiques, que lon met
en vidence simultanment
grce aux traitements des
donnes par ordinateur.
Pour rpondre ces critres,
les chercheurs du C2RMF ont
dvelopp une ligne exprimentale spcique Agla,
que lon appelle le microfaisceau extrait lair. Ce
dispositif original, dont nous
allons dcrire le principe
(paragraphe 3), a atteint un
trs haut degr de sophistication. Depuis quelques annes,
lintrt de cette approche a
dailleurs conduit des quipes
europennes demander
laccs de lacclrateur dans
le cadre de linfrastructure
intgre Eu-ARTECH1.
1. Eu-ARTECH est un projet inscrit dans le 6e programme cadre
de recherche et dveloppement
europen, et coordonn par luniversit de Prouse (Italie). Treize
15
La chimie et lart
Figure 2
Les locaux du Centre de recherche et de restauration des muses de France (C2RMF) (A), installs au
Grand Louvre (B).
16
le soutien de la communaut
scientifique, mme si les
conditions initiales ntaient
pas des plus favorables. Mais
lenthousiasme de la petite
quipe des origines allait
compenser certaines insuffisances (taille rduite de
lquipe, budget limit, etc.).
17
La chimie et lart
Figure 3
Salle de la machine avant
linstallation dAgla.
18
roulante en bton de 80 cm
dpaisseur. La distribution
et la circulation des efuents
rent galement lobjet dune
tude particulire : extraction
des gaz polluants et distribution deau de refroidissement
dminralise par des changeurs branchs sur un rseau
deau froide. La distribution du
courant lectrique fut spare
en trois rseaux acclrateur , mesure et domestique
au travers de transformateurs
disolement an de garantir
des conditions optimales de
mesure des signaux mis lors
des expriences.
Les lments de lacclrateur furent livrs en dcembre
Agla
tait
maintenant
install : les faisceaux dions
pouvaient entrer en action.
Place la physique, place
lanalyse des uvres dart
Figure 4
Livraison de lacclrateur Agla
au milieu du chantier du Grand
Louvre.
19
La chimie et lart
Figure 5
Lobjet dart analyser (ici le lustre dune cramique) est plac devant lil dAgla qui le sonde.
Pour ce faire, lacclrateur envoie un faisceau de particules ioniques qui bombardent lobjet et le font parler.
20
La mthode PIXE (Particle Induced X-ray Emission ou mission de rayons X induite par des
particules charges), est la principale mthode utilise pour mesurer la composition des
matriaux en lments chimiques majeurs, mineurs et sous forme de traces.
PIXE, comment a marche ?
Lorsque les particules du faisceau dAgla bombardent le matriau, les atomes de ce dernier
sont stimuls et mettent un rayonnement X, caractristique de chaque lment chimique.
Ce phnomne se produit en trois phases (Figure 6) :
1) en pntrant dans lobjet analyser, une particule du faisceau jecte un lectron proche
du noyau dun atome du matriau ;
La mthode PIXE
2) latome ne reste pas dans cet tat instable et excit : le trou laiss est aussitt combl par
un lectron dune orbite plus extrieure de latome ;
3) lors de ce rarrangement, latome met un rayon X pour librer son excs dnergie. Selon
la nature des couches lectroniques impliques, les rayons X produits correspondent aux
raies dmission K, L et M. chaque lment chimique correspond une nergie de rayon X
bien dtermine.
Il reste alors dtecter ce rayon X caractristique et den dduire la composition de la
matire.
Figure 6
La mthode PIXE utilise la proprit de la
matire dmettre des rayons X sous leffet
dun faisceau dions.
Ainsi, la mthode PIXE fait parler la matire, sans prlvement. Plusieurs conditions sont
nanmoins requises : en pratique, les particules le plus souvent employes sont des protons
peu nergtiques, de 1,5 4 MeV (eV = lectronvolt). Le courant de particules est choisi sufsamment faible pour ne pas endommager la matire : de quelques centaines de picoampres
pour les matriaux fragiles tels que les papiers 50 nanoampres pour les mtaux.
Un petit historique
Ce phnomne, selon lequel des rayons X sont mis sous limpact dun faisceau de particules,
a t observ ds 1912. Pourtant, il a fallu attendre plus de 50 ans, avec le dveloppement
de dtecteurs de rayons X semi-conducteurs (diodes de silicium dop au lithium Si(Li)), la
disponibilit de petits acclrateurs et lavnement dordinateurs pour pouvoir lemployer
des ns danalyse chimique. En 1970, lquipe de Johansson jette les fondements de cette
technique quil dnomme PIXE [6]. Linterprtation des spectres X permettant de remonter
aux concentrations des constituants de la cible est base sur lemploi de codes de calcul,
aujourdhui sur le logiciel GUPIX de J. L. Campbell [7].
21
La chimie et lart
Tableau 1
Avantages et inconvnients de la mthode PIXE.
Avantages
non destructive, sans prlvement
panoramique : mesure simultane du
sodium luranium
sensible : mieux que 10 ppm pour 20<Z<30
rapide (quelques minutes) : rendement X
lev
Inconvnients
ne mesure pas le carbone, loxygne,
lazote
pas dinformation
chimiques
sur
les
liaisons
prcise : rsultats 5 %
Figure 7
La chimie et lart
Un faisceau de deutons peut galement tre employ pour exciter les noyaux des atomes.
Il sest avr trs sensible la dtection de loxygne, du carbone et de lazote. Une tude
systmatique entreprise avec Agla pour mesurer le rendement dmission de raies
induites par deutons sur des cibles paisses a montr la bonne sensibilit pour les lments
sodium, silicium, soufre, chlore et potassium, mais aussi pour le carbone et loxygne [9].
Cette mthode a ainsi t employe pour caractriser des lments lgers dans des objets
en bronze et obtenir des informations nouvelles sur les technologies dlaboration utilises
dans les toutes premires mtallurgies.
Figure 8
Les mthodes NRA et PIGE : on envoie
un faisceau dions de haute nergie et
lon sonde les noyaux des atomes.
La mthode ERDA
Lanalyse par dtection des atomes de recul ERDA (Elastic Recoil Detection Analysis) est
utilise principalement pour le dosage dlments lgers comme lhydrogne.
ERDA, comment a marche ?
Cette mthode a t initialement mise au point au moyen dun faisceau dions incidents relativement lourds (35Cl de 30 MeV), et par la suite a t optimise an de doser lhydrogne
laide dun faisceau dhlium de quelques MeV. La cinmatique est la mme que pour la RBS
mais cette fois-ci, on sintresse non plus aux particules rtrodiffuses mais aux atomes de
recul mis aux angles avant.
Dans le cas du dosage de lhydrogne, le faisceau incident de particules induit des protons
de recul mais aussi un nombre important de particules diffuses vers lavant. Il faut donc
sparer ces contributions qui se superposent sur le plan nergtique en plaant devant le
dtecteur un mince lm de polymre qui stoppe les particules les plus lourdes.
Cette technique permet de mesurer des phnomnes dhydratation la suite daltration de
verre ou de quartz dans des milieux archologiques ou dans les muses [10].
24
Figure 9
Pectoral au nom du pharaon
Ramss II. Nouvel Empire,
19e dynastie, gypte, Saqqara,
Srapum, tombe de lApis mort
en lan 26 de Ramss II. Muse du
Louvre, Inv. E79 et E80.
25
La chimie et lart
26
Plusieurs programmes de
recherche ont galement t
mens pour retrouver lorigine dobjets ou doutils en
obsidienne, un verre volcanique. Lobsidienne est une
roche acide, pratiquement
dpourvue de cristaux ; sa
composition chimique lmentaire est par consquent
trs homogne sur lensemble
de la coule, y compris en lments traces qui deviennent
alors des traceurs dorigine.
En analysant les matires
dcouvertes sur leur site dorigine, on peut crer une base
de donnes qui permet dattribuer une origine un objet
dcouvert dans un contexte
archologique. Ses proprits intrinsques (sa couleur
et son aspect particulier, sa
cassure lisse et conchodale
se prtant bien aux oprations de taille) ont conduit
les hommes prhistoriques
lemployer pour fabriquer des
outils ; les archologues ont
remarqu quelle pouvait tre
retrouve loin de toute source
de matire premire [13]. Une
application de ces travaux a
t ralise pour comprendre
la nature et lorigine de supports en obsidienne employs
par Bartolom Esteban Murillo
(1617-1682) pour la ralisation
de plusieurs de ses uvres
(Figure 10). La composition de
ces supports obtenue par PIXE
a montr une grande similitude avec une srie dobjets
archologiques rectangulaires
du Musum National dHistoire Naturelle Paris appels miroirs fumants et
supposs prcolombiens. La
comparaison avec une base de
donnes de composition dobsidiennes a permis dattribuer
sans ambigut la provenance
Spectre PIXE
haute nergie
dlments traces
Figure 10
A) Le Christ la colonne,
Bartolom Esteban Murillo ;
H. : 0,33 m ; L. : 0,30 m ; Muse
du Louvre, Dpartements des
peintures, Inv. 932. B) Spectres
PIXE avec deux dtecteurs pour la
dtection des lments majeurs et
des traces.
Figure 11
A) Sabre des Empereurs, ayant
appartenu Napolon Ier ; lame
allemande du XVIIe sicle, grave du
nom des Empereurs romains et du
Saint Empire romain germanique
(Inv. F1996.1(1)), 1797, L. : 0,950 m.
B) Spectres RBS montrant
lpaisseur importante de lor
dans le sabre des empereurs ;
en comparaison, mesure sur une
statuette khmre en bronze dor.
nergie (MeV)
1,5
2,0
1,0
2,5
3,0
Fourreau, sabre
Statuette khmre
Rendement normalis
15
10
5
He
0
100
200
CuAu
300
Canal
400
500
27
La chimie et lart
Figure 12
A) Stle hellnistique dAlexandrie,
Muse du Louvre (MA3645).
B) Localisation des points
danalyse par PIXE/PIGE sur
une stle permettant ensuite
une reconstitution virtuelle des
couleurs originelles. C) Exemple
de spectre PIXE. D) Exemple de
spectre PIGE. On observe les
raies dmission du soufre et
de loxygne lorsque lon est en
prsence dun sulfate (ici, sulfate
de strontium = clestine).
Rendement (log)
Clestine de
la tunique
marron +
oxyde de fer
sur pltre de
gypse
Manteau rouge
oxyde de fer
sur pltre de
gypse
Rendement
Carbonate
de plomb du
vtement gris +
bleu gyptien
nergie
28
nergie (kev)
Agla grandit :
le dveloppement
dune ligne de faisceau
extrait lair
Ds 1990, la source de
rayonnement et le dispositif dinjection ont t transforms pour obtenir une
meilleure abilit et dlivrer les intensits de courant de faisceau sufsantes
pour exploiter les techniques
danalyse par faisceaux dions
(Encart Les faisceaux dions
font parler la matire ). En
parallle dbutait un projet
de microsonde nuclaire qui
avait pour but de caractriser des chantillons avec
une rsolution de lordre du
micromtre, une sensibilit
bien suprieure celle dun
microscope lectronique et
la possibilit de coupler les
mthodes danalyse par faisceaux dions.
Ce sont ces dveloppements
qui ont conduit la ralisation dun dispositif original :
le micro-faisceau extrait
lair. Nous allons dcrire
ici les grandes tapes de
cette ralisation : tout a
dbut avec le macrofaisceau extrait, suivi de la ligne
micro-faisceau sous vide,
puis nalement la fusion de
ces lignes...
29
La chimie et lart
Figure 13
Lanalyse par faisceau extrait
du scribe accroupi du muse du
Louvre a permis de dterminer la
nature des pigments, enduits et
constituants de lil et du visage.
30
Figure 14
A) Schma de principe du systme PIXE, avec deux dtecteur Si(Li), lun dentre eux, le dtecteur X1, est
protg des particules rtrodiffuses par un decteur magntique (aimant permanent) et de lhlium
est u sur le trajet des rayons X pour faciliter la dtection des lments lgers. Le dtecteur X2, de plus
grandes dimensions, permet la dtection des traces. B) Dessin du nez dextraction du faisceau lair
(chelle de 5 cm).
31
Les choix techniques pour la conception de cette microsonde ont fait largement appel des solutions prouves
et standardises : fentes, lentilles et chambre dOxford
Microbeams pour la focalisation avec la mise en place dun
partenariat de recherche avec Geoff Grime, Universit
dOxford). Une attention particulire a t porte sur le
systme anti-vibrations an disoler le systme de focalisation, la chambre danalyse et les fentes objets des vibrations hautes frquences produites par les pompes vide.
Dans notre dispositif, les fentes objets sont spares du
systme de focalisation et de la chambre danalyse par une
distance de 6 mtres. Chacun de ces lments repose sur
deux blocs de calcaire massif (600 kg) entre lesquels sont
insres des plaques de polystyrne de 25 mm dpaisseur.
Cet ensemble constitue un ltre en frquence mcanique
destin absorber les vibrations externes (Figure 15).
Figure 15
La ligne de micro-faisceau dans les laboratoires du Louvre.
33
La chimie et lart
Figure 16
Le physicien Joseph Salomon met
en place un objet dans le dispositif
de faisceau extrait lair.
34
Ce nouveau dispositif a
galement
permis
de
mettre
en
uvre
les
autres techniques danalyse par faisceaux dions :
RBS avec faisceau de particules , NRA avec des deutons et mme ERDA avec des
. Il a pour cela t ncessaire
de rduire encore la quantit
de matire employe pour la
fentre dextraction du faisceau. En effet, la traverse par
les particules dune fentre
dextraction de quelques
micromtres dpaisseur induit une forte dispersion de
leur nergie et une augmentation du diamtre du faisceau.
La disponibilit de fentres
de sortie de faisceau ultra
minces de nitrure de silicium
(100 nm dpaisseur) a permis
de raliser des mesures RBS
pression atmosphrique
avec un faisceau dions dhlium dnergie de 2 6 MeV,
avec une rsolution en nergie
satisfaisante (quelques dizaines de keV avec un dtecteur
au silicium barrire de surface courant, contre environ
15 keV sous vide).
nergie (MeV)
B
1,0
Rendement normalis
200
1,5
2,0
2,5
3,0
400
500
150
100
50
0
100
200
300
Canal
Figure 17
A) Sceau en plomb du Pape
Honorius III, Archives Nationales
de France. B) Spectres RBS
(3He2+ 3 MeV) de deux coupons de
plomb, lun juste nettoy, lautre
expos six mois la corrosion
atmosphrique : on observe la
formation dune couche oxyde de
quelques micromtres dpaisseur.
35
La chimie et lart
Figure 18
Cartographie PIXE des pigments
sur une reprsentation romaine de
visage (Muse de Metz) : lanalyse
rvle les quantits de pigments
jaunes et rouges employs pour
raliser les nuances de couleur,
mais aussi la prsence dun
pigment base de cuivre (bleu
gyptien) sur les paupires
infrieures. Des problmes de
conservation rendent invisibles ces
traces de pigments. Un exemple
mieux conserv et comparable a
t retrouv Pompi.
36
dun
miroir
parabolique
chauffant une plaque mtallique dans laquelle est log
lchantillon face au faisceau
extrait.
4 Agla aujourdhui
Grce aux nombreux dveloppements que nous venons de
voir, et qui nont cess daugmenter le champ dtude des
uvres des muses, Agla
fournit aujourdhui jusqu
10 000 analyses par an aux
chercheurs franais et europens, parfois sur les uvres
les plus prcieuses des
muses !
De nombreux chercheurs se
partagent lutilisation de cette
machine, unique au monde et
particulirement sollicite :
35 % pour les utilisateurs du
C2RMF sur programme ;
20 % pour les activits
de service du C2RMF (sans
programmation) ;
15 % pour la maintenance
de lacclrateur ;
Figure 19
Analyse dune tte en verre bleue
par faisceau extrait lair.
37
La chimie et lart
sexporte et
5 Agla
sagrandit encore
38
6 Agla demain
un paquet dlectrons et un
pulse laser intense). Cette
nouvelle installation serait
constitue dun acclrateur
dlectrons avec un anneau
compact de stockage et une
cavit optique laser pour
obtenir toute une gamme de
rayons X monochromatiques
et cohrents allant de 6 keV
90 keV [19]. ThomX est en
cours de conception par le
Laboratoire de lacclrateur
linaire dOrsay (LAL, CNRSUMR8607) et le Synchrotron Soleil avec notamment
le CELIA (CNRS-UMR5107,
Universit de Bordeaux) et
THALES. Sa construction
bncierait de lavance technologique franaise dans le
domaine des cavits lasers de
haute puissance.
39
La chimie et lart
Bibliographie
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Instruments and Methods in
Physics Research, B14 : 30-37.
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archologie. Mm. de la Socit
Gologique de France, 162 :
249-260.
40
de
mmoire
la
et mode opratoire
des uvres
Lhistorien,
1
le restaurateur,
le chimiste et lartiste
La vision des uvres par un
artiste est singulire. Elle se
distingue de celle de lhistorien dart, de celle du restaurateur, de celle du chimiste.
Sa vision se distingue, mais
ne soppose pas. Elle sajoute
sur luvre comme une strate
de signication.
Chaque regard sur une uvre
dart, sur une peinture en
particulier, est habilit
proposer sa vrit pour en
approfondir la connaissance,
confrontation de la libert
de lartiste et de la libert du
spectateur.
Lhistorien dart, avec une
mthode historique, analyse
et dcompose, classe, rapproche et compare : (Lhistoire de lart cherche) quel
vnement ou quelle loi
obissent
ces
mutations
qui font que soudain les
choses ne sont plus perues,
dcrites, nonces, caractrises, classes et sues de
la mme faon , dit Michel
Foucault [1].
Trsors
La chimie et lart
42
outils,
exprimenter
les
matriaux, imaginer leur
transformation
et
leur
transmission jusqu nous.
Historiens de lart, archologues, chimistes contribuent ensemble clairer les
gures dcouvertes sur les
parois des grottes, les sculptures sur os ou sur ivoire,
les gravures sur plaquettes
qui transmettent un signal
si subtil de la vie de nos lointains anctres [3, 4].
Sarkis est cet artisan de
la mmoire, quil potise :
Mon travail est toujours li
la mmoire. Tout mon vcu
est dedans. Mais lhistoire est
comme un trsor. Elle nous
appartient. Tout ce qui est fait
dans lhistoire nous appartient
tout ce qui est fait par des tres
humains, dans la souffrance et
dans lamour, cest en nous et
cest notre plus grand trsor. Et
tout ce que jai vcu et que jai
fait, cest aussi mon trsor. Et
quand tu concrtises cela dans
une uvre dart, que tu le rends
visible et pntrable, tu peux
voyager avec les formes. Tu
peux ouvrir les frontires au lieu
de les fermer [5]. La symbolique est un danger pour lart,
dit-il galement. Il exige au
contraire une inspiration libre
et spontane, charge de ses
motions et des trsors quil
a accumuls, offrant un clairage nouveau, dressant des
perspectives nouvelles.
seize ans, Istanbul o il
est n, Sarkis tombe sur le
Cri, le tableau le plus clbre
de Munch. Cest ce qui dcide
de sa vocation dartiste.
la n de lanne 1997 et au
dbut de lanne 1998, Sarkis
est accueilli en rsidence
Sach dans latelier de Calder.
2 Au
commencement
Il fut un temps (avant le
XVIIe sicle) o ne se posait pas
la question dune distance,
donc de la recherche dun
rapprochement, entre art et
science. la Renaissance, les
artistes taient les scientiques : ils taient ingnieurs,
architectes, peintres, sculpteurs. Les peintres faisaient
partie de la corporation des
apothicaires,
pharmaciens
et mdecins. Galile tait un
musicien, concertiste rput ;
Grnewald, ingnieur hydraulicien. Arts et Techn taient le
mme mot, avaient le mme
sens, lun en latin, lautre en
grec.
Les lms de Sarkis sont
raliss avec des matriaux
trs simples, un bol, de leau,
du lait et des pigments.
Aprs avoir fait des aquarelles sur papier, il voulait
faire parler les proprits
spciques des couleurs, la
43
La chimie et lart
44
Le Cri reprsente un tre, titubant contre la balustrade dun pont qui domine la mer souleve
comme un spasme, de couleur bleu nuit ; un tre hagard, tordu de douleur, se serrant les
tempes deux mains et criant sous un ciel couleur sang et fauve. Deux personnages, vus de
dos, sloignent dans le lointain, le haut-de-forme sur la tte. Le tableau est le commencement dune longue histoire, il inspira de nombreux artistes depuis Die Brcke jusqu Georg
Baselitz (Homme avec voilier-Munch, 1982, Stadtsgalerie, Stuttgart) en passant par Cobra,
Francis Bacon, Willem de Kooning.
Les tableaux de cette poque montrent des scnes fortement ges, comparables celles
dun tableau nal dune pice dIbsen, rsonant aussi avec Lle des Morts du peintre germanosuisse Arnold Bcklin.
La chimie et lart
La premire apparition du
pinceau, ce sont les nuages
ocre-violet, une ligne ne qui
se rsume en trois petites
taches qui svanouissent.
En deuxime lieu, les nuages
rouges,
pais,
sombres,
compacts,
qui
prennent
toute la couleur, emplissent
46
Avec Au commencement le
cri , une nouvelle voie souvre
lexpression artistique :
les images sont convoques
dune telle faon quelles
fuient entre les doigts,
2.2. Au commencement,
deux chaleurs
Le 24.2.2005, 1 minute, atelier
Sarkis Villejuif.
Musique de Arvo Prt (Kanon
Pokajanen), Estonian Philarmonic, Chamber Choir, Tmu
Kaljuste.
En plan rapproch
on voit quil peint avec
laquarelle rouge.
Tout lespace est frachement
rouge.
Le pinceau disparat.
47
La chimie et lart
Figure 2
Kriegsschatz : les trsors,
de guerre ou de souffrance,
accumuls au cours des annes,
constituent la substance de
linspiration de Sarkis.
Le rouge exaltant le rouge, il
voque les terribles passions
humaines.
48
Figure 3
Au commencement, deux chaleurs.
Lallumette enamme sapproche
lentement de la plage brillante,
scrase, stale noire au milieu
de cette lumire, de cette masse
rouge.
49
La chimie et lart
Figure 4
Au commencement, le son de la
rencontre.
Du plomb fondu est jet dans
leau dun petit bol tibtain. Le bruit
dans leau. Le plomb se solidie. Il
arrive avec un pinceau et dpose
dans leau de laquarelle rouge.
11 minutes.
Le plomb se solidie.
Il arrive avec un pinceau et
dpose dans leau de laquarelle rouge. [9]
Laquarelle rouge suit dlicatement le bord du bol et
avance, voile lger mais inexorable, jusqu envahir tout le
liquide. Seul est immuable le
son du chalumeau.
50
ralis le 28 dcembre
1997, est accompagn par la
musique de Gyrgy Kurtg,
Ligatura .
51
La chimie et lart
Figure 5
Au commencement, le lait.
Progressivement, le bol du haut
se remplit puis dborde, jusqu
ce que le lait recouvre la scne. La
couleur bleue se dissout dans leau
le reet du mouvement des nuages
dans le blanc du bol.
52
lautomne 1455, il est en contact avec le marquis de Mantoue, Ludovico Gonzaga, qui fera
de Mantegna lartiste de cour des Gonzague, de 1460 sa mort en 1506.
Andrea Mantagna ralisa entre 1457 et 1460 une uvre monumentale sur bois de prs de
5 mtres sur 4,50 mtres, le grand retable destin labbaye bndictine de San Znon
Vrone. Cette uvre lui a t commande par Gregorio Correr, protonotaire apostolique,
grand humaniste, et comprend une Madone avec lEnfant entoure danges et de saints,
surmontant la prdelle constitue de trois tableaux dcrivant la passion du Christ, conservs
dsormais en France la suite des guerres napoloniennes. Luvre fut dmembre, la
partie suprieure restitue en 1815, et dsormais expose Vrone avec des copies sur toile
des trois tableaux de la prdelle. Les trois originaux se trouvent pour deux dentre eux (le
Christ au jardin des oliviers et la Rsurrection) au muse des Beaux-Arts de Tours et pour le
troisime (la Crucixion) au Muse du Louvre.
Mantegna ralisait l le premier exemple de retable moderne dans le nord de lItalie. La
nouveaut est dj apparente avec le cadre de menuiserie peinte dor et dazur, structure
architecturale identique la faade dun dice classique quatre colonnes. Les colonnes en
bois de lencadrement font comme une fentre renvoyant le spectateur hors de lespace
du tableau, ouvert sur tous les cts. Les formes de larchitecture peinte et de larchitecture
sculpte qui sy adosse donnent lillusion dun espace en trois dimensions, o le lien entre
lespace du spectateur et le temple peint est prcisment reprsent par le cadre : les deux
pilastres centraux du petit temple cachent la vue une partie des gures des saints Zenon et
Benot, invention en perspective de Mantegna, loin du schma traditionnel.
Dans la Crucixion, Mantegna calcule lespace en perspective selon un point de fuite unique :
au premier plan, deux gradins en diagonale forment des lignes spatiales auxquelles rpondent les bras des croix des larrons reprsents de prol et deux ranges de gures, les
soldats droite, Marie et les saints gauche. La croix du Cruci est exactement au centre,
le corps tendu, comme sculpt dans la pierre, slve sur le ciel, mis en parallle avec un pic
rocheux, ternel comme le Christ.
Cette uvre de Mantegna avait lorigine une dimension religieuse, tmoignage de la foi et
de la pit des commanditaires, et destine lducation et llvation des foules. Ils ne
sont plus dans les lieux de culte, objets de dvotion, de crainte et despoir de rdemption.
Accrochs aux cimaises des muses, les tableaux changent de nature le rapport limage,
au sens, sest modi.
53
La chimie et lart
Figure 6
Hokusa. Et lentement, trs
lentement, un pinceau charg
daquarelle peine teinte vient
caresser leau, sy introduit en
crant de dlicates et voluptueuses
volutes. Un geste plus vif et une
tache se forme au fond du bol. Un
mouvement de retrait et limage
se ge encore un instant, comme
apaise.
54
Hokusa nat de parents inconnus en 1760. Il est adopt vers lge de trois ou quatre ans par
une famille dartisans, fabriquant des miroirs pour la cour du shogun. Trs tt, il manifeste
des dons pour le dessin et sintresse la peinture.
En 1778, il entre dans latelier dun peintre destampes ukiyo-e, spcialiste des portraits
dacteurs. Il y produira une srie de ces portraits trs russis. Hokusa connat ensuite une
priode de grande pauvret, durant laquelle il tudie les techniques de diverses coles japonaises, subit linuence de lart occidental et dcouvre la perspective grce un artiste japonais, Shiba Kokan, qui frquente les Hollandais, seuls autoriss amarrer Nagasaki.
En 1795, il illustre sous le nom de Sori le recueil potique Kyoka Edo no Murasaki qui lui vaut
son premier succs. De 1796 1799 il produit un grand nombre dalbums et destampes en
feuilles spares appeles surimono. Cest cette poque quil adoptera pour la premire
fois le nom de Hokusa et se donne en 1800 le surnom de Gakyojin Hokusa, le Fou de
dessin . En 1804, il peint, dans la cour du temple dEdo, au moyen dun balai et dun seau
dencre de Chine, un daruma gant de plus de 240 m que lon doit hisser jusquaux toits pour
permettre lassistance de ladmirer. Il ritre cet exploit en 1817 Nagoya.
HOKUSA
55
La chimie et lart
56
lpreuve,
Gallimard.
Folio
Essais,
[15]
Mantegna
(2008).
Catalogue
de
lexposition,
Muse du Louvre.
[16] Perrin J. (2008). Manuel
denseignement de la peinture
japonaise.
Traduction
et
commentaires Le trait illustr
du coloris de HOKUSAI, You
Feng.
[17] Lichtenstein J. (1989). La
couleur loquente, Flammarion.
[18] Rubens contre Poussin,
La querelle du coloris dans
la peinture franaise la
n du XVIIe sicle. Catalogue
dexposition, Muse des BeauxArts dArras 2004, d. Ludion.
Bibliographie
57
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
analytique,
art et patrimoine,
vers une vision commune
Christian Amatore Chimie analytique, art et patrimoine, vers une vision commune
Chimie
La chimie et lart
60
Je fais moi-mme de la
sculpture en amateur autodidacte, et sans vouloir ni
mriger en artiste ni me
comparer Galile, loin de
l, je puis vous assurer que je
nai jamais fait de diffrence
entre une uvre scientique que je ralise avec
les collaborateurs de mon
laboratoire, et une autre que
je ralise avec mes mains en
sculptant. Cest exactement
la mme volont lancinante
de parvenir comprendre
une vision fugace, trouver
comment lui donner une
forme, puis dafner cette
bauche an den faire
merger toutes les richesses
subtiles
qui
mavaient
chapp
Bien sr, chacune de ces
deux formes dart a ses
moyens propres dexpression, mais les uns ne sont
pas exclusifs des autres. De
la mme manire que Sarkis
nous a montr comment il
utilise, canalise ou impulse
avec
son
pinceau
les
gradients de diffusion, les
gradients de concentration,
le poids des couleurs ce
qui le perturbe beaucoup ;
comment une couleur peutelle avoir un poids ? , afin
de leur donner, puis de les
laisser exprimer leur vie
propre, le scientifique utilise
ses outils et ses concepts
pour donner une ralit
son uvre.
Un autre aspect de la
recherche, lui aussi est trs
mal peru du public, que je
tiens prciser dans cette
introduction, est qu mon
sens la beaut de la Science
ne rside pas dans le fait
quelle puisse se terminer
par quelque chose qui soit
exprimentales
peut
de
concert avec ses instruments
de mesure utiliser des outils
entirement
conceptuels,
mais in ne laboutissement
de son travail est contraint
par la ralit de la nature.
Inversement, lartiste pour
sexprimer
sappuie
sur
des outils et des matriaux
contraints par la nature et
ses proprits intangibles,
mais son uvre ne lest absolument pas et il na pas se
justier sur ce point.
En fait, cette diffrence
subtile peut devenir assez
oue, en particulier lorsque
le scientique sintresse
une exprience ou un fait qui
ne peut pas tre reproduit. Il
suft de penser au Big Bang
ou la naissance de lhumanit pour sen convaincre.
Cest aussi le cas lorsque le
scientique de lart sattelle
comprendre les raisons qui
ont pu conduire une uvre
ou une forme de culture
merger. Dans ce cas, le
scientique doit sappuyer
sur ses outils exprimentaux, sur la puissance logique
de son raisonnement pour
arriver une proposition qui,
si elle se doit dtre compatible avec les rsultats de
cette approche duale, restera
probablement
invriable
avec certitude.
Ce que je viens daborder sous
une forme assez motionnelle relve en ralit dun
dbat bien plus profond
sur la signication du mot
Science . Ce que nous
dsignons aujourdhui par un
seul et mme mot tait peru
depuis les philosophes grecs
et jusqu laube de la rvolution industrielle du XIXe sicle
comme la juxtaposition de
61
La chimie et lart
62
Il en a t de mme pour
Langevin et ce qui aurait pu
tre sa thorie de la relativit
mais qui laurait fait basculer
de lepistm dans la
techn . Einstein, obscur
clerc dun cabinet de brevet
pouvait sans crainte privilgier la techn , mais sa
thorie devait subir lpreuve
de la vrication exprimentale. On comprend ainsi mieux
toute limportance qua revtu
la fameuse exprience de la
mesure de la courbure de
la lumire lors de la grande
clipse Par l mme, nous
rangeons de manire historiquement paradoxale Newton,
Maxwell, Einstein dans notre
Panthon de lepistm sur
la base darguments relevant
entirement de la techn .
De mme, le public et les
scientiques
se
rfrent
aujourdhui la science
travers son image valorisante, car intellectuelle, de
philosophie naturelle ; ils
nen acceptent la valeur, et
donc celle de ses acquis et
de ses enseignements, que
sur la base de sa puissance
instrumentaliste avre :
la science est vraie car able
puisque
ses
ralisations
fonctionnent lvidence, et
cela vaut par exemple mme
pour nos amis les astrophysiciens mme sils auraient
sans doute quelques difcults instrumentaliser des
galaxies... Cela explique pourquoi de nos jours il est si difcile de trancher entre science
et
technologie
puisque
cette dichotomie fonctionnelle instaure par des nonscientiques ne recouvre
63
La chimie et lart
64
Figure 1
Symbole propitiatoire dOudjat.
Le maquillage en fard noir ne
correspondait qu la partie
centrale du symbole en ne
dessinant que le contour de lil en
prolongeant exagrment la pliure
de la paupire (voir Figure 9), et
devenait ainsi la marque de la
protection dHorus.
Cest
le
synopsis
des
recherches entreprises sur
ce fard noir qui va tre
racont maintenant travers
nos interrogations successives et leur cheminement
dune hypothse avorte la
suivante. Cependant, comme
ce cheminement scientique
sappuie crucialement sur le
jeu central de deux acteurs
du monde de la biologie, il
me faut tout dabord vous
apprendre les connatre.
de
1 Prsentation
nos deux acteurs
Intressons-nous
dabord
aux diffrents mcanismes
qui permettent un type de
leucocytes, nos globules
blancs , appels phagocytes,
de digrer des bactries,
des cellules malades ou des
particules trangres notre
organisme. Ceux dentre eux
que lon appelle macrophages
ont pour fonction de dtruire
tout lment, vivant ou non,
que notre organisme ne
65
La chimie et lart
Figure 2
quation-bilan de la raction
doxydo-rduction catalyse par la
NADPH-oxydase.
66
Oxydation :
Rduction ( 2) :
O 2 + e - O 2-
Bilan :
NADPH + 2O 2 NADP+ + H + + 2O -2
dtaches pr-assembles.
Leur assemblage nal dpend
de lentre dans la cellule
dun ux dions calcium Ca2+
command par louverture de
canaux ioniques traversant
ces membranes. Plus prcisment, le vritable assemblage de lenzyme implique
en premire instance des ions
phosphate PO42-, prsents
dans le milieu intracellulaire.
Cependant, la rpulsion lectrostatique due leurs deux
charges ngatives soppose
ce quils puissent pleinement
jouer leur rle de clavettes
dassemblage
supramolculaire. En permettant la
compensation de ces charges,
lentre dions calcium dans la
cellule dclenche donc lassemblage du complexe enzymatique
NADPH-oxydase.
Celui-ci peut alors fonctionner ds que son substrat,
le NADPH, se prsente et
produire ainsi un ux dions
superoxydes du ct extrieur
de la membrane cellulaire
(Figure 3).
Figure 3
Ds lors que les ions calcium
(Ca2+) pntrent dans la cellule
par un canal ionique, les ions
phosphate (nots P sur le schma)
peuvent assembler le complexe
enzymatique NADPH-oxydase
partir de ses pr-constituants,
et celui-ci se met luvre.
Le NADPH est alors oxyd en
NADP+ en prsence doxygne,
librant par contrecoup des ions
superoxydes O2- (voir lquation
bilan de la Figure 2).
67
La chimie et lart
A
Figure 4
Le complexe dimrique de la NOsynthase (A) produit du monoxyde
dazote, NO, en transformant
tout dabord la L-Arginine en
N-hydroxy-arginine, laquelle est
ensuite convertie en citrulline
librant ainsi le monoxyde
dazote (B).
68
69
La chimie et lart
Figure 5
Lorsquils entrent en activit, les
neurones mettent une bouffe
de monoxyde dazote NO dans
leur environnement immdiat, ce
qui a pour effet de provoquer une
dilatation des vaisseaux sanguins
chargs dacheminer le sang qui
les alimente. On peut aujourdhui
mesurer simultanment et corrler
en temps rel laugmentation
locale de la concentration de NO
(courbe du haut) et la dilation de
restrictions locales portes par
les vaisseaux sanguins (courbe
du bas et photographies). Cest ce
phnomne qui permet aujourdhui
de voir fonctionner le cerveau
grce plusieurs techniques
dimagerie.
Le mme phnomne se
produit lorsquune rgion de
notre cerveau travaille. Les
neurones ont alors besoin
dun apport accru de glucose
et doxygne, ce qui rclame
une augmentation locale
quasi instantane du dbit
sanguin local. Or le sang est
transport dans des capillaires et une augmentation
de dbit y signierait une
augmentation de pression si
les capillaires ne modiaient
pas leur taille. Le cerveau
est enferm dans une bote
solide, il nest donc pas question dy augmenter la pression
intracrnienne. On connat
bien malheureusement toutes
les consquences nfastes
dune onde de pression locale
pour les victimes dattaques
crbrales. La trouvaille de
la nature a t de rpartir les
dbits sanguins dans lensemble du cerveau comme
le font nos ingnieurs de
lEDF en dlestant certaines
lignes peu consommatrices un moment donn sur
celles qui ont besoin dune
puissance plus importante. La circulation de sang
diminue ainsi de quelques
70
La phagocytose est le phnomne par lequel notre organisme se dfend contre tout
corps tranger qui nous
pntre (bactries, virus,
levures, etc.). Elle se droule
selon un scnario biochimique
que lon peut observer sur la
En effet, la membrane du
phagosome contient la fois
les deux types denzymes
que nous avons prsentes
ci-dessus et celles-ci sont
actives simultanment par
la prsence dions calcium
lorsque commence la digestion de la bactrie (Figure 7).
Les NADPH-oxydases y dversent alors des ions superoxydes O2-, tandis que les
NO-synthases y produisent du
monoxyde dazote NO. Ces
deux radicaux libres, forms
simultanment et fortes
concentrations dans la vsicule, se combinent ainsi trs
rapidement entre eux pour
former des ions peroxynitrite,
selon lquation chimique :
O2- + NO ONOO-
Figure 6
Nos deux acteurs, NADPHoxydase et NO-synthase (NOS),
fonctionnant en duo dans la
membrane dune vsicule
phagocytotique (phagosome, voir
Figure 7) de macrophage aprs
leur activation par les ions calcium.
Ils produisent simultanment O2et NO lintrieur de la vsicule
(partie haute du schma). Ces
deux molcules qui constituent
le stress oxydatif primaire
voluent rapidement pour donner
un coktail chimique secondaire
(ONOO-, H2O2, NO et NO2-)
permettant aux macrophages de
digrer les bactries piges
dans leurs phagosomes (voir
Figure 7).
NADPHoxydase
71
La chimie et lart
Figure 7
72
Principe de la phagocytose de
bactries par un macrophage. Sur
la partie gauche sont reprsentes
des vues microscopiques dun
macrophage (ligne RAW 264.7)
ltat de repos ( gauche)
ou aprs son activation (par un
mlange interfron- /
lipopolysaccharide-). La
microphotographie centrale
(macrophage activ) met
en vidence les extensions
cytoplasmiques permettant au
macrophage dencercler des
bactries puis de les enfermer
au sein de ses vsicules
phagocytotiques (taches circulaires
blanches sur la photographie).
Le schma de droite reprsente
une de ces vsicules (phagosome)
pendant la phase de digestion,
cest--dire lorsque les NADPHoxydases et les NO-synthases ont
t actives par les ions calcium.
Nous
tudions
depuis
quelques annes ces mcanismes de la phagocytose,
et bien que beaucoup reste
encore faire pour parvenir
une vision totalement dtaille
et rigoureuse de ce phnomne extrmement complexe,
il est possible dafrmer que
les ions superoxydes et les
radicaux monoxyde dazote
sont produits avec des ux
comparables par les macrophages activs (Figures 6 et
7). Partant, les deux espces
se combinent pour produire
du peroxynitrite ; la fraction dions superoxyde non
capture par le monoxyde
dazote dismute en eau
oxygne laissant ainsi une
quantit de monoxyde dazote
excdentaire. Finalement, une
partie du peroxynitrite produit
se dcompose en ion nitrites.
Ces tudes sont ralises
en activant articiellement
des macrophages12, de telle
sorte quils produisent des
phagosomes oprationnels,
mme si aucune bactrie
12. Lactivation des macrophages
est ralise grce des effecteurs biochimiques classiques
(interfron-, etc. ; Figure 7 au
centre).
73
La chimie et lart
Figure 8
Une ultramicrolectrode bre de carbone. Le schma de principe gauche illustre les diffrentes
composantes de lultramicrolectrode. La microphotographie du haut droite montre le dtail de la
pointe platine, et celle du bas reprsente une ultramicrolectrode place en situation de synapse
articielle au-dessus dun macrophage de la ligne RAW 264.7 (voir Figure 7, gauche). Une micropipette
de stimulation gure aussi sur la partie gauche de la mme microphotographie.
74
75
La chimie et lart
Figure 9
Portrait dune porteuse deau
maquille avec le fard noir. Bois
polychrome datant denviron 2 000
av. J.-C. conserv au muse du
Louvre.
76
Figure 10
Fresque du tombeau de la
Princesse Nefertiabet (cimetire
de GIZA, 2 600 av. J.-C.) destine
doter lme de la princesse
du ncessaire pour sa vie dans
lau-del. La zone agrandie
concerne les fards noir et vert. On
y distingue sur la partie gauche
le acon contenant le fard vert,
dcrit en hiroglyphes comme
une poudre verte pour lil
(avec la reprsentation dun il
maquill et du signe correspond
la couleur) ; gauche gurent
le nom du maquillage noir (en fait
une poudre pour rendre lil
expressif ).
77
La chimie et lart
Figure 11
Le fard noir tait commercialis
dans divers acons adapts
aux moyens et aux gots de la
clientle, depuis un simple tube
de bambou (en haut) jusqu des
pots de belle facture en matriaux
plus nobles (en bas). Les fouilles
archologiques ont permis de
retrouver ces divers acons en
de trs nombreux exemplaires
dont certains conservs au muse
du Louvre contenaient encore
sufsamment de matire pour
permettre des prlvements aux
ns danalyses par le C2RMF.
78
variait en fonction de la
qualit sociale et du statut du
dfunt. Cest l que se retrouvait rellement la distinction
sociale du propritaire. Il
devait en tre de mme dans
la vraie vie. Les analyses
chimiques et par rayons X des
rsidus de fard contenus dans
ces diffrents acons ont trs
vite rvl que, contrairement
aux usages de notre poque
en termes de cosmtiques,
la composition chimique et
la nature des cristaux minraux taient assez semblables
non seulement entre tombes
de statuts sociaux pourtant
trs diffrents, mais aussi
travers les sicles.
On y trouve toujours deux
composants
majeurs,
Figure 12
Microphotographies des composants isols des fards gyptiens noir
et gris ne contenant pas de liant gras. A) Composant noir constitu de
grains microscopiques brillants de galne (PbS) ; B) Vue au microscope
lectronique de lun de ces grains de galne ; C) Composant blanc,
mlange de crusite (PbCO3), phosgnite (Pb2Cl2CO3) et laurionite (Pb(OH)
Cl). P. Walter et al. (1999). Nature, 387 : 483. Nota Bene : les chelles
diffrent dune microphotographie lautre.
Figure 13
Le khl moderne est un maquillage
noir qui poursuit la tradition du
fard noir de lgypte Antique sans
toutefois contenir de laurionite mais
principalement de la galne toujours
recherche pour son effet gloss .
gauche, tuis de confections de
khl ; droite, dpliant vantant les
proprits ophtalmologiques telles
que la tradition les a transmises
depuis lpoque pharaonique, au
fait prs que, religion monothiste
oblige, la rfrence la protection
dHorus a disparu.
79
La chimie et lart
80
Le procd de synthse de
la laurionite a t dcrit par
Dioscoride, un scientique et
mdecin grec, dans un recueil
mdical du premier sicle.
La recette quil y donne en
remarquant par ailleurs sa
trs grande anciennet est
directement transcrite des
enseignements transmis par
les Grands Prtres gyptiens.
Elle est si prcise quelle peut
tre parfaitement traduite
aujourdhui
en
termes
chimiques (Encart La recette
antique de la laurionite, par
Dioscoride ) et reproduite au
laboratoire en la suivant scrupuleusement comme cela a
t dmontr au C2RMF.
81
La chimie et lart
Figure 15
Cela correspondait pourtant une vritable industrie lourde dont on sait quelle a t mise
en uvre ds 2 500 av. J.-C. Elle reprsente certainement lacte de naissance de la chimie.
En fait, certains pensent que le mot chimie provient tymologiquement de lgyptien
kme qui signie terre noire (avec lacception de minral noir ; khem , de mme
racine, signiant quant lui terre noire nourricire des alluvions) et qui nous a t
transmis par les grecs ( chemeia dsignait ainsi lArt gyptien selon les uns, ou les
rsultats de mlanges forcs selon les autres, les deux sens renvoyant de toute manire
la chimie). LArabe nous la nalement donn avec alchimie . Il nest donc pas draisonnable de penser que la chimie soit ne du savoir-faire que les gyptiens de lAntiquit ont
invent an de produire la laurionite du maquillage noir !
83
La chimie et lart
Figure 16
Photographie prise pendant une
crue du Nil entre 1924 et 1930.
84
saharienne de ce pays.
Or, dans lgypte Antique
comme aujourdhui dailleurs,
lessentiel de la population
sdentarise vivait le long du
Nil et sur son delta, et navait
donc rien de commun avec
les bdouins des dserts qui
lencadrent. Ces populations
vivaient dans un environnement fortement humide et
tropical, riche en nutriments
organiques,
en
dautres
termes en plein milieu dune
vritable
soupe
bactrienne . Il est donc certain
que ces populations taient
potentiellement soumises
des infections endmiques
analogues celles que nous
observons aujourdhui dans
tous les milieux semblables
de notre plante. Cela tait
encore mme accentu par
les crues du Nil (Figure 16) qui
envahissaient avec une rgularit de mtronome les zones
habites y apportant la prosprit par leurs limons riches
(la khem , voir lencart La
recette antique de la laurionite,
par Dioscoride ) mais simultanment une eau stagnante,
tide et enrichie en sdiments
minraux
et
organiques
grce auxquels les bactries
devaient prosprer. Cet tat
de fait, mme sil offrait dun
Paupires
gones
Inammarion de la sclra
Figure 17
Principe de la contamination de
lil par une goutte deau infecte.
Figure 18
Extrait du papyrus dEbers, le plus
ancien des traits scientiques
connus. Conserv Leipzig et dat
de 1 550 av. J.-C., il comporte des
passages recopis remontant au
dbut du troisime millnaire av.
J.-C. (2 670-2 160). Trait mdical,
il contient des notions danatomie,
un expos de cas pathologiques et
les traitements correspondants,
ainsi que prs dun millier de
recettes de mdicaments.
85
La chimie et lart
86
la Science et la Mdecine,
tout Grec sengageant dans
des recherches mdicales se
devait de visiter les temples
gyptiens an dy recueillir
les enseignements de leurs
Grands Prtres, comme ce fut
dailleurs le cas de Dioscoride. Notre mmoire collective la oubli, ne retenant que
la connexion avec le folklore
magique et divin. Cela a aussi
t le cas pour la chimie :
combien de temps nous
a-t-il fallu pour que la chimie
limine ce folklore pour redevenir avec Boyle et Lavoisier
une science vritable ? En fait
cest l le sort de toutes les
technologies fondes uniquement sur lobservation (Encart
Science et technologie ) ;
il suft de se rappeler que
la mtallurgie du fer avait
t donne aux hommes
par Hphastos-Vulcain et
que Homre consacre de
nombreux vers dcrire laxe
de fer du char dHector, signe
de lalliance divine de Troie.
Pour revenir au papyrus
dEbers qui nous intresse
plus particulirement vu
le sujet de ce chapitre, une
centaine de recettes gouttes
et fards, dont le fard
noir destines des traitements mdicaux ou prventifs concernant les yeux ou
le traitement de plaies infectes y sont dcrites. De tous
ces traitements nous dirions
aujourdhui quils mettent en
uvre des approches antibactriennes ou antioxydantes.
Ces papyrus nous dmontrent
donc que les gyptiens avaient
su dvelopper ds lAntiquit
une mdecine oprationnelle dun niveau rarement
souponn, associe de
nombreux traitements, dont
SCIENCE ET TECHNOLOGIE
De cette symbiose entre technologie et science, stimule et entretenue par des volonts
gnralement conomiques, naissent des cycles vertueux dont notre socit nous offre des
myriades dexemples. Au contraire, sans la science toute technologie est voue se perdre
du fait mme de la pratique du secret et de la transmission de ses savoir-faire sous une
forme culturelle non conceptualise rigoureusement. La seule rfrence une dimension
culturelle voire souvent magique sur laquelle elle doit alors sappuyer en absence de science
la condamne ds lors que cette dimension culturelle change. Par exemple, sans tre un
rudit, il nous est difcile de comprendre pourquoi la notion datome, puis celle de molcule
ont t rejetes jusquaux expriences de Jean Perrin au dbut du XXe sicle. Nous pensons
dans un autre cadre culturel et les objections pourtant mises par de grands scientiques
de lpoque nous semblent ridicules car il est facile de se moquer ce que lon ne comprend
pas (ou plus).
On admet alors mieux comment leffondrement de lempire gyptien nentrane pas seulement notre incapacit lire les hiroglyphes jusqu Champollion, mais prive aussi les
cultures relais entre celle de lgypte Antique et la ntre de la capacit transmettre les
connaissances antiques acquises tant en mdecine quen chimie. Il faut alors attendre qu
limage de Champollion des scientiques se penchent enn sur les textes de Dioscoride, par
exemple, comme nous lavons fait plus haut ou sur les papyrus dEbers ou de Smith an de
les dbarrasser de leur folklore mystique et den restituer la vritable teneur scientique
dans un cadre culturel actuel.
87
La chimie et lart
empcher la multiplication
des bactries et empcher
toutes les infections qui en
rsultent. La virulence dune
infection bactrienne dpend
de la capacit du premier
foyer de bactries se multiplier dans lorganisme hte.
Nous savons aujourdhui,
malheureusement
surtout
grce aux tests en vraie grandeur accumuls en vue de
mettre au point des armes
bactriologiques,
quaudel dun certain nombre de
bactries dpendant de la
bactrie concerne , linfection est irrmdiable aprs un
dlai dincubation en fonction
du type de bactrie et du type
de contamination. Or, dans
un milieu de culture adquat
comme le liquide lacrymal,
une population bactrienne
a tendance crotre exponentiellement15 de sorte que
ce seuil est trs rapidement
atteint et dpass ds lors
que son voisinage est atteint.
En absence de traitement
antibiotique, la seule dfense
de lorganisme consiste donc
attirer sur place ds
le dbut de la colonisation
bactrienne une quantit
sufsante de macrophages de
telle manire que la vitesse
laquelle ils peuvent dtruire
les bactries excde celle de
leur reproduction. Le seuil
fatidique nest ainsi jamais
atteint et linfection ne se
met pas en place. Ce type
de mcanisme est le mme
pour les cellules mutes et
la mise en place de cancers.
Cest lune des raisons pour
88
89
La chimie et lart
pourcents de la valeur dquilibre thermodynamique, cest-dire quelle se situe vraisemblablement dans une
gamme micromolaire (M) au
maximum.17 Si donc la laurionite prsente bien une action
du type de celle que nous
avons voque plus haut,
celle-ci ne peut impliquer
que des ions Pb2+ dans cette
gamme de concentration ou
mme en de. Cest ce que
nous allons essayer dexaminer maintenant.
Tout
dabord,
et
cest
dailleurs lun des fondements
prsums de la toxicit du
plomb, nous devons remarquer que lion Pb2+ est souvent
confondu par les enzymes et
les canaux ioniques avec lion
calcium Ca2+ dont nous avons
vu lors de la prsentation de
la NADPH-oxydase et de la
NO-synthase quil tait un
effecteur puissant du systme
immunitaire dans la gamme
micromolaire. Cette confusion provient de leurs charges
identiques (2+), des nombres
identiques de molcules deau
quils peuvent lier dans leur
sphre de solvatation (6, 8 ou
10) et de leurs rayons ioniques
trs voisins. Par ailleurs, au
cours du processus de slection des machineries cellulaires la nature na pas t
expose aux ions Pb2+ puisque
la plupart des composs du
plomb sont insolubles. Elle
na donc pas eu dvelopper
des systmes slectifs contre
les ions Pb2+ comme elle a
par exemple su le faire dans
le cas des ions sodium, Na+,
90
Figure 19
Figure 20
Comparaison quantitative des intensits des composantes primaires (NO et O2-) des rponses de stress
oxydatif produites par des kratinocytes stimuls ou non par Pb2+. Les ux des deux composantes primaires
sont dtermins partir du relev des rponses moyennes (trente cellules chaque potentiel de mesure)
mesures sparment quatre potentiels an de quantier les ux de chaque composante secondaire (H2O2 ,
ONO2-, NO et NO2-) et den dduire ceux de NO et O2- par lapplication des stoechiomtries de leurs productions
(1 H2O2 = 2 O2- ; 1 ONO2- = 1 O2- + 1 NO ; 1 NO2- = 1 O2- + 1 NO).
91
La chimie et lart
92
93
La chimie et lart
94
Bibliographie
Tapsoba I., Arbault S., Walter
P., Amatore C. 2010, Finding
Out Egyptian Gods Secret
Using Analytical Chemistry:
Biomedical Properties of
Egyptian Black Make-up
Revealed by Amperometry
at Single Cells. Analytical
Chemistry, 82 : 457-460.
95
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Le rayonnement
1
synchrotron,
un nouvel outil
au service de lArt
la n du XIXe sicle, le physicien allemand Rntgen dcouvrit les rayons X en ralisant
une radiographie de la main
de sa femme (Figure 1).
Laventure ne faisait que
commencer : il fallut attendre
un sicle dvolution limite
dans ce domaine pour que fut
dcouverte, dans les annes
1950, une nouvelle source de
rayons X trs performante,
marquant une date majeure
dans lhistoire des rayons X :
le synchrotron.
Aujourdhui, la technique
de lanalyse aux rayons X
est largement utilise en
imagerie mdicale chez
lhomme. Mais ce que lon
connait moins, cest son utilisation dans des laboratoires
de muses, pour examiner
des
uvres
dart telles
Matriaux
du patrimoine
et altration
Figure 1
Wilhelm Rntgen (1845-1923)
reut le prix Nobel de physique
en 1901 pour sa dcouverte des
rayons X. Lors de ses premires
exprimentations, il plaa la main
de son pouse sur le parcours des
rayons, et dcouvrit limage de ses
os, un doigt dcor par lalliance.
La chimie et lart
Figure 2
Le synchrotron Soleil, sur le
plateau de Saclay. Les lectrons
sont maintenus en circulation dans
lanneau de stockage, grce des
aimants de courbure, puis sont
utiliss dans des lignes de lumire
(le synchrotron Soleil possde une
dizaine de lignes de lumire).
Anneau de stockage
Linac
Cabine dexprience
Station de travail
98
c
Ac
Cabine optique
l
r
ate
ur
Lignes de
lumire
Lumire synchrotron
Figure 3
Anneau de stockage
Acclrateurs
Salle dexprimentation
La dgradation
2
du papier par
les encres ferrogalliques19
99
La chimie et lart
100
Figure 6
Le papier est fait de cellulose,
un polymre comportant de trs
longues chanes de glucose, qui lui
confrent sa souplesse.
101
La chimie et lart
102
mentalement le mcanisme
de dgradation dans le temps,
an de mieux lapprhender.
Cest alors que lon a fait appel
au synchrotron
2.3. Dcortiquer la
dgradation du papier :
entre en jeu du synchrotron
Ds le dpt de la goutte dencre
sur le papier, que se passet-il dans les premires heures,
dans les premiers jours, dans
les premires semaines et
mois ? Que se passe-t-il vritablement dans les premiers cent
jours qui suivent la naissance
dun manuscrit ?
2.3.1. Suivre la dgradation en
contrlant les conditions
Lhydrolyse de la cellulose
Lencre ferro-gallique contient des ions ferreux Fe2+ et ferriques Fe3+ qui ragissent avec leau
pour former des hydroxydes de fer Fe(OH)2 et Fe(OH)3, ce qui conduit la libration de protons
H+. Le milieu ainsi acidi est favorable la raction dhydrolyse de la cellulose, par rupture
de ses liaisons glycosidiques (Figure 7).
Figure 7
En milieu acide, les liaisons glycosidiques qui contribuent au maintien
de la structure de la cellulose se rompent par hydrolyse. Le papier en
sort trs fragilis.
Figure 8
En prsence dencre ferro-gallique, doxygne et en milieu acide, tous les ingrdients
sont runis pour favoriser le dclenchement dune cascade de ractions radicalaires,
qui aboutissent loxydation de la cellulose, laquelle se dpolymrise [1].
Si ces mcanismes chimiques peuvent thoriquement permettre de rationaliser les phnomnes de dgradation du papier, aucune relation directe na encore t tablie entre la quantit dions Fe2+, mesure sur un certain nombre de documents anciens, et lavancement de la
dgradation. Les conditions dhumidit et daration ont aussi leur rle jouer.
103
La chimie et lart
Figure 10
Lquipe du Professeur K. Janssens, en collaboration avec le Docteur
V. Rouchon, utilise la spectroscopie dabsorption X au seuil des lments
lgers ( X-ray absorption near-edge spectroscopy , XANES) pour
mesurer les quantits de fer prsentes dans les chantillons de papier.
Cette technique performante, utilisant le rayonnement synchrotron,
prsente lavantage de ne pas introduire de nouvelle dgradation sur
le matriau analys. Dans un tel projet de recherche, les analyses sont
ralises par une quipe qui se relaye jour et nuit !
104
La dgradation des
3
couleurs : le jaune
de cadmium
De
nombreux
nouveaux
pigments ont t dvelopps
par une industrie chimique
mergente la n du XIXe sicle
et au dbut du XXe. Beaucoup
de ces nouveaux matriaux
surpassaient les pigments
traditionnels, par lintensit
de leur couleur, leur puret,
leur pouvoir couvrant et leur
faible cot. Tous cependant
ne sont pas chimiquement
stables long terme.
Au dbut du XXe sicle, de
nombreux artistes, parmi
lesquels on peut citer le belge
James Ensor et le nerlandais Vincent Van Gogh, ont
utilis dans leurs tableaux un
105
La chimie et lart
Figure 11
Dans son tableau LIntrigue, James
Ensor utilisait une large panoplie
de pigments brillants.
106
Figure 13
Des taches blanches apparaissent
sur la peinture jaune de Nature
morte au chou (J. Ensor, 1921).
Lorsque lon soulve le cadre,
on voit que la peinture jaune qui
tait couverte est pargne par la
dgradation.
107
La chimie et lart
Figure 14
Lanalyse par le synchrotron a
permis dlucider trs prcisment
la composition chimique de
lchantillon de peinture.
108
Des chantillons de ce
pigment ont t prlevs pour
analyse. Le microscope lectronique balayage a dabord
rvl que les taches blanches
se sont formes sur la surface
du jaune de cadmium, et ne
font pas partie de ce pigment.
de loxydation, information
galement importante pour
les conservateurs de muses.
Dans ce cas prcis, il apparat que le front doxydation
a progress denviron dune
dizaine de micromtres en
quatre-vingts annes, des
profondeurs de la toile vers la
surface.
Figure 15
Autoportraits de Vincent Van Gogh
(1853-1890). travers sa courte
carrire, ses tableaux rvlent
une volution trs marque,
artistiquement et chimiquement.
109
La chimie et lart
certains moments de sa
vie, Van Gogh a probablement
considr ses prcdentes
uvres comme obsoltes,
et choisi de les recouvrir par
de nouvelles compositions.
Un coin dherbe (Figure 16),
petite toile peinte pendant sa
priode parisienne et actuellement conserve au muse
de Krller-Mller (Otterlo,
Pays-Bas), va nous en donner
une bonne illustration, avec
une merveilleuse surprise
rcemment dvoile par les
scientiques.
Figure 16
Quel secret cache Un coin dherbe
(1887), de Van Gogh ?
Figure 17
110
En effet, la radiographie de
cette toile a rvl le portrait
dune
paysanne,
cach
derrire le champ dherbe
depuis prs dun sicle ! Ce
portrait date probablement
de sa priode dite conventionnelle, lorsquil vivait aux PaysBas (Figure 17).
Figure 18
Un Coin dherbe, dlicatement
analys par uorescence des
rayons X. On obtient un spectre qui
rvle lensemble des lments
chimiques prsents dans la
peinture. La prsence dantimoine
(Sb) a particulirement attir
lattention des chimistes.
nergie (keV)
111
La chimie et lart
Figure 19
Cartographies de la toile pour
chacun des lments constitutifs,
qui tmoignent combien Van
Gogh aimait utiliser toutes
sortes de pigments. Lantimoine
Sb et le mercure Hg composaient
les pigments du portrait, alors
que le chrome Cr et le cobalt
Co composaient ceux du Coin
dherbe.
Connaissant maintenant la
composition de la peinture
cache, on a pu reconstituer le
portrait dune paysanne nerlandaise (Figure 20), que Van
Gogh aurait peint trois annes
avant de le recouvrir par son
Coin dherbe. Cette hypothse
est conforte par des comparaisons avec dautres toiles
du peintre datant de la mme
poque, qui prsentent des
similitudes de style (Figure 21).
112
Figure 20
Figure 21
Le portrait de la paysanne date
probablement de la priode
nerlandaise de Van Gogh. Le style
de cette peinture se rapproche
par exemple des Mangeurs de
pommes de terre, datant de la
mme priode. On note trois ans
aprs ce qui est beaucoup sur les
dix ans de carrire de Van Gogh
un tournant agrant au niveau du
style et des couleurs, avec Un coin
dherbe.
113
La chimie et lart
Bibliographie
114
des
et
Analyse de laboratoire
et patines intentionnelles antiques
Couleurs
originelles
bronzes
grecs
romains
La chimie et lart
116
bronzes
1 Les
antiques
1.1. Lpreuve du temps
An de prendre la mesure de
cette tude et de comprendre
dans quel contexte et selon
quelle
problmatique
de
dpart elle a t mene, un
bref panorama de la polychromie des bronzes antiques
et de la question de leur
patine doit tre dress. La
notion de patine intentionnelle sur des bronzes grecs
22. Sophie Descamps a ainsi travaill avec Marc Aucouturier,
Thierry Borel, Franois Mathis,
Benot Mille, Dominique Robcis et
Joseph Salomon du C2RMF. Voir
notamment sur la question des
patines antiques : Mathis F. et al.
(2005). Original surface treatment
of copper alloy in ancient Roman
Empire: chemical patination on a
Roman Strigil. Surface Engineering, 21 : 346-351. Voir galement
le numro spcial de LActualit
Chimique : Chimie et patrimoine
culturel, oct-nov 2007 et avril
2008.
23. Elisabeth Delange, du dpartement des Antiquits gyptiennes du muse du Louvre,
tudie galement la question
des patines antiques avec Marc
Aucouturier, mais pour dautres
poques et sur des bronzes gyptiens.
Figure 1
Le cratre de Dervni,
IVe sicle av. J.-C., haut de 90,5 cm,
a t retrouv en 1962 dans lune
des trs riches spultures du
tumulus de Dervni, en Grce du
Nord. Il est conserv au muse
archologique de Thessalonique. Si
le bronze parat dor, cest cause
de la trs forte teneur en tain
(15 %) de lalliage cuivreux.
117
La chimie et lart
Figure 2
A) Statuette de Mercure. Rplique
romaine dun athlte tenant le
disque, daprs un original grec
disparu de Polyclte cr vers
460 av. J.-C. H. 21 cm. Muse
du Louvre, dpartement des
Antiquits grecques, trusques et
romaines. lorigine, la statuette
avait une couleur proche de celle
de lor. Son apparence actuelle
sexplique par les phnomnes de
corrosion qui ont affect luvre
durant son enfouissement. La
prsence de cuivre rouge pour les
lvres et les pointes des seins, et
dargent pour les yeux, tmoigne
de la volont dvoquer les
techniques de la grande statuaire
en bronze ; B) Restitution des
couleurs originelles de la statuette
de Mercure.
118
La technique de fonte pleine la cire perdue consiste raliser en cire dabeille un modle
positif de lobjet. Lartisan adapte ensuite au modle un rseau de jets de coule et dvents,
sous forme de boudins de cire. Les jets sont relis un entonnoir de coule, galement
confectionn en cire. Cette forme est ensuite enveloppe dargile rfractaire, qui constitue la
chape de coule. Le dispositif est chauff pour vacuer la cire ; la cire est ensuite remplace
par le mtal en fusion. Aprs refroidissement, le moule est cass et lobjet libr. La ncessit de briser le moule fait de luvre un objet unique. Ce procd vaut pour les uvres de
petites dimensions. Les techniques de la grande statuaire en bronze sont celles de la fonte
en creux la cire perdue.
La technique de fonte en creux la cire perdue sur positif (procd direct) consiste
laborer un modle grossier de luvre, en argile rfractaire le futur noyau puis le
recouvrir de cire. La surface de la cire est alors travaille an dapprocher au plus prs
lapparence souhaite pour le bronze (lpaisseur de la couche de cire sera celle du bronze
une fois coul). Aprs la mise en place de clous distanciateurs qui traversent la cire et vont
se cher dans le noyau, lartisan procde celle, en cire, des jets de coule, des vents et
de lentonnoir de coule. Il recouvre lensemble dune chape en argile rfractaire et procde
ensuite comme pour la fonte pleine.
La technique de fonte en creux la cire perdue sur ngatif (procd indirect) consiste
modeler luvre en argile puis mouler le prototype ainsi obtenu an dobtenir son empreinte.
Le prototype est retir du moule. La cire est alors introduite lintrieur du moule, puis le
noyau en argile rfractaire lintrieur de la cire. Le moule est retir. Le modle auxiliaire en
cire est ensuite trait comme dans le cas dune fonte en creux sur positif. Ce procd permet
de conserver le prototype et le moule, et de dupliquer ventuellement luvre.
patines
2 Les
antiques
2.1. Lpiderme sombre des
bronzes : corrosion ou effet
souhait ?
Selon lopinion commune,
encore prsente dans un
texte de Plutarque au IIe sicle
de notre re, la patine naturelle, cest--dire lvolution naturelle de lpiderme
des bronzes, tait considre comme de la crasse
ou du vert-de-gris [2]. Un
tel parti esthtique imposait
donc de tenter de ralentir le
processus inluctable daltration lair et lhumidit des
alliages cuivreux. Les sources
119
La chimie et lart
120
Un incendie, survenu au moment du sac de la ville de Corinthe par les Romains en 146
av. J.-C., aurait consum une maison qui contenait un petit dpt dor et dargent et une
beaucoup plus grande quantit de cuivre. Lincendie aurait provoqu la fonte des mtaux
qui se seraient mlangs. Cest la raison pour laquelle cet alliage tait appel bronze de
Corinthe .
121
La chimie et lart
Figure 3
Encrier de Vaison-la-Romaine,
troisime quart du Ier sicle de
notre re. Adonis, Psych, Vnus,
une suivante et les six Amours.
122
Le dossier de lencrier a
permis de saisir quelquesunes des particularits techniques du bronze de Corinthe,
cet alliage fameux dcrit par
Pline lAncien comme venant
avant largent, et presque
mme avant lor [10]. Le
bronze de Corinthe, crivait
Cicron, soxyde difcilement
[11]. Et on constate en effet
que la panse de lencrier qui
est en laiton est corrode
comme les zones en cuivre
pur : lil ne peut distinguer
aujourdhui ces diffrents
alliages qui prsentent exactement la mme altration
de surface. En revanche, les
plages de cuivre noir ne
prsentent aucune corrosion.
La patine noire, prenne,
na pas t attaque par les
29. Initie par le restaurateur
D. Robcis.
Figure 4
Analyse de lencrier au moyen de
lacclrateur de particules Agla.
123
La chimie et lart
Figure 5
A) Les ailes des Amours : cuivre
noir rehauss de ls dor ; B) La
draperie sur les jambes de Vnus :
cuivre noir rehauss de ls
dor ; C-D) Les ailes et la draperie
de Psych : des incrustations de
cuivre pur corrodes comme le
fond en laiton de lencrier. Ailes
des Amours (cuivre : 87,5 %, or :
0,91 %, argent : 2,89 %). Draperie
de Vnus (cuivre : 88, 2 %, or :
1,17 %, argent : 3, 46 %).
D
Figure 6
Couleurs originelles de lencrier de
Vaison-la-Romaine.
124
La technique
3
du cuivre noir
une histoire encore
31
lacunaire
Les enjeux de la recherche
dans le domaine des patines
noires sont multiples. Les
publications sont encore peu
nombreuses mais les rsultats sufsamment probants
pour alerter la communaut
scientique et inciter les
fouilleurs, les responsables
de collections de bronzes et
les restaurateurs rechercher dsormais systmatiquement les indices souvent
inmes dune telle pratique
et identier ces bronzes
de Corinthe qui fascinaient
les Anciens. Il faut galement reconstituer lhistoire
du cuivre noir , qui est
encore lacunaire. Une nigme
non rsolue concerne par
exemple la relation entre le
cuivre noir et la cit de
Corinthe : les fouilles, en
contradiction avec les textes
antiques, nont livr jusqu
ce jour aucun bronze de
Corinthe .
Lhistoire
de
la technique est toutefois
progressivement reconstitue
grce lanalyse duvres
bien dates, qui prsentent
des surfaces noires. Les
plus anciens tmoignages
31. Rappelons que la diffrence
entre cuivre noir et bronze
noir repose sur la prsence ou
non dtain dans lalliage cuivreux. Elle nest pas dirimante
pour ltude et lhistoire de la
technique.
125
La chimie et lart
126
1400-1200 :
apoge de la civilisation
mycnienne.
Vers 1600 :
tombes fosse
du cercle A de Mycnes.
Aucun cuivre ou bronze noir
hellnistique na t repr
jusqu prsent. Ont-ils jamais
exist ? La question demeure
ouverte ainsi que celle des
33. [] je sais parfaitement bien
lorigine des bronzes de Corinthe.
Lors de la prise dIlion, Hannibal,
ce modle du fourbe, ce roi des camlons, t entasser sur un bcher
toutes les statues de bronze et dargent et il y mit le feu ; et les mtaux
en fondant se combinrent en un
alliage. Puis les fondeurs allrent
prendre cette masse, pour faire
des assiettes, des plats et des gurines. Cest ainsi quest n le bronze
de Corinthe, de toutes sortes de
choses fondues en une seule, ni
chair ni poisson . Ptrone, Satiricon, 50 (trad. A. Ernout, Paris,
d. Les Belles Lettres, 1990).
Bibliographie
[1] Descamps-Lequime S. La
polychromie des bronzes grecs
et romains, dans Rouveret
A., Dubel S., Naas V. (2006).
Couleurs et matires dans
lAntiquit. Textes, techniques et
pratiques, Paris, 79-92.
[2] Moralia, VI, 395 B.
[3] Histoire Naturelle, XXXIV, 99.
[4] Willer F. (1994). Fragen zur
intentionellen Schwarzpatina an
den Mahdiabronzen, dans Das
Wrack, op. cit, 8 : 1023-1031.
[5] Giumlia-Mair A.R., Craddock
P.T. (1993). Corinthium aes. Das
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
sa
Ainsi,
la
diversit
des
pigments dont disposent les
artistes peintres (Figure 1)
doit beaucoup aux progrs
de la chimie au cours des
sicles, principalement
partir de la n du XVIIIe sicle.
Les avances majeures dans
le domaine de la chimie au
XIXe sicle furent non seulement sources de nouveaux
colorants pour la teinture et
de nouveaux pigments pour
la peinture34, mais permirent
galement de rduire le cot
de matires colorantes naturelles en ralisant la synthse
du principe colorant ; le
chimie
cre
couleur
La
La chimie et lart
Figure 1
Les pigments dont dispose les
peintres sont dune grande
diversit de teintes. La palette sest
progressivement enrichie grce
aux progrs de la chimie.
130
Quest-ce que
la couleur ?
Figure 2
La lumire visible est constitue
dondes lectromagntiques dont
la longueur donde stend de
400 700 nm. chaque longueur
donde correspond une sensation
colore diffrente. Lensemble du
spectre visible (Soleil par exemple)
conduit la sensation de blanc ; la
lumire blanche est dcompose
par un prisme qui permet de voir
les couleurs composites, celles de
larc-en-ciel.
131
La chimie et lart
Figure 3
Perception de la couleur dun objet.
Un objet renvoie la lumire quil
reoit en modiant la composition
spectrale de cette lumire
pour des raisons chimiques
(absorption slective de la
lumire par la matire certaines
longueurs donde) et physiques
(rexion spculaire et diffuse,
et ventuellement diffraction
et interfrences). Le cerveau
reconstruit limage avec ses
couleurs partir de la succession
de potentiels dactions dclenchs
par limpact de photons sur les
photorcepteurs de la rtine qui
sont de trois types (leurs domaines
dabsorption sont indiqus par les
courbes bleue, verte et rouge.
132
Comment expliquer quune substance de nature chimique bien dnie absorbe slectivement la lumire certaines longueurs donde ? La physique classique est impuissante
lexpliquer, et cest la mcanique quantique dont la naissance remonte aux annes 19201930 qui permit dlucider les mcanismes de linteraction de la lumire avec les atomes et
les molcules. Sappuyant sur les concepts de niveaux dnergie dun atome ou dune molcule, labsorption de la lumire certaines longueurs donde sinterprte alors en termes de
transitions entre deux niveaux dnergie induites par labsorption dun photon, dont lnergie
correspond prcisment la diffrence dnergie entre les deux niveaux.
Composs minraux
Les deux causes principales de la couleur des pigments minraux employs en peinture sont
les suivantes :
Prsence dimpurets sous forme dions isols dans un cristal. Les ions qui absorbent dans
le domaine visible sont peu nombreux. Il sagit principalement des mtaux de transition :
chrome, manganse, fer, cobalt, nickel, cuivre, etc. Labsorption dpend non seulement
des caractristiques de lion (nature chimique, charge), mais aussi de son environnement
microscopique (nature et nombre datomes lis, notamment). Cest pourquoi un mme ion
peut tre lorigine de couleurs diffrentes. Par exemple la couleur du bleu de cobalt est due
lion Co2+ (qui absorbe 500-700 nm), mais cet ion dans un autre micro-environnement peut
donner une couleur violette (dans le violet de cobalt) ou rose.
Transfert de charge entre ions mtalliques ou entre loxygne et un ion mtallique. Labsorption dun photon peut faire passer un lectron dans une orbitale dun autre atome que celui
dont il est issu. Par exemple, dans les ocres (hmatite et goethite), un lectron de valence
des ions O2 ou OH lis lion Fe3+ (voir le paragraphe 2.1) occupe temporairement une orbitale vide de cet ion.
Le cas du bleu outremer est mettre part, car ce nest pas un mtal qui est lorigine de la
couleur (voir lencart Lorigine de la couleur du bleu outremer , paragraphe 2.3).
Composs organiques
Les lectrons dune molcule, comme ceux des atomes, peuvent passer dans des niveaux
dnergie suprieure lorsque la molcule absorbe de lnergie. Il sagit de niveaux lectroniques, mais, la diffrence des atomes, chacun de ces niveaux lectroniques possde
des sous-niveaux vibrationnels et rotationnels. Pour les molcules possdant des noyaux
aromatiques, lcart entre les niveaux dnergie lectroniques est tel quelles absorbent
dans lUV ou le visible. Si labsorption se situe dans le visible, la substance est colore. Cest
en particulier le cas des colorants organiques.
133
La chimie et lart
134
Figure 4
A) Le tableau de Vermeer, Jeune lle lisant une lettre (1657-1659), illustre
la synthse soustractive de la couleur verte du rideau par mlange dun
pigment bleu (azurite) et dun pigment jaune (jaune de plomb et dtain).
B) Le tableau de Seurat, Le cirque (1891), donne un exemple de la
technique du pointillisme ; la juxtaposition de taches colores (voir dtails
droite) conduit, dans une vision de loin, une perception des couleurs
par mlange optique dans lil.
Figure 5
Couleurs primaires (bleu-cyan,
rouge-magenta et jaune, marques
de la lettre P) et couleurs
secondaires ou complmentaires
qui leur correspondent (vert,
orang et violet, situes de
faon diamtralement oppose).
Ces dernires sobtiennent
par mlange de deux couleurs
primaires adjacentes.
135
La chimie et lart
136
Les pigments
2
du peintre :
entre science et art
Il est bien sr utile de connatre
la nature des pigments quemployaient les peintres. Monet,
justement, y prtait bien plus
attention quil ne le laissait
entendre, comme le prouvent
ses relations troites avec les
marchands de couleurs. Intressante, propos, cette vieille
expression de marchand
de couleurs : si lorigine
des couleurs tait seulement
physique, on ne pourrait pas
vendre des couleurs !
Depuis lAntiquit jusqu
nos jours, la palette des
peintres sest progressivement enrichie. Le XIXe sicle
constitue un tournant important en raison des avances
majeures en chimie conscutives la rvolution chimique
de la n du XVIIIe sicle. De
nouveaux pigments minraux sont synthtiss (
base de cobalt, de chrome,
de cadmium, notamment).
Paralllement, divers travaux
fournissent la chimie organique les bases conceptuelles
qui lui manquaient. Des colorants synthtiques pour la
teinture sont ainsi fabriqus
et certains donnent lieu des
pigments laqus.
La liste des pigments est
longue et il serait fastidieux
de les passer tous en revue.
Cest pourquoi une attention
particulire sera porte dans
la suite de ce chapitre ceux
qui offrent le plus dintrt au
regard la fois de la chimie et
de lart. Le tableau 1 recense
les
principaux
pigments
employs par les peintres
depuis lAntiquit.
Principaux pigments dorigine naturelle et/ou synthtique employs en peinture. Les pigments contenant de
larsnic, du plomb, du cadmium ou du chrome prsentent une toxicit plus ou moins grande.
NOM
FORMULE
CHIMIQUE
Nat.
Synth.
X
X
Ocre jaune*
Orpiment (jaune) *
Fe2O3
As2S3
Jaune de plomb
dtain
Pb2SnO4
Jaune de Naples*
Pb2Sb2O7
Jaune de cadmium
CdS.ZnS
Ocre rouge*
FeOOH
Vermillon (rouge) *
HgS
Minium (rouge
orang) *
Pb3O4
Rouge de cadmium
CdS.CdSe
Laque de garance*
Carmin de
cochenille*
Malachite *
Cu(OH)2.CuCO3
Vert-de-gris*
Cu(CH3COO)2
[Cu(OH)2]32H2O
Vert Vronse
3 Cu(AsO2).
Cu(CH3CO2)2
Vert meraude
Cr2O3.2H2O
Vert de chrome
Fe4[Fe(CN)6]3
+ PbCrO4.PbSO4
COMMENTAIRES
Oxyde ferrique ou gthite.
Employ par les gyptiens.
Fabriqu au Moyen ge en
fondant du ralgar (AsS) et du
soufre.
Prpar en chauffant un mlange
de PbO et SnO2. Deux varits cristallines diffrentes : type I et II.
Employ par les verriers gyptiens. Prpar en chauffant un
mlange de PbO et Sb2O3.
Existe en quatre nuances : citron,
clair, moyen, fonc.
Tableau 1
137
La chimie et lart
FORMULE
CHIMIQUE
NOM
Nat.
Synth.
Cu(OH)2.2CuCO3
Outremer (bleu)*
(Na,Ca)8[Al6Si6O24]
(SO4,S,Cl)
Bleu de prusse
Fe4[Fe(CN)6]3
Bleu de cobalt
CoO.Al2O3
Bleu de crulum
Co2SnO4
Violet de cobalt
- fonc
- clair
Co3(PO4)2
Co3(AsO4)2
Blanc de plomb*
2 PbCO3.Pb(OH)2
Blanc de zinc
Blanc de titane
ZnO
TiO2
Noir de carbone*
Oxyde de manganse*
Noir de Mars*
MnO2
base de FeO
X
X
X
X
X
X
COMMENTAIRES
Origine naturelle (gisements de
cuivre).
Constituant essentiel du lapislazuli : lazurite. Outremer de
synthse obtenu par J.-B. Guimet
en 1828.
Dcouvert par hasard par Dippel
Berlin en 1710.
Procd mis au point par le
chimiste franais Thnard en
1802.
Existe depuis les annes 1860.
Les violets de cobalt sont les
seuls pigments violets solides de
la palette.
Appel galement blanc de
cruse.
Extrait dun minerai (blende).
Pigment trs lumineux (indice de
rfraction lev).
Obtenu par calcination. Dorigine
animale (noir dos, noir divoire)
ou vgtale (noir de suie).
Figure 6
138
Figure 7
La diffrence de couleur entre la
gthite et lhmatite sexplique
par la diffrence des nombres
dions O2 et OH entourant lion
ferrique central.
139
La chimie et lart
Figure 8
Les pigments bleu et vert gyptiens
sont trs prsents sur la tombe de
Tanethrret (18e dynastie, 1 5521 306 av. J.-C.).
140
Les textes gyptiens ne donnent aucune information sur le procd de prparation de ces
pigments dont des pains ont t retrouvs (Figure 9). Les recherches menes au Centre
de recherche et de restauration des muses de France ont permis dlucider ce procd
en mettant en uvre diverses analyses physico-chimiques [1, 2]. Il savre quun mlange
de composs calcaires, siliceux et cuivreux en certaines proportions est chauff entre 870
et 1 100 C pendant plusieurs heures, ce qui conduit une masse compacte et htrogne
comportant des cristaux bleus de cuprorivate (CaO.CuO.4SiO2) ainsi que de la silice sous
forme de cristaux de quartz et de tridymite. La couleur bleue varie du bleu fonc au bleu
ple selon les conditions de chauffage. En outre, un broyage modr est effectu ; il rend la
couleur bleue plus claire si la taille des grains devient infrieure 20 micromtres.
Quant au vert gyptien, il se prpare avec les mmes ingrdients que ceux du bleu, mais dans
des proportions diffrentes, et le chauffage doit se faire sous atmosphre oxydante entre 900
et 1 150 C. Le vert gyptien est plus riche en sodium et plus pauvre en cuivre que le bleu
gyptien. Dans la phase amorphe sont disperss des cristaux de parawollastonite (CaSiO3) et
de silice (quartz et/ou tridymite ou cristobalite).
A
Figure 9
A) Coupe stratigraphique de bleu gyptien synthtis au Centre de recherche et de restauration des muses
de France montrant encore, avant broyage, les restes de quartz cerns par une couronne colore mlant
amorphe et cuprorivate donnant sa couleur au matriau. B) Pains bruts de bleu gyptien du Dpartement
des Antiquits gyptiennes du Muse du Louvre.
141
La chimie et lart
Figure 10
Le Baptme du Christ, Le
Greco, 1567. Parmi les pigments
employs, gure le jaune de plomb
et dtain (voir Figure 11).
Figure 11
200
142
322
277
138
400
600
800
143
La chimie et lart
Figure 12
Le lapis-lazuli est une pierre
semi-prcieuse do tait extrait le
bleu outremer par un procd trs
onreux.
Figure 13
Le bleu outremer, extrait du
lapis-lazuli, gurait en bonne
place sur la palette du peintre du
Moyen ge pour la ralisation des
enluminures. droite : Missel
lusage de Nantes (milieu du
XVe sicle).
Jusquau
premier
quart
du XIXe sicle, on extrayait
le pigment bleu outremer
grand frais dune pierre
semi-prcieuse : le lapislazuli (du latin lapis = pierre,
et du persan lazur = bleu),
galement dnomme pierre
dazur (Figure 12)40. Cette
pierre tait importe dun
lointain pays, lAfghanistan,
do le nom doutremer qui
signie au-del des mers ,
et le procd dextraction,
comportant de nombreuses
tapes, tait long et difcile.
Do un cot exorbitant : plus
lev que lor ! On dit mme
que Michel-Ange navait pas
les moyens de se le procurer.
Un tel cot justie pourquoi
ce pigment tait principalement destin la peinture de
scnes religieuses dans les
144
enluminures du Moyen ge
(Figure 13) et les peintures
partir du XVIe sicle.
Les progrs de lanalyse et de
la synthse chimique la n
du XVIIIe sicle et au dbut du
XIXe sicle incitaient prparer
un bleu outremer articiel.
Ainsi, la Socit dencouragement pour lindustrie nationale ouvrit un concours en
1824 pour la synthse dun
bleu outremer moindre cot.
Le laurat fut Jean-Baptiste
Guimet en 1828. Cest le plus
bel exemple de substitution
dun pigment naturel par un
pigment synthtique grce
aux progrs de la chimie.
Nous savons aujourdhui que
le constituant essentiel du
bleu doutremer est la lazurite (Na8[Al6Si6O24][SO4,S,Cl]x).
Lorigine de la couleur,
compltement lucide vers
1970, est le radical anion
trisulfure (voir lencart Lorigine de la couleur du bleu
outremer ).
Jusque vers 1760, on pensait que la couleur bleue du lapis-lazuli tait due la prsence
doxyde de cuivre. Cependant, les progrs de lanalyse chimique permirent Margraaf en
1768 et Klaproth en 1795 de montrer labsence de ce compos, mais la prsence doxyde
de fer, de carbonate de calcium, de sulfate de calcium, de silice, dalumine et deau. En 1800,
Guyton de Morveau suggra alors que la couleur est due au sulfure de fer, car aucun oxyde de
fer nest bleu. Pourtant, en 1806, Charles Bernard Dsormes et Nicolas Clment, aprs une
purication draconienne du pigment, prouvrent labsence de fer, mais la prsence de silice,
dalumine, de soude, de soufre et de carbonate de calcium.
En 1814, Tassaert, directeur dune usine de la Compagnie des Glaces de Saint-Gobain,
dcouvrit par hasard un chantillon de couleur bleue en dmontant un four soude (ancien
nom donn au carbonate de sodium). Intrigu, il envoya lchantillon au clbre chimiste
Vauquelin pour analyse. Il savra que la composition tait voisine de celle du bleu outremer
extrait du lapis-lazuli. Malgr les rsultats obtenus par Dsormes et Clment, Vauquelin
pensa, comme Guyton de Morveau, que la couleur tait due au sulfure de fer.
En 1815, Dbereiner mit pour la premire fois lhypothse que la couleur tait uniquement
due au soufre, ce qui se rvlera exact. Toutefois, le paradigme du mtal pour expliquer
la couleur des mtaux est tellement ancr dans les esprits que Dbereiner supposa que
le soufre provenait dune substance mtallique sulfogne (cest--dire gnratrice de
soufre), le mtal en question nayant pas encore t isol. Cest nalement Richard Phillips
qui, en 1823, mena des expriences qui le conduisirent lhypothse que la couleur tait due
une substance non mtallique.
Toutes ces considrations incitrent la Socit dencouragement pour lindustrie nationale
ouvrir en 1824 un concours dont le prix rcompenserait celui qui russira la synthse dun
bleu outremer bon march. Le prix fut dcern Jean-Baptiste Guimet en 1828.
Mais quelle est donc la nature exacte de cette substance bleue base de soufre ? Ce sont
des expriences de rsonance paramagntique lectronique qui ont montr, en 1970, que
la couleur est due au radical anion trisulfure S3 dans une cage daluminosilicate de type
zolithe (Figure 14). Cette espce absorbe vers 600-610 nm cest--dire dans le rouge, ce
qui explique sa couleur bleue. Pas tonnant quil ait fallu deux sicles pour arriver cette
interprtation peu vidente a priori !
Figure 14
La couleur du bleu outremer
nest pas due une substance
mtallique, contrairement
celle de la plupart des pigments
minraux, mais au soufre. Plus
prcisment, cest le radical anion
S3 , constitu de trois atomes de
soufre et emprisonn dans une
cage daluminosilicate, qui est
lorigine de la couleur.
145
La chimie et lart
Figure 15
Le bleu monastral et le vert
monastral sont des phtalocyanines
de cuivre possdant dexcellentes
proprits.
146
la peinture. Toutefois, il ne
Figure pas parmi les grands
pigments bleus. Certains le
trouvent trop envahissant .
Le bleu phtalo est un trs
beau pigment du XXe sicle.
Il fut dcouvert accidentellement en 1938 dans lentreprise cossaise Scottish
Dyes Ltd. (qui deviendra ICI,
Imperial Chemical Industries).
Il sagit dune phtalocyanine
dont ce ntait pas la premire
observation, mais ctait la
premire fois quon envisageait son emploi comme
pigment. Les recherches
aboutirent la mise sur le
march en 1934 du bleu phtalo
ou bleu monastral qui est
une phtalocyanine de cuivre
(Figure 15). La chloration
conduit un pigment vert, le
vert monastral. Ces pigments
de nature organomtallique
(cest--dire constitus dun
ion mtallique auquel sont
lis des ligands organiques)
sont trs rsistants la
lumire, ainsi quaux variations de temprature et dhumidit. Ils offrent la possibilit
dimiter les pigments anciens,
notamment en vue de raliser
des glacis.
Une question que lon se pose
en admirant les tableaux de
Pablo Picasso peints lors de
sa priode bleue : quels
pigments employait-il ? Il
sagit du bleu de cobalt et du
bleu de Prusse. Ce dernier
tait peu pris des peintres, ce
qui en fait une caractristique
de ces uvres de Picasso.
Le peintre franais Yves Klein
(1928-1962) traversa galement une priode bleue.
Il peignit des uvres monochromes dans les annes
1950-1960 avec son pigment
Figure 16
147
La chimie et lart
148
Figure 17
A) Tableau de Van Gogh,
Mademoiselle Gachet au jardin
(1890). B) Lanalyse chimique de
microprlvements a permis de
reprer les zones qui se sont
dcolores au cours du temps, en
raison de la mauvaise stabilit
la lumire de la laque granium
(Travaux de Jean-Paul Rioux
raliss au C2RMF).
149
La chimie et lart
Figure 18
Dans le tableau de Watteau,
Pierrot (1718-1719), le blanc de
plomb est prsent en abondance.
150
Le peintre
3
alchimiste
de la couleur
Le terme alchimie traduit
ici la suite complexe doprations mettant en uvre
diverses substances pour
raliser une uvre picturale, depuis le broyage du
pigment brut jusqu luvre
acheve.
Les
procds
ont un point commun : les
pigments broys sont toujours
disperss dans un liant (le
plus souvent base deau ou
dhuile). Au mlange obtenu
sont ajoutes dautres substances dont dpend la diversit des procds : rsines,
essences, gomme arabique,
colle, uf, cire, etc. [8].
Admirez les peintures lhuile
des peintres amands du
XVe sicle dont la beaut doit
beaucoup la technique des
glacis quils mirent au point !
Contemplez ltonnante fracheur des couleurs dans les
tableaux des primitifs italiens,
peints il y a plus de six cents
ans par un procd base
duf ! Un tel savoir-faire de
Figure 19
Tableau de Jean Dubuffet, Vache
blanche, fond vert (1954) illustrant
lemploi frquent par les peintres
modernes dun pigment blanc trs
lumineux, le blanc de titane.
151
La chimie et lart
Figure 20
Les techniques de peinture se
distinguent par la nature du
liant (eau ou huile) et des divers
ingrdients qui sont ajouts.
152
Figure 21
Tableau de David III Ryckaert
Atelier du peintre (1638) montrant
le broyage de pigments.
Figure 22
Le broyage de pigments conduit
un claircissement de la couleur
quand les grains deviennent trs
ns en raison de limportance
croissante de la diffusion de la
lumire par ces derniers. La
dmonstration est faite ici avec
des cristaux de sulfate de cuivre
hydrat.
153
La chimie et lart
Figure 23
La phosphatidylcholine est prsente en forte proportion dans le jaune duf. La
composition des chanes hydrocarbones varie dune molcule lautre. Cette
molcule stabilise des mulsions H/E (gouttelettes dhuile dans eau) en se plaant
linterface eau/huile.
La tte polaire est hydrophile (elle possde une grande afnit pour leau), tandis que les
chanes parafniques sont hydrophobes (elles sont insolubles dans leau mais solubles dans
lhuile). Alors, en prsence de gouttelettes dhuile disperses dans leau (mulsion huiledans-eau, symbolise par H/E), les molcules de lcithine viennent tout naturellement
tapisser linterface eau /huile avec leur tte polaire au contact de leau et leurs chanes dans
lhuile. La lcithine est qualie dmulsiant car ses molcules stabilisent les mulsions en
rduisant considrablement les risques de coalescence (fusion des gouttelettes). La stabilit
de la mayonnaise sexplique de cette faon. De la mme faon, nombre de crmes cosmtiques sont des mulsions stabilises par des phospholipides (liposomes).
Les particules de pigments qui ont une afnit pour les ttes polaires se trouvent ainsi
disperss au sein de lmulsion sans aucune tendance sagglomrer.
154
comme en gastronomie, il
existe une grande varit de
recettes ! Selon les cas, on
emploie le jaune duf avec
le blanc ou non, et on ajoute
bien dautres ingrdients : une
huile et/ou un vernis en mulsion dans luf, parfois un peu
de cire, du vinaigre, etc. [9].
Pourquoi luf ? Encore une
raison
physico-chimique :
luf contient en particulier
de la lcithine qui permet
44. Contrairement ce que pourrait laisser entendre le mot scher, il ne sagit pas dun schage
par vaporation dune substance
(comme leau dans le cas de la
peinture leau), mais de la formation dun lm souple par rticulation en prsence de dioxygne.
Figure 24
155
La chimie et lart
Figure 25
Tableau de Jan Van Eyck, La Vierge
du chancelier Rolin (vers 13901431). Les frres Van Eyck ont
rvolutionn la peinture lhuile
non seulement par le choix de
lhuile de lin cuite et claircie, mais
aussi par laddition dessences et
de rsines pour raliser des glacis.
156
Le lin est une plante cultive depuis des milliers dannes, qui donne de jolies eurs bleues.
On en extrait une huile dont lemploi en peinture dbuta au XVe sicle. Cette huile est principalement constitue dun mlange de triglycrides, cest--dire de triesters dun trialcool
unique, le glycrol, et dacides longue chane hydrocarbone dits gras (principalement
lacide linolnique, lacide linolique, et lacide olique). Les chanes hydrocarbones de
ces triglycrides sont trs majoritairement insatures, cest--dire quelles possdent une,
deux ou trois doubles liaisons entre deux atomes de carbone (Figure 26). Le nombre lev
de doubles liaisons, par rapport aux autres huiles, font de lhuile de lin la plus siccative des
huiles, cest--dire celle dont le schage conduit un lm le plus rapidement.
Figure 26
Lhuile de lin est constitue dun mlange
de triglycrides dont les chanes peuvent
possder jusqu trois doubles liaisons.
Ces dernires jouent un rle important
dans le processus de schage.
Les mcanismes ractionnels impliqus lors du schage sont complexes [11, 12]. La
prsence de doubles liaisons est propice la formation de radicaux par abstraction dun
atome dhydrogne appartenant un groupe mthylne (CH2) au voisinage dune double
liaison. Du fait de la prsence doxygne, il se forme des hydroperoxydes (comportant des
groupes OOH) (Figure 27). Ces derniers fournissent eux-mmes des radicaux donnant
notamment des aldhydes et des ctones (responsables de lodeur de rancissement des
huiles en gnral), ainsi que des acides carboxyliques. La recombinaison de radicaux conduit
la formation de ponts entre les chanes. Les radicaux sont galement impliqus dans des
ractions de polymrisation dites radicalaires. Tous ces processus contribuent la formation
dun rseau tridimensionnel (rticulation) qui constitue un lm rsistant et souple.
Figure 27
Le schage de lhuile de
lin met en jeu une grande
diversit de ractions
impliquant des radicaux. Ces
derniers sont responsables
de la formation de ponts entre
chanes et des ractions de
polymrisation. Cest ainsi
par rticulation, cest--dire
par cration dun rseau
tridimensionnel, que se forme
un lm rsistant et souple.
157
La chimie et lart
Figure 28
LAmricain J. Goffe Rand invente
le tube de peinture en 1841 dont
lenveloppe tait une feuille dtain.
La
pte
contenant
les
pigments disperss dans
lhuile tait habituellement
conserve dans un rcipient
en vessie de porc. Puis en
1841, survient ce que nous
appellerions aujourdhui une
innovation
technologique :
lAmricain J. Goffe Rand
invente le tube de peinture
dont lenveloppe est une
feuille dtain (Figure 28).
Cest vers 1850 que ces tubes
deviennent disponibles en
France. Ils offrent la possibilit de peindre hors ateliers :
une vritable rvolution !
Les
impressionnistes
en
particulier ne sen sont pas
privs. Toutefois, la conservation de lhuile de lin dans
les tubes pose alors deux
problmes : sa siccativit
interdit une conservation
longue dure, et elle jaunit
labri de la lumire. Cest
pourquoi il fallut employer
dautres huiles, comme lhuile
dillette (extraite de la
graine de pavot) qui est moins
siccative et jaunit beaucoup
moins. Toutefois, un siccatif
doit ensuite tre ajout.
3.5. Une rvolution :
les peintures acryliques
158
Le peintre,
4
chercheur
de lumire
Les artistes ont de tout temps
cherch rendre les couleurs
de leurs uvres plus lumineuses. En effet, les couleurs
rsultant de labsorption
slective de la lumire par
des pigments cest--dire
perues grce la rexion
diffuse de ce qui na pas t
absorb sont loin davoir la
luminosit des couleurs de
relles sources lumineuses.
Les enlumineurs, cest--dire
les peintres des enluminures
termes qui ont la mme
origine que le mot lumire
(du latin lumen) ouvrent
la voie cette recherche.
Figure 29
159
La chimie et lart
Figure 30
Pour caractriser une couleur
opaque, il faut trois paramtres :
teinte, saturation, clart. Les
teintes pures correspondent des
couleurs dites satures (priphrie
du disque). La saturation diminue
quand on se rapproche du centre.
La clart est porte sur laxe
vertical.
160
Figure 31
Diagramme L*a*b* propos par
la Compagnie internationale
de lclairage (CIE) en 1976
pour caractriser une couleur
opaque. Les trois paramtres
sont la clart L*, la teinte h*
et le chroma C* (degr de
saturation).
161
La chimie et lart
Figure 32
Tableau de Claude Monet,
Impression Soleil levant (1873). Le
Soleil et ses reets napparaissent
plus sur la photographie en noir
et blanc, ce qui montre que,
contrairement aux apparences, la
clart de la couleur du Soleil est la
mme que celle du fond.
Figure 33
La lumire pntrant dans la
couche picturale trs dilue
en pigment est partiellement
absorbe par ces derniers. Cette
absorption est responsable de
la teinte. La partie non absorbe
est diffuse par les particules de
pigments et par la couche de fond.
La diffusion de la lumire inue
sur la clart et la saturation.
162
Figure 34
Dans la technique du glacis consistant superposer successivement
des couches dilues de pigments, le degr de saturation de la couleur
(chroma) passe par un maximum. Un simple mlange dun pigment color
et dun pigment blanc ne permet pas datteindre une telle saturation
(courbe rouge). (Rsultats obtenus au C2RMF, M. Menu et coll.).
Figure 35
Dtail du tableau de Van Eyck
prsent sur la Figure 24. Les
couleurs les plus fonces des plis
rouges de la robe sont obtenues
en superposant plusieurs couches
dun pigment unique, et non
pas en mlangeant un pigment
rouge et un pigment noir. Cest
le principe de la technique des
glacis employe par les peintres
amands au XVe sicle.
163
La chimie et lart
particules de mica et de
mtal produisant des reets
nacrs et liridescence. Les
reets nacrs du mica sont
dus aux interfrences de la
lumire sur des multicouches
constitues de silicates). Les
couleurs
interfrentielles
ainsi observes varient selon
langle dobservation.
Dans sa dernire uvre,
Hommage Rosa Luxemburg
(1992), le peintre canadien
Jean-Paul Riopelle a employ
des feuillets de micas sur
lesquels une mince couche
doxyde mtallique a t
dpose (Figure 36).
Figure 36
Extrait du tableau de Jean-Paul
Riopelle, Hommage Rosa
Luxemburg (1992). Des couleurs
interfrentielles sont dues
lemploi de feuillets de mica
recouverts dune mince couche
doxyde mtallique.
164
absorption de lumire et se
situe des longueurs donde
plus leves que celles de
labsorption. Cest en quelque
sorte une mission de lumire
ne de la lumire.
Certains peintres emploient
exclusivement des pigments
uorescents et clairent leurs
tableaux avec des lampes UV.
Dautres mettent en uvre
la fois des pigments classiques et des pigments uorescents. Ainsi, la lumire
du jour, ces derniers apparaissent comme particulirement lumineux pour raliser
des effets particuliers et pour
attirer le regard du specta-
Figure 37
Conclusion
La diversit des matires colorantes dont
dispose lartiste peintre est redevable aux
progrs de la chimie qui cre ses couleurs.
Toutefois, la ralisation dune uvre picturale
ncessite non seulement des pigments,
165
La chimie et lart
166
Bibliographie
[1] Pags-Camagna S. (1998).
Pigments bleu et verts gyptiens
en question : vocabulaire et
analyses. Dans : La couleur
dans la peinture et lmaillage
de lgypte ancienne, Edipuglia,
163-175.
[13] Chiron A., Menu M., La couleur des uvres dart. Caractrisation spectrocolorimtrique
de luvre dart : objectifs,
contraintes, perspectives, Couleur et perception, TECHNE
n 9-10, 1999, 161-171.
De Langlais X. (1959). La
technique de la peinture lhuile.
Flammarion.
Delamare F., Guineau B. (1999).
Les matriaux de la couleur.
Dcouvertes Gallimard, Sciences
et Techniques, Gallimard.
Elias M., Lafait J. (sous la
direction de) (2006). La couleur.
Lumire, vision et matriaux.
Belin.
Elias M. (2007). La lumire pour
une meilleure connaissance
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
et
47
Ltonnement
1
ou la naissance
dune vocation
Sil fallait remplir peu peu
lespace quil y a entre le jour
et la nuit, on y dpenserait une
ternit. Mais le soleil se lve,
et les ombres sont disperses :
un moment suft combler un
espace inni Rabindranath
Tagore [1].
47. Un athanor est un four en
terre cuite, en briques ou en mtal utilis par les alchimistes dans
le but de fabriquer la fameuse
pierre philosophale.
Lobjectif si objectif il y a
dans ce qui fonde une pratique
artistique, se contracte rarement en un nonc. Ce dsir
de partage dune approche du
sensible minvite toutefois
dire que la volont de retranscrire une motion, une sensation, dans la production dun
objet matriel, conditionne
un ensemble de prises de
dcision. Lnergie mentale,
convoque en ces termes,
suppose daccepter un principe actif et immatriel qui
trouve sans doute son point
dorigine dans des motions
premires, oublies, mais
inlassablement ravives, par
la production duvres, dont
le statut ou la stature est
proportionnelle la conance
convie et projete en leurs
endroits.
En ce qui me concerne,
ces premires motions se
cachent probablement dans
un creux de rocher, labri du
vent, do il tait possible de
prendre mesure et conscience
de toute ltendue qui nous
spare de lhorizon. En ce
sens, Rabindranath Tagore,
par cette seule phrase place
Atelier
athanors
La chimie et lart
170
Atelier et athanors
Dans les annes 1960, la sculpture prend une place prpondrante aux tats-Unis. Des
artistes comme Carl Andr ou Richard Serra ont su regarder dune manire nouvelle la
sculpture de Brancusi. Le terme minimalism apparat avec le slogan less is more . Cest
aussi une prise de conscience du lieu et de lespace dinscription de la sculpture pense ni
comme monument ni comme objet (Tony Smith).
Lobjet nest plus quun des termes de la relation qui met en prsence lobjet lui-mme, lespace
dans lequel il se trouve, la lumire qui lclaire et la situation du spectateur qui y est confront
(Robert Morris).*
Lart conceptuel
Le programme minimum qunoncent dans leurs travaux les artistes dits conceptuels (Joseph
Kosuth, on Kawara, Robert Barry, Art and Language, Lawrence Weiner) interroge la pratique et
la limite du fait pictural. Luvre nous renvoie sans cesse son propre processus. Lart, quel
quil soit, est exclusivement politique. Simpose donc lanalyse des limites formelles et culturelles
(et non lune ou lautre) lintrieur desquelles lart existe et se dbat , constate Daniel Buren
en 1970. Pour Joseph Kosuth, les propositions artistiques nont pas un caractre de fait mais
un caractre linguistique .*
Le constructivisme
la suite de la rvolution Russe et associ dans ses dbuts avec le mouvement marxiste de
la Rvolution, le constructivisme est lexpression de cette doctrine qui entend construire une
nouvelle socit. Le mot construction est lun des mots les plus frquemment employs
lpoque. Le but de lart constructiviste est dexclure de luvre le rel et les rfrences au
rel, an daccder une autre forme de ralit esthtique. Le courant ne se limite pas aux
arts plastiques ; il implique galement ladhsion lvolution de la technique moderne et
englobe tous les domaines de la cration : architecture, photomontage, design, typographie.
* extraits des ches de consultation des collections permanentes du Muse national dart moderne, Centre
Georges Pompidou.
171
La chimie et lart
Le travail
2
ou de la pense
au concept et du
concept au matriau
2.1. Paradoxe 1
Figure 1
A) Chaise : Transparence carlate.
Designer : Anne Roule, Dacryl,
mai 2009. B) Motif pays chaise
21 30 cm. Photographie
M.A. THEBAULT, 2005.
Lart anticipe le travail parce
quil en ralise le principe : la
transformation de la matire
sensible en prsentation soi
de la communaut (Jacques
Rancire).
172
dintuition de la subjectivit
humaine.
Pourtant, sans le recours
limage, la construction de
la pense visuelle et laccs
au sens savrent altrs,
srieusement
contraris,
voire amputs. Construction
mentale par excellence, la
notion de paysage nexiste
que par le truchement dune
reprsentation picturale ou
photographique.
Celle-ci
privilgie la notion de cadrage
qui prcise le choix dun point
de vue. La frontalit et la
surface conditionnent lexis-
Atelier et athanors
Figure 2
A) Choisir une pierre, 1987,
Polarod 10 7cm ;
B) Lun dni, version 2, 2006.
C) Het terass, 1988. Installation
in situ.
Trouver un quivalent visuel aux
paysages de bord de mer.
Figure 3
A) Larry Bell, Cube #14 (Amber/
Clear), 2005 ; B) Larry Bell, Cube
#5 (Blue), 2004-2005. Verre color
et Inconel. 50,8 50,8 50,8 cm.
Pices uniques.
Aprs avoir considr quun
tableau tait en soi un volume,
jai fait des sculptures bases
sur la forme du tableau, qui lui
reprenait le principe de fentre.
Il sagissait duvres en trois
dimensions, mais, lorsque je les
ai ralises, je ne me suis pas
rendu compte que jtais en train
de devenir sculpteur (Larry
Bell).
173
La chimie et lart
Figure 4
gauche, vue de Notre Dame,
Henri Matisse, 1914. Huile sur toile
147 94 cm (MoMA, New-York).
droite, porte-fentre Collioure,
Henri Matisse, 1914. Huile sur
toile 116 89 cm (Centre Georges
Pompidou)
La notion de cadrage prcise le
choix dun point de vue.
2.2. Paradoxe 2
Lalternance entre pratique
photographique, graphique
et inscription de proposition
visuelle en trois dimensions
dans lespace aura ainsi
rythm mes procds de
production et leurs mises en
uvre depuis 1977.
Pointe ici un second paradoxe
que seul le travail pouvait
subjuguer. La vacuit et la
profondeur sont de fait des
concepts antagonistes qui
mritent dtre intrioriss.
Figure 5
Ombre Saint-Brieuc,
M.A. THEBAULT, 1977.
Photographie N&B, 21 30 cm.
Jaime cette efcacit de
lombre qui annonce une forme
dexistence au monde, dpouille
de toute exemplarit de lhistoire
ou tout autre rcit.
174
Un aprs-midi en plein t,
lombre porte dune maison sur une rue goudronne, brillante dune pluie
frachement tombe, exprime
ce paradoxe (Figure 5). Cette
maison fut mienne. Jai souhait conserver cet instantan. Jaime cette efcacit
de lombre qui annonce une
forme dexistence au monde,
dpouille de toute exemplarit de lhistoire ou tout autre
rcit : tous les temps sont obscurs pour ceux qui en prouvent
la contemporanit , rappelle
Giorgio Agamben. Cette image
photographique contient une
part quivalente de visible et
Atelier et athanors
extensibles ou rtractables,
la manire dun cur qui bat.
La volont de trouver des
points de passage entre
site, situation et sculpture
nest rien dautre que le fruit
dun enchanement exprimental qui inclut divers
media au service dune
expression visuelle. Un principe de mtamorphose sest
impos lexemple de cette
image photographique dune
paroi de montagne glace,
ddouble par effet de miroir
gauche/droite, et qui trouve
son prolongement dans la
production dune sculpture
mate intitule soleil de
plomb (Figure 8).
Le dploiement dans lespace de cette surface de
plomb tait une premire
manire de rendre compte
de la notion dtendue. De
plus, ces uvres parvenaient
traduire une prsence
physique sufsante de la
lumire en dpit du choix de
A
Figure 6
A) eur dombre, dtail,
M.A. THEBAULT, 1990. Sculpture,
125 23 23 cm, chne, granit,
tain ; B) Ombre, M.A. THEBAULT,
Le Crotoy, 2004. Document
photographique.
Personne na jamais vu un
lieu autrement quen un certain
temps, ni un temps autrement
quen un certain lieu De la
prsente heure lespace en soi et
le temps en soi doivent descendre
au royaume des ombres ; seule
leur combinaison conserve
une existence indpendante
(Herman Minkowsky).
Figure 7
A) Sujet, M.A. THEBAULT, 1992.
Sculpture, 75 75 95 cm, Carton,
pingles ; B) Tableau,
M.A. THEBAULT, 1992. Sculpture,
120 57 57 cm, granit, chne.
Lart dit Stephen, cest la faon
humaine de disposer la matire
sensible ou intelligible dans un
dessein esthtique (James
Joyce, dans Dedalus).
175
La chimie et lart
Figure 8
A) Ardennes luxembourgeoises,
M.A. THEBAULT, 1987.
Photographie N&B, 12 32 cm ;
B) Soleil de plomb, Marc Thebault,
1987. Sculpture, 325 125 70 cm,
plomb, acier et bois.
Lorigine nest pas seulement
situe dans un pass
chronologique : elle est
contemporaine du devenir
historique (Giorgio Agamben).
Figure 9
A) Zonsondergang, 1988, dispositif
in situ, Jan van Eyck Akademie
Maastricht.
B) Miroir, 2008. Sculpture,
175 135 30 cm, Dacryl, miroir
et bois. Col. Prive.
Encadrer la lumire consiste
donner une limite matrielle
un vide.
2.3. Paradoxe 3
Jai ensuite entrepris dimpliquer la relation lumire/
tendue par linscription de
surface ralise dans des
matires fort pouvoir rchissant tels que cristaux
B
176
Atelier et athanors
Figure 10
A) Cadre de lumire, 1990.
Sculpture, 240 110 35 cm.
Cuivre, plexiglas, chne ;
B) Retenue de lumire, 1990.
Sculpture, 240 240 35 cm.
Cuivre, mica, chne ;
C) Pierre de la Clart. Sculpture,
125 210 7 cm. Granit,
plexiglas, chne. Col. prive.
Suggrer un espace par un
objet. Encadrer la lumire .
177
La chimie et lart
A
B
Figure 11
Vitrine paysage, 1989.
M.A. THEBAULT. Sculpture,
110 60 90 cm. Granit,
plexiglas, chne, eau, plexiglas.
(Vue du dessus (B)).
Figure 12
Flaques, 1988. Sculpture murale,
30 12 7cm. Plexiglas, chne,
eau, polarod.
Sans eux (les hommes), elle
(la terre) serait encore perdue
dans le dsert, ignorante delle
mme, les portes de son cur
jamais closes, ses perles et ses
diamants enferms loin de la
lumire (Rabindranath Tagore).
178
Produit de synthse chimique, le plastique est le matriau du XXe sicle. Lextrme diversication des rsines de base a fait du plastique le passe partout idal, llment clef de toutes les
substitutions (Pierre Restany) [5].
Atelier et athanors
LE PMMA : QUESAKO ?
Le PMMA, ou polymthacrylate de mthyle, est un matriau plastique synthtis par lindustrie chimique sous la marque Dacryl ou encore Plexiglas. Il est apprci pour ses
nombreuses proprits : outre sa grande rigidit, le PMMA possde une excellente capacit
transmettre la lumire, et peut tre utilis pour remplacer le verre dans la fabrication de
vitres.
Dun point de vue chimique, il sagit dun polymre dont le motif de base a pour formule
(Figure 13) :
Figure 13
Le PMMA.
179
La chimie et lart
180
Atelier et athanors
Pourquoi
le
plastique,
lment conditionneur de
tous nos objets de consommation, ne nous aiderait-il pas
conditionner aussi, selon
des types de structuration
appropris, nos tats dme
et introspection, les moments
faibles et les temps forts de
notre conscience critique,
la rexion de lart sur luimme ? [5].
En contrepoint, jai cherch
explorer et exploiter les
possibilits de mise en uvre
de sculptures pour jardin
dagrment.
Congurations
et
objets
de rfrence offraient une
varit de typologies formelles
savantes
ou
populaires
(bassins, barrire, blancheneige,
bouquet,
bambi,
bordure, bifurcation). Les
matriaux retenus comme la
fonte daluminium, le bton
blanc, la faence maille ou
la rsine polyester (voir lencart PMMA, quesako ? ),
exprimaient diffrents tats
de densit des matires qui
structurent et imprgnent
ces espaces. Ils rpondaient
tous aux mmes procdures
techniques de moulage et de
coulage, garantissant une
structure
morphologique
homogne en dpit des carts
formels et stylistiques volontairement accentus (Figure 15).
Pour que le recours technique
soit quali comme appartenant
lart, il faut dabord que son
sujet le soit , rappelle Jacques
Rancire.
Sans doute faut-il voir, dans
les intituls de ces propositions, somme toute exprimentales, Cadres de sjour,
Des petits lots, Lornement
pas, autant de tentatives
de contraction de lespace
Figure 14
Lornement pas, rsine polychrome
15 12 cm. M.A. THEBAULT, 1996.
Figure 15
Bassin, 1997. Sculpture, 75 75
57 cm. Rsine polychrome. Col.
Prive.
Les techniques de coulage et de
moulage ouvrent sur une grande
varit de formes.
181
La chimie et lart
Figure 16
A) Compression, Csar, 1971.
Diam. 7 cm. Mthacrylate de
mthyle ; B) Champ de 10 lentilles,
Sarah Holt, 1971. Rsine de
polyester.
Pour que le recours technique
soit quali comme appartenant
lart, il faut dabord que son
sujet le soit (Jacques Rancire).
En forme de conclusion...
Lenchantement
du cur,
les sculptures
environnementales
Figure 17
Lun Dni, 2006-2007. Travaux
prparatoires. ESAT dAllamps.
182
Atelier et athanors
de lobjet lespace alentour.
La rencontre avec Gilbert
Meyer, directeur de cette
socit, sest traduite par la
possibilit dexplorer ma
convenance les possibilits
expressives de ce matriau :
un enchantement
Pour beaucoup dartistes lemploi du plastique apparat
comme une extension logique
de leur dmarche, notait en
1973 Pierre Restany [5]. Je
souscris toutefois lide
mise par ce mme critique
dart que lincidence du
matriau est quasi nulle ou tout
du moins secondaire, complmentaire pour ainsi dire, sur
la structure morphologique de
luvre.
Sollicit par Anne Malherbe
pour intervenir dans la cour
de lhtel de Sauroy en 2006,
jai choisi de traiter ltendue
du sol en le recouvrant de
plaque de Dacryl (Figure 18).
Ces plaques prsentaient
la particularit de disposer
de nes bandes de mtal
incluses dans la matire,
formant le motif de lignes
dondes voquant le passage
dune nergie virtuelle. Sous
laction du soleil, leffet loupe
des plaques provoquait lvaporation de leau, donnant
ltendue du jardin, limpression dune surface givre. La
Figure 18
Ama-chronies, 2006. Sculpture,
env. 100 m2, Dacryl inclusion
mtal.
La transparence des plaques de
Dacryl embues est reconquise
par lombre.
Figure 19
A) Temps suspendu, 2008.
Sculpture, tudes datelier,
225 24 35 cm. Bois, dacrylinclusion textile. B) La desserte
rouge, Henri Matisse, 1908, huile
sur toile, 180 220 cm. Muse de
lErmitage.
Lvocation potique vise aussi
conjurer la fuite irrparable du
temps.
183
La chimie et lart
Figure 20
Lun Dni, 2008/20090. Sculpture,
350 275 35 cm. Dacryl et bton
blanc, ESAT dAllamps.
En ce sens, la dernire
version pour le projet destin
lESAT dAllamps, intitule
Lun Dni (2008/2009), privilgie laplomb de laxe transparent du temps. En proposer
un dessein, contraint au
dessin dune forme nette,
accessible. Celle dun battant
de cloche sest aussi ici
impose, par ricochet et
point de passage objectif
entre recherche datelier
et inscription dans lespace
public (Figure 20).
Dordinaire suspendu et cach,
la lisibilit reconquise du
battant de cloche vise qualier ici un lieu et son environ-
184
Atelier et athanors
WHOS WHO
Larry Bell (1939) : lapparente sobrit des uvres de Larry Bell est immdiatement courtcircuite par la coloration irise de leur surface. Contrebalanant la svrit de la forme, elle
introduit une labilit de lexprience sensible qui contraste avec lexigence de clart formelle
poursuivie par le minimalisme. Cest en faisant chauffer de laluminium dans une cuve o il
place galement les sculptures que lartiste produit le revtement mtallique qui les colore.
Par ce procd, les faces du cube, toujours transparentes, sont galement rchissantes et
ltrent la lumire, provoquant des reets lintrieur du volume. Ce qui paraissait si stable
au premier regard prend une apparence confuse. Lorsquon regarde lintrieur du cube, les
faces semblent stre dtaches pour y otter sans attache.*
* extraits de Marguerite Pilven dans Paris Art. com.
Clement Greenberg (1909-1994) : son livre Art and Culture, paru en 1961, obtint un grand
succs parmi les artistes minimalistes pour sa critique de lexpressionnisme. Greenberg
conoit lhistoire de lart de faon purement formelle comme une suite de rvolutions en
rapport aux conventions historiques du medium. Dans le cas de la peinture, la tendance
serait une orientation vers la planit. La planit et la dlimitation de la planit sufsent
dnir la peinture. Greenberg conoit deux catgories de peintres dans le courant de la peinture moderne amricaine, les peintres du Hard-Edge, peinture de la forme et des angles :
Ellsworth Kelly, Frank Stella, et les peintres du Color-Field, champs de couleur.*
* extraits de Wikipdia, biographie.
Louis Guilloux (1899-1980) : crivain franais n Saint-Brieuc. Dans toutes ses uvres, il
montre la dtresse des tres confronts linjustice, la guerre, la solitude, au mal de
vivre, de lenfance la vieillesse. Mais sil peint le caractre tragique ou drisoire de la condition humaine, il en souligne aussi la grandeur.*
* extraits de la socit des amis de Louis Guilloux.
Jacques Rancire (1940) : philosophe, professeur mrite lUniversit de Paris VIII (SaintDenis). Il a anim la revue Les Rvoltes logiques de 1975 1985. Il a publi notamment La
Nuit des proltaires (Fayard, 1981), Le Philosophe et ses pauvres (Fayard, 1983), La Msentente,
Politique et philosophie (Galile, 1995), Aux bords du politique (La Fabrique, 1998), Le Partage
du sensible, Esthtique et politique (La Fabrique, 2000), La Fable cinmatographique (Seuil,
2001), Malaise dans lesthtique (Galile, 2004), La Haine de la dmocratie (La Fabrique, 2005).*
* extraits de Multitudes samizdat. net (revue politique, artistique, philosophique).
Mark Rothko (1903-1970) : peintre amricain, faisant partie des artistes de lexpressionnisme
abstrait amricain mme sil refusait cette catgorisation alinante. Dans ses toiles, il sexprime exclusivement par le moyen de la couleur quil pose sur la toile en aplats bords
indcis, en surfaces mouvantes, parfois monochromes et parfois composes de bandes
diversement colores. Il atteint ainsi une dimension spirituelle particulirement sensible.*
* extraits de The collectors choice.
185
La chimie et lart
Bibliographie
d.
Rivages
Bibliothque.
186
Poche/Petite
de la protohistoire
lhistoire ancienne
Ce quil y a de certain, cest que la Chimie
na point fait de dcouverte depuis celle
des mtaux, plus merveilleuse et plus
utile que la dcouverte du verre.
Diderot et dAlembert,
lEncyclopdie, 1751-1772
Promthe, en volant le
feu divin, fonde lhumanit.
Pendant plus de deux millions
dannes, lhomme taille
le silex pour fabriquer ses
outils et ses armes. Ce nest
quavec la possession du feu
quil a pu utiliser les minerais, mais aussi cuire largile
pour faonner des poteries ou
fondre le sable pour faire du
verre.
Matrise du feu, arts du feu
furent ainsi les tapes fondatrices de la progression de la
civilisation.
Aprs le palolithique et le
nolithique, qui ont connu le
travail de la pierre, de los,
de largile, mais aussi lart
parital, les grands stades
du dveloppement de lhumanit ont t dnis sur la
base des progrs de la mtal-
Faence
et verre
La chimie et lart
Figure 1
Localisation des principaux foyers
dmergence de la glaure sur
pierre.
Les
premiers
matriaux
vitreux articiels (faence,
glaures, verre) ont t
invents trs tt,
il y a
environ 7 000 ans. Mme si
lgypte ancienne est souvent
prsente comme seule pionnire en la matire, on pense
maintenant, notamment sur
la base dtudes chimiques
approfondies, que les inventions et les technologies ont
t produites simultanment
et indpendamment dans la
valle de lIndus, en gypte et
au Proche-Orient (Figure 1).
Un des enjeux de la recherche
archologique actuelle est de
savoir o, quand, comment
ces matriaux ont t dvelopps et comment leur fabrication a volu.
1 Au
commencement
1.1. Dabord la statite
188
Figure 2
A) Cristaux de talc (la statite est
une forme compacte de talc) ;
B) Bloc denstatite prlev sur
le mont St Hlne, en Californie
(tats-Unis) ; C) Perles en statite
glaure du site de Mehrgarh.
Avec laimable autorisation de
Dominique Bagault.
189
La chimie et lart
Figure 3
Glaure sur statite (2 900-2 000 av. J.-C.).
Zoom 15 droite. Avec laimable autorisation de Dominique Bagault.
La fritte ou frittage se distingue des faences par labsence de glaure. Dans lAntiquit, il
sagit essentiellement de mixtures calcines de sable et de fondants grossirement broys,
souvent colores cur. Cuite relativement basse temprature, elle peut se trouver sous
forme de pains bruts, utiliss comme pigment, ou rduits en poudre, mouls et re-chauffs
pour la fabrication de petits objets colors cur. Le bleu gyptien est une fritte compose
de quartz et dun silicate mixte de cuivre et de calcium. Cette terminologie, classique, nest
pas scientiquement fonde, car il nest pas une exclusivit de lgypte (Encart Le royaume
dOugarit et le bleu gyptien ).
Le verre est un matriau homogne, obtenu par refroidissement dun silicate totalement
fondu et conservant des proprits particulires caractristiques des liquides. Par chauffage, le verre devenu mallable, peut tre travaill et recycl pour de nouvelles utilisations.
Il peut tre color par lajout doxydes.
Lmail stricto sensu est une poudre de verre fondu, applique sur du mtal ; il ne semble pas
avoir t connu dans lgypte et la Msopotamie antiques.
La pose de la glaure
Les procds mis en uvre ont volu au cours du temps. Les plus simples sont le trempage
et lapplication. Lobjet faonn et sch est plong dans un mlange aqueux plus ou moins
liquide, constitu de quartz, de chaux et dalcalins nement broys. Lapplication peut se
faire soit par trempage, soit avec une brosse ou un pinceau. Selon la composition du mlange
190
Figure 4
Figurines de Thot tte dibis
(Hauteur 14 cm) 664-332 av. J.-C.
(XVIe-XXXe dynastie).
Ces statuettes, souvent des
reprsentations divines,
appartiennent au monde des
vivants et font ofce damulettes ;
les plus petites taient portes.
Des amulettes particulires, plus
sommaires, sont des plaquettes de
faence cousues sur les linceuls et
appartiennent au monde des morts.
Avec laimable autorisation de Cline
Rebire-Pl (Muse du Louvre).
191
La chimie et lart
Figure 5
A) Dans les fouilles des couches
du IVe millnaire av. J.-C. de
lAcropole de Suse, environ
2000 perles de cornaline ont t
dnombres et tudies. Les
grandes perles (6 8 cm) nont
pu tre faites localement tant
donn labsence de gros galets
en Msopotamie et de dchets
de taille : elles ont t importes
de lIndus. En ce qui concerne les
petites perles, la seule production
atteste localement est de qualit
mdiocre, celles caractrises
par un savoir-faire labor ont t
importes ; B) Sphrode ctel
en cornaline, trouv dans le site
archologique de Nausharo. Dans
la rgion indo-pakistanaise, les
premiers lments de parure
en cornaline apparaissent
au Nolithique ds la n du
VIIe millnaire.
techniques
inconnues
192
Figure 6
A) Carte des sites de lIndus. 976 sites la phase urbaine harappenne ont
t recenss, dont 7 grands sites (supercie suprieure 80 ha) ; B) Site
archologique de Harappa, IIIe millnaire av. J.-C., civilisation de lIndus.
193
La chimie et lart
Figure 7
Collier en perles de statite noire brute dcouvert dans une tombe
Mehrgarh. Les premiers objets en statite rpertoris dans la
valle de lIndus sont des perles, principalement des colliers
constitus de centaines danneaux cylindriques. Les plus anciens,
datant du Nolithique (7 000 av. J.-C.), ne sont ni cuits ni glaurs.
Les perles noires sont spciques de la production de la valle de
lIndus. Avec laimable autorisation de Dominique Bagault.
Figure 8
Statites glaures Nausharo, 2 400-2 000 av. J.-C.
Avec laimable autorisation de Dominique Bagault.
On trouve, sur les mmes sites, quelques rares objets en faence de statite , cest--dire
fabriqus partir de poudre de statite et glaurs (Figure 9) ; ils ont les mmes caractristiques techniques que les objets en statite massive . On a dcouvert Nausharo de trs
nombreuses faences traditionnelles bleu-vert, colores au cuivre, mais aussi des faences
de statite trs particulires, brunes, couleur due un mlange de manganse, de fer, de
cobalt et dun peu de plomb.
194
Des ateliers ont t dcouverts, notamment dans la cit dHarappa ; on y taillait et gravait
aussi des pierres dures, cornaline (Figure 5), jaspe et agate, ainsi que du lapis-lazuli, probablement avec des outils base de cuivre.
Figure 9
La chimie et lart
196
simples, senhardissent au
dbut du IIe millnaire. ct
de trs nombreuses perles,
qui sont des copies ou des
substituts de perles dor et de
pierres prcieuses et semiprcieuses, de nouvelles
gurines apparaissent en
Msopotamie : ce sont des
desses nues , du mme
modle que les terres cuites
moules
contemporaines,
et des gurines animales
symboliques lions, taureaux
animaux attributs de dieux
et de desses. Le mme
dveloppement spectaculaire
sobserve en gypte avec,
par exemple, la production
Figure 10
Hippopotame en faence de silice
glaure. gypte, Moyen Empire
(vers 2 033-1 710 av. J.-C.).
Figure symbolique de laction
fcondante du Nil ou selon dautres
auteurs du Bien et du Mal.
Figure 11
A) Coupe gyptienne en faence
dcor nilotique, Ras Shamra, ge
du Bronze rcent, Muse national
de Damas ; B) Coupe en faence
polychrome dcor oral, Minet
el-Beida, ge du Bronze rcent,
Muse du Louvre. Avec laimable
autorisation de Valrie Matoan.
197
La chimie et lart
Figure 12
A) Coupe en faence dcor
hathorique, Minet el-Beida, ge du
Bronze rcent, Muse du Louvre.
B) Gobelet en faence dcor du
visage fminin, Minet el-Beida,
ge du Bronze rcent, Muse du
Louvre. Avec laimable autorisation
de Valrie Matoan.
Figure 13
Brique en faence polychrome
provenant du dcor du palais de
Sthi Ier Qantir XIXe dynastie.
Muse du Louvre - inv. 11518.
198
Le dveloppement de la
glaure, partir notamment
du Chalcolithique (chalcos
= cuivre, lithos = pierre),
cest--dire du Ve millnaire,
constitue une tape importante dans lhistoire des arts
du feu et prgure linvention
ultrieure du verre.
La faence glaure ne ncessite quune fusion partielle de
la silice. Avant linvention du
verre, on connat en gypte
et en Msopotamie une tape
intermdiaire, la glassy
faence , o la phase vitreuse
est extrmement dveloppe.
Pour parvenir au verre, il
sera ncessaire dobtenir la
fusion complte du mlange,
donc une temprature du
four dpassant les 1 000 C.
Il faudra ensuite tre capable
de manier la matire en
fusion, la travailler en maintenant une viscosit adquate,
et donc tre capable de la
chauffer et de la refroidir
volont. La technique du soufage ne sera invente que
beaucoup plus tard, vers le
Ier sicle de notre re. Une des
mthodes utilises pour crer
malgr tout des objets creux,
comme les coupes, consistera dposer un boudin
de verre autour dune forme
en rfractaire (noyau), puis
en dposer un deuxime, un
troisime en chauffant rgulirement lensemble pour
assurer la mallabilit et ladhsion ncessaire entre les
couches. On limine ensuite
le noyau central en terre par
Figure 14
A) Pain de bleu gyptien trouv Ougarit ; B) Surface du matriau vue
la loupe binoculaire. Avec laimable autorisation de Dominique Bagault ;
C) Microstuctures dun objet en BE montrant les gros cristaux de
cuprorivaite (gris clair) dans une matrice vitreuse altre.
La chimie et lart
Figure 15
Lapis-Lazuli venant de
Sar-e-Sang (Afganistan).
Le royaume dOugarit
tat modeste et prospre du Proche-Orient, Ougarit est lun des royaumes levantins de
lge du Bronze rcent les mieux connus, grce notamment la dcouverte de nombreuses
archives. Sa prosprit repose notamment sur sa localisation sur la cte mditerranenne,
au carrefour des voies de circulation, lui assurant relations diplomatiques, changes culturels et commerce avec la Mditerrane orientale (Palestine, ge, Chypre, Anatolie, gypte),
la Syrie intrieure et la Msopotamie.
Ougarit sera sous la domination hittite depuis 1 350 av. J.-C. jusqu sa destruction par les
mystrieux Peuples de la Mer vers 1 190-1 185 av. J.-C.
Le site de Ras Shamra ( 10 km environ de Lattaqui en Syrie du Nord), est tudi depuis
1929. Par la richesse des dcouvertes qui y ont t faites, il est primordial pour la connaissance du Levant ancien.
Pour en savoir plus : www.ras-shamra.ougarit.mom.fr
Figure 16
Perle en bleu gyptien en forme de Cauri,
dcore de la reprsentation dun Dieu
combattant AO14725 Muse du Louvre.
Avec laimable autorisation de Dominique
Bagault.
200
Les quatre matriaux sont bien distincts. Le verre et le bleu gyptien sont colors dans la
masse, tandis que pour la faence antique et la cramique glaure, dans la grande majorit
des cas, seule la couverte de surface la glaure est colore en bleu.
Daprs lexposition Ougarit blues ou les matires bleues de lantique cit dOugarit. Lyon juinjuillet 2005. Maison de lOrient et de la Mditerrane Jean Pouilloux et C2RMF - Valrie
Matoan et Anne Bouquillon.
Pour la cramique argileuse glaure, largile est le composant principal. Le corps est une
terre cuite marneuse et seul lenduit superciel, la glaure, est vitri. Il sagit dun vritable
exploit technique, les problmes daccord entre la pte et la glaure tant beaucoup plus
difciles matriser sur largile que sur la faence.
Figure 17
Flacon de verre : fond bleu fonc
au cobalt, incrust de festons
blancs, jaunes et bleu clair au
cuivre. XVIIIe dynastie, vers 1 4501 350 av. J.-C. Muse du Louvre
(inv AF 2622). Avec laimable
autorisation de Dominique Bagault.
201
La chimie et lart
La couleur, ou
2
quand la chimie
nourrit lart
Les inuences rciproques et
les changes de savoir-faire
ont t nombreux, et lart de la
faence a bnci des innovations des verriers, comme
nous lavons vu. Linvention
des faences polychromes a
permis la cration duvres
somptueuses, dans lesquelles
les mlanges subtils de
colorants tmoignent de la
matrise des artisans.
Figure 18
Petit personnage glaure
bleue colore au cobalt E10867
Dpartement des antiquits
gyptiennes du Louvre. Avec
laimable autorisation de
Dominique Bagault.
Figure 19
202
En 1923, le Muse du Louvre faisait lacquisition dune ravissante tte gyptienne en verre
bleu (Figure 20). Pendant 80 ans, elle a t considre comme un des chefs-duvre, universellement admir, de lart de la XVIIIe dynastie. Le rafnement des deux couleurs de bleu, le
style du visage, ont conduit les spcialistes lattribuer soit au rgne dAmnophis III (vers
1 391-1 353 av. J.-C.), soit celui de Toutankhamon (vers 1 336-1 327 av. J.-C.).
Figure 20
Tte gyptienne en verre bleu.
Muse du Louvre N inv E11658.
Avec laimable autorisation de
Dominique Bagault.
La tte fut achete quelques mois seulement avant la dcouverte du tombeau de Toutankhamon, et les discussions savantes ont tourn autour de lattribution de la tte : le pharaon ?
une princesse ? Son authenticit ntait pas mise en doute. Au moins jusquaux annes 19601970. On saperut en effet quentre les deux Guerres mondiales, le march de lart avait t
infest par de nombreux faux, essentiellement des ttes isoles, toutes attribues la n
de la XVIIIe dynastie. Les faussaires sinspiraient dune collection authentique de ttes de
rfrence provenant de latelier de sculpture royale dcouvert en 1912 sur le site dAmarna,
capitale du roi Akhnaton dont le rgne fut encadr par ceux des pharaons cits ci-dessus.
Le verre, cration de lhomme, porte donc sa signature : nature, origine et proportion des
matires premires, procds de fabrication. En cas de doute sur lauthenticit dun objet, il
suft de mener lenqute avec les moyens techniques adapts, et davoir disposition des
rfrences analytiques parfaitement certies.
La composition chimique lmentaire des deux sortes de verres, bleu clair pour le visage,
bleu fonc pour la perruque, compare avec celle dune trentaine dobjets de la priode et
prenant en compte vingt lments diffrents, montre sans ambigut quil sagit de verre
moderne. En effet, les verres de la tte contiennent une forte proportion de plomb (25 28 %
en poids doxyde) et darsenic (4 6 %). Les verres de la XVIIIe dynastie nen contiennent
pratiquement pas (pas plus de 0,5 % de plomb pour le bleu turquoise et 0,06 % pour le bleu
fonc ; pas darsenic, parfois des traces de lordre du ppm). Les deux verres de la tte sont
colors au cobalt, alors que le bleu clair ancien est toujours color au cuivre. De plus, le
colorant au cobalt de la perruque est associ laluminium et au nickel, alors que celui des
verres de rfrence contiennent manganse, nickel et zinc. Enn, alors que les verres bleus
de la XVIIIe dynastie sont opacis avec des antimoniates de calcium, ceux de la tte sont
opacis avec de minuscules cristaux darsniates de plomb, invents par les verriers vnitiens du XVIIe sicle de notre re ! La technique de fabrication, tudie en dtail, conrmera
le faux.
Pour obtenir toutes ces informations analytiques, extrmement prcises et portant sur des
pourcentages inmes dions et doxydes mtalliques, il aurait fallu, il y a encore quelques
annes, des quantits importantes de matire analyser. En dautres termes, il aurait
fallu dtruire en partie lobjet tudier Les techniques modernes, comme lutilisation du
203
La chimie et lart
204
Le manganse et le fer,
colorants bruns, noir-rouge
et violets : lintensit de la
couleur dpend fortement
de lpaisseur de la couche
de pigment, le pourpre des
pigments haute teneur en
manganse
apparaissant
noir (Figure 19). Dans ce cas
galement, la composition
chimique du pigment noir
est spcique de lorigine
de lobjet. Par exemple, des
rapports MnO/Fe2O3 sup-
Conclusion
La naissance, ds le Ve millnaire, et lvolution
des matriaux vitreux durant toute lAntiquit,
constituent un chapitre fascinant, clatant,
de lHistoire des Civilisations. Les uvres
qui sont parvenues jusqu nous tmoignent,
travers lafnement des techniques, des
progrs incessants de lintelligence humaine,
de ladaptation aux environnements et aux
modes de vie et de la diffusion des savoir-faire
et des cultures. Lvolution se poursuit ; elle
cre encore laube du XXIe sicle des matriaux
essentiels notre vie (voir le Chapitre de
J.-C. Lehmann).
Bibliographie
Richet P. (2000). Lge du verre.
Dcouvertes Gallimard/Techniques.
Barthlemy de Saizieu B.,
Bouquillon A. (2001). mergence
et volution des matriaux vitris dans la rgion de l Indus du
Ve au IIIe millnaire. Palorient.,
26/2 : 93-111, CNRS ditions.
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
du
des nanotechnologies
depuis lAntiquit !
commencement
1 Au
du verre
Un
document
original
(Figure 1) montre une scne
o, selon le rcit de Pline
lAncien54, du verre aurait
t produit pour la premire
fois de manire accidentelle par des marchands de
natron [1]. Il raconte quil y
a environ 3 500 ans av. J.-C.,
des marchands phniciens
circulaient autour de la Mditerrane pour vendre du
54. Pline lAncien (23 aprs J.-C.
79 aprs J.-C.) tait un crivain
et naturaliste romain, auteur dune
monumentale encyclopdie intitule Histoire naturelle, qui compte
trente sept volumes. Ce document
a longtemps t la rfrence en
matire de connaissances scientiques et techniques.
Lart
verrier :
La chimie et lart
Figure 1
Daprs la lgende, le verre
serait n il y a environ 3 500 ans
av. J.-C. en Msopotamie, par
chauffage du sable et du natron
sur un feu de bois. [] un navire
portant des marchands de nitre
vint y aborder, et, comme les
marchands disperss sur le
rivage prparaient leur repas
et ne trouvaient pas de pierres
pour rehausser leurs marmites,
ils les remplacrent par des
mottes de nitre [natron] tires de
leur cargaison. Quand celles-ci
furent embrases, mles avec
le sable du rivage, des ruisseaux
translucides dun liquide inconnu
se mirent couler et telle fut
lorigine du verre , Pline lAncien
[1]. Photo : dcouverte de la
vitrication Les arts et mtiers
illustrs, Jules Rouff et Cie
diteurs, Paris, 1890-1900.
208
Figure 3
Figure 2
Figure 4
Les vitraux de la cathdrale de Chartres,
XIIIe sicle. Une impressionnante matrise de la
coloration du verre.
209
La chimie et lart
210
La coloration
3
du verre par
les agrgats
mtalliques place
la nanotechnologie
Mais il ne tarda pas apparatre dautres types de
colorations sduisantes et
intrigantes, colorations que
lon ne pas obtenir traditionnellement avec les ions
de mtaux de transition.
lorigine de ces colorations
se cachent des agrgats de
trs petite taille, de lordre
du nanomtre ; ce sont donc
des nanoparticules ayant
la proprit de donner au
verre une coloration trs
particulire mais par quel
miracle ? Examinons la
loupe plusieurs objets dart
auxquels la nanotechnologie a
donn naissance.
3.1. Des effets de coloration
extraordinaires : exemples
historiques
3.1.1. La coupe de Lycurgue
La coupe de Lycurgue, date
du IVe sicle, prsente des
proprits optiques surprenantes et une coloration que
lon nobtiendrait pas par
ajout dions de mtaux de
transition. Lorsquelle est
claire depuis lextrieur elle
apparat verte (Figure 5), alors
quclaire de lintrieur elle
est de couleur rouge !
Le fait dobtenir une coloration
diffrente selon le mode dobservation sexplique par les
proprits optiques du verre.
Quand celui-ci est clair de
lintrieur, la partie verte du
rayonnement est rchie et
reste emprisonne lintrieur ; il ne sort donc que le
rouge, la couleur complmen-
Figure 5
De lor et de largent taient
introduits dans la composition de
la coupe de Lycurgue (IVe sicle).
claire de lintrieur, elle apparat
verte ; claire de lextrieur, elle
apparat rouge.
Figure 6
Le verre ruby de Murano.
211
La chimie et lart
Figure 7
A) Le cranberry glass , de
couleur moins profonde que le
verre ruby , tait trs apprci
dans lAngleterre du XIXe sicle.
B) Leur teinte rappelle la couleur
de la canneberge.
212
Quelle
chimie
explique
couleurs aussi remarquables
que le verre ruby ou le cran-
57. Notons que dautres techniques pour former de tels agrgats ont t dveloppes plus
rcemment, tels que limplantation ionique, lchange dions ou
encore lirradiation laser.
Figure 8
Le clbre acon de parfum
pour homme Fahrenheit est
constitu dagrgats de cuivre. Le
microscope lectronique permet
de distinguer des centaines
datomes de cuivre (au milieu) ou
de molcules doxyde de cuivre (
droite), ayant des tailles de 5-6 nm.
213
La chimie et lart
Figure 9
Absorption par effet plasmon, en
fonction de la longueur donde
absorbe de la lumire.
1,0
Transmission
0,8
0,0005 %
0,0014 %
0,6
Ag
0,005 %
0,4
0,01 %
0,05 %
0,2
0,14 %
0,0
400
450
500
550
600
650
214
700
750
lindustrie du verre
Lhistoire des nanotechnologies
du verre a vu le jour trs tt,
comme en tmoignent les agrgats mtalliques des verres
ruby. Mais elle nest pas encore
nie : lindustrie actuelle du
verre utilise son tour dautres
types de nanotechnologies, de
plus en plus matrises, et lon
sait maintenant que lon fait
de la nanotechnologie pour
notre bien-tre.
4.1. Le vitrage translucidit
contrle
Un vitrage dnomm Privalite
a t dvelopp pour lutiliser
de manire trs astucieuse
dans les bureaux modernes :
il est au dpart translucide,
cest--dire ne laisse passer
quune lumire diffuse, sans
permettre de distinguer les
objets au travers ; puis il suft
dappuyer sur un bouton de
tlcommande pour quil
devienne transparent, cette
manuvre tant rversible
(Figure 10). Quelle technique
se cache derrire ce tour de
passe-passe ?
A
Les applications
4
actuelles des
nanotechnologies dans
Figure 10
Privalite, le vitrage translucide
(A), qui devient transparent en un
simple clic (B).
215
La chimie et lart
Figure 11
Le verre autonettoyant se
dbarrasse des dpts de graisse
par une raction catalytique sous
le simple effet de la lumire : au
cours dune exprience, la partie
gauche de la vitre na pas t
traite, et se trouve au bout dun
an recouverte de salissure, tandis
que la partie droite qui a t traite
reste intacte. Le miracle provient
de la prsence de nanoparticules
doxyde de titane TiO2 anatase.
216
Figure 12
Figure 13
Le vitrage de ce btiment joue un
rle important dans le contrle
thermique pour ses occupants !
217
La chimie et lart
Figure 14
Un vitrage qui maintient les
habitant bien au chaud en hiver.
Figure 15
La partie gauche est un vitrage
antireet, contrairement la partie
droite.
218
la proprit de rchir
des rayonnements situs
dans linfrarouge lointain
(vers 10 micromtres), ce
qui correspond au rayonnement des corps noirs 20 C.
Cest ainsi que lorsque lon
chauffe les pices 20 C en
hiver, la chaleur ainsi mise
sous forme de rayonnement
est rchie par la vitre vers
lintrieur, ce qui permet de
conserver la chaleur. Do des
conomies de chauffage en
hiver !
Aujourdhui, on est capable
de fabriquer des vitrages
dont le ltre ralise la fois
un contrle thermique et un
contrle solaire.
La nanotechnologie
et lavenir des verres
219
Bibliographie
[1] Pline lAncien, Histoire
naturelle, Livre XXXVI, LXV, Les
Belles Lettres, 1919.
Glossaire
Glossaire
Arobique : se dit dune
cellule ou dun organisme
respirant de loxygne an
doxyder les nutriments en
dioxyde de carbone et en eau
comme le fait un moteur
essence, et utilisant lnergie
dgage par les combustions
mnages mises en jeu pour
assurer son mtabolisme.
Boyle (Robert) (1627-1691) :
bien que ses traits conservent une tradition alchimique
certaine, les lments et les
concepts quil y introduit le
font considrer comme lun
des prcurseurs de la chimie
moderne.
Cristal liquide : tat de la
matire qui combine des
proprits dun liquide et celle
dun solide cristallis.
de Gennes (Pierre-Gilles)
(1932-2007) : lun de nos trs
grands physiciens modernes,
qui fonda la physique de la
matire molle et condense.
Il reut le prix Nobel de
physique en 1991.
Diluant : liquide ajout la
peinture ou au vernis pour
rendre la viscosit adquate.
Essence (de trbenthine
ou autre) pour la peinture
lhuile. Eau pour la peinture
leau (aquarelle, gouache,
dtrempe, acrylique).
La chimie et lart
222
Galile
(Galileo
Galileii)
(1564-1642) : physicien et
astronome italien, il est non
seulement
clbre
pour
avoir donn aux sciences
mcaniques leurs fondements et sa dfense obstine
du modle copernicien du
Glossaire
lumire dans le vide et dans le
milieu considr.
Kratinocyte : ce type cellulaire reprsente plus de 95 %
des cellules de lpiderme.
Lavoisier (Antoine-Laurent
de) (1743-1794) : pre de la
chimie moderne laquelle il a
donn ses fondements scientiques.
Le Chatelier (loi de) : cette
loi chimique est galement
appele loi gnrale de
modration. Elle se dmontre
aujourdhui do son nom de
loi mais a t introduite
en 1888 tant que principe
par Le Chatelier (1888)
partir dobservations exprimentales. Elle snonce
aujourdhui de la manire
suivante : Lorsque les modications extrieures apportes
un systme physico-chimique
en quilibre provoquent une
volution vers un nouvel tat
dquilibre, lvolution soppose aux perturbations qui
lont engendre et en modre
leffet .
Leucocyte : nom scientique
des globules blancs de notre
systme immunitaire. Un litre
de notre sang en contient
environ sept milliards. Laugmentation de leur nombre est
gnralement le signe dune
infection ou dune maladie.
Liant : liquide dans lequel les
pigments sont maintenus
ltat dispers. Pour la peinture lhuile : huile de lin,
huile doeillette, etc. Pour
les procds la dtrempe :
eau additionne de colle ou
duf. Pour laquarelle et la
gouache : eau additionne
de gomme arabique. Pour la
peinture acrylique : eau additionne de rsines acryliques.
223
La chimie et lart
224
Rayons X :
rayonnement
lectromagntique haute
frquence cr par des
photons produits par les lectrons des atomes.
Rectographie Infrarouge :
mthode dexamen des peintures permettant daccder
des dessins se trouvant
sous la couche picturale, en
rduisant lopacit de cette
dernire.
Rexion diffuse : rexion
dans un grand nombre de
directions qui se produit
lorsque la lumire atteint une
surface irrgulire.
Rticulation : formation de
liaisons chimiques entre des
chanes de polymres ou des
chanes hydrocarbones dans
diverses directions de lespace.
Vernis : substance liquide que
lon applique sur une couche
picturale et qui, en schant,
forme un lm protecteur.
Seth : (on trouve aussi Set,
Seteh ou Sutekh) est lun
des plus anciens dieux de
lgypte. Il tait lorigine
le dieu du Chaos, du noir
(la nuit), du dsert et des
orages. Il mne un combat
continu avec Horus o ce
dernier prvaut toujours bien
que difcilement en rinstallant lordre, la srnit et la
lumire (le jour).
Spectre : variations dun paramtre (intensit lumineuse
par exemple) en fonction de la
longueur donde.
Spectroscopie dabsorption
des rayons X : mthode danalyse de la structure des matriaux. Lorsque des rayons
X de grande nergie sont
envoys sur de la matire,
celle-ci absorbe une partie du
rayonnement. Comme labsorption est caractristique
de la composition du matriau, lanalyse du rayonnement absorb donne accs
cette composition.
Glossaire
Spectroscopie de masse :
technique danalyse permettant de dtecter et didentier des molcules en
mesurant leurs masses et/ou
les masses de leurs fragments
constitutifs. Les molcules
sont ionises puis divises en
fragments chargs, qui sont
classs en fonction du rapport
de leur masse sur leur charge.
Tableau priodique : le tableau
priodique des lments (ou
classication priodique des
lments) est d au chimiste
russe
Dmitri
Mendeleev
(1869) ; cette classication
systmatique des lments
chimiques, ordonns par
numro atomique croissant et
225
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Crdits photographiques
Crdits
photographiques
CHAPITRE 1
CHAPITRE 6
CHAPITRE 3
Fig. 9 : C2RMF/D. Bagault.
Fig. 10 : RMN/Les frres
Chuzeville, Paris, muse du
Louvre.
Fig. 11 : C2RMF/D. Vigears.
Fig. 12 : C2RMF.
Fig. 16 : Lehnert & Landrock, Le
Caire.
CHAPITRE 4
Fig. 2B : EPSIM 3D/JF Santarelli,
Synchrotron Soleil.
Fig. 2C : Synchrotron Soleil.
CHAPITRE 5
Fig. 1 : Athens, Ministry of Culture,
Archaeological Receipts Fund.
Fig. 2A : RMN/H. Lewandowski.
Fig. 2B : C. Bastien.
Fig. 3 : Louvre/P. Lebaube.
Dist.
Fig. 4 : M. Aucouturier.
Fig.
21 :
akg-images.
Erich
Lessing/
Fig. 24 : Lindenau-Museum.
Fig. 6 : C. Bastien.
La chimie et lart
Fig. 36 :
Kedl.
ADAGP/photographes
CHAPITRE 7
Fig. 3 : Tutti/Huet. Avec laimable
autorisation de lartiste et de la
Galerie Daniel Templon, Paris.
Fig. 4A, 4B et 19B : Succession
H. Matisse.
Fig. 16A et 16B : ADAGP, Paris
2010.
CHAPITRE 8
Fig. 2A : D. Descouens.
Fig. 2C, 3, 7, 8, 14B, 16, 17, 18 et
20 : C2RMF/D. Bagault.
Fig. 4 : Muse du Louvre/C.
Rebire-Pl.
Fig. 5A : CNRS Photothque/ A.
Lebrun, UMR 7055 Prhistoire
et technologie Nanterre.
Fig. 5B : CNRS Photothque/B.
Barthlmy de Saizieu, UMR
7055 Prhistoire et technologie
Nanterre.
228
CHAPITRE 9
Fig. 5 : The Trustees of the British
Museum.
Fig. 10 : daprs Coloration des
verres par des nanoparticules, par
Jacques Lafait Verre vol.12,
N4 Aot 2006.
Fig. 11, 12, 14 et 15 : Saint Gobain.