Lina Bo Bardi SESC Pompeia
Lina Bo Bardi SESC Pompeia
Lina Bo Bardi SESC Pompeia
Lina Bo Bardi réalise ses études d’architecture au Collège d’Architecture « To teach is to construct » - Bo Bardi, 1957 Aux yeux de Bo Bardi, l’architecture, saisie au travers de la théorie, représente
de l’Université d’ingénierie de Rome entre 1933 et 1940. C’est une période un artéfact d’un temps et d’une place particuliers. En d’autres mots, la
mouvementée pour l’Italie, alors déchirée par la guerre. Peu de temps après En 1957, Lina Bo Bardi publie un livre intitulé The propaedutic contribution création humaine artificialise des éléments naturels selon une période et
l’entrée en guerre de l’Italie contre les Alliés, en 1943, débute une guerre to the teaching of architecture theory. Elle présente ce texte à l’École ses technologies inhérentes ainsi qu’un lieu et ses caractéristiques locales.
civile entre l’Italie du Nord, alors sous Mussolini et l’Italie du Sud, alors sous d’Architecture et d’Urbanisme de l’Université Fédérale de Sao Paulo pour Sa théorie est non seulement décrite en texte, mais aussi en images.
contrôle des Alliés. Artistes et intellectuels se rallient au Parti Communiste appliquer sur un poste d’enseignement de la théorie de l’architecture, Souvent, les images deviennent complémentaires au texte et offrent une
Italien pour son caractère social fortement nationaliste et participent à une dans le cadre d’un concours international. Elle n’aura pas le poste qu’elle lecture différente, complémentaire à ses écrits. La lecture est ardue, parfois
vive opposition au Parti National Fasciste de Mussolini. Lina Bo Bardi se convoitait, mais sera invitée, plus tard à cette même université pour donner déconstruite. L’architecte pose beaucoup plus de questions qu’elle n’offre
trouvera en plein coeur d’une crise sociale existentielle pour les Italiens et des conférences. (Veikos, 2014) de réponses. Il est néanmoins facile de reconnaître sa passion pour certains
cette préoccupation sociale persistera, plus tard, dans ses créations. Deux sujets tels la nature, l’humain, la science et la technologie. (Veikos, 2014)
de ses professeurs lui transmettent des valeurs et idées qui la suivront
jusqu’au Brésil. Ceux-ci voient la ville comme un amalgame de vieux et de La nature est une thématique récurrente et constante dans son texte
nouveau, ils entretiennent une vision de la forme urbaine transitionnelle qui puisque celle-ci représente le cadre d’action de l’architecture ; elle inspire
montre ses itérations passées. Aussi, les Italiens voyaient la modernisation, et gouverne l’architecture. En effet, elle devrait être la source initiale pour
dans le langage architectural, comme rattaché à la tradition régionale, aux l’étude de l’architecture puisqu’elle fournit les matériaux et les instruments
caractéristiques du lieu et aux matériaux et artisans locaux. (Veikos, 2014) nécessaires pour harmoniser, pacifier et mettre en forme l’architecture.
Ce rapport respectueux qu’elle prône entre nature et architecture s’ensuit
« J’ai des inhibitions architecturales, je suis incapable de faire le projet dans son travail ; elle compose avec des matériaux simples, disponibles
d’une banque, une villa particulière, d’un hôtel. J’aurais peut-être adoré et les utilise en quantité minimale. « Her work is invariably tied to tangible
qu’on m’appelle pour faire le projet d’un hôpital, d’une école, d’une maison things, and this is the source of its mythical poetic character » (Oliveira,
populaire, mais cela n’est jamais arrivé. Dans le fond, je vois l’architecture 2006). On le remarque à la jonction entre deux matériaux (ce qui arrive
comme un service collectif et comme de la poésie. Quelque chose qui n’a
rarement puisqu’elle n’utilise souvent qu’une matière). Rien n’est dissimulé,
rien à voir avec l’art : une espèce d’alliance entre le devoir et la pratique
on comprend immédiatement le rapport que les éléments entretiennent
scientifique » (Lina Bo Bardi, Document Arte, 2012)
entre eux. Les éléments comme l’eau, le feu et la végétation se retrouvent à
leur état primaire son architecture puisqu’ils sont nécessaires à la condition
Lina s’installe à Milan où elle travaille pour l’architecte, designer et éditeur
humaine. D’ailleurs, l’humain est souvent représenté au travers d’allégories,
Gio Ponti, directeur de la triennale de Milan en 1930 et 1933. En tant que
soit la nature, la théorie, le design ou encore la trinité. C’est souvent une
journaliste, Lina publie et dessine pour plusieurs magazines grâce au
figure humaine qui personnifie les concepts étudiés. L’échelle humaine
réseau de contacts de Ponti. Au travers ses collages de mobilier, d’intérieurs
demeure la base de mesure, et ce, en théorie et en pratique. (Veikos, 2014)
et de jardins qu’elle réalise pour les magasines, on reconnaît des thèmes
qui caractériseront son style, le métissage de motifs anciens et modernes,
l’intégration de la nature et de simples constructions. Vers la fin de la
guerre, l’habitation et la reconstruction étaient au coeur des préoccupations « The stimulus to acquire a professional conscience, in other words, a
philosophical point of view towards the relationship between the architect and
des architectes et des magazines d’architecture, auxquels Lina Bo Bardi et
society, an understanding of his activities in connection with other activities,
Pietro Maria Bardi, mariés en 1946, participent activement. (Veikos, 2014) the responsibilities, the limits, and the issue of not overstepping these limits,
all this should be inlcuded in the teaching of Architecture Theory. It should be
Lina et Pietro Maria quittent l’Italie, comme plusieurs personnalités liées impaired with a sense of humanism. » (Lina Bo Bardi, 1957)
au Parti Communiste. Ils se dirigent au Brésil vers un potentiel créatif et
une prospérité presque assurés, chose que l’Europe d’après-guerre ne Elle y fait le croisement de sources classiques et modernes puisqu’on y voit
pouvait leur offrir. Dans les années 50, le couple lance la revue Habitat notamment des références à Louis Sullivan, Frank Lloyd Wright, Viollet-
dans laquelle ils font la promotion du travail d’architecte de Lina et des Le-Duc, Claude-Nicolas Ledoux et bien d’autres. On comprend rapidement
expositions tenues au Musée d’Art de Sao Paulo, alors dirigé par Pietro que l’architecte utilise l’écriture comme moyen de conception et vice versa :
Maria. Le musée connaît un succès international, ainsi que la revue, deux
médiums qui opèrent côte à côte pour le rayonnement de nouvelles idées,
de façons de penser souvent reliées au modernisme. Parallèlement aux
« The elaboration of theory may originate from practice
activités de son mari, Lina ouvre un bureau de design qui se concentre sur and be its consequence ». - Bo Bardi, 1957
une production de mobilier moderne. (Veikos, 2014)
« … But time is a spiral, something with no end. Beauty alone, in itself, is
something that doesn’t exist. It exists for a historical period, then tastes
change and it becomes a mess. Instead, when it is something unmistakably
connected to collectivity, it is beautiful because it is useful and continues to
live. » (Lina Bo Bardi, revue A+U, 1999)
Vu de l’extérieur, rien ne laisse prévoir que les ateliers et les tours de béton
ne forment qu’un seul et même équipement à valeur sociale. Le programme
du centre communautaire comprend une bibliothèque, un théâtre, des
ateliers d’artisanat, un cabinet dentaire, une grande cantine, sa cuisine,
un hall d’exposition, des bureaux administratifs, de nombreuses salles de
sports et une piscine. Ces dernières prennent place dans les nouveaux
bâtiments de béton brut, qui se joignent par des passerelles. Le reste des
fonctions sont disposées à travers les anciens ateliers qui se divisent en
deux parties par une rue piétonne. Cette rue servait autrefois aux camions
à desservir les ateliers de l’usine. Aujourd’hui, la rue piétonne donne accès
aux différentes fonctions du centre culturel en plus de rassembler les gens.
Dans les ateliers, seuls la salle de théâtre et son foyer sont fermés. Pour
les besoins du programme, les murs sont insonorisés et coupent la salle
de toute lumière naturelle. La travée en longueur de l’atelier original mène
l’architecte à construire un théâtre où le public est disposé en face à face.
La rivière qui passe entre les deux bâtiments est canalisée, l’architecte
décide tout simplement de la recouvrir d’un deck. Cette promenade de bois
devient un espace de repos bordé de plantes et de douches. Le lieu rêvé
pour un bain de soleil en pleine ville.
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Lors de sa seconde visite, qui a eu lieu un samedi, les intentions conceptuelles L’utilisation de l’environnement industriel direct et de son aspect pratique
de Lina Bo Bardi se sont orientées vers des notions plus sociales que le à des fins de convivialité : recouvrir la rivière et le canal d’évacuation des
traitement pur d’une architecture industrielle. L’édifice ne se bornait plus eaux pluviales afin d’y installer une promenade. L’architecte construit
seulement à l’élégante structure solitaire qu’elle avait aperçue lors de sa ainsi un long plancher, un deck de bois bordé de plantes et équipé
première rencontre avec le lieu. La foule joyeuse d’enfants présents avec de couches. Cela vient constituer un immense solarium au milieu des
leurs parents, ainsi que les personnes âgées présentes, vaquant d’un blocs de béton de l’ancienne usine. L’espace inconstructible et insalubre
pavillon à un autre, la poussent à ancrer son projet dans la même dynamique devient ainsi un lieu de rencontre, de plaisir, un agréable parcours : tout
sociale. Conserver les lieux tels quels, tant physiquement en gardant les un symbole de sa pensée en somme. Elle réussit à transformer un lieu
bâtiments, que socialement en entretenant l’ambiance déjà existante des de souffrance au labeur en énergie positive à des fins de créer et de
lieux a été le fil rouge de ce programme. Elle déclare à ce propos : promouvoir du lien social ;
“ To be an architect obligatorily implies that one has to know how to design L’importance que Lina Bo Bardi accorde aux détails fait en sorte qu’elle
any civic building, and by the anticipation of every detail, to be able to guide contrôle tout de son projet. Malgré l’ampleur du programme et du site, elle a
the construction from the foundation to the smallest decoration, to equipment pu en imaginer le moindre détail. L’architecte a d’ailleurs dessiné, elle-même
and furniture, where the final result corresponds to a coherent end.” le logo du SESC Pompeia ; une fumée de fleurs sortant de la « fausse »
-Gian Battista Vico (Veikos, 2014) cheminée. De plus, elle s’est préoccupée de concevoir le mobilier et la
signalétique du centre culturel.
Les principes du développement durable se retrouvent également dans la Von MEISS Pierre (2012) De la forme au lieu + de la tectonique : une in-
vision de l’architecte pour ce qui a trait à la nature. Sa façon de mettre en troduction à l’histoire de l’architecture. Lausanne : Presses polytechniques
valeur les éléments de la nature, que ce soit les plantes ou encore l’eau, fait et universitaires romandes.
ressortir le rapport très respectueux qu’elle entretient avec l’environnement.
Ainsi, son architecture se construit avec des matériaux locaux et simples.
Elle se soucie de l’économie de ces matériaux afin d’éviter le gaspillage.
Elle maintient également le principe d’économie par son refus d’installer
un système de climatisation mécanique et privilégie plutôt un système de
ventilation complètement naturelle, inspirée des traditions vernaculaires
brésiliennes. Le recyclage d’un bâtiment vétuste figure également comme
un geste empreint d’une philosophie à caractère durable. Force est de re-
connaître que le SESC Pompéia et la pensée architecturale de Lina Bo
Bardi sont empreints d’un souci pour le bien commun tant au niveau humain
qu’écologique, tel que défendu par les principes du développement durable.
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