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Le fonctionnement des comptes doperations et leur role

dans les relations entre la France et les pays africains


Bruno Tinel

To cite this version:


Bruno Tinel. Le fonctionnement des comptes doperations et leur role dans les relations entre
la France et les pays africains. Documents de travail du Centre dEconomie de la Sorbonne
2016.69 - ISSN : 1955-611X. 2016. <halshs-01391233>

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Documents de Travail du
Centre dEconomie de la Sorbonne

Le fonctionnement des comptes doprations et leur rle


dans les relations entre la France et les pays africains

Bruno TINEL

2016.69

Maison des Sciences conomiques, 106-112 boulevard de L'Hpital, 75647 Paris Cedex 13
http://centredeconomiesorbonne.univ-paris1.fr/
ISSN : 1955-611X
Le fonctionnement des comptes d'oprations

et leur rle dans les relations entre la France et les pays africains 1

18/10/2016

Bruno Tinel (bruno.tinel@univ-paris1.fr)

Universit Paris 1 Panthon-Sorbonne, Centre dEconomie de la Sorbonne

JEL codes: E58 ; F33 ; F54

English title: The operation accounts and the relations between France and the African countries

Abstract: The French authorities are responsible for the fixity of the CFA Franc (XOF) / Euro
exchange rate. Half of the currency reserves of the African countries of the Franc zone (ACFZ) are
centralised on an operation account managed by the French Treasury. The CFA system is more
flexible than a currency board, nevertheless it is not enough to match the monetary policy with the
specific needs of a developing economy. On the external side, the CFA acts as an import subsidy and a
tax on exports. On the internal side, the room to manoeuvre remains limited in the present context as
reserves are weakening with the decrease in commodity prices. The needs of the ACFZ could be better
fulfilled through a more flexible exchange rate and the idea of monetary stability has to take into
account the inevitable imbalances occurring on the goods and services market in a developing
economy.

Key words : operations account ; CFA franc ; currency board ; monetary stability

Rsum : La parit fixe entre le franc CFA et lEuro est assure par les autorits franaises qui
centralisent la moiti des rserves en devises des pays africains de la zone franc (PAZF) sur un compte
doprations gr par le Trsor Public franais. Le systme du CFA est plus souple quune caisse
dmission (currency board) nanmoins, il ne permet pas de mener une politique montaire en
adquation avec les besoins en dveloppement. Sur le plan externe, la monnaie joue comme une
subvention aux importations et une taxe sur les exportations. Sur le plan interne, les marges de
manuvre restent limites dans un contexte drosion des rserves de changes caus par un recul des
prix des matires premires. Pour rpondre aux besoins en dveloppement des PAZF, il est ncessaire
que le taux de change puisse jouer son rle damortisseur et que la notion mme de stabilit montaire
soit redfinie de manire tenir compte des tensions causes par le dveloppement sur le march des
biens et services.

Mots cls : compte doprations ; franc CFA ; caisse dmission ; stabilit montaire

1 Une premire version de ce texte a fait lobjet dune prsentation lors de la confrence organise sur Lavenir du franc CFA en question.
Quels outils montaires et quelle souverainet conomique pour une politique de progrs en Afrique de lOuest et Centrale ? au Snat le 17
septembre 2015, sous lgide de la fondation Gabriel Pri. Il a t publi sous une forme lgrement diffrente en tant que quatrime chapitre
de louvrage collectif Sortir lAfrique de la servitude montaire : qui appartient le franc CFA ?, La Dispute, octobre 2016, sous la direction
de Kako Nubukpo, Martial Ze Belinga, Bruno Tinel et Demba Moussa Dembl. Que mes collgues et amis, ainsi quAlexis Cukier et
Chrystel Le Moing soient remercis pour leurs lectures et commentaires. Je reste seul responsable des erreurs et omissions qu e ce texte
comporte.

Documents de travail du Centre d'Economie de la Sorbonne - 2016.69


Le fonctionnement des comptes d'oprations

et leur rle dans les relations entre la France et les pays africains

Bruno Tinel

Quelle est l'efficacit des politiques, notamment montaires, adoptes en zones CFA depuis
des dcennies ? Au regard de quels objectifs ? Il devrait tre possible de s'interroger sur le cot
conomique exorbitant que paient les zones franc CFA en vue de bnficier d'une stabilit
montaire tant vante. La plupart du temps, celle-ci est en effet prsente dans les littratures
officielles comme un principe tout aussi intangible que bnfique l'ensemble des composantes des
conomies concernes. Pourtant, est-il vraiment justifi de continuer affirmer que la stabilit
montaire , telle qu'elle est conue et pratique dans les deux zones CFA, est une condition et non un
obstacle un dveloppement endogne digne de ce nom ?

Entre, d'un ct, le spectre de l'hyperinflation et, d'un autre, celui de la dflation, il existe en
ralit d'importantes marges pour dfinir une politique montaire stable et adapte aux besoins de
l'conomie. Trop souvent, la notion de stabilit montaire sert entraver le dbat : qui serait assez
idiot pour se faire l'avocat de l'instabilit et du chaos montaire ? Pourtant, la notion de stabilit
montaire ne va pas de soi, elle n'a de sens qu'en relation avec une dynamique macroconomique
d'ensemble. Dans les zones CFA, cette notion donne trop souvent l'impression de servir apporter de
la respectabilit une politique montaire en ralit trop restrictive et servant principalement les
intrts bien compris des groupes europens2 en particulier franais intervenant dans les pays
membres de ces zones montaires et de leurs lites rentires.

L'inadaptation de la politique montaire aux besoins des conomies en zones CFA rsulte d'un
double problme : d'abord de structure et ensuite de doctrine. Du point de vue de la structure, la
politique montaire en zones CFA est en partie inscrite dans les spcificits institutionnelles qui font
exister ces deux monnaies parit fixe avec l'Euro. C'est ici que le fonctionnement des comptes
d'oprations doit tre explicit. Ensuite, du point de vue de la doctrine, l'intrieur mme des rgles de
fonctionnement pourtant fort troites des zones CFA, il existe des marges qui demeurent
inemployes par ses banquiers centraux, malgr d'immenses besoins financiers insatisfaits. Les
structures institutionnelles des zones CFA rendent la politique montaire rigide et, dans bien des cas,
trop restrictive compte tenu du niveau de dveloppement des pays concerns. l'intrieur de ces
structures, les choix oprs par les dirigeants des zones CFA accentuent davantage encore le caractre
restrictif de la politique montaire, au-del de ce qu'imposent les rgles lgales de fonctionnement.

2
Notons que les oprateurs chinois, ou de nimporte quel autre pays, qui se positionnent en zone CFA sont galement en mesure de
bnficier de lavantage de dgager, dans une des zones les plus pauvres du monde, des profits convertibles en Euro sans risque de change.

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La parit fixe CFA/Euro

Ordinairement, quand un pays souhaite maintenir sa monnaie parit avec une ou plusieurs
autres monnaies, il doit acheter ou vendre sa monnaie contre des devises trangres en fonction des
fluctuations de l'offre et de la demande sur le march montaire. Si la monnaie nationale est trs
demande, pour viter qu'elle ne s'apprcie par rapport aux autres monnaies, la Banque centrale achte
alors des devises en vendant sa monnaie nationale. Elle engrange donc des devises : ses rserves
augmentent. Si la monnaie nationale est peu recherche sur le march montaire, son cours va au
contraire avoir tendance se dgrader, la monnaie se dvalorise car il y a un excs chronique de l'offre
de monnaie nationale contre devise. Pour dfendre la parit, la Banque centrale doit donc intervenir
pour acheter, sur les marchs des devises, la monnaie nationale dont elle a la garde en vendant des
devises. Il faut ainsi que la parit soit dfendable, c'est dire que l'objectif de change ne fasse pas de la
monnaie nationale une monnaie trop forte .

La capacit de la Banque centrale dfendre sa monnaie contre la dvalorisation par rapport


aux autres monnaies est donc limite par les rserves qu'elle a russi constituer. Pour faire simple, sa
capacit constituer des rserves dpend du solde de la balance courante : s'il est excdentaire, ceci
signifie que le pays ne consomme pas la totalit de son revenu national, il dgage donc une pargne,
cela se traduit par une augmentation des rserves de change dtenues par la Banque centrale. Dans ce
cas, par dfinition, l'conomie dont la balance est excdentaire dtient une crance nette sur le reste du
monde, autrement dit sa balance des capitaux est dficitaire du mme montant. Il se passe l'inverse
lorsque les exportations sont plus faibles que les importations. Pour maintenir constante la parit de la
monnaie nationale un niveau dfini a priori il faut avoir continuellement des rserves de change en
quantit suffisante, ce qui n'est pas facile surtout pour une petite conomie dpendante et si l'objectif
de change est trop lev.

Il est possible de prsenter les choses sous un autre angle : pour favoriser le dveloppement
industriel et trouver des dbouchs externes, les autorits souveraines peuvent dcider d'imposer un
contrle des changes afin que la monnaie nationale soit sous-value, c'est dire que le taux de change
soit adapt aux besoins de dveloppement interne et permette d'exporter bas prix. C'est la stratgie
adopte par la Chine depuis plusieurs dcennies. Dans lhypothse o l'conomie est suffisamment
diversifie, ce qui dpend en partie dune telle politique, il en rsulte alors des excdents commerciaux
systmatiques qui permettent de constituer des rserves de changes et de dtenir durablement des
crances sur ses partenaires commerciaux. Une telle politique permet de dgager des marges de
manuvres internes car elle permet d'assurer, pour les rsidents, un accs souple aux liquidits pour la
dpense interne et l'investissement. Elle permet galement d'obtenir des marges de manuvre
externes, y compris sur le plan gostratgique car dtenir des crances sur dautres pays permet la
fois de moins dpendre dinstances telles que le FMI et dagir potentiellement sur leurs taux dintrts

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ainsi que sur le cours de leurs monnaies. Mais une telle politique a lieu au dtriment des partenaires
commerciaux, qui subissent une forme de dumping montaire lequel peut malgr tout s'avrer
acceptable pour eux tant que le pays qui contrle son taux de change se positionne dans des secteurs
plus faible valeur ajoute o prvaut un effet prix galement bnfique dans une certaine mesure
pour les pays importateurs.

Une telle politique montaire, oriente par les intrts internes en matire de dveloppement,
n'est pas possible en zone CFA telle qu'elle fonctionne actuellement. Pourtant, couple des politiques
industrielles volontaristes, une telle stratgie est trs favorable l'activit, au dveloppement et
l'intgration des secteurs industriels domestiques les uns aux autres. Certes, il en rsulterait trs
probablement un taux d'inflation moins bas que les 2,5 % invariablement constats en zone CFA, mais
est-ce si grave ? Si l'inflation s'anime un peu, aprs tout, c'est bon signe : cela signifie que la demande
est vigoureuse et, par ailleurs, cela rend les finances publiques plus facilement soutenables car les
recettes fiscales sont alors plus dynamiques et la valeur relle des dettes s'allge un peu. Laisser
l'inflation atteindre 4, 6 voire 8 % en moyenne devrait tre srieusement envisag, l'instabilit globale
ne serait pas ncessairement plus grande et cela inciterait investir plutt qu' thsauriser. En effet,
dans le systme CFA actuel, la stabilit montaire se paie par une forte instabilit relle sur le march
des biens et services et sur le front de l'emploi3. Il serait prfrable de faire en sorte que le systme des
prix soit en mesure de jouer un rle dans les ajustements, ce qui ne contraindrait pas sacrifier
rgulirement l'conomie relle sur l'autel de la stabilit montaire.

Pourtant, quand bien mme les autorits montaires des zones CFA souhaiteraient vraiment
s'inspirer de l'exprience de la Chine, elles n'auraient pas les marges de manuvre requises pour
mener une telle politique montaire compte tenu des contraintes institutionnelles qui dfinissent les
CFA.

En quoi consistent les comptes d'oprations ?

Les Banques centrales des zones CFA n'assument pas elles-mmes la fixit de leur monnaie
avec l'Euro4, c'est le Trsor franais, c'est dire le budget de ltat (et non pas la Banque de France),
qui en a la charge5. Le problme rsultant de rserves limites ne se pose pas a priori mais, en
contrepartie, les pays des deux zones CFA dposent auprs du Trsor public, en France, leurs rserves
3
Ces questions fondamentales dun point de vue conomique sont discutes de manire approfondie par Shantayanan Devarajan et Dani
Rodrik, Do the Benefits of Fixed Exchange Rates Outweigh their Costs? The Frank Zone in Africa, CEPR discussion papers, n561, 1991
www.cepr.org/active/publications/discussion_papers/dp.php?dpno=561 et Marc Klau Exchange rate regimes and inflation and output in
Sub-Saharian countries, BIS working papers, n53, 1998, http://www.bis.org/publ/wp53.pdf.

4 Le taux de change est le suivant 1 EUR = 655,957 francs CFA et 1 EUR = 491,96775 FC.
5
Pour une prsentation historique et institutionnelle du CFA lire le chapitre de Nadim Michel Kalife dans le prsent ouvrage et lopuscule de
Demba Moussa Dembele Zone franc et sous-dveloppement en Afrique, ARCADE, 2015 qui propose en outre une valuation critique de
cette union montaire et prsente les projets de monnaie unique de la CEDEAO, de Banque centrale africaine et de Fonds Montaire
africain ; propos de la recherche dune troisime voie par le Mali entre 1960 et 1963, cf. Guia Migani L'indpendance par la
monnaie : la France, le Mali et la zone franc, 1960-1963 , Relations internationales, 2008/1 (n 133), p. 21-39.

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de change. Le Trsor franais apporte ainsi une garantie de convertibilit prsente comme illimite 6
des monnaies mises par les instituts dmission de la zone Franc 7. En contrepartie de cette
convertibilit, les rserves de change sont centralises, deux niveaux : les tats des deux zones
UEMOA et CEMAC centralisent leurs rserves de change auprs de leur banque centrale, lesquelles
sont tenues d'en dposer 50 % auprs du Trsor franais, sur un compte doprations ouvert au nom de
chacune delles (au del de ce seuil, des dpts facultatifs sont possibles sur un compte spcial de
nivellement 8). Ces comptes sont rmunrs au taux de facilit de prt marginal de la BCE ce taux
est aujourd'hui trs bas : 0,3 % depuis le 10 septembre 2014 et offrent la possibilit dun dcouvert
prsent comme illimit, moyennant un paiement dintrts en cas de position dbitrice.

Le vritable ancrage du CFA n'est pas tout fait l'Euro mais le DTS car les avoirs dposs
dans les comptes d'oprations sont garantis contre une dprciation de l'Euro par rapport au DTS : le
31 dcembre de chaque anne, les comptes d'oprations sont crdits du montant de la dprciation ;
ce montant est calcul cumulativement au jour le jour dans une comptabilit annexe, qui est dans ce
cas remise zro. Nanmoins, ce mcanisme est asymtrique car une apprciation nette de l'Euro par
rapport au DTS ne se traduit pas par un dbit sur les comptes d'oprations mais par un report, dans la
comptabilit annexe, des gains de change cumuls quotidiennement durant l'anne n-1, sur le montant
du premier janvier de l'anne n ; dans ce cas de figure, la comptabilit annexe n'est donc pas remise
zro.

Les Banques centrales peuvent recourir sans limitation aux avances du Trsor franais mais,
en contrepartie, ces avances doivent avoir un caractre exceptionnel, c'est dire que les comptes
d'oprations ne peuvent devenir durablement dbiteurs. Une sorte de dispositif dalerte a t mis en
place : les missions montaires en zone CFA doivent tre couvertes hauteur de 20 %, au minimum,
par les rserves de change. Si ces critres sont respects, quel que soit le niveau des comptes
d'opration, la parit du CFA sera maintenue par le Trsor franais.

Dans ce systme, le Trsor franais accepte de donner ses correspondants des Euros contre
des CFA et vice versa, taux fixe et de manire supposment illimite, mais condition que les
rserves de change ne fondent tout de mme pas trop. En effet, si le stock de CFA dtenu par le Trsor
augmente continuellement, cela signifie qu'en prsence de taux de change ajustables, le franc CFA se
dvaloriserait. Par consquent, il se peut qu' mesure que les CFA dtenus par le Trsor augmentent
6
Cette ide dune convertibilit illimite du CFA en euro quel que soit le solde de la balance des paiements de lUnion (ce solde pouvant
devenir dbiteur sans limite fixe a priori concernant la dure ou le montant) est ostensiblement prsente dans les documents officiels
rgissant le CFA et nombreux sont ceux qui, linstar de Michel Lelart L'Union montaire en Afrique de lOuest , L'conomie politique,
2003/3 (no 19), pp. 106-112 ou Sylviane Guillaumont Jeanneney L'indpendance de la Banque Centrale des tats de l'Afrique de l'Ouest :
une rforme souhaitable ? , Revue d'conomie du dveloppement, 2006/1 (Vol. 14), p. 45-77, reprennent cette formule sans linterroger.
Nous verrons plus loin que cest en ralit ltat de la jauge constitue par les comptes dopration (lesquels ne sont en ri en un
mcanisme , contrairement ce qui est frquemment crit) et par le taux de couverture des missions qui a, dans les faits si ce nest en
droit, limit la convertibilit.
7 Ces instituts sont au nombre de trois : la Banque Centrale des tats d'Afrique de l'Ouest, la Banque des tats de l'Afrique Centrale et
Banque Centrale des Comores.
8 Le compte spcial de nivellement est un peu moins bien rmunr et ne fait pas l'objet d'une garantie de change de l'Euro avec le DTS
(droit de tirage spcial, actif de rserve international cr par le FMI en 1969).

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(ce qui signifie une dvalorisation virtuelle), le solde des comptes d'oprations se dtriore. Au fond,
les Euros offerts par le Trsor contre des CFA sont gags sur les rserves. Ces dernires permettent en
quelque sorte de compenser les tensions de change virtuelles entre l'Euro et le CFA (ici une
dvalorisation virtuelle du CFA dtenu en grande quantit par le Trsor).

Ce qu'il convient de comprendre ici, c'est qu'il n'y a aucun mcanisme spcifique aux comptes
d'oprations. Ces derniers servent simplement d'indicateur, ils sont une jauge. Ces comptes remplacent
en quelque sorte le taux de change en tant qu'metteur de signal. S'ils se remplissent, le Trsor franais
sait qu'il ne paiera pas de sa poche les Euros remis aux banques centrales de la zone Franc. En
revanche, s'ils se vident trop, les fonctionnaires en charge de sa gestion tireront le signal d'alarme
lapproche du seuil des 20% parce que les Euros changs contre des Francs CFA finiront par tre
pays par les contribuables de France mais le systme est simplement conu pour que cela n'arrive
pas. En effet, le Trsor franais ne commence aider les Banques Centrales africaines quau
moment o ces dernires ont procd au ratissage 9 de toutes les devises dtenues dans leurs zones
respectives, notamment auprs des banques commerciales, et mme du FMI. Cest seulement aprs ce
ratissage que le Trsor met les euros disposition des Banques Centrales. La seule fois o les rserves
ont beaucoup diminu, en 1993, le processus a abouti la dvaluation de janvier 1994 10. Drle
dassureur que le Trsor !

La valeur externe du CFA est ainsi dlgue une entit extrieure, le Trsor franais, qui
bnficie de ces devises pour son propre financement. De ce point de vue, ce systme de centralisation
des devises de la zone CFA contribue financer une fraction, trs petite (0,5%), de la dette publique
franaise11. Certains affirment que ce systme est injuste dans la mesure o la France continue
voler ses anciennes colonies . Nanmoins, il convient dtre lucide car cest un argument secondaire
au regard du reste : du point de vue de la France, le gain matriel apport par la centralisation de ces
devises sur les fameux comptes d'oprations est microscopique. La France est l'un des pays dont la
dette publique est la plus attractive au monde. Elle n'a pas besoin des rserves de change de ses
anciennes colonies pour se financer. Le principal intrt du gouvernement franais dans ce systme

9
Le systme est connu et se prnomme la clause de ratissage , cette clause signifie que si les disponibilits en devises sont considres
comme devenant insuffisantes par le Trsor Franais les Banques Centrales en zone CFA doivent centraliser toutes les devises en les
rachetant contre des CFA auprs des entreprises prives et des organismes publics.
10
Malgr la dgradation du taux de couverture des missions montaires, Pierre Villa Dvaluation du Franc CFA et profitabilit
lexportation , Economie Internationale, n58, pp. 33-51 met en vidence quil nest pas ais de soutenir lide dun CFA survalu durant
la priode qui prcde la dvaluation en se basant uniquement sur les critres habituels, voir galement Blaise Gnimassoun
Msalignements du franc CFA et influence de la monnaie ancre , Economie & prvision, 2012/2 (n 200-201), p. 91-119 ; pour des
lments mthodologiques permettant danalyser leffectivit et lefficacit dune dvaluation, cf. Patrick Guillaumont et Sylviane
Guillaumont Jeanneney De l'effectivit de la dvaluation des francs CFA. Quelques enseignements tirs du Cameroun et de la Cte-
d'Ivoire , Revue conomique, 48 (3), 1997. pp. 451-460 ; pour une discussion gnrale et toujours dactualit sur les enjeux de la
dvaluation en zone CFA, cf. Jacques Adda Quelques remarques sur la parit du franc CFA et l'avenir de la zone franc aprs Maastricht ,
Observations et diagnostics conomiques : revue de l'OFCE, n41, 1992. pp. 293-301.
11
En 2014, les avoirs dposs par les Banques Centrales Africaines auprs du Trsor franais reprsentaient 6950 milliards de CFA soit 10,6
milliards deuros, sources : Rapport annuel de la zone franc, 2015 annexes 1 et 2, https://www.banque-france.fr/eurosysteme-et-
international/zone-franc/rapports-annuels-de-la-zone-franc.html

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relve de la gopolitique internationale, car il lui permet de conserver ses anciennes colonies dans sa
sphre d'influence.

La perptuation d'un tel systme aprs l'indpendance des pays des zones CFA est considre
juste titre par nombre d'observateurs, en Afrique comme en France, comme scandaleuse. La grande
violence symbolique du maintien trs visible d'un rapport colonial doit tre souligne. Les symboles,
a compte. Les pays des zones CFA continuent dlguer l'ancienne puissance coloniale la gestion
de la valeur externe de leur monnaie et, ce faisant, ils lui apportent mme des facilits (trs modestes)
de financement pour sa dette publique. Certes, les pays de la zone CFA ne seraient sans doute pas en
mesure de maintenir eux-mmes la parit fixe avec l'euro. Mais en ont-ils vraiment besoin ? Et quand
bien mme ce pourrait tre souhaitable certains gards, en quoi l'objectif d'une parit fixe devrait-il
primer sur tout autre objectif en matire de politique conomique ? Ce dispositif assum par la France
leur apporte une stabilit externe qu'ils ne seraient peut-tre pas en mesure de s'offrir. Mais quel
prix ?

Enfin, la France se trouve en mesure dassumer cette mission prcisment parce que les
conomies des zones CFA sont trs petites au regard de sa propre conomie ; les PIB des zones
UEMOA et CEMAC reprsentent en effet 7% du PIB de la France en 2014, pour une population deux
fois et demi plus importante. Si les conomies des deux sous-rgions CFA venaient se dvelopper et
grossir trop vite, la France serait moins en mesure dassumer ce paternalisme montaire leur gard.
En des termes moins polmiques : ce systme est faisable tant que les conomies de la zone CFA
demeurent de petite taille au regard de celle de l'conomie franaise. Dans son fonctionnement actuel,
on peut douter de la capacit de ce systme permettre aux conomies des deux sous rgions
dmerger sur des bases endognes plutt qu contribuer la perptuation de son sous-
dveloppement et de sa dpendance, vis--vis des marchs internationaux de matires premires sur
lesquels ces pays nont aucune prise et vis--vis des bailleurs de fonds trangers.

Quelle politique montaire pour la zone CFA ?

Dans ce systme, les Banques Centrales de la zone CFA, ayant en mmoire que la dvaluation
de 1994 leur a t impose par le gouvernement franais en raison du franchissement du seuil-plancher
des 20%, privilgient une stratgie visant maximiser lcart avec ce seuil-plancher sous contrainte
dune inflation-cible de 2%12, ce qui a peu de chance de correspondre a priori aux besoins
conomiques rels. Ainsi, lorsque les rserves baissent, les Banques Centrales de la zone CFA peuvent
tre tentes de chercher durcir leur politique montaire, en vue damliorer leur taux de couverture et
de sloigner ainsi autant que possible du seuil fatidique des 20%. Plusieurs canaux sont susceptibles

12
Plus prcisment, la BCEAO poursuit une cible de 2% tandis que lUEMOA affiche une cible de convergence dinflation 3% ; il va sans
dire quun tel affichage nest pas cohrent et ne contribue pas rduire lincertitude.

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de conduire, imparfaitement, ce rsultat13. En voici une liste non exhaustive. Dune part, le
durcissement des conditions de refinancement des banques permet de rduire les engagements vue
de la Banque Centrale. Dautre part un accs plus onreux aux liquidits et une baisse des concours
aux Trsors des zones CFA sont susceptibles de limiter le dsquilibre de la balance commerciale en
bridant la demande intrieure. Nanmoins, ces mesures sont limites. Elles ne peuvent que ralentir le
processus drosion du taux de couverture car elles ne permettent pas damliorer la comptitivit
lexportation. Elles ne peuvent agir directement sur les flux intrants de devises, lesquels dpendent en
premier lieu de ltat des marchs mondiaux des matires premires. En outre, sur ces marchs, les
exportations de la zone CFA rapportent dautant moins, ou dautant plus, de devises exprimes en
CFA (cest ainsi quelles apparaissent au bilan des Banques Centrales) si leuro sapprcie, ou se
dprcie, au regard des monnaies de facturation des matires premires et biens agricoles exports
pour lessentiel en dollars. De ce point de vue, la valorisation des exportations des zones CFA est
conditionne lvolution du taux de change entre leuro et le dollar, lequel ne dpend quasiment pas
de la politique montaire pratique par les Banques Centrales des zones CFA.

Les moyens daction des Banques Centrales Africaines des deux zones pour amliorer leur
taux de couverture sont la fois limits et, dans bien des cas, dltres pour lactivit conomique.
Ainsi, par exemple, une rosion des rserves en zones UEMOA et CEMAC a lieu depuis quatre ou
cinq ans en raison de la dgradation de la conjoncture mondiale qui entraine la baisse une partie des
prix des matires premires. Compte tenu de la discussion qui prcde, les Banques Centrales
Africaines pourraient tenter de durcir leur politique montaire pour limiter cette rosion mais ceci
naurait que peu deffet tant la situation interne est devenue atone, dautant que les taux d'intrts sont
dj nettement plus levs que dans la zone euro.

Le systme du CFA impose aux Banques Centrales Africaines de la zone de couvrir 20% de
leurs engagements vue par des devises (dont au moins la moiti sont dposes sur les comptes
doprations auprs du Trsor franais) nanmoins, Kako Nubukpo souligne, ds 2007 14, qu'en
pratique le taux de couverture des missions avoisine les 100 % depuis des annes. En effet, les
rserves de la BCEAO tant tombes 17% en 1993, en dessous donc du seuil plancher de 20 % prvu
par les statuts de la Banque, le gouvernement Balladur a alors impos une dvaluation de 50% en
janvier 1994, ce qui a conduit le taux de rserves remonter 80 % ds la fin de lanne 1994, puis
au-dessus de 100 % aprs 1999. Depuis quatre ou cinq ans, ce taux de rserves srode peu peu (cf.

13
Pour une tude dtaille sur les canaux de transmission de la politique montaire en zone UMOA, cf. Kako Nubukpo Limpact de la
variation des taux dintrts directeurs de la BCEAO sur linflation et la croissance dans lUMOA , Notes dInformation et Statistiques,
n526, Etudes et Recherches de la BCEAO, juin 2002,
http://www.bceao.int/IMG/pdf/L_impact_de_la_variation_des_taux_d_interet_directeurs_de_la_BCEAO_sur_l_inflation_et_la_croissa nce_
dans_l_UMOA_Nubukpo_KK-_NIS_no_526_de_juin_2002-.pdf.

14
Cf. Kako Nubukpo Politique montaire et servitude volontaire , Politique africaine 1/2007 (n 105), p. 70-84.
http://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2007-1-page-70.htm

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tableau ci-dessous). Au 31 dcembre 2014, il se situait 85% pour lUEMOA et 90% pour la
CEMAC.

Taux de couverture en % 2010 2011 2012 2013 2014

UEMOA 112,9 109,1 105,5 90,1 84,3

CEMAC 100,2 98,7 98,4 97,9 89,8

Source : Rapports annuel 2011 2014 de la Zone franc, Banque de France (publis
l'automne de lanne n+1)

Un tel niveau de rserves, o celles-ci se rvlent quatre cinq fois suprieures ce quexigent
les traits, peut donner lieu une double interprtation. Dune part, le CFA n'est peut-tre pas archi-
survalu du moins du strict point de vue des relations montaires internationales et, dautre part,
pour ce niveau de change, l'activit interne est rduite, ce qui limite dautant les missions montaires
et maintient le taux de couverture un niveau lev. En dautres termes, ceci rvle que, dans le cadre
mme du CFA, il serait possible de mener une politique montaire plus accommodante et donc plus
l'coute des besoins de financement des conomies concernes. Ceci ne serait pas superflu dans la
mesure o ces pays font partie des plus pauvres de la plante. Il ne s'agit pas ici de laisser entendre que
les Banques Centrales devraient utiliser les rserves de change pour acheter des biens et services, ou
pour investir directement, ce nest pas lobjet. Lexcs de rserves montre que les autorits montaires
et financires disposent de marges de manuvre considrables pour favoriser le financement de
l'conomie : structurer l'offre, susciter la demande et favoriser ainsi les activits productives
permettant non seulement de dvelopper les exportations mais aussi de favoriser les investissements et
les productions destines tre coules sur les marchs intrieurs.

Le systme du CFA ne doit pas tre confondu avec celui dune caisse dmission (currency
board) o, en labsence de convertibilit de la monnaie locale, les missions montaires sont
entirement fondes sur une ou plusieurs devises accumules par la Banque Centrale. Un pays utilisant
une caisse dmission ne dispose daucune autonomie tant en matire de change quen matire de
politique montaire. Le systme du CFA est certes totalement rigide en termes de change (ceci peut
tre considr comme un avantage certains gards) mais il offre par ailleurs davantage de souplesse
du point de vue de la politique montaire quune caisse dmission. Ceci est vrai malgr

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lincompltude de la souverainet15 montaire des zones UEMOA et CEMAC. En revanche, lorsque
les taux de couverture des missions en zone CFA dpassent les 100%, le systme CFA en vient de
fait imiter les caractristiques dune caisse dmission cest--dire perdre des degrs de libert et de
la souplesse alors mme que ce systme, pourtant, se trouve dj contraint et ne rpond quen partie
aux besoins de lconomie relle.

Rflchir une politique montaire diffrente et davantage oriente vers le dveloppement


endogne suppose de revenir sur les poncifs relatifs aux dterminants de linflation, il en dcoule une
perception diffrente ce que peut tre la stabilit montaire. Malgr ce quont pu raconter les tenants
de lapproche dite quantitativiste ou neutre de la monnaie, linflation nest pas dtermine en
premier lieu par des variables purement montaires, lesquelles dailleurs ne sont pas rellement
contrles par les Banques Centrales. En effet, mme en zone CFA, la monnaie nest pas exogne : la
Banque Centrale peut tout au plus agir a posteriori sur la base montaire mais la quantit de monnaie
est, de toute faon, dtermine par les besoins des agents non bancaires pour effectuer leurs paiements
et leurs choix de placements 16. Une Banque Centrale rpond avec plus ou moins de souplesse, via le
refinancement du systme bancaire, une demande de monnaie quelle ne contrle pas.

Linflation ne rsulte pas, en premire instance, des variations de la quantit de monnaie mais
des tensions entre loffre et la demande globales. Certes, ces tensions peuvent savrer plus ou moins
intenses selon le type de politique montaire, mais cest bien le rythme de lactivit qui est primordial.
Les pays en dveloppement ont, par dfinition, un stock de capital productif la fois insuffisant et
vtuste au regard des besoins et de la demande : tout lenjeu consiste laccrotre et le perfectionner.
Ainsi, lorsquune demande solvable supplmentaire sexprime, loffre tant en partie rigide, il en
rsulte un processus inflationniste qui sera ventuellement contenu par laccroissement et
lamlioration ultrieurs des capacits productives. Linflation est, dans une certaine mesure, une sorte
daiguillon qui permet de dvelopper les moyens de production. Elle est le signe que dimportants
profits sont ralisables et elle rsulte elle-mme du processus de dveloppement car les
investissements raliss dans une branche sont susceptibles de stimuler la demande dans dautres
branches en raison des interdpendances sectorielles. Pour ces pays, brider tout prix linflation un
niveau trs bas, et qui serait sans doute trop bas y compris pour les pays capitalistes avancs, revient
tout simplement brider lactivit conomique et donc le dveloppement lui-mme. Les taux
dinflation trs faibles affichs par certains PMA, particulirement en zone CFA, sont le signe de la

15
A propos de la notion de souverainet applique aux pays dAfrique Sub-Saharienne, lexcellent article de Alice Sindzingre
Liberalisation, Multilateral Institutions and Public Policies: The Issue of Sovereignty In Sub-Saharan Africa, Mondes en dveloppement,
2003/3 (no 123), p. 23-56est incontournable.

16
Ce ne sont pas les Banques centrales qui dterminent la quantit de monnaie, ni mme la base montaire puisque les banques commerciales
peuvent dposer auprs d'elles davantage si elles le souhaitent ; il en va de mme pour les billets : ce sont les utilisateurs de la monnaie qui
dterminent la quantit quils entendent dtenir.

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perptuation dune absence de dveloppement conomique ainsi que lexplique Ndongo Samba Sylla
dans cet ouvrage.

Lautre principale source de linflation, cest le prix des importations. Si une partie importante
de lindice des prix est dtermine en dehors de lconomie nationale, il en va de mme pour
linflation : elle est importe. Combattre linflation importe par une politique montaire restrictive est
inadapt car le lieu de formation des prix des biens imports savre hors datteinte pour une telle
politique. Linflation importe rsulte la plupart du temps des fluctuations des prix mondiaux des
matires premires industrielles et agricoles : toutes les conomies y sont sujettes dans des proportions
plus ou moins grandes. Pour en rduire les effets, il faut tenter de se reporter sur des substituts et de
perfectionner les techniques de production afin dy recourir en moins grande quantit. Par ailleurs, le
contrle des importations ainsi que limposition de certains droits de douane levs et de
contingentements ne doivent pas tre carts. Concernant les produits agricoles, le meilleur moyen
dchapper aux effets nfastes de la hausse gnralise de leurs prix est de dvelopper localement une
production suffisamment diversifie et performante de manire atteindre la scurit alimentaire, ce
qui permet de dgager des marges de manuvre non seulement pour exporter mais aussi, et surtout,
pour se reporter sur des biens de substitution et pour mener des politiques publiques face lvolution
des prix. Notons ici que, certes, un taux de change correspondant une survaluation de la monnaie
nationale permet en partie de limiter leffet de linflation importe, nanmoins cette solution nest pas
vraiment satisfaisante car elle ne permet pas non plus de stimuler la production intrieure des biens
concerns ou de leurs substituts.

Une politique montaire mme de permettre un dveloppement endogne de prendre racine


devrait par dfinition laisser sexprimer les tensions marchandes rsultant dune demande interne
vigoureuse. Ainsi, une inflation gale, par exemple, une fois ou une fois-et-demi le taux de
croissance rel pourrait servir de point de repre fluctuant avec lactivit elle-mme. On pourrait
imaginer bien dautres rgles mais lide ici est de fonder la notion de stabilit montaire, cest--dire
dinflation dsirable, non pas en termes absolus et fixes mais partir du niveau mme de lactivit
conomique.

En guise dillustration, pour la France, le rapport entre linflation et le taux de croissance est de
1,7 entre 1950 et 201417 et de 1,2 entre 1990 et 2014. La moyenne rtrospective de ce ratio, en prenant
pour date butoir 200718, montre quil tait stable autour de 1,5 entre 1950 et 1977, puis effectue un
saut un peu au-dessus de 2 jusquen 1982 avant de se stabiliser autour de 1 ; aprs 2007, le ratio
devient trs instable. Concernant les pays de lUEMOA et de la CEMAC, le rapport entre le taux
dinflation et le taux de croissance durant les deux dernires dcennies est incroyablement bas compte
17
Cest--dire que pour 1% de croissance, il y a eu en moyenne 1,7% dinflation sur la priode 1950-1994.
18
Dans ce cas, sur une priode [n, t], on calcule entre n et t chaque date (n + i) la moyenne des valeurs entre (n + i) et t. Cette mthode
surpondre les valeurs rcentes et sous-pondre les valeurs anciennes. Dans le cas qui nous occupe, la priode rcente ayant un niveau
dinflation plus lev que la priode ancienne permet de ne pas attribuer un poids trop important au rle de linflation.

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tenu du faible niveau de dveloppement : par exemple 0,5 en Cte dIvoire, 0,4 au Burkina Faso et au
Sngal ou encore 0,2 au Cameroun19.

Pourquoi ne pas envisager une telle fourchette endogne plutt quune cible fixe pour mener la
politique montaire ? On pourrait imaginer sans peine, par exemple, une rgle de Taylor fonde sur un
principe de ciblage marges endognes 20. Dans ce cas, si la croissance de lconomie stablit
6%, il devient alors normal que sexprime une inflation comprise entre 6% et 9%. Si lon craint
que lcart entre la borne basse et la borne haute naugmente trop vite, on peut fabriquer, par exemple,
une borne haute qui augmente avec le logarithme de la croissance comme lillustre le calcul de la
borne haute (2) dans le tableau ci-dessous. Une politique montaire fonde sur ce type de principe
viterait la rigidit dun ancrage absolu, qui conduit bien souvent tuer dans luf toute mergence
conomique, tout en apportant des repres indispensables pour forger les anticipations sur ce quest la
stabilit montaire, donc coordonner les acteurs, et conduire une politique montaire souple et efficace
au service du dveloppement.

Taux de croissance du PIB, en


% g 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Inflation-cible, borne basse _b=g 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Inflation-cible, borne haute (1) _h1=1,5.g 1,5 3 4,5 6 7,5 9 10,5 12 13,5 15

Inflation cible, borne haute (2) _h2=g+ln(g) 1,0 2,7 4,1 5,4 6,6 7,8 8,9 10,1 11,2 12,3

Lgende : g : taux de croissance, _b : inflation-cible borne basse, _h : inflation-cible borne haute.

Nombreux sont ceux qui dnoncent, juste titre, l'injustice et l'oppression qu'exerce l'ancienne
puissance coloniale travers le systme du CFA. Nanmoins, ils sont aussi de plus en plus nombreux
aller plus loin et s'interroger sur les causes internes d'un tel abandon de souverainet. quoi bon
s'infliger une telle rigueur montaire ? La BCEAO et l'UEMOA rptent en boucle que la stabilit
montaire est une condition de la croissance et qu'un ciblage de l'inflation 2 % ou 3 % ne limite en
rien la capacit des conomies de la zone se dvelopper. Pourtant ni la thorie conomique ni les
19
Calculs effectus sur donnes UEMOA et CEMAC partir des donnes disponibles sur le site de la Banque de France :
https://www.banque-france.fr/eurosysteme-et-international/zone-franc/series-statistiques-de-la-zone-franc.html
20
Dans un article conomtrique assez fouill, Balamine Diane Estimation dune rgle de ciblage dinflation pour la BCEAO , Document
dEtude et de Recherche, BCEAO, mars 2011 (galement dat du 10 dcembre 2010) http://www.bceao.int/IMG/pdf/er22010.pdf, Diane
dfend lide dune prise en compte du taux de croissance dans la dfinition des marges de fluctuations acceptables autour du taux dinflation
optimal. Malheureusement, tout en reconnaissant que linflation rsulte des fluctuations de la production vivrire, en priodes de scheresse
notamment, et des fluctuations des prix des biens imports, son analyse en vient finalement conforter une vision fixiste de linflation cible !
Pour tre cohrent, il faudrait au contraire faire dpendre la cible elle-mme du taux de croissance et, ventuellement, du prix des biens
imports. Il nexiste aucune raison ni empirique ni thorique pour que la cible optimale dinflation soit en tout temps et en tout lieu 3% (ou
comprise entre 1% et 3%), la naturalit nexiste pas en conomie.

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faits historiques ne soutiennent srieusement des poncifs aussi rigides. Il serait possible dobtenir de
meilleurs rsultats au sein du systme CFA sans abattre ses institutions ni mme changer les traits.
Pourquoi diable les marges de manuvre disponibles ne sont-elles pas utilises ? Pourquoi ses
gestionnaires se montrent-ils plus royalistes que le roi en maintenant cote que cote un taux de
couverture quatre ou cinq fois plus important que le seuil-plancher quexigent les traits ?

Conclusion

Compte tenu de linstabilit politique et du manque de lgitimit de certains gouvernements


dans les deux sous-rgions, il est comprhensible que certains, ne souhaitant pas lcher la proie pour
lombre , redoutent quun abandon du systme actuel sans transition ne dbouche sur une monnaie
trop faible sur les marchs internationaux qui induirait une dollarisation ou une nairasation de ces
conomies21. Comme lexplique Jrme Maucourant dans cet ouvrage, la monnaie est en effet un
attribut de la souverainet : il ne faut donc pas exclure lventualit dune dliquescence montaire au
cas o le remplacement du systme actuel devait se faire dans une trop grande imprparation. Dans le
systme actuel, lquilibre externe prime sur lquilibre interne, et tout lenjeu est de faire voluer
cette hirarchie de manire ce que les objectifs internes soient davantage pris en compte sans que
linstabilit montaire ne sinstalle et dtruise les acquis, en termes de coordination rgionale, de
lactuelle coopration conomique et montaire en zones CFA. Ceci passera sans doute un jour ou
lautre par une remise en cause de la fixit de la parit du CFA avec leuro.

Cette question est inextricablement la fois conomique et politique car elle implique
galement celle de la souverainet et, donc, de la rupture plus que symbolique vis--vis de lancienne
mtropole. En attendant, un premier pas pour prparer laprs CFA, tout en rutilisant lexprience en
termes de comptences et dinstances de coordinations, pourrait consister notamment amender la
politique montaire dans le cadre existant de manire utiliser plus largement et plus souplement les
marges de manuvre existantes et qui demeurent depuis trop longtemps inexploites. Ceci passe
galement par un travail de doctrine visant redfinir la stabilit montaire non pas comme un
pralable ou comme une notion en-soi, dfinie de manire absolue et donc dconnecte de tout
contexte macroconomique, mais conditionnellement des objectifs plus larges et plus fondamentaux
en termes de dveloppement et de besoins humains.

Dans tous les cas, la question de ladossement tatique de la monnaie qui succdera au CFA demeure
fondamentale car, au-del des questions de souverainet, les politiques budgtaires 22 et fiscales23

21
Pour un point de vue en termes de bien public sur le CFA et favorable une plus grande indpendance de la BCEAO comme moyen de
maintenir la crdibilit de la politique montaire, cf. Sylvianne Guillaumont Jeanneney (2006) art. cit.
22
Sur la convergence budgtaire en zone CEMAC, cf. Dsir Avom et Daniel Gbetnkom, La surveillance multilatrale des politiques
budgtaires dans la zone Cemac : bilan et perpectives , Mondes en dveloppement 2003/3 (no 123), p. 107-125 et Claude NKodia Les
pactes de convergence en zone franc : quels critres et quels objectifs en zone Cemac ? , Revue franaise d'conomie, 2011/2 (Volume
XXVI), p. 115-148.

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jouent un rle dterminant la fois court terme sur la demande et aussi long terme pour dfinir et
orienter le contenu mme du dveloppement conomique24 et social par les investissements publics, la
politique industrielle et aussi par lducation, la sant, les politiques sociales et toute forme de
redistribution.

Rfrences

Adda, Jacques Quelques remarques sur la parit du franc CFA et l'avenir de la zone franc aprs
Maastricht , Observations et diagnostics conomiques : revue de l'OFCE, n41, 1992. pp. 293-301.

Avom, Dsir et Daniel Gbetnkom, La surveillance multilatrale des politiques budgtaires dans la
zone Cemac : bilan et perpectives , Mondes en dveloppement 2003/3 (no 123), p. 107-125.

Banque de France, Rapports annuel de la zone franc https://www.banque-france.fr/eurosysteme-et-


international/zone-franc/rapports-annuels-de-la-zone-franc.html

Dembele, Demba Moussa Zone franc et sous-dveloppement en Afrique, ARCADE, 2015.

Devarajan, Shantayanan et Dani Rodrik, Do the Benefits of Fixed Exchange Rates Outweigh their
Costs? The Frank Zone in Africa, CEPR discussion papers, n561, 1991
www.cepr.org/active/publications/discussion_papers/dp.php?dpno=561

Diane, Balamine Estimation dune rgle de ciblage dinflation pour la BCEAO , Document dEtude
et de Recherche, BCEAO, mars 2011 (galement dat du 10 dcembre 2010)
http://www.bceao.int/IMG/pdf/er22010.pdf

Gnimassoun, Blaise Msalignements du franc CFA et influence de la monnaie ancre , Economie &
prvision, 2012/2 (n 200-201), p. 91-119.

Guillaumont Jeanneney, Sylviane L'indpendance de la Banque Centrale des tats de l'Afrique de


l'Ouest : une rforme souhaitable ? , Revue d'conomie du dveloppement, 2006/1 (Vol. 14), p. 45-77.

Guillaumont Patrick, et Guillaumont Jeanneney Sylviane, De l'effectivit de la dvaluation des


francs CFA. Quelques enseignements tirs du Cameroun et de la Cte-d'Ivoire , Revue conomique,
48 (3), 1997. pp. 451-460.

Klau, Marc Exchange rate regimes and inflation and output in Sub-Saharian countries, BIS working
papers, n53, 1998 http://www.bis.org/publ/wp53.pdf

23
Pour un tat des lieux sur la convergence fiscale en zone UEMOA, cf. Mario Mansour et Grgoire Rota -Graziosi Coordination fiscale
dans l'Union conomique et Montaire Ouest Africaine , Revue d'conomie du dveloppement, 2012/3 (Vol. 20), p. 9-34.
24
Cette problmatique densemble est aborde de front par Kako Nubukpo, Le policy mix de la zone UEMOA : leons d'hier, rflexions
pour demain , Revue Tiers Monde, 2012/4 (n212), p. 137-152.

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Lelart, Michel L'Union montaire en Afrique de lOuest , L'conomie politique, 2003/3 (no 19), pp.
106-112.

Mansour, Mario et Grgoire Rota-Graziosi Coordination fiscale dans l'Union conomique et


Montaire Ouest Africaine , Revue d'conomie du dveloppement, 2012/3 (Vol. 20), p. 9-34.

Migani, Guia L'indpendance par la monnaie : la France, le Mali et la zone franc, 1960-1963 ,
Relations internationales, 2008/1 (n 133), p. 21-39.

NKodia, Claude Les pactes de convergence en zone franc : quels critres et quels objectifs en zone
Cemac ? , Revue franaise d'conomie, 2011/2 (Volume XXVI), p. 115-148.

Nubukpo, Kako Limpact de la variation des taux dintrts directeurs de la BCEAO sur linflation
et la croissance dans lUMOA , Notes dInformation et Statistiques, n526, Etudes et Recherches de
la BCEAO, juin 2002
http://www.bceao.int/IMG/pdf/L_impact_de_la_variation_des_taux_d_interet_directeurs_de_la_BCE
AO_sur_l_inflation_et_la_croissance_dans_l_UMOA_Nubukpo_KK-_NIS_no_526_de_juin_2002-
.pdf

Nubukpo, Kako Politique montaire et servitude volontaire , Politique africaine 1/2007 (n 105), p.
70-84. http://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2007-1-page-70.htm

Kako Nubukpo, Le policy mix de la zone UEMOA : leons d'hier, rflexions pour demain , Revue
Tiers Monde, 2012/4 (n212), p. 137-152.

Alice Sindzingre Liberalisation, Multilateral Institutions and Public Policies: The Issue of
Sovereignty In Sub-Saharan Africa, Mondes en dveloppement, 2003/3 (no 123), p. 23-56.

Villa, Pierre Dvaluation du Franc CFA et profitabilit lexportation , Economie Internationale,


n58, pp. 33-51.

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