Big Four
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Leur rle est dtre de simples comptables, inconnus du grand public. Et pourtant, ils saffichent
rgulirement, bien malgr eux, en pleine lumire. Dans nombre de scandales financiers et de fraudes
comptables de ces dernires annes, leurs noms apparaissent. Deloitte, Ernst & Young (EY), KPMG
et PriceWaterhouseCoopers (PwC), britanniques ou amricains, sont surnomms les Big Four .
Ces quatre cabinets daudit, prsents dans le monde entier, incontournables dans le monde des
multinationales et de la finance, sont dsormais sur le banc des accuss.
En septembre 2014, le groupe dhypermarchs britanniques Tesco a annonc avoir exagr ses
bnfices dun tiers de milliard deuros, de largent qui sest rvl imaginaire. Ses comptes avaient
pourtant t approuvs et contresigns par PwC. Deux mois plus tard, la presse internationale,
dont Le Monde, a rvl un scandale dvasion fiscale. LuxLeaks dvoilait 548 accords fiscaux au
rabais entre des multinationales et les autorits du Grand-Duch. Leur lien ? Tous avaient t
prpars et ngocis par PwC. En dcembre 2014, en Espagne, Bankia a t accuse lors dun
procs davoir truqu ses comptes de 2011, moins dun an avant dtre sauve par lEtat. Selon les
plaignants, Deloitte, lauditeur, est mis en cause.
Lire aussi : Big Four : des gants financirement fragiles
La liste est loin dtre exhaustive. En 2012, Hewlett-Packard a cri au scandale aprs avoir achet
Autonomy, une entreprise britannique, et dcouvert des irrgularits comptables. Lanne davant,
Olympus a rvl au Japon avoir cach des milliards deuros de pertes. Les Big Four avaient pourtant
accord leur approbation. Et que dire de la crise financire ? Au minimum, les cabinets daudit nont
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rien vu venir des problmes de Lehman Brothers et des autres grandes banques, dont ils avaient
contresign les comptes.
Pour Jim Peterson, professeur la Chicago Law School et luniversit de Cergy-Pontoise, la
multiplication de ces affaires nest pas une surprise. Cest gnralement un indicateur retard de
crise, souligne-t-il. On en a vu beaucoup aprs lclatement de la bulle Internet et a recommence
maintenant.
Comme un cartel
Les Big Four ne sont bien sr pas responsables de la mauvaise gestion dune entreprise, mais force
est de constater quils chouent trop rgulirement dans leur rle de chien de garde de la comptabilit
des entreprises. Linformation aux investisseurs est limite et ils ne garantissent pas suffisamment la
fiabilit des comptes. Aux Etats-Unis, ils affirment simplement que les comptes proposent une vision
vraie et juste de lentreprise.
Lire aussi : Big Four , big trouble
Le procs contre les Big Four ne sarrte pas l. Ils agissent comme un cartel , estime le
concurrent dun petit cabinet daudit. Impossible de les contourner : ils auditent 99 des 100 plus
grandes entreprises britanniques, limmense majorit de celles aux Etats-Unis, toutes les socits du
CAC 40 De fait, les Big Four ne sont souvent que deux ou trois sur le terrain, chacun dominant
certains pays. Au Royaume-Uni, PwC est la grande force dominante. En Espagne, cest Deloitte. En
Allemagne, KPMG a prs de la moiti du march, tandis quil est trs petit en France, o EY est le
leader. A 50 millions deuros laudit pour les plus grosses multinationales, le march est juteux. De
quoi payer les associs une moyenne de un million deuros par an.
Ces cabinets sont aussi devenus les acteurs incontournables en matire de fiscalit des
multinationales
Ces cabinets ne se contentent pas de pratiquer laudit, qui reprsente moins de la moiti de leur
chiffre daffaires. Ils sont aussi devenus les acteurs incontournables en matire de fiscalit des
multinationales. Ce sont eux qui imaginent les mthodes les plus efficaces pour utiliser au mieux les
lgislations des diffrents pays.
Si PwC a t pingl sur LuxLeaks, KPMG a t condamn en 2005 une amende de 450 millions
de dollars (415 millions deuros) aux Etats-Unis pour avoir vendu des produits dvasion fiscale. Aux
Etats-Unis, le Business Roundtable and Financial Executives International, un groupe qui rassemble
150 patrons de grandes entreprises, emploie PwC pour faire pression auprs du milieu politique sur la
fiscalit. Les lois amricaines sur le lobbying rvlent que le cabinet daudit a soulev Washington
les questions de fiscalit internationale, rformes fiscales et comptabilit fiscale .
Les Big Four rpondent quils condamnent lvasion fiscale, et que la planification fiscale est
ncessaire pour de grandes multinationales complexes prsentes dans de nombreuses juridictions.
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Le problme des Big Four est quils pratiquent un lobbying qui est difficile cerner, explique
Tamasin Cave, de lassociation Spinwatch. Quand ils travaillent dans un ministre ou une entreprise,
on ne sait jamais vraiment quel est leur rle, sils font de laudit, du conseil en fiscalit ou du conseil en
politiques publiques
1929, un tournant
Comment en est-on arriv-l ? Au commencement tait le dveloppement de lOuest amricain au
XIXe sicle. Les capitaux finanant les mines et les chemins de fer proviennent en grande partie du
Royaume-Uni. Les investisseurs veulent sassurer que le travail est bien ralis et ils envoient leurs
experts vrifier sur place. Dans les annes 1920, prs de 80 % des entreprises amricaines cotes en
Bourse font faire un audit, sur une base volontaire.
La crise de 1929 marque un tournant : aprs les faillites en masse, de nouvelles rgles financires
sont introduites. La SEC (Securities and Exchange Commission), le gendarme de la Bourse, impose
laudit toutes les entreprises. Mais elle laisse aux entreprises le choix de leurs auditeurs. Pour Prem
Sikka, professeur de comptabilit luniversit dEssex, cest un problme fondamental. Les
cabinets daudit bnficient dun march garanti par lEtat. Ils doivent auditer leurs propres clients,
souvent trs fidles, qui les rmunrent. Cela cre des liens.
Ainsi, le groupe de grande distribution Tesco utilise PwC comme auditeur depuis 1983. Son conseil
dadministration comprend un ancien du cabinet daudit. Quant au patron du comit daudit interne,
Ken Hanna, il a commenc sa carrire Coopers and Lybrand, un cabinet daudit achet ensuite
par PwC. La personne charge de discuter avec lauditeur externe est donc un homme du srail.
Tesco a vers 13 millions deuros PwC pour son rle dapprobation des comptes, mais aussi
4,5 millions de travaux supplmentaires (notamment des conseils fiscaux). De son ct, Barclays a
conserv le mme auditeur, PwC, pendant cent vingt ans. Un appel doffres doit tre lanc cette
anne pour remplacer le contrat initial, sign en 1896 avec Price Waterhouse.
Les Big Four soulignent que ces drives appartiennent au pass. Une nouvelle rgulation
europenne, vote en 2014 et qui va se mettre en place progressivement dans les annes venir,
oblige les entreprises changer son auditeur tous les dix ans. Dix-sept entreprises du FTSE 350 ont
fait un appel doffres pour leurs auditeurs en 2012. Il y en avait trente en 2013, et environ cinquante
en 2014. Nous en attendons soixante-dix cette anne , affirme PwC.
Course la taille
Dans les annes 1980, la mondialisation sacclre, et les multinationales tendent leurs tentacules.
Elles ont besoin de cabinets daudit de plus en plus grands, qui matrisent les normes comptables de
dizaines, voire de centaines de pays. Ceux-ci ragissent en fusionnant les uns avec les autres, dans
une course la taille. Les Big 8 , tous domins depuis les Etats-Unis, deviennent les Big 6
en 1989, avec deux rapprochements gants, crant Deloitte et Ernst & Young. La cration de PwC
une dcennie plus tard les fait passer au Big 5 . Nous ne saurions pas faire laudit dune
entreprise comme HSBC ou GlaxoSmithKline , reconnat un petit concurrent : trop grand, trop
complexe. Seuls ces quatre cabinets, qui comptent prs de 200 000 employs chacun, en ont les
moyens et les comptences.
De plus, la mondialisation de la finance pousse les investisseurs rclamer le tampon dapprobation
des Big Four. On naime pas du tout travailler avec des entreprises qui sont audites selon des
normes locales , explique un banquier daffaires, spcialis dans les prts aux grandes entreprises
dans les pays mergents. Pour lui, la signature des Big Four est un gage de srieux, une marque
reconnue de tous, quil exige.
En 2001, la faillite dEnron a pourtant marqu un tournant. La fraude comptable provoque la faillite du
cabinet Arthur Andersen, ouvrant lre des Big Four. Les autorits amricaines ragissent avec une
nouvelle loi radicale, dite Sarbanes-Oxley. Elle cre une autorit de supervision des auditeurs :
le Public Company Accounting Oversight Board (PCAOB). Cest la fin de lautorgulation de lindustrie.
Mais, tant trs prsents dans toutes les instances financires internationales, les cabinets ont russi
faire voluer les normes internationales en leur faveur. Avec deux objectifs : rendre laudit moins
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coteux raliser, mais surtout viter les poursuites judiciaires. Les normes sont ainsi devenues
beaucoup moins flexibles, et donc moins ouvertes interprtation.
Le modle franais, qui oblige les entreprises utiliser deux auditeurs, est-il une solution ? Aprs tout,
il ny a pas eu de grands scandales comptables depuis longtemps dans lHexagone, mme si le
souvenir du Crdit lyonnais ou de Vivendi prouve que la France nest pas immunise. La situation
franaise permet cependant le dveloppement de cabinets daudit secondaires. Mais les Big Four y
restent incontournables. Pendant longtemps, il existait une blague dans le milieu des auditeurs : Il
est impossible daller lopra Paris sans rencontrer au moins un employ dArthur
Andersen. Aprs la faillite du cabinet, ils ont rejoint en majorit EY (ex-Ernst & Young), qui domine
aujourdhui le march franais