Rap 2010
Rap 2010
Rap 2010
REGULATION
ECONOMIQUE ET
CRITIQUE RADICALE
Rapport final du programme ANR Formes de
mobilisation et preuves juridiques autour des OGM
en France et Europe
Sommaire
Introduction : Les enjeux dune nouvelle description de la trajectoire politique
des OGM en France et en Europe ...........................................................................4
Premire partie : Chronologies et priodisations dun dossier complexe ............ 16
Chapitre 1 : La mise en place des cadres dune industrialisation rgule ....... 21
Chapitre 2 : De lalerte au soja transgnique la mobilisation gnrale ........ 35
Chapitre 3 : Les OGM et lapprentissage de la dmocratie dlibrative.......... 46
Chapitre 4 : Les OGM et la malbouffe. Lre de la performance
altermondialiste ..............................................................................................66
Chapitre 5 : Think global, act local ................................................................... 79
Chapitre 6 : Les faucheurs volontaires, ou limpossible coexistence des mondes
...........................................................................................................................96
Chapitre 7 : Du Grenelle de lenvironnement la loi ..................................... 113
Chapitre 8 : Aprs la loi : comment civiliser les radicalits ? ......................... 127
Deuxime partie : Controverses publiques et logique de conflit ........................ 137
Chapitre 9 : La critique radicale et la dsobissance civile ............................ 138
Chapitre 10 : Le procs comme forme de mobilisation ................................... 164
Chapitre 12 : Emprises conomiques et figures du complot ........................... 204
Chapitre 13 : Lespace europen et le modle de la coexistence ..................... 231
Troisime partie : Ouvertures davenirs et visions du futur .............................. 246
Chapitre 14 : Le bio, bien collectif ou valeur universalisable ? ...................... 247
Chapitre 15 : Scnarios et visions du futur .................................................... 268
Chapitre 16 : 2010, poursuite de la normalisation ou nouveau cycle du conflit ?
.........................................................................................................................299
Conclusion ........................................................................................................... 319
Remerciements
Cette recherche a t finance par lappel projet de lANR OGM 2006. Elle a
rellement dbut en janvier 2007 et a bnfici dun dlai supplmentaire
permettant un minimum de recul sur un dossier srieusement agit au cours des
annes 2007 et 2008. Nous remercions les membres du support INRA de lANR
pour leur appui dans la gestion de la convention.
Parmi les nombreux interlocuteurs qui ont contribu la discussion et
lvolution de nos travaux sur le dossier des OGM, nous sommes
particulirement redevables Soraya Boudia, Josquin Debaz, Marianne Doury,
Matthieu Fintz, Jean-Michel Fourniau, Jean Foyer, Alain Kaufmann, Claire
Lamine, Antoine Messan, Sheila Jasanoff, Bernard Kalaora, Sylvain Lavelle,
Jacques Testart et Benot Vergriette.
Enfin, nous tenons remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont
particip cette recherche, pour les informations quelles nous ont fournies et le
temps quelles nous gnreusement ont accord lors des entretiens.
Ce rapport peut tre tlcharg et, en cas dutilisation, cit sous la forme
suivante :
F. Chateauraynaud (dir), Les OGM entre rgulation conomique et critique
radicale, Rapport du programme OBSOGM, ANR OGM, Paris, GSPR, novembre
2010.
Une version revue et corrige donnera lieu la publication dun ouvrage fin
2011.
FRANCE ET EN EUROPE
OGM
Depuis le milieu des annes 1990, les OGM occupent une des premires places
dans la hirarchie des objets de controverses. Si les grandes lignes de fracture
sont connues, laccumulation dvnements, dtudes, de mobilisations, de dbats
publics et de dcisions a engendr un cheveau dacteurs et darguments
inextricable. Face une telle srie dpreuves qui, dans le cas franais,
senchanent depuis 25 ans, les meilleurs spcialistes admettent une vidente
difficult resituer clairement les vnements et les processus. A moins de sen
tenir la vision simplifie dune lutte entre deux camps opposs, la
multiplication des versions et des contributions cre une vive tension cognitive
et lappropriation raisonne du dossier est loin daller de soi. Dautant que la
question des plantes transgniques est, fin 2010, encore et toujours la croise
des chemins. Si pour certains protagonistes tout a t dj dit, tous les possibles
argumentatifs ayant t balays peut-tre mme au double sens -, pour
dautres, cest un sentiment dindtermination qui simpose. On voit galement
se former un point de vue plus radical pour lequel la trajectoire des OGM en
Europe ne fait quamorcer des conflits durables autour des enjeux conomiques
et technologiques du XXIme sicle. Au niveau europen, cest pour le moins un
constat de blocage qui prvaut 1. Apparaissant tout tour comme un gisement de
promesses technologiques pour lagriculture et lalimentation, puis comme une
source dalertes environnementales et dinquitudes sanitaires, embrayant sur
une suite indite de querelles dexpertises, transform le temps de quelques
dbats en laboratoire pour la dmocratie dlibrative, puis en cause politique,
contraignant enfin les autorits innover en matire de rgulation
technologique tout en jonglant avec de multiples chelles (du local au global, de
lEurope aux rgions, des Etats lOMC), le dossier des OGM semble avoir
satur lensemble des formes dexpression publique disponibles. En reprenant
lhistoire politique des OGM, nest-on pas du mme coup condamn
paraphraser ou rpliquer des descriptions et des analyses largement
banalises ?
Les enqutes menes sur dautres grands dossiers de controverse ou de conflit,
suivis pendant plusieurs annes voire plusieurs dcennies, comme lamiante, le
nuclaire, les pesticides, les nanotechnologies ou la tlphonie mobile, ont
montr que la saturation des arnes publiques nest pas synonyme de clture et
que des dplacements et des ruptures sont toujours possibles. Si les acteursauteurs ont une propension certaine la rptition, dans le but de tenir
durablement leurs positions et de transformer les rapports de forces, la plupart
des interventions passent par des dispositifs dexpression dont on ne peroit pas,
1
AFP, L'Europe agricole refuse un systme de cultures OGM la carte , 27 septembre 2010.
de loin, les mises en variation. Ds que lon regarde de plus prs, le sentiment de
rptition cde videmment la place la perception de mille nuances et de
subtiles diffrences. On aura par exemple du mal rduire les activits du tout
rcent Haut Conseil aux Biotechnologies (HCB) celles de la dfunte
Commission du Gnie Biomolculaire (CGB), ou encore sous-estimer les points
dinflexion provoqus par des vnements aussi marquants que la Confrence de
Citoyens de 1998, lavnement du collectif des Faucheurs volontaires au cours de
lanne 2003 ou encore le Grenelle de lenvironnement en 2007. Avec
lenchanement des vnements et des dispositifs, lentre de nouveaux acteurs
et les changements de rgime politique, les mmes notions, les mmes positions
ou oppositions nont plus tout fait le mme sens. Ce phnomne senregistre
aussi sur le plan lexical : on ne parle plus du tout des OGM aujourdhui comme
il y a 10 ou 15 ans. Pourtant, une des lois classiquement observes par la
statistique textuelle est celle de la tendance au figement des thmes, des
noncs et des figures au fil du temps 2. Cette loi a t radicalement reformule
par Mandelbrot qui a montr comment des vnements extrmes peuvent, dans
certains cas, devenir plus probables que les vnements normalement
attendus 3. La loi de chute tendancielle du nombre dlments nouveaux subit
en tout cas de srieux amendements dans le cas des affaires et des controverses
de longue dure. En outre, lide dune stabilit des entits au fil du temps est
elle-mme discutable : les mmes thmes et personnages changent daspect au
fil des configurations, et, aprs la loi de 2008, un faucheur dOGM ne ressemble
plus du tout au faucheur de 1999. Dailleurs, lassemble nationale, Nol
Mamre scrie en 2008 : nous ne sommes pas des voyous mais des lanceurs
dalerte ! 4 . Il en va ainsi de multiples entits, comme les agriculteurs, les
semenciers, les chercheurs, les experts ou les citoyens. De surcrot, les
vnements et les rsolutions passs sont rinterprts au fil des preuves
publiques, dans des arnes qui voluent et se renouvellent de manire
inattendue, en suivant des processus complexes dont aucun acteur ne peut
srieusement prvoir la trajectoire finale moins de confondre la balistique
subjective - les objectifs viss - et la balistique objective -la trajectoire
accidente, riche en rebondissements, ruptures et bifurcations que dcrit tout
processus politique de longue haleine.
Le contexte gnral dans lequel les protagonistes, et les observateurs, plongent
les volutions dun dossier peuvent en changer radicalement le sens : il peut
sagir, par exemple, de montrer quun rgime de modernisation cologique
Sans rouvrir ici de vieux dbats autour de la statistique textuelle, rappelons que de nombreuses
approches quantitativistes des textes se rfrent encore la fameuse loi de Zipf, laquelle tablissait une loi
de distribution fournissant une mesure de ltendue du vocabulaire dun scripteur dtermin. Si lon
considre quun dossier comme celui des OGM est une sorte de grand texte crit collectivement au fil du
temps, une application de la loi de Zipf tendrait prvoir la baisse continue du renouvellement du
vocabulaire et le figement des carts entre les principaux thmes du dossier. Comme on va le montrer
travers lexercice de priodisation et danalyse smantique effectu pour cette recherche, cest compter
sans le pouvoir reconfigurateur des vnements et du sens que leur donnent des acteurs dont la stabilit
dans le temps est elle-mme sujette variation sinon caution.
3 B. Mandelbrot et R. Hudson, Une approche fractale des marchs, Paris, Odile Jacob, 2005.
4 Voir InfOGM, Faucheurs : Voyous ou lanceurs dalerte ?, Juillet 2008.
2
Une des sources majeures pour saisir la premire mise en politique des OGM en France est forme par
le rapport coordonn en 1990 par le dput Daniel Chevallier pour lOffice Parlementaire dEvaluation
des Choix Scientifiques et Technologiques, rapport sur lequel nous reviendrons plus longuement dans la
premire partie. Voir D. Chevallier, Rapport sur lapplication des biotechnologies lagriculture et lindustrie
agroalimentaire, 12 dcembre 1990.
U. Beck, Pouvoir et contre-pouvoir lre de la mondialisation, Paris, Flammarion, 2003 ; U. Beck, World at Risk,
Cambridge, Polity Press, 2009.
Les usages conomiques et juridiques des outils de certification ont dj une longue histoire. Sur la
manire dont de nouvelles instances ont dplac une partie de la rgulation du public vers le priv,
travers les dispositifs lis au dveloppement durable, dont limpact sur les pratiques agroalimentaires fait
lobjet de multiples tudes, voir M. Hatanaka, C. Bain et L. Busch, Third-party certification in the global
agrifood system , Food Policy 30, 3005, p. 354-369. Notons, par ailleurs, quun des derniers documents
introduits dans le corpus tudi est le rapport parlementaire qui confirme le dveloppement dune forme
dincertitude juridique chronique quant lapplicabilit des lois : voir le Rapport dinformation des
dputs Antoine Herth et Germinal Peiro sur le contrle de l'application de la loi n 2008-595 du 25 juin
2008 relative aux organismes gntiquement modifis, Commission des Affaires conomiques, Assemble
Nationale, 7 octobre 2010.
Lorsque cette recherche collective a commenc, fin 2006 - dbut 2007, le conflit
entre pro- et anti-ogm atteignait une forme dapoge, contraignant tous les
acteurs politiques prendre position les OGM ayant pleinement particip la
campagne lectorale du printemps 2007. La loi de 2008 a ainsi t dbattue et
vote en plein milieu de la recherche, transposant en droit franais, aprs moult
pripties et bien des spcificits, la fameuse directive europenne 2001/18 du
13 mars 2001 (qui abrogeait la directive 90/220). En juin 2008, la France
disposait enfin dun cadre juridique rnov pour faire face aux dissminations
volontaires dOGM dans lenvironnement. Beaucoup dacteurs ont alors cru que
la guerre des OGM tait termine. Deux ans plus tard, peu dobservateurs
prendraient le risque de confirmer la fin des hostilits. Cest plutt une
propension inverse qui se manifeste dans la priode rcente, avec louverture de
nouvelles polmiques et preuves de forces. Quand, fort de sa matrise des
cadres institutionnels, on avance que tous les arguments ont t poss sur la
table, que tous les enjeux et les dsaccords ont t clarifis, on a tendance
oublier la capacit des acteurs relancer des processus critiques et changer le
sens politique des rgles et des instances charges de veiller leur application.
Des exemples se multiplient qui viennent dj brouiller les cartes ou les
redistribuer : on peut penser par exemple la nouvelle alerte lance aux EtatsUnis suite une tude sur la dissmination du colza dans le Dakota du Nord et
au saccage de lessai sur la vigne Colmar en aot 2010 9. Autrement dit,
lhistoire des OGM, parce quelle redouble celle de nos dmocraties, reste
compltement ouverte. Argument qui donne au moins loccasion de citer Claude
Lefort :
Tant que l'aventure dmocratique se poursuit et que les termes de
la contradiction se dplacent, le sens de ce qui advient demeure en
suspens. La dmocratie se rvle ainsi la socit historique par
Le fait de dclarer avec autorit la fin dune controverse fait partie des
manuvres rhtoriques, et le chercheur qui entend les analyser ne peut
souscrire sans recul ce qui nest quun point de vue parmi dautres 11. Quand
Une tude avance que 86 % des plants de colza prlevs le long des routes de Dakota du Nord, prs de
la frontire canadienne, sont porteurs d'au moins un gne de rsistance un herbicide. Voir Greenpeace,
OGM incontrlables : Le cauchemar continue aux tats-Unis , 11 aot 2010. Sur le fauchage des pieds
de vigne exprimentaux sur le court-nou Colmar, voir le communiqu de lINRA : Le volet OGM
d'un programme de recherche de l'Inra saccag , 18 aot 2010. Lanalyse de ces vnements
potentiellement reconfigurateurs figure la fin du rapport.
10
C. Lefort, Essais sur le politique : XIXe et XXe sicles, Paris, Seuil, 1986.
Sur le rapport entre argumentation, rhtorique et ajustement stratgique, voir, F. H. van Eemeren,
Strategic Maneuvering in Argumentative Discourse, Amsterdam, Benjamins, 2010.
11
Initie par les tudes sociales des sciences anglo-amricaines, lanalyse des controverses fait figure
aujourdhui doption lmentaire de lenseignement des sciences sociales et des sciences politiques. Un
bon indice de banalisation est form par la manire dont les historiens, la recherche de nouvelles voies
de retotalisation de leurs objets aprs la fin de la micro-storia, se sont empars de la problmatique des
affaires et des controverses. Voir Comment on se dispute. Les formes de la controverse , Mil Neuf Cent,
25, 2007 ; N. Offenstadt, L. Boltanski et alii (dir), Affaires, scandales et grandes causes. De Socrate Pinochet,
Paris, Stock, 2007.
13 On prend souvent comme exemple le cas dun ouvrage consacr la sret nuclaire publi quelques
semaines avant laccident de Three Mile Island aux Etats-Unis ou celui dun essai qui annonce la fin de la
responsabilit pour faute au dbut des annes 1980 alors que sentrechoquent dj les ingrdients de
laffaire du sang contamin Plus rcemment, quelques temps avant le sommet rat de Copenhague, des
experts affirmaient, assurs, quil ny avait plus de vritable polmique sur le changement climatique. Sur
ce qui les jeux de pouvoirs qui se sont dvelopps entre les sommets de Bali et de Copenhague, voir E.
Pooley, The Climate War. Power Brokers, and the Fight to Save the Earth, Hyperion, 2010.
14 Voir Attac, Les OGM contre la socit, Mille et une nuits, 2005.
12
A. Lowenhaupt Tsing, Friction. An Ethnography of Global Connection, Princeton University Press, 2005.
10
parties. Dune manire gnrale, il semble quil y ait deux stratgies principales
pour construire une boucle rflexive comprenant les sciences sociales : appliquer
systmatiquement tous les textes et les noncs, quel que soit le statut de leur
producteur, une mme sociologie argumentative, entendue comme tude de la
naissance, de la carrire et de la disparition ou de la banalisation des
arguments. De ce point de vue les textes de sociologie, de science politique, de
socio-conomie ou de science de la communication qui sattaquent au dossier des
OGM font partie intgrante de lobjet dtudes cest dautant plus ncessaire
que les lignes de partage entre le descriptif et le normatif nont de cesse de
bouger au fil des preuves. On en veut pour preuve la place centrale occupe par
les citoyens et les personnes ordinaires dans le corpus des textes issus des SHS
(voir annexe) : certes, les chercheurs en SHS ne font que rpondre une
demande frquente, qui consiste clairer les parties prenantes et les autorits
sur l opinion , la contestation ou la mobilisation des citoyens, mais en
lespce la question du sens de la dmocratie technique ou de la dmocratie
participative a t un leitmotive. Du mme coup, au-del de la simple
restitution des jeux darguments drains par les sciences sociales, il faut tudier
en dtail lvolution du rapport aux acteurs et plus particulirement : quels
types de position les chercheurs adoptent-ils par rapport aux parties prenantes.
Sagit-il seulement dclairage ou dinstrumentalisation ? Une autre approche
peut prendre la forme du dvoilement des rseaux et des communauts
pistmiques voire des collges invisibles en cherchant cartographier les
experts en sciences sociales : il suffit dappliquer des mthodes danalyse
bibliomtriques et de les reprsenter sous forme de cartes de liens. Dans ce
rapport, cest la premire stratgie qui a t retenue.
Quelques cls de lecture relatives au plan du rapport
Le rapport expose les grandes proprits des corpus tudis, en rpondant une
triple problmatique : lvolution des objets de controverse et, conjointement, des
modes de protestation, la manire dont la pluralit des formes juridiques est
utilise et produite par les acteurs, et les jeux entre les diffrentes chelles, jeux
rendus possibles par la dimension cosmopolitique de la guerre des OGM .
On a choisi de dbuter par une priodisation permettant de saisir de manire
dtaille les grandes phases du dossier. La premire partie du rapport redploie
ainsi lensemble des preuves marquantes et des processus de transformation
qui ont engendr la trajectoire particulire des OGM en France, en interaction
continue avec lchelle europenne. Au fil des priodes, on voit se former des
points dirrversibilits et sapprofondir ce quil faut bien appeler un diffrend.
Grer ou clore un conflit qui ne cesse de sapprofondir suppose de renoncer
lorientation vers laccord et le consensus, de prendre acte de lexistence dun
profond dsaccord (deep disagreement 23) et de chercher avant tout les moyens
Sur la notion de deep disagreement dans le monde anglo-amricain voir A. Lugg, Deep
Disagreement and Informal Logic : No Cause for Alarm , Informal Logic, Winter 1986. Lugg rpond un
article de R. Fogelin, The Logic of Deep Disagreement publi en 1985 dans la mme revue. Pour
23
11
Fogelin : Deep disagreements cannot be resolved through the use of argument, for they undercut the
conditions essential to arguing.
24 F. Chateauraynaud, Des disputes ordinaires la violence politique. L'analyse des controverses et la
sociologie des conflits , in L. Bourquin et Ph. Hamon (dir.), La politisation. Conflits et construction du politique
depuis le Moyen ge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 91-108.
25 M. Dascal, Types of polemics and types of polemical moves, in S. Cmejrkova et al. (eds.), Dialogue
Analysis VI, 1, Tbingen, Niemeyer, 1998, p. 15-33.
12
Compte
dissmination
tenu
de
incontrlable,
la
la
nature
des
coexistence
OGM,
des
de
cultures
leur
est
franais .
Si, aprs le vote de la loi, le dossier est pass quelques temps en mode plutt
silencieux, silence imput par les uns aux engagements produits par le Grenelle
de lenvironnement liant des ONG comme Greenpeace ou France Nature
Environnement des dispositifs de concertation et de dcision, et par les autres
au retard de publication des textes dapplication repoussant plus tard la
reprise des hostilits en tablant sur un processus de dmobilisation, la guerre
OGM na pas fini de dfrayer la chronique. En sen tenant dans la premire
partie du rapport lanalyse du processus qui a conduit la loi de 2008 et la
priode de calme relatif qui se prolonge jusquen 2009, on sinterdit dextrapoler
La logique de la controverse a toujours eu partie lie avec la tradition polmique, de sorte que les
basculements entre dbats sur les arguments, les faits et les mthodes dun ct, et conflits de personnes,
de groupes et de valeurs de lautre, sont pour ainsi dire programms dans les cadres de largumentation
publique. Voir M. Angenot, Dialogues de sourds. Trait de rhtorique antilogique, Paris, Mille et une nuits, 2008.
26
13
et de relire les sries passes laune des derniers vnements qui font lobjet
dun traitement spar.
Le basculement dune logique de controverse, sous-tendue par une qute de
consensus, une logique de conflit, marque par une orientation explicite des
acteurs vers le dsaccord, conflit qui redouble la critique du capitalisme
mondialis dont la firme Monsanto devient le prototype, occupe lessentiel de la
deuxime partie, avec une incursion profonde dans la srie des preuves
juridiques. On va voir comment le droit a fonctionn comme ressource et comme
objet de lutte le cas des OGM illustrant parfaitement lide des illgalits
cratrices de droit . Dans le cadre europen, cest la mise en place du modle de
la coexistence qui retient notre attention, dispositif de compromis, qui sinscrit
dans de nombreux textes et dispositifs mais ne rduit pas pour autant le conflit.
La deuxime partie du rapport prend ainsi une allure moins linaire et bien plus
analytique. Si tout forme systme, il convient de regarder plus en dtail les
diffrentes dimensions du conflit : la dsobissance civile et la logique plus
offensive que dfensive dveloppe devant les tribunaux, les tensions
pistmiques rvles par le choc des paradigmes autour des sciences du vivant,
les formes de dnonciation de lemprise conomique et les rapports complexes
entre les jeux dacteurs nationaux et lespace politique europen, notamment
autour de la coexistence. Pour les acteurs de terrain, la formule politique de la
coexistence des cultures OGM et sans-OGM, dveloppe trs tardivement (
partir de 2003), ne repose sur aucun compromis acceptable. De multiples acteurs
dnonant un processus de colonisation fond sur la technologie et le march,
via lartificialisation et la privatisation du vivant, les tentatives pour projeter le
dossier dans le modle de la dmocratie technique ou de la gestion
participative des innovations technologiques sont traits comme des checs
et sont parfois dnonces par des militants comme des tentatives de
manipulation 27. Les formes daction et de protestation suscites par les OGM
composent un laboratoire pour lvolution des rapports entre force et lgitimit
travers le droit - dautant que ce dossier tmoigne de lincompltude du droit
confront au problme de hirarchisation des normes (libre choix du
consommateur, biodiversit, scurit sanitaire et environnementale, normes
commerciales, droits de proprit industrielle ...).
Dans la troisime partie, on va sintresser aux ouvertures davenir et aux
visions du futur draines par le conflit des OGM. Trois chapitres vont permettre
dexaminer les modalits dengagement du futur. On regarde dabord la manire
dont lagriculture biologique a surgi puis sest installe comme horizon pour de
multiples acteurs uvrant en faire un bien collectif. La manire dont
lagriculture bio est engage dans le dossier, avec une nette intensification au
cours des dernires annes, du fait des volutions de la filire, constitue une
autre manire de concevoir lhistoire politique des OGM, et permet de montrer
comment la conflictualit peut servir de terrain au renforcement dun nouveau
27 P.-B. Joly, C. Marris et M.-A. Hermitte, A la recherche d'une "dmocratie technique". Enseignements
de la Confrence Citoyenne sur les OGM en France. , Nature, Science et Socit, 11(1), 2003, p. 3-15.
14
bien collectif du fait mme des efforts mens par de nombreux acteurs pour en
relativiser la porte. On se concentre ensuite sur les diffrentes visions du futur
et le type dhorizon temporel dvelopp par les acteurs dans leurs rcits et leurs
arguments. Enfin, on revient sur les derniers pisodes (ceux de lanne 2010) et
sur la manire dont ils valident, ou invalident les descriptions et les analyses
poses prcdemment. Un des enjeux de ce dernier point est moins de jouer au
visionnaire que de montrer comment la mise en rapport de ce qui a t engage
dans les sries passes et de ce qui est remis en jeu dans les sries prsentes est
une des conditions de possibilit danticipations plausibles ou ralistes. Par
dfinition, cette priode tait largement indtermine au moment de la
rdaction du projet initial, ce qui plaide en faveur de la mise en place doutils
capables la fois de poursuivre lanalyse et de confronter les nouvelles
configurations lensemble des sries passes linstrument ayant cet avantage
cognitif sur la plupart des acteurs davoir une mmoire moins slective, mme si
cet avantage devient sans doute un inconvnient sur le versant politique.
Si les aspects mthodologiques et techniques de cette recherche sont renvoys en
annexe, ils constituent une partie essentielle puisque les analyses livres dans le
rapport se doublent de lexistence dun corpus numrique dont larchitecture a
t conue pour permettre de nouvelles investigations. A travers la mise en
commun des corpus et des outils danalyse, cette recherche collective a non
seulement engendr un important corpus, directement consultable via des outils
informatiss, mais aussi un espace coopratif permettant de multiples
interlocuteurs de lancer de nouvelles enqutes, de proposer des grilles danalyse
et dorganiser des controverses. Cest l un dplacement pistmique important
vis--vis du mode traditionnel daccumulation o les rapports, les articles et les
ouvrages se succdent, apportant bien sr en chaque cas des donnes et des
clairages nouveaux, mais posant le problme de leur juxtaposition ou de leur
remobilisation : ici, outre les analyses proposes dans ce rapport, on peut revenir
aux corpus et tracer des chemins interprtatifs indits, voire mme prouver des
formes de raisonnements contrefactuels. Destin suivre en toute indpendance
lensemble des acteurs, de prendre au srieux tous les arguments et de consigner
les vnements marquants du dossier, ce dispositif naura pas vocation
trancher entre un impratif de consensus ou la ncessit dun dsaccord
partage que lon voit se rengendrer sur de multiples dossiers marqus par la
lutte entre des anti et des pro (e.g. le nuclaire et les nanotechnologies). Il
fonctionnera plutt comme un outil collectif permettant, partir de sources
ouvertes, lexplicitation des points daccord et de dsaccord, et favorisant par la
mme la rappropriation de lpaisseur du dossier, de ses enjeux passs,
prsents et futurs, par les nouvelles gnrations, aussi bien de chercheurs que
de citoyens.
15
28
16
politico-mdiatique. Mais il est clair que la matrise des bonnes temporalits est
ncessaire pour avoir une intelligence du dossier. Ainsi, lorsque lon parle de
Confrence de citoyens , de Monarque ou de Seattle , on suppose quun
acteur comptent est capable dassocier ces entits dautres entits, de pouvoir
en rsumer les enjeux, et de les lier des moments forts de lhistoire politique
des OGM, c'est--dire encore des effets prcis sur lvolution du dossier. Du
mme coup, il ne peut y avoir une seule priodisation, valable pour tous les
points de vue et pour toutes les formes dinvestigation. Dans ce qui suit, trois
logiques de priodisation sont constamment en jeu, et parfois en tension : le
temps des acteurs, qui change selon les scnes daction et de discussion ; une
priodisation sociologique destine saisir la longue srie de transformations et
qualifier les diffrentes phases des controverses et des mobilisations ; une
priodisation juridique qui prend en compte la spcificit des multiples sources
du droit particulirement luvre dans le cas des OGM, dont on peut dire
quil sagit dun dossier forte juridicit.
La priodisation dun corpus permet de saisir des basculements que les acteurs
eux-mmes nidentifient pas forcment comme tels, surtout lorsque leur propre
priodisation est lie leur point de vue sur ce dossier et leur trajectoire. Il est
possible de construire lhistoire des OGM en confrontant les diffrents points de
vue individuels sur le dossier. Mais afin dviter une forme de perspectivisme se
contentant de collecter une srie de versions diffrentes, nous prenons le parti
de mobiliser des outils de description plus formels partir du corpus constitu
autour des OGM. Lintrt dune priodisation partir des outils socioinformatiques nest pas tant doprer une sorte de rupture avec le sens commun
des acteurs que de donner une vision globale des preuves marquantes au fil
desquelles se sont constitues les lieux communs du dossier comme les
diffrences de points de vue. Le second intrt dune priodisation socioinformatique est de pouvoir tre r-actualise, en permettant un suivi continu
du dossier, comme on le verra propos de la priode la plus rcente rassemblant
des textes de lanne 2010. Au total la priodisation propose ici donne une
interprtation thorique du dossier, tout en accrochant cette interprtation des
formes de mesures objectives et partageables, tout en assurant le suivi continu
du dossier et de ses volutions 29.
Les mobilisations collectives autour des OGM ont jou un rle dcisif dans
lvolution du dossier, y compris dans ses dimensions juridiques, lequel ne
constitue donc pas proprement parler une controverse scientifique , ni une
alerte ou une affaire (mme si comme on le verra ces lments
apparaissent et jouent un rle), mais plutt un conflit politique de longue porte
marqu par des preuves de forces et des polmiques ( polmique tant
entendu au sens fort, ou tymologique du terme qui a trait la guerre ). Au
Pour un prolongement de la discussion sur la reprsentation temporelle des corpus, voir F.
Chateauraynaud et J. Debaz, Retrouver le temps des acteurs dans le temps des corpus , Socio-informatique
et argumentation, mars 2010, http://socioargu.hypotheses.org; F. Chateauraynaud, La machine qui
prfrait remettre lactualit en histoire , Socio-informatique et argumentation, avril 2010,
http://socioargu.hypotheses.org.
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17
30 Compar dautres enjeux de la socit du risque , le cas des OGM est plac par les acteurs sous un
rgime de violence , violence toujours attribue la vision du monde ou au projet des autres . De
fait, les mobilisations autour des OGM ont contribu au renouveau de la critique radicale qui marque la
socit civile depuis plus de dix ans et produit des effets sur dautres dossiers cest le cas par exemple du
refus de prlvement dADN, ou plus rcemment du blocage des dbats sur les nanotechnologies. La
critique radicale se construit sur un modle dincommensurabilit des forces entre les protagonistes, ce qui a des
consquences sur les mots dordre et les stratgies de mobilisation collective, vcue par certains acteurs
comme des actes de rsistance, voire dhrosme, mais aussi sur les argumentations qui prennent la forme
des dialogues de sourds analyss par Marc Angenot (Dialogues de sourds. Trait de rhtorique antilogique,
Paris, Mille et une nuits, 2008).
31 A moins de prendre un point de vue cosmopolite traitant les Etats comme des paramtres dans un jeu
dacteurs internationaux ou transnationaux, on ne peut gure liminer le poids du cadrage national du
dossier des OGM. En effet, alors que dans certains pays, comme les Etats-Unis ou lEspagne, les OGM se
sont dvelopps grande chelle sans grande difficult du moins jusqu ce jour - et apparaissent avant
tout comme une forme de progrs scientifique et technique, dans dautres pays, comme la France ou
lAutriche, les OGM reclent une forme de violence politique que lEtat et / ou la socit civile sont
appels combattre. Dans dautre pays encore, comme la Roumanie, les OGM se dveloppent en tant
quasiment ignors du public et en tout cas absents de la scne politique nationale.
32 Alexis Roy a, au dbut des annes 2000, tent de dgager une description neutre des controverses
autour des plantes transgniques. Mais rapidement, comme le montre dailleurs explicitement la prface
signe par Jean-Yves Le Daut, la description est elle-mme prise dans le conflit (voir A. Roy, Les experts
face au risque : le cas des plantes transgniques, Paris, Puf, 2001). Cest limpossibilit de rester neutre, ct ou
en surplomb des jeux dacteurs, qui a stimul de multiples interventions sociologiques. Inspires des liens
dynamiques entre les Sciences Studies et les modles de dmocratie participative, elles ont marqu
lhistoire du dossier. Voir la longue srie de travaux et dinterventions de Pierre-Benot Joly et ses
collgues, de nouveau au cur de la nouvelle polmique cre en aot 2010 par laction de destruction de
lessai sur les vignes Colmar.
33 Une nouvelle priode ne met pas ncessairement fin aux enjeux ou dbats propres la priode
prcdente. Elle fait seulement apparatre des choses qui taient absentes auparavant et voit se modifier la
carte des acteurs et des arguments les plus saillants.
18
Intervalle
Smantique
Priode 0
01/1974 - 07/1986
Priode 1
07/1986 11/1996
Priode 2
11/1996 11/1997
Priode 3
11/1997 08/1999
Priode 4
08/1999 04/2001
Priode 5
04/2001 11/2003
Priode 6
11/2003 06/2007
Priode 7
06/2007 06/2008
Du Grenelle la loi
Priode 8
06/2008 12/2009
Priode 9
01/2010 ->
Nouveaux rebondissements
N.B. La numrotation des priodes dbute avec une priode 0 qui est, pour linstant, hors du
champ des analyses socio-informatiques. Les archives numriser sont en effet considrables et le
projet dvelopp ici concernait avant tout le dveloppement des controverses publiques autour des
OGM. Cela nempche videmment pas daller y puiser des sources et des informations.
34
19
35
Cela ne signifie bien entendu pas quun tel vnement ne pourrait pas survenir.
20
21
La priodisation sociologique a conduit traiter dans une seule et mme priode la deuxime moiti des
annes 1980 et la premire moiti des annes 1990. Du point de vue juridique cette priode est coupe au
moins en deux avec la directive de 1990 qui conduit la loi de 1992.
37 Par exemple, Marie-Angle Hermitte donne une confrence dans un centre Leclerc Tarbes en 1989
sur le droit du vivant et un article est publi dans la revue LAne la demande de Jacques-Alain Miller
38 Sgolne Royal, alors ministre de lenvironnement, est le rapporteur devant le parlement, dveloppant
une vision pacifique des OGM.
39 Voir D. Chevallier, Rapport sur lapplication des biotechnologies lagriculture et lindustrie agroalimentaire, 12
dcembre 1990. Ce rapport comprend quatre volets, qui vont par la suite se rvler tre les points
centraux des controverses : le premier volet est consacr aux proprits intellectuelles, le deuxime aux
risques et le troisime la diversit biologique. Un quatrime volet aborde les consquences conomiques
de lessor des biotechnologies. Le second rapport Chevallier sintitule Rapport sur la biodiversit et la
prservation du patrimoine gntique, 20 mai 1992. Dans le corpus, la premire apparition de Daniel
Chevallier, alors dput des Hautes-Alpes (PS) a lieu au printemps 1991. Voir Le Monde, Les applications
des biotechnologies l'agriculture Un rapport parlementaire propose la cration d'un observatoire
mondial des quilibres biologiques , 18 avril 1991.
36
22
ils n'avaient pas tort. On s'est mis focaliser sur les OGM alors que
tous les problmes taient prexistants, largement.
Entretien, fvrier 2009
23
43 La Directive 90/219 du 23 avril 1990 rglemente quant elle lusage des OGM en milieu confin, pour
la recherche en laboratoire en particulier.
44 Entretien avec Apoteker : Parce que l on est vraiment entre la directive europenne 90/220, qui a t
la premire directive donner les conditions d'autorisation des OGM, sa traduction dans la loi de 92. Et
ce dont je me souviens, alors quand je dis que a ne quittait pas les cercles de Greenpeace, il y avait
d'autres associations, on rflchissait et on ne rflchissait pas uniquement dans notre coin. Mais ce n'tait
pas ce qu'on appellerait aujourd'hui une campagne, c'tait une rflexion interne. [] Mais on avait une
rflexion dj, on avait une unit scientifique, et ce dont on s'est rendu compte c'est la fois le niveau
dans lequel on allait, jusqu'o on allait dans la manipulation. La fabrique mme du vivant, donc forcment
a pose de nouvelles questions. Le fait que ce soit un nouveau type de pollution et ventuellement d'un
patrimoine gntique et donc d'une pollution qui peut se multiplier elle-mme, et qui cause de a est
sans doute irrversible, a nous a fait trs vite ... Un petit groupe, un certain nombre d'entre nous.
(entretien, 9 fvrier 2009).
45 Voir M.-A. Hermitte et C. Noiville, La dissmination des organismes gntiquement modifis
dans l'environnement, une premire application du principe de prudence , Revue juridique de
l'environnement, 3, 1993.
24
25
572
Environnement@
412
ETAT-CENTRAL@
410
EUR-INSTITUTIONS@ 296
dissmination
utilisation
253
233
CHERCHEURS@
directive
208
recherche
risque@
206
198
march
192
produits
185
plantes
176
informations
article
167
163
autorisation
142
gnie gntique
Dcret
220
140
134
EUR-ETATS-MEMBRES@ 134
techniques
127
EUR-UNION@
123
N.B. Etant donn le nombre de textes relativement faible pour la priode (71), il est probable quil y ait
un effet li la prsence des deux directives, qui sont des textes trs longs par rapport aux articles de
presse.
46
26
conditions
118
dossier
117
dcision
106
gntique
106
De mme, la liste des personnes les plus cites dans le sous-corpus de la priode
1 montre que le dossier est alors partag par les scientifiques et les
personnalits politiques qui grent llaboration du cadre juridique :
Kahn
20
Royal
18
Chevallier 10
Deshayes 8
Curien
Haerlin 6
Bjerregaard 6
Douzou 5
Royer
Lalonde 5
Brgovoy 4
27
trs
stricte,
introduire
des
micro-organismes
CEE, cette exprience n'a pas, avant d'tre entreprise, reu l'aval
des deux commissions qui, en France, thoriquement, sont charges
pour
contrler
efficacement
des
exprimentations
28
Pas de doute, on sinterroge sur les modes dexistence de ces entits nouvelles
qui sont supposes reconfigurer le monde agricole. A loppos de la critique de la
science confine dveloppe par Barthe, Callon et Lascoumes 47, se profile
galement une tension devant la faon dont le scientifique fait du monde
ordinaire le support de son activit. Si la critique naissante des essais en plein
champ de plantes transgniques nest pas analogue celle des essais nuclaires,
elle vient lesprit des environnementalistes par le biais du thme de la
contamination des milieux naturels et de lexposition des populations des
lments encore mconnus. Cest pour ces raisons que le groupe Arc-en-Ciel du
Parlement europen exige en 1987 l'arrt immdiat des expriences en cours et
la dcontamination totale des sites (Le Monde du 9/07/1987). Durant cette
priode, seuls les mouvements de protection de la nature tentent de porter ces
questions dans les arnes publiques.
L'un des projets les plus disputs de Mme Sgolne Royal porte sur "
Agir dans un monde incertain. Essai sur la dmocratie technique. Paris, Seuil, 2001. Notons que louvrage parle
assez peu dOGM.
47
29
Le Monde 8/05/1992
Ds lors que la recherche nest plus confine dans ses laboratoires et quelle fait
de lespace extrieur une annexe voire une extension de celui-ci, les protocoles
quelle met en uvre sont susceptibles de heurter lexprience dautres acteurs
aux prises avec des plantes, des choix culturaux et leurs modalits techniques,
des valeurs et des formes dagroconomie. Au dbut des annes 90, la
perspective dune dissmination dans lenvironnement des OGM renvoie la
crainte dune contamination gntique irrversible des plantes sauvages et
cultives non OGM 48. Ici, le thme de lirrversibilit se dcline sous les formes
de la menace sanitaire, dune diminution de la variabilit gntique, de la
perversion des mcanismes de reproduction du vivant et de la mutation
incontrle des espces. Surgit aussi de faon marginale la hantise des drives
que pourraient entraner lapplication de cette technologie lhomme. Mais cest
avant tout lespace agricole qui polarise les incertitudes :
Les chercheurs, [], le reconnaissent : quelles que soient les
prcautions, la culture grande chelle des plantes transgniques
aura
sans
doute
des
consquences
inattendues,
auxquelles
virales
favoriseront-elles
l'mergence
Autant
de
Dans ce contexte, les promoteurs des OGM peroivent clairement une chose : les
cadres de laction et du jugement en matire environnementale sont en train de
changer. Le sommet de Rio en est lun des vecteurs et la percolation des thses
dveloppes par Hans Jonas dans Le principe-responsabilit introduisent une
ontologie du rapport la nature qui ne relve plus dune vision
anthropocentrique. Le premier forum sur la biodiversit a eu lieu en
septembre 1986, et les usages de la notion ont commenc stendre 49. On
Si, aprs dissmination dun OGM dans lenvironnement le gne insr se transmet par croisement par
exemple une plante voisine, le gne se transmettra ensuite par les voies naturelles sans quil soit possible
dy remdier. A la diffrence du nuclaire, le danger potentiel peut ne pas diminuer avec le temps si
lvnement de transformation est soumis des pressions de slection qui lui sont favorables. Sur les
lments de la controverse relative la dissmination, voir M. Kuntz, Les OGM, lenvironnement et la sant,
Paris, Ellipses, 2005.
49 E.O.Wilson (ed), Biodiversity. National Forum on Biodiversity, Washington DC, National Academy Press
1986.
48
30
sociale , affirme Alain Deshayes. Sans elle, il est probable que nous
ne prendrions pas autant de mesures de scurit". Mais pas
31
A. Messan - Ils se sont dit de toutes faons ces trucs-l c'est trs
technique, en 93 il tait pas du tout question de... On le voit bien,
dans la sphre publique, c'tait affaire d'experts. Donc pour les
qu'ils passaient par le CNC, c'est le CNC qui dsignait. Alors Que
Choisir ?, de toute faon, l'UFC disait nous, on va pas dans les
comits d'experts parce qu'on perd des degrs de libert, donc il vaut
En ralit, dans cette premire moiti des annes 1990, lapproche des premires
autorisations commerciales (annonces pour 1996 ou 1997) inscrit les acteurs du
dossier dans une temporalit courte qui les conduit durcir leurs positions et se
replier sur les prrogatives disciplinaires, sentant bien que, dune manire ou
dune autre, ils devront faire face certaines difficults :
"Si la transgnse vgtale devait se heurter un blocage autre que
Les entreprises qui mettent au point des PGM raisonnent elles aussi dans une
temporalit courte, avec en outre des enjeux commerciaux importants, car le
premier sur le march aura de grandes chances de le contrler. Ceci ne les incite
pas demander aux chercheurs avec qui elles mnent des exprimentations en
partenariat dadopter une attitude de prudence et douverture au dbat :
A.-M. Chvre Et donc l, on est, si mes souvenirs sont bons, on
doit tre autour des annes 91, 92. Et ce qui a t pour moi le
52
32
Ce type dvnement fait basculer certains chercheurs dans le scepticisme vis-vis de la stratgie des industriels qui semblent redouter tout vnement de
nature freiner la commercialisation de leurs varits OGM. Quelques-uns de
ces chercheurs, qui ne sont fondamentalement pas opposs aux perspectives
dapplication de la transgnse lagriculture, dnoncent mme le cynisme et
la mauvaise foi des industriels devant des faits scientifiques dmontrant la
possibilit de croisements gntiques entre plantes OGM et non OGM dune
mme espce. Si plus tard lopposition aux OGM se radicalisera dans le sillage
de la Confdration Paysanne, son installation dans les milieux scientifiques
constitue dabord un bruit de fond en miroir de lalerte lance par les
environnementalistes. Leurs craintes sont essentiellement lies aux effets de la
dissmination dOGM dans lenvironnement et leur introduction dans
lalimentation. Mais lon voit aussi samorcer des registres ne relevant pas
strictement de la catgorie du risque sanitaire : lindpendance de lexpertise, la
brevetabilit des inventions biotechnologiques et de leurs composants de base
que sont les gnes et le passage dun monde agricole un systme agroindustriel accus dappauvrir la biodiversit tout en perptuant les dfauts de
lagriculture intensive. Ces thmes deviendront les picentres du dossier partir
de la fin des annes 1990.
En mai 1996, un appel un moratoire sur les cultures
transgniques est lanc Paris et sign par une centaine de
33
Rappelant que ces derniers, "une fois lchs dans le milieu naturel
europen d'cologie.
34
53 Le dossier du chlrodcone aux Antilles en a encore fourni un exemple patent. Voir M. Fintz,
Chlordecone is Back! How to Understand the Historical Gap between the US and French Disputes and
Controversies over the Health and Environmental Effects of an Organochlorine Pesticide , Workshop
Carcinogens, Mutagens, Reproductive Toxicants: the Politics of Limit Values and Low Doses in the twentieth and twentyfirst centuries, Strasbourg, mars 2010.
54
35
Le choix de cet vnement comme point de rupture peut sembler arbitraire mais
il fait surgir la figure du militant, qui indique une nouvelle forme de politisation
du dossier, qui quitte lenceinte du parlement pour se diffuser dans toutes sortes
de milieux. Matriellement, le dossier sest dplac sur une scne nouvelle, un
port, lieu dintervention privilgi de Greenpeace, et donne lieu une action
spectaculaire, le blocage de la cargaison dun navire. Avec cette action, les
militants de Greenpeace ont contribu dplacer le dbat autour des OGM.
Jusquici, il tait surtout question de lvaluation de la construction gntique et
des risques lis la dissmination dOGM dans lenvironnement travers la
culture (exprimentale ou commerciale) de plantes transgniques. Dsormais, il
ne sagit plus (seulement) de ce qui se passe dans les champs, mais
dalimentation, de march et de relations internationales 55.
Dans le mme numro du journal Le Monde parat un article intitul Les
36
gntiquement . Cet article fait apparatre tout une srie de nouvelles entits
dans le corpus : OMC (417), vache folle (355), Luxembourg (312), responsabilits
(224), Bt (176), grain (167), accords (152), comits (139), rsistances (124), port
(117), Hexagone (115) Tout en surgissant cette occasion dans le corpus, ces
entits, qui ont en commun dtre normment reprises par la suite, engagent la
question de la politique du march, de lorganisation de filires marchandes
spares (OGM et conventionnelles), sachant que les Etats-Unis, en tant que
principal pays producteur dOGM, refusent de trier grains transgniques et
conventionnels. Le basculement des OGM dans la logique politique et
conomique sopre en outre sur fond de crise de la vache folle, qui est alors loin
dtre rgle en Europe 56 :
Formidable imbroglio juridique, ce dossier menace d'ouvrir une
nouvelle crise agricole avec les Etats-Unis, sur fond de crise de
"vache folle" et d'accords commerciaux de l'OMC (Organisation
37
Mais la rglementation
communautaire
actuelle
dmarrer en France que lorsque le ministre aura donne son feu vert
et que les nouvelles varits auront t inscrites au catalogue officiel
Les
57
On trouvera en annexe de grands tableaux restituant les proprits marquantes des diffrentes priodes.
38
les progrs des tests de dpistage des OGM, annonce en outre qu'il
va mettre en place une 'procdure capable d'identifier des filires
ntait pas symtrique, et que le dossier des dchets radioactifs est de loin celui
qui a le plus investi lide de rversibilit, lANDRA ayant engag dans ses
recherches des concepts et des dispositifs visant donner une interprtation
viable au texte de la loi Bataille de 1991 qui indique que le stockage en
profondeur, sil est ralis, devra tre rversible 58. Les diffrents dossiers
agissent les uns sur les autres, et la notion de rversibilit circule depuis dans
de multiples univers, comme on le voit dans lentretien avec Corinne Lepage cit
ci-dessus. En tout tat de cause, laffaire dinterdiction du mas transgnique va
avoir des consquences importantes sur la trajectoire ultrieure des OGM en
France. En effet, ds le lendemain, Axel Kahn dmissionne de la prsidence de
la CGB, pour protester contre une dcision quil juge politique et infonde
scientifiquement . Quelques temps plus tard, il rejoint Rhne-Poulenc. On voit
ici se jouer la question de lautonomie du politique et celle de la science, pour
reprendre la figure dsormais classique du grand partage 59. Cest un mouvement
argumentatif qui va revenir rgulirement dans le dossier : si le politique sen
remet compltement lexpertise scientifique pour prendre ses dcisions, il
nassume plus son mandat. Le politique nest pas tenu de suivre un avis
scientifique ds lors que celui-ci est fond sur une valuation centre sur les
risques environnementaux et sanitaires. En effet, dans sa fonction de
gouvernement, il doit prendre en compte une gamme plus large de problmes,
gnralement dsigns sous lexpression de problmes conomiques et sociaux
auxquels est venu sajouter le rayon thique.
[sur la dmission d'Axel Kahn] Peut-tre, le ct politique
m'chappe, passe trs loin au-dessus de ma tte.
est-ce que vous tes srs ? Axel Kahn en tant que prsident est
mont Bruxelles, a dfendu le dossier. [] Donc il obtient l'accord
dit
qu'on
devrait
tous
dmissionner
.Et
les
40
Lanciennet de linsertion des objets et des relations dans la trame de fond, resurgit rgulirement dans
les squences argumentatives travers des traits comme on sait depuis longtemps que X ou plus
personne ne conteste que Y , ou encore Z nest pas nouveau
62 Mais une autre interprtation est possible : la position prise par le mas, qui se dtache dfinitivement de
lensemble des PGM, est aussi lie au fait quau moment des premiers pisodes critiques, ctait surtout
des dossiers de mas qui taient en instance dobtention dautorisation.
63 Voir A. Bertrand, F. Chateauraynaud et D. Torny, Processus dalerte et dispositifs dexpertise dans les dossiers
sanitaires et environnementaux. Exprimentation dun observatoire informatis de veille sociologique partir du cas des
pesticides, rapport final, convention GSPR/AFSSET, octobre 2007.
61
41
sera organis dans les six prochains mois "afin que les citoyens
s'approprient ce dbat, qui n'est pas seulement scientifique, mais
aussi
philosophique
et
thique",
dclar
le
ministre
de
Avec les crises rptition et les changements de cadres de rfrence autour des
technosciences , les modles de dmocratie dlibrative et participative
commencent se rpandre. Les OGM apparaissent ainsi de nombreux
observateurs et pas mal de conseillers techniques dans les grands
tablissements (comme lINRA) ou certains ministres (en tout cas le cabinet de
Marylise Lebranchu, secrtaire d'Etat charge des PME , du Commerce et de
l'Artisanat) comme un dossier favorable lexprimentation sociale : sur le
modle du Danemark ou dautres pays voisins, il sagit dintroduire dautres
dispositifs de dlibration et de concertation que le jeu entre les parties
prenantes et de permettre un large public de dbattre dans toutes ses
dimensions dun sujet sensible, jusque l monopolis par une communaut
restreinte dexperts scientifiques 64. Le projet dune confrence de citoyens est
ainsi mis en place pour 1998 65. Cest la premire fois quun tel dispositif de
consultation est organis en France. Inspire du modle des Confrences de
consensus , cette initiative politique reconnat quil faut dbattre largement des
OGM, que ceux-ci ne sont donc pas lapanage de la communaut scientifique, du
gouvernement et des lus, et quil faut modifier les voies de la prise de dcision
en la matire. Mais laffaire se complexifie : le gouvernement prend la dcision
dautoriser la culture du mas Bt 176 le jour mme o il annonce la tenue de ce
grand dbat public !
Le monde agricole, en tout cas, reste divis. La Confdration
paysanne, proche du Parti socialiste, estime que la dcision du
43
44
45
46
1. Quel dbat ?
Si la question du dbat va fortement polariser les argumentations et les
anticipations des acteurs, cela ne signifie pas pour autant que le politique a
dsamorc la logique de crise 70 en mettant en place une procdure
participative et repris la main sur le dossier. Un vnement, qui survient ds le
8 janvier 1998 semble en tout cas mettre mal cette ambition. Sud-Ouest relate
de la manire suivante laction de Nrac en rfrence la destruction, le 8
janvier 1998, par un groupe de militants de la Confdration paysanne dun silo
de semences transgniques dans une usine Novartis :
La section production agricole de la CFDT se dclare solidaire de
47
48
procs qui leur sera intent comme tribune pour mener la critique des OGM et
obtenir le retrait de lautorisation de culture du mas transgnique.
La Confdration paysanne, le Modef et l'association CR de Lot-et-
professionnelles
agricoles,
les
"organisations
citoyennes", les lus " manifester leur solidarit" avec les trois
agriculteurs convoqus le 3 fvrier prochain devant le tribunal
49
na pas port plainte sur le coup. Par contre quelques annes plus tard, la
limite de la prescription, la firme attaque en justice, ce qui donnera laffaire de
Saint Georges dEsperanche, dont la visibilit publique est de fait postrieure
Nrac. Au dpart de cette action, les militants staient renseigns sur un essai
men dans la mme localit par Rhne-Poulenc, dont ils avaient obtenu
lengagement dun fauchage avant floraison. Apparemment, cest totalement par
hasard que les militants apprirent lexistence de lessai de Monsanto, autoris en
1996 mais non dclar la mairie de St Georges. Lors du rassemblement
organis en soutien aux inculps lors de leur procs en avril 2004 Vienne, Jos
Bov dclare :
Laction des 3 de St Georges est la premire action dopposition
dbat public. Et cest parce que les citoyens ntaient pas entendus,
parce que les pouvoirs publics norganisaient pas de dbat, que ces
citoyens ont dcid denfreindre la loi et darracher ce colza
transgnique . 74
50
La veille du procs qui se tient Agen le 3 fvrier 1998, la Confdration paysanne fait
paratre un texte dans Sud-Ouest, intitul Pour le procs du mas transgnique :
"La communaut scientifique est profondment divise sur les
consquences pour l'environnement et la sant publique de la
gnralisation
des
organismes
gntiquement
modifis
en
parlementaire et d'un grand dbat public sur l'utilit des OGM, les
risques de leur introduction et la notion de "risque acceptable par la
51
en
France
contre
la
dissmination
des
OGM
(organismes
l'tiquetage
et
une
traabilit
relle
des
produits
52
La manire dont sont qualifis les risques est intressante : si la relation santenvironnement, qui merge au cours de la mme priode dans lespace politicomdiatique, est laisse ltat implicite, la conjonction des trois qualifications
environnemental, sanitaire et conomique est importante, car cest sur le
front conomique que les acteurs critiques vont pousser le dossier loccasion de
la monte de lanti- puis de lalter-mondialisme. Mais la multiplicit des enjeux
est aussi un ressort de la mobilisation et de plus en plus de runions-dbats sur
les OGM sont organiss au niveau local dans toute la France.
78 Cest par la composition du nouveau Haut Conseil des Biotechnologies que la question sera aborde. A
ct du comit scientifique sigera un comit thique, conomique et social compos de reprsentants
politiques, de reprsentants des milieux professionnels, syndicaux et de reprsentants associatifs. Il est
toujours intressant denregistrer le dlai que prend la formulation dune revendication et son inscription
dans la loi.
53
est logique : ils considrent que ce soja est sans risque, et qu'il n'y a
donc aucune raison de mettre
Le rglement Nouveaux aliments rend obligatoire ltiquetage des aliments contenant des OGM
seulement dans le cas o leur composition diffre substantiellement de lquivalent traditionnel. Ce
principe dvaluation sapplique uniquement aux aliments. Il part du principe que pour valuer un aliment
contenant des OGM, il suffit dexaminer sa composition finale, sans tenir compte du procd de
fabrication. Du mme coup, ce principe dquivalence est au cur de la dfinition mme du dossier
OGM.
79
54
",
Du coup, mme
Carrefour doit admettre que sa position " zro OGM " est un peu
faible. " Pour les produits vendus sous notre marque, nous ferons ce
qui est possible pour crer des filires sans OGM. Mais sans tre
falloir payer pour monter ces filires sans OGM. " Et c'est bien l
que tout se jouera : le consommateur sera-t-il prt payer de 30
50 % plus cher le droit de manger non transgnique ? Dans le cas
Dans les rayons des supermarchs, rares sont les tiquettes portant
Un accord est difficilement trouv lors du Conseil europen de mai 1998, qui
dbouche sur le rglement 1139/98, adoptant un systme deux mentions
( contient ou ne contient pas dOGM , plutt quun systme comportant une
formule comme peut contenir des OGM , considre comme trop floue).
A partir de lentre en vigueur du Rglement sur ltiquetage en septembre
1998, des ONG, au premier rang desquelles Greenpeace, organisent des actions
dans les magasins de la grande distribution pour signaler aux consommateurs
les produits contenant des OGM mais non tiquets comme tels. En outre, le site
internet de Greenpeace tient une liste actualise de produits semblables,
contenant des OGM mais non tiquets.
Cest au cours de cette priode du printemps et de lt 1998, que sont prises les
premires mesures municipales dinterdiction des OGM dans les cantines
scolaires ( Issy-les-Moulineaux par exemple). Elles font suite des campagnes
de sensibilisation menes par les Amis de la Terre ou Greenpeace auprs des
55
lus locaux. Ces actions permettent dlargir le front du refus (au moins
provisoire) des OGM et dy intgrer des lus municipaux, tout en faisant
apparatre que les OGM nont pas seulement trait des enjeux de politique
scientifique ou de relations commerciales entre les Europe et les Etats-Unis,
mais quils touchent lalimentation, au quotidien et que les enfants eux-mmes
y sont exposs. La comparaison de multiples dossiers (voir annexe 1) montre que
lentre en lice des enfants, comme victimes relles ou potentielles est un des
ressorts dominants du basculement dans la crise ou le conflit - mme
lorsquil sagit de quelques cas de diarrhe occasionne par des canettes de cocacola !
3. La confrence de citoyens
Le 8 juin 1998 une votation a lieu en Suisse. En soi ce nest pas un vnement.
Mais celle-ci porte sur les OGM et tranche clairement contre leur interdiction (
plus de 66%). En France, la confrence qui est organise se produit dans un
contexte difficile : cest en effet au moment prcis de la coupe de monde de
football, laquelle qui a lieu en France, et surtout Paris. De quoi la rendre
compltement invisible et pour le moins impertinente ! Il reste que du point de
vue de lhistoire interne du dossier, cette confrence de citoyens, la premire du
genre dans lHexagone, restera comme un vnement marquant. Lobjet est
tellement nouveau quil suscite lintrt de multiples observateurs, journalistes,
juristes, sociologues, smiologues, linguistes et experts en dmocratie
dlibrative, de sorte que la littrature produite sur cet vnement compose un
vritable corpus en soi 80. Ce qui est frappant, cest que lattention porte la
procdure elle-mme, qui surgit dans le contexte franais au moment de la
monte des mots dordre autour de la participation des publics et de la
dmocratie technique (dj institues par la loi Barnier de 1995) 81, semble
vincer lobjet central du dossier : ce qui compte avant tout cest la capacit des
citoyens, se saisir dun dossier scientifique et technique, mettre en discussion
les risques et formuler des recommandations 82. Mme si le conflit entre pro- et
anti-OGM pse dj fortement sur le dossier, lide domine que lon peut trouver
des voies nouvelles de gestion des controverses publiques , en sortant des
oppositions classiques entre communication politique et logique de crise. Il reste
que la qualification des citoyens fait dbat 83. Les acteurs concerns
Le rang de la confrence de citoyens de 1998 est trs lev dans le corpus consacr aux textes de
sciences sociales. Voir annexe 1.
81 Pour un examen collectif sous toutes les coutures des dispositifs et des dbats CNDP, voir M. Revel, C.
Blatrix, J.-M. Fourniau et alii, Le dbat public : une exprience franaise de dmocratie participative, Paris, La
Dcouverte, 2007.
80
P.B Joly, C. Marris, M.A. Hermitt, A la recherche d'une "dmocratie technique. Enseignements de la
Confrence Citoyenne sur les OGM en France , Nature, Science et Socit, 11(1), p. 3-15.
82
Voir la tribune de Corinne Lepage publie dans Le Monde juste avant la confrence, qui distingue trois
figures : le citoyen, le consommateur et la victime.
83
56
Voir M.Callon, P.Lascoumes, Y.Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la dmocratie technique, Paris,
Le Seuil, 2001.
84
57
->
Gouyon
4 - > Apoteker : Je ne sais pas si on peut dpasser a , jusqu ' o on peut aller , mais il me
semble que la confrence de citoyens avait , pas de faon unanime , mais avait malgr tout conclu
la demande d ' un moratoire sur les cultures en plein champ 86.
4 - > Messan : Aprs qu'un gouvernement de droite l'ai arrt , annul , enfin bon ... Et tout
le dispositif qui consiste dire : le dispositif de biovigilance et la confrence de citoyens a va
remettre les choses en place , a n'a pas suffit .Et du coup aprs , le politique ,a compltement
58
Capture dcran :
Entits reprises / originales / apportes par le texte. On voit que ce texte introduit lui seul de
nombreuses entits dcisives dans la suite de lhistoire politique des OGM
59
4. Laffaire
collectives
Puzstai :
mobilisation
individuelle
et
mobilisations
60
une
fois
encore
linsuffisance
des
collaborations
Ecart de son laboratoire, ses expriences perdues, Pustza devient lun des
hros des mobilisations. Cette affaire illustre en mme temps la diversit des
points de vue sur les mmes vnements, marquants pour les uns et pas pour les
autres : souvent lis des processus intentionnels, des coups ou des stratgies,
comme dans la plupart des affaires (celles qui ont produit des figures hroques :
Schmeiser, Chapela, Kochko ; ou celles qui ont mis en scne des ftiches de la
critique, comme le riz dor, Star Link ou Terminator), les faits invoqus donnent
chaque fois lieu un travail de dconstruction, travers lequel se trouve
dnonces des tentatives de prise de contrle du dbat public ou de destruction
des conditions de la controverse scientifique. Comme on le verra dans la partie
consacre au conflit et la violence suscits par la trajectoire du dossier en
Europe, les OGM exacerbent lopposition entre logique de consensus et politique
du dsaccord, rendant sa gouvernance sinon impossible du moins trs difficile
comme le montre un peu plus tard la construction du compromis trs fragile
autour de la coexistence des filires.
fait partie dun ensemble plus gnral marqu par la prise en compte acclre
des alertes, inscrite dans un nombre croissant de textes juridiques. Mais pour
les acteurs de terrain, il sagit essentiellement de figures de rhtorique, comptetenu de labsence de moyens pour leur mise en uvre. On voit bien dans les
entretiens la cration progressive dune co-vigilance fonde sur lassociation de
militants trs proches des faucheurs et de membres de ladministration. Michel
Metz explique ainsi :
Alors est-ce qu'il n'avait pas les moyens et tout pour les contrles
et toutes ces choses-l ... Le motif c'tait de discuter avec eux , ce qui
a t dcid en gros , hein , parce qu'on va faire court , c'est que nous
des documents qui ont suivi un peu la voie hirarchique . Enfin bon ,
il faut savoir que a s'est relativement bien pass ce SRPV-l ,
parce qu'on a trouv des gens qui sont plutt pour le dialogue , alors
88
62
l'ont fait suivre telle quelle . Nous , on disait : vous n'avez pas les
moyens , et eux disaient : c'est vrai , ils ont raison , on n'a pas les
moyens .
Alors que des actions de fauchage se sont droules de manire sporadique 89, de
nouvelles actions ont lieu suite la dcision du Conseil dEtat, puis celle,
conscutive, du gouvernement dinterdire la commercialisation du mas
transgnique cultiv en 1998. Le comit de vigilance OGM du Lot-et-Garonne se
rclame ainsi de la dcision du Conseil dEtat :
Le
comit
de
vigilance,
tout
en
regrettant
qu'aucune
des
font pas, nous le ferons", a dit Jos Bov annonant galement des
actions dans les magasins contre les produits contenant des OGM.
89
63
64
lui dit que les colos exagrent beaucoup. [] Une longue runion
interministrielle a lieu en novembre [1997]. Autour de Lionel
Jospin, il ny a pas moins de quatre ministres et deux secrtaires
92 On a fait le maximum pour que la parole des acteurs ouvertement pro-OGM comme les groupes
industriels ou les groupements de semenciers soit reprsente dans les corpus. Voir les tableaux de
lannexe 1 concernant les listes dauteurs-acteurs. Par exemple, alors que lon a t plus slectif sur dautres
acteurs (ports se rpter ou intervenir tout bout de champ si lon peut dire), on a entr tous les
communiqus disponibles du GNIS et de ses partenaires.
65
Lre
de
la
La quatrime priode est forme par la monte en puissance des enjeux lis la
mondialisation. Ce thme nest pas en soi nouveau lpoque ni propre aux
OGM 93. Ce qui est nouveau en revanche, cest la centralit du thme dans la
carte des arguments lis aux OGM. Ce qui signifie deux choses : dune part que
les acteurs engags dans le dossier vont de plus en plus penser (ou sefforcer de
faire penser) les OGM en regard denjeux globaux lis la libralisation de
lconomie mondiale ; et dautre part que la question spcifique des OGM va
devenir un levier pour penser la globalisation de lconomie et ses effets,
critiquer ou lutter contre les politiques dites de mondialisation librale et
construire un mouvement et un cadre de pense dopposition
( laltermondialisme ). De fait, la critique environnementale des OGM, qui
vise leur caractre invasif et lirrversibilit des transformations quils
engendrent, vient sajouter la dnonciation des violences conomiques qui
accompagnent le dveloppement des biotechnologies en agriculture, travers le
brevetage du vivant - trange expression prfre par les anti-OGM celle de
brevetabilit du vivant 94. Face la srie des actions collectives menes par
les militants, on peut parler de performance au double sens du terme : il sagit
de performances au sens artistique en raison des techniques de protestation
La mondialisation et ses analyses critiques ont connu un dveloppement important au milieu des annes
1990 suite la cration de lOMC en 1995, et en France travers les grves de dcembre 1995 contre la
rforme des rgimes spciaux de retraite. Il faut compter aussi la parution du livre de Viviane Forrester
Lhorreur conomique en 1996, la ractivation du mensuel Le Monde Diplomatique en 1996 puis la cration
dAttac en 1998. Suite au mouvement social de dcembre 1995 se cre autour de Pierre Bourdieu
lassociation Raisons dagir, qui dnonce scientifiquement les effets destructeurs de la mondialisation
nolibrale . Les ditions Raisons dagir publieront ainsi Contre-feux de Pierre Bourdieu en 1998, ouvrage
destin fournir des armes tous ceux qui sefforcent de lutter contre le flau no-libral . En 1997-1998, cest la
monte de la critique contre lAMI.
94 Depuis le sommet de Rio en 1992, la question de la brevetabilit du vivant est devenue un levier pour
agir sur les rapports de domination Nord/Sud lchelle mondiale. Dun autre point de vue, depuis que
lUnion Europenne a rendu obligatoire ltiquetage et la traabilit des aliments issus dOGM ou
contenant des OGM, lombre dun nouveau contentieux commercial plane entre lEurope et les EtatsUnis. Cest dans ce cadre que le thme de la malbouffe va sinstaller dans lespace politico-mdiatique.
93
66
ATTAC@ 5544 %
destruction 514 %
Montral 3604 %
Aventis@ 462 %
Seattle 3119 %
protocole 292 %
G8 2781 %
mondialisation 229 %
armes 2722 %
graines 193 %
Montreal 2604 %
lots 191 %
McDonald 2457 %
Sud-Ouest 186 %
DGAL@ 2428 %
Glavany 185 %
Kraft 2369 %
erreur 183 %
arrachage 2340 %
JAPON@ 183 %
Bov 1962 %
agrochimie 181 %
Shapiro 1899 %
TIERS-MONDE@ 170 %
parcelles 166 %
hostilit 1663 %
militants 165 %
cargaison 1605 %
Canada 156 %
Davos 1546 %
porte-parole 151 %
67
tempte 1546 %
coton 147 %
canadien 1546 %
INTERNET@ 146 %
moutarde 1546 %
colza 142 %
Lamy 1428 %
riz 139 %
cognac 1369 %
usine 135 %
procs 1311 %
groupe 133 %
Qualits
ENTREPRISES@
grandes 39, franaise 25, amricaine 25, prives 19, amricaines 17,
franais 11, agroalimentaires 11, chimiques 10, industriels 9,
agrochimiques 9, nouvelle 8, franaises 8, transnationales 6,
principales 5, agrochimique 5
ALIMENTATION@
Semences
Recherche
Effets
Agriculture
68
La tendance qualifier des objets est une des marques les plus sres dune
intense activit argumentative et donc de la critique. On trouvera en annexe la
caractrisation des diffrentes priodes la fois par les entits les plus
qualifies celles qui attirent vers elles le plus grand nombre de qualifications
et par les jeux de qualits qui informent de manire assez synthtique sur la
propension argumentative des acteurs en lice. On observe dans les listes cidessous la prsence de tout un jeu doppositions ( franaise / amricaine ,
animale / humaine , transgniques / naturels ou biologique ,
publique / prive , durable / intensive , productiviste /
respectueuse (de lenvironnement), transgnique / conventionnelle )
autour desquelles slaborent les variations argumentatives et les points dappui
topiques des acteurs. On note que les effets sont massivement valus
ngativement, ce qui est une des caractristiques de tous les corpus lis aux
risques dans lesquels largumentation par les consquences ngatives est
prdominante, la symtrie exige par les dfenseurs des modles dvaluation en
bnfices/risques tant assez peu respecte par le jeu de la polmique.
A travers les OGM, les acteurs dveloppent toute une thorie des formes de
domination engages par la mondialisation des conomies : si les acteurs
rcuprent la thmatique des effets (ngatifs, nfastes, nocifs ou socioconomiques) de la dissmination des OGM dveloppe par les cologistes dans
les annes 1990, cest moins pour lassocier des dommages causs
lenvironnement bien que tout argument critique soit bon prendre
videmment - qu des modles de dveloppement, des formes dagriculture. Cela
dit, un des arguments utiliss pour contester le modle dominant est celui de la
non-assurabilit des risques lis aux OGM par les compagnies dassurance, ce
qui conduit remettre en cause, ds cette priode, le cadrage du dossier en
termes de risques :
Il n'est pas utile de poursuivre plus longtemps sur la question des
risques pour une autre raison : ce terme est inappropri. Il ne s'agit
proprit la plus fondamentale des tres vivants !), donc tant que les
95
Au moment mme o la molcule de base du Roundup allait tomber dans le domaine public.
70
Si lon demande Prospro dans quelle priode Terminator est le plus prsent,
cest la priode 4 qui vient en tte suivie par la priode 5 mme si laffaire
Terminator surgit pour la premire fois dans le corpus en dcembre 1998, soit
encore dans la priode 3, dans un texte intitul RACKET SUR LE VIVANT. La
menace du complexe gntico-industriel et sign par Berlan et Lewontin
dans Le Monde Diplomatique.
La priode 4 marque ainsi un dplacement consquent de la critique : la violence
des OGM nest pas seulement lie aux dommages irrversibles que ceux-ci
peuvent causer lenvironnement et la biodiversit, cest aussi la violence
conomique inscrite dans le systme des brevets sur le vivant, permettant des
firmes multinationales de contraindre lagriculteur se plier un modle
conomique et agronomique. Un nouveau pas est donc franchi vers ce que
daucuns dcrivent comme un tat de guerre. De controverse il ne va
pratiquement plus tre question, sauf par une distorsion continue du sens
logique de tout change darguments fond sur lhorizon dun accord produit
rationnellement par la critique conjointe des partenaires de la discussion 96. Or,
Le modle dargumentation dvelopp par lcole dAmsterdam fonde par F. Van Eemeren et ses
collgues repose sur des outils permettant de tester la validit de rgles conventionnelles supposes au
principe de toute bonne argumentation, en renvoyant des normes strictes de rationalit. Lide
dominante est que lobjectif dune bonne argumentation est de rduire une diffrence ou une divergence
dopinion, partir de mthodes fondes sur lidal rgulateur de la discussion critique conduisant une
slection consensuelle des meilleurs arguments. A linverse, lorsque les acteurs sont prts utiliser tous les
moyens pour convaincre sans suivre les rgles de la discussion critique rationnelle, ils sont renvoys au jeu
des fallacies , des manoeuvres stratgiques et des procds rhtoriques . F. H. Van Eemeren, R.
Grootendorst, A Systematic Theory of Argumentation. The pragma-dialectical approach, Cambridge, Cambridge
University Press, 2004.
96
71
+ 334 %
+ 299 %
+ 133 %
+ 106 %
+ 96 %
72
mais il sagit bel et bien dun registre argumentatif diffrent engageant plus
directement les acteurs dans un combat de dignit. De quelle dignit sagit-il ?
Celle dune part de la personne autonome qui respecte sa terre et ses btes qui
ne sont pas des cobayes et pour laquelle la qualit des produits assure la
dignit du producteur comme du consommateur (aujourdhui trs prsent dans
la mise en valeur des AMAP, des circuits courts, etc) ; dautre part, il sagit aussi
de montrer une capacit de lutte et dexpression qui renvoie plutt au modle de
lutte de libration marque par lusage intensif du vocable de la rsistance.
En tout tat de cause, les arguments changent et les instances qui les portent
aussi : la Confdration paysanne ou Attac montent en puissance dans le corpus,
au dtriment des organisations cologistes. La priode 4 se signale aussi par une
caractristique que le corpus ne perdra plus jusqu fin 2008, savoir la position
de Jos Bov en tte de liste des personnes cites 99. La monte en puissance de
Jos Bov, alors militant puis secrtaire national de la Confdration paysanne
traduit bien la stratgie dintgration de la mobilisation contre les OGM dans un
mouvement plus large contre la mondialisation nolibrale. Ainsi, si lon retient
les 63 textes dans lesquels Bov est en position dacteur central dans le corpus
de la priode 4, les 5 premires catgories qui simposent sont :
Catgories
Reprsentants
Logique judiciaire
Modes
protestation
de
Sociologie politique
Idal paysan
Mondialisation
Si Jos Bov devient le personnage central du corpus, cela rvle aussi un pari
de mdiatisation de la cause et dhrosation de la mobilisation, le recours la
figure personnelle, liant exprience, charisme, sacrifice et jeu mdiatique,
permettant ainsi dincarner le mot dordre de la rsistance citoyenne - mme
si, selon la bonne vieille expression wberienne la routinisation du charisme
finit toujours par faire son uvre et entamer limage du hros (comme le
montrera le score assez faible de Bov llection prsidentielle de 2007). La
monte en puissance dun mouvement social saccompagne toujours de
dispositifs de traabilit avec la mention devenue obligatoire de lorigine des viandes. Dans le cas des
OGM la traabilit prend une autre dimension, mme si gnalogiquement parlant, il y a un lien avec la
traabilit des prions dans la chane alimentaire.
99 Pour les priodes 1 et 2, la personne la plus cite tait Axel Kahn, prsident de la CGB, et pour la
priode 3 Lionel Jospin, premier ministre du gouvernement de 1997 2002. Bov domine clairement les
priodes 4 8, et cest seulement dans la priode 9 (anne 2010) quil chute dans le classement, cdant la
place MM. Barroso et Dalli Voir les tableaux et les cartes de liens lis aux personnes dans lannexe 1.
73
74
dcembre 1999
Cinq cents six cents personnes ont fait le dplacement. Depuis des
mois, c'est le mme scnario. Jos Bov laboure la France (cinquante
villes ces deux derniers mois) et remplit les salles, provoquant des
discussions passionnes jusqu' des heures avances de la nuit,
surtout dans les petites villes. A Gaillac dans le Tarn, Figeac dans
le
Lot,
Villefranche-de-Rouergue
dans
l'Aveyron
ou
entre six cents et neuf cents personnes. Au total, depuis son retour
de Seattle, Jos Bov a ainsi drain plusieurs dizaines de milliers de
gens. A rendre jaloux un prtendant l'lection prsidentielle. " Une
75
juin, Millau, o aura lieu son procs pour le " dmontage " du
McDo. " Ce sera Davos l'envers ", prvient-il.
Le nom de Bov finit par incarner lui seul une ide, une vision du monde.
Lheure de la mondialisation est aussi lheure de lhyper-mdiatisation et, mme
si le phnomne est loin dtre nouveau, la prsence de hros dont les images et
les bonnes paroles se diffusent rapidement permet des causes de rassembler
plus facilement. Parmi les hros des causes convergentes, on trouve, lis aux
OGM, le nom de Vandana Shiva, qui avec Via Campesina sinscrit dans la
critique altermondialiste. Lintgration des OGM dans une forme de lutte
globale contre la mondialisation librale donne assurment une plus grande
visibilit au mouvement anti-OGM, mais simultanment, les motivations de la
lutte contre les OGM commencent se brouiller aux yeux du public, ou sont
dilues dans le motif plus large de la mobilisation contre les multinationales. De
mme, si lomniprsence de Bov permet de donner un plus grand cho
mdiatique la cause, la multiplication de ses dplacements, comme sa
participation des luttes les plus diverses, donnent un aspect attrape-tout
la mobilisation, ce que ne manquent pas de relever des textes critiques :
Il est devenu une star. Chacun le courtise. Lui, ne fait mme pas le
dcouvrir que le ' franchouillard ' parle anglais. Puis ce sera Davos,
les paysans sans terre du Brsil o Bov se sent soudain ' proche de
la thologie de la libration ', la Colombie, le Qubec, la NouvelleCaldonie / Madr, l'homme a tout compris. C'est un attrape-mouche
de gnie. A moi les poulets la dioxine, les boeufs ou les veaux aux
76
ascension du ' berger ' qui depuis bien longtemps dj ne garde plus
ses brebis en Aveyron. Il y a d'ailleurs oubli sa bergre.
Le jeu avec les medias a toujours son revers : le personnage apparat de plus en
plus clairement comme une construction, le spectateur anonyme, une fois
conquis ou intrigu, discerne de mieux les procds et se lasse des figures
indfiniment rptes qui, en laissant se dtacher peu peu les traits plus
abstraits de la caricature, finit par abmer le message, qui semble de plus en
plus prvisible et creux. Cest sans doute cette usure trs rapide du personnage
de srie qui explique la faible mobilisation ultrieure pour la libration de Jos
Bov lors de son emprisonnement en 2003 : seuls des cercles concentriques
forms autour du militant ont fait entendre leur voix, dnonant un dni de
dmocratie. Paralllement, la globalisation de la lutte contre les OGM,
caractrise jusqualors par des actions sporadiques et locales, a permis de lui
donner des bases idologiques, en gnralisant une forme de matrice
intellectuelle, mais elle rencontre vite des limites. Ainsi, la logique des
rassemblements globaux contre la mondialisation librale sessouffle nettement
ds 2001, du moins sur le fil des OGM. Un appel mondial tourne court, ce qui
permet au Figaro dironiser sur la cause anti-OGM au niveau mondial :
Les militants anti-OGM ont perdu leur pari de la grande journe
anti-mondialisation
(Confdration
paysanne,
Greenpeace, Attac, les Amis de la Terre, etc.) est loin d'avoir fait le
plein. Faute de combattants malgr la prsence de Jos Bov, la
77
78
2001/18/CE +15368%
rglement +481%
Autorit +14770%
essais +447%
Valence +9844%
moratoire +247%
IRAK@ +8278%
Zimbabwe +5424%
Bov +225%
POLICE@ +190%
Lappel la rsistance de toute la socit civile contre lEtat et les industriels organise de plus en plus
les mots dordre. Voir louvrage du Collectif CCC-OGM, Socit civile contre OGM. Arguments pour ouvrir un
dbat public, Barret-sur-Mouge, Yves Michel, 2004.
100
79
militants +148%
Moser +4872%
champ +142%
Gaymard +4135%
plants +127%
Drme +3905%
droit +110%
finalit +3767%
CONFEDERATION-PAYSANNE@ +93%
acadmies +3675%
contamination +90%
Guyancourt +3583%
actions +89%
web +3583%
protection +88%
Magescq +3490%
avis +86%
sages +3398%
SYNDICATS@ +85%
PAM +3245%
valuation +81%
mesures +77%
11-SEPTEMBRE@ +2800%
MANIF@ +76%
acadmiciens +2386%
PREFET@ +75%
Yvelines +2386%
scurit +73%
dlinquance +2201%
INRA@ +70%
OGM@ 1264
prison +2426%
ETAT-CENTRAL@ 413
moratoire +1167%
Bov 273
AFSSA@ +986%
EUR-UNION@ 250
SCIENCE-EN-PLEIN-AIR@ +938%
MONDE-RURAL@ 230
essais +649%
EUR-INSTITUTIONS@ 203
parcelle +521%
ETATS-UNIS@ 174
POLICE@ +409%
LA-PLANETE@ 169
Lamy +388%
mas 164
militants +364%
ALIMENTATION@ 152
personnes +323%
CONFEDERATION-PAYSANNE@ 145
champ +316%
JUSTICE@ 143
Washington +307%
80
moratoire 140
EUR-ETATS-MEMBRES@ +289%
produits 130
loi +280%
ENTREPRISES@ 115
valuation +266%
LA-FRANCE@ 114
Mamre +253%
SYNDICATS@ 112
image +253%
CHERCHEURS@ 108
Bov +253%
risque@ 107
avis +225%
militants 97
plants +225%
subventions +225%
Larzac +225%
FNE@ +185%
MANIF@ +171%
Gironde +171%
81
disposition du public. En mars 2001, suite une plainte dpose par France
Nature Environnement, le tribunal administratif de Paris condamne le
ministre de lAgriculture publier la liste des essais OGM pour lanne 2000.
Or la stratgie du gouvernement consiste viter la publicit autour des sites
exprimentaux, afin de ne pas mettre en pril les essais, position facilement
retourne par les anti-OGM :
La dmocratie nest-elle pas mieux respecte par un procs public ?
Le
gouvernement
franais
ne
devrait-il
pas
appliquer
la
Ce
manque
de
transparence
nempche
pas
la
dit : parce qu'on peut pas faucher un champ d'AGCS. Et c'est vrai
que qu'est-ce qui fait que les gens savent aujourd'hui ce qui se cache
82
AGCS, il y a trs peu de gens qui vont tre capables de vous le dire.
c'est beaucoup plus diversifi. Ils ont fait une erreur stratgique
a. Et de ne pas attendre. Et donc du coup ils ont fait les OGM les
plus merdiques qui soient, et qui offrent le plus grand levier de
103 Bien que mondialis sous diffrents aspects, le dossier des OGM est marqu par un trs fort degr de
cadrage national. Les acteurs se rfrent aux OGM comme une problmatique globale, mais cest une
affaire qui se joue de manire trs diffrente en fonction du contexte national au point dailleurs que
certaines comparaisons ne soient pas assumes par les acteurs eux-mmes, comme le cas autrichien
Comme lindique lextrait suivant les anti-ogm lont bien compris : Ces essais ont deux objectifs
principaux : habituer les populations locales la prsence dOGM en milieu non confin, et, surtout, inscrire des varits
transgniques au catalogue officiel des semences. Car cette inscription ne peut se faire, que la varit soit transgnique ou non,
quaprs un passage au champ. Une fois les semences inscrites, elles deviendraient commercialisables ds linstant o le
moratoire serait totalement lev (Attac, Les OGM en guerre contre la socit, Paris, Mille et une nuits, 2005, pp. 5960). On trouve un autre exemple, sur un site de soutien des syndicalistes faisant lobjet de poursuites
judiciaires pour une action de fauchage (http://www.9deguyancourt.org/ ): Cette exprimentation mene en
plein champ avait pour objectif de tester, par lintroduction dun gne tranger la plante, lauto synthse par la plante dun
insecticide. [] Lautre objectif de cette exprimentation visait valider les caractres ncessaires linscription au catalogue
officiel des varits et des espces cultives en France (DHS : distinction, homognit et stabilit) - dernire tape obligatoire
avant toute commercialisation de semences. Cet essai na donc rien voir avec la seule recherche exprimentale, mais constitue
une tape dans la procdure de commercialisation de ce nouveau vgtal et sinscrit bien dans une volont globale visant
breveter le vivant .
104
83
A cet gard, il faut noter quune nouveau fauchage sera organis en 2003 sur le mme site du Geves
Guyancourt, mais cette fois-ci au grand jour et par des membres du comit national de la Confdration
Paysanne. Ce fauchage donnera lieu au procs dit des 9 de Guyancourt .
106 Ren Riesel, ancien membre de la Confdration paysanne, impliqu dans les premier fauchages ou
destruction de semences OGM avec Jos Bov (avec lequel il se brouille au moment o celui-ci devient
lincarnation mdiatique de la lutte contre la mondialisation librale) dclare lors dune interview la CNT
lautomne 2003 : Je trouve encore plus drle aujourd'hui quelques semaines aprs l'abolition du moratoire par l'Union
Europenne de voir le parangon de toutes les vertus citoyennes, le modle exotique absolu, le camarade Lula Da Silva, son
Parti des Travailleurs, son Brsil altermondialiste et son Porto Alegre autoriser les cultures transgniques au Brsil, brisant
en plus [] les quelques efforts qui avaient t tents par quelques agro-biologistes de crer une filire non-OGM relevant du
commerce dit "quitable".
[] on peut constater qu'ils ne tiennent pas leurs troupes en ce moment puisque je pense que la vingtaine de sabotages
clandestins qui ont eu lieu cet t ne sont pas seulement imputables des anti-progressistes ou des anti-industriels. Je pense
105
84
En tout tat de cause, partir de lt 2001 il devient patent que la question des
OGM sest radicalise et quil deviendra de plus en difficile de se situer ct ou
au-del dune opposition nette et tranche entre pour et contre . Autrement
dit, il devient de plus en plus compliqu de dbattre et dargumenter sur cette
question 107. Si certains acteurs rclament toujours louverture dun grand
dbat public ou dun vritable dbat sur la question des OGM, il ne faut pas
se mprendre sur le sens de cette assertion. Nest un vrai dbat que celui qui
est pos dans leurs propres termes. La cinquime priode rend ainsi manifeste
que, dsormais, les acteurs sont engags dans un affrontement politique et
cherchent imposer leur vision du monde, linscrire dans des cadres
juridiques, ce qui revient faire porter au droit une fonction de surveillance et
dempchement sur des activits agricoles qui restaient largement en dehors de
son champ de comptence. Et comme il y a un minimum de connaissance et de
technicit engag dans laffaire, il faut en passer par des experts. Il nest pas
tonnant ds lors que les dcisions prises par les juges soient contradictoires
entre elles, engendrant pour certains observateurs limage dun trange ballet
jurisprudentiel. En ralit, ce qui peut tre analys comme une forme
dexprimentation collective est le processus normal pour aboutir in fine une
mme qu'il doit y avoir l dedans quelques citoyennistes un peu nervs, voire mme agacs par les dernires aventures de leur
idole. Pour parler franc, je considrais pour ma part que la lutte sur ce terrain prcis tait en chec depuis prs de deux ans .
Interview consulte le 12 aot 2008 sur http://cettesemaine.free.fr/cs87/cs87riesel.html
107 Les tentatives menes au cours de cette priode pour vider la querelle et ramener le dossier dans un
espace de discussion publique ont clairement chou, faute de saisir tout ce que le cas des OGM cristallise
comme nouveaux conflits politiques. Voir par exemple J.-P. Oury, La querelle des OGM, Paris, PUF, 2006.
85
par les dputs comme le sujet politique vcu par les citoyens. a
c'tait effectivement trs mauvais signe. Trs mauvais signe. Et les
A partir de lanne 2001, les OGM sont dans une impasse au niveau national.
Pourtant, tout le monde sait que le moratoire europen qui existe de facto depuis
1999 sur les nouvelles autorisations de culture pour les PGM est vou tre lev
lorsque des rglements sur ltiquetage et la traabilit seront adopts. En
mme temps, le foss entre lEurope et les Etats-Unis ne cessent de se creuser,
la priode tant marque par la menace dune plainte des Etats-Unis lOMC :
108
86
109 Le thme de la dsobissance civile emprunt par Bov et ses allis la tradition critique issue de
Henry David Thoreau est prsent ds 1999 dans le corpus et ralise un score de 247 occurrences
(auxquelles il faut ajouter celui de la dsobissance civique , 91 fois ). Mais cest surtout au cours de
lanne 2004 que le thme simpose comme mot dordre gnral.
87
1. Les stratgies des prvenus lors des procs pour fauchage dOGM
Le procs comme tribune, le procs des OGM
Mais nous sommes prts rpondre de nos actions devant la justice
si c'est l le seul lieu de dbat que l'on croit bon de nous octroyer ",
Devant une salle acquise leur cause, les trois prvenus, leur
avocat et les tmoins cits pour le procs de jeudi sont venus faire le
procs des OGM.
88
de
dfendre
la
sant
des
consommateurs
et
de
qui s'est droul hier Foix ( Arige ) n'a pas fait exception. Jos
Bov, qui a dj t condamn deux reprises pour des faits
similaires, et ses coprvenus ont justifi leur action en soulevant "le
principe de prcaution li au danger de mettre en culture des
89
dclar que " pas un seul chercheur n'est capable aujourd'hui de dire
comment fonctionne le vivant, quels en sont les risques " .
AFP, 22 novembre 2001
Selon Jos Bov, en menant des essais, " le Cirad n'est pas dans une
logique de recherche mais d'application d'une technologie dont on ne
connat pas les effets ".En dveloppant une plante rsistante un
La Confdration, ainsi que son leader Jos Bov, estiment " qu'il y
a une justice deux vitesses " constatant que " les dfenseurs de la
biodiversit sont immdiatement poursuivis et jugs " alors que les
110
90
91
Les autres procs OGM ont pour origine le sommet de Rio de 1992
de
dpasser
la
92
" Nous en avons assez d'tre sans cesse mis en face du fait accompli
par les multinationales. Il en va pourtant de notre responsabilit.
111 Juridiquement, les accuss peuvent faire valoir que la France na pas transpos la Directive 2001/18
dans son droit national. Mais politiquement, il sagit datteindre une porte plus large : dvelopper lide
dun droit qui sest loign de lintrt gnral, des aspirations des citoyens, pour servir les intrts de
quelques groupes privs.
93
" d'urgence encadrer ce type de recherches (sur les OGM) par des
lois qui n'existent pas ".
Le procs des " Dix de Valence " devenait ainsi une " affaire ", car si
la
culture
biologique
est
particulirement
94
95
112
http://www.monde-solidaire.org/
96
Capture dcran : Vue sur les proprits marquantes du texte de la Charte des faucheur
97
Le mouvement des faucheurs volontaires vise donner une assise plus large et
une plus grande viabilit aux actions de destruction de parcelles OGM, en
aidant faire face aux condamnations judiciaires. Aussi, le texte se place la
fois sur les plans de la mobilisation politique (catgories Modes de
protestation , Logique de dcision et daction , Sociologie politique ), de la
morale (catgories Ethique et morale , Formes de responsabilit ) et de
laction judiciaire (tre fictif la Justice , Catgories Logique judiciaire et
Formes juridiques , collection Textes lgaux ). Il invite tous les citoyens
rejoindre un mouvement, un mode daction, qui tait jusqualors principalement
port par des syndicalistes issus du monde agricole :
A l'origine, les faucheurs volontaires, c'est
peuvent pas tout seuls, ce n'est pas la seule catgorie sociale qui
peut porter ce conflit 113. Ce litige. La socit civile toute entire est
concerne. Donc nous allons tous devenir des faucheurs volontaires,
98
Catgories du rseau
OGM@ 263
parcelle 312
ETATS-UNIS@
JUSTICE@ 117
Orlans 301
Modes de protestation
POLICE@ 66
Toulouse 268
Bov 65
Collectif
266
Opinion/Communication
militants 52
mas 49
faucheurs 45
ETAT-CENTRAL@ 40
Toulouse 37
Orlans 28
action 28
parcelle 27
champ 24
Monsanto 22
destruction 252
Loiret 168
soutien 165
membres 164
mouvement 161
parcelles 152
Haute-Garonne 148
appel 147
Volontaires 131
825
pays
267
EUROPE@
224
texte
tiquetage
OMC@
Concertation/Ngociation
UMP
Discours scuritaire
119
Idal paysan
249
233
157
232
212
202
directive
114
557
colza
193
175
production
Formes juridiques
NOVARTIS-SYNGENTA@ 149
103
Dure/Temporalit 98
INRA@
Modes-de-Dnonciation
64
Discours altermondialiste
61
143
EUR-ETATS-MEMBRES@ 133
varits
ECOLOS@ 21
SCIENCE-ENPLEIN-AIR@ 127
MONDE-RURAL@ 21
Puy-de-Dme 124
destruction 19
MANIF@ 120
MANIF@ 18
actions 119
Identification-EtiquetageTraabilit 52
Collectif 17
faucheurs 117
Rgime de polmique
prison 17
Menville 115
Formes de responsabilit
personnes 17
prison 115
Relations-personnelles
CITOYENS@ 17
aprs-midi 112
mesures
dcision 16
fauchage 111
Norme dlibrative
seuil
ENTREPRISES@ 16
rassemblement 104
Dispositifs gestionnaires
Haute-Garonne 15
Libouban 95
Enqute-Investigation
Ethique et Morale
60
Logique-d-alarme
56
165
Borloo
130
tude@
126
rapport
116
riz
113
GRENELLE-ENVT@ 112
51
50
49
45
44
43
130
article
prix
107
94
86
85
autorisation
AFSSA
85
76
99
Mamre 93
arrachage 90
porte-parole 88
rgion 87
champs 84
nuit 79
100
115 Les actions ont gnralement lieu dans de petites communes rurales, peu connues du public, et dont le
nom surgit en gnral pour la premire fois dans le corpus lorsquun texte relate laction de fauchage. Ces
noms de communes o ont lieu des fauchages sont trs spcifiques au corpus OGM, la diffrence
dautres villes cites dans le corpus et o ont aussi lieu des mobilisations collectives, telles que Paris,
Bruxelles, Rennes, Toulouse, Seattle, Montral, Davos, Cancun, Porto-Alegre, Rome, Carthagne, etc.
Personne na besoin de prciser o se trouve Paris ou Bruxelles. Ces villes peuvent mme devenir des
mta-villes : parler de Paris, peut permettre de dsigner la centralisation du pouvoir en France, de mme
que le nom de Bruxelles dsigne implicitement (pour les habitants de lUE au moins), les institutions de
lUE (la Commission en particulier). En revanche, des communes telles que Nrac, Gaudis, Verdun-surGaronne, Menville, Bassane, Labrihe, Marsat, Greneville-en-Beauce ou Neuville-au-Bois, Guyancourt ou
encore Ouzouer-sous-Bellegarde ne suscitent pas a priori de telles associations. Pour marquer lancrage des
luttes sur le terrain, les activistes constituent systmatiquement des comits de soutien en rfrence ces
localits : les 9 de Guyancourt, les 13 dAvellin, les 10 de Valence, les 3 de St Georges, les 58 de Poinville
les faucheurs de Nonette, le comit de soutien aux faucheurs de Pithiviers, etc.
116 R. Encinas de Munagorri, La dsobissance civile : une source du droit ? , Revue trimestrielle de droit
civil, 2005.
101
Jeux dacteurs
Modes de dnonciation
simple prsence
Discours altermondialiste
simple prsence
ENTREPRISES@
simple prsence
blesss par les forces de l'ordre dpches par l'Etat dans le Gers et
du
tribunal
correctionnel
de
Toulouse
influencera
cette opposition le 4 fvrier 2003 et en 2004 le Conseil rgional a reconfirm sa position. Le pouvoir des multinationales serait-il au-
102
informer
quiconque".
Aujourd'hui
les
multinationales
dans cette situation puisqu' aucun moment il n'a lgifr sur la "coexistence ou non des OGM avec les autres cultures", comme l'impose
expressment
l'Union
europenne.
L'Etat
en
se
mettant
manquaient. Il faut dire que le prfet avait mis les moyens. Depuis
103
104
Entits
dont
le
poids
augmente le plus dans la
priode 6 (/Priode 5)
20
premires
personnes de la
priode 6
Personnes dont le
poids augmente le
plus
dans
la
priode 6 (/Priode
5)
OGM@ 17238
riz 292
Bov 1558
Onesta 9440
ETAT-CENTRAL@ 4595
lus 155
Mamre 290
Royal 6467
EUR-INSTITUTIONS@
4397
POLICE@ 115
Lemaire 209
Contassot 2710
LES-COMMUNES@ 101
Royal 201
Bavay 2710
parcelles 86
Sarkozy 158
Hulot 2481
FILIERE-BIO@ 83
Onesta 146
Mnard 2187
loi 80
Voynet 134
Villepin 1599
Gers 79
Apoteker 123
Chron 1468
cultures 78
Roux 121
Lemaire 1417
coton 77
Chirac 102
Thelen 1272
contamination 77
Lepage 101
Fromion 1272
COEXISTENCE@ 73
Libouban 98
Gminder 1076
article 1980
PARLEMENT@ 67
Etelin 91
Fleury 1076
Environnement@ 1978
ALLEMAGNE@ 66
Gaymard 82
Apoteker 1048
LES-COMMUNES@
1900
JUSTICE@ 66
Bussereau 81
Cohen 749
champ 58
Labeyrie 79
Layre 618
majorit 57
Hulot 79
Bizet 579
bio 53
Sralini 78
Bertheau 553
hectares 52
Goulard 76
Bernier 553
absence 51
Daverat 72
campagne 51
Bayrou 72
rgion 51
Besancenot 70
MONDE-RURAL@ 3746
JUSTICE@ 3155
mas 3096
EUR-UNION@ 2783
produits 2407
LA-FRANCE@ 2393
LA-PLANETE@ 2363
ALIMENTATION@
2101
cultures 1846
risque@ 1764
ENTREPRISES@ 1640
Monsanto 1627
culture 1559
Bov 1558
C. Bonneuil, P.-B. Joly.et C. Marris (2008), Disentrenching experiment? The construction of GMcrop field trials as a social problem, Science, Technology and Human Values, 33(2), p. 201-229.
118
105
march 1546
site 49
Buffet 61
PESTICIDES@ 1494
VICTIMES@ 48
Mnara 60
ECOLOS@ 1486
PREFET@ 48
agriculture 1483
directive 1467
106
mesures permettant de garantir cette absence dOGM. [Problme pas de transposition en droit franais de
la directive 2001/18 jusquen 2008]. A noter quon a pu constater rcemment, pour des raisons que lon
explicitera, que ce postulat pouvait tre remis en cause.
107
Le rseau spcifique est calcul en liminant les entits prsentes massivement dans le corpus et
suspectes, juste titre, de jouer le rle bien connu des arbres qui cachent la fort. Cest une manire de
rendre visible les liens plus spcifiques qui se nouent autour de lentit de rfrence.
122
108
109
On les trouvera notamment dans les arguments dvelopps au cours des procs du centre de la France
(Clermont-Ferrand, Riom).
124
110
permet pas aux paysans qui ne veulent pas d'OGM de dfendre leur
libert d'entreprendre dans le respect de la libert d'autrui et
Au cours de cette priode, la France est condamne plusieurs fois par la Cour de
Justice des Communauts Europennes pour non transposition de la Directive
2001/18. Linaction du Lgislateur commence servir dargument dans les
procs intents par les associations ou les lus locaux. Le gouvernement tente
donc de faire voter une loi ralisant la transposition. Le projet de loi dbute ses
navettes devant le Parlement et ne parvient au bout du processus au cours de
lanne 2006. Il faut dire que la campagne lectorale pour la prsidentielle
modifie, au moins virtuellement, la place et le sort de nombreux dossiers. Alors
que le mouvement des faucheurs volontaires ou les actions des pouvoirs locaux
en faveur de communes ou rgions sans OGM lavaient fortement ancr dans des
scnes locales, avec la campagne prsidentielle du printemps 2007, le dossier des
OGM est peu peu ramen au centre de lespace politique national.
Les mesures opres sur la sixime priode du corpus font apparatre deux
configurations importantes : la premire est lie au projet de loi visant
transposer la directive 2001/18 en droit franais, dbattu au parlement au
printemps 2006, mais qui ne sera pas adopt dfinitivement, probablement en
raison de la proximit de llection prsidentielle de 2007 (do la forte prsence
dans le sous-corpus de thmes comme article, loi, parlement, majorit, Chirac,
Bussereau, Goullard, Villepin, Cohen, Bizet). Par ailleurs, on enregistre la
monte en puissance des candidats la prsidentielle dans le corpus (Royal,
Sarkozy, Voynet, Bayrou, Besancenot, Buffet, sans parler de Bov) ce qui
confirme le retour du politique au cur du dossier des OGM, que lon va
retrouver dans la plupart des discours des candidats 125.
Voir F. Chateauraynaud et alii, Dialogue avec un sociologue lectronique sur u corpus de discours politiques (20022007), Document du GSPR, Paris, EHESS, avril 2007.
125
111
Enquteur : Essaye didentifier les thmes qui sont la fois les plus
communment partags et qui divisent le plus les auteurs-acteurs du
corpus
Marlowe : [] Je raisonne sur les entits lmentaires sans tenir
compte des regroupements oprs par les Etres-Fictifs. Jai trouv 24
entits qui satisfont lensemble des critres. [] Voici les lments
slectionns, ordonns par poids dcroissant :
Europe
4399
immigration
2036
scurit
1631
chmage
1098
Turquie
540
retraites
536
fonctionnaires
516
banlieues
461
35 heures
445
terrorisme
311
prcarit
308
Irak
283
ingalits
251
lacit
244
fiscalit
227
sondages
210
Iran
168
dmocratie participative
140
110
OGM
101
identit nationale
93
privatisation
92
parit
66
Clearstream
36
112
126
127
113
lment dans le corpus et dans les entretiens, alors mme que dans ce cas
prcis, largument de la toute puissance conomique de Monsanto est relativis.
Sans analyser en dtail la production des noncs sur les OGM oprs au cours
du Grenelle, retenons que, dans ses conclusions, latelier intergroupe OGM
dgage un certain nombre de positions autour de 7 principes. Les dispositions
retenues ne font pas toujours un accord unanime mais, selon les cas, on parle de
consensus , d accord majoritaire , ou encore d accord gnral .
Brevetabilit du vivant : Il y a consensus sur la non-brevetabilit du
consensus). Les contraintes doivent tre les mmes pour les produits
franais que pour les produits imports (pas de consensus sur la
faisabilit).
Principe pollueur-payeur : Il y a accord sur le principe de pollueurpayeur. Plusieurs points sont discuts concernant sa dclinaison en
un rgime de responsabilit :
- Concernant l'assurabilit, le
au
motif
que
les
agriculteurs
conventionnels
ne
114
est propos, sans consensus, que c'est la personne qui peut agir sur
le risque, c'est dire conjointement le cultivateur d'OGM et le
- La cration du
ou
d'indpendance
entre
ces
deux
missions).
rcoltes. Dans tous les cas, la traabilit doit tre garantie. Il n'y a
pas accord sur la traabilit des produits carns issus d'animaux
115
116
117
Haute-Autorit sur les biotechnologies rende son avis sur le MON 810. Il doit
servir dappui au gouvernement pour activer ou non la clause de sauvegarde
franaise. Le gouvernement considre que le rapport du comit permet dmettre
des doutes srieux bass sur des lments scientifiques nouveaux concernant
le MON 810 et dcide dactiver la clause de sauvegarde le 11 janvier. Le 12
janvier, les jeneurs mettent un terme leur grve de la faim, tout en
avertissant que leur combat nest pas termin. Mais, alors que le snateur JeanFranois Le Grand, prsident du Comit, a rendu son rapport sur la base des
conclusions des experts du comit le 8 janvier et a conclu lexistence de
doutes srieux , il est dsavou ds le lendemain par une majorit des experts
dans une tribune qui parat dans la presse. Ils affirment avoir fait part
d interrogations et non de doutes srieux . Cette polmique fait ressurgir
les soupons quant laction de forces manipulant en coulisses les prises de
positions publiques au nom darguments scientifiques :
"C'est un mauvais procs, une polmique entre pro et anti comme
dans le nuclaire, avec des intrts et des lobbies puissants derrire,
OGM,
en
mentionnait
aussi
les
"bnfices
pour
118
termes d'un
autre
pourra tre saisi non pas par "toute personne concerne", comme le
prvoyait le projet de loi, mais " la demande des associations
agres de consommateurs" comme l'a souhait M. Bizet, ainsi que,
premier
formulant des
"avis" et
le
second
des
119
120
Adopt le 8
des
pressions
qui
frisent
parfois
les
tentatives
voit que du ct des amis de M. (Jos) Bov" avant d'appeler les lus
avoir le "courage d'aller contre-courant de cette campagne
partisane et irresponsable".
amendement pourrait ouvrir la voie une reconnaissance des zones AOC ou des
parcs naturels comme zones sans OGM. Cet amendement,
vot avec
lassentiment implicite de Nathalie Kosciusko-Morizet, aggrave la polmique au
sein de la majorit parlementaire. Une ptition est lance pour le maintien de
lamendement Chassaigne dans le texte de loi. Finalement, lamendement est
conserv mais amend en deuxime lecture par le Snat, le texte prcisant que
la dfinition du sans OGM se comprend ncessairement par rapport la
dfinition communautaire (i.e. au seuil de contamination de 0,9%). Lopposition
et les groupes anti-OGM accusent la droite parlementaire davoir vid de son
contenu lamendement 252. Aprs quelques rebondissements supplmentaires,
mais moins spectaculaires, la loi est adopte, transposant ainsi la Directive
2001/18 et posant officiellement le principe de la coexistence entre les cultures
OGM, conventionnelles et biologiques. Notons encore que si la loi est vote
malgr les accusations de lobbying qui ont jet le doute sur lautonomie du
processus lgislatif, une grande partie de la charge est reporte sur les textes
dapplication qui seront du mme coup assez long paratre, crant entre le
121
printemps 2008 et la fin de lanne 2009 une sorte de quasi priode de silence
autour des OGM particulirement visible lorsque lon regarde le dploiement
temporel du corpus en fonction des mois : pas de texte dapplication signifie pas
de dfinition claire des distances entre les cultures en coexistence , pas
dautorisation et donc pas ou peu de fauchage
Corpus contemporain (fin 2003-fin 2009) : nombre de textes par mois
400
350
300
250
200
150
100
50
nov.-03
fvr.-04
mai-04
aot-04
nov.-04
fvr.-05
mai-05
aot-05
nov.-05
fvr.-06
mai-06
aot-06
nov.-06
fvr.-07
mai-07
aot-07
nov.-07
fvr.-08
mai-08
aot-08
nov.-08
fvr.-09
mai-09
aot-09
nov.-09
rcent dbat sur les OGM. Si bien que dputs et snateurs Verts
fauche
sur
pied.
Pourtant,
les
tmoins
de
la
122
civile . Pour que le Haut Conseil des OGM ne soit pas noyaut
[]
Autre
exigence
essentielle
de
ses
en
cas
de
dissmination.
Une
disposition
trs
123
amendement larticle
124
OGM 133. Bien que les mauvais traitements datent dj un peu, la sortie publique
de cette affaire consolide la place de la notion de lanceurs dalerte dans le
dossier. Ce faisant, Vlot qui dnonce de manire gnrale les plantes
gntiquement modifies, devient une des figures mdiatiques du lanceur
dalerte maltrait, ct notamment de Pierre Mneton (affaire du sel), Etienne
Cendrier (porte-parole de Robin des Toits, groupe militant sur les risques lis
aux antennes-relais de tlphonie mobile et Vronique Lapids (polmique
autour dun ancien site de Kodak, pollu Vincennes) la revendication de
protection des lanceurs dalerte qui donne lieu un colloque au snat en mars
2008, se situe dans la prparation de la loi Grenelle I134.
Dans la mme priode est publi le livre Le monde selon Monsanto, qui parat
juste au dbut du dbat parlementaire. Le 11 mars trs exactement (entre les
deux phases de discussion du projet de loi au parlement), la chane Arte diffuse
le documentaire de Marie-Monique Robin Le monde selon Monsanto, au moment
o le livre ponyme parat. Le livre et le documentaire (mme sils sont
consacrs lentreprise Monsanto et abordent aussi des thmes comme les
pesticides ou lhormone de croissance) constituent lidal-type de la critique antiOGM dont ils concentrent et synthtisent tous les traits, bnficiant dun succs
immdiat 135. Louvrage, qui consacre beaucoup de pages aux comportements
passs de la firme, et aux dangers avrs des pesticides, rassemble sur la
question des OGM lensemble des signaux dalerte qui ont marqu, en diffrents
points de la plante, lhistoire politique du dossier. Si les dimensions sanitaires
et environnementales sont trs prsentes, cest nanmoins la dimension
conomique qui est prdominante, laccent tant mis sur la manire dont la
multinationale Monsanto tisse son emprise sur les marchs agricoles au
dtriment des formes traditionnelles dagriculture. Reprenant les arguments
Voir son entretien dans Libration, "Pour que les OGM se vendent, on leur invente une utilit sociale"
Dbat. Peut-on se passer des OGM ? Entretien avec le chercheur Christian Vlot , 4 fvrier 2008.
Notons que Christian Vlot a inaugur la srie des entretiens mens lors de cette enqute collective sur les
OGM. Conduit Orsay le 12 mars 2008, cet entretien est de loin le plus long de la srie (80 pages selon la
version retranscrite).
133
125
La formule lche par le prsident de la Rpublique au Salon de lagriculture dbut 2010 donne raison
aux sceptiques. Lors dune visite matinale au salon, le chef de l'Etat, sans aller jusqu' remettre
explicitement en cause les mesures du Grenelle, tant pris par une logique lectorale (celle des rgionales),
Sarkozy relativise le poids des objectifs environnementaux dans la politique agricole : Je voudrais dire un
mot de toutes ces questions d'environnement, parce que l aussi a commence bien faire. Je crois une
agriculture durable. [] Mais il faut que nous changions notre mthode de mise en uvre des mesures
environnementales en agriculture. [...] Sur les normes environnementales, je souhaite qu'on montre
l'exemple mais qu'on avance en regardant ce que font les autres, parce que sinon il n'y aura plus d'leveurs
de porcs bientt chez nous. En effet, ce serait d'autant plus regrettable que, selon le dicton
populaire, dans le cochon tout est bon !
137 P. Rosanvallon, La contre-dmocratie. La politique lge de la dfiance, Paris, Seuil, 2006.
138 Une srie de 6 entretiens ont t mens auprs dagriculteurs du Sud-Ouest plutt favorables aux
OGM. Comme il ne sagit pas de personnages publics ou de porte-parole institus, ils ont t anonymiss
et, dans le corpus, leurs auteurs ont pour noms les lettres A F.
136
126
120
100
80
60
40
20
dc.-09
nov.-09
oct.-09
sept.-09
aot-09
juil.-09
juin-09
mai-09
avr.-09
mars-09
fvr.-09
janv.-09
dc.-08
nov.-08
oct.-08
sept.-08
aot-08
juil.-08
juin-08
La baisse dintensit des mobilisations et des discussions autour des OGM dans
les mois qui suivent le vote de la loi est dautant plus facile attester quil se
produit, normalement, un effet denqute en vertu duquel un corpus a tendance
tre surdvelopp pendant la priode de la recherche (ici 2007-2009), puisque
lon prend en compte beaucoup plus dacteurs et de supports que dans le cas dun
139 On sappuie ici sur les tables produites quotidiennement par le chroniqueur de Marlowe qui enregistre
systmatiquement depuis 2004 les objets dalertes qui occupent le devant de la scne politico-mdiatique.
Sur cette procdure, voir F. Chateauraynaud et J. Debaz, Veille sociologique et flux dinformations
numriques , texte de la communication l'atelier Veille numrique, au carrefour des sciences , Actes du
colloque ECG, Strasbourg, 2009.
127
suivi de routine 140. La distribution prcdente montre que l affaire des OGM
semble repartir en fvrier 2009. Le pic enregistr en dbut danne se
maintiendra quelques mois, mais globalement cest un retour au calme .
Quels sont donc les auteurs-acteurs qui prennent le plus la parole au cours de
cette priode qui sapparente au rgime de normalisation modlis par la
pragmatique des alertes et crises ? En tte de liste on trouve Greenpeace (111
contributions), puis INFOGM (65), la Confdration paysanne (48), les Amis de
la Terre (37), manifestant le maintien en prsence des associations ; du ct des
industriels ou des semenciers, on trouve Monsanto, qui totalise 32 contributions,
lensemble form par le Gnis, Olosem, Seproma et UIPP (16) ; du ct des
medias, Le Monde (40), lAFP (40), Les Echos (33), puis Ouest-France (30)
premier reprsentant de la presse quotidienne rgionale, Le Figaro (21), SudOuest (21), support beaucoup plus prsent lors des actions de fauchage des
annes 2003 2007 ; la presse europenne est surtout reprsente par
Europolitique (27).
O sont donc passes les agences dans le processus ? Dans le corpus de la
priode 8, lAFSSA nintervient que 4 fois, toujours propos du mas. Lavis le
plus comment est celui que lagence remet en janvier 2009 aprs avoir t
saisie le 5 septembre 2008 par la Direction gnrale de la sant d'une demande
d'avis sur le rapport du Pr le Maho adress la commission europenne en juin
2008. Lpisode est intressant puisquil fait suite l'avis du Comit de
Prfiguration de la Haute Autorit sur les OGM, partir duquel le
gouvernement a invoqu la clause de sauvegarde pour la culture du mas
MON810 (Le MON810 est une des vedettes du corpus OGM ; voir supra laffaire
du doute srieux qui prcde la discussion et le vote de la loi). En rponse
lavis du Comit provisoire, Monsanto a prsent des arguments en dfense du
point de vue de labsence de risque. Le MEEDDAT a demand au Pr le Maho
(membre du CPHA) dvaluer largumentation de la firme. Or, le rapport remis
par le Maho, communiqu la commission Europenne, utilise des arguments
sanitaires qui contredisent lavis favorable de lAFSSA dat du 30 avril 2008, le
Maho faisant appel au principe de prcaution. Sans entrer dans le dtail des
points controverss le seul avis de lAFSSA fait une quarantaine de pages
dnoncs assez techniques - on peut retenir que lagence sanitaire prend des
positions favorables au MON 810 :
En consquence, l'Agence franaise de scurit sanitaire des
aliments estime qu'au regard des donnes prsentes dans le
On a pu montrer cet effet denqute sur la composition des corpus propos du dossier nuclaire,
marqu par des phases denqutes et des objets dtude diffrents (la problmatique sanitaire dans les
annes 1995-1998, lmergence de la nouvelle critique radicale anti-nuclaire au dbut des annes 2000,
puis les dbats publics en 2005-2006, et enfin lenqute sur la gestion des dchets radioactifs en 2009. En
soi, ce nest pas un problme puisque les corpus sont bien des constructions lies la logique denqute
qui est privilgie et quil y a de multiples moyens den prendre la mesure ne serait-ce que par lexamen
des jeux dauteurs et de supports runis. Dans le cas des OGM, on a malgr tout vis au dpart une
certaine exhaustivit sur la dure concernant les supports mdiatiques nationaux et locaux, bnficiant de
la gnralisation des bases de donnes de type Lexis-Nexis et Factiva, ainsi que des flux dactualit sur le
Web.
140
128
substantielle
dmontre ;
les
tudes
Dun certain point de vue il sagit donc dun non-vnement qui napporte aucun
lment nouveau dans la controverse ; mais dun autre ct, on voit se former
une opposition au sein du dispositif dvaluation des risques entre le comit de
prfiguration dont la composition est lie lhistoire rcente du dossier et au
souci daccrotre la vigilance collective sur les stratgies des firmes semencires,
et de lautre les agences lAFSSA et lAESA considres par la majorit des
protagonistes comme des entits pro-OGM. Ce type de partage explique que la
formation du Haut-Conseil ait pris du temps et quelle ait suscit de fortes
attentes de la part de tous les acteurs concerns. Le pic de fvrier 2009 est ainsi
dabord li aux effets de la polmique suscite par la position de lAFSSA :
La culture de mas OGM de Monsanto en France reste suspendue,
a annonc jeudi le gouvernement. Cette mise au point est
129
remet pas en cause la clause de sauvegarde (...) qui repose sur des
nature
environnement
scientifique".
dnonc
"un
avis
politique,
pas
sur
les
clauses
grecque,
franaise,
hongroise
et
autrichienne.
Greenpeace, 12 fvrier 2009
manire de pointer une logique de dcision fonde sur des crises sanitaires des
courte dure (H1N1 ne pouvant que confirmer ce point de vue ). Voir
Greenpeace encourager le gouvernement persvrer dans la voie dun refus du
mas de Monsanto peut surprendre : mais cest compter sans la dimension
stratgique de lONG qui sait, des longue date, recomposer ses alliances et
modifier ses plans daction pour faire avancer les causes quelle dfend. En
attendant, largument des doutes srieux est repris par Greenpeace contre
lavis de lAFSSA :
Des doutes srieux. Rappelons que la clause de sauvegarde
franaise
est
principalement
base
sur
des
considrations
le bacille et celle produite par le mas MON810 n'ont pas les mmes
131
cas davis positif sur lexistence dun risque, toutes mesures de nature
prserver l'environnement et la sant publique. Un autre point important est
relatif sa constitution puisquil est form dun comit scientifique, conu de
manire pluraliste, et dun comit conomique thique et social. Comprenant
plusieurs reprsentants dassociations de protection de lenvironnement,
dassociations de consommateurs et dusagers des instances hospitalires, il
comprend galement un membre du Comit Consultatif National dEthique, des
reprsentants des organisations professionnelles agricoles, dont un reprsentant
de lagriculture biologique et un reprsentant de lapiculture ; on y trouve
galement un porte-parole de lindustrie pharmaceutique, des distributeurs de
semences, de lindustrie agro-alimentaire ; il y a des reprsentants des salaris
et des lus (association des maires de France, dpartements, rgions, lOffice
parlementaire), ainsi quun sociologue, une juriste et un conomiste. Les experts
en SHS sont censs tre indpendants et leur entre dans le dispositif marque la
place prise dsormais par lvaluation socio-conomique qui tend le champ de
lexpertise. Les autres membres sont nomms pour leur capacit reprsenter
des intrts divers. Cela reconduit de fait les oppositions rputes intangibles
qui se rveillent chaque recommandation, et a fortiori chaque vnement
marquant dans lespace politico-mdiatique comme on le verra plus loin avec le
fauchage de Colmar en aot 2010.
Un texte intressant surgit au fil de multiples requtes sur cette priode de
lhistoire des OGM. Il sagit dun communiqu du GNIS, dat du 22 avril 2009, et
intitul : Haut conseil des biotechnologies : Allons-nous enfin aborder la
question des OGM de manire apaise ? . Philippe Gracien, porte-parole des
professionnels des semences et de la protection des plantes, membre du HCB,
dclare ainsi :
La cration du Haut conseil des biotechnologies est une chance
unique de pouvoir enfin aborder la question des OGM de manire
apaise. Toutefois, il aura fallu un an pour que ce dernier se mette
132
133
Dposer des brevets, c'est leur droit le plus strict. Mais ces
situations propices des " conflits d'intrts " nuisent la crdibilit
propose, par exemple, " que ces experts dbattent devant des
scientifiques sans aucun lien avec les industries parties prenantes,
que les changes soient rendus publics, [et suggre], que l'avis
devrait tre assorti, le cas chant, des rserves mises ".
En valeur relative
(rapporte au volume de contribution)
Greenpeace
Gnis - Olosem - Seproma - UIPP
Presse Ocan
Aujourd'hui en France
Sud
CONFEDERATION-PAYSANNE@
Ouest-France
L'Humanit
INFOGM
La Provence
Le Monde
Libration
La Croix
BASTA
Rseau OGM info
Le Quotidien
La Charente Libre
Aujourd'hui
La Tribune
362
270
265
265
237
193
178
165
158
132
130
119
115
113
105
98
87
87
76
134
"animaux nourris sans utilisation d'OGM" pourra tre appose sur la viande et
les produits laitiers issus de filires excluant l'alimentation base de soja ou de
mas OGM. Greenpeace se flicite de cette mesure pragmatique permettant
aux industriels ayant fait le choix du sans OGM de le valoriser et de
prenniser ces filires , et sinquite des surcots infligs aux filires sans OGM
(ne serait-ce que les tests). Greenpeace souligne deux points positifs dans l'avis
du CNC :
Cette possibilit de valorisation concerne galement les produits
qualit, n'excluent pas toujours les OGM !" - Le CNC est ferme sur
la dfinition du " sans OGM ". Il vite de faire croire que sans OGM,
la CGB, cest lattention porte aux modalits de culture des plantes et au type
dagriculture et dalimentation quelles engendrent. On est ainsi pass dune
pure valuation des risques une tentative dvaluation des avantages et des
consquences socio-conomiques entranes par la culture ventuelle des OGM
en France.
136
137
Jusqu prsent les actions de fauchage sont portes en premier lieu par des militants dun syndicat, au
sein duquel cette stratgie fait dbat. En dea de la question de la lgitimit de ces actions, le cot des
procs faisant suite aux destructions dOGM cre des dissensions au sein de la CP.
144 Cest labsence dune lgislation sur la traabilit et ltiquetage des OGM qui avaient motiv ladoption
du moratoire europen.
145 N en 1935, J.-B. Libouban est membre des communauts de lArche, mouvement fond par Lanza
del Vasto. Ce mouvement revendique notamment la protestation par laction non-violente .
143
140
Lesprit de cette initiative est donc de faire en sorte que la contestation des OGM
par les actions de fauchage ne soit plus uniquement porte par des acteurs
dfendant les intrts circonscrits dun groupe professionnel mais par une entit
plus abstraite : la socit civile . Ainsi est rdig l Appel des faucheurs
volontaires invitant lensemble des citoyens la dsobissance civique par
des actions de fauchage de cultures OGM en plein champ.
Le surgissement de cette adversit dclare sous la forme dun mode daction va
modifier les modalits de lopposition aux OGM ; dun point de vue stratgique, il
sagit de contrer la rpression du mouvement en lempchant de sabattre
systmatiquement sur des personnalits. Mais cette dimension tactique visant
faire reconnatre la nature collective de lopposition est loin dtre la seule
caractristique de ce mouvement. Lenjeu est aussi celui de la prennisation
dun front dopposition recherchant dautant plus construire une lgitimit
quil procde de manire assume par des actions illgales. Do un travail
important sur les motifs de laction dont la dsobissance civique dfinit le
cadre travers lequel le mouvement des FV fait merger la socit civile
comme nouvel actant de la mobilisation.
Dans cette perspective, on peut montrer comment le mouvement des FV se
structure progressivement partir dune double contrainte : dune part la mise
en tension entre lgalit et lgitimit, pour justifier la conduite dactions
constituant des infractions pnales ; dautre part, le cadrage collectif de ces
actions manant dun mouvement non institutionnalisable (et ne pouvant
accder aucune forme de lgitimit par la voie dune existence
institutionnelle). De surcrot, les infractions pnales elles-mmes (et leurs suites
judiciaires) permettent dorganiser cette mise en tension et de rendre manifeste
une volont gnrale considre comme bafoue par les formes institues de
gouvernement 146. Compar la tradition philosophique anglo-saxonne, qui fait
de la dsobissance civile un droit de la minorit, la dsobissance civique ,
mise en mouvement au nom de la volont gnrale, va en revanche de pair avec
un droit de rsistance au nom de la majorit.
Rappelons que les premires actions de destructions dOGM remplissaient une
fonction dempchement. Dans le cas de laffaire de Nrac, la destruction dun
stock de semences visait empcher la ralisation du danger de contamination
allgu. En outre, les actions de destructions de parcelles exprimentales
permettent de bloquer le processus dautorisation des OGM, dans la mesure o
toute varit de plante doit avoir subi des tests de culture en conditions relles
avant dtre inscrit au catalogue officiel des varits commercialises. Cette
efficacit pratique permet en partie dexpliquer pourquoi, dans le cas prcis des
OGM, cette forme de protestation sest impose, au dtriment de formes plus
Autrement par rapport une approche philosophique qui part du conflit des devoirs comme donn, et
voit dans laction dsobissante la consquence de ce conflit, la perspective sociologique part des actions de
dsobissance pour observer comment elles organisent cette mise en tension entre lgalit et lgitimit.
146
141
classiques, telles que la manifestation 147. Ds laffaire de Nrac, les auteurs des
destructions dOGM associaient un autre rle leurs actions : lalerte dun
public vaste, au-del dacteurs dj immergs dans la pratique agricole et le
rappel au respect de principes dmocratiques ayant subi de svres entorses,
selon les auteurs des actions. De plus en plus revendique comme une forme
dinterpellation des pouvoirs publics, cette vise citoyenne des fauchages
permet den assumer la lgitimit malgr leur illgalit. Au-del de la
rhtorique argumentative, se pose alors dun point de vue pragmatique la
question de la manire dont les auteurs des actions sy prennent pour
performer ce caractre citoyen des actions et, rciproquement, loigner leur
qualification strictement dlinquante. Les FV mettent en avant quatre lments
pour lgitimer leurs actions et en revendiquer la dimension citoyenne, savoir
leur caractre collectif, public, non-violent et responsable.
Sous cet angle, prcisons que la construction du mouvement des FV et son
succs ne sont pas rductibles un espace de calcul prtabli, mais sont aussi
un rsultat de la mobilisation elle-mme, des contraintes la fois daction et
dargumentation qui lui sont propres. Tout comme dautres mobilisations, celle
des FV produit des effets dapprentissage et de rflexivit grce auxquels les
acteurs conoivent et structurent la forme de leurs agissements, ventuellement
utilisables dans dautres contextes, sous condition de contraintes partages.
Cest pourquoi nous examinerons galement en quoi le mouvement des FV a
contribu lmergence dun rpertoire daction post-syndical , et comment le
motif de la dsobissance civique contribue agencer de manire renouvele
les rapports entre citoyens et Etat dans le cadre de la mondialisation des
conomies.
142
149 Lors des procs pour fauchage, les prvenus ont systmatiquement mis en avant le moyen de l tat
de ncessit , et lors du procs faisant suite laffaire de Nrac, lavocate de la CP avait plaid la
lgitime dfense .
150 Mais ce nest pas la seule raison, Cf. infra.
143
mobilisation contre les OGM. Et par sa puissance dexpression 151, elle marque
un second basculement dans lobjectivation de ce mouvement visant une
inscription dans la dure. Sa principale caractristique rside dabord dans une
opration de dprise entre les mobiles de laction et lidentit des acteurs quils
lont initie ; il sagit en effet de dtacher lopposition aux OGM dappartenances
partisanes ou syndicales pour llargir lensemble de la socit, de simples
citoyens venus de tous horizons .
[] les faucheurs volontaires l'origine, c'est de dire : les paysans
ne peuvent pas seuls, c'est pas la seule catgorie sociale qui peut
En faisant des actions de fauchage le produit dun collectif de citoyens, qui nont
pas de bnfice direct laction, ne dfendent pas dintrt particulier immdiat
et visent au contraire lintrt gnral, la charte des FV redfinit la lutte contre
les OGM comme une cause transversale traversant tous les milieux. Dans cette
optique, la signature de la Charte par les FV permet de faire valoir une
reprsentation comptable des adhrents au mouvement et dafficher une volont
collective autrement que par la rhtorique de ses porte-parole. Par la mme,
cest lontologie du collectif qui est redfinie ; en se dtachant dun cadre
strictement syndical, en ne confondant plus les motifs de lengagement une
activit particulire et en louvrant au mode spcifique et plus large de la
citoyennet, lentre dans le mouvement des FV devient lobjet dun libre choix et
non dune appartenance prexistante.
Les faucheurs volontaires veulent dvelopper et populariser cette
rsistance engage par la Confdration paysanne, et dont Jos
Bov a t et reste la figure emblmatique 152 tandis que les collectifs
anti-OGM prennent le relais. Cette lutte est laffaire de tous. Nous
sommes tous en danger .
Extrait de la Charte des FV
La notion de puissance dexpression renvoi la construction dune prise de parole dans lespace
politique et son inscription durable sous forme de position reconnue ; Elle vise des effets
dintressement et denrlement dun tiers. Elle suppose tout la fois une laboration argumentative, la
mobilisation de ressources matrielles et des jeux de liaisons entre diffrents types dacteurs. Voir F.
Chateauraynaud, La contrainte argumentative. Les formes de largumentation entre cadres dlibratifs et
puissances dexpression politique , Revue europenne des sciences sociale 1/2007 (XLV) : 129-148.
152 Cette dpersonnification du mouvement ne va pas jusqu la ngation de sa filiation historique
travers le personnage de Jos Bov dj dot dune forte reprsentation politique. La rfrence cette
figure emblmatique est aussi un renvoit implicite au fait que Bov est lun des reprsentants de
laltermondialisme, posture quil renforce en dcidant de quitter la CP en 2003 et en devenant membre du
bureau de lorganisation internationale Via Campesina en 2004.
151
144
145
sont engags par crit pour assumer pleinement leur geste. Je crois
beaucoup cet engagement crit que nous demandons avant tout
155
146
gendarmerie.
147
Un fou au sens goffmanien du terme : c'est--dire quelquun qui se trompe compltement de cadre,
et qui ne se rend mme pas compte. Cf. E. Goffmann, Asiles, Paris, Minuit, 1979 et Les cadres de lexprience,
Paris, Minuit, 1991.
159 Comme celle qui a eu lieu Colmar.
158
148
autres.
Charte des FV
Il est donc explicite que les actions ne sont pas dtachables de la volont
collective et que laction isole place lindividu au ban du collectif. De cet
engagement personnel (formalis par laffirmation crite de la responsabilit de
ses actes), qui vise nagir que dans le cadre du collectif et en respecter lesprit,
dpend la possibilit de rptition des actions concertes de fauchage et la
permanence de son expression publique par lexpression dune volont gnrale
citoyenne. Or le maintien de celle-ci doit aussi se comprendre en regard de
laction judiciaire, qui tend individualiser les peines.
Simposer collectivement contre et par la logique judiciaire
Soulignons que loin de rpondre uniquement des ncessits organisationnelles
relatives aux fauchages, la structuration du mouvement et sa
reprsentation, ce nouveau cadrage de la mobilisation permet en outre de
contrer la stratgie pnale consistant punir seulement ceux qui sont identifis
comme les leaders du mouvement (au premier rang desquels Jos Bov).
149
150
demprisonnement contre eux (comme le dit une avocate des FV, plus il y a de
procs, moins il y a de condamnations ).
Dans un ordre dides diffrent, mais assez proche, la critique de la critique
met en cause non pas le caractre collectif de laction, mais lide quil sagit
vritablement dun mouvement de masse, rassemblant des citoyens de tous
horizons au-del de cercles habituels de militants chevronns et trs investis
dans certaines causes. Ainsi, lors dun entretien, un agriculteur commente le
rcent Grenelle de lenvironnement, o ce qui correspond selon lui un manque
de courage de la classe politique sur la question des OGM la profondment
du :
je pense que les politiques n'ont pas fait leur boulot de prendre
des dcisions et de... Quitte soulever les foules. Moi j'aurais t
curieux de voir les foules se soulever contre les OGM. Parce qu'
part les cent ou deux cent militants, qui font le tour de France entre
guillemets, parce que c'est les mmes qui sont interpells dans les
diffrents fauchages. Parce que quand vous discutez avec les forces
de l'ordre, c'est les mmes qui partent de Provence et qui vont
faucher ici, qui sont dans le Puy-de-Dme, qui vont en Aquitaine,
enfin... Il y a toujours un noyau dur des cent, deux cent militants
151
Ainsi, ds 2001, lassociation Greenpeace, qui ne participe pourtant pas directement aux fauchages,
pouvait elle crire : Tout nous montre que les industriels sont incapables de contrler la pollution
gntique de notre environnement et de la chane alimentaire, et que les politiques se font les complices
des multinationales de l'agrochimie, pour qui la non-contamination est impossible, en les autorisant
contaminer les cultures conventionnelles et biologiques. Ds lors, il n'apparat plus ni illogique, ni
illgitime que les citoyens qui refusent les OGM, devant l'incapacit des pouvoirs publics, procdent
des oprations de "dcontamination" et de prservation de l'environnement. (Greenpeace, Communiqu
de presse, 31 aot 2001). Dans ce texte, on trouve ainsi les motifs de la globalisation des conomies, de
lincapacit du politique face ce mouvement de mondialisation, et du caractre citoyen des destructions
dOGM, pour exercer une force de rappel vis--vis des pouvoirs publics.
160
152
puisque 70% des Franais de tous horizons sont opposs aux OGM dans leur
alimentation 163. Ceci a notamment pour consquence que, dans leur approche,
Selon les termes de Rawls auquel, notons le, Bov et Luneau renvoient pour dfinir la dsobissance
civique (Cf. Bov et Luneau, 2004, p. 187).
162 J. Rawls, Thorie de la justice, Paris, Seuil, 2009, [1971]
163 Charte des FV. A noter que cette rfrence un rejet massif des OGM par lopinion (saisie par des
sondages) est rcurrente dans largumentation des anti-OGM.
164 Par exemple, sur la quatrime de couverture du livre de Bov et Luneau, on peut lire : Il ne leur reste
plus qu dsobir, quel quen soit le prix, pour dfendre la dmocratie. Organiser pacifiquement la rsistance linjustice .
165 La dsobissance civile est trs loigne de la rsistance organise par la force. Un militant, par exemple, est bien
plus oppos au systme politique existant. Il ne laccepte pas comme quelque chose de presque juste, de raisonnablement juste.
[] laction militante ne se situe pas dans le cadre de la fidlit la loi, mais reprsente une opposition plus profonde
lordre lgal. On pense que sa structure de base est si injuste ou si loigne des idaux quelle professe que lon doit essayer de
prparer la voie pour des changements radicaux ou mme rvolutionnaires (J. Rawls, Thorie de la justice, op. cit., pp.
407-408.
161
154
Double enjeu donc : lgitimer des actions illgales et dlgitimer la loi (telle
quelle existe). Faire reconnatre les actions illgales (fauchages) non comme des
actes de destruction, mais comme un moyen de faire peser une contrainte pour
louverture dun grand dbat public sur les OGM. La question du dbat est
dailleurs devenue une coulisse du conflit autour des OGM, les protagonistes ne
cessant de se renvoyer le fait que ladversaire refuse le dbat .
Ils nous soutiennent. Une volont gnrale gomtrie variable
Une des manires dont les FV assoient la lgitimit de leurs actions consiste
mobiliser ou faire rfrence des appuis externes, des tiers approuvant les
fauchages et incarnant diffrentes figurent de limpartialit, voire de lintrt
gnral. La mobilisation de ces figures du tiers ou de la volont gnrale permet
aux FV de mettre en avant le refus de se laisser enfermer dans une spirale de
laffrontement et de la violence, car dans cette logique les fauchages
deviendraient leur propre fin. Ces tiers sont la fois des soutiens et des gardefous pour la mobilisation. Parmi ceux-ci, il y a tout dabord la figure de
l opinion . Les FV mettent en avant de manire rcurrente des sondages et
enqutes dopinion tendant montrer une opposition massive de la population
franaise (voire europenne) aux OGM. A noter que cette figure de lopinion est
mobilise dans la Charte des FV :
La dsobissance civique est une action citoyenne et rflchie. Elle
peut compter sur un soutien important de la collectivit puisque
70% des Franais de tous horizons sont opposs aux OGM dans leur
alimentation. 16 rgions refusent les O.G.M. et 1 500 communes ont
pris des arrts pour les interdire sur leur territoire.
Charte des Faucheurs volontaires
155
essais OGM ". " On a prs de 3000 maires qui ont pris des arrts
anti-OGM et la majorit des rgions franaises ont aussi adopt des
156
Sur ltat de ncessit comme construction judiciaire, et la constitution dun prcdent dans son
utilisation pour construire une cause durable, voir le chapitre 10 rdig par M.-A. Hermitte.
169 Ds laffaire de Nrac, et de manire constante depuis, les opposants aux OGM ont toujours affirm
que les procs ne seraient pas le procs des prvenus, mais celui des OGM .
168
157
des prvenus relative ltat de ncessit vise non seulement faire reconnatre
la lgitimit de leurs actions, mais aussi lillgitimit du droit tel quil existe, de
la loi. Cette stratgie juridique a connu une conjoncture particulirement
favorable partir du moment o la France sest trouv en situation de dfaut de
transposition du droit communautaire vis--vis de la Directive 2001/ 18.
"Nous allons mener le combat jusqu'au bout car nous l'estimons
170
158
Cette critique ne manque pas en outre dajouter que, pour conserver le pouvoir quil leur reste, les
gouvernements sont souvent amens se rendre complices des multinationales qui pourtant les
affaiblissent : cest ce que cherche mettre en exergue la dnonciation des exprimentations de varits
commerciales prives par des organismes de recherche publics.
172 G. Hayes, Collective action and Civil Disobedience : The Anti-GMO Campaign of the Faucheurs
Volontaires , French Politics, 2007, 5, pp. 293-314.
173. G Ttart, Radicalisation de la critique et mobilisation de la scne internationale dans le dbat franais sur
les OGM , Lil de la communaut internationale, sminaire du GSPR, EHESS, 15 fvrier 2010.
174 Cf. Hayes, Collective action , art. cit.
175 Et, au-del de laspect pnal, volont de construire un autre monde , c'est--dire un monde fond sur
dautres principes et valeurs que le productivisme et la concurrence.
171
159
dans cette affaire, souhaite aller plus loin : " C'est une victoire sur
toute la ligne, certes, mais maintenant que l'Etat prenne ses
Pour une analyse des transformations actuelles de la production du droit en regard de la lecture de
lEtat moderne par Weber, voir C. Colliot-Thlne, La fin du monopole de la violence lgitime ? , in M.
Coutu et G. Rocher (dir.), La lgitimit de lEtat et du droit. Autour de Max Weber, Qubec, Les presses de
lUniversit Laval, 2005, pp. 23-46.
178
160
161
aussi, qui cristallise au fond les rseaux de confiance que lon met
dans tel ou tel leader, les leader ds lors deviennent prisonniers de
leur propre position. Parce quils doivent rendre des comptes ceux
quils reprsentent. Donc celui qui est contre les OGM, qui est
devant ses pairs militants contre les OGM, si jamais il accde une
discussion qui lui permet dvoluer et que cette volution va dans un
sens qui nest pas celui des militants, ces marges de manuvre
deviennent de plus en plus troites. De retourner devant les
particulire pour la paix, plus que pour se foutre des coups de poing
sur la figure. Mais quand tout le monde revient chez lui, cest la
guerre.
162
les
arrts
anti-OGM
de
certains
maires,
le
Pour moi c'est du terrorisme. Une socit qui tolre qu'on rgle les
problmes de cette manire est condamne. Comment des gens
Entretien avec Jean Bizet, Snateur de la Manche, rapporteur de la loi sur les
OGM en 2008
Si vous saviez le nombre de mail que jai que jai avant et pendant
radicaux-l [les anti-OGM], moi jen ai plus dun qui sont venus me
chercher dans ma permanence. Ils ont t bien reus parce que moi
jai rien me reprocher, je nmarge rien, je fais mon boulot.
163
164
toutes les forces en prsence dans les mouvements anti-OGM, trs divers
politiquement. Mais le ressentiment lgard dun monde qui pourrait tre beau
et que le systme en place dtruit est bien l, mme sil nexclut pas laffectivit,
voire le bonheur des luttes partages 181. Il faut souligner que les partisans des
OGM nont pas moins de ressentiment contre ces minorits 182 tyranniques et
obscurantistes.
Pour le reste, on ne pourrait trouver une meilleure introduction aux stratgies
des diffrents groupes et personnalits mobilises contre les OGM. Le choc des
mondes perus est particulirement visible : pour les uns, un monde dtruit
sur le plan matriel et dshumanis sur un plan social, la catastrophe ntant
pas un horizon possible mais un dj-l183, alors que leurs contradicteurs le
voient comme un monde dj trs libr des pesanteurs matrielles auxquels
lhomme est soumis dans la nature, un monde de libert et dinventivit, mme
sil nest pas sans dfaut. Les anti-OGM transgressent effectivement, non
seulement la loi mais lide reue selon laquelle seuls des experts aux
arguments objectivables , peuvent soupeser les risques et les avantages des
biotechnologies. Ils opposent aux connaissances pointues de champs
scientifiques spars des premiers, lexprience globale et vcue tire de la
pratique de lagriculture 184. Tous ces nimporte qui selon lexpression de
Rancire, ces assourdis et ces sans voix selon R.Riesel, cherchent se donner
181 Cf. le texte original et intressant M-C.Belleau, R.Johnson et V.Bouchard : Visages de la colre judiciaire
Rpondre lappel, http://www.ejls.eu/2/35FR.pdf La colre judiciaire peut emprunter plusieurs visages.
Elle peut impliquer de la colre personnelle entre les juges, de la colre en rapport avec les actions de la
cour comme institution, de la colre lencontre des parties devant la cour et de la colre au sujet de
visions contradictoires de la justice et de linjustice. La dcision qui nous occupe nous invite considrer
cette relation double tranchant et se demander si la justice ne requiert pas parfois cette colre. Cest, en
effet, ce que nous suggrons .
Il est tout un dbat sur ce que sont vritablement les activistes anti-OGM : des minorits ne
reprsentant quelles-mmes et donc peu importantes politiquement ou des minorits, certes, mais
reprsentant une large majorit silencieuse, dont on retrouve lopposition aux OGM au fil des enqutes
dopinion. Dans le cadre de cette deuxime analyse, leur rle politique est important. On peut estimer que
la composition actuelle du CEES du HCB se fonde sur cette deuxime analyse puisquelle donne une
place quantitativement importante aux porteurs de la contestation. On peut trouver un condens de ce
ressentiment dans larticle de F.Ewald et D.Lecourt : Les OGM et les nouveaux vandales, Le Monde du 4
septembre 2001
182
Sur ce point, cf. C.Bessy et F.Chateauraynaud, Experts et faussaires. Pour une sociologie de la perception, Paris,
Ed.Mtaili, 1995. Les recommandations du CEES sont, cet gard, caractriss par la prise en compte de
ces expriences globales ct de la rception des donnes scientifiques objectivables fournies par le CS.
Cest ainsi que ds la recommandation sur le MON 810, le CEES a indiqu clairement quelles donnes il
avait mobilises et entendait mobiliser lavenir : des donnes publies, des donnes de terrain, donnes
pratiques qui reposent notamment sur lexprience des professionnels et associations reprsentes au sein
du CEES
184
165
166
167
168
169
170
nest pas direct mais il passe par linformation dtenue par les pouvoirs publics
qui doivent donner accs ce quils dtiennent. Si lun nest donc que le miroir
de lautre, il est tout de mme frappant de remarquer quil est quivalent,
lexception, notable, des informations confidentielles. Il relve donc de lintrt
bien compris du public que les associations se proccupent non seulement
dobtenir la divulgation de ce que dtiennent les autorits publiques, mais aussi
surveillent le fait que ces dernires reoivent effectivement tout ce qui est prvu
par la loi. On remarquera enfin lambivalence de certains personnages et de
certaines associations ou syndicats qui peuvent dune part plaider au nom de la
lgalit et le lendemain, passer lillgalit manifeste des destructions ou, dans
une perspective moins radicale, du soutien aux destructions.
Le bilan de la deuxime bataille, celle du contenu de lvaluation des risques, est
moins impressionnant mais il est loin dtre ngatif.
172
173
174
204 Toscana, Obersterreich, Aquitaine, Pas Vasco, Limousin, Marche, Thrace, Salzburg, SchleswigHolstein, Wales ; elles demandent dj lUnion europenne daccepter que les rgions europennes
dfinissent leur propre territoire ou une partie de celui-ci comme zone sans OGM.
205 160 rgions de 30 pays europens et 12 organisations interrgionales
206 http://www.gmo-free-regions.org/Downloads/manifesto_eng.pdf
207
175
176
http://www.gmo-free-regions.org/layout/gmo-free-regions/img/map.gif
Cest ainsi que lun des premiers arrts anti-OGM fut dcid par la maire de Mouchan, lpoque lu
de Pche, Nature, Chasse et Tradition alors que le mouvement anti-OGM est souvent rpertori gauche
211
212
177
le contexte politique tait favorable une reprise en mains par les pouvoirs
locaux. En effet, Bruxelles mme avait toujours soutenu lEurope des rgions
contre les Etats, ce qui stait marqu par le dveloppement de la dmocratie
de proximit qui donnait aux pouvoirs locaux une palette dinstruments
nouveaux et, en France, des possibilits de rfrendum ou un pouvoir
dexprimentation normative locale. De mme, le contexte est lcologie et les
OGM sont perus, tort ou raison comme anti-cologiques. Le maire de
Cendras, devant le Tribunal administratif annulant son arrt, dira ainsi son
incomprhension : le dpartement soutient la dmarche des agriculteurs bios,
Bruxelles et lEtat ont cr des zones Natura 2000 sur le territoire de sa
commune, -comment alors implanter des OGM ?
Le rseau.- Il a bien des utilits, au premier rang desquelles le poids que cela lui
213
214
Tract sign Fernand Cuche, Conseiller national Vert/NE et Sylvain Fattebert, secrtaire de Stop OGM
http://www.reseau-coherence.org/
178
179
180
grave et imminent : typiquement une fuite soudaine dun gaz dangereux dans
une installation classe. Les maires ont donc essay de reprendre la main en
interdisant toute culture dOGM sur le territoire de la commune. Mais les
arrts municipaux sont automatiquement transmis aux prfets, chargs
dassurer le contrle administratif de la dcision. Lorsquun prfet estime lacte
illgal, il le dfre au Tribunal administratif. Le rsultat ne se fit pas attendre :
Sil appartient au maire, [] de prendre les mesures de police
un
but
de
police
par
larticle
L.533-3
du
code
de
222
Dans deux cas dessais pourtant, limminence tait vidente puisque les
parcelles taient dj plantes. Pourtant ni le Tribunal administratif de Rennes
ni le Tribunal de Toulouse ne se sont donn la peine de motiver leur refus de
suspendre lessai ; ils nont pas vrifi la validit des mesures de prcaution
envisages pour protger les cultures proches 223. Les 400 mtres gnralement
retenus, lenfouissement des dchets, prvus par les autorisations sont-ils
suffisants ? Probablement, mais ce qui est choquant est que la question nest pas
pose.
Les consignes aux prfets
Ds que samora le mouvement des maires, lEtat ragit par un document
intitul Consignes aux prfets : lments pour la rdaction des dfrs
Idem.
Ordonnance du 10 aot 2001 Prfet dIlle et Vilaine c. commune de Chasne sur Illet, n012191
224 Que lon peut trouver sur un site www.elus-ecologistes.org
222
223
181
Elles prvoient parfois la ncessit de zones refuges pour les insectes non cibles par exemple, mais cela
reste trs vague.
226 Sauf pour ce qui concerne le prsident du conseil gnral
225
182
183
184
b. Les messages pouvant dboucher sur une action publique locale indirecte -.
Par sa motion du 28 juin 2004, la Rgion Basse-Normandie se dclare
oppose tout essai et toute culture, met le souhait que dans
On commence voir ici les marques dune politique plus active et originale,
propre la rgion : ne pas soutenir la mise en place des cultures transgniques
alors quelle soutient dautres types de productions agricoles, soutenir en
revanche les filires de qualit et ventuellement tudier la possibilit de
cantines bio . Dune certaine manire, la question des PGM pousse la rflexion
sur lalimentation, et plus particulirement sur le bio, et par voie de consquence
sur lagriculture. Il est dcid : dadhrer la charte de Florence, de soutenir et
favoriser les filires qualit, de dvelopper lternel projet de plan protique
rgional ou interrgional (dont on ne voit gure de trace), de favoriser la qualit
traabilit, dorienter la recherche ou du moins la partie de la recherche qui
229 Ds octobre 1997, Pascale Loget, conseillre municipale Rennes, stait inquite de lexcs de lagroindustrie en Bretagne et avait cr un comit de prcaution sur le mas transgnique. A la suite de cette
premire initiative, des municipalits ont pris la dcision de ne plus utiliser dOGM dans les cantines et,
pour certaines dentre elles de passer des cantines bio (exemple de Saint Germain sur Ille le 23 juin
2003) ; cest le cas aussi de centrales dachats de certains collges ou lyces. La rgion nest pas exempte de
contradictions. Produisant une partie importante des porcs et des volailles industrielles, elle est grande
importatrice dOGM pour lalimentation animale, particulirement de soja. La profession reconnat bien
quil existe quelques filires sans OGM comme le porc Carrefour ou le poulet Mac Do, mais elles restent
des exceptions. Alors quelle ne plante pas dOGM pour le moment, la rgion est donc, nolens volens,
fortement importatrice, lusine de trituration de tourteaux de Cargill ayant t dailleurs autorise doubler
sa production.
185
186
autorit
incompatibilit
administrative
de
dispositions
ne
peut
lgislatives
trouver
avec
dans
des
une
rgles
187
juste titre, ils ont limit leur interdiction, - certaines espces 236 , aux
varits autorises la culture, puisquil ny aurait pas de pril imminent pour
des varits non autorises, un an, puisque chaque anne les dcisions de
plantation sont rvises par les agriculteurs, certaines distances autour
dexploitations bios ou labels. Mais la distance gnralement retenue de 3 km
est excessive 237.
TA Toulouse FNE et Champs libres, rfr suspension, n0502600 ; cette affaire est particulirement
clairante sur lexaspration des tribunaux. Le dossier, bien mont avait fait apparatre un nombre
impressionnant de dysfonctionnements. La dcision dautorisation ne comprenait pas les habituelles
mesures de prcaution des cultures avoisinantes, (cf. dcision 05/010 du 27 avril 2005) et ne prcisait pas
les lieux des essais, ce que la loi franaise exige pourtant, le comit de biovigilance navait pas mis son
avis conformment aux articles 534-1 du code de lenvironnement et 251-1 du code rural
236 On ne peut pas interdire un mas transgnique sous prtexte de proximit avec une plantation de
carottes
235
237 A titre dexemple, la lgislation allemande, assez rigoureuse, prvoit 300 m pour protger une
exploitation bio (mas). Il est dailleurs dommage que les maires se soient accrochs cette distance car
dautres parties des arrts taient de mieux en mieux rdigs comme le montre un arrt du maire de Bax
adopt le 10 juin 2005, aprs lannulation de deux prcdents arrts. Le maire avait en effet abandonn
toute rhtorique et se fondait sur son pouvoir de police pour tout ce qui a trait aux pollutions de tout
nature . Il se fondait sur des arrts du ministre de lagriculture qui avaient autoris linscription au
Catalogue des varits commercialisables de neuf varits de mas gntiquement modifi, ce qui montrait
que la culture tait dsormais pour demain. Il insistait sur le fait que des cultures avaient dj t
effectues en France en 2004 et 2005 dans un contexte de lacunes du droit franais : absence de loi sur la
coexistence, absence de rgime de responsabilit, refus dassurance des assureurs privs. Il notait la
prsence sur le territoire de la commune de 11 exploitations agricoles, dont 7 en conventionnel, 4 en
production biologique et des jardins familiaux . Larrt avait pour objet dinterdire la culture en plein
champ des varits dsignes dans un rayon de trois kilomtres autour des parcelles bio, la condition
que cette distance ne dpasse pas les frontires territoriales de la commune. Cela revient dsigner par
leur numro les parcelles o cette culture sera interdite. Larticle 2 prcise que toute personne dsirant
semer une varit de mas gntiquement modifi devra en faire la dclaration officielle en mairie sur un
188
registre spcialement conu cet effet, avec nom de la varit, date du semis, traitements pesticides
envisags, rfrences cadastrales, destination de la rcolte. En organisant ce registre, le maire palliait
labstention de lEtat. Un seul point restait critiquable, le choix non justifi dune distance de 3 Km.
238
Cest ainsi que le Tribunal administratif de Limoges avait rendu le 27 mars 2003 une dcision isole
mais remarque. Tout en reconnaissant le pouvoir dautorisation du ministre, il nexcluait pas que le maire
puisse prendre des mesures plus rigoureuses : En vertu des articles L.2212-1 et 2 du CGCT, le maire est
charg de la police municipale et peut cet effet prendre des mesures de police plus rigoureuses que la
rglementation nationale ; que, par suite, si en application des dispositions combines des articles L.533-2
et L.533-3 du code de lenvironnement et de larticle 2 du dcret du 20 septembre 1996 susvis la
dissmination volontaire de produits composs dorganismes gntiquement modifis est soumise
autorisation pralable du ministre charg de lenvironnement, le maire de la commune de Coings tait
comptent pour interdire, au titre de ses pouvoirs de police municipale, la culture de plantes
gntiquement modifies sur le territoire de sa commune.
Considrant cependant que la lgalit dune mesure de police est subordonne la double condition
quelle soit justifie par lexistence de risques particuliers dans les secteurs pour lesquels elle est dicte et
quelle soit adapte par son contenu lobjectif de protection pris en compte .
239
Ou encore la dcision du TA Pau 24 dcembre 2003, prfet du Gers, JCP A 2004, n1226, obs.BoillotBurg Latteinte la libert du commerce et de lindustrie lie linterdiction pendant une dure dun an
des essais et des cultures en plein champ dOGM sur certaines parcelles du territoire de la commune peut
tre contrebalance par la protection de la mme libert en faveur des producteurs en agriculture
biologique .
189
Le texte reste assez obscur. Apparemment, on peut crer de vastes zones non
OGM mais on doit dmontrer que dautres mesures ne sont pas suffisantes, ce
qui semble renvoyer des donnes scientifiques (pt.5). Mais tout aussitt le
point 6 est plus radical puisquil entend combiner le systme dautorisation
fond sur la science et le libre choix des Etats. Bien plus, lannexe prvoit au pt
1.3 que les mesures puissent tre labores au niveau national, rgional ou
mme local.
240
190
191
192
193
pour pouvoir enseigner, faire le lien entre les plantes, les animaux,
les pesticides, les hormones et tout ce que je savais []. Et puis je
me rends compte que ces plantes GM sont entre autres conues soit
pour absorber des pesticides soit pour en produire [] 244
194
195
196
l'cosystme. Comme ce sont des principes actifs efficaces, ils ont des
effets secondaires, beaucoup moins tudis que les mdicaments,
pour des raisons conomiques. Les effets secondaires des pesticides
sont des effets empoisonneurs, long terme et bas bruit, des
251
252
197
198
sondage
organis
par
la
Socit
internationale
de
partag
est
encore
minoritaire
256
dans
les
199
chercheurs europens qui ont ralis les contrles ont constat que
Deux mois plus tard, la bataille judiciaire engage par Greenpeace trouve une
issue : la firme de Saint Louis est contrainte par une dcision de la cour d'appel
de Munich de rendre publics ses rsultats. Et en mars 2007, le CRIIGEN qui
Greenpeace a confi le soin de contre-expertiser les donnes brutes de Monsanto
conclut que les rats nourris trois mois avec ce mas prsentent divers
symptmes justifiant un examen pidmiologique approfondi. Le retraitement
statistique des donnes de ltude de Monsanto par lquipe de Sralini
consistait surtout extraire les effets les plus significatifs spcifiquement
imputables l'absorption de l'OGM :
Sur les 58 paramtres mesurs par Monsanto, prcise Gilles-Eric
201
utiliss. Bloquer leur diffusion, comme cela s'est produit dans les
annes prcdentes en ce qui concerne les rsultats des tests sur les
rats nourris ou non avec du mas MON 863, empche l'avance des
Pour les uns, les anomalies physiologiques et mtaboliques repres sur les rats sont lindice dune
toxicit dont le risque, lchelle humaine, reste invisible sans ladoption de protocoles dvaluation
appropris ; pour les autres, ces anomalies sont galement observables ltat naturel et nexpriment
donc pas une pathologie.
257
202
203
204
140,00
120,00
100,00
80,00
60,00
40,00
20,00
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
0,00
205
de
que
dalle, quoi!
rigole parce que Pioneer c'est six ou sept mille personnes au monde,
la ville de Toulouse, c'est sept mille employs. a me fait rigoler,
quoi. Non non mais, on ne peut pas parler de multinationale. Alors
c'est vrai que a fait partie du combat des Verts, ils sont contre les
multinationales. Pour moi c'est pas contre celles-l qu'il faut tre .
206
dans
quelques
mains,
La
concentration
En tout tat de cause, pour saisir la faon dont les acteurs engags dans la lutte
anti-OGM conoivent les stratgies mises en uvre par les firmes semencires
pour arriver leurs fins, on peut partir du livre Le monde selon Monsanto, qui
constitue en quelque sorte lidal-type de la thorie du complot contre la
dmocratie qui se joue travers les OGM 266.
On regarde dabord les entits dont le livre traite principalement :
Entits et EF
Entits
Monsanto
865
ENTREPRISES@
OGM@
520
359
Roundup@
314
MONDE-RURAL@
298
PESTICIDES@ 279
soja
261
Monsanto
Acteurs principaux
865
Monsanto
18
OGM
288
ENTREPRISES@
soja
261
OGM@
10
tude@
Roundup
241
firme
235
MONDE-RURAL@
FDA
186
Roundup@
tude
165
PESTICIDES@ 7
LA-PLANETE@ 254
tats-Unis
151
ETAT-CENTRAL@
tude@
Saint Louis
147
ETATS-UNIS@ 7
semences
135
soja
253
ETATS-UNIS@ 214
ETAT-CENTRAL@
FDA@
212
196
CHERCHEURS@
152
dollars
134
produits 131
PCB
7
7
LA-PLANETE@ 5
FDA@
118
16
semences
PRESSE@
150
dioxine 118
CHERCHEURS@
Saint Louis
147
biotechnologie117
pays
docteur 116
lait
CORPS-MEDICAL@140
266 Le fait que ce livre soit consacr Monsanto (et non aux firmes productrices dOGM est en gnral)
nest en rien restrictif, mais contribue au contraire confrer cet ouvrage son caractre typique, saillant :
en effet, la critique anti-OGM se caractrise notamment par cela quelle se focalise presque uniquement
sur une seule firme.
207
ALIMENTATION@
semences
139
135
dollars
134
monde
116
dollars
pays
110
biotechnologie
EPA
109
PRESSE@
3
3
3
produits
131
march
104
CORPS-MEDICAL@3
Dioxine
126
lait
101
ENFANTS@
3
3
VICTIMES@
126
bl
98
US-EPA@
JUSTICE@
122
mas
96
EPA@
EPA@
119
Paysans 94
VICTIMES@
3
3
208
Monsanto
Soja
FDA
ENTREPRISES@
16
OGM@ 5
Monsanto
OGM@ 10
ENTREPRISES@
5
CHERCHEURS@
3
tude@ 8
Monsanto
hormone
ETATS-UNIS@ 7
Roundup@
Roundup@
semences
CORPSMEDICAL@
PESTICIDES@ 7
ETAT-CENTRAL@
7
MONDE-RURAL@
7
soja
LA-PLANETE@ 5
CHERCHEURS@
4
FDA@
semences
EPA@
CORPSMEDICAL@
biotechnologie
dollars 3
US-EPA@
PRESSE-ENGENERAL@
MONDE-RURAL@
3
Chercheurs
4
vaches 2
lait
LA-PLANETE@ 2
rglementation 2
biotechnologie
ALIMENTATION@
2
tude@ 2
dollars 2
PESTICIDES@ 2
RR
pays
biotechnologie
Roundup@
tude@ 2
OGM@ 2
ENFANTS@
ENTREPRISES@
2
Argentine
IGF1
taux
ETAT-CENTRAL@
2
agence 1
Enfants
Monsanto
Roundup@
tude@ 3
ENTREPRISES@
3
FDA@
Monsanto
VICTIMES@
RR
pays
rglementation 2
Argentine
LA-PLANETE@ 2
OGM@ 2
ALIMENTATION@
2
ETAT-CENTRAL@
2
biotechnologie
MONDE-RURAL@
2
OGM@ 2
LA-FRANCE@
Environnement@
1
LE-CANCER@
soja
vol
agent orange
groupe 1
effets
Jenkins 1
vol
CORPS-MEDICAL@
1
cellules 1
PRESSE-ENGENERAL@
Epstein 1
PATRONAT@
article 1
ETAT-CENTRAL@
1
donnes 1
EPA@
Pusztai 1
ENTREPRISES@
3
US-EPA@
Vit-nam
rapport 1
Cate
tude@ 1
LE-CANCER@
US-EPA@
EPA@
Dioxine 1
Campos 1
On constate que Monsanto et les OGM sont lis chacune des entits soja ,
FDA , Chercheurs et Enfants . Ceci donne une ide plus claire de la
structure du livre, qui vise montrer comment Monsanto dveloppe des produits
209
et les commercialise, aux Etats-Unis et dans le monde, travers ses liens avec
les administrations amricaines et le monde scientifique. Louvrage met en outre
exergue les consquences de ces activits pour des populations humaines et pour
lenvironnement.
Mais le constat dune simple co-prsence dans un texte ne dit pas grand-chose de
la nature des liens ente deux ou plusieurs entits. Pour cela, il faut observer
comment lauteur modalise ces liens. On peut dabord partir de la structure
globale du texte, partir des catgories de discours et des qualits mobilises :
Opinion/Communication 451
Logique de march
420
Rhtorique scientifique
377
Logique financire
312
Formes juridiques
280
Gntique
Dploiement
254
270
de
consquences
Logique judiciaire
215
Raisonnement
210
Rhtorique
204
statistique
du
changement
Modes-de-Dnonciation 194
Relations familiales
184
corruptions,
accusations,
contrainte,
Contamination/Transmission
147
Agir
Stratgique
144
Logique
de
141
Machiavlique
dcision
et
Rgime de polmique
139
Idal paysan
Modes de protestation
d'action
138
134
Enqute-Investigation
Dispositifs gestionnaires 123
134
210
120
Concertation/Ngociation 117
Discours Ecologique
Crises et Catastrophes
113
Dangerosit
Excellence-Comptence
Important-Essentiel
Accusation-Critique
Public/Notoire
Important-volume
Exception/Originalit/Surprise
Nouveaut
Dfaillance-Etat-critique
Mdical
Juridique/Rglementaire
Ecologique
Ralit/Vrit
Ancien
Secret
Assurance-Certitude-Fiabilit
Politique
Economique
Arrt/Clture
Duret/Horreur/Cruaut
Incertitude
Inflexibilit/Rigueur
Fragilit
Biodiversit,
durable
117
Biologico-Gntique
Marchand
agriculture
biologique,
dveloppement
249
211
205
184
182
176
174
166
165
110
107
100
93
89
88
84
74
71
67
65
63
54
48
47
45
Transgnique,
transgniques,
biologique,
biologiques
Toxique,
toxiques,
contamin,
contamins,
dangereux
Bonne, srieux, bon, meilleur
Important, grave, graves, principaux, significative
Incroyable, mensongre,
controverse, abusive
Publie, publi, publique,
lche,
irresponsable,
biodgradable,
211
On est frapp par la part rserve aux modalisations critiques, au niveau des
registres dargumentation dune part (Mode de dnonciation, Agir stratgique
Machiavlique, crises et catastrophes, Rgime de polmique, Modes de
protestation), mais aussi, et surtout, au niveau des qualifications (Dangerosit,
Accusation-Critique, Exception/Originalit/Surprise, Dfaillance-Etat-critique,
Secret, Duret/Horreur/Cruaut, Fragilit).
En explorant les noncs lis ces modalisations critiques, il est possible de
reprer la gamme des moyens dploys par une instance (la firme Monsanto en
loccurrence) pour parvenir ses fins en se situant entre deux ples : le recours
la force, et le respect formel des rgles institutionnelles. Du point de vue des
opposants cette instance, celle-ci recourt ces moyens situs dans cet entredeux parce que si elle laissait libre cours aux voies dmocratiques elle
nobtiendrait tout simplement pas ce quelle cherche, et que le recours la force
brute est exclu parce quil est trop voyant , trop contraire aux rgles et aux
principes dmocratiques pour tre accept, pour que a passe . Autrement dit,
on impute une instance la capacit de faire peser un ensemble de contraintes
sur des institutions, sans aller au-del de certaines limites et pour obtenir un
rsultat qui ne serait pas obtenu sans cela. Plus prcisment, il sagit de rester
lintrieur du jeu dmocratique, sans en jamais en sortir mais tout en
contournant les rgles.
Cest prsent dans cet entre-deux que nous allons nous situer, en tant
attentifs la faon dont les acteurs le qualifient (au-del du seul cas du livre Le
monde selon Monsanto).
212
tudes sont menes par les entreprises ayant mis au point les plantes
gntiquement modifies. Comme les tudes sont souvent ralises avant quune
autorisation de commercialisation soit accorde, se fait alors jours un conflit
entre lexigence de publication des rsultats pour valuation indpendant et le
secret industriel. Ainsi, les firmes semencires sont rgulirement accuses de
sabriter derrire le secret industriel pour ne pas divulguer les rsultats de leurs
tudes, tandis que les anti-OGM dnoncent souvent le manque dtudes
toxicologiques approfondies.
Dans un rcent rapport de lUnion of Concerned Scientists concernant
lamlioration des rendements agricoles par les plantes gntiquement
modifies 268, lauteur Doug Gurian Sherman discute le problme de la mesure de
la contribution aux rendements, sachant que les rendements dpendent en
gnral dinteractions complexes entre plusieurs gnes, alors que la
transformation gntique porte en gnral sur une relation simple entre un gne
et la physiologie de la plante. Il prend en exemple le cas du gne ADP-glucose
pyrophosphorylase et apporte immdiatement la limitation suivante aux
rsultats disponibles :
This gene has been used in at least 23 experimental field trials
since 1993 aimed at increasing yield (Animal and Plant Health
Inspection Service 2008) 269.
Il prcise en note de bas de page: This number of field trials for
Co., so the company had some interest in this gene. Thus it is not
disclosed in any of Monsantos yield field trials, and it is not possible
to know whether Monsanto actually used it 270.
truc qui tait rfut par l'ensemble des chercheurs. Et puis moi
268 D. Gurian-Sherman, Failure to yield. Evaluating the performance of genetically engineered crops, UCUSA, avril
2009.
269 D. Gurian Sherman, Failure to yield, op. cit., p. 30
270 Idem.
213
quand j'entendais des types comme Axel Kahn, repris par d'autres,
recherche sur le colza pour Monsanto, et puis les deux chefs audessus et puis c'est tout .
Entretien, Daniel Evain, ancien slectionneur chez Monsanto,
fvrier 2008
Ces cas pose globalement le problme de lexpertise dans le dossier, ainsi que
des conditions dorganisation dune contre-expertise 271. Cela dit, au-del des
rsultats eux-mmes, de leur divulgation ou de leur falsification, la critique de
lexpertise dans le dossier des OGM se caractrise par le fait quelle est trs
marque par des arguments ad hominem, et la permanence du recours ce type
dargument.
214
Mais les portes tournent encore plus dans l'autre sens, savoir de
2002
reprsentant
des
tats-Unis
auprs
de
l'OMC
au
Dpartement
l'agriculture
272.
(United
States
qui sera plac dans un journal mdical comme le premier d'une srie
planifie pour toucher les mdecins. [...] Une runion s'est tenue
272
215
Cest ici la figure de la collusion qui est ici mobilise par les militants : c'est-dire quils ne pointent pas seulement lexistence dun collge invisible 274
mais le fait que la structure invisible de relations quils sefforcent didentifier et
de dvoiler exerce un effet contraire lintrt du public, en ce que les intrts
de carrire des experts vont directement lencontre de leur libre arbitre et de
leur libert dexpression. En somme, largument des opposants aux OGM est que
les contraintes de lintrt personnel peuvent organiser une forme de
ddoublement de la personne, un cart entre son quant soi et la face
publique quil prsente, et quelle va prsenter de manire cohrente et
durable 275 :
Les gens quand il sont en situation de responsabilit, ils sont proactifs parce qu'ils sont carriristes, parce qu'ils savent que c'est du
216
Anthony
Trewavas,
de
l'universit
d'dimbourg,
Comme l'a bien rsum The Guardian, qui j'ai transmis mes
dcouvertes, ce sont des "fantmes", ou des "citoyens factices" ! J'ai
217
4. Pressions et menaces
Au-del des cas o le conflit entre les protagonistes est assum, il existe aussi
toute une srie de cas o, les parties prenantes tout en ayant des intrt
potentiellement divergents, ou en tant engages dans un rapport de forces, ne
souhaitent pas aller vers laffrontement et considrent quil faut trouver un
moyen de maintenir leur relation dans un cadre en apparence pacifique et dans
un esprit de consensus. Dans cette situation, particulirement frquente semblet-il dans les relations dEtat Etat, que les acteurs font rfrence pour dcrire ce
qui se joue dans ces relations des pressions . Quest-ce que les acteurs
engags dans un dossier dsignent par des pressions ?
Tout dabord parler de pression implique de faire rfrence une force qui est
exerce dans une relation entre deux instances, comme en tmoigne la
qualification du mot part des adjectifs relevant du vocabulaire de la force, de la
puissance :
J'ajoute qu'il y avait une pression gigantesque puisque, lorsque le
Conseil des Ministres de l'environnement a sig, Nol 1996, les
Cette force exerce est identifie comme ayant pour effet de rendre passif celui
qui est la cible de cette ou de ces pressions, comme en tmoigne lusage
rcurrent des expressions, subir la pression , tre sous pression , cder
la pression . Ainsi lusage du mot renvoie un processus daffaiblissement dun
218
De sorte que lorsque les acteurs font rfrence des pressions, cela correspond
immdiatement une opration critique 278, qui renvoie ce que quelquun ou
une instance entame dune manire ou dune autre le libre arbitre dune autre
instance, pour obtenir une dcision quelle nobtiendrait probablement pas sans
cela. Mais alors, de ce point de vue, quest-ce qui diffrencie des pressions de
menaces ? Ce qui caractrise en premier lieu les pressions cest labsence de
caractre explicite de ce qui se joue. Les pressions ne relvent pas non plus de
formes de contraintes directes, physiques, qui sexpriment justement lorsque le
conflit est ouvert. Les pressions efficaces requirent au contraire une forme
de subtilit : les choses (les consquences en particulier) sont suggres plutt
quexprimes ouvertement. Les pressions sont une forme de contrainte indirecte
et insidieuse, dans un entre deux entre la force et la menace. Elles ne laissent
normalement pas de trace, on ne peut pas apporter la preuve formelle que des
pressions ont t exerces. Ou bien, les traces matrielles ne peuvent pas donner
lieu lexpression dun diffrend.
Une guerre venir subtile, souterraine, sourde, sans bombardiers
Sur lconomie perceptuelle de la pression exerce sur autrui, voir F. Chateauraynaud, Les asymtries de
prise. Des formes de pouvoir dans un monde en rseaux, Paris, Document du GSPR, 2006. (disponible en ligne)
278 Sauf exception, cf. infra.
277
219
Avec un tel aspect suggr, subtil, si celui qui sestime victime de pressions y
voit clairement une intention, celui qui est accus peut facilement dsamorcer
laccusation. Dans lexemple ci-dessus, si dans un cas le gouvernement
amricain fait trs clairement savoir quil pourra contester le moratoire devant
lOMC (avec les consquences financires que cela pourrait induire pour le pays
vis), tandis que dans le second cas, il se contente de souligner que le moratoire
est pris sans preuve scientifique, et enfin dans le dernier cas il se limite
exprimer sa proccupation . Dans les trois cas, les pays intresss peuvent
comprendre que le moratoire quils ont dcid est susceptible dtre contest par
les Etats-Unis devant lOMC.
Implicitement, parler de pressions revient reconnatre que celui quon
accuse de les exercer sastreint ne pas dpasser certaines limites, anticipant
que dautres faons de procder pourraient se retourner contre lui : soit parce
que, laissant des traces, elles pourraient tre retournes contre lui dans le cadre
dune affaire judiciaire, soit encore parce que le conflit, le rapport de forces
ouvert pourrait induire des pertes que lon est pas prt assumer. En somme, la
pression ou les pressions renvoie lide dune preuve de force qui ne dit pas
son nom, et dans le cours de laquelle la possibilit est laisse de revenir des
rapports plus quilibrs. Le vocabulaire de la pression induit donc lide que des
protagonistes, qui sont aussi des partenaires, testent leurs limites rciproques,
essaient de saisir jusquo lautre peut aller. Aussi, le recours aux pressions
(et certaines pressions plutt que dautres), ou aux menaces correspond une
estimation au moins implicite du rapport de forces entre les protagonistes :
220
On retrouve des exemples proches dans bien dautres domaines. Par exemple,
dans les comptitions sportives, une des figures rcurrentes de linjustice est la
(mauvaise) dcision arbitrale, prise sous la pression de lune des deux
quipes. Dans la citation ci-dessous, on voit un entraneur dont lquipe de
football a perdu suite un penalty litigieux en seconde mi-temps, se plaindre de
lattitude de lquipe adverse lgard de larbitre :
Aprs le rsultat d'Arsenal Aston Villa (2-2), Arsne Wenger a
laiss filtrer une vritable colre en suggrant qu'une pression avait
pas qu'ici. Mais Wenger n'a pas dit expressment qu'Aston Villa
avait entrepris de dstabiliser l'arbitre. Je n'ai pas d'autre
Agbonlahor, c'est tout, c'est aussi simple que cela. Il lui a seulement
221
Si les pressions sur les arbitres de football ( la mi-temps dans son vestiaire, o
directement sur le terrain, o le public et les joueurs donnent de la voix et du
geste) ont tant de chances dtre efficaces cest, dit-on souvent, que larbitre a
trs peu de temps pour prendre sa dcision, et quil ne peut sextraire ni
sabstraire du cours des choses sur lequel il doit porter son jugement. Il doit
juger laction tout en tant lui-mme dans laction. Or, si lon en revient aux
OGM, on remarque que les dcisions gouvernementales qui ont ( ce quon dit)
fait lobjet de pressions extrieures pour tre annules sont justement celles qui
avaient trait linstauration de moratoires. Or un moratoire correspond
justement une suspension provisoire du cours des choses, pour se donner le
temps de la rflexion. Il apparat alors que faire pression sur quelquun
signifie concrtement le presser dagir, le forcer agir dans lurgence, c'est--dire
tenter de modifier la temporalit dans laquelle il peut prendre une dcision. Ceci
revient dire que le libre arbitre est fondamentalement li au temps dont on
dispose, comme en tmoigne les extraits ci-dessous :
Pourquoi des dcisions aussi htives ? - Est-ce pour satisfaire les
gouvernementaux
il
s'agissait
de
tenir
les
222
Enfin, on peut remarquer quil existe diffrents usages du terme, selon quil est
employ comme une grandeur indfinie ou au contraire comme un ou des fait(s)
identifiable(s) et quantifiable(s), en particulier quand le mot est utilis au
pluriel ( nous avons subis des pressions ). Quand la pression est dfinie, il
semblerait quelle renvoie directement la relation entre des personnes ou des
instances, auxquelles ont peut attribuer une intention, et une volont de
modifier cette relation, travers des sous-entendus, des attitudes, des menaces
voiles, etc. A linverse, quand le terme pression renvoie une grandeur
indfinie, il semble plutt renvoyer aux transformations de lenvironnement
physique des acteurs. Par exemple, dans lun des exemples dj cits, lancienne
ministre Corinne Lepage dclare : J'ajoute qu'il y avait une pression
deux termes dune relation entre des tres anims par une volont, une
intention, mais le fait que lenvironnement des acteurs est sur le point de subir
des transformations qui font que ceux-ci nont que peu de temps pour prendre
une dcision. Cette anecdote lie lpisode des premires importations vers
lEurope de semences gntiquement modifies renvoie une figure rcurrente
du dossier, celle de la colonisation par les OGM. Autrement dit, si on peut faire
cder les gouvernements grce des pressions diplomatiques ,
commerciales , amicales , morales , psychologiques , etc., les
gouvernements rticents peuvent aussi finir par cder devant le fait accompli du
dveloppement dune culture agricole malgr linterdiction dont elle fait lobjet.
Cest ainsi que les firmes productrices dOGM ont rgulirement t accuses
sinon dorganiser en tout cas de fermer les yeux sur la contrebande de semences
gntiquement modifies, en particulier aux frontires des espaces quelles
cherchent conqurir :
Le Conseil des ministres des Quinze doit examiner la rvision de la
directive europenne rglementant la diffusion de ces plantes. Le
223
ventes lgales dOGM des 2004, deux ans seulement aprs leur
sans trop se cacher, des dtaillants vendaient dbut juin des sacs de
semences sous des marques farfelues comme BesT Cotton indices
grossiers pour dire que ces sacs contiennent bien des rejetons du
coton Bt de Monsanto , vendus moiti prix. Candidate a lentre
Cet usage de terme physique renvoyant sons sens physique correspond aussi
au cas o la pression est considre comme lgitime. Il existe cependant un cas
bien prcis o la pression est revendique, assume et prsente comme un
lment positif : cest justement quand cest celui qui est en position de faiblesse
qui la revendique. Mais comment le faible peut-il faire pression alors que lon
vient dtablir que la pression est lapanage du fort (ou de celui qui se sent fort,
ou en position de force)? Rponse : en salliant avec dautres qui sont dans le
mme tat que lui. En crant un collectif de semblables, les faibles peuvent
retourner larme de la pression contre ceux qui lexerce habituellement. Ils
assument et revendiquent mme ce moyen, parce quils constituent le seul
moyen pour eux de se faire entendre, dtre couts, de crer un rapport de
forces , alors quils nont pas accs aux leviers de pouvoir institus. Dans ce cas,
on trouve souvent dans lnonc une forme dobjectivation dun groupe
danonymes : par excellence, lopinion publique . Autrement dit la pression est
dnonce quand elle accentue un rapport de forces dj dsquilibre, et lgitime
224
De leur ct, ces millions d'Europens qui ont cess d'acheter du boeuf, qui font
pression sur les lus, qui scrutent la liste des patients atteints de la nouvelle
variante de la MCJ, restent mfiants.
Autre cas : la pression parfois ce nest pas une action exerce consciemment par une personne ou un
groupe, cest quelque chose qui est l, cest une espce de contexte, avec lequel il faut tre capable de
composer, et li limportance des enjeux dans une situation prcise. On trouve cet usage du mot
pression particulirement dans le vocabulaire sportif : la pression des grands vnements . Quand on joue au
dans un grand club, il faut savoir supporter la pression . Leur club menac de relgation, les joueurs ont la pression sur les
paules . Dans ces cas-l, la pression (au singulier) ne correspond pas un dessein visant vous
dstabiliser. Cest l et il faut faire avec. On retrouve cet usage par exemple lorsquil est question de la
pression des marchs . Dans ce cas, cest quasiment physique. Avec la crise du ptrole et des marchs
agroalimentaires, les gouvernements sont sous pression.
279
225
226
privs.
Alors
que
le
processus
du
Grenelle
de
dans le souci de l'intrt collectif, les "nervis " des lobbies se sont
immdiatement mis en branle. Le sommet de l'excutif a t
janvier 2008
227
On nira pas jusqu dire que cest le dossier des OGM qui fait surgir la question
du lobbying sur la scne politique nationale le public franais est par exemple
habitu lexpression lobby nuclaire mais le dbat autour de la loi sur les
OGM contribue nanmoins mettre au jour toute une srie de pratiques qui
sexpriment dans le cas prsent avec une intensit plus forte qu laccoutume.
Une polmique se fait jour au mois davril 2008 (lexamen du projet de loi a
dbut au mois de fvrier), lorsquun snateur UMP, Jean-Franois Legrand,
dnonce la main basse du lobby des semenciers sur son propre parti. La
difficult tient ce que, on en fait part publiquement ce moment-l, lactivit
de ces groupes de pression est solidement ancre au parlement et que, pour un
certain nombre de pratiques, elle est juge acceptable par les parlementaires. En
effet, lactivit des lobbies couvre toute une gamme de pratiques, que lon peine
qualifier, certaines apparaissant plus acceptables que dautres. Dans tous les
cas, les lobbies apparaissent comme assez fuyants, insaisissables, et la frontire
entre ce qui est normal et ce qui ne lest pas difficile tracer :
La difficult vient du fait que le lobbying est trs camlon , qui va du simple
e-mail au voyage tous frais pays, en passant par le coup de tlphone d'un
ancien dput ami recrut par un groupe de pression. La pression est
quotidienne, sur tous les sujets , explique l'UMP Arlette Grosskost, qui a
dpos l'an dernier, avec son collgue Patrick Beaudouin, une proposition de
rsolution sur le sujet.
En outre, tout lobbying n'est pas condamnable, mme s'il est souvent, pour
l'opinion publique franaise, entache de suspicion. Exception faite du pistolet
et du pot-de-vin , il est mme peru par les dputs, qui ne sont pas
spcialistes en tout , comme une source utile d'information. C'est
indispensable pour se faire une ide de la ralit des enjeux , explique le
socialiste Franois Brottes, membre de la commission des Affaires conomiques
de l'Assemble.
Jean-Franois Legrand, lorigine de la polmique, est lui-mme amen
reconnatre quau moins une partie de ces activits sont normales :
Le Point : Vous accusez les snateurs UMP d'tre sous l'influence de
socits comme Monsanto. Vous y allez un peu fort...
J.-F. Le Grand : Non. Que des lus soient sollicits par les craliers
228
Mais alors, comment situer (du point de vue des acteurs engags dans le
processus) la limite entre le jeu considr comme normal de rencontre avec les
reprsentants des intrts en prsence et dinformation sur un sujet sur lequel
les parlementaires ne sestiment pas forcment comptents, et la perversion dun
processus lgislatif par lassimilation dintrt particuliers lintrt gnral ?
Ainsi, un dput UMP, avant le vote sur le projet de loi dnonce un texte
manifestement amend sous l'influence des groupes voulant une mise en
On a vu plus haut comment larticle paru dans Le Canard enchan (23 avril
2008, voir chapitre 7 du prsent rapport) entreprend, sur un mode humoristique,
de convaincre le lecteur de linfluence dun groupe de pression : il montre la
similitude des argumentaires, la varit des parlementaires ayant
apparemment repris les arguments des semenciers (ce qui tend montrer quil y
a bien une influence globale sur un groupe politique), et enfin la frquence des
reprises du texte adress aux parlementaires. Enfin, le raisonnement qui
gouverne ce dispositif de dvoilement est que la reprise des arguments des
semenciers devait rester cache, invisible, parce quelle a un caractre
inavouable. Larticle laisse implicitement penser que la lettre (donc un support
matriel, qui laisse des traces, contrairement une simple discussion dans les
couloirs de lAssemble) a t destine uniquement un nombre restreint de
parlementaires dment choisis , inspirant confiance aux rdacteurs de la
280
229
230
231
agraires et des cosystmes europens implique que les mesures soient prises au
niveau national voire rgional. Concernant les mesures en elles-mmes, la
Commission privilgie la diffusion de bonnes pratiques , fondes sur la
concertation de tous les acteurs concerns, commencer par les agriculteurs.
Ces mesures doivent tre aussi spcifiques que possible, et tenir compte
notamment des diffrences entre espces vgtales. Les contaminations
accidentelles envisages dans la recommandation de la Commission ont trait en
232
233
287
234
235
291
292
A cet gard, la citation ci-dessus est intressante, car elle ractive la question de la libert de
ressemer , qui tait au fondement de la critique paysanne des OGM, mais en la dplaant : ici
Greenpeace avance que si lon met en place la coexistence, mme les agriculteurs ne cultivant pas dOGM
finiront, par la force des choses, par tre privs de leur libert de ressemer, et deviendront de plus en plus
dpendants des fournisseurs dintrants .
294 Cet argument trouve son prolongement dans la rfrence au cahier des charges de lagriculture
biologique : si la coexistence est impossible, cela signifie qu terme on ne pourra plus pratiquer
lagriculture biologique, comprise ici non seulement comme une activit conomique, ou un segment du
293
236
lactivit
de
leurs
collgues
arboriculteurs
ou
Ici, la critique se dplace des cots conomiques vers les apories techniques
(transport du pollen par le vent, pollinisation par les abeilles, contacts dus
lusage collectif du matriel agricole) de la coexistence. Du point de vue des
militants, ces contraintes physiques rendent illusoire la logique de la
coopration et de laccord entre proches que promeut la coexistence, et va au
contraire gnrer des conflits insolubles entre agriculteurs. Ce que cette
critique pointe, de manire sous-jacente, est que la coexistence implique de
rabattre lensemble des activits agricoles sur un modle professionnel, reposant
sur la capacit clairement sparer, dlimiter, dfinir les frontires de chaque
parcelle ou exploitation, pour traiter lensemble des lments prsents comme
des intrants dune fonction de production. A linverse, en insistant non ce qui
spare mais sur ce qui relie, ce qui circule, la critique cherche mettre en
exergue ce qui rsiste une fonction de calcul, ce qui est utile sans
march, mais comme une figure du bien commun, comme un espace de pratiques permettant de
construire des alternatives lagriculture productiviste . Cf. infra.
295
296
237
297
298
238
(sans ladmettre explicitement) les OGM. Une critique radicale qui tend
dmontrer que la coexistence des cultures est de toute faon impossible. Une
critique oriente vers la construction et la prservation de figures du bien
commun, telles que lagriculture biologique et la biodiversit.
Cet ensemble de ressorts critiques donne une indication sur les contraintes
dune opposition durable aux OGM : les opposants doivent parvenir faire
converger lintrt conomique des agriculteurs et des biens ou des valeurs
universalisables (permettant dassocier des alternatives agroalimentaires, la
biodiversit, sant et environnement, et les formes de la dmocratie). Aussi, si
les acteurs mobiliss prennent le risque dentrer dans des espaces collectifs de
calcul, cest dune part que redfinir ce quest lintrt des agriculteurs fait partie
de leurs contraintes, et dautre part quils pensent pouvoir maintenir une
extriorit ces dispositifs. Plus exactement, ils pensent pouvoir utiliser ce
travail sur des fonctions de calcul pour construire ou maintenir cette extriorit,
et combattre les OGM. Lanalyse de lensemble des preuves du dossier montre
que lentre des opposants aux OGM dans les arnes publiques a pour seule
fonction de bloquer les OGM et de construire une alternative l agriculture
transgnique . Aussi, si les militants acceptent de discuter et de critiquer la
coexistence et les dispositifs sur lesquels elle sappuie, ce nest pas parce quils
acceptent un compromis avec les OGM, mais parce quils estiment que ces
dispositifs peuvent leur fournir des outils pour refuser les OGM, comme en
tmoigne lextrait suivant (inversion complte des contraintes lies la
coexistence, qui aboutit la proposition de crer une filire OGM avec une
certification spcifique) :
Pour la FNAB, encore une fois, il nest pas question que ce soient
les bio qui se protgent des PGM par des distances, des primtres
Que nous apprennent ces diffrents ressorts argumentatifs sur la production des
normes en rgime de gouvernance ? Pour faire tenir ensemble des mondes
htrognes, une bonne gouvernance suppose que les acteurs acceptent
299http://www.repasbio.org/fnab/index.php/OGM/Actus_partenaires_et_voisins/OGM_et_bio_quelles
_regles_de_coexistence.html
239
dassurer
la
coexistence.
Hormis
des
socits
Les
240
incontrles (mas Bt10, riz LL601, etc.) font craindre que les
contrles des semenciers soient toujours insuffisants, comme le sont
les crdits des laboratoires de contrle pour la dtection dOGM non
selon les espces) dans les semences. Si cet avis avait t suivi, les
dissminations
longue
distance
du
motivs,
transparents
et
rapportant
les
avis
de
contrle
devrait
tre
instaur
avec
deux
241
Une norme, ou mme une simple charte dutilisation, peut tre opposable devant des tribunaux.
Cest pourquoi la normalisation a toujours une dimension matrielle, technique. Chez Foucault, par
exemple, la mise en place dune socit de normalisation est associe la gnralisation de technologies de
gouvernement. Cf. M. Foucault, Il faut dfendre la socit, Paris, Seuil, 1997
303 Pour prciser cette distinction entre rgle et norme, on peut prendre lexemple de la langue. Il existe
des rgles de grammaire et dorthographe, qui peuvent tre interprtes diffremment, ou modifies (crire
lauteure si lauteur est une femme, par exemple), en revanche lalphabet latin constitue une norme. Il
est constitutif du monde des acteurs qui utilisent cette langue, il le traverse de part en part, et une fois
install, il est beaucoup plus difficile (et coteux) remettre en question quune rgle. Comme chez
Wittgenstein qui, pour penser la rgle utilise beaucoup la mtaphore de lhabitude et de lusage, la
distinction entre normes et rgles permet de souligner le fait que pour quune rgle puisse gnrer des
rgularits, il faut des dispositions collectives qui ne suscitent pas constamment discussion, notamment
parce quelles sincarnent dans des supports matriels. Sur la rgularit, voir le n spcial de la revue
Raisons pratiques, 2002.
304 La question des standards a beaucoup t examine en conomie sous langle des cots de
rversibilit : Cf. R. Boyer, B. Chavance et O. Godart : Les figures de lirrversibilit en conomie, Paris, EHESS,
1991.
301
302
242
conflit semble invitable 305. Cest bien ce qui a marqu profondment le cas des
OGM et en particulier la critique de la coexistence : certains acteurs nont cess
danticiper les consquences du dveloppement des OGM en agriculture, en lui
attribuant le pouvoir de reconfigurer compltement leur monde de manire
irrversible.
Sans tirer ici toutes les leons de ce long processus, qui nest dailleurs pas
encore achev, on peut dire quil confirme, dans sa logique interne, quune norme
doit en premier lieu permettre aux acteurs de dpasser les conflits prcdents,
de surmonter des oppositions passes et prsentes do limportance donne
la notion de coexistence 306. En outre, le cahier des charges normatif doit
articuler un certain nombre de principes gnraux, tels que le dveloppement
durable , le principe de prcaution ou encore le principe de transparence ,
et se montrer compatible avec ces principes qui sont partags et non remis en
question. Une bonne norme doit ensuite servir de rfrence commune des
acteurs htrognes, dots de reprsentations et dintrts diffrents, et qui la
mettent en uvre dans des contextes singuliers. Enfin, elle doit rendre
calculable ses effets, c'est--dire engendrer un espace de calcul praticable pour
les acteurs quelle concerne.
Autrement dit, la mise en uvre des normes pose le problme de leur
performativit ou performation 307. La question de la performation renvoie
aux conditions sous lesquelles un nonc peut tre vrai , non seulement parce
quil constitue une reprsentation fidle de la ralit, mais parce quil informe,
transforme celle-ci, voire la fait exister. Pour quune norme fonctionne, il ne
suffit pas quil y ait des noncs prescriptifs, il faut que ceux-ci puissent
reconfigurer le monde des acteurs concerns par cette norme. On a vu comment
lenjeu de la coexistence tait de savoir si on pouvait incorporer des activits et
des milieux dans la conception et la mise en uvre des dispositifs. La notion de
bonnes pratiques qui sest gnralise dans le vocabulaire europen traduit
bien cette contrainte : il faut reconfigurer des pratiques pour que la norme
fonctionne, ce qui signifie, en retour, que la norme engage une anthropologie des
milieux. Cependant, il ne suffit pas de multiplier les forums hybrides ni de
produire de l acceptabilit sociale pour obtenir de lacceptation 308. Le
dploiement de la critique de la coexistence montre que pour les acteurs, un
systme normatif doit (pour tre raliste) non seulement intgrer leurs
Voir F. Chateauraynaud, Des disputes ordinaires la violence politique. Lanalyse des controverses et
la sociologie des conflits , in L. Bourquin et P. Hamon, La politisation. Conflits et construction du politique
depuis le Moyen ge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 91-108.
305
Un autre exemple est fourni par le dossier des infections nosocomiales. Lincorporation des alertes et
des affaires antrieures dans la production dinstruments de gestion est au cur de la gouvernance de
lhpital . Ces instruments ont pour premier effet de produire une totalisation, par rapport laquelle des
mesures sont labores qui aboutissent une modification des pratiques.
307 Cf. M. Callon, What does it mean to say that economics is performative ? , Papiers de recherche du CSI,
5, 2006, et M. Callon et F. Muniesa, La performativit des sciences conomiques , Papiers de recherche du
CSI, 10, 2008.
308 C.Bonneuil, P.-B. Joly et C. Marris, Disentrenching experiment: the construction of GM-Crop field
trials as a social problem , Science Technology and Human Values, 33 (2), 2008, p. 201-229.
306
243
309
244
245
246
247
100 fois plus faible que la dose sans effet (DSE) du produit
considr. En revanche, les rsidus des produits de traitement
autoriss en AB, dont linnocuit nest pas garantie, ne sont eux en
gnral pas recherchs dans les enqutes. Laspect le plus important
pour la sant reste la diversit et lquilibre du rgime alimentaire,
Le Buanec et alii, Agriculture biologique. Regards croiss dun groupe de travail de lAcadmie
de lagriculture de France, rapport, septembre 2008-mai 2010.
311 AFSSA, Evaluation nutritionnelle et sanitaire des aliments issus de lagriculture biologique, rapport 2003.
248
profiter
de
la
demande
socitale
et
du
soutien
du
dagriculture
intgre
se
situe
entre
deux
extrmes
312
249
Titre du graphique
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Srie1
Les deux derniers pics sont lis aux moments forts de la dfinition du sans
OGM - le vote de la loi et les discussions au sein du HCB.
Dans le corpus historique (priodes 1 5), le bio atteint le 90me rang
(tombant entre les leveurs et les hectares ) pour un nombre doccurrences
cumules de 1006, distribues dans 364 textes et chez 57 auteurs. La fracture
est ici un peu arbitraire mais donne la mesure des changements puisque dans le
corpus contemporain (priodes 6 8) le bio figure au 30me rang (ironie du
sort statistique entre lagriculture et les citoyens !), avec 2228 occurrences, dans
892 textes et chez 72 auteurs.
Variation des dsignations du bio dans le corpus OGM
Corpus historique 1987-2003
Bio
agriculture biologique
produits biologiques
produits bio
Bio
culture biologique
agriculteurs bio
agriculteurs biologiques
cultures biologiques
filire bio
agriculture bio
agriculteur bio
mode de production biologique
427
240
53
47
40
29
27
24
13
12
12
8
8
895
472
115
84
79
79
74
68
50
43
38
35
26
Voir C. Lamine, Les intermittents du bio. Pour une sociologie pragmatique des choix alimentaires mergents, Paris,
MSH, 2008.
314
250
cultures bio
aliments biologiques
crales bio
aliments bio
producteurs bio
label bio
mas biologique
agricultrice bio
producteurs biologiques
riz bio
label AB
ptes bio
lgumes bio
magasins bio
filires bio
jardinage bio
colza biologique
alimentation bio
levage biologique
exploitations bio
aliment biologique
levages biologiques
crales biologiques
Agriculture biologique
7
7
5
5
5
3
3
3
3
2
2
2
2
2
2
2
2
2
2
1
1
1
1
1
producteurs bio
cultures bio
culture biologique
levage biologique
label bio
aliments biologiques
Agriculture biologique
ingrdients biologiques
filires bio
aliments bio
label AB
colza biologique
exploitations bio
alimentation bio
producteurs biologiques
lgumes bio
crales bio
ingrdients bio
agricultrice bio
crales biologiques
oeufs bio
denres bio
magasins bio
label franais AB
aliment biologique
25
23
17
15
14
10
9
9
6
6
5
5
5
3
3
2
2
2
2
2
1
1
1
1
1
315
316
251
317
252
253
suprettes
s'autoproclamant
tels)
et
supermarchs
poussent
comme
bio
des
(du
moins
champignons.
254
particulirement
saillant
dans
les
entretiens
avec
les
agriculteurs du sud-ouest.
319
C. Le Noallec, Main basse sur les produits bio , Le Monde Diplomatique, mars 1999.
255
Comment on fait ? Les bls, c'est pareil, on met des fongicides mais
apporte quoi ? Moi j'en ai vu, quand je vois des bls malades, je vous
mets des grains malades, vous allez avoir peur. Des grains tout
noirs, c'est sec, c'est. .. En plus je sais pas si vous avez entendu mais
nous maintenant, au niveau des mycotoxines qu'il en faut pas du
tout, alors je vous dis pas un bl bio, il y a que a, c'en est farci.
Alors aprs je sais pas ce qu'on veut faire en France. Quand on dit
qu'ils veulent augmenter de vingt pour cent le bio, qui va acheter le
bio ? Qui c'est qui va acheter du bio l aujourd'hui au prix que c'est ?
C'est des gens qui ont des sous, alors. Quand j'entends qu'ils veulent
mettre du bio dans les coles, qui va payer ? Qui paye ? C'est a le
problme, c'est toujours pareil, c'est facile, quand c'est l'argent des
autres on en fait des choses. Qui va payer ? Moi j'ai un gamin, le bio
je m'en fous. C'est pas pare qu'il va manger du bio que le gosse sera
en bonne sant. C'est pas vrai, hein. Moi j'ai ma grand-mre elle va
Mais, en dpit des critiques et des rsistances, dans les sphres dinfluence
politique ou sur le terrain, le bio est de plus en plus fortement brandi comme
valeur universalisable, ce qui le rend directement mobilisable pour la lutte
contre les OGM. Les acteurs de la filire bio, Fdration nationale de
l'agriculture biologique, SynaBio, Biocoop, Objectif Bio 2007 montent au crneau
lors de la publication du rapport de la mission parlementaire sur les OGM en
avril 2005, jugeant quil fait "l'impasse totale" sur l'agriculture biologique, et
prviennent quils refuseront une contamination quelconque des produits bio
par les OGM 323. Le dbat et le conflit potentiel quil annonce porte de
nouveau sur la question du seuil : pour les parlementaires, qui se placent dans
la srie des avis publics prcdents, exiger zro contamination comme le font
les reprsentants de l'agriculture biologique "interdirait, de fait, toute culture
d'OGM", de sorte que le rapport dfend la possibilit de tolrer une prsence
fortuite de 0,9% d'OGM pour les aliments bio comme pour les autres. La contreargumentation est cinglante et prend appui sur lalliance entre agriculteurs bio
et consommateurs :
Vouloir aligner la bio sur le conventionnel montre le mpris pour
les consommateurs de produits bio, au profit des producteurs
d'OGM. Loin de clore de dbat et de rconcilier les pro et les antiOGM,
ce
rapport
montre
la
partialit
d'une
commission
323
256
Lentre en lice de la filire biologique dans le dossier des OGM forme un objet
en soi dans le long processus critique autour des OGM. Au cours de lt 2000, le
Prsident du Groupement des agriculteurs biologiques du Sud-Ouest, Bernard
Pr fait part de ses inquitudes face au dveloppement des essais et des mises
en culture de plantes transgniques, dnonant le manque de prcaution dans
la mise en oeuvre de ces techniques et demandant aux pouvoirs publics de
garantir linterdiction totale de l'utilisation des OGM dans les zones de culture
soumises au cahier des charges de lAB324. Si, pour les crales et les semences
bio, des mesures de traabilit sont mises en place trs en amont, la filire ne
cesse de faire valoir ses difficults structurelles :
La grogne s'installe chez les producteurs. L'agriculture biologique
se trouverait-elle un tournant de son histoire ? Difficile certifier,
problme c'est que tout le monde croit que nous sommes soutenus et
surtout
face
aux
importations,
qui
sont,
elles,
324
257
Alors que les OGM sont convoqus par leurs promoteurs comme outils de lutte
contre la faim dans le monde, contre les ravageurs et les conditions climatiques,
et dans la foule comme alternative (bien que de moins en moins crdible) aux
produits phytosanitaires, lagriculture bio est de plus en plus souvent engage
dans le jeu des arguments appuyant la ncessit dun changement de modle
dagriculture et de consommation 326. Ce qua rendu possible le dploiement de la
critique radicale des OGM, cest linsertion du bio comme un bien collectif qui
doit tre absolument protg, engageant la puissance publique dans la boucle de
reconnaissance et de certification 327. Dans la production de cette boucle, les
acteurs conomiques psent galement de tout leur poids et, au-del de lentre
par la critique, on voit monter de plus en plus de dispositifs discursifs qui place
la culture biologique comme un des secteurs mergents pris en compte par un
nombre croissant de producteurs et de consommateurs. Le rapport remis par
lAFSSA en 2002, a jou un rle important dans ce processus de transformation,
puisquil donne lieu des reprises en cascade vantant les mrites des pinards
citoyens , des tomates non gntiquement modifies ou des poulardes
cologiquement responsables . Selon certains observatoires, le secteur
conomique form par lagriculture biologique progresse de 20% par an en
France, ce qui, selon un journaliste du Figaro est le produit du double effet des
crises sanitaires (vache folle, fivre aphteuse, listria, etc.) et d'une tendance
gnralise de retour aux valeurs du terroir . 328
En mme temps, le secteur ne pse pas trs lourd dans lconomie agricole et des
acteurs salarment du retard pris par la France , qui naffiche que 1,8% de la
surface agricole utile selon la formule consacre par les agroconomistes. Cest le
cas de Martial Saddier, dput de Haute-Savoie, qui participera un peu plus
tard au processus de la charte de lenvironnement au parlement, et qui uvre
la formation dune filire bio conomiquement viable 329. Cest dans la perspective
dune organisation de la filire quen juillet 2003, Herv Gaymard annonce des
325
AFP, Le rapport parlementaire sur les OGM "fait l'impasse" sur le bio , 14/04/2005.
326 Voir C. Lamine, G. Ttart, F. Chateauraynaud, Le bio comme reconfigurateur des controverses sur
les pesticides et les OGM (1995-2008) , Colloque SFER : La rduction des pesticides agricoles enjeux,
modalits et consquences, Lyon, mars 2010.
Comme on a pu le vrifier lors dune enqute rcente auprs des agences et des ONG Washington,
lalimentation biologique (organic food) suit un processus beaucoup plus lent, mme si des groupes se
fdrent autour de la cause du bio, de plus en plus prsente sur les marchs fermiers (farmers markets),
dans les arguments de groupes anti-productivistes (comme le Center for Food Safety, relativement isol
dans sa lutte contre les OGM) et dans les medias. Voir Michael Pollan, An Organic Chicken in Every
Pot?, New York Times, May 12, 2006.
327
Le bio dclar bon pour nos assiettes. La culture biologique tient ses promesses, selon un rapport de
l'Afssa que rvle Le Figaro , Le Figaro, 9/11/2002.
329 L'Express, MANGER BIO; Bio Le march qui valait 3 milliards d'euros , 1er juillet 2002.
328
258
Toutefois, lagriculture bio nest pas directement cite dans le texte de la loi
vote en 2008, laquelle renvoie la dfinition des entits ncessaires la
surveillance biologique du territoire et la coexistence des cultures aux travaux
et avis du HCB. Larticle L. 531-2-1 insr par la loi dans le code de
lenvironnement manifeste nanmoins une ouverture dans laquelle vont
sengouffrer diffrentes interprtations :
Art. L. 531-2-1. - Les organismes gntiquement modifis ne
peuvent tre cultivs, commercialiss ou utiliss que dans le respect
de l'environnement et de la sant publique, des structures agricoles,
AFP, Quinze mesures prconises pour relancer l'agriculture biologique en France , 17/ 7/2003.
Communiqu du GNIS, mars 2006.
332 Loi n 2008-595 du 25 juin 2008 relative aux organismes gntiquement modifis.
330
331
259
possibilit dtiquetage aux produits issus danimaux qui ont t nourris avec
des aliments non tiquets OGM et contenant fortuitement entre 0,1 % et 0,9 %
dADN transgnique . Or, 0,9 % est le seuil fix au niveau europen pour fonder
une obligation dtiquetage OGM . Une zone grise est cre du fait de la qute
de sparation des productions animales et des productions vgtales, ce qui
suscite des craintes de confusion dans lesprit du consommateur . Synecdoque
dabstraction lesprit du consommateur engage en ralit la conception mme
des marchs et de leur segmentation. Dans la plupart des figures
argumentatives enregistres, le consommateur est convoqu comme un appui
ultime, mme sil ne prend pas souvent la parole en tant que tel. La rfrence au
consommateur, ses intrts et des reprsentations, constitue pour tous les
porteurs du dossier, des industriels aux activistes en passant par les autorits et
les experts, une sorte de principe de ralit, dautant plus dcisif quil est assorti
dun principe de libert dont dcoulent les contraintes dinformation et de
traabilit. Le HCB crit qu afin dinduire le moins de confusion possible dans
Du point de vue des agencements discursifs qui se sont installs dans le corpus,
lenchanement des trois formes dagriculture devient incontournable partir de
lanne 2003 avec une nette monte en puissance en 2005. Puisquil sagit
dassocier trois termes, ce qui cre 6 combinaisons possibles, il est intressant de
regarder quelle est la combinaison dominante. Comme le montre le tableau cidessous qui rassemble toutes les formules trouves dans les textes du corpus
contemporain, la squence qui lemporte est celle qui associe les OGM,
lagriculture conventionnelle et le bio, avec 37 occurrences contre 12 pour la
260
souverainet
alimentaire
europenne
que
reprsente
la
333
261
2. Territoires,
cosystmique
localits
et
milieux :
le
bio
12
7
2
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
5
2
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
comme
traceur
Si lagriculture bio prend un place aussi dcisive, cest aussi parce quelle
participe de la controverse qui oppose les producteurs de gnie gntique et les
tenants de ce que lon peut appeler une co-systmique. Comme on la vu plus
haut, en particulier avec les critiques portes par Sralini et le CRII-GEN, lcosystmique, en mettant en avant les interactions continues entre espces
vivantes et les changes qui se produisent dans lenvironnement, sert dappui
pour dnoncer le rductionnisme gntique. Autrement dit, lopposition qui se
dveloppe met en scne deux rgimes ontologiques, pistmiques et axiologiques
radicalement opposs. Lide dune compatibilit de lagriculture bio et des PGM
semble sous ce rapport compltement incongrue. Marlowe indique toutefois la
prsence, dans le corpus contemporain, dun texte qui semble associer les deux
cultures. Il sagit dun texte du site Terre-Net dat davril 2005 qui contient un
262
entretien avec Antoine Messan 334. Cette source serait passe inaperue dans le
flux dobservations et de notes adresses par le logiciel si, dans lentretien que
nous avons ralis avec Antoine Messan au printemps 2008, et qui se signale
dans le corpus dentretiens pour une forte prsence du raisonnement cosystmique, la question des conditions de production de cet trange
raccommodage, en pleine intensification du conflit, tait prcisment remis en
cause par Messan lui-mme, victime dun procd classique de reformulation.
Comme Messan napparat pas clairement parmi les pro ou les anti OGM,
on lui attribue la thse dune compatibilit des deux formes dagriculture :
Si l'on s'en tient la dfinition officielle du cahier des charges de
globale
de
l'exploitation
et
de
ses
impacts
sur
Antoine Messan : "Tant qu'il n'y aura pas de relle prise de position des hommes politiques, nous
resterons dans une impasse", Terre-Net, 25 avril 2005. On peut comparer cet entretien avec le texte du
mme intitul Comment apprcier l'intrt des OGM pour la comptitivit de l'agriculture ? et publi
dans un dossier de lINRA sur les OGM en mai 1998.On prend ainsi la mesure de ce que la monte en
puissance de lagriculture bio a produit dans lespace de calcul des acteurs.
334
263
aiguillon 336. Une mise en rapport du bio et des OGM a peu de chances de trouver
sa place sur un terrain dfinitivement marqu par une logique de conflit, et avec
des OGM conus essentiellement selon un modle conomique de type
capitaliste. Les propos de Messan sont utiliss pour laisser envisager un
possible dpassement du conflit :
- Pourquoi personne ne communique sur cette approche ?
- Dans le contexte actuel, le dbat est trop tranch, trop radical.
Cette approche serait seulement perue comme une provocation. On
ne peut pas discuter de ce problme. Pourtant on voit bien que
agro-industriels
n'ont
pas
encore
cette
approche.
En
rendre
conomiquement
efficace
l'agriculture
de
prcision. (ibid.)
264
Dans le long entretien quil nous a accord, Antoine Messan est revenu sur ce
texte publi par Terre-Net en expliquant comment ses propos ont t dforms
exprience courante avec les medias qui reformulent au nom de la
comprhension par le public et faute de place, au risque de mutiler des propos et
dempcher la prise en compte dargumentations plus complexes.
(] ils ont corrig aprs parce que j'tais furieux sur la
mais oui, mais c'est pas tonnant, Messan est alin. Bon peut-tre
question, bon moi j'avais srement mal expliqu a. Parce que c'est
face une position o justement le bio utilise l'OGM justement pour
actuel
des
choses,
effectivement,
c'est
compltement
265
travailler plutt sur. .. Sur deux aspects. D'une part, c'est ce que
j'appelle ouvrir les possibles. Il me semble qu'un organisme comme
l'INRA doit avant tout ouvrir des possibilits, et de faon trs larges.
Et pas uniquement par rapport des questions d'OGM. Donc en
fait, pour caricaturer parce qu'il faudrait le dcliner, mais c'est
effrayant, quoi, parce que c'est quand mme a qui va orienter les
agronomes sont mal barrs. Parce que les cologues arrivent, bon au
travers, il y a des revues d'cologie thorique, qui finalement paient
pas. Mais ds qu'on est entre les deux, sur la pratique, c'est--dire
sur des sujets comme a, parce que les agronomes. .. Ils sont trs
cosystmes
cultivs,
mais
leur
objet
principal
c'est
on peut pas faire que des modles. a c'est quand mme une
266
Lapproche est intressante parce quelle vise une double remise en contexte des
lments drains par les arguments publics : dun ct, partir des terrains,
milieux et territoires sur lesquels se joue rellement la coexistence des cultures
ce qui est le programme dune approche co-systmique non-rductionniste - ;
remettre les enjeux de recherche dans leur champ de forces, et en particulier
dans la comptition qui donne la part belle la biologie molculaire dun ct et
aux modles conomiques formels de lautre. On voit du mme coup que, sur le
terrain, il importe autant de prendre en compte les biens et les valeurs qui
rsistent au fil des preuves- et cest nettement le cas de lagriculture bio qui
sort renforce du conflit que de faire remonter les modalits dancrage et
dinteraction dans les milieux. Un principe de ralit fond sur une conception
co-systmique des cultures tend ainsi montrer que lagriculture bio nest pas
un bien en soi mais quelle est constamment en interaction, posant aussi des
problmes dancrage et de dveloppement dans les milieux et les territoires
commencer autour de larticulation durable de formes de vie et dun cahier des
charges dans un contexte dextension du march 337.
Une autre faon de dployer lespace de confrontation dans lequel sest installe
la filire bio, est dentrer par les affaires et les controverses relatives aux
pesticides. Sans redvelopper ici largument, on a pu montrer en comparant les
corpus et les sries dentretiens consacrs aux pesticides (et aux rductions
dintrants) et aux OGM, que les questions sanitaires taient plus fortement
engages dans le cas des pesticides le bio tant alors considr comme un
lment favorable en matire de sant publique alors que dans le cas des
OGM, cest bien plus la libert des consommateurs en matire alimentaire qui
est en jeu 338. Mais, comme les questions environnementales et la dnonciation
de lemprise conomique convergent dans les deux cas, le bio est a priori dot
dune valeur positive : la filire est dun ct range parmi les victimes, relles
ou potentielles, des OGM et fait figure de principale alternative face aux
pesticides. Lattention aux modes dexpression des ralits de terrain , selon la
formule privilgie par les acteurs, montre quau-del de lagriculture biologique
mergent dautres formes dagriculture alternatives lies aux changements de
pratiques suscites par limpratif du dveloppement durable constamment
aiguillonne par la cause climatique.
Vieille problmatique qui fait poindre, plus quen filigrane la figure de la contrefaon ou de la
fraude. Voir Bio: alerte sur les produits d'importation , LExpansion, 29 octobre 2010.
337
Cf. C. Lamine, G. Ttart, F. Chateauraynaud, Le bio comme reconfigurateur des controverses sur les
pesticides et les OGM, 1995-2008 , Communication au colloque de la SFER, 2010.
338
267
268
Tri Brut
12
9
6
4
2
2
1
0
0
Tri Pondr*
209
149
111
191
92
42
31
0
0
* Rappel, le tri pondr permet de ramener la valeur obtenue par un objet ou une classe dobjet au volume de
textes. On voit ici que les priode 5 et 6 se dgagent nettement elles sont marques par la monte en
puissance des fauchages et le basculement dfinitif dans le conflit : empcher lirrversible est alors un des
mots dordre majeur. Par contre, on ne trouve plus trace de la notion dirrversibilit dans les deux dernires
priodes.
Un des problmes de la modlisation est la dfinition du cadre temporel pertinent pour la valisation
des calculs. Dans la thorie de l'esprance d'utilit, crit T. Hommel, un avenir est dfini comme une
liste de consquences laquelle est associe une liste de probabilit, une par consquence, de sorte que la
somme de ces probabilits soit gale 1. Les consquences sont des possibilits qui s'excluent
mutuellement ; chaque avenir contient une liste exhaustive des consquences possibles d'une suite
particulire de choix, et les prfrences des individus sont dfinies sur l'ensemble des avenirs
imaginables. [] Alors que Knight marquait une diffrence entre ce qui relve du risque (objectivement
probabilisable) et ce qui relve de l'incertitude (non observable et non probabilisable), Savage considre
que toute probabilit retenue par un dcideur pour prsider ses choix, mme tablie sur la base de
statistiques long terme, comme une probabilit subjective impliquant un degr de confiance dans les
experts qui les produisent. Savage, s'il a soutenu l'ide selon laquelle les probabilits subjectives sont
applicables aux dcisions impliquant des vnements uniques, a reconnu lui-mme l'absence de validit
gnrale de sa thorie et l'absurdit de l'exigence de spcification complte des tats et de leur mise en
ordre. T. Hommel, Assurabilit des OGM et risques industriels un univers de dcision controvers ,
Courrier de lenvironnement, INRA, fvrier 2002. Voir T. Hommel, Environnement et stratgie des firmes
industrielles. Le modle de la gestion anticipative de la contestabilit appliqu la production des OGM agricoles et
l'industrie du traitement de surface en France et en Allemagne. Thse de doctorat de sciences conomiques,
EHESS, Paris, 2001, 337 p
340
269
Le thme de lirrversibilit est fortement investi par les cologistes depuis les
annes 1970 mais trouve largement ses appuis thoriques dans luvre de Hans
Jonas, dont louvrage majeur, Le principe responsabilit est publi en 1979 341.
Pas tonnant ds lors que la premire occurrence du terme irrversibilit
dans le corpus soit localis dans le chapitre dun rapport, chapitre crit par des
spcialistes des sciences sociales. Mais ce qui est frappant ici cest lassociation
prcoce entre la critique de lemprise de la technique, lacceptabilit des
technologies, la biodiversit, lthique de la responsabilit et le dveloppement
durable :
L'acceptation sociale des biotechnologies passe par les moyens
voqus ci-dessus. Cependant, elle ne sera rellement acquise que
Joly,
Les
consquences
conomiques
de
lessor
des
270
pour les sujets thiques. Nicolas Sarkozy peut compter sur mon
soutien pour la mise en oeuvre de ses rformes, mais pas sur mon
silence.
19
9
6
6
6
5
5
4
4
4
4
4
4
4
4
4
4
4
3
3
OGM@
risque@
Environnement@
gnrations futures
ETAT-CENTRAL@
contamination
systmes
dommages
consquences
champs
dissmination
Sant@
CITOYENS@
POPULATION-GENERALE@
degr
sens
loi
possibilits
modifications
systme cologique
14
6
6
5
4
4
4
4
4
3
3
2
2
2
2
2
2
2
2
2
343
271
272
Priode (1 5)
Annes postrieures
Priode
Priode 1 -1996
Priode 6 -2007
2005
Priode 2 -1997
Priode 3 -1999
Priode 7 -2008
Annes postrieures
2008
10
2009
2010
2012
2013
2015
2025
2030
2050
2009
14
2010
35
2012
36
2013
2014
2015
11
2017
2020
1998
2021
1999
2025
2003
2027
2005
2040
2025
2050
15
2000
2010
26
2002
2012
2004
2013
2005
2015
2006
2030
2010
2050
Priode 8 -2009
273
Priode 4 -2001
Priode 5 -2003
2012
2025
2050
2002
21
2003
Priode 9 -2010
2011
13
2012
2004
2023
2005
14
2050
2006
2009
2010
2050
2100
2004
16
2005
10
2006
2007
2010
2015
2017
2030
Ce tableau procde dun exercice formel qui a consist prendre chaque priode
et regarder comment le futur y est dclin. Si, au fil des volutions du dossier,
des acteurs et des arguments quils avancent, le futur proche est redfini,
globalement les visions du futur qui dominent sont assez stable : dun ct on
sappuie sur une projection essentiellement dmographique pour poser la
question de lalimentation de lhumanit entire en 2025 ou 2050 ; de lautre on
voit venir un capitalisme agroalimentaire qui ne laissera plus rien ct
biodiversit et mode de production alternatif. Variante ou adjuvant de la
premire figure : si la France trane elle accumule un retard en biotechnologie
quelle paiera au prix fort : variante ou adjuvant de la seconde : les dangers se
rvleront plus tard car il sera trop tard
Mais sagissant douvertures davenir et de visions du futur, rien de tel que de
suivre ce quen disent les acteurs eux-mmes. Comme dans le tableau prcdent,
on va glisser dune priode lautre. La procdure est nanmoins diffrente : il
274
ne sagit plus de quantifier des dates ultrieures mais dextraire des squences
ou des blocs dans lesquels figurent plusieurs indices dorientation vers le futur.
Le logiciel Marlowe a t charg de cette tche. Malgr quelques difficults
slectionner un nombre rduit de figures lutilisateur ayant d finir le travail
de slection -, Marlowe a parfaitement rempli son office.
doute, dans nos jardins. Aprs les tomates, les pommes de terre et
autres vgtaux comestibles, ces espces caractre ornemental
entreront ainsi dans la famille dsormais familire des " OGM ",
celle des organismes gntiquement manipuls. Faut-il s'en rjouir ?
cologistes.
Le Monde, 29/03/1996
enzyme
capable
de
soulager
les
enfants
atteints
de
mucoviscidose. ..
275
Libration, 18/10/1996
La
La figure est ici celle des prvisions ou des estimations fondes sur des
tendances longues (dans le temps de lconomie), indexes comme il se doit sur
la croissance dmographique et sur el dveloppement des marchs. On va
retrouver rgulirement cette figure engage sous diffrentes variantes au fil du
temps. Un marqueur comme lheure actuelle opre une contextualisation
annonant des rvisions ultrieures, congruente avec la forme conditionnelle de
la projection concernant lanne 2005 soit 10 ans 346.
346 En 1999, selon l'Isaaa, le march des plantes gntiquement modifies a t multipli par vingt de
1995 1998, passant dans cette priode de 75 millions 1,5 milliard de dollars. Le rapport ajoute : Il
pourrait atteindre 25 milliards de dollars en 2010 . En 2005, un document similaire de lISAAA, outre
des indications chiffres relatives aux surfaces cultives, ractive la projection vers le futur : Avec prudence,
je pense que lessor considrable des cultures gntiquement modifies au cours de leur premire dcennie de commercialisation
non seulement se poursuivra, mais sera encore plus important au cours des dix ans qui viennent .
Le nombre de pays et dagriculteurs ayant recours aux varits transgniques devrait augmenter, en particulier dans les
rgions en dveloppement, alors que de nouvelles proprits agronomiques concernant la fertilisation ou le rendement devraient
faire leur apparition dans les plantes de la deuxime gnration. . lISAAA, Aprs dix ans de commercialisation,
les surfaces de cultures gntiquement modifies continuent de progresser de faon soutenue en 2005 ,
Sao Paulo, 11 janvier 2006
276
lui a t " greff " n'est-il pas susceptible de s'introduire dans une
autre varit, voire dans une autre espce ? L'hypothse est d'autant
? Guy Riba : Il n'y a pas de rgle gnrale, il faut que nous avisions
cas par cas. A l'heure actuelle le gnome et aprs gnome est le gros
problme auquel on va tre confront. Il y a un risque fort de n'tre
plus dans la course parce qu'on n'aura pas eu les forces ncessaires
pour rester comptitif. Si on n'est plus dans la course, il n'y aura
plus que 3 ou 4 grands semenciers qui piloteront tout ad vitam
277
Le point de vue de lINRA est dvelopp ici par Guy Riba qui dfend la position
comptitive de lagro-biotechnologie franaise dans la course mondiale . Cest
la figure que lon rencontre trs souvent dans les controverses et conflits autour
des rformes : il y a des volutions incontournables qui introduisent un principe
de ralit, on ne peut pas faire autrement que de sadapter et dinvestir en
mettant lappareil de recherche en ordre de marche 347. Mais cest compter sans
la monte de la contestation qui va srieusement remettre en cause cet
argument de lirrversibilit.
Si nous ne refusons pas le soja gntiquement manipul, ce
Il y a deux mouvements argumentatifs dans le mme bloc : dune part lide quil
faut agir maintenant sur le soja pour viter que dautres aliments transgniques
entrent dans la chane alimentaire cest une variante de largument de la
pente glissante : on laisse passer A, puis arrivent B,C,D etc ; dautre part,
lusage dune figure du prcdent, couramment utilise pour viser le futur : la
vache folle a montr que les problmes ne surgissaient que plusieurs annes
plus tard, il faut donc anticiper ici par la demande de ltiquetage
systmatique, les cologistes ntant pas encore - ou pas encore dpeint comme
attachs une interdiction pure et simple sans aller jusqu demander
fait partie des marques de ralisme qui composent aussi un excellent point
dentre pour mener lenqute sur lvolution des arguments.
tiquetage : le cas spcifique du soja et du mas Une varit de soja
et de mas gntiquement modifis a t autorise en vertu de la
directive 90/220/CEE avant sa modification du 18 juin 1997 et avant
l'entre en vigueur du rglement " novel food ". Il tait donc
347
278
entre ces produits et ceux qui seront autoriss dans l'avenir dans le
Cet extrait tmoigne ouvertement dune logique adaptative au coup par coup. Si
cette logique marque la plupart des instances de rgulation, la contrainte
dadaptation au contexte est dautant plus prgnante ici que lon est dans une
priode dintensification des tractations autour de moratoires. Dune manire
gnrale,
le marquage narratif du caractre ad hoc dune disposition
saccompagne assez directement de formules comme devront tre prcises
ultrieurement , formules qui constitue le futur comme possibilit de report
un des modes dexistence du futur tant prcisment la possibilit dy envoyer
des rsolutions ( on verra plus tard ). Renvoyer plus tard des dispositions
plus formelles, cest soit reconnatre louverture actuel du jeu, soit admettre son
incapacit trancher. Trs souvent, dans lhistoire politique des mobilisations,
lobtention de reports ou dajournements est trait mdiatiquement comme une
victoire. En ralit les acteurs critiques sont lafft des stratgies utilises
pour faire passer ce qui a t un temps renvoy vers le futur.
Les plantes alimentaires " biotech " sont promises quel avenir ? La
279
Les premiers producteurs de modles du futur sont videmment les firmes ellesmmes. Lextrait ci-dessus fournit un aperu sur larticulation de trois logiques :
une logique dinvestissement qui fait exister le futur comme espace de calcul
travers des esprances de gain ou de dveloppement le verbe miser est
intressant regarder de prs de ce point de vue. Il y a ensuite une logique
adaptative qui dpend des jeux dacteurs et des dcisions publiques tout
dpend de introduit gnralement un raisonnement conditionnel renvoyant
une situation prsente. Enfin, une logique de long terme, qui a retenu
lattention du titreur de Libration, puisque lexpert de Monsanto est camp en
visionnaire dot dune certaine capacit dironie souligne par lusage de Et
encore .
En face, on trouve Hoechst, leader de la chimie europenne qui
innombrables
brevets
concernant
le
mas
et
le
colza
280
Gntiquement
manipules
pour
prsenter
de
meilleures
verte"..
Les
experts
cherchent
amliorer
la
Le Monde 16/11/1996
La figure de lespoir est celle qui opre la meilleure articulation rhtorique entre
promesse technologique et prophtie de bonheur. Cela suppose en amont la
construction de biens ou de valeurs universalisables : ici la scurit alimentaire
de la plante, argument massivement utilis par les promoteurs des OGM et
vivement attaqu par les opposants. Sur le fil de la scurit alimentaire, la
Banque mondiale joue videmment un rle de poids, et lon voit ici comment les
topiques de la justice environnementale qui anime de multiples ONG 348 peuvent
entrer en lice dans la controverse.
D. N. Pellow, Resisting Global Toxics. Transnational Movements for Environmental Justice, Cambridge, the MIT
Press, 2007.
348
281
porte la manipulation
de voir ce qui se passera pour estimer les risques que nous courons.
Il est clair que comme malheureusement beaucoup de ces risques
sont long terme, nous serons obligs sans doute d'attendre assez
normal de dire qu'il faut dfendre les OGM. Si les autres pays
ct, il est vrai que le fait de dvelopper les OGM comme cela se
passe actuellement contribue, dans le domaine agricole, la
282
c'est--dire
pas
celles
que
nous
mangeons
discours consistant dire que nous allons faire des petites filires,
des niches qui seront trs chres et sans OGM, ce n'est pas vrai.
Demain nous pouvons avoir une filire OGM, comme par exemple la
pour tous les OGM alors que demain arriveront des OGM qui auront
un intrt par exemple nutritionnel ou organoleptique pour le
drivs.
Mme Nicoli devant lOffice parlementaire 28/05/1998
283
fait que la vrit d'un jour peut devenir une erreur ultrieure et
donne aujourd'hui aux ides qui seront les ralits de demain, a-t-il
l'histoire.
Le Monde, 12/02/2001
Bien sr, il sagit dun procd rhtorique davocat, mais lide que la situation
prsente trahit une vrit qui ne sera rvle que dans le futur, proche ou
lointain, nest videmment pas nouvelle. Cest elle qui fonde tous les actes de
rsistance : un jour viendra o ce qui apparat inluctable, lgitime, puissant ou
simplement normal cdera la place une autre ralit. Cest la figure du
tribunal de lhistoire qui est rgulirement rengage et qui sert un double
objectif : ouvrir lavenir en faisant entrevoir un autre tat du monde possible le
rle de lutopie tant ds lors de maintenir en vie artificielle ce qui ne peut
prendre corps dans ltat actuel du monde ; renvoyer aux grands prcdents
284
d'exercer
leur
ingniosit
dans
ce
gigantesque
Riesel, 09/02/2001
Les formes de dnonciation sont friandes de visions du futur : soit pour souligner
le dploiement inluctable de catastrophes et/ou de nouveaux systmes de
pouvoir, soit pour dconstruire leur mode de fabrication, comme dans cet extrait
de Ren Riesel qui dresse un tableau des politiques dinnovation jouant avec le
cynisme dont peut tre capable tout acteur critique qui met en avant une
lucidit froide qui nest pas sans rappeler le souci dobjectivation radicale de
la sociologie bourdieusienne en loccurrence, il ny a rien sauver, la science
349
285
Cotton
Conference
viennent
tayer
plusieurs
des
Monsanto, 10/01/2001
Les
socits
europennes
dlaissent
les
organismes
286
La fin des OGM en Europe est un thme rcurrent, que lon a vu surgir de
plusieurs reprises y compris dans des colloques ou des rencontres organises par
lINRA. Si lattention des sociologies sest beaucoup porte ces dernires
dcennies sur les processus de mobilisation, la dmobilisation est une
phnomne aussi dcisif une bonne faon de tester rebours les modles et les
concepts de la sociologie de laction. Lorsque des acteurs de poids, investis dans
un secteur, se retirent, cela pse en retour sur les visions du futur dautres
acteurs, engendrant une boucle analogue la prophtie auto-ralise : X voyant
que Y ny croit plus ny croit plus non plus, de sorte que Z a de bonnes raisons de
saligner sur lattitude de X et de Y, lesquels voient se confirmer dans le
changement de Z leur propre rvision. Mais en ralit cest toujours un peu plus
compliqu que dans les modles thoriques. Les porteurs de la critique eux, ne
croient pas du tout que lindustrie des OGM va disparatre en Europe, voyant
plutt dans le retrait ou le repositionnement des firmes europennes, une porte
ouverte aux stratgies de Monsanto et dune poigne dautres firmes. Dautant
que la critique des multinationales ne cesse de prendre de lampleur au tournant
du millnaire :
Or que nous clame-t-on longueur de journe et selon le cahier des
gntique dans leurs produits. Que les risques soient avrs ou non,
c'est laisser, aux dpends de l'intrt gnral, les multinationales
jouer " pile tu perds, face je gagne ".
Attac, 15/11/2001
inutile ". Certaines voix commencent nanmoins s'lever outreAtlantique malgr cette harmonie affiche. L'un des premiers
287
Mais il ne faut pas oublier qu'on parle ici du vivant. Les plantes
retombes " tiers-mondistes " des OGM, Sylvie Colas se veut toute
planter des cultures qui rsistent au Round Up. Avec quel argent
vont-ils le payer le dsherbant ? On ne va pas nourrir le tiers monde
moins ; je sais quel point cela peut tre douloureux de rviser les
prvisions ", a dclar le directeur gnral Hendrik Verfaillie. Selon
2030, vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas au moment o
vous avez diffus ces produits ", a expliqu l'AFP Mme Lepage.
Une copie du courrier a t envoye aux pouvoirs publics " dans la
289
progrs. Dans dix ans, dans vingt ans, nous achterons aux
Garonne, dont les essais ont t dtruits six fois depuis 2001 !
290
samedi l'Unesco avec " Les Echos ". Il y a cinquante ans, les
agronomes ont tent de relever le dfi colossal que posait le
dveloppement dmographique. La rponse fut technologique : la
291
biologiques croit sans cesse alors que les surfaces stagnent, et ont
mme baiss en 2004, un comble pour le pays prcurseur en la
292
On ne trouve toutefois pas trace dnonc relatif au nationalisme autrichien dans les textes de la
Confdration paysanne. Plutt des traits comme celui-ci : La Confdration paysanne demande donc
que soient enclenches, sans plus tarder , les procdures nationales et communautaires en vigueur et dj
utilises par plusieurs pays de l'Union dont l'Allemagne le plus rcemment mais aussi l'Autriche , la
Hongrie , la Grce . (2 novembre 2007)
351
293
l'une de ses extrmits, et qui commande son expression. C'est-dire qu'en modifiant ce promoteur, le gne en question peut
Monsanto, 26/10/2007
352
294
Si pour les connaisseurs du dossier, cest une vieille histoire, dans lespace
public, le conflit des OGM apparat de plus en plus au fil du temps comme le
champ de bataille privilgi entre des conceptions radicalement opposes de
lconomie et plus particulirement de lutilit. Le conflit se porte galement sur
la question des agro-carburants :
Mais pourrait-on faire confiance aux grandes firmes qui se
l'apport des " gens sans terre ". .. Une catastrophe humanitaire sans
295
pourront
s'emparer
de
ce
trsor
pour
296
OGM soit considre comme une priorit nationale 353. Mais ce sont clairement
les nanotechnologies qui, pour les pouvoirs publics, constituent les priorits du
moment.
Actu-Environnement, 28/07/2010
et
intgratrice.
Elles
dtermineront
les
politiques
353
354
297
plante. On a rpondu oui, mais sous condition. " En premier lieu, "
298
300
environnementaux,
tout
allait
contre
cette
autorisation. 358
358
301
presiding judge, the law required the USDA to first conduct a full
Depuis juillet 2010, il existe un corpus en anglais qui, pour linstant, rassemble toutes sortes dobjets
dalerte et de controverse. Ce corpus enrichi loccasion dune enqute Washington DC contient 670
documents, essentiellement des avis dagences et dONG. 130 documents traitent des GMOs entre 1984
et 2010. Ce micro-corpus qui fournit dj les principaux termes de la controverse dans les mondes angloamricains pourra tre enrichi dans le futur loccasion du dveloppement dun observatoire des jeux
dexpertise lchelle europenne. Pour des lments de synthse sur lenqute amricaine, voir F.
Chateauraynaud et J. Debaz, Lost in Arlington SocioInformatique et Argumentation, 7 octobre 2010,
359
302
tait
en
effet
subordonne
des
obligations
marqu par la mare noire cause par une plateforme BP, est
susceptible de porter atteinte l'image de Monsanto aux Etats-
303
304
305
les
entreprises
semencires
Monsanto,
Pioneer,
KWS,
vendre dsormais les semences dans tous les pays qui autorisent
leur culture. La culture des mas T25 tolrant lherbicide total
glufosinate dammonium est par contre immdiatement possible.
Autorise en lEurope depuis 1998 et jusqu ce quune rponse soit
faite la demande de renouvellement de cette autorisation, elle na
Greenpeace, La Commission europenne veut assouplir la rglementation sur les cultures d'OGM en
Europe : une manuvre pour ouvrir grand les portes de l'Union , 13/07/2010
364
306
qui a mainte fois manifest son opposition aux OGM tout faire
pour empcher leur remise en culture en France 365
Deux choses mritent dtre releves dans ce texte : la vision du futur qui se
glisse dans une formule temporelle comme peut arriver dun jour lautre , ce
qui rend manifeste le haut degr de vigilance des acteurs qui sattendent des
coups et des dplacements, des modifications et des passages en force, jouant de
la logique du pied dans la porte ; lappel la population qui prend appui sur
la longue srie de fauchages intervenus depuis le dbut des annes 2000. Pour
les principaux protagonistes donc le conflit des OGM est loin dtre clos !
365 Confdration paysanne, Le ministre de lAgriculture profite de la pause estivale pour mettre fin au
moratoire franais sur les cultures OGM , Communiqu de presse - 2 aot 2010
Lexprimentation sur le porte-greffe avait dj fait lobjet dune attaque en septembre 2009.
Revendiquant la destruction comme un acte personnel, Pierre Azelvandre, docteur en biologie, militant
anti-OGM et antinuclaire, dj connu pour plusieurs affaires, dont celle porte devant la Cour de Justice
des Communauts Europennes suite une longue procdure administrative relative la divulgation
dinformations sur un lieu de dissmination dOGM (voir le chapitre 10 du prsent rapport). Rappelant
que l essai vigne avait donn lieu un dispositif de concertation pralable ayant dbouch sur un
consensus, des cadres de lINRA dnoncent latteinte porte la dmocratie scientifique . Le dispositif
participatif, anim par Pierre-Benot Joly et Claire Marris, navait pas fait un accord absolu, mais tous les
acteurs ont fait comme si lexprimentation tait acceptable et ne suscitait plus de conflit ce qui aprs
coup est contest. Voir lanalyse (trs) critique du dispositif par G. Kastler dans L'exprience pilote
OGM-Vigne. Un programme de manipulation de lopinion , Attac-France, 5 fvrier 2003.
367 Diffrentes sources, hors corpus, confirment que laffaire de Colmar a considrablement fragilis les
dispositifs de compromis installs via le HCB. Mais le prsent rapport ne peut aller au-del faute de recul
et dinvestigation plus prcise.
366
307
14
12
11
6
5
5
5
4
4
4
3
3
3
Inf'OGM
CFDT
Gouvernement
Europe Ecologie
Collectif des Faucheurs Volontaires
FNE
HCB
Libration
FNSEA
Internautes du Monde
INRA
Ministre de l'Agriculture
HCB CS
2
2
2
2
1
1
1
1
1
1
1
1
1
plutt que sur des OGM dont on sait qu'ils gnreront non
seulement
une
dpendance
des
agriculteurs,
vignerons,
et
368 Dont il faut toutefois relativiser les effets : laffaire de lamiante resurgit dans Le Monde fin aot 1994
avec un article sur le procs des veuves de Grardmer.
369 Antoine Herth et Germinal Peiro, Rapport d'information sur le contrle de l'application de la loi n
2008-595 du 25 juin 2008 relative aux organismes gntiquement modifis, Assemble nationale, 7
octobre 2010.
308
soixantaine d'individus sont venus y dtruire un essai sur 70 portevignes gntiquement modifis pour accrotre leur rsistance une
rpandre
la
peur
en
voquant
des
risques
environnementaux qui n'existent pas sur cet essai, alors que l'Inra
essaie de dterminer, en toute indpendance, la pertinence et les
risques ventuels de ce type de technologie dans la lutte contre le
309
371 "Les faucheurs d'OGM ont handicap la capacit d'expertise de la recherche publique" (Marion
Guillou - INRA), Les Echos, 17 aot 2010.
310
biotechnologies, pour quatre ans. Preuve que nous avons agi sans
jamais rien cacher, les faucheurs ont dtruit uniquement les 70
autres, alors que sur place rien ne les distinguait ! Ils savaient
ce
comit
le
prsident
d'Alsace
Nature
311
paysan, un point darrt sur ce fragment est ncessaire : car, si lon retrouve
largument de lindpendance de la recherche publique qui manque prcisment
de moyens pour valuer les OGM ou des innovations concurrentes, le
surgissement du climat traduit la qute dappuis universalisables. La rfrence
au changement climatique ne cesse de saffirmer au fil des priodes du dossier,
la connexion avec les OGM soprant via les enjeux nergtiques, les risques que
font courir les vnements climatiques extrmes sur les cultures et la
biodiversit. Toutefois lappui sur la cause climatique est encore assez peu
dvelopp dans les contributions de lINRA du moins dans le corpus 374.
Profil temporel des textes dans lesquels les OGM sont connects au changement climatique
15
10
5
0
1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
On trouve par contre une contribution de Michel Griffon (parlant surtout en tant quancien directeur
scientifique du CIRAD) dans Comment instruire le dbat OGM ? (Mission d'animation des Agrobiosciences 2006) qui dit : Mais si , par exemple , il n'y a pas d'autre moyen satisfaisant que la
transgense pour introduire des caractres de rsistance la scheresse dans des plantes de premire
importance alimentaire dans des pays que le changement climatique va assaillir , alors , pourquoi ne pas le
faire ? Bien sr avec prudence . J'insiste sur le fait que de telles dcisions concernent la socit toute
entire , pas seulement les scientifiques . Mais quand on parle de socit , il ne s'agit pas de la rduire de
simples organisations autoproclamant leur lgitimit parler sur cette question , ni d'ailleurs aux seules
administrations de l'Etat dans la mesure o l'Etat reste avant tout un lieu de rapport de forces .
374
312
vigne d'origine virale avait rejoint l'universit Davis, une des plus
de
nos
chercheurs
et
plus
de
million
d'euros
313
solutions pour de faux problmes. Car le problme - ou la ralit est toute autre, il est en premier lieu d'ordre dmocratique et
Pour qui a lu, mme superficiellement, ce rapport, rien de bien nouveau sous le
soleil de Colmar : on retrouve la critique radicale du capitalisme agrobiotechnologique. Le communiqu avance ensuite lexistence d'autres faons de
faire de l'agriculture , fondes sur le respect du vivant et des hommes , et qui
ont depuis longtemps dmontr leur capacit nourrir l'humanit en quantit
et en qualit . On retrouve au passage la rponse la promesse technologique
porte par les producteurs dOGM montrant une fois de plus comment les
arguments, une fois achemins au fil des preuves, se juxtaposent, sassocient ou
sopposent en formant un systme de plus en plus serr de contraintes pragmadialectiques 376. Pris sous un impratif de justification port par ceux qui
dclarent leur incomprhension, face la destruction dun outil de recherche
ce qui renvoie aux dbuts de lhistoire politique des OGM 377 -, les faucheurs de
pieds de vignes changent de registre en sinvitant dans le processus de dfinition
de la politique scientifique :
C'est ce type d'orientations que nous invitons la recherche
franaise, car la question centrale n'est pas d'tre pour ou contre
376 Sur la pragma-dialectique, voir F. van Eemeren et B. Garssen (ed.), Controversy and Confrontation,
Amsterdam , Benjamins, 2008.
377 Voir lhistoire des essais aux Etats-Unis. Un des premiers textes du corpus anglais est celui-ci : Field
Test of Gene-Engineered Microbes Is Postponed, Washington Post, 5/10/1983
314
315
Sans produire ici une mesure du rapport de forces entre accusation et dfense du
geste des faucheurs Colmar, on peut indiquer que les ractions sont
globalement trs virulentes contre cette action, juge particulirement dcale.
Pour clore ce rapide aperu, une raction dun internaute sur le site des Echos :
Je souhaite apporter mon soutien la responsable de l'INRA il est
en effet scandaleux, honteux que des individus dcident (au nom de
quoi, sur quelles bases ?), qu'il ne doit pas y avoir de cultures OGM
Lide de rpertoire daction dans lequel puisent les acteurs lorsquils doivent
mobiliser et crer un rapport de forces a longtemps t juge suffisante en
sociologie des mouvements sociaux380. Or, un cas comme celui de Colmar, et bien
dautres sur toutes sortes terrains, pose la question des variations acceptables et
des dplacements que subit le dit rpertoire. En effet, lenrichissement du
rpertoire suppose des sries dpreuves ponctues dvnements marquants,
parfois violents, au fil desquels des modes daction, spontans ou improviss,
sont transforms en outils , limage des grilles (tablatures) ou des
transcriptions (partitions) qui font passer une musique vivante, non encore
crite, dans lordre des pratiques codifies, ce qui est le sens plein du mot
rpertoire , et qui modifie en retour le mode de rception puisquil produit des
attentes fondes sur des codes et des conventions. Supposer que les acteurs se
rfrent un rpertoire dans lequel ils font le choix optimal dune technique de
mobilisation en fonction de la cause et du public auquel ils ont affaire, cest
placer derrire leur action un espace de calcul pralablement constitu et
relativiser toutes les hsitations, les disputes, les transgressions et les motions
qui marquent le choix dun mode de lutte. En outre, lide dun rpertoire des
performances critiques tend placer sur un mme plan des processus de nature
et de porte fort diffrentes : entre le graffiti appos la vole sur une affiche
publicitaire et la grve de la faim, entre linstallation dune banderole protibtaine sur le parcours de la flamme olympique et le lancement dune ptition
lectronique, le dpt dun message de protestation sur un forum de discussion
ou la participation une occupation risque, la destruction dun essai dans un
380
316
centre de recherche et la mise feu dune voiture pige, il y a plus que des
mondes ! La lgitimit des actions est en jeu en chaque cas, et la priode
contemporaine voit fleurir une logique de la performance laquelle fait lobjet de
tensions et de dsaccords : pacifique mais trop mou, violent mais lgitime, un
acte peut subir toutes sortes de jugements en amont et en aval selon les
configurations et la lisibilit des jeux de pouvoirs dans lesquels il intervient.
Sociologiquement parlant, il ny a pas trancher mais dcrire les ressources et
les contraintes des acteurs : comme latteste la carrire de performers qui
tentent de gnraliser la figure du dbordement et de la dsobissance, comme
Xavier Renou381, linventivit des acteurs est sans borne, la protestation
engageant une part de jeu et de dcouverte, de mise lpreuve des codes et des
cadres de lexprience dans le dplacement des formes de lutte 382. Mais,
lorsquun minimum de calcul politique simpose, les chances de produire une
action optimale, adquate la cause et intervenant au bon moment, pertinente
pour dautres acteurs et suffisamment attractive pour produire les effets
escompts, restent faibles - et seule la ritration et la conjonction dautres
forces peuvent modifier la trajectoire de la cause. Ainsi, dans le cas de la
destruction de Colmar, les regards se tournent vers la raction du Haut Conseil
des Biotechnologies et la manire dont les deux comits scientifique /
thique, conomique et social vont ragir cette nouvelle crise. En
loccurrence, les choses ont tourn plutt mal, mettant srieusement lpreuve
le dispositif. Ainsi, la FNAB, les Amis de la Terre, la Confdration Paysanne,
FNE, l'UNAF et Greenpeace adressent le 1er septembre 2010 une lettre ouverte
la prsidente du Haut Conseil des Biotechnologies au sujet de laffaire OGMvigne : les associations paysannes et environnementales interpellent la
prsidente du Haut Conseil des Biotechnologies. Les associations qui ont des
reprsentants au CEES, ragissent au du communiqu de presse du HCB du 23
aot 2010 :
Il n'est pas dans les missions du HCB, ni de sa prsidence, de se
nom propre sur de tels sujets, mais en aucun cas au nom du HCB.
Ce communiqu totalement inopportun nous choque d'autant plus
que nous n'avons t ni consults, ni mme informs de la volont
OGM. Nous l'avons appris par la presse, alors mme que le HCB ne
s'est jamais positionn sur cette question. [...] Il n'y a jamais eu de
Voir le manifeste des dsobisseurs et lorganisation de stages de dsobissance sur le site
http://www.desobeir.net/ (dernire consultation en septembre 2009).
382 J.-M. Jasper, The Art of Moral Protest, op. cit.
381
317
318
CONCLUSION
Au printemps 2010, le trs controvers Craig Venter annonce la production
dune bactrie (Mycoplasma mycoides) dont le gnome a t intgralement
reconstitu et rimplant, et quil dsigne par lexpression de cellule
synthtique . Porteur dun projet de squenage du gnome humain des fins
commerciales, Craig Venter est dj identifi comme un dangereux dmiurge
par les opposants aux nanotechnologies 383. Si le spectre dune apocalypse par
autorplication dagents nano-biotechnologiques reste encore largement du
domaine de la fiction dpouvante, la perspective dune contamination de
lenvironnement par des organismes synthtiquement gntifi consolide le
rapprochement entre nanotechnologies et OGM donnant raison du mme coup
aux tenants de la convergence technologique. Or le syndrome OGM tait
prcisment lpouvantail brandi, ds le dpart en Europe, par de multiples
porteurs de projets dans le champ des nanosciences. On en trouve la trace trs
tt dans des dbats de lOffice parlementaire 384. Cela dit, limpact du dossier des
OGM sur celui des nanotechnologies ne se limite pas la rfrence aux peurs
de la socit - selon le modle du dficit ractiv par exemple par les
chercheurs du LARSIM (CEA) 385. Le mode de protestation qui a domin ces
dernires annes le conflit des OGM, celui des faucheurs volontaires, a
largement inspir les groupes qui, linstigation de PMO, sont alls faucher
les dbats CNDP. Dans le texte publi dans La Monde en fvrier 2010 par
Bernadette Bensaude-Vincent et dautres observateurs des sciences en socit,
cest la figure du faucheur qui sert de prototype, montrant lampleur prise, non
seulement par le modle de la dsobissance civile, mais galement la porte des
questions souleves par le courant qualifi de no-luddisme, qui ractive sur les
nouvelles technologies la tradition des briseurs de machines 386.
On a vu au fil des descriptions et des analyses proposes dans ce rapport que
lavenir des OGM ntait pas encore compltement dtermin et que de multiples
preuves, dplacements, reconfigurations ou reconstructions attendaient les
acteurs. Les OGM font du mme coup office de conflit technologique chronique
D. Benoit Browaeys, Le meilleur des nanomondes, Paris, Buchet Chastel, 2009. Au-del de leffet
dannonce de Craig Venter la biologie synthtique a dj une histoire assez longue. Voir par exemple
larticle de J.C. Ameisen Ethique et Biologie de synthse - Synthetic Biology , publi sur le site
Transversales le 7 dcembre 2004.
383
384 L'volution du secteur des semi-conducteurs et ses liens avec les micro et nano-technologies. Actes du
colloque organis au Snat le 23 janvier 2003. Dominique Boullier dit notamment : Je pense que le cas des
OGM, effectivement, doit nous amener rflchir. Dans un livre, il y a trois ans, j'avais effectivement parl des organismes
numriquement modifis. On peut souhaiter effectivement qu'il n'y ait pas ce type de controverse que l'on connat actuellement
sur les OGM. Cela dit, on peut se demander quand mme s'il n'en faudrait pas un petit peu parce que, prcisment, cela
risque de nous revenir dans la figure sans qu'on s'y attende !
385 Sur les modles du dficit, voir B. Wynne, Pour en finir avec quelques mythes sur les peurs du
public , Gouverner lincertitude : les apports des sciences sociales la gouvernance des risques sanitaires
environnementaux, colloque organis par lAfsset et le Rseau Risques et Socit (R2S), Paris, 6 et 7 juillet
2009.
386 Voir B. Bensaude-Vincent, M.-C. Blandin, Y. Le Bars, D. Benot-Browaeys, Nanotechnologies : oser
mettre en dbat les finalits , Le Monde, 18 fvrier 2010. Sur le no-luddisme, voir S.E. Jones, Against
Technology. From the Luddites to neo-Luddism, Routledge, New York, 2006.
319
Nature
Capitale
.
Les
vidos
sont
en
ligne :
http://www.youtube.com/watch?v=nfPRSEy98f0 ; http://ogm.greenpeace.fr/fausse-manifestation-proogm-sur-les-champs-elysees
387
320
Voir par exemple la charte rgionale de la biodiversit et des milieux naturels dIle de France.
389
M. Doury, Le dbat immobile. Largumentation dans le dbat mdiatique sur les parasciences, Paris, Kim, 1997.
321
Voir sur ce point le rapport de lAFSSA, Bnfices et risques lis aux applications du clonage des
animaux dlevage, septembre 2005.
390
On relira au passage lintervention de Bruno Latour lors des premiers fauchages, Jos Bov est-il un
vandale ? dans le Monde le 12 novembre 2001 : Comme Franois Ewald et Dominique Lecourt (Le
Monde du 4 septembre), j'ai t scandalis par la destruction de laboratoires et de stations travaillant sur
l'amlioration gntique des plantes. Si les OGM sont dangereux, on ne peut le savoir que par des
exprimentations contrles, poursuivies en plein champ et collectivement acceptes. Interdire les
preuves, c'est en revenir Lyssenko. Toutefois, je me garderai bien de traiter Jos Bov et les siens de
" vandales ". Ennemis politiques, peut-tre, mais vandales, certainement pas (une exposition rcente vient
d'ailleurs de montrer que les vritables Vandales taient de parfaits gentlemen).
391
392 Sur le terrain nuclaire voir lanalyse des tensions entre logique de concertation et logique de conflit
dans Y. Barthe, Le pouvoir dindcision. La mise en politique des dchets nuclaires, Paris, Economica, 2006.
322
Forme du dommage
Alerte et controverse
Dnonciation
collective
Critique
dispositif
controvers ;
prcaution)
Forme de la critique
le
principe
rgulatrice
de
dun
justes
pour
garantir
concrtement la coexistence)
et
protestation
aux
323
324
dsormais que le conflit de classe qui permettait dunifier les causes et les
catgories a cd la place une suite indnombrable de conflits de toutes sortes,
qui, faute dune totalisation russie (comme celle tente par le mouvement
altermondialiste), restent, sinon au bord du politique , selon la formule de
Jacques Rancire, du moins au bord du chemin. Dans cette configuration, on voit
logiquement monter des conflits de normes : la capacit des acteurs
hirarchiser les causes et les objets tant srieusement affecte, la priode est
marque par le glissement permanent des sources de proccupation collective
oblitrant linscription dun travail politique dans la dure, ce qui provoque en
retour de nouveaux conflits. Par ailleurs, ces dernires annes, le dplacement
de lanalyse vers les causes internationales est une tendance lourde. Au-del des
grands rcits sur la globalisation, une sociologie pragmatique des
transformations peut aider comprendre comment sarticulent ou saffrontent,
dans les milieux et les localits, deux grandes logiques luvre : celle dune
nouvelle conomie politique des biens publics et celle de laffirmation de valeurs
ou de modes dexistence irrductibles. Le cas des OGM peut ce titre tre
considr comme un analyseur de tensions lies la nouvelle modernit
forme par un monde en rseau globalis, dans lequel le pouvoir est avant tout
pouvoir de gnrer et de contrler des flux sans redistribuer les prises aux
acteurs de terrain, de plus en plus soumis unilatralement des normes et des
standards ce qui provoque en retour la formation de contre-pouvoirs chargs de
reprsenter la socit civile 395. La configuration cre en ce dbut de millnaire a
ainsi produit une rupture complte avec la priode antrieure cette
configuration molle et passablement creuse des annes 1980-1995 marques par
laffaiblissement continue des luttes ouvrires comme rfrent majeur de la
critique sociale. Quatre processus se sont croiss pour provoquer cette rupture,
qui a chang compltement les modalits dune sociologie des mobilisations et
des controverses :
1. La monte de tensions dun nouveau genre a rendu caduque la vision
irnique des annes qui ont suivi la chute du mur de Berlin, annes au
cours desquelles on parlait dquit et de justice, dintercomprhension et
dthique tout bout de champ : citant souvent le 11 septembre 2001, les
acteurs parlent dune nouvelle re de violence, et mme dhyperviolence,
un cycle ininterrompu de catastrophes et de crises, venant renforcer les
visions noires suscites par lobsession du terrorisme.
325
326
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