Quarto 79
Quarto 79
Quarto 79
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Paradis toxiques
Notre orientation..................................................................................................................................................... 3
La socit du symptme ric Laurent.............................................................................................................. 3
Le phnomne psychosomatique et la pulsion Alfredo Znoni ........................................................................ 9
Construire lEurope analytique de TyA Pierre Malengreau .......................................................................... 18
Lerrance du toxicomane Alexandre Stevens ................................................................................................. 21
Le travail du rseau Toxicomanie et Alcoolisme (TyA) dans le Champ freudien............................................... 25
TyA dici .......................................................................................................................................................... 25
Non une version du pre Jean-Louis Aucremanne ................................................................................. 25
Justine, ni avec, ni sans la maternit Sophie Boucquey .............................................................................. 28
Un toxicomane lhpital Marie-Franoise de Munck............................................................................. 30
Mortel ennui Jean-Marc Josson ................................................................................................................. 33
Linstitution, lieu dune conversation possible Claire-Isabelle Le Bon ..................................................... 35
Lhomme au vlo Nadine Page ................................................................................................................... 38
TyA dailleurs................................................................................................................................................... 40
Pire quun symptme Mauricio Tarrab ..................................................................................................... 40
De la formation de rupture au partenaire symptme Fabian Abraham Naparstek................................... 44
La drogue de William Burroughs : un court-circuit dans la fonction sexuelle Jesus Santiago .................. 45
Une condition de possibilit Elvira Guila Palanques ............................................................................ 48
Travaux................................................................................................................................................................. 54
Les psychotropes ou la rponse scientifique au malaise dans la civilisation Monique Liart ......................... 54
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Notre orientation
La socit du symptme
ric Laurent
4
1
2
3
Ibid., p. 435.
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en effet [] 9 . Il y oppose le statut dcentr du
sujet selon la psychanalyse, fond en un ailleurs
radical. Dans le recours que nous prservons du
sujet au sujet, la psychanalyse peut accompagner le
patient jusqu la limite extatique du Tu es cela,
o se rvle lui le chiffre de sa destine
mortelle 10 .
6
7
8
11
FREUD S., Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1971, pp. 94-95.
MILNER J.-C., Larchologie dun chec, Paris, Seuil, 1993, p. 69.
12
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claire dans une perspective mondiale. La dispersion
gographique de la fabrication a engendr la
demande dune gestion et dune planification de plus
en plus centralises, mais aussi dune nouvelle
centralisation des services de production spcialiss,
particulirement des services financiers. Cest ainsi
que les services financiers et lis aux changes dun
petit nombre de villes-cls dites mondiales telles
que New York, Londres et Tokyo grent et
dirigent aujourdhui les rseaux mondiaux de la
production. 13 La civilisation na nul besoin dun
tout harmonieux et nen rve mme pas. Le double
mouvement de centralisation/extension suffit. Alain
Joxe le rsume par son titre Lempire du chaos 14 . Il
saisit le mouvement de lempire en tant quil excde
le contrle apparent quil installe. Cest un
systme de conqute virtuelle illimite. Cela cre un
espace de domination qui nest jamais consolid ni
rassurant. [] Le chaos procde des drgulations
auxquelles sont soumises toutes les socits
politiques concrtes, qui nagure taient des
morceaux dordre du monde, des sous-systmes
dordre local. Mais il y a des discussions sur les
types de chaos global souhaitable. 15 Nous ne
sommes plus lpoque des marchs communs ,
nous sommes celle de la globalisation.
Au lieu de la croyance en lavenir des marchs
communs, rgne lincertitude du march global. Les
marchs cherchent un signifiant matre et ne le
trouvent pas. Les grands rgulateurs doivent tour
tour : les cabinets daudit, ltat, les directeurs des
banques centrales. Mme Alan Greenspan, le
directeur de la Banque fdrale amricaine, le nec
plus ultra, est touch par le soupon. Comme le dit
un conomiste, la meilleure faon de caractriser la
situation des marchs mondiaux est de les qualifier
dillisibles. Cest une faon pour nous dentendre le
dit de Lacan selon lequel un signifiant matre est
indispensable pour lire un crit 16 . Dans son premier
enseignement, le signifiant et le signifi ne tiennent
pas ensemble tous seuls. Il faut dabord la mdiation
de la mtaphore paternelle. Puis, avec la seconde
mtaphore paternelle , lAutre du langage prend en
charge lagrafe par la pluralisation des Noms-duPre . partir des quatre discours, la fonction du
signifiant matre vient nommer cette pluralit. la
mme priode, Lacan met en valeur, partir de
lcriture dite idographique japonaise ou
13
14
15
16
17
18
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choisir de pratiquer des sports dangereux, des
voyages tranges, vouloir tre astronaute amateur,
prsenter une apptence multiforme pour le risque. Il
peut aussi choisir le suicide politique, se faire bombe
humaine en sentourant de dynamite et jouir de sa
mort. Dans toute cette bacchanale de la mort si
particulire notre poque, nous trouvons les
manifestations de la qute dune prsence de lAutre
en nous. Pourquoi nous a-t-il abandonns ?
Crpuscule et aurore
Srnit et symptme
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lhomme contemporain . La pense comme calcul
universel nest pas le rapport que chacun peut
entretenir avec une pense quil saurait particulire,
lui appartenir en propre, une pense du sens. La
pense qui calcule ne sarrte jamais, ne rentre pas
en elle-mme. Elle nest pas une pense mditante,
une pense la poursuite du sens qui domine dans
tout ce qui est. 21 Comment faire un pas de ct par
rapport au courant dominant de la civilisation, celui
de la raison technique. La rponse de Heidegger
nest pas de se rfugier dans la pense du sens et de
refuser la vision scientifique. Il serait insens de
donner lassaut, tte baisse, au monde technique ;
[]. Nous dpendons des objets que la technique
nous fournit. 22 Il propose de dire la fois oui et
non. Nous pouvons dire oui lemploi invitable
des objets techniques et nous pouvons en mme
temps lui dire non, en ce sens que nous les
empchions de nous accaparer et ainsi de fausser,
brouiller et finalement vider notre tre. [] Un
vieux mot soffre nous pour dsigner cette attitude
du oui et du non dits ensemble au monde technique :
cest le mot Gelassenheit, srnit, galit
dme. Parlons donc de lme gale en prsence
des choses. 23
21
22
23
Ibid., p. 176.
Ibid., p. 177.
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savoir, de reconnatre les formes heureuses de ce
quoi il ne saccouple que sous le signe du
malheur. 25 Le malheur de la position du
psychanalyste ne lempche pas de pouvoir
transmettre dautres le mode daccs au rel qui lui
est propre. Le symptme est le point dimpossible
rsorber dans le monde dans lequel fonctionne le
sujet. Il se prsente dabord comme malheur, comme
impossible et dans la contingence des origines de
chacun de ces symptmes. Notre certitude est l,
dans la mesure o la contingence est susceptible de
dmontrer limpossible [] propre linconscient,
celui qui rpond la formule : il ny a pas de rapport
sexuel. 26
28
LEGUIL F., expos fait lors du Cours de J.-A. Miller, le 14 mars 2001,
indit.
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de famille . Lacan se faisait fort de dmontrer au
sujet sartrien qui se voulait athe combien il adhre
la croyance au pre Nol. Passer de la croyance au
pre la croyance au symptme est une ambition
pour la psychanalyse de notre temps. Elle est
contenue dans lassertion selon laquelle le Nom-duPre est un symptme. Encore faut-il pouvoir le lire.
Ladresse qui sinstalle par cette lecture permet de
dplacer le symptme. Si nous nous posons la
question du pro jet Pipol, cest que nous souhaitons
intervenir dans les lieux o les symptmes
contemporains sont recueillis. Ce nest pas dire
quils soient entendus ou traits. Au moins ils
laissent des traces en quelques lieux. partir du
travail de lecture dvelopp dans les coles de
psychanalyse qui constituent lAMP, nous essayons
de faire parler ces traces, elles qui ne cessent de
prendre la parole. Nous continuons ainsi nous
inspirer de lthique de la psychanalyse qui vise
rendre le monde vivable pour un sujet en rvlant
combien les clats de lalangue courent dj dans les
rues. Linconscient qui est dj l est un savoir-faire
avec lalangue, il reste assurer le sujet dans une
certitude nouvelle. Il peut sen dbrouiller aussi bien
quil croit pouvoir le faire avec limage de son
corps. Lacan opposait la dimension de limaginaire
du corps et celle de lvnement de corps. La
captivation du sujet par son image produit la socit
du spectacle. Elle se fonde sur la pseudo-assurance
que lessence du sujet sy trouve. Rduire le Nomdu-Pre un symptme 29 , cest faire du symptme
le fondement du soutien de lAutre. Lthique de la
psychanalyse est celle dune socit du
symptme .
*
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sommes en prsence dun effet sujet, non lorsque
nous enregistrons ce quil prouve ou le sens quil
donne ce quil vit.
soma
psych
S
soma
10
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devait pas nuire aux intrts de lindividu et en
particulier sa sant ; et inversement, se soumettre
la raison ne devait pas induire un renoncement
excessif. Il ne sagissait pas de renoncer pour
renoncer, mais de renoncer en vue dune autre
satisfaction, ni de poursuivre la satisfaction au-del
de lagrment et du confort. En somme le secret du
bonheur rsidait dans lquilibre entre la satisfaction
et le renoncement, o chacun des deux termes
constituait la limite de lautre.
Or, avec leffet sujet, avec linconscient, nous
rencontrons une cause de lagir humain qui ne se
laisse plus rduire cette opposition. La rationalit
napparat pas immune dune folie propre la raison,
tout comme la recherche du plaisir napparat pas
exempte dun certain intellectualisme. La
soumission la loi ou le renoncement peuvent
devenir des satisfactions en soi, tout comme la
satisfaction peut atteindre des formes qui confinent
labsence de toute satisfaction, voire la ngation de
la vie mme. Par rapport la polarit classique de la
raison et de linstinct, la cause de lagir proprement
humain, en ce quil na pas dquivalent dans le
monde animal, sagissant notamment de la religion,
de lart, de lrotisme, de la technique, de la guerre,
du patriotisme, du suicide etc., parat se situer dans
un au-del de ces oppositions, dans une autre
dimension. Cette dimension autre, extrieure la
dualit conflictuelle ou harmonieuse du soma et de
la psych, de lanimal et du rationnel, du biologique
et du psychologique, sajoute comme une troisime
dimension, corrlative de la spcificit de ltre
parlant. Cest la dimension de ce que Freud a
finalement appel pulsion , avec son intrication
de libido et de pulsion de mort.
renoncement
S
satisfaction
avec laquelle Lacan dsigne la nature de ce plusde-jouir pulsionnel qui smancipe de la dualit
naturelle de lme et du corps, comme consquence
de la prise du langage sur le vivant dans lespce
humaine. Ce qui veut dire que lorsquun effet sujet
se manifeste dans le domaine de la science et du
savoir en gnral, un au-del de lthique se dessine
11
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galement, un au-del de la moralit et de
limmoralit classiques censes rsulter de
linteraction de lme et du corps. Lorsquun effet
sujet se manifeste, il met en vidence laction dune
cause irrductible ces deux notions, puisquelle
nest pas plus dordre biologique quelle nest
dordre mental.
12
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manque au visible, la valeur de lobjet qui cause le
dsir de voir 2 .
Le phnomne psychosomatique
La prsence de cet autre mode de satisfaction, de
cette autre modalit de la cause de lagir humain
appele pulsion o la distinction entre ce qui fait
plaisir et ce qui fait mal, entre la satisfaction et le
renoncement disparat empche de ramener la
psychanalyse une psychologie et une
hermneutique, puisquelle la montre concerne
dans son champ daction mme par un rel.
Inhrente la dimension constitutive de ltre
parlant, la pulsion ne se laisse cependant pas
entirement rsorber dans limaginaire et dans le
symbolique, tout en ne se confondant pas avec le
rel de la cause biologique. Si dans lapproche
scientifique, qui est tout autant celle de la
philosophie, le rel spuise dans la composante
biologique, voire naturelle , de lunit somatopsychique qui est cense constituer ltre humain,
dans la clinique psychanalytique le rel est celui
dune causalit dordre libidinal, coupe de la
biologie sans tre purement de lordre dune fiction.
A cet gard, le phnomne dit improprement
psychosomatique
occupe
une
place
paradigmatique, puisquil isole dune manire
encore plus nette le caractre rel de la causalit
pulsionnelle, sagissant de troubles qui sont de la
nature dune lsion de lorganisme qui ne doivent
2
13
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infrieure, pr-mentale, animale de lindividu, dont
la
proportion
resterait
dans
le
patient
psychosomatique plus grande que dans un
dveloppement normal. Transpos sur notre schma,
le PPS correspondrait alors cette configuration
psych
soma
3
4
14
Voir, entre autres, DEBRAY R., Eptre ceux qui somatisent, Paris, PUF,
2001, p. 185.
LACAN J., Le Sminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de
la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, pp. 206-207.
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des phnomnes cliniques de structure diffrente,
selon le mode dont le sujet sen dfend ou sen
spare. Or, ce qui caractrise le trait de jouissance
dont le phnomne psychosomatique est lindex est
prcisment sa non connexion avec linconscient, sa
non localisation dans lintervalle signifiant. La
pulsion ny emprunte pas la voie du retour du
refoul .
15
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un autre homme et elle veut dsormais obtenir une
rparation financire de son pre, mais celui-ci
refuse. Elle lui dit alors quelle racontera tout.
Apprenant la chose, le patient dclenche un psoriasis
gnralis : tant que le secret restait dans le silence,
cela tenait lieu dune forme de dfense, mais une
fois rvl, il se trace comme une lettre carlate sur
le corps du fils, signe dune jouissance impossible
effacer 7 . L o dautres sujets auraient ragi dune
manire peut-tre plus dramatique, par un passage
lacte ou par un recours lalcool, par exemple, ce
sujet, cest dans son image du corps quil se voit
marqu.
8
9
Ibid., p. 40.
16
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linterprtation, interprtation de linconscient ou
interprtation de lanalyste, une modification de
lisolation de la marque du PPS puisse se produire,
pour autant que cela soit envisageable.
voquons ici une fois de plus un cas rapport par
Alain Merlet 10 . Une jeune femme a demand une
analyse parce quelle narrivait pas trouver un
partenaire digne de faire un pre. Aprs trois ans
danalyse, elle rencontre lhomme qui lui convient,
mais quand elle dcide plus tard davoir un enfant
elle demeure strile. Elle consulte un gyncologue
qui pratique une hystrographie. Le lendemain de
cette intervention, fleurissent plusieurs verrues
autour de son nombril, ce dont elle stonne. Elle
livre alors lanalyste son petit secret : son nombril
a toujours t pour elle une zone tabou. On pouvait
tout me faire sauf le nombril , dit-elle. Lanalyste
lui demande alors pourquoi. Elle avoue alors une
thorie sexuelle infantile. Petite elle croyait que la
nuit le sexe de son pre senvolait et que sa mre se
dboutonnait le nombril pour laccueillir. Cette
thorie lui avait toujours tenu cur. Lanalyste fait
alors lhypothse que lhystrographie de lorgane
utrin fait ressortir ce qui en tait en quelque sorte la
forclusion sous la forme de la thorie sexuelle
infantile : la verrue fait signe dun reste brut de
jouissance non intgr linconscient, gravitant
autour de cette fixation ombilicale la mre. Aprs
cette rvlation de la part de la patiente, non
seulement les verrues disparurent, mais cette
patiente se trouva enceinte.
(1913),
La
12
technique
17
LACAN J., Le Sminaire, Livre III, Les psychoses, Paris, Seuil, 1981, pp.
352-353.
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certes dune lsion ou dun trouble organique
objectivable, une forme de localisation de la
jouissance qui est alternative sa dlocalisation et
son retour dans la perception, dans le langage ou
dans le passage lacte. De nombreuses
observations montrent quun PPS peut souvent se
produire en alternance avec des phnomnes
hallucinatoires ou avec une recrudescence du dlire.
REQUIZ G., Une manie triste , Le florilge clinique de lan 2000, op.
cit., pp. 47-62.
18
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entre intension et extension, mais leur raccord 2 .
Cest lhorizon mme de la psychanalyse en
extension, que se noue [] (la) bance de la
psychanalyse en intension. 3 Lextension dsigne la
place de la psychanalyse dans le monde, et
lintension dsigne la psychanalyse dite didactique
en tant quelle ne fait pas que dy prparer des
oprateurs 4 . En situant une bance essentielle du
ct de lintension, Lacan particularise lusage que
la logique fait de ces deux termes.
Le contexte dfini par le titre Proposition sur le
psychanalyste de lcole nous dit comment saisir
cet usage. Dire quil y a une bance de la
psychanalyse en intension veut dire quil ny a pas
de dfinition prdicative du psychanalyste. Comme
pour La femme dont Lacan dit quelle nexiste pas,
on ne peut pas dire Le psychanalyste. Il ny a pas
de
dfinition
en
intension
du
prdicat
psychanalyste'. 5 Lacan parle dun prdicat qui
manque. Lextension a ds lors dans notre champ
pour vise de vrifier que cest bien seulement au un
par un quil est possible de dire ce quil y a du
psychanalyste. Cest ce que la passe a pour fonction
de mettre en uvre. Elle a pour fonction de vrifier
notamment que le rsultat dune cure nest pas de
lordre de lidentification une dfinition
prdicative du psychanalyste. Il ny a de
psychanalyste que un par un.
Cette position nest pas sans consquence pour les
psychanalystes eux-mmes, quelle que soit la varit
des situations cliniques quils soutiennent. Sil est
clair, comme le souligne Lacan propos de la
logique, quil ny a davance que sous langle de
lextension 6 , quelles consquences pouvons-nous en
tirer pour notre abord de la psychanalyse applique ?
LEurope analytique de TyA a pris le parti de
prendre appui sur cette indication de Lacan
concernant lextension de la psychanalyse. La
rencontre dans des structures spcialises avec des
sujets dits toxicomanes nous confronte une
clinique qui pourrait bien valoir aujourdhui comme
paradigme pour labord de nombreux autres sujets.
Cette clinique se veut rsolument, la fois
particulire et raliste. Cest sa richesse et sa
difficult. Elle se veut particulire au sens o elle
prtend aborder les cas, un par un, en se dfiant de
toute totalisation htive. Elle se veut aussi, selon la
2
3
4
5
6
19
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quil se donne comme partenaire. Y a-t-il par
exemple un trait de langage ou de jouissance partir
duquel pourrait se construire ce qui particularise son
rapport au pharmakon, au dlire ou linstitution ?
Quil nous faille loccasion distraire le sujet du fait
que tout ce quil nous dit est parole, ne doit pas nous
faire oublier que cest par cette parole que nous
oprons, et par elle seule.
Lacan ait avance : LAutre, cest lUn-enmoins. 9 A linstar de la manire dont Lacan invite
lhomme aborder une femme, les rapports du sujet
dit toxicomane au produit quil consomme sont
prendre du ct de lUn-en-moins. La psychanalyse,
prise sous langle de lintension, promeut un
traitement de lUn par lAutre qui nexiste pas. Au
savoir de lUn, elle oppose un savoir qui comporte
en lui-mme sa propre incompltude, sa propre
inconsistance, sa propre grandeur ngative . Le
Un produit en dautres termes na pas le dernier mot.
9
10
7
8
11
20
Ibidem.
ZENONI A., Clinique de lenfant psychotique ; la voie de la
sinthomisation , Prliminaire, 4, p. 43.
LACAN J., Lacte psychanalytique, compte rendu du sminaire 19671968 , Autres crits, Paris, Seuil, 2001, p. 380.
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lacte lui-mme qui la pos. Ce qui lui donne sa
valeur, cest la construction mme quil aura rendu
possible. La construction du cas pourrait dans ce cas
devenir traitement clair du matriel au sens o,
loin dexclure le psychanalyste, il linclut.
Lerrance du toxicomane
Alexandre Stevens
Un enfant est toujours en institution , crit ric
Laurent 1 . Il est soit en famille, soit lcole. Et si
a ne va pas, il intgre une institution spcialise. Et
si dans cette institution, a ne va toujours pas, il est
dans la rue. Mais la rue, cest encore une institution.
Cette position radicale revient dire quun enfant est
toujours rgl par un Autre qui a ses rgles, ses
modes dinsertions et dancrages possibles*.
Il faut noter lune ou lautre exception cette
position. Lenfant schizophrne, avec son ironie, se
dbrouille pour dfaire linstitution. Lautiste qui
exclut lAutre et cherche le dtruire mme parfois
peut tre lui aussi situ hors institution. Nanmoins,
on cherche toujours loger ces enfants dans des
institutions spcialises.
On pourrait dire quun adulte est lui aussi toujours
en institution. Dune manire ou dune autre, il fait
partie dun groupe national, social, professionnel,
sportif, familial, mais ce nest pas tout fait pareil.
Dans le meilleur des cas, il sest construit un projet
de travail, une famille, bref une institution
personnelle. Ce quen psychanalyse, on appelle un
Idal du moi, cest--dire un trait qui lidentifie
dune faon particulire et qui lui construit en mme
temps un cadre de la ralit, cest--dire sa ralit
psychique laquelle il va se confronter, distinguer
21
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accentuent la visibilit de lerrance subjective. Dans
un monde libral des marchs communs qui produit
sgrgation et exclusion, les plus exclus sont les
sujets les plus en difficult. Ce sont eux qui arrivent
dans nos institutions.
Ce nest pas par hasard que dans un lieu comme
Enaden o jai loccasion de superviser deux de
leurs quipes, lon trouve de nombreux patients
psychotiques. Ceux que lon y accueille sont des
sujets dfinis par le trait de la toxicomanie.
Nanmoins, ds lors que lon sattache la clinique
du cas par cas, on dcouvre quun trs grand nombre
dentre eux savrent tre en fait des sujets
psychotiques dclenchs ou pas. Cette errance ne
recouvre donc pas seulement une dimension
derrance sociale, mais aussi une dimension
derrance subjective lintrieur de ces lieux o
justement lerrance sociale dj fragilise les liens.
Les jeunes qui arrivent Enaden cherchent asile
dans linstitution lorsque leurs repres subjectifs qui
fonctionnaient temporairement, la famille, la rue,
dfaillent. Ces sujets sadressent donc nos
institutions lorsque lerrance saggrave parce quils
se dgrafent de leurs liens sociaux. Ils recherchent
au minimum linstitution comme lieu dasile, point
darrt quelque chose qui dborde.
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mmes rgles pour tous, et lexclusion, la
communaut de vie comme hors du champ social.
Comme le soulignait ric Laurent dans son texte, ce
que nous cherchons dans les institutions de
psychanalyse applique (comme Enaden) est au-del
de ces fonctions institutionnelles. Nous cherchons
plutt les usages que nous pouvons faire de
linstitution.
23
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*
tous
boulimiques ou tous toxicos anonymes, guris
ventuellement et se traitant mutuellement , mais
elle peut aussi viser, et cest trs diffrent, le
symptme particulier chaque sujet partir de ce
lien institutionnel. Dans les runions cliniques dune
institution comme Enaden, lon peut voir apparatre
lun ou lautre trait qui pour un sujet peut faire
arrimage et sur lequel on peut effectivement laider
prendre appui. Ce trait peut aussi bien tre un
rapport aux femmes, une femme, quun signifiant
du travail, cest aussi vari quil y a de sujets.
24
*
Texte crit partir dune intervention faite lors de la Journe
anniversaire dEnaden en novembre 2002.
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2
3
25
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modalit : fond . De mme, lpoque, il
sadonne des sports risques. Il drague beaucoup
et accumule les conqutes. Mais, par ailleurs, il
mne bien des tudes dducateur o il voit son
idal professionnel. Au cours de nos entretiens, il
reprend les proccupations de son adolescence
comme, dune part, oublier ( effacer , enterrer )
ce qui stait pass avec son pre et, dautre part,
rencontrer des filles. Il y a dans sa dtermination une
preuve faire quil est un homme, quil est normal,
quil nest plus lobjet du pre. Stourdir, svader,
et prouver quil est un homme. Aprs coup, il livre
cette question qui le hantait : ne pas tre
homosexuel, ne pas reproduire a avec des
enfants. Mais dans ses histoires avec les femmes, il y
a des points-nuds o la drogue va intervenir.
La jeune fille avec qui il a sa premire relation
sexuelle meurt un mois plus tard dans un accident de
voiture. Ayant appris que le LSD provoque des
retours du pass , il va en consommer beaucoup,
jusqu halluciner la prsence de cette jeune femme.
Plus tard, il a une relation plus durable avec une
femme. Lorsque celle-ci rompt avec lui cause de sa
consommation (dit-il), il plonge dans lhrone et la
polytoxicomanie qui le mnent ltat de ravage et
aux multiples hospitalisations dcrites plus haut. En
fait, il prcise son inquitude : Je croyais que je ne
pourrais plus jamais tre avec une femme .
7. La drogue ?
Elle vient ladolescence. Dabord sous forme de
petites consommations festives en groupe. Puis la
consommation samplifie pour faire la fte quasi
quotidiennement. Une expression en caractrise la
26
Accueil
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et de rigueur et devient un assistant fiable du
moniteur : ce sera une partie de sa solution pour
traiter lenvahissement de jouissance qui se traduit
en angoisse. Mais ce travail ne se fait pas non plus
sans linstitution, do Yan est longtemps incapable
de sortir, terrass par langoisse. Dans un premier
temps, Yan a essentiellement deux interlocuteurs : le
mdecin, pour les mdicaments, et celui qui il
confie son histoire. Dans un deuxime temps, il va
choisir dautres interlocuteurs en fonction de
dmarches ou dactivits spcifiques. Ceux-ci
deviendront leur tour des confidents de son travail.
La cohrence du travail tient alors la construction
du cas en runion dquipe qui permet de rgler nos
positions : comment faire face langoisse qui peut
lenvahir de jour comme de nuit, comment
relativiser telle phrase qui devient pour lui un
impratif nigmatique, quelle solution soutenir ?
Yan en viendra dire Enaden est ma seule
famille , seul lieu o il pouvait trouver une
alternative rgle lAutre paternel capricieux et
jouisseur quil avait connu, mais aussi alternative
lAutre maternel qui est dans lambivalence de
lamour ou du laisser tomber. Il sagissait l de le
rassurer sur le fait quil pouvait compter sur nous,
quil pouvait revenir si ncessaire, mais aussi que
lhbergement chez nous ne pouvait tre infini.
6
5
27
LACAN J., Le Sminaire, Livre IV, La relation dobjet, Paris, Seuil, 1994,
p. 227.
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Elle revient tout rcemment Enaden. Cela fait
maintenant deux ans quelle ne soccupe plus de
Stphane qui est accueilli dans sa belle-famille et par
laquelle elle se sent mise hors jeu . Elle a
accouch de jumelles il y a quelques mois. Ses filles
sont demble places par le Service dAide la
Jeunesse. Malgr une situation sociale trs prcaire,
Justine souhaite tout prix rcuprer la garde de ses
filles et nous demande nouveau de la soutenir dans
ce projet.
Il nous a sembl que cest au moment o son idal
de mre devient trop froce que Justine consomme
de faon ravageante et sadresse Enaden. Elle ne
parvient pas en effet renoncer cet idal. En mme
temps, ne pas soccuper de ses enfants relve tout
autant dun insupportable.
Autrement dit, si elle est trop prs ou trop loin de ses
enfants, elle consomme.
Sur le fil de la maternit
28
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enfants. Sen tenir la lettre aux limites de sorties
imposes par le cadre institutionnel a fait contrepoint
sa culpabilit de ne pas pouvoir assumer ses filles
temps plein. Justine a pu sautoriser ne pas
soccuper de ses enfants. Elle a galement pu
soccuper de ses enfants, accompagne dun
travailleur de lhbergement dEnaden.
Du ct du partenaire
Prise de nostalgie par rapport au moment o elle se
soutenait de son mari dans lducation de Stphane,
elle est sans cesse en recherche dun compagnon qui
serait mme de laider concrtiser son projet de
mre. Elle a des exigences prcises lgard de ce
partenaire : quil prenne ses responsabilits lgard
des filles, quil ne lempche pas de sen occuper,
bien plus, quil la soutienne activement dans cette
tche.
Uniquement la grossesse
Quelques mois aprs le placement des jumelles,
Justine nous annonce quelle est nouveau enceinte.
Elle se porte parfaitement bien, ne consomme plus
du tout et a retrouv un visage rayonnant. Le fait
dtre enceinte ne viendrait-il pas confirmer son
identit de mre sans avoir, pour le moment du
moins, les difficults lies la prsence relle dun
enfant ? Si cest le cas, quelle position adopter par
rapport cette modalit de traitement de la
jouissance ? Celle-ci nest en effet pas sans susciter
des questions thiques quant aux consquences pour
les enfants.
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*
Un toxicomane lhpital
Marie-Franoise de Munck
Lorsquils veulent tre aids se dsintoxiquer, les
toxicomanes ont le choix entre diffrents centres
spcialiss ou les services psychiatriques des
hpitaux*. Souvent, ceux qui se prsentent dans ces
derniers ont atteint le fond du panier. Ils sont dans
une dsinsertion sociale et professionnelle parfois
trs grande et leur tat physique peut tre dsastreux.
A la diffrence des services spcialiss, les services
psychiatriques accueillent diverses pathologies, ils
ne sont donc pas regroups sous ltiquette de
toxicomanes. Cette situation prsente demble
lavantage douvrir la problmatique mme si la
tentation existe toujours de crer au sein des
hpitaux des units de soins spcifiques. Notre
spcificit est justement cette multiplicit. Elle
permet de donner moins de consistance ce
symptme encombrant et ds lors denvisager les
autres aspects symptomatiques face auxquels bien
souvent la drogue fait figure de solution. Le sjour
lhpital permet deux nouveaux horizons. Dune
part, ils viennent lhpital parce quils sont
malades. De cette faon, ils peuvent, voire ils
doivent sen remettre dautres pour les aider. Il
nest pas rare quayant vcu dans une grande
marginalit, lhospitalisation soit loccasion
dexprimer pour la premire fois un profond maltre. Ils sont ainsi amens rvaluer le poids de
linjonction qui les pousse la consommation.
Dautre part, le fait de se trouver en psychiatrie les
confronte lide de la maladie mentale cest--dire
une nouvelle dimension de causalit que la seule
dpendance physique au produit.
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dur. Elle a pous un polonais, un homme sans
famille, orphelin, et qui la battait. Dans ce contexte,
la mre du patient a eu elle-mme une enfance
difficile. Le jour o elle se trouve enceinte, elle
sattire la fureur de son pre pour qui cette situation
marque le dshonneur. La grand-mre cependant
lve les jumeaux les cinq premires annes de leur
vie jusqu ce que la mre, qui mne alors une vie
dissolue, rencontre celui qui va les lgitimer. Le
nouveau couple, en guerre perptuelle avec les
grands-parents, tente de leur chapper en
dmnageant plusieurs fois. Les enfants sont
emports dans cette fuite, changeant souvent dcole
et de langue aussi puisquils vivront un certain
temps en Flandre.
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la suite, il envisage plutt de faire une formation
dans la restauration. Il est en effet attentif la faon
dont il est nourri. Lorsquil me relate ses sorties, il
met avant tout laccent sur ce quil a mang : les
galettes confectionnes par sa grand-mre ou ce qui
lui est servi lorsquil se prsente dans un possible
lieu de vie. Pour lui, un critre important dans le
choix dune communaut thrapeutique est quon lui
demande trs peu de participation aux tches de la
vie quotidienne. Il aime se faire servir. Le fait
denvisager un travail dans la restauration serait un
renversement de cette position.
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Pour ce sujet, leffondrement qui a suivi le sevrage a
rvl une totale dsinsertion rsultant du dfaut de
son inscription symbolique. La rupture produite le
menait vers un dtachement de type autistique. La
prise en charge par lhpital et en institution lui est
ds lors ncessaire pour retrouver une place dans le
champ social. Incapable dautonomie, une prsence
rgle ses cts est un appui indispensable
actuellement pour border une manire dtre qui se
rsume essentiellement au soin quil accorde sa
prsentation.
*
Mortel ennui
Jean-Marc Josson
Il sagit dun homme rencontr dans une institution
pour
personnes
dites
toxicomanes ,
lHbergement de Crise dEnaden Bruxelles. Il y a
t pris en charge (vingt-quatre heures sur vingtquatre) neuf fois en huit ans pendant quelques jours
ou, plus rarement, quelques semaines*. Ce sont l
les conditions de production 1 de la clinique de
ce sujet.
Le cas est construit autour de la question de la
fonction de la drogue dans le couple quil formait
avec une femme. La construction de ce cas est un
pari, cet homme, peu bavard, tant venu je le cite
pour se sevrer, pas pour parler .
Histoire et constellation familiale
Nous savons peu de sa constellation familiale et de
son histoire. Eclairs par la thse de Jacques Lacan,
la condition du sujet S(nvrose ou psychose)
dpend de ce qui se droule en lAutre A 2 , et par
un conseil dAlfredo Zenoni 3 , dtre attentifs aussi
ce quune personne fait dans la vie , nous avons
cependant pu rassembler quelques lments pour
cerner sa position subjective.
Avant ses vingt-cinq ans, deux faits sont relever.
Sil termine ses humanits et sil commence
travailler en montant une petite affaire de courrier
express, trs vite, cest la faillite parce quil ne paye
pas ses impts. Il ne travaillera plus jamais. Il
continue cependant aimer les voitures, il fait un
peu de mcanique dans le garage dun de ses frres
et il est incarcr parce quil les vole. Ses actes sont
1
2
3
33
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consommaient de la cocane et il fut entran faire
de mme. Plus tard, il consomma de lhrone avec
son frre toxicomane , malade puis mort du sida.
Cependant, la raison de sa consommation est
ailleurs. Il consommait de la cocane parce quil
sennuyait. Cest ce quil narrtait pas de dire. Ce
qui apparat premire vue dune grande banalit,
dcrivant une situation commune, prend une porte
clinique si cet ennui est situ dans le champ laanien
de la psychose. Cest ce que permet une proposition
de Jacques Lacan. La double Verwerfung, la
forclusion du Nom-du-Pre et la forclusion de la
signification phallique, cause un dommage
considrable, un dsordre provoqu au joint le plus
intime du sentiment de la vie chez un sujet 4 .
Lennui est ici une consquence de la forclusion du
Nom-du-Pre (P0) et de la forclusion de la
signification phallique (0) qui ne permettent pas
lintroduction du sujet au manque et au dsir : Je
nai jamais manqu de rien , disait-il. La double
Verwerfung cause un dommage au niveau du
sentiment de la vie , prcisment au niveau du
joint entre celui-ci et lordre symbolique. Le
dsordre , cest que la jouissance nest pas
marque par la perte et donc ne constitue pas un
manque. Lennui nest pas ici corrler au dsir, au
dsir dautre chose, au dsir qui tourne en rond, mais
bien au vide dune vie o le dsir est absent. Do
latteinte au sentiment de la vie . La drogue
comblait lennui en procurant la sensation dautre
chose , prcisait-il. Bientt, elle simposa comme la
substance ncessaire pour le mettre en mouvement :
Quand je ne prends pas, je ne sais pas bouger .
Sa femme
A vingt-cinq ans, ses parents le marirent avec une
jeune fille de quinze ans. Selon lui, le choix de ses
parents fut le bon : il voulait une femme srieuse et
vierge ; ctait une femme magnifique qui navait
jamais connu dhomme avant lui. Ils tombrent
amoureux lun de lautre. Comme Nora pour Joyce,
cest la seule femme quil rencontra 5 .
Contrairement Joyce et Nora qui sexilrent loin de
la famille et des amis de Joyce, cet homme et sa
femme sinstallrent dans la maison familiale que
ses parents, ou du moins sa mre, allaient
progressivement quitter. Cest une hypothse : la
prsence de sa femme et le rapport celle-ci lui
permettaient de pallier les consquences du dpart
4
5
Cf. LGER V., Les exils du rapport sexuel , Quarto 67, mars 1999,
pp. 21-23, de mme que pour les rfrences suivantes Joyce et Nora.
34
LACAN J., op. cit., pp. 560, 563 et 571 et Prsentation des Mmoires
dun nvropathe , Autres crits, Seuil, Paris, 2001, pp. 214-215.
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tomber (Niederkommen) 14 et se retrouvait au
service des urgences dun hpital.
Enfin, la drogue maintenait cet homme distance du
dsir de sa femme davoir un enfant et de la
paternit.
Lintrt de ce cas est de mettre en lumire et de
situer logiquement la fonction de la drogue, telle
quelle est dfinie par Jacques Lacan 15 et reprise par
Jacques-Alain Miller 16 , dans une structure du sujet
o le complexe de castration nopre pas.
MADDOX B., Nora, Albin Michel, Paris, 1990, p. 99 ; cit par LGER
V., op. cit., p. 22.
LACAN J., Intervention de clture aux Journes de lEFP , Lettres de
lcole freudienne de Paris, 18, 1975.
MILLER J.-A., Clture , Le toxicomane et ses thrapeutes, Navarin,
Analytica, 57, Paris, 1989, p. 137.
La formule est dA. STEVENS.
LACAN J., Dune question prliminaire tout traitement possible de la
psychose , op. cit., p. 560.
14
15
16
35
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l o a sagite, l o a jouit. 1 P. Lacade lance
le pari de la conversation en milieu scolaire et E.
Laurent propose une pratique largie de la
conversation dans le cadre du traitement
psychanalytique des psychoses. Leffort constant de
traduction de ce qui excde le principe de plaisir ne
peut se faire, dit-il, que par une pratique de la
conversation : Le principe dindtermination de la
traduction, cest qutant donn un phnomne, il y
aura toujours plusieurs faons de le dire []
Comment se mettre daccord sur ce que a veut
dire ? a ne peut se faire que par une pragmatique,
par une conversation, par un usage collectif, par un
rglage qui seul permet dobtenir a. 2
36
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une rupture. L o il devrait y avoir un retour, une
dialectique, il y a un chanon manquant. Il faut la
prsence dun interlocuteur de confiance pour
relancer le dire et permettre au sujet de rpondre, de
se dfendre, de sexpliquer, de dire quil nest pas
daccord au lieu de se taire, disparatre et se mettre
boire.
Ces difficults avec le discours entranent fatalement
une rupture du lien social. Hassan nest jamais l o
on lattend, quand on lattend. Il est hors du temps. Il
est dbranch du discours, du lien social.
Hassan vient demander un hbergement quand la
rupture de dialogue est devenue telle quil est
contraint derrer en rue et quil se met nouveau
consommer massivement de lalcool. Il utilise alors
son sjour pour reprendre, laide de sa rpondante,
le dialogue avec les diffrentes instances sociales,
son amie et quelques membres de sa famille.
Charles et la personnalit-chemise
Suite une opration chirurgicale complique dune
ventration, Charles a perdu sa personnalit : Elle
est sortie par mon ventre , dit-il. Il vient en
institution pour faire un travail psychologique. Ma
solution, dit-il, cest tre cout la place des
mdicaments, lorsque je suis anxieux .
Il faut que vous mobligiez parler, comme la
psychologue de linstitution X qui ma tir les vers
du nez jusqu lenfance. Il faut que je vide mon
sac .
Dans la pratique, cependant, le simple fait que des
rsidents lui posent des questions ncessite pour le
calmer la prise immdiate de mdicaments.
Il nous apprend quil ne faut pas entendre sa
demande la lettre, que sa demande dtre oblig de
parler est probablement la demande des autres, ce
qui prcisment le perscute.
Par ailleurs, il parle de lui tout le monde, tout en
disant quon ne peut pas le comprendre. A chaque
intervention, il snerve, nous indiquant que ce nest
pas comme a quil faut sy prendre. Il ne veut pas
dun psychologue qui ne parle pas mais le simple
fait de rpter une phrase que lui-mme vient de dire
lagace : Ce nest pas a du tout , dit-il en
snervant. Lide que lautre pourrait comprendre
lui est insupportable. Il veut pouvoir poursuivre son
effort de traduction de ce qui lui arrive sans
interfrence extrieure.
La seule chose quil supporte, cest quon lui
demande de sexpliquer, den dire un peu plus, parce
que nous ne comprenons pas bien. Que lon
37
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Ces exemples indiquent clairement qu partir dune
mme position fondamentale qui laisse au sujet
linitiative de sa solution, les modalits de
conversation sont chaque fois inventer, en
fonction de la logique subjective de chacun : pour
Victor, ce sera une relation avec un semblable, pour
Hassan, une intervention plus active et pour Charles,
une absence de toute volont.
Pour conclure
Pour ces sujets en mal avec le discours, il est
particulirement difficile de rencontrer un
partenaire. Ils ne sont pas mme de sengager dans
une demande formalise de psychothrapie. Et
pourtant, il y a les rencontrer et trouver une
pratique de parole qui leur convienne.
Dans notre institution, nous nous efforons
galement de dvelopper le ct convivial de la
conversation. Une conversation de salon, pourrait-on
dire. Au dpart dune maquette de voiture construite
par un rsident qui en fait la collection, on se met
parler de rallyes, de marques de voitures et de prix
des maquettes. On cherche un terrain commun sur
lequel converser, deux ou plusieurs, tout en
veillant ce que chacun puisse y aller de son
nonciation.
Cest bien souvent en veillant prsentifier un
semblable et non un soignant que lintervenant
rentre dans la conversation, pour la lancer et la
relancer. Il est frappant de constater quen labsence
dintervenant la conversation tombe plat, le silence
sinstalle, alors quen sa prsence, les rsidents se
mettent parler entre eux. Certains semblent mme
guris, soulags de leurs symptmes, du simple fait
dtre accueillis dans cette vie communautaire. Ici,
on a des amis , disait lun dentre eux, alors quil
venait juste darriver. Ou encore, A Enaden, jai
limpression davoir une famille .
Ainsi donc, la pratique dune certaine conversation,
par le statut dinterlocuteur quelle donne chacun,
offre une place dans le discours, dans le lien social,
dans lexistence mme. Les effets de soulagement
produits par cette place reue indiquent quel point
ceux qui viennent nous trouver en ont manqu et
combien tre compt pour rien peut tre ravageant.
Lhomme au vlo
Nadine Page
Dans un premier temps, les entretiens avec cet
homme laissent supposer que la drogue tombe
point nomm pour justifier ses reculs face aux
38
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occurrences du dsir qui se prsentent lui*. Quil
sagisse daffronter la patronne de latelier
dartisanat o il se forme bnvolement pour obtenir
le statut de stagiaire rmunr quil revendique, ou
de reprendre contact avec telle femme croise
quelques jours plus tt alors quil se plaint de
manire lancinante de sa solitude prolonge, lide
de la drogue ou les comportements selon lui
affrents la toxicomanie surgissent au moment o
il lui faudrait sengager dans lune de ces voies.
Ainsi, il contactera cette femme lorsquil sera moins
dsargent, mais flambe largent peine reu dans
une nouvelle consommation de drogue et reporte
indfiniment cet appel.
2
1
39
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volont qui vous dpasse,), il invoque par
moments, lorsquil tente de se maintenir hors
consommation et de retrouver un sens sa vie , le
fait quil nest pas un toxicomane comme les
autres , ce dont tmoignent selon lui ses parfois
longues priodes dabstinence. Il qualifie maintenant
la drogue de fausse libert et dcrit son effet
boomerang : Tout de suite aprs, je regrette .
Toute cette laboration constitue cependant un point
dappui encore bien faible pour temprer lappel
cet objet de la demande la plus imprieuse 3 .
Cest ailleurs que se sont progressivement
dcouvertes dautres tentatives de rponse du sujet
cet Autre non spar de la jouissance : au moyen du
vlo et de son travail dartisan. Ceux-ci se sont
avrs rpondre pour une part au moins la mme
fonction : la tentative de se mnager une place au
champ de lAutre tout en maintenant exclue la
dimension du dsir 4 .
TyA dailleurs
Pire quun symptme
Mauricio Tarrab
1
2
3
4
*
Intervention prononce la journe Tya lors de la Rencontre
Internationale du Champ freudien en juillet 2002 Paris.
Ibid., p. 135.
Selon une indication dAlfredo Zenoni.
40
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cerner les solutions et les ruptures que nous avons pu
isoler dans la clinique des toxicomanes.
Introduire la dimension du sujet dans le problme
ouvre une nouvelle perspective dans la clinique de la
toxicomanie. Cest ce qui a permis dintresser les
psychanalystes ces pratiques et de situer leur
place les questions sociales. Ce faisant, nous avons
aussi peru les limites de la psychanalyse. De l
vient le rsultat dun travail de contrepoint, soutenu
avec Ernesto Sinatra et Daniel Sillitti, relatif la
fonction du toxique et lopration toxicomaniaque.
Aujourdhui, nous sommes dans le cadre de la
clinique de la sexuation qui nous conduit
rinterroger les fondements de notre recherche. Nous
prenons pour cela le tournant que Jacques-Alain
Miller situe comme une mutation dans
lenseignement de Lacan.
Une clinique de la sexuation, la diffrence dune
clinique du sujet, prend comme rfrence le
symptme et comme point de dpart la diffrence
sexue lhtrosexuel et non lhomosexualit du
sujet, pour rendre compte de lasexu de la
jouissance. Dans ce cadre, il faut aussi tenir compte
de la relation entre lidentification et la sexuation.
Cette perspective nous fait explorer une zone o se
vrifie que la drogue peut aussi tre une affliction
pire quun symptme . Quand la drogue remplace
laphliction de la relation du sujet avec le
phallus, cette solution est un ravage. Le ravage
dune jouissance qui vaut plus que la vie 4 .
Une mutation
Pendant ces annes au Tya, nous avons essay de
situer le travail dlaboration collective dans
lorientation que Freud, dj trs tt, nous donne :
tous ceux qui ont loccasion de prendre pendant un
certain temps de la morphine, de la cocane, du
chloral et autres, nacquirent pas de ce fait
lapptence pour ces choses. Une investigation
plus prcise dmontre en rgle gnrale que ces
narcotiques sont destins jouer le rle de substituts
directement ou par voie dtourne de la
jouissance sexuelle manquante 5 .
Pour penser comment situer la fonction de la
toxicomanie dans une clinique de la sexuation, je
tenterai dextraire quelques consquences du
tournant dans lenseignement de Lacan que JacquesAlain Miller a travaill dans Le partenaire-
4
5
41
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sujet se dfend du rel 7 . Cest donc une dfense
paradoxale, si nous considrons ses effets de
dvastation et la position de celui qui lutilise 8 .
Nous avons durant des annes, considr la drogue
par rapport au symptme, non pas au symptme
nvrotique qui fait appel lAutre, mais au
symptme sur son versant de rptition de
jouissance. Aujourdhui, je prsente les choses
diffremment, esprant ainsi provoquer la poursuite
de notre dbat.
Je prends avec libert une citation du Sminaire
Joyce Le sinthome pour proposer que la drogue est
quelque chose de pire quun symptme : Une
femme est pour tout homme un sinthome []
lhomme est pour une femme tout ce quil vous
plaira une affliction, pire quun sinthome, un ravage
mme. 9
Cest la position dans laquelle Lacan laisse les
hommes et les femmes face au non rapport sexuel.
Lhomme est accompagn de son symptme, la
femme est accompagne de ce qui la ravage. Cest
cela le couple, ce qui vient la place de limpossible
de la relation entre les sexes chez ltre parlant.
Une affliction pire quun symptme, cela dcrit bien
ce que la drogue peut tre : quelque chose de
ravageant qui peut mener jusquau sacrifice, jusqu
la dvastation. Le ravage dont parle Lacan pour
situer ce quun homme peut tre pour une femme,
porte non pas la marque du symbolique autour de
laquelle une femme peut ordonner son vide , mais
la marque de la relation de la femme la mre. Cest
l le ravage principal dont la relation un homme
vient prendre la relve. Cest avec cela quelle fait
couple. Marguerite Duras le dcrit merveille :
dans mon enfance le malheur de ma mre a occup
le lieu du rve [] le rve ctait ma mre et jamais
les arbres de Nol, toujours elle seulement, quelle
soit la mre corche vive de la misre ou quelle
soit celle dans tous ses tats qui parle dans le
dsert. 10
Notre mre ne prvoyait pas ce que nous sommes
devenus partir du spectacle de son dsespoir. 11
Et nous connaissons sa relation lamant, et ensuite
lalcool. Marguerite Duras crit que lalcool a tenu
pour elle la double fonction de limite et de ravage :
Identification et sexuation
Chez Freud, lidentification est le moyen par lequel,
par la mdiation de lAutre, sordonne pour le sujet
lappartenance sexuelle. Cest le traitement
symbolique de la diffrence du vivant sexu. Ceci
peut scrire :
S
R
9
10
11
42
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Lalcool a rempli la fonction que Dieu na pas eue,
il a eu aussi celle de me tuer. 12
Il est intressant de reprer dans la clinique
comment ces patients se dfendent au moyen de la
drogue de la confrontation au rapport quil ny a pas
entre les sexes. Leur problme est de ne pouvoir
sortir de la rptition de lUn, unique, auto-rotique,
et dincarner en quelquun, en un tre existant,
lAutre comme partenaire de jouissance.
H//F
Jouissance a-sexue
(drogue)
Jouissance a-sexue
(drogue)
Conditions de jouissance
S ? a + Symptme
Ibid., p. 15.
MILLER J.-A., op. cit.
Selon lexpression de Jacques-Alain Miller en espagnol la horma de la
castracion.
43
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De la formation de rupture au partenaire symptme
Fabian Abraham Naparstek
Lhomme la citerne
La proposition de J.-A. Miller situe la spcificit de
la jouissance du toxicomane comme permettant de
ne pas poser le problme sexuel. Une vignette
clinique permet de diffrencier dans ce champ un
consommateur clibataire du dit toxicomane. Il
sagit dun sujet qui consomme des drogues pour se
maintenir dans une position de coinc (estancado), cest--dire une forme de masturbation
compulsive sans possibilit daccs lautre sexe.
Le signifiant estancado renvoie une scne de son
enfance o il sest trouv dans une citerne (tanque)
vide en train de se masturber, sans pouvoir en sortir.
De plus, il avait accroch son pnis dans la
fermeture clair. Il ajoute quil est accroch au
sifflet (enganchado al pito). Cette articulation
signifiante estancado, tanque, enganchado
permet de penser quil sagit dun sujet mari avec
lorgane, mais coinc dans ce mariage. Dans son cas,
on peut parler dune jouissance phallique, mais o le
phallus ne se met pas en fonction pour entrer dans le
march de lchange avec lautre sexe. Il souffre de
son accrochage avec le phallus, il se trouve, comme
dit Lacan, aphlig 7 . Cette souffrance devient
un moment donn un insupportable qui le pousse
imprativement sortir. Je distingue en ce point ce
clibataire accroch son organe pour qui la
drogue est une Hilfskonstruktion de celui pour qui
il y a rupture avec le phallus. Cette distinction
sappuie sur le fait quil sagit de jouissances
diffrentes. Chez le toxicomane proprement dit,
nous rencontrons une dlocalisation de la jouissance
avec un effet de ravage. Cest ainsi que le prsente
Mauricio Tarrab quand il dit que pour le
toxicomane la drogue nest pas un symptme, mais
un ravage 8 . En revanche, chez le clibataire que je
vous ai prsent, nous avons un lien son organe,
sauf au moment o ce lien se rompt pour sortir de sa
citerne. Cette sortie montre linfinitude du ravage en
tant quelle le conduit systmatiquement au passage
lacte.
1
2
5
6
Le travesti
Ceci fut propos par Mauricio Tarrab, sur la liste lectronique du Tya,
comme piste de rflexion et de recherche pour la journe du Tya lors de la
XIIme Rencontre internationale du Champ freudien.
7
8
44
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presque disparatre. Tout le problme pour cet
homme est ce quil faut faire de cette chose qui
est l. La cocane et une pratique masturbatoire lui
permettent de rduire cet organe pour lequel il na
pas llment symbolique qui en ferait un instrument
de jouissance. Drogue et masturbation sont
galement les moyens par lesquels il peut rsoudre
le problme de lenvahissement de jouissance, du
pousse--la-femme. Par ailleurs, le refus de son
partenaire sexuel de consommer remplit la fonction
de restreindre, de rduire sa propre consommation.
A une autre poque, la drogue lentranait dans un
voyage sans limites, mais qui pouvait aboutir au
rel dune overdose, dun emprisonnement, dun
accident de voiture. Cest pourquoi cette pratique
restait rduite des moments dintimit solitaire,
avec la possibilit dtre dcouvert. On voit ici le
statut de solution symptomatique que possde le
partenaire de vie officiel joint une pratique
clandestine de consommation. Il sagit dun
partenaire qui, avec la consommation, permet de
localiser symptomatiquement et singulirement la
jouissance. Dans ces conditions, cette jouissance
peut passer au champ de lAutre, se lier avec un
partenaire. Une fois les choses ainsi tablies, le
problme que pose la relation sexuelle avec son
partenaire devient ce qui fait obstacle. Cest un sujet
qui peut se passer de la pratique effective du
sexe ou la tolrer de temps en temps.
Eric Laurent nous a montr que dans certains cas
lusage de la drogue sert clairement limiter une
jouissance 9 . Dans la psychose et dans certaines
nvroses, lusage de la drogue ne se limite donc pas
la fonction de rupture, soit par la voie de sinventer
une identification tre toxicomane , soit par la
voie dun dlire partiel se sentir perscut cause
de sa consommation , soit par une pratique bien
dlimite comme celle que je viens de relater.
LAURENT E., Trois remarques sur la toxicomanie , Quarto 42, pp. 6972.
45
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besoin 2 , il prtend sopposer tout abord de la
toxicomanie en tant que ncessit inexorable et qui
trouverait son explication ultime dans les faits de la
nature. Selon son opinion, le principe propre qui
oriente lutilisation toxicomaniaque de la drogue est
par essence paradoxal, et ce malgr le fait quil soit
quantitatif 3 .
quation de la drogue
Lunivers de cette relation dmesure avec la drogue
ne correspond pas la mtaphore dun paradis du
plaisir, mais une faon dtre caractrise comme
un tat de sujtion radical. Cest en tant que
formule du monopole et de la possession que
lauteur parle dune quation de la drogue ,
tentant daborder ce que la psychanalyse apprhende
comme une relation la jouissance. Quand il affirme
par exemple que lhrone est une quation
cellulaire [] et la dcision den finir avec la drogue
cest aussi cellulaire , ce quil vise en fait, cest le
fil dune logique signifiante inhrente lconomie
de la drogue. On voit que lexprience de la drogue
nest pas un simple alibi pour son entreprise
fictionnelle, son style est entirement homogne au
mode de jouissance dun toxicomane. Pour sa
position conomique, la drogue nest pas le plaisir
[] Cest un mode de vie. La drogue prend tout et
napporte rien, sauf une scurit contre les douleurs
du manque [] le fait de satisfaire le besoin, cest le
plaisir en soi. A partir de ces noncs, lauteur met
en vidence sa formule capitale de lalgbre du
besoin propre la toxicomanie, conue comme un
mode de vie intimement articul laspect dltre
de la jouissance.
Court-circuit de lapptit sexuel
Ici intervient ce qui me parat tre une autre grande
intuition de Burroughs sur les relations entre
lexprience de la drogue et la fonction sexuelle,
cest--dire quil sagit de se demander de quelle
manire la satisfaction toxique intervient dans la
satisfaction sexuelle. Ses ides sont loin de proposer
lquivalence ou mme la substitution de la
satisfaction sexuelle par la satisfaction obtenue via la
drogue, ce qui, en dernire instance, implique de
pouvoir admettre que la drogue est un objet
quivalent lobjet partiel. Par opposition ce
prsuppos no-freudien de la drogue conue dans
lunivers des relations dobjet, il a prfr la formule
suggestive qui capte la solution toxicomaniaque
Algbre du besoin
Cependant, il ne convient pas de penser que dans
cette aventure littraire, le phnomne de la drogue
ait t rduit un simple rcit des diffrents tats
dintoxication, constituant ce qui, loccasion, se
configur comme un catalogue des esprits des
drogues. Grosso modo, ce programme vise ce que
lon dsigne comme les proprits subjectives
intrinsques aux substances narcotiques, proprits
susceptibles dexpliciter les types de satisfaction que
lon peut extraire de ces substances. Sopposant ce
programme, les thses les plus surprenantes de
Burroughs cherchent indexer les ncessits de cette
exprience via une notation algbrique. Ainsi,
faisant appel la dnomination d algbre du
2
3
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comme un moyen supplmentaire permettant au
sujet de sloigner du malaise de la sexualit. Ainsi,
selon le point de vue de lcrivain tats-unien, si le
toxicomane sattache la drogue, il le fait parce
quelle court-circuite lapptit sexuel 4 .
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le sujet agence sa vie 8 . Il sagit donc dun
symptme qui, en son aspect essentiel, nest pas
occasionn par les exigences tortueuses et
contingentes du fantasme, ce qui ne signifie pas quil
ne se montrerait pas permable aux sollicitations et
aux demandes souvent angoissantes dun partenariat
amoureux et sexuel. Si la drogue fonctionne comme
un court-circuit, cest parce quelle en vient tre
lobjet dun besoin imprieux pour lequel la
satisfaction sollicite ne tolre aucun dlai dans la
substitution des objets. Le fait de mettre la drogue en
position de partenaire ne saurait impliquer une
assimilation simpliste lobjet de la pulsion ou
lobjet du fantasme. Le manque--tre, dans ces
situations, ne semble pas tre caus par un objet
non-rcuprable et innommable, mais bien par un
artifice qui, sous lhabillage dun objet de la
demande, masque le sujet du dsir.
Ce que lon nomme ici artefact de la drogue nest
donc pas un succdan de lobjet sexuel substitutif
puisque linscription du registre phallique lui fait
dfaut. Cette manire spcifique doprer un courtcircuit dans la fonction sexuelle quivaut la
difficult quprouve le toxicomane supporter les
filtrages relationnels imposs par le partenaire
sexuel. Il convient de signaler par ailleurs que chez
Burroughs, cet insupportable de lAutre sexe
apparat du fait de son inclination homosexuelle,
conjugue avec une extrme misogynie antimatriarcale, une misogynie qui nest pas seulement
rejet de la femme, mais aussi rejet de la mre. Selon
lui, les femmes sont toujours une erreur , une
impasse qui se trouve au fondement de lorientation
asexuelle de son univers puisque la diffrence est
une donne dfinitivement constitutive de la
maldiction absolue que les sexes charrient 9 . En
change de cette distanciation par rapport aux
exigences provenant du partenaire sexuel, mise
distance qui sopre selon un mode instrumental, via
lusage de la drogue, le sujet offre son corps horsdiscours, simple machine mtabolique sans dsir. La
technique de rupture, de sparation du toxicomane,
sur ce point prcis de la rencontre avec un
partenaire, rvle son impasse vis--vis de ce qui lui
a t transmis de la loi phallique, ce qui son tour
lamne laisser la fonction du dsir hors de porte.
Il lui reste alors la technique de la drogue comme
rponse. Il lui reste enfin cette stratgie qui mamne
concevoir la toxicomanie comme un cas
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Parler de ses choses le renvoie une angoisse
qui le casse . Lhrone apaise son angoisse et sa
douleur de vivre , mais ce nest pas la
solution . Son insistance voque les lettres
dArtaud au mdecin : limportance de la chose sur
laquelle agissent les injections de morphine [] la
morphine lve son accablement, quilibre ce qui
tombe, runit ce qui est spar, recompose ce qui est
dtruit , et au lgislateur : Il y a un mal contre
lequel lopium est souverain et ce mal sappelle
langoisse. 3
Abel fait deux demandes : parler de son angoisse
plutt que consommer et utiliser le dispositif comme
barrire la drogue et aux antidpresseurs qui le font
se sentir moins homme avec sa fiance.
Il traite son angoisse avec la mdication de la mre
parce que tous les deux souffrent du mme mal,
pense-t-il. Elle est triste, elle manque de vie, lui
aussi. Leur relation est symbiotique , dira-t-il, et
ils souffrent tous les deux de la douleur de vivre
cause de labandon par le pre. Cest un homme
froid, qui ne donne pas damour, il vocifre quand je
fais quelque chose de mal, je ressens alors de la
colre et de limpuissance.
Abel parle avec lanalyste de ses tentatives pour
organiser sa vie. Il traite lmergence de langoisse
avec la mdication de la mre. Jinterviens sur ce
point en lui disant de sadresser plutt au mdecin
pour sa propre mdication. La relation symbiotique
avec lutilisation de la mdication maternelle jette
une lumire sur lacte qui lui avait valu le renvoi du
centre. Le souvenir dune punition sans raison
voque un Autre paternel hors sens et hors-la-loi.
Abel court et son pre loblige aller sous le soleil.
Adolescent, il pensait que son pre ne le laissait pas
grandir, ne le laissait pas sortir, il ressentait
humiliation et rage. Il se masturbait par colre, pour
faire quelque chose de sale, mais il ne trouvait pas le
plaisir attendu. Ce nest pas cela quil cherchait, il
voulait une fille.
Abel signale un virage dans son enfance, un avant et
un aprs la sparation de ses parents qui a eu lieu
lorsquil tait encore petit et faible , il avait
seulement vingt ans. Son pre est parti avec une
autre femme. La sparation a t traumatique pour
lui. Tout lamour avait disparu. Sa mre tait trs
affectueuse, mais son pre ne laimait pas. Cela
pouvait se prvoir car il la laissait trs seule. Abel se
souvient avoir vu sa mre dprime et en pleurs.
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rgler sa vie : il vient plus rgulirement ses
sances et parle de ses cauchemars.
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marcher avec la tte lgrement releve, nous
renvoie aux ftus pendus du rve ; leczma sur
lanus renvoie lrotisation anale.
un
musicien
hronomane.
Celui-ci joue du mme instrument que lui. Dautre
part, il met en avant la force de son nom, la force de
sa musique et la maigreur de son corps.
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soutenue dans la relation avec une femme, il ne
trouve pas rapidement une relation avec une autre
femme, il entre dans un tat confusionnel, aggrav
par des consommations ponctuelles de cocane. Dans
les moments les plus extrmes, cet tat le pousse
chercher des prostitues ou des travestis. La plaie
souvre et avec celle-ci leczma, lrotisation
anale.
Lors dune dispute avec sa copine, il pleure dtre
repouss par elle. Ensuite, il aborde un travesti
duquel il exige dtre pntr. Lorsquil lui est
rpondu quil ne sagit pas de sexe mais damour, il
sapaise, parce que cela situe de faon asymptotique
les axes de lamour et de la jouissance. Le travesti
a raison, dit Abel, je suis faible, jai besoin
damour.
Pour linstant, il ne veut pas sortir avec des filles. Il
est craintif, il doit devenir plus fort avant de
chercher une autre copine. Depuis que cette crise a
commenc, il assiste aux cours avec beaucoup de
difficults et parfois il ne comprend rien du tout.
Les examens de slection approchent. Il a besoin de
concentration. Il trouve une certaine tranquillit dans
lcriture. Peut-tre va-t-il russir ses examens, du
fait quil crit si bien. De lcriture, ce qui lui plat,
cest que lacte dcrire requiert un temps dattente.
Il y a un temps entre ses penses et celui qui lit, dans
ce cas, sa professeur de littrature.
Par rapport une scne du livre Solitut de Victor
Catala, femme crivain qui crit avec un nom
dhomme, o il peut situer sa position, il parle, tout
en pleurant, dun personnage, femme dexception,
unique et dsire par tous sauf par son abruti de
mari. Dans le travail analytique, il va
progressivement dtailler les traits de sa copine. Il la
dsire, mais ne laime pas. Elle nest pas aussi douce
quil le suppose, elle lui fait du mal comme si elle
samusait le voir si faible. Dans la douleur de ne
pas lavoir, il la voit de temps autre en ville, sur
une moto, avec un garon. Cela lui sert conclure
que lautre fminin est une putain insatiable
dhommes.
Pourquoi les femmes sempressent-elles de jouir de
sa sexualit avec un autre ? Ce savoir sur
lexcitabilit des femmes langoisse. Quelle
barrire construire face la jouissance illimite ?
Quelle barrire, quel coussin construire pour mettre
une limite ou pour avertir de cette excitabilit des
femmes qui est sa propre excitabilit, et qui fait de
lui un objet de jouissance et en mme temps lui
octroie l tre un homme ? Quelle limite qui ne
soit pas une rupture avec lAutre dans le passage
lacte avec lhrone ?
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civilises qui sont orientes crer un espace pour
penser et tudier avec tranquillit. Il sagit pour lui
de se faire un toit , un espace avec des toits bien
arms, semblables aux sculptures qui le situaient
dans la ligne du pre. Actuellement, Abel est un
usager de deux rseaux de soins qui fonctionnent en
Catalogne : sant mentale et toxicomanie.
*
Intervention, rcrite partir dun travail de Maritza Bernia, Isabel
Burguera, Eugenio Diaz, MJose Freiria, Alicia Pascual, llum Polo et
prononce lors de la Journe Tya des Rencontres Internationales du
Champ freudien en juillet 2002.
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Travaux
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une vie nouvelle aux malades mentaux, les librrent
des chanes et des symptmes psychotiques. Les
neuroleptiques, en effet, ont permis dapaiser
langoisse extrme des psychotiques et de faire
reculer leur dlire. Une importante recherche autour
de la chlorpromazine vit le jour et engendra une
vritable rvolution pharmacologique : le Largactil
et lHalopridol, tranquillisants majeurs, agissent sur
les dlires et sur les hallucinations. Lhpital
psychiatrique, o rgnaient le bruit et la fureur, les
lectrochocs et les hurlements, se transforma en un
lot de silence. Avec le neuroleptique, la maladie
mentale quittait le registre du mythe, de la
maldiction, de lexclusion, pour rejoindre le champ
de la mdecine. Les psychiatres purent abandonner
lide de chronicit (fonde sur lide de
dgnrescence) qui justifiait les hospitalisations
vie. Lide de traitement des psychotiques en
ambulatoire et de rinsertion sociale devint
envisageable. Cela donna naissance la psychiatrie
de secteur. Psychanalyse et mdicaments savrrent
conciliables, ils se virent chargs des mmes
exigences : permettre aux psychotiques de rester
dans le discours et de garder un lien social.
Quel que soit le dveloppement des neurosciences, il
reste que, pour les scientifiques, les mcanismes et
les origines des maladies mentales sont loin dtre
lucides. Cest comme si nous nous trouvions
dans un village, la nuit, avec seulement quelques
lampadaires pour clairer 5 , dit Pierre Simon. Et
les neurosciences ne leur apprendront rien sur ce
point.
Ibidem.
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dcouverte des rcepteurs neuronaux. Elle ne donne
par contre aucune explication sur la cause des
syndromes ou des maladies et les patients sont
toujours en quelque sorte en position de cobayes.
La question scientifique, savoir le fonctionnement
des mcanismes crbraux trs complexes qui
modifient les comportements et les processus
mentaux, ne vient quaprs-coup, lorsque la vise
thrapeutique (et commerciale) a t atteinte.
Les dcouvertes en psychopharmacologie sont donc
bien loin de se dduire dun systme hypothticodductif o le dveloppement thorique de la
biologie du cerveau, voire des neurosciences,
auraient la prsance. Elles se font dans un contexte
dempirisme pur et elles sont ensuite reprises par les
fondamentalistes qui essayent de comprendre. La
dcouverte thrapeutique empirique prcde donc la
rationalisation thorique. Il est donc faux de penser
que les nouvelles possibilits thrapeutiques sont
une preuve de la lgitimit des sciences dures,
puisque cest exactement le contraire qui se passe.
Lhomme neuronal cest une rationalisation dans
la mesure o pour faire la construction de lhomme
biochimique, il faut regrouper tous les faits qui nous
arrangent, de prfrence oublier les autres (par
pudeur) et forcer toujours dans le sens de la
construction. Un peu comme un dlire messianique.
Il faut que a marche 8 : ce sont les paroles du
docteur Olivier Martin, interview par Markos
Zafiropoulos en 1993. Nous sommes donc dans une
situation o les pratiques mdicales anticipent sur la
connaissance scientifique relle. En effet, aucune de
ces rationalisations scientifiques aprs coup ne
peut prtendre tre vraiment la hauteur du rel
cerner, savoir : le reprage prcis des zones
biologiques atteintes par le produit, et ensuite les
relations entretenues entre les modificateurs
biologiques obtenus par les psychotropes et les
troubles psychiques reprs.
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56
Ibid.
ETCHEGOYEN R.H. et MILLER J.-A., Silence bris, Paris, Seuil,
Agalma, 1996, pp. 25-26.
Ibid., p. 23.
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crise dangoisse grave. Le psychanalyste doit donc
adopter une position thique qui consiste valuer
chez le sujet le supportable de la douleur
dexister 12 . La prescription de mdicaments est
donc parfois tout fait indispensable, mme si lon
sait que ce dernier empche le travail de
linconscient par lendormissement du symptme.
Comment expliquer le succs mdical et
sociologique de la dpression ? Nous assistons en
effet a un dplacement de lintrt port la folie,
la psychose, vers le phnomne nouveau de
dpression. Celle-ci envahit les mdias comme le
champ de la publicit pharmacologique. Les mises
en scne des cts les plus intimes des vies
ordinaires font lobjet de nos programmes de
tlvision o la dpression se donne en pture pour
le plus grand plaisir de tous. Paralllement ce
phnomne, se dveloppent les techniques daction
sur soi avec les psychotropes qui stimulent lhumeur
et les capacits individuelles sur le mode du dopage
en sport. Le rapprochement entre psychotropes et
drogues illicites qui modifient les tats de
conscience est de plus en plus net.
Le succs mdical et sociologique de la notion de
dpression pose effectivement problme, alors que
paradoxalement dans la thorie psychiatrique ellemme, elle nest rattache aucun grand nom de
thoricien.
Ceci ne peut sexpliquer que parce que le malaise
dans la civilisation trouve l une faon de
sexprimer : au bonheur sur ordonnance rpond la
chimie du dsespoir. La radicalisation du mal-tre
engendre son corollaire : la dpression en tant que
maladie non plus simplement psychique, mais
organique. Tout cela cre un phnomne nouveau de
socit : la mdicalisation de la vie en gnral, la
multiplication des propositions commerciales de
bonheur. Le supermarch de leuphorie est ouvert :
la publicit dun mdicament miracle rpond la
contre-publicit dune drogue sans toxicit ni risque
de dpendance.
Le Prozac, qui est devenu le symbole de
lantidpresseur, fonctionne sur cette ambivalence :
on ne meurt pas dune surdose, alors que la dose
ltale est vite atteinte avec laspirine qui savre
beaucoup plus dangereuse. La publicit du Prozac
repose sur lespoir donn de surmonter toute
souffrance psychique, puisquil savre tre capable
de stimuler lhumeur de personnes qui ne sont pas
vritablement dprimes. Cette nouvelle classe
dantidpresseurs incarne la possibilit illimite
12
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EHRENBERG A., La fatigue dtre soi, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 12.
Ibid., p. 15.
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que le lot du civilis par rapport au barbare est
davoir la lourde tche de se porter soi-mme ? La
fin dune analyse doit pouvoir permettre au sujet de
se porter lui-mme sans avoir recours aux
stupfiants.
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