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Delbos, Le Spinozisme, 1913

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Le spinozisme : cours profess la Sorbonne en 1912-1913 / Victor Delbos,...

Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

Delbos, Victor (1862-1916). Le spinozisme : cours profess la Sorbonne en 1912-1913 / Victor Delbos,.... 1916.

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Ivxtrait

de la Revue (tes Cours et Confrences

^VICTOR
MEMBRE PUOFF.SSKUR l)K A I.A DB r.'l'MVKHSIT

DELBOS
L'INSTITUT DF.S DF. l'AHIS LETTRES PACl'I.Tft

LE I

SPNOZISME
COURS PROFESS A L SORBONNE
en 1912-1913

, SOCIT FRANAISE
ANCIENNE

PARTS D'IMPRIMERIE
LENE,

ET DE LIBRAIRIE
OUDIN ET Cl*

LIBRAIRIE

/, Rue Je Clitny, 1o 1910


Tout droit de reproduction ritervi.

Prix : 3 fr.

LE

SPNOZISME

LE

SPI$.Q1SME

DU

MME

AUTEUR

La Philosophie pratique de Kant, 1 fort vol. in-8 de iv et 756 p. (Couronn par l'Acadmie franaise). Flix Alcan. diteur Traduction nouvelle, avec introduction et notes, des Fondements de la mtaphysique des moeurs de Kant, 1 vol. in-12 de 210 p. Ch. Delagrave, diteur. ... de l'Allemagne et la pense L'esprit philosophique 1 brochure in-10 de 13 p. Blond et Gay, franaise, diteurs

12 50

1 75

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VICTOR
MEMBRE IIB

DELBOS
l/jNSTITt'T

PROFESSEUR
l)K

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FACULT
t)E

DES
PARIS

LETTRES

L'UNIVfcRSIT

LE

SPNOZISME
COURS PROFESSE A LA SORBONNE
en 1912-1913

PARIS SOCIT FRANAISE


ANCIENNE MIMAI

D'IMPRIMERIE
MB I.ECENK,

ET DE LIBRAIRIE
OUDIN ET t1*

/6, Rue de Cluny, 1910

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laiss paratre/y fasie#$/ae ces leons sur le Spinozisme dans la Revue des Cours et Confrences mon collgue et ami M. Fortunal Strowski. Il m'a sembl ds lors que je n'avais plus de raisons pour me refuser publier le cours dans son entier. Ce qui a achev de me dcider cette c'est l'impossibilit o fai t jusqu' prsent publication, de rditer avec les modifications ncessaires mon livre, depuis longtemps puis, sur Le Problme moral dans la de Spinoza et dans l'Histoire du SpinoPhilosophie zisme. Mes leons n'avaient pas considrer la pense spi fait sous le mme aspect que mon livre ; mais elles ne pouvaient pas ne pas rencontrer, mme sans les signaler, les interprtations que j'en avais autrefois tentes: elles les ont peut-tre confirmes sur certains points ; sur d'autres elles les ont compltes, sur d'autres dlibrsupprim les formes de langage et tous les dveloppements accessoires, que cornporte l'enseignement public ; elle a, en retour^ multipli de textes et les plus qu'il ne le permet les indications rfrences prcises. ment rectifies. La rdaction de ce Cours a nozistetout la demande de son Directeur,

J'avais

LE
\ /t

SBINOZISME
PREMIRE LEON.

Les

conditions

gnrales Spinozisme. convient-il le mieux

de l'tude

du

De quelle faon pour en embrasser

d'aborder

L'oeuvre principale est crite la manire des livres de gomtrie ; elle affecte ainsi jusque par sa forme extrieure la prtention de ne rien soutenir vident ou dqui ne soit ou immdiatement monstrativement tabli. Le mieux n'est-il donc pas de tcher de suivre la srie rgulire des propositions et des preuves, comme si l'on s'appliquait comprendre un trait de gomtrie ? ou sans insinuer que l'appareil Mais, sans affirmer soit chez Spinoza simplement intervenu mathmatique du dehors, on peut cependant se demander nitions qui ouvrent YEthique, ci qui portent de soit la substance, Yattribut, le mode, intelligibles pour nous comme le sont les gomtriques initiales? relle de leur contenu, si les dfisur la cause Dieu, sont dfinitions

possible de Spinoza, YEthique,

le spinozisme tout le sens?

Celles ci, soit par la simplicit soit par l'appel qu'elles font *

dans toute l'intuition, peuvent tre saisies d'emble leur signification ; tandis que les dfinitions par lesderrire elles, quelles dbute Ythique supposent sous leur apparente simplicit, un long effort d'labo-

LE

SPINOZISME

ration

empruntent technique, ments des concepts fournis losophies dpart, De plus,

antrieures, et, sont des points d'arrive.

la plupart de leurs let dvelopps parles phiavant d'tre des points de

quelle que soit la force du lien logique qui enchane les propositions successives de Y Ethique, il est incontestable de ces propositions ne que l'objet rapport un certain tat des Montrer est la questions philosophiques. que Dieu substance unique ou qu'il n'y a pas de volont libre, c'est rpondre d'une certaine manire des problque par antposs, et dont les solutions seules de marquer le sens et la rieures permettent Une interprtation spinozistes. porte des solutions de la philosophie de Spinoza exacte et complte ne mes antrieurement se dispenser d'une connaissance des rapports de diverses sortes rapports de drivation, d'oppode combinaison sition, de transformation, qu'ilya de Y Ethique et les entre les concepts fondamentaux saurait / prcdentes. concepts des philosophies ncessaire de remettre Enfin il n'est pas seulement et de le faire entrer dans le spinozisme dans l'histoire la suite des doctrines ; il faut essentielles proccupations auteur le besoin de le former. aussi rappeler quelles ont dtermin chez son peut s'entendre

Or, si le problme que se pose avant tout Descartes, c'est le problme de la certitude dans la science, le problme que se pose avant rame, tout Spinoza, c'est le problme de la sant de de la libert vraie et del batitude. Les termes et la solution purement vers laquelle il tend doen apparence, de spculatif de la

de ce problme minent l'ordre, la dmonstration

objective. Par l nous sommes amens la considration

DE L'TUDE

DU SPINOZISME

vie et de la personnalit de Spinoza.au rappel des circonstances qui lui fixrent comme tche la libre re l'analyse de son rgle de conduite, genre d'esprit, et des intimes rapports qu'eut chez lui avec le besoin de conqurir intellectuelle la curiosit cherche d'une de son existence la plnitude de sa destine. Par l aussi nous et de raliser la perfection

religieux profond qui avait survcu dans lame de Spinoza la rpudiation et qui lui avait fait dsirer ou de sa foi premire, accepter le contact avec certaines sectes chrtiennes. moral que s'est pos pas le pur problme demand : Que Spinoza ; il ne s'est pas simplement sr dois-je faire ? mais : Que dois-je faire pour.tre d'tre heureux? Plus prcisment encore, dans la faon Ce n'est dont il entend le bonheur ou le bien obtenir, il fait entrer l'ide le salut. me comme de ce que la conscience religieuse appelle la destine de l'homOr celle ide reprsente une alternative entre la mort ternelle et

pour produire avec le sentiment se combiner

comment, pouvons comprendre la raison a d le systme de Y Ethique,

; elle enveloppe la conviction que, pour il faut plus que la l'oeuvre de la nouvelle naissance, mais avant tout une vertu isole de l'effort individuel, la vie ternelle lade la Puissance ou Ralit infinie, coopration unis. Le salut est quelle nous sommes immdiatement dans et inde Dieu, dans l'union immdiate dissoluble de l'Ame avec Dieu, de telle sorte quelle se n'aime rien qu'en lui et que par lui. Cette affirmation l'amour

reproduit constante travers toute l'oeuvre de Spinoza. du Seulement le lien qui la rattache la position problme est d'une autre sorte que celui que fournit la La valeur et l'efficacit Religion, juive ou chrtienne.

10

LE

SPINOZISME

souveraines l'autorit

de l'amour d'une

de Dieu

rvlation

ne dpendent pas de et d'un commandement

externes ; elles nous sont manifestes et assures par une connaissance rationnelle. Or cette connaissance Spinoza, une concidence parfaite entre l'acte par lequel nous aimons Dieu et l'opration par laquelle Dieu nous produit, non comme mais comme des modes de sa des tres indpendants, tablit, d'aprs substance. Une mtaphysique panthiste peut donc seule justifier ce qui a t accept comme la solution vraie du problme l mtaphysique dont le thme essens'est sans tiel, avant de se dvelopper logiquement, et doute impos Spinoza dans une sorte d'intuition, a cherch ensuite les moyens de s'ordonner et de se rendre vident. Mais il ne suffit pas de discerner l'intuition premire est l'expression ou le produit dont cette mtaphysique et sufpour dclarer qu'elle est un facteur irrductible de la pense de Spinoza. intuition est moins simple qu'on outre d'antcdents historiques fisant Car dune part celte ne dit. et procde en certains ; et d'autre rationnelle

de Spinoza comme homme consiste part, si l'originalit l'avoir possde avec une nergie particulire, son de philosophe consiste l'avoir fixe dans originalit concepts en accord avec la science nouvelle ou mme suggrs par elle. Le spinozisme s'est constitu intellectuelle et il a agi par l'organisation qu'il s'est des donne. Cette organisation d'abord Descartes intellectuelle, *, et peut-lre il l'a due sans doute faut-il avant tout, relve la

influences quand on recherche de quelles de YEthique% commencer doctrine par la confronter avec [le cartsianisme. Mais il faut aussi se garder de

DE

LETUDE

DU

SPINOZISME

11

s'est mu en spinozisme que le cartsianisme fatale ; dans l'usage qu'il a par une sorte de logique fait et dans l'appropriation qu'il a opre d'lments cartsiens. Spinoza a apport une pense spcifiquecroire ment diffrente nettement de celle de Descartes, parfois mme oppose celle de Descartes. l'influence de Descartes, il faut joindre l'influence del littrature et exgtique, du juive, philosophique de Moyen Age, mme, en quelque mesure, l'influenoe la Kabbale M'influence, aussi, du no-platonisme pande la Renaissance ; l'influence, thistique et naturaliste enfin, de certains des dfinitions scolastiques et des explications cartsienne rcents qui offraient de concepts sur lesavait peu ou n'avait dlicates

quels la mtaphysique point port. Ces multiples dmler,

influences

sont certainement

qu'elles ne sont point exerces de la mme faon et qu'elles ont eu des effets trs ingaux ; mais si. tcher de les relever, on peut gagnerjde d'autant mieux marquer de loppement la place du spinozisme la pense philosophique* dans le dveet de mieux

ce qu'il a voulu dire ou ce qu'il a russi comprendre tre, on ne doit jamais perdre de vue qu'il s'est propos avant tout d'exister comme systme et qu'il a exist tel. L'analyse des facteurs trs divers dont le a pu rsulter ne serait qu'un procd superspinozisme aussi contraire ficiel et laux, aux conditions de la comme si qu' tout esprit positive philosophique, se suffire, sans suivre les degrs et les elle prtendait recherche progrs de l'unit rationnelle que le spinozisme de raliser par del toutes ces influences. Dans les leons qui composeront ce Cours, a tch

nous ne

12

LE SPINOZISME

songeons pas, tant s'en faut, excuter tout ce proNotre intention gramme d'une tude du spinozisme. est d'insister principalement sur cet effort de construction et de coordination noza a tent doctrine senter d'galer systmatique par lequel Spil'vidence intellectuelle de sa

la puissance de l'ide profonde qui l'animait. Nous n'appliquerons pas le procd qui vise reprle systme en raccourci, comme se dveloppant de lui-mme en vertu de la force logique de certains concepts. Mais nous viterons galement de le rsoudre en de simples lments de fait, dispositions personnelles, formules empruntes ou arranges, dont il ne serait, sous un appareil rigoureux, assemblage. que l'artificiel Sans nous attarder des conjectures sur la gense histode la doctrine, nous voudrions rique ou psychologique surtout ce qu'a l le travail proprement philosophique de la pense de Spinoza, quelles en ont t les principales phases, par quelles assimilations, par quelles exclusions, par quelles inventions il a abouti la montrer doctrine de YEthique. Nous userons beaucoup cet effet du Court Trait: car, si la doctrine en ses traits essentiels y apparat dj forme, elle est bien loin d'y tre acheve ; elle a encore beaucoup conqurir en nettet, en rigueur analytique, en puissance de comprhension, Par ces imperfections mmes, le Court Trait met mieux dcouvert que Ythique le noyau de conceptions primitives qui est au centre de du systme. En nous prsentant cette l'organisation sur bien des points l'tat d'bauche, il organisation nous laisse mieux prsumer de quels matriaux elle est partie et quelles liaisons elle a dj opres ; d'autre part il nous fournit, de cette organisation pour mesurer les progrs ultrieurs vers le systme tel que l'expose mme en cohrence.

DK L'TUDE

DU SPINOZISME

13

YEthique, Autant forceront

un terme

constant

et sr

que ce dessein, les limites de laisser de ct dans l'oeuvre

de comparaison. de ce Cours nous de Spinoza accommoda-

ce qui a t simplement ou application et sa doctrine sur tion, savoir, sa doctrine politique les rapports de la philosophie et de la foi. C'est au systme de Ythique que nous nous attacherons exclusiveautant qu'il nous sera posment, mais pour l'expliquer, sible, par la mthode et dans l'esprit que nous venons d'indiquer.

DEUXIME LEON. L'expression de premire substance principe chess Spinoza. du de l'unit

La premire partie de YEthique contient, entre autres, deux propositions minemment la qui reprsentent doctrine de Spinoza sur Dieu. C'est d'abord la proponeque concipi potest Il ne saurait y avoir et l'on ne peut consubstantia. C'est ensuite la cevoir d'autre substance que Dieu. xviu : De as est omnium rerum causa improposition manens, non vero transiens. Dieu est la cause immade toutes choses. Et cette dernente, non transitive, nire proposition est dmontre rfpar une double rence, l'une directe, l'autre la proposiindirecte, tion xiv ; la signification des deux termes qu'elle emcause immanente, cause transitive, dfinie et ploie, transmise par la scolastique, emprunte par Spinoza, nous le savons, un scolastique teint de cartsianisme, Heereboord, dans le Court Trait (Preest explique : mire partie, ch. m, p. 71 de la traduction Appuhn) Dieu est une cause immanente et non transitive, en tant qu'il agit en lui, et non hors de lui, puisque rien n'existe Certes, hors de lui '. mis en oeuvre dans l'thique les concepts sition xiv : Proeter Deum nulla dari

1. Pour toutes les citations et rfrences qui exigent une indication de des oeuvres de Spinoza par Van Vlonous renvoyons l'dition page, ten et Lan cl en 2 vol. in-8 (1882-18&)/ ; pour celles seulement qui se nu Court Trait de Dieu, de l'homme et de la sant de son me, rapportent la Iranous renvoyons dont le texte nous est parvenu en hollandais, (ludion dans le prefranaise de ce Trniti qu'a donne Ch. Appuhn mier volume de ses OEuvres de Spinoza traduites et annotes.

LE

PRINCIPE

DE

I.'UNIT

DR

SUBSTANCE

15

la preuve de ces deux propositions, concepts de cause de soi, de substance, iYattribut} ont certains gards une origine cartsienne ; mais pour prparer ils ont subi des transformations nisme pas, et n'impliquait usages que le cartsianisme comportait panthistique qui se traduit L'esprit par l'emploi et la combinaison pas n de ces concepts mmes sentimentales, c'est mme plutt l'encontrc d'abord manifest. au premier des deux Dialogues insTrait. (Malgr certaines objections non seulement de sens que le cartsiails se sont prts des encore chez moins. Spinoza de ces concepts n'est

ou constituer

; il a d'autres sources, mais philosophiques ; et de Descartes qu'il s'est

Reportons-nous rs dans l Court

il y a lieu de continuer croire ancienne expression que nous Ce Dialogue met en ayons de la pense de Spinoza.) scne YEntendement, YAmour, la Raison et la Concupiscence. A la question que pose YAmonr, et qui est de faites parFreudenthal, que c'est l la plus savoir ne soit s'il existe limit un Etre aucun souverainement autre, par Raison sont d'accord parfait qui YEntendement et la

pour rpondre qu'il existe un tel Etre et que cet Etre est la Nature conue comme une, terla Concupiscence nelle, infinie. Contre cette affirmation, fait valoir la diversit en particulier de la substance deschoses el des tres ; elle invoque de la substance tendue et l'htrognit

de les accorder pensante, et la diflicult avec une substance qui soit parfaite en tout. Qu'a donc faire l'Amour, sinon s'attachera ce que la Concupiscence lui montre? VAmour voit au contraire sa perte dans ce que la Conciipiscence\u\ propose comme objet, c[\a Raison reprend en proclamant la fausset de la thse selon la-

1U

LE

SPINOZISME

quelle il y a diverses substances distinctes, en proclamant la vrit de la thse selon laquelle il n'y a qu'une substance unique, qui subsiste par elle-mme et qui est le soutien considre de tous les attributs l'tendue rels. De mme que l'on et la pense comme des substances

l'gard des modes qui en dpendent, de mme on doit les considrer comme des modes l'gard de la substance dont elles dpendent. La Concupiscence ne dsarme pas, et voici la difficult qu'elle oppose la ce qu'on appelait jusqu alors des Raison : convertir substances en de simples modes d'un tre unique, c'est formant envisager la Ralit comme mais le tout en dehors de ses parties un n'a seul Tout ; pas d'existre de raison. L'Etre unique, tence : il n'est qu'un n'est donc qu'une abstraction. ternel et infini En la Raison confond le Tout avec la Cause ; vrit, l'tendue et la pense, telles qu'elle les comprend, doiinfini et ternel, non tre, par rapport l'Etre comme des parties par rapport au tout, mais comme des effets par rapport la cause ; et la cause, en tant vent qu'elle produit ses effets, est en dehors de ces derniers. En de la Concupisd'autres termes, selon les conclusions cence, comme Tout diffrent des parties, l'Etre infini n'est rien ; comme Cause de certains modes, il est bien rel, mais, ce titre, distinct de ses effets. La Raison rpond en dngnant des termes : si la Concupisl'quivoque ne connat cence peut ainsi raisonner, c'est qu'elle dont les qu'une sorte de cause, la cause transitive, effets se produisent hors d'elle, tandis qu'il est un dont les autre genre de cause, la cause immanente, effets restent l'intrieur peut tire ellets, qui sont d'elle. Une cause immanente
i

donc dite aussi un tout, en elle, oui

en ce sens que ses j Ainsi en elle leur unit.

LE

PRINCIPE

DE

L'L'NIT

DE

SUHSTANCE

17

Dieu est la cause immanente et il forme

des lrcs

qu'il

lait lr?,

avec eux un tout, le Tout. Tel est le sens de ce premier Dialogue : on y trouve essen1res nettement nonces les deux propositions tielles que nous avons releves dans la premire partie de YEthique ; mais on les trouve sans la technique de dfinitions plus manifestement et de preuves dont le cartsianisme ou moins les lments. Et d'abord ici la liaison, fournira apparat n'est YEthique

qui dans gure annonce que parle titre ou qui ne se rvle que par les dernires parties de l'oeuvre, entre le problme thico-religieux pos par Spinoza et la conception de l'unit de substance. C'est YAmour objet capable YEntendement de le contenter qui, aspirant un demande pleinement, faire connatre cet

et la Raison de lui

objet ; et c'est la Concupiscence qui lente d'abaisser et YAmour en lui reprsentant par une fausse d'parpiller apparat ds lors Spinoza comme la seule garantie de certitude pour l'Amour, de de mme que ce sont les aspirations profondes IVlmour qui suscitent, de la part de la Raison, cette afirnv.lion. Entre la Mtaphysique et les panthiste de la vie morale ou religieuse, il y a ici une de rapports intimit tout fait trangre et oppose la pense de Descartes. conditions il n'a pas paru Spinoza que le cartsianisme pt tre quelque degr la doctrine de la Raison. Spinoza connaissait-il mme alors outre, Descartes ? On a prtendu que non (Avenarius). Mais le. contenu du Dialogue prouve qu'il le connaissait, nanmoins encore assez peut-tre superficiellement, en ennemi plutt qu'en alli possible. pour le traiter
SPINOZISME 2

image la distinction firmation de l'unit

et le morcellement de l'Etre

des tres.L'af-

En

ce moment,

18

LE

SPINOZISME

C'est une doctrine

cartsienne,

la doctrine

de l'htro-

des substances, qu'il met gnit cl de la distinction dans la bouche de la Concupiscence. Ce qu'il y oppose d'emble, non sans quelque hauteur, c'est l'ide de l'unit de l'Etre. pourrait en Dieu toute Il ne parait pas souponner le parti qu'il tirer del doctrine cartsienne pour concentrer

puissance causale, ainsi que le feront les occasionalistes, et pour s'assurer ainsi une sorte de droit logique concentrer en Dieu tout tre. A la vrit, continuateurs de la plus authentiques ne rapportent pense de Descartes, les occasionalistes Dieu seul toute puissance causale que pour en destituer radicalement la nature : ils n'amalgament point l'ide de la causalit divine l'ide d'une nature qui, et dans sa totalit, serait adquate cette force infinie de production ; ils sont plutt antiun des traits les plus naturalistes. C'est, au contraire, dans qu'il y contre toute pense de distincaffirme nergiquement, l'unit foncire et l'infinit de la tion ou de limitation, Nature, afin de pouvoir galer la Nature Dieu. Cette est donc, dans le spinozisme, antrieure affirmation et elle subla mise en oeuvre des concepts cartsiens, sistera sous la forme cartsienne par laquelle elle va travaillera s'expliquer et se justifier. Lorsque, en effet, dans la premire partie du Court Dieu des notions Trait, Spinoza emploie pour dfinir de ce premier Dialogue, que Spinoza ds l'abord l'quation de Dieu et de la Nature, saillants y pose son unit

il attriqu'il a prises Descaries en les transformant, bue la Nature juste les mmes caractres qu' Dieu : elle est constitue par des attributs infinis, dont chacun en son genre est parfait. Et c'est ce qui lui permet de justifier sa proposition capitale, qu'il n'y a dans

LE

PRINCIPE

DE L'UNITE

DE SUBSTANCE

19

l'entendement attributs

divin

ni d'autres

substances

ni

d'autres

rellement dans la que ceux qui existent A toute existence fictivement Nature. conue comme Spinoza possible en dehors de ce qui est rellement, de tout ce oppose la Nature comme la manifestation sous l'aspect de l'tre possible qui est vritablement actuel. de la pense et de l'tenil se subordonne due ne s'oppose plus absolument, de la Nature ; s'il existait de l'unit des l'affirmation Le dualisme cartsien substances distinctes mme tre, nous prsente et exprime substance, logique pense quelque l'infinit ne se rapportant pas un seul et leur union serait impossible. Or la Nature celte union dans profonde des tres distincts l sa radicale unit. Ainsi l'unit de

par qui

YEthique sera conclue par voie est rsulte d'abord, dans la et conceptuelle, de Spinoza, d'une affirmation et en premire sorte

de l'unit et de pralable : l'affirmation de la Nature, par o la Nature tait identifie avec Dieu. Dans YEthique mme, o l'Etre un et infini est appel plus exclusivement Dieu, o le rationalisme <les concepts parat matriser dans une certaine mesure le naturalisme de la pense de Spinoza, l'exprimitif revient Dieu ou la Nature encore : pression /Eternum illud appellamus, 1e partie de YEthique. et infinitum eus qiiodDeum sen Naturam est-il dit notamment dans la Prface de la

D'o est donc venue Spinoza cette ide de la Nature une et infinie? - De la philosophie de Giordano Bruno, en particulier rpondent plusieurs historiens, Christoph Sigwart, qui, aprs avoir soutenu cette thse dans son livre Spinoza's neuentdeckler Tractt (1866), a, dans le commentaire dont il a accompagn sa traduction aile-

20

LE SPINOZISME

les citations de formultipli mules de Bruno analogues aux formules de Spinoza. Mais de tels rapprochements, si nombreux qu'ils soient, ne sauraient porter jusqu' l'vidence la thse, que Spinoza s'est directement sans doute inspir de Bruno pas impossible d'oprer chements du mme genre entre Spinoza et d'autres philosophes aux tendances plus ou moins voisines, tels que Il reste cependant Patrizzi, Cesalpini, Campanella. vraisemblable de quelque que Spinoza a d s'assimiler de la philosophie de la faon le panthisme naturaliste Renaissance, en ce que ce panthisme avait de contraire l'esprit dualiste, et plus gnralement l'esprit de distinction et de limitation au moyen de concepts finis.Ce sans doute avoir, pour panthisme naturaliste pouvait ce qui est de la question des rapports de Dieu et du monde, plus d'un trait commun avec certaines doctrines ou arabes qui avaient contribu l'ducation juives intellectuelle de Spinoza ; mais que Spinoza s'en soit plus directement inspir, c'est ce que l'on serait tent de croire pour lutte contre chrtienne tout psychologique, que dans sa les reprsentants de l'orthodoxie juive ou il devait prendre plus naturellement pour ce motif ; et il ne serait autant de rappro-

mande

du Court

Trait,

point d'appui la spculation lie la science et la culture modernes que les thories labores dans un Ces dernires thories ont certes agi sur pass lointain. lui, mais effets. partie faon, et peut-tre pour d'autres Elles ont entretenu ce qu'on pourrait appeler la d'une autre

et les lments plus spcialement suprieure de son panthisme. Mais ce que Spinoza thologiques devait tre le plus empress faire valoir, c'tait l'esprit de la science Renaissance, le panthisme de la sans exclure, tant s'en faut, des principes Or nouvelle.

LE

PRINCIPE

DE

L'UNIT

DE SUBSTANCE

21

et des lments grandiose librer l'tude dehors,

tait sous une forme thologiques, et hardie une expression de la tendance de la nature de toute limite impose du mme de toute la conqute port fin-

et pour cela librer la nature limite. Dans un premier moment d'ivresse, de l'autonomie de la pense avait ralis, fini, divinis Nature,

cet objet essentiel de curiosit qu'est la et que la rigidit des formes et des distinctions paraissait avoir artificiellement born et

scolasliqucs morcel.

Que s'associant ces dispositions, Spinoza, en face du dualisme de Descartes, ait commenc par se sentir anti-cartsien, constat. Mais on l'on peut peut le comprendre, aprs l'avoir aussi pourquoi il comprendre

a t conquis par la philosophie de Descartes, de faon y voir un moyen d'initiation la vrit, de faon surtout l'employer comme l'instrument le plus propre convertir dbut sa pense en doctrine. dit-il au L'Amour, du premier Dialogue, ne peut tenir son tre et que de l'existence de et de la perfection Si Spipar l'entendement. se contenter de vraisemspculatives ingnieuses, de la philoMais pour

sa perfection

l'objet suprme reprsent noza avait t homme blances peut-tre sophie lui-mme voulait et de constructions

imaginations que les brillantes de la Renaissance lui eussent suffi. et

la solution du pour problme qu'il rsoudre il lui fallait un mode de connaissance

plus rigoureux et plus certain. Colerus, dans sa Biographie, lui prte celte dclaration, qu'il avait appris de Descartes ne rien admettre qui n'et t tabli par de solides raisons, et qu'il avait reu de lui les plus grandes lumires pour l'explication de la nature. Certes la et physique cartsienne, par la clart de ses principes

22

LE SPINOZISME

de sa dduction, convenir devait particulirement ce que l'esprit de Spinoza avait de prcis et de positif. Seulement cette physique, toute gomtrique, ramenant la matire l'tendue et les lois du mouvement des dterminables, rapports mathmatiquement impliquait au fond le dualisme. Restait voir si le dualisme, par les concepts mmes sur lesquels il reposait, n'tait pas capable d'appeler l'unit dont il semblait tout d'abord l'ennemi, Le dfaut du cartsianisme ne serait-il pas simplement d'avoir limit la porte de ces concepts, de les avoir fait jouer dans un monde et pour un monde divis et fini, alors qu'en eux-mmes ils enveloppent l'Un et l'Infini ? C'est ainsi Descartes, que Spinoza fera de la philosophie rforme et transforme, l'instrument de de

ou mieux encore, le moyen de constidmonstration, tution de sa doctrine comme doctrine. C'est ainsi qu'il rationalisera l'intuition tme, mais qui, d'une aspiration sentimentale moins fidle. qui est l'origine de son syscomme telle, n'et eu que la valeur ou d'un souvenir plus ou

TROISIME

LEON.

La justification rationnelle du principe l'unit de substance.

do

Nous avons essay d'tablir prcdemment, surtout par l'analyse du premier des deux Dialogues insrs dans le Court Trait, que la conception de l'unit de substance non seulement ne s'tait pas forme dans l'esprit de Spinoza sous l'influence de Descartes, mais encore que, dans son expression spontane, elle s'tait vivement tourne contre Descaries et le dualisme cartsien. Il nous a sembl que si cette conception ne pouvait avec certitude tre drive de la philosophie de Giordano Bruno prise nommment et isolment, elle devait cependant avoir t inspire en quelque mesure Spinoza par le panthisme, no-platonicien et naturaliste, des doctrines de la Renaissance, dont la philosophie de Bruno n'est que l'un des chantillons. Mais, telle quelle, elle ft reste sans doute chezSpinoza une pure intuition sans valeur philosophique rigoureuse, si elle ne s'tait servie du cartsianisme pour se convertir en doctrine et pour tcher de participer de la certitude de la science nouvelle. Si ds le moment o il se pose le problme capital ses yeux le problme du salut de l'me, Spinoza est convaincu que la solution de ce problme est dans l'amour de Dieu, dans l'union immdiate et entire de notre tre avec l'Etre infini, il dclare aussi trs nettement que l'amour sr et constant dpend de la connaissance parfaite de son objet. En lui donc le besoin d'un savoir prcis.

21

LE

SPINOZISME

bien dmontr,

gale et corrobore sa conception panOn comprend ds lors qu'il ail thistique premire. t attir et retenu, mesure qu'il connaissait mieux Descartes, par les rgles cartsiennes sur l'vidence, ainsi que par une physique dont les principes clairs, exactement dfinis, logiquement dvelopps, l'emportaient considrablement en force probante sur les spculations aventureuses et demi potiques des philosophes de la Renaissance. a donc t employ la justificaLe cartsianisme d'une conception premire qu'il n'adtion rationnelle mettait point et qu'il n'avait point fournie. Le cartsiadans un article, nisme seul ? Freudenlhal, Spinoza nnd die Scholastik, qui fait partie d'un volume jubilaire enl'honneurd'Ed.Zeller,PhilosophischeAufsatze (1887), a heureusement et justement montr la grande part qui revient la tradition gnrale ou cerscolastique tains scolastiques rcents dans l'laboration du systme spinoziste, soit que Spinoza s'approprie, comme il le fait souvent, des formules ou des thses crivains de l'Ecole, soit qu'il s'y oppose, comme il le fait parfois. Mais dans ce mme article Ereudenthal reconnat que la philosophie de Descartes est remplie aussi d'lments et de termes emprunts la scolastique ; de telle sorte que les emprunts de Spinoza la scolastique, signals par Ereudenthal, paraissent avoir t faits non pas de tous, mais un bon nombre par l'intermdiaire Descaries. (V. l-dessus Etienne Gilson, Index scolastico-cartsien.) Le cartsianisme instrument teste, le principal reste donc, sans conde la constitution du

systme de Spinoza. Dans quelle mesure se prte-t-il de lui mme ce rle, dans quelle mesure doit-il subir des changements et peut-tre des altrations pour s'y pr-

JUSTIFICATION

DE I.'UNIT

DE SUBSTANCE

25

c'est ce qu'il faut tcher de dfinir. Mais, reproduit ou transform, il a t pour les ides spinozistes ter, beaucoup plus qu'un vtement extrieur : il en a dtermin ou atteint la signification interne ; il en a opr la liaison de telle sorte qu'il peut paratre en avoir cr l'unit alors qu'il n'avait premire, pas la crer, mais seulement ter rationnellement. De la conception gence de Spinoza, garder et renforcer panthiste qui animait il a du d'abord contribuer l'lment l'intelli sauve tcher de la saisir et de la reprsen-

Spinoza, en prononant d'ailleurs ture, tendait-il la Nature Nature. Cette jusqu' Dieu

Peut-tre thologique. l'identit de Dieu et de la Na-

par lui-mme plutt lever la qu' abaisser Dieu jusqu'

un peu indcise dans le premier tendance, se manifeste dans le Court Dialogue, parfaitement Trait s'ouvre par les preuves de Trait. Le Court l'existence de Dieu ; avant de rechercher ce que Dieu est, Spinoza s'efforce d'tablir que Dieu est ; et sa directement Descaries, dmonstration, emprunte a un caractre thiste gnral, et point du tout spcicette adoption des fiquement panthiste. Certainement thses et des preuves cartsiennes a pour effet de poser Dieu dans la lumire de la raison ou de maintenir au lieu de le laisser ductrices doctrine tituer, obscures dchoir vers des puissances pro; elle marque que c'esl bien une dile de Dieu qu'il s'agit de consdoctrine de la Nature infinie,

proprement et non pas une

affuble d'une forme thologique. simplement Spinoza l-dessus le rationalisme de accepte donc pleinement Descartes, et mme il le pousse dclare pour la preuve a priori l'extrme une ; car il prfrence que

26

LE

SPINOZISME

Descartes n'a jamais catgoriquement exprime : De tout cela suit donc clairement que l'on peut dmontrer aussi bien a priori qu'a posteriori que Dieu est. \ Encore mieux a priori, car les choses qu'on dmontre de l'autre faon, on doit les dmontrer par leur cause extrieure, puisqu'elles mmes, mais seulement Dieu cependant, la cause et aussi la cause de ce qui est une imperfection ne peuvent se faire connatre par des manifeste, par elles-

causes extrieures. de toutes choses premire soi-mme, se fait connatre lui-

mme par lui-mme. De peu de signification est donc cette parole de Thomas d'Aquin suivant laquelle Dieu ne peut pas tre dmontr a priori, et cela prcisment parce qu'il n'a pas de cause. (Premire partie, ch. I, p. /|8.) Dieu se fait connatre lui-mme par luimme ; c'est qu'en effet nous percevons clairement et distinctement distinctement que l'existence appartient Dieu : or tout ce que nous concevons la nature clairement de et

appartenir la nature d'une chose, nous de cette chose. Ou encore, pouvons en vrit l'affirmer l'existence de Dieu ne fait qu'un avec son essence, et toute essence est ternelle Dieu de toute ternit. Dieu l'existence donc appartient La ncessit avec laquelle en ; l'existence

tit, en Dieu, voil la vrit qui d'elle-mme, se manifeste la raison. Mais comment dmontrer, est, vont-ils doctrine

dcoule de l'essence, ou mme l'idende l'existence avec l'essence ternelle : sans autre condition,

les concepts cartsiens qui ont servi selon la doctrine de Descartes, que Dieu la servir dmontrer, contrairement

de Descartes, qu'il n'y a point d'tre en dehors de Dieu ? Pour aboutir ce rsultat, ils doivent vi-

JUSTIFICATION

DE L'UNIT

DE SUBSTANCE

27

dminent nouvelles. dfinitions le plus

recevoir

des applicationsou des significations Lesquelles ? A cet effet, relevons, parmi les qui ouvrent YEthique, celles qui prparent

la preuve de la proposition directement xiv, d'aprs laquelle en dehors de Dieu nulle substance ne peut tre donne ni conue. Dfinition I : Per causant sui intelligo id cujus essentia involvit existentiam ; sive id cujus natnra non potest concipi nisi existais. Par cause de soi j'entends ce dont l'essence dit, ce dont la nature enveloppe l'existence ; autrement Dfinine peut tre conue que comme existante. intelligo id qnod in se est et hoc est, id cujus conceptus non indiget per se concipitur, conceptus alterius rei a quo formari debeat. Par substance j'entends ce qui est en soi et est conu par soi, c'est--dire tre ce dont form, tioii'IV : Per attributum substantia le concept n'a pas besoin, pour du concept d'une autre chose. Dfiniintelligo id quod intellectns de ejusdem essentiam constition III : Per substantiam

percipit tanquam iuens. Par attribut ce que l'entendement j'entends d'une substance comme constituant son esperoit sence. Dfinition VI : Per Deum intelligo ens absoluie infinitnm, hoc est, substantiam constantem in/initis oeternam et infini' attribntis, quorum iinumqiiodcumque Par Dieu j'entends tam essentiam exprimit. un tre absolument tue par une essence ternelle Selon c'est--dire infini, une infinit d'attributs et infinie. trs une substance dont chacun constiexprime

la seule rpandue, dfinition mise en tte de YEthique, suffit pour imposer logiquement l'unit de substance : ds qu'il est entendu qu'une substance, c'est ce qui est en soi et est conu par soi, il n'y a videmment que une interprtation de la substance,

28

LE SPINOZISME

Dieu pour satisfaire une telle dfinition. si les premiers thormes de YEthique le sens de cette dfinition dvelopper qu'une substance substance, que cause de soi.

C'est peine ont besoin de pour montrer

ne peut tre produite par une autre est ncessairement toute substance

il parait aise Or, en parlant de cette interprtation, de soutenir en outre que le spinozisme n'est que le du cartsianisme ; prolongement presque immdiat a justifi car, d'un ct, Descartes l'application Dieu de ce concept de cause de soi ', et d'un autre ct, il a lui-mme donn de la substance une dfinition Dieu. et que soient les origines premires de ce concept de quelles qu'aient l les vicissitudes cause de soi , c'est sans aucun doute Descartes Dans ses Rque Spinoza l'a directement emprunt. : J'avoue ponses aux premires o/j/'tr//o/hs,Dcscarlesdit franchement qu'il peut y avoir quelque chose dans laquelle il y ait une puissance si grande et si inpuisecours sable qu'elle n'ait jamais eu besoin d'aucun pour exister, et qui n'en ait pas encore besoin maintenant pour tre conserve, el ainsi qui soit en quelque faon la cause de soi-mme ; et je conois que Dieu est tel. >(Ed. Adam-Tanncry, t. IX, p. 86 ; v. p. 87). Dans ses Rponses aux quatrimes objections, l'encontre de d'Arnauld que celle notion qui avait prtendu (cause de soi , forme par analogie avec la notion de cause ellicienle, est inapplicable Dieu, lequel, pour de cause antrieure luiexister, ne saurait requrir mme, Descaries observe que la raison pour laquelle Dieu n'a besoin d'aucune cause elicicnte pour exister, De l'ail, quelles qui, prise eu toute rigueur, ne convient qu'

JUSTIFICATION

DE

i/uNlT

DE

SUBSTANCE

29

est fonde en une chose positive, savoir, dans l'immensit mme de Dieu, qui est la chose la plus positive qui puisse tre (Ibid., p. 170) ; il montre comment la notion de cause de soi a, de prfrence la formule que Dieu est sans cause, l'avantage d'exprimer l'immensit d'essence trs positive dont dcoule l'existence divine (//>/(/., p. 182-185). Ainsi, d'une part, Descartes fournissait les lments del dfinition que YEthique donne de la cause de soi ; et c'tait pour Dieu et justifi ce concept. qu'il avait introduit D'autre part, Descartes a dfini de deux faons diffrentes la substance. Voici la dfinition qu'il en donne dans l'essai de dmonstration gomtrique qui suil secondes objections : 'foute chose comme dans son

ses Rponses aux dans laquelle rside immdiatement

sujet, ou par laquelle existe quelque chose que nous ou concevons, c'est--dire quelque proprit, qualit, attribut, dont nous avons en nous une relle ide, s'apIX, p. 125 ) pelle substance. (Ed. Adam-Tannery, esl conforme la plus ancienne tradiCelle dfinition tion aristotlicienne et scolastique. et elle reste, pour les usages que l'on en peut faire, assez indtermine. lui voici une autre, que donne ailleurs Descartes, el : qui n'est pas non plus sans antcdents scolasliqucs Lorsque nous concevons la substance, nous concevons seulement une chose qui existe en telle faon qu'elle n'a besoin que de soi-mme pour quoi il peut y avoir de l'obscurit touchant de ce mot .' n'avoir besoin que de soi-mme ; prement parler, il n'y a que Dieu qui soit a aucune ment chose cre qui puisse exister sans lrc soutenue et conserve on a raison exister. En l'explication car, protel. et il n'y mo.

un seul

sance. C'est pourquoi

par sa puisdans 1 Ecole de dire

30

LE

SPINOZISME

que le nom de substance n'est pas univoque au rec'est--dire qu'il n'y a gard de Dieu et des cratures, de ce mol que nous concevions aucune signification distinctement, laquelle convienne lui et elles. premire partie, 51, Ed. Philosophie, t. IX, p. 57.) Adam-Tannery, ne va pas se constituer en Est-ce que le spinozisme tout simplement la restriction d'apparence supprimant (Principes de la assez arbitraire par empche d'appliquer tance telle qu'elle vient de' la substance retenu que ne l'tait Descartes, aprs l'Ecole, laquelle Dieu seul la notion de subsd'tre dfinie ? Cette dfinition pas, chez un penseur moins d'orDescaries par des scrupules

ne va-t-elle

le son fruit comme ihodoxic, produire le panthisme ? naturel Cependant la connexion que l'on a plus ainsi entre le cartsianisme et le souvent dcouverte n'est pas la connexion qui s'est rellement spinozisme tablie entre eux. C'est ce que l'on pourrait dj prouver par une analyse attentive des dfinitions et des du de YEthique ; mais l'lude propositions premires Court Trait rend celle preuve plus aise et encore plus concluante. remarquer que, dans le chapitre n du Court Trait, la notion de de la premire partie au lieu de s'appliquer Dieu, substance, s'applique directement et essentiellement ce que Spinoza appellera plus tard les attributs de Dieu Spinoza se pose principalement tance, ce n'est pas celle de savoir si Dieu ; et la question que au sujet de la subsest la subsIl faut d'abord

tance unique, mais celle de savoir s'il peut se trouver dans l'entendement infini de Dieu des substances (au ou dans la nature pluriel) qui ne soient pas rellement dun* qui soient plus parfaites que celles qui existent

JUSTIFICATION

DE

i/uNlT

DE SUBSTANCE

31

A cette question Spinoza rpondra, comme il y est port, par la ngative ; mais les termes dans lesquels il l'nonce indiquent suffisamment qu'il ne v.i cartsienne de la subspas d'emble de la dfinition tance l'affirmation de l'unit de substance, puisque alors la question n'aurait mme pas lieu de se poser. Tout le contexte montre que les substances dont il de divers genres, des s'agit l sont des substances substances telles que sont la substance tendue et li substance pensante. Et si Spinoza s'efforce de dmontrer que toute substance est infinie, ce n'est pas Dieu qu'il pense alors, mais toute substance d'un certain genre ; de telle sorte qu'en toute rigueur il peut y avoir, ce moment du dveloppement dialectique de sa peu se, non pas seulement une substance infinie, mais une pluralit de substances infinies. dans une certaine Evidemment Descartes explique mesure pourquoi Spinoza a pu appeler ici substance ce qu'il appellera ailleurs quoi Spinoza pourra dice gomtrique du Court Trait (Prop. m), prendre indiffremment l'un pour l'autre le terme substance et le terme attribut ses Principes de la en effet la subsPhilosophie (I, 53), Descartes identifie tance avec ce qu'il nomme son attribut principal, et qui en constitue, toulc la nature ou l'esdit-il, sence : la pense peut tre dite galement attribut ou substance de l'me ; l'tendue principal peut tre dite galement attribut principal ou substance des Mais Des cartes admettait en mme temps, corps. comme allant de soi, qu'un mme attribut peut appartenir une pluralit de substances, el de substances finies, tandis que Spinoza soutient que toute subs. Dans de prfrence mme, comme attribut, pourdans l'Appen-

la nature.

32

LE

SPINOZISME

tance est infinie A la vrit

et qu'il tance de mme attribut. Descartes

ne peut exister qu'une ne mettait

subs-

pas dans l'ide des attributs des substances (rserve faite des attributs de Dieu, dont au reste pour lui le sens est tout autre), de quoi conclure ncessairement des ralits corSelon lui, je suis sr de l'existence de respondantes. mon esprit parce que je pense, et le propre de mon esprit, c'est d'tre une substance pensante ; mais si ici par la pense qui me le fait connatre, il n'y a point entre la pense en soi et mon existence une connexion ncessaire : il y a simplement union indissoluble pense. doivent S'il en fait entre mon existence et ma elles l'ide existe des substances corporelles, tendues, d'aprs mon tre est dfini

tre essentiellement

que j'ai de la matire ; mais la nol'existence des tion d'tendue n'a rien qui implique corps, et cette existence mme n'est prouve chez Descartes que par une argumentation diffrentes par des considrations assez laborieuse, et de ce que peut nous

claire et distincte

apprendre la seule ide de l'tendue. Ainsi il faut qu'en Spinoza en partant de certains concepts cartsiens, tende le sens et en accroisse la porte pour pouvoir Descartes, conclure, contrairement que toute substance est infinie, qu'il n'y a qu'une seule substance pensante, qu'il n'y a qu'une seule substance tendue. Descartes semble avoir Sur un point, d'ailleurs, appel ou favoris ces conclusions contraires sa doctrine explicite. En ramenant l'me la pense, il pouvait encore s'appuyer sur ce que la pense s'attribue elle-mme un sujet pour admettre qu'il y a autant de substances ramenant que de sujets pensants. Mais en spirituelles homola matire l'tendue mathmatique

JUSTIFICATION

DE

L*UNIT

DE

SUBSTANCE

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gne, il semblait bien exclure do la matire tout principe essentiel d'individuation ; il devait soutenir que la maet de tire, primitivement prive de toute distinction toute spcification reoit du mouvement seul dparties, la diversit des choses qu'elle manifeste ; cette diversit la substance tenest donc modale, non substantielle; due, dans son fond, doit tre une. Par l Descartes se prtait aux thses propres de Spinoza. Cependant Spinoza n'a pu tablir ces thses qu'en chez Desportant l'extrme le ralisme qu'enveloppe caries la conception des essences. Dans ce qui est pour Descaries l'ide de pense et dans ce qui est l'ide d'tendue, il ne considre, sous l'empire de sa concep* lion panthistique premire, que leur ralit objective , ou plutt, que leur nature essentielle, dtache en quelque sorte de toutes les oprations intellectuelles qui la reprsentent ; et en outre, de la ralit objet il n'hsite point faire une ralit en d'entendement soi, laquelle l'entendement c/tose intelligible la fonction l'Etendue se subordonne, comme la de connatre. La Pense et . sont ainsi des genres d'tre qui, chacun pour I

la Nature, et dont il y a seuleson compte, constituent ment lieu de se demander si l'intellect infini de Dieu en peut comprendre de plus hauts.-Ce qui montre qu'il ne le peut, c'est que toute substance est dans son genre en effet sa limitation infinie : d'o tiendrait-elle ? Elle ne saurait lument devrait illimit la tirer d'elle-mme positive ne saurait donc la tirer d'un ; car son essence absoadmettre aucun nant ; elle autre Etre qui, devant tre

en tout sens pour avoir pouvoir sur elle et les autres substances, l'aurait cre limite par impuissauce ou par dfaut de volont : ce qui est absurde. Puis donc
si'iso/.IsMl:

que

toute

substance

est infinie

en son
.'J

31

LE

SPINOZISME

semblables ; genre, il ne peut exister deux substances car la seconde, en empruntant mw partie de la mme la premire, la rendrait finie : ce essence, limiterait avec la proposition qui est contradictoire prcdente. Par suite encore, aucune substance ne peut en produire une autre, puisque la production de cette autre d'attribut supposerait entre les deux une communaut et que, pour Spinoza, une substance comprend en elle la totalit de l'attribut qui la constitue. Or, quoi nous a conduits jusqu' prsent celte laboration spinoziste de la notion de substance A ceci, qu'il y a des partir des donnes cartsiennes? substances infinies, chacune en son genre, des substances absolument distinctes cl irrductibles. Nous nous sommes, si l'on veut, rapprochs de la conception panthistique en ce sens que toute substance, tant infinie, est, par celte infinit, susceptible d'tre rapporte l'Etre divin : mais il faut qu'il soit prouv toute par ailleurs que l'Etre divin doit comprendre ralit substantielle. Nous avons vu, dans la prcdente leon, comment l'intuition de l'unit et de l'infinit donc de la Nature toute distinction repousse d'emble chez Spinoza irrsolublc de substances ; comment

mainrationnelle, qui jusqu' une distinction radicale de tenant semble justifier celle sorte, va-l-cllc pouvoir la surmonter logiquement? la dmonstration On ne l'a pas assez remarqu : c'est la notion de** Dieu qui joue le rle gnrateur et dcisif ordinaire la notion de ment dvolu dans le spinozisme Dieu, nous dit le Court Trait comme nous le dira Y Ethique, est un Etre duquel sont allirms des \ attributs infinis, dont chacun est en son genre in- J fini. A premire vue, il peut sembler que cette dfisubstance.

4*i

JUSTIFICATION

DE

i/uNIT

DE SUBSTANCE

35

nition

des dfinitions tradiloigne et en particulier tionnelles el orthodoxes, de la dfinition de Descartes : Par le nom de Dieu, dit Despas j'entends une substance infinie,

n'est

si

cartes,

imternelle, toute connaissante, toute puismuable, indpendante, et toutes les autres sante, et par laquelle moi-mme, choses qui sont s'il est vrai qu'il yen ait qui existent) (Troisime ont t cres et produites. VA. Mditation, IX, p. 35-36.) Dans ses Principes de la Adam-Tannery. Philosophie de Descaries, Spinoza expose la dfinition cartsienne de Dieu, de faon, seinble-l-il, la rapprocher tout fait de la sienne : La substance que nous comprenons qui est par elle souverainement parlaite, et dans laquelle nous ne concevons absolument rien qui enveloppe quelque autrement dit, dfaut, limitation de perfection, Dieu. quelque s'appelle (Pars I. df. vm, t. Il, p. 389.) Ainsi, sans doute, des dfinitions ou des conceptions cartsiennes de Dieul'immensit d'esSpinoza retient tout ce qui signifie dans tous les sens ; il en retient aussi sence, l'infinit ce qui dans la nature d'un tel tre signifie une raison et une puissance entires d'exister. Mais quand il dit que Dieu est constitu prend le mol attribut tpic lui quand ils parlent celui il par une infinit d'attributs, dans un tout autre sens que donnent et les thologiens Descaries des attributs de Dieu. Lorsque Descelle nature de l'exis-

dcrit ou dfinit caries, notamment, Dieu qui, selon lui, enveloppe ncessairement sans tence, il y fait entrer des perfections comme

il dit, mais des perfections qui des quaplupart des qualits, des qualits exemplaires, lits dont certaines sont plus ou moins incompltement parlicipables par des tres crs, mais sont fort loin

bornes, sont pour la

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LE

SPINOZISME

par consquent d'en constituer l'essence unique et indivisible.^Au les attributs dont parle Spinoza, contraire, ce sont des genres d'tre, et lous les genres d'tre ; ce . sont prcisment les substances, dont il a montr qu'elles sont infinies chacune en son genre. Ce qui fait donc la force de la dfinition de Dieu pour la gnration logique du panthisme de Spinoza, c'est la signide l'attribut ; et snbslantivc, non qualificative, c'est par l que celle dfinition diffre profondment, malgr des analogies extrieures et des ressemblances des dfinitions ordinaires verbales, qui rapportent Dieu rellement ou minemment toules les perfections et qualits. Pour qu'exprime substance. Cum Spinoza, chaque attribut l'essence de Dieu ternelle et infinie est une essence de fication

de qno infinilum, nulliim atlribulum, quod essentiam subslanthv exprimil, Du I, prop. xiv, Demonstratio.) negari polest... (Eth., moment donc qu' Dieu, comme Etre absolument infini et non pas seulement infini en son genre, appartient tout

Deus sit eus absolule

une essence de substance, ce qui exprime comme toute substance ne fait qu'un avec son essence, toutes les natures d'tres sont comprises dans l'Etre de Dieu. dans un sens exclusivement Cette faon d'interprter substantif les attributs de Dieu se confirme par une le Court Trait, explicitement et dont YEthique gardera l'esprit sans en reproduire des attributs la lettre : c'est la distinction visiblement distinction que dveloppe et des propres ou proprits. 11 n'y a que les attributs qui et relleDieu vritablement nous fassent connatre ment ; les proprits, mme quand elles conviennent Dieu, nous dit Spinoza dans une formule qui n'est peuttout fait exacte, ne sont que des dnominatre\)as

JUSTIFICATION

DE

L'UNIT

DE

SUBSTANCE

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tions extrinsques (premire partie, ch. u, p. 60) ', dans un autre langage, nous dirions que les proprits ne sont que des expressions relatives ou adjectives, tandis sont des dterminations constitutives que les attributs et absolues ; les proprits servent caractriser le mode d'existence de Dieu ou l'action divine, dire, par ou exemple, que Dieu est unique, ternel, immuable, bien qu'il est cause de toutes choses, qu'il prdtermine toutes choses (V. les dbuts des ch. ni, v et vi de la premire partie) ; parmi les proprits qui sont rapportes Dieu, lorsque toutefois elles lui conviennent bien, il en est qui peuvent luilre rapportes en relation avec tous ses attributs, par exemple, l'existence par soi, la causalit, l'immutabilit ; tandis que d'autres ne peuvent lui tre rapportes qu'en relationavec tel attribut, la sagesse et l'omniscience, par exemple, en avec l'attribut de la pense, l'omniprsence en avec l'attribut de l'tendue. C'est lorsque l'on de Dieu au moyen accrotre sa connaissance relation relation prtend de pro-

rels prits qui n'ont pas de rapport avec les attributs (pic l'on tombe dans l'erreur. K\\ somme, sans les proprits, Dieu n'est point un Dieu ; mais il ne l'est point par elles ; car elles ne font rien connatre qui existe substantiellement ; ce sont des adjectifs, impossibles sans leurs substantifs, qui sont les attricomprendre Cf. Trait thobuts (premire partie, ch. i, p. 17. ch. xm, t. I, p. 532.) logico-politiqitc, De celte conception des attributs de Dieu il rsulte que comme originairement telles, et de quelque genre qu'elles soient conues, sont ces attributs mmes, et qu'il n'y a en Dieu d'autres attributs que ceux qui, comme genres d'tres, existent conues rellement dans la nature. Cependant quel principe' toutes les substances

38

LE

SPINOZISME

autorise

logiquement substance constitue

concevoir

Dieu

comme

une

de tous les attributs, par l'infinit alors que l'argumentation de Spinoza, telle mme que dans ses premiers thormes, YEthique la reproduira d'abord la substance que comme le sujet n'envisage rel d'un attribut unique, comme un attribut singulier caractre scolaspos et ralis en soi? Ce principe, et l invoqu par Descartes pour d'autres objets, c'est qu'un tre a d'autant plus de ralit qu'il a De mme donc que le nant n'a point plus d'attributs. tique, infini, doit qui est l'Etre infiniment avoir la totalit des attributs. Il s'en faut de beaucoup, dit dans la premire partie de YEthique le scolie de la d'attributs, Dieu, x, qu'il soit absurde de rapporter proposition plusieurs attributs une substance; la chose, c'est, au contraire, la plus claire du monde que tout tre doit se concevoir sous quelque et que, plus il a de ralit ou attribut, et une ncesd'tre, plus il a d'attributs qui expriment (V. dit une ternit, et une infinit. sit, autrement aussi Court premire partie, ch. u, p. 55.) Que ce la subspassage de la substance sujet d'un attribut tance sujet de tous les attributs ne soit pas sans offrira Trait, des dilicults, c'est ce dont tmoigne l'intelligence d'un correspondant de Spinoza, Simon demande la de

du commencement Vries, qui, ayant eu communication de YEthique, rclame qu'il soit dmontr que la notion d'une substance attribut quoi Spinoza (Ep. ressort suffisamment de rpond que cette dmonstration ce que plus un tre a de ralit, plus il a d'attributs sous la raison du plus concevoir vrai, avec les caractres de l'existence (Ep. ix. ibid., de Spinoza suppose donc que, p. 31). Cette affirmation qui d'autant le font comporte vin, t. II, la possibilit p. 31-33). A de plus d'un

JUSTIFICATION

DE

i/UNIT

DE SUBSTANCE

30

une n'appartient qu' une substance, substance peut avoir plus d'un attribut ; et sans doute, un point de vue strictement logique, la ncessit de de l'autre. l'un n'exclut Sont-ce point la possibilit toutefois deux tance ? Entre usages de la notion de subsla substance caractrise par son attrimmes

si un

attribut

but principal et la substance constitue par une infinit entre la substance qui est la ralit d'une d'attributs, essence unique et singulire et la substance qui est l'unit de toutes dtermination les essences, y a-t-il parit pour la par des ides claires et distinctes? c'est bien la en soit de cette question,

Quoi qu'il c'est dfinition de Dieu, telle qu'elle a t explique, cette dfinition, justifie par le principe que plus un tre a de ralit plus il a d'attributs, qui emporte et ce que Dieu, sous le nom d'attributs, Spinoza avait un moment appel des substances. Est-ce ou est-ce seulement pourtant par elles-mmes, par concentre que des essences, telles que l'tendue ou la pense, possdent l'existence ? Dans le Court Trait (premire partie, ch. H, p. 55-56), Spinoza nous dit que les substances que nous savons exister attribution Dieu, dans la nature, pense ou tendue, n'ont aucune ncessit d'exister en tant qu'elles sont conues comme spares de l'Etre absolument infini ; elles ne sont donc pas conues alors de telle sorte que leur essence implique en dmontrant ; c'est uniquement qu'elles sont des attributs de Dieu que nous dmontrons a priori qu'elles existent. Cependant, pourrait-on observer, si elles ne sont pas ncessairement existantes, comment peuvent-elles tre des attributs de l'Etre qui existe ncessairement? elle pas, avec leur Leur ncessit d'exister ce qui leur permet n'estd'tre infinit, leur existence leur en

-10

LE

SPINOZISME

rapportes

Dieu sous le nom

d'attributs

? Aussi

de plus en plus port juger que l'atSpinoza parait-il tribut tient de lui-mme l'existence ncessaire. Dans une lettre Oldenburg (Ep. iv, t. II, que si l'on ne peut pas conclure d'une p. 10), il l'existence rede

chose quelconque, on peut toujours la conclure de la dfinition ou de l'ide de quelque attribut. (V. aussi une lettre de Vries, Ep. x, p. 35.) Ailleurs (Ep. xxxiv, xxxv, xxxvi), Spinoza veut tablir qu'il n'y a que Dieu qui existe par soi. Mais cette d'abord refuser l'existence thse, qui peut sembler la leur accorde dans la dmonspar soi aux attributs, tration. Il y a en effet, dit Spinoza, des natures qui sont parfaites dans leur genre et dont l'essence renCe sont manifestement ferme l'existence ncessaire. pour Spinoza Ds lors, ajoute-t-il, si nous une perfection tre, qui n'exprime qu'un supposons infinie qu'en son genre, existe par sa nature, plus forte raison nous devons supposer qu'existe par soi un tre les attributs. toutes il suffit YEthique, dmonstrations qu'une substance qui pour reconnatre n'est infinie qu'en son genre est dj cause de soi. Si dans le Court Trait, l'existence des prcdemment, enveloppe dans leur n'apparat pas toujours essence propre et semble parfois driver uniquement de leur attribution Dieu, c'est qu'alors Spinoza saS attributs davantage tion des dans l'unit rement l'effort faire infini. sublances-allributs de l'Etre la distincpour surmonter et pour la comprendre Ds qu'il a pris plus entiles perfections d'observer la de tout genre. Dans suite des premires

marque la dfinition

qui exprime

conscience de l'identit et plus familirement avec Dieu, il estime rationnelle des attributs-substances que concevoir l'existence ncessaire de

davantage

JUSTIFICATION

DE

L'UNIT

DE

SUBSTANCE

-11

les essences qu'expriment les divers attributs, tout en restant distinctes, sont unies en Dieu et constituent Dieu par leur ncessit d'tre autant Telles que par leur infinit.

chaque attribut, de Dieu mme.

c'est concevoir Et ainsi

l'existence

ncessaire

sont les voies par lesquelles Spinoza a pourrationnelle de sa conception suivi la justification premire touchant l'identit entre Dieu et la qu'tablissent Nature leur commune unit et leur commune infinit. Ce sont des concepts cartsiens qui ont t le point de dpart et qui ont fourni les matriaux de cette oeuvre ; et c'est, en somme, le rationalisme de Descaries qui a t appel couvrir de sa garantie la doctrine panthistique de l'unit de substance. Comment l'a-t-il pu autrement artificielle extrieure et que par une appropriation ? C'est que, compris d'une certaine manire, sous un certain aspect, il a de quoi reprconceptuel originaire en vient le naturade Spi dterdans l'affirmation

envisag senter par une sorte de ralisme lisme envelopp

en ell'et, Descartes noza. Lorsque, miner plus rigoureusement ce que sont les ides vraies, il leur donne comme les ides claires et distinctes, des essences, des natures immuables ternelles. Il insiste sur la ralit propre des objets en tant qu'imposs l'entendement l'entendement, ; bien que dans sa doctrine parat parfois se rompre fondement

et de si le

lien qui rattache la conception des ides aux oprations de l'esprit ; par leur essence, les ides ont une espce d'existence elles ; le vrai ne fait qu'un avec l'tre. ne pas franchir l'intervalle lors, comment qui spare les ides des choses, quand les ides se prsentent certains gards comme des choses, quand Ds

12

LE

SPINOZISME

d'une certaine les intelligibilit hypostasie manire ? Et ce ne sera pas le cas seulement pour l'ide de Dieu; ce sera le cas pour toute ide qui sans autre condition une essence d'tre, exprime surtout ds qu'il apparatra que la ralisation plus ou moins contingente de cette ide par des substances finies en altrerait mconnatrait la nature interne et en gravement la ncessit. L'ide d'tendue est donc

leur

qu'elle reprsente, et cette essence son tour enveloppe immdiatement la substanlialit; de mme l'ide dpense. Ainsi, par un certain caractre raliste de sa doctrine tsianisme l'effet Etre pouvait tait de concentrer de la connaissance, le carse prter une transformation dont dans la vrit ralise comme essentielles Ainsi d'tres conteinfini. encore, la Nature dans l'Etre dont l'imles concordance

toute dans l'essence

toutes les affirmations .tant

nues dans un intellect une et infinie mensit natures tablie

transpose d'essence comprend comme ralits toutes soi, la

panthistique premire qui avait pouss Spinoza n'admettre aucun tre qui ne ft Dieu, l'Etre unique, et l'exigence rationaliste qui rclame que, dans son unit et son infinit mme, l'Etre puisse tre connu par des ides claires et disJusqu'o va, dans le fond, cette concordance, et n'y a-t-il point dans le systme quelque obstacle qui la limite ou quelque principe secret qui la dpasse? unique tinctes. C'est ce qu'il nous faudra nous demander de Dieu en tudiant et le rapport plus prcisment la totalit de ses attributs. chacun

intelligibles par entre la tendance

parait

QUATRIME

LEON.

Dieu
La dmonstration

et ses attributs.
de l'unit de substance

par Spinoza a eu naturellement rserver en prinpourclYel.de de substance. Cependant, cipe Dieu la dnomination initiales comme par ses explicapar ses dfinitions tions, Spinoza n'en rappelle pas moins plus d'une fois l'identit de la substance et de l'attribut. primitive Dans plusieurs mmes termes de ses lettres, il use pour dfinir l'attribut exactement des et la substance

(Ep. n, t. II, p. 5; Ep. v, t. II, p. 11) ; et quand il est amen s'expliquer sur les plus catgoriquement voici ce qu'il rapports de la substance et de l'attribut, dclare : Par substance, j'entends ce qui est en soi et est conu ce dont le concept soi, c'est--dire d'une autre chose. Par n'enveloppe pas le concept exactement la mme chose, avec attribut, j'entends par cette seule diffrence, que l'attribut est ainsi appel par l'entendement la substance rapport qui attribue telle nature dfinie... (/:/). ix, t. II, p. 31-35.) L'attritelle que but, c'est donc l'essence d'une substance l'entendement pour bilit il la peroit (Eth., I, Def. iv.) Et puisque, dans la substance ralit et intelligiSpinoza, ne font qu'un, entre une substance cl un attribut exister de diffrence relle, mais simune diffrence de rai-

ne'saurait

plement, comme il le dit ailleurs, son. (Cogit.Mel., I, 3, t. II. p. 168; 11,5, t. II, p. 186.) En Dieu mme, quand l'unit de substance est rationnellement tablie, la substance, constitue par une inli-

LE

SPINOZISME

nit d'attributs

de substances, qui sont autantd'essences ne se distingue pas de ces attributs, Deussiveomnia Dei dit Spinoza. (Eth., I, prop. xix; prop. xx, attributa..,, cor. 2.) Tout en tant parleur les attributs n'en restent distincts, tinctement chacun Dieu, identiques pas moins entre eux rellement d'eux pouvant tre clairement et disensemble

conu sans le secours des concepts qui expriment les autres (Eth., I, prop. x) ; mais comme ils le mme tre abconstituent, malgr leur distinction, solument infini, ils ne peuvent tre numriquement limits pas plus qu'ils au mriquement sens fort du mot (Court Trait, premire partie, ch. i, p. 47 ; ch. vu, p. 86). A partir de l, bien des questions se posent. Et d'abord, parmi ces infinis attributs de Dieu, n'en connaisons que deux : la Pense et l'Etendue. nous ne peuvent tre, vrai dire, reprsents ; ils sont innombrables, nu-

noza rapporte donc Dieu, comme attributs nous, les deux espces de substances que Descartes avait admises ; il les rapporte Dieu aprs les avoir riges

Spiconnus de

chacune en un genre d'tre singulier et infini. Cependant, pour oprer le transfert de l'Etendue Dieu, il avait vaincre, non seulement les prjugs d'cole et de sens commun, mais encore la thse de Descartes en admettant avec que l'tendue corporelle ment intelligible, la considrait comme qui, tout est essentielleincompatible

en raison de sa divisibilit. Dieu, (Descartes, Principes de la Philosophie, I, 23. Cf. Spinoza, Princartesiamv, I, prop. xvi ; Cogit. Met., cipiaphilosophioe I, cap. II.) Or Spinoza soutient nergiqueme-nt que l'tendue, en elle-mme infinie, ne saurait tre constitue

DIEU

KT SES ATTRIBUTS

15

par des parties finies, et n'est point par consquent divisible ; les adversaires de l'tendue infinie se plaident mettre en relief les contradictions on se auxquelles heurte toutes infinie conclure une les fois que l'on applique une quantit mesure ils devraient quelconque ; mais

de lu qu'une quantit infinie n'est pas mesurelle ds que rable, et n'en est pas moins parfaitement l'entendement en conoit la ncessit, au lieu de prtendre, selon les tendances finie et divisible, numriquement que l'Etendue qu'elle dternunablcs. soit un attribut (Court prop. Dieu de l'imagination doit se composer Rien donc qui la fait de parties

en quel sens elle l'est. i, p. 56-50 ; Eth., sq.) Pour semblait l'attribution avoir aucun

de Dieu, ch. Trait, Ve partie, xv ; Ep. xu, t. II,

n'empche et nous voyons u, 12

de la Pense, Spinoza ne obstacle de cette sorte surmon-

il ne pouvait concevoir la Pense divine sous la forme d'un entendement, qui a conscience d'tre de ce qu'il peroit, parce que ce qu'il peroit distinct ne drive pas de sa causalit propre : Spinoza ne devait maintenir tation dans la Pense divine de l'intelligible, situe au del de la conscience et de sujet intelligent, la rflexion, admise, paralllement, comme l'Etendue, un genre d'tre infini. de Dieu ne connaissons-nous Pourquoi cependant ? La question fut pose Spinoza que deux attributs et voici ce LXV, p. 219-220), (Ep. LXIII, t. II, p. 216; (Ep. LXIV, t. II, p. 217<-218 ; que Spinoza rpondit tant l'ide du Ep. LXVI, p. 220) : l'me humaine, corps, corps ne peut connatre que ce qu'enveloppe l'ide du ou ce qui peut tre conclu de cette ide ; de plus, reprsenque la-pure un dtache de tout rapport

ter. Toutefois

10

LE SPINOZISME

tout attribut, tant conu par soi, ne peut tre dduit d'un autre : les attributs autres que la Pense cl l'Etendue ne peuvent donc tre dduits de la Pense el de l'Etendue (pie nous connaissons. Pourtant, objcctail-on, des divers attributs puisque les inodes correspondants ne sont au fond qu'une mme modification exprime de diverses manires, pourquoi l 'me ne peroit-elle l'expression de cette modification (pie dans l'Etendue cl non pas, en outre, dans tous les autres attributs parallles de Dieu ? A quoi Spinoza rpondit que si chaque chose csl exprime en effet d'une infinit de manires dans l'infinit simplement Pense doivent sions en tout trouver l'infinit dans des attributs, qu'une infinit correspondre genre, mais les mes il y a lieu d'un conclure de modifications de la cette infinit non d'expresdoivent se dit, des

qu'elles Autrement humaines.

des ides, qui correspond l'infinit d'une mme chose dans les attributs expressions innombrables, constitue une infinit sortes, lesquelles, reprsentant attributs n'ont aucune connexion leur des modes entre dont

dames de diverses les eux, n'ont de entre elles. De

ct non plus aucune connexion du Court Trait, Spinoza avait l'ail, dans l'Appendice de lous les attributs dj soutenu que les modifications infinis ont une me comme en ont (p. 203-201). un autre problme tre gaux, une les modifications de llendue Mais tous de l

rsulte

les attributs

devraient

: alors que est-ce que

de la Spinoza ne consacre pas en fait la prminence Pense sur lous les autres attributs possibles, et en particulier surl'Etendue? d'un Puisque loule modification attribut, quel qu'il soit, doit tre reprsente par une

DIEU

ET

SES

ATTRIBUTS

17

de la Pense, n'est-il pas correspondante vrai que la Pense enveloppe et exprime dans sa forme elle toute la ralit de tous les attributs possibles ? Le (Spinoza, his iife and 1880, p. 175-170 , doit arriver soutenir philosopha, : que rien n'existe, sauf la Pense et ses modifications il a pour consquence non avoue, logique, quoique l'idalisme. Cependant cette interprtation n'impose l'idalisme Spinoza que parce qu'elle commence par spinozisme. prtend s'en inspirer elle-mme : elle admet tacitement qu'en raison de sa vertu la Pense, prise reprsentative, comme entendement, ncesjoue le rle de condition saire, de principe, par rapport aux objets qu'elle reprde ces objets. sente, el mme par rapport l'existence Or, pour Spinoza, tout genre d'lre autre que la Pense, mme en tant d'avoir formel reprsent par la Pense, ne cesse pas L'tre une nature radicalement distincte. Kr. Pollock

modification

des choses qui ne sont pas des modes du penser ne suit pas de la nature divine par la raison qu'elle a d'abord connu les choses ; mais les choses qui sont les objets des ides suivent el sont conclues de leurs attripropres de la mme manire et avec la mme ncessit que nous avons montr que les ides suivent buts (Eth., II, prop. vi, cor.) cela Que la Pense reprsente tous les autres attributs, signifie, dans la philosophie que tous les spinoziste, en mme temps qu'ils sont des genres d'tre, attributs, de l'attribut de la Pense. sont souverainement rationalisme, l'idalisme. L'unit les attributs des intelligibles ; mais et non pas prcisment, attributs cela, c'est le mme en germe,

n'est donc point celle de lous dans l'un d'eux, mais de tous les attributs unique qu'ils constituent. Cependant,

dans la substance

18

LE SPINOZISME

comment substance

les

se rapporter la peuvent-ils une, sans que l'unit de la substance infinie

attributs

ou sans que la distinction des attributs soit abolie ? Et mme les attributs, qui paraissent bien tre des dterminations, lre rapports peuvent-ils alors que indeterminalum, Spinoza dclare si volontiers que toule dtermination est une ngation ? Pour rsoudre ce genre de difficulles attributs, non ts, on peut tre tent de considrer comme des essences constituant la substance divine en qui mais comme des attributions elle-mme, opres par le seul entendement en rapport avec ses faons de dfendue en particulier percevoir. C'est l'interprtation par Eduard Erdmann (Versuch einer wissenschaftlichen der neuern Philosophie, I, 2, 1836, p. 60 Darstellung 1816, p. 115-152 ; Grundriss sq. ; Vermischtc Aufsalze, der (ieschichte der Philosophie, 1866, t. II, p. 57-60). Erdmann s'appuie, non seulement sur le passage del lettre Simon de Vries, o Spinoza dit que l'attribut l'entendement appel par rapport qui attribue la substance telle nature dfinie , mais encore sur tous les textes qui noncent que l'attribut exprime ou explique l'essence de la substance. Mais il faut d'abord l'on, oppose remarquer que lorsque l'indtermination de la substance et la dtermination des attributs, on commet un grave contresens. Spinoza entend Yens absolnte indeterminalum, non pas comme mais comme par lui-mme dpourvu d'attributs, l'tre absolument infini, dont, en consquence, doivent tre affirmes absolument toutes les formes positives de l'tre. (Malebranche dit aussi l'Etre indtermin l'Etre dans le sens si pour trs positif Spinoza l'attribut d'Etre D'autre infini.) part, n'est infini qu'en son genre, est ainsi Dieu est eus absolutc

soit dissoute

DIEU

ET SES ATTRIBUTS

49

en

loin d'tre infini, genre il est positivement dtermin , c'esl- dire, dans le langage spinoziste, fini : au point que, comme In substance mme, il est dit indeterminatnm. L'interprtation elle fait des attributs dement (Ep. d'Erdmann t. II, p. 140-141.) xxxvi, n'est pas plus juste quand de simples faons dont l'enten-

son

se reprsente la substance divine. Elle est contredite par des textes formels tels que celui-ci : Il n'existe rien hors de l'entendement, sinon les substances, ou, ce qui revient au mme, leurs attributs et leurs (/s//i., I, prop. iv.) Elle est contredite par affections. le sens mme que le Court Trait a donn l'identit de l'attribut et de la substance. Elle a le tort primitive d'une de subordonner dans f'entendement, manire l'objet peru l'acte de percevoir, quasi kantienne, alors que pour Spinoza l'intellect, mode de Dieu, s'il fi vrit des essences, est est capable de percevoir et de la tirer de lui-mme, incapable de la produire la connat el ie peut la connatre que par consquent telle qu'elle est en soi. En rvai <he, la thse d'Erdmann met trs bien en lumire, tout' en l'interprtant mal, le rapport d'at ribut aux exigences qu'a la notion rationnelles Dieu n'a de l'entendemenl. Li s attributs une pui nnce pas seulement et de produire, m:* s avant tout une infinie d'exister absolue, qui est la soin * mme de cette intelligibilit puissance. C'est cetle signification Kuno Fischer nglige essentielle de; attributs qu'a la font que absolument

lorsque, par oj t>osilion thse d'Erdmann, il a soutenu que les a Wri buts sont des puissances par lesquelles se manifeste h- causalit de la substance divine. (Geschichte der neue ** Philo valoir sophie, Bd. Il, 5* d., 1909, p. 389-392 ) Il h
Sl'INOZISME 4

50

LE SPINOZISME

bon droit

que Spinoza dans le (.'OH/7 Trait, et mme encore dans les Lettres et YEthique, le mot emploie force ou puissance pour dsigner l'Etendue ou la Pense. Seulement la question esl de savoir si dans tablit entre la puissance et l'esqu'il sence, Spinoza tient la puissance plutt que l'essence Or partout il et primordial. pour le caractre constitutif tend concevoir la cause comme raison, la puissance comme essence. Dei potentia est ipsiusessentiu. (Eth., I, xxxvi.) C'est par l que le ralisme qu'il proprop. fesse s'lve dcidment au-dessus du pur naturalisme, et est proprement un ralisme rationaliste. L'attribut fait donc saillir, non pas au premier plan la puissance de la substance, mais l'intelligibilit de sa nature. Si Dieu est cause, si Dieu mme, que les attributs dans le Court Trait, agit, c'esl par son intelligibilit Au reste, quand, constituent. Spinoza a tabli la distinction l'identit

et les proprits, qui a t signale entre les attributs il a rang la causalit divine parmi les proprits qui leur sens de leur rapport aux attributs. tiennent (Premire partie, ch. m, p. 60, p. 71.)

sont donc identiques Dieu ; ils sont Dieu, tel qu'il peut et doit tre compris par un ententel qu'il est aussi rellement. Leur irrducdement, tible distinction ne les empche pas de constituer la mme substance. On dirait par l de certaines arabes ou fait, les philosophes thologiens, juifs, de tous chrtiens, avaient souvent insist sur l'identit les attributs des attributs d'quivalence en Dieu el soutenu divins qui l'unit que chacun recle au fond de lui le principe tous les autres. En outre, notamment que Spinoza se rapproche traditionnelles : en conceptions

Les attributs

DIEU

ET SES ATTRIBUTS

51

(pie Spinoza donnait au problme gnral des attributs de Dieu le faisait galement se rencontrer el se mesurer avec les solutions thologico-philosola solution bien qu'elles le terme antrieures, prissent Sur celle question des dans un sens diligent. attributs et thologiens taient divins, philosophes rests partags entre la tendance dterminer Dieu de phiques d'attribut faon rendre et la tendance minations la thologie avec le monde explicables ses rapports l'lever au-dessus de toutes les dter des tres finis. C'est ainsi que toute pleine de

empruntes ngative

du pseudo-Lcr.ys, alexandrine, l'inspiration par voie de ngaprocdait tion, pour aller de ngation en ngation jusqu' l'Infini innommable. Chez un des grands philosophes de sa race qui lui avait tait pu familier, apprendre chez Mose Maimonide, Spinoza l'anqu'on n'chappe Dieu des attributs prtant retour, il avait pu retenir Creskas, qui

thropomorphisme simplement autre d'un

qu'en Vu ngatifs.

Chasda juif, philosophe avait sur ce point combattu Maimonide, que les attributs l'envers des qui restent toujours positifs, attributs ce qu'ils convenir concilier divine ngatifs, peuvent ont originairement Dieu. Les deux fort bien, si l'on limine de relatif et de limit, tendances se paraissent

Tout ce qui est de l'ordre dans le spinozisme. des modes ne saurait tre attribu la substance en elle-mme, et nous verrons l'aversion profonde de Spinoza pour l'anthropomorphisme ; mais des attributs tels que l'Etendue et la Pense, par leur infinit, chappent toute mesure purement humaine et appartiennent Dieu de droit. Cependant le rapprochement qui peut se faire entre le spinozisme et les doctrines traditionthologiques

52

LE SPINOZISME

ne serl peut-tre qu' rendre plus sensibles les difficults Les doctrines le premier. que rencontre thologiques peuvent l'identit indivisible trop de peine de tous les attributs, car elles surtout comme des qualits ou admettre l'unit htrosans

nelles

conoivent les attributs des faons d'agir. Mais comment peut s'tablir d'attributs et irrductiblement htrognes,

? Chaque gnes, en raison de leur origine substantielle est l'objet d'une ide claire et disisolment, attribut, Par quelle ide claire et distincte senter le lien des attributs-substances? se dcouvre la limite qui s'oppose son affirmation de l'Etre tincte. peut se reprIci sans doute par de l'unit dont fait

l'effort

Spinoza pour galera et de l'infinit absolues il avait

premire le rationalisme

les lments et les maximes emprunt Descartes, en les poussant, pour arriver ses fins, dans le sens d'un extrme ralisme.

CINQUIEME

LEON.

Dieu
Dieu,

et ses modes.

dit Spinoza, est la cause immanente, non transitive, de toutes choses. Mais comment expliquer que.' les choses, tant produites par Dieu, n'aient cependant d'existence qu'en Dieu ? Et comment expliquer encore, d'une part, qu'tant en Dieu elles n'ajoutent pas par ce fait l'existence de Dieu, d'autre part qu'elles puissent prir alors que subsiste la cause interne qui les en-

gendre ? Questions qui se sont imposes Spinoza ds qu'il a entrepris la constitution de son rationnelle se trouvent systme, et qui dj traites, quoique et sommairement, dans le second Diaimparfaitement logue, D'abord, observe Spinoza, l'essence d'une chose ne s'accrot pas par son union avec une autre chose, quand avec celte chose elle forme un tout : l'ide du n'est pas accrue par la considration de telle proprit qui en drive.* Puis, si les choses particulires, tout en tant en Dieu comme des effets dans leur triangle c'est qu'il y a lieu de distinguer cause, sont prissables, entre les effets qui sont produits immmdiatement de Dieu sans autre circonstance par les attributs (les ne sont pas des effets de cette particulires outre faction de Dieu, sorte) el les effets qui requirent, l'influence ou le concours d'autres choses, lesquelles d'ailleurs ne peuvent pas agir sans Dieu ou en dehors choses de lui. (.lit, Dieu n'est jamais cause loigne, au sens absolu ; il l'est, relativement, l'gard des choses qu'il ne produit pas immdiatement par sa seule Autrement

51

LE

SPINOZISME

de toutes autres circonsindpendamment tances; mais l'ensemble mme de ces circonstances qui concourent avec lui pour la production de telle ou telle nature, chose de lui et est donn en lui. dpend directement C'est par la distinction et le rapport des attributs et des modes que Spinoza s'cllorcc de rendre intelligibles le caractre de la cause immanente et la relation originale qu'elle a avec ses effets. On pourrait imaginer que la notion de substance, celle d'attribut et celle de mode forment dans la docune hirarchie la notion rgulire, spinoziste d'attribut tant comme l'intermdiaire qui relie gale distance la notion de substance et la notion de mode. Mme Spinoza n'aulorise-t-il dans le premier Dialogue, nomme substances pas cette opinion, lorsque, on il dit que, comme le corporel et le spirituel l'gard trine

des modes qui dpendent d'eux, on doit les nommer modes par rapport la substance dont ils dpendent ? est une substance N'indique-t-il pas ainsi que l'attribut de son passe au rang de mode par la considration lien ncessaire avec l'Etre infini? Peut-tre, malgr ce que la terminologie spinoziste tain, Spinoza s'cst-il un moment reprsent relation des trois termes, substance, attribut, et ce serait alors donner l'ensemble l'une de l'antriorit en effet, a ici d'incerainsi la mode ;

des preuves que l'on pourrait de ce Dialogue, par rapport Car dans le Court

Trait, et mme dans le second Dialogue, la ligne de dmarentre Dieu, considr cation qui est tablie licitement et ses modes, met du mme ct Dieu et absolument, de son essence. s'affirmer qui doivent nous le savons, sont identiques Dieu Les attributs, mme. les attributs

du Court Trait.

DIEU

ET

SES

MODES

i).

La division buts d'une

qui

part, cation de l'axiome qui est exisle

partage le rel en substance cl attriel modes de faillie, esl une applii de YEthique, selon lequel toul ce chose : axiome

ou en soi ou en autre

avoir directement emprunt que Spinoza parait Descartes (Cogit. Met., II, cap. v, t. II, p. 184-485), mais qui est de source scolastique et mme arislotli cienne. mode esl en elYet dfini dans YEthique (I, ilef. v) : Ce qui esl dans autre chose cl est aussi conu par cette autre chose. Cette mme division noza par la distinction nature indure (Court est encore exprime chez Spide la nature naturante et de la Trait, premire Le

ch. vin partie, dont cl ix ; Ethique, l, prop. xxix, scolie) : distinction aux ThoSpinoza nous dit lui-mme qu'il l'emprunte encore que, contrairement sa pense, les mistes, Thomistes fissent de la nature naturante, c'est--dire de Dieu, un lrc extrieur aux substances. De fait, saint Thomas appelle bien Dieu nature naturante (Snmma de divinis thologien, I, 2, qunjsl. 85, art. 0 ; Diomjsii noininibusAY, 21); mais il dclare que celte expression a t employe Elle lail en ralit d'un par d'autres. du moyen ge, usage assez courant dans la philosophie et certainement ds le milieu du xine sicle ; on trouve aussi les deux termes de nature et nature naturante nalure chez Occam, chez Bonaventure, Vincent de Beauvais. Ils se perptuent jusque chez les de Spinoza. (V. Hcereboord scolastiqucs contemporains Melctemala, Phil. natur., d. 1651, p. 6.) Spinoza a pu tre attir, qu'elle en raison de l'unit par celte expression tablissait entre Dieu et le monde verbalement commun du mot nature. chez saint

par l'emploi

56

LE

SPINOZISME

une nature nature, aulrePourquoi donc y a-t-il des modes ? Eliminant, comme irrationnelle, menldit, l'ide commune de la cration, Spinoza y substitue l'ide de la production ncessaire, par Dieu, delout ce son essence. Or, de mme que plus un qu'enveloppe tre a de ralit, plus il doit avoir d'attributs, on peut dire que plus un attribut a d'essence, plus il doit prode modes qui le manifestent : car o serait sans cela la vertu de son intelligibilit mme ? Comme Dieu possde une infinit absolue d'attributs dont exprime une essence ternelle doit suivre ncessairement une infinit chacun cl infinie, de lui de choses modiduire

tout ce qui peut tomber sous un infies, c'est--dire tellect infini. (/i//i., I,prop. xvi.) El les modes drivent des attributs par le mme genre de ncessit qui l'ail dcouler d'une notion gomtrique l'ensemble de ses proprits. existe Seulement, tandis que la nature naturante sans degr, il y n des degrs entre les modes de la nature nature. Dans le Court Trait (Ire partie, ch. vin), et la la nature nature universelle Spinoza dislingue : la nature nature univernature nature particulire selle se compose de tous les modes qui dpendent imse mdiatement de Dieu ; la nature aaturc particulire compose de toutes les choses qui sont causes par les et qui par suite, tout en dpendant de Dieu, et sans que celte dpendance soit affaiblie, ne se rapportent lui (pie mdiatement. L'thique reprode deux sortes de modes, duit la mme distinction modes universels mais en la poussant plus loin encore, puisque les modes de la premire sorte sont leur tour diviss en deux Donc, il y a d'abord espces. (Eth., I, prop. xxi-xxvni.) des modes infinis et des modes finis. I) y a des modes

DIEU

ET SES MODES

57

des modes qui suivent immdiats, c'est--dire de la nature absolue de quelque attribut de Dieu ; ces modes sont ncessairement l'taient infinis, pas, ils supposeraient production ou d'explication propre l'attribut ce qui relve de lui, limite, et cela contredit de l'attribut infini parce que, s'ils ne que la puissance de est, pour la notion

infinis

en son genre ; pour la mme raison, ce qui suit immdiatement de la nature absolue d'un attribut infini possde l'existence de toute ternit : sans quoi l'avnement tion dans l'attribut la nature d'un attribut tent de cet attribut fication infinie de cet effet amnerait une altra Il existe de

suppos immuable. aussi des modes infinis qui rsultent mdiatement de Dieu, en tant qu'il c'est--dire

qui rsulest affect d'une modi-

parce qu'un doit produire modification

: et cela, en vertu du mme argument, attribut affect d'une modification infinie

par l et ne peut produire par l qu'une infinie. Il existe enfin des modes finis:

ce sont des modes qui, nu lieu de rsulter de la nature d'un attribut pris absolument, rsultent de l'attribut en tant qu'il s'exprime de telle faon, qui est, elle, une faon dtermine ; et ces modes finis sont les ralits Nous avons donc dans l'ordre de In particulires. nature nature une gradation qui va des modes infinis immdiats aux modes infinis aux modes finis; et d'autre nature, qui reste toujours nature et de ceux-ci mdiats, pari, l'ordre de la nature distinct de l'ordre de la

naturante, parce que tout ce qui s'y manifeste est quelque chose qui suit, qui rsulte, non quelque chose qui engendre, qui cause, se relie toutefois intimement l'ordre de la nature que les modes infinis immdiats de la nature nature expriment naturante, parce qui sont au principe directement comme

58

LE

SPINOZISME

effets l'essence ou la ralit

de l'attribut

dont

ils d-

pendent. Ici sans doute revit, au moins comme motif inspirateur, la conception alexandrine qui essaie de relier par des intermdiaires l'unit et l'infinit de Dieu la mulle inonde des tres finis composant donn. tiplicit Philon avait introduit dn.ns la philosophie moins l'ide que l'ide de la cration divers faisait ; Plotin degrs et par des tres intermdiaires engendrer par l'Un l'intelligence, par l'intelligence l'Ame, par l'me le corporel ; et c'est le propre des doctrines qui relvent de l'alexandrinisme que de reprde la cration exnihilo les puissances successives engendrant formes les plus qui, de degr en degr, vont jusqu'aux Or cette espce de reprsentalimites de l'existence. l'absolu tion n'est pas seulement un effet de l'imagination mysencore au besoin tout rationnel tique ; elle rpond radicale, le sans hiatus, sans discontinuit d'exprimer processus de l'oeuvre de la cration ; elle se prte donc tre intellectualise. s'intellectualise autant De fait, chez Spinoza, elle qu'il est possible. senter

Mais quels sont, au juste, les deux genres de modes infinis le passage des attributs aux qui marquent modes finis ? L-dessus, YEthique ne nous apprend vraiment rien. Ce que Spinoza nous en rvle ailleurs se trouve (Ep. LXIV, t. II, p. 219) : Pour les exemples que vous me demandez, ce sont, comme exemples du premier genre, dans la Pense l'intellect mouvement absolument et le infini, dans l'Etendue le repos ; comme exemple du second genre, la face de tout l'univers (facis latins universi) varie d'une infinit de faons, reste cequi, quoiqu'elle dans une lettre Schuller

DIEU

ET SES MODES

59

pendant toujours la mme; voyes l-dessus le scholie7 du lcmmc qui prcde la proposition xiv, partie IL Sur ce que sont les modes infinis immdiats, cette rclaire, et elle est en ponse de Spinoza est suffisamment accord avec le passage du Court Trait (Irc partie, ch. x) o Spinoza nous dit (pic, parmi les modes qui dpendent immdiatement de Dieu, nous en connaissons deux : le mouvement dans la matire et l'entendement dans la chose pensante ; ce sont, ajoute Spinoza, des fils de crs de toute ternit et subDieu, ses premiers-ns, sistant trines sans altration rendent de toute manifeste ternit. Ces sions mmes ici l'influence expresdes doc-

touchant la gnration du noplatoniciennes de la conception knbbalisle de Xoyss, et peut-tre l'Adam-Kadmon dans laquelle elles se sont transfuses. Mais ce qui est notable en outre, c'est que l'intellect et le mouvement sont conus, dans des attributs diffrents, comme des modes de mme degr. L'intellect infini est donc un mode infini immdiat de la Pense, el, comme tel, il appartient la nature nature, non la nature naturante. (Eth., I, prop. xxxi ; Ep. ix, t. 11, p. 31 ;cf. Court Trait, IIe partie, ch. xxiv.) Il peut arriver Spinoza de.paraitrc Yintelconfondre leclus avec la cogitalio, soit parce qu'il s'exprime d'une faon exotrique, soit parce qu'il emprunte momentanment, pour les mieux rfuter, le langage de ses adversaires ; mais dans la doctrine rigoureuse, la distinction de l'intellect, comme mode, et de la pense, comme ainsi que la subordination du premier la attribut, seconde sont trs catgoriques. seinblc-t-il pas tirer l'intellect Cependant Spinoza ne de ce rle subordonn

quand il mesure le rel ce qui peut tomber sous un Ve partie, ch. n, intellect infini V (V. Court Trait,

60

LE SPINOZISME

i, etc.) Nullement ; p. 50; Eth., Ii prop. xvi, coroll, car si, pour Spinoza, tout est rel de ce qui peut tomber sous un intellect infini, ce n'est pas parce que cet intellect conditionne, dans un sens idaliste, le rel qu'il c'est parce qu'il ne peut contenir et comprend, dans un sens raliste, que ce qui existe reprsenter, ncesssaircment et indpendamment de lui. L'intellect est tourn vers les choses ; il est tourn avant tout vers la substance dont il est le produit. VA c'est pour cela qu'il suppose la Pense comme sa condition, qu'il est un mode de la Pense. (V. Ep. ix, t. II, p. 31.) On a plus de difficult dterminer quels sont pour Spinoza les modes infinis mdiats. Qu'est-ce que cette facis latins universi quie cadem manet, dont il est question dans la lettre Schullcr ? Dans le passage de la lettre nous renvoie, on trouve YEthique auquel mais fortement expose, l'ide d'aprs labrivement, un, dont les parties, quelle la nature est un individu c'est--dire tous les corps, varient d'une infinit de faons sans qu'il y ait aucun changement de l'individu total. (Cf. Ep. xxxu, t. II, p. 129.) On serait par l assez port odmettre que la facis loiius universi, c'est, exprime dans le langage ontologique qui est le propre de la doctrine, la loi de la conservation de la telle que Descartes quantit de mouvement, pose. (V. Descartes, mme l'avait

Princip. phil., II, 30 ; Spinoza, philosophiiv carlesiamv, pars. 11, prop. xm.) Principia Dans ce cas, qu'est-ce qui correspond la facis de la Pense ? Ici, il faut faire un nouveau progrs dans la conjecture. Reportons-nous In cinquime partie de YEthique, proposition XL, scholie : Par l, ainsi que par la proposilatins universi dans l'ordre tion xxi de la premire partie de YEthique et les sui-

DIEU

ET SES MODES

61

vantes, il apptait que notre me, en tant qu'elle coin prend, est un mode ternel de la pense, lequel est dtermin par un autre mode ternel de la pense, celui-ci par un autre, et ainsi l'infini ; en sorte que tous ensemble constituent l'intellect ternel et infini de de la premire partie de Dieu. Les propositions YEthique auxquelles Spinoza ici nous renvoie sont pr- i et ter- ' cisment celles qui traitent des modes infinis ncls. Il esl permis de supposer que c'est l'ordre des mes ternelles, cet ordre o elles constituent unit antrieure leurs dterminations forme dans la Pense le mode infini symtrique Quant choses particulires de la facis totius universi. ils sont aux modes finis, (Eth., total une

singulires, qui cl ternel mdiat, identiques aux

1, prop. xxv, cor.) ; et le c'est d'avoir une essence propre des choses particulires, qui n'enveloppe pas leur existence. L'existence de cha- I cuite d'elles, n'ayant dans l?e$scncc qu'une condition ncessaire, mais non suffisante, ne peut s'expliquer Une que par l'existence d'autres choses particulires. chose singulire quelconque, autrement dit, toute chose ne peut qui est finie et a une existence dtermine, exister agir si elle n'est dtermine l'existence et l'action par une nuire cause, laquelle est aussi finie et a une existence dtermine ; et cette cause son tour ne peut non plus exister ni tre dterfinie elle mine agir que par une cause nouvelle, aussi et pourvue d'une existence dtermine ; et ainsi (Eth., I, prop. xxviu.) l'Infini. A parler strictement, Dieu n'est point cause loigne des choses ticulires ; car tout ce qui existe, ne pouvant tre par lui cl qu'en lui, n en lui sa cause prochaine. l'on peul rserver le nom de cause prochaine parque Mais Dieu ni tre dtermine

62

LE SPINOZISME

en tant qu'il produit immdiatement certaines choses (les modes infinis cl ternels) par sa nature considre et reconnatre que pour les choses partiabsolument, (les modes finis), si Dieu les dtermine tre et les maintient dans l'existence, ce n'esl point par sa nature absolue, mais par sa nature affecte de telle ou telle modification (ibid.). Ce qui constitue cet ordre culires commun , o les choses particulires trouvent leur existence et leur genre propre d'action, c'est le lien infini des causes, infinilus causarum nexus. (Eth., Y, prop. vi.) Il y a donc un intime rapport entre le caractre qu'ont les choses particulires d'tre finies el la ncessit qui soumel chacune d'elles la causalit externe d'autres choses particulires. En effet, loin de pouvoir par lui seul ou de se suffire, le fini, comme tel, ne saurait tre ; il*csl la privation ou la ngation de l'tre, qui de droit est infini. (7i'/>. xxxvi, t. IL p. 140 ; Ep. L, l. II, p. 185.) Par suite, si les choses particulires, tout en tant finies, ne sont que des nants partiels (Eth.,\, prop. vin, sch. i), si elles existent d'une certaine faon, parle systme tes, cl par la relation interne de leurs essences propres la nature divine. Leur espce d'existence est caractc'est qu'elles participent de l'infini, et de causes et d'cfl'cls o elles sont embose maintenir de la nature

rise par Indure, que noire imagination dtermine au moyen du temps ; et spare de l'essence, elle n'est qu'une sorte de quantit abstraite. Mais, en tant qu'elle se rattache l'essence el qu'elle l'exprime, elle esl une ralit positive cl concrte doue d'une certaine force ou capable d'un certain effort. (/i//i., Il, df. v, prop. XLV; 111, prop. vi-vni : Ep. xn, t. 11, p. 11 sq.). De la sorte, les choses particulires ont comme une double exis-

DIEU

ET SES MODES

63

tence : l'une qui se dfinit par une relation une place et un moment dtermins; l'autre qui se dfinit par un rapport la causalit immanente suite de la ncessit de la nature prop. xxix, schol.) Et cette de Dieu et qui r-# divine. (Eth., Y,

proprement parler, existence ternelle.

existence-ci, qui est, l'existence de l'essence, est une I, prop. x. p. 35.) xvu, cor. 2, sch. ;

(Eth.,

Ep. ix, t. II, p. 33 ; Ep.

Mais de quelle nature est l'essence des modes finis? ? Ou bien est-elle Est-elle elle-mme particulire ce y a de gnral ou de commun une classe d'tres ? Par endroits sans doute, il semble que particuliers l'essence soit une sorte de type qu* peuvent raliser qu'il mais qui n'a rien en lui-mme d'indiindividus, viduel ; c'est ainsi que Spinoza nous dit que de l'essence de l'homme ou du trianglo on ne peut dduire et tels hommes, tant de tpi'il existe tant d'hommes des et tels triangles. Ep. xxxiv, t. II, p. 136.) <pie Pessence de l'homme triangles le sens d'un concept, (/;//i., I, prop. vin, schol. 2 ; Ces textes ne prouvent-ils pas ou du triangle est prise dans d'une ide gnrale ? Mais ils

il y a des prouvent simplement que, selon Spinoza, essences des figures mathmatiques el peut-tre aussi de certains tres de raison, mais des essences qui ne que tels : ces textes ne prouvent point qu'il n'y ait pas des essences particulires des choses particulires. El d'autre pari, qu'il concernent ces objets qu'en lanl bien y ait des essences de celle sorte, c'est ce qu'tablit le remarquable passage du De cmendalionc o Spinoza expose que nous devons tendre avant tout la connaisdes choses particulires, clusion se tirera toujours d'une sance conque la meilleure essence particulire

64

LE

SPINOZISME

affirmative

sans recours

aux

notions

abstraites

el

gnrales (t. I, p. 32-33). Mme les notions communes de la raison, et qui ont une qui sont les principes vrit que ne possdent abstraites et pas les notions constituer l'essence d'aucune gnrales, ne sauraient chose singulire. (Eth., II. prop. xxxvm ; prop. xuv, cor. il, dcm.) Et c'est prcisment le rle de la connaissance intuitive, qui dpasse en cela l'objet de la connaissance proprement rationnelle, que d'atteindre les II, prop. XL, sch. 2 ; singulires. (Elit.. Eth., Y, prop. xxxvi, sch.) D'o rsulte bien que les essences des choses individuelles sont elles-mmes Il y a, dit expressment entre Spinoza, l'essence d'une chose et l'essence d'une autre la mme individuelles. diffrence qu'entre l'existence de la premire tence de la seconde. (De cmendatione, t. II, et l'exis 17. p. V. Court Trait, premire partie, ch. vi, p. 83-81.) entre l'esCependant, pour les choses individuelles, sence, qui est ternelle, et l'existence, qui simplement dure, quel rapport exact y a-t-il ? Si peu que Spinoza claircissc l-dessus sa pense, il parat entendre l'existence comme la puissance actualise qu'a une essence l de produire (/i//i.,lll, l'tat de effets impliqus dans sa nature prop. vu) ; cetle puissance peut rester c'est--dire n'exister qu'en tant possible, certains choses

de Dieu (Eth., qu'elle est comprise dans les attributs 11, prop. vin) ; pour qu'elle s'actualise, il faut, en outre, des autres essences ralises. le concours dterminant L'existence proprement dite marque donc la mesure dans laquelle une essence individuelle produit par et dans l'ordre total de la nature une suite d'effets qui se combinent avec les effets des autres essences : elle reprsente dans les limites d'une certaine dure ce

DIEU

ET SES MODES

65

qu'a de limit en mme temps que ductivit de telle essence ternelle. Mais de toule

de positif

la pro-

faon l'existence des modes finis n'en est pas moins relle. L'interprtation subjeclivisie qui considre les modes comme une sorle de projection sur le fond immuable de la substance n'est imaginative pas plus exacte que celle qui ramne les attributs de Elle s'appuie sur les simples formes de l'intellect. mmes arguments, qui peuvent se rfuter de mme, et en oulresur cet argument, que les modes sont sujets des distinctions qui n'atteignent pas la substance et les attributs ; que par l ils tombent sous l'imagination nu lieu d'tre objets d'entendement. Mais les dterminations et les distinctions modales ne sont imaginaires que tout autant qu'elles isolent les modes finis les uns des autres ou qu'elles isolent en chacun d'eux l'existence de l'essence ; du moment qu'elles avec l'individualit des essences, l'ordre expriment, les essences sont comprises el rgulier dans lequel manifestent leur puissance, elles sont rellement aussi fondes : Rerum, ni in se bien que rationnellement sunl, Deus rvera est causa, qiiutcntis attribnlis. (Eth,, 11, prop. vu, schol.) Ainsi les choses infinitis . constat et des divisions

existent comme des particulires modes finis que la substance divine, en vertu de l'immensit de son essence, ne peut pas ne pas produire des modes infinis : elles existent, par l'intermdiaire d'abord parce qu'elles ont une essence pose de toute ternit par la substance, et ensuite parce qu'elles sont dtermines tre, c'est--dire dtermines par l'ensemble certain des autres moment choses existantes exercer un de del dure la force qu'elles tiennent
.")

Sl'JNO/ISMl:

66

LE

SPINOZISME

position des essences individuelles, d'une part, et, d'autre part, leurs dterminations respectives qui, sous des conditions dfinies, les amnent l'existence, ont galement Dieu pour principe ncesle spinozisme principe, le conaffirme, plus que sans doute il ne l'explique, cours de la srie infinie des causes dtermines dans Par cette unit de l'existence avec la causalit interne des essences. saire.

leur essence. La

SIXIME

LEON.

Le Dieu de Spinoza. La doctrine spinoziste des attributs et des modes s'oppose avant tout ce que l'ordre des attributs soit dfini par des lments emprunts l'ordre des. modes ; elle exclut donc avec une nergie singulire toutes les reprsentations anthropomorphiques de Dieu. Non seulement Dieu n'est agit d'aucun des sentiments humains ; mais mme il n'a, parler rigoureusement, ni entendement ni volont. La volont et l'entendement n'ont pas d'autre relation avec Dieu que le mouvement et le repos, c'est--dire qu'ils appartiennent la nature nature, non la nature naturante. (Eth., I, prop. xxxi ; prop. XXXII, cor. n.) Dieu est cause des choses nu mme sens o il est cause de soi (Elh., I, prop. xxv, schol.) ; par consquent, les choses, suivant ncessairement de la nature de Dieu, n'ont pu tre produites d'aucune autre manire et dans aucun autre ordre que de la manire et dans l'ordre o elles ont t produites. (Etlu,\, prop. xxix, prop. xxxui.) Ces thses de Spinoza contredisent directement l'ide de la cration telle qu'on l'entend communment, ainsi que les ides que d'ordinaire on y rattache. Sans doutcSpinoza, surtout dans les autres ouvrages que Ythiques emploie le terme de cration, mais comme il emploie d'autres termes en cours dans les doctrines orthodoxes traditionnelles, c'est--dire en les dtournant dans un sens compatible avec son systme. 11en use de la sorte dans le Court Trait ;

68

LE

SPINOZISME

qu'on ne soit pas dupe du mot : dans une note o il tablit une distinction qui se trouve galement dans les Cogitala mclaphijsica (Pars II, cap. XII, t. Il, p. 501) entre crer et engendrer crer tant poser une chose la fois quant l'essence et quant l'existence, engendrer tant faire qu'une chose naisse quant l'existence seulement il \ ajoute : Ce que nous appelons crer toutefois, on ne . peut pas dire proprement que cela ait jamais eu lieu. (Premire partie, ch. n, p. 51.) Dans les Cogitala metaphysica, acceptant l'ide de cration, il en rejette ce qu'il appelle la dfinition vulgaire . Il la dfinit pour son compte une opration dans laquelle ne concourent d'autres causes que l'efficiente , el il explique qu'il carte ainsi la question de savoir si c'est en vue de quelque lin que Dieu a cr les choses, ou qu'il force de la rsoudre, au cas o on la poserait, en dcidant que cette fin ne peut jamais tre qu'intrieure Dieu et se confond avec son essence. Il observe, en outre, qu'il Yex nihilo que les philosophes noncent supprime afin de dissiper l'illusion communment, qui leur reprsente ce nant comme une matire dont les choses sont tires. vivement les conceptions Mais toujours il critique auxquelles les doctrines orthodoxes associent ce terme de cration, et qui supposent que le monde aurait pu ne pas exister ; qu'existant, il est dans un tat d'imperfection ; qu'il pourrait, par suite, tre diffrent de ce qu'il est. Entre ces conceptions il y a le lien d'une affirmation commune, savoir que Dieu peut ne pas faire ce qui est en son pouvoir ; par une contradiction trange, c'est sous le couvert de la toute-puissance que l'on prte Dieu cette impuissance relle, comme si

et lui-mme

avertit

LE DIEU

DE SPINOZA

69

rsulter pas toujours l'effet qu'elle doit produire! (Eth., I, prop. xvn, schol.) Pour montrer que le monde aurait pu ne pas exister, or. allgue l'imperfection qu'il a. Mais le monde n'est jug imparfait que par une vue inexacte de notre esprit : il a toute la perfection qu'il peut avoir, et il ne j | peut tre autre qu'il n'est, car il existe ncessairement. Pour qu'il ft autre, il faudrait que Dieu lui-mme ft

d'une cause donne

ne

devait

autre : ce qui est absurde. En dehors du ncessaire, il j : la possibilit et la contingence, \ n'y a que l'impossible qu'on les distingue ou non, ne sont ni l'une ni l'autre des expressions du rel : ce sont des dfauts de notre j entendement. (Eth., I, prop. xvn, schol., prop. xxxn et XXXIII ; II, prop. m, schol. ; IV, pnef. Cf. Court ch. n, p. 50, 54, 55; ch. iv, p. 74Trait, lrcpartie, 77 ; ch. vi, p. 80-85. Cogit. Met , I. cap. m, t. II, p. 468-471 ; II, cap. ix, t. II, p. 492-494.) Pour les mmes raisons, on ne saurait admettre que Dieu ait produit les choses en vue de fins doctrine des causes finales dtruit table en l'intervertissant, tion de Dieu en faisant elle dtruit dpendre *, car l'ordre l'action outre la que la causal vri-

aussi

perfecdivine de la

de quelque et qui objet extrieur, reprsentation semble lui manquer. Au fond, l'ide commune de la Dieu d'une intellicration repose sur l'attribution aux gence et d'une volont plus ou moins semblables ntres. Or, absolument parlant, Dieu n'a ni intelligence ni volont ; ou si l'on continue par habitude de langage parler d'intelligence el de volont en Dieu, il faut bien et la volont divines prendre garde qu'entre l'intelligence el la volont humaines d'une part, l'intelligence de l'autre, signe il n'y a pas plus de rapport animal cleste, et le chien, qu'entre aboyant le chien, (Eth., 1,

70

LE

SPINOZISME

xvn) ; pas plus de rapport, et peut-tre beaucoup moins encore, disent les Cogitala qui comme (II, cap. xi. YEthique usent de celte comparaison. prop. humaine ne peut p. 500.) C'est qu'en effet l'intelligence s'exercer que sur des objets qui lui sont imposs, tandis que l'intelligence de Dieu, ou pour mieux dire, la Pense de Dieu est cause del reprsentation qu'elle comprend. l'ide commune Pourrejeter del des objets

s'appuie tifique tique

sur l'opposition radicale et de la subjectivit humaine s'emparer

cration, Spinoza de la rationalit scien-

consiste

; son procd crides termes mmes de la

et volont de thologie, tels que cration, intelligence et toute-puissance dcrets divines, Dieu, perfection divins, exclure de ces termes tous les lments indtermins cience retenir et tous ou aux que les caractres modes d'action emprunts de l'homme, la conspour n'en celle raison

les proprits

conformes

dans la gomobjective qui s'exprime adquatement trie ; il use souvent du semi-rationalisme des tholo un rationalisme giens pour les contraindre complet, et de l'action qui ne laisse dans l'ordre de l'existence divines, comme dans l'ordre de la nature, aucune place au possible, puissance aux fins contingent, de l'essence. indpendante Dieu dans une volont au externes, la

Cependant refuser ce pas le soumettre,

son existence

libre, n'estcomme dans

son action, une fatalit aveugle ? Nullement. Car la fatalit est une ncessit extrieure l'Etre, une ncessit que l'tre subit sans qu'elle soit comprise dans sa nature. Dieu Au contraire, existe et produit de laquelle les choses lui est essentiellement la ncessit en vertu

LE

DIEU

DE SPINOZA

71

la libert, elle la intrieure, et, loin de supprimer fonde au contraire. (Eth., I, def. vu ; prop. xvn.) tre agir que par libre, en effet, c'est n'tre dtermin soi : ce qui implique une puissance rsultant de la seule essence, nullement une volont proprement dite, surtout une volont agissant en vue de fins. Cette dernire conception de l'action divine est particulirement en ce qu'elle la subordonne une fin dfectueuse, et comme extrieure. Mieux vaudrait la prexistante et ici sans aucun conception de la libert indiffrente, doute Spinoza songe la doctrine de Descartes : Je l'avoue, cette opinion qui soumet toutes choses une certaine volont indiffrente de Dieu et qui fait dpendre toutes choses de son bon plaisir, mon avis, de la vrit que l'opinion tiennent que Dieu fait tout sous s'loigne moins, de ceux qui soula raison du bien.

'(Eth., I, prop. XXXIII, schol. 2.) La puissance infinie rien : voil la conception de Dieu n'est subordonne commune une qui tablit, certaine affinit malgr leurs grandes diffrences, entre la doctrine de Descaries

et celle de Spinoza sur la libert divine. Seulement Spinoza identifie celle puissance infinie avec la ncesqui de l'essence mme de Dieu drive sa causalit et son existence. Aussi, loin de s'exclure, libert et ncessit, par ce qu'elles ont sont-elles une mme chose. A mes d'intelligible, sit rationnelle yeux, crit Spinoza, la libert n'est point dans un libre dcret, mais dans une libre ncessit. (Ep. LVIII, t. II, p. 208 ; Ep. LXXV, t. II, p. 242.)
i

et interne

Ainsi qu'il

le Dieu de Spinoza est-il dcidment lel ni conscience de soi ? ne possde ni personnalit conu, longtemps Yinterprtation courante du

C'a t pendant

72

LE

SPINOZISME.

spinozisme. arguments rite d'tre

conteste, et par des pourtant qui montrent au moins que la question mreprise et d'tre examine avec soin. Chez

Elle n t

nous en particulier Victor Brochard a soutenu que le Dieu de Spinoza est le Dieu de la tradition juive, donc un Dieu essentiellement personnel. (Etudes de philosomoderne, p. 332-370.) phie ancienne et de philosophie Laissons de ct les passages du Trait thologico-polibien tique que l'on peut invoquer, car incontestablement des formules accommodes, de ce Trait et non sur Dieu sont des formules expressions de la penIl est toujours certain de pures

se philosophique de Spinoza. autres dans diverses endroits, que dans plusieurs lettres (Ep. XLIII, p. 171; Ep. LVI, p. 201 ; Ep. LVIII, p. 207; Ep. LXXV, p. 242) et dans YEthique mme (II, prop. en des termes presque Spinoza dclare, qiu l'on peut bien admettre qu'il n'y a pas identiques, de contradiction entre la ncessit de l'action divine et m, schol.), la libert de Dieu, puisqu'on admet aussi bien que Dieu, par une ncessit de sa nature, doit se connatre luide soi est mme, et que cependant cette connaissance libre. Dieu a donc, lui-mme. On pourrait selon Spinoza, d'autres la textes connaissance de

relever

plus catgoriques encore, affirme que l'entendement

en apparence ceux notamment o Spinoza en tant qu'il est l'essence de Dieu, est rellede Dieu,

conu comme constituant ment la cause des choses, tant de leur essence que de 11 est leur existence. (/i7/i., 1, prop. xvn, schol.). cependant trange que l'on fasse tat de ces textes pour prtendre que Spinoza voit dans la pense divine un comme entendement qui, ce titre, doit se connatre le contexte montre que Spinoza, afin de mieux tel.'fout

LE

DIEU

DE SPINOZA

73

combattre

les thologiens, leur langage de emprunte faon les presser d'avouer que, s'il y a en Dieu un i est d'une tout autre nature que l'intellect intellect, humain. Douterait-on de ses intentions quand on le

voit, au dbut mme de ce scholic, dire expressment : Je montrerai ni la voplus loin que ni l'entendement la nature de Dieu ? lont n'appartiennent Les premiers textes allgus seraient donc plus dcisifs; mais, en vrit, ils posent la question plutt qu'ils ne la rsolvent. Que le Dieu de Spinoza ail en lui une connaissance de soi, et par l une sorte de personnaMais il s'agit de savoir si lit, cela est incontestable. cette connaissance de soi, dont la condition est l'existence d'un intellect, le caractrise en soi et absolument. Or, dans la Correspondance comme dans YEthique, nous l'affirmation trouvons ritre que l'intellect, mme infini, n'est qu'un mode (Ep. ix, p. 34 ; Eth., I, prop. si Dieu se connat lui-mme, ce xxxi )Par consquent, n'est point par l'attribut de la pense, mais par le mode et qui est une suite de cet attribut. En qu'est l'intellect, d'autres termes, la conscience de soi n'est pas la caracabsolue de Dieu ; elle est relle, mais pour tristique tre drive de la naturede Dieu, non pourla constituer en elle-mme. Invoquera-t-on selon YEthique, Dieu une ide la 3e proposition de la 2e Partie il y a ncessairement laquelle de en

tant de son essence que de ce qui suit de son essence , en observant, en ncessairement outre, que pour Spinoza nue ide en tant que telle d'elle-mme? (Cf. Eth., II, enveloppe la connaissance prop. xxi, schol.) Mais l'expression mme In Deodalur idea semble bien plutt indiquer qu'il s'agit d'un mode, puisque le propre d'un mode, c'est prcisment

74

LE

SPINOZISME

d'tre dans la substance.

(Cf. Eth., I, df. v.) De plus, retenons la formule qui sert de principe la dmonstration du thorme : Dieu peut penser une infinit de choses en une infinit de modes. Deus infinita infinitis modis cogitarc polest. Elle parat bien signifier que Dieu, en tant que substance pensante, forme l'ide de Dieu comme une modification de la Pense. Enfin Spinoza nous fournit ailleurs de cette ide de Dieu un autre nom qui nous permet en quelque sorte de la localiser: l'ide de Dieu, c'est au fond la mme chose infini IIe Partie, Trait, (Court que l'entendement ch. XXII, note, p. 176. Cf. ibid, Appendice, II, Eth., I, prop. xx ; II, prop. v.) Or p. 203-201. -l'entendement qu'un Voil mode. comment la connaissance infini n'est rigoureusement pour Spinoza

de soi n'appartient absolue de Dieu, mais est une pas la dfinition de sa nature. Ici du reste ncessaire, consquence, encore le rationalisme de Spinoza garde son caractre objectiviste reprochera l'IntelliChose infinie, comme condition suprme, gence, comme mode conditionn. Spinoza ne saurait de Dieu sauvegarder ce qu'il admet de la personnalit et raliste, qui consiste, ainsi que le lui plus tard Eichte, aller de la Chose, de la

qu'en le fondant sur la puissance impersonnelle qu'a il tient l'intellect l'tre de se manifester. Mais d'ailleurs infini ou l'ide de Dieu pour le premier n , c'est-infinie et ternelle, logiquedire pour une modification des mes ment et rellement antrieure la production finies. Par l il se dfend de la thse que l'on pourrait tre tent un moment de lui a peut-tre prter, et que lui-mme admise (cf. Court Trait, 2e partie, ch.

LE

DIEU

DE

SPINOZA

<

p. 181), selon laquelle c'est en l'homme seulement : Dieu prend que Dieu prend conscience de lui-mme conscience de lui-mme avant de se modifier et de se xxiv, rvler confronte par les esprits le systme avec a combattues, il faut observer orthodoxes qu'il que l'ordre des choses cres commencerait en gros pour ces doctrines, non pas l o pour Spinoza commence la des modes, mais plutt l o s'opre le production passage des modes infinis aux modes finis. (Cf. Cogitala Pars II, cap. x, t. II, p. 497.) Et ainsi metaphysica, et non primitive, une consquence la connaissance de de premier ordre, choses particulires. particuliers. de Spinoza De plus, si l'on les doctrines

quoique drive, soi est en Dieu

la production des qui domine Enfin, tout en soutenant que Dieu est cause immanente, Spinoza marque trs fortement que ce n?est pas Dieu qui est dans le monde, mais le monde qui est en Dieu ; son aversion pour l'anthropomorphisme, le sauve d'un prte par son rationalisme, naturalisme distinction Dieu, infrieur, essentielle intercertain une de

en le portant maintenir infinie entre la causalit

et le dfinissable par elle-mme, pleinement mme ncessairesystme des effets qui en rsultent ment, On peut seulement demander jusqu' quel point de la personnalit et de la conss'explique l'apparition qui dans sa nature absolue y est compltement tranger, et qui, s'il est sous un certain aspect la Pense en soi, n'est point cience sous la loi suprme d'un primitivement une Pense pour soi, tre

SEPTIEME

LEON.

L'me La

humaine.

et la dmonstration de l'unit de conception substance empchent sans doute que les divers attributs constituent les attributs, des tres distincts tre pouvant reste pourtant que clairement conus les uns que de sa de tout ce qu'il est, chacun ; il

sans les autres, n'ayant propre notion pour rendre

besoin raison

tre causes les uns des autres, par suite ne peuvent fournis par agir les uns sur les autres. Les arguments le Court Trait Partie, ch. n, p. 50, 52 ; (premire prop. n, p. 198) et par YEthique (I, prop. vi) Appendice, en faveur de la thse, qu'une substance produite par une autre substance, mmes. Ds lors, puisqu'il ne peut fond aux attributs de rapport de causay avoir entre les divers attributs ils constituent un mme tre, il lit, et que cependant faut qu'il y ait entre eux un ordre de correspondance, : ce qui dcoule de la pense rpond un paralllisme ce qui dcoule de l'tendue, el inversymtriquement sement. du paralllisme esl expose et justifie dans la seconde partie de YEthique, et elle y est dvela nature de point o elle explique loppe jusqu'au Cette doctrine l'me el l'union plus de clart, el acheve, avant d'essayer de sa forme systmatique ou contraires montrer de quelles ides incertaines elle a d triompher dans l'esprit de Spinoza. de l'me avec le corps. Peut-tre, vaut-il mieux la prsenter d'abord pour sous ne peut tre dans le s'appliquent

LAME

HUMAINE

//

tre conu par soi. (Eth., I, prop. x.) Par consquent les modes de attribut quelque que ce soit n'enveloppent que le dont ils sont les modes, non celui concept de l'attribut d'autres les modes de consquent quelque attribut (pie ce soit ont pour cause Dieu, en tant que Dieu est considr sous le point de vue de l'attribut dont ils sont les modes, non sous le point de vue d'aucun autre attribut. Ainsi les objets des dont ils dpendent et s'en dduisent de la mme faon et avec la mme ncessit el se dduisent de l'attribut de que les ides rsultent la Pense. (Eth., II, prop. vi.) Mais si, cet gard, les divers attributs et leurs modes respectifs sont irrductiblement distincts, ils ont leurs dterminations soumises au mme ordre el rgles selon les mmes rapports. connexio sition Ordo et connexio rerum, dit idearum idem esl ac ordo el suivant le thorme (vu) ; propoencore : Ordo et connexio caitsurum en reviennent (ix, eff'el au ides rsultent des attributs attributs. Par

Tout

attribut

d'une

substance

doit

que Spinoza formule idearum idem est ac ordo et connexio Dem.). Les deux formules

mme, si l'on remarque comment Spinoza dmontre la vu, c'est -dire en posant que les ides proposition doivent s'enchaner comme s'enchanent dans la nature la cause et l'effet fortement tablement parla l'ordre el en indiquant qu'elles reprsentent que l'ordre selon la causalit est vrirel : unam

eamdemque catisurum hoc est eusdem res, dit le scolie de la connexionem, vu. Au surplus, ce qui l'ait que l'ordre et proposition la connexion des ides sont les mmes que l'ordre et la connexion substance tantt qui sous un autre. des choses, est comprise La que c'est la mme tantt sous un attribut, doctrine du paralllisme c'est

78

LE

SPINOZISME

tout ce qu'enferme la cond'intelligible ception de l'unit de substance, combine avec l'ide d'attributs htrognes. Dieu en ce sens est plus que la totalit des attributs (Deus, sive qui le constituent omnia Dei attributa) ; il s'exprime essentiellement en chacun d'eux par le mme ordre, que le ralisme de Spinoza rapporte une mme ralit substantielle. Jointe aux prmisses du systme, cette doctrine du des attributs et de leurs modes respectifs paralllisme ce qu'est l'me et en quoi permet Spinoza d'expliquer consiste l'union de l'me avec le corps. ax. 1,) que l'essence de l'homme n'enveloppe pas l'existence ncessaire ; il peut arriver en effet que tel homme existe ou n'existe pas. Donc l'tre de la substance n'appartient C'est (Eth., II, puisque l'on point l'homme, substance enveloppe l'existence outre la substance que l'tre de la ncessaire et qu'en a des proprits, infinit, immuasait d'abord un axiome

retient

donc

bilit, indivisibilit, qui n'appartiennent pas l'homme. Pour prter l'homme une existence substantielle, on s'appuie parfois sur une notion dfectueuse de l'escomme ce sans quoi une sence, entendue simplement chose ne peut ni exister ni tre conue ; et il est vrai en effet que la nature de l'homme ne peut ni exister ni tre conue sans des attributs qui sont en un sens des substances, comme la Pense el l'Etendue. Mais, exactement l'essence, il faut qu'il y ail pour dfinir de plus entre elle et la chose qu'elle constitue possibiautrement dit, que l'essence se conversion, la chose, et la chose seule. rapporte directement ne puissent ni tre Que les choses particulires conues ni exisler sans Dieu, cela ne veut pas dire que lit de

L'AME

HUMAINE

79

Dieu soit leur essence. Donc, quand mme l'homme ne pourrait tre conu sans certains attributs substantiels, il ne serait pas pour cela une substance. (A7/t.,II, dfin. n ; prop. x; cf. Court Trait, 2e partie, prface, p. 88-89.) La nature de l'homme ne peut donc consister qu'en De quelle sorte sont ces modes et ils aux attributs? comment se rapportent Spinoza, pour en dterminer les caractres principaux, ne peut que modes. recourir retient l'exprience, sauf expliquer ensuite rationlui a dcouvert. Or il nellement ce que l'exprience ici de l'exprience certains faits gnraux incontestables, auxquels il donne le mme nom qu'aux prode certains

videntes, le nom positions gnrales immdiatement d'axiomes. (Les axiomes de celte espce ne sont pas d'ailleurs bien nettement distingus de certaines autres galement sans dmonstrade postulais. Cf. Eth., 111, Postuseu axioma...) C'est donc un lata, , Hoc poslnlatum un axiome, que l'homme fait, valable comme pense. est par consquent une modification de la L'homme qu'il propositions tion sous le nom une ide, et ce titre il est une pense, c'est--dire me. Mais celte ide ne peut tre l'ide d'une chose qui n'existe pas rellement ; car alors elle ne serait pas une ide relle ; elle ne peut tre que l'ide d'une chose rellement 11 faut sance. existante. que ce soit Or c'est encore Quelle peut donc tre cette chose ? une chose dont l'me ait connaisadmet

un fait, que nous sentons un certain corps et que nous le sentons affect d'une multitude de manires ; c'est galement un l'ait, que nous ne sentons ni ne pensons d'autres choses singulires que des corps et des modes qui sont galement noncs de l que l'objet de l'ide pense. Deux faits comme axiomes. Il suit l'me humaine, de la

qui constitue

80

LE

SPINOZISME

mode de l'tendue corps, ou un certain Si en effet le existant el rien d'autre. rellement, corps n'tait pas objet de l'me, les ides des affecc'est le pas dans l'me, corps ne se trouveraient l'me ne et elles s'y trouvent. Et, d'autre part, peut avoir pour objet que le corps, puisqu'en dehors de la pense, ide de son ide comme modification de son objet, nous la connaissance qui implique ne percevons rien que des corps. Voil donc ce qu'est l'me : essentiellement une ide, el l'ide d'un corps. Essentiellement une ide, car, selon une thse cartsienne que Spinoza reprend et qu'il rige encore en de l'me axiome, tous les tats et toutes les affections enveloppent des ides ; l'amour, le dsir et les autres passions ne peuvent exister sans qu'il y ait dans l'individu o ils se trouvent poursuivie. Spinoza que la pense est l'essence de lame, la Pense est un attribut et l'me maintient l'ide del chose aime, dsire, ne dit plus, comme Descartes, ses yeux puisqu'il un mode ; mais il esl une ide, ou suptions du

que tout tat de l'me pose une ide. (Cf. Court Trait, App., Il, p. 201 ; I. Il, p H88 ; prop. Principia phil. cari., I, Dfinit., Desiv, schol., p. 391.) En retour, contrairement caries, il ne croit pas que l'me puisse tre dfinie sans l'objet corporel dont elle enveloppe la connaisdire qu'il y a l une sance, et peut-tre pourrait-on aristotlirminiscence indirecte de la conception cienne qui fait de l'me lin, Sur une des origines la forme du corps (Cf. Ilamedu spinozisme. l'Anne phil., la condition d'ajouter immde hirarchie tablie par

XIe anne, p. 24), mais diatement que la relation l'aristotlisme de matire

entre le corps et l'me selon les rapports forme el selon une loi gnrale de finalit,

L'AME HUMAINE fait

81

el de correspondance place ici une relation loute prmimme d'identit, excluant en principe nence de l'me sur le corps. De plus, Spinoza estime que la faon dont Descartes a entendu l'union de l'Ame et du corps est aussi contraire que possible la rgle de l'vidence el introduit des faons de penser plus occultes que ces qualits occultes des scolastiques qu'il a tant combattues. Elle ne saurait qu'elle soutient, c'est--dire une source de mouvement comment ce expliquer l'me peut tre

ou pour le mouvement donn un principe de direction. (Eth., IV, Pnef.) La vrit est qu'il n'y a aucun rapport de causalit entre la volont cl le mouvement, et que l'me et le corps ne sont, sous deux attributs diffrents, que deux sries de modifications qui est Dieu. Telle est, en ses traits gnraux, la doctrine de l'me el des rapports de l'me avec le corps que nous offre YEthique. Or, dans le Court Trait, celte doctrine esl constitue ou d'apparatre toujours parfaitement entirement cohrente. D'abord, quoiqu'on trouve dj en certains passages nettement nonce la thorie qui dfinit du corps (v. notamment 2e Partie, Prface, note, p. 97 ; ch. xx, note 3, p. 169-170), Spinoza ailleurs, surloutdanssa thorie del rgnration, parait admettre que l'me possde l'gard du corps indpendance qui se manifeste par la connaissance vraie el l'union avec Dieu (2 Partie, eh. xix. p. 101 ; ch. xxn, p. 177 ; ch. xxm, p. 179) ; au contraire, dans l'/iV/tir/iie. ainsi qu'on le verra, l'me conscienle point de son ternit el unie Dieu ne cesse
ti

correspondantes

d'une

mme

substance

loin

l'me l'ide

une certaine

d'tre l'ide du corps humain.


sl'iSo/lsMi:

82 Mais c'est surtout

LE SPINOZISME

sur la question des rapports de l'me el du corps que la premire pense ou plutt les sont loignes de sa premires penses de Spinoza On trouve mme dans le Court pense dfinitive. Trait une assertion la presque trange s'il fallait c'est attriprendre la lettre, que les deux buts agissent l'un sur l'autre M et qu'ail en rsulte une passion produite dans l'un par l'autre (2" Partie, ch. xix, p. 162) ; mais le contexte montre qu'il s'agit dans le fond de faction rciproque, non des attributs, mais des modes de ces attributs. retenir, Ce qu'il c'est que Spinoza a d'abord squences et les expdients qu'il a plus tard reprochs Descartes ; et pourtant son dualisme de la Pense et plus radical que le dualisme cartsien, sur l'htrogpuisqu'au lieu de reposer simplement il tait fond en nit de deux essences compares, de l'Etendue, outre sur l'irrductibilit de toul attribut lui faire un autre, aurait d, scmblc-l-il, d'un rapport d'acdtour et sans dlai l'impossibilit dti\ tion rciproque entre l'me et le corps. L'inffuencc * est admise et surtout la sur l'me dans signale corps el de nos senliments.y de nos perceptions ch. xix, p. 159 ; note 4, p. 161-165.) De (2e Partie, de l'me sur le corps. l'influence mme esl admise production doute, observe Spinoza, l'nic esl incapable de mouvoir un corps qui lui est tranger, une pierre par exemple ; mais elle peut mouvoir son corps parce qu'elle esl l'ide de ce corps, et nu moyen de cette ide(2k Partie, Sans sent bien que Spinoza ch. xx, p. 170-171). Nanmoinson est embarrass par le principe qu'il pose nettement, nu repos ne peut corps qui est entirement uqu'aucun tre m par aucun mode de la pense >. (ibid., p. 171 ; en gnral avouer sans y a lieu de accept les incon-

L'AME HUMAINE cf. 2e Partie, ch. xix, p.

83

161), el on le voit recourir au subterfuge cartsien d'aprs lequel l'me, sans le corps, mouvoir d'elle-mme la peut modifier direction de son mouvement. dre, l'exemple de Descartes, du compos humain de l'unit (2e Partie, ch. xix, p. 161-163). Dans YEthique, au contraire, Spinoza dira trs nettement : Ni le corps ne peut dterminer l'me la pense, ni l'me ne au mouvement et au repos ni s'il esl quelque autre chose, aliud. (III, prop. n.) Cette doute damne la direction catgoriquement, qui pose une exception ne saurait plus agir sur l'me. Pourquoi mode d'une mode Spinoza a-t-ilpuun inoinentsoulcnirqu'un certaine espce est capable d'agir sur un d'une autre espce ? C'est que chaque mode, peut dterminer le corps quelque autre chose, ad aliquid (si qiiid esl) autre chose, c'est sans On le voit mme reprenla conception scolastique

du mouvement

: et Spinoza conaprs l'avoir admis, l'artifice la rgle selon laquelle l'me le corps que le corps sur

comme du Tout lui-mme, rpond-il agit partie (2l Partie, ch. xx, note 3, p. 169). Et ainsi par l'ide de l'unit de la Nature infinie, Spinoza donnait une valeur positive el profonde l'union de l'Ame el du corps qui n'tail pour Descartes qu'un fait inexpliqu et en quelque sorte prcaire ; seulement, la notion d'influence rciproque qui n'tait qu'une expression irrationnelle la notion de celleuuion.il d'une identit relle a fini par substituer produite par la Substance une, el il a tenu finalement l'me et le corps pour une mme chose, exprime seulement sous deux attributs diffrents II. prop. vu, schol. ; V, (Eth., Piwf.).

81

LK

SPINOZISME

En somme, dans le Court Trait,qui, comme on sait, n'est pas une oeuvre homogne et qui reprsente des moments divers de la pense de Spinoza, on trouve, ct de vues plus ou moins diffrentes de la future doctrine de YEthique, des vues qui y sont d'avance entirement conformes.Dans la longue noie3 du chapitre xx (p. 169 170), dans In prface de Ia2 Partie el les notes qui l'accompagnent, dans le second Appendice, on voit soit bauche, soit mme compltement expose la doctrine qui part de la Pense comme comprenant titre de modes les ides de toutes les choses particulires, et qui aboutit la dfinition rigoureuse de l'me comme ide du corps. Cependant cette faon de dduire l'me, si elle est destine rsoudre la question de savoir ce qu'est l'homme, n'en dpasse pas moins la porte de l'me humaine proprement dite : l'explication de l'me humaine apparat comme un cas particulier de l'explication de l'me en gnral. Au reste, la doctrine du paralllisme, logiquement dveloppe, ne souffre pas que l'on limite ces modes de la nature nature que sont les hommes le genre de distinction la fois et d'union qui convient aux modes respectifs et correspondants de tous les attributs. Pour tous les modes de tous les attributs, par consquent pour tous les modes de il y a des ides particulires corresponl'tendue, dantes, et ces ides sont aillant d'mes. (Court Trait, 28 Partie, Prface, note, p. 97 ; Appendice, II, p. 203204 ; Eth., Il, prop. xm, schol.) On peut souponner dans cette conception de Spinoza une rminiscence ou une action latente de l'animisme universel des philosophies no-platoniciennes de la Renaissance. Mais

L'AMI: HUMAINE

85

cet animisme a revtu ici une forme intellectualiste stricte, qui limine prcisment la notion dont l'animisme drive, la notion de la ^J/V?, de l'anima, pour la remplacer par la notion do l'esprit (mens) considr avant tout dans sa fonction conceptuelle. Autrement dit, l'me est ramene l'ide et perd parla ce que lui prte confuse de la vie. En la reprsentation d'ordinaire cela Spinoza se montre disciple de Descaries qui, entre les substances pensantes et les substances tendues, ne faisait point place la vie comme ralit propre, qui expliquait tous les phnomnes vitaux par les lois gnrales du mouvement. Mme Spinoza a trouv dans le cartsianisme des conditions au moins indirectement favorables la thse que tout dans l'univers est du anim : car Descartes, en admettant l'universalit mcanisme pour tous les phnomnes matriels, ne pouvait plus assigner la vie mcaniquement produite un domaine bien limit et bien clos. Seulement son mcanisme participait naturellement de sa conception de l'tendue, qui n'tait point dote expressment des caractres d'unit, d'infinit et d'indivisibilit que lni attribuera Spinoza. En oulre, son dualisme n'intervenait que pour empcher la confusion des deux grands genres de ralits donnes dans le monde *, ce n'tait point le dualisme de la Pense et de' l'Etendue, infinies chacune en son genre, capables chacune de modifications infinies ; et ce n'tait point le paralllisme. Or c'est le paralllisme, dans le sens o Spinoza l'a admis, qui fait qu'il ne peut pas plus y avoir de limites la de la Pense d'ides modifiant l'attribut production qu' la production d'tats corporels modifiant l'attribut de l'Etendue, et d'une faon gnrale qu' la production d'tats modifiant un attribut quelconque ; de tout ce

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LE

SPINOZISME

qui est et de tout ce qui devient il y a donc ide. Omnia, quanwis diversis gradibus, unimata la mon sunt. (Eth., II, prop. xiu, schol.) Ce que l'on peut continuer appeler l'animisme de Spinoza vient donc d'un extrme rationalisme uni au paralllisme, d'un rationalisme raliste qui ne se contente pas de faire de la pense une forme pour l'explication de ralits existantes, qui eu fait aussi une ralit se manifestant par des modes corrlatifs ceux de ses objets, en un sens mme identiques eux. Cet animisme universel, qui certains gards ne semble pas confrer l'me humaine une sorte d'existence diffrentedc celle des autres individus, lui rserve Dans la cependant d'autres gards sa supriorit. formule qui vient d'tre cite, remarquons quamvis diversis gradibus. Il y a des degrs divers de vie, et la diversit de ces degrs est tablie par la faon dont se rapportent entre eux les corps. L'expos un peu rapide et souvent obscur de sa physique, que Spinoza a donn la suite de la prop. xm de la 2e Partie de YEthique (cf. Court Trait, note la prface de la'2* Partie, p. 96-97 ; Appendice, II, p. 205-206), parat destin montrer comment dans et par le mcanisme peuvent se composer des individus d'un ordre de plus en plus relev. Tous les corps sont en mouvement ou en repos ; ils ne se distinguent les uns des autres que par le mouvement ou le repos, la vitesse ou la lenteur ; un corps qui est en mouvement ou en repos a d tre dtermin au mouvement ou au repos par un autre corps, celui-ci par un autre, et ainsi de suite (loi de l'inertie); tous les tats d'un corps ne rsultent donc que du mouvement, mais proviennent la fois et de la nature du corps m et de la nature du corps qui imprime le

LAME

HUMAINE

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Voil les lois les plus gnrales qui peuvent tre nonces des corps les plus simples, de corpoces corps les plus ribus simplicissimis. Mais, outre c'est--dire des corps simples, il y n des individus, composs d'une certaine manire. Quand des corps de mouvement. mme grandeur ou de grandeur diffrente sont tellement resserrs qu'ils s'appuient les uns sur les autres et se soutiennent rciproquement, ou encore lorsque se mouvant soit avec la mme vitesse, soit avec des vitesses ingales, ils se communiquent leurs mouvements selon des rapports dtermins, il y a entre ces corps une union rciproque qui fait d'eux un seu' orps, qui constitue avec eux un individu. Or cet individu conserve sa nature, mme s'il perd certaines de ses parties, pourvu que ces parties soient remplaces simultanment par un nombre gal de parties de mme nature ; il la conserve galement si les parties qui la composent deviennent plus grandes ou plus petites, cette condition que le mouvement et le repos de toutes les parties, considres les unes l'gard des autres, s'accomplissent selon les mmes rapports ; il la conserve encore si les corps qui la composent dtournent sur une partie le mouvement qu'elles avaient vers une autre, la condition qu'ils puissent continuer ce mouvement et se le communiquer les uns aux autres selon les mmes rapports qu'auconserve toujours sa nature, paravant ; enfin l'individu qu'il se meuve dans toutes ses parties ou qu'il reste en repos, que son mouvement ait telle direction ou telle autre, pourvu que chaque partie garde son mouvement et le communique aux autres comme auparavant. Ainsi un individu compos peut tre affect d'une multitude de manires tout en conservant des individus sa nature. forms, Et nous pouvons concevoir non pas seu-

88

LK

Sl'lNO/.lSMK

lement des corps les plus simples, mais d'autres individus, et ainsi de suite, si bien que la nature entire nous apparat elle-mme comme un individu unique dont les parties, c'est--dire les corps, varient d'une infinit de manires sans que lui-mme subisse d'altnous pouration. Avec cette notion de l'individualit, vons en tout cas admettre que le corps humain est un de natures individu compos de plusieurs individus est fort compos, dont chacun lui-mme pie par l mme il est affect d'un grand nombre de faons par les corps extrieurs, mais qu'il peut aussi dans de certaines conditions maintenir sa nature. Paralllement l'ide qui constitue l'me humaine n'est pas simple ; elle est compose de toutes les ides de diverses,

le humain. toutes les parties qui composent (Eth., corps II, prop. xv.) Celte conception spinoziste de l'individualit, quand on l'examine de prs, parat bien dpasser le mcanisme, du moins le mcanisme brut. Certes Spinoza parait ne faire appel qu' des causes mcaniques pour expliquer ce rapprochement des corps qui constitue et pour dfinir les conditions du mainl'individualit mme. Mais il traite l'union tien de cette individualit d'o rsulte l'individu mieux que comme un effet accidentel ; il lui attribue une nature propre ; il se sert maintes reprises du terme de forme pour la caractriser, et l'on sait que ce terme de forme, hrit de la scolaitique, dsigne ce qu'il y a de plus rel. Par surcrot, la forme de l'individu corporel doit correspondre dans la pense une ide, et si l'me, en tant doit tre elle est l'ide de ses du parties, corps, qu'ide aussi l'ide de leur union. Spinoza dira dans la 5e partie de YEthique (prop. xxn) qu'il y a en Dieu une ide qui

L'A MF. HUMAINE

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exprime l'essence de tel ou tel corps humain, hujus et illius corporis humain. Comment ne pas voir l une subordination implicite, mais trs certaine, du mcanisme des principes qui le dominent m le spcifient ? D'abord le mcanisme de Spinoza diffre du mcanisme de Descartes. Sans doute Descartes n dit que le corps par son organisation forme un tout et une unit qui servent l'ine d'intermdiaire pour s'unir lui. Mais de cette organisation, en tant que telle, il n'admet pas d'expression idale spcifique, et il reste fidle en somme aux exigences du mcanisme qui va des parties au tout sans donner au tout une valeur propre d'unification. Au contraire, chez Spinoza, le tout dans l'individu s'impose en quelque mesure aux parties dont il est l'union ; il a sa loi propre d'existence et de dveloppement/ Du reste, est-ce un mcanisme pur et simple qu'un mcanisme dont les productions ralisent des essences? Il rentre par l, semble-t-il, dans le systme de Spinoza quelque chose d trs analogue la finalit, non pas cette finalit externe et transcendante interne qu'ila si vivementeombattue, maiscettefinalit ' et immanente dont il n'a pas conu la formule explile tout comme la raison cite, et qui pose dans l'individu des parties. Justement dans un passage de la Critique de la facult de juger ( 80), Kant reproche Spinoza, non pas d'avoir mconnu la finalit, mais d'en avoir donn une expression insuffisante, en n'expliquant pas la contingence qu'ont vis--vis du mcanisme les productions de la nature, et en remplaant l'ide d'une intelligence suprme, ncessaire la reprsentation du de l'unil ontolosystme des fins, par l'affirmation gique de la substance engendrant tout avec ncessit. Par ses rserves, Kant marque ce qu'exige une inter-

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|.K

SPINOZISME

prtation la fois idaliste et critique de la finalit ; il reconnail mais par son observation antrieure, qu'il y n une sorte d'acceptation de la finalit dans la position de l'unit absolue de l'Etre comme antrieure aux modes (pi'elle comprend, comme principe de leur d'ailleurs ce que Spienchanement. Rappelons-nous noza a dit de l'tendue en elle-mme, qu'elle est infinie, indivisible ; n'est-ce pas parce qu'ils emcontinue, plus cette richesse dans l'unit que les corps composs sont d'une certaine manire les et ne sont-ce pas les corps les plus plus parfaits, simples qui, tant conus d'abord dans une sorte d'isopruntent les plus lement, sont ce qu'il y a de moins concret, de moins el presque de plus imaginaire ? Et ceci en intelligible tout cas nous ramne une constatation qui vrifie : c'est que le mcapour une part celle interprtation nisme esl seulement la loi des modes qui se condition; nent les uns les autres : il ne se rfre qu' la causalit externe. IA\ causalit interne, qui part de Dieu pour descendre graduellement jusqu'aux essences des modes finis, fait du mcanisme une explication subordonne. A sa faon, le spinozisme admet donc ce que d'autres ou justifieront doctrines exprimeront plus compltement : qu'il y a un accord du mcanisme et de la ralit interne ou essentielle, et un accord dans lequel c'est la ralit interne ou essentielle qui domine le mcanisme.

HUITIEME

LEON.

Nature

et degrs

de la connaissance.

La connaissance, dans la doctrine de Spinoza, tient son importance premire et essentielle de ce qu'elle reprsente et assure l'homme l'objet suprme de ses tendances et de son amour ; aussi le Court Trait ne fanalyse-t-il gure qu' cet effet, et se proccupe-t-il aussi peu que possible des caractres et des procds du savoir proprement scientifique. C'est seulement le De intellectus emendalione qui, sans oublier que la fin de toutes les sciences est la perfection humaine, aborde l'examen de la nature et des conditions d'une connaissance explicative certaine. l'Ethique, en dernier lieu, manifeste compltement la liaison que Spinoza s'est efforc d'tablir entre la connaissance qui explique et la connaissance qui sauve. Tchons de suivre le prosur ce sujet la pense spinogrs (ju'a accompli ziste. Dans le Court Trait, la connaissance est dcrite comme une action de la chose connue sur l'esprit connaissant. Le connaitr-'. est une pure passion, c'est-dire une perception dans lame de l'essence et de l'existence des choses ; de sorte que ce n'est pas nous qui affirmons ou nions jamais quelque chose d'une chose, mais c'est elle-rime qui en nous affirme ou nie quelque chose d'elle-mme. (Deuxime partie, ch. xvi, p. 149 ; cf. ch. xv, p. 143-144 ; ch. xvn, p. i53 ; ch. i, p. 101, note.) En conformit avec cette faGn

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LE

SPINOZISME

d'entendre la connaissance, en conformit aussi avec des dfinitions traditionnelles, Spinoza comprend alors la vrit comme l'accord de la pense et de la chose. Cependant il se pose la question de savoir comment quelqu'un peut tre averti que sa pense s'accorde avec la chose ou non, et il rpond avec Descartes que c'est l'vidence qui certifie la pense de chacun, Si les ides fausses ne peuvent pas tmoigner directement de leur fausset, les ides vraies au contraire font reconnaitre immdiatement par leur clart qu'elles sont vraies, et elles signalent ainsi les ides fausses. Celui qui est dans l'erreur peut s'imaginer tre dans la vrit, comme quelqu'un qui rve peut croire qu'il veille ; mais jamais celui qui veille ne peut penser qu'il rve. C'est le propre de la vrit de se rvler d'elle-mme comme telle, en excluant toutdoute sur elle. (Ch. xv, p. 143.) Spinoza juxtapose dans le Court Trait h la conception dfinit la vrit par cette proprit extrinsque qu'est l'accord de l'ide avec l'objet une conception qui la dfinit par celle proprit intrinsque qu'est la clart mme de l'ide, et il n'assure pas encore la qui seconde une prpondrance dcisive sur la premire. si l'ide fausse est, D'o vient pourtant l'erreur, comme l'ide vraie, un effet de l'action de la chose sur notre esprit ? De ce que la chose, dans bien des cas, n'agit sur nous que par une partie d'elle-mme, et de ce que nous considrons l'ide qui reprsente cette action partielle comme si elle reprsentait une action totale. Ainsi s'ajoute l'ide qui vient de 'l'objet une qui vient de nous. (Deuxime partie, ch. xv, p. 144; ch. xvi, p. 150.) Spinoza, ici encore, rapporte donc une imparfaite action de la chose le dfaut plus qui est l'origine de l'erreur, et qu'il dcouvrira imagination

XTUnB

DE

LA

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tard au sein de l'ide mme, dans sa confusion et dans son manque de connexion rationnelle. Quant l'acte par lequel nous affirmons ou nous nions, Spinoza, comme Descartes, l'attribue la volont, et pour cela il distingue la volont du dsir qui est la tendance de l'me rechercher ce qu'elle reconnat comme bon. (Cf. Eth.', II, prop. xi.viii, schol.) Mais, l'cncontre de Descartes, il ne souffre pas que ou de nier, facult d'affirmer la volont, comme soit libre : d'abord parce que la volont, n'ayant pas une essence qui enveloppe l'existence, est ncessairement dtermine tre et agir par quelque cause rsulte externe ; ensuite parce que toute affirmation de l'action de la chose sur nous, qu'elle est en quelque elle-mme en nous. Au sorte la chose s'affirmant reste, la volont, conue comme distincte de telle ou telle affirmation, conue comme libre cause de l'indtermination que lui prte ce caractre de gnralit, n'est qu'un tre de raison. (Deuxime partie, ch. xvi, p. 145-151 ; ch. xvn, p. 152154.) Par cette exclusion du libre arbitre, Spinoza efface dj le sens cartsienne entre l'ide, qui apparde la distinction tient l'entendement, et le jugement, qui relve de la volont ; il tend directement la doctrine de YEthique ' volont et entende(II, prop. XLIX) d'aprs laquelle, ment ne faisant qu'un, toute ide enveloppe l'affirmation d'elle-mme. Ce que le Court Trait met le plus en relief au sujet de la connaissance, c'est la diversit de ses degrs. Il y a trois degrs de la connaissance (on peut en compter quatre si l'on subdivise, comme le fait parfois Spinoza, le premier : pour viter toute complication, arrtons-nous trois) : 1 connaissance par opinion, cette

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ou bien opinion ou bien tant acquise par ou-dire, tant forme par des expriences particulires ; 2 croyance droite, ou connaissance fonde sur des raisonnements, qui, par suite, n'atteint la chose que par de ces raisonnements ; 3 connaissance l'intermdiaire absolument claire et distincte, qui vient d'une apprhension directe et comme de la jouissance del chose mme. Le premier mode de connaissance est comsujet l'erreur ; le second et le troisime, malgr leurs diffrences profondes, ne peuvent nous tromper. De ces divers degrs de connaissance, Spinoza offre un exemple qu'il reprendra dans le Trait de la Rforme de l'entendement et dans YEthique ; trois nombres sont donns ; on en cherche un quatrime qui soit au troisime comme le second est au premier. On peut avoir entendu dire qu'il faut pour cela multiplier le second nombre par le troisime et diviser le produit par le premier ; cette rgle, on ne sait pas sur quoi elle est fonde, on l'applique aveuglment : c'est la connaissance d'opinion par ou-dire ; ou bien on applique la rgle pour l'avoir vrifie dans certains cas ; on en use comme d'un procd qui a russi : c'est la connaissance d'opinion par exprience. En second lieu, on peut connatre les principes et les rgles de la proportionnalit des nombres, dont l'application tel cas particulier rend tel rsultat ncessaire : c'est la connaissance par la vraie foi. Enfin on peut saisir immdiatement le nombre qui est le quatrime terme par intuition cherch de la proportion : c'est la connaissance claire. (Deuxime partie, ch. i.) Cette faon de marquer les degrs de la connaissance, et l'expression mme de croyance droite ou de munment

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vraie foi pour dsigner l'un d'eux rappellent le platonisme, qui certainement l-dessus, par quelque intermdiaire, n inspir Spinoza. 11 y a l en tout cas quelque chose que l'on ne trouve pas, au inoins nettement, chez Descaries. Descartes se borne tablir une opposition entre la connaissance claire et distincte d'une part, la connaissance obscure et confuse de l'autre, el par consquent, malgr une tendance l'attnuer en quelques points, une opposition entre l'entendement d'une part, l'imagination et les sens de l'autre. Sans doute il a admis un rle de l'intuition comme de la dduction dans la connaissance claire ; mais, outre qu'il s'est expliqu sur le rle des deux principalement dans les Reguliv que n'a pas eues en main Spinoza, il a beaucoup plus rapproch la dduction et l'intuition que Spinoza ne rapproche la vraie foi et la connaissance absolument claire, et il n'a attribu l'intuition que le pouvoir de saisir immdiatement des vrits simples, tandis que Spinoza lui confre la perception directe du rel, la jouissance de la chose mme. La conception spinoziste de la connaissance suprme, dans' le Court Trait, parait donc plutt avoir d'troites affinits avec le platonisme, ou pour mieux dire, avec le no-platonisme. Sur la nature et l'objet de la croyance droite comme sur le rapport qu'elle a avec la connaissance claire et distincte, le Court Trait est loin d'apporter des vues fermes et parfaitement cohrentes d'apparence. La croyance droite, ou la raison, nous apprend ce qu'il faut que la chose soit, non ce qu'elle est vritablement : elle ne nous unit donc pas son objet. En quoi contrihue-t-elle notre savoir thorique? Spinoza ne le dit point. En retour il lui attribue la proprit de con-

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cevoir l'homme parlait et de dterminer les moyens d'arriver cette perfection. (Deuxime partie, ch. iv.) Mais il a prcdemment dclar (Premire partie, ch. x, p.94-95), et il rpte ici que le bien et le mal sont de simples tres de raison ; que le bien n'est tel que pour quelqu'un et par rapport autre chose ; que les types gnraux d'aprs lesquels on tablit ces qualifications relatives de bien et de mal n'ont aucun fondement dans la ralit. (Cf. Eth., IV, Praif.) Ds lors on se demande, surtout s'il est admis que la connaissance procde de l'action de l'objet, comment la raison en vient forger ces concepts qui ne reprsentent rien en dehors de l'esprit, et comment il n'en rsulte pas pour elle, du fait de les forger, une connaissance illusoire plutt qu'une connaissance vraie. Peut-tre Spinozaa-t-il voulu signifier que la croyance droite, n'atteignant pas directement le rel dans ses dterminations individuelles et concrtes, le tourne en quelque sorte et le reprsente par des concepts ou des procds logiques gnraux. (V. 2e partie, ch. iv, p. 113.) Mais la question reste non lucide de savoir la relation qu'il y a entre de simples modes de penser et des tres rels, et Spinoza n'est pas encore arriv considrer qu'il y a d'autres notions que des notions gnrales pour tre le fondement d'une connaissance discursive vraie. Une autre source de difficults tient ce que la ligne de dmarcation tablie entre la croyance droite et la connaissance claire n'est pas toujours respecte. En principe, la croyance droite est incapable de, nous assurer le salut ; car, ne crant pas une union immdiate avec son objet, elle est impuissante surmonter la jouissance directe d'un bien sensible ; C'est seulement la connaissance claire et distincte qu'il revient de

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produire la sant de l'me et la batitude (2e partie, ch. xxi, xxn ; cf. ch. xiv, p. 140; ch. xix, note 1, p. 158.) Cependant dans d'autres passages (2e partie, ch. iv, p. 111 ; ch. v, p. 117 ; ch. xvm ; dbut du ch. ix), Spinoza semble attribuer \ la croyance droite une bonne part des effets salutaires qui paraissaient rservs la connaissance claire. Peut-tre son exacte intention tait-elle de montrer une faon d'carter voies la rgnration que seule la connaissance claire est vritablement capable d'oprer. Quant la connaissance claire, si elle peut, ainsi qu'en tmoigne l'exemple donn par Spinoza, s'appliquer des objets de diverse sorte, elle ne saurait tre dans sa perfection que la connaissance de Dieu ; car dans la croyance droite les obstacles et de prparer les

alors elle est absolument immdiate et ne dpend d'aucune autre, de mme que Dieu est absolument par soi et ne dpend de rien d'autre ; en mme temps elle nous rvle que nous ne pouvons sans Dieu ni exister ni tre conus, et elle fait de ce lien de dpendance un lien d'amour. (Deuxime partie, ch. xxu, p. 176.)

Avec le trait de la Rforme de l'entendement la thorie spinoziste de la connaissance accomplit un progrs trs considrable ; et d'abord ce progrs qui consiste accorder plus intimement l'explication de la connaissance avec les principes du systme ; et aussi ce progrs qui consiste envisager de prs dans la connaissance sa fonction proprement scientifique et ses mthodes rgulires. La connaissance n'est plus prsente comme le rsultat d'une influenee^dpl"chose sur l'esprit. La doctri ne du paralllism^ues atfrimtts, dont la significaSPINOZISME I k^f

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(ion est pistmologiquc en mme temps que mtaphysique, sans tre littralement invoque, est rigouAu lieu d'exprimer l'action reusement applique. totale des objets, les ides vraies expriment l'action propre de l'esprit ; elles drivent les unes des autres partir du principe premier et selon des rapports relle ds choses. (T. I, qui traduisent la connexion p. 13-14, 29-31, 35.) Ce n'est donc pas par des caractres extrinsques qu'elles rvlent leur vrit, par des caractres intrinsques, qui sont avant leur clart et leur distinction (p. 23). De l rsulte tout en ayant des objets hors d'elles, elles sont taines d'elles-mmes sans mais tout que, cer-

aucune atitre requrir marque de leur certitude. De l rsulte encore que la mthode n'est point un procd en vue d'atteindre les ides vraies, mais le procd immanent ces ides, par lequel elles s'engendrent selon l'ordre rgulier. C'est de la possession d'une premire ide vraie, quelle qu'elle soit, que l'entendement, par sa puissance native, se fait un instrument pour la production de nouvelles oeuvres intellectuelles (p. 10-14). Ainsi les ides claires et'distinctes,

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qui sont les ides propres de l'entendement, dcoulent de la seule ncessit de sa nature et dpendent de sa puissance seule (p. 36) ; De l'imagination elles manifestent sa pure activit. au contraire, facult passive dont le cours est dtermin par la succession fortuite de causes extrieures, naissent les ides obscures et confuse's, telles que, sont les ides fictives, fausses ou douteuses (p. 28*30. Cf. Ep. xxxvu, t. II, p. 144). Quand elles portent sur des essences, les ides fictives apparaissent comme composes, car le simple comme tel est l'objet d'une con et composes d'lnaissance claire et distincte,

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c'est--dire incapables de se incompatibles,ramnera des rapports simples*, quand elles portent sur les existences, les ides fictives admettent certaines choses comme possibles, faute d'en comprendre soit soit.la ncessit. Les ides fausses ne l'impossibilit, diffrent des ides fictives que parce qu'elles ne s'acments compagnent point de la conscience qu'elles sont forges : elles captent l'assentiment sans correctif et sans contrle. Enfin les ides douteuses sont telles uniquement parce qu'tant obscures et confuses, elles se trouvent dans l'esprit en conflit avec d'autres ides qui, n tant pas elles-mmes parfaitement claires etdistinctes, n'ont point la vertu de les dominer(p. 16-27). Spinoza, pour expliquer la diffrence de la connaissance certaine et des connaissances incertaines ou errones, s'approcartsienne de l'entendement prie donc la distinction et de l'imagination, mais de telle sorte qu'il la tient ni dans le pour suffisante, et qu'il ne fait intervenir jugement le libre arbitre, ni dans le doute ds raisons, telles quel'hypothse du malin gnie (p. 27). Fictives, fausses ou douteuses, les ides n'ont ce titre rien de positif, rien mme qui leur assure la conscience d'tre telles : elles ne peuvent s'estimer ainsi que par rapport aux ides vraies qui sont la mesure de tout le savoir (p. 20, 36). Le De Emendatione comme le Court Trait expose la nature et la porte des divers modes de connaissance, et entre les deux expositions il y a de sensibles analogies ; mais il y a aussi des diffrences. notables, plus mme, semble-t-ili qu'on ne le remarque d'ordinaire. Voici les quatre modes de connaissance que distingue maintenant Spinoza : 1 perception par ou-dire ou par quelque signe conventionnel : par exemple, je

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sais seulement par ou-dire quel est le jour de ma naissance ; 2 perception acquise l'aide d'une exprience d'une exprience qui n'est point vague, c'est--dire dtermine par l'entendement, et qui consiste simplement constater que tel faitse passe d'ordinaire ainsi, et n'a point trouv, du moins nos yeux, d'autre fait pour le contredire : par exemple, je sais que je dois a la proprit d'entretenir la mourir, que l'huile et l'eau celle de l'teindre ; 3* perception dans laquelle l'essence d'une chose se conclut d'une autre comme lorsque l'on chose, mais non adquatement, infre d'un effet une cause, ou comme lorsque l'on raisonne partir de quelque caractre gnral qui accompagne une certaine proprit. Par exemple, ayant peru flamme, que nous sentons tel corps et non pas un autre, nous concluons que notre me est unie notre corps, et que cette union est la cause de la sensation ; mais nous ne connaissons pas ainsi la nature de cette union ni de la sensation ; ou encore, sachant que c'est une proprit gnrale de la vue de faire apparatre les mmes choses plus petites une plus grande distance, nous concluons, que le soleil est plus grand qu'il ne parait ; mais nous ne dterminons pas par l la grandeur du soleil ; 4 perception qui nous fait essence ou par sa cause chose par sa seule essence, de la connaissance qu'on savoir qu'elle est unie au saisir la chose par sa seule prochaine. Percevoir une c'est, par exemple, en vertu a de l'essence de l'me, corps ; c'est encore savoir

que deux .et trois font cinq, que deux lignes parallles une troisime sont parallles entre elles, etc. Toutefois, ajoute Spinoza, les choses que j'ai pu jusqu' prsent saisir par ce mode de connaissance sont en fort petit nombre (p. 7-9). Ici encore, pour offrir un

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exemple commun ces divers modes de connaissance, il indique les diffrentes faons dont on peut dcouvrir le terme inconnu d'une proportion dont les trois autres termes sont donns : il fait correspondre au troisime mode de connaissance l'opration fonde sur les rgles des nombres et au gnrales de la proportionnalit directe et adquate del quatrime mode l'intuition proportion particulire en question (p. 9). La connaissance qui n'est obtenue que par ou-dire doit tre exclue de la science ; car, non seulement elle est tout fait incertaine, mais encore elle ne porte que sur l'existence singulire d'une chose sans en atteindre l'essence. De mme pour la connaissance par exprience vague; car, outre qu'elle n peut jamais puiser l'exprience relle ou possible, elle est prive de cette connaissance des essences qui seule lui permettrait de faire fond sur les accidents qu'elle observe. Le troisime mode de connaissance est sr ; mais il suppose son objet plutt qu'il ne le pose directement et sans dtour. Seul, le quatrime mode saisit l'essence adquate de la chose, sans risque d'erreur. C'est donc mettre en oeuvre ce quatrime mode de connaissance que nous devons nous employer : le Trait de la Rforme de l'entendement s'est principalement propos d'expliquer par quelle mthode. mode de connaisOr que comprend ce quatrime sance ? Sont-ce uniquement des objets intuitivement saisis ? On l'a gnralement cru pour cette raison que Spinoza, aprs l'avoir dfini, ne fournissait ou ne paMais raissait fournir que des exemples d'intuition. aurait-il dvelopp dans son Trait alors pourquoi surtout une thorie de la dduction, entendue comme un procd entirement diffrent de celui qui consiste,

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selon le troisime mode de connaissance, soit remonter de l'effet la cause, soit conclure d'une notion universelle quelque proprit dtermine? Observons, en outre, que le quatrime mode de connaissance doit comprendre des objets, non seulement par leur seule essence, mais encore c'est l pour Spinoza s'agit d'objets crs. ainsi dfinir le cercle par leur cause prochaine, et que une ncessit rigoureuse quand il Par exemple, ajoute-t-il, on devra

: une figure dcrite par une ligne quelconque dont une extrmit est fixe, et l'autre mocontiendra en elle la cause probile : cette dfinition chaine. Seuls, des objets incrs peuvent tre compris par leur seule essence (p. 32). Mais il apparat en tout cas que le quatrime mode de connaissance est autant la dduction vritable* que l'intuition. Car pour suivre la gnration rationnelle des objets des modes finis), il ne faut pas crs (c'est--dire oublier ce qu'avaientdit les anciens, que la vraie science procde de la cause aux effets (p. 29). Spinoza veut donc restaurer, peut-tre l'encontre de l'empirisme de Bacon, la mthode dductive, conforme d'ailleurs, non point celle des scolastiques, mais plutt celle de Descartes. Quand il s'agit d'tudier des choses relles, on doit bien se garder, dit-il, de raisonner partir de notions abstraites et universelles ; on doit faire attention que les choses expliquer sont des choses particulires, et que l'entendement avec ses axiomes gnraux ne peut descendre jusqu' elles. La meilleure conclusion sera toujours celle qui se tire d'une essence particulire affirmative; plus une ide est spciale, plus elle est distincte, et claire par consquent (p. 31-32, p. 25-26). Dans la suite des causes, il faudra donc toujours aller d'un tre rel \\ un tre rel. Mais ce n'est

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poini dire que l'on doive se contenter d'observer les choses dans leur ordre de changement et dans leur succession ; car les circonstances de leur apparition > d'abord vont l'infini, et ensuite ne nous apprennent rien de leur essence. Cette essence ne peut tre demande qu'aux choses fixes et ternelles et en mme temps aux lois qui y sont inscrites comme dans leurs vritables codes et selon lesquelles toutes les choses singulires se produisent et s'ordonnent... Ces choses fixes et ternelles, bien qu'elles soient singulires, seront donc pour nous, cause de leur prsence partout et de leur puissance qui s'tend au plus loin, comme des universaux ou des genres de dfinitions de choses singulires (p. 33). Que sont donc ces choses fixes et ternelles qui permettent la dduction de saisir les essences des tres particuliers ? Ce ne peuvent tre dans la pense de Spinoza que les attributs et les modes infinis ; ainsi les lois du mouvement expliquent la gnravarit des figures, tion par l'tendue de l'innombrable et par suite des corps particuliers ; ces attributs et ces modes infinis, on peut les appeler des universaux si l'on songe au rle qu'ils jouent comme principes communs d'explication des choses particulires ; mais ils sont en eux-mmes singuliers, car ils ne sont pas telle ou telle qualit gnrale ; ils ont chacun une ralit constitue par une nature absolument unique. Tel est donc le caractre et tel est le fondement de la dduction qui doit comprendre les choses par leur cause prochaine et non pas seulement par leur essence. Spinoza vtt videmment ici rapprocher la certitude de la dduction, telle qu'il l'entend, de celle de l'in la tuition, tout en paraissant rserver l'intuition des choses incres qui peuvent se connaissance

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entirement pat leur essence seule. Le comprendre Court Trait, levant l'intuition fort au-dessus du raisonnement, lequel est inadquat, lui assignait pour objet principal Dieu ; le Trait de la Rforme de l'entendement fait de la dduction un procd la fois certain et adquat, et semble mettre sous son empire toute la connaissance crs, tandis que YEthique introduira nettement l'ide d'une intuition immdiate en Dieu des essences ternelles des tres particuliers. Ici donc Spinoza s'attache surtout expliquer comment la vraie connaissance, allant de la cause l'effet ou du principe la consquence, doit toujours partir de l'existence d'un Etre qui soit cause et principe de tout, de telle faon que de l'ide de cet Etre elle drive avec certitude toutes les ides qui reprsentent l'ordre et l'enchanement de la nature (p. 32-33, p. 13). Ce n'est pas dire qu'il ait nglig l'utilit de autre que 1' exprience vague ; l'exprience il a eu au contraire le dessein de la montrer, tout en voulant sans doute combattre la mthode des empiriques (p. 10, note) ; mais par suite de l'inachve-, ment de son Trait, il se trouve ne l'avoir qu' peine indique. Quelles choses doivent tre connues et dans quel ordre, nous ne pouvons l'apprendre, pour les raisons qui ont t dites, de la simple succession des existences ; mais nous ne pouvons l'apprendre non plus del considration des choses ternelles, car dans l'ternit tout est donn la fois. Il nous faudra donc d'autres secours ', il nous faudra savoir nous servir de nos sens et faire d'aprs ds rgles et dans un ordre des expriences suffisantes pour dterminer la que nous tudions, de faon en conclure enfin quelles lois des choses ternelles elle est faite et arrt chose selon voir des tres

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se rvler

notre

connaissance

sa nature

intim

(p. 34.) L'exprience parat donc indispensable pour les donnes des questions rsoudre, dterminer quand il s'agit des choses cres dont l'essence n'enveloppe pas l'existence (cf. Ep. x, t. II, p. 35); mais c'est l'entendement seul qu'il appartient de rsoudre ces questions, et par des raisons qui expriment les choses non tant dans la dure que sous une certaine forme d'ternit (t. I, p. 36). L'Ethique systmatise la thorie qu'a expose le De Emendatione et laquelle elle renvoie (II, prop. xi, schol.) ; en outre, elle la prsente ou la modifie de et la la fonction scientifique faon coordonner fonction pratique ou religieuse de la connaissance. selon la conception expresse du parallD'abord, lisme, la convenance avec l'objet, si elle sert toujours dfinir la vrit (I, ax. vi), n'est plus tenue cependant que pour une dnomination extrinsque de l'ide vraie ; l'ide et son objet sont une mme ralit, exprime seulement sous deux attributs diffrents; par suite, l'ide comme telle n'est pas reue de l'objet elle est un concept que l'me se forme titre de chose pensante. (Eth., II, dfin. m et iv, prop. v.) L'ide vraie, avant de s'accorder avec son objet ou idat, a des caractres intrinsques qui la font telle. Et c'est aussi par ces caractres intrinsques qu'elle se rvle vraie ; car lorsqu'on a une ide vraie, on sait en mme temps qu'on l'a *, la vrit est elle-mme sa propre norme. (II, prop. XLIII.) En principe, toutes les ides sont vraies, puisqu'elles rsultent ncessairement de l'essence divine ; il n'y a rien en elles de positif qui en constitue la fausset.

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D'o vient pourtant que nous (II, prop. xxxn-xxxiii.) nous trompons? De ce que certaines ides, au lieu de se rapporter Dieu en tant qu'il constitue l'ordre total de la nature, se rapportent Dieu en tant qu'il constitue des mes humaines particulires, c'est--dire des ides de corps particuliers ; et ainsi les affections de chaque corps humain, au lieu de se laisser ramnera l'enchanement causal qui lie les modifications de tous les corps d'un mme univers, ramnent elles les affections des corps extrieurs comme une sorte de ralit plus ou moins dtache de l'ensemble ; et ainsi encore les ides des affections du corps humain comme des affections des corps extrieurs qui le modifient, au lieu de conformer en chaque me la connaissance l'ordre vritable de la nature universelle, se proportionnent l'individualit en quelque sorte isole de cette me ; elles se succdent selon les rapports fortuits qu'a cette me avec les objets extrieurs, loin de se lier selon les rapports rels et ncessaires que cette me a dans le fond avec le tout dont elle fait partie (Eth., II, prop. xvi-xxxvi.) Ce sont des ides confuses, inadquates, c'est--dire comme des consquences spares de leurs prmisses. (Eth., II, prop. xxvm.) Elles rendent l'me passive, car bien qu'elles ne soient des pas engendres rigoureusement par l'influence choses extrieures, elles ne font que reproduire la srie variable et le plus souvent incohrente des affections du corps, tandis que les ides claires et distinctes, les ides adquates, n'appartiennent pas seulement l'me comme chose pensante, elles expriment sa nature la plus intime et la plus essentielle; elles sont son action mme. Nos eatenus tantummodo agimus qiiatenns intelligimus, (Eth., IV, prop. xxiv. Cf. Eth., III, prop. i, prop. m.)

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a son origine dans les ides inadquates, ou plutt dans le caractre inadquat de certaines ides ; car les ides inadquates ne sont pas fausses en tant qu'ides; elles ne peuvent le devenir qu' l'occasion et du dfaut de connaissance qu'elles enveloppent, L'erreur avec les rationnelle qui les privent de connexion autres ides prises dans leur ensemble. Elles ne la deviennent effectivement fausses qu'en s'attribuant valeur d'ides adquates. Quand nous contemplons l soleil, nous nous imaginons qu'il est loign de nous d'environ deux cents pieds : c'est l une ide inadquate. Or l'erreur ne consiste pas prcisment dans cette ide, qui contient mme quelque chose de positif et de vrai, puisqu'elle exprime l'espce d'affection ncessairement suscite dans notre corps par le soleil ; elle consiste en ce que nous prenons l'ide de la distance imagine pour la distance vritable, faute d'avoir une ide adquate de cette dernire. L'erreur n'est pas l'ignorance pure et simple ; elle est l'ignorance de la vrit complte qui fait que nous prenons pour complte une vrit plus ou moins incomplte. (Eth. Ai, prop. xvn, schol. ; prop. xxxv.) Cette thorie spinoziste de l'erreur se rapproche de la thorie cartsienne en ce qu'elle n'admet dans l'erreur rien de positif ; mais elle s'y oppose trs vigoureusement en ce qu'elle ne consent admettre pour 1'ex.plication de l'erreur ni la dualit ni plus forte et de la de l'entendement raison la disproportion. volont : il n'y a pas de volont qui puisse affirmer quoi que ce soit par del l'entendement, conu comme l'ensemble des ides ; volont et entendement ne font qu'un ; c'est--dire que toute ide tend d'elle-mme s'affirmer, et que la force relle de l'affirmation dpend

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uniquement de la clart de l'ide. (Eth., II, prop. xxxmcartexxxvi, prop. xLViii. Cf. Principiaphilosophie sianx, Proef., t. II, p. 378.) La vrit et l'erreur tant ainsi expliques, que sont par rapport elles nos divers modes de connaissance ? Spinoza dans l'Ethique en compte trois, le premier tre encore subdivis : 1 connaispouvant d'ailleurs sance du premier genre, c'est--dire opinion ou imagination : elle comprend d'abord les choses singulires que les sens reprsentent d'une faon mutile, confuse, et sans aucun ordre; c'est la connaissance par exprience vague; elle comprend ensuite les signes au moyen desquels nous nous reprsentons les choses selon des et des liaisons gnrales indtermines proprits d'images accidentelles ; 2' connaissance du second genre, ou raison : elle comprend les notions communes et les ides adquates des proprits relles des choses, notions et ides qui sont le fondement de notre raisonnement ; 3 connaissance du troisime genre, ou science intuitive : elle procde de l'ide adquate de certains attributs de Dieu la connaissance adquate de l'essence des choses. Spinoza, une fois de plus, donne comme exemple la recherche du quatrime terme d'une et il observe que, si les trois nombres proportion, nous fait saisir donns sont 1, 2 et 3, l'intuition le nombre 6 avec une clart suprieure ; mais il dclare, la diffrence de ce qu'il avait dit dans le De Emendatione, que la dcouverte du nombre 6, quand elle est fonde sur la proprit commune . des est non seulement sre, mais nombres proportionnels, encore adquate. En tout cas, la connaissance du premier genre esl l'unique cause de la fausset des ides ; la connaissance du second et celle du troi-

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siine genre sont ncessairement


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vraies. (Eth.) prop.

Qu'entend Spinoza par les notions communes qui sont l'objet de la connaissance du second genre ? D'abord il ne faut pas les confondre avec les ides avec les universaux, au sens ordinaire universelles, de ce dernier mot. Sur le problme de la porte des universaux, Spinoza se montre d'autant plus dcidment noininaliste qu'il explique la formation de ces de lame retenir les diffides par l'impuissance rences de choses plus ou moins semblables, et par sa tendance n'en conserver que de vagues caractres analogues, diversement perus encore selon les individus. (Eth., II, prop. XL.) S'il arrive Spinoza le terme de notions universelles pour d'employer dsigner les notions communes (Eth. V, prop. xxxvi, schol.), c'est que les notions communes jouent dans la connaissance des choses particulires qui relvent d'elles le rle de principes applicables toutes ; mais elles ne se constituent point et elles ne fonctionnent point la faon d'ides reprsentant des genres et des espces. Les notions communes mritent d'tre appeles ainsi surtout en raison de leur objet. Ce qui est commun toutes choses, dit Spinoza; ce qui se trouve pareillement dans la partie et dans le tout, ne peut tre conu qu'adquatement. (Eth., II. prop. xxxvm.) Tous les corps, dit auparavant, ont ceci de commun qu'ils avait-il enveloppent le concept d'un seul et mme attribut, l'tendue, et qu'ils peuvent soit tre en mouvement, soit tre en repos, ou encore se mouvoir avec plus ou moins de lenteur, plus ou moins de vitesse. {Eth, II, prop. XIII, Axiom. et Lemm.) Ce sont les notions de

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ces proprits communes qui permettent d'expliquer les choses particulires. Or o sont ces proprits communes, malgr ce qu'ont d'incomplet l-dessus les indications de Spinoza, sinon dans les attributs et les modes infinis, sinon dans les choses fixes et ternelles >>et les lois qui y sont inscrites , ainsi que le dit le De Emendalionc ? Au reste, un passage du Trait thologico-poliliquc confirme incidemment que tel est bien l'objet des notions communes '.Sicuti in scrutandis rbus nuluralibus ante onmia investigare conamur res maxime universales el toti Naturx communes, videlicet motum et quietem, eorumque leges el rgulas quas Natura semper observt et per quas continuo agit, et ex his gradatim ad alia minus universalia procdants... (Cap. vu, 1.1, p. 465.) De mme que dans l'tude des choses naturelles, nous devons nous appliquer rechercher avant lout les choses les plus universelles et qui sont communes la Nature entire, savoir le mouvement et le repos, ainsi que leurs lois et leurs rgles que la Nature observe toujours et par lesquelles elle agit constamment, puis aller de l par degrs aux autres choses moins universelles Les notions qui ont pour objet les proprits communes sont aussi communes tous les hommes (Eth., II, prop. xxxvln, cor.), et cet autre point de vue, l'expression de notions communes retrouve le sens traditionqu'elle avait dans la langue philosophique nelle, dans la langue.mme de Descartes, le sens de vrits communment admises pour leur vidence immdiate, le sens d'axiomes. (Y. Descartes, Med. Sec. t. VII, p. 164. V. aussi Resp., Ed. Adam-Tannery, Spinoza, Eth., 1, prop. vin, schol. 2.) Les notions communes font considrer les choses

NATURE

DE

LA

CONNAISSANCE

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comme ncessaires, et sous une certaine forme d'ternit (Eth., II, prop. XLIV) ; applicables sans doute aux choses singulires, elles ne permettent de les atteindre que par des rgles qui les font dpendre les unes des autres selon un ordre que la dduction tablit. Mais ce qui est commun toutes choses et se trouve pareillement dans la partie et dans le tout ne l'essence d'aucune chose singulire (Eth., II, prop. xxxvn) ; c'est le propre de la connaissance du troisime genre d'aller jusqu' cette essence; elle procde, nous l'avons vu, de l'ide adquate de l'essence de certains attributs de Dieu la connaissance adquate de l'essence des choses, et elle est intuitive. Elle saisit les essences des choses comme ternelles la fois et singulires (Eth., V, prop. xxiv, prop. xxxvi), et elle les saisit dans leur rapport direct et intime avec Dieu. (Eth., II, prop. XLVII, schol.) Au fond, elle ne dpend de l'me que parce que l'me elle-mme est ternelle et qu'elle a conscience de l'tre en mme temps que d'tre unie indissolublement valeur suprme qu'a pour notre genre de connaissance. Ainsi Dieu. D'o la salut ce troisime, constitue

YEthique parachve l'effort accompli par Spinoza pour relier au' savoir qui explique les proprits del nature matrielle et de l'me humaine le savoir qui assure la vie bienheureuse (Eth., Y, prop. xxvni) ; effort qui a tendu prciser de plus en plus compltement, sous l'influence de Descartes, les conditions et la mthode du savoir thorique et rationaliser davantage ce mode suprieur de connaissance Le prpgrs qui en est rsult n'a qu'est l'intuition. le dessein qu'avait point affaibli, bien au contraire,

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LE

SPINOZISME

de la connaissance les notions Spinoza d'liminer les gnrales abstraites pour lui permettre d'attendre essentielle, directement tres dans leur individualit dpendante de l'essence divine. D'autre part, latrite des ides a t de plus en plus nettement dfinie comme appartenant la nature intrieure et comme propre de l'a me ; mais ce n'est exprimant l'action point l rigoureusement autonomie ; c'est automatisme spirituel, comme dit Spinoza dans le De Emendatione (t. I, p. 29), en prenant ce mot dans le sens d'une activit de l'esprit rgle par des lois qui s'imposent absolument elle, et qui par consquent ne proviennent point d'elle. Mme s'il se dveloppe selon ses vertus natives, l'entendement ne fait qu'exprimer une ralit qui, soit dans son principe suprme, soit dans ses manifestations ncessaires, existe indpendamment de lui ; d'o le genre d'influence qu'il exercera sur l'homme pour le librer, cl qui consistera, non point une sorte de mouvement crateur vers lui imprimer ce qu'il doit tre, mais lui apprendre ce qu'il est vritablement de toute ncessit et de toute ternit,

NEUVIEME

LEON.

La

nature de son

humaine

et la loi

dveloppement.

tout pour dterminer les lois et la direction de la vie humaine qu'ont t constitues la mtaphysique spinoziste et la thorie spinoziste de la connaissance, et ce qu'elles nous apprennent sur la nature essentielle de l'homme doit nous expliquer de quelles conditions dpendent pour l'homme la flicit et le salut. Or ces conditions excluent rigoureusement le libre arbitre. La ngation du libre arbitre et l'affirmation de la ncessit universelle ne sont pas seulement, au reste, des consquences du systme : elles en sont des motifs inspirateurs. Il s'en faut bien, crit Spinoza, que mon opinon sur la ncessit des choses ne puisse tre entendue sans les dmonstrations de YEthique; celles-ci au contraire ne peuvent tre.entendilesqucsi cette opinion a t pralablement comprise. (Ep. xxvu, t. II, p. 118. - Cf. Ep. LXXV, p. 242.) du libre arbitre rsulte d'abord L'impossibilit de ce que toute chose qui est dtermine produire quelque effet est ncessairement dtermine par Dieu le produire, et ne peut se rendre elle-mme indtermine, de ce que, autrement dit, il n'y a rien de contingent dans la nature. (Eth, I, prop. xxvi-xxix. Cf. Court Trait, premire partie, ch. vi.) Si l'on prle facilement la volont ce caractre d'indtermination qui est le propre du libre arbitre, c'est que l'on oublie que la volont n'est qu'une notion abstraite et gnrale,
SI'INO/ISMK 8

C'est avant

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LE

SPINOZISME

dtache

des actes singuliers de par l'imagination volont seuls positifs et rels : il n'existe en fait que des volitions particulires, qui, comme tous les modes finis, sont des termes ncessaires dans la srie des causes. (Court Trait, deuxime partie, ch. xvi ; Eth., I, prop. xxxu ; II, prop. XLVUI.) Cependant, si le libre arbitre n'est qu'une fiction, d'o vient que les hommes y croient comme une ralit incontestable? Celte croyance a pour point de dpart un fait positif, mais qui, faute d'une explication rationnelle, est l'objet d'une interprtation imaginaire. Le fait positif, c'est que dans bien des cas nous avons conscience d'accomplir des actions conformes nos dsirs ; or, comme nous ne connaissons pas les causes ces actions et qui les ratexternes qui dterminent tachent, ainsi que notre existence mme, l'ensemble de la nature, nous rapportons nous-mmes l facult de les produire, et nous dotons cette facult d'une indiffrence qui correspond l'indtermination de notre savoir. De mme une pierre, mue par une cause extrieure et continuant de se mouvoir quand la cause motrice a cess d'agir, si elle avait conscience de son se figurerait que c'est sa volont libre qui impulsion, la fait persvrer dans son mouvement. Tel est ce libre arbitre dont les hommes sont si fiers : ils ne l'admettent dans le fond que parce qu' la conscience de leurs actions se joint l'ignorance des causes relles qui les engendrent. Quand cette croyance s'est ainsi impose leur esprit, elle entrane avec elle de bien fausses notions de l ralit ou de la porte de leurs actes : eue invoque en sa faveur la faiblesse de certains dsirs, qui rellement n'est qu'impuissance, afin de mieux exalter la force suppose de la volont ; elle

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aussi par le fait du doute, comme prtend se justifier si la suspension du jugement ne rsultait pas d'une opposition ncessaire d'ides qui n'a pu encore aboutir la prdominance dfinitive d'elles. d'aucune (Eth,\\\, n, schol; Ep. LVUI, t. II, p. 208.) Mais, objecte-t-on de toutes parts, la doctrine de la ncessit est contraire aux exigences de la morale et de prop. la religion. quoi donc ? rpond Spinoza. Est-ce des actes bons et des\ qu'elle supprime la distinction actes mauvais, tout autant que cette distinction est En Car ces actes sont bons ou maulgitime? Nullement. vais par une proprit qui est eux et qui leur reste adhrente, de quelque faon qu'on l'explique ; et par consquent ils sont toujours soit dsirer, soit fuir. Mais, s'ils sont bons, ils mritent d'tre rcompenss, comme, s'ils sont mauvais, ils mritent d'tre punis. Sans doute ; ou pour parler plus exactement, c'est en eux-mmes qu'ils portent, soit leur rcompense, soit leur punition : la vertu et l'amour de Dieu impliquent en eux la joie, comme la mchancet et le vice impliquent en eux la tristesse, ou tout au moins sont de la joie propre la vertu, ou encore provoquent contre eux les rpressions sociales. C'est prcisment dans la doctrine de la ncessit que le rapport de la sanction l'acte ne risque pas d'tre accidentel Mais si c'est ncessairement et arbitraire. que les hommes pchent, n'est-ce pas qu'ils sont excusables devant Dieu ? Qu'entend-on par l ? Que Dieu ne peut s'irriter contre eux et ajouter leur privs impuissance comme un n'est plus vrai. Veut-on vicieux devraient taient vertueux de peine ? Rien supplment dire que les mchants et les

tre par rapport Dieu comme s'ils et bons ? On aboutit alors cette

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LE SPINOZISME

absurde qu'ils devraient tre tenus pour essentiellement autres qu'ils ne sont. Pourquoi donc, insiste-t-on, ne sont ils pas autres ? Et ne sont-ils pas fonds protester Cintre la condition qui leur est faite? - Rclamation non moins absurde. Admettrait-on que le cercle se plaignit de n'avoir pas les proprits de la sphre ? De mme un homme dont l'Ame est impuissante ne peut tre reu se plaindre d'tre incapable de contenir ses passions et de n'avoir pas en partage la connaissance et l'amour de Dieu. Et Spinoza, s'appropriant la parole de saint Paul, dclare que nous somjnes entre les mains de Dieu comme l'argile entre les mains du potier qui peut fairede la mme matire un vase d'honneur et un vase sans que le vase puisse jamais dire d'ignominie, celui qui 1a faonn : Pourquoi m'as-tu fait ainsi ? La doctrine de la ncessit reconnat donc les relations * intrinsques qui, en faisant dpendre les actes humains de la puissance divine, en dterminent et en sanctionnent parla mme le degr de perfection, tandis que la doctrine du libre arbitre ne rclame une fausse libert que pour une fausse morale et une fausse religion! {Ep, xix, t. II, p. 69 ; Ep., xxi, p. 92 sq. ; Ep, XLIU, p. 171-172! ; Ep. LXXV, p. 242-243 ; Ep. LXXVIII; #//i., II, prop. XLIX, schol.) Il y a, en effet, une vraie libert de l'homme, mais qui est tout juste l'oppos du libre arbitre ; elle est caractrise par la ngation de toute contingence et de toute indiffrence, par l'affirmation de la ncessit qui fait resulirffle notre seule nature certains de nos actes. Par exemple^ nous -connaissons ce qu'est Dieu, l'affirmation d son existence suit de notre nature avec toul autant de ncessit qu'il suit de la nature du triangle

conclusion

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que la somme de ses angles gale deux droits ; et cependant nous ne sommes jamais plus libres que de cette sorte. quand nous affirmons une vrit (Ep, xxi, t. II, p. 91-95.) Ainsi nous sommes libres, non pas parce que notre action serait sans raisons, mais lorsque nous comprenons en nous toutes les raisons de notre action. , Le dterminisme de Spinoza n'est pas un fatalisme, car il admet que la ncessit laquelle obit l'homme, loin d'tre toujours pour lui une contrainte venue du dehors, peut lui tre intrieure, s'identifier, grce la connaissance vraie, avec la puissance propre de sa nature, et constituer de la sorte sa libert. Mais c'est un dterminisme raliste qui ne considre dans les actes humains que leur contenu objectif et que leur rapport objectif des conditions ternellement poses dans l'tre, et qui exclut absolument, comme ngligeables ou comme causes d'illusion, les formes subjectives sous lesquelles la conscience se reprsente et par elle croit pouvoir produire en quelque lesquelles mesure son action. Qu'est-ce donc qui rgle le cours de l'existence humaine ? Ce ne peut tre un principe spcial l'homme, et qui ferait de l'homme dans la nature comme un empire dans un empire. Ce n peut tre qu'un principe qui s'applique toute existence naturelle, et le voici : Unaquoeque res, quantum in se est, in suo esse perseverare conatur. Chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persvrer dans son tre. (Eth., III, prop vi.) Toutes les tendances humaines ne sont que des expressions de cet effort. Quand cet effort se rapporte l'me seule, il s'appelle volont ; quand il se rapporte

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LE SPINOZISHK

l'me et nu corps *la fois, il s'appelle apptit ; quand l'apptit s'accompagne de la conscience de lui-mme il s'appelle dsir, (ith, III, prop. vin.) Mais c'est dans de chaque tre, quel qu'il soit, pour persvrer dans son tre que se trouve la loi qui explique toutes ses manires d'tre. Cette loi parat tre simplement la loi de l'inertie, et elle correspond sans doute ainsi au dessein qu'a Spinoza de rejeter de l'tre humain, comme de tout tre en gnral, des causes spontanes de changement. Descartes avait donn, en effet, de la loi de l'inertie la formule suivante : Unahxquamque remtquatenus est simple* et indivisa, matire, quantum in se est, in eodem statu, nec unqnam mutari nisi a causis ex temis (Principia VIII, p. 62) ; et philosophie, II, 37, d. Adam-aunery, dans ses Principia philosophie cartesianoe, Spinoza a de Descartes. reproduit exactement cette proposition (Pars II, prop. xiv, t. II, p. 432.) En fait, le spinozisme ne soutient-il pas que l'existence et les modifications d'un tre (ini, quel qu'il soit, sont conditionnes par les existences et les modifications des autres tres de l'univers ? Et n'est-ce pas l une satisfaction qu'il donner aux exigences du mcalogiquement nisme? D'autre part, tout en faisant dpendre de conditions externes les changements des tres, il n'en admet pas moins, suivant la loi mme de l'inertie, que chaque tre rpond par sa puissance propre la puissance des causes extrieures. Cependant, considre dans son sens et dans ses doit applications, la proposition de Spinoza n'est-elle que la sans plus ? Spinoza en loi de l'inertie gnralise, dduit aussitt que l'homme 'est ainsi dtermin rechercher ce qui sert sa conservation. (Eth., III, l'effort fondamental

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prop. ix, schol.) Or la persvrance dans un mme tat mcanique et Intendance se conserver comme tre peuvent-elles tre identifies ? Que la tendance se conserver et poursuivre les choses qui peuvent servir sa conservation soit la loi premire de l'tre vivant, c'est ce que les stociens avaient dj nettement affirm (V. Cicron, De finibus, III, 5), et il est extrmement vraisemblable que c'est au stocisme on la tradition stocienne que Spinoza a emprunt la ligne Mais chez les stociens gnrale de sa proposition. cette loi tait prsente sous une forme nettement finaliste, et de faon riger l'objet de la tendance en fin de la tendance mme. C'est prciquasi distincte sment cette, interprtation finaliste commune de la loi, spcialement applique aux tres vivants, que Spinoza semble au contraire s'tre efforc de rejeter. Ou plutt il prtend bien ramener la vie cette loi, mais entendue comme l'expression d'une puissance communique aux tres finis par la seule ncessit de l'essence divine : Nous entendons par vie, dit-il dans les Cogitata metaphysica, la force par laquelle les choses persvrent dans leur tre. (Pars II, cap. vi ; t. H, p. 487.) Ainsi la vie n'a rien de spcifique, et les notions plus ou moins confuses par lesquelles d'ordinaire on la reprsente n'ont aucune valeur explicative propre : l'effort pour persvrer dans l'tre, auquel elle se ramne, n'est point une spontanit qui se dtermine sous la raison de fins. Mais, tel que Spinoza l'admet, cet effort ne comporte-t-il pas dans le fond une certaine spontanit et une finalit d'un autre genre ? Voyons d'abord en vertu de quelles considrations il est pos comme loi. Dans le Court Trait, qui use plus volontiers que Ythique

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I.K

SPINOZISME

des expressions thologiques courantes, sauf a les interprter dans un nouveau sens, il est identifi avec la Providence. La Providence, dit Spinoza, n'est pas autre choso pour nous que la tendance, que nous trouvons dans la nature entire et dans les choses particulires, ayant pour objet le maintien et la conservation de leur tre propre. Car il est vident qu'aucune chose ne peut par sa propre nature tendre l'anantissement d'elle-mme, mais qu'au contraire chaque chose a en elle-mme une tendance a se maintenir dans le mme tat et s'lever un meilleur. De sorte que, suivant cette dfinition donne par nous, nous posons une Providence universelle et une particulire. La Providence universelle est celle par laquelle chaque chose est produite et maintenue en tant qu'elle est une partie de la nature entire. Lu Providence particulire est la tendance son tre maintenir qu'a chaque chose particulire propre, en tant qu'elle n'est pas considre comme une partie de la nature, mais comme un tout. (Premire partie, ch. v, p. 79.) Par cette faon de concevoir la Providence et ' de distinguer entre la Providence universelle et la Providence particulire; Spinoza justifie donc l'existence individuelle comme telle, et il la justifie ainsi d'autant plus ses propres yeux qu'il l'unit Dieu par une relation de ncessit interne, et non de finalit externe. La dmonstration de l'Ethique, sans faire appel l'ide de Providence, mais en retenant de cette ide ce que le systme peut en-admettre, explique de la mme faon l'effort de chaque tre pour persvrer dans son tre : les choses singulires sont des modes par lesquels les attributs de Dieu s'expriment d'une manire certaine et dtermine; autrement dit, des

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choses qui expriment d'une manire certaine et dtermine la puissance par laquelle Dieu est et agit ;' or aucune de ces choses n'a en elle rien par quoi elle voil pourquoi chacune d'elles puisse tre dtruite; s'efforce autant qu'elle le peut de persvrer dans son tre ; et cet effort n'est que l'essence de cette chose en tant que pose dans l'existence, en tant qu'actuelle. (/i7/t., III, prop. iv-vm.) Certes, du moment que chaque chose reoit d'autres choses de la nature et son existence et ses modifications, l'effort qu'elle fait pour se conserver peut n'apparatre que comme une expression de la loi de l'inertie; mais ds qu'elle est aussi et avant tout une essence, ds qu'elle a une nature individuelle qui la dfinit positivement avant qu'elle soit amene l'existence par la srie des causes externes, elle n'est pas seulement une partie de l'univers total, elle est un tout sa faon, et comme une unit de concentration pour le mcanisme de ses tats. Peut-on mme se borner dire que, dans la doctrine spinoziste, Tordre des essences fonde le mcanisme en le laissant oprer, sans le spcifier et sans le diriger dans les mes humaines ? Assurment il semble que l'effort pour persvrer dans l'tre ait pour effet la simple conservation de tous les tats, quels qu'ils soient, qui affectent l'me. L'me, en tant qu'elle a des ides claires et distinctes, et aussi en tant qu'elle a des ides confuses, s'efforce de persvrer dans son tre {Eth.y III, prop. ix.)Il semble, d'autre part, que les causes qui augmentent ou diminuent la puissance de l'me la dterminent du dehors. Mais l'on voit bien ce par la suite que lame fait plus que maintenir qu'elle a reu i L'me, dit Spinoza, s'efforce d'imaginer cela- seulement qui pose sa propre puissance

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SPINOZISME

d'agir. (Eth., III, prop. MV; cf. prop. xuetsq.)Par cet effort, qui s'approprie de plus en plus toutes les causes de joie et qui rejette de plus en plus toutes les causes de tristesse, l'me, selon l'expression franchement finaliste du Court Trait, tend s'lever un tat meilleur ; elle s'attache de plus en plus, selon Yfithique, cela seulement qui aflirme sa puissance dterminante des causes propre hors de l'influence extrieures. Et ainsi elle peut tre la cause complte ou adquate de certains effets; c'est--dire qu'alors elle agit vritablement. Nous sommes actifs, selon la dfinition de Spinoza, (Eth.., III, def. H), lorsque, en nous ou hors de nous, quelque chose se fait dont nous sommes la cause adquate, c'est--dire lorsque, en nous ou hors de nous, il suit de notre nature quelque chose qui peut tre clairement et distinctement compris par elle seule./ Nous sommes passifs au contraire lorsqu'il se fait en nous ou lorsqu'il suit de notre nature quelque chose dont nous ne sommes la cause que partiellement. Or, qu'il y ait des tres actifs de cette sorte, capables de produire des effets qui ne relvent que d'eux, que l'effort pour persvrer dans l'tre se mesure au degr d'activit ou de puissance positive qu'implique l'essence de chaque tre, et tende plus ou moins, travers les dterminations par les causes c'est ce externes, remonter jusqu' son principe, que ne saurait comporter par lui seul le mcanisme. Par la faon dont il est dduit et par la faon dont il de la nature humaine, explique le dveloppement l'effort dechaque tre pourpersvrerdanssontrenepeut et que momentanment se ramener qu'extrieurement l'inertie ; conu comme la ralisation d'une essence, s'il rejette toute finalit externe, il n'en introduit pas

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moins une sorte d'quivalent de la finalit intern. Au met beaucoup moins qu'on reste, cette interprtation ne pourrait le croira le spinozisme en dsaccord avec de Spinoza est ses prmisses; car le dterminisme gomtrique plutt que mcanique, et il a son type dans le rapport interne qui drive de la notion les proprits qu'elle comprend, plutt que dans la relation externe qui fait dpendre un tat d'autres tats : n'est avec l'effort qui lui appartient, l'individualit, pas un simple enchanement de faits : elle est une dfinition singulire qui se ralise. Voil donc de quelle faon le dveloppement de la nature humaine drive de l'effort de tout tre pour peraccord entre cette svrer dans son tre ; maisya-t-il conception qui parait faire de la tendance la fonction de l'me et la conception qui a consist primitive poser l'me essentiellement comme ide ou connaissance, ideasive cognitio. (Eth., II, prop. XIX-XXIV.) La soutenue parat exiger que tous les moments de son dveloppement, parla diversit.de ses manires de connatre et de ses objets de connaissance ; et de fait, dans le Court Trait, Spinoza met expressment dans la connaissance la cause prochaine de tous nos tats affectifs. (Partie II, ch. u, p. 104 ; ch. m, p.. 105.) Si nous dsirons une chose, c'est que nous la jugeons bonne : la reprsentation de l'objet dsir est la cause doctrine antrieurement l'me soit caractrise, dterminante du dsir. Spinoza accepte donc alors la thse scolastique Ignoti nulla cupido. Or il semble la coriibattre expressment dans YEthique : De tout cela il rsulte que ce qui fonde l'effort, le vouloir, l'apptit, le dsir, ce n'est pas qu'on ait jug que l'objet en est

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LE

SP1N0/.LSME

bon ; mais au contraire on juge qu'une chose est bonne parce qu'on y tend par l'effort, la volont, l'apptit, le dsir. (III, prop. tx,schol.) Cette affirmation, que l'on croit voir ici, de l'antriorit du dsir par rapport la connaissance, a t releve comme le signe, soit d'un de la psychologie de certain nntwntellectualisme Spinoza (V. Th. Hibot, la Psychologie des sentiments, qui se serait p. -131), soit d'un certain volontarisme introduit tardivement dans le systme, trop tardivement pour le modifier et le reconstituer en entier selon nouvelle. Sindie ;ur cette direction (V. Tnnies, Entwickelnngsgeschichte des Spinoza, Vierteljahrschrift fur wissenschaftliche Philosophie, 1883, Vil, p. 158 sq.,p. 331 sq.) Ce qui pourrait rendre plausible cette dernire conjecture, c'est que dans cette neuvime proposition de la troisime partie de YEthique, la volont est rapproche de l'effort, de l'apptit et du dsir/tandis que dans la deuxime partie de YEthique, comme dans le Court Traitt\n volont est compltement distingue comme la facult ] du dsir et conue uniquement d'afirmeret de nier : Il faut noter ici que par volont j'entends la facult d'affirmer et de nier, non le dsir ; j'entends, dis-je, la facult par laquelle lame affirme ou nie ce qui est vrai ou faux, et non le dsir par lequel 'l'Ame prouve de l'inclination ou de l'aversion pour les choses . [Eth., II, prop. XLVIH, schol.) Ces deux manires d'entendre la volont sont-elles si peu concordantes qu'il le semble? Remarquons d'une part que l'effort pour persvrer dans l'tre n'est appel volont que quand il se rapporte lame seule ; rappelons-nous d'autre part que les ides qui composent l'me humaine, et plus forte raison l'ide qui laconstitue essentiellement comme connaissance de tel

LE DVELOPPEMENT

DE LA NATURE HUMAINE

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corps, ne sont pas des tats inertes, comme des peintures muettes sur un panneau , mais des puissances actives. (Eth., II, prop. XLIX, schol.) Donc, tout autant que la volont affirme qu'un objet est bon, cette afiirmation implique la tendance rechercher cet objet ; la volont, c'est alors le dsir que l'me prouve parce qu'elle juge. Mais, dira-t-on, Spinoza n'a-t-il pas finalement soutenu que c'est le dsir qui dtermine le le dsir V N'a-t-il pas jugement et non le jugement mme dclar que la force et la direction de l'apptit sont indpendantes de la conscience que l'homme en a ? (Eth., III, Affectuum definitiones, i.) Assurment ; mais il importe de bien marquer le sens exact de ces propositions. D'abord, selon le spinozisme, un dsir ne saurait se trouver dans l'me humaine sans y tre en mme temps l'ide d'une chose dsire. (Eth., Il, axiom. m.) La question est simplement de savoir si la puissance et l'application de ce dsir dpendent de la chose dsire comme d'une fin externo laquelle il se rapporterait en vertu d'un jugement pos pour ainsi dire hors de lui, ou bien si elles dpendent de la liaison interne et immdiate du dsir et de l'ide. C'est cette dernire conception que Spinoza tient dcidment pour juste, et elle est, quoi qu'on en ait dit, en parfait accord avec les principes du systme. Car elle implique que la ncessit en vertu de laquelle une me humaine, comme tout autre tre, est pose dans l'tre, en mesure la force d'agir sans la subordonner une relation tout extrinsque avec l'objet de son action. Elle rejette, en consquence, comme illusoire la conviction qu'a si facilement la conscience d'tre matresse du dsir parce qu'elle s'en reprsente telle ou telle fin. Mais elle n'exclut pas un dveloppement de la connaissance, immaV

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LE

SP1N0ZISME

ncnl au dsir mme, et capable de rgler le dsir. Spinoza dira dans la quatrime partie de YEthique (prop. xix) : Chacun, d'aprs les lois de sa nature, dsire ou repousse ncessairement ce qu'il juge bon ou mauvais. Il faut seulement maintenir que le jugement sur la valeur de telle ou telle chose ne constitue pas la tendance, et que seul peut tre dit la constituer le jugement ou l'ide qui la comprend telle qu'elle est, dans la ncessit intrieure de son principe, momentane et non dans son accommodation certains objets. Au point mme que, pour Spinoza, l'effort pour persvrer dans l'tre ne se manifeste pleinement dans l'me que par la connaissance de ce qu'il est et de ce qui est. (Eth., IV, prop. xxvi.) l'on a cru dcouvrir dansle sens Le volontarismequc et l'usage decertaines formules du dbut de la troisime partie de YEthique ne contredit donc qu'un intellectualisme purement logique et abstrait qui n'est pas celui de Spinoza : il n'est point en dsaccord, tant s'en de l'me comme ide. Nous faut, avec la dfinition verrons au surplus que les diverses manifestations de cet effort par lesquelles s'accomplit le dveloppement de la nature humaine enferment toujours des connaissances correspondantes de diverses sortes. Le caractre raliste que Spinoza a imprim sa conception de la connaissance achvera galement d'expliquer que cet effort reste la puissance d'une chose , sans devenir l'action d'un sujet.

DIXIEME

LEON.

Les

affections

humaines. de l'me.

La

servitude

Le principe selon lequel tout tre tend persvrerdans son tre est introduit dans YEthique pour rendre raison de tout le dveloppement de la nature humaine ; il impose diverses modifications, mais surtout un ordre plus systmatique, aux ides nonces dan s la deuxime partie du Court Trait sur ce qui est le propre de l'homme . D'abord il exprime une loi qui vaut pour tout tre, et non pas seulement pour l'me, une loi qui assure par consquent que le corps, lui aussi, tend se conserver, et que les modifications de l'me sont corrlatives aux modifications du corps. Ensuite, bien que, dans son application l'me, il ne constitue point, quoi qu'on en ait dit, le dsir comme puissance indpendante de la connaissance, il frappe cependant d'inefficacit toute connaissance qui ne serait que la considration abstraite de l'objet reprsent et qui ne serait pas proportionne la force intrieure du dsir. Enfin il se pose lui-mme comme la mesure de la valeur des tats humains, estims suivantqu'ils ont dans l'effort de l'homme pour persvrer dans son tre soit leur cause complte, soit simplement leur cause partielle. Le Court. Trait avait cherch cette mesure avant tout dans la valeur de la connaissance dont dpendent ces tats ; il avait rattach les passions la connaissance d'opinion et la libert la connaissance vraie ;

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SPINOZISME

il n'avait pas spcialement insist sur le rapport de de l'tre la connaissance l'essence individuelle connaissant ; il n'avait parl que par occasion de l'activit qui rsulte pour l'homme de son union troite (Deuxime partie, ch. xxvi, p. 192) ; en concevant d'ailleurs la connaissance comme une reprsentation passive des objets connus, il n'avait pas comment la connaisencore le moyen d'expliquer sance vraie rpond la pure action de l'me. II n'tait pourtant pas sans avoir ramen l'unit d'une mme tendance l'ensemble des tats humains ; car il avait ncessaire de admis l'amour comme une disposition notre nature, qui se retrouve galement dans la passion et dans la libert vritable, diffrente seulement par les objets auxquels elle s'attache, ici sous l'influence de de l'intuition claire et l sous l'influence l'opinion, distincte. (Deuxime partie, ch. v, p. 116.) Mais il avait constat et tch de dfinir celte disposition plus qu'il ne l'avait explique ; il devait plus tard dclarer, aussi bien au fond contre lui-mtnequecontreDescartes, quoeomprendre l'amour comme l'union de l'me avec la chose aime, c'est en exprimer une proprit, mais non l'essence (Eth., 111, A/f'eclnum definiliones, vi) ; il devait en consquence tcher de le driver de la tendance mme de l'tre humain persvrer dans son tre. Dans le Court Trait, les passions sont assez empiriquement cmimres, et elles sont souvent dcrites tout juste pour qu'on puisse dcider si elles sont bonnes ou mauvaises et en quelle mesure elles le sont. Spinoza s'y inspire trs directement de Descartes, surtout pour tout ce qui concerne les rapports des tats intellectuels avec les passions. (V. le Trait des Passions de Desavec Dieu

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AFFECTIONS

HUMAINES

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partie, art. 69-148, et troisime parEn retour, s'il ne mconnat pas le tie, art. 149-176.) rle du corps dans la naissance des passions, il use dtailles que Despeu des explications physiologiques cartes avait fournies, et il soutient mme avec insistance que le corps dtermine les passions non pas par lui mme, mais en tant qu'il est l'objet des perceptions de lame. (Deuxime partie, ch. xix, p. 164-165 ; ch. xx, p. 167-168.) Au reste, dans YEthique mme, bien qu'il mette dans les accroissements et les diminutions de la du corps l'origine des diverses paspuissance d'agir analyser, non les mouvements sions, il s'applique d'ides qui expriment corporels, mais les conscutions ces mouvements, diatement lices. et auxquelles les passions sont immSeulement dans YEthique il ne se contente en ternies gnraux pas d'noncer quels rapports ont ces ides avec la vrit ; il montre avant tout quels rapports elles ont avec la tendance de l'tre persvrer dans son tre. Savoir dans quelle mesure cette tendance est, dans un tre, cause suffisante des tats qui la spcifient, cest savoir du mme coup ce qu'il y a de bon ou de mauvais dans les passions. Ainsi la ressort directement, passions sans jugement extrieur et surajout, de l'explication soit dequi en est fournie, quoique cette explication venue plus strictement scientifique qu'elle ne l'tait dans le Court Trait, et qu'elle se poursuive avec la mme impartiale srnit que s'il tait question de lignes, de surfaces et de solides . (V. Eth., III, Pra?f.) valeur morale des

cartes,

deuxime

qui sont en tte de la troisime partie de YEthique rpondent cette faon plus systmatique et plus profonde de considrer le dveloppement de la
si'isozisMi: 9

Les dfinitions

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nature humaine. Elles font du concept de passion une espce du concept plus gnral d'affection, lequel doit comprendre aussi bien les tats d'activit que les tals de passivit de l'me. Nous sommes actifs, en effet, iorsque en nous ou hors de nous quelque chose se produit dont nous sommes la cause adquate, c'est--dire lorsqu'il suit de notre nature quelque chose qui se peut connatre clairement et distinctement par elle seule. Nous sommes passifs, au contraire, lorsqu'il se produit en nous quelque chose ou qu'il suit de notre nature quelque chose dont nous ne sommes la cause que partiellement. Entendons maintenant par affections les modifications du corps par lesquelles la puissance de ce corps est, selon les moments, accrue ou rduite, et en mme temps les ides de ces affections. Ds lors, quand nous pouvons tre la cause adquate de quelqu'une de ces modifications, l'affection est une action, dans les autres cas une passion. Cette distinction des affections actives et des affections passives est dsormais capitale dans le systme. Que notre tendance persvrer dans notre tre commence par subir l'influence des modifications imposes notre corps, c'est l un fait incontestable, et dont au surplus Spinoza tablira ailleurs la ncessit. Notre tal primitif est donc un tat de passivit ; nos premires affections sont des passions : ce qui ne veut pas dire que nous soyons alors sans changements, bien au contraire ; ce qui veut dire que les changements nombreux et varis qui s'accomplissent alors en nous dpendent, non de nous, mais de causes extrieures reprsentes notre esprit par des ides confuses. Ainsi, si quelque chose augmente ou diminue, favorise ou empche la puissance d'agir de notre corps, l'ide de cette chose

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augmente ou diminue, favorise ou empche la puissance de penser de notre me. (Ethi, III, prop. xi.) Or la puissance d'agir soit du corps, soit de lame, c'est ce qu'on peut appeler pe-fection, et le terme de perfection, appliqu aux tats humains, ne saurait avoir d'autre signification positive que celle-l. En consquence, la joie est une passion par laquelle lame passe une perfection plus grande, la tristesse une passion par laquelle l'me passe une perfection moindre. C'est le passage qui fait la joie, autant que celle-ci est une passion, comme c'est le passage qui fait la tristesse : la joie n'est pas la perfection elle-mme. Si, en effet, l'homme naissait avec la perfection laquelle il passe, il la possderait sans affection de joie; si, d'autre part, il se trouvait dans une perfection moindre sans sentir il n'prouy tre venu d'une perfection suprieure, verait aucune affection de tristesse. (Eth. III, prop. xi schol ; a11'.dfinit., n, m.) Spinoza ici donc exclut la conception aristotlicienne qui fait reposer la joie sur la perfection plus ou moins acheve de l'acte, pour se rattacher aux conceptions qui ont fait surtout ressortir le caractre relatif et transitif du plaisir et de la douleur. I*a joie et la tristesse, ainsi que le dsir auquel elles sont lies, sont les trois affections primitives dont toutes les autres doivent natre. Spinoza combat maintenant, aprs l'avoir partage (Court Trait, deuxime cartsienne qui partie, ch. ni, p. 105), l'opinion au premier rang des passions *, il mettait l'admiration observe que l'imagination d'une chose nouvelle et inattendue n'est pas d'une autre nature que l'imagination des choses familires et prvues. (Aff. dfinit., iv.) Ecartant donc ce rle privilgi faussement attribu

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l'admiration, il va s'appliquer montrer que toutes les passions ne sont que le dsir, la joie et la tristesse, qui tirent uniquement de la varit de leurs relations une varit de dnominations extrinsques. (Eth,, III, prop. xi, schol ; aff. dfinit., XLVHI.) Au fond le dsir, comme essence de l'homme, ne soutient de rapports rels et indestructibles qu'avec ce qui, tant sa cause vritable, est aussi son vritable objet, c'est-dire avec Dieu. Tous les rapports qu'il contracte avec les choses finies et contingentes comme telles, c'est-dire prises isolment et hors de l'ordre ncessaire qui exprime la puissance divine, ne sont que des rapports changeants et accidentels, dtermins par la seule imagination. C'est donc par la diversit de ces rapports que Spinoza explique la diversit des passions ; ces rapports d'ailleurs, si divers qu'ils soient, se laissent ramener quelques types principaux ; ce sont des rapports d'association par contigut ou par ressemblance ou par contraste, produisant des combinaisons ou des transferts qui ont pour commun caractre d'tre en dehors de la raison. Des propositions qui ont t dj tablies, il rsulte que l'me, autant qu'elle peut, s'efforce d'imaginer ce qui augmente ou favorise la puissance d'agir du corps, et par suite sa propre puissance d'agir ; que lorsqu'elle est contrainte d'imaginer quelque chose qui diminue la puissance du corps et sa propre puissance, elle tend carter cette reprsentation par des images contraires. Or lorsqu'elle imagine ce qui accrot sa

' de la elle elle ;magine prouve joie ; quand puissance, ce qui diminue sa puissance, elle prouve de la tristesse. Elle aime donc l'objet dont elle associe Ijmage sa joie, comme elle hait l'objet dont elle associe l'image

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sa tristesse. Et ainsi nous connaissons clairement ce qu'est l'amour et ce qu'est la haine : l'amour n'est autre chose qu'une joie qu'accompagne l'ide d'une cause extrieure ; la haine n'est autre chose qu'une tristesse l'ide d'une cause extqu'accompagne rieure. (Eth., III, prop. XII-XIV.) Ainsi le lien peut tre tout fait fortuit entre l'objet de l'amour et l'amour mme ; mais il peut l'tre beaucoup plus encore entre telle passion et tel objet qui parat la provoquer ; car il suffit que l'me ait t modifie une fois par deux affections en mme temps pour que le retour de l'une des deux affections entraine la rapparition de l'autre ; une chose quelconque peut donc tre par accident cause de joie ou de tristesse, de dsir ou d'aversion. Voil pourquoi il nous arrive d'aimer ou d'avoir en haine certaines choses ou certaines personnes sans aucun motif : de ces sentiments capricieux la cause rside dans une liaison d'images n'en a pas moins sur qui, en elle-mme irrationnelle, nous une influence dterminante. (Eth., III, prop. xivxv.) Pareillement la simple ressemblance fait que nous transfrons nos sentiments d'un objet un autre : si nous imaginons qu'une chose ressemble par quelque trait une chose qui nous affecte habituellement de joie ou de tristesse, et alors mme que le caractre qui rapproche les deux n'a pas t la cause des affections prouves, nous aimerons cependant la chose d'abord oit nous l'aurons en haine. (Eth., III, indiffrente, prop. xvi.) D'autre part, la ressemblance d'un objet aim avec un objet dtest met l'me dans un tat d'incertitude ou de fluctuation, n de la rencontre de deux passions contraires. En outre, le corps humain

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est compos d'un trs grand nombre de parties de nature diffrente ; il peut donc tre affect par un seul et mme objet de manires trs nombreuses et trs diverses ; et comme ce seul et mme objet peut dj tre lui-mme affect de bien des faons, il pourra affecter une seule et mme partie du corps de manires multiples et varies. De la sorte un seul objet peut tre cause d'affections de plus en plus nombreuses, de plus en plus diffrentes et mme opposes. (Eth., III, prop. xvn.) La raison comporte au contraire la parfaite constance du sentiment avec lui-mme, dtermine par la ralit certaine et immuable de l'objet. Or, dans l'tal de passion, l'image d'une chose passe ou future peut dterminer une affection de joie ou de tristesse comme si elle tait l'image d'une chose avec la prsente, ce qui ne veut pas dire d'ailleurs mme force ou avec les mmes caractres ; car la reprsentation des diverses modalits du temps, qui pourtant n'a en elle-mme aucun rapport avec la connaissance vraie, diversifie considrablement les affections. Que la joie s'associe l'image d'une chose future ou passe dont l'issue est tenue pour douteuse : elle devient l'espoir. Que la tristesse s'associe une pareille image : elle devient la crainte : mais en raison de fincertitude de l'objel l'espoir est ml de crainte comme la crainte est mle d'espoir. Quand cette incertitude disparat, l'espoir devient la scurit et la crainte le dsespoir. (Eth., III, prop. xvm ; aff. dfinit., xn-xvn.) Comme nous tendons rechercher ce qui nous cause de la joie, ce que par consquent nous aimons, nous tendons imaginer tout ce qui peut causer d la joie l'objet aim ; comme nous tendons fuir ce qui nous cause de la tristesse, ce que par consquent nous has-

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sons, nous tendons imaginer tout ce qui peut causer del tristesse l'objet dtest. (Eth., III, prop. xix,xx, xxi, xxiii,- xxv, xxvi.) De l des sentiments d'un nouveau genre que nous prouvons pour nos semblables, aims ou dtests par nous selon qu'ils affectent de joie ou de tristesse l'objet aim, de tristesse ou de joie l'objet dtest. (Eth., III, prop. xxn, xxiv.) Ainsi s'altrent les rapports des homnies entre eux. Ces rapports s'tablissent autrement, quoique d'une faon toujours irrationnelle encore, par l'effet de l'imitation. Par cela mme qu'un tre semblable nous prouve quelque afiction, nous prouvons une affection semblable la sienne. (Eth., III, prop. xxvn.)Mais cette imitation des affections produit, selon les cas, des effets trs diffrents et mme contraires : lorsque nous nous reprsentons autrui dans la tristesse ou le mal- heur, nous ressentons pour lui de la piti ; lorsque nous reprsentons autrui anim d'un certain k dsir, nous ressentons son gard de l'mulation ; lorsque nous nous le reprsentons en possession d'un bien qu'il dtient ou prtend dtenir lui seul, nous ressentons envers lui de l'envie : un mme mcanisme d'images peut donc nous rendre tour tour bienveillants ou malveillants prop. XXXII.) Il nous est envers nos semblables. (/s7/t., III, nous

impossible d'aimer quelqu'un sans dsirer qu'il nous aime son tour, et plus grande est l'affection que nous imaginons qu'il prouve pour d'ailleurs Mais si nous croyons nous, plus nous nous glorifions. que cette affection est donne d'autres autant et plus qu' nous, nous sommes atteints de cette forme spciale de l'envie qu'est la jalousie, tat de fluctuation de l'me qui se compose la fois d'amour et de haine ;

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et non seulement nous dsirons tre aims sans partage, mais souvent nous dsirons l'tre de la mme faon qui une premire fois nous a ravis. Or, ds que nous commenons avoir en haine l'objet aim, il se peut que l'amour que nous, avions pour lui finisse par tre aboli ; mais ds lors aussi nous aurons plus de haine pour lui, motif gal, que si nous ne l'avions jamais aim : plus grand avait t l'amour, plus grande sera la haine. Inversement, si nous estimons que la haine que nous avions pour autrui tait injustifie, ne pouvant pas le tenir pour indiffrent, nous nous prendrons l'aimer, et plus grande avait | la haine, plus grand sera l'amour. (Eth., III, prop. xxxm, xxxiv, xxxv, xxxvi, xxxvu, XXXVHI, XLIV.) La haine nous excite faire du mal celui que nous hassons, et elle est alors la colre ; elle nous excite rendre le mal qui nous a t fait, et elle est alors la vengeance ; contenue parfois par la crainte des reprsailles, la haine n'en engendre la haine, et elle ne peut tre pas moins indfiniment extirpe que par l'amour. (Eth., III, prop. xxxix, XLIII.) Dans cet enchevtrement d'tats, ce que l'me recherche toujours, en dpit d'occurrences qui la trahissent, c'est cela seulement qui pose sa puissance d'agir. Quand elle la fait dpendre de l'approbation des autres, elle est sujette au dsir de gloire et l'ambition. (Eth, III, prop. xxix, xxxi.) Si elle la sent raffermie en elle, par quelques causs que ce soit, elle prouve un contentement de soi-mme qui peut aller jusqu' l'orgueil ; si, au contraire, elle est force d'imaginer son impuissance, elle est attriste, et elle prouve une humilit qui peut aller jusqu' la msestime de soi. (Eth.) lll, prop. LIII-LV.) Ce ne sont l que les passions humaines les plus

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; dans la ralit, les passions sont aussi varies que peuvent l'tre les relations de toute individualit humaine avec les choses extrieures. Il y a autant d'espces de joie, de tristesse et de dsir, par suite autant d'espces d'affections qui en sont composes ou qui en drivent, qu'il y a d'espces d'objets par lesquels l'homme est affect ; et de plus, une affection diffre de l'affection quelconque de chaque individu d'un autre autant que l'essence de l'un diffre de l'essence de l'autre. (#//i.,IIl, prop. LVI-LVII.) T

ordinaires

Mais si diverses, si inconstantes, et en apparence si. anormales qu'elles soient, les passions n'en sont pas moins soumises pour leur dveloppement comme pour leur naissance des lois ncessaires, qui expriment les faons plus ou moins compliques dont le dsir est dtermin par l'image des choses. C'est ncessairement qu'elles engendrent dans les mes le dsaccord et l'opposition, au lieu de l'accord et de l'unit que la rai-

son rclame. C'est ncessairement aussi qu'elles entrent elles-mmes en conflit les unes avec les autres, et que les unes finissent par prvaloir sur les autres. Pour * des les effets de cette concurrence passions expliquer de facteurs subSpinoza limine toute intervention jectifs volontaires ; il fixe les degrs de force des affections uniquement d'aprs le degr de ralit de l'objet qu'elles reprsentent. Une affection ne peut tre rduite ou supprime que par une affection contraire, et qui soit plus forte que l'affection rduire. [Eth., IV, prop. vu.) Or une affection dont l'objet est imagin comme prsent est plus forte qu'une affection dont l'objet est imagin comme absent. Une aflection dont l'objet est imagin comme prochain dans le pass

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et dans l'avenir est plus forte qu'une affection dont l'objet est imagin comme lointain. Une affection dont l'objet est imagin comme ncessaire, attendu que la ncessit est la marque de l'existence, est plus forte que l'affection dont l'objet est imagin comme possible ou contingent, etc. (Eth., IV, prop. VII-XIII.) Ainsi, selon que la ralit de l'objet s'imprime plus ou moins dans notre dsir, l'affection qui en rsulte est plus ou moins forte ; l-dessus Spinoza reste rigoureusement fidle son dterminisme raliste. Pourquoi cependant sommes-nous sujets aux passions ? Les passions ne sont pas l'origine autre chose que la passivit subie par le corps et accepte par l'esprit comme un tat normal. Or il est impossible que nous ne soyons pas passifs, puisque nous ne sommes qu'une partie de la nature qui ne saurait se suffire elle-mme et se concevoir sans les autres parties; pour chapper cette condition de passivit, nous devrions tre capables de nous produire nous-mmes ; nous devrions tre des dieux, ce qui est absurde. Il faut donc que nous prouvions bien d'autres changements que ceux dont nous pouvons tre la cause adquate ; car la puissance avec laquelle nous persvrons dans l'existence est limite, et la puissance des causes extrieures la surpasse infiniment. (Eth., IV, prop. H-IV.) S'il en est ainsi, la passion qui est invitable n'estelle pas invincible? Nullement. Mais, comme va le montrer Spinoza, les moyens de la vaincre ne peuvent tre pris que de la ncessit mme qui l'engendre ; de telle sorte que l'expliquer par des causes dfinies, au lieu de la frapper de rprobation, ment une curiosit scientifique, haut intrt moral. ne rpond pas seulemais encore au plus

ONZIEME

LEON.

Les affections humaines. et la flicit dans

La libert de l'me la vie prsente.

Comme l'tat de servitude, l'tat de libert dpend de causes dfinies qui excluent, non moins que le libre arbitre, la reprsentation d'un idal exprim par la notion de bien. Cette notion de bien, dont on fait un absolu, est en ralit relative la notion de mal, car on dit d'une chose qu'elle est bonne, par rapport une autre qui est mauvaise, ou du moins qui n'est pas aussi bonne.- {Court Trait, premire partie, ch. x, p. 94; Cogit. Met., Il, vu, t. II, p. 189 ; Eth., IV, Pra?f. ; prop. LXV.) Les notions de bien et de mal sont en outre relatives des tats compars de divers Une seule et mme individus ou d'un mme individu. chose peut en mme temps tre bonne et mauvaise et aussi indiffrente. La musique, par exemple, est bonne mauvaise pour un homme pour un mlancolique, ni bonne ni mauvaise pour qui est dans l'affliction, IV, Pra3f. ; cf. Cogit. Met., I, vi.) sont des notions universelles qui n'ont aucun fondement dans le rel ; elles se lient ces concepts de perfection et d'imperfection qui rsultent de ce que, rapprochant entre eux des individus du mme genre, nous imaginons le genre comme un type la valeur des indiexemplaire, propre dterminer vidus qui s'y rapportent. Le mme prjug qui nous pousse croire que les fins de notre action en sont les causes vritables nous l'ait admettre qu'il y a des un sourd. (//i., Enfin ces notions

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modles universels soit de notre volont, soit mme des productions de la nature. Mais puisque tous les tres qui existent sont des tres individuels, irrductibles par consquent des ides universelles qui n'en reprsentent que les lments communs les plus indtermins, puisque tonte chose est ncessairement ce qu'elle est et que la nature infinie ne saurait tre en dfaut, il suit de l que les notions de bien et de mal, de perfection et d'imperfection, dans l'usage qu'on en fait d'ordinaire, sont illgitimes, et ne peuvent fournir de rgles exactes pour la direction ou l'apprciation de la conduite humaine.k (Court Trait, premire partie, ch. x, p. 94-95; Eth, I, Appendix ; IV, Pra?f. ; Ep. xix, t. H, p. 66-08.) Pour ce qui est de nous, la connaissance de la n'est positivement que perfection ou de l'imperfection la conscience de notre puissance ou de notre impuis-, sauce, de mme que la connaissance du bien et du mal n'est que la conscience de notre joie ou de notre tristesse. (Eth., III, prop. xxxix, schol. ; Eth, IV, prop. vm.) Mais*comme, dans l'tat de passion, notre puissance et notre joie n'ont rien d'assur, on petit ' concevoir , un tat suprieur lgitimement qui implique une puissance et une joie certaines. Voil pourquoi Spinoza, aprs avoir soutenu que les notions de bien et de mal, confrontes avec l'ordre ncessaire des choses, ne sont, que des faons de penser, leur autorise par attribue nanmoins une signification sa doctrine. Dans le Court Trait\,\\ prte la raison ou croyance droite la facult de concevoir l' homme parfait et de dterminer en consquence les moyens de parvenir cette perfection. (Deuxime partie, ch. v, p. 112-113.) Dans le Trait de la Rforme de lenteur

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dment, il dit que l'homme conoit une nature humaine de beaucoup suprieure la sienne, o rien, ce qu'il semble, ne l'empche de s'lever ; que tout ce qui peut servir de moyen pour y parvenir est un bien, et jouir avec que le souverain bien, c est d'arriver s'il est possible, de celte nature d'autres individus, humaine suprieure. Quelle est cette nature, nous l'exposerons en son temps, ajoute Spinoza, et nous montrerons qu'elle est la connaissance de l'union qu'a l'me pensante avec la nature tout entire. (T. I, p. 6.) Enfin dans YEthique, aprs avoir critiqu l'usage que l'on fait ordinairement des concepts de bien et de mal, voici ce qu'il dclare : Ces vocables de bien et de mal, il nous faut pourtant les conserver. Car, puisque nous dsirons nous former une ide de l'homme, qui soit comme un modle de la nature humaine plac nos yeux (tahqnam naturoe humante exemplar qnod intueamur), il nous sera utile de garder ces mots mmes dans le sens que j'ai dit. Par bien, j'entendrai donc dans la suite ce que nous savons tre certai nement un moyen de nous rapprocher de plus en plus de ce modle de la nature humaine que nous nous proposons ; par mal, au contraire, ce que nous savons certainement nous empcher de reproduire ce modle. Nous dirons, en outre, que les hommes sont plus ou moins parfaits, plus ou moins imparfaits, dans la mesure o ils s'approchent plus ou moins de ce modle. (Eth, IV, Proef.) Mais, la diffrence de la notion universelle de bien ou de perfection, l'ide de ce modle n'est pas telle pour Spinoza qu'elle s'impose d'en haut chaque tre humain et qu'elle contredise l'individualit de son essence : elle exprime uniquement pour chaque tre humain sa nature propre devant

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leve par la plus claire connaissance la plus grande puissance. Le principe de la vertu ne peut donc tre que dans l'effort mme de chaque tre pour persvrer dans son propre tre : s'il tait pos ailleurs, il impliquerait qu'un tre peut renier son essence ou agir en dehors, d'elle, ce qui est absurde. (Eth., IV, prop. xviu, schol. ; prop. xxu.) Il signifie donc que notre seule rgle, c'est de rechercher ce qui peut servir la conservation et l'accroissement de notre tre, ce qui par consn'est quent nous est utile. Nul autre principe ncessaire, dit le Court Trait, sinon celui de rechercher ce qui nous est utile nous-mmes, comme il est naturel tous les tres. (Deuxime partie, ch. xxvi. p. 190.) Plus chacun s'efforce, dit YEthique, et plus il est capable de chercher ce qui lui est utile, c'est--dire de conserver son tre,' plus il a de vertu. (Eth,, IV, prop. xx.) La poursuite de l'utile est l'origine de la moralit, et noii^ quoi qu'on prtende, de l'immoralit, de mme que la rduction de la vertu l'effort pour persvrer dans l'tre rend la vertu dsirable en soi et non pour autre chose. (Eth., IV, prop. xvm, schol ; prop. xxv.) Mais l'effort pour persvrer dans l'tre se laisse dterminer en l'homme par des circonstances extrieures : d'autant plus qu'il a besoin des choses du dehors pour se produire, s'entretenir et se fortifier : d'o des modalits passives de cet effort qui ne sauraient absolument tre appeles du nom de vertu (Eth, IV, prop. XXIII), " car elles ne se peuvent percevoir par la seule essence de l'tre. C'est--dire que nous ne devons pas tenir pour bonne toute action que nous sentons telle, isolment

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et momentanment, par la joie qui l'accompagne, tenir pour utile toute action qui nous parait telle : pour qu'elle soit bonne, il faut que l'action soit accompagne d'une joie durable, et pour qu'elle soit utile, il faut qu'elle soit reconnue avec certitude comme contribuant la conservation de notre tre. (Eth., IV, Defin, i et H.) La vertu consiste donc rechercher l'utile, non pas suivant les ,suggestions des sens et de l'imagination, mais sous la conduite de la raison (ex ductn ralionis). Cependant Spinoza ne considre pas dfinitivement la connaissance vraie comme un simple moyen subordonn l'utilit qu'elle dcouvre ; il la regarde au contraire comme la Valeur ou l'utilit suprme, par cela seul qu'elle est la connaissance vraie. Tout effort, dit-il, dont la raison est en nous le principe n'a d'autre objet que de comprendre ; et l'me, en tant qu'elle use de la raison, juge que rien ne lui est utile, si ce n'est ce qui conduit comprendre. (Eth, 1W, prop. xxvi.) Comprendre est la vertu absolue de l'me : car l'me, ayant pour essence de connatre, n'a de puissance et n'est active, par consquent n'a de vertu, que tout autant que ses ides dpendent d'elle seule et non des causes extrieures, que tout autant que ses ides sont adquates. (Ethy dix, cap. v.) III, prop. m; IV, appeiv

Ainsi nos affections doivent tre estimes d'aprs ce qu'elles comportent de connaissance claire ou, ce qui est la mme chose, de puissance provenant de notre dont elles sont l'objet ne seule nature : l'apprciation se surajoute donc pas l'analyse scientifique qui les explique : elle en rsulte Nos affections sont mauvaises dans la mesure o elles sont des passions ; elles

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sont bonnes dans la mesure o elles sont vritablement des actions. Mais parmi les passions, il en est qui, quoique dtermines en nous du dehors, augmentent ou favorisent notre puissance d'agir : cet gard, et tout autant qu'elles ne nous exposent pas des dpressions ultrieures plus grandes, elles peuvent tre tenues pour bonnes. La joie est toujours bonne en elle-mme, d'o qu'elle vienne, comme la tristesse en est. toujours mauvaise. Ce qui fait que la joie n'est pas bonne en telle occasion, c'est que, par d'une partie exemple, ne rpondant qu' l'excitation de notre corps, elle empche le corps, dans son ensemble, d'tre affect de faons varies et proportionnes ; tandis qu'elle est toujours bonne lorsque la puissance d'agir du corps est accrue ou seconde de telle sorte que toutes ses parties en reoivent galement le bnfice. La tristesse peut tre bonne seulement dans la mesure o elle empche et rduit une joie excessive parce que partielle. (Eth., IV, prop. XLI, XLH, XLIII.) Mais rien n'est plus faux que de rattacher la vertu la recherche ou l'acceptation de la tristesse pour ellemme ; rien n'est plus faux que de condamner la joie ; car la joie, et non fa tristesse, peut seule exprimer notre puissance propre d'agir, par consquent notre vertu. Il n'est point de divinit, dit Spinoza, ni qui que ce soit, sauf un envieux, pour prendre plaisir mon impuissance et ma misre, pour nous faire un mrite de nos larmes, de nos sanglots, de notre crainte, et des autres choses de cette espce qui sont les marques d'une me impuissante. Mais, au contraire, plus nous sommes affects de joie, plus grande est la perfection laquelle nous passons ; c'est--dire nus nous participons ncessairement de la nature divine. (Eth., IV, elle-mme

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prop. XLV, cor. H, schol ; cf. IV, prop. xviu, schol. Court Trait, deuxime partie, ch. vu, p. 12-1125.) C'est dans cet esprit que Spinoza juge les principales affections. D'accord avec la morale traditionnelle et la morale chrtienne pour rejeter comme mauvais les actes accomplis dans l'aveuglement des impressions au Christianisme sensibles, il s'oppose particulirement par l'ide que le drglement des sens, qui ne corrompt que les sens, n'atteint pas le fond divin de la nature, que la vertu doit tre mise, non dans ce qui rduit en quelque faon, mais dans ce qui ralise pleinenon dans ce qui ment nos tendances naturelles, la vie dpasser, mais dans ce qui justifie prsente : d'o des protestations vives, et maintes fois renouveles, contre toutes les penses d'asctisme et prtend de mortification. Bien que l'amour et le dsir puissent tre sujets des excs et ainsi devenir mauvais (Eth, IV, prop. xi.iv), ils restent bons tout autant que la joie laquelle ils sont lis ou qui les provoque intresse notre tre tout sont mauentier. L'aversion et la haine, au contraire, vaises sans rserve, car elles sont des tats de tristesse, et par consquent d'impuissance, qui ne se compensent pas, tant s'en faut, par le plaisir amer et prcaire que cause le mal fait l'objet dtest ; et ainsi de l'envie, de la raillerie, du mpris, de la colre, de la vengeance et de toutes les affections qui se ramnent la haine ou qui en naissent. La haine au surplus engendre la haine, et ne peut tre vaincue que par la gnrosit et l'amour (Eth., IV, prop. XLV-XLVI ; cf. Court Trait, deuxime partie, ch. vi, p. 120-123.) L'esprance et la crainte, si elles ne sont pas toujours entirement mauvaises et si elles peuvent tre bonnes par occasion, ne
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sont pas cependant bonnes par elles-mmes ; car elles un certain degr de tristesse, un certain impliquent manque de connaissance et de puissance. (Eth., prop. XLVII ; cf. Court Trait, deuxime partie, ch. ix, p. 129-132.) La surestime et la msestime, qu'elles s'appliquent autrui ou nous, sont toujours mauvaises, car elles enveloppent essentiellement des opinions opposes nu jugement quitable de la raison. La surestime engendre facilement l'orgueil, surtout lorsque c'eut l'individu qui se surestime lui-mme ; et de l'orgueil naissent les plus grands maux. La msestime de soi se corrige plus facilement que l'orgueil, et pourtant elle est proche de l'orgueil par l'humilit mme laquelle elle s'abaisse et dont elle fait une raison de censurer les autres hommes. (Eth., IV, prop. XLVIII, XLIX, LV, LVI, LVII ; cf. Court Trait, deuxime partie, n'est point, quoi qu'on ch. vin, p. 126-128.) L'humilit dise, une vertu ; car elle est une tristesse qui accompagne dans l'homme le sentiment de son impuissance ; et l'on a beau prtendre qu'elle doit rsulter de la considration de notre petitesse et de notre dpendance : ds qu'elle est vraie, accrot au cette considration, contraire notre pouvoir. (Eth, IV, prop. LUI.)Le repentir non plus n'est pas une vertu, et celui qui se repent de ce qu'il a fait est deux fois misrable et impuissant ; car le repentir est, lui aussi, une tristesse, et par surcroit une tristesse accompagne de l'illusion que nous avons agi par libre arbitre. (Eth, IV, prop. LIV ; cf. Court Trait, deuxime partie, ch. x, p. 133.) Cependant, ajoute Spinoza, ces deux passions de f humilit et du repentir, tant donn que les hommes ne vivent gure sous l'empire de la raison, sont plus utiles que dommageables : si donc il faut pcher, que ce soit

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plutt dans ce sens. Qu'en effet des hommes l'me n'obissent qu'aux suggestions de leur impuissante orgueil sans connatre le frein de la honte : comment tre maintenus et disciplins ? La foule pourraient-ils est terrible, quand elle ne craint plus. (Eth, IV, prop. LIV.) Dans le Court Trait, Spinoza avait, plus nettement encore en ce sens, distingu de l'humilit vicieuse la vritable humilit, qu'il jugeait bonne et salutaire au mme titre que la noblesse d'me. (Deuxime partie, ch. vin, p. 127.) Si des passions de ce genre, qui enveloppent la tristesse, peuvent devenir bonnes cer'ains gards par l'obstacle qu'elles opposent des passions pires, elles ne sauraient jamais tre riges en principes directs de vertu : mme la crainte et l'aversion d'un mal ne constituent pas positivement un bien (Eth., IV, prop. LXIII, LXIV.) En revanche des affections telles que le contentement de soi, mme et surtout s'il est encourag parla s'il est exempt d'orgueil et de juste opinion d'autrui, gloriole, sont des affections bonnes ; car elles viennent do ce que l'homme considre sa puissance d'agir. (Eth, IV, prop. LU.) Or la puissance d'agir, leve son maximum, c'est--dire produite ou rgle par la c'est ce qui constitue la libert. Spinoza raison, esquisse donc, selon les maximes de sa morale, une sorte de portrait de l'homme libre, en qui se montre cette nature humaine suprieure qui doit servir de modle. L'homme libre, non seulement n'accomplit pas le mal, mais l'ignore (Eth, IV, prop. LXVIII) ; il agit, peut-on dire, par del le bien et le mal, uniquement en vertu de sa force d'me intrieure *,tranger la crainte, il ne se dtourne pas moins des tmrits vaines ; il cherche autant viter les dangers qu' en triompher

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(Eth., IV, prop. LXIX) ; comme il se prserve de tout contact avec les objets extrieurs qui rduiraient son pouvoir d'action, il exclut, sans mme les concevoir, les ides qui porteraient atteinte son elfort naturel pour se conserver, et parmi ces ides, avant tout l'ide do la mort. La chose laquelle un homme libre pense le moins, c'est la mort ; et sa sagesse est une mditation, non de la mort, mais de la vie. >(//., IV, prop. LXVII.) Ainsi est repousse une recommandation du Christianisme, et mme en quelque mesure du platonisme, qui fait de la pense de la mort une prparation la vie ternelle ; assurment c'est la vie ternelle qui, pour est l'objet suSpinoza comme pour le Christianisme, prme de notre mditation ; mais pour lui la vie ternelle n'est pas en dehors de la vie prsente : elle s'y exprime directement, et elle en justifie tout ce qui s'y produit de ralit positive, de puissance certaine, de joie durable. Il est donc lgitime que nous recherchions toujours ce qui nous est le plus utile ; or un objet nous est d'autant plus utile qu'il s'accorde mieux avec notre nature propre, et ce qui s'accorde le mieux avec notre nature propre, c'est la nature de nos semblables. Mais cet accord des hommes entre eux, qui est fond sur la communaut de leur nature, s'affaiblit et mme peut se changer en opposition et en lutte, ds que dominent les passions ; car ls passions mettent les individus pour une plus ou moins grande part hors de leur nature en les assujettissant l'influence des circonstances extrieures. C'est seulement dans la mesure o ils vivent sous la direction de la raison que les hommes s'accordent ncessairement entre eux ; mais alors rien n'est plus utile l'homme que l'homme mme ; alors

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l'homme est un dieu pour l'homme. (Eth, IV, prop. xxxt-xxxv.) La raison seule tablit entre les hommes des liens solides d'amiti et d'assistance rciproques (Eth, IV, prop. LXX, LXXI), et elle les tablit sans porter atteinte la puissance et la joie de chacun ; tandis que la passion, mme si elle nous porte parfois tre secourantes, altre le principe d'une sre bienveillance: la piti, par exemple, n'est pas seulement inutile dans un homme qui vit selon la raison ; elle est en ellemme mauvaise ; car elle est une tristesse, et une tristesse ijui nous pousse aveuglment des actes que nous regrettons souvent plus tard. Mais il est entendu que seule la conduite raisonnable rend la piti inutile ; quelqu'un, en effet, qui n'est secourable aux autres ni par raison ni par piti est justement trait d'inhumain. (Eth., IV, prop. L.) La recherche de l'utile enseigne l'homme la ncessit de s'unir ses semblables, et c'est de l que drive la socit civile. Tandis que dans l'tat de nature le droit de chacun se mesure sa puissance, dans l'tat social, constitu par le consentement commun, le droit de chacun est dfini par le pouvoir souverain, et la force publique, mise au service du droit ainsi dcrt, empche chacun de se faire juge selon sa passion et de se comporter en consquence. Les termes de juste et d'jnjuste, de mrite et de pch, n'ont de sens que pour l'ordre civil, non pour l'ordre naturel qui laisse la puissance et la faon d'agir de chacun se juger en quelque sorte par elles-mmes et par les sentiments de joie ou de tristesse qu'elles engendrent. (Eth.,l\, prop. xxxvii.) Mais si la socit civile, ainsi que l'expliquent plus compltement le Trait thologico-politique et le Trait n'est que la suite politique, loin d'tre un fait primitif,

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d'un contrat, il reste que le contrat, cl la cit qui en dcoule, et les obligations qui s'y attachent, rpondent l'une des plus inluctables exigences de l'intrt humain bien compris. L'homme qui est dirig par la raison est plus libre dans la cit o il vit selon le dcret commun que dans la solitude o il n'obit qu' lui-mme. (Eth, IV, prop. LXXII.) Tels nous sommes donc, lorsque nous sommes libres, en possession d'ides adquates et actifs c'est--dire par l mme ; et il y a des sentiments qui en nous expriment cet tat suprieur. Car la joie et le dsir ne sont pas lis la passion ou. plus essentiellement, essentiellement l'action ternies, il y a, ainsi que le seule ; ils sont lis aussi, et pour mieux dire, tout fuit proprement dite. Kn d'autres la dfinition gnpas-

que dans la doctrine, et qui parait reYEthiqite. introduit stocienne des r.o et des prendre la distinction TC0;ii. Les faons de faire qui rsultent des affections actives constituent la force d'me, laquelle est soit fermet, soit gnrosit : la fermet est le dsir par tient se conserver en vertu du lequel un individu de la raison ; la gnrosit est le seul commandement dsir par lequel un individu tient, en vertu du seul commandement de la raison, assister les autres hommes et nouer entre eux et lui des liens d'amiti. prop. LVIII, LIX ; IV, prop. xxxvn, schol. i.) (Eth, III,

comporte rale des affections, non seulement des affections sives, mais aussi des affections actives : distinction

Mais comment donc l'empire de la raison s'lablit-il dans les mes ? Ce ne saurait tre par une sorte de pouvoir transcendant analogue celui dont on dote le libre arbitre, et auquel les stociens comme Descartes ont eu

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recours bien tort. (Eth, V, Proef.) Dans le Court Trait (deuxime partie, ch, xxi, p. 173-174) Spinoza fait ressortir l'impuissance de la raison ou croyance droite dominer les opinions et les passions suscites et entretenues par l'exprience. Si l raison peut triompher des passions provoques en nous par ou-dire, parce que, nous tant intrieure, ellepeut l'emportersur ce qui vient du dehors, elle ne saurait pareillement supprimer ou rprimer des passions dont nous sentons plus ou moins l'objet prsent. Car la raison, qui procde par raisonnement, ne nous unit pas directement un objet et ne nous en procure pas lajouissance, tandis que la passion rsultant de l'exprience est la jouissance de quelque chose que nous tenons pour bon, et quoi nous sommesimmediatementunis.il n'y a que lajouissance d'un bien plus grand qui puisse nous dlivrer de cette passion, ou encore l'exprience, qui ne se produit pas toujours, d'un mal plus grand conscutif; et voil pourquoi le salut requiert un genre de connaissance qui nous unisse immdiatement l'htre infini et nous en fasse jouir. Dans YEthique, Spinoza n'affecte pas la raison proprement dite d'une impuissance aussi radicale ; et cela sans doute parce que, dans l'intervalle, tout en subordonnant toujours la raison l'intuition, il lui a attribu la facult de connatre adquatement les choses par leurs proprits communes et de les saisirdans leur enchanement ncessaire. Mais il n'en affirme pas moins que la connaissance du bien et du mal, si vraie qu'elle soit en elle-mme, ds qu'elle reste purement discursive et abstraite, ne saurait prvaloir sur les passions il faut pour cela qu'elle soit elle-mme une affection, et une affection plus forte que l'affection rduire. (Eth, IV, prop. xiv.) De plus, mme si del.

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connaissance vraie du bien ,et du mal est n en nous un dsir, qui est ainsi une affection active, ce dsir peut tre paralys ou entrav par beaucoup d'autres dsirs naissant des passions qui nous dominent; s'il a trait l'avenir, il peut tre opprim par le dsir des choses prsentement agrables; si bien qu'une opposition, souvent douloureuse, surgit dans l'me entre ce qu'elle comprend et ce qu'elle subit. (Eth, IV, prop. XV-XVII.) Cependant la possibilit de rduire flfr ce qu'elle subit au profit de ce qu'elle comprend est implique dans les rapports mmes qu'ont les affections avec la connaissance, et par l avec leurs objets. En principe, les affections accompagnes de connaissance claire et lies ainsi des objets vritablement rels et immuables, sont durables et fortes, tandis que sont caduques et s'altrent les affections suscites par l'imagination et lies des objets sensibles et variables. Aprs avoir dtermin les causes de rsistance que la passion oppose la connaissance claire, Spinoza dtermine les causes ue destruction qu'elle enferme en elle et qui prparent, ou plutt semblent prparer (car au fond elles en rsultent) la domination de l'entendement. Ce sont les lois mmes du dveloppement et de la concurrence des passions qui expliquent que l'lment passif s'en use peu peu de faon que s'en maintienne et s'en accroisse l'lment actif : en d'autres termes, c'est l'exprience de la vie qui nous instruit de la vanit ou du danger des passions, et qui d'une certaine manire nous en corrige. Car nos passions, mme lorsqu'elles ne sont pas des formes particulires de tristesse, nous conduisent la tristesse par leurs consquences : d'o la tendance qu'elles crent en nous plus ou moins nous dtacherde leurs objets pour nous attacher des .objets plus srs. Le temps est

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pour ce genre de conversion un puissant auxiliaire ; il fait que les affections se rapportant des choses surmontent les afque nous connaissons clairement fections se rapportant des choses dont nous avons une ide confuse ou mutile. (Eth., Y, prop. vu, prop. xx, schol.); d'autre part des affections se rapportant des choses clairement connues deviennent indpendantes des vicissitudes du temps, et comme elles se rapportent des objets vrais, c'est--dire permanents, elles se reproduisent plus constamment dans l'esprit et V, prop. IX-XIII, prop xx, l'occupent davantage (Eth, schol.) Est-ce l substitution radicale d'affections nouvelles aux premires? Nullement. D'abord, en un certain sens, ce qu'a de passif une affection ne peut tre toujours dtruit, pas plus que ne peut tre dtruite l'image sensible que nous avons du soleil, mme quand nous avons du soleil une ide rationnelle. (Eth, IV, prop. i, schol. ; Y, prop. xx, schol.) Seulement, s'il est impossible que nous ne restions pas dans beaucoup de circonstances faonns et comme tents du dehors, nous pouvons du moins par la connaissance rfrner l'imagination qui vient de l et empcher que ces modifications extrieures ne gardent sur nous l'empire qu'elles avaient auparavant; de la mme manire que nous nous retenons de croire que le soleil sensible, toujours prsent nos yeux, est lesoleil vritable/D'autre part, il y a dans nos affections les plus passives, comme nous le savons, un lment actif, la part de puissance que renferme notre dsir. La passion vient uniquement du rapport qu'a notre dsir avec la force prpondrante de telle cause extrieure : or ce rapport n'a qu'une ncessit de circonstance, non une ncessit vraie ; notre dsir peut

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donc tre spar de l'ide de cette cause et joint d'autres ides ; et ainsi tombe l'espce particulire de passion qui l'avait dtermin. (Eth., V, prop. n.) Mais pour sparer notre dsir de l'ide d'une cause extrieure, il nous faut le comprendre tel qu'il est, c'est-dire dans la mesure o il implique un pouvoir d'agir qui nous est propre : or de toute affection du corps et par suite de toute affection de l'me nous pouvons nous former un concept clair et distinct, lequel n'est au reste que l'ide constitutive de cette affection replace dans la suite des ides qui rendent vritablement raison de notre nature ; une affection qui tait passive cesse de l'tre et devient active sitt que nousnous en formons un concept clair et distinct ; nous pouvons ainsi acqurir de plus en plus le pouvoir de lier nos affections suipour l'entendement, et de les mettre en accord entre elles comme en accord avec la nature universelle. (Eth., V, prop. -iv ; prop. x.) Dans ce passage la vie raisonnable, non seulement nous maintenons et nous augmentons, en la dgageant, toute la puissance propre notre effort pour persvrer dans l'tre ; mais encore nous ne perdons aucun des bnfices dus aux rencontres heureuses del passion; car s'il arrive que la passion accroisse notre puissance d'agir, comme notre puissance d'agir est fonde positivement sur notre essence, la raison, qui nous fait concevoir notre essence d'une faon adquate, garantit et assure toutes les manifestations relles de cette puissance ', et c'est l sans doute l'une des expressions les plus paradoxales de l'intellectualisme spinoziste : toutes les actions auxquelles nous sommes dtermins par une affection qui est une passion, nous pouvons tre dtermins sans elle parla raison. (Eth.,1V, prop. LIX.) vant un ordre valable

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Donc tout ce dont l'homme est par sa nature cause efficiente et complte est ncessairement bon ; mais il lui est impossible de ne pas demeurer une partie de la nature, et la nature n'a pas t providentiellement adapte ses dsirs. Seulement, par la connaissance claire de ce qui dans la nature lui convient, il peut en tourner bien des objets son usage, et tendre plus ou moins au dehors de lui sa puissance d'agir. L mme o la recherche de son intrt bien compris se heurte la force plus grande des choses, la raison, qui cesse alors d'tre principe d'action expansive, devient principe d'acceptation et d'acquiescement. Elle nous fait comprendre la ncessit de l'ordre de la nature, et nous inclinant ainsi ne dsirer que ce qui en soi est ncessaire, elle nous fait trouver dans la connaissance de la vrit le contentement absolu que nous cherchons. (Eth., IV, app., xxxu ; Eth., V, prop. vi.) Conception que Spinoza a emprunte au stocisme, et qui n'appadans le raissait pas, au moins aussi explicitement, Court Trait', mais en l'adoptant comme l'une des rgles essentielles du bonheur dans la vie prsente, Spinoza la dpouille du caractre expressment finaliste que lui donnaient les stociens : la ncessit gomtrique de la nature n'tablit pas de convenance entre les lois naturelles et nos intrts, et notre me ne peut s'en contenter qu'aprs en avoir fait laborieusement, et le plus possible, un instrument d'action. Il reste toujours que l'lvation de notre puissance et l'tablissement des vrais rapports son maximum entre elle et la puissance des choses extrieures sont l'oeuvre directe de la connaissance claire, considre comme la vertu absolue de l'me. Or l'objet suprme de la connaissance claire, c'est, comme nous le savons,

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Dieu ou l'Etre absolument infini sans qui rien ne peut tre ni tre conu. Cette connaissance, tant l'expression la plus haute de notre tendance persvrer dans notre tre, s'accompagne d'une joie correspondante, lie l'ide de Dieu comme sa cause ; elle s'accompagne donc d'un amour de Dieu, qui lui est proportionn, et cet amour occupe l'me plus que tout le reste. (Eth, IV, prop. xxviu; V, prop. xv etxvi.) Cet amour del'homme pour Dieu n'est souill par aucun sentiment d'envie et de jalousie ;' car Dieu est un bien commun tous les hommes, un bien qui se communique tous sans se diviser ; bien mieux, cet amour est en nous d'autant plus fort que nous nous reprsentons plus d'hommes unis Dieu par un mme lien. (Eth., IV, prop. xxxvi ; V, prop. x.) En retour il est impossible que Dieu nous aime, parce que Dieu est exempt de passion, qu'il ne peut passer d'une moindre perfection une plus grande, qu'il n'est point sujet des sentiments de joie ou de tristesse. Celui donc qui aime Dieu ne peut faire effort son tour (Eth, V, prop. xvn, pour que Dieu"l'aime xix ; Cf. Court Trait, deuxime partie^ ch. xxiv, p. 181) : ce qui ne veut point dire qu'il est l'abandon. Mais l'amour qu'il a pour Dieu sufft le librer et le 1 rendre heureux, prcisment parce qu'il est fond sur la connaissance de l'tre infini, source directe de toute puissance. Voil comment nous pouvons nous dtourner des passions et atteindre au bonheur dans la vie prsente, Pour oprer cette conversion et accomplir cette conqute, ou que soient Spinoza n'estime pas qu'interviennent efficaces des intentions prtend n'invoquer subjectives de bien faire ; il 1les lois que qui gouvernent le jeu

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des reprsentations dans leur rapport avec les dsirs humains : les diverses attitudes que semble prendre la conscience ne sont que des effets divers de ces lois. Dans quel sens ces lois agissent-elles ? Par son anU(inalisine explicite Spinoza est autoris admettre qu'elles n'accordent pas immdiatement, qu'elles opposent mme violemment la puissance propre de l'homme et la puissance des causes extrieures : d'o les passions ii leur rsistance l'avnement de la libert vraie. Mais par son rationalisme raliste Spinoza est conduit soutenir que ces lois doivent faire triompher les ides adquates, qui sont les ides d'objets rels et ncessaires, sur les ides inadquates, qui sont les ides d'objets passagers et contingents; autrement dit, que la connaissance claire et distincte, ds qu'elle entre en action, est la plus grande force de la nature. Ainsi il dcouvre encore ce finalisme latent que nous ayons dj relev sous d'autres formes dans le systme, et qui consiste ici doter la raison de la puissance ncessaire pour se retrouver et se ralisera travers les circonstances empiriques del vie humaine.

DOUZIME

LEON.

La vie

ternelle.

Conclusion.

Dans la vie prsente et dans les lois qui la gouvernent, nous trouvons de quoi possder certainement la vertu et le bonheur : vertu et bonheur sont impliqus dans la conservation et l'accroissement de la meilleure partie de nous-mmes, pars melior nostri (Eth., IV, Vertu app., cap. XXXII), c'est--dire de l'entendement. et bonheur ainsi assurs se suffisent en un sens pleinement, et n'ont pas besoin d'tre complts ou garantis par l'inutile et fictive sanction d'une autre vie. Surtout rien n'est plus absurde que de dire ou de croire que sans celte autre vie, sans les rcompenses ou les chtiments qu'elle comporte, nous n'aurions aucun motif valable ou efficace d'tre vertueux : comme si la raison la folie, et pas toujours en soi prfrable comme si la vertu vritable n'tait pas, hors de toute notre bien propre. , Quand condition trangre, n'tait mme nous ne saurions pas que notre me est ternelle, de considrer nous ne laisserions pas cependant comme nos premiers objets la moralit et la religion, en un mot tout ce qui se rapporte la fermet d'me et la gnrosit. (Eth, V, prop. XLI. Cf. Court Trait, deuxime partie, ch. xxvi. p. 190. Ep. XLIII, t. IL, p. 170.) Mais nous savons, selon Spinoza, que notre me* est ternelle : ce qui ne veut pas dire, du reste, que notre vie prsente sera suivie d'une autre vie, plus ou moins imaginable comme celle-ci dans la dure ; ce qui

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dire qu'au principe, non la suite de notre vie l'ternit de prsente, se conoit intellectuellement notre me, en d'autres termes une existence de notre me sans aucun rapport avec une dure mme indfiniment prolonge. (Eth, V, prop. xxm, schol. ; prop. XXXIII, schol.) Qu'est-ce qui assure donc l'ternit de notre me, et quel rapport a-t-elle avec la vie prsente ? veut Trait n'avait point dfini les conditions spciales et suffisantes dont rsultent la vertu et le bonheur dans la vie prsente : tendant avouer l'inefil faisait ficacit de la connaissance rationnelle, et la jouissance de l'tre d'emble appel l'intuition de la rgninfini et ternel pour l'accomplissement Le Court Dans YEthique, la thorie de la connaissance rationnelle, destine montrer comment s'expliquent par les notions communes les choses existantes, avait du mme coup pour effet d'tablir que les affections peuvent se ramener des concepts clairs et distincts qui les dpouillent de ce qu'elles ont de passif et les selon un ordre ncessaire en forces convertissent ration. libres. V, prop. iv.) actives, vritablement (Eth., Ainsi ce gouvernement de la vie actuelle par la raison nous met en rapport avec quelque chose itrternel; car les notions communes, se rapportant aux modes infinis et ternels, reprsentent les objets sous une certaine forme d'ternit. (Eth, II, prop. XLIV, cor. H.) Essentiellement adquates, elles engendrent des ides adquates comme elles selon des rapports indpendants de la dure ; par suite, tout ce qu'une me conoit d'ides de cette sorte est ternel (Eth., V, prop. XXXVUI-XL) ; dj donc dans cette mesure l'me est ternelle, par l'ternit de ce qu'elle connat clairement et distinctement ; car, dans la doctrine spinozistc, f-

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ternit se communique connaissant.

de la chose connue l'esprit

Cependant pour Spinoza l'ternit des mes est plus que leur participation l'ordre ncessaire de la nature : dans le Court Trait, elle tait reprsente comme ayant son principe dans l'amour de Dieu, et comme se du corps ; elle tait manifestant par le dtachement donc lie l'ide d'une sorte de suprmatie du spirituel sur le corporel ; elle impliquait de plus dans l'union avec Dieu plutt une sujtion qu'une affirmation humaines. des individualits (Deuxime partie, ch. xviii, p. 155 ; ch. xxn, p. 177, 178.) Or la thorie plus explicitement dveloppe, comme parallliste, nous l'avons vu, aprs le Court Trait, empchait d'admettre que l'me, ide du corps, put s'lever en quelque faon au-dessus du corps. En outre, YEthique avait fait nergiquement ressortir par ailleurs l'activit qui agit par raison, et l'avait propre l'individu dgage de toute image de dpendance passive. Avec ces exigences ou ces caractres de son systme dfinitif, comme avec son inspiration personnelle profonde, Spinoza s'est efforc de mettre d'accord la doctrine de l'ternit des mes qu'il expose dans la cinquime partie de YEthique. L'me est l'ide du corps, et tant que le corps existe, elle en exprime les modifications passagres par des ides, elles mmes passagres ; cette partie de Paine qui sent, imagine, se souvient en vertu des causes extrieures dont le corps est affect, prit doncavecle corps et comme lui. (/i//i., V, prop. xxt ; prop. xxxiv.) Mais il y a du corps quelque chose d'imprissable : c'est son essence, qui, comme toute essence, est ternelle. A cette essence, qui n'est pas fessencedes corps en gnral,qui est l'es-

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sence de tel ou tel corps humain, hujus et illius corporis humani, correspond dans la Pense divine une ide qui constitue l'essence, pareillement ternelle, de telle ou telle me humaine. (Eth, V, prop. xxu, xxiii.) Or le propre d'une ide, c'est de se faire connatre; si bien qu' la diffrence de l'ternit des essences d'une autre sorte, l'ternit de l'me comme essence est une ternit consciente ; et l'espce de connaissance qui lui est exactement approprie, c'est la connaissance du troisime genre. Connaissance qui, comme nous le savons, va de l'ide adquate de certains attributs de Dieu la connaissance adquate de l'essence des choses intuitive des (Eth, V, prop. xxv) ; connaissance choses singulires, qui l'emporte ce titre sur la connaissance du second genre parles notions communes. (Eth., V, prop. xxxvi, schol.) L suprme effort de rame et sa suprme vertu sont de connatre les choses par ce troisime genre de connaissance (E(h., V, prop. xxv) ; ou pour mieux dire, ce genre de connaissance dpend de l'me, comme de sa cause formelle, en tant que l'me est ternelle. (Eth, V, prop. xxxi.) Ainsi l'ternit des mes est constitue la fois par l'ternit de leurs essences individuelles et par l'intuition intellectuelle qui y est lie. Mais par leurs essences peut-on dire que les mes existent, puisque pour elles, comme pour les tres finis en gnral, l'exisncessairement dans l'estence n'est pas implique sence ? A quoi Spinoza rpond : Les choses sont conues par nous comme relles de deux manires: ou bien en tant que nous en concevons l'existence avec une relation un temps ou un lieu dtermin, ou bien en tant que nous les concevons comme contenues en Dieu et comme rsultant del ncessit de la nature.
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divine. Celles qui sont conues comme vraies o relles de cette seconde manire, nous les concevons sos la forme de l'ternit. (Eth, Y, prop. xxix, schol.) Il y a donc une existence des essences qui mrite ce nom autant que l'existence des choses dans la dure, et mme qui la mrite plus : car l'existence des choses dans la dure ne fait, comme nous l'avons vu, que manifester la force de production qui drive de l'intelligibilit de leur essence et qui se dveloppe en vertu de c'est--dire de l'infinie puisla souveraine intelligibilit, sance de la substance divine. C'est donc la suprme ralit de.nous-mmes qui est ternelle et qui est l'objet de la connaissance du troisime genre; et c'est parcelle affirmation de ce que nous sommes ternellement que nous nous savons unis Dieu le plus intimement. Notre me, en tant qu'elle se connat elle-mme et qu'elle connat le corps sous la forme de l'ternit, a ncessairement la connaissance de Dieu, et sait qu'elle est en Dieu et est conue par*Dieu. (Eth, V, prop. xxx.) Cette conscience directe de notre rapport Dieu a une certitude plus immdiate et nous touche incomparablement plus que'la dmonstration gnrale de la dpendance de toutes choses l'gard de l'tre infini. (/iV/i.,Vi prop. xx.xvi, schol.) En principe, l'ternit de notre tre, c'est l'ternit de l'entendement ; pars mentis oeterna est intellectus(Eth>, V, prop XL, cor.) ; et sans doute l'origine de la doctrine spinozlste se trouve la conception aristotlicienne de l'ternit du v&$. Selon Arlslote, en effet, c'est l'entendement pur, spar des sens et de toute matire,' en acte, qui est ternel (De anima, essentiellement III cap. v, 430 a 17) ; mais cet entendement actuel appartient-il chaque homme comme pur et tel, ou

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bien est-il la raison universellet la pense divine se tous les hommes ? L-dessus les communiquant s'taient interprtes et continuateurs deTaristotlisme profondment diviss. Dans la dernire hypothse, qui tait notamment celle d'Averros, (V. E. Renan, Averros et VAverroisme, p. 152 sq.), l'ternit, rserve la raison, ne saurait tre le partage des individus, Mais le philosophe juif ncessairement prissables. Levihen Gerson, aprs avoir discut diverses interprtations, et en particulier celle d'Averros, avait conclu que l'immortalit peut tre la fois rationnelle et individuelle ; que chaque homme se fait une destine* en rapport avec le savoir qu'il a acquis dans la vie prsente. (V.Jol, Leivi ben Gerson als Religionsphi* losoph, p. 21-45.) Que Spinoza ait subi ou non l'influence directe de Levi ben Gerson, il a en tout cas inclin sn thorie de l'ternit de l'entendement dans le sens des conceptions alexandrines qui admettaient des Ides des individus. (V. Brochard, L'ternit des mes dans la philosophie de Spinoza. tudes de philosophie ancienne et de philosophie moderne, p. 371.) Mais dans le Court Trait il s'tait born , soutenir que- l'entendement, produit immdiat de Dieu, chappe aux lois de la destruction comme de la gnration naturelles (Deuxime partie ch. xxvi), et il n'avait point spcifi que cet entendement pt tre essentiellement ntre. C'est bien, au contraire, de notre esprit qu'il parle expressment dans YEthique, pour en affirmer l'ternit. Mens noslra. (Eth, V, prop. xxx.) Ds lors, de quelle faon accorde-t-il la notion de facult du vrai, avec la notion de l'entendement, essence ternelle de mes indivil'entendement, duelles ? L-dessus, il n'a point fourni d'explications

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directes, cl l'on est rduit l'interprter. Rappelons^ nous d abord que pour lui l'entendement n'a pas une ralit qui rponde ce terme gnral ; qu'il est simplement l'ordre des ides vraies. Or, en tant que mode la fois fini et ternel de la Pense divine, l'ide qui Constitue chaque amen peut que la reprsenter telle et, en tant qu'elle forme avec qu'elle est vritablement toutes les ides du mme genre une unit et un ordre qui ont leur raison dans l'entendement infini de Dieu, elle reprsente vritablement tels qu'ils sont les autres tres. Notre me, dit Spinoza, en tant qu'elle connait, est un mode ternel du penser, qui est dtermin par un autre mode ternel du penser, ce dernier son tour par un autre mode, et ainsi l'infini : de sorte que tons ensemble constituent l'entendement ternel et infini de Dieu. (Eth., prop. XL, schol.) Cependant, par cela qu'elles sont finies, les mes individuelles sont limites, et dans la puissance de produire de leurs ides essentielles d'autres ides qui dveloppent leur nature, et dans la puissance de comprendre les relations qu'elles ont absolument avec les autres mes : d'o, hors de la puissance que leur quantit d'essence une altration de comporte leurs rapports avec l'ensemble de la nature, et qui leur rend extrieure la force ds lors infiniment plus grande des autres choses. Voil comment l'individualit essentielle de chaque me humaine est marque par le degr de sa capacit de connatre, la vrit tant fonde pour elle sur ce qu'elle est rellement et sr la ralit de l'ordre auquel elle adhre intimement. ' De la connaissance du troisime genre qui nous fait

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apercevoir en.Dieu l'ternit de nolretie nait notre plus grand contentement intrieur (Eth., V, prop. xxvn), avec l'accompagnement, comme cause, de l'ide de nous-mmes et de l'ide de Dieu : cette joie est donc un amour, un amour intellectuel de Dieu. Nous avons vu comment la conqute de la libert vraie et de la flicit durable dans la vie prsente est dj attach l'amour de Dieu ; mais l'amour de Dieu, qui est la plus constante et la plus certaine des affections de cette vie (Eth, V, prop. xx, schol.), tient au fond ces proprits de l'amour purement intellectuel de Dieu que produit la connaissance du troisime genre, et qui est un C'est amour ternel. (Eth., V, prop. xxxin, xxxiv.) parce que cet amour suit de la nature de l'me, considre elle-mme, en vertu de la nature de Dieu, comme une vrit ternelle, qu'il chappe la loi qui met nos sentiments sous la dpendance de causes extrieures plus fortes que notre puissance propre : Il n'y a rien dans la nature qui soit contraire cet amour intellectuel, c'est--dire qui le puisse dtruire. (Eth, V, prop. xxxvii). Amour intellectuel : il est possible que Spinoza ait emprunt Lon l'Hbreu et ses dialogues sur Tamour cette formule des rapports del connaissance et de l'amour, l'Origine desquels il y a Platon et le noplatonisme : mais la formule tait rpandue dans le langage des philosophes. (V. 1er fvrier 1617, d. Descartes, lettre Chanut, t. IV, p. 007 ; Henry More, EnchiAdam-Tannery. ridion Ethicum, II, cap. x, 13-18.) Spinoza en tout cas l'a intimement approprie sa pense. A cette sorte d'amour de l'homme pour Dieu correspond-il un amour de Dieu pour l'homme? Nous avons vu que l'amour de l'homme pour Dieu, tel qu'il est impliqu

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dans les affections actives de la vie prsente, ne doit pas attendre en retour un amour de t|honjigfl^our/ /Dieu/lequel supposerait en Dieu une nature plus ou Trrolps analogue la nature humaine et des transitions d'un tat un autre. Telle tait la thse du Court Trait d|ns (deuxime partie, ch. xxiv, p. 181), reproduite YEthique (V, prop. xvu, prop. xix). Le Court Trait la justifiait notamment par cette raison, qu'on ne peut attribuer Dieu aucun mode de penser, en dehors de v ceux qui sont dans les cratures . Il ajoutait cependant dans un passage quelque peu obscur (p. 182) que Dieu, s'il n'aime pas, parler exactement, les hommes;'ne les laisse pas pour cela dans l'abandon, mais que, l'homme tant en Dieu conjointement tout ce qui est; il ne peut y avoir d'amour proprement dit de Dieu pour autre chose, puisque tout ce qui est ne forme qu'une seule chose, savoir Dieu lui-mme. Ce qui parat surtout avoir t rejet alors par Spinoza, c'est la reprsentation, sous la forme de l'amour, et d'un amouV ayant particulirement pour objet les mes .humaines, du soutien que trouvent dans l'Etre infini tous les tres finis ; plus forte raison,.il n'y a proprement amour de Dieu, pour lui-mme qu'autant que l'aiment des tres finis qui font partie de son tre. Or YEthique, passant nettement par-dessus ces restrictions et ces scrupules, finit par affirmer que Dieu s'aime lui-mme et que Dieu aime les nommes. Qu'est-ce qui permet logiquement une modification aussi importante du systme? Avant tout, une affirmation qui n'tait pas explicitement prsente par le nettement Court Trait lui-mme, et qui ne s'y.lfouvatt nonce que dans une note sans doute ajoute ultrieurement (deuxime partie; ch. xxit, p. 176, appen-

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dice, p. 201) : savoir, qu' il y a ncessairement en Dieu une ide tant de son essence que de ce qui suit ncessairement de son essence. (Eth., II,- prop. m.) Cette ide, constitutive de l'intellect infini, fait que Dieu se connat lui-mme par un mode ternel et et de l drive, comme nous infini de sa pense; (sixime leon), l'espce de personnalit que le spinozisme met en Dieu. Ainsi se trouve rejete Cette autre assertion du Court Trait, sur laquelle tait fonde prcisment l'impossibilit d'un amour prouv par Dieu, qu'on ne peut attribuer Dieu aucun mode de penser, en dehors de ceux qui sont dans les cratures. Maintenant donc, autant que l'amour suppose connaissance, il peut y avoir en Dieu un amour de Dieu pour lui-mme ; car la perfection infinie en laest accompagne de l'ide de quelle Dieu s'panouit lui-mme comme cause de soi et de cette perfection : Dieu ce qui est conforme la dfinition de l'amour. s'aime lui-mme d'un amour intellectuel infini. (Eth., V, prop. xxxv.) Autant l'ide de Dieu, mode infini de la Pense divine, se dislingue des ides que sont les mes humaines ou qui leur appartiennent, autant l'amour intellectuel infini dont Dieu s'aime lui-mme se distingue de l'amour de ces mes pour lui ; mais, d'autre part, autant les ides que sont dans leur essence ternelle les mes humaines sont des parties de l'intellect infini de Dieu autant l'amour Intellectuel des mes envers Dieu est une partie de l'amour infini de Dieu pour lui-mme* L'amour intellectuel de l'me envers Dieu est l'amour mme dont Dieu s'aime lui-mme, non pas en tant qu'il est infini, mais en tant qu'il peut s'expliquer par l'essence de l'me humaine considre sous la forme de l'avons vu

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n(Eth.tY, prop. xxxvi.) Il suit de l que Dieu, en tant qu'il s'aime lui-mme; aime les hommes, et par consquent que l'amour de Dieu envers les hommes et l'amour de l'me envers Dieu sont une seule et mme chose. (Cor.) Nous connaissons clail'ternit. rement par l en quoi consiste notre salut, c'est--dire notre batitude ou notre libert : c'est dans un constant et ternel amour envers Dieu, ou dans l'amour de Dieu envers les hommes. Cet amour, ou cette batitude, est appel dans les Livres sacrs Gloire, non sans raison. (Schol.) Ainsi Spinoza s'est efforc de repr1 senter en des termes qui satisfont plus compltement sa conscience religieuse, mais qui n'taient peut-tre pas ncessairement impliqus dans le systme, la concidence entre l'acte par lequel Dieu nous produit et l'acte par lequel nous nous sauvons : l'acte par lequel Dieu nous produit est comme l'acte par lequel nous nous sauvons un acte d'amour : ou, pour mieux dire, il y a identit entre les deux, mais au sens o un mode fini est identique un mode infini parce qu'il en est une partie. Cependant cette faon de doter Dieu d'un amour de soi-mme et d'un amour des hommes ne supposet-ellepas le transfert en Dieu, sous une forme minente, de proprits tires de l'observation de la nature d'une mthode conhumaine, par suite, l'application damne en principe par Spinoza ? L'thique a dfini l'amour comme une joie, et la joie comme un passage d'utus perfection moindre une perfection plus grande. Or la batitude qui constitue l'amour intellectuel de l'me pour Dieu, tant ternelle, lie peut plus tre tenue pour un passage une plus grande perfection ; nanmoins, dit Spinoza, elle est plus forte raison joie

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et amour, parce qu'elle rsulte d'une perfection ternellement en acte. (Z?//i.,prop. xxxin, schol.) Cette nouvelle conception de la joie, toute proche de la conception aristotlicienne prcdemment rejete, peut la rigueur ne pas contredire directement la premire, et simplement la complter. Mais si elle reste, avec plus ou moins de hardiesse, applicable h la dfinition d'un amourqui, tout en tant intellectuel et ternel, reste humain, peut-elle remonter, par del l'ordre des modes finis, jusqu' Dieu lui-mme ou jusqu' son intellect infini ? Spinoza dclare que, pour rendre compte de ce qu'est la vie ternelle de l'me, il est oblig de s'expliquer, faute de moyens plus clairs d'exposition, comme si cette vie prenait naissance et en quelque manire se dveloppait. (Eth., Y, prop. xxxi, schol.) Mais n'a-t-il pas fait plus qu'tablir une suite entre les lments de cette vie ternellement unis, et n'a-t-il pas, par une contravention plus grave, introduit dans l'Infini, ct de perfections absolument incomparables, des perfections plus ou moins comparables, fussent-elles conues minemment, celles de la nature humaine ? En tout cas il maintient que l'apparent progrs des mes vers la batitude n'a point dans l'effort mme dont il semble rsulter sa cause vritable, car cet effort ne fait qu'exprimer dans la dure ce que nous sommes de toute ternit en Dieu et par Dieu. Au fond, pas plus que l'erreur ne se corrige sans la possession de la vrit, les passions ne se dominent sans In possession du salut. La batitude n'est pas le prix de la vertu, c'est la vertu elle-mme ; et il ne faut pas dire que nous en jouissons parce que nous contenons les passions, mais, au contraire, que nous sommes capables de-contenir les

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passions parce que nous eh jouissons. ; [Eth., Y, prop. XLII. V. Court Trait, deuxime partie, ch. xxvi, p. 189.) Il y a l une sorte d'quivalent rationnel de la doctrine de la Grce en ce qu'elle peut avoir de plus oppos l'efficacit et mme la possibilit d'initiatives individuelles dans la vie prsente. (Tract, thologico-politicus, cap. xn, 1.1, p. 529.) Pourtant la vie prsente,, avec ses preuves et ses oppositions plus ou moins surmontes, n'njoute-t-elle rien au dcret qui fixe notre destine? Question que sans doute Spinoza et tenue pour vaine. Car elle revient admettre, dans un sens, que la vie prsente n'est rien, dans l'autre sens, qu'elle peut avoir quelque ralit et quelque valeurhors de la vrit rationnelle qui la justifie. Or les existences dans la dure, qu'il ne faut pas confondre avec la reprsentation que nous nous en donnons au moyen du sont des temps, simple auxiliaire de l'imagination, consquences que dveloppe l'ordre des essences par la toute-puissance de l'Etre infini : elles sont relles ce titre, mais sans pouvoir accrotre d'elles-mmes la ralit qui leur choit. Etant finies* elles se limitent les unes les autres, et elles peuvent en consquence s'opposer les unes aux autres, comme elles peuvent aussi, autant que leur nature est commune, s'unir et se soutenir rciproquement. De la vie prsente il doit donc demeurer dans les mes raisonnables la conscience de la ncessit universelle qui donne lieu la dtermination des tres finis les uns par les autres, et cette conscience de la ncessit universelle se lie l'intuition qu'elles ont de leurs essences ternelles. Assurment l'universelle ncessit multiplie chez certaines mes plus que chez certaines autres les occasions ou les moyens de se faire reconnatre, pt il peut alors sembler que par

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notre faon de vivre nous nous confrons des titres et des valeurs que nous n'avions point ; mais, en ralit, c'est toujours la connaissance de notre union rationnelle avec Dieu qui est le seul instrument efficace de notre salut, non la prtention de notre vouloir dpasser ce que nous sommes en s'appuyant sur des modalits passagres de la vie prsente. Nous n'agissons donc que selon ce que nous sommes ternellement ; c'est--dire que notre prdestination, si l'on peut employer le mot, est entire. Comporle-t-elle toutefois une distinction radicale entre des lus et des <L rprouvs , autant, bien entendu, que la doctrine admette de pareils termes ? On pourrait le croire parfois couter certaines dclarations de Spinoza, en particulier celles qui terminent YEthique. v Par l, dit-il, il apparat clairement combien grande est l'excellence du sur l'ignorant, sage et sa supriorit que l'aveugle en effet, outre qu'il est passion conduit. L'ignorant, agit en mille sens divers par les causes extrieures et qu'il ne possde jamais le vrai contentement de l'me, vit inconscient de soi-mme et de Dieu et des choses : et pour lui, cesser de ptir, c'est cesser d'tre. Au contraire le sage, en tant qu'il est considr comme tel, sent peine son me trouble. Possdant par une sorte de ncessit ternelle la conscience de soi-mme et de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d'tre ; et le vrai contentement de l'me, il l'a toujours en son pouvoir. >Que ceux qui n'ont pas en partage l'intellection suprme puissent par la foi, par l'amour de Dieu et du prochain tel que le command la religion, arriver quand mme au salut, c'est ce qu'expose le Trait tho* logico-politique. Mais pour demeurer dans les limites de la doctrine de YEthique, peut-on croire qu'il y ait des

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hommes vous l'ignorance absolue et au complet abandon de Dieu ? Il semble; bien que toute me humaine comporte par nature une part de connaissance vraie(V. Eth. II, prop. xx); seulement cette part, considrable chez celui qui peut tre appel sage, est, au contraire, chez celui qui est appel ignorant, extrmement rduite. (V. Eth, Y, prop. xx.) Extrmement rduite, mais non point nulle sans doute. Des mes condamnes la passivit radicale, par suite la mort absolue, ne seraient point des modes ncessaires de l'Etre infini : or toutes les mes le sont, et c'est celte filiation qui leur communique en principe toutes la capacit d'tre plus ou moins appeles au salut. Nous nous trouvons ainsi, pour conclure, rappeler une fois de plus comment Spinoza a prtendu enfermer dans sa mtaphysique la solution du problme qui est pour lui le problme capital sinon unique, le problme de la vie bienheureuse. Cette mtaphysique est couramment .traite de panthisme : terme juste, s'il signifie que pour Spinoza il n'y a point d'tres qui puissent avoir leur existence hors de Dieti et que leur existence est produite par Dieu ncessairement ; ternie inexact, s'il devait laisser croire qu'entre l'Etre infini ou Dieu cl les tres finis il n'existe aucune diffrence: car Dieu, pris absolument, est cause, et domine l'ensemble de ses modes comme la cause domine ses effets ; terme vague, s'il se bornait faire entendre que la ncessit du rapport qui unit le monde Dieu les rend insparables l'un de l'autre. Car c'est la faon dont est conue cette ncessit qui est avant tout caractristique du systme. Or Spinoza prtend la concevoir et il essaie de l'introduire sous la forme la plus trangre

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aux genres d'action et de production que s'attribue la conscience", il en trouve le type dans la relation qui li les proprits gomtriques leur notion gnratrice, et dont la vrit est aussi peu ployable que possible aux aspirations et aux convenances humaines. Son panthisme est donc dtermin par un rationalisme raliste, qui pose dans l'tre comme principes de la connaissance claire et distincte les objets mmes de celte connaissance, et avant tout l'Objet suprme, c'est--dire la Substance absolument telle infinie. mtaphysique pouvait apparatre comme une lgitime satisfaction ce besoin absolu de comprendre les choses par des raisons bien dfinies, qui avait produit et que stimulait en retour la science de la nature : il ! y aurait lieu cemathmatique pendant dj de se demander si la gnralisation extrme de ce type d'explication ne transgressait pas les limites dans lesquelles il est exactement valable. Mais ce dogmatisme n'est point le paradoxe le plus tmraire de la pense de Spinoza. Ce que son systme contient de plus audacieux, et sans doute de plus discutable, c'est, en liminant par principe de la vrit et de l'tre tout ce qui porte la marque de la subjectivit humaine, de prtendre contenter le dsir le plus essentiel de l'homme, qui est le dsir de vivre, et de vivre heureux. D'o vient donc que ce dsir chappe condamnation qui frappe en gnral les l'impitoyable tendances par lesquelles l'homme se considre comme centre du monde ? Si Spinoza ne va pas cette consquence que sa conviction personnelle dsavouait, c'est qu'il se croit en droit d'assimiler le dsir qu'a l'homme d'tre heureux l'effort par lequel se manifeste son essence ; c'est qu'il tche de dpouiller ainsi ce dsir de En soi une

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ses lments les plus subjectifs pour n'en laisser subsister que la force ncessaire avec laquelle il s'exerce. Mais y russit-il autant qu'il l'imagine ? Est-ce que, pour expliquer les directions diverses et successives du dsir, il n'est pas forc de faire entrer en ligne de compte la joie, la tristesse et les avertissements qui les accompagnent ? Sans doute joie et tristesse expriment pour lui un accroissement et une diminution de la puissance d'agir, laquelle reste fondamentale. Seulement coin nient ne pas avouer que nos sentiments seuls sont pour nous la mesure des variations de cette puissance, et qu'ils supplent, pour nous guider, une connaissance objective impossible dans la plupart des cas? Si troitement qu'ils soient associs par Spinoza aux ides de l'entendement ou de l'imagination, ils n'en ont pas moins une faon d'agir qui n'est point celle des ides, et ils introduisent dans le dveloppement de la vie mentale l'influence de ces facteurs subjectifs que le spinozisme s'est appliqu rejeter. Par cette valeur relle qu il attribue aux sentiments, le spinozisme rintgre donc plus QU moins confusment le fait de la concentration des tats d'me individuels dans la conscience: fait qu'il avait sacrifi en principe la notion de l'me-ide, la notion de l'me constitue essentiellement par la connaissance d'un objet. Et ce n'est pas la seule rintgration de ce genre qu'il opre ou laisse s'accomplir. Sa grandiose et presque hroque tentative pour faire vivre le monde, l'homme et Dieu, pour les distinguer et les unir sous les seules lois de l'objectivit rationnelle la plus radicale, entrane avec elle sur bien des points certaines notions ou suppositions d'origine subjective qu'elle devait laisser au dehors, C'est ainsi que Spinoza

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d'une cration absolue pour y repousse l'ide substituer l'ide d'une production ncessaire du monde par Dieu ; mais cette production ncessaire du monde, assimile la dduction des proprits qu'enveloppe une notion (Eth.,1, prop. xvi), n'est-elle pas dans le fond subordonne l'incomprhensible raison qui fait que la substance absolument infinie, au lieu d'enfermer en soi toute sa puissance productrice, la manifeste et la dveloppe par des modes ? Et quelque effort mme que fasse Spinoza pour effacer dans la dduction ncessaire des proprits mathmatiques l'oeuvre proprede notre entendement, n'est-ce pas transporter en Dieu un fait subjectif humain, si peu subjectif et si peu humain qu'il soit, que celui qui consiste a dployer tout le contenu de la vrit rationnelle par des actes progressifs de drivation ? Ainsi, tout en rejetant l'ide d'une cration absolue, Spinoza n'en n'est pas moins forc de conserver son insu quelque chose de l'incompihensibilit et de la subjectivit que suppose celte ide. D'autre part, la puissance infinie de Dieu, en maintenant les tres dans son unit, les protge contre les hasards du pur mcanisme. Spinoza rejette expressment les causes finales ; mais il explique l'univers par une essence suprme et par des essences particulires. Or cette notion d'essence, en supposant l'antriorit d'une nature intelligible par rapport a ce qui doit se ma* nifester et se produire, n'est-elle pas le substitut de l'ide d'une prordination par des fins ? Substitut seulement imparfait, en ce que l'essence dote d'une ralit actuelle et toute donne ce que la finalit exprime comme loi idale. Substitut trs important malgr tout par les avantages qu'il prte en dessous au systme, puisqu'il lui

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des tres est fonde permet de soutenir que l'individualit en raison, que la persvrance de ces tres dans leur tre, fait d'inertie en apparence et mcaniquement dtenninable, implique l'aflirmation de ce qu'ils ont de plus actif et en un sens de plus spontan, que la rationalit du vrai est dans la nature universelle la force et qu'elle, doit par suite dans la nature dominante, des passions. humaine prvaloir sur l'irrationalit Mais o le systme, quoi qu'il veuille, obit le plus peut-tre celte inspiration finaliste secrte, c'est dans la dmarche par laquelle il plie ses prmisses l'avnement del connaissance et l'accomplissement du salut pour l'homme. Spinoza a pu en principe prononcer l'galit de tous les attributs de Dieu, et soutenir qu'il n'y a aucune prvalence de la Pense: de fait, nous avons vu qu'il n'y en a point, au sens o une certaine interprtation idaliste du spinozisme prtend la faire ressortir ; mais il n'en apparat pas moins que la Pense absolue, en soi indiffrente tout ce qui intresse l'homme, produit l'intelligence infinie et par elle les intelligences finies, et que de l doit rsulter une union des mes humaines avec Dieu, quoi ne saurait certainement se comparer le rapport des autres tres avec la substance infinie. En consquence, Spinoza se dcide affirmer que Dieu aime les hommes en s'aimant lui-mme; il fait ainsi de cet acte d'amour un lien particulirement intime entre ta substance absolument infinie et quelques-uns de ses modes. Or, ds que le salut humain n'est point une manifestation quelconque de l'ordre des choses, et la conviction nergique de Spinoza autant que la direction de sa doctrine rpugnent celte ide, il doit en tre l'expression minente, et par l d'une manire trs sre la fin. Dieu cause de soi, Dieu cause

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des tres, Dieu sauveur des mes : y a-t-il l simple dveloppement d'un mme concept ? n'y a-t-il pas l un enrichissement du concept premier, enrichissement accompli peut-tre aux dpens de la pure logique de la doctrine, mais sous la pression des ncessits que dans sa faon de poser le Spinoza avait impliques problme du salut. Ainsi, malgr son effort souvent heureux et fcond vers la perfection systmatique, le spinozisme enferme des virtualits ou des postulats latents qui l'empchent de se fixer dfinitivement dans la forme qu'il s'est donne. Ce n'est point l un motif de dcider que cette forme a t simplement adventice, sans importance. Car elle n'a pas servi uniquement analyser et dterminer la vue profonde par laquelle Spinoza a embrass l'unit ncessaire des tres finis avec l'Etre infini; elle a encore constitu des types d'explication qui ne s'taient jamais offerts avec une telle rigueur et une telle plnitude d'abstraction l'assentiment ou l'examen critique, et dont le commun caractre est de raliser le rationnel, hors de la conscience de toute action subjective, dans l'objet pur, lieu immobile des lois ncessaires et des essences ternelles en mme temps que puissance infinie d'tre et de produire. C'est par l que le spinozisme a conquis une valeur philosophique durable. Car si l'adhsion peut tre refuse des thories de cette espce, l'obligation de se mesurer avec elles s'im un posera toujours toute philosophie qui,obissant voeu contraire, prtendrait rintgrer souverainement la conscience dans la pense, et chercher du ct du par sujet de quoi comprendre plus intrieurement, suite plus vritablement, le principe du monde et le lien des tres.
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APPENDICE

i La composition et la publioation Spinoza (1). des oeuvres de

L'usage que l'on peut faire des divers ouvrages de Spinoza de sa pense philosophique est pour la reconstitution subordonn la connaissance des conditions dans lesquelles ces ouvrages ont t composs et publis. (Cf. Van der 's Gravenhage, Linde, Benedictus Spinoza, Bibliografie, 1871.) Spinoza, pendant sa vie, ne laissa paratre de lui que deux ouvrages : 1 Les Principes de la philosophie de Des cartes, suivis des Penses mtaphysiques (1663) ; 2 le Trait thologico-politique (1670, sans nom d'auteur). Il avait cependant pris ses mesures pour que ses manuscrits fussent aprs sa mort livrs son ami et diteur Jean Rieuwertsz. L'impression devait en tre assez coteuse, et sans doute en paratre assez prilleuse. C'est cequi explique probablement que des amis de Spinoza aient song les vendre, et mme aient engag cet effet des pourparlers avec Leibniz. Etait-ce, comme on Ta suppos pour les excuser (V. Freudenthal, Spinoza, sein Lcben tuul seine Lehre, p. 307*308), parce qu'ayant des copies de ces manuscrits, ils comptaient employer l'argent de cette vente les faire imprimer? Quoi qu'il en soit, grce un personnage anonyme de la Haye, qui en assuma les frais, la publication des OEuvres posthumes eut lieu en novembre 1677. Elle se prsentait ainsi : /i. d. S. opra posthuma quorum sries post proefationem exhibetur, 1677. Aucun nom d'diteur,
(1) Ces notes de leons sans appartenir paru pouvoir utilement le complter. AU cours prcdent, m'ont

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LU SPINOZISMK

aucun nom de lieu d'impression. aucun nom d'imprimeur, On se contentait d'indiquer le philosophe par ses initiales en ne respectant ainsi qu' demi sa volont, qui avait t que son nom ne figurt pas sur ses oeuvres. La srie des crits tait rpartie sous cinq titres : I. Ethica ordine geometrico demonslrdta et in quinque partes dislincta, in quibus agitur : 1 de Deo ; 2 de natura et origine mentis ; 3 de origine et natura affecluum ; 4 de servilutc humana seu d affecluum viribus ; 5 de pqtenlia inletleclus seu de libertatc humana. II. Traclatus polilicus, in quo dcmonstralur quomodo Societas, ubi imperinm monarchicum locum habel, sicul et ca, ubi oplimi imperanl, dbet institui, ne in tyrannidem labalur, et ut pax librlasque civium itwiolata maneal. III Tractatus de inlellectus emendatione et de via, in qua optime in veram rerum cognitionem dirigilur. doctorum quorumdam virorum ad 13. D. S. 'lY.Epistoloe et auctoris respousiones,.ad aliortim ejus operum elucidationem non parum facientes. V) Compendium grammalices linguoe hebroeoe. Les OEuvres posthumes taient prcdes d'une prface dont on ne peut pas dire avec une certitude absolue quel fut l'auteur. Deux des amis de Spinoza, Jarigh Jelles et Louis Mcyer, ont t sparment dsigns comme l'ayant Lcbeusgeschichte Spinoza's, compose. (V. Freudenthal,/)/c p. 223 ; Spinoza, sein Leben und seine Lehre, p. 05.) Jarigh Jelles tait l'un de ces collgiants avec qui Spinoza tait entr en rapports quand il s'tait dtach de la foi juive : chrtiens qui repoussaient toute autorit ecclsiastique et qui rclamaient pour chacun le droit d'interprter l'criture selon la suggestion de sa pit. Jarigh Jelles avait commenc une boutique d'picerie ; ayant par tenir Amsterdam reconnu que la fortune ne pouvu rendre heureux, il abandonna son commerce et voulut se mettre eh tat d'arriver Il voua Spinoza ramifi la la vrit et la perfection. plus fidle et la plus gnreuse. Quant Louis Meyer,, c'tait un luthrien d'esprit trs libre, qui frquenta aussi les collgiants, mais sans s'infoder eux : homme de culture et d'aptitudes trs varies, mdecin par profession, mais galement pote, lexicographe, exgte, dramaturge, direc-

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de thtre. Tout porte croire que des deux c'est Jarigh Jelles qui a compos la prface; le fait qu'il ignorait le latin oblige simplement comme on l'a du d'admettre, reste rapport, qu'crite d'abord en hollandais, cette prface a t traduite par un autre : l'espce d'union qu'elle affirme entre le Spinozisme et le Christianisme est tout fait dans le sens des ides exposes ailleurs par Jarigh Jelles. L'anne suivante (1678), une traduction. des mmes ouvrages en hollandais parut sans nom d'auteur ; elle tait due Glasenmakcr : te Perrot d'Ablanconrl de Hollande. Cette traduction a pour nous un certain prix, parce que, faite sur les manuscrits de Spinoza, et non sur l'dition de 1677, elle permet dans divers passages de corriger utilement cette, dernire. (V. J.-H. Lopold, Ad Spinoza opra posthuma, Hagrc Comitis, 1902, p. 38-64.) Pendant longtemps, glorifi ou honni le plus souvent contre-sens, Spinoza fut certainement plus mentionn encore que lu. La preuve en est que tout le xvm* sicle se passa sans que ft donne une nouvelle dition de ses oeuvres. On n'prouva le besoin do cette dition nouvelle que lorsque se furent veills et prolongs en Allemagne ce sentiment et celte curiosit de.la pense spinozistc, dont la polmique de Mendelssohn et de Jacohi sur le spinozisme rel ou prtendu de Lessing fut la cause au moins occasion* ncllc. En 1802-1803, le philosophe et thologien Paulus, d'Ina, publia a Icna en deux professeur l'Universit volumes in-8 une dition d'ensemble des oeuvres de Spinoza. Pareille lut renouvele en 1830 par entreprise A. Gfroercr, bibliothcaire de Stuttgart, en un volume in-8, qui formait le tome III d'un Corpus philosophorum (Stuttgart). Cette dernire dition ne donne pas le Compendium g ranimai ices hebrtetc ; pour le reste, elle est calque sur l'dition de Paulus dont elle reproduit mme les incorrections et les lapsus. C'est avec le souci de remdier ces dfauts et de donner un texte fidle et correct qu'Hcrmann Brudcr donna une dition de Spinoza en trois volumes in-18, Leipzig, chez Tauchnitz (1843,1844, 1846). En somme, pour le contenu mmo, les ditions Paulus, Gfroerer et Bruder n'ajoutaient rien aux crits de Spinoza

leur

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parus soit do son vivant, soit dans les OEuvres posthumes. La prface des OEuvresposthumes avait dclar que la publication embrassait tout ce que l'on pouvait tirer des manuscrits de Spinoza possds par ses amis, et que si par hasard on arrivait a dcouvrir ici ou l quelque autre ouvrage de lui, on n'y trouverait rien qui n'et t dj dit dans les autres do ses ouvrages maintenant venus au jour. Dclaration inexacte. Car toutes les lettres n'avaient pas t donnes, et quelques-unes avaient t reproduites incompltement. Et de plus, un autre ouvrage que, comme nous le verrons, les amis de Spinoza avaient sous la main n'avait pas t compris dans l'dition : peut-tre d'ailleurs parco que les diteurs avaient estim que la publication en tait rendue inutile par celle de YEthique. de Van Or, si nous comparons a ces ditions l'dition Vloten et Land qui est actuellement l'dition de Spinoza la plus complte que nous ayons (2 volumes in-8, la Haye, 1882-1883 ; 2e dition, 3 volumes de plus petit format, 1895; 3' dition, 4 volumes, 1914), nous constatons un assez sensible accroissement. Comment, dans l'intervalle, s'est-il produit? Mentionnons dfinitive et simplement l'attribution lgitime a Spinoza d'un petit Trait de l'arc-en-ciel crit en hollandais et qui avait t publi sans nom d'auteur en 1687 la Haye. (Ce Trait de iarc-en-ciel tait dans cette publication suivi de quelques pages intitules : Calcul des chances, imprimes en caractres un peu diffrents et avec une pagination propre ; ce trs court morceau, reproduit pour cette seule raison dans les oeuvres de Spinoza, ne peut pas cependant avec certitude lui tre attribu.) L'dition de la Correspondance s'est en particulier notablement accrue et a t en bien des points heureusement complte ou corrige. Dans les OEuvres posthumes, ainsi que dans les ditions Paulus et Gfroerer, le nombre des lettres crites ou reues par Spinoza tait de 74. Il n'avait t augment que d'une unit dans l'dition Bruder. Une lettre trs intressante de Spinoza Louis Meyer, publie par Victor Cousin en 1847 dans ses Fragments philosophiques (4e d., t. III,p. 60-62), n'avait mme pas t releve par les

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diteurs et traducteurs postrieurs. C'est Van Vloten que l'on doit la publication do plusieurs lettres nouvelles, la restitution intgralo et correcte de lettres incompltement publies, un tablissement plus exact des dates des lettres et des noms des destinataires : des 'manuscrits autographes d'un certain nombre de lettres de Spinoza ont t, en effet,"* retrouvs dans la maison des Baptistes, autrefois des Collgiants, Amsterdam. (V. la publication de Van Vloten : Ad Bcnedieii de Spinoza opra quoe supersunt omnia supptementum, Amsterdam, chez Frdric Mller, 1862.) Dans l'dition des oeuvres de Spinoza par Van Vloten e Land, le nombre de lettres crites ou reues par Spinoza s'lve maintenant 83 ; l'ensemble a t soumis un nouveau , classement. W. Meijer a publi la Haye en 1903 un facsimil des Lettres autographes conserves : Kachbildung der im Jahre 1906 noch erhaltenen eigenhndigen Briefe des Benedictus Despinoza. Ces lettres sont au nombre de 12 ; ce sont les lettres classes dans l'dition Van Vloten et Land sous les n" VI, IX, XV, XXIII, XXVII, XXVIII, XXXII, XLIII, XLVI, XLIX, LXIX, LXXII ; elles sont accompad'une traduction en hollandais gnes d'une transcription, et en allemand, ainsi que de notes en allemand., Mais la publication qui, par son importance, a le plus ajout aux ditions antrieures a t celle du Court Trait de Dieu, de l'homme et de ta sant de son me, en hollandais : Korie Verhandeling van God, deMensch,en deszelfs Welstand. Cet ouvrage a subi des vicissitudes et nous est parvenu dans des circonstances qu'il est ncessaire d'exposer, (V. la notice que Ch. Appuhn a mise en tte du premier volume de sa traduction franaise des OEuvres de Spinoza, 1907.) On savait par divers recueils bibliographiques qu'il avait exist une thique, rdige en hollandais, reste manuscrite, et diffrente de celle qui avait t imprime en ce que, au lieu de procder par la mthode gomtrique, elle usait du genre d'exposition ordinaire et de la division par chapitres ; on savait aussi que dans cette thique manuscrite, il y avait un chapitre traitant du Diable, sujet dont YEthique imprime

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ne s'occupe point. Il est possible de remonter aujourd'hui a la source de ces renseignements; ils avaient t emprunts a un journal de voyage qu'avait rdig un Allemand du nom de Stollc aprs un sjour en Hollande en 1703-1704, et Slollo lui-mme les tenait du fils de Hieuwertz, le libraire d'Amsfils terdam, qui avait t l'diteur de Spinoza. Ilieuwerlz avait mmo montr h' Stollc le manuscrit recopi de la main de son pro (V. Freudenthal, Die Lebensgeschichle Spinoza's, p. 227.) Cependant la trace de cette oeuvre de Spinoza s'tait entirement perdue lorsqu'en 1851 un professeur a 1 Universit de Halle, Ed. Boehmer. ayant achet chez le libraire Frdric M Aller, d'Amsterdam, un exemplaire en hollandais de la vie de Spinoza par Colerus, y trouva applique sur une des pages une note manuscrite, aux termes do laquelle quelques amis de la philosophie avaient eu en main un trait manuscrit de Spinoza, qui, sans tre compos more geomelrico comme YEthique, sauf dans une petite partie d'un Appendice, contenait les mmes ides et les mmes matires que YEthique et devait en avoir tl'esquisse. Outre cette indication, Boehmer trouvait dans son exemplaire, avec un texte hollandais de notes sur le Trait? tho* un sommaire, crit galement en hollanlogico'politique, dais, de l'ouvrage dsign par la note. Ce sommaire fut publi par lui sos le titre : Benedicti de Spinoza Tractatus de Deo et homine ejusque felicitate lineamenta, Halle, 1852. Peu de temps aprs, le libraire Frdric Mller dcouvrait un manuscrit de l'ouvrage mme dont Boehmer avait fait connatre le sommaire. En 1861, un autre manuscrit du mme ouvrage tait galement dcouvert, assez diffrent du premier. Ces deux manuscrits se trouvent actuellement a la Bibliothque royale de La Haye. On dsigne d'ordinaire par A le manuscrit dcouvert le dernier parce qu'il est le plus ancien, et par B le manuscrit dcouvert le premier. Il ale tabli que le manuscrit B tait de l'criture de MonnikhoiT, mdecin hollandais du xvme sicle, grand admirateur et dtenteur des papiers de WilhelmDeurhoff (1650-1717), lequel avait t un cartsien port, sans adhrer peut-tre entirement au spinosisme, traduire des conceptions thologiques en langage spinozistc (le mme Monnikhoff avait du reste

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galement crit la noto et lo sommaire dcouverts par Boehmer). Quant au manuscrit A, dont l'criture est du xvnc sicle, il contient en outra des corrections et des notes manuscrites qui sont galement de la main de Monnikhoff; peut-tre fut-il crit par Jarigh Jelles ou fut-il en sa possession. On peut prsumer que ce manuscrit A a servi de modle au manuscrit B ; mais il n'a pas t le seul modle ; car le manuscrit B renferme des leons souvent plus satisfaisantes que le manuscrit A ; d'o des motifs de conjecturer que Monnikhoff a consult, ct du manuscrit A, soit un autre texte hollandais, soit le texte latin original. Car, bien que les deux manuscrits que nous possdons soient en hollandais, bien que Stolle ait cru, d'aprs Rieut crite en hollandais, wertz, que la premire Ethiquea\a\i nous savons que le texte primitif tait en latin. On peut lire, en effet, la suite du titre du manuscrit A : crit d'abord en langue latine l'usage de ses disciples par Bde S...,et traduit maintenant en langue nerlandaise l'usage des amis de ta I> pauit bien vrit. Sans tre aussi explicite, le manuscrit confirmer l'indication du manuscrit A. Arrivons aux ditions qui ont t donnes de l'ouvrage. La premire fut due Van Vloten dans le Supplment, dj mentionn, aux oeuvresde Spinoza : Ad Benedicti de Spinoza opra qiue supersunt omnia supplementum, Amsterdam, Fr. Mller, 1862. Avec quelques emprunts A, letextetait tir de B et accompagn d'une traduction en latin quivisait plus ou moins reconstituer le texte primitif : dition nglige assez inexacte. (Cf. Boehmer, Spinozana, II, et traduction Zeilschrift fur Philosophie, XLIl (1863). p. 76-84.) En 1869, Schaarschmidt donnait de l'ouvrage une dition (Amsterdam) d'aprs le manuscrit A. le moins bon des deux, comme nous avons dit, et en mme temps une traduction allemande de Kirchmann(2ed., dans laPhilosophischeBibliolhek 1874). Une autre traduction allemande de ce mme texte fut donne par Auerbach en 1871. En 1870, Christ. Sigwart publiait une traduction allemande de l'ouvrage, pour laquelle il s'collationns avec soin par tait servi des deux manuscrits, Van der Linde. Cette traduction, par l'examen et le choix les claircissements et les des variantes, par l'introduction,

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notes dont elle tait accompagne, tait vraiment une dition critique ; en mme temps, elle rendait trs fidlement l'original (2e d., 1881). Dans l'dition complte de Van Vloten et Land. on a la reproduction presque entire du texte des en hollandais deux manuscrits. Une dition de l'ouviage moderne a t donne en 1899 par W. Mcijer : cette dition opre des conversions et des transpositions souvent ingnieuses et parfois plausibles, dont l'ide, comme on verra, se justifie par l'tat de l'ouvrage ; dans son introduction et ses notes, elle apporte aussi de trs utiles renseignements. En France, Paul Janct a donn sous le titre de Dieu, l'homme et la batitude (1878) une traduction franaise du Court Trait, d'aprs la traduction allemande de Sigwart. Cette traduction franaise renferme plus d'une inexactitude. On consultera avec beaucoup plus de scurit la traduction franaise donne par Ch. Appuhn (1907), pour laquelle il a Van Vloten, suiti fondamentalement le texte de l'dition mais en mettant profit avec beaucoup de discernement la traduction allemande de Sigwart, l'dition hollandaise de W. Mcijer, ainsi que les indications fournies par un travail aie Freudcnthal dont il sera bientt question. -Mes son apparition, et depuis, le Court Trait, en raison des problmes qui se posent et sur son authenticit, et sur sa date, et sur son mode de composition, et sur sa porte, a suscit nombre de travaux. Voici les plus importants: d'abord un livre de Chr. Sigwart, qui avait prcd sa traduction allemande : Spinoza's neuentdeckter Tractt von Une Gotl,\dem Menschcn und dessen Glickseligkeit, 1866. Ueber die aufgefundenen longue tude de Trendelenburg, Ergcinzungen zu Spinoza's Werken und deren Ertrag fur Spinoza's Leben und Lchre, dans le t. III des Hislorische Avenarius, Ueber die 277-398. zur Philosophie, p. Beitrgc beiden ersten Phasen des spinozischen Pantheismus (1868). Busse, JJeilrge zur Entivickelungsgeschichte Spinoza's, Zeilschrift fur Philosophie und philosophische Kritik, XC (1887), p. 50-88, XC1 (1887), p. 227-251, XCVI (1889), p. 174222. Freudenthal, Spinoza-Studien, Zeilschrift fur Philosophie und philosophische Kritik, CVIII (1896), p. 238-282, CIX, p. 1-25.

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Considrons la physionomie extrieure de l'ouvrage. Il faut y distinguer le Trait proprement dit qui en constitue de beaucoup la plus grosse partie, deux Dialogues, un Appendice, et des Notes. Le Trait est divis en deux parties, dont la premire, renfermant 10 chapitres, traite de Dieu, dont la seconde, renfermant, outre une prface, 26 chapitres, traite de l'homme et de ce qui lui est propre. En gros, nous avons dans la premire partie la doctrine de Dieu et de ses attributs ; dans la seconde, la doctrine des passions et la doctrine de la connaissance lies la doctrine du salut. Les deux Dialogues sont insrs a la suite du chapitre H de la premire partie; ils s'introduisent l du dehors, et nous aurons voir quel en est le sens et quelle en est l'importance. L'Appendice, assez court, est divis en deux parties, dont l'une, labore selon la mthode des gomtres, nonce divers axiomes et dmontre plusieurs thormes concernant la substance, les attributs, l'existence ncessaire de toute substance, cl l'identit de la nature infinie avec Dieu, dont la seconde, divise simplement en paragraphes, traite sous une forme plus libre de l'me humaine. Quant aux Notes, elles sont des claircissements ou des essais d'claircissements, parfois assez dvelopps, du texte. L'authenticit de l'ouvrage, pris dans son ensemble, ne saurait tre conteste dcidment. Elle ne pourrait l'tre un instant qu' cause du caractre dfectueux de l'ouvrage, mais qui tout l'heure sera expliqu. Elle est en ralit entirement garantie tant par des indices externes que par des indices internes. Dans les deux manuscrits, aprs le titre de l'ouvrage, Spinoza est dsign comme l'auteur, et le plus ancien des deux a t sans doute crit du vivant de Spinoza. Le Sommaire dcouvert et publi par Boehmer rsume trs exactement ce que l'ouvrage contient ; l'ouvrage rpond au signalement donn par Stolle. D'un autre ct, les ides exposes dans l'ouvrage sont trs proches de celles qu'exposeront le De Emendalione inielleclus et YEthique, ou pour mieux dire sont le plus souvent les mmes qu'elles. En outre, la marche des ides est dans le Court Trait sensiblement pareille celle de YEthique. Il est

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question de Dieu, de son existence et do son ncessaire dans lo momie, essence, de sa manifestation puis des manires d'tre de l'homm?, de sa dpendance l'gard des passions, enfin de sa libration par la connaissance et l'amour de Dieu qui le conduisent a la batitude et au salut. On ne peut gure s'arrter a l'ide pic l'ouvrage ait t compos ultrieurement par quelque disciple de Spinoza a l'aide de penses et de formules prises dans les livres du matre ; car les expressions et les ides en sont plus indtermines, moins arrtes, cl trahissent une doctrine encore sur divers points en voie de formation. Il y a mme certaines thses du Cou/7 Trait qui ne concordent pas avec celles de YEthique ; mais il est visible alors un dveloppement antrieur, qu'elles marquent parce de la pense spinoziste. De toute faon l'auqu'infrieur, thenticit du Court Trait reste certaine. Comment a-t-il t compos ? C'est l un problme assez dlicat. Tous les historiens qui se sont occups du Court Trait en ont signal les ngligences, les obscurits, parfois la faiblesse d'argumentation. On peut y trouver d'abord un manque de concordance entre les doctrines ; 1.s thses se trouvent cte panthistiques et anti-anlhropomorphiqucs cte avec des formules qui attribuent Dieu la cration ou qui lui prtent des qualits et des oprations dont le type premier est emprunt la conscience humaine. Quoique les une des termes termes de bien et de mal soient dnonce ie terme de bien purement relatifs et quasi conventionnels, n'en est pas moins appliqu Dieu, etc. Ce qui est encore plus sensible, c'est un manque de rigueur dans la composition, un manque d'excution de certains plans annoncs, un manque de suite dans la srie des ides cl des chapitres. Autant de faits qui servent tablir, selon Freudenlhal (articles cits), que le Court Trait n'tait pas destin la publicit, qu'il a t compos pour un groupe de disciples et d'amis, que non seulement il est demeur l'tat d'esmais encore qu'il a t une esquisse quisse imparfaite, retouche, modifie, tendue, et parfois peut tre par un autre que Spinoza. Une note qui se trouve en marge la fin du manuscrit A, et dont \y. Meijer a signal l'importance.

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tmoigne que l'ouvrage a t dict par l'auteur; par l s'explique l'abandon avec lequel il semble souvent avoir t compos ; mais par l n'est pas exclue l'hypothse de Freu* dcnlhal, bien en accord avec l'tat de l'ouvrage, d'aprs aurait subi des modifications et reu des laquelle le 7V<it7t? additions venues sans doute de Spinoza, mais qui y auraient t insres par un autnque lui, par un disciple plus zl 11 serait possible de comprendre.ainsi qu'intelligent. que certaines formules et explications nouvelles se soient introduites sans avoir rejet les formules et les thses antrieures que plus ou moins elles contredisaient, que des morceaux destins rester des notes aient t incorpors au texte, ou Le Trait se trouve donc reprsenter inversement. des phases successives de la pense de Spinoza, et il a de plus subi les vicissitudes auxquelles sont exposs les ouvrages que n'a pas fixs l'impression. Il n'en a pas moins son prix, et mme en un sens il acquiert d'autant plus d'importance de la pour l'tude de la formation et du dveloppement pense spinozistc. imque nous admettons avec Frcudenlhal L'hypothse plique dj en principe que les notes sont authentiques. L'authenticit en a t suspecte par Trendelcnburg dans le mmoire cit, page 304 sq. Mais les arguments de Trendelcnburg viennent surtout de ce qu'il considre les notes comme contemporaines du texte, et nous avons vu que c'tait le contraire qu'il fallait prsumer. En outre, le titre du manuscrit A (le plus ancien des deux) prvient que le Trait qst accompagn de notes ; le sommaire publi par Boehmer avertit galement la fin que Spinoza a enrichi l'ouvrage d'annotations destines claircir et dvelopper ses ides. (Trad. Appuhn, I, p. 38.) Au reste, nous savons par l'exemple du De emendalione inlellectus et par celui du Tractatus theologico'politicus que Spinoza avait l'habitude d'ajouter des notes aprs coup. Enfin, s'il se peut que telle note sans importance soit suspecte, les notes les plus essentielles prsentent le mme caractre et, si l'on peut dire, ont le mme style que le texte au Trait; et il apparat aussi qu'elles ont d tre rdiges en latin avant d'tre traduites en hollandais. (V. l-dessus Sigwart, Prolgomnes son dition, 2e d., p. XLIV et sq.)

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A quelle date faut-il rapporter lo Trait ? En raison d'une thse systmatique, Avenarius(op. cit.,p. 85 sq.) a prtendu qu'il avait t compos avant l'excommunication de Spinoza, de 1654 au commencement de 1655. Mais celle date est insoutenable. Lisons, en effet, les dernires lignes du Cour/ Trait : Il ne me reste pour conduire tout ce travail ft sa fin qu' dire aux amis pour qui j'cris : ne vous tonnez pas de ces nouveauts, car il vous est trs bien connu qu'une chose ne cesse pas d'tre vraie parce qu'elle n'est pas accepte par beaucoup d'hommes. Et connue vous n'ignorez pas 1 disposition du sicle o nous vivons, je vous prie 1res instamment d'tre trs prudents en ce qui touche la communication d'autres de ces choses. Je ne veux pas dire que vous deviez les garder entirement par devers vous, mais seulement que si vous commencez les communiquer ai quelqu'un, nulle autre fin et nul mobile autre que le salut de votre prochain ne doit vous inspirer, et qu'il vous faut tre le plus certains qu'il se puisse son sujet que votre travail ne sera pas sans rcompense. Enfin, si la lecture de cet ouvrage vous vous trouviez arrts par quelque diflicult contre ce que je pose comme certain, je vous demande de ne pas vous empresser de le rfuter, avant de l'avoir mdit assez longtemps et avec assez de rflexion ; si vous le faites, je tiens pour assur que vous parviendrez la jouissance des fruits que vous vous promettez de cet arbre. (Trad. Appuhn, p. 194-195.) Ainsi Spinoza nous apparat comme le docteur d'un groupe de disciples et d'amis qui attendent avidement de lui la lumire; un jeune homme de 22 ans aurait-il pu jouer ce rle ? STous voyons qu'il se plaint de la duret des temps et qu'il exhorte la prudence : cela n'cst-il pas plus naturel aprs qu'avant l'excommunier tion? Le Court Trait rvle une tendance transposer dans le langage de la philosophie, et d'une certaine philosophie, des conceptions du Christianisme ; cela n'est-il pas plutt en rapport avec la frquentation un peu prolonge de quel* ques sectes chrtiennes ? Il touche au problme du diable, problme qui avait de l'intrt pour les chrtiens, non pour les juifs. Il y a l un ensemble de raisons qui obligent de placer la

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date du Traite aprs l'excommunication ; mais, d'autre part, le contenu du Trait, et sans doute aussi YAppendice I o est bauche une exposition sous forme gomtrique, restent de 1C61antrieurs aux lettres de Spinoza Oldenburg, 1C02. (Sigwart, Spinoza's neuentdeckter Tractt, p. 135 sq.) D'aprs Meinsma, le fond de l'ouvrage aurait t constitu avant que Spinoza fut parti d'Amsterdam, c'est--dire ayant le commencement de 1CG0.Seulement la fin du Trait parait bien s'adresser des amis absents, selon la juste observation de Freudenthal (Spino7.a, sein Lcben und seine Lehre, p. 105). Il parait extrmement probable que le Trait, commenc la fin du sjour de Spinoza Amsterdam, a t termin peu aprs son installation Rijnsburg. Reste examiner la question du caractre et de la date des Dialogues, insrs la suite du chapitre u de la dernire partie du Court Trait (l). Gnralement ces deux Dialogues ont t considrs comme antrieurs au Trait proprement dit. et comme la premire expression que nous ayons de la de Spinoza. Tout au plus Sigwart, pense philosophique dans la 2e dition de sa traduction (Prolgomnes, p. xxxvxxxvi) se montrait dispos sparer la cause du deuxime Dialogue de la cause du premier, et admettre que ce deuxime dialogue, ainsi que la partie du chapitre xxvi(2c P.) qui y correspond exactement, forment un morceau qui n'apau Trait. Plus rcemment partenait pas originairement Freudenthal a essay d'tablir que les deux dialogues sont postrieurs au Trait (Spinoza-Studien, Zeilschrift fur Philosophie und philosophische Kritik, CIX, 1896, p. 11-22). Son consiste montrer que les thses et les forargumentation mules des Dialogues ne sauraient se comprendre que si elles sont rapportes aux explications et aux assertions plus dqu'elles soient veloppes du Trait. Mais cela prouve-t-il postrieures? Il semble bien que dans les Dialogues.la pense de Spinoza, s'attachant certains sujets dont elle saisit l'importance, y exprime des ides l'tat de tendances, sans arriver leur donner, tant s'en faut, leur expression technique
(1) Sur le contenu leon. cinquime de ces dialogues, voir haut, la deuxime et la

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le parfaite De co quo le Trait en expose plus clairement sens, qu'il en fait mieux connatre les prmisses et les consquences, suit-il ncessairement qu'il ait du les prcder? Le Mcnon de Platon est certainement plus clair quand on a lu la Rpublique : jugera-t-on la Rpublique antrieure au Mnoii? Il est vrai que pour le second Dialogue, Freudenthal une base plus matessaie de donner son argumentation rielle ; il relve une srie de phrases commenant par : J'ai entendu dire... .ou : Je remarque que tu as dit... , ou : Tu as dit encore que... , etc., et il montre que la suite de ces phrases nonce des propositions que l'on retrouve dans le Trait. A coup sr ! Il n'est pas douteux que les questions sur lesquelles portent les Dialogues ne soient aussi des questions tudies dans le Trait, et mme dans l'Ethique: la dont elle est pense de Spinoza a gard les proccupations partie. Quant ces faons do parler, peut-on vraiment les regarder comme des rfrences ? N'est-il pas manifeste que, comme dans tous les Dialogues et en raison des habitudes du genre, elles se rapportent ou des ncessits littraires actuel des conversations antrieures fictives que l'entretien est cens continuer ? D'ailleurs, pourquoi Spinoza aurait-il compos ces Dialogues aprs coup ? Pour claircir les ides du Trait? Mais les ides du Trait apparaissent, malgr tous les dfauts de l'ouvrage, incomparablement plus lumineuses que les formules elliptiques et si imparfaitement ddessein que de gages des Dialogues. Et quel singulier mettre en dialogue ce qui et t expos plus nettement et plus simplement en des notes, comme celles que le Trait fournit on abondance ! La vrit semble bien tre que Spinoza a essay d'abord de prsenter sa doctrine, encore trs imparfaite et peine bauche, sous une forme qu'il a ensuite abandonne. Quand il rdigeait ou dictait le Trait proprement dit, il devait avoir dj en tte la mthode d'exnous offre un spposition gomtrique dont l'Appendice cimen. L'exposition dialogue a rpondu une inspiration peut-tre dj puissante, mais confuse encore, et indcise, sinon sur le sens qu'elle prendra, du moins sur la forme intellectuelle qu'elle devra revtir.

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Venons maintenant l'exposition, qui pourra tre plus brve, des circonstances dans lesquelles ont t composes et publies les autres oeuvres de Spinoza parues soit de son vivant, soit par les soins de ses amis aprs sa mort. VA d'abord, Renuli des Cartes principiorum philosophite pars I et II, more geometrico demonslratoe per Benedictum de Spinoza Amstelodamcnscm. Accessrunl ejnsdcm Cogitala Metnphysica, in quitus diffieiliores, qute lam in parte Melaphysices gcncrali quam speciati occurrunt, quoesliones breviter explicantur. Apud Johanncm Riewerts, 1663. Jarigh Jelles avait fait les frais de l'impression de l'ouvrage. L'ouvrage tait prcd d'une prface de Louis Meyer qui faisait connatre quelle occasion et comment il avait t compos. Spinoza avait dict un disciple lui, auquel la deuxime de Descartes, il enseignait la philosophie partie des Principes et un fragment de la troisime, dmontrs par le procd des gomtres, et aussi l'expos des et plus difliciles questions agites dans la principales et non rsolues par Descartes ; c'est ce mtaphysique, travail-l qu'il laissait publier, sur les vives instances de ses amis, aprs l'avoir revis et augment ; il y avait notamment ajout une exposition partielle du contenu del premire partie des Principes, exposition rdige rapidement en quinze jours. Quel tait ce jeune disciple pour qui Spinoza avait assum tout d'abord cette tche? Dans une lettre Spinoza, de fvrier 1663 (Ep. vm, d. Van Vloten et Land. t. II, p. 29), Simon de Vries envie la bonne fortune de ce commensal de Spinoza qui peut toute heure de la journe s'entretenir avec le matre des questions les plus hautes. A quoi Spinoza rpond : Il n'y a aucune raison d'envier et il n'est Casearius ; personne ne m'est plus insupportable, personne dont j'ai pris plus soin de me garder que de lui ; c'est pourquoi je vous prie, vous et tous nos amis, de ne mes opinions avant qu'il soit arriv pas lui communiquer un ge plus mr. Pour le moment, il est encore trop il est plus enfant ; il est peu constant avec lui-mme, curieux de nouveaut que de vrit. Mais j'espre que d'ici quelques annes il corrigera lui-mme ces dfauts ; autant
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je suis presque sr que j'en puisse juger par son naturel, mole font donc aimer. qu'il en sera ainsi; ses dispositions donc savoir par la lettre de (Ep. x, p. 33.) On pouvait Simon de Vries le nom de ce jeune homme, quoique Simon de Vries l'et lgrement altr : Casuarius, disait-il. Mais ce mot avait t pris par les historiens pour un mot de bas latin pouvant signifier quelque chose comme ceci : qui habite la mme demeure. Des recherches deMeinsma ont le nom propre et d'identifier le jeune permis de restituer homme (Meinsma, la Haye, 1896, Spinoza en zyn Kring, traduction allemande par Rrumer, Spinoza und sein Kreis, 1909, p. 265-273). Ce Casearius, n en 1612 Amsterdam, tudiant en thologie Leydc en 1661, lait venu auprs de de la .'philosophie nouvelle ; il fut Spinoza pour s'instruire au Malabar dans l'Hindoustan, plus tard pasteur s'occupa de botanique activement et mourut jeune ; par son genre d'activit et sa curiosit il rpondit assez, intellectuelle, semble t-il, ce que Spinoza pensait de ses qualits. Kn laissant revu et complt, de passer son ouvrage, son lve au public, donc en ralit Spinoza de qu'offrait ses ides ? L'ouvrage, ainsi qu'on le sait, comprend, avec les Principes de la philosophie de Descartes, des Penses Quel lien y a-t-il entre les deux ? Kuno mtaphysiques. Fischer, Principes sensibles Penses mtaphysiques et les de la philosophie de Descaries des diffrences assez de doctrine, voit dans les Penses mtaphysiques relevant entre les

aux Principes en manire de un crit anticartsien, joint rfutation ou d'amendement der (Gcschichtc implicite neuern Philosophie, t. III, 4e d., p. 291Jnbilumsausgabe, 306). Mais Freudenthal parat bien avoir dmontr que directement d'crits scolastiques en les Cogitala s'inspirent l'poque, circulation d'crits de Suarez, de Martini, de de Burgersdijck, d'Heercbord Scheibler, (Heereboord, professeur Leydc, avait introduit chose du cartquelque et qu'ils empruntent sianisme dans sa scolastique), , ces et des concepts dont Descartes n'avait crits des questions s'il y a lieu, et les adapter au pas trait, pour les reviser, und die Scholastik cartsianisme. (Freudenthal, Spinoza dans les Philosophische Aufstzc en l'honneur d'Eduard

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1887, p. 81-138 ; compte rendu de l'ouLeipzig, vrage de Kuno Fischer dans Zeilschrift fur Philosophie und Kritik, CX1V, 1899, p. 300. Voir aussi philosophische und ihr J. Lewkowitz, Spinoza's Cogilala Metaphysica Vcrhltniss zu Descaries und zur Scholastik, Rreslau. 1902.) d'un lve, et mme On conoit d'ailleurs que l'initiation du public, la philosophie nouvelle n'tait gure possible si l'on ne tenait pas compte des questions et des formules cet lve et le public dans la philosophie que rencontraient encore rgnante. Il se peut mme que les scolastique Cogitala aient t composs avant la deuxime partie des Principes de la Philosophie, comme nous savons par L. Meyer qu'ils l'ont t avant la premire, et qu'ils aient t la matire des premires leons donnes Casearius. Ils auraient marqu la transition de la scolastique au caret prpar de tsianisme, sans doute dans l'intention de concert avec les Principia, le passage sa l'auteur, -doctrine personnelle. Des signes de cette doctrine se laissent d'ailleurs apercevoir et l aussi bien dans les Principia que dans les Cogitala. Nanmoins, dans l'ensemble, l'ouvrage de Spinoza laisse dans l'ombre sa propre pense ; il est bien, comme le dit L. Meyer, avant tout un expos fidle du cartsianisme, en dsaccord sur divers sujets, comme le sujet de la libert, celui de l'incomprhensibilit de la puissance divine, avec ce que l'auteur considre comme vrai (Cf. Ep. xxi, t. II, p. 94). Si donc il nous rvle utilement la faon dont Spinoza s'est assimil le s'il nous fournit souvent des lumires sur cartsianisme, des formules l'origine que Spinoza emploie pour son compte, il ne saurait tre tenu pour une expression directe et authentique de la pense de Spinoza, quelque moment o Spinoza que ce soit (1). Dans une lettre Oldcnburg, Zellcr,
commet donc une grave erreur les (1) Schopcnhauor quand, prenant de la doctrine Ue l'auteur, il prtend (logitata pour l'exposition que le libre arbitra en bon cartsien, ne l'a ni Spinoza, aprs avoir affirm vers la fin de sa vie. Ueber die Freihcit des que beaucoup plus tard, Willens (1841), d. Grisebach, III, p. 43-45G. a t compos en 1GG2-16G3 ; il est dope postrieur au L'ouvrage Court Trait, quoi qu'en ait dit Busse, IieUrdge zur Entivickelungsgeschichle Spinoza's, Zeilschrift XC, 1887, p. 56 sq. ; l'argument fur Phil.,

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il t amen . le raconte dans quelles circonstances composer et le publier, il explique qu'il l'a dict un certain jeune homme auquel il ne voulait pas exposer ouvertement ses opinions ; il indique que c'est sa prire qu'un de ses amis a dclar en tte que l'auteur ne reconnat pas pour siennes toutes les penses exposes dans le trait, et adhre mme parfois des penses contraires. Spinoza, au surplus, ajoute qu'il compte sur cet ouvrage pour attirer l'attention sur lui, pour obtenir la protection de personnages importants de son pays et pour pouvoir ensuite, sans scandale comme sans danger, publier d'autres crits. (Kp. XIII, t. II, p. 4647.) De fait, l'ouvrage servit au moins tendre la notorit de o Spinoza ; il ne se rpandit pas seulement en Hollande, une traduction hollandaise (1663) de Pieter Balling, ami de Spinoza, en facilita la diffusion, mais mme l'tranger; et il dut inspirer l'offre, qui fut faite Spinoza dix ans plus tard par l'lecteur Palatin, d'une chaire de philosophie l'Universit de Heidelberg. Avant que les circonstances l'eussent conduit d'abord composer, puis publier les Principes de la philosophie cartsienne, Spinoza avait entrepris, pour faire connatre sa doctrine, son Trait de ta Reforme de l'Entendement. Il s'appliqua cette oeuvre en 1661, ou peu prs. On peut lire, en efiet, dans l'Avertissement au Lecteur : Ce Trait de la Rforme de l'Entendement que nous te donnons ici, bienveillant Lecteur, dans un tat d'inachvement, a t compos par l'auteur il y a bien des annes. Il eut toujours l'intention de leterminer; d'autres soins l'en ont empch, et la mort a fini par l'enlever sans qu'il ait pu mener l'oeuvre jusqu'au bout selon son dsir. (T. I,p. 2.) (V. galement la prface des Dans une lettre Oldcnburg (lettre non Opraposlhuma.) date, mais vraisemblablement de dcembre 1661 ou du janvier 1662), Spinoza crivait ceci : Pour ce qui est de
externe le plus fort de Hussc, celui qui voyait dans le 6' chapitre du 1er livre du Court Trait ( 7) une citation des Cogitala, a t ruin par le fait qu'il traduction reposait sur une faute d'impression de'la Sigwart.

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votre nouvelle question, sur la faon dont les choses ont commenc d'tre, et sur le lien par lequel elles dpendent del Cause premire, j'ai compos un petit ouvrage entier (opusculum) sur ce sujet et aussi sur la rforme de l'entendement (de emendalione inlellectus) ; je suis occup le transcrire et le corriger. Mais par moments j'abandonne l'ouvrage parce que je n'ai encore aucun dessein ferme touchant sa publication. (Ep. vi, t. II, p. 27.) Bien qu'on ait voulu voir dans la mention de cet opuscule une allusion au Court Trait (V. Cari Gebhardt, Spinoza's Abhandlung ilber die Verbessernng des Verslanes), il semble bien dcidment que c'est le Trait de la Rforme de l'Entendement qui dans la est vis. On peut d'abord s'appuyer sur l'emploi, lettr, des termes mmes qui ont servi de titre l'ouvrage. Ensuite on peut observer que les indications de la lettre ne sauraient se rapporter ni au Court Trait, qui ne s'occupe pas fond d'une thorie de la connaissance, ni de YEthique, qui ne peut vritablement pas tre dite un opuscule . Il est vrai que le Trait que nous possdons ne porte que sur des questions de mthode et ne touche que trs incidemment aux problmes de l'origine des choses. Mais au cours de ses dveloppements. Spinoza renvoie plus d'une fois ce qu'il appelle mea philosophia ou un expos des questions mtaphysiques dernires. On peut d'ailleurs admettre que Spinoza aurait excut le plan trac dans la lettre Oldenburg, s'il eut conduit l'ouvrage son terme. Pourquoi ne l'a-t-il pas conduit son terme, quoique Oldenburg le presst encore l-dessus? (V. Ep. xi, du 3 aot 1663, t. II, p. 39.) Sans doute, pour ce qui est des questions proprement mtaphysiques, parce que la confection de l'Ethique lui a paru de plus en plus rendre cetexpos inutile. Mais, pour ce qui est des questions touchant la mthode ou la thorie de la connaissance, il garda sans doute l'intention de reprendre ou d'achever l'ouvrage. Il l'avait sans doute commenc avec l'ide que le rle qu'il attribuait la connaissance dans le salut exigeait une tude plus prcise des moyens lgitimes de connatre et des prjugs qui les empchent ; et peut-tre une mditation renouvele du cartsianisme, comme aussi les rflexions provoques par les prtentions

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de l'empirisme baconien, avaient confirm pour lui cette exigence ; en tout cas, il avait certainement continu penser qu'une thorie dveloppe de la connaissance, en accord avec son systme et capable de rsoudre certains problmes que son systme suscitait, tait indispensable. Traitantdans la deuxime partie de YEthique des notions certaines et des notions mal fondes, il dit : Comme toutefois j'ai rserv ces questions pour un autre Trait, et aussi pourne pas me rendre fastidieux par une prolixit excessive sur ce sujet, (Prop. XL, j'ai dcid ici de surseoir ces explications. schol.) C'est donc que pour la doctrine des conditions fondamentales et des mthodes lgitimes de'la connaissance, Spinoza estimait qu'il devait y avoir un ouvrage servant de complment YEthique. Que pouvait tre cet ouvrage, sinon le Trait, rest encours d'excution, sur la Rforme de l'entendement ? Si Spinoza ne le mena pas jusqu' son ternie, ce fut, la prface des Opra posthuma nous l'apprend sans dtour, cause de la' difficult de l'ouvrage, des profondes recherches et du savoir infini qu'il exigeait . C'tait, en effet, chose assez difficile d'expliquer notamment la faon dont peut se rattacher la connaissance des choses ternelles celle des modes passagers et corruptibles ; et l'on conoit que Spinoza en ait t embarrass. Sur la part qui revient l'exprience et sur celle qui revient la raison, sur la nature des dfinitions rigoureuses, il eut plus d'une fois rpondre des demandes d'claircissements ; ses rponses mmes tmoignent du besoin qu'il avait de pousser plus loin l-dessus sa pense. (Cf. Ep. x, t. II, p. 35 ; Ep. LX, p. 212; Ep. LXXXIU,p. 257.) Ce Trait de la Rforme de l'Entendement, destin avant tout tablir les caractres del connaissance vraie et les moyens de l'acqurir, s'ouvre par unesorle de confidence de l'auteur sur la leon qu'il a tire de l'exprience de la vie et sur les motifs personnels qui lui imposent d'aborder, avec les seules ressources de son intelligence, mais de son intelligence purifie, l'inluctable problme du salut. Confidence mouvante par sa sincrit, et qui nous rvle dans une du philosophe la sorte d'union sans partage l'aspiration pense claire et celle de l'homme la batitude.

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Du travail d'intense et continue mditation par lequel il tchait de dvelopper systmatiquement sa pense et de rsoudre les questions particulires dans sa impliques doctrine, Spinoza fut en quelque mesure dtourn par la prparation et la publication du Trait ihologico-politique. L'ouvrage parut en 1670 sous ce titre : Traclalus iheologico-polilicus. continens disserlationes aliquot quibus oslenditur libertalem philosophandi non tanlum satva pielale et reipubliae pace posse concedi, sed eamdem nisi cum pace reipublicoe ipsaque pielale lolli non posse. Hamburgi. pud Henrium Knrath, in-4. En septembre 1665, Oldenburg crivait Spinoza : Vous philosophez moins, ce que je vois, que vous ne ainsi ; c'est, en effet, sur thologisez, si je peux m'exprimer les anges, la prophtie, les miracles que vous consignez vos penses. Mais peut-tre traitez-vous de cela en philosophe. Quoi qu'il en doive tre, ce que je sais, c'est que l'ouvrage sera digne de vous, et que je souhaite avec impatience de l'avoir. (Ep. xxix, t. II, p. 122.) Interrog sur le but qu'il poursuit en prparant son ouvrage, Spinoza rpond Oldenburg : Je suis en train de composer un trait, o j'expliLes motifs qui me querai mon sentiment sur l'Ecriture. poussent ce travail sont: 1 les prjugs des thologiens; je sais qu'ils sont le plus grand obstacle qui empche les hommes de s'appliquer la philosophie ; j'essaie donc de rendre ces prjugs manifestes et d'en dbarrasser l'esprit des hommes plus cultivs ; 2 l'opinion qu'a de moi le vulgaire, qui ne cesse de m'accuser d'athisme : je suis donc forc de redresser autant que possible cette erreur ; 3 mon dsir de dfendre par tous les moyens la libert de pense et de parole, que menacent de supprimer ici l'autorit excessive laisse aux pasteurs et leur zle indiscret. (Ep. xxx, t. II, p. 124.) Il entrait donc dans les motifs de Spinoza un motif de justification assez explicable personnelle, parle renom d'athe et de personnage irrligieux qui lui avait t fait ; et l'on est mme autoris croire que le Trait thologico-politique s'tait incorpor des vues ainsi que des fragments du mmoire en espagnol mmoire perdu dans lequel Spinoza, aprs sa rupture avec la synagogue, s'tait

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dfendu contre les accusations dont il tait l'objet. Mais sans doute les raisons les plus pressantes qui inclinrent Spinoza laisser l son Ethique dj presque termine pour s'occuper de ce nouvel ouvrage taient tires de la situation politique de la Hollande. Ses relations personnelles avec Jean de Witt, la pense de dfendre l'esprit de tolrance reprsent par le. Grand .Pensionnaire contre ls attaques que celui-ci avait subir de la part des ministres calvinistes, furent certainement les causes les plus directes de la composition du Trait thologico-politique. n'autorise d'auSpinoza veut donc montrer que l'Ecriture cune faon le droit que s'arrogent ministres et thologiens dans les affaires de l'Etat et d'entraver la d'intervenir libert de philosopher ; ils parlent au nom de doctrines et et pour lesde dogmes qu'ils ont superposs l'Ecriture quels ils rclament la mme autorit que pour l'Ecriture mme. {Prface, t. I, p. 372-373.) Ils appuient leurs commentaires sur une philosophie qui n'en est pas une, sur les spculations des platoniciens et des aristotliciens par exemple, et ils y accommodent de gr ou de force le sens de l'Ecriture : cela, au dtriment de l'Ecriture comme de la philosophie, et par-dessus tout au dtriment de la libertde penser. Le principe que s'efforce au contraire de faire triompher l Thologico-politique, c'est le principe de la sparation radicale de la philosophie et de la thologie. (Ch. H, 1.1, p. 406.) Spinoza repousse nergiquement l'ide d'une interprtation de la Bible suivant une doctrine philosophique, et cela avec l'intention trs arrte de laisser la philosophie un champ plus libre ; il rattache ce dualisme la diffrence irrductible de rle qu'il tablit entre la religion rvle et la philosophie: la religion rvle repose sur ce principe efficace, mais indmontrable, que la foi en Dieu et l'obissance aux prescriptions divines suffisent pour sauver les hommes, tandis que la philosophie fait dpendre le salut de la connaissance claire et parfaitement dmontrable de la vrit. Ainsi sans doute Spinoza demande qu'on applique la raison l'Ecriture afin d'y discerner ce qui est attribution apocryphe, composition accidentelle, figure extrieure, et ce qui est sens authentique ot certain ; par l il a t prsent

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l'un des promoteurs modernes de l'exgse biramene ce blique '. Mais il maintient que l'criture, a son sens en elle-mme; et de la qu'elle est vritablement, sorte il se trouve combattre, au moins indirectement, son ' ami Louis Meyer, qui dans son livre Philosophia Sanctoe Scripturte interpres (1666) avait cru devoir dduire de leur commun rationalisme que la raison philosophique, qui dcide du vrai et du faux, a qualit pour interprter absolument l'criture. ' Oppos ainsi aux formules passives etaveuglesdes thologiens, mais galement d'une certaine faon au rationalisme de la reliphilosophique absolu en matire d'interprtation en soi la libert gion rvle, le Trait achve de justifier de penser par une doctrine purement laque et rationnelle du fondement de l'tat. On voit donc quels en sont les caractres, et par suite quel usage on en peut faire pour la reconstitution de la pense de et qui Spinoza. En un sens, c'est un crit de circonstance, fait partie d'un ensemble de publications de la mme poque, rattaches aux mmes vues politiques; mais c'est un crit o les questions souleves sont examines dans un esprit philosophique qui en lve la solution au-dessus de toutes les considrations contingentes. Les ides matresses de la doctrine spinozistc s'y trouvent sans altration essentielle, mais appropries au sujet et des esprits plus familiers avec la lettre de la Bible qu'avec lesstrictes exigences de la raison. De cette accommodation plus ou moins extrieure il n'y a
1. Dans cette faon de considrer et d tudier la Bible, Spinoza a du tre aid par les crivains juifs du moyen ge, parfois mme par ceux, comme Maimonidc par exemple, dont il a combattu les thses gnrales. (V. Jofil, Spinoza's Theologisch'politisches Traklat auf seine Quellen gepriift, 1870.) Mais ces crivains ne posaient pas la question critique dans toute son tendue. Elle tait pose avec plus de prcision et de largeur par tlobbes dans le Lvialhan (III, 33;. On peut pourtant douter que Spinoza ait l-dessus subi, du moins fortement, l'influence de Hobbes, car il n'y a pas accord entre les principes auxquels il se rfr et ceux que vise Hobbes. En revanche, il semble avoir du quelque chose a Isaac de la Peyrrc, dont le Systemu theologicum ex Pricadamitarum hypothesi (1655) tait dans sa bibliothque ; La Peyrrc soutenait, en usant de l'expression reprise par Spinoza, que les livres de la Bible n'taient pas autographes ; en outre, l'on trouve chez Spinoza pas mal d'exemples qui sont galement ceux de Lr, Peyrre.

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lieu de conclure ni une modification importante survenue dans les conceptions philosophiques de Spinoza, nia un le systme spinoziste au del ou en droit d'interprter dehors de ce que pose YEthique. Le Trait thologico-politique fut, lors de son apparition, considr comme une oeuvre impie, et les glises calvinistes en dnoncrent violemment les tendances : quoique, l'auteur ne se ft pas nomm, il fut bien vite connu. Les les attaques, comme aussi les rimpressions rfutations, plus ou moins dguises, les justifications masques se produisirent en abondance. (V. Van der Linde, Benedictus Spinoza, Bibliografic, p. 2-6.) Spinoza eut l'ide de rpondre certaines de ces critiques et il demanda Oldenburg (Ep. Lxvm, t. Il) quels taient les passages de l'ouvrage qui avaient veill les soupons des hommes clairs afin d'expliquer ces passages par des notes. Ces notes prpares par Spinoza et crites en latin, mais qui avaient t seulement mises en marge de quelques exemplaires du Trait, dans leur texte primitif onttpublies par Boehmer, la suite de son dition du Sommaire du Court Trait. Elles en franais,, mais davaient '. au reste dj imprimes franaise du Trait tho' >gicofigures/dans la traduction polilique qui avait paru en 1678 sous le litre La Clef du ' Sanctuaire. Avant la rdaction de ces notes, certainement aprs la Spinoza avait publication de son Trait thologico-politique, crit son Abrg de grammaire hbraque, Compendium grammalices linguoe hebroeoe. Ce manuel est re^t inachev. Il insiste sur ceci, que ce n'est pas le verbe, mais le nom qui est l'lment primitif et essentiel du langage, et que par consquent la signification originelle des mots est celle qui dsigne non un tat ou une action, mais une chose ou une substance. Thorie sans doute; trs discutable au point de mais dont les rapports avec la mtaphyvue philologique, sique spinoziste sont manifestes. Spinoza avait galement fait une traduction hollandaise du Penlateuque. En fut-il lui-mme peu content? Toujours est-il que peu de temps avant sa mort il la jeta au feu.

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, Nous avons vu<quelle fut la destine de son petit crit de Yarc-tn-ciel, et comment, aprs avoir t publi sans nom d'auteur dix ans aprs la mort de Spinoza, et avoir t pendant longtemps parfaitement de oubli, il a t dcouvert nouveau par le libraire Millier et publi dans le 5p/)/e/nentum de 1862. Mais l'oeuvre le plus considrable qui ait occup les der nires annes del vie de Spinoza a t le Traclatus politicicus, interrompu par sa mort. De, mme que les conceptions thologiques du Trait thologico-politique l'avaient conduit son tude de la grammaire hbraque et sa traduction du Pntateuq'.e, les conceptions de ce politiques Trait le conduisirent un examen nouveau et plus tendu des diverses formes de gouvernement, de leur constitution et de leur dveloppement. On a cru relever dans ce que nous avons du Trait politique (l'ouvrage s'arrte au moment o il va traiter de la dmocratie, aprs avoir trait de la monarchie et de l'aristocratie) des modifications apportes par Spinoza sa doctrine politique antrieure, peut-tre sous l'influence des vnements de 1672, une adhsion l'aristocratie remplaant ses prfrences d'autrefois poUr la dmocratie. A y regarder de prs, la fidlit de Spinoza ses conceptions est peut-tre plus complte qu'il ne parat d'abord, et la question en tout cas ne peut tre aussi simplement rsolue. Si nous n'avons pas considr jusqu' prsent YEthique, ce n'est pas parce que la composition en aurait suivi celle des ouvrages dont nous venons de parler, c'est parce qu'elle n'a pas cess d'tre reprise par Spinoza jusqu' la fin de sa vie. Voici donc quelques indications sur la gense extrieure de l'ouvrage. Nous constatons d'abord par YAppendice I du Cou/7 Trait que Spinoza s'tait appliqu revtir de la mthode euclidienne certaines de ses conceptions sur la substance, les attributs, Dieu, et ce genre de travail doit dater du milieu de 1661. En septembre de la mme anne, une lettre Oldenburg est accompagne d'un travail dans lequel se trouvent formuls certains des axiomes, dfinitions et thormes qui seront repris au dbut

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de YEthiqne, (Ep. 11, t. IL p. 5-6. V. aussi Ep. iv, p. 1011.) C'est sans doute aprs avoir travaill son Trait de la Rforme de l'Entendement, savoir dans le cours de 1662, que Spinoza s'engagea dlibrment et foad dans l'exposition de toute sa philosophie sous formcgomlriquc. Nous les parties acheves ce savons qu'il en communiquait groupe de disciples et d'amis pour lequel il avait dj compos, le Court Trait. C'est de Rijnsburg qu'il leur envoyait Amsterdam de notables morceaux de la premire partie de l'thique : ces envois taient attendus.avec la plus vive Simon impatience et reus avec la plus ardente curiosit. de Vries, qui tait l'me de ce groupe, crivait le 24 fvrier 1663 Spinoza : Pour ce qui est de notre runion (collef/ium), voici commentl elle est tablie : l'un de nous, chacun son. tour, lit votre travail d'un bout l'autre, le coin. mente selon sa pense, et explique toute la dmonstration suivant la srie et Tordre de vos propositions : puis, s'il arrive que nous ne soyons pas capables de nous satisfaire les uns les autres, nous avons jug qu'il tait bon d'en, prendre note et de vous en crire, afin que la chose, si possible, nous devienne plus claire, et afin que sous vos auspices nous puissions dfendre la vrit contre ceux qui sont et chrtiens, et soutenir au superstitieusement religieux besoin l'assaut du monde entier. (Ep. vm, t. Il, p. 30. V. la rponse de Spinoza qui approuve cette faon de procder. que Simon Ep. ix, p. 33.) Entre autres claircissements de Vries sollicitait de Spinoza dans celle lettre, il en tait vm. qui concernaient le troisime scolie de la proposition Or le texte cit sous ces chiffres est dans la rdaction dfix ;et c'est la preuve nitive celui du scolie de la proposition des remaniements que Spinoza parla suite crut ncessaire d'oprer. du 13 mars Dans une lettre Guillaume de ttlycnbcrgh, 1665, Spinoza disait : Par un homme juste, j'entends celui qui dsire avec constance que chacun possde ce qui lui ap-* partint en propre ; et je dmontre dans mon Ethique non encore dite que ce dsir chez les hommes pieux tire ncessairement son origine de la connaissance claire qu'ils ont d'eux-mmes et de Dieu. (Ep. xxm, t. l, p. 107.) C'est

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la premire fois que nous voyons Spinoza appeler son ouvrage Ethique. Quant la dfinition de la justice laquelle Spinoza renvoie, elle devrait se rapporter aux propositions xxxvt.et xxxvn de la quatrime partie : la rdaction do l'oeuvre et donc t cette poque assez avance. Seulement on a contest (Tnnies) que Spinoza, dans l'Ethique dfinitive, ft rest fidle cette dfinition, et on a mis en doute de la sorte le droit d'oprer la rfrence indique aux propositions de la quatrime partie. Dans la mme anne, mais un peu plus tard, en juin 1665, Spinoza annonce en ces termes que la troisime partie touchera bientt son terme : Pour ce qui est de la troisime partie de notre philosophie, je vous en enverrai prochai- , ncment un fragment, soit vous-mmes, si vous voulez vous charger de la transmettre, soit notre ami de Vries ; et quoique j'eusse rsolu de ne rien envoyer avant de l'avoir termine, cependant, comme elle se trouve prendre plus de temps que je n'avais suppos, je ne veux pas vous laire attendre trop longtemps. J'enverrai jusqu' environ la 80e (Ep. xxvni. t. II, p. 121.) Or il n'y a pas proposition. de livre de YEthique actuelle qui contienne 80 propositions. Ce qui est vraisemblable, c'est que la troisime et la quatrime partie ont t spares aprs avoir t unies dans une premire rdaction. Il semble mme que YEthique primitivement devait tre divise en trois parties : car il y a un passage de l'appendice de la deuxime partie de YEthique, passage que par mgarde Spinoza n'a pas retouch, et o il dclare qu'il traitera dans la troisime partie de la direction de l'me par la raison (ut in tertia parte ostendam)(T* I, p. 123.) De toute faon, en 1665, YEthique tait bien prs d'tre acheve. Spinozadutla ngliger pendant le temps o il s'ocdu Trait Thologico-politique. cupa de la composition Cependant, aprs plus d'une retouche sans doute, elle tait prte pour la publication en 1675. Des copies du manuscrit taient Venues dj aux mains, non seulement des premiers amis de Spinoza, mais de personnes entres plus tard en relation avec lui, comme Schuller et Tschirnhaus
(Cf. Ep. LVIl, LVIII, L1X, LX, LXIII, LX1V, LXV, LXVli LXX,

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LXXH, LXXX, LXXXI, Lxxxu, Lxxxui.) Spinoza s'tait mme rsolu faire paratre l'ouvrage, ainsi que l'indique une le 22 juillet lettre que lui adressait 1675 : Oldenburg J'ai compris par votre rponse en date du 5 juillet que vous aviez l'intention de publier votre Trait en cinq parlies ; permettez-moi, je vous prie, de vous engager par sincre affection pour vous n'y rien introduire qui semble en quelque faon branler la vertu et la religion. quoi Spinoza rpondit : Au moment o j'ai reu votre lettre du 22 juillet, je partais pour Amsterdam afin de faire le livre dont je vous avais parl. Tandis que je imprimer m'en occupe, le bruit s'est rpandu partout qu'un livre de moi est sous presse, et que je m'efforce d'y montrer qu'il n'y a pas de Dieu : ce bruit a trouv crdit auprs de nombre de personnes. En consquence, certains thologiens (les mmes peut-tre qui avaient mis !e bruit en circulation) ont saisi cette occasion de porter une plainte contre moi auprs du prince et des magistrats. D'imbciles cartsiens, en outre, qui sont rpuls m'tre favorables, afin de se laver du soupon, ne cessaient pas et ne cessent point encore d'afficher leur aversion pour mes ides et mes crits. Ayant appris tout cela de personnes dignes de foi, qui m'affirmaient en mme temps que les thologiens manoeuvraient partout contre moi, j'ai dcid d'ajourner l'dition que je prparais jusqu'au moment ou je verrais la tournure que-prennent les choses... Mais la situation me semble s'aggraver tous les jours, ctjenesais plus trop ce que je ferai. [Ep. LXVIII, t. H, p. 231-232.) Aux conseils d'Oldcnburg, Spinoza rpondait d'ailleurs en le priant de spcifier quelles thses lui la religion et la vertu ; car. pour semblaient contraires lui, il ne pouvait apercevoir dans ce qui tait d'accord avec En fin de la raison rien qui pt les compromettre. compte, il ne crut pas pouvoir affronter les obstacles et les prils qui se dressaient devant la publication d YEthique ; ' ne sa mort. parut qu'aprs YEthique L'ouvrage est crit sous forme gomtrique, comme l'avaient t les Principes de la philosophie cartsienne ; et certainement il y avait un rapport intimeentre cette forme adopte par Spinoza et le fond de sa pense. Remarquons seulement

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que l'ide de l'adopter pour des matires philosophiques n'tait pas nouvelle, et L. Meyer le reconnat dans sa Prface aux Principes de la philosophie cartsienne. Mais l'ide en remontait plus haut que Spinoza et L. Meyer ne l'imaginaient. Chez les anciens Proclus, dans son Inslituliq theologica, s'tait beaucoup rapproch de ce genre d'exposition ; il prsentait ses penses philosophiques peu prs comme des thormes et de corollaires. Au xnr 9 sicle. suivis de dmonstrations Alain de Lille, le docteur universel, dans son De arte fidei catholicoe, partait de dfinitions, de postulats et d'axiomes ses thses. De mme, au pour dduire mathmatiquement Au xvie sicle, Languet xive sicle, Thomas Bradwardinc. et Henningavaicnt rclam l'application de la mthode gomtrique l'examen des question politiques. Mais Spinoza avait ignor ces devanciers ; et, outre l'influence qu'avait sur lVki par sa certitude minemment objective et impersonnelle la science mathmatique, c'tait sans doute l'essai d'exposition gomtrique prsent par Descartes la suite de ses Rponses aux deuximes objections, qui avait d le dcider. Au reste, un autre disciple indpendant de Descartes, Geulinx, devait, dans sa Melhodus invenienti argumenta de 1663, appliquer, lui aussi, la mthode des gomtres. On aurait tort d'imaginer que, resserre par ce formalisme gomtrique, la pense de Spinoza ait perdu de sa puissance naturelle d'oxpression et de la profondeur de ses perspectives, a La forme mathmatique, a dit Henri Heine, donne un air Apre et dur Spinoza ; mais c'est comme l'corcede l'amande, la chair n'en parat que plus savoureuse. La lecture de Spinoza nous saisit comme l'aspect de la plusgrande nature dans son calme vivant ; c'est une fort de penses hautes comme le ciel, dont les cimes fleuries s'agitent en mouvements ondulcux, tandis que les troncs inbranlables prolongent leurs racines dans la terre ternelle. On sent dans ses crits flotter un certain souffle qui vous meut d'une manire indfinissable. On croit respirer l'air de l'avenir. L'esprit des prophtes Isralites planait-il encore sur leur arrire-descendant ?I1 y a aussi en lui un srieux, une fiert qui a conscience de sa force, upe grandeza de la pense, qui semble un hritage... Ajoutez-y la patience du Hollandais,

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qui ne s'est pas plus dmentie dans les crits de l'homme que dans sa vie. ( De l Allemagne, deuxime partie, nouv. d., 1884,1.1, p. 72.) On peut dire qu'en dpit de ce procd d'exposition, le plus impersonnel qui soit, il y a un style, au sens fort du mot, un style de Spinoza. Sa langue sans doute (c'est de son latin qu'il s'agit) n'est pas toujours parfaitement correcte ; elle est plus d'une fois nglige, inlgante. Cependant elle est nourrie d'crivains anciens, ce qu'attestent de nombreuses rminiscences notamment de Tacite et de J. H. Lopold, Ad Spinozae opra posthuma, Trence(V. ' p. 23-37) ; elle ne ddaigne pas par endroit un certain tour, mais toujours sans artifice. Elle une certaine recherche, est avant tout pleine, vigoureuse, dense, tranchante mme, d'une allure quelquefois hautaine et sarcastique quand elle dnonce les prjugs et les superstitions d'une vulgaires, fixit de contours quasi rituelle; d'un clat pur et contenu quand clic annonce la joie qui rsulte de la connaissance vraie et le salut qui est dans l'amour intellectuel,de Dieu. Le labeur de l'expression et la difficult que rencontre la mise en oeuvre de la mthode servent encore faire ressortir la force intrieure de la pense. Spinoza avait bien conscience que la voie qu'il proposait aux esprits tait mal aise et ardue, mais il terminait son lithique par ces mots : Omnia proeclara tam difficilia quam rara smit.

II Le Cartsianisme et le Spinozisme.

Une thse qui s'est perptue sous des formes diverses, c'est que le spinozisme s'est form par un prolongement Celte thse, Leibniz l'a soulogique du cartsianisme. tenue diverses reprises dans une intention de polmique, peut-tre un peu perfide, contre Descartes, Aussi peuton dire que Spinoza n'a fait que cultiver certaines semences de la philosophie de M. Descartes. v> (Lettre Nioise, t. Il, de fvrier 1697, OEuvres philosophiques, d. Gcrhardt,

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p. 563.) Plus d'une fois Leibniz insiste sur la connc tjn qu'il y a entre certaines thses cartsiennes et les thses essentielles du spinozisme. Pour avoir admis que Dieu cre par sa libert indiffrente les vrits ternelles, et par suite n'en dpend pas dans ses dcrets et oprations, Descartes a introduit un Dieu qui n'a au fond ni volont ni en- j n'a pas le bien pour objet de la tendement, puisqu'il : c'est donc volont ni le vrai pour objet de l'entendement du Dieu de Spinoza. En quelque chose d'approchant outre, l'exclusion des causes finales fait de Dieu une puissance aveugle, comme est la puissance du Dieu spinoziste. Enfin, en disant que la matire passe successivement par toutes les formes possibles, Descartes admet que son Dieu fait tout ce qui est faisable et se prte selon un ordre fatal toutes les combinaisons ; il va droit la thse spinoziste d'aprs laquelle de la ncessit de la nature divine modoivent dcouler une infinit de choses infiniment difies ; il finit donc o Spinoza commence : dans le naturalisme (OEuvres philosophiques, d. Gerhardt, t. IV, p. 299, p. 339-341 ; Foucher de Careil, Leibniz, Descartes et Spinoza, 1852, p. 207). Ainsi les conceptions matresses de Spinoza apparaissent comme des consquences exactement tires de prmisses cartsiennes. La mme thse est reprise, sans aucune intention de dnigrement, bien au contraire, et sous une forme plus rigoureuse, par Hegel. La philosophie de Spinoza, dit Hegel, est l'objectivation de la philosophie cartsienne, en tant que celle-ci a admis l'unit de la pense et de l'tre ; c'est l'objectivation de cette philosophie sous la forme de l'absolue vrit. (Vorlesungen ber die Geschichte derPhilosophie, III, t. XV des OEuvres compltes, 1836, p. 372). Le spinozisme est l'achvement du cartsianisme. (Spinozismus isl Vollendung des Carlesianismus, ibid., p. 411.) Hegel au surplus a t conduit cette vue par sa thorie systmatique qui tient l'histoire de In philosophie pour un dveloppement ferm de purs concepts. Encore attnue-t-il sur ce point la rigidit de sa thorie quand il dclare que la notion de l'unit, par laquelle est refoul le dualisme de Descartes, c'est--dire la notion de l'identit de l'infini et du fini en Dieu,
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est une importation de l'esprit oriental dans la penso euro* penne et cartsienne. (Ibid., p. 368.) Cependant le prjug cr par la mthode hglienne se retrouve chez Kuno Fischer, sans les attnuations que nous avons constates chez Hegel, avec une inflexibilit qui convient moins un historien professionnel de la philosophie. D'aprs Kuno Fischer, il suffit, pour expliquer le spinozisme, du progrs que devait accomplir la pense partir du cartsianisme pour surmonter les oppositions que le cartsianisme enveloppait, notamment l'opposition qu'il laissait non rsolue entre la substantialit de Dieu et la substantialil des choses cres. Du moment que Dieu est affirm comme l'unique substance, l'opposition tombe ; du moment qu'est nie la ralit indpendante des tres crs, conus dsormais comme des modes, le dualisme cartsien est ruin et le monisme est fond. (Geschichte der neuern t. II, 1898, p. 87, p. 254.) Philosophie, Jubilrcuinsausgabe, Ces faons de faire driver le spinozisme du cartsianisme par un simple processus logique sont beaucoup trop exclusives et mme foncirement inexactes. Laissons mme la question de savoir, par exemple, si les oppositions que Kuno Fischer dcouvre dans le cartsianisme ne sont pas des oppositions cres en partie artificiellement et aprs coup pour appeler l'invitable conciliation que reprsen. te ta, suivant un progrs dialectique ncessaire, la philosophie de Spinoza. Mais peut-on vraiment admettre que cette philosophie ait eu pour raison gnratrice une sorte de tendance immanente rsoudre les problmes poss et les difficults laisses par une philosophie antrieure ? Il semble bien, au contraire, que les inspirations primitives et essentielles dont le spinozisme a procd, d'o qu'elles soient venues l'esprit de Spinoza, avaient une puissance internespcifique, plus caractrise pour s'emparer des conceptions cartsiennes et se les subordonner en les altrant que' - pour en tre une simple drivation ou promotion dialectique. Assurment Spinoza a dcouvert chez Descartes avec une extrme sagacit tout ce qui du cartsianisme pouvait s'inflchir dans le sens de son panthisme ; mais les

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traits essentiels ot lei lments actifs do ce panthisme, on ce qu'il a de propre, manquent totalement chez Descartes. Mme quand Descartes, suivant en cela d'ailleurs la thologie chrtienne, fait entrer dans la notion de Dieu l'infinit ; quand il parle de cetto immensit d'essence et de cette puissance inpuisable qu'il y a en Dieu, visiblement il veut marquer par l que rien ne manque Dieu ds perfections concevables qui sont sa raison d'exister ; mais il ne pose pas cetto infinit comme telle qu'elle doive comtout l'tre et qu'elle ne puisse souffrir d'tres prendre distincts d'elle. Surtout ce qu'on ne trouve pas chez Descartes, en dpit de telle de ses formules ambigus sur lo monde infini, qu'il aime mieux du reste appeler indfini, c'est l'intuition de la nature infinie et une par elle-mme. Cette intuition suffit pour distinguer fond le panthisme de Spinoza des tendances ou des expressions panthistiques trouver soit chez que l'on peut, par voie d'interprtation, Descartes, soit mme chez d'autres disciples de Descartes. Qu'un Malebranche, par exemple, mette en relief l'absolue puissance de Dieu ; il concentrera en cette puissance toute la causalit efficace, et il niera que les substances cres puissent agir par elles-mmes, plus forte raison agir les unes sur les autres ; mais c'est tout*, il gardera du matre l'esprit idaliste qui s'oppose ce que les ides claires des attributs soient par elles-mmes plus que des essences intelligibles en choses ; il n'aboutira pas, et se ralisent d'elles-mmes tant s'en faut, la formule natura sive Dens, et son occasionalisme sera plutt un antinaturalisme. La conception spcifiquement panthiste du spinozisme prexhl* donc la mise en oeuvre des donnes cartsiennes, si importantes d'ailleurs que celles-ci aient t pour la constitution du systme. Elle est, en outre, lie indissolublement l'affirmation premire dont tout le systme a voulu tre l'explication, savoir que l'amour de Dieu, impossible sans une union ncessaire de notre tre avec l'Etre divin, est seul capable de nous sauver. Or cette proccupation la fois morale et religieuse qui anime Spinoza et qui sou tient tout l'effort de sa pense est bien loin d'intervenir chez Descartes sous cette forme et d'une faon aussi prs-

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sant. Descartes est port surtout par une curiosit intol-' leotucllo, qui ne ddaigne certes pas les problmes moraux et religieux, mais qui ne les abordo pas directement et se contente do les mettre, quand elle y est invite, une certaine place. Par-sa philosophie, Descartes veut avant tout dcouvrir la vrit ; il ne songe point faire par elle son salut. Spinoza ne s'est donc pas born tirer du cartsianisme les consquences qu'il enfermait ou surmonter les oppositions qu'il impliquait. Il a apport des directions d'esprit et des directions d'mo trs diffrentes qui le prdterminaient sans doute n'tre jamais un pur cartsien ; car un pur cartsien, il ne le fut jamais en ralit, et peut-tre mme fut-il d'abord plus choqu qu'attir par le cartsianisme. C'est co que parat bien montrer le premier des deux Dialogues du Court Trait o nous voyons Spinoza exposer directement son panthisme et l'exposer l'encontrc du dualisme, qu'il fait professer par la Concupiscence, tandis que l'unit et l'infinit de la nature, proclames par la Raison, satisfont YAmour (1). L'influence de Descartes sur Spinoza seraitielle donc nulle, pour n'tre pas telle qu'on l'a reprsente ? Certes non I Elle s'est exerce, ds que Spinoza a commenc sa pense, avec une efficacit dorganiser vritablement cisive, dont tmoigne dj l'ensemble du Court Trait. Efficacit de quelle sorte ? L est la question. Or, si Spinoza n'a pas t uniquement une sorte de thologien rebours, le simple docteur d'une hrsie, ou s'il a pu dpasser considrablement le niveau de ces doctrines qui sont faites avant tout d'intuitions, d'analogies, de pressentiments, s'il a pu contenter exactement son dsir de n.c point chercher la connaissance qui sauve hors de la science qui explique, s'il est dans toute la plnitude du mot un philosophe, et un ' philosophe moderne, c'est Descartes qu'il le doit. On ' de Descartes sur l'action telle ou telle certes relever peut m partie du systme spinoz[ste ; mais il y a eu avant tout de* Descartes une action gnrale et souveraine, qui s'est re(1) Voir plus haut, deuxitne et troisime leons.

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combine avec les tendances propres de marquablement l'esprit do Spinoza. Ce que du cartsianisme Spinoza a saisi avec nergie, c'est la conception d'une vrit objective pure, dveloppable par l'entendement, radicalement exclusive d tous les lments do subjectivit qu'introduisent les sens et l'imagination ; c'est le droit qu'a l'ide claire et distincte, en tant qu'elle est la prise de possession de cette vrit, de s'imposer tout le reste, de rduire les prtentions du sentiment et de la volont valoir par soi. de refouler toutes les reprsentations qui ne font pas assister l'intelligence l'enchanement des choses. Assurment, pour prendre et retenir cela du cartsianisme, Spinoza a d ngliger ou retrancher des vues cartsiennes sur le doute, l'originalit du Cogito, l'existence du libre arbitre, la transcendance de Dieu, sa libert et son pouvoir crateur ; il a d, en somme, rejeter tous les lments de conscience personnelle que le ou laissait subsister au sein de la cartsianisme introduisait pense ; en retour, la mthodologie de l'vidence, tout ce ralisme scientifique qui est si positivement oppos l'anthropomorphisme, qui prpare le transfert en Dieu de la loi ncessaire, qui voit son triomphe dans l'explication gomtrique de la nature : voil ce qui, venant de Descartes ou aperu de prfrence en lui, a permis Spinoza d'purer ses tendances et de les convertir propreintellectuellement Cette notion de la vrit objective pure ment en doctrine. des achevait d'abolir les formes purement Imaginatives les expressions irrationcroyances juives traditionnelles, nelles du no-platonisme thologique ou naturaliste ; elle servait donc faire valoir la pense, que l'homme ne peut pas se sauver par lui-mme, qu'il n'est sauv que par ce quoi Ce qui il adhre clairement, c'est--dire irrsistiblement. tait condamn, et, s'il le fallait, au nom de Descartes contre Descartes, c'tait ce qui n'a son principe que dans le sujet, c'tait la prtendue foi, la prtendue volont, la prtendue inclination qui ne repose pas sur l'objet absolument vrai, absolument existant. S'il m est ainsi, si tel a t le genre d'action exerc par le carttsianisme qu'il apparat comme le principal instrument de la formation du systme, titre de systme, on comprend

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de quelle haute porte a t l'omploi do la mthode gomtrique dont Spinoza a omprunt l'ide Descartes. Cette mthode n'est pas un simple procd d'exposition plus rigoureux que les autres ; elle est en relation interne avec son contenu. Hegel a, il est vrai, dclar que la mthode gomtrique, telle que Spinoza l'a pratique, est celle qui convient le moins l'absolu : elle vaut, dit-il, dans l'ordre des connaissances finies ; elle ne saurait exposer la vrit spculative sur l'Etre infini, car elle se contente d'accueillir cette dans des dfinitions vrit toute donne, sans la justifier, initiales. (Vorlesungen ber die Geschichle der Philosophie, p. 378). Plus svres peut-tre que Hegel, plus soumis aux ou de l'esprit habitudes de l'esprit empirisle criticiste, avertis davantage de Ce qu'il y a de relatif, de conventionnel dans les dfinitions qu de construit gomtriques, nous sommes enclins, plus encoro, ri dnoncer l'inadquation radicale d'une telle mthode l'objet que lui assignait Spinoza. Mai: imaginons comment Spinoza la concevait ou ce qu'il croyait avoir le droit de supposer pour la mettre en oeuvre. La notion gomtrique, c'est le type de la vrit objective qui ne dpend en rien de l'activit du sujet, qui est exclusive de toute dnomination extrinsque et de toute - finalit transcendante ; la production des proprits par la ; l'ennotion, c'est l' cration en ce qu'elle a d'intelligible chanement des proprits l'enchanement drives,'c'est causal en ce qu'il a de clair et de dtermin. La valeur de la dmonstration gomtrique, c'est donc qu'elle reprK sente la vrit se dduisant et s'expliquant sans aucun emprunt aux formes, spcifiquement humaines del conscience c'est qu'elle manifeste dans un ordre /. et de l'intelligence: inaltrable par les vues autant qu'inrationnel, -purement violable par le vouloir de l'homme, la production des tres avec Dieu dans la par l'tre ainsi que l'umol^des^Kprits batitude. /^L/<^\

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pement. La servitude de 10 Les affections humaines. l'me La libert 11e humaines. de Les affections l'me et la flicit dans la vie prsente. . 12 La vie ternelle. Conclusion et la publication des APPENDICE. I. La composition oeuvres de Spinoza II. Le cartsianisme et le spinozisme. . .

Poitiers.

Socit franaise d'Imprimerie.

TABLE DES MATIERES AVANT-PROPOS 1re LECON: Les conditions gnrales de l'tude du spinozisme 2e LECON: L'expression premire du principe de l'unit de substance chez Spinoza 3e LECON: La justification rationnelle du principe de l'unit de substance 4e LECON: Dieu et ses attributs 5e LECON: Dieu et ses modes 6e LECON: Le Dieu de Spinoza 7e LECON: L'me humaine 8e LECON: Nature et degrs de la connaissance 9e LECON: La nature humaine et la loi de son dveloppement 10e LECON: Les affections humaines. - La servitude de l'me 11e LECON: Les affections humaines. - La libert de l'me et la flicit dans la vie prsente 12e LECON: La vie ternelle. - Conclusion APPENDICE. - I. - La composition et la publication des oeuvres de Spinoza APPENDICE. - II. - Le cartsianisme et le spinozisme

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