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Utilisateur:OliveJu/Brouillon

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Philosophie

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Antécédents antiques

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La notion de déterminisme se rattache à toute une série de débats nés dans l’Antiquité. Si ces sources sont importantes pour comprendre la genèse de l'idée déterministe, il existe des différences conceptuelles importantes entre les théories des Anciens et le déterminisme causal moderne, celles-ci doivent inciter à la prudence envers l’idée d’un « déterminisme antique ». Cette section vise, d'une part, à proposer une archéologie de l'idée déterministe et, d'autre part, à préciser, par comparaison, ce qu'est vraiment le déterminisme.

Le débat sur les futurs contingents

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Une bataille navale aura lieu demain (Birème romaine dans le temple de la Fortuna Primigenia de Palestrina environ 120 av. J.-C. exposée au Museo Pio-Clementino du Vatican.)

L’influence majeure de la pensée antique dans la généalogie du déterminisme a été le débat sur le destin. Celui-ci a tout d’abord introduit une des assertions clés de la thèse déterministe, à savoir l’idée d’une nécessité du cours événements, nécessité comprise au sens modal et non seulement comme une force contraignante comme cela était le cas dans la langue poétique. Aristote, au chapitre 9 de De l’interprétation donne un aperçu des arguments qui fondaient alors la position nécessitariste : on admet que les affirmations concernant les événements particuliers futurs sont contingentes, c’est-à-dire qu’elles peuvent être vraies ou fausses, à la différence de celles qui portent sur le passé ou le présent qui échappent à nos choix (on ne peut pas faire que Socrate ne soit pas mort à Athènes). Or, si à un moment donné, deux personnes font deux prédictions contraires sur un événement futur (« une bataille aura/ n’aura pas lieu demain »), il est nécessaire, en vertu du principe du tiers exclu, que l’une dise le vrai et l’autre le faux. La proposition disant le vrai est vraie pour toutes le portions du temps avant la survenue de l’événement, donc, à aucun moment, la proposition alternative n’aura été possible. Aristote rejette cette conclusion comme absurde et considère que l’on ne peut pas conclure de la nécessité de l’alternative à la nécessité d’une de ses branche, il y aurait un sophisme dans la distribution des modalités.

Épictète donne une formulation plus détaillée de cet « argument dominateur » (en grec, ὁ κυριεύων λόγος) formé par Diodore Cronos pour montrer l'impossibilité des futurs contingents. Celui-ci consiste à montrer que parmi les trois propositions suivantes, une est logiquement incompatible avec les deux autres :

  1. « Toute proposition vraie concernant le passé est nécessaire. »
  2. « L'impossible ne suit pas logiquement du possible. »
  3. « Le possible est ce qui n'est pas actuellement vrai ni ne le sera »[1]

La reconstitution exacte du raisonnement a fait l'objet de nombreux débats et de plusieurs formalisations.[2] Pour donner une idée générale de la pensée de Diodore, on peut schématiser l'argument comme suit. Le passé étant irrévocable, ce qui est vrai le concernant ne peut devenir faux et les propositions qui l'énoncent sont, de ce fait, nécessaires ("Socrate est mort à Athènes" ne peut pas être fausse), réciproquement, la négation d'une proposition vraie portant sur le passé est impossible ("Socrate a fuit Athènes" est aujourd'hui impossible). La notion de possible implique, quand à elle, qu'une proposition qui n'est pas vraie, à un instant donné, pourrait l'être ("Socrate va fuir Athènes" est possible avant l'exécution de celui-ci). Si cette proposition n'est jamais réalisée, elle est alors fausse pour tous les instants du temps, elle doit donc être tenue pour impossible ("Socrate a fuit Athènes" n'a jamais été vraie et ne le sera jamais). Il faut donc en conclure, selon Diodore, que l'on ne peut pas qualifier de possible quelque chose qui n'est jamais réalisé car, dans ce cas, quelque chose d'impossible ("Socrate a fuit Athènes") découlerait de quelque chose de possible ("Socrate va fuir Athènes").

Le solution de Diodore consiste à nier la troisième prémisse (tandis que, comme le note Épictète, Cléanthe en déduit la fausseté de la première et Chrysippe celle de la deuxième). Le possible, pour lui, se définit donc comme ce qui est ou sera vrai. Diodore ne nie donc pas l'idée de possibilité mais il la réduit à ce qui est ou sera effectivement, dès lors il n'existe qu'un seul cours possible des événements qui, lorsqu'il est réalisé, s'avère nécessaire.

Cette nécessité est donc conçue comme étant d’une nature purement logique et sans lien avec la relation physique qu’il peut y avoir entre les évènements. Diodore Cronos niait d’ailleurs, à la suite de Parménide, la réalité du mouvement et considérait le temps comme une successions d’instants clos sur eux-mêmes[3]. En cela, nécessitarisme de l'école de Mégare se distingue du déterminisme moderne qui est fondé sur la relation causale entre les événements.

Le destin des physiciens

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Il y a néanmoins eu des interprétations physiques de la thèse nécessitariste. On trouve chez Épicure une critique de ce qui, dans l’Antiquité, ressemble le plus aux conceptions modernes du déterminisme. Dans De la Nature (34, 26-30), le fondateur de l’école du Jardin dénonce une dérive de la physique démocritéenne (dont il se réclame par ailleurs) qui consiste à nier l’idée de responsabilité en affirmant que nos choix découlent du mouvement des atomes qui nous composent[4]. C’est sans doute ce qu’il désigne dans la Lettre à Ménécée (134) comme le « destin des physiciens ».

On comprend que, si les mouvements des atomes sont nécessaires, les actions des créatures naturelles qu’ils composent doivent l’être aussi, ce qui revient à nier la maîtrise qu’elles pourraient avoir sur leurs actions. Cette conclusion, pour Épicure sape les fondements de l’éthique et de la tranquillité de l’âme. La solution épicurienne procède en trois points : 1- elle nie le caractère nécessaire de tous les mouvements naturels en admettant une « déclinaison » (παρέγκλισις/clinamen) dans la trajectoire des atomes ; 2- elle admet une efficacité causale des propriétés macroscopiques 3- elle attribue à l’âme une responsabilité sur ses propres inclinaisons par le biais de ses choix passés[5]. La doctrine épicurienne, parce qu’elle tente de concilier une approche matérialiste avec l’existence de propriétés mentales émergentes, peut paraître particulièrement moderne. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vu qu’elle admet, avec le clinamen, un mouvement sans cause, ce qui contredit frontalement la logique du principe de raison suffisante, comme Laplace le fait remarquer dans son texte.

Le destin des Stoïciens et les causes du choix

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Les Stoïciens ont été les défenseurs les plus influents de l'idée de destin en philosophie. Celui-ci est pour eux la manifestation du Logos ou principe agent qui régit l'univers de façon rationnelle :

Le feu premier est comme une semence contenant les principes et les causes de tous les événements passés, présents et futurs ; leur entrelacement et leur consécution sont le destin, science, vérité et loi infrangible et inévitable des êtres. [6]

Ainsi, pour les Stoïciens, ce n'est pas l'enchaînement naturel des causes qui fait le destin, mais le destin qui réalise cet enchaînement des causes, chaque corps agissant étant une émanation du souffle divin.[7] Néanmoins, la défense de cette doctrine va conduire les Stoïciens à avancer certaines assertions qui seront, par la suite, constitutives du déterminisme moderne, comme le principe selon lequel il doit y avoir des causes susceptibles de rendre compte de chaque détail des événements.[8]

Avec la montée en puissance du Stoïcisme, la question du destin est devenue un lieu de débat philosophique traditionnel. Les traités Πέρι ἐιρμαρμένης/De Fato se sont succédé durant l'Antiquité de Cicéron à Plotin, en passant par Alexandre d'Aphrodise. Dans ce contexte, la question de la nécessité des propositions et celle des causes naturelles se nouent dans un principe de causalité qui préfigure celui qui servira, à l'époque moderne, à justifier le déterminisme. Nous pouvons lire notamment dans le Du Destin de Ciceron :

S’il y a un mouvement sans cause, toute assertion […] ne sera pas vraie ou fausse ; car ce qui n’aura pas de causes efficientes ne sera ni vrai ni faux ; or toute assertion est vraie ou fausse ; donc il n’y a pas de mouvement sans cause. S’il en est ainsi, tout événement arrive en vertu de causes qui le précèdent ; s’il en est ainsi, tout arrive par le destin.[9]

Il faut toutefois noter que ce principe de causalité reste peu contraignant. Si Cicéron écarte la solution d'Épicure qui nie à la fois la bivalence (toute assertion est vraie ou fausse) et la causalité (avec le clinamen). Il reprend à son compte celle de Carnéade qui distingue entre, d'une part, les causes "extérieures et antécédentes" qui précèdent un évènement mais ne sont pas suffisantes pour le produire et, d'autre part, les causes efficientes internes qui produisent l'événement[10]. Dans le cas des choix humains, il y a toujours des circonstances extérieures qui donnent l'occasion à la volonté de s'exercer mais elles ne la nécessitent pas pour autant, nos décisions ne sont donc pas commandées par le destin.[11]

De façon assez similaire, Chrysippe tente de défendre l'idée selon laquelle tout arrive selon le destin sans que ce dernier nécessite nos décisions. Il distingue pour cela, d'un côté, causes parfaites (perfectae) et principales (principales), de l'autre, causes auxiliaires (adiuuantes) et prochaines (proximae).[12] Nos représentations sont les causes prochaines, les impulsions à l'origine de nos actes, mais l'assentiment que nous y apportons est le résultat des qualités présentes dans notre âme[13]. Ainsi, le destin des stoïciens se distingue du déterminisme en ce qu'ils ne considèrent pas que ce sont les causes antécédentes qui rendent nécessaire la survenue d'un événement. Le destin renvoie à une forme de causalité plus fondamentale, appelée "cause sustentatrice (αἴτιον συνεκτικόν), qui rattache chaque corps agissant au principe agent.[14]

Liberté et prédestination

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Déterminisme théologique. Il faut enfin mentionner, parmi les sources antiques de la thèse déterministe, la controverse théologique, essentiellement chrétienne, sur la prédestination de l’âme. Elle a constitué à la fois un arrière plan et un laboratoire pour le débat sur la détermination de la volonté. Cette question renvoie au débat de ce que les anglophones appelle le déterminisme théologique.

Les textes bibliques ne permettent pas

Elle était d'ailleurs encore extrêmement vivante à l’époque moderne, notamment en raison des prises de positions de Luther et des Jansénistes.

la doctrine de la prédestination a été énoncée au Ve siècle Augustin d'Hippone a formulé la doctrine de la prédestination, s'opposant à ce sujet au moine britannique Pélage

Le déterminisme à l'époque moderne

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Du mécanisme au déterminisme : Hobbes

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La naissance de la physique moderne a suscité une philosophie nouvelle de la nature que l'on appelle le mécanisme. Selon celle-ci, tout dans l'univers peut s'expliquer, comme l'écrivait Descartes, par le seule considération «des grandeurs, des figures et des mouvements comme fait la mécanique.» Cette approche ouvre la voie à un déterminisme rigoureux dont Hobbes s'est fait le défenseur systématique.

Le déterminisme hobbesien repose sur les principes suivants. Tout d'abord, il n'admet que les corps comme objets réels de la connaissance, son ontologie est corporaliste (De Co I, 1, 8). Deuxièmement, l'explication scientifique doit exposer les causes de la génération de ces corps et des phénomènes qui les affectent, pour cela, elle n'a à prendre en considération que le mouvement qui est la cause efficiente universelle. Enfin, cette causalité est nécessaire en ce sens que, dès lors que les toutes les propriétés qui composent une cause sont réunis, l'effet ne peut pas ne pas se produire et il ne peut pas se produire sans la réunion de toutes ces conditions.

Hobbes a défendu les conséquences clairement déterministes de sa philosophie à l'occasion des controverses qui l'ont opposé à Thomas White et John Bramhall. Il écrit dans De la liberté et de la nécessité :

Hobbes par John Wright (peint entre 1669 et 1670)

« je tiens pour cause suffisante ce à quoi rien ne manque qui soit indispensable à la production de l’effet. Une cause nécessaire est identique à cela, car s’il est possible qu’une cause suffisante ne suscite pas l’effet, alors il manque quelque chose d’indispensable à la production de celui-ci, et la cause n’était donc pas suffisante ; mais s’il est impossible qu’une cause suffisante ne produise pas l’effet, alors, une cause suffisante est une cause nécessaire, puisque, par définition, produit un effet nécessairement ce qui ne peut que le produire. Il est ainsi manifeste que tout ce qui est produit, est produit nécessairement ; car tout ce qui est produit a eu une cause suffisante pour le produire, ou bien il n’eût pas été ; et les actions volontaires, par conséquent, sont accomplies par nécessité. »[15]

Cette conception des mécanismes naturels est incompatible avec une doctrine qui attribuerait à la volonté un pouvoir d'autodétermination grâce auquel elle pourrait, les mêmes causes étant réunies, agir ou ne pas agir. Aussi, Hobbes est-il amené à redéfinir la liberté par l'absence d'obstacles extérieurs : nous sommes libres si rien ne nous empêche de réaliser notre volonté, quand bien même cette dernière est nécessité par les causes qui ont précédé notre choix. De même, sa conception de la liberté politique réduit celle-ci au fait de pouvoir faire, ou non, ce qui n'est pas interdit par la loi. Cette stratégie peut s'apparenter à ce que l'on appelle aujourd'hui un traitement compatibiliste du rapport de la liberté et du déterminisme (voir ci-dessous).

Le raisonnement causal dans la métaphysique classique : Descartes, Spinoza, Leibniz

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Le matérialisme déterministe de Hobbes n'est en aucun cas une position majoritaire dans la philosophie moderne. Il n'en reste pas moins que le raisonnement causal qui permet de justifier le déterminisme y est dans l'ensemble perçu comme valide, y compris par des auteurs que l'on n'associe habituellement pas au déterminisme, comme par exemple Descartes :

Or cette opinion [selon laquelle certaines choses dépendent de la fortune] n’est fondée que sur ce que nous ne connaissons pas toutes les causes qui contribuent à chaque effet ; car, lorsqu’une chose que nous avons estimée dépendre de la fortune n’arrive pas, cela témoigne que quelqu’une des causes qui étaient nécessaires pour la produire a manqué, et par conséquent qu’elle était absolument impossible.[16]

Dans la métaphysique moderne, comme dans le mécanisme, la causalité efficiente tend à s'imposer comme ce qui est susceptible d'expliquer, de rendre raison, de toutes choses. Dès lors qu'absolument tout est intégralement dépendant de ses causes, le raisonnement qui fonde le déterminisme ne peut apparaître que comme concluant. Néanmoins, cette tendance peut être contrebalancées par des assertions relatives à Dieu qui est la source de cette causalité. Si Descartes pose que les mécanismes naturels sont mathématiquement conditionnés, il admet aussi que la liberté que nous ressentons indubitablement en nous est garantie par la véracité divine.

Le système de Spinoza intègre, pour sa part, le déterminisme dans une construction métaphysique plus complexe. Dans celle-ci, les essences éternelles procèdent nécessairement de la nature de Dieu. Par contre, les choses singulières et changeantes dépendent quant à leur existence d'autres causes particulières qui les déterminent et qui, à leur tour, sont conditionnées par d'autres. Pour Spinoza, toutefois, cette chaîne infinie des causes particulières échappe à la connaissance humaine qui doit se concentrer sur les essences nécessaires, en cela son système sera plus justement qualifié de nécessitariste plutôt de que de déterministe.

Leibniz, par Christoph Bernhard Francke (1695).

Enfin, la philosophie de Leibniz occupe une place centrale mais aussi ambiguë dans l'histoire du déterminisme. Tout d'abord, on lui doit d'avoir donné à la règle de causalité qui fonde le déterminisme la forme d'un principe, le principe de raison suffisante  :

Il y a deux grands principes de nos raisonnements ; l’un est le principe de la contradiction […] ; l’autre est celui de la raison suffisante : c’est que jamais rien n’arrive sans qu’il y ait une cause ou du moins une raison déterminante, c’est-à-dire qui puisse servir à rendre raison a priori pourquoi cela est existant plutôt que non existant et pourquoi cela est ainsi plutôt que de toute autre façon.

D'un côté, Leibniz peut apparaître comme un des artisans du déterminisme, il considère que les phénomènes naturels obéissent à une stricte nécessité mathématique, il a d'ailleurs imaginé des expériences de pensée qui préfigurent l'argument de Laplace, comme lorsqu'il affirme qu'un esprit fini pourrait calculer la trajectoire d'un navire de façon à ce qu'il rentre au port, sans intervention humaine, par la seule détermination des conditions initiales de sa trajectoire.

À côté de cela, Leibniz a aussi systématiquement cherché à subordonner la nécessité du mécanisme à une autre forme d'explication fondée sur la raison et les causes finales, c'est pourquoi il parle de «raison suffisante» et non seulement de «cause suffisante». Tout d'abord, contre la nécessité introduite par Hobbes et Spinoza, Leibniz défend l'idée selon laquelle les lois de la nature sont contingentes et sont, de ce fait, subordonnées aux sages raisons qui font que Dieu choisit le meilleur des mondes possibles. Ensuite, la théorie de l'harmonie préétablie permet de poser une correspondance entre les corps, soumis à la loi des causes efficientes, et les substances qui obéissent à la loi des causes finales, c'est-à-dire à la recherche du meilleur.

Un déterminisme global : D'Holbach

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Le principe de raison suffisante est bien assimilé dans les milieux intellectuels français qui gravitent autour de l'Encyclopédie, comme en témoigne l'article «Fortuit» que rédige D'Alembert pour l'Encyclopédie et qui peut être vu comme une source de l'argument de Laplace (voir ci-dessus). Les matérialistes français du siècle des lumières, La mettrie, d'Holbach, Helvétius, assument ouvertement un déterminisme sans compromis. Le baron d'Holbach, dans son système de la nature, expose une philosophie de la nature dans laquelle le plus infime détail des phénomènes est conditionné par une «cause suffisante» qui le détermine mathématiquement  :

Paul Thiry d'Holbach par Alexandre Roslin (1785).

Dans un tourbillon de poussière qu'élève un vent impétueux ; quelque confus qu'il paraisse à nos yeux, dans la plus affreuse tempête excitée par des vents opposés qui soulèvent les flots, il n'y a pas une seule molécule de poussière ou d'eau qui soit placée au hasard, qui n'ait sa cause suffisante pour occuper le lieu où elle se trouve, et qui n'agisse rigoureusement de la manière dont elle doit agir. Un géomètre qui connaîtrait exactement les différentes forces qui agissent dans ces deux cas, et les propriétés des molécules qui sont mues, démontrerait que, d'après les causes données, chaque molécule agit précisément comme elle doit agir, et ne peut agir autrement qu'elle ne fait.

Ce déterminisme est à la fois infiniment précis et global, rien dans la nature ne peut y échapper. L'âme humaine, en tant que réalité matérielle, n'a aucun pouvoir pour s'y soustraire, elle est solidaire de la totalité de l'univers :

Ainsi l’homme est un être physique ; de quelque façon qu’on le considère il est lié à la nature universelle, et soumis aux lois nécessaires et immuables qu’elle impose à tous les êtres qu’elle renferme, d’après l’essence particulière ou les propriétés qu’elle leur donne, sans les consulter. Notre vie est une ligne que la nature nous ordonne de décrire à la surface de la terre sans jamais pouvoir nous en écarter un instant. Baron d’Holbach, Système de la Nature, Partie I, ch.XI

Le déterminisme en questions : de Kant à Sartre

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Le déterminisme sans les causes : Hume

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Hume ouvre la voie à un traitement non-causal du déterminisme et par delà au positivisme.

Déterminisme des phénomènes et liberté nouménale : Kant

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Kant ouvre la voie à des critiques du déterminisme centrées sur le sujet. Kant : le rôle constitutif du déterminisme dans l'intelligibilité de la nature mais sa limitation aux phénomènes. L'expérience du remord place Kant du côté des libertariens.

De cette façon, Kant ouvre la voie à toute une série de critiques du déterminisme qui reconnaissent à celui-ci un domaine de validité circonscrit tout en proposant son dépassement dans le domaine métaphysique.

Dépassements du déterminisme par la métaphysique : Schopenhauer et Bergson

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Critiques du déterminisme par l'analyse phénoménologique : Sartre

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Formulations analytiques contemporaines

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La question du déterminisme reste vive dans les débats en philosophie analytique, la principale controverse étant de savoir dans quelle mesure celui-ci est compatible avec la responsabilité que nous nous attribuons sur nos actes. Aussi, il est possible de classer les différentes réponses philosophiques en fonction de leur positionnement sur le caractère déterministe, ou non, de la nature et sur le caractère libre, ou non, de la volonté. On peut schématiquement les classer selon le tableau suivant :

Le libre arbitre est-il possible ?
Oui non
Le déterminisme est-il vrai ? Oui Compatibilisme Déterminisme dur
non Libertarianisme Incompatibilisme dur

Le compatiblisme

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Le compatibilisme correspond à une position déjà répandue chez les modernes qui consiste à soutenir que le déterminisme n'est pas incompatible avec le libre arbitre, il est même une condition de la liberté humaine dans la mesure où les lois de la nature rendent les phénomènes prévisibles, scientifiquement compréhensibles, techniquement contrôlables et assurent qu'il y a bien un lien causal entre nos décisions et nos actions.

Cette doctrine a été introduite dans la tradition analytique par Schlick et elle y a été dominante dans jusqu'au années soixante. Toutefois, une telle conception demande que l'on redéfinisse la liberté : le déterminisme n'admettant qu'un seul cours possible des événements, il exclut que liberté soit comprise comme une puissance qui nous permettrait d'accomplir ou de ne pas accomplir une action, toutes les conditions étant les mêmes par ailleurs (liberté d'indifférence). Pour cette raison, les compatibilistes ont donné une définition conditionnelle de la liberté : l'action libre est celle que l'on a réalisé parce que l'on a voulu la réaliser et que l'on aurait pas réalisée si l'on n'avait pas voulu la réaliser.

Les limites de cette définition a été mises en lumière, à partir des années soixante, par les arguments libertariens de Roderick Chisholm et Peter van Inwagen (voir ci-dessous). Pour intégrer ces objections, le compatibilisme a été amené à évoluer, John Fischer et Harry Frankfurt ont notamment proposé une position "semi-compatibiliste" reposant sur le principe selon lequel fait d'être causalement déterminé à faire un choix n'exclut pas que l'on soit responsable de ce choix.

Le libertarianisme

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La position libertarienne à propos du déterminisme est tout à fait indépendante de la doctrine libertarienne en philosophie politique, le terme désigne toutes les doctrines qui rejettent le déterminisme pour rendre possible le libre arbitre.

Peter van Inwagen a ainsi résumé l'incompatibilité fondamentale entre liberté et déterminisme : si nous n'avons aucun pouvoir sur le passé et sur les lois de la nature, si les événements futurs sont les conséquences logiques du passé et des lois de la nature, nous ne pouvons rien changer aux événements futur, donc nous n'avons aucun contrôle sur les événements futurs, y compris nos propres actions puisqu'elles sont, elles aussi déterminées.

Dans un premier temps, les libertariens ont pu s'appuyer sur les limites, réelles ou supposées, du déterminisme en sciences (voir ci-dessus) pour défendre une conception indéterminisme de la nature. K. Popper est un des représentants célèbres de la position anti-déterminisme au XXe siècle. On a vu apparaître par la suite des analyses métaphysiques raffinées de la liberté en termes de causalité des agents, ou de liberté non-causale, ou encore de causalité des événements. Néanmoins, l'articulation de l'indéterminisme physique et de la liberté de la volonté est loin d'être élucidée et fait l'objet de nombreuses théories et controverses.

Le déterminisme dur

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Face aux arguments en faveur de l'incompatibilité entre déterminisme et liberté, une autre solution est de rejeter le libre arbitre. On obtient la position que l'on appelle le «déterminisme dur», l'adjectif «dur» servant à faire la différence avec le compatibilisme qui lui aussi admet le déterminisme mais conserve le libre arbitre.

L'expression «déterminisme dur» remonte à William James et correspond à l'image que l'on se fait familièrement du déterminisme, à savoir celle d'une doctrine dans laquelle tout dans la nature s'explique par des mécanismes sur lesquels la volonté humaine n'a aucune prise. Le déterminisme dur a pu s'appuyer sur l'idée, communément répandue au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe, selon laquelle le déterminisme était indissociable du projet scientifique. De même, cette thèse peut être associée à une approche radicalement physicaliste de la question de l'esprit.

Plus récemment, des psychologues comme Benjamin Libet ou Daniel Wegner on a pu mobiliser des expériences neurologiques et psychologiques pour illustrer l'idée selon laquelle nos choix seraient, secrètement et irrésistiblement, déterminés par des mécanismes cérébraux. L'interprétation de ces expériences et leur portée philosophique effective a toutefois fait l'objet de nombreuses critiques.

L'incompatibilisme dur

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L'«incompatibilisme dur» correspond à l'option affirmant que le libre arbitre est incompatible avec le déterminisme comme avec l'indéterminisme, c'est pourquoi il peut aussi être appelé «impossibilisme» ou encore «scepticisme» vis-àvis du libre arbitre. Cette position peut être saisie comme la conséquence d'un argument des compatibilistes : s'il n'y avait aucun déterminisme dans les phénomènes, alors il ne pourrait y avoir ni prévision, ni contrôle des événements par l'esprit humain.

Derk Pereboom a développé une telle critique du libre arbitre montrant que cette notion est inconsistante car, si le déterminisme est vrai, elle est annulée par le déterminisme dur et, si l'indéterminisme est vrai, elle est annulée par le caractère imprévisible de la causalité. Derk Pereboom[17] Living without Free Will, Cambridge University Press, Cambridge, 2001.

Cette position peut aussi être rapprochée de celle de Galen Strawson qu'il qualifie d'approche «pessimiste» du libre arbitre.

(en) Derk Pereboom, Living without free will, Cambridge, Cambridge University press,

  1. Épictète, Entretiens, II, XIX, lire en ligne
  2. Pour une reconstitution critique complète voir Jules Vuillemin, Nécessité ou contingence : l'aporie de Diodore et les systèmes philosophiques, Editions de Minuit, (ISBN 2-7073-0685-1 et 978-2-7073-0685-2, OCLC 12749762, lire en ligne), première partie.
  3. Voir Jules Vuillemin, Nécessité ou contingence : l'aporie de Diodore et les systèmes philosophiques, Editions de Minuit, (ISBN 2-7073-0685-1 et 978-2-7073-0685-2, OCLC 12749762, lire en ligne), II, III, § 20 p. 83.
  4. A. A. Long et D. N. Sedley (trad. J. Brunschwig et P. Pellegrin), Les philosophes hellénistiques. I, Pyrrhon ; L'épicurisme, Flammarion, (ISBN 2-08-070641-1, 978-2-08-070641-6 et 2-08-071147-4, OCLC 47061693, lire en ligne), 20.c, p. 211-214
  5. A. A. Long et D. N. Sedley (trad. J. Brunschwig et P. Pellegrin), Les philosophes hellénistiques. I, Pyrrhon ; L'épicurisme, Flammarion, (ISBN 2-08-070641-1, 978-2-08-070641-6 et 2-08-071147-4, OCLC 47061693, lire en ligne), p. 221-228
  6. A. A. Long et D.N. Sedley (trad. J. Brunschwig et P. Pellegrin), Les philosophes hellénistiques. II, Les stoïciens, Flammarion, (ISBN 2-08-070642-X, 978-2-08-070642-3 et 2-08-071147-4, OCLC 47061699, lire en ligne), chap. 46 G2 :

    « Le feu premier est comme une semence contenant les principes et les causes de tous les événements passés, présents et futurs ; leur entrelacement et leur consécution sont le destin, science, vérité et loi infrangible et inévitable des êtres. »

  7. A. A. Long, Jacques Brunschwig et D.N. Sedley, , Flammarion, 2001 (ISBN 2-08-070642-X, 978-2-08-070642-3 et 2-08-071147-4, OCLC 47061699, lire en ligne), chap. 45, p. 250-253
  8. A. A. Long et D.N. Sedley (trad. J. Brunschwig et P. Pellegrin), Les philosophes héllénistiques, II les Stoïciens, Flammarion, 2001 (ISBN 2-08-070642-X, 978-2-08-070642-3 et 2-08-071147-4, OCLC 47061699, lire en ligne), chap. 55N, Alexandre d'Aphrodise :

    « De tout ce qui se passe, quelque chose d'autre suit, qui lui est lié par une dépendance causale nécessaire; et tout ce qui arrive a quelque chose qui le précède, et dont il dépend causalement. »

  9. Du destin, X, 20-21, trad. E. Bréhier, Les stoïciens, Gallimard « la Pléiade », Paris, 1962.
  10. Du destin, XV, 34.
  11. « Tout en accordant qu'il n'y a pas de mouvement sans cause, il n'aurait pas accordé que tout événement a lieu par des causes antécédentes : de notre volonté il n'y a pas de causes extérieures et antécédentes. »

    Du destin, XI, 23, trad. E. Bréhier, Les stoïciens, Gallimard « la Pléiade », Paris, 1962.

  12. Du destin, XVIII, 41.
  13. A. A. Long et D.N Sedley (trad. J. Brunschwig et P. Pellegrin), Les philosophes hellénistiques. II, Les stoïciens, Flammarion, (ISBN 2-08-070642-X, 978-2-08-070642-3 et 2-08-071147-4, OCLC 47061699, lire en ligne), chap. 55, p. 393-395
  14. A. A. Long et D.N. Sedley (trad. J. Brunschwig et P. Pellegrin), Les philosophes héllénistiques, II Les Stoïciens, Flammarion, 2001 (ISBN 2-08-070642-X, 978-2-08-070642-3 et 2-08-071147-4, OCLC 47061699, lire en ligne), 55F.
  15. De la liberté et de la nécessité (abrégé De la liberté), trad. F. Lessay, Vrin, 1993, p. 110.
  16. Les passions de l’âme, II, art. 145, A.T XI, p. 438.
  17. Living. Bla bla bla dijhdcjisj