Les Helvétiques
Les Helvétiques | ||||||||
11e album de la série Corto Maltese | ||||||||
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Klingsor : « Alors, vous allez nous suivre avec les armes de Maître Ulrich ? » (planche 19, case 5) | ||||||||
Scénario | Hugo Pratt | |||||||
Dessin | Hugo Pratt | |||||||
Couleurs | Patrizia Zanotti | |||||||
Personnages principaux | Corto Maltese Jeremiah Steiner le chevalier Klingsor |
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Époque de l’action | 1924 | |||||||
Éditeur | Casterman | |||||||
Première publication | France : septembre 1988 | |||||||
ISBN | 2-203-34401-6 | |||||||
Nombre de pages | 96 | |||||||
Prépublication | Italie : Rosa Alchemica, mensuel Corto Maltese du n° de mars au n° d’août 1987. France : Les Helvétiques, mensuel Corto n° de septembre 1987 |
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Albums de la série | ||||||||
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Les Helvétiques est une aventure de Corto Maltese écrite et dessinée par Hugo Pratt. L'intrigue de l'album se déroule en 1924, dans un village suisse du Tessin, et a pour thème le monde des légendes médiévales. Selon son auteur, « C'est une aventure surréaliste, avec un arrière-plan mythologique, [...] j'ai fait une histoire complètement farfelue, mais j'avais envie de me raconter cette fable et de témoigner de toutes ces choses qui ont été importantes pour moi. Encore une fois, c'est un hommage à tout ce monde qui m'a accompagné, à ces auteurs qui, parfois, ne sont pas très connus mais qui m'ont aidé à vivre. J'avais comme une dette envers eux. »[1].
L’histoire
[modifier | modifier le code]Depuis peu, le marin Corto Maltese a pris la décision de vivre en solitaire dans le petit village suisse de Savuit sur Lutry (canton de Vaud). Un jour, il accepte d’accompagner son vieil ami, le professeur Jeremiah Steiner, à Sion, après s'être donné rendez-vous à Lugano (canton du Tessin). Auparavant, Steiner compte faire une étape à Montagnola, chez son ami l’écrivain Hermann Hesse. À leur arrivée, Corto est en proie à d’étranges hallucinations. Il est accueilli par un jeune garçon prétendant s’appeler Klingsor et notre héros bascule soudain dans un monde ésotérique de légendes et de magies qu’il ne soupçonnait pas dans ce pays.
Steiner s’inquiète de la santé de Corto, car lui n’a vu aucun enfant. En tout cas, Hesse est absent. Il ne sera là que le lendemain mais ils peuvent s’installer.
Avant d’aller se reposer, Steiner l’invite à jeter un coup d’œil dans la bibliothèque de la maison pour l’entretenir de ce fameux Klingsor, l’un des héros d’une nouvelle de Hermann Hesse : Le dernier été de Klingsor. Ce chevalier s’appelait Clinschor dans le Perceval de Chrétien de Troyes puis Wolfram von Eschenbach l’adapta pour son Parzival. Corto se saisit de ce dernier livre pour en lire quelques pages avant de s’endormir.
Emporté par sa lecture, il est pris dans un tourbillon où il est chargé d’une mission : rechercher la rose alchimique se trouvant dans le château du Saint Graal. Sur son chemin, il croise la route de la mort, du chevalier Klingsor, de fées qui marchent à l’envers. Il doit aussi affronter un ogre-gorille, futur roi Kong, avant d’entrer dans le château et cueillir la rose magique. Sa mission accomplie, le bouc satanique se dresse en travers de son chemin. Il l’accuse d’avoir bu l’eau de la fontaine de jouvence dans le vase sacré. Corto est traîné devant dix représentants de l’enfer. Klingsor se désigne comme avocat de la défense. Face à la bouffonnerie de ce procès, Corto Maltese s’en sortira-t-il ?
Allusions culturelles
[modifier | modifier le code]Cet épisode mêle habilement des références variées à l'ésotérisme, à la culture suisse et, plus généralement européenne, ainsi que des références inattendues[1],[2],[3],[4],[5] :
Allusions à l'alchimie
[modifier | modifier le code]- Le titre original de l'épisode, Rosa Alchemica, est emprunté à celui d'un recueil d’œuvres du poète irlandais William Butler Yeats traduites en italien[a]. Pratt, qui l'apprécie beaucoup, y faisait déjà allusion dans Les Celtiques, à travers un poème figurant sur la couverture de certaines éditions. Le bédéiste explique que ce titre désigne une expression concernant l'alchimie qui les a fasciné tous les deux, attribuée à une couleur, "rose de Thuringe". Lorsqu'on recherche la pierre philosophale, on réduit en poudre plusieurs substances et, après les avoir brûlées, on obtient cette couleur, rose rouge. C'est une robe de cette couleur que, dans la BD, Corto offrira à Erica, la fille du vigneron Vanas[b]. Pratt poursuit en disant que cette pierre symbolise aussi une manière de penser, de chercher et cette rose alchimique est une clé de passage initiatique vers un ensemble ésotérique. Yeats s'était aussi intéressé aux travaux de Madame Blavatsky et faisait partie de l'Ordre hermétique de l'Aube dorée, société secrète anglaise (sans rapport avec l'organisation politique grecque l'Aube dorée). Aussi, La Rose de Thuringe est une œuvre écrite en 1930 par l'écrivain suisse Pierre Girard. Il s'agit sans doute de références au Roman de la Rose, œuvre poétique française médiévale. Mais aussi à Sainte Élisabeth de Hongrie, qui fut souveraine de Thuringe (région historique d'Allemagne), contemporaine de Wolfram von Eschenbach, qui réalisa le miracle des roses.
- Pratt lui-même a fréquenté des alchimistes, tels que le français André Malby, qui l'a aidé pour cette histoire, en réalisant un dossier sur la Suisse et l'occultisme. Sur le même sujet, l'auteur a déclaré à Dominique Petitfaux que les alchimistes existent toujours en France, tout comme les druides. Selon lui, certains de ces derniers se réunissent rue de Rennes à Paris : il suffit de frapper à une porte, on dit "les druides sont morts" et une voix répond "non, entrez". Seulement, ces confréries restent discrètes...
- Lors du trajet en voiture au début de l'histoire, Corto et Steiner discutent de l'alchimiste suisse Paracelse et de ses ouvrages : la Philosophia Sagax » et le traité d'alchimie Archidokes. Le marin exprime sa préférence pour son maître l'abbé bénédictin Johannes Trithemius, avec son Veterum sophorum sigilla et imagines magicae, ainsi que son élève Cornelius Agrippa. Puis, il explique avoir été initié enfant à la kabbale par le rabbin Ezra Toledano, que Steiner a connu en 1897 à Bâle, lors du premier Congrès sioniste, où il se trouvait également Theodor Herzl.
Références littéraires et picturales
[modifier | modifier le code]- Quand Corto discute avec les personnages de la tapisserie, celui qui lui fait découvrir combien les légendes suisses valent autant que les autres est Ulrich von Zatzikhoven. Cet écrivain médiéval allemand (sans doute originaire du canton suisse de Thurgovie) a écrit sur le cycle arthurien, notamment avec son œuvre la plus connue, Lanzelet (traduction en allemand de Lancelot). Quant aux personnages de la tapisserie, ils reprennent ceux du Codices Palatini germanici (de) (voir les images ici), qui exécutent une Danse macabre.
- Dans la bibliothèque de Hermann Hesse figurent nombre de volumes, parmi lesquels Faust, des livres de Gottfried Keller (tel que ses Nouvelles zurichoises (de)), de Goethe... Et même une présence anachronique servant d'hommage, puisqu'on y voit la bande dessinée Silence du belge Comès, ami de Pratt, publiée dans le mensuel (À suivre) en 1979. Le bédéiste rend aussi hommage à Hesse et ses écrits, en particulier Le dernier été de Klingsor (de) et Demian (1919, qu'il écrivit sous le pseudonyme d'Emil Sinclair).
- Pour dessiner le chevalier Klingsor, Hugo Pratt s’est référé à la miniature (149 V) représentant Wolfram von Eschenbach dans le Codex Manesse. Ce manuscrit enluminé, somptueux recueils du Minnesang allemand, fut probablement réalisée à la demande de la famille Manesse, patriciens de Zurich.
- Lorsque Corto rencontre les squelettes, il se met à réciter le poème Égalité-Fraternité, écrit par Henri Cazalis et mis partiellement en musique par Camille Saint-Saëns dans son célèbre poème symphonique, la Danse macabre. Quant aux squelettes, l'auteur reprend, jusque dans la position des têtes, un dessin par Nicolas Le Rouge La grant danse macabre des hommes et des femmes (Troyes, 1496).
- Après avoir bu dans le calice, Corto assiste à des apparitions démoniaques, inspirées d'anciennes gravures. La première représente le démon Bélial devant les portes de l'Enfer (gravure sur bois, Augsburg 1473). La seconde figure le Baiser obscène de sorcières sur l'anus du diable (gravure sur bois du Compendium Maleficarum, dessiné par Francesco Maria Guazzo en 1608).
- Le lendemain du rêve, alors que Jeremiah Steiner et Hermann Hesse partent pour leur congrès d'alchimie à Sion, Corto prend la route pour Zurich avec la célèbre artiste Art Déco polonaise Tamara de Lempicka[c].
Une parodie des mythes et légendes européens
[modifier | modifier le code]- Quand Corto échappe à la Mort (Thanatos)[d], il entre dans un édifice où sont écrites trois lettres de l'alphabet hébreu : Shin, Sade et Hain. En les voyant, il s'écrie "Expiation, tromperie, ruine...".
- L'ogre du Château du Saint-Graal évoqué par Klingsor n'est autre qu'un gorille (animal peu connu au Moyen-Âge en Europe par des populations les prenant pour des monstres). Celui-ci est promis au rôle principal dans King Kong, film qui n'est pas encore sorti au temps de l'action de la BD. En effet, il raconte que les "quatre preux de l'imagination", Merian C. Cooper, Ernest B. Schoedsack, David O. Selznick et Edgar Wallace (qui ont fait partie de l'équipe du film) avaient pour lui un projet d'une grande aventure à Hollywood, L.A., Californie. Corto affirme avoir rencontré le second lors de la guerre gréco-turque, en 1922 à Smyrne[e], tandis qu'il a lu "Bosambo of the River", écrit par le quatrième. À travers cette rencontre improbable, l'auteur prend un contre-pied de la quête du Graal, des chevaliers et de leur « dignité guindée », comme dans le reste de l'aventure. Cette allusion culturelle posa d'ailleurs problème au bédéiste car le film n'est sorti qu'en 1933, alors que l'histoire se déroule en 1924. Mais il arrive que des projets de film durent des années, comme celui d'adaptation cinématographique de Corto Maltese. Pratt s'est alors dit qu'il est possible que l'on ait commencé à parler de ce film dès le milieu des années 1920. Il affirme aussi que le travail d'auteurs comme Chrétien de Troyes ou Wolfram von Eschenbach ne lui paraît pas tant différent de celui des créateurs de King Kong. Bien que les mode d'expressions diffèrent, c'est le même effort de créativité couronné de succès, afin de narrer une histoire empreinte de merveilleux, épique et poétique. Pour poursuivre le sujet, le bédéiste explique que dans sa conception, une personne cultivée est nécessairement éclectique. Si elle ne connaît que l'univers culturel auquel appartient Klingsor ou seulement celui dont fait partie King Kong, il n'est pas véritablement cultivé. Mêler les deux lui a donc paru vraiment normal ; si ça pose problème à son lecteur, il espère éveiller alors en lui une certaine curiosité, lui faire découvrir de nouveaux personnages et auteurs[6].
- Toujours dans un esprit de contrepied des légendes médiévales, Corto doit affronter des épreuves inspirées de celles-ci, qu'il surmonte à sa manière. Par exemple, afin de se rendre au château abritant la rose, il doit franchir un précipice en marchant sur le fil d'une épée tranchante géante. Comme dans Lancelot ou le Chevalier de la charrette, de Chrétien de Troyes[f], où Lancelot du Lac doit subir la même épreuve. Mais, au lieu de s'écorcher les mains comme le chevalier, le marin simplifie l'épreuve en faisant pivoter l'épée, de manière à pouvoir marcher sur le plat de la lame.
- À la Fontaine de la rose (fontaine de jouvence), un calice parle à Corto, l'occasion pour l'auteur de continuer à tourner en dérision la quête du Graal, où celui-ci est presque vu comme un souvenir touristique. En effet, le calice est enchaîné à la margelle, non pas par symbolique secrète, mais pour éviter qu'il ne soit volé. Les autres calices qui s'y trouvaient ont été ramenés par des chevaliers du Graal : les sires Galaad, Perceval, Gauvain, Lancelot, Lohengrin, Anafortas et Tinturel (voir pour les deux derniers Parsifal), dépareillant ainsi le service. Dans le même esprit de décalage, la Grotte de Lourdes, haut lieu de pèlerinage catholique, est vu par le calice comme un simple sanctuaire parmi tant d'autres. Enfin, lors du procès, le témoin à décharge n'est autre... que le Saint-Graal lui-même[g].
- Au cours du procès mené par le Grand tribunal infernal, le héros est jugé par dix représentants de l’enfer, mêlant personnages légendaires de différentes cultures et personnages historiques. Sont ainsi appelés :
- Caïn, personnage biblique et coranique, fils d'Adam et Ève, qui tua son frère Abel ;
- Judas Iscariote, un des Douze Apôtres de Jésus-Christ, qui trahit ce dernier ;
- Balal en Shînaar, qui dans son orgueil, voulut atteindre le ciel, avec sa Tour de Babel ;
- Le barde Merlin, qui abandonna le Roi Arthur par amour de Viviane ;
- Ève, mère du premier juge, qui trahit son mari Adam lors du péché originel à cause du serpent tentateur (forme prise par Satan) ;
- Jeanne d'Arc, dite la Pucelle d'Orléans, qui entendait les voix de Dieu ;
- Bertrand de Got, pape sous le nom de Clément V, qui mit fin à l'ordre des Templiers, avec la complicité du roi Philippe le Bel ;
- Gilles de Rais, sodomite, compagnon d'armes de la "Pucelle", dont les crimes atroces auraient inspiré Charles Perrault pour son conte La Barbe bleue ;
- Dick Turpin, « The famous highwayman », célèbre bandit de grand chemin, assassin et « prince du stupre » ;
- Ainsi que... Raspoutine. Il ne s'agit pas du célèbre guérisseur russe (qui aurait peut-être eu là sa place) mais de l'éternel ami-ennemi de Corto, que ce dernier retrouve jusque dans un procès infernal en Suisse médiévale.
- Pratt raconte qu'à travers ce procès, il a voulu écrire à propos des droits des individus vis-à-vis des pouvoirs. Il explique la présence de Jeanne d'Arc au milieu de personnages peu recommandables par une envie amusante de la montrer comme se prenant pour « la standardiste de Dieu ». Mais il trouve aussi que ce n'était pas un personnage tout à fait clair. Il se sert des mystères planent encore sur sa vie : serait-elle morte sur le bûcher ? se serait-elle mariée ? Enfin, il rappelle qu'elle a été l'amie du cruel Gilles de Rais et que l'Église n'a accepté de la canoniser qu'en 1920.
- Une fois acquitté, Corto se voit proposer par le démon à l'origine du procès un poste de batelier, le nocher Caron prenant bientôt sa retraite. Dans la mythologie grecque des enfers, c'était celui qui contre une obole, faisait traverser le Styx aux âmes des morts ayant reçu une sépulture.
- Une fois sorti de ce monde magique, le héros finit sa nuit grâce à Sandman, l'Homme des rêves, qui lui verse du sable pour l'endormir.
Un grand hommage à la Suisse
[modifier | modifier le code]À travers cette relecture fantaisiste des légendes du Graal et, plus largement, du folklore médiéval européen, l'auteur cherche à mettre en valeur aux yeux de ses lecteurs la Suisse[1],[2],[3],[4],[5] :
C'est un pays qu'il affectionna beaucoup et où il finit ses jours (il est enterré à Grandvaux, dans le canton de Vaud, où se tient un monument à effigie de son héros). Il le fait en particulier à travers un texte introductif, ainsi qu'une description de chacun des 26 cantons, accompagnée de ses dessins (voir chapitre suivant), seulement visibles dans certaines éditions de l'album. Dans le texte, l'auteur présente la Suisse comme un pays méconnu — en dehors de son image d’Épinal montagnarde, des Saint-bernard, des Gardes suisses et de plaisanteries, comme celles de la scène culte coucou suisse dans Le Troisième Homme par Orson Welles — qui recèle bien des trésors cachés. Ils s'y croisent Parsifal et le Saint Graal, Siegfried à la recherche de l'or des Nibelungen[h], des personnages de la Völsunga saga comme Fafner, narré par Richard Wagner, l'alchimiste Paracelse (à l'origine du principe d'homoncule)...
Selon Pratt, la Suisse est au cœur de plusieurs grandes légendes, celtiques comme saxonnes. Il prend comme exemple L'Or du Rhin, opéra de Richard Wagner basé la mythologie germanique et nordique : le Rhin nait dans les Alpes suisses. Ainsi, Siegfried a remonté ce fleuve jusqu'à ce pays. Quant à cet or, Pratt dit qu'il se trouve actuellement dans les banques suisses et leurs employés sont en quelque sorte les descendants des Nibelungen, nains qui en étaient autrefois les gardiens. Ils auraient été alliés aux Burgondes, dont un de leurs rois, Gunther, a vu sa sœur Kriemhild épouser Siegfried. Ce peuple germanique eut d'ailleurs son royaume en France, dont faisait partie la Savoie, de l'autre côté du lac Léman.
Dans l'histoire, le professeur Steiner raconte à Corto les histoires liées au Graal, il affirme que selon des interprétations récentes, Perceval (héros qui donna son nom au titre des œuvres d'Eschenbach et Wagner), ne viendrait pas de Snowdon, au Pays de Galles (Wales, en Anglais). Il rajoute que ce personnage serait plutôt issu du canton du Valais, plus précisément la ville de Sion. La ressemblance phonétique du nom des deux régions et des deux lieux aurait entraîné la confusion, le héros se présentant comme étant né à « Sinadon in Waleis ». Pratt explique à ce propos que le roi Arthur et ses chevaliers sont venus combattre un chat diabolique au bord du Léman. Comme en témoigne une église italienne des Pouilles, la cathédrale d'Otrante, où une mosaïque représente la scène. Cet épisode est relaté dans L'Estoire de Merlin (contenu dans le Cycle de la Vulgate). Arthur y combat un monstre nommé Chapalu, avec l'aide de Merlin et de Gauvain. L'emplacement du combat contre cette créature liée à l'eau fait débat, qui s'est peut-être déroulé au lac du Bourget, en Savoie, qui est dominé par le mont du Chat (bien que le toponyme soit antérieur à cette légende).
Steiner poursuit ses explications en parlant de deux châteaux : l'un renferme le Graal, l'autre la Rose du péché. « La Rose du péché » est aussi le titre d'un petit poème médiéval allemand narrant l'histoire d'une princesse aussi belle que nymphomane, amante de deux frères Nibelungen. Jaloux, ils la cachèrent dans un château bâti sur un ancien sanctuaire romain, aussi baptisé le « Château du vice » à l'époque burgonde. Selon un poète, il pourrait s'agir du château de Tourbillon, justement à Sion, qui fait face à un autre château, la basilique de Valère, église fortifiée. Afin de ne pas être victime des sortilèges de la rose, un chevalier se châtra. Celui-ci franchit les siècles, passant du mythe germanique, au cycle celtique et jusqu'à la légende franco-mérovingienne. Portant le nom de Klingsor, ce chevalier diabolique ennemi de Perceval conquit le « Château du vice ». Quant à tous ces châteaux, le professeur souligne que ce sont toujours les mêmes, au nombre de deux, bien qu'ils changent de nom et de lieu : on en trouve en Suisse, en Allemagne, en France, en Angleterre et au Pays de Galles.
Les explications relatives au Graal et à la ville de Sion sont sans doute une allusion à L'Énigme sacrée. Il s'agit d'un essai historique controversé, basé sur les témoignages du faussaire et mythomane Pierre Plantard, écrit en 1982 par trois journalistes britanniques : Henry Lincoln, Michael Baigent et Richard Leigh. Cet ouvrage est connu pour avoir grandement servi de source d'inspiration pour le best-seller Da Vinci Code de Dan Brown (2003). Il a pour thème central le Graal et le Prieuré de Sion, société secrète dont Pratt en fait mention explicitement dans l'introduction de son album. L'ouvrage historique stipule que cette société, gardienne du Graal et successeur des Templiers, tient congrès dans la ville suisse de Sion.
Présentation des 26 cantons suisses
[modifier | modifier le code]Hugo Pratt présente dans l'introduction de certaines éditions de l'album les 26 cantons suisses, par le biais de courts textes et de dessins. Ces dessins reprennent des aquarelles réalisées par Pratt, regroupées dans le recueil "Et in Helvetia, Corto"[2],[4],[7]. Elles évoquent le voyage fait par Corto, qui visite tous les cantons en 1924. Voici ce que ces documents nous racontent :
- Le canton d'Uri (UR) fait partie des cantons fondateurs de la Suisse. Il signa le pacte fédéral de 1291 avec les deux cantons suivants, formant la Confédération des III cantons. Il s'était alors révolté contre la Maison de Habsbourg qui l'occupait, avec pour figure légendaire Guillaume Tell (à qui rend hommage une chapelle, sur ce canton). Il adopta depuis les couleurs Saint-Empire romain germanique pour son blason. Situé sur la colonne vertébrale de l'Europe, il communique avec le canton du Tessin grâce au Col du Saint-Gothard, accessible par le pont du Diable.
- Le canton historique d'Unterwald est en fait divisé en des deux (demi-)cantons, Obwald (OW) et Nidwald (NW), n'ayant jamais été unis juridiquement. Le premier est traversé par la vallée du Sarner (de) (dans laquelle se trouve le village de Saint-Nicolas (de), près de Kerns), le second par la vallée du Engelberg (de). Leurs deux blasons, figurant chacun une clé, sont réunis en un seul à deux clés quand il s'agit de représenter le canton entier. Jusqu'aux années 1990, il fonctionnait encore en Landsgemeinde, institution de démocratie directe que l'on ne trouve plus que dans deux cantons : Appenzell Rhodes-Intérieures et Glaris.
- Le canton de Schwyz (SZ) a pour double privilège d'avoir donné son nom au pays, ainsi que probablement son blason pour en faire le drapeau national. Ce serait Rodolphe Ier de Habsbourg qui aurait, en 1289, autorisé le canton à arborer sur leur écu rouge sang la "sainte croix du Christ". Ce même canton fut aussi le plus virulent des premiers cantons suisses à se rebeller contre les habsbourgeois. Quant à la ville de Schwytz, on peut y admirer le joli manoir de Ital-Reding (de), tandis que celle de Galgenen offre à voir l'église de St. Jost (de).
- Le canton de Lucerne (LU), situé au centre du pays et constitué de montagnes et de plateaux, adhéra à la Confédération en 1332. Ce qui lui a permis de gagner en importance sur l'échiquier de l'Europe. Notamment grâce à Lucerne, son charmant chef-lieu s'avançant sur le lac des Quatre-Cantons et la Reuss, qui ambitionnait de devenir une grande ville, ce qu'elle réussit. Non loin de là se trouvent les villes de Blatten (avec son église de Saint-Jost) et de Kriens.
- Le canton de Glaris (GL) arbore sur son blason l'image de Saint-Fridolin de Säckingen, son évangélisateur. Il l'exhibait déjà lors de la Bataille de Näfels contre les Autrichiens, d'où il sortit victorieux. D'autres épisodes de son histoire sont notables : le dernier procès pour sorcellerie d'Europe en 1782 contre Anna Göldin[i] et une importante grève éclata à Glaris en 1837. Via les cours d'eau du Linth, de l'Aar et du Rhin, le canton est relié aux mers du monde entier. Et c'est de ce canton d'où partirent nombre de migrants, qui fondèrent notamment New Glarus, ville du Wisconsin (États-Unis). Enfin, on peut y visiter les anciennes communes de Mollis (avec son église) et de Linthal.
- Le canton de Zurich (ZH), confédéré depuis 1351, s'est industrialisé dès la fin du XIXe s. Il demeure actuellement connu pour l'importance mondiale de ses assurances et ses banques. Mais ce serait oublier le rôle culturel et historique européen de la plus grande ville du pays, Zurich. Celle-ci a en effet accueilli, entre autres : Richard Wagner, Theodor Mommsen, Lénine, Hermann Hesse, Thomas Mann, Bertolt Brecht, Robert von Musil, James Joyce, Carl Jung et Gottfried Keller. On doit d'ailleurs à ce dernier la citation "Là où tombe le bonheur, il se répand facilement autour de soi". Puis, le célèbre manuscrit enluminé Codex Manesse fut sans doute exécuté dans cette ville. Ensuite, c'est là où naquit le mouvement dada, en . Pour poursuivre sur les aspects culturels de la ville, le Sechseläuten est une fête traditionnelle de la ville fêtant la fin de l'hiver par la crémation du Böögg (de)(ou Bonhomme Hiver). De plus, on trouve beaucoup de beaux bâtiments, tels que l'Église Saint-Pierre. Enfin, il s'y tient la Fédération internationale de hockey sur glace.
- Le canton de Berne (BE) se caractérise géographiquement par ses différences de hauteurs. Il s'échelonne entre 400 m et plus de 4 000 m (pour six sommets), descendant des Alpes bernoises vers la plaine, dans la région de Bienne. Il abrite Berne, considérée comme « ville fédérale » (de facto la capitale du pays[j]) Son nom proviendrait de l'ours qui figure sur les armoiries cantonales, aussi symbolique que pour Rome avec sa louve. La légende veut que Berthold V de Zähringen tua un ours à l'endroit où il fonda la cité. Cette ville se distingue notamment avec ses différentes fontaines d'eau potable artistiques, dont celle de Samson.
- Le canton de Fribourg (FR), qui rejoint la Confédération en 1481, doit son nom à la ville de Fribourg. Fondée en 1157, son toponyme signifie "ville libre" (frei- (libre) et -burg (ville)). Le canton illustre la mosaïque religieuse des cantons suisse, étant un îlot catholique entouré de voisins protestants. Cette forme d'isolement causa une incidence sur son développement de l'industrie et du commerce. Ce qui ne l'empêche pas de disposer d'atouts touristiques comme Estavayer-le-Lac (commune bordant le lac de Neuchâtel) et le village de Grandvillard. Notons comme spécialité la cuchaule, pain brioché habituellement accompagné de moutarde de Bénichon.
- Le canton de Zoug (ZG), avec ses 239 km2 et ses onze communes, demeure un des plus petits cantons suisses. Lors de son adhésion à la Confédération en 1352, il servit de tampon entre les cantons rivaux de Zurich et de Schwytz. La ville de Zoug, qui se trouve sur la route de Zurich au Gothard, borde le lac de Zoug. Sur celui-ci naviguèrent durant des siècles des "einbaum", pirogues monoxyles ne se manœuvrant qu'à une seule rame. Pour rester sur la thématique de l'eau, sa fontaine de Kolin est inscrite comme bien culturel d'importance régionale, tout comme son emblème la Zytturm. Une autre ville, Gubel (de), située près de Menzingen, contient un beau cloître des Frères mineurs capucins.
- Le canton de Soleure (SO) se distingue par sa forme particulièrement étrange, biscornue, entre ceux de Bâle, de Berne, du Jura et d'Argovie. La ville de Soleure, qui vit naître Olga Brand (de)(écrivaine et journaliste), offre à voir plusieurs monuments (de) comme la Mauritiusbrunnen (colonne de Saint-Maurice). Dans ce même canton, on peut aussi voir Lostorf et son Château de Wartenfels (de), ainsi que Zullwil et son Château en ruine de Gilgenberg (de).
- Le (demi-)canton de Bâle-Campagne (BL) formait autrefois le canton de Bâle avec celui de Bâle-Ville, dont il s'est séparé en 1833, pour ne plus vivre sous sa domination. Majoritairement rural à cette époque, il est pourtant urbanisé depuis des siècles, comme en témoigne la ville romaine d'Augusta Raurica (près d'Augst). La diversité des époques se lit aussi dans ses différentes villes : Waldenburg, Pfeffingen, Arlesheim (avec son Burg Reichenstein médiéval et sa Collégiale baroque), Liestal, Pratteln, Zwingen et Anwil.
- Le (demi-)canton de Bâle-Ville (BS) a beau être séparé de celui de Bâle-Campagne, le blason du premier est similaire à celui du second, reprenant les anciennes armoiries du Prince évêque de Bâle. Le plus petit canton de Suisse contient la troisième ville du pays, Bâle. Située au confluent du Rhin et de la Wiese, aussi traversé par la Birsig, elle compte beaucoup de ponts (de) et comporte un port fluvial, unique port marchand du pays. Son histoire est ponctué d'épisodes dramatiques, en particulier au XIVe s : épidémie de peste, Pogrom contre les Juifs (accusés à tort d'empoisonner les puits), qui seront par la suite chassés de la ville pour quatre siècles, important tremblement de terre... Mais tenant à renaître de ses cendres, elle rebâtit de somptueux monuments comme la Spalentor, se dynamisa grâce à l'humanisme et l'imprimerie, fit connaître ses Basler Läckerli (petits gâteaux proches du pain d'épices) et se dota de nombreuses fontaines (de). L'une d'elles, celle du basilic (de), représente un basilic, animal mythique qui aurait été découvert enterré lors de la fondation de la ville et qui aurait donné son nom à la ville, selon une hypothèse fantaisiste.
- Le canton de Schaffhouse (SH) constitue une rupture de charge sur le Rhin, puisque ce fleuve franchit le Lac de Constance en amont. Géographiquement étrange, le canton se joue des frontières, étant constitué de trois parties séparées par l'Allemagne, tout en restant rattaché à la Suisse. Pour complexifier la situation, la ville de Büsingen am Hochrhein est une enclave allemande, faisant pourtant partie du territoire douanier suisse. Cette situation résulte du choix du canton de rejoindre la confédération à la fin du XVe s, à laquelle elle s'était alliée lors de la guerre de Souabe. À voir dans le canton : la ville de Schaffhouse et le château d'Herblingen.
- L'ancien canton d'Appenzell est un exemple des problématiques religieuses en Suisse, puisque celles-ci causèrent sa scission en deux (demi-)cantons en 1597, moins d'un siècle après sa création (en 1513). Ainsi, Appenzell Rhodes-Intérieures (AI) est catholique, tandis qu'Appenzell Rhodes-Extérieures (AR) est protestante. Mais sur le blason de l'un, comme sur celui de l'autre, figure un l'ours apprivoisé par Saint-Gall, évangélisateur irlandais ayant apporté le christianisme dans la région. Celui-ci était alors venu au VIIe s sur les bords de la Steinach (de), se serait installé dans une forêt et aurait alors rencontré cet animal qu'il aurait dompté. Celui-ci fonda d'ailleurs l'Abbaye de Saint-Gall, qui se trouve sur le canton de Saint-Gall. Ce qui n'empêche pas celui d'Appenzell d'avoir ses propres sites d'intérêt : Urnäsch, le col de Stoss... De même qu'il produit un célèbre fromage qui s'exporte, l'appenzeller.
- Le canton de Saint-Gall (SG), qui doit son nom à un évangélisateur irlandais, entoure totalement l'ancien canton d'Appenzell, avec lequel il formait autrefois le canton du Säntis. Ce regroupement ne dura pas longtemps, entre 1798 et l'Acte de médiation du . Le document fut écrit par le Premier Consul Napoléon Bonaparte, qui signa l'acte de plusieurs autres cantons et dota de la Suisse d'une nouvelle constitution. Le blason cantonal est constitué d'un faisceau de licteur, hérité des Romains. Ce symbole signifie que des tiges isolées peuvent être rompues facilement, alors que groupées, elles étaient plus solides, ce qui est renforcé par les rubans verts représentant la solidarité. Au centre, la hache symbolise la force et la puissance des uns et des autres réunis. Le canton offre à admirer, en plus de l'Abbaye de Saint-Gall, les villages de Bad Ragaz, Sankt Margrethen et Sargans.
- Le canton de Thurgovie (TG) est réputé pour être une des principales régions viticoles de Suisse, étant le terroir du cépage de Müller-thurgau et dont des villes comme Weinfelden arborent fièrement la vigne sur leur blason. Tout comme il est un grand producteur de pommes, à partir desquelles on fabrique notamment de l'Apfelwein (de). Il faut dire qu'il est bien irrigué, en particulier par le Lac de Constance. Parler de lac est abusif, puisque c'est en réalité un ensemble de deux plans d'eau : l’Obersee et l’Untersee, reliés entre eux par le Seerhein, petite portion du Rhin. Son blason, orné de deux lions, reprend les armoiries de la Maison de Kybourg, dynastie de comtes du nord de la Suisse régnant du début du XIIe au milieu du XIIIe s[k]. Sa capitale naturelle aurait dû être Constance, qui se trouve pourtant en Allemagne à la suite de caprices de l'histoire[l]. Reste au canton comme consolations les villes d'Egnach (offrant des maisons à colombages, comme dans le quartier de Steinebrunn), de Frauenfeld (chef-lieu cantonal) et de Tobel (de).
- Le canton des Grisons (GR) est le plus grand de Suisse, mesurant 7 115 km2, soit 1/6 de la superficie du pays. Il s’échelonne en altitude entre les moins de 300 m du Val Mesolcina et les 4 048,6 m du Piz Bernina (point culminant des Alpes orientales centrales). Cette vaste étendue montagnarde peut être considérée tel que le "château d'eau de l'Europe"[m]. Le Rhin y prend sa source, par le Rhin antérieur (provenant du Lac de Toma) et le Rhin Postérieur (du Rheinwaldhorn). Plusieurs ruisseaux du canton alimentent différents cours d'eau européen, traversant notamment l'Engadine et rejoignant (via l'Inn) le Danube, ou bien le Pô et l'Adige. Ses cours d'eau aboutissent tantôt dans la mer Adriatique, la mer du Nord ou encore, la mer Noire. Le canton est aussi le seul à être officiellement trilingue et à parler le romanche (en plus de l’italien et surtout de l'allemand). Enfin, on peut y découvrir le Château d'Ortenstein (de), ainsi que le village de Scuol.
- Le canton d'Argovie (AG), qui s'étale entre le Plateau suisse et le Jura, est traversé par le Rhin et son affluent l'Aar (qui donna sans doute son nom au chef-lieu Aarau). Sa géographie particulière, ouverte au cœur de l'Europe, a particulièrement servi aux Romains qui s'installèrent à Vindonissa (près de Windisch), afin de surveiller l'Helvétie[n]. Plus tard, le château de Habsbourg, près de Brugg, donna naissance à la maison de Habsbourg. Il s'agit d'une importante Maison souveraine d'Europe, ayant fourni des empereurs au Saint-Empire romain germanique, ainsi que des souverains à plusieurs états européens. Ce fut aussi elle qui maintint le territoire de la Suisse sous sa tutelle avant que ne naisse et grandisse la Confédération. Le canton compte d'autres sites touristiques comme Wettingen (et son église St. Sebastian (de)).
- Le canton du Tessin (TI) s'avance comme un doigt sur l'Italie, entre les régions de Lombardie et du Piémont, entre le lac de Côme, le lac de Lugano et le lac Majeur. Il est d'ailleurs le seul de Suisse à être entièrement italophone (tandis que le canton des Grisons parle aussi d'autres langues). Il s'étage entre le Monte Basòdino et Locarno, au bord du lac Majeur. Comme précisé dans la bande-dessinée, c'est dans la ville de Montagnola, que vécut l’écrivain Hermann Hesse, dans la villa Camuzzi. Y habitèrent aussi l'artiste peintre Gunter Böhmer, le peintre Hans Purrmann, ainsi que l'écrivain Hermann Burger. Concernant les sites naturels, les amateurs de plongée en rivière apprécient se baigner dans la Verzasca près du Pont des Sauts, beau site se trouvant sur la commune de Lavertezzo.
- Le canton de Vaud (VD) entoure le Léman et avoisine le lac de Morat et le lac de Neuchâtel. Il possède une étrange forme : étranglé par celui de Fribourg au niveau de Vevey, il s'évase vers le sud-est. La géographie se complique concernant ses limites cantonales, en particulier avec les cantons de Neuchâtel et de Fribourg, à cause d'un ensemble d'exclaves et d'enclaves. La métropole de Lausanne, où se trouve le siège du Comité international olympique, voit son esprit résumé par la devise du canton, «Liberté et Patrie». Celle-ci figure sur le blason cantonal, chose exceptionnelle. Historiquement, le canton faisait partie au Ve siècle du Royaume des Burgondes, s'étalant alors de l'est de la France jusqu'à l'ouest de la Suisse et qui dura plusieurs siècles. Pour parler d'économie, la viticulture y est présente, comme sur tout l'ouest et une partie du sud de la Suisse. Au point qu'on trouve au Château d'Aigle le musée de la Vigne et du Vin. Si Grandvaux fait partie des villes viticoles, elle fut surtout le dernier domicile d'Hugo Pratt entre 1984 et 1995, année de son décès. Il y fut ensuite enterré et une statue y fut érigée en hommage à son héros, admirant au loin le massif du Chablais et le Léman, sur la frontière entre la France et la Suisse.
- Le canton du Valais (VS), longé par la Vallée du Rhône, regorge de témoignages de l'Histoire. Le Château de la Bâtiaz à Martigny a subi les guerres de Bourgogne ; le bourg médiéval de Saillon est un des mieux conservés du pays ; la Tour des Sorciers est un des derniers vestiges de l'ancien vidomne de Sion. À cela s'ajoutent les vestiges du château de Tourbillon et la basilique de Valère, cités plus haut. Quant à l'imposant Château de Stockalper à Brigue, il montre la richesse du marchand Gaspard Jodoc Stockalper, surnommé le « Roi du Simplon » et qui prospéra lors de la guerre de Trente Ans... Ces monuments du canton sont aussi impressionnants que ses sites naturels, avec le glacier du Trient (où les gorges du même nom sont sombres comme le Styx) ou avec les sommets argentés de l'Eiger et de la Jungfrau — qui signifie littéralement « jeune femme ». Les paysages y permettent ainsi à des cépages de prospérer, comme le fendant, le rèze (de) et l'amigne. Enfin, Nendaz est considérée comme capitale internationale du cor des Alpes, long instrument à vent souvent associé à la Suisse (bien qu'on en trouve dans d'autres pays d'Europe).
- Le canton de Neuchâtel (NE) descend en paliers du Haut-Jura (à la frontière française) vers le lac de Neuchâtel. Dans le massif du Jura, où culmine le Mont Racine, s'étalent des forêts de sapins blancs, parsemées de prés, formant un paysage en mosaïque. Sur celui-ci s'étendent une partie des vignobles de la Région des trois lacs, où se cultive notamment le pinot noir (servant à fabriquer le vin rosé œil-de-perdrix). Mais s'étendent aussi des pâturages sous forme d'alpages, qui permettent l'élevage bovin, répandu dans le pays, dont le lait est présent dans plusieurs spécialités nationales. En particulier le chocolat suisse, avec une entreprise emblématique basée sur le canton : Suchard. Un autre fleuron économique du canton est l'horlogerie, avec à peu près un tiers des emplois nationaux de cette filière se trouvant sur ce canton. Celui-ci est occupé depuis le Néolithique, avec des habitats lacustres (dont en particulier la civilisation campaniforme) ; puis lors de l'Âge du fer, comme en témoigne le site archéologique de La Tène, qui a donné son nom à la culture celtique de La Tène. Concernant Neuchâtel, c'est une ville médiévale, puis humaniste, où l'on parle le français le plus élégant de Suisse romande. Cette ville fait partie des beautés de la région, au même titre que Colombier et son château (non loin des gorges de l'Areuse), La Chaux-du-Milieu, Valangin (à l'entrée des gorges du Seyon) et le Lac des Brenets. La ville de La Chaux-de-Fonds, centre reconnu de l'Art nouveau ayant donné naissance au Style sapin, a aussi vu naître l'écrivaine Monique Saint-Hélier.
- Le canton de Genève (GE), de petite taille, est entourée par la France, ainsi que par le Jura, le Salève (montagne des Préalpes), le Mont Blanc au loin, le Rhône et le Léman (que traverse ce fleuve). Le nom de ce lac signifiant tout simplement "lac", parler de lac Léman est donc considéré comme un toponyme pléonastique, que certains évitent en parlant de lac de Genève. De cette étendue sort énergiquement le Jet d'eau de Genève, initialement instauré en 1891 par mesure de sécurité pour l'usine hydraulique à la Coulouvrenière, qui est devenu l'emblème de la ville de Genève. Bien que concurrencé par celui de Zurich, il reste plus célèbre, impressionnant par sa hauteur de 140 m. Dans le canton se remarque plusieurs signes de sa vocation internationale, puisqu'y ont leur siège : le Bureau international du travail (agence spécialisée de l'ONU sur les droits au travail), l'Organisation mondiale de la santé (agence spécialisée de l'ONU sur la santé, à Pregny-Chambésy), le palais des Nations (abritant auparavant la Société des Nations, actuellement occupé par l'ONU). Cette vocation internationale se retrouve sur un tout autre registre, puisqu'il a aussi accueilli Jean Calvin, originaire de Noyon (Picardie). Ce pasteur emblématique de la Réforme protestante du XVIe siècle, qui fuyait l'Église catholique romaine, a conçu le calvinisme. Il s'agit d'une doctrine théologique protestante, qui fut véhiculé à travers l'Europe, puis le monde. Enfin, le canton recèle quelques beautés, comme Hermance (et sa tour) et surtout Cologny, où se tient la Villa Diodati. Cette résidence bordant le Léman a abrité plusieurs artistes pendant l'été de 1816 : Lord Byron, Mary Godwin Shelley (où elle écrivit le roman Frankenstein ou le Prométhée moderne), Percy Shelley, John Polidori (où il rédigea le roman Le Vampire, inspiré comme l'autre du livre Fantasmagoriana), ainsi que Claire Clairmont. Par la suite, plusieurs artistes furent fascinés par ce lieu, tels qu'Honoré de Balzac, qui y reçut de la part d'Ewelina Hańska les gages de son amour.
- Le Canton du Jura (JU), dernier de cette liste, est aussi le dernier-né du pays. Il a ainsi vu le jour 1978, en devenant indépendant du canton de Berne, pour faire partie de la Suisse romande. Sa naissance tardive explique que son blason n'apparaisse qu'à l'écart de la coupole du Palais fédéral, représentant tous les autres blasons cantonaux, alors que le bâtiment existe depuis 1902. Ce même blason reprend la crosse de Bâle, rappelant l'époque où le territoire fut sous l'autorité de l'évêché de Bâle. Le canton s'étend sur le massif du Jura, où l'on aperçoit par exemple les ruines du Château de Vorbourg.
Prépublications
[modifier | modifier le code]- Italie : Rosa Alchemica, dans la revue Corto Maltese, du no 3 de mars au no 8 d'août 1987 (6 numéros).
- France : Les Helvétiques, cahier détachable (22x30) de 70 pages, dans le no 14 du mensuel Corto, de .
Albums édités en France
[modifier | modifier le code]Scénario et dessins de Hugo Pratt avec la collaboration de Guido Fuga (it) pour dessiner certains décors et les automobiles.
Première édition en couleurs
[modifier | modifier le code]- Les Helvétiques (relié, documents, aquarelles de Hugo Pratt), éd. Casterman, 1988[8] (ISBN 978-2-203-34401-3)
Première édition en noir et blanc
[modifier | modifier le code]- Les Helvétiques (couverture souple à rabats), éd. Casterman, série Corto Maltese en noir et blanc, no 11, sortie en 2012, format 23,5/29,5 (ISBN 978-2-203-03362-7).
Rééditions, en couleurs
[modifier | modifier le code]- Les Helvétiques (relié, format 21.5x29, préface de Marco Steiner, photos de Marco d’Anna : Sem Enna Werk (La cire devient or).), éd. Casterman, série Corto Maltese, tome 13, 2010, (ISBN 978-2-203-02973-6).
- Les Helvétiques (petit format broché), éd. Casterman, série Corto, tome 28, 2010, (ISBN 978-2-203-00789-5).
Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]- Le titre anglophone de cet épisode, The Secret Rose, reprend le titre d'un de ses poèmes.
- Le vigneron Vanas gère la pension Morphée, qui porte le nom du dieu des rêves prophétiques dans la mythologie grecque, chargé d'endormir les mortels. Or, c'est justement dans cette pension que Corto rêve son aventure narrée dans cette histoire.
- D'après Pratt, Tamara de Lempicka a réalisé un portrait de Corto, qui a été perdu.
- Le personnage de la mort rappelle celui du film suédois d'Ingmar Bergman Le Septième Sceau, sorti en 1957.
- Rencontre contemporaine à l'action de La Maison dorée de Samarkand, qui se déroule entre décembre 1921 et septembre 1922.
- Pratt explique à propos de Chrétien de Troyes : "C'est par Chrétien de Troyes que je suis entré dans le monde des chevaliers de la Table Ronde, que j'ai abordé Perceval, le mythe du Graal. Chrétien de Troyes est certainement l'un des écrivains qui m'a fait le plus rêver. J'ai aussi beaucoup rêvé à ce que pouvait être sa vie à la cour de Marie de Champagne, la [petite] fille d'Aliénor d'Aquitaine. Il devait y avoir dans ces milieux — je pense aussi à la cour de Henri II d'Angleterre et d'Aliénor d'Aquitaine, où vivait Marie de France — une vie intellectuelle aux centres d'intérêts tout à fait étonnants." Hugo Pratt (int. Dominique Petitfaux), Hugo Pratt. Le Désir d’être inutile, Robert Laffont, 1991. Réédition augmentée, 1999, page 201
- À cette occasion, Klingsor souligne que le Graal a été apporté en Occident par Joseph d'Arimathie, puis dans le château au centre de cette aventure par Marie de Magdala.
- L'or des Nibelungen est gardé par leur roi Alberich de la Forêt Noire ; ces nains ont donné une souche royale aux Burgondes.
- Anna Göldin finit peu après décapitée. Elle est pourtant déclarée innocente en août 2008. Un musée lui est consacré à Mollis, inauguré en septembre 2007.
- La constitution n'indique aucune capitale. Celle de 1848 indiquait Berne comme Ville fédérale, ce que ne fait plus la constitution actuelle de 1999. L'article 58 de la loi de 1997 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration déclare Berne siège du Conseil fédéral, des départements et de la Chancellerie fédérale. Lire en ligne l'entrée Ville fédérale, dans le Dictionnaire historique de la Suisse. L'étude d'un projet de loi pour attribuer à Berne le statut de ville fédérale a été initié en 2002, et suspendu sine die en 2004 par le Conseil fédéral ; lire en ligne l'information à ce sujet de la Chancellerie fédérale.
- La famille des Kybourg (ou Kiburg) fait partie des grandes familles qui ont façonné le destin de la Suisse au Moyen Âge avec les Habsbourg, les Savoie et les Zähringen notamment.
- La frontière entre les deux pays passe d'ailleurs au sud de cette ville, qui se trouve à cheval sur le lac.
- Toutefois, l'expression "château d'eau de l'Europe" désigne plus couramment la Suisse entière, voire simplement les Alpes
- L'Helvétie est une région de Gaule correspondant plus ou moins à l'actuelle Suisse. Elle fut peuplée par les Helvètes, ensemble de peuples celtes de l'extrémité orientale de la Gaule établis sur le plateau suisse. Ils avaient pour capitale Aventicum, près d'Avenches, dans le Vaud. Le titre de l'album Les Helvétiques est une allusion à leur sujet.
Références
[modifier | modifier le code]- Dominique Petitfaux (Scénario) & Hugo Pratt (Dessin), De l'autre côté de Corto, Casterman, , p. 134 à 138
- Hugo Pratt, Introduction de la bande-dessinée "Les Helvétiques"
- Jean-Claude Guilbert et Hugo Pratt, La traversée du labyrinthe, Presse De La Renaissance,
- (it + fr) Scénario : Marco Steiner, Hugo Pratt ; Dessin : Hugo Pratt ; Photographies : Marco D'Anna ; Mise en couleur : Hugo Pratt, Les Lieux de l'aventure
- Corto Maltese 1904-1925 : Récits du monde, escales du temps (Hors série, L'Histoire)
- Hugo Pratt (int. Dominique Petitfaux), Hugo Pratt. Le Désir d’être inutile, Robert Laffont, 1991. Réédition augmentée, 1999, page 193-194
- Hugo Pratt, Périples imaginaires, Casterman
- 800 exemplaires (format 30x23, couverture toilée grise sous emboîtage), numérotés et signés par l'auteur avec étiquette de vin sérigraphiée et signée (hors commerce), ont été édités en Suisse à l'occasion de l’exposition « Et in Helvétia », dans le cadre de l’Internationales Comic Festival de Sierre, du 9 au .
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Till R. Kuhnle, « L'enseignement postmoderne de Klingsor : divagations comparatistes autour d'une aventiure de Corto Maltese », dans Florent Gabaude, Aline Le Berre et Andrea Schindler (dir.), Actualité du médiévalisme : la réception du Moyen Âge germanique dans la France contemporaine, Limoges, Presses universitaires de Limoges, coll. « Espaces humains », , 267 p. (ISBN 978-2-84287-798-9).