Frustration relative
La frustration relative désigne, en sociologie, le décalage entre ce que les agents sociaux ou individus considèrent comme pouvant être raisonnablement désiré, et l'état de fait de ce qu'ils possèdent.
Concept
[modifier | modifier le code]La frustration relative est utilisée en sociologie des mouvements sociaux et sociologie de l'action collective pour indiquer que les individus ou les groupes ne sont pas tant mus par la frustration absolue que par une frustration relative, c'est-à-dire par le décalage entre ce qu'ils espèrent légitimement et ce qu'ils constatent ou perçoivent qu'ils ont[1]. La frustration collective est, selon Michel Dubois, « rien d'autre que le résultat, au niveau collectif, de la volonté de chaque individu de maximiser son intérêt dans une situation d'interaction particulière - c'est-à-dire une situation où les individus déterminent pour partie leur comportement en fonction de celui [des individus considérés comme disposant de plus] »[2].
La notion a initialement été développée par Alexis de Tocqueville. Il soutient que la Révolution française a été rendue possible par le mécanisme de la frustration relative, bien qu'il ne le nomme pas ainsi. Il considère que le Tiers état a été motivé dans sa décision d'entrer en révolution par la prise de conscience de ce que leurs ambitions, qui étaient impossibles à réaliser par le passé, devenaient possibles du fait de l'affaiblissement du régime[3].
Elle a ensuite été reprise par Ted Gurr. Il publie en 1970 son magnum opus, Why Men Rebel, où il pose les fondements de l'analyse politologique de la frustration relative et de ses effets[4]. Gurr rejette toutefois l'explication simpliste selon laquelle il y aurait un lien de causalité mécanique entre d'un côté, la frustration perçue, et, de l'autre, l'éruption de mouvements sociaux[5].
Le concept de frustration relative fraternelle est utilisé pour désigner le sentiment qu'un individu a lorsqu'il perçoit son groupe social, ou un groupe social pour lequel il a un intérêt, comme étant dans une situation de frustration relative[6].
Utilisations ultérieures
[modifier | modifier le code]Analyse des émeutes et des guerres
[modifier | modifier le code]Elle a été utilisée comme modèle explicatif des Émeutes de Watts. Le sentiment de frustration relative des afro-américains, combiné à des conditions environnementales défavorables (comme la vague de chaleur estivale) a amplifié les actes d'agression, qui auraient été exacerbés par des stimuli agressifs. Cela aurait permis à la violence de se généraliser[7].
René Lemarchand, dans une étude de 2006, explique les conflits interethniques en Afrique par des sentiments mutuels de frustration relative[8].
Analyse de la xénophobie
[modifier | modifier le code]Certaines études ont analysé la xénophobie comme étant causée par un sentiment de frustration relative de populations marginalisées qui voient arriver de nouveaux individus dans leur quartier[9].
Analyse de l'influence des programmes télévisés
[modifier | modifier le code]Une étude menée par Yang et al. en 2008 sur les effets des programmes télévisés américains sur les Coréens du Sud et sur les Indiens a montré que ces programmes, qui montraient des standards de vie américains élevés, tendaient à faire augmenter l'insatisfaction de ces individus et donc leur frustration relative[7].
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Philippe Corcuff, « Frustrations relatives », dans Dictionnaire des mouvements sociaux, Presses de Sciences Po, (ISBN 9782724611267)
- Raymond Boudon, « La Logique de la frustration relative », European Journal of Sociology, vol. 18, no 1, , p. 3-26 (DOI 10.1017/S000397560000309X)
Notes et références
[modifier | modifier le code]- (en) Satish Chandra Pandey, International Terrorism and the Contemporary World, Sarup & Sons, (ISBN 978-81-7625-638-4, lire en ligne)
- Michel Dubois, Premières leçons sur la sociologie de Raymond Boudon, Presses universitaires de France, (ISBN 978-2-13-049351-8, lire en ligne)
- Michel Wieviorka, Sociétés et terrorisme, Fayard, (ISBN 978-2-213-65304-4, lire en ligne)
- Ted Robert Gurr, Why Men Rebel, Paradigm Pub, (ISBN 978-1-59451-914-7, 1-59451-914-5 et 978-1-59451-913-0, OCLC 714715256, lire en ligne)
- Alexandra Raedecker, Cédric Passard, Fatima Ait Said et Julien Congiu, La sociologie au Capes de Sciences économiques et sociales, Dunod, (ISBN 978-2-10-074075-8, lire en ligne)
- (en) David Myers, Jackie Abell et Fabio Sani, EBook: Social Psychology 3e, McGraw Hill, (ISBN 978-1-5268-4793-5, lire en ligne)
- (en) Michael A. Hogg et Graham M. Vaughan, Social Psychology, Prentice Hall, (ISBN 978-0-13-206931-1, lire en ligne)
- (en) Olumuyiwa Temitope Faluyi, Sultan Khan et Adeoye O. Akinola, Boko Haram’s Terrorism and the Nigerian State: Federalism, Politics and Policies, Springer, (ISBN 978-3-030-05737-4, lire en ligne)
- (en) Derek Hook et Gillian Eagle, Psychopathology and Social Prejudice, Juta and Company Ltd, (ISBN 978-1-919713-67-0, lire en ligne)