Camp de protestation
Un camp de protestation est un campement alternatif autogéré où s’installent durablement des activistes afin de servir de base permanente à une protestation massive, généralement pacifiste, visant à empêcher le démarrage ou la poursuite d’un chantier sur ce site ou à proximité.
Ce type de militantisme « diffère d’autres formes de mouvement social en cela qu’il se compose d’actes de protestation continue (actions directes, veillées, marches) et d’actes de reproduction sociale nécessaires à la survie quotidienne (cuisine, nettoyage, construction d’abris et de toilettes). »[1]
On parle parfois de ZAD, pour « zone à défendre », pour désigner certains de ces camps, en particulier lorsque la revendication s'inscrit dans le domaine de l'écologie politique.
Protestation pacifiste et anti-militariste
[modifier | modifier le code]Ce mode de protestation est particulièrement vivace au Royaume-Uni, dans la lignée d’un courant pacifiste du scoutisme[2] et surtout des mouvements de protestation féministes et pacifistes des années 1920 consécutifs à la Grande Guerre. Ces camps de paix sont devenus célèbres à partir des années 1980 avec le Camp de femmes pour la paix de Greenham Common en Angleterre, un campement féministe antinucléaire et antimilitariste implanté près d’une base RAF qui dura dix-neuf ans, de 1981 à 2000, et en inspira plusieurs autres.
À Faslane, en Écosse[3], un campement de protestation toujours actif a démarré le 12 juin 1982 dans le sillage de celui de Greenham Common. Situé à côté de la base navale nucléaire HMNB Clyde, dans la région d’Argyll and Bute, il s’est déplacé plusieurs fois depuis ses débuts et parfois scindé en plusieurs campements tenus par des militants d’obédience diverses, notamment socialistes et anarchistes. Parfois bien installé mais toujours dépendant de la tolérance plus ou moins autoritaire de la municipalité, Faslane reste un lieu de séjours militants et de manifestations ponctuelles visant à maintenir vivante l’opposition à la guerre et au nucléaire, tout en poursuivant l’objectif initial de « réfléchir au-delà de la protestation ».
Opposition à des grands travaux d'aménagement
[modifier | modifier le code]La tenue d’un camp No Border en 2009 sur une zone d’aménagement différé pour « réfléchir au-delà de la protestation » contre le grand projet inutile imposé d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes va, entre autres, inaugurer l’appellation ZAD – zone à défendre. Suivront celles du Testet contre le barrage de Sivens dans le Tarn, d’octobre 2013 à septembre 2014, celle de l'Amassada à Saint-Victor-et-Melvieu en Aveyron contre un projet de transformateur électrique HT de 2014[4] à 2019, celle de la forêt de Roybon en Isère contre un projet de Center Parks depuis l’automne 2014, la ZAD du Moulin dans la forêt de Kolbsheim depuis avril 2016 contre le projet d’autoroute contournant Strasbourg, le camp autour de l’ancienne gare de Luméville, près de Bure, pour lutter contre le projet CIGEO d’enfouissement de déchets nucléaires en 2015[5] et celui créé à Hambach en Allemagne pour s'opposer au développement d'une mine de lignite à ciel ouvert.
Réappropriation d’espaces urbains
[modifier | modifier le code]L’occupation de places urbaines (Tahrir au Caire et Syntagma à Athènes en 2011, parc Gezi sur la place Taksim à Istamboul et Place de l’indépendance rebaptisée Euromaïdan à Kiev en 2013, Hong Kong en 2014), par les mouvements Occupy Wall Street ou Indignés ( Puerta del Sol à Madrid), ainsi que Nuit debout, les camps action climat et No Border sont également des camps de protestation.
« Le mouvement des Indignés (Indignados, en espagnol) et Occupy sont des mouvements sociaux qui, inspirés notamment par le Printemps arabe, ont débuté en 2011 dans de nombreux pays pour protester contre les politiques d’austérité, le fort taux de chômage, l’accroissement des inégalités sociales, la collusion des hommes politiques au pouvoir avec les intérêts des entreprises et de la finance capitalistes, et qui militent pour une démocratie « réelle » et pour la justice sociale. »[6]
Bien que solidement ancrées dans le local, toutes ces protestations ont en commun une portée globale, comme l’exprime l’Indienne Arundhati Roy à l’Université populaire de Washington Square Park le 16 novembre 2011 :
« Ce que vous avez accompli depuis le 17 septembre, le jour où le mouvement ‘Occupy’ a commencé aux États-Unis, c’est d’introduire une nouvelle imagination, un nouveau langage politique dans le cœur de l’empire. Vous avez réintroduit le droit au rêve dans un système qui a essayé de transformer tout le monde en zombies hypnotisés dans un consumérisme bêtifiant mis sur le même pied que le bonheur et l’épanouissement[7]. »
On y retrouve ainsi des modes de réinvention du quotidien qui passent par « des vergers urbains, des cantines collectives, une réappropriation de l’espace public et des imaginaires communs »[6]. Avec le blocage physique et l’occupation spatiale en effet, « C’est d’abord l’expérience de l’espace qui est remise en question par ces mouvements. L’espace social devient un “hybride” entre cyberespace et espace fortement localisé (“Place Tahrir”, “Puerta del Sol“, ”Place de la République“, etc.) ; l’espace géopolitique, quant à lui, oscille entre une circulation globale et une inscription et des revendications fortement nationales. L’expérience du temps s’accélère également, entre flux de communication numérique et flash mob »[8].
De plus, « Ces camps qui, d’une ville, d’un pays ou d’un continent à l’autre apparaissent et disparaissent, adoptent et adaptent de manière créative des formes de processus décisionnels, des stratégies d’hébergement, des pratiques médiatiques militantes et des modes d’action directe. »[1]
Autres campements temporaires
[modifier | modifier le code]C’est « à la suite du campement durant quatre mois de 48 ménages, essentiellement des familles avec enfants, expulsées en mai 1990 de deux immeubles squattés »[9] à Paris qu’est né le DAL, association de défense des mal-logés et sans logis.
Par ailleurs, il arrive que des campements d’activistes s’organisent durant des grèves prolongées. Ainsi, en plus d’autres modes d’action et de protestation plus traditionnels, la coordination des infirmières campa pendant plusieurs jours devant le ministère de la Santé à l’automne 1991[10] et des sages-femmes installèrent des tentes devant les maternités de plusieurs villes de France durant l’hiver 2013-2014.
Cependant, comme dans le cas de personnes qui “campent” devant une institution pour faire valoir leurs revendications qu’elles estiment inaudibles autrement[11], il s’agit bien là de campements protestataires mais qui visent à porter des revendications par la visibilité et la permanence, non à exercer une occupation alternative de l’espace public.
De même, si les participants à des rassemblements protestataires, tels qu’une vélorution ou une free party, sont le plus souvent installés en camping, celui-ci est un mode de logement le temps de la manifestation, ce n’est ni le moyen de protestation ou d’occupation de l‘espace, ni l’objet du rassemblement. Mais ce sont bien des camps de protestation qui, de plus en plus nombreux dans le monde, « s’opposent à la fracturation hydraulique et à la construction d’oléoducs. Des camps sont installés pour entraver des projets de gentrification, pour empêcher des expulsions et exiger des droits pour les migrants. »[1]
Notes et références
[modifier | modifier le code]Cet article est partiellement issu et adapté d’articles Wikipédia en anglais, notamment (en) « Protest Camp », « Peace Camp », « Camp de paix de Faslane », « Occupy » et en espagnol, (es) « Indignados ».
- Anna Feigenbaum, « Le camp pour la paix exclusivement féminin de Greenham Common », (traduit et adapté depuis A. Feigenbaum, «Tactics and technology», thèse de doctorat, McGill, 2008 ; A. Feigenbaum, A.P.Mac Curty et F. Frenzel, Protest Camps, ZED, 2013 et Salter, « Protest Camps », M. Ed, 2016, « Making Things International-2 », University of Minnesota Press, Minneapolis), in Féminismes ! — maillons forts du changement social, revue Passerelle n° 17, juin 2017, coédition Ritimo et Coredem
- Cf. le mouvement "New Age" (en) Kibbo Kift, qui organisa de 1931 à 1951 des campements pacifistes ponctués de randonnées, de cérémonies et d’ateliers artisanaux.
- Cf. Camp de paix de Faslane (en) d’où est traduite et résumée cette section. Des militants du camp de Faslane ont publié un journal en 2008 : Faslane: Diary of a Peace Camp, Polygon Édimbourg
- Cf. Pierre Myriade, « Voleurs de vent, semeurs de tempête », in CQFD n°147, octobre 2016, en ligne
- Depuis, « yourtes, tentes, chapiteaux ont été remballés, mais une dizaine de personnes est restée sur place pour relancer les chantiers, un jardin. Un immense préau de bois y a été construit avec des occupants de la Zad — zone à défendre — de Roybon pour “charpenter les luttes”. », Gaspard D’Allens et Andrea Fuori, Bure, la bataille du nucléaire, co-édition Seuil-Reporterre, 2017
- Viviana Asara et Barbara Muraca, «Indignados, Occupy, toujours actuels, toujours stimulants», in Reporterre.net, 9 mai 2016 en ligne
- L’allocution en français est disponible en ligne.
- « Penser les soulèvements », présentation de la journée d’étude du 3 décembre 2016 au Musée du Jeu de Paume dans le cadre du séminaire 2016-2017 de Georges Didi-Huberman au Centre d’histoire et de théorie des arts - CEHTA de l’EHESS.
- Cf. site web du DAL, présentation de l’association.
- Cf. « Les manifestations des infirmières de l'automne 1991 », sur le site web de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) en ligne
- Cf. Eric Turpin, « Christiane Leveuf demande un rendez-vous à la ministre de la santé », France-Bleue Normandie, 25 octobre 2013 en ligne
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]- (en) Liste de camps de paix dans le monde
- Liste des villes occupées par le mouvement Occupy (2011-2012)