Les Antiquités de Rome
Ne pouvant vous donner ces ouvrages antiques
Pour vostre Saint-Germain, ou pour Fontainebleau,
Je vous les donne, Sire, en ce petit tableau,
Peint, le mieux que j’ay peu, de couleurs poëtiques,
Qui mis sous vostre nom devant les yeux publiques,
Si vous le daignez voir en son jour le plus beau,
Se pourra bien vanter d’avoir hors du tombeau
Tiré des vieux Romains les poudreuses reliques.
Que vous puissent les Dieux un jour donner tant d’heur,
De rebastir en France une telle grandeur,
Que je la voudrois bien peindre en vostre langage ;
Et peut estre, qu’alors vostre grand’Majesté
Repensant à mes vers, diroit qu’ils ont esté
De vostre Monarchie un bien heureux presage.
DES
ANTIQUITEZ DE ROME
Divins esprits, dont la poudreuse cendre
Gist sous le fais de tant de murs couvers,
Non, vostre los, qui vif par vos beaux vers
Ne se verra sous la terre descendre.
Si des humains la voix se peut estendre
Depuis ici jusqu’au fond des enfers,
Soyent à mon cry les abysmes ouvers
Tant que d’en bas vous me puissiez entendre.
Trois fois cernant sous le voile des cieux
De vos tombeaux le tour devotieux,
A haute voix trois fois je vous appelle :
J’invoque ici votre antique fureur,
En cependant que d’une sainte horreur
Je vais chantant vostre gloire plus belle.
Le Babylonien ses hauts murs vantera,
Et ses vergers en l’air, de son Ephesienne !
La Grece descrira la fabrique ancienne,
Et le peuple du Nil ses pointes chantera :
La mesme Grece encor’ vanteuse publira
De son grand Juppiter l’image Olympienne,
Le Mausole sera la gloire Carienne,
Et son vieux labyrinth’ la Crete n’oublira.
L’antique Rhodien eslevera la gloire
De son fameux colosse, au temple de Memoire :
Et si quelque œuvre encor digne se peut vanter
De marcher en ce ranc, quelque plus grand’faconde
Le dira : quant à moy, pour tous je veux chanter
Les sept costaux Romains, sept miracles du monde.
Nouveau venu qui cherches Rome en Rome
Et rien de Rome en Rome n’apperçois,
Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois,
Et ces vieux murs, c’est ce que Rome on nomme.
Voy quel orgueil, quelle ruine, et comme
Celle qui mist le monde sous ses lois
Pour donter tout, se donta quelquefois,
Et devint proye au temps qui tout consomme.
Rome de Rome est le seul monument,
Et Rome Rome a vaincu seulement.
Le Tybre seul, qui vers la mer s’enfuit,
Reste de Rome, ô mondaine inconstance !
Ce qui est ferme est par le temps destruit,
Et ce qui fuit, au temps fait resistance.
Celle qui de son chef les étoiles passoit,
Et d’un pied sur Thetis, l’autre dessous l’Aurore,
D’une main sur le Scythe, et l’autre sur le More,
De la terre et du ciel la rondeur compassoit :
Juppiter ayant peur, si plus elle croissoit,
Que l’orgueil des Geans se relevast encore,
L’accabla sous ces monts, ces sept monts qui sont ore
Tombeaux de la grandeur qui le ciel menassoit.
Il lui mist sur le chef la croppe Saturnale,
Puis dessus l’estomac assist la Quirinale,
Sur le ventre il planta l’antique Palatin :
Mist sur la dextre main la hauteur Celienne,
Sur la senestre assist l’eschine Exquilienne,
Viminal sur un pied, sur l’autre l’Aventin.
Qui voudra voir tout ce qu’ont peu nature,
L’art, et le ciel (Rome) te vienne voir :
J’entens s’il peut ta grandeur concevoir
Par ce qui n’est que ta morte peinture.
Rome n’est plus, et si l’architecture
Quelque ombre encor de Rome fait revoir,
C’est comme un corps par magique sçavoir,
Tiré de nuist hors de sa sepulture.
Le corps de Rome en cendre est devallé,
Et son esprit rejoindre s’est allé
Au grand esprit de ceste masse ronde,
Mais ses escrits, qui son los le plus beau
Malgré le temps arrachent du tombeau,
Font son idole errer parmi le monde.
Telle que dans son char la Berecynthienne
Couronnee de tours, et joyeuse d’avoir
Enfanté tant de Dieux, telle se faisoit voir
En ses jours plus heureux ceste ville ancienne :
Ceste ville, qui fut plus que la Phrygienne
Foisonnante en enfans, et de qui le pouvoir
Fut le pouvoir du monde, et ne se peut revoir
Pareille à sa grandeur, autre sinon la sienne.
Rome seule pouvoit à Rome ressembler,
Rome seule pouvoit Rome faire trembler :
Aussi n’avoit permis l’ordonnance fatale
Qu’autre pouvoir humain, tant fust audacieux,
Se vantast d’esgaler celle qui fit esgale
Sa puissance à la terre et son courage aux cieux.
Sacrez costaux, et vous sainctes ruines,
Qui le seul nom de Rome retenez,
Vieux monumens qui encor soustenez
L’honneur poudreux de tant d’âmes divines :
Arcs triomphaux, pointes du ciel voisines,
Qui de vous voir le ciel mesme estonnez,
Las, peu à peu cendre vous devenez,
Fable du peuple, et publiques rapines !
Et bien qu’au temps pour un temps fassent guerre
Les bastimens, si est-ce que le temps
Œuvres et noms finablement atterre.
Tristes desirs, vivez donques contents :
Car si le temps finist chose si dure,
Il finira la peine que j’endure.
Par armes et vaisseaux Rome donta le monde,
Et pouvoit-on juger qu’une seule cité
Avoit de sa grandeur le terme limité
Par la mesme rondeur de la terre, et de l’onde.
Et tant fut la vertu de ce peuple feconde
En vertueux nepveux, que sa postérité
Surmontant ses ayeulx en brave auctorité,
Mesura le haut ciel à la terre profonde.
Afin qu’ayant rangé tout pouvoir sous sa main
Rien ne peust estre borne à l’Empire Romain,
Et que, si bien le temps destruit les Republiques,
Le temps ne mist si bas la Romaine hauteur,
Que le chef deterré aux fondemens antiques,
Qui prendrent nom de luy, fust descouvert menteur.
Astres cruels, et vous Dieux inhumains,
Ciel envieux, et marastre Nature,
Soit que par ordre, ou soit qu’à l’aventure
Voise le cours des affaires humains,
Pourquoy jadis ont travaillé vos mains
A façonner ce monde qui tant dure ?
Ou que ne fut de matiere aussi dure
Le brave front de ces palais Romains ?
Je ne di plus la sentence commune,
Que toute chose au-dessous de la Lune
Est corrompable, et sujette à mourir :
Mais bien je di (et n’en vueille desplaire
A qui s’efforce enseigner le contraire)
Que ce grand Tout doit quelquefois perir.
Plus qu’aux bords Æteans le brave fils d’Æson,
Qui par enchantement conquist la riche laine,
Des dents d’un vieil serpent ensemençant la plaine
N’engendra de soldats au champ de la toison :
Ceste ville qui fut en sa jeune saison
Un hydre de guerriers, se vit bravement pleine
De braves nourrissons, dont la gloire hautaine
A rempli d’un Soleil l’une et l’autre maison.
Mais qui finalement, ne se trouvant au monde
Hercule qui dontast semence tant feconde,
D’une horrible fureur l’un contre l’autre armez,
Se moissonnarent tous par un soudain orage,
Renouvelant entre eux la fraternelle rage,
Qui aveugla jadis les fiers soldats semez.
Mars vergongneux d’avoir donné tant d’heur
A ses nepveux, que l’impuissance humaine
Enorgueillie en l’audace Romaine
Sembloit fouler la celeste grandeur,
Refroidissant ceste premiere ardeur
Dont le Romain avoit l’ame si pleine,
Soufla son feu, et d’une ardente haleine
Vint eschauffer la Gottique froideur.
Ce peuple a donc, nouveau fils de la Terre,
Dardant par tout les foudres de la guerre,
Ces braves murs accabla sous sa main :
Puis se perdit dans le sein de sa mere,
Afin que nul, fust-ce des Dieux le pere
Se peust vanter de l’empire Romain.
Tels que l’on vid jadis les enfants de la Terre
Plantez dessus les monts pour escheller les cieux,
Combattre main à main la puissance des Dieux,
Et Juppiter contre eux qui ses fouldres desserre :
Puis tout soudainement renversez du tonnerre.
Tomber de çà de là ces scadrons furieux,
La Terre gemissante, et le Ciel glorieux
D’avoir à son honneur achevé ceste guerre,
Tel encor’ on a veu par-dessus les humains
Le front audacieux des sept costaux Romains
Lever contre le ciel son orgueilleuse face :
Et tels ores on voit ces champs deshonorez
Regretter leur ruine, et les Dieux asseurez
Ne craindre plus là haut si effroyable audace.
Ni la fureur de la flamme enragee,
Ni le tranchant du fer victorieux,
Ni le degast du soldat furieux,
Qui tant de fois (Rome) t’a saccagee,
Ni coup sur coup ta fortune changee,
Ni le ronger des siecles envieux,
Ni le despit des hommes et des Dieux,
Ni contre toy ta puissance rangee,
Ni l’esbranler des vents impetueux,
Ni le desbord de ce Dieu tortueux
Qui tant de fois t’a couvert de son onde,
Ont tellement ton orgueil abbaissé,
Que la grandeur du rien qu’ils t’ont laissé,
Ne face encor’ esmerveiller le monde.
Comme on passe en esté le torrent sans danger,
Qui souloit en hyver estre roy de la plaine,
Et ravir par les champs d’une fuite hautaine
L’espoir du laboureur, et l’espoir du berger :
Comme on voit les couards animaux outrager
Le courageux lyon gisant dessus l’arene,
Ensanglanter leurs dents, et d’une audace vaine
Provoquer l’ennemi qui ne se peut venger ;
Et comme devant Troye on vit des Grecs encor
Braver les moins vaillans autour du corps d’Hector :
Ainsi ceux qui jadis souloyent, à teste basse,
Du triomphe Romain la gloire accompagner,
Sur ces poudreux tombeaux exercent leur audace,
Et osent les vaincus les vainqueurs desdaigner.
Parlez Esprits, et vous Ombres poudreuses,
Qui jouyssant de la clarté du jour,
Fistes sortir cest orgueilleux sejour
Dont nous voyons les reliques cendreuses :
Dites, esprits (ainsi les tenebreuses
Rives de Styx non passable au retour,
Vous enlaçant d’un trois fois triple tour,
N’enferment point vos images ombreuses)
Dites-moy donc (car quelqu’une de vous
Possible encor se cache ici dessous)
Ne sentez-vous augmenter vostre peine,
Quand quelquefois de ces costaux Romains
Vous contemplez l’ouvrage de vos mains
N’estre plus rien qu’une poudreuse plaine ?
Comme l’on voit de loin sur la mer courroucee
Une montagne d’eau d’un grand branle ondoyant,
Puis traînant mille flots, d’un grand choc abboyant
Se crever contre un roc, où le vent l’a poussee,
Comme on voit la fureur par l’Aquillon chassee
D’un sifflement aigu l’orage tournoyant
Puis d’une aile plus large en l’air s’esbanoyant
Arrester tout à coup sa carrière lassee :
Et comme on voit la flamme ondoyant en cent lieux
Se rassemblant en un, s’aiguiser vers les cieux,
Puis tomber languissante : ainsi parmi le monde
Erra la Monarchie, et croissant tout ainsi
Qu’un flot, qu’un vent, qu’un feu, sa course vagabonde
Par un arrest fatal s’est venue perdre ici.
Tant que l’oyseau de Juppiter vola,
Portant le feu dont le ciel nous menace,
Le ciel n’eut peur de l’effroyable audace
Qui des Geans le courage affola :
Mais aussi tost que le Soleil brusla,
L’aile qui trop se fit la terre basse,
La terre mist hors de sa lourde masse
L’antique horreur qui le droit viola :
Alors on vid la corneille Germaine
Se deguisant feindre l’aigle Romaine,
Et vers le ciel s’eslever de rechef
Ces braves monts autrefois mis en poudre
Ne voyant plus voler dessus leur chef
Ce grand oyseau ministre de la foudre.
Ces grands monceaux pierreux, ces vieux murs que tu vois,
Furent premierement le clos d’un lieu champaistre
Et ces braves palais, dont le temps s’est fait maistre,
Cassines de pasteurs ont esté quelquefois.
Lors prindrent les bergers les ornements des Rois,
Et le dur laboureur de fer arma sa dextre :
Puis l’annuel pouvoir le plus grand se vid estre,
Et fut encor’ plus grand le pouvoir de six mois :
Qui, fait perpetuel, creut en telle puissance :
Que l’aigle Imperial, de luy print sa naissance :
Mais le ciel s’opposant à tel accroissement,
Mist ce pouvoir ès mains du successeur de Pierre,
Qui sous nom de pasteur, fatal à ceste terre
Monstre que tout retourne à son commencement.
Tout le parfait dont le ciel nous honore,
Tout l’imparfait qui naist dessous les cieux,
Tout ce qui paist nos esprits et nos yeux,
Et tout cela qui nos plaisirs devore,
Tout le malheur qui nostre âge desdore,
Tout le bonheur des siecles les plus vieux,
Rome du temps de ses premiers ayeulx
Le tenoit clos ainsi qu’une Pandore.
Mais le destin desbrouillant ce chaos,
Où tout le bien et le mal fut enclos,
A fait depuis que les vertus divines
Volant au ciel ont laissé les pechez
Qui jusqu’icy se sont tenus cachez
Sous les monceaux de ces vieilles ruines.
Non autrement qu’on voit la pluvieuse nuë
Des vapeurs de la terre en l’air se soulever,
Puis se courbant en arc à fin de s’abreuver,
Se plonger dans le sein de Thetis la chenuë,
Et montant de rechef d’où elle estoit venuë,
Sous un grand ventre obscur tout le monde couver
Tant que finablement on la voit se crever,
Or’ en pluye, or’ en neige, or’ en gresle menuë ;
Ceste ville qui fut l’ouvrage d’un pasteur,
S’elevant peu à peu, creut en telle hauteur,
Que Royne elle se vid de la terre et de l’onde :
Tant que ne pouvant plus si grand faix soustenir,
Son pouvoir dissipé s’écarta par le monde,
Monstrant que tout en rien doit un jour devenir.
Celle que Pyrrhe et le Mars de Lybie
N’ont sceu donter, celle brave cité
Qui d’un courage au mal exercité
Soustint le choc de la commune envie,
Tant que sa nef par tant d’ondes ravie,
Eut contre soy tout le monde incité,
On n’a point veu le roc d’adversité
Rompre sa course heureusement suyvie.
Mais defaillant l’object de sa vertu,
Son pouvoir s’est de luy mesme abattu,
Comme celuy que le cruel orage
A longuement gardé de faire abbord,
Si trop grand vent le chasse sur le port,
Dessus le port se voit faire naufrage.
Quand ce brave sejour, honneur du nom Latin,
Qui borna sa grandeur d’Afrique, et de la Bise
De ce peuple qui tient les bords de la Tamise,
Et de celuy qui voit esclorre le matin
Anima contre soy d’un courage mutin
Ses propres nourrissons, sa despouille conquise,
Qu’il avoit par tant d’ans sur tout le monde acquise,
Devint soudainement du monde le butin.
Ainsi quand du grand Tout la fuite retournee
Où trente-six mil’ ans ont sa course bornee,
Rompra des elemens le naturel accord,
Les semences qui sont meres de toutes choses,
Retourneront encor’ à leur premier discord,
Au ventre du Chaos eternellement closes.
O que celui estoit cautement sage
Qui conseilloit pour ne laisser moisir
Ses citoyens en paresseux loisir,
De pardonner aux rempars de Cartage !
Il prevoyoit que le Romain courage
Impatient du languissant plaisir
Par le repos se laisseroit saisir
À la fureur de la civile rage.
Aussi voit-on qu’en un peuple ocieux,
Comme l’humeur en un corps vicieux,
L’ambition facilement s’engendre.
Ce qui advint, quand l’envieux orgueil
De ne vouloir ni plus grand, ni pareil,
Rompit l’accord du beau-pere et du gendre.
Si l’aveugle fureur, qui cause les batailles,
Des pareils animaux n’a les cœurs allumez,
Soient ceux qui vont courant, ou soiynt les emplumez
Ceux-la qui vont rampant ou les armez d’escailles
Quelle ardente Erinnys de ses rouges tenailles
Vous pinsetoit les cœurs de rage envenimez,
Quand si cruellement l’un sur l’autre animez
Vous destrempiez le fer en vos propres entrailles ?
Estoit-ce point (Romains) vostre cruel destin,
Ou quelque vieil peché qui d’un discord mutin
Exerçoit contre vous sa vengeance eternelle ?
Ne permettant des Dieux le juste jugement,
Vos murs ensanglantez par la main fraternelle
Se pouvoir asseurer d’un ferme fondement.
Que n’ay-je encore la harpe Thracienne,
Pour resveiller de l’enfer paresseux
Ces vieux Cesars, et les Ombres de ceux
Qui ont basti ceste ville ancienne !
Ou que je n’ay celle Amphionienne
Pour animer d’un accord plus heureux
De ces vieux murs les ossemens pierreux
Et restaurer la gloire Ausonienne !
Peusse-je au moins, d’un pinceau plus agile,
Sur le patron de quelque grand Virgile,
De ces palais les portraicts façonner !
J’entreprendrois, veu l’ardeur qui m’allume,
De rebastir au compas de la plume
Ce que les mains ne peuvent maçonner.
Qui voudroit figurer la Romaine grandeur
En ses dimensions, il ne luy faudroit querre
À la ligne, et au plomb, au compas, à l’equerre
Sa longueur et largeur, hautesse et profondeur :
Il luy faudroit cerner d’une egale rondeur
Tout ce que l’Ocean de ses longs bras enserre,
Soit où l’Astre annuel eschauffe plus la terre,
Soit où soufle Aquilon sa plus grande froideur.
Rome fut tout le monde, et tout le monde est Rome.
Et si par mesmes noms mesmes choses on nomme,
Comme du nom de Rome on se pourroit passer,
La nommant par le nom de la terre et de l’onde :
Ainsi le monde on peut sur Rome compasser,
Puis que le plan de Rome est la carte du monde.
Toy qui de Rome esmerveillé contemples,
L’antique orgueil qui menassoit les cieux,
Ces vieux palais, ces monts audacieux,
Ces murs, ces arcs, ces thermes et ces temples,
Juge, en voyant ces ruines si amples,
Ce qu’a rongé le temps injurieux,
Puisqu’aux ouvriers les plus industrieux
Ces vieux fragmens encor servent d’exemples,
Regarde après, comme de jour en jour
Rome fouillant son antique sejour
Se rebastit de tant d’œuvres divines :
Tu jugeras, que le dœmon Romain
S’efforce encore d’une fatale main
Ressusciter ces poudreuses ruines.
Qui a veu quelquefois un grand chesne asseiché
Qui pour son ornement quelque trophee porte,
Lever encor’ au ciel sa vieille teste morte,
Dont le pied fermement n’est en terre fiché,
Mais qui dessus le champ plus qu’à demi penché
Monstre ses bras tout nuds, et sa racine torte,
Et sans feuille ombrageux, de son poids se supporte
Sur son tronc noüalleux, en cent lieux esbranché :
Eh bien qu’au premier vent il doive sa ruine,
Et maint jeune à l’entour ait ferme la racine,
Du devot populaire estre seul reveré.
Qui tel chesne a peu voir, qu’il imagine encores
Comme entre les citez, qui plus florissent ores
Ce vieil honneur poudreux est le plus honoré !
Tout ce qu’Egypte en pointe façonna
Tout ce que Grece à la Corinthienne,
A l’Ionique, Attique ou Dorienne,
Pour l’ornement des temples maçonna.
Tout ce que l’art de Lysippe donna,
La main d’Apelle, ou la main Phidienne,
Souloit orner ceste ville ancienne
Dont la grandeur le ciel mesme estonna.
Tout ce qu’Athene eut oncques de sagesse,
Tout ce qu’Asie eut oncques de richesse,
Tout ce qu’Afrique eut oncques de nouveau,
S’est veu ici. Ô merveille profonde !
Rome vivant fut l’ornement du monde,
Et morte elle est du monde le tombeau.
Comme le champ semé en verdure foisonne,
De verdure se hausse en tuyau verdissant,
Du tuyau se herisse en espic florissant,
D’espic jaunit en grain, que le chaud assaisonne.
Et comme en la saison le rustique moissonne
Les ondoyans cheveux du sillon blondissant
Les met d’ordre en javelle, et du blé jaunissant,
Sur le champ despouillé mille gerbes façonne :
Ainsi de peu à peu creust l’Empire Romain,
Tant qu’il fut despouillé par la Barbare main,
Qui ne laissa de luy que ces marques antiques,
Qui chacun va pillant, comme on voit le glenneur
Cheminant pas à pas recueillir les reliques
De ce qui va tombant après le moissonneur.
De ce qu’on ne voit plus qu’une vague campaigne,
Où tout l’orgueil du monde on a veu quelquefois
Tu n’en es pas coupable, ô quiconque tu sois
Que le Tybre et le Nil, Gange et Euphrate baigne.
Coupables n’en sont pas l’Afrique ni l’Espaigne,
Ni ce peuple qui tient les rivages Anglois,
Ni ce brave soldat qui boit le Rhin gaulois,
Ni cest autre guerrier, nourrisson d’Alemaigne.
Tu en es seule cause, ô civile fureur,
Qui semant par les champs l’Emathienne horreur
Armas le propre gendre encontre son beau pere :
Afin qu’étant venuë à son degré plus haut,
La Romaine grandeur trop longuement prospere
Se vist ruer à bas d’un plus horrible saut.
Esperez-vous que la posterité
Doive, mes vers, pour tout jamais vous lire ?
Esperez-vous que l’œuvre d’une lyre,
Puisse acquerir telle immortalité ?
Si sous le ciel fust quelque eternité,
Les monumens que je vous ai fait dire,
Non en papier, mais en marbre et porphyre,
Eussent gardé leur vive antiquité.
Ne laisse pas toutefois de sonner
Luth, qu’Apollon m’a bien daigné donner,
Car, si le temps ta gloire ne desrobe,
Vanter te peux, quelque bas que tu sois,
D’avoir chanté le premier des François
L’antique honneur du peuple à longue robe.
OU VISION SUR ROME
C’estoit alors que le present des Dieux
Plus doucement s’escoule aux yeux de l’homme,
Faisant noyer dedans l’oubly du somme
Tout le souci du jour laborieux ;
Quant un dœmon apparut à mes yeux
Dessus le bord du grand fleuve de Rome,
Qui, m’appelant du nom dont je me nomme,
Me commanda regarder vers les cieux.
Puis m’escria : Voy, dit-il, et contemple
Tout ce qui est compris dans ce grand temple,
Voy comme tout n’est rien que vanité :
Lors connoissant la mondaine inconstance,
Puisque Dieu seul au temps fait resistance,
N’espère rien qu’en la divinité.
Sur la croppe d’un mont je vis une Fabrique
De cent brasses de haut : cent colomnes d’un rond,
Toutes de diamant ornoyent le brave front,
Et la façon de l’œuvre estoit à la Dorique.
La muraille n’estoit de marbre ni de brique,
Mais d’un luisant cristal, qui du sommet au fond
Elançoit mille rais de son ventre profond
Sur cent degrez dorez du plus fin or d’Afrique.
D’or estoit le lambris, et le sommet encor
Reluisoit escaillé de grandes lames d’or ;
Le pavé fut de jaspe et d’esmeraude fine.
O vanité du monde ! un soudain tremblement
Faisant crouler du mont la plus basse racine,
Renversa ce beau lieu depuis le fondement.
Puis m’apparut une pointe aiguisee
D’un diamant de dix pieds en carré,
A sa hauteur justement mesuré
Tant qu’un archer pourroit prendre visee :
Sur ceste pointe une urne fut posee
De ce métal sur tous plus honoré,
Et reposoit en ce vase doré
D’un grand Cesar la cendre composee.
Aux quatre coins estoyent couchez encor
Pour piedestal quatre grands lions d’or
Digne tombeau d’une si digne cendre.
Las ! rien ne dure au monde que tourment !
Je vi du ciel la tempeste descendre
Et foudroyer ce brave monument.
Je vi haut eslevé sur colomnes d’yvoire,
Dont les bases estoient du plus riche metal,
A chapiteaux d’albastre et frizes de cristal,
Le double front d’un arc dressé pour la mémoire.
A chaque face estoit pourtraite une victoire
Portant ailes au dos, avec habit nymphal,
En haut assise y fut sur un char triomphal
Des empereurs romains la plus antique gloire.
L’ouvrage ne monstroit un artifice humain,
Mais semblait estre fait de cette propre main
Qui forge en aiguisant la paternelle foudre.
Las ! je ne veux plus voir rien de beau sous les cieux
Puis qu’un œuvre si beau j’ay veu devant mes yeux
D’une soudaine cheute estre reduit en poudre.
Et puis je vi l’Arbre Dodonien
Sur sept costaux espandre son ombrage,
Et les vainqueurs ornez de son feuillage
Dessus le bord du fleuve Ausonien.
Là fut dressé maint trophee ancien,
Mainte despouille, et maint beau tesmoignage
De la grandeur de ce brave lignage
Qui descendit du sang Dardanien.
J’estois ravi de voir chose si rare,
Quand de païsans une troppe barbare
Vint outrager l’honneur de ces rameaux :
J’ouy le tronc gemir sous la cougnee
Et vi depuis la souche dédaignee
Se reverdir en deux arbres jumeaux.
Une Louve je vi sous l’antre d’un rocher
Allaictant deux bessons : je vis à sa mammelle
Mignardement jouer cette couple jumelle,
Et d’un col allongé la Louve les lecher.
Je la vi hors de là sa pature cercher
Et courant par les champs, d’une fureur nouvelle
Ensanglanter la dent et la patte cruelle
Sur les menus troppeaux pour sa soif estancher.
Je vi mille veneurs descendre des montagnes
Qui bordent d’un costé les lombardes campagnes
Et vi de cent espieux luy donner dans le flanc.
Je la vi de son long sur la plaine estendue,
Poussant mille sanglots, se veautrer en son sang,
Et dessus un vieux tronc la despouille pendue.
Je vi l’oyseau, qui le Soleil contemple,
D’un foible vol au ciel s’avanturer,
Et peu à peu ses ailes asseurer
Suivant encor le maternel exemple.
Je le vi croistre, et d’un voler plus ample
De plus hauts monts la hauteur mesurer,
Percer la nüe et ses ailes tirer
Jusques aux lieux où des Dieux est le temple.
Là se perdit puis soudain je l’ay veu
Roüant par l’air en tourbillon de feu,
Tout enflammé sur la plaine descendre.
Je vi son corps en poudre tout reduit
Et vi l’oyseau, qui la lumiere fuit
Comme un vermet renaistre de sa cendre.
Je vi un fier torrent, dont les tlots escumeux
Rongeoient les fondements d’une vieille ruine :
Je le vi tout couvert d’une obscure bruine
Qui s’eslevoit par l’air en tourbillons fumeux :
Dont se formoit un corps à sept chefs merveilleux
Qui villes et chasteaux couvoit sous sa poitrine
Et sembloit dévorer d’une egale rapine
Les plus doux animaux et les plus orgueilleux.
J’estois esmerveillé de voir ce monstre enorme
Changer en cent façons son effroyable forme,
Lorsque je vi sortir d’un antre Scythien,
Le vent impetueux, qui souffle la froidure,
Dissiper ces nuaux, et en si peu que rien
S’esvanouir par l’air ceste horrible figure.
Tout effrayé de ce monstre nocturne,
Je vy un corps hideusement nerveux,
A longue barbe, à longs flottants cheveux,
A front ridé et face de Saturne :
Qui s’accoudant sur le ventre d’une urne,
Versoit une eau dont le cours fluctueux
Alloit baignant tout ce bord sinueux,
Où le Troyen combattit contre Turne.
Dessous ses pieds une Louve allaictoit
Deux enfançons : sa main dextre portoit
L’arbre de paix, l’autre la palme, forte :
Son chef estoit couronné de laurier,
Adonc lui cheut la palme, et l’olivier,
Et du laurier la branche devint morte.
Sur la rive d’un fleuve une Nymphe esploree
Croisant les bras au ciel avec mille sanglots,
Accordoit ceste plainte au murmure des flots,
Outrageant son beau teinct et sa tresse doree :
Las ! où est maintenant ceste face honoree,
Où est ceste grandeur et cest antique los,
Où tout l’heur et l’honneur du monde fut enclos,
Quand des hommes j’estois et des Dieux adoree ?
N’estoit-ce pas assez que le discord mutin
M’eust fait de tout le monde un publique butin
Si cest Hydre nouveau, digne de cent Hercules,
Foisonnant en sept chefs de vices monstrueux
Ne m’engendroit encor à ces bords tortueux
Tant de cruels Nerons et tant de Caligules ?
Dans un mont une flamme allumee
A triple poincte ondoyoit vers les cieux,
Qui de l’encens d’un cedre precieux
Parfumoit Tair d’une odeur embasmee.
D’un blanc oyseau l’aile bien emplumee
Sembloit voler jusqu’au sejour des Dieux,
Et degoisant un chant melodieux
Montoit au ciel avecques la fumee.
De ce beau feu les rayons escartez
Lançoient partout mille et mille clartez,
Quand le degout d’une pluye doree
Le vint esteindre, ô triste changement !
Ce qui sentoit si bon premierement
Fut corrompu d’une odeur sulphuree.
Je vi sourdre d’un roc une vive fontaine,
Claire comme cristal aux rayons de soleil,
Et jaunissante au fond d’un sablon tout pareil
A celuy que Pactol roule parmi la plaine.
Là sembloit que nature et l’art eussent pris peine
D’assembler en un lieu tous les plaisirs de l’œil :
Et là s’oyoit un bruit incitant au sommeil,
De cent accords plus doux que ceux d’une Sirene.
Les sieges et relais luisoyent d’yvoire blanc,
Et cent Nymphes autour se tenoyent flanc à flanc,
Quand des monts plus prochains de Faunes une suite
En effroyables cris sur le lieu s’assembla,
Qui de ses villains pieds la belle onde troubla,
Mist les sieges par terre, et les Nymphes en fuite.
Plus riche assez que ne se monstroit celle
Qui apparut au triste Florentin,
Jettant ma veüe au rivage Latin,
Je vi de loin surgir une Nasselle :
Mais tout soudain la tempeste cruelle,
Portant envie à si riche butin,
Vint assaillir d’un Aquilon mutin
La belle nef des autres la plus belle.
Finablement l’orage impetueux
Fit abysmer d’un goufre tortueux
La grand’richesse à nulle autre seconde.
Je vi sous l’eau perdre le beau thresor,
La belle nef, et les Nochers encor,
Puis vi la belle Nef se ressourdre sur l’onde.
Ayant tant de malheurs gemi profondement,
Je vi une Cité quasi semblable à celle,
Que vid le messager de la bonne nouvelle,
Mais basty sur le sable estoit son fondement.
Il sembloit que son chef touchast au firmament
Et sa forme n’estoit moins superbe que belle :
Digne, s’il en fut onc digne d’estre immortelle,
Si rien dessous le ciel se fondoit fermement.
J’estois esmerveillé de voir si bel ouvrage,
Quand du costé du nord vint le cruel orage,
Qui soufflant la fureur de son cœur despité,
Sur tout ce qui s’oppose encontre sa venue,
Renversa sur le champ, d’une poudreuse nue
Les foibles fondemens de la grande Cité.
Finablement sur le poinct que Morphee
Plus veritable apparoist à nos yeux,
Fasché de voir l’inconstance des cieux,
Je voy venir la sœur du grand Typhee :
Qui bravement d’un morion coiffée
En majesté sembloit esgale aux Dieux,
Et sur le bord d’un fleuve audacieux
De tout le monde erigeoit un trophee.
Cent rois vaincus gemissoient à ses pieds,
Les bras au dos honteusement liez :
Lors effrayé de voir telle merveille,
Le ciel encor je lui voy guerroyer,
Puis tout à coup je la voy foudroyer
Et du grand bruit en sursaut je m’esveille.
Le grand Cesar qui les Cesars honore,
Fut de son gendre et du Senat vainqueur
Pour avoir eu de ses soldats le cœur,
Tesmoin Crassin et mille autres encore.
Le grand Henry que son siècle decore,
Seur de la foy du François belliqueur,
Rabaissera l’Espagnole vigueur,
Malgré l’effort du Cesar demi-more.
Ô Prince heureux ! Ceux-là qui sont vivans,
Pour ta grandeur mille morts poursuivans,
Devant le fer de crainte ne pallissent :
Et ceux auxquels on a l’ame ravie,
Apres leur mort encore s’esjouissent,
Pour ton service avoir perdu la vie !
Pour asseurer l’Italie et la France
Contre l’effort de l’Aigle ravissant,
Le ciel unit d’un lien blanchissant
Le lis François au beau lis de Florence.
Ce double lis nostre double esperance,
Nous a produit un bouton florissant,
Par qui sera quelque jour perissant
Ce qui encor nous reste d’ignorance.
Florence a donc par la Françoise main,
Franche du joug dont le tyran Germain
Dessous ses lois maintes provinces lie,
Verra florir le siècle qui couroit,
Lorsque la vierge entre nous demouroit
Et que Saturne estoit roy d’Italie.