Chapter Text
Musiques : Dôyô et Kenja no Ishi (FMA OST 1), Mist (FMAB OST 1)
« Chut. »
Envy plaqua sa main sur les lèvres de Pride, plus par réflexe qu’autre chose. Après tout, contrairement à celui qu’il avait été, le petit blond était à présent loin d’être bavard. Néanmoins, pour prévenir toute question importune, que son protégé avait le chic pour poser aux pires moments, l’androgyne jugea bon de lui intimer le silence.
Simple précaution.
Tout en maintenant fermement sa prise sur le visage de Pride, qui restait pourtant sage et immobile, l’Envieux se pencha au coin du mur de façon à pouvoir inspecter d’un coup d’œil le couloir dans lequel ils s’apprêtaient à s’engager. Bien que le brun n’eût entendu aucun bruit, il ne voulait prendre aucun risque. Il aurait été gênant qu’ils se fissent surprendre. En cette période de crise, le Q.G. militaire était bien gardé et les soldats, à fleur de peau, n’auraient peut-être même pas hésité à faire feu sur les intrus qu’ils étaient.
Cela dit, il était déjà tard ; les troupes, pour la plupart, avaient fini leur journée de travail depuis longtemps. Peu d’hommes en uniforme circulaient encore à l’intérieur de la gigantesque structure et la plupart de ceux en service de nuit avaient été mobilisés à l’extérieur afin d’effectuer des rondes aux abords du Q.G. Toutefois, Envy le savait d’expérience : on n’était jamais trop prudent.
Surtout quand on trimballe un revenant avec soi, songea l’homonculus en regardant son compagnon. Qui plus est, dans une atmosphère aussi sépulcrale.
À gauche, les portes de multiples bureaux étaient alignées, closes et angoissantes. Leur bois sombre leur donnait l’allure de trous noirs insondables découpés grossièrement à la surface des murs blancs faiblement éclairés par une lune gibbeuse. Sur la droite, la lueur bleutée de celle-ci se détachait de chacune des fenêtres, espacées à intervalles réguliers le long du corridor qui disparaissait, plus loin, dans une épaisse obscurité dans laquelle on n’aurait pas aimé se perdre.
Envy, quant à lui, n’était pas le moins du monde impressionné. À force d’avoir passé nombre de ses journées dans le Q.G. ces derniers temps, il connaissait les lieux par cœur ; et pas que ! Les itinéraires des gardes aussi. Une bonne chose. Par commodité, cependant, il avait également profité de sa position de Führer pour alléger la surveillance du couloir menant à l’ex-bureau du général, histoire d’éviter au maximum toute mauvaise rencontre. Quand on voulait s’infiltrer discrètement dans un endroit qui grouillait de personnes armées jusqu’aux dents et susceptibles de vous canarder à vue, mieux valait être informé des chemins de ronde ou, mieux encore, pouvoir en décider. Malgré ses nombreuses vies, se faire fusiller sur place ne faisait pas partie des projets de l’androgyne. Et, il devait l’avouer, il s’en était plutôt bien sorti pour l’instant ; lui et Pride n’avaient croisé personne.
« C’est bon », indiqua Envy à son protégé, une fois assuré que le couloir fût bien désert.
Bien entendu, l’homonculus n’était pas sot au point de se balader ici comme chez lui (même si ça aurait dû être le cas, mais passons). Il avait pris soin de se changer en conséquence. En un tournemain, il avait revêtu un uniforme militaire somme toute assez seyant et avait troqué son apparence contre celle d’un jeune homme, légèrement plus âgé que lui, aux cheveux châtain clair et courts ; un adonis, tout comme lui. À cela près, il était méconnaissable et avait eu, au cours des années, tout le loisir de s’accoutumer à cette apparence d’un soldat lambda qui lui permettait de circuler sans souci dans la forteresse.
Néanmoins, pour Pride, l’opération « déguisement » s’était avérée plus compliquée. L’Orgueilleux ne possédait pas, comme lui, d’utiles capacités de métamorphe. Or, d’eux deux, le blondinet était bien le plus voyant : ses longs cheveux dorés étaient tape-à-l’œil, son visage finement dessiné aurait pu faire chavirer les cœurs de plus d’une demoiselle, et sa taille ridicule était sans commune mesure au sein du Q.G. La plupart des soldats étaient des hommes virils, à la musculature imposante et au pas lourd. Certes, on trouvait aussi quelques femmes parmi les effectifs, mais un garçon juvénile d’un mètre cinquante et des poussières ne pouvait qu’attirer l’attention, surtout lorsque le seul à avoir jamais mesuré cette taille et à s’être pavané dans ces mêmes couloirs avait été Edward Elric, que l’on connaissait ici plutôt sous le titre de « Fullmetal Alchemist »… le petit génie porté disparu.
Envy jeta un coup d’œil dubitatif à Pride tandis qu’ils s’engageaient dans le corridor à pas feutrés.
Mouais. J’ai pas été très inspiré, sur ce coup-là.
Son déguisement ne cassait pas trois pattes à un canard. Envy lui avait fait enfiler un uniforme (trop grand, déjà, super) et des chaussures compensées pour grappiller quelques centimètres. Il lui avait ensuite noué les cheveux en une queue de cheval qu’il avait planquée sous un képi tout aussi large que ses vêtements. Quelques mèches rebelles s’en échappaient çà et là, ou tombaient régulièrement devant les yeux du pauvre petit blond. Pride semblait s’en être accommodé, cela dit, car il ne s’en plaignait pas.
Toujours était-il que ça ne faisait guère illusion. Somme toute, Envy avait juste habillé Pride différemment et prétendait lui avoir coupé les cheveux en usant d’un bien piètre stratagème. Cela étant, et quoique le résultat laissât à désirer, l’androgyne préférait ça à l’atroce perspective de ruiner une si belle crinière. Ç’aurait été criminel de massacrer ce flot doré à coups de ciseaux. Pride aurait les cheveux longs quoi qu’il arrivât, point barre. Après tout, c’était lui qui était responsable du jeune garçon, alors il faisait bien ce qu’il avait envie de ses tifs. Et du reste aussi, d’ailleurs. Merde, hein !
« Marche plus vite », cracha Envy à son protégé, qui traînassait derrière lui.
Pride n’en fit rien. Il observait d’un regard vide – ou peut-être contemplatif, difficile à dire – le ciel au travers de la vitre la plus proche, suivant la course d’un nuage paresseux. Envy se renfrogna et, voyant que son ordre n’était pas appliqué, saisit brusquement le bras de l’adolescent pour le tirer en avant. De un, le brun détestait qu’on l’ignore… de deux, il ne souhaitait pas que le nouveau-né se perdît dans l’analyse de son environnement ; tout du moins, pas lorsqu’il s’agissait d’un endroit susceptible d’être associé à des souvenirs qu’il valait mieux garder sous clef. Trop dangereux. Qui pouvait bien savoir quelles idées traversaient sa petite tête de piaf, en ce moment précis ? Ses yeux étaient aussi muets que lui.
Son inquiétude était légitime, pourtant. Trois jours auparavant, Pride avait expérimenté à deux reprises, coup sur coup, ses premières réminiscences. Elles l’avaient laissé dans un état second pendant plusieurs heures et, heureusement, n’avaient pas provoqué chez lui de changement notable. Il ne devait s’agir que de souvenirs isolés et peu importants. Leur brusque réapparition l’avait certes plongé dans une sorte de transe, mais le jeune garçon était revenu à lui indemne. Quoi de plus « normal », en même temps ? En théorie, Pride n’aurait même pas dû se rappeler quoi que ce fût ; pas aussi rapidement, en tout cas. D’ailleurs, c’était le rôle d’Envy de s’en assurer. Hélas, cette fois-ci, il avait manqué de vigilance.
Toutefois, il n’était pas le seul « fautif » dans cette histoire. Cet incident était la preuve que l’âme d’Edward Elric n’avait pas été entièrement effacée par la transmutation opérée sur son corps inerte – et que cette âme était sacrément vivace. Une vraie teigne, ce microbe, même dans l’au-delà. Père n’avait pas pu bâcler le travail au point de ne pas chercher à supprimer l’attache qui reliait ce corps à son âme…
C’était juste qu’Edward était, manifestement, plus coriace que prévu.
Remarque, l’inverse aurait été ennuyeux.
« Ici », indiqua Envy en se postant devant une grande porte en acajou à deux battants.
Il regarda à droite, puis à gauche, vérifia au cas où qu’aucun curieux ne se trouvât dans la cour sur laquelle donnaient les fenêtres derrière eux, puis métamorphosa son index droit en clef. L’androgyne déverrouilla la porte en contorsionnant son poignet, puis s’engouffra dans le bureau, entraînant à sa suite le petit blond rêveur.
Tch. Pourvu que l’endroit ne rappelât pas à son bon souvenir sa mémoire oubliée.
« Envy… Qu’est-ce qu’on fait ici ? » se renseigna simplement Pride en jetant un regard circulaire autour de lui tandis que son aîné refermait derrière eux.
La pièce était spacieuse et bien entretenue. Le bureau, positionné face à une immense baie vitrée, était tellement rutilant qu’il paraissait scintiller sous les rayons lunaires. Il renvoyait ceux-ci de tous côtés, dissipant les ténèbres en les remplaçant par un bleu glacé. À sa gauche se trouvaient plusieurs bibliothèques croulant sous une flopée de vieux ouvrages. Leurs dos présentaient des signes d’usure, et pourtant, aucun d’eux n’était corné. La personne à qui appartenait ce bureau les avait souvent consultés, mais avec le plus grand soin. Plus loin, d’autres étagères étaient un peu moins bien rangées. Des chemises débordant de rapports s’y entassaient pêle-mêle, et une bonne couche de poussière s’y était accumulée. Sans doute avaient-ils dû être feuilletés à la hâte, puis laissés à l’abandon.
Pride eut une impression de déjà-vu qui le mit mal à l’aise, mais préféra ne pas en toucher mot à Envy. Son frère s’était montré étrangement agressif envers lui ces derniers temps. Depuis qu’il avait eu ce curieux problème après la mort de ce soldat dont il ignorait le nom, il était arrivé que son aîné le dévisageât ou s’énervât sans raison après lui. L’androgyne lui avait vaguement expliqué pourquoi il avait eu cette… crise ? mais de façon si floue qu’à vrai dire, tout ce que Pride avait saisi était qu’il s’agissait des souvenirs d’une vie antérieure.
Pride avait déjà, au cours de ses deux mois d’existence, essayé d’aborder le sujet sensible de sa naissance, tantôt avec Envy, tantôt avec leur père, mais aucun des deux n’avait voulu lui révéler d’où il venait, bien que le premier se fût montré plus bavard que le second. C’était par exemple le brun qui lui avait dit que, à l’instar de certains membres de sa fratrie, son existence résultait de celle d’un être humain – et non pas d’une création ex nihilo, comme l’ingénu avait pu le croire –, et qu’il pouvait parfois persister quelques « anomalies ». En d’autres termes, des souvenirs d’une vie passée.
Et c’était tout. Alors, pour le tout jeune homonculus, impossible de comprendre pourquoi Envy était aussi nerveux. Si être issu d’un être humain n’avait rien d’exceptionnel et si d’autres de leurs frères et sœur avaient, au fil du temps, renoué avec les morceaux d’un passé anodin, puisqu’il ne leur appartenait plus…
Où était le problème ?
« On va voir Père », répondit finalement Envy, après un silence.
Le polymorphe se dirigea vers la baie vitrée et en tira les lourds rideaux d’un geste vif. Personne ne devait savoir qu’ils étaient venus ici. De plus, cela empêcherait Pride d’avoir envie de sauter par la fenêtre comme la dernière fois. Une fois avait suffi, merci bien.
« Viens là », intima l’aîné à son cadet en claquant des doigts.
Bon, O.K., Envy l’avouait, Pride se serait exécuté sans ce geste. Mais c’était si plaisant de se faire obéir comme ça… Quelque part, l’Envieux comprenait un peu mieux quel plaisir le général, auquel avait appartenu le bureau dans lequel ils se trouvaient présentement, avait pu ressentir de son vivant en voyant les autres se plier à ses quatre volontés à chaque claquement de doigts.
C’était jouissif.
Inconscient du jeu auquel il prenait part malgré lui, Pride se rapprocha comme demandé et s’étonna :
« Pourquoi on ne fait pas… comme d’habitude ?
— Parce que ça ira plus vite comme ça. Je sais que t’es particulièrement attaché à tes petites “habitudes”, mais parfois, faut faire des concessions. C’est comme ça. Alors, la trappe, t’oublies. »
Parmi les quelques entrées qui menaient aux galeries souterraines, celle qu’ils nommaient la « trappe » était la plus lointaine et la plus sinueuse. Son emplacement avait été soigneusement choisi. On l’avait installée dans les bas quartiers de la ville. Il fallait au moins vingt minutes de marche pour relier leur repaire depuis celle-ci. De surcroît, comme elle desservait les égouts, l’odeur qui y régnait était à certains endroits insoutenable, même pour des homonculi censés y être accoutumés ou pouvoir, à tout le moins, s’en arranger. Le seul atout de cette entrée était qu’elle était défendue par de nombreuses chimères, plutôt efficaces pour liquider les curieux, et qu’elle était située dans une ruelle sordide où personne, absolument personne, n’aurait eu l’idée de vous demander ce que vous pouviez bien y foutre.
C’était la règle numéro un de ce quartier impitoyable, qui côtoyait pourtant les zones les plus respectables de la ville : chacun chez soi et les poules (qu’elles fussent figuratives ou posées à quelque coin de rue) seraient bien gardées.
L’idéal pour qu’une base secrète restât… secrète.
Par contre, lorsqu’un rassemblement était requis par leur paternel, comme ils en avaient été avertis quelques heures plus tôt par Lust, il était plus rapide (quoique plus risqué) d’emprunter l’une des entrées dissimulées dans le Q.G. militaire. Non seulement les trois quarts du chemin se faisaient en voiture, mais en plus, l’endroit comportait plusieurs passages, bien qu’Envy n’en utilisât majoritairement que deux : celui, secret, du bureau du « généralissime » (pitié, ce nom…), à présent en confettis, et l’ascenseur de l’aile nord – pour qui en possédait la clef. Mais c’était un véritable labyrinthe, donc pas vraiment mieux que la trappe.
L’entrée dans laquelle les deux homonculi allaient s’engouffrer sous peu n’était aucune de ces deux-là. Il s’agissait d’un troisième passage dérobé, planqué dans ce bureau ; celui du flamboyant général. Envy l’avait souvent emprunté jusqu’à ce que Wrath eût la merveilleuse idée d’accorder ce bureau à ce blanc-bec, croyant dur comme fer qu’on ne voyait jamais plus mal que ce qui se trouvait sous notre nez. En théorie, ç’aurait pu être rusé. Mais ce qu’ils ignoraient à ce moment-là, c’est que le Flame Alchemist était du genre à enchaîner les heures supplémentaires pour achever le travail qu’il n’accomplissait pas en journée. Leurs réunions « familiales » étant essentiellement nocturnes, Envy n’avait dès lors que rarement pu opter pour ce chemin sans croiser ce foutu poseur.
Il s’était donc résolu à ne plus utiliser ce passage-ci.
Cependant, à présent que le général était six pieds sous terre, que l’affaire de l’attentat de mars était close et que Wrath avait eu la brillante idée de récupérer ce bureau, il était enfin possible de s’épargner un détour.
« Ne bouge pas. »
Envy agrippa l’uniforme de Pride et le déboutonna. Il s’empressa de déshabiller son cadet, puis dégagea d’un mouvement brusque le képi qui cachait ses cheveux. Il défit l’élastique qui les retenait et les laissa retomber en cascade sur les épaules à présent dénudées du blond. L’androgyne ne put s’empêcher de détailler, comme chaque fois, le corps nu de l’adolescent. Il était encore plus surprenant de voir le manque total de réaction de celui-ci que d’observer les marques rouges qui sinuaient sur sa peau dorée ; de magnifiques tatouages dont l’origine restait mystérieuse, mais que l’Envieux lui aurait presque jalousé. Ce dernier eut un sourire amusé en laissant son regard errer plus bas. S’il avait réellement s’agit d’Edward Elric, il se serait mangé un pain en moins de deux.
« Allez, enfile ça ! » fit Envy tout en plaçant dans les bras hésitants de son protégé la tenue qu’il portait depuis qu’il était devenu un homonculus – la même que la sienne, à peu de chose près.
Le polymorphe, de son côté, reprit son apparence habituelle et fourra dans un sac l’uniforme pour l’instant inutile de son camarade. Il planqua le tout sous le bureau en shootant dedans, puis se tourna vers Pride, qui bataillait contre son col trop serré. Eh ouais… Ça voulait crâner, mais c’était pas foutu d’enfiler autre chose qu’un débardeur.
« On dirait une poule qui a trouvé un couteau… », soupira le brun en tirant sur le haut par de petits coups secs pour dégager la tête du plus jeune.
Pride fixa son aîné avec les yeux aussi écarquillés que ceux d’une chouette, les cheveux ébouriffés, mais enfin correctement habillé.
Il demanda :
« Pourquoi une poule ? »
Envy lui adressa un regard blasé.
« Qu’est-ce que j’en sais, sérieux ? Cesse de poser des questions stupides, tu m’agaces. »
Sans se soucier davantage de la détresse de son protégé, qui luttait à présent avec son short, l’androgyne se dirigea vers l’étagère qui croulait sous les dossiers abandonnés et la saisit à bras-le-corps. Il la tira jusqu’à la décoller du mur et découvrir une minuscule porte dérobée, qui leur arrivait à la taille. La couche de peinture appliquée dessus était si épaisse que l’on peinait à en discerner les contours. Envy métamorphosa de nouveau son doigt en clef, déverrouilla l’entrée du passage et la poussa. Elle émit un crissement à cause de la poussière accumulée sous elle, mais s’ouvrit volontiers.
« Entre là-dedans », ordonna Envy à Pride, qui s’exécuta.
Le brun lui emboîta le pas et, tout en refermant la porte sur eux, ramena l’étagère légèrement contre celle-ci. Ils furent aussitôt plongés dans le noir… ou presque. Un œil non averti n’aurait rien distingué dans cette obscurité, mais bienheureux étaient les homonculi. Leurs incroyables facultés leur permettaient d’être plus ou moins nyctalopes ; une capacité fort utile lorsqu’il s’agissait d’évoluer dans des endroits sombres.
« Fais attention à ta tête, le couloir est étroit. Et regarde où tu marches, aussi. Il doit y avoir un escalier à dix mètres. Il tourne un peu, mais après, c’est tout droit. »
Envy devina dans l’obscurité que Pride acquiesçait pour signifier qu’il avait retenu les instructions. L’adolescent se mit en route, sans difficulté aucune. Envy, par contre, et alors même que le passage s’élargissait, dut avancer le dos légèrement voûté pour ne pas se heurter aux aspérités du plafond. Il ne put réfréner un soupçon de jalousie à l’égard de son cadet qui, en raison de sa taille, s’épargnait cette peine. La vague idée de rapetisser lui effleura l’esprit, mais son orgueil l’en garda. Il avait beau s’appeler « Envy », il n’empêchait qu’il avait, lui aussi, un ego surdéveloppé.
« Envy… », souffla Pride tout en descendant prudemment l’escalier en pierre. Celui-ci était si vieux que chacune de ses marches était incurvée en son centre à force de passages répétés. C’est dire que l’endroit existait depuis longtemps. « Pourquoi Père veut nous voir ?
— J’en sais rien », répondit son frère dans un haussement d’épaules. « Je crois que ça doit être pour faire un point sur le retour de l’autre borgne ou sur l’enterrement de… »
Envy se tut subitement. C’était moins une, et heureusement, Pride ne releva pas.
Le brun lui jeta un coup d’œil en biais puis reprit d’une voix enjouée :
« En tout cas, moi, ça m’arrange. J’en avais par-dessus la tête de jouer les politiciens ! Provoquer des guerres, passe encore, mais les éviter… Putain, t’imagines pas le merdier que c’est ! Je ne sais même pas comment l’autre infirme arrive à jongler avec tout ce qu’il a à faire. »
D’ailleurs, ça m’étonne aussi que je n’aie pas déclenché un seul incident diplomatique en deux mois… Ce n’étaient pas les occasions qui manquaient.
En même temps, Envy était fait pour l’infiltration et l’espionnage. Pas pour la gestion de crise. Ça lui retirait une épine du pied que Wrath eût pu prendre sa suite la veille et assurer de nouveau ses fonctions. Marre de taffer pour deux.
« On va pouvoir s’entraîner comme avant, alors ? » interrogea Pride dans ce qu’Envy devina être un sourire.
L’adolescent, qui ne regardait pas devant lui, trébucha en prononçant ce dernier mot et manqua une marche.
Envy ne put s’empêcher de ricaner. O.K., c’était méchant, mais ce n’était pas comme si Pride allait s’en offusquer. Niveau réactivité, côté petit prodige, on frôlait parfois celle d’une tortue.
« On va devoir, tu veux dire », rectifia l’Envieux sans quitter son sourire narquois. « Maintenant que t’en parles, je pense que Père va nous en toucher un mot. »
Les deux comparses arrivèrent enfin au bas de l’escalier, dans un étroit couloir de pierres brunies par la crasse sur lesquelles semblait coulisser, tels des serpents, une foultitude de tuyaux. Quelques lampes éparses étaient incrustées dans la roche, mais la plupart des ampoules avaient grillé, si bien qu’il était difficile de voir où l’on posait les pieds. Néanmoins, cela indiquait aux deux frères qu’ils se rapprochaient bien du « centre du monde », comme se plaisait à l’appeler leur père.
Envy observa Pride, qui avançait d’un bon pas à ses côtés. Les entraînements… C’est vrai qu’ils avaient eu peu d’occasions d’en faire, ces derniers temps, malgré les recommandations de l’autre vieux croûton. En même temps, Envy pouvait difficilement être au four et au moulin. Certes, il ne dormait pas, mais cela ne l’empêchait pas, à l’instar d’un être humain, d’être parfois ennuyé ou fatigué et d’avoir besoin de se distraire. Pride faisait un sympathique passe-temps, mais généralement, l’androgyne préférait se balader pour s’aérer la tête, profiter d’un bon bol d’air frais et de la liberté dont il était si souvent privé avec cette histoire de remplacement. Du coup, les entraînements avec Pride, il les avait un peu zappés.
Ces « entraînements » avaient pour but de développer les pouvoirs encore endormis du tout jeune homonculus. Jusqu’à présent, Pride s’était montré bon élève : régénération express, maîtrise des facultés inhérentes au péché dont il occupait la place, exploitation judicieuse de ses réflexes surhumains et d’une agilité qui n’avait rien à envier à la sienne… Le nouveau-né excellait en tous points depuis sa création, et avait surpris son professeur plus d’une fois.
Cependant, s’il avait suffi de cela pour contenter leur père, les entraînements auraient été vite torchés. Pride était depuis longtemps capable de mener un combat comme un chef et d’en sortir vainqueur (sauf s’il avait à affronter d’autres homonculi, l’expérience de ses aînés ne pouvant s’acquérir en deux mois seulement). Non. Ce qui intéressait réellement leur paternel était le pouvoir latent qui sommeillait dans ce corps marqué au fer rouge par le cercle de transmutation qui l’avait généré.
L’alchimie.
Si Pride était en vie et si Envy avait reçu la mission de l’entraîner des heures durant, c’était dans le but de lui faire retrouver la maîtrise de cette science. Leur père n’avait qu’une obsession depuis que son orgueil s’était réincarné : exploiter le savoir et les compétences alchimiques de ce fils enfin redevenu docile, afin d’obtenir l’immortalité. Et, pour ce faire, quoi de mieux que de provoquer le besoin d’en avoir recours par le biais de combats factices ?
Mais il y avait un hic. Pride pouvait peut-être, contrairement à ses semblables, faire des miracles, vu qu’il était le fruit d’une transmutation sur un alchimiste de génie – et qui plus était le rejeton véritable de l’homme qui les dirigeait… mais pour réussir à mettre à profit ses connaissances, encore eût-il fallu qu’il s’en souvînt.
C’était là où le bât blessait. Pride ne s’en souvenait pas. C’est ce qui expliquait que depuis qu’il avait découvert ses pouvoirs d’homonculus, il n’avait présenté aucun progrès en ce sens. Cela commençait grandement à agacer Père, qui devenait de plus en plus pressant. Face à tant d’exigences, Envy n’en menait déjà pas large, mais voilà qu’à présent, celles-ci se couplaient à un autre désagrément : les récentes réminiscences de Pride, qui venaient lui compliquer la tâche et n’allaient pas être faciles à aborder avec l’ancien sans s’attirer ses foudres.
Comment expliquer que, non seulement, il avait délaissé Pride car il avait été trop pris par ses occupations de Führer à mi-temps (en même temps, là, ça se comprenait), qu’en plus, Pride n’avait toujours pas réussi à employer l’alchimie… mais que, de surcroît, un souvenir de sa vie antérieure – qui n’avait foutre rien à voir avec la choucroute – était remonté un poil trop violemment dans sa jolie petite tête blonde ?
Tu parles d’une galère…
Pride se tourna vers Envy, intrigué par le regard pesant que son frère lui adressait. Alors qu’ils arrivaient devant une arche de pierres mal taillées qui s’ouvrait sur une salle bien plus large que le couloir oppressant qu’ils venaient de traverser, le jeune homonculus s’enquit :
« Qu’est-ce qu’il y a ?
— Rien, rien. »
Au moment où l’ingénu s’apprêta à passer sous l’arche, son chaperon hésita un instant, puis lui maintint le bras avec force pour le tirer à lui. Il lui ordonna :
« T’as intérêt à tenir ta langue, pigé ? »
Pas que Pride s’exprimât beaucoup en règle générale, mais Envy préférait mettre les points sur les « i » d’emblée. Nul besoin de préciser le pourquoi de cette injonction, il savait que son disciple saisirait de quoi il retournait. S’il fallait parler à leur paternel des récents événements, c’était lui qui s’en chargerait. Histoire d’arrondir les angles et de s’épargner une correction exemplaire.
Car il suffisait de voir Pride pour se rappeler quel sort Père réservait aux impudents qui lui désobéissaient.
À suivre…