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La liberté au creux de tes mains

Summary:

Lorsqu’une éclaireuse Britannique s’écrase dans sa chambre, André ne peut s'empêcher de l'interroger sur la véritable liberté.
Et elle lui parle du plus grand trésor que la terre ai jamais porté.

Work Text:

Depuis qu'André a commencé à marcher et à apprendre, le cercle vicieux de l'hospice s'est refermé sur lui. La liberté lui a glissé entre les doigts, comme si elle n'avait jamais existé, et le brun a grandi, enchaîné par les règles.

☽◗ ● ◖☾

Les garçons sont réveillés chaque matin à six heures précises. Encore engourdis de sommeil, ils sont immédiatement envoyés courir autour du bâtiment principal. Quiconque ose ralentir se retrouve sévèrement puni par les religieuses, dont la vigilance ne faiblit jamais. Une heure plus tard, les filles sont à leur tour tirées de leurs lits, mais leur journée commence à peine qu’elles sentent déjà le poids de la discipline écrasante.

Après la course matinale, les garçons sont conduits à leurs premières leçons. On commence par des cours de langues, où chaque mot est passé au crible. La moindre faute de prononciation ou d'orthographe est accueillie par une punition, rapide et sans appel. Les filles suivent le même programme une heure après, enchaînant leçons de langues, mathématiques, et autres matières académiques, sous l’œil scrutateur des religieuses.

Le repas du midi est une autre épreuve. Les portions sont calculées au gramme près, basées sur un strict contrôle des calories. Ce régime uniformisé ne convient pas à tous les enfants, mais les plaintes sont ignorées, et il est hors de question de laisser quoi que ce soit dans l’assiette.

Le sport occupe une place de choix dans la routine de l’orphelinat. Tous les après-midis, garçons et filles s’affrontent dans des épreuves physiques impitoyables. Les plus lents, ceux qui peinent à suivre le rythme, sont aussitôt sanctionnés. Les pauses sont rares et toujours sous une surveillance étroite, les enfants n'ayant que quelques minutes pour souffler avant de retourner à leurs activités imposées.

Le soir, les filles sont couchées une heure plus tard que les garçons, après un dîner encore plus léger que celui du midi. Pendant qu’elles cousent et tissent des vêtements qui seront revendus plus tard, les garçons doivent retourner courir autour de l’orphelinat pour une dernière boucle avant de mériter le droit de se coucher. La routine est implacable, chaque jour se répétant de manière identique au précédent, sans échappatoire possible.

Bien qu'André ait une bonne condition physique, se maintenant ni parmi les premiers, ni parmi les derniers lors des courses quotidiennes, cela ne le protège pas des rigueurs impitoyables de l’orphelinat. Les règles de fer et autres objets se retrouvent souvent à écraser ses doigts dès qu’il échoue à résoudre un problème mathématique ou qu’il bute sur la prononciation d’un mot. La douleur devient sa compagne constante, un poids qu'il porte en silence. À cela s’ajoutent les brimades quotidiennes infligées par les autres élèves, qui le tourmentent sans relâche depuis quatre longues années.

Depuis ces quatre années, des ailes blanches ont percé son dos, révélant des plumes immaculées qui attisent la jalousie des autres pensionnaires. Leurs mains avides tentent de les arracher, surtout lorsqu’André n’a pas le temps de les dissimuler pendant les douches communes. Peu lui importe de devoir courir, un corset trempé serré autour de sa taille pour contenir ses ailes, dont les extrémités dégoulinent tout au long de sa course effrénée. Le seul répit qu'il trouve est dans le cocon de sa chambre, barricadée comme une forteresse contre le monde extérieur, où, au moins pour un temps, il peut se protéger des regards et des cruautés du monde extérieur.

☽◗ ● ◖☾

L’armoire grince profondément, un son sinistre qui fait se hérisser les ailes du jeune garçon. Comme chaque nuit, André pousse le lourd meuble devant sa porte, un geste devenu une habitude indispensable pour se sentir un tant soit peu en sécurité. Il sait qu’il ne refera plus l’erreur de ne pas se barricader. Pour être certain que personne ne pourra entrer, il bloque aussi la poignée avec une chemise roulée en boule - juste au cas où .

André déverrouille la fenêtre pour laisser un peu d'air frais pénétrer dans la chambre, mais le vent l'empêche de s'ouvrir complètement, la maintenant à peine entrouverte. Il s'assied alors à son bureau, laissant ses pensées sombres se déverser sur le papier. Ce ne sont pas des mots doux qu'il écrit, mais plutôt des confessions murmurées au silence. Il couche sur le papier l'expression d'un désir de tout abandonner, de mettre fin à cette existence douloureuse. Il décrit ses rêves de voler jusqu'au soleil, de s'en approcher suffisamment pour que ses ailes se consument, pour mettre un terme à ses souffrances. Mais au fond, il ne peut pas vraiment envisager la mort, lui qui n’aura que huit ans au mois de novembre.

Un bruit étrange et imprévisible se mêle au raclement de la plume d’André : un sifflement aigu, suivi d'un coup violent contre la fenêtre. André sursaute, poussant un cri de surprise, tandis qu'une ombre s'écrase dans sa chambre. Le choc est si puissant que l'armoire vacille, et un dictionnaire tombe lourdement au sol, écrasant quelque chose qui arrache un couinement de douleur à l'ombre recroquevillée. Deux ailes grisâtres se déploient maladroitement, ajoutant au chaos de la scène.

Paniqué, André pousse sa chaise en arrière, la faisant basculer au sol, puis se précipite vers l'ombre pour dégager le désordre. 

«—Est-ce que ça va ?!» s'écrie-t-il, sa voix tremblante d'inquiétude. Mais les seules réponses qu'il reçoit sont des plaintes étouffées.

L'ombre se redresse lentement, révélant une cascade de cheveux blonds qui se détachent et tombent sur ses épaules. Ses ailes se replient avec un bruissement, et André réalise qu'il a devant lui une jeune femme, plus âgée que lui de quelques années, peut-être deux, trois, ou quatre au plus. Elle est vêtue simplement, dans un style populaire chez les marins : une chemise blanche ample et un pantalon bleu, taché et usé par les voyages.

«—Oui… Oui, je vais bien. Je ne m’attendais pas à une chute si brutale…» Elle répond, se redressant d’un bond.

Elle est plus grande qu’André, et une certaine aura de lumière et de courage émane d'elle, des qualités qu'André doute de posséder un jour. Elle lui attrape la main, la serre fermement, comme si elle voulait dire bonjour ou au revoir, mais sans l'intention claire de faire ni l'un ni l'autre. André sent qu'elle attend quelque chose de lui, qu'elle espère une réaction.

«—Vous… euh, vous êtes ?» balbutie-t-il finalement, incertain de ce qui se passe.

«—Moi ? Je suis l’éclaireur du Marshall Ten ! Joshua !» répond-elle avec un sourire espiègle.

«—Le Marshall Ten ? N’est-ce pas un bateau d’exportation britannique ? N’engagent-ils pas uniquement des hommes, d’ailleurs ?»

Joshua hésite un instant, puis répond avec un ton un peu moins assuré. «Eh bien, uhm… Disons que j’ai mes méthodes, et qu’elles fonctionnent pour le moment et que—»

«—Vous vous faites passer pour un homme ? C’est ça, votre méthode ?» l'interrompt André, ses yeux perçants.

Joshua tousse, visiblement déstabilisée, et s’étouffe légèrement en plaçant une main contre sa poitrine, ses yeux fuyants trahissant son malaise. On dirait bien qu’André a deviné juste.

«—P-peut-être bien que oui, peut-être bien que non…»

«—Moi, je dis : Peut-être bien que oui réplique André avec un sourire. «En tout cas, vous êtes plus courageuse que tous ceux que je connaisse !» Le compliment fait naître un sourire sincère sur le visage de Joshua, tandis qu’André poursuit avec curiosité. «Et votre bateau, il est bien ?»

La jeune femme hoche la tête, ses yeux brillants d'une lueur d'aventure. «—Le Marshall Ten est plus qu’un simple bateau, c’est un véritable compagnon d’aventure. Il est rapide, discret, et capable de traverser les tempêtes les plus violentes. L’équipage est solide, bien qu’ils ne sachent pas tous que je suis… enfin, que je suis moi. Oh- et- mon rôle est de repérer les terres, de naviguer à travers les tempêtes, et parfois… de m'écraser dans les chambres de garçons comme toi. Désolé, d’ailleurs.» Son rire résonne jusqu’à la poitrine d’André, qui hausse simplement les épaules.

Il secoue la tête, s'avance pour inspecter l’état de la fenêtre. Il la referme, puis la rouvre légèrement avant de s'accouder au rebord pour contempler la lune. «C’est rien.» Il répond doucement, avant de sombrer dans le silence. L’adolescente s’avance à son tour, saute sur le rebord de la fenêtre et s’y assied, ses ailes maintenant innocemment rangées, comme si elles n’existaient pas. André jette un coup d'œil à la jeune Britannique, une curiosité grandissante dans le regard.

«—Et donc ? A quoi ressemble le monde par delà les mers ?» La question arrive sans hésitation, son ton calme trahissant une profonde envie d’écouter les récits de cette voyageuse inattendue.

Elle sourit, le regard tourné vers l’horizon nocturne. «Le monde…» commence-t-elle, laissant sa voix se perdre un instant dans le vent. «Il est vaste, plein de mystères et de merveilles. Des forêts qui semblent infinies, des villes qui brillent comme des étoiles, et des océans si profonds qu’ils pourraient avaler un navire entier. Mais il y a aussi des endroits sombres, des tempêtes qui te secouent jusqu’à l’âme, et des terres où le silence est plus effrayant que les cris les plus forts.» André l’écoute avec une attention captivée, imaginant ces lieux dont il n'a jamais osé rêver. 

«—Et vous, vous n’avez jamais peur ?» demande-t-il, fasciné, tandis qu’elle tourne la tête vers lui, ses yeux scintillant.

«—Bien sûr que si. Mais c’est justement cette peur qui rend chaque voyage encore plus extraordinaire. C’est en affrontant l’inconnu qu’on découvre qui on est vraiment, et ce dont on est réellement capable.»

André prépare une autre question, mais la jeune femme se redresse déjà, lui adresse un signe de la main.

«—À plus tard !» 

Elle plonge aussi soudainement qu’elle est apparue, piquant vers le sol à une vitesse vertigineuse. Le brun a tout juste le temps d’apercevoir ses ailes se déplier avant qu’elle ne disparaisse entre les arbres, virevoltant autour des cimes avec une grâce qu’il n’a jamais vue auparavant, remontant vers la lune comme un oiseau de nuit.

Oh, qu’il veut la revoir.

☽◗ ● ◖☾

Il finit par la revoir, des soleils et des lunes plus tard, aussi belle qu’elle l’était lorsqu’elle est venue à lui. Elle apparaît à sa fenêtre, les bras croisés, flottant dans le vide, le regard fixé sur lui sans émettre le moindre bruit, pour ne pas déranger le brun qui pousse de nouveau son armoire devant la porte.

«—Je peux demander la raison de cette barricade ?» Elle se soulève légèrement pour s'asseoir en tailleur sur le rebord de la fenêtre. «Monsieur…?»

André ne répond pas immédiatement. Pour être honnête, il n’a pas envie de lui expliquer. «André. Juste André.» Il hausse simplement les épaules et s’approche d’elle, les mains enfoncées dans les poches de sa petite veste tandis qu’il s’assoit à son bureau. «Des… euh, raisons personnelles ?» Sa réponse la fait doucement rire. 

«—T’as raison de ne pas dévoiler tes secrets aux premiers venus.» 

Lorsqu’elle se redresse, ses ailes se déplient légèrement dans un vague bruissement, mais cette fois, il y a quelque chose de différent dans son regard. Un soupçon d'amertume ou peut-être de peur, une agitation qu’elle peine à dissimuler. Un sourire se dessine sur ses lèvres, mais il n’est pas aussi serein qu’avant. Elle croise les bras, comme pour se protéger.

«—Tu me plais bien, tu sais ? Alors laisse-moi te conter une histoire.» Sa voix tremble légèrement, comme si elle hésitait à poursuivre. «Pourquoi toi, tu me diras ? Parce que…» Elle marque une pause, cherchant ses mots. «Parce que je n’en peux plus. À bord du navire, j’entends encore et encore que ce ne sont que des sottises, que ce trésor n'existe pas. Ils se moquent de moi, de mes rêves… Et peut-être que… peut-être que c’est plus facile de le partager avec quelqu’un qui me croira, peut-être, un peu plus que les autres.»

Elle détourne brièvement les yeux, son visage assombri par une pensée inquiétante. «Et puis… Je sens que mon temps est compté, André. Les gens commencent à se poser des questions, et ils me regardent différemment. Certains ont sans doute découvert la vérité sur moi, et d’autres… d’autres pourraient bien me vendre si mon secret venait à être ébruiter. Alors, avant que tout ça n’arrive, je veux que quelqu’un connaisse ce secret. Toi.»

André ne dit rien pendant une longue minute, se contentant de regarder la blonde en clignant doucement des yeux. Il sent le poids de ses mots, la tension dans l’air, mais il ne trouve pas les mots justes pour répondre. Alors, il lui offre simplement un sourire, doux et sincère. C’est tout ce qu’il peut faire pour l’aider, de toute façon.

«—Une histoire ? Le genre dont les marins raffolent ?»

André se relève, se sentant soudainement trop loin de la blonde. Ils se serrent contre le rebord de la fenêtre, mais pour une fois, André ne recule pas devant la proximité ; au contraire, il sent son cœur se gonfler lorsqu’une des ailes de Joshua vient se poser sur lui, comme pour le protéger.

«—Je veux te parler du plus grand trésor que la Terre ait jamais porté : le trésor des Templiers. Ça claque pas vrai ?»

«—Le trésor des… des Templiers ?» répète André, l'intrigue illuminant ses yeux.

«—Oui,» confirme Joshua avec un sourire mystérieux. «C’est une légende ancienne, et peu de marins y croient encore. Beaucoup disent que c'est un mythe, un conte pour effrayer les enfants ou séduire les aventuriers. Mais moi, je le trouverai, un jour ou l’autre !»

«—Et pourquoi celui-ci en particulier ? Qu’est-ce qui le rend si spécial ?»

Joshua se redresse, se prépare à s’élancer dans les airs, et, avec une grâce semblable à celle de Peter Pan, semble flotter au-dessus du sol. André ne peut que la regarder, émerveillé, les yeux brillants de fascination. Il sent ses propres ailes picoter, un désir ardent de voler à ses côtés – la seule comme lui. Joshua, avec ses cheveux blonds flottant autour d'elle, fixe l'horizon avec une intensité palpable.

«—Parce que, selon les légendes qui circulent de mer en océans, il ne s’agit pas seulement de richesses matérielles. Ce trésor contient des artefacts, des secrets perdus, et des objets qui pourraient changer le cours de l’histoire.»

Tout en parlant, Joshua mime un combat de pirates avec une énergie contagieuse, faisant semblant de brandir une épée contre des adversaires imaginaires. André regarde, fasciné par sa démonstration vive et animée.

«—Certains disent qu'il a été caché par un pirate légendaire, d’autres prétendent qu’il renferme des pouvoirs mystérieux. Mais ce qui me fascine le plus, c’est l’idée qu’un jour, quelqu’un comme moi pourrait découvrir quelque chose qui dépasse notre compréhension, quelque chose de vraiment grand.»

André reste captivé par la démonstration de Joshua, son esprit tournant à toute vitesse face aux possibilités incroyables évoquées. Le rêve et l’aventure semblent se matérialiser dans chaque mouvement de Joshua, chaque mot qu’elle prononce. 

«—Et vous, pensez-vous vraiment pouvoir le trouver ?» demande-t-il, le souffle court, comme si la simple idée d'y croire suffisait à rendre la quête possible. Joshua se penche légèrement vers lui, son regard brillant d’une détermination inflexible. 

«—Je le crois. C’est cette croyance qui me pousse à explorer chaque coin du monde, à affronter chaque tempête. Les plus grands trésors ne sont pas seulement ceux qu’on trouve, ils sont créés par ceux qui osent rêver et poursuivre leurs visions, malgré tous les obstacles.»

Elle fait une dernière pirouette dans les airs, avant de se poser à nouveau sur le rebord de la fenêtre, les ailes légèrement déployées comme si elles étaient prêtes à la porter vers de nouvelles aventures.

«—Et toi, André ?» l’interroge-t-elle avec un sourire encourageant. «Quels sont tes rêves ? Quelles aventures aimerais-tu vivre ?»

André regarde Joshua, conscient que cette rencontre a éveillé en lui des aspirations profondes et des questions sur son propre avenir. Il réalise que, comme Joshua, il doit aussi oser rêver grand et poursuivre ses propres aventures.

«—Je… je ne sais pas encore exactement,» avoue-t-il. «Mais… Vous m’avez donné l’envie de découvrir le monde et… et tout ce qu’il y a par delà ses murs !» Il lève les bras, comme pour pointer du doigt le bâtiment tout entier, un sourire éclatant aux lèvres. Joshua lui adresse un sourire complice. 

«—Alors garde cette curiosité et cet enthousiasme. Le monde est vaste et plein de mystères à explorer. Peut-être même qu’un jour, nos chemins se croiseront à nouveau, et que nous pourrons partager nos découvertes.»

Avec un dernier clin d’œil et un murmure d’adieu, Joshua se redresse, ses ailes se déployant pour la guider vers le ciel nocturne. André reste là, son cœur battant avec l'excitation des possibilités infinies, regardant la silhouette de Joshua s’éloigner dans la nuit, illuminée par la lumière de la lune.

Il ne peut envisager la mort, lui qui n’aura que huit ans au mois de novembre, lui qui porte en lui l’envie d’aller plus loin, plus haut, et de découvrir le plus grand trésor que la Terre ait jamais porté.

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