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Chaud.
Chaud..
Chaud…
André a toujours détesté les vagues de chaleur. La sueur qui perle sur sa peau et la fatigue qui s'abat sur lui dès que le mercure grimpe. Dès que les températures s'élèvent, il se sent écrasé sous leur poids. Alors, il reste étendu dans sa chambre, les fenêtres grandes ouvertes mais les volets à moitié fermés pour laisser passer l’air tout en repoussant les rayons du soleil. Le silence, lourd et étouffant, emplit la pièce, faisant résonner dans sa tête des pensées futiles, des plaintes vaines contre cette chaleur accablante qui s’infiltre comme une rumeur sourde dans l’atmosphère de son hospice.
Il a chaud, terriblement chaud, mais il est impuissant face à cette fournaise. Immobile sur son lit, les bras et les jambes écartés, il cherche à éviter tout contact – ni couverture, ni oreiller – mais même la douceur des draps suffit à lui arracher des perles de sueur. Ses ailes, loin d’être épargnées, sont la source même de son inconfort, ajoutant à cette sensation de chaleur oppressante qui l’épuise.
Elles reposent, étendues de chaque côté de son corps, imitant ses bras tournés vers le plafond. Les plumes, surchauffées, contribuent à intensifier cette fournaise intérieure qui brûle en lui. Rien ne bouge, et pourtant, il ne trouve aucun apaisement.
Dans un dernier effort désespéré, les pointes de ses ailes se relèvent, se plient, puis commencent à battre doucement, dans un mouvement vain d’éventail. L’air qu’elles déplacent est encore brûlant, mais André l’accueille avec un soupir de soulagement, appréciant ce semblant de répit, aussi éphémère soit-il.
Soudain, la porte de sa chambre s’ouvre brusquement, laissant entrer Haydée. Sa robe blanche contraste avec la chaleur ambiante, et ses cheveux, soigneusement tressés en une natte complexe, semblent défier l’atmosphère étouffante. «Lève-toi.» Sa voix, presque grondante, résonne avec une lassitude qui fait écho à celle d’André. Mais cette fois, il refuse d’obéir. Son corps, alourdi par la chaleur, reste inerte, incapable de répondre. Il laisse échapper un souffle, une plainte à peine audible.
Haydée, impatiente, ne perd pas de temps. Sa main attrape fermement la cheville d’André et, sans hésitation, elle commence à le tirer vers la sortie. Ses protestations, bien que faibles, n’ont aucun effet sur elle. Même lorsque son corps glisse au sol avec un sifflement de gêne, Haydée continue de le traîner, implacable, vers la droite, probablement en direction de l’extérieur. «On va à la mer, et je ne tolérerai ni résistance, ni refus.» André lève les yeux, résigné mais frustré, incapable de se relever tant que sa cheville reste prisonnière de la poigne implacable de la brune.
«—Je peux marcher... tu sais ?» Sa voix résonne dans la pièce, surprenant Haydée qui s’immobilise soudainement.
Haydée relâche sa prise, laissant le pied d’André retomber au sol avec un bruit sec, un "clac" qui résonne douloureusement dans son crâne déjà assiégé par la chaleur. André pousse un long soupir en se redressant, ses ailes se déployant légèrement pour éviter tout contact avec sa chemise trempée de sueur. Ils se dirigent ensuite vers une calèche, où André remarque Albert. Le visage de ce dernier est rouge, que ce soit à cause du soleil ou d’une autre raison, et ses fines boucles blondes s’emmêlent dans la brise. Ils échangent un bref salut lorsque André, dernier à monter, s’assied au centre de la banquette, ses ailes s’étirant un peu sur les bords du siège tandis qu’il soupire, épuisé.
«—Tout va bien, monsieur Cavalcanti ?» La voix d’Albert le tire de sa torpeur, l'empêchant presque de sombrer dans le sommeil.
Il lui faut une bonne minute pour comprendre qu’Albert s'adresse à lui. Lentement, André ouvre les yeux, et son regard, épuisé par la chaleur, est si troublé que ses pupilles se dilatent, peinant à se fixer. «Ah, euh... oui... Oui, oui.» C’est tout ce qu’il parvient à articuler avant que la chaleur ne l’entraîne dans un demi-sommeil. Son corps oscille à chaque virage de la calèche, mais il reste étonnamment droit tout du long, comme suspendu dans un état de léthargie.
Lorsque la calèche s’arrête enfin, André est le premier à descendre. La simple promesse de la mer semble raviver son énergie, chaque pas vers l’océan le ranimant peu à peu, comme si l’air marin insufflait en lui une nouvelle vie. Ils se retrouvent en haut d’une petite falaise, la calèche trop imposante pour emprunter les sentiers escarpés menant à la mer.
«—On doit descendre maintenant ?» demande Albert en se tournant vers Haydée, qui hoche simplement la tête.
André suit le mouvement, ses ailes s’étirant, suppliant de le porter directement jusqu’à l’eau pour plonger tête la première. Après quelques pas, il décide de s'élever un peu dans les airs, glissant ses bras sous les aisselles d’Albert pour le soulever du sol. Ses ailes battent avec plus d'ardeur, mais pour André, c’est un effort insignifiant, un petit prix à payer pour atteindre la mer plus rapidement. Albert pousse un juron qui contraste avec son apparence soignée, agitant ses jambes inutilement, ce qui pousse André à resserrer sa prise. «Doucement, votre altesse !» lance-t-il en riant presque, s'élevant juste un peu plus pour permettre à Albert de s'habituer à la sensation.
«—Fais attention, André, s’il te plaît !» s'exclame Haydée en levant un bras vers Albert, qui, pris de panique, tente maladroitement de l'attraper. Mais André esquive habilement, empêchant tout contact.
«—Ne t'inquiète pas. Je chérirai ton trésor, à l'inverse du Comte qui n'a pas su chérir le sien.» Ses mots, empreints de sincérité et de douceur, apaisent instantanément Albert, qui se détend, sa peur s'effaçant presque complètement.
Et alors, ils volent. Haydée les rejoint rapidement, ses ailes déployées avec grâce. André, lui, se laisse emporter par l'excitation, descendant en piqué vers l'eau, ses ailes battant frénétiquement pour le maintenir en altitude. Il a toujours observé les cygnes battre continuellement des ailes, alors peut-être doit-il faire de même ? Un jour, peut-être, il essayera de planer.
Pour l’instant, il dépose Albert à l'ombre, tout près du sable fin, abrité par les arbres qui dansent sous le vent. Le blond s'installe avec un soupir de soulagement, tandis qu’André s’envole de nouveau, plus libre qu’il ne l’a jamais été. L’altitude lui permet de prendre de la vitesse, et il tourne dans le ciel, écartant ses bras comme un enfant jouant à l’avion. Le vent siffle à ses oreilles, et pour un instant, il oublie la chaleur, la fatigue, tout.
Puis, avec une exultation presque euphorique, il plonge tête la première dans l’eau turquoise, l’impact créant une explosion d’écume autour de lui. Le choc de la fraîcheur le revigore, effaçant les dernières traces de fatigue, tandis qu'il se laisse emporter par les vagues, enfin en paix.